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On aimerait tellement que cetteexpression enfantine soit bienl’état d’esprit de chacun après latra gique séquence que la Francevient de vivre. Malheureusement ona quelques raisons d’en douter. Cesévé nements risquent au contraired’avoir pour conséquence de faireressurgir les peurs les plus enfouiesalimentées par un racisme et un

antisémitisme qui n’ont jamais cessé de rôder.Nombreux sont les témoins qui rapportent que, dansbeaucoup de classes, les minutes de silence n’ont pastoujours été observées avec le recueillement loué unpeu rapidement par les dirigeants politiques. On a en-tendu pendant ces instants des propos antisémitesou anti-arabes selon le lieu et l’école qui, à l’évidence,ne faisaient que refléter la mentalité des parents,des familles, du quartier et du milieu dans lesquelssont immergés ces enfants. Ne soyons pas naïfs ouangéliques : les peurs, le rejet, pour ne pas dire la hainede l’autre, risquent d’être alimentés consciemmentou inconsciemment par un certain nombre de ceuxqui ont vécu avec une angoisse légitime intense lesévé nements de Montauban et de Toulouse.Les dirigeants des communautés religieuses ont eu lesmots qui convenaient pour mettre en garde contre undéchaînement de passions dévastatrices. Le présidentde la République était dans son rôle quand il a appeléau rassemblement et à l’union du pays. Et au-delà despolémiques de campagne, constatons que la présencedes différents candidats à Montauban la semainedernière a répondu comme un écho favorable aux pro-pos de Nicolas Sarkozy. Mais pour autant, personnen’est dupe : à trois semaines du premier tour, la cam-pagne présidentielle a repris son rythme. Certeschangée par les événements, mais n’échappant pasà ce qu’est une campagne, c’est-à-dire un affronte-ment sans nuances. Du coup, le risque est grand devoir ou d’entendre tel ou tel candidat s’emparer desquestions naturelles que soulèvent ces assassinatsinnom mables pour développer ces peurs et ces haineset tenter de capitaliser dessus électoralement.Si tel était le cas, dans quel état serait la France aulendemain du 6 mai ? Pour éviter cette situationd’affrontement stérile, les prétendants à l’Élyséedoivent donner l’exemple d’une maîtrise de soi etd’une tolérance qui permettra à chaque Françaisde pouvoir affirmer haut et fort : même pas peur !À écouter les uns et les autres depuisquelques jours, on est loin du compte.C’est un jeu dangereux.

Les régions

ÉditorialRobert Namias

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias

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www.lhemicycle.com

L’imprévisible campagne

Rien n’est joué. Pour certains,c’était sans doute une formulede précaution alors qu’ils pen-

saient secrètement que l’élection étaitpliée au profit du candidat socialiste.Et voilà qu’après une entrée en cam-pagne en demi-teinte, Nicolas Sarkozysemblait, au lendemain d’une émis-sion télévisée et d’un meeting àVillepinte, se donner de nouvelleschances de l’em porter. Du coup, il y adix jours à peine, rien vraiment n’étaitjoué. Qu’en est-il après une semaine

si tra gique que les Français semblentaujourd’hui encore avoir du mal àsortir du cauchemar.À qui aura profité cette horrible sé -quence ? La question a été souventposée, elle a quelque chose d’inconve -nant, pour ne pas dire d’obscène,même si elle n’est pas totalement illé -gitime. D’autant qu’il n’y a pas deréponse certaine à une interrogationde cette nature. Les événements que laFrance a vécus à la mi-mars n’ont rienà voir avec les faits divers intervenus

à la veille des élections précédenteset souvent évoqués ces derniers jours.Une seule certitude : cela rend la prési-dentielle encore plus imprévisible.Non seulement plus rien n’est joué,mais désormais tout peut arriver. Cer-tains promettent d’énormes surprisesle 22 avril au terme d’une campagneelle-même aussi peu lisible qu’unepochette-surprise. Peut-être auront-ilsraison. Reste à savoir, dans cette hy-pothèse, de quelle surprise il s’agira ?

Paul Fournier > Lire p. 2, 3 et 4

NUMÉRO 440 — MERCREDI 28 MARS 2012 — 2,15 ¤

« Même pas peur »

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Après une vraie-fausse suspension de quelques jours,la campagne présidentielle aborde la dernière ligne droite.La tragédie de Toulouse a replacé au cœur du débat lesquestions de sécurité et la lutte antiterroriste.

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Jérôme Jaffré P. 4Alain Duhamel P. 3Luc Ferry P. 2

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Née à la politique avec l’élection de Mitterrand,la porte-parole de François Hollande voueà l’ancien président de la République uneadmiration qui l’a construite. > Lire l’admiroir d’Éric Fottorino p. 15

Delphine Batho,petite- fille de 1981 et de 1789

L’application du Droit au logement opposable (Dalo) souffre d’un manquede volonté politique. Le comité de pilotage chargé du suivi de la loi votéeil y a cinq ans tire la sonnette d’alarme. Pour pallier les défaillances del’État, les collectivités locales tentent de prendre le relais sur le terrain.> Lire l’article de Ludovic Bellanger p. 10 et 11

Le droit au logementse cherche un toitEt aussi

Au sommaire • Trouble-fête par Bruno Jeudy > p. 5• La résistance et le doute par Pascale Tournier > p. 5 •

La sûreté nucléaire : une obsession au quotidien > p. 8 et 9

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Que peut dire, que peut fairele politique face à un dramecomme les tueries de Toulouseet de Montauban ?Êtes-vous sûr que c’est d’abordet avant tout aux politiques de« faire le ménage » ? J’en doute.Bien sûr, ils ont un rôle essentielà jouer et, en tant que chef desforces de l’ordre, il est clair que leprésident de la République doitdiligenter des enquêtes suscepti-bles de démanteler les réseaux del’intégrisme. Il doit aussi prendreen compte le sentiment de misèreet d’humiliation qui règne dansles banlieues, y apporter enfindes solutions. Mais ma convic -tion est que c’est d’abord auxgrandes religions de s’exprimeret de combattre les déviationsfondamentalistes dont aucunen’a été exempte dans l’histoire. Ilserait absurde et même indignede confondre islam et islamismeradical. Hors une poignée de fousfurieux, les musulmans de Francesont, comme vous et moi, horrifiéspar le massacre de petits enfantsdans une école juive. Mais celarenforce d’autant ce que je dis :c’est d’abord aux religions de rap-peler à ceux qui sont tentés parle fanatisme la vérité de leur foi,de leur dire haut et fort qu’elle n’aaucun rapport avec ce qu’en fontles manipulateurs. À quand unegrande marche des musulmans deFrance pour l’islam des lumièreset contre les folies intégristes ?

Comment tirer une réflexionglobale juste à partir d’un drameforcément singulier par soncaractère exceptionnel ?

Ce drame est exceptionnel, vousavez factuellement raison, maiss’il frappe le monde entier, c’estbien parce qu’il dit quelque chosede plus général et qui, hélas, peutse reproduire un peu partoutau jourd’hui. Deux passions sontcapables de soulever des mon-tagnes… ou plutôt de creuser destombeaux : la soif de reconnais-sance et le besoin d’absolu. Je mesouviens que, dans les années 1980,le monde entier fut choqué parla violence inimaginable des sup-porters anglais, les fameux « hoo-ligans ». Qu’est-ce qui poussaitces jeunes gens, parfois aussi desmoins jeunes, à casser pour casser,

à tabasser pour tabasser, parfoisjusqu’à la mort ? Certains observa -teurs firent une hypothèse : issusdu sous-prolétariat, en voie de mar -ginalisation, privés de tout espoirde parvenir au centre du jeu mé-diatique, les hooligans se firentconnaître par la violence. À dé-faut d’être aimables et reconnuscomme tels, ils faisaient peur, cequi n’est pas rien. Transgressantles tabous les mieux ancrés dansles centres-villes, affichant claire-ment des slogans racistes et anti-sémites, hostiles à la démocratieet aux droits de l’homme, bref,à toute forme de civilité « conve -nable », ils faisaient scandale. Mais,fût-ce négativement, au moins on

parlait d’eux. Ils existaient. Il y ade cela chez ces jeunes de banlieuequi ont le sentiment qu’en raisonde leur origine, de leur milieusocial, mais aussi du poids despréjugés, les voies royales de lareconnaissance leur sont défini -tivement fermées. Oui, bien sûr,certains peuvent aussi réussir, de-venir célèbres, accéder aux pre-mières marches de la notoriété,mais combien et à quel prix ? Sivous n’êtes ni chanteur ni spor tif,si vous n’avez pas des allures demannequin, si vous vous conten-tez de travailler humblement ethonnêtement, où finirez-vous votrevie ? Au Smic, dans une usine,

voire au chômage. Et qui parlerade vous ? Dans une société quivalorise l’argent et la célébrité,quelle chance d’accéder à l’unou à l’autre ? C’est là que les fa-natiques religieux interviennent,qu’ils prennent le relais de l’hu-miliation et lui offrent une issue.

Y a-t-il matière à confrontationdémocratique sur les conséquencesde cette attaque et les leçonsà tirer pour notre pays ?La vérité, c’est que tous nos can-didats, en tout cas les principaux,sont d’accord sur l’essentiel. Hol-lande a eu raison de marcher dansles pas de Sarkozy et il n’y a aucunmotif de polémique à cultiver,

sauf pour des raisons électoralesassez minables… Quant aux le-çons, elles me semblent claires :un travail de police, un engage-ment plus fort des grandes reli-gions et, enfin, un vrai travail surles quartiers dont on a fait surtoutsemblant de s’occuper sans régleraucun problème sur le fond.

L’identité culturelle de la Franceest-elle aujourd’hui une questionpolitique ?Pas à mes yeux. On peut y réflé-chir en historien des idées, biensûr, et c’est un beau sujet. Mais dèsque les politiques s’en emparent,ça tourne au pugilat. Il y a trop de

sous-entendus, d’arrière-penséesplus ou moins avouables pour quecela devienne un thème de débatserein dans l’hémicycle…

La particularité de cesévénements est qu’ils surviennentà un mois du premier tour del’élection présidentielle. En quoidevraient-ils, ou, au contraire,ne doivent-ils pas, influer surle déroulement de la campagneet sur le comportementdes candidats ?La campagne ressemblait auconcours Lépine. On lançait desidées comme des fusées de feud’artifice, destinées à faire briller lefirmament médiatique quelques

heures, mais comprenant leurauto dissolution rapide. Je vousparie qu’on ne quittera pas plusSchengen qu’on ne taxera lesriches à 75 % ! Le traumatisme deToulouse va obliger à être plusgrave et plus sérieux.

Quelle impression généralevous fait cette campagneprésidentielle ? Nos candidats, en tout cas les cinqprincipaux, qu’on aime leurs idées,leurs personnalités ou pas, sontdes gens remarquables par le talentet l’intelligence. C’est une chance.Ce qui leur manque à mes yeux,c’est le sens historique. On restedans l’anecdote, dans la logiquemédiatique des coups et desscoops, dans la tactique plus quedans la stratégie. Je sais qu’en di-sant cela, je cède à une certainefacilité. La critique est aisée maisl’art difficile. Reste que le sujetmajeur à mes yeux, c’est l’avenirde l’Europe dans la mondiali -sation. Tout se jouera là. Or, àquelques détails près, la dimen-sion internationale est absente,comme sont absentes les ques-tions qui touchent au sens globalde l’action politique. Les anciensfoyers de sens, la nation et laRévolution, sont décrédibilisés.C’est la question des générationsfutures, donc de la jeunesse, quiva devenir centrale, et là aussi laprise de conscience n’est pas faite,ou pas assez…

Propos recueillispar Éric MandonnetRédacteur en chef adjoint

de L’Express

2 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 440, MERCREDI 28 MARS 2012

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Luc Ferry regrette que cette campagne n’ait pas permis de dégager une véritable vision pour laFrance de demain. Il estime que les candidats restent dans la tactique et ne développent pas unestratégie pour l’avenir. Quant à la tragédie que la France vient de connaître, l’ancien ministre estimeque c’est plus aux religieux qu’aux politiques de combattre les déviations fondamentalistes.

«La campagne ressemblait au concours Lépine. Le traumatismede Toulouse va obliger à être plus grave et plus sérieux »

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LUC FERRYPHILOSOPHE,ANCIEN MINISTRE DEL’ÉDUCATION NATIONALE

«À QUAND UNE GRANDE MARCHEDES MUSULMANS POUR LUTTER

CONTRE LES FOLIES INTÉGRISTES ? »

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Quelle va être la conséquencedes tueries de Toulouse et deMontauban sur la campagne ? Quand il y a une épreuve nationaledans une période de campagne,l’effet – non pas recherché – maismé canique favorise en règle géné-rale le Président en place et la droite,plutôt que le challenger et la gauche.

Est-ce vraiment un avantagepour le Président et la droite ?Le terrorisme, l’insécurité, l’immi-gration, la justice et la police vontbien entendu conquérir une placetrès accrue dans le débat. Le carac-tère et le tempérament des prin -cipaux candidats aussi. À qui celabénéficiera-t-il ? Ce n’est pas écritcar la personnalisation extrêmeest à double tranchant.

Jusqu’où cela peut-il relancerla campagne de Marine Le Pen ?Il est évident que si cela avait étéun néonazi, cela aurait handicapél’extrême droite. S’agissant d’undjihadiste, cela permettra au Frontnational de se déchaîner, mais cen’est pas Marine Le Pen qui pourraincarner l’autorité de l’État.

Y a-t-il un précédent à ce terribledrame ? Un précédent direct non. Ce qui yressemble le plus, c’est la fusilladeet le massacre de Nanterre (en 2002).C’était à la même distance du scru-tin. C’était un acte de violence trèsmarquant. Mais à la différence de

cette fois-ci, cela s’était ensuivi d’unepolémique instantanée, lancée parJacques Chirac, d’un niveau bienen dessous de la ceinture. Et cela luiavait très injustement bénéficié.

La campagne va être trèsdifférente. Après un moment decommunion nationale, le combatpolitique va être encore plusviolent ?Cela a rendu encore plus brutal,abrupt, le passage de la phase de laliberté d’expression à la phase decorsetage d’une expression impo-sée par l’égalité de temps de parole,qui a commencé, du fait de cedrame, un peu plus tard que prévu.Le fait qu’il y ait eu trois joursoù l’on a parlé d’autre chose demanière responsable a fait appa-raître encore plus mesquin, micro-cosmien et politicien ce qui s’estdéroulé après. Cela a joué un rôled’accentuation du contraste entreces deux phases.

Jusqu’ici, jugiez-vous la campagnedécevante ? Elle n’est clairement pas enthou-siasmante. D’une part, FrançoisHollande, qui demeure le favori,mène une campagne prudente : ilgère son avance. Nicolas Sarkozygrignote son retard, mais pour lefaire, il force le ton. Les autres can-didats adoptent un registre pro -testataire : Jean-Luc Mélenchon,Marine Le Pen, voire même Fran-çois Bayrou. Au bout du compte,

ce sont trois protestataires de ni-veau intellectuel inégal, dont uncirconspect et un agressif.

Au fond, est-ce que l’enjeu principaln’était-il pas jusqu’à présentuniquement celui de l’alternance ?Oui. L’enjeu, c’est l’alternance plusque l’alternative. C’est plus unequestion de personne et de psy-chologie qu’une question de subs-tance politique et de perspectiveéconomique. Nicolas Sarkozycomme François Hollande se si-tuent tous les deux dans une lo-gique de la crise et d’appartenanceà l’Union européenne, ainsi quedans une nécessité de réduction

des déficits et des dettes. Ce qui lesoppose est moins puissant et moinsviolent que ce qui les rapproche.

C’est une campagne qui ressembleà celle de 1981 ?Non. Elle est beaucoup moins vio-lente. Elle est aussi évidemmentmoins inédite. Et puis, sur lefond, cela n’a rien à voir. En 1981,le modèle économique et socialadop té par le dernier gouverne-ment conduit par Raymond Barreétait à l’opposé de celui de PierreMauroy. À l’époque, on est alors

passé du blanc au noir. Aujour -d’hui, s’il y avait alternance en maiprochain, on passerait du gris clairau rose pâle.

Pourquoi ne parle-t-on plusde la crise ?On manque d’un débat de fondentre les deux principaux can di-dats sur la nature de la crise etles solutions à lui apporter. Onmanque cruellement de réponsesconcrètes et ambitieuses. Le sujetpourtant primordial n’est abordéque par les extérieurs et ignorela question centrale : quelles sontles conditions d’un retour de lacroissance ?

Après un début de campagneautour de match à quatre,la bipolarisation écrase tout.Cela peut encore changer ? Depuis l’entrée en campagne deNicolas Sarkozy, la bipolarisation arepris ses droits, mais n’efface pasle reste. Jean-Luc Mélenchon peutcontinuer à progresser. FrançoisBayrou a pour l’instant l’air destagner, mais, après tout, il restecinq semaines. On ne peut pasinsulter l’avenir ! Marine Le Penstagne, voire recule, mais on peutêtre sûr qu’elle va déclencher une

contre-offensive. Elle s’est trompéeen choisissant de faire de l’écono-mie l’axe principal de sa campagneau lieu de l’immigration, puis en sefocalisant sur les 500 signatures.Maintenant, elle va venir sur unterrain plus classique et va sansdoute frapper fort. Je ne dis pasque cela changera l’ordre d’arrivéedes deux premiers, mais cela peutmodifier l’ordre d’arrivée des troissuivants.

Craignez-vous une forte abstention ?Oui, je le crains. On sent bien quedans les milieux populaires et chezles jeunes, il n’y a pas un grandappétit de participation.

Quelle est pour vous la révélationde cette campagne ?On assiste à la naissance (à 60 ans)de Jean-Luc Mélenchon. Il y a aussila confirmation de l’habileté deFrançois Hollande et de la comba-tivité de Nicolas Sarkozy. Mais onne peut pas dire que ces dernierssoient des révélations !

Et la déception ?Je regrette que François Bayrou nesoit pas plus précis dans ses pro -positions. Ses positions de principesont estimables. Les modalités demise en pratique manquent deprécision.

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

NUMÉRO 440, MERCREDI 28 MARS 2012 L’HÉMICYCLE 3

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ALAIN DUHAMELJOURNALISTE ET ÉCRIVAIN

Si les tragédies de Toulouse et de Montauban modifient le contenu de la campagne, l’enjeude la présidentielle reste le même. Pour Alain Duhamel, il s’agit de choisir ou de refuser l’alternanceplutôt que de trancher une alternative. Selon l’éditorialiste, en 1981, on était passé du blanc au noir,aujourd’hui, s’il y avait alternance, on passerait du gris clair au rose pâle.

«Le terrorisme, l’insécurité, l’immigration, la justice et la policevont conquérir une place très accrue dans le débat. À qui cela

bénéficiera-t-il ? Ce n’est pas écrit car la personnalisation extrêmeest à double tranchant »

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«UNE CAMPAGNE QUI N’ESTPAS ENTHOUSIASMANTE »

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Le choc provoqué par les tueriesde Toulouse et de Montauban va-t-ilmodifier beaucoup de chosesdans cette campagne ?Forcément. Dans cette campagne,qui ne comptait rien de spectacu-laire ni de fort, c’est un événementlourd. Il restera très probablementd’ici le 6 mai comme le seul de cetteimportance. Il donne une gravitéà la campagne. Tous les candidatsvont devoir en tenir compte dans lechoix de leurs thèmes et leur ton.Cette gravité aura aussi une fonc-tion positive : la réhabilitation dela politique. Jusque-là, la campagneétait marquée par un fort désin -térêt et un grand scepticisme. LesFrançais ne croyaient guère dansla capacité des politiques à traiterdes problèmes qui relevaient del’éco nomie – puisque c’était le thè -me majeur. La gauche mettait enavant la lutte contre les inégalitéset la fiscalité ; la droite, le coût dutravail et l’Europe des frontières. Lacampagne évolue en montrant quele politique a aussi pour fonctiond’incarner l’unité nationale et d’as-surer l’ordre public. Le choix duPrésident est donc un acte essentiel.On avait tendance à ne pas trèsbien savoir si on élisait un présidentde la République ou un Premier mi-nistre. Désormais on sait mieux dequoi il s’agit.

Avant ce drame, comment jugiez-vous la campagne ?Ce n’était qu’une course tactique.François Hollande était dans uneposition de grand favori. Il faisaitpreuve d’une extrême prudencepour éviter toute erreur. NicolasSarkozy, lui, multipliait les thèmespour siphonner les voix de MarineLe Pen sans chercher à répondreà la préoccupation de la majorité

des électeurs. François Bayrou avaitadopté une stratégie de substitutionqui donnait aussi un tour tactiqueà sa démarche. Jean-Luc Mélenchons’était lancé dans une primaire avecFrançois Hollande… Au surplus,cette élection n’était pas une élec-tion d’espérance, où les Françaispouvaient penser comme lors desprécédentes présidentielles que lerésultat permettrait d’améliorer lasituation du pays. Désormais leschoses sont différentes. La gravitéde l’actualité redonne son sensau vote et peut réduire la tentationde l’abstention qui était forte chezde nombreux électeurs.

L’accent désormais mis sur cesthèmes régaliens avantage-t-ild’abord le Président sortant ? Il y a un fait : dans ces événements,les Français ont retrouvé leur pré -sident de la République. Cela n’apas été souvent le cas durant lescinq années du quinquennat Sar-kozy, à l’exception, par exemple, dela présidence française de l’Unioneuropéenne. Dans cette affaire,Nicolas Sarkozy aura tenu un dou-ble rôle : l’efficacité pour résoudreune situation difficile – ce qu’iladore d’ailleurs – et l’incarnationde l’unité nationale. Les Françaisont apprécié qu’il associe les com-munautés juive et musulmane etqu’il évite toute stigmatisation. Ildevrait connaître une améliorationnette de son image personnelle. Lecôté référendaire de l’élection (proou anti-Sarko) pourrait se réduire et

lui permettre de rassembler en amé -liorant ses reports de voix pour lesecond tour, ce qui était jusque-làun des principaux obstacles à saréélection. Reste à savoir si NicolasSarkozy voudra jouer de ce registreou revenir à sa campagne « GeorgeW. Bush » de 2004, qui fut trèsclivante. Il est difficile de tenir lesdeux bouts de cette chaîne.

Et pour François Hollande,qu’est-ce que cela change ?Il doit faire face à deux risques.D’abord si le référendum anti-Sar-kozy se réduit, cela ne va plus êtreun moteur aussi puissant pour sa

campagne. Ensuite il y a le risquede droitisation des thèmes et desattentes qui pourraient mettre enavant les questions de sécurité,d’immigration et de terrorismedans un mélange redoutable où lagauche se retrouverait soit spec -tatrice, soit accusée de laxisme oud’angélisme. Si François Hollandeabonde dans le sens des mesuresannoncées par Nicolas Sarkozy,quelle est son utilité ? S’il les ré -cuse, veut-il combattre le risque ter-roriste avec l’ardeur suffisante ?Pour échapper à ce piège, il va sansdoute développer des axes proprescomme le vivre ensemble, la bonneentente entre les communautés etle respect de la laïcité… Il pourraitcependant y avoir pour lui uneretombée positive. Il était engagédans une course redoutable avecJean-Luc Mélenchon touchant aux

questions égalitaires sur lesquellesMélenchon pouvait toujours suren-chérir sur lui. Le slogan implicite dela campagne du leader du Front degauche était : « Pour un Hollandede gauche, votez Mélenchon ! » Onpeut penser – c’est mon cas – que laproposition de taxation à 75 % destrès hauts revenus avait favorisé lamontée de Mélenchon, qui dans cedomaine sera toujours un Monsieurplus, et avait réduit les reports devoix des électeurs de Bayrou vers lecandidat socialiste au second tour.Bref, une idée plébiscitée par l’opi-nion mais contre-productive élec-toralement. Le fait que les thèmes

de campagne évoluent et soientmoins économiques pourrait mettrefin à cette course à gauche toute.Car le slogan « Pour un Hollande àla hauteur de la fonction présiden-tielle, votez Mélenchon » n’auraitguère de sens. Si le candidat socia-liste utilise bien la nouvelle donne,cela pourrait lui permettre de mieuxcontenir la montée de Mélenchon.

Marine Le Pen va-t-elle beaucoupprofiter de cette affaire ?Au moment du dépouillement desurnes, le 22 avril prochain, ellepourrait être la bénéficiaire finalede l’événement, comme son pèreavait bénéficié en 2002 du climatd’insécurité qui avait dominé ledernier mois de la campagne.Elle ne connaîtra sans doute pasde progrès d’image. Jusque-là,la grande réussite de l’entrée en

campagne de Nicolas Sarkozy avaitété de réussir à faire passer MarineLe Pen de 19 à 16 %. À l’occasionde cet événement, la candidate duFront national peut retrouver unedynamique. Mais pour cela elle nedoit pas trop en faire. Les Françaisn’aiment guère que l’on instru-mentalise les événements drama-tiques. Sa capacité de progressionsera plus forte si elle se contented’être le réceptacle naturel des élec-teurs qui font de l’insécurité ou duterrorisme leurs motivations pre-mières. En proposant de nouvellesmesures sécuritaires ou antiterro-ristes, Nicolas Sarkozy tente de blo-quer son éventuelle progression.

Et pour François Bayrou ?Dans cette campagne électorale, ily a un vrai problème Bayrou. Sonchoix de polémiquer le jour dudrame, alors que les Français vou-laient ardemment l’unité natio-nale, n’a pas été compris et estassez stupéfiant provenant d’unpolitique aussi rompu. Sa mar -ginalisation pointait déjà. Elle ris -que de s’en trouver accélérée. Sastra tégie de candidat de substi -tution – Ségolène Royal en 2007pour battre Sarkozy ; Nicolas Sar ko -zy en 2012 pour battre Hollande –fonctionne mal. En attaquantNicolas Sarkozy, le jour même oùil accomplissait au mieux sa fonc-tion de Président, était incom -préhensible aux yeux des électeursde droite, que par ailleurs ilcherche à séduire. Actuellement,la posture centriste n’a pas assezde force pour réussir à prendre laplace d’un des deux candidats prin -cipaux. Sa situation devient réelle-ment de plus en plus compliquée.

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

4 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 440, MERCREDI 28 MARS 2012

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Pour Jérôme Jaffré, la thématique de l’unité nationale devrait favoriser Nicolas Sarkozy, maisdans le même temps elle pourrait permettre à François Hollande d’échapper à gauche au tête-à-tête avec Jean-Luc Mélenchon. Selon le politologue, c’est aujourd’hui François Bayrou qui estdans la situation la plus compliquée.

«La gravité de l’actualité redonne son sens au vote et peut réduire latentation de l’abstention qui était forte chez de nombreux électeurs »

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JÉRÔME JAFFRÉDIRECTEUR DU CECOP (CENTRED’ÉTUDES ET DE CONNAISSANCESUR L’OPINION PUBLIQUE)

«LES FRANÇAIS N’AIMENT PAS QUE L’ONINSTRUMENTALISE LES ÉVÉNEMENTS

DRAMATIQUES »

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Cela devait être une semainedéterminante, durant laquellele MoDem comptait pousser

son avantage. Dominique de Ville-pin et Corinne Lepage, les dernierscandidats qui pouvaient mordrerésolument sur les plates-bandesdu parti démocrate, avaient déclaréforfait. L’égalité du temps de paroledevait donner une bouffée d’oxy-gène à François Bayrou, qui se sen-tait pénalisé par la bipolarisationde la campagne. Le meeting pari -sien du Zénith de dimanche devaitaussi ouvrir une page festive et révé-ler une vraie démonstration de force. Mais la tuerie de Toulouse balaied’un coup ces vents favorables etchange radicalement la donne. Sansse concerter, les principaux partispolitiques décident de suspendre lacampagne, quelques jours, le tempsde l’émotion, du recueillement etde l’enquête. Pas François Bayrou.En accord avec ses proches Mariellede Sarnez et Jean-Luc Bennahmias,le leader du MoDem maintient saréunion publique de Grenoble. Pourle candidat centriste, il « s’agit deréfléchir avec les Français ». Maissurtout de réaffirmer sa cohérenceet sa constance sur l’idée d’un appelau rassemblement des Français età l’unité nationale. Devant les mili-tants, François Bayrou dénonce que« le fait de montrer du doigt les uns etles autres, c’est faire flamber les pas-sions, et on le fait parce que, dans cefeu-là, il y a des voix à prendre. » Celuiqui se refuse à toute campagne faitede coups médiatiques attire les ca-méras et les fou dres de ses adver-saires, notamment de l’UMP et duFN. On l’accuse d’instrumentaliser

la campagne et de cibler NicolasSarkozy. « Qu’on n’ajoute pas del’ignoble à l’horrible ! » s’offusqueAlain Juppé. Marine Le Pen traiteFrançois Bayrou de « salaud » pour« avoir instrumentalisé la tragédiede Toulouse. » Autant de salves quilaissent l’intéressé de marbre. Dansles jours qui suivent et jusqu’aumeeting du Zénith, où il fait sallecomble, François Bayrou main-tient sa ligne, appelant à ce que« la campagne change de ton et defond » et soulevant l’idée selonlaquelle « la République a des ques-tions à se poser ».Au QG du MoDem, rue de l’Uni-versité, alors que les petites mainss’activent en toute quiétude autourde la préparation du meeting duZénith, l’offensive de François Bay-rou ne suscite pas de vagues parti-culières. « Il est dans son rôle et c’estutile au débat », juge Marc Fesneau,le mécano de la campagne, postédevant une affiche de campagnebardée du slogan « Un pays uni,rien ne lui résiste. » Dans la cour,assis sur la terrasse en teck, l’anciendéputé européen Bernard Lehideuxsouligne la cohérence du messageporté par son ami : « Ce que FrançoisBayrou a dit à Grenoble, il l’exprimedepuis longtemps. Ce n’est pas tombépar hasard dans sa poche. » L’euro-député Jean-Luc Bennhamiasreconnaît que François Bayrou achoisi une stratégie risquée maisnécessaire : « Tous les jours, on jouesur un fil extrêmement tendu. Mais ilest temps de taper du poing sur la tablepour montrer notre façon de faire. »En marge du point presse hebdo-madaire qui réunit ce jour-là une

poignée de journalistes, le porte-parole Yann Wehrling appuie aussila démarche du président duMoDem : « François Bayrou a raisonde montrer qu’être président de laRépublique c’est être le gardien desvaleurs républicaines, et pas seule-ment être le gestionnaire d’un pays. »Reste à savoir si avec ses propos surToulouse, François Bayrou a mar-qué des points. Le leader duMoDem en aurait bien besoin.Lors de la réunion hebdomadairedu comité de pilotage agrégéautour de Marielle de Sarnez,Jean-Luc Bennahmias, les piliersdu parti, et des nouveaux venuscomme Philippe Douste-Blazy,Anne-Marie Idrac et DominiqueVersini, il est question bien sûrdu drame de Toulouse. Mais ausside la stagnation du député desPy rénées-Atlantiques dans les son-dages. En 2007, à la même période,les enquêtes d’opinion le donnaientau second tour. Et François Bayroun’est définitivement plus le troi-sième homme. C’est désormaisJean-Luc Mélenchon qui peut pré-tendre à ce titre, selon les dernierssondages. Alors comment mettreen relation les 12 à 13 % d’inten-tions de vote, dans lequel le candi-dat centriste reste encalminé, et ses70 % de cote de popularité ? Tel estle débat qui agite ce soir-là les res-ponsables du MoDem. Pour YannWehrling, la solution n’est pas àtrouver dans le programme assortide ses 300 propositions. « On esttous d’accord sur les axes, à savoirproduire, instruire et réduire la dette.Les désaccords que nous avions entrenous sur la TVA sociale ont disparu. »

Bernard Lehideux reconnaît que« François Bayrou n’est pas un chefde guerre comme Nicolas Sarkozyl’est et François Hollande croit l’êtrepar construction. » Sa force seraitailleurs, dans sa personnalité et saconstance. « Il tient sa ligne politiquedepuis des mois, constate l’ancienfidèle de Valéry Giscard d’Estaing.Et la campagne n’est pas terminée. »Pour atteindre le deuxième tour, leMoDem mise beaucoup sur l’élec-torat volatil. « Il y a encore beau-coup de gens hésitants », veut croireDominique Versini, l’anciennedéfenseur des enfants. Tous nepartagent pas le même optimismeque l’ancienne secrétaire d’Étatchargée de la lutte contre la pré -carité. Assis dans son bureau aupremier étage, la mine fatiguée,l’eurodéputé Robert Rochefortmanifeste, de son côté, une formede lassitude doublée d’un senti-ment d’impuissance. « Cela ne dé-pend pas de François Bayrou maisdes Français. C’est à eux de renverserla table. François Bayrou peut fairedes transgressions raisonnables, maisil ne va pas changer. » Le doutecommencerait donc à s’instillerdans les esprits jusque-là convain-cus du positionnement de leurcandidat. Même François Bayrou,qui a pourtant toujours cru en sondestin, pourrait concevoir ne paspasser la barre du premier tour.« François Bayrou oscille entre deuxpostures, confie Robert Rochefort.D’un côté, il croit à la victoire, del’autre, il doute. Mais il reste sûr defaire une œuvre créatrice et d’avoir une famille politique centriste dignede ce nom. »

Se refusant à suspendre sa campagne, François Bayrou a pris des risques.Le MoDem veut croire que cela va l’aider à recréer une dynamique. Un choixlargement approuvé par les proches du leader centriste, mais qui n’a pasgommé les doutes qui ont saisi certains de ses partisans.Par Pascale Tournier

Suspendre, ont-ils dit. Sus-pendre la campagne électo-rale tant que l’assassin de

trois militaires, de trois enfantset d’un père de famille ne seraitpas retrouvé. François Hollande adonné le signal, Nicolas Sarkozya suivi, Marine Le Pen est alléepour une fois dans le même sens.Pas sûr qu’à sa place son pèreaurait fait de même.

Place à l’union nationale, pasaux meetings, qu’il a fallu annuleren urgence. Seuls François Bayrouet Jean-Luc Mélenchon ont conti-nué. On ne sait pas trop ce qu’afait Eva Joly. Tous se sont retrou-vés, avec en plus Nicolas Dupont-Aignan, pour l’hommage renduaux militaires, à Montauban.À Toulouse, au même moment,on attendait l’assaut final contre

Mohamed Merah, dont on ne sa-vait encore rien sauf qu’il avaitsuivi des entraînements au Pakistanet en Afghanistan. Quand la cam-pagne électorale sortit de sa sus-pension toute relative, ce fut pourplonger tout de suite au cœur de lapolémique : les services de rensei-gnements avaient-ils ou non suivid’assez près Mohamed Merah ?Aurait-on pu le mettre hors d’état

de nuire avant qu’il ne passe àl’acte ? François Bayrou a posé laquestion. « Ignoble » a rétorquéAlain Juppé tout en évoquant lui-même une possible « faille » de cecôté-là. On en reparlera, d’autantque les événements de Toulouseont fait ressurgir dans la campagneun sujet qui passait jusqu’alors ina-perçu, et qui fait pourtant partiedes classiques : la sécurité.

Les mots de la semaine Par Béatrice Houchard

Suspendre, union nationale, ignoble, sécurité

L’un et l’autre se présentent pour lapremière fois. L’un et l’autre renou -vellent à leur façon le discours et lestyle de leur propre famille politique.À vingt-cinq jours du premier tour,Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchonse disputent la troisième place del’élec tion présidentielle. Qui l’eût cru ?Entre eux, le combat est d’une rareviolence. Ils ne ratent plus une occasionde s’invectiver à coups de vrais bourre-pifs. Au-delà des mots et des posturessurjouées, ces deux-là vont pe ser surla fin de cette campagne de premiertour. Et bien sûr peser sur le ré sultatdu second car ils sont les trouble-fêtede cette présidentielle édition 2012.Même si Marine Le Pen et Jean-LucMélenchon ont connu une évolutioninversée dans les sondages.Partie tambour battant, la candidatede l’extrême droite a revu à la baissedepuis belle lurette ses espoirs desecond tour. Pointée encore à 19 %dans les sondages à la fin du mois dejanvier, elle est redescendue autourde 15 % en moyenne. Une baisserégulière qu’elle tente d’enrayer ensurfant sur les tueries de Toulouse etMontauban. Elle a donc remisé sondiscours gaucho-social pour renoueravec les classiques de l’immigration.Menacée par la stratégie de « siphon-nage » de Nicolas Sarkozy, elle a bran -di les « bateaux et les avions remplisde Mohamed Merah ». Derrière lematch Sarkozy/Le Pen apparaît biensûr la question centrale du report desvoix FN sur le candidat UMP.Jean-Luc Mélenchon, lui, peut se tar-guer d’être le seul candidat à avoirenclenché une vraie dynamique. Enun mois et demi, il a tout simplementdoublé son score, passant de 7 à 14 %,en se payant le luxe de doubler lecentriste François Bayrou et mêmed’égaler voire de dépasser son enne-mie Marine Le Pen. Cette percéedevient un souci pour François Hol-lande. Le candidat PS baisse au furet à mesure que son allié du Front degauche monte.Cela devrait priver le député de Cor-rèze de la première place le 22 avril.Consolation : les reports de voix surle PS sont exceptionnels (85 %). Maisau-delà des données électorales, lapression politique de Mélenchon surcelui qu’il a qualifié de « capitaine depédalo » ou de « Hollandréou » risquede peser sur un éventuel futur gou -vernement de gauche. Le PS, qui atout fait pour neutraliser les turbulentsécologistes, n’imaginait certainementpas devoir dépendre à ce point d’unex- camarade allié aux communistes.

L’opinionde Bruno Jeudy

Trouble-fête

DR

La résistance et le douteAu QG du MoDem

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6 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 440, MERCREDI 28 MARS 2012

Par Michèle Cotta

Cahiers de campagneLundi 19 marsTragédie : ce matin, à 8 h 30, untueur abat trois enfants d’un lycée-collège juif à Toulouse et le pèrede deux d’entre elles, professeurdans l’établissement. On l’apprendtout de suite, il s’agit sans doute dumême individu qui a abattu, il y a

quatre jours, à Montauban, troismilitaires, de confession musul-mane dit-on, tout juste revenusd’Afghanistan : même arme, mêmemode opératoire, le doute n’est paspermis. La campagne prend iné vi -tablement un tour nouveau, et dra -matique : comment les problèmesde sécurité ne reviendraient-ilspas, comme en 2002, comme en2007, sur le devant de la scène àun mois du premier tour de laprésidentielle ?C’est précisément cet après-midi,à 17 heures, que Jean-Louis Debréa rendu publique la liste des candi -dats avalisés par le Conseil consti-tutionnel : dix candidats, donc,solliciteront les suffrages des Fran -çais le 22 avril prochain.François Bayrou, en déplacementà Grenoble, dans la soirée, lancepeut-être un peu tôt une réflexionsur la violence dans notre société.« On lance des sujets, dit-il, des mots,ils roulent comme des avalanches,et quelquefois tombent sur un fou. »Personne n’est cité, mais on com-prend bien que le président duMoDem remet en cause les débats

sur l’immigration et autre identiténationale, qui dressent les Françaisles uns contre les autres.

Mardi 20 marsHier soir, les deux principaux can-didats ont décidé de mettre la cam-pagne entre parenthèses : l’unité

nationale, ont-ils dit, est la seuleréponse à la barbarie. Dans l’après-midi, toutes les écoles françaisesobservent une minute de silence.Les images montrent, dans unétablissement parisien, NicolasSarkozy, et dans un autre, FrançoisHollande. Le parallélisme estparfait. À ceci près que NicolasSarkozy a repris, dans cette cir -constance, l’habit du présidentde la République qui fait défautà François Hollande, tenu de s’effa -cer dans cette circonstance derrièreNicolas Sarkozy.La campagne a certes été inter-rompue par les principaux candi-dats. Cependant, personne ne peutcroire que ceux-ci aient gommédans leur esprit la compétitionprésidentielle. Aller à Toulouse,s’incliner devant les cercueils, c’estune autre façon de faire campagne.Sarkozy et Hollande savent qu’ilsseront regardés à la loupe, qu’ilsseront jugés sur leur attitude pen-dant cette crise. Un faux pas, ettout est perdu.Pendant ce temps, le suspect n° 1est identifié dans l’après-midi.

Mercredi 21 marsCette nuit, la rédactrice en chef depermanence de la chaîne interna-tionale française France 24 reçoitun coup de téléphone du meur-trier. Il est très calme, poli, s’ex-prime avec aisance et revendiqueles crimes qu’il a commis. Il se dit

salafiste et proche d’Al-Qaïda. Ila abattu les petites filles israélitespar solidarité, affirme-t-il, avec lesenfants palestiniens tués par leconflit entre Israël et la Palestine.Tandis que l’enquête se poursuit,les cérémonies de Toulouse ontgrande allure, avec cette démon-stration d’unité nationale quemarque la présence de FrançoisHollande, de François Bayrou,de Marine Le Pen et de NicolasDupont-Aignan derrière NicolasSarkozy. Ils sont là, ils ne pouvaientpas faire autrement que d’être là.Mais Nicolas Sarkozy est le chefd’orchestre de la cérémonie. Diffi-cile qu’il n’en tire pas quelqueprofit électoral.Dans la journée, l’enquête, sin-gulièrement aidée par les révéla-tions du meurtrier à la télévision,débouche sur un nom : celui deMohamed Merah. Sa motivationest hélas religieuse : c’est au nomde l’islam qu’il a agi. Sa personna -lité se dessine derrière les articlesqui lui sont consacrés dans la presseentière : adolescence ponctuée depetits larcins et d’autant de séjours

en prison, puis les camps d’entraî -nement d’Afghanistan. D’où il estrevenu pour mener, à Toulouse,une vie trop facile qui semblen’avoir suscité de la part des ser -vices de renseignement aucuneméfiance excessive.Le voici aujourd’hui repéré, cerné,entouré des forces de police quifont le siège de son appartement,avec une consigne donnée par lePrésident : le prendre vivant.Après les images de la cérémoniedu matin, l’union nationale à peineesquissée est vite rompue. Jean-François Copé, dans une interviewpubliée sur le site du Figaro.fr, meten cause tout à la fois FrançoisHollande, qui, parlant de « crisemorale », aurait tenté d’instrumen-taliser la crise, Marine Le Pen, quia clamé haut et fort pendant latrêve qu’elle avait toujours dé -noncé les dangers de l’islamisme,et François Bayrou avec son dis-cours de Grenoble.Déjà, la polémique s’engage : com-ment avoir attendu si longtempspour « loger », comme on dit chezles policiers, l’auteur du dramede Toulouse ? Il était connu desservices de police et de rensei -gnement, qui n’ignoraient riende ses voyages en Afghanistan. Ilsne sont pas nombreux dans ce casà Toulouse ou à Montauban. N’au-rait-on pas pu l’empêcher de nuireplus tôt ?

Jeudi 22 mars Au micro d’Europe 1, tôt dansla matinée, Alain Juppé répond àElkabbach qu’il comprend qu’onpuisse se poser la question desavoir « s’il y a eu faille ou pas »dans le dispositif de renseignement.Sincère ou maladroite, sa phrasefait immédiatement l’objet de biendes commentaires. Si même Juppése demande s’il y a eu une failledans la surveillance du suspect,alors…Pendant que le ministre des Affai -res étrangères parle, la situationautour de Merah n’a pas changé.Depuis les explosions de la nuitengagées pour venir à bout de sadétermination, le tueur s’est retran -ché dans le silence. Les concerta-tions engagées la veille ont tournécourt.Vers 11 heures du matin, leshommes du Raid pénètrent dansson appartement. Merah tente unesortie, faisant feu de ses deux pis -tolets, il est abattu lorsqu’il tentede s’échapper par le balcon de sonappartement.La politique reprend aussitôt sesdroits. Nicolas Sarkozy s’exprime àla radio et à la télévision, et, sitôt

félicitées les forces de l’ordre, envi -sage à son habitude un arsenal denouvelles lois pour réprimer ledélit de « propagation et l’apolo -gie d’idéologies extrémistes ».Compte-t-il déposer des projets deloi dans ce sens avant le premiertour ? Ce serait un sacré piège,peut-être un peu trop gros, tenduà l’opposition.

Vendredi 23 marsFrançois Fillon, sur RTL ce matin, à7 h 50, revient sur l’interrogationformulée par Alain Juppé la veille :non, on ne pouvait pas prévoir,non, on ne pouvait pas mettre finplus tôt aux agissements du tueur.Dans le Monde daté d’aujourd’hui,Bernard Squarcini enfonce le clou :Mohamed Merah n’avait pas,dit-il, « les attributs extérieurs du fon-damentaliste ». C’est un peu court :quels sont les attributs extérieursdu fondamentaliste ? Sa barbe, saprésence à la mosquée ? Pour lesservices de renseignement, quelest le déguisement du parfait dji-hadiste ?Une chose certaine, pendant toutecette semaine : les représentantsdes cultes musulman et israélite,en condamnant tous deux les as-sassinats des militaires et des col-légiennes israélites, ne se sont àaucun moment désolidarisé lesuns des autres. Seul silence, assour-dissant, celui de l’église catholiquefrançaise.Déjà, la page se tourne sur la tueriede Toulouse. Nicolas Sarkozy estreçu aujourd’hui à bras ouverts àValenciennes par Jean-Louis Bor-loo : promenade au soleil, franchecamaraderie affichée. Le prix deBorloo est d’autant plus élevé qu’ila fait plus longuement attendreà Sarkozy son ralliement. Aujour-d’hui, c’est chose faite. La machineSarkozy marche à plein régime.

Dimanche 25 marsNicolas Sarkozy et François Hol-lande ont continué à s’affrontertout le week-end. Le premier a re-nouvelé sa proposition visant àrenforcer l’arsenal pénal antiter -ro riste, le second en demandantmoyens et effectifs pour la police.À Paris, ce sont François Bayrou,qui a tenu son grand meeting auZénith de Paris, et Eva Joly quidénoncent le plus fortement la« faille » des services de renseigne-ment, tandis que Marine Le Pens’est appuyée sur le drame deToulouse pour développer longue-ment, comme on s’y attendait,ses thèses sur l’immigration etl’islam. Chacun des candidats estrevenu dans ses lignes.

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Des milliers de fleurs et de messages ont été déposés à l’entrée de l’école Ozar Hatorah, à Toulouse.Les manifestations se sont multipliées partout en France pour dénoncer le racisme et l’antisémitisme.Les représentants des cultes musulman et israélite ont affiché une solidarité sans faille. PHOTO RÉMY GABALDA/AFP

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Dans une circulaire qu’ilvient d’adresser aux préfets,Maurice Leroy, le ministre

de la Ville et du Grand Paris, asouhaité que, dans le cadre de la

loi de finances pour 2012, leParle ment proroge « durant troisannées supplémentaires – jusqu’au31 décembre 2014 – le dispositif deszones franches urbaines (ZFU). »

Cette prorogation s’accompagnerad’un effort budgétaire de l’État d’uncoût prévisionnel pour cette annéede 357 millions d’euros, dont 118millions au titre des exonérationssociales et 239 millions pour lesexonérations fiscales.Le bénéfice des exonérations fiscaleset sociales est applicable depuis le1er janvier dernier pour les entre-prises qui se créent ou s’implantent

dans les zones concernées. La prin-cipale modification apportée au dis-positif applicable aux entreprisesimplantées avant le 1er janvier 2012porte sur la « clause d’embauche ».Sur proposition du Gouvernement,le Parlement a souhaité que les re-crutements générés par les zonesfranches urbaines bénéficient da-vantage aux habitants des zonesurbaines sensibles (ZUS).

Aussi, pour pouvoir prétendre auxexonérations, les entreprises de-vront donc recruter un salarié surdeux, et non plus un sur trois, dansune zone urbaine sensible danslaquelle se situe la zone franche.Cette condition, qui n’était appli-cable qu’aux exonérations sociales,le sera également pour les exoné -rations fiscales.

Joël Genard

NUMÉRO 440, MERCREDI 28 MARS 2012 L’HÉMICYCLE 7

Une rallonge pour les zones franchesLe dispositif d’exonérations fiscales et sociales accordées aux employeurs situés en zone francheurbaine (ZFU) sera maintenu jusqu’au 31 décembre 2014. Il s’accompagnera d’une mesure destinéeà renforcer la clause d’emploi local.

Les zones franches urbaines(ZFU) ont pour principal

objectif de stimuler l’activitééconomique et l’emploi dans lesquartiers prioritaires de la poli-tique de la ville.Cent ZFU sont aujourd’hui pré -sentes sur l’ensemble du territoirenational.Les entreprises créées ou implan-tées en ZFU au plus tard le31 décembre 2011 bénéficientd’une exonération totale de lataxe foncière sur les propriétés bâ -ties (TFPB) pendant une périodede cinq ans. Elles doivent employerau maximum cinquante salariéset avoir un chiffre d’affaires an-nuel inférieur à 10 millions d’eu-ros. À l’issue de ces cinq années,l’exonération devient partielle etdégressive sur une durée de neufans.Le plafond des bénéfices exoné -rés est fixé à 100 000 euros parcontri buable et par an, majoré de5 000 euros par nouveau salarié

embauché habitant une zone ur-baine sensible (ZUS) ou une ZFU.Des dérogations au titre de l’im-position forfaitaire annuelle (IFA)et de la contribution économiqueterritoriale (CET) s’appliquent selonun mécanisme équivalent.À ces exonérations fiscales s’ajouteune exonération de cotisationssociales patronales pendant cinqannées pour tout salarié embau -ché en CDI ou en CDD d’aumoins un an, lorsque la rémuné -ration de celui-ci ne dépasse pas1,4 Smic. Entre 1,4 et 2 Smic,l’exo nération devient partielle etdégressive. La sortie du dispositifà l’issue des cinq ans s’effectue defaçon progressive sur une périodede trois à neuf ans, en fonction dela taille de l’entreprise. À partir dela troisième embauche, les entre-prises doivent employer au moinsun tiers de leurs salariés parmi leshabitants des ZUS afin de conser -ver les exonérations.Selon le rapport de l’Observatoirenational des zones urbaines sen -sibles paru en novembre 2011,14 959 établissements ont béné -ficié en 2010 de ce dispositif, dontle coût s’est établi à 452 millionsd’euros.Conformément aux recomman-dations du groupe de travailprésidé par le député Éric Raoult(UMP), le nouveau dispositif viseà amplifier la démarche, et a mi -nima à la conforter.Inspirées du modèle britannique« enterprise zone » ou « City Chal-lenge » et lancées en 1997 avec lesouci de rétablir l’égalité territo -riale, les ZFU emploient actuelle-ment 300 000 salariés.Elles sont implantées prioritai re -ment dans les grandes régions ur-baines. Les ZFU se distinguent parune surreprésentation du secteurde la construction, du médico- social, des transports et des acti -vités de soutien (services auxentreprises) alors que l’industriema nu facturière et les services(fi nanciers, immobiliers, scien-tifiques et techniques) sont sous-représentés.

Expertise

Quelques chiffres

Éric Raoult. Le député-maireUMP du Raincy a présidé le groupede travail sur les zones franchesurbaines. PHOTO JACQUES DEMARTHON/AFP

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À la suite des événements deFukushima, vous avez réaliséle premier volet d’une étudeconsacrée à la sécurité nucléaire enFrance. Quelles sont les évolutionspréconisées dans la prise encompte des risques majeursdans les installations nucléairesfrançaises ?Claude Birraux : Nous avons tra-vaillé d’une manière intensivepuisque le premier rapport inter-médiaire a été rendu dans les deuxmois qui ont suivi la saisine de lamission parlementaire. Nous avonseffectué 7 visites sur le terrain pourmesurer les choses. J’ai eu la satis-faction de constater que l’Autoritéde sûreté nucléaire (ASN) rejoignaitparfaitement les préco nisationsdu Haut Comité pour la trans-parence et celles de l’Office parle -mentaire d’évaluation des choixscienti fi ques et techno logiques.Les mesures préconisées doiventêtre mises en place. EDF y est fa-vo rable. Elles permettront en casde grave accident nucléaire de dis-poser sur chaque site de dispositifsmobiles d’approvisionnement desecours en eau et en électricité.Cela sera rendu possible par la

création de la Force d’action ra -pide nucléaire (Farn). Ce dispo sitifpermettra de faire jouer la solida -rité entre sites nucléaires qui pour-ront venir s’épauler. Les mesuresannoncées et qui résultent del’analyse de l’accident de Fuku -shima vont s’échelonner dans letemps. Elles impliquent l’exploi -tant EDF, qui doit répondre auxexigences de l’Autorité de sûreténucléaire. Je me félicite que nousayons en France une autoritéindépendante, reconnue commetelle dans le monde entier.

L’année 2011 a été marquée parles évaluations complémentairesde sûreté réalisées sur l’ensembledes réacteurs à la demande del’Autorité de sûreté nucléaire.Comment avez-vous pu procéder àces évaluations aussi rapidement ?Dominique Minière : Nous sommespartis du cahier des charges fixépar l’ASN. Nous avions à remettreces évaluations complémentairesde sûreté pour la mi-septembre.Le délai était extrêmement court.Nous avons mobilisé plus de 300ingénieurs. Nous avions la capa -cité de vérifier nos installations

sur la base des éléments recueillisdans le cadre des visites décen-nales effectuées dans les centrales.En revanche, il y avait une partieplus novatrice qui devait nouspermettre de vérifier la résistancede nos sites au-delà du référentielde conception. C’est notre forced’être à la fois concepteur et ex-ploitant de sites nucléaires. C’estce qui nous a donc permis depouvoir effectuer ces évaluationsdans le laps de temps donné.

Votre mission parlementaire a-t-elleeu le sentiment que la Franceétait mieux protégée du risqued’accident que d’autres pays grâceà son savoir-faire dans le domainenucléaire ?Claude Birraux : Les études faiteslors de la construction des centra -les ont pris en compte un séismequi se situerait sous la centrale. EnFrance métropolitaine, ce risquesismique est évalué de « très faible »à « moyen », mais en aucun cascomparable à celui encouru auJapon, où des erreurs d’apprécia-tion ont manifestement été com-mises. L’existence de ces risquesmajeurs a été prise en comptelors de la construction des ins -tallations françaises. Il n’y a pasde dimensionnement standard.Chaque site a ainsi été conçu pourrésister à un aléa calculé en fonc-tion des observations historiques,et majoré pour tenir compte desmarges d’incertitude.

Quelles sont les pratiques d’EDFen matière de prise en compte desdifférents risques et en particulierdu risque sismique ?Dominique Minière : Nos pratiquesconsistent à prendre en comptel’aléa sismique dans une zonedonnée proche d’une centrale etd’y ajouter des facteurs majorants.À Fessenheim, par exemple, à laconception nous avions pris encompte le séisme de Bâle de 1356,d’une intensité de 6,2 sur l’échellede Richter, en le supposant sous lacentrale. Le dimensionnement duréacteur a pris comme référence

un séisme de 6,7 sur la mêmeéchelle cinq fois plus importanten énergie. Ces calculs prennenten compte l’absence de consé -quen ces sur l’ins tallation si untel séisme se pro duisait. L’exercicea donc consisté à vérifier que lacentrale pouvait résister à cetteintensité mais nous sommes allésplus loin en regardant si à 7,2 lacentrale résistait toujours. Ce quireprésente, en termes d’énergie, unséisme vingt-cinq fois supérieur àcelui de Bâle. Nous avons consta -té que les bâtiments de l’îlot nu-cléaire pouvaient résister à de tellesvaleurs. On s’est aperçu que dansun bâtiment électrique il fallaitrenforcer des systèmes de manièreà garantir cette intensité deséisme majorée à 7,2.En matière de tenue au séismenous avons donc fait du cas parcas dans le cadre de ces évalua-tions complémentaires de sûreté.

La sûreté des installationsnucléaires doit rester un combatpermanent ? Claude Birraux : La sûreté n’estpas un état que l’on gagne unjour et pour l’éternité. Celle-cise gagne chaque jour. Noussoulignons dans notre rapportque cette sûreté nucléaire nepeut se concevoir qu’en recherchepermanente d’amélioration. Ceprincipe donne d’ailleurs toutesa justification aux visites dé -cennales, lesquelles intègrent pé -rio diquement les meilleures pra -tiques internationales. Je ne diraijamais que la sûreté est atteinte,car chacun peut perdre en vigi-lance. La sûreté doit demeurerune implication de chaque ins -tant et de tous les agents EDF,de l’ASN et de l’IRSN (Institutde radioprotection et de sûreténucléaire). Le progrès des connais -sances est aussi une prio ritépour permettre cette améliorationcontinue de la sûreté. La forma-tion des équipes est aussi ungage de sûreté. C’est ainsi quel’on peut faire face efficacement àl’imprévisible.

Comment abordez-vous auquotidien la question de la sûretédans les centrales ?Dominique Minière : Je partage toutà fait l’avis que vient d’exprimerM. Birraux. Ce sujet-là fait débatentre exploitants nucléaires dansle monde. Mais pour moi il n’y apas débat ! Une sûreté viable estune sûreté qui progresse en per-manence. Faire de la sûreté c’estcomme faire du vélo : quand onne pédale plus on tombe. Cettesûreté repose sur la rigueur et laqualité des interventions et notrepratique au quotidien. Pour cela,nous recherchons le bon niveaude fiabilité des matériels en ayantune politique de maintenance quipermette d’assurer le niveau de fia -bilité recherché. Nous travaillonssur les pratiques de performancehumaine et nous recherchons lafiabilité des organisations pourpréparer, anticiper les arrêts detranche. Le triptyque est donc lafiabilité des matériels, la fiabilitédes hommes et des femmes etcelle des organisations. Dans cecas la sûreté est au rendez-vous !Et l’ensemble des autres perfor -mances également.La matrice de tout cela est larigueur, la qualité, l’anticipation.Et nous avons un plus : nousavons mis auprès de chaque ni -veau de management une filièreindépendante qui apporte unavis indépendant au quotidien.Ces ingénieurs sûreté s’assurentque celle-ci est au rendez-vous.Chaque ingénieur sûreté peutdemander des arbitrages au di-recteur de la centrale. À chaqueniveau clé il existe des expertsindépendants qui conseillent etappuient les managers et peuventen référer au niveau au-dessus.

Que préconisez-vous pouraméliorer encore cette sûreté ?Claude Birraux : Il faut encore tra-vailler au renforcement de l’orga -nisation de crise et aller plusloin dans ce domaine. La secondechose concerne la sous-traitancedans le cadre des opérations de

La sûreté nucléaire :une obsession au quotidienAucun pays ne peut se prévaloir d’être totalement à l’abri d’un accident nucléaire. C’est pourquoil’industrie nucléaire française doit aller encore plus loin pour garantir la sûreté. Celle-ci devantdemeurer au-dessus de toute considération économique. Un avis défendu par Claude Birraux,président de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, et partagé par Dominique Minière,directeur de la production nucléaire à EDF.

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Expertise

CLAUDE BIRRAUXDÉPUTÉ DE LA 4E CIRCONSCRIPTION DE LA HAUTE-SAVOIE,PRÉSIDENT DE L’OFFICE PARLEMENTAIRE D’ÉVALUATIONDES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

JACQ

UES

DEM

ARTH

ON/A

FP

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maintenance. Il faut que la sous-traitance en cascade soit encadrée.En matière de dosimétrie reçuepar ces prestataires, nous pro-posons la mise en place d’uncorrespondant-référent de la mé -decine du travail pour chaquesite. Il pourrait ainsi vérifier lesdossiers de santé et effectuer unetraçabilité du suivi radiologique.

Et à EDF que préconisez-vouspour aller encore plus loin enmatière de sûreté, pour qu’unFukushima ne se produise jamais ?Dominique Minière : L’un des en-seignements que je tire de Fuku -shima est la nécessité durenforcement de la gouvernancenucléaire dans le monde. L’acci-dent de Fukushima a réintroduitbeaucoup d’interrogations sur lenucléaire et pas seulement auJapon. Cela veut dire que cettegouvernance doit être renforcéeau niveau de chaque autorité desûreté, de l’Agence internationalede l’énergie atomique (AIEA) et deWANO, l’organisation mondialedes exploitants nucléaires. J’ai aussiété frappé par les réactions de notrepersonnel et des Français. Ce quimarque profondément, c’est lapossibilité de contamination surle long terme des territoires. Unaccident nucléaire sévère qui dégé -

né rerait avec des rejets importantsserait inacceptable pour l’opinion.L’autre enseignement pour éviterde tels drames est qu’il faut mettreen place une résilience forte denos organisations pour reprendreen main toute situation qui pour-rait dégénérer. Il faut ainsi dansles premières 24 heures remettrede l’eau et de l’électricité afin

d’assu rer le refroidissement duréacteur. De ce constat-là est néel’idée de la mise en place de laforce d’action rapide nucléairequi puisse ramener de l’eau et del’électricité et avec ce seul objectifd’éviter l’accident grave aux consé -quences inacceptables.Sur le volet des prestataires, évo-qué par M. Birraux, nous avons

progressé. Le baromètre dessalariés prestataires montre queprès de 80 % d’entre eux sontsa tisfaits. Il faut assurer la maîtrisede ces prestations extérieures.Nous avons proposé de limiter lasous-traitance à trois niveaux afinde garantir la non-dilution desres ponsabilités.Sur les conditions de travail, nousavons mis en place des chartesprestataires. Nous allons aller au-delà en mettant en place des cahiersdes charges sociales contrac tuellespour que demain, lors des appelsd’offres, des engagements soientpris par les entreprises pour allerencore plus loin.

La durée de vie d’une centralefrançaise peut-elle être envisagéeraisonnablement jusqu’à 60 anscomme l’envisagent de leurs côtésles États-Unis ? Claude Birraux : Je soutiens totale-ment la position de l’ASN, qui pré-conise un examen au cas par cas.Même dans un modèle standardisécomme le parc nucléaire français,les conditions d’exploi tation ontpu affecter d’une manière diffé -rente les composants. Il faut doncdécider site par site. La positionfrançaise est sage et pragmatique.Pour l’exploitant c’est aussi uneépée de Damoclès !

EDF a affiché sa volonté de porterl’exploitation des centrales à 60 ans.Comment vous organisez-vouspour atteindre cet objectif ?Dominique Minière : Le cadre régle-mentaire français prévoit que tousles dix ans nous devons démon-trer à l’ASN que nos équi pementssont en bon état et que l’on peutfonctionner dix ans de plus entenant compte des éven tuellesmodifications à effectuer.Certains éléments sont cependantnon remplaçables, comme la cuvedu réacteur. Si ces éléments peuventaller jusqu’à 60 ans, il est logiqued’aller jusqu’à cette durée de vie.Sur les composants remplaçables,c’est autour de 30 ans qu’il faut enrevanche les changer, comme lesgénérateurs de vapeur.La durée de fonctionnementjusqu’à 60 ans peut être envisagéecompte tenu des investissementsimportants à réaliser à 30 ans.Ces investissements devront êtrefaits de façon massive, prévus dansles quinze ans qui viennent et quiintègrent le post-Fukushima. Lesmontants devraient avoisiner 10milliards d’euros, dont 5 ont déjàété pris en compte. Ce qui est peuune fois ramené aux chiffres deproduction et de vente d’électricité.

Propos recueillispar Joël Genard

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AG2R LA MONDIALE est un groupe de protection sociale, acteur complet de l’assurance de personnes, au service de tous les Français, quels que soient leur situation professionnelle et leur âge. C’est pourquoi nous investissons 100�% de nos résultats au bénéfice de nos assurés et développons ainsi de nouvelles garanties, des services plus personnalisés, et de nouveaux produits. Et parce que nous ne voulons oublier personne, nous renforçons notre action sociale auprès des plus fragiles.www.ag2rlamondiale.fr

PRÉVOYANCE

SANTÉ

ÉPARGNE

RETRAITE

DOMINIQUE MINIÈREDIRECTEUR DE LA PRODUCTION NUCLÉAIRE À EDF

ÉRIC

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Monsieur le président de laRépublique, faisons enfinappliquer la loi Dalo ! »

Ainsi intitulé, le cinquième rapportdu comité de suivi du Droit aulogement opposable en appelleaujourd’hui aux plus hautes auto-rités de l’État pour dénoncer unesituation qui se dégrade.Car si la loi, entrée en vigueur au

1er janvier 2008, a permis le loge-ment ou l’hébergement de 40000familles au plan national, 27500demandes restaient encore ensouffrance au 31 décembre 2011,soit 5 000 de plus qu’en 2010.L’Île-de-France, qui concentre 62 %des recours, a même vu pour lapremière fois son taux de relo -gement des ménages dits « prio -ritaires » baisser l’an dernier.

« L’écart entre les prioritaires et lesrelogés se creuse actuellement aurythme de 7 000 par an, soit près de600 par mois », analyse le comité.Les associations estiment qu’en -viron 3 millions de personnessouffrent actuellement de « mal-logement », voire d’absence delogement. Pour tenter de remé-dier à cette situation, le Droit au

logement opposable fixe à l’Étatune obligation de résultats, et nonplus seulement de moyens. Dansla pratique, la loi Dalo vise à ga-rantir le droit à un logement àtoute personne qui, résidant enFrance de façon stable et régulière,n’est pas en mesure d’accéder àun logement décent ou de s’ymaintenir. Elle permet aux mé-nages « prioritaires » de former

un recours auprès de commissionsde médiation départementales,puis, si cela n’aboutit pas à leurrelogement, devant un tribunaladministratif.Secrétaire général du Haut Comitépour le logement des personnesdéfavorisées, Bernard Lacharmeestime que la loi « reste très malappliquée, révélant une aggravation

du mal-logement en France ». Il ex-plique : « La situation est pire quel’an dernier. L’État est davantagehors-la-loi qu’il y a un an. » Les re-cours visant à obtenir une place enhébergement se multiplient ainsidans un grand nombre de dépar-tements, signes « du développementd’une crise humanitaire ». Mêmedes régions qui ne sont pas frap-pées par la crise immobilière sont

concernées, comme la Haute-Vienne. « L’obligation légale ethumanitaire de l’hébergement n’estpas respectée », poursuit le repré-sentant du comité, qui observe :« Les montants des astreintes quel’État doit verser lorsqu’il estcondamné et ne reloge pas dans lesdélais prévus par la loi ne sont àl’évidence pas suffisants pour exercerla pression nécessaire. » En 2011, lemontant des astreintes versées parl’État a atteint 9,3 millions d’euros.Pour le secrétaire d’État au Loge-ment Benoist Apparu, « Déclarerhors-la-loi l’État sur ce sujet meparaît peut-être des propos quidé passent la raison. » Tout en re -connaissant qu’il existe effective-ment « des difficultés », surtout enÎle-de-France, mais aussi dansles Bouches-du-Rhône, le Var, lesAlpes-Maritimes et en Guyane, ilsouhaite « que l’on prenne un toutpetit peu de recul », commentant :« Il nous faudra des années pourrendre effectif ce Droit opposable aulogement. Nous ne réglerons pascette question-là d’un claquementde doigt comme certains voudraientbien le croire ou le laisser à penser. »Pour autant, la loi constitue « uneavancée positive. Nous savions tous

que ce n’est pas en trois jours quel’on réglerait la question du Dalo. »

« Une liberté fondamentale »Xavier Emmanuelli, président ducomité de suivi de l’applicationdu Droit au logement opposable,juge pour sa part que la campagneprésidentielle est « le moment idéalpour interpeller les candidats ». Ilprône un « plan d’urgence pourmettre fin à la carence de l’État »dans la mise en œuvre du Dalo,tout en déplorant que la questiondu logement ne soit pas l’un des« thèmes essentiels » des élections.Rappelant que le Conseil d’Étatavait qualifié le logement de « liber -té fondamentale », le comité pro-pose également plusieurs pistespour que la loi soit « enfin » appli -quée. Parmi elles : offrir au moinsun hébergement à toute personneen détresse, organiser la gouver-nance de la politique du loge-ment, en particulier en Île-de-France, et réorienter les budgetsde l’État vers le logement des per-sonnes de revenu modeste.L’association souhaite par ailleursque les bailleurs sociaux puissentacquérir 3000 logements par an enÎle-de-France dès qu’ils sont vacants,

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Initiatives

L’application du Droit au logement opposable (Dalo) souffre d’un manque de volonté politique.Le comité de pilotage chargé du suivi de la loi votée il y a cinq ans tire la sonnette d’alarme. Pourpallier les défaillances de l’État, les collectivités locales tentent de prendre le relais sur le terrain.

Le droit au logementse cherche un toit

«LA LOI RESTE TRÈS MAL APPLIQUÉE,RÉVÉLANT UNE AGGRAVATION DU

MAL-LOGEMENT EN FRANCE » Bernard Lacharme,Secrétaire général du Haut Comité pourle logement des personnes défavorisées

«

La mobilisation de l’association Les enfants de Don Quichotte dans plusieurs grandes villes de France,durant l’hiver 2006, est à l’origine de la loi Dalo. PHOTO JEAN-PIERRE MULLER/AFP

Augustin Legrand. Le président de l’association Les enfants deDon Quichotte s’est battu pour obtenir la loi sur le Droit au logementopposable. PHOTO FRED DUFOUR/AFP

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Si nous n’avons pas la réponsedes candidats à la présiden-tielle sur ce qu’ils ont l’inten-

tion de faire sur notre territoire, on ren-dra la clé des mairies », menacePierre Jugy, maire (sans étiquette)de Tourtour. Le village varois de550 habitants a réuni mi-mars

plusieurs maires du Var, mais ausside la région parisienne, du Vaucluseet de l’Ardèche, concernés par unpermis d’exploitation du gaz deschiste. Rolland Balbis, maire (sansétiquette) de Villecroze, explique :« Nous sommes élus du peuple, etmes citoyens je dois les protéger. Donc

je fais tout ce qui est en mon pouvoir. »Au cœur de la fronde, la demandede permis de recherche du gaz deschiste déposée par le géant texandu forage, Schuepbach EnergyLLC, pour explorer le sous-sol de180 villages du Haut-Var, unezone qui couvre les trois quartsdu département et une partie desAlpes-Maritimes. La techniqued’exploitation de ce gaz naturel

par fracturation hydraulique, quinécessite l’injection en profon-deur de grande quantité d’eaupour récupérer le gaz pris dans laroche, constitue « une menace depollution des nappes phréatiques »,rappellent les élus locaux.

« Boycotter un scrutindémocratique estindéfendable »Face aux risques environnemen-taux, les travaux de prospectiondu gaz de schiste en France ontété suspendus jusqu’à nouvelordre par le Gouvernement l’andernier. Mais ses opposants de-

mandent aujourd’hui que le per-mis d’exploration dit « de Bri-gnoles », accordé en 2008 augroupe américain, soit définiti -vement rejeté. Porte-parole del’association No Fracking France,Élisabelle Bourgue dénonce au-jourd’hui « le double langage duGouvernement. D’un côté, il annuletrois permis, d’un autre, il continue àen signer. »

Opposer à l’extraction, HubertFalco, sénateur-maire (UMP) deToulon, prévient néanmoins :« Boycotter un scrutin démocratiquequand on est maire, et donc élupar la démocratie, est indéfendable.Il y a d’autres moyens de lutter contreces projets. »Dans le Var, depuis la fin 2011,55 communes ont pris des arrêtésmunicipaux pour entraver laprospection du gaz de schiste. Lamobilisation monte égalementcontre un permis d’explorationd’hydrocarbures en mer, au largede Marseille et de Toulon.

L.B.

et que l’État lance une campagne àdestination des propriétaires de lo-gements vacants. Car la situationpourrait devenir encore plus pres-sante. Depuis le 1er janvier dernier,le Droit au logement, jusqu’ici ré-servé aux non ou mal-logés, est eneffet ouvert aux demandeurs de lo -gements sociaux en attente depuistrop longtemps.Supposé désigner l’État commele garant du Droit au logement, leDalo, pour être efficace, devrait« laisser de la place aux collectivitéslocales », soulignent les experts.De nombreuses initiatives sontd’ores et déjà prises par les inter-communalités pour renforcerleurs actions en matière d’habitatsocial. À Rennes, Nice, Lyon, Caen,des politiques de plus en plusstructurées tentent ainsi de mieuxprendre en compte les besoins so-ciaux. Bertrand Delanoë déplore

néanmoins une « baisse inaccep -table » des crédits de l’État pour lelogement social. Dans la capitale,l’enveloppe pour 2012 « s’établità seulement 90 millions d’euros, soitune baisse de 29 % en trois ans ».Selon le maire de Paris, « les créditsdélégués par l’État aux collectivitéslocales pour financer le logementsocial ont baissé de 40 %, passantde 630 millions d’euros en 2010à 450 millions d’euros en 2012 ».Benoist Apparu rappelle néan-moins que Paris reste « un béné -ficiaire très privilégié » des aides. En2012, la ville recevra 20 % dutotal des subventions nationales,alors qu’elle ne représente que5 % de l’offre nouvelle.En marge de la polémique, Ber-nard Lacharme de souligner : laloi Dalo est « plus qu’une loi, c’estun droit de l’Homme ».

Ludovic Bellanger

Gaz de schiste : la frondedes maires varois

NAISSANCE DU PÔLEMÉTROPOLITAINLOIRE-BRETAGNE� Après l’Alsace, les communautés urbai neset d’agglomération d’Angers, Brest, Nantes,Rennes et Saint-Nazaire ont officialisé lelancement du pôle métro politain Loire-Bretagne. Sa présidence tournante devraitêtre d’abord confiée à Daniel Delaveau,maire (PS) de Rennes. L’ambition du pôleterritorial, qui compte 2,2 millionsd’habitants, est de favoriser le dialogueterritorial et les coopérations entre les villes.

PREMIER CDT DU GRANDPARIS À SAINT-DENIS� Le premier contrat de développementterritorial (CDT) « culture et création »entre l’État et les collectivités franciliennesa été signé cet hiver en Seine-Saint-Denis.L’accord-cadre est le plus avancé desdix-huit CDT du Grand Paris, au sein des dixterritoires déclarés prioritaires. Il accueilleranotamment la future Cité du cinémaau printemps.

1 350 PARKINGS À VÉLOSSÉCURISÉS À LYON� Afin de tripler l’usage du vélo dansl’agglomération d’ici à 2020, le Grand Lyon,où la part du vélo dans les déplacementsstagne à 2,5 %, mise sur la constructionde parkings sécurisés. D’ici 2015, 1 350 placesdevraient ainsi voir le jour, aux côtésde 10 000 anneaux en surface. « Cettenouvelle offre évite aux cyclistes de monterleur vélo dans les escaliers pour le garer surle palier de leur domicile », souligne Jean-Louis Touraine, adjoint (PS) au maire deLyon. Les espaces payants seront équipésde casiers pour stocker les casques et lesaccessoires, et de prises pour rechargerles vélos électriques.

À ROUEN, LES CRÈCHESFAVORISENT LE DIALOGUEMULTICULTUREL� « La barrière de la langue peut parfoisrendre difficiles les échanges entre leséquipes des crèches et les familles d’origineétrangère. L’écrit peut également s’ajouteraux difficultés de communication »,explique Christine Argelès, adjointe (PS)au maire de Rouen. Imaginé par lesprofessionnels des crèches municipales,« L’alpha… bébés du monde » est un jeude cartes illustrées. Il a pour objectif depréserver un échange direct entre lesprofessionnels des crèches et les familles,en utilisant l’image pour raconter lesmoments clés de la journée des enfants.Le dispositif sera étendu prochainementà la totalité des crèches de la ville.

VERSAILLES GRAND PARC :TERRE D’ENTREPRENEURS� La toute nouvelle communautéd’agglomération de Versailles Grand Parcvient de lancer une pépinière d’entreprisesdans le quartier Moser. Cette première amorcela suite des opérations d’aménagement,avec notamment un ambitieux projetde création d’hôtel d’entreprises.Le but de ces initiatives est de favoriserl’attractivité territoriale tout en permettantde développer le parcours de l’entrepreneur.Versailles Grand Parc est le pôle majeurdu Grand Paris avec ses 17 000 entreprisesexistantes et ses 14 communes.

En bref

«SI NOUS N’AVONS PAS LARÉPONSE DES CANDIDATS

À LA PRÉSIDENTIELLE, ONRENDRA LA CLÉ DES MAIRIES »

Pierre Jugy, maire de Tourtour

«

Plusieurs maires du Haut-Var menacent de boycotter l’organisationdu scrutin présidentiel pour protester contre les projets d’exploration.

Hubert Falco. Le sénateur-maire UMP de Toulon, qui est hostile àl’extraction du schiste, estime qu’il y a d’autres moyens de s’y opposerque le boycott de l’élection présidentielle. PHOTO PATRICK KOVARIK/AFP

Benoist Apparu. Le secrétaire d’État au Logement affirme quel’application du Droit au logement opposable prendra des années.Cependant, il estime que la loi telle qu’elle est mise en œuvreaujourd’hui constitue déjà une avancée positive. PHOTO JACQUES DEMARTHON/AFP

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Qu’est-ce qui vous a amené àimaginer le principe d’une telleagence européenne de notation ?Notre démarche est liée aux inter-rogations qui se sont fait jour surla pertinence des notations. Le rôledévolu aux agences de notation estd’identifier les risques de défaut

pour aider les investisseurs dansleurs choix. Cette mission n’a étéque très imparfaitement rempliepar ces mêmes agences. Leur forteprocyclicité, leur in capacité àanticiper les crises (asiatique, sub-primes, dettes souveraines euro-péennes) ou le défaut de certainescompagnies (Enron, WorldCom)nous a interrogés sur la perti-nence du modèle existant desagences de notation. Première-ment, le marché repose sur cer-tains conflits d’intérêt dans lamesure où ce sont les émetteursde dette qui rémunèrent les agen -ces pour leur note. Par ailleurs,

ces agences ont contribué à lastructuration de produits qu’ellesnotaient, et cela jusqu’à encoreune période très récente.Deuxièmement, le marché eststructurellement monopolistiquepuisque les deux principalesagences de notation détiennent

85 % du marché. Ces deux agencessont détenues par les mêmes ac-tionnaires : 38 % des actionnairesde Standard & Poor’s sont action-naires de Moody’s et 53 % desactionnaires de Moody’s sont ac-tionnaires de Standard & Poor’s !Les résultats financiers sont remar-quables et les marges bénéficiairestrès importantes (les deux maisonsaffichent en cumulé entre 2 et2,5 milliards d’euros de profitsannuels). C’est un marché un peumoutonnier et les notations pro-duites sont souvent convergentes,à l’inverse des marchés actions oùles avis des analystes sont souvent

très différents. Enfin, leur appro -che est très opaque et manque detransparence. Cela crée de la suspi-cion sur leur note, alors même queces notations sont structurantespour de nombreux établissementsfinanciers.

Comment pourrait se constituercette agence de notation ?Pour surmonter ces problèmes etparce qu’une évaluation de quali tédes produits financiers soumisaux investisseurs est une nécessité

économique, notre cabinet a ima -giné une réponse innovante quiprendrait la forme d’une agenceeuropéenne de notation. Cettenouvelle agence produirait sesévaluations avec plus de trans-parence sur la base de modéli -sations et d’approches reposantsur les principes de Bâle III et del’analyse de crédit.Pour assurer l’indépendance desnotations, il faut changer les mo -des de gouvernance et s’appuyersur une Fondation privée à butnon lucratif. Celle-ci serait crééepar une vingtaine de grandes ins -titutions financières européennesqui apporteraient les fonds sousla forme d’un prêt mezzanine parexemple sans ensuite en avoir lecontrôle comme le statut des Fon-dations le prévoit. La diversité desfondateurs serait une forte garantied’indépendance.La Fondation serait gérée par unconseil indépendant d’experts etd’économistes.Cette Fondation pourrait s’ouvrirà des investisseurs non européens.

Quelle serait la valeur ajoutéede cette agence ?Ce serait davantage de concurrence

et de transparence dans les métho -des utilisées et surtout un moindrecoût. Nous pensons qu’une agencede ce type pourrait fonctionneravec un budget de 300 millions decoûts d’exploitation.

Le projet est-il à ce point avancépour être en mesure de délivrerdes notes d’ici la fin de l’annéeet quel serait le principede fonctionnement ?Le projet avance. Nous faisons lapromotion de cette idée. Nous

n’avons pas vocation à être auxmanettes et nous soumettons cetteidée au débat public. Pour éviter les conflits d’intérêt,les évaluations seraient payées parles investisseurs : tout émetteurserait tenu par une nouvelle ré -glementation de communiquerà une « plate-forme centrale » (quipourrait être créée par les Bourses)toutes les informations concernantune émission. Chaque agence denotation, qu’il s’agisse de la Fon-dation ou des entreprises privées,aurait accès sur une base égali -taire à ces informations à partirdes quelles elle procéderait à seséva luations. Tout investisseurserait tenu par la réglementationd’acheter une notation à l’agencede son choix dès lors qu’il acquer-rait une tranche d’une émission.Cette évaluation suivrait cetteémission comme une plaqued’immatriculation est attachéeà un véhicule.La notation serait désormais un« produit » dont le contenu seraitdéfini dans le contrat qui seraitpassé entre l’investisseur et l’agen -ce. Il y aurait désormais une inci-tation à améliorer les mé thodesd’évaluation.

Plus de concurrence, moins deconflits d’intérêt, une meilleure mé -thode d’évaluation, une concep tionde la notation comme missiond’intérêt général, tels sont leschangements que les Européenspourraient apporter à un systèmede plus en plus contesté.

Pourquoi se mobiliserpour un tel objectif ?Parce que, comme l’a démontréle commissaire européen MichelBar nier, il y a une très forte de-

mande politique dans ce domaine.Les opinions publiques compren-nent très mal que des sociétésprivées aussi peu transpa rentesdisposent de pouvoirs aussi exor-bitants. Les grandes institutionsfinancières européennes ont doncun double intérêt à agir. Un intérêtpolitique et d’image pour montrerque, loin de se satisfaire d’une si -tuation imparfaite, elles prennentl’initiative pour tirer toutes lesleçons de la crise que nous traver-sons. Un intérêt économique enmettant en place un autre modèleplus concurrentiel et donc moinscher qui corresponde mieux à leursvaleurs et à leur conception de lavie économique.Les Européens, à commencer parles Allemands et les Français,doivent prendre l’initiative pourfavoriser la confiance, la chose aumonde peut être la plus nécessaireaujourd’hui. Pour cela il ne suffitpas d’attendre que d’autres nousimposent leurs méthodes et leursvaleurs. Il n’y a de réponse quedans le volontarisme et dans laproposition d’alternatives. Ayons– de temps en temps – confianceen nous. Propos recueillis

par Joël Genard

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Une agence de notation européenne ?C’est possible tout de suite !Les principaux candidats à la présidentielle ont évoqué l’idée de créer une agence européennede notation pour mettre fin au système des agences actuelles. Un cabinet de conseil en stratégie– Roland Berger Strategy Consultants – fait une proposition qui permettrait de créer rapidementcette nouvelle institution qui prendrait la forme d’une fondation. L’un de ses directeurs,Dominique Gautier, explique ici le mécanisme imaginé.

Europe

Dominique Gautier dirige le centre de compétences SecteurPublic chez Roland Berger Strategy Consultants. Il intervientnotamment auprès des gouvernements et des institutions publiquesinternationales. PHOTO DR

«LES DEUX PRINCIPALES AGENCES ONT TROPD’INTÉRÊTS CROISÉS : 38 % DES ACTIONNAIRES

DE STANDARD & POOR’S SONT ACTIONNAIRES DEMOODY’S ET 53 % DE CEUX DE MOODY’S LE SONTÉGALEMENT DE STANDARD & POOR’S » Dominique Gautier

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Cette exposition, c’est commeune valise, ça contient tout »,résume Rina Zavagli-Mat-

totti, commissaire générale de larétrospective du travail du dessina-teur américain Art Spiegelman, à labibliothèque du Centre Pompidou.Planches originales de BD, es-quisses, dessins préparatoires, fac-similés, couvertures de journaux,illustrations et autres travaux gra -phiques, documents de travail desannées 1960 à l’après 11-Septembre,en passant par l’album culte Maus...L’exposition, intitulée « Art Spie -gelman, Co-Mix » aborde jusqu’au21 mai les multiples facettes dutravail du créateur du livre my -thique Maus, sur la Shoah, seulebande dessinée couronnée par leprix Pulitzer.Déjà présentée fin janvier au Fes -tival international de la bandedes si née d’Angoulême, dont ArtSpie gelman était président, c’est lapremière rétrospective consacréeà l’artiste dans un musée parisien,en environ 400 pièces. Elle partiraensuite à Vancouver, Cologne etNew York.Condensée dans un petit espace,elle rassemble d’abord ses premierstravaux : sa collaboration avecla société de chewing-gum Topps

comme concepteur et graphistepour des cartes à échanger ou au-tocollants, sa période undergrounddes années 1960-1970 avec despublications dans Witzend, Playboyou Arcade et les histoires courtesréunies en 1977 dans Breakdowns.

« Concentré »Sont aussi présentées ses illustra-tions pour des jaquettes de traduc-tions allemandes de Boris Vian oupour le poème épique de JosephMoncure March La Nuit d’enfer,son travail d’éditeur au sein dela revue RAW avec sa femmeFrançoise Mouly, sa vision du 11-Septembre (À l’ombre des toursmortes), ses illustrations pour lema gazine américain généralisteThe New Yorker…Parmi ses couvertures les plus mar-quantes, celle du New Yorker de1993 montrant une étreinte entreun Juif hassidique et une femmenoire pour cibler des tensions inter -communautaires à Brooklyn, oucelle de l’après 11-Septembre 2001,avec l’ombre des tours jumelles surfond noir.Une salle centrale, plus grand es-pace de l’exposition, est consacréeà son chef-d’œuvre Maus (sourisen allemand), l’un des premiers

romans graphiques contempo-rains, réalisé entre 1978 et 1991.Représentant les Juifs en souriset les nazis en chats, il raconte laShoah à travers l’histoire de ses pa -rents, Anja et Vladek Spiegelman,déportés à Auschwitz en 1944.Autour de ce projet mené pendanttreize ans, le public pourra décou-vrir l’intégralité des planches du

livre en fac-similés, des croquis,des documents d’archives de sa fa -mille, et écouter avec un casquequatre heures trente d’entretiensréalisés avec son père pour Maus.Pour Art Spiegelman, cette exposi-tion, qui montre différents aspectsde son œuvre, « permet de voir que[…] tout ce travail est connecté ».« Pour mon père, faire une valise était

essentiel. Je pense que j’approche meslivres de cette façon, indique l’auteur.Mon travail est concentré. »

Pierre-Henry Drange

Art Spiegelman, Co-MixExposition jusqu’au 21 mai

Centre PompidouEntrée rue Beaubourg, Paris

Ouvert tous les jours de 12h à 22h.

Les hommes ont disparu, maisles lieux demeurent. Lespaysages et les sites s’imposent

désormais comme les témoins prin ci-paux de ce cataclysme universel »,peut-on lire dans la présentationdu projet.Il s’agit de paysages et sites his-toriques, tels que des massifsforestiers, des arbres, des cols, destranchées et des tunnels, des cra -tères de bombes, des fortificationsou des blockhaus ou encore desvillages détruits. Des sites mémo -

riels, comme des nécropoles, desmonuments et stèles, sont égale-ment concernés.Pour éviter leur dégradation, il est,selon les départements, « essentielde fixer le cadre de leur préservationtout en favorisant leur découverte parle plus grand nombre ». L’inscrip-tion sur la liste du patrimoinemondial de l’Unesco répond doncà ces différentes ambitions.Coprésidée par les sénateurs etprésidents des conseils générauxde la Meuse, Christian Namy, et de

l’Aisne, Yves Daudigny, l’associa-tion a vocation de regrouper treizedépartements couvrant toute labande nord-est de la France.Plusieurs axes ont été arrêtés dans laperspective du centenaire du conflit.L’association entend notammentmener son projet « en liaisonétroite avec les ministères de laDéfense et de la Culture ». Le sou-tien de toutes les nations ayanteu des combattants sur les solsfrançais et belge est égalementsollicité.

Le projet est enfin élaboré enétroite collaboration avec laBelgique (régions de Flandres,Wallonie et Bruxelles-capitale).Un premier dossier doit êtredéposé auprès du comité françaisde l’Unesco. La liste des siteset paysages sera ensuite affinée,pour un dépôt du dossier définitifen 2013 auprès des ambassadesfrançaises et belges à l’Unesco.La décision finale est attendueà l’horizon 2014-2015.

Joël Genard

Beaubourg expose Art SpiegelmanLe dessinateur américain Art Spiegelman est à découvrir à la bibliothèque du Centre Pompidou.Cette rétrospective aborde toutes les facettes du travail de ce créateur. L’une des salles estconsacrée à son travail d’artiste sur la Shoah au travers du vécu de ses parents.

Culture

Une douzaine de départements français qui se situent sur l’ancienne lignede front de 1914-1918 veulent faire inscrire les paysages et sites de mémoirede la Grande Guerre au patrimoine mondial de l’Unesco. Ces départements,regroupés en association, espèrent que cette inscription se fera à l’occasiondes commémorations prévues pour le centenaire de la guerre de 14.

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Les sites et paysages de la Grande Guerrecandidats au patrimoine de l’Unesco

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Art Spiegelman devant Maus. Une toile qui illustre la Shoah, représentant les Juifs en souris et les nazisen chats. PHOTO BERTRAND LANGLOIS/AFP

Verdun détruite en 1916. PHOTO AFP

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La révolution numérique aamené de profonds chan-gements dans les équipe-

ments informatiques profession-nels et grand public. Les nouveauxgéants, Apple, Google ou Facebook,

se battent à coups de milliards pourgarder leur position. Mais dansl’ombre, la révolution numériqueest en train de permettre l’éclo-sion d’une nouvelle génération destart-up qui insufflent dynamisme,créativité et audace dans un tissuéconomique encore partiellementplongé dans la crise.

Une étude du cabinet Forrester surl’année 2011 montre que 78 % desentrepreneurs ayant créé de trèspetites entreprises (TPE) aux États-Unis espèrent voir leur activitécroître dans les deux prochaines

années, et que 39 % d’entre eux pré -voient de voir le nombre de leursemployés doubler dans la mêmepériode. Ces nouvelles entreprisessont cruciales pour l’économieaméricaine : les start-up technolo -giques créent par employé treizefois plus de brevets que les compa -gnies de taille supérieure. Et cette

tendance se retrouve aussi dansles entreprises des secteurs de lasanté ou des biotechs.Fait nouveau, les grandes villesaméricaines se battent mainte-nant pour attirer ces entreprises,notamment New York, qui ne veutplus voir la Silicon Valley trusterles sièges sociaux. Proximité avecles investisseurs de Wall Street,de nouveaux campus technolo-giques, l’attrait de la vie dans unemétropole planétaire, New Yorkfait tout pour que les fondateurset employés de ces jeunes entre-prises, très motivés et créatifs,viennent vivre sur son sol.Détroit, capitale de l’automobile etmétropole en plein déclin, investitelle aussi dans les programmesdestinés à faire venir des start-upsur son territoire. Ce positionne-ment est vital pour une métropolequi a perdu plus de la moitié desa population entre 1950 et 2010,passant d’environ 1 850 000 à713 000 habitants. Sinistrée éco-nomiquement et socialement, lacapitale de l’industrie automo bileprésente cependant de nombreuxatouts, notamment une infrastruc -ture de transports capable d’absor-ber un trafic beaucoup plus vastequ’aujourd’hui et un parc immo -bilier qui, s’il n’est pas en bon état,est accessible à des prix très bas.Détroit sera aussi relié à Chicagopar l’une des lignes de train àgrande vitesse, projet dans lequelle gouvernement américain a

injecté 196 millions de dollars. DesBusiness Angels et la municipa -lité sont rejoints par l’universitédu Michigan pour la mise en placede fonds d’investissement. Résultat,Venture for America, programmequi vise à aider les start-up améri-caines, classe Détroit comme l’unedes villes où les jeunes diplôméspeuvent démarrer leur carrière dansde bonnes conditions.

Ces start-up sont pour les États-Unis leurs géants de demain.Dans une économie pilotée parl’inno vation, ce pari est pertinent,d’autant qu’il est mû par unecompétition entre les entrepriseset entre les villes d’accueil quitire tout le monde vers le haut.Un choix que l’Europe devraitétudier pour sa propre économie,elle aussi en difficulté.

EIP l’Hémicycle, Sarl au capital de 12 582¤. RCS : Paris 443 984 117. 55, rue de Grenelle - 75007 Paris. Tél. 01 55 31 94 20. Fax : 01 53 16 24 29. Web : www.lhemicycle.com - Twitter : @lhemicycle

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Des start-up par milliersUn exemple pour l’Europe

Pour dynamiser leur économie, les grandes métropoles américaines ont encouragé la créationde milliers de start-up exploitant les nouvelles technologies. Plus que jamais, le numériqueest au cœur de la revitalisation de l’économie américaine.Par Manuel Singeot

Le chiffre

65%du PIB américain créépar les TPE et PME. (Source :Small Business Administration).

Le New York Stock Exchange (NYSE), en partenariat avec NYSE Euronextet Accion, lance un programme d’aide à la création de start-up aux États-

Unis. Les entreprises à forte croissance ou nouvellement créées sont visées parce programme, surtout si elles portent de nouveaux produits ou concepts. L’idéeest d’apporter les compétences des fondateurs d’entreprises ayant réussi auprèsdes jeunes pousses afin de les aider à grandir et créer de nouveaux emplois.

La bourse de New Yorkparie sur les start-up

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14 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 440, MERCREDI 28 MARS 2012

Rebecca Woodcock, cofondatrice de Cakehealth, une entreprisede gestion des dépenses de santé pour particuliers, au forumTechCrunch Disrupt 2011 de San Francisco. PHOTO ARAYA DIAZ/AFP

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NUMÉRO 440, MERCREDI 28 MARS 2012 L’HÉMICYCLE 15

Delphine Batho, petite-fillede 1981 et de 1789

Il ne faut pas compter surDelphine Batho pour rendrehommage aux grandes figures

de l’histoire. Pas de Jaurès ni deBlum au bataillon, chez cette jeunemilitante venue à la gauche par lesyndicalisme lycéen puis par SOSRacisme. « Ma prise de consciencepolitique vient des artistes engagés etdes humoristes du début des années1980, dit-elle en s’excusant de sesré férences décalées. Elle cite Da nielBalavoine, Coluche, Pierre Des-proges et toute la bande du Tribu-nal des flagrants délires, en parti -culier Luis Rego. « C’était le temps desgrands combats pour la solidarité avecl’Afrique, les grands concerts de BandAid, la mobilisation pour lutter contrela pauvreté, les Restos du cœur. » Dansce creuset des artistes populaires, lafille du photographe John Batho,grand maître de la couleur, a inscrittrès tôt son engagement dans les tonsrouge et rose. « J’étais en 5e quand jeme suis lancée dans mes premièresopérations militantes. C’était Action-École avec Médecins du monde, FranceGall et Michel Berger. Les pompes àeau pour le Sahel. »Très vite une figure tutélaire émergealors : celle de François Mitterrand.Cela commence par un souvenird’enfance : « Une explosion de joiefamiliale, à la maison, en 1981. » Lafillette de 8 ans écoute les slogans,« Mitterrand Président, Giscard au pla -card »… Par pudeur et retenue, ellene mentionne pas qu’à la mêmeépoque elle a perdu sa mère. Le10 mai de cette année-là, elle sesouvient des concerts de casserolesdans les rues. Elle ne comprenaitpas tout de cette liesse, mais ellevoyait que c’était important pourles siens. « Mon père n’y croyait pas.Il disait que c’était impossible, qu’enFrance le pouvoir était à droite. »

Un souci de transmissionMalgré les lourdes désillusions quiviendront, en particulier avec lesecond septennat et l’engagementdans la guerre du Golfe, DelphineBatho conserve « un lien affectifprofond » avec François Mitterrand.

« Il s’intéressait vraiment aux jeunes,dit-elle, avec ce regard vivace dontelle dévisagea plus d’une fois levieil animal politique. Il a reçu leslycéens en pleine manifestation contreles réformes d’un gouvernement degauche », rappelle-t-elle. Rocardétait alors Premier ministre etJospin ministre de l’Éducationnationale. « Mitterrand respectait lacritique, il ne coupait pas la parole. Ily avait chez lui un souci de transmis-sion. Dans son récit de l’histoire deFrance, il inscrivait la gauche, avec sesgénérations successives d’hommes et

de femmes qui se passaient le flam-beau pour lutter contre les inégalités ».S’il est arrivé au Président deconverser avec la vice-présidentede SOS Racisme, ce fut sur un regis-tre plus personnel : « Il m’a deman -dé un jour : “Aimez-vous la plage ?”J’étais dans le même lycée que Maza-rine et il pensait à elle. Il s’interro -geait sur la vie d’une adolescente, ilcherchait à comprendre ses centresd’intérêt ». Mais au-delà de lasphère privée, et encore cachéedans cette période, elle perçoitchez l’homme du 10-Mai un

profond besoin d’aller au-devantde la jeunesse.Cette sensation, la porte-parolede François Hollande l’a éprouvéele jour de 1995 où, affaibli et ma-lade, François Mitterrand quittal’Élysée pour se rendre rue de Sol-férino, au siège du PS. « En 1981,il était parti de Solférino pour l’Ély-sée. Cette fois il faisait le chemin in-verse, se souvient Delphine Batho.Il s’est adressé à nous, les jeunes.C’était la dernière fois qu’il nous par -lait, nous le savions. Il a dressé le bilande ses mandats, a évoqué ce qu’iln’avait pas pu faire. C’était un testa-ment politique. Il a parlé de sa tâchehistorique, montrer que la gauchedevait gouverner. Que maintenantc’était à nous de poursuivre. »

« Tenez bon »Quand on demande à DelphineBatho ce qu’elle retient de Mitter-rand, la réponse fuse : « De lui jeretiens la victoire. » Puis elle pour-suit après une courte pose, commepour mieux détacher ce mot dansle petit restaurant où elle nousa conviés près de l’Assemblée na-tionale. « Je retiens aussi le “Tenezbon” dans l’adversité. C’était unpersonnage immense par sa densitépolitique. Il avait vécu vingt viesen même temps, plusieurs histoires.Il avait même traversé l’Histoire, enécrivain, en leader politique, en mi-nistre, en chef d’État. Je me souviensqu’une fois, dans une discussion surl’Afrique avec SOS Racisme, il s’estmis à parler en bambara. » Devantnotre surprise, elle confirme, « oui,en bambara », avant d’ajouter :« c’était un monument de culture,qui connaissait aussi toutes les villeset les régions de France ».Comme on s’étonne de sa préco-cité politique, d’autres référencessurgissent alors, qui ne sont pasvraiment des humoristes. Sonpro fesseur de français de 6e, unecommuniste, avait fait lire à saclasse À l’Ouest, rien de nouveau,d’Erich Maria Remarque. Ce n’étaitpas un peu tôt ? « Pas du tout. J’enai retiré une terreur de la guerre. Ce

texte écrit du point de vue d’un jeunesoldat allemand montrait 14-18autrement. » La même année, elle alu Germinal, pas moins. Elle s’ensouvient comme si c’était hier.Encore une consigne de sa profcoco ? Non, cette fois, l’incitationest venue de son père John, qui futjadis apprenti puis ouvrier quali -fié avant de devenir un fameuxcoloriste.

La silhouette de Jessye NormanElle convoque ensuite des figuresqui, sans être des sources d’inspi -ration, ont marqué en profondeurl’esprit de la jeune femme. Elleévoque les héros révolutionnairesau destin tragique et romanesque,Danton et Desmoulins unis dansle club des Cordeliers. « Pour uneadolescente, c’était impressionnantde voir ces bourgeois qui finissentguillotinés après avoir fait ce grandsaut dans l’inconnu, quand toutétait à inventer. » Elle se réclame del’esprit de 1789, de la Marseillaise,qu’elle éprouve « beaucoup de fiertéà chanter ». Elle reste frappée parune Histoire des Girondins écrite parLamartine, avec ses planches degravures hors texte, ou encore parla silhouette de la soprano JessyeNorman enroulée dans un granddrapeau tricolore, pour les commé-morations du Bicentenaire.D’une Révolution l’autre, DelphineBatho cite Rosa Luxemburg poursa « critique de l’anéantissementdémocratique de la révolution bol-chevique ». Pour les reprochesqu’elle adressa aux révolution-naires russes d’avoir dissous laConstituante et interdit la libertéde la presse. Pour sa fin terrible.Pour ses lettres écrites en prison àKarl Liebknecht, auquel elle envoiedes recettes de cuisine, des évoca-tions de la nature. Pour son roman -tisme révolutionnaire plus que pourson féminisme. « La figure fémi -niste, pour moi, c’est Delphine Seyrig,précise la porte-parole de FrançoisHollande. C’est à cause d’elle queje m’appelle Delphine. » Une bonnecause, à l’évidence.

Mitterrandiste de la première heure (elle a 8 ans en 1981), la porte-parole de François Hollande voue uneadmiration quasi filiale à François Mitterrand. La député socialiste des Deux-Sèvres, aujourd’hui social-démocrate, n’en cache pas moins un penchant inspiré pour les héros révolutionnaires. L’ancienne vice-présidente de SOS Racisme aime à citer Danton, Desmoulins et, plus proche de nous, Rosa Luxemburg.

Par Éric Fottorino

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L’admiroir

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