LES PIEDS NICKELES FONT DU
CINEMA
tiré de la bande dessinnée de René Pellot
SCENE 1
Dans la chambre miteuse d’un hôtel de dernière classe.
CROQUIGNOLLE - Je commence à avoir faim!
FILOCHARD - Qui dort dîne!
RIBOULDINGUE - Oui, mais ce genre de régime ne peut durer
indéfiniment!
CROQUIGNOLLE - Je commence à avoir le cerveau qui se
transforme en bouilloire!
On frappe à la porte. Ribouldingue va ouvrir. Une voix off grommelle
de colère.
RIBOULDINGUE - Oui, bien sûr...
FILOCHARD - Ca chauffe, on dirait.
RIBOULDINGUE - Mais c’est que...
Les grommelots continuent, puis la voix éclate:
VOIX OFF - Vous m’entendez! Je vous jette dehors si vous ne me
payez pas ce que vous me devez, ce soir!
Ribouldingue ferme la porte.
CROQUIGNOLLE - Il me reste 5 francs et 2 centimes!
FILOCHARD - Moi... 3 francs!
RIBOULDINGUE - Avec les 60 centimes que j’ai, ça fait... Ca fait
même pas de quoi calmer notre appétit!
CROQUIGNOLLE - (Lisant le journal.) Tiens... Le grand metteur en
scène Zadi Banuk vient de partir pour deux mois en vacances, dans
une île déserte et isolée...
RIBOULDINGUE - Il y en a qui ont de la veine.
CROQUIGNOLLE - Et nous aussi!
FILOCHARD - Tu es fou?
CROQUIGNOLLE - Non, j’ai une idée! On va remplacer Zadi Banuk
pendant ses vacances et ça va nous rapporter une fortune! Voilà: il y a
une photo de Banuk dans le journal. Ribouldingue, après une retouche
à sa barbe, ressemblera à Banuk comme une goutte d’eau à une autre.
Nous ferons passer son voyage pour une feinte... En fait, il vient à
Paris incognito pour tourner un film formidable et chercher un ou
plusieurs commanditaires... Allez, exécution! On va commencer par
changer de peau. Je connais un copain aux puces qui nous dépannera.
Il prend le téléphone.
CROQUIGNOLLE - Allô? Babylas? Salut, mon vieux, c’est moi! Oui,
Croquignole! Mon vieux Babylas, il nous faut trois beaux costumes et
tout ce qui va avec , ainsi que cinq valises couvertes d’étiquettes. Pour
le règlement? Tu me connais... Fais-moi confiance. Quand je te
rapporterai tout ça je serai large... On suit une affire comme ça!
Il raccroche.
CROQUIGNOLLE - On n’a pas une minute à perdre... Il faut foncer à
la gare où arrive un ministre américain... Il y aura un tas de
journalistes, des cinéastes et des photographes! Il faut en profiter!
SCENE 2
Dans un hall de gare. Plusieurs journalistes attendent l’arrivée du
ministre. Filochard entre déguisé en journaliste.
FILOCHARD - Une nouvelle formidable, les gars! Zadi Banuck arrive
par le train-transat!
UN JOURNALISTE - Ca c’est un tuyau de première!
UN AUTRE JOURNALISTE - Mais il est censé être en vacances dans
une île déserte!
FILOCHARD - C’est une blague! Il vient en France pour un touner un
film sensationnel!
Croquignolle, élégamment costumé, apparaît à l’autre bout de la
scène.
FILOCHARD - Tenez... Voilà son principal collaborateur, Duck
Randall, qui l’attend. Allez donc aux renseignements!
Ils se précipotent sur Croquignolle.
UN JOURNALISTE - Alors c’est vrai que...
UN AUTRE JOURNALISTE - Il paraît que...
UN TROISIEME JOURNALISTE - Votre Banuck est un cachottier!
CROQUIGNOLLE - Je n’ai rien à vous dire...
Les journalistes s’écartent et reviennent vers Filochard.
PREMIER JOURNALISTE - Evidemment, ce n’est pas lui qui va
vendre la mêche!
2E JOURNALISTE - Il n’est pas là pour rien!
1ER JOURNALISTE - Attendaons l’arrivée du train... On verra bien
s’il est là pour recevoir Banuck!
Sifflet d’un train arrivant en gare.Ribouldingue, déguisé, entre en
courant dans la salle, tête baissée, depuis le quai. Il se rue sur
Croquignolle.
RIBOULDINGUE - Hello, Duck, comment ça va, vieille chose?
CROQUIGNOLLE - Ce vieux Zadi!
1ER JOURNALISTE - C’est bien lui... Allons-y!
2E JOURNALISTE - C’est bien Zadi Banuck! Pas d’erreur possible!
Ils se précipotent sur le duo qui sort avec la meute à ses trousses.
CROQUIGNOLLE - Ah, messieurs, laissez-nous gagner tout de suite
notre hôtel...
Entre le ministre.
LE MINISTRE - Aôh! Même pas heine phoutugroaphe?
SCENE 3
Dans la chambre luxueuse d’un hôtel de 1ere classe.
FILOCHARD - Le patron de cet établissement est bien gentil de
mettre cette chambre à notre disposition.
RIBOULDINGUE - Avec la publicité qu’on fait à son hôtel, c’est la
moindre des choses!
FILOCHARD - Il n’avait jamais dû voir autant de photographes de
toute sa vie!
RIBOULDINGUE - Et ils sont toujours là dans le hall, depuis hier.
CROQUIGNOLLE - Tout marche bien. Il n’y a plus qu’à attendre les
pigeons!
On frappe à la porte. Croquignolle va ouvrir. Il revient avec le
journal.
CROQUIGNOLLE - Eh bien mon vieux... Tu as droit à la première
page! Les journaux disent que tu vas réaliser le film du siècle, et que
tu cherches des commanditaires. Ca va se bousculer au portillon!
RIBOULDINGUE - Dangereux ce truc-là! Si jamais un intime de Zadi
Banuck regrade de plus près...
FILOCHARD - Evidemment, tu ne lui ressembles pas exactement...
Mais le cliché n’est pas net...
Le téléphone sonne. Stupeur.
CROQUIGNOLLE - Déjà?
RIBOULDINGUE - Est-ce du bon ou du mauvais?
Croquignolle se dirige vers l’appareil.
CROQUIGNOLLE - Allô? Qui? Gigitte Barbaut? (A Ribouldingue, la
main sur l’émetteur.) C’est Gigitte Barbaut, la célèbre actrice. Elle est
en bas et voudrait te voir. Qu’est-ce que je lui réponds?
RIBOULDINGUE - Zut! Je croyais que c’était un commanditaire.
Dis-lui de venir. On verra bien!
CROQUIGNOLLE - Très bien, mademoiselle. Monsieur Banuck
consent à vous recevoir. Très bien. (Il raccorche.) Elle arrive.
Le téléphone sonne.
FILOCHARD - Allô? (A Ribouldingue, la main sur l’émetteur.) C’est
Sophie Cerceau, idem.
CROQUIGNOLLE - Encore une actrice? J’ai une idée. Dis-lui de
venir tout de suite.
FILOCHARD - Nous vous attendons, mademoiselle.
RIBOULDINGUE - Mais dis-donc, elles vont arriver presque en
même temps! Qu’est-ce que je peux leur dire? On n’a pas de
commanditaire, donc pas d’argent!
CROQUIGNOLLE - Je vous dis que j’ai mon idée. On va se faire une
publicité gratuite! Ecoutez...
Il leur chuchote quelque chose.
FILOCHARD - Ca c’est une idée!
On frappe.
FILOCHARD - Déjà!
Il va ouvrir. Entre une actrice blonde, superbe, très maquillée.
GIGITTE - Monsieur... J’ai appris par mon agence que vous alliez
réaliser un grand film, plus grand encore que tous ceux que vous avez
réalisés... Je vous offre mon concours. Moi, Gigitte Barbaut, je mets
mon talent à votre disposition.
RIBOULDINGUE - Trop aimable.
GIGITTE - Pour cinq millions... Un prix d’ami!
RIBOULDINGUE - Pas très cher en effet pour un premier rôle... Mais
beaucoup trop pour un second! Comme le premier rôle est déjà
réservé... Je ne puis vous offrir que le second rôle et cent fois moins de
galette.
GIGITTE - Vous plaisantez, mon cher.
RIBOULDINGUE - Hélas non, ma chère...
Entre Sophie.
SOPHIE - (A Gigitte.) Qu’est-ce que tu fais là, blondasse?
GIGITTE - Reviens faire le ménage quand on aura besoin de toi,
traînée!
Les journalistes, entrés dans la pièce, font crépiter leurs flash.
SOPHIE - Je vais te créper le chignon!
SOPHIE - Je vais t’arracher les yeux!
GIGITTE - Tu vas voir!
Elles se sautent dessus.
CROQUIGNOLLE - Quelle publicité!
FILOCHARD - Pour lancer un film, il n’y a pas mieux!
CROQUIGNOLLE - Ha! Ha! Du vrai cinéma!
RIBOULDINGUE - Formidable!
Elles sortent de la pièce en se battant, poursuivies par les
photographes.Entre une jeune femme très laide, habillée n’importe
comment, avec des vêtements coûteux et de très mauvais goût.
MIMI - Monsieur Banuck?
RIBOULDINGUE - C’est moi.
MIMI - Je suis Mimi Brosson-Lalune. Je souhaite participer à votre
prochain film. J’ai pensé au premier rôle.
RIBOULDINGUE - C’est à dire que...
FILOCHARD - On ne fait pas dans le grand-guignol!
MIMI - Mon papa est le roi des pâtes au fromage! Il est riche comme
Crésus. Si vous me prenez dans votre prochain film, il le
commanditera. 5 millions, ça vous va? Vous n’avez qu’à lui
téléphoner et vous entendre avec lui.
CROQUIGNOLLE - D’accord, mademoiselle Brosson-Lalune, nous
vous engageons comme vedette! Mais il faut vous trouver un nom qui
marque... A notre époque de fusées, je vous propose Nick Spout, ça va
bien avec Lalune!
MIMI - Ravissant! Fusant! D’ac! Je me contenterai d’un salaire de 100
francs par jour!
Filochard et Ribouldingue entraînent Croquignolle.
FILOCHARD - Avec une tête comme la sienne, ça ne marchera
jamais!
RIBOULDINGUE - Elle est juste bonne pour figurer dans un film
genre Frankenstein!
CROQUIGNOLLE - Ne vous frappez pas! Ca n’a pas d’importance!
On ne dépensera qu’un million pour le film, on le bâcle en 15 jours, et
on se retire avec 4 millions! (A Mimi.) Nous vous remercions,
mademoiselle. Nous vous recontacterons prochainement, ainsi que
votre père, pour signer tous les contrats.
Elle sort.
CROQUIGNOLLE - Bon, réfléchissons. Maintenant qu’on a le
commanditaire, il faut quand même faire un film.
FILOCHARD - Je sais qu’il faut un scenario.
CROQUIGNOLLE - Très bien! On va dire au roi des pâtes que pour le
scenario, on va s’adresser à un grand auteur encore inconnu... Toi,
Filochard! Et en plus, tu toucheras les droits!
FILOCHARD - Hé! pas si vite! je n’ai jamais rien écrit, moi! Alors, tu
crois que je vais me creuser le ciboulot...
CROQUIGNOLLE - Tu ne voudrais pas qu’on le demande à
Françoise tagan, tout notre argent y passerait! On en discutera plus
tard. Ribouldingue, tu vas aller à la décharge de Poissy.
RIBOULDINGUE - Pour quoi faire?
CROQUIGNOLLE - Recruter les comédiens, pardi! Prends-en une
centaine.
RIBOULDINGUE - Et les prises de vue?
CROQUIGNOLLE - Je vais m’adresser à une agence spécialisée.
Il saisit le combiné.
CROQUIGNOLLE - Allô? Vous êtes bien le photographe du quartier?
Vous savez tenir une caméra? Oui, pour un film. C’est pour les prises.
Non, pas les prises de gardons... Ni les prises de judo... ni les prises de
tabac, c’est pour des prises de vue! Oui? Je vous engage! Vous
connaissez quelqu’un qui s’y connait en micro? Non, pour les prises
de son. Votre assistant? Il est un peu sourd? Ca fera l’affaire!
Il raccroche.
RIBOULDINGUE - Ils ne doivent pas tourner rond ces deux gars là.
CROQUIGNOLLE - Ils n’ont pas plus d’importance que le film! Moi,
je vais chercher un studio cinématographique... je connais quelques
usines désafectées. Et toi, Filochard, tu commences à bâcler le
scenario, qui n’a pas non plus d’importance!
FILOCHARD - Demain! Pour le moment, moi, je vais me coucher!
CROQUIGNOLLE - Rien à faire! Tu vas commencer par écrire le
scenario! Tu te coucheras quand tu auras terminé! Tu crois qu’on
gagne 4 millions sans faire un petit effort? Allez, au boulot! Tu n’as
qu’à commencer par écrire le titre: « Les.. Poires... Etaient... Au...
rendez-vous! » La suite viendra toute seule!
Ribouldingue et Croquignolle sortent. Filochard se gratte la tête,
trouve un papier et un crayon , et s’asseoit à table.
FILOCHARD - Ca ne vient pas... Les cases sont vides!
Il ouvre un journal.
F - (Il lit.) « Eleonore Tupicotruc se trouvait seule dans la vie, sans
ressources, avec un bébé de quatre jours... Elle décida de confier son
petit julot à une âme charitable qui l’éleverait. Soudain, elle vit sur le
seuil de sa boutique Zéphirin Noissec. Elle se précipita vers lui et lui
déposa le bébé sur les bras... » Splendide! Voilà le début de mon
scénario! Et là! allez zou! Je vais faire coller cette histoire
d’enlèvement avec! Un enfant abandonné... une locomotive volée...
Un naufrage... deux assassinats mystérieux... une dizaine de vols... Ca
va faire un sacré film!
SCENE 4
Dans un studio minable, où tout est en toc ou en matériau de
récupération. Le trio accueille Mimi, vêtue d’une robe trop voyante. A
leur côté, les ingénieurs s’affairent sur la vieille caméra.
CAMERAMAN - Il doit s’agir d’un film de série noire!
CHEF SON - Ou d’un film à la gloire de la chirurgie esthétique!
RIBOULDINGUE - Voilà! On va commencer la première séquence de
« Les poires étaient au rendez-vous ». Où sont les comédiens?
FILOCHARD - Les voilà!
Trois clochards entrent.
RIBOULDINGUE - Bon! Ecoutez le début. « Eleonore Tupicotruc se
trouvait seule dans la vie, sans ressources...».
MIMI - Ah non! Je ne veux pas être une pauvresse! Ca ne marche pas!
RIBOULDINGUE - On ne vous demande pas de marcher, on vous
demande de tourner!
MIMI - Je ne tournerai pas sans ma robe de chez Lampain!
RIBOULDINGUE - Après tout, ça n’a aucune importance.
Continuons: « Avec un bébé de quatre jours... Elle décida de confier
son petit julot à une âme charitable qui l’éleverait. Soudain, elle vit sur
le seuil de sa boutique Zéphirin Noissec. Elle se précipita vers lui et
lui déposa le bébé sur les bras. »
FILOCHARD - Eh! On n’en a pas, de bébé!
CROQUIGNOLLE- J’ai ce qu’il faut!
Il va chercher un pelochon et quelques bouts de tissu.
CROQUIGNOLLE - Et voilà le nouveau-né!
RIBOULDINGUE - (A un clochard.) Toi, tu vas faire Zéphirin. Tu te
mets devant ta boutique...
LE CLOCHARD - Où qu’elle est, ma boutique?
RIBOULDINGUE - Ah, j’en ai marre! Vous ne croyez quand même
pas que je dois faire tout à votre place! Je suis déjà metteur en scène,
ça me suffit!
CROQUIGNOLLE - Tu n’as qu’à te mettre sous le rideau, ça fera la
porte de la boutique.
Le clochard obéit.
RIBOULDINGUE - On commence!
Mimi met sa progéniture dans les bras du clochard.
RIBOULDINGUE - Coupez! C’est parfait! On passe immédiatement à
la scène suivante. « Mimi se fait enlever par des bandits en
automobile. ».
FILOCHARD - On n’a pas d’auto!
RIBOULDINGUE - Oh, après tout, ça n’a pas d’importance. On n’a
qu’à prendre un vélo! Allez-y!
Les deux autres clochards montent tant bien que mal sur des vélos. Il
débouchent sur le plateau, tombent devant Mimi, et se saississent
d’elle.
MIMI - Mon Dieu! des kidnappeurs!
Elle s’évanouit. L’un d’eux la fait monter sur le porte-bagage, la
menaçant avec un pistolet en plastique. Ils quittent le plateau.
RIBOULDINGUE - Coupez! C’est parfait! Maintenant, on va montrer
que Zéphir s’occupe de l’enfant en l’abscence de sa mère. Il lui donne
le biberon. Un biberon!
CROQUIGNOLLE - (Au clochard.) Tiens, c’est un bout de bois, ça
fera bâton de réglisse.
RIBOULDINGUE - On tourne! Coupez! C’est parfait! Maintenant,
on...
CROQUIGNOLLE- Eh! Doucement les copains! A ce train-là, le film
sera terminé ce soir! On va ralentir et s’arranger pour que le tournage
soit terminé dans huit jours...
RIBOULDINGUE - Bon! Alors, ça suffit pour aujourd’hui. On
continuera demain!
SCENE 5
Semi-obsurité. Dans une cabine de projection vide. Les pieds nickelés
entrent en catimini.
FILOCHARD - Attention!
RIBOULDINGUE - Quoi?
FILOCHARD - J’ai entendu du bruit!
CROQUIGNOLLE - Où ça?
FILOCHARD - Je ne sais pas!
RIBOULDINGUE - On ferait sans doute mieux d’abandonner!
CROQUIGNOLLE - Tu rigoles? Tu préfères peut-être qu’on soit
lynchés?
RIBOULDINGUE - Et s’ils trouvent que le film est bon? Après tout,
je me suis plutôt bien débrouillé!
CROQUIGNOLLE- Un film tourné en quatre jours? Même Mimi a
trouvé que pour un réalisateur, t’étais plutôt bizarre. Et elle a pas
inventé la poudre! Non, mon vieux, crois-moi, si le public voit ce film,
on a intérêt à filer en vitesse. Tu as vu combien ils sont? C’est la
première, il y a tout le gratin. Sans compter que le père de Mimi fera
bloquer notre compte en banque. Pas question de laisser tomber quatre
millions, on a eu assez de mal à les économiser!
FILOCHARD - Ca, c’est vrai. J’ai passé toute une nuit à écrire le
scenario.
RIBOULDINGUE- Bon, qu’est-ce qu’on fait? Le projectionniste ne
va plus tarder.
CROQUIGNOLLE - On y va! On vole la bobine, et on file au plus
vite!
Ils avancent avec prudence vers la caméra. Trois ombres leur font
face, étrangement similaires dans leur apparence et leurs gestes.
FILOCHARD - Là! Ca bouge!
RIBOULDINGUE - Hein?
CROQUIGNOLLE - (Tremblant.) Qui est là?
Il bouge un peu, puis se met à rire.
RIBOULDINGUE - Qu’est-ce qui te prend?
FILOCHARD - C’est vexant, à la fin!
CROQUIGNOLLE - Ce qu’on peut être bête! C’est un miroir, c’est
tout!
Ils rient. Soudain, lumière. En face des pieds nickelés se tiennent trois
hommes qui leur ressemblent beaucoup.
FILOCHARD - Pour des reflets, ils sont drôlement vivants!
ZADI - Il paraît que l’un d’entre vous est Zadi Banuk?
RIBOULDINGUE - Euh, oui... C’est moi. A qui ai-je l’honneur?
ZADI - Je ne sais pas.
FILOCHARD - Comment ça vous ne savez pas?
ZADI - Non, je ne sais pas. Car si vous êtes Zadi Banuk, qui puis-je
bien être?
CROQUIGNOLLE - Vous voulez dire que...
ZADI - Zadi Banuk, c’est moi! Et vous n’êtes que de vulgaires
imposteurs!
Il sort un pistolet qu’il braque sur les pieds nickelés.
CROQUIGNOLLE - Nous sommes très heureux de faire votre
connaissance. Il y a méprise, nous...
ZADI - Silence! J’ai appris que quelqu’un utilisait mon nom pour faire
un film. Donc, ce film est à moi.Je garde également l’argent qui a été
déposé à la banque à mon nom. C’est normal. Maintenant,
disparaissez, autrement...
Entre Mimi Brosson-Lalune.
MIMI - Ho! Comme c’est drôle! Vous avez tous des frères jumeaux?
ZADI - Qui c’est, celle-là?
RIBOULDINGUE - C’est Mimi. C’est la vedette de mon... de votre
film, Monsieur Banuk.
MIMI - Alors là, je ne comprend plus rien!
ZADI - Ca, ma vedette? Je vais faire interdire la première!
MIMI - Quoi? Comment ça? Et tout l’argent que mon père a donné à
votre jumeau, alors?
ZADI - Ah! Votre père est le commanditaire du film? Hum... Il est
bon, ce film, au moins?
RIBOULDINGUE - Ca, oui!
CROQUIGNOLLE - C’est un film fantastique!
RIBOULDINGUE - Très drôle!
FILOCHARD - Et puis, il y a Mimi!
CROQUIGNOLLE - Oui, il y a Mimi! Ce sera une grande révélation!
RIBOULDINGUE - Très grande!
FILOCHARD - Immense!
ZADI - Bon. Mais vous trois, déguerpissez tout de suite! Sinon je
vous fais arrêter pour escroquerie, abus de confiance et tout le
tremblement! Je ne veux plus vous voir!
Ils sortent en courant. Les deux amis de Zadi replacent la bobine dans
la caméra et la mettent en marche. Les lumières s’éteignent. Zadi se
penche dans la lucarne et observe le déroulement du film. Les pieds
nickelés reviennent sur la pointe des pieds.
R - Je ne veux pas rater ça. Ca va être notre vengeance!
CROQUIGNOLLE - A cause de lui, on a perdu quatre millions. On
aura l’occasion, à défaut d’autre, de bouffer du navet! Le père
Brosson-La-Lune, sa fille et le Banuk, ils vont ramasser des tomates
par tonnes!
ZADI - (L’oeil collé à la lucarne.) Oh non... Ils n’ont pas osé... (On
entend d’énormes hurlements de rire.) Oh non... Oh non... Oh non... Je
vais les tuer... Je vais les tuer... Oui, je vais les tuer...
FILOCHARD - Vaut mieux filer, non?
CROQUIGNOLLE - Attends! Je veux entendre la bronca du public à
la fin du film.
ZADI - Ha! Je vais les tuer!
Ils sort en courant par l’autre porte, suivi de ses deux acolytes ET DE
Mimi. Croquignolle se colle à la lucarne.
CROQUIGNOLLE - C’est ahurissant!
RIBOULDINGUE - Laisse-moi voir! La Mimi-Nick Spout est encore
plus moche qu’en naturel.
FILOCHARD - (Il s’infiltre entre eux.) Regardez! Les bandits
emmènent Mimi dans leur repaire!
CROQUIGNOLLE - Je me demande comment tu as trouvé l’idée que
leur repaire était un camp d’indien?
FILOCHARD - A force d’entendre ma mère me traiter d’Apache!
RIBOULDINGUE - Là, c’est le marchand de réglisse qui part à la
poursuite des ravisseurs. Pas terrible, cette prise. On voit le doigt du
caméraman.
FILOCHARD - Maintenant que j’y pense... Ca aurait fait plus d’effet
s’il avait été habillé en lancier du Bengale!
CROQUIGNOLLE - Attendez! On arrive à la fin! Le marchand a
sauvé Mimi. C’est la scène avec le mariage entre Mimi et le marchand
de réglisse!
RIBOULDINGUE - Vous vous souvenez? Mimi refusait de se vieillir
de quarante ans!
FILOCHARD - On dirait le mariage d’un grand-père avec sa petite
fille!
CROQUIGNOLLE - Ca y est! C’est fini!
Ils se penchent davantage. Un tonnerre d’aplaudissements leur
parvient de la salle, entrecoupé de « Sensas! Formid! Original en
diable! Génial! Inouï! Le plus beau film de l’année! ».
CROQUIGNOLLE - Quelle époque!... Les gens sont fous, ce film est
un vrai navet!
RIBOULDINGUE - Que veux-tu, Pocassi et Bouffi vendent leurs
croûtes à coups de milions!
CROQUIGNOLLE - Oui, mais de toutes façons ce chef d’oeuvre
loufoque est le fruit de notre travail! Nous sommes les poires et nous
toucherons les haricots!
Entrent Banuk, Mimi et quelques photographes.
CROQUIGNOLLE - Monsieur Banuk! Vous pourriez avoir un peu de
reconnaissance et nous donner quelque chose!
ZADI - En effet! Je vais vous offrir la gloire! (Aux journalistes.)
Messieurs, voici trois escrocs qui prétendent avoir réalisé le chef
d’oeuvre que vous venez de voir.
Les flashes crépitent. Les pieds nickelés s’enfuient en courant.
SCENE 6
Scène nue. Les pieds nickelés marchent en traînant le pied.
CROQUIGNOLLE- Eh bien! On est drôlement volés!
FILOCHARD - Après tout, c’est de notre faute! On aurait dû se douter
que le cinéma, c’est un attrape-nigauds!
RIBOULDINGUE - Et les nigauds, c’est nous!
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