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  • Les douze leons du magicien

    Abou Kooki

    leditionde.ngaoundaba.com

  • Abou Kooki

    Les douze leons du magicien

    leditionde.ngaoundaba.com

  • Tous droits rservs, leditionde.ngaoundaba.com, Beyrouth 2009

  • Les 12 leons du magicien

    Partie I : la nature du magicien

    Avertissement pour les adultesMadame, monsieur, ce livre nest pas destin aux enfants. Il a t crit lusage exclusif de tous les adultes qui ont oubli quils avaient t un jour des enfants. Oui, il sagit de vous ! Il est donc conu pour vous, pour que vous lisiez ce livre vos enfants qui pourront alors vous expliquer les subtilits de la vie.

    Avertissement pour les enfantsPetit garon ou petite fille, si tu tiens ce livre entre tes mains, va vite le confier un adulte que tu aimes bien. Il est trs important quil te le lise avec les diffrentes leons afin que tu puisses lui expliquer la vraie vie et laider ainsi rflchir et ouvrir les yeux sur le monde qui lentoure.

    Avertissement pour AnalleMa belle, ne crois pas ce quil y a crit ci-dessus, ce livre test surtout destin. Il test destin toi qui es encore enfant, toi qui es dj adulte et il est aussi destin toi mre et grand-mre, pour tes enfants, les enfants de tes enfants et encore sept fois leurs enfants Joyeux Nol 2007 pour toi et joyeux Nols venir pour tous

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    Leon 1 : le livre est ton amiLhistoire que je vais te raconter est une trange histoire. Bien sr il ne faut pas trop la prendre au srieux car jai d, pour des raisons de confidentialit, changer quelques noms de lieux et de personnes. Mais il faut quand mme considrer que cette histoire est en partie vraie et que le petit garon quelle concerne pourrait bien tre chacun des petits garons du coin de chacune des rues de la ville o tu habites.Peut tre mme (mais chutt ne le rpte pas !) que cette histoire est la mienne et que cest moi ce petit voisin un peu magicien.Quoiquil en soit, si jai choisi de te raconter cette histoire, cest parce que cest avant tout une trs belle histoire damour et de bonheur, une histoire pour combattre la grisaille du soir qui tombe et pour rendre un peu le sourire aux petits enfants qui, comme moi parfois, comme ton petit voisin aussi, se croient beaucoup plus malheureux quils ne le seront jamais.Voici donc lhistoire quelque peu merveilleuse dAlos.Alos tait un garon sage. Nul doute l-dessus. Ctait aussi un joli petit enfant, tout brun, avec des beaux yeux bleus, un peu grands et aussi parfois un peu tristes. Mais sur les causes de sa tristesse, je reviendrai tout lheure.Ctait surtout un petit garon trs ordinaire. La seule chose qui pouvait le distinguer des autres garons de son ge, cest quil ntait pas bien grand, plutt trs petit mme. Il tait si petit pour son ge que sa mre, sen tant inquite, lui avait fait consulter plusieurs grands et trs srieux mdecins. Les mdecins avaient hauss les paules, staient gratt la gorge et avaient tous fini par conclure quil fallait lui donner un peu plus de vitamines, un peu dhuile de foie de morue (beurk !) et surtout le laisser samuser tranquillement.Une fois rassure, sa mre lavait laiss dfinitivement en paix.Comme on le voit ses parents soccupaient trs bien dAlos. Ils le

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    nourrissaient, le soignaient et lhabillaient tout fait correctement et mme plutt trs convenablement. Mais part a, ils ne soccupaient pas du tout de lui. Et ctait l quil y avait un problme.Avant tout, il faut que tu saches quAlos ntait pas trs vieux. Voyons voir. Oui cest a, il avait peu prs ton ge, c'est--dire, au moment ou commence cette histoire un peu plus de douze ans.Sa courte vie, aussi loin quil sen souvenait stait toujours droule de la mme manire un peu triste.Il ne voyait jamais ou presque son pre. Celui-ci devait tre un homme daffaires trs occup, un esprit brillant demand par toute la plante. Il devait trs certainement tre indispensable la bonne marche du monde car il ne sjournait que trs rarement la maison. De temps en temps, pas plus dune fois par mois, Alos le croisait dans les couloirs de la grande maison. Et ctait peine si son pre le voyait. Le plus souvent il baissait les yeux vers lui, prenait lair surpris, puis confus, comme sil ne se rappelait pas de son nom. Ensuite il agitait rapidement la main et il continuait son chemin. Parfois, lors de grandes ftes, comme pour Nol ou pour des enterrements, il se retrouvait dans la mme pice que son pre. Il pouvait alors lobserver rire, plaisanter ou au contraire discourir longtemps avec un air trs grave.Parfois mme, il le surprenait en train de prendre sa femme, la mre dAlos par la taille, et manifester un amour dont le petit garon se sentait exclu et qui lui faisait toujours mal au cur. Mais le plus souvent lors de ces vnements, il tait renvoy bien vite dans sa chambre avec une assiette de gteaux et linjonction de ne surtout pas dranger les grands .Bien sr, il voyait beaucoup plus souvent sa mre. Ctait une grande dame svre qui dirigeait la maison sans grande passion. Elle le rveillait le matin en toquant sa porte. Ctait le seul signe quil recevait delle en dbut de journe. Il navait alors qu shabiller seul, puis descendre djeuner toujours tout seul. Une fois, bien des annes auparavant, sa mre lui avait montr comment se prparer le chocolat chaud et comment beurrer quelques tartines.

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    Depuis il rptait les mmes gestes sans se poser de question. Les jours dcole, lorsque le coucou chantait huit fois, il prenait son cartable au dos et sen allait vers les tudes. Toujours il mangeait la cantine. Le soir il rentrait bien vite, mais le plus souvent la maison tait vide. Il faisait tout de suite ses devoirs puis partait jouer. En gnral il ne voyait sa mre que pour le repas du soir. Elle linterrogeait un peu sur sa journe, sur les notes quil avait eues, puis laissait le silence envahir la salle manger. Ensuite, elle lenvoyait dans sa chambre o il pouvait se coucher quand il le voulait. Il ne la voyait pas plus le samedi ou le dimanche. Ces jours l, en effet, il tait libre de sa journe. De son ct, sa mre sortait et bien souvent il ne trouvait de trace delle que par un mot griffonn sur la table de la cuisine qui lui disait de se servir manger dans le frigidaire. Cela le rendait un peu triste, mme sil nen avait pas du tout conscience. Il ne connaissait ni les joies partages, ni les chamailleries constantes des grandes familles. Les frres et surs quil navait pas ne lui manquaient pas non plus. Cependant, le vide de lamour tait prsent et la place tait libre qui voudrait la remplir. Ctait peut-tre a la raison pour laquelle il restait petit, trop petit. En ne grandissant pas, peut-tre essayait-il de dire tous et surtout ses parents quil tait l, encore petit et quil fallait que lon soccupe de lui. Mais comme nous lavons vu, cette demande ntait pas satisfaite. Sa mre stait dcharge du problme sur les mdecins qui, pas vraiment concerns, navaient, comme de bien entendu, rien compris.Dun autre ct, ctait aussi un enfant trs actif et intelligent. Il obtenait dailleurs de bons rsultats lcole sans faire pour cela beaucoup defforts. Du fait de son caractre parfois un peu farouche, cela ne le rendait pas trop populaire et bien souvent il se retrouvait tout seul. Ainsi il navait pas de copains ni de copines et cela, en apparence, ne semblait pas lui manquer.Comme nous lavons dj dit, au moment o cette histoire se droule, Alos venait davoir douze ans. Ctait donc la fois un

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    petit garon, mais ctait aussi un adulte en devenir. Et cette histoire, finalement, est celle du basculement dune poque de sa vie dans une autre. On y verra ainsi lensemble des choix, conscients ou non, qui lui firent quitter lenfance pour se diriger vers lge adulte. Cest une histoire qui mest arrive et qui tarrivera aussi un jour, alors je crois que le mieux est que tu sois bien attentif.Mais quoiquil en soit, je vais essayer de ne pas trop anticiper.Chaque jour donc, aprs lcole et les devoirs rapidement expdis, il passait son temps tout seul dans la grande maison. Parfois il sy ennuyait. Mais le plus souvent il jouait. A cette poque, la tlvision ntait pas systmatiquement rpandue et les jeux vido ne se trouvaient pas tous les coins de rue, mais dans limmense demeure toute vide il y avait beaucoup de possibilits de jeu et Alos avait suffisamment dimagination pour en explorer une bonne partie. Par exemple, dans les nombreuses chambres pour des invits toujours absents, il jouait lexplorateur. Il se dplaait alors en glissant par terre comme un aventurier dans son kayak. Il visitait ainsi des jungles touffues, des montagnes dcharnes, des icebergs hants par de froces ours blancs. Ou sinon, dans la vieille buanderie dsaffecte, aid par une batterie de petits soldats, il luttait contre de terribles incendies grand renfort de seaux deau. Il laissait alors de grandes tranes humides et joyeuses sur les murs pendant que les hroques soldats parpills aux quatre coins de la pice rendaient lme avec les honneurs. Mais son terrain de jeu prfr tait sans conteste la vaste cave. Ctait une trs grande cave aux lourdes votes de pierres grises moiti taille dans la roche et qui stendait sous toute la maison. Elle tait vide et trs sombre et Alos ntait pas compltement sr davoir bien le droit de sy rendre. Cependant comme on ne le lui avait jamais explicitement dfendu, il considrait que par dfaut il possdait lautorisation dy jouer. Malgr cette autorisation virtuelle, il prenait soin de ne pas sy trouver lorsque ses parents taient la maison. Moyennant ces quelques prcautions, la question navait jamais t pose et ne le serait probablement jamais.

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    La cave ressemblait aux sombres donjons dun chteau qui pouvait, loccasion de tel ou tel jeu, devenir un endroit dpouvante, hant par des vampires et o les plus terribles tortures taient excutes. Ce pouvait aussi tre la demeure dune belle et alanguie jeune fille attendant, moiti rvant moiti dormant, la venue de son prince charmant Quel que soit le jeu, le chevalier Alos devait manifester bravoure et courage, mais aussi intelligence et ruse pour vaincre cratures et malfices. La cave tait donc un lieu o lenfant exprimait ses qualits et o il tait heureux.Mais la cave il y avait surtout, dans une des parties les plus loignes et les plus sombres, un trange puits qui avait d dans des temps reculs servir abreuver toute la maisonne. Alos imaginait volontiers que dans des temps encore plus anciens, ce puits devait tre un objet dadoration accompagn par tout le folklore de joyeuses pratiques chamaniques ou druidiques. Quoi quil en soit, ctait un magnifique ouvrage, taill directement dans la pierre et qui descendait tout droit vers une eau quAlos devinait clapotante. Ce puits navait pas de margelle et il souvrait ds le sol. Cependant il tait protg par une paisse grille en fer forg qui semblait, elle aussi, trs ancienne. Piquete de rouille mais dapparence toujours trs solide, elle tait pose sans aucun systme de fermeture mme le sol, un peu comme une plaque dgout. Cependant, paisse et massive, elle tait bien trop lourde pour quAlos puisse la dplacer.Aprs la conqute du donjon, lradication des monstres et la dlivrance des belles princesses, lenfant passait alors des heures, couch sur la grille, mener des discussions avec leau ensommeille. Celle-ci lui parlait des tendues de pierre quelle avait traverses, de grottes ignores dans lesquelles dormaient des mers immenses et o nageaient des poissons aveugles. Elle lui racontait aussi son envie de voir le ciel libre et de servir de miroir aux toiles.Dans ces moments, Alos avait limpression que leau tait une amie sre. Peut tre plus que cela mme. Une sur ? Une mre ? Alors il en faisait sa confidente. Il lui racontait ses petits soucis

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    dcole. Il lui rcitait les leons quil venait de rviser. Il lui parlait mme de ses parents, ces deux trangers avec lesquels il vivait.Puis, parfois saisi dune trange euphorie, il lui racontait le monde du dehors. Il lui disait avec ses mots le soleil, parfois cruel, parfois joueur mais toujours gnreux. Il lui donnait aussi des nouvelles de sa cousine, leau du ciel qui parfois tombe en averse, parfois en tempte et mme, au plus fort de lhiver, en flocons si froids.Et cest sur cette grille, moiti engourdi, un bras pendant travers les barreaux et les yeux mi-clos, cest sur cette grille quAlos passa les meilleurs moments de sa trop courte enfance parler un puits qui lui rpondait en clapotant.Un mardi matin, Alos se rveilla les ides claires et la tte en fte.Cest ce jour l que notre histoire commence vraiment. Tout ce que jai racont jusqu prsent, ce ntait que pour placer le dcor et pour que tu comprennes bien lhistoire qui va suivre. Jai pris mon temps pour cela car il fallait que tu comprenne quextrieurement Alos tait un petit garon ordinaire et que, comme tous les petits enfants normaux, il tait aussi absolument merveilleux, unique et finalement extra (ordinaire).Ce matin l, et pour commencer notre histoire sur une note gaie, le soleil brillait. Il brillait rsolument dans un ciel dautomne lav de tous ses nuages et il chauffait agrablement la grande ville dans laquelle habitait Alos.Celui-ci se leva avec une chanson amusante en tte. Il la sifflota en se lavant et il descendit en dansant vers le petit djeuner. Pour une fois il ne se formalisa pas dtre seul prparer et avaler son chocolat. Il noublia pas non plus de prendre ses vitamines car, aprs tout, ctait un enfant plutt srieux.Lorsque le coucou mcanique jaillt de sa bote suisse, il lui tira tout de mme la langue avant de prendre le chemin de lcole.Devant la grande maison grise, un caniveau dgorgeant deau jouait avec la lumire du soleil. Ce ntait pas leau sale et trouble que lon a lhabitude de voir dans les caniveaux. Non, ctait la belle eau dun ruisseau joyeux et chantant qui senflait et courrait en dansant entre les pavs.

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    Dessus, des feuilles rouges dautomne se laissaient entraner.Mais, en y regardant de plus prs, ce ntaient pas vraiment des feuilles, ctaient des bateaux, de hardis esquifs qui se faisaient la course. Ctait une rgate pleine dallant et de joie dvalant une rivire imptueuse.Alos se mit les suivre en courant. La rue, celle qui conduisait son cole tait plate et droite. Pourtant leau dans le caniveau semblait acclrer, comme si une forte pente la poussait en avant.Les feuilles, pardon les bateaux, prirent de la vitesse. Alos les suivit en augmentant sa foule. Le cartable lui battant le dos, il courait maintenant de toutes ses forces.A un croisement, le caniveau bifurquait sur la droite. Les bateaux dautomne sy engagrent, ports par les flots de plus en plus imptueux.Alos sempressa de suivre la course, ne sapercevant pas quil venait de quitter le chemin de lcole.Et cest ici, vraiment ici, que lhistoire commence. Car, en abandonnant le chemin de lcole, Alos venait de changer toute sa vie. Tu me diras quil ne le savait pas encore et peut-tre mme quil ne pouvait pas le savoir.Cest vrai, mais mon point de vue sur cette question est que cela na aucune importance. Jusqu prsent Alos tait un charmant petit garon semblable tous les petits enfants. Dsormais il ntait plus comme les autres, car il venait de tourner droite et il venait de sortir dun chemin trs droit, celui de lcole et surtout celui de la vie normale en socit. Il avait quitt une avenue toute trace pour partir ailleurs vers linconnu.Ceci dit, de tout cela il ne se souciait pour linstant gure. Il courait, en effet, de toutes ses forces aprs les fiers voiliers, le long dune trange petite rivire dont les eaux bien trop bleues lanaient de jolies flammches toutes aussi bleues.Ctait en effet trange, se disait-il en essayant de rattraper les bateaux. La rivire semblait chanter pour lui. Elle lencourageait aller plus vite. Et effectivement il y arrivait. Il avait limpression de

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    voler tellement il allait vite.Ctait une rivire nulle autre pareille. Ses eaux taient claires, tellement claires quil apercevait au passage les truites lafft, les clairs des ablettes et les pinces des crevisses. En surface, les reflets bleus du ciel saccompagnaient de petites flammes froides qui dansaient au passage des rapides voiliers.Comme un clair, il suivit la rivire sur des kilomtres, des centaines de kilomtres. De temps en temps, elle stirait plus langoureuse, tournant droite, puis gauche, selon des courbes paresseuses. Ailleurs, elle repartait, fire, rapide, presque furieuse.Enfin, elle se jeta dans un grand fleuve, se perdant dans la masse du gant. Les petits bateaux sgayrent instantanment dans tous les sens, disparaissant la vue dAlos.Mais dj, il les avait oublis. Leau devant lui tait imposante, forte, norme. Ctait un gant qui sen allait vers locan et locan ntait pas loin. Dans le ciel des mouettes tournaient, lannonant grands cris tous ceux qui voulaient bien lentendre.Aussitt, lenvie de voir la mer, de se baigner et de parcourir les flots imptueux le prit. Il hsitait encore quand, sur un quai proche un immense paquebot commena larguer ses amarres. Dune haute chemine un grand sifflet lana trois appels sonores :- Tou-out, Tou-out, Tooouuuuu-oouutFascin, le petit garon regarda limmense bateau se dtacher du quai et se diriger majestueusement vers le milieu du fleuve. Arriv l, il commena prendre de la vitesse.- Tou-out, fit-il une dernire fois, je pars maintenant vers les Amriques, New York, Panama, Rio de Janeiro,..Alos sarrta un instant bouche be. Dj le bateau tait loin et acclrait encore.- jirai ensuite Buenos-Aires puis Valparaiso. Ensuite la traverse du Pacifique, la ChineMais avec la distance, sa voix grave de gros bateau devenait inaudible et ses derniers mots navaient maintenant plus de sens.Alos se remit courir, dans lespoir de rattraper le majestueux navire et afin de pouvoir couter la suite ou, qui sait, peut-tre de

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    monter bord ?Il acclra. Il venait peine de commencer regagner son retard quand soudain la silhouette du paquebot se transforma en une vieille planche qui descendait en tourbillonnant sous terre, avale par la ville.Stupfait, Alos sarrta en haletant.Devant ses yeux, le grand fleuve venait de se transformer en un canal o leau coulait joyeusement, en riant sous le soleil. Ctait un canal trs ordinaire qui traversait la ville pour rcolter leau des caniveaux et lentraner vers les gouts. Toute cette eau se jetait ensuite vingt mtres de l, sous la chausse dune place publique.Quelques feuilles mortes passrent devant ses yeux, lui rappelant les fiers voiliers du caniveau. Il secoua la tte, dcontenanc. Il avait la trs nette impression que leau du canal se moquait gentiment, presque affectueusement, de lui.Renonant comprendre, il regarda autour de lui. La ville lentourait, anime, active et maintenant presque oppressante. Il ntait encore jamais venu dans ce quartier et il ne savait plus o il tait. Il tait donc perdu.Bien sr ce moment l, il aurait peut-tre pu faire demi-tour et essayer de remonter son chemin en suivant le canal puis le caniveau jusqu la rue de lcole. Il aurait pu aussi demander son chemin un passant ou chercher un commissariat de police qui laurait aid. Peut-tre que sil avait t un autre petit enfant comme toi ou moi, cest ce quil aurait fait. Peut-tre Mais il faut quand mme considrer quil est bien souvent difficile, pour ne pas dire impossible, de revenir en arrire lorsque lon a quitt, ce que les gens normaux appellent, le droit chemin. Mais comprends bien, que sil en avait t ainsi, je naurais pas eu la possibilit de te raconter cette histoire. Cest pourquoi nous devons considrer quAlos a eu bien raison de ne pas se montrer raisonnable ce moment, et ceci aussi bien pour notre histoire que, comme tu vas le voir, pour lui-mme. Il faut enfin considrer que le petit garon tait peut-tre un peu

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    perturb par tout ce soleil qui chantait, par cette eau qui le narguait et surtout par sa situation qui semblait si confuse. Il tait beaucoup trop chamboul pour pouvoir agir raisonnablementIl fit donc quelques pas en avant et se retrouva sur une charmante place quil ne connaissait pas. Sous ses pieds il sentait encore leau qui tourbillonnait et qui lappelait en riant. Autour de lui il y avait des immeubles un peu gris de quatre cinq tages avec des magasins en rez-de-chausse. Ici, se trouvait une boulangerie ctoyant une boucherie, elle-mme appuye une ptisserie. Au milieu de la place, sur une zone rachitique verte et gris, rserve des pitons dsesprs ou inconscients, on voyait un kiosque journaux dfrachi accol un banc public. Le banc tait destin aux seuls SDF les nuits dt ou alors aux amoureux, ceux qui ne songent rien dautre que de sadmirer les yeux dans les yeux. Mais au milieu de tout cela, devant Alos, juste de lautre ct de la place, il y avait un bouquiniste. Une vieille boutique un peu de guingois dont la devanture laissait apparatre plus de toiles daraignes que de livres. Mais Alos ne voyait ni la poussire ni la salet. Pour lui, sans quil sen tonne, ctait le plus beau de tous les magasins quil navait jamais vus. Aussitt il traversa la place, ne faisant plus attention rien. Plusieurs voitures freinrent au dernier moment en klaxonnant furieusement, sans que lenfant ne sen aperoive. Arriv de lautre ct, il sengouffra dans le magasin. Son entre y fut salue par le grelot aigre dune petite clochette.En face de lui, dans la pnombre se tenait un vieil homme au visage austre et lexpression inquisitrice.- Vous voulez quelque chose ?- Non, non, je viens juste regarder, euh Un livre.- Ca tombe bien, cest ce que nous vendons mon garon, fit pince-sans-rire le vieux monsieur. En plus ici, ajouta-t-il en le regardant curieusement par en dessous, ici tu trouveras exactement ce que tu cherches.La boutique semblait immense. A partir du comptoir qui trnait lentre du magasin plusieurs des alles, encombres dtagres et

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    envahies de livres, partaient en tous sens. La lumire, tout juste suffisante, donnait lensemble une teinte lgrement blafarde et quelque peu oppressante.Un peu hsitant, Alos sengagea au hasard dans un des rayons. Il jetait de temps en temps un coup dil aux titres. Tous lui paraissaient au mieux bien difficiles lire. Ainsi, juste avant de tourner droite dans une nouvelle alle, il effleura du regard un norme tome dont le titre portait : analyse gotechnique de la composition morphocristalline des sols du plateau de Vassieu dans le Nord-Isre . Plus loin, alors quil rebroussait chemin dans une impasse barre par un boulement dencyclopdies, il surprit lalignement parfait dune tude anthropologique avec croisement dmographique de la population des pcheurs Druze dAl Mina entre 1893 et 1902 en 23 volumes avec une prface spciale du Cheir Ibrahim Pacha. Enfin une nouvelle alle lui parut plus prometteuse avec ce qui ressemblait des collections de bandes dessines. Au hasard il essaya de tirer un album dune pile particulirement colore. Cela provoqua aussitt un glissement de plusieurs autres piles de livres. Catastrophe ! Il voyait dj tout le magasin lui dgringoler dessus. Il ne put sempcher de rire. Toutefois, il se prcipita en cartant les bras afin de contenir et de repousser grands efforts lensemble des livres vers le mur. Au moment o, hilare et hors dhaleine, il croyait stre tir daffaire, un petit volume, tout en haut dune pile schappa et vint scraser terre grand bruit. Alos sempressa alors de plonger pour le ramasser pendant quune pluie de livres sabattait sur lui. Heureusement, le magasin ne suivit pas et la cascade de livre se tarit delle mme. Toujours rigolant, il sassit par terre au milieu de tous les bouquins renverss. Par curiosit il jeta un coup dil au livre quil venait de ramasser. Celui-ci avait pour titre les animaux fantastiques . Il louvrit au hasard, ctait une grande illustration, en double page. Il carquilla alors les yeux, compltement fascin.Limage reprsentait une magnifique licorne au milieu dune fort dense et luxuriante. La licorne tait reprsente avec tellement de finesse que lon aurait dit quelle venait dtre photographie. Alos

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    savait naturellement que les licornes nexistent pas. Cependant, cette image semblait tellement relle, que l, dans cette obscure boutique, il en venait douter de ses certitudes.Un autre dtail tait troublant. La licorne tait en effet toute verte. Or, jusqu prsent, dans tous les contes quil avait lus, dans tous les films quil avait vus, les licornes, symbole de puret, apparaissaient uniformment blanches. Pourtant la couleur verte de la robe de lanimal, ce beau vert pomme un peu acide, renforait limpression de ralisme.- Quest-ce que tu regardes ?Il sursauta. Le vieux bouquiniste tait arriv juste derrire lui, sans quil lait seulement entendu se dplacer.- Ah oui, les animaux fantastiques . Mais ce bouquin nest pas du tout sa place dans ce rayon ! Donne le moi, fit-il en lui prenant dautorit le livre des mains, je vais le ranger. Son regard sattarda quelques instants sur la page ouverte, puis lui jetant un regard par-dessous, il dit Alos :- Tu devrais aller par l, aprs la deuxime range gauche. Tu y trouveras des trucs de ton ge. Sans attendre il fit demi-tour en tranant les pieds et en grommelant mi-voix.- Son animal totem, une licorne verte, cest vraiment incroyable !Un peu interloqu, Alos se dirigea dans la direction qui lui avait t indique. Quand il tourna dans la nouvelle alle, il constata que ce devait probablement tre lune des plus sombres et des moins bien claires du magasin. Mais dans la pnombre et au milieu des masses indistinctes de livres, il y en avait un qui luisait doucement dun bel clat bleut.Rapidement, sans trop savoir quil faisait, Alos posa son cartable terre et slana vers le livre.Je dois ce moment de lhistoire faire une petite pause. Il me faut en effet souligner un vnement qui pourrait passer inaperu, mais qui en ralit est trs important dans ce rcit. Comme tu viens de le voir, Alos a dpos ce cartable qui le gne considrablement depuis quil avait tourn droite sur le chemin de lcole. Avec son

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    cartable, il vient aussi et surtout dabandonner ses livres dcoles, ses cahiers dexercices et toutes ses leons. Ce faisant, sans vraiment en avoir conscience, il vient de laisser derrire lui toute son existence dcole et sa vie dcolier. Il vient donc de faire un pas de plus dans sa nouvelle vie. En abandonnant ce qui constituait le centre de son existence de petit garon, pour courir vers un autre objet, un livre brillant et bleu, il vient tout simplement et sans le savoir de changer de futur, de changer dfinitivement de destine et donc de basculer dans une autre existence.Mais revenons en plutt notre histoire.A genoux sur le sol poussireux, Alos avait pris le livre deux mains.Couvert de cuir bleu, brillant de manire irrelle, le livre tait doux au toucher, soyeux et agrablement chaud. On aurait presque dit un gentil petit animal familier que lon aurait aim cliner.Avant de louvrir, Alos le serra brivement dans ses bras pour en prouver la texture. Cela lui rappela quil avait toujours voulu avoir un petit chat pour lui tenir compagnie. Mais ses parents semblaient dtester les animaux qui daprs eux craient trop de problmes.- Ils sont sales, disait sa mre, et puis qui va sen occuper quand nous serons en vacances ? Cest une responsabilit et tu nes pas assez responsable pour ton ge. Ils peuvent tre dangereux et mchants. Comment on va faire sils sont malades ? Etc.Il secoua la tte pour chasser ses souvenirs et ides noires et examina de plus prs ltrange livre. Sur le cuir de la couverture tait grav un curieux titre, tout en lettres dor et en caractres gothiques si difficiles lire : Les douze leons du magicien . Ce titre tait ensuite repris sur la premire page avec un sous titre tout aussi tonnant : Manuel pratique lattention des magiciens dbutants .Trs intress, il sassit sans faon, les jambes croises afin dtre laise et pour mieux profiter de la lecture. La troisime page portait elle aussi un titre : Premire partie : la nature du magicien . La page suivante s'intitulait premire

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    leon et elle comportait un paragraphe qui devait expliciter la leon : La premire leon est que ce livre est ton ami. Mdite soigneusement ce conseil, tu verras que .Alos ferma les yeux et secoua la tte. Ce livre est mon ami ? Cela ne voulait rien dire. Et que mditer l-dessus ? De toutes manires, il navait jamais eu damis. Il ne savait pas ce que ctait vraiment. Il rouvrit les yeux et voulu continuer lire. Mais le paragraphe avait chang. Il cligna des yeux, incrdule. Le texte tait vraiment trs diffrent. Les nouvelles lignes indiquaient : La premire chose que doit comprendre lapprenti magicien est que la connaissance est la base de toute action. Le magicien doit apprendre, comprendre et mmoriser le plus de connaissances possibles. Pour cela la lecture est un trs bon moyen... Ce nest assurment pas le seul moyen, car les connaissances doivent tre mises en pratique, exprimentes et comprises. Cependant le livre est un pralable et une condition ncessaire .- Ah, je vois que tu as trouv exactement le livre quil te fallait, mon garon, fit dans son dos la voix du vieux bouquiniste, le faisant encore une fois sursauter. Tu as lu la premire leon, j'imagine ? Oui, bien sr que tu l'as lue. Est-ce que tu as tout bien compris ? Cette leon t'indique que c'est la connaissance qui est la base de tous les pouvoirs du magicien. Une trs grande partie de cette connaissance se trouve ici, en germe dans tous ces livres autour de nous. C'est pour cela qu'ils sont tes amis les plus prcieux. Nest-ce pas ? Il faut cependant faire attention. Ils peuvent aussi mentir, t'induire en erreur ou t'entraner au-del de ce que tu peux comprendre. Tu comprends ? Et puis, la connaissance n'est pas que dans les livres. Elle est aussi au-del. Il faut pratiquer la magie pour tre magicien. Les livres sont ncessaires, mais loin d'tre suffisants. Tu es daccord ?Alos le regarda bouche be, sans ragir. La situation le dpassait totalement. Le vieil homme sembla le comprendre, car il changea de sujet, se refaisant bourru.- Trs bien, trs bien, maintenant il faut sortir. Je ferme la boutique

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    pour la pause de midi. Allez, vas-y. Plus vite. Emporte ton livre, rajouta-t-il devant lair incertain dAlos.- Mais, je nai pas de quoi payer, a doit valoir trs cher- Allons, allons. Pas de a entre nous. Tu me devras un service, plus tard. Dans une autre vieLe vieux bouquiniste le poussait tout doucement vers lextrieur.- Merci monsieur. Merci, bredouilla lenfant en serrant de toutes les forces le livre sous son bras.Il navait pas du tout lhabitude de se voir offrir quoi que ce soit et des larmes lui venaient aux yeux. Le vieux bouquiniste parut gn par lmotion du garon. Il ajouta :- Pas de quoi, mon garon. Ah et puis pendant que jy pense, si jamais un jour on te demande quel est ton animal ftiche ou plutt ton totem, comme disent les jeunes aujourdhui, tu rpondras que cest la licorne verte. Et si on ne te croit pas, tas qu dire que cest le vieux Tyr qui te la dit. Je lai vu dans un livre. H, h ! Rappelle toi. Cest la premire leon, nest-ce pas ?Sur ces paroles nigmatiques, le vieux Tyr poussa au dehors lenfant berlu et lui claqua la porte au nez.

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    Leon 2 : nous sommes tous des magiciensEn sortant de la boutique, Alos sentit soudain la tte lui tourner. La place lui semblait trange, lgrement change, comme sil avait t transport en un autre lieu subtilement diffrent. Pourtant les btiments taient les mmes. La boucherie tait bien sa place entre la boulangerie et la ptisserie et le kiosque journaux dominait toujours le banc pour les amoureux. Il fit quelques pas sur le trottoir et secoua la tte. Il devaitIl ne savait plus ce quil devait faire. Le livre sous son bras lui paraissait agrablement chaud, rassurant, un peu comme un gentil petit animal de compagnie.- Miaou !Il sursauta, car le miaulement venait de tout prs. Rapidement, il regarda autour de lui. Rien.De nouveau, le miaulement sleva, insistant cette fois. Il saperut alors que la petite tte dun chat le regardait de sous son bras.De saisissement il carta les bras. Mais le chat, sans aucun effort, se rattrapa son blouson et lui grimpa en un clin dil sur lpaule.Ctait un tout petit chat, un chat nain, vraiment trs mignon. Gris, tout gris, il ne mesurait pas plus de vingt centimtres de long et possdait de grands yeux extraordinaires, des yeux tout bleus.Alors quAlos nosait plus faire un geste, le petit chat stira tranquillement sur son paule, puis lui fit un tout petit baiser mouill sur la joue, un gentil baiser du bout dune petite langue un peu rpeuse qui alla jusqu lui chatouiller plaisamment loreille. - Mais, mais ne put que bgayer Alos.- Allez, prends-moi dans tes bras et fais-moi un clin- Mais, tu parles !- Chut, allons ailleurs pour discuter, fit le petit chat en se glissant dans ses bras.Machinalement Alos se mit le caresser, du bout du doigt, juste entre les deux oreilles.Il ne savait plus trop o il en tait. Ce qui tait sr, cest quil se

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    sentait heureux avec ce merveilleux petit chat dans ses bras. Le tout petit chat, de son ct, ne semblait pas trop mal non plus. Fermant moiti les yeux, il stait mis ronronner.Plants sur le trottoir, aucun des deux ne faisait plus attention leur entourage. La foule tait pourtant dense. Des passants presss les contournaient en grommelant. A un moment une petite fille qui tenait la main de sa maman tendit le bras en scriant :- Regarde maman ! Regarde le mignon petit chat !La mre toisa Alos, eut un reniflement de mpris et imprima une saccade au bras de sa fille pour la faire avancer plus vite.Le couinement de la petite ramena Alos la ralit. Il se trouvait toujours sur une place inconnue de la grande ville. Au vu de laffluence, il devait tre midi. Il fallait quil trouve un coin tranquille pour attendre la fin de la journe et rentrer chez lui en faisant comme si rien ne stait pass. Aprs tout lcole personne navait d sapercevoir de son absence. Quant au petit chat, tel quil connaissait ses parents, ils nallaient jamais se rendre compte de sa prsence.Une fois ceci dcid, ils commencrent errer dans le quartier. Alos narrivait plus du tout retrouver le canal et par ailleurs,il nosait pas non plus demander son chemin de peur quon lui demande pourquoi il ntait pas lcole.Dans ses bras, le chat se faisait tout petit, heureux semblait-il davoir trouver un nid douillet.Finalement, un peu fatigu de toute cette activit, il sarrta dans un petit parc sur un banc dont la peinture verte scaillait gnreusement. Ils y taient labri du feuillage dense dun trs jeune arbre pouvant tout observer sans tre vus. - Ouf, fit-il en spongeant le front.Sans sen apercevoir, il avait beaucoup transpir.- Je suis trop lourd, hasarda le petit chat.- Non, non. Tu es tout fait lger. Cest simplement que je commence tre inquiet. Je suis vraiment perdu.- Ne ten fais pas, tant que je suis avec toi, tu ne seras jamais perdu.

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    Un instant de silence sinstalla, chacun tant plong dans ses penses. Alos avait compltement oubli le livre, sa disparition et lapparition sous son bras du chat. Il avait, semble-t-il, dcid dignorer toutes ces bizarreries.- Au fait, cest quoi ton nom, reprit le petit chat ? Moi, cest Byblos, un nom trs ancien et trs clbre.Aprs avoir dclin son nom et racont un peu sa courte vie, Alos dclara :- Je taime beaucoup. Vraiment je tadore. En plus t'es super mignon. Tu sais que j'ai toujours voulu d'un petit chat ? Et tu as des yeux extraordinaires. Je n'en ai jamais vu des comme a.Les yeux du chat taient en effet deux flaques deau magique, un peu comme les reflets du caniveau quand plus tt dans la journe, Alos avait cru y voir une rivire. A la surface de ses yeux de petites flammes bleues semblaient natre et jouer avec les prunelles largement ouvertes.Byblos, conscient de lattention dAlos, mit un ronronnement de plaisir avant de dclarer :- Tu nes pas vilain non plus et maintenant que lon est copain, on ne va pas se quitter comme a.- Daccord, je suis daccord. Mais quest-ce quon fait maintenant ?- Moi jai faim et toi ?- Oui, aussi. Jai un peu dargent pour acheter un croissant ou un pain au chocolat. Mais il va quand mme falloir que lon rentre la maison.- Ne tinquite pas. On va la trouver notre maison.Juste avant dentrer dans le petit parc, ils taient passs devant une boulangerie. Rapidement, ils y retournrent pour y acheter un pain au raisin auquel la boulangre, attendrie par les grands yeux du petit chat, joignit un minuscule pain au chocolat. Ils dvorrent leur repas sur le mme banc lombre de larbre. Jamais Alos navait eu limpression de faire un aussi bon djeuner. De l o il se trouvaient, ils pouvaient aussi observer les visiteurs du parc. Ctait surtout des mres de famille ou des mnagres qui venaient promener des enfants en bas ge. A une ou deux reprises ils virent

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    aussi passer des couples damoureux qui, la main dans la main, semblaient voler dans les nuages.Soudain Alos carquilla les yeux. A trente mtres devant lui, un homme traversait le parc dun pas press. Il avait la plus incroyable chevelure jaune quAlos avait jamais vue. Celle-ci flamboyait littralement en projetant des filaments dans tous les sens. Ctait comme si lhomme se promenait avec un feu dartifice sur le crne. Pourtant, ni les mnagres encombres denfants, ni les couples damoureux, personne ne faisait attention lui. Seul Byblos lorsquil le vit se hrissa et se mit cracher.- Quest-ce que tu as ?- Chhh, se contenta dmettre le chat, le poil hriss.- Tu as vu ? Je ne sais pas comment il fait, mais cest drlement joli.- Chhh, cracha de nouveau le petit chat en se rfugiant sous le bras du garon, pendant que celui-ci se levait comme attir par lhomme la chevelure de flammes. Mme sil ne disait rien, Byblos ne semblait pas du tout rassur par lhomme et absolument pas dcid entrer en contact avec lui. Cependant Alos tait trop timide pour aborder un inconnu dans la rue. Il se contenta de le suivre distance en se demandant comment il allait lui parler. Devant lui, lhomme allait trs vite, dun pas dcid, bousculant parfois les passants, sans mme sexcuser devant leurs protestations :- Mais pour qui il se prend celui-l ?- En voil un malappris !Alos avait beaucoup de mal le suivre. Lui, ne voulait bousculer personne et il devait slalomer entre les gens, le chat bien serr dans ses bras. Petit petit il prenait du retard et un moment, il finit par perdre la trace de linconnu. Il avait beau se tourner dans tous les sens il ne voyait aucune chevelure flamboyante lhorizon.- Zut, o est-ce quil a bien pu aller, demanda-t-il mi-voix ?- Cest mieux comme a, ce gars avait lair louche.- Nimporte quoi, on la mme pas vu de prs.Ils taient maintenant dans une petite rue tranquille borde par des

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    pavillons cossus entours de petits jardins. Ctait encore une partie de la ville quAlos ne connaissait pas. Un peu dcourag, il sassit sur un muret bas qui entourait le petit parc attenant une grande maison de briques.Soudain, il sentit les poils du chaton se hrisser. Le regard de Byblos tait fix sur une maison un peu en contrebas. Ctait une maison tout fait ordinaire, aux murs crme et au toit de tuiles rouges. Elle tait peut-tre un peu prtentieuse avec des colonnades censes imiter les temples grecs. Mais ce qui la distinguait nettement des autres demeures de la rue, ctaient les longs filaments jaunes qui semblaient sortir des fentres pour aller se disperser dans lair. Ces filaments avaient la mme couleur et la mme texture que la chevelure de leur inconnu.Alos se leva dun bond, pendant que Byblos sautait de ses bras sur le muret.- Je sais ce que tu penses, miaula le chaton. Ny pense mme plus.- Je ne comprends pas, je vais juste aller voir.- Non ! Tu ne vas pas aller l bas.- Pourquoi donc ?- Je ne sais pas, mais cette maison me parait mauvaise hostile.- Je ne comprends pas, elle a lair trange, bizarre et aussi je dois dire un peu attirante- Allons nous-en, il ny a rien de bon ici.- Ecoute, je vais juste jeter un coup dil par la fentre. Tant quon ne rentre pas dedans il ne peut rien se passer, nest-ce pas ?Le chat le regarda dun air indcis. Son instinct lui soufflait que cette maison tait dangereuse, mais il ne savait pas vraiment pourquoi et il ne trouvait rien dire devant la dtermination de lenfant. Il se contenta de pousser un gmissement.Alos avait dj travers la route en courant et stait rapproch de la barrire du jardin. Byblos regarda droite puis gauche. La rue tait dserte. Il sauta sur le trottoir et se dpcha de suivre son ami. Alos avait pris de lavance, mais le petit chat rattrapa le garon dans le jardin alors quil se rapprochait dune des fentres.Le pavillon avait probablement t construit au dbut du XXme

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    sicle. Les fentres taient hautes et grandes, bordes de pierres blanches avec une barre en bois comme accoudoir. Elles slevaient peu prs un mtre au-dessus dun parterre rempli de roses soigneusement tailles. Elles taient protges par des volets claire-voie peints en vert, qui devaient tre ferms la nuit, mais qui, pour linstant, taient rabattus contre le mur. Les vitres aussi taient ouvertes. Il devait tre trs facile de jeter un simple regard lintrieur.Alos avait choisi lune des fentres les plus abrites de la rue, afin de ne pas attirer lattention sur lui. Cette fentre, comme les autres dgorgeait de nombreux filaments jaunes qui, de prs, ressemblaient de la mlasse ou plutt des coulures dun sirop trop pais. De loin, il avait cru que ces filaments se dissolvaient dans lair. En fait, ils formaient des boucles qui revenaient dans la fentre, un peu comme le maillage trs lche dun gros pull-over. Fascin, il se rapprocha de la fentre et des filaments. Byblos ses pieds couina un avertissement, mais Alos nen tint aucun compte. Il avana une main pour caresser lun des torons du maillage. Celui-ci semblait vivant. Il commena par se rtracter devant sa main, puis par se laisser caresser. On aurait dit quil avait reconnu une main amie. Mis en confiance, Alos attrapa le filament pleine main. La sensation tait agrable, chaude et douce tout la fois. Lorsque le garon poussa dessus, le filament se laissa enfoncer, tout doucement, en opposant une faible rsistance.Cette matire jaune, un peu irrelle, qu'il pouvait pourtant palper sa guise, le fascinait. Il avait l'impression d'tre dans un univers virtuel o tout lui tait possible.Sans hsiter, il attrapa le plus haut brin qu'il put empoigner et se hissa dans la masse de fils.Au-dessous Byblos poussa un gmissement :- Non ! N'y vas pas !Mais c'tait trop tard. Dj, il tait en l'air, grimpant au maillage comme un filet. Une fois face la fentre, il carta, tira et poussa les fibres. Celles-ci se laissaient faire avec lenteur. Au bout d'un moment, il s'tait mnag un petit passage dans lequel il se glissa.

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    Dehors, au pied de la fentre Byblos gmissait.- Attention, tu vas te faire attraper... C'est trop dangereux !Mais, accapar par ce quil dcouvrait, Alos ne lui prtait plus attention. Vus de lintrieur, les filaments jaunes taient encore plus fascinants que du jardin. Ils se regroupaient en une sorte de gros nud qui semblait les maintenir en place.Alos ne put sen empcher. Il tendit la main et tira sur lun des fils, celui qui semblait relier tous les autres. Effectivement, peut-tre par chance, il avait tir au bon endroit. Aussitt lensemble du maillage commena se dfaire, un peu comme un tricot que lon dsassemble. Au fur et mesure quil les dvidait, les fils disparaissaient.Ctait stupfiant !Deux minutes plus tard, il ne restait plus rien. Le dernier bout de fil venait de svanouir en lair.Dsormais la fentre ressemblait toutes les fentres si ce nest qu son pied il y avait un chaton qui se lamentait :- Non ce nest pas vrai. Il la fait !- Allons viens, fit le garon en se penchant par la fentre.- Non, certainement pas. Cest toi qui vas revenir. Tu as vu ce que tu as fait ?- Allez, cest rien, on va juste jeter un coup dil.Mais le petit chat ne semblait pas du tout dcid entrer dans la maison. Son attitude oscillait entre laversion de ce lieu et la plus grande contrarit de ne pas pouvoir tre entendu par Alos. De son ct, Alos se sentait compltement fascin par ltrange demeure. Il ne ressentait aucune inquitude et simpatientait de lattitude de Byblos.Un bruit provenant d'une autre pice le fit sursauter. Quelqu'un venait. Il se prcipita vers la fentre et souffla, trs excit :- Cache-toi, j'arrive.Puis, pendant que le petit chat disparaissait sous les rosiers, il se glissa du mieux qu'il put derrire un pais rideau, celui-l mme qui encadrait la fentre.Quelques instants plus tard il entendit une porte s'ouvrir. Il glissa

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    avec prcaution un il pour observer ce qui se passait dans la pice. Une jeune femme tait en train d'entrer, le front pliss, comme contrarie. Derrire elle venait l'homme qu'il avait suivi dans la rue. Alos en eut le souffle coup. Ctait celui la chevelure de flamme, sauf que ses cheveux taient maintenant tout fait normaux.- C'est bizarre, il y a quelque chose qui ne va pas dans cette pice, fit la femme, l'air concentr. - Non, je ne vois rien, rpondit l'homme aprs avoir jet un rapide regard autour de lui.Soudain, les yeux de la femme flamboyrent. Alos retint un petit cri. Ses yeux taient devenus des puits brillants qui semblaient lancer des flammes jaunes. Cela ne dura qu'un court instant puis, le regard redevenu normal, elle s'exclama :- Le sort sur la fentre a disparu !- Tu crois que quelqu'un est entr ?- Ne dis pas de btises. Il faudrait une magie trs puissante pour annuler nos protections et on se serait aussitt aperus d'une telle attaque. Je crois plutt que ce sort a d se dfaire naturellement. Tu sais bien comme parfois la magie devient instable.- Oui, tu as raison. Je remets ce sort en place et toi, pendant ce temps, tu vas vrifier tous les autres. Si celui-ci a disparu, peut-tre que les autres protections se sont affaiblies.La femme fit un signe de tte pour marquer son accord, puis elle quitta la pice pendant que l'homme se mettait faire des gestes tranges. Il s'aurola d'un vif feu jaune avant de se mettre produire au bout de ses mains des filaments tout fait semblables ceux qu'Alos avait fait disparatre. De ses mains il dirigeait les filaments vers la fentre et, assez vite, Alos saisit ce qu'il tait en train de faire. Il tait en train de tisser sur louverture une nouvelle protection. Au bout d'un petit moment, il rassembla les fils et fit une sorte de nud qui fermait le tout. Puis, ayant termin sa tche et toute tension relche, il sembla s'affaisser sur lui-mme, alors que son aurole disparaissait. Il se mit alors haleter, le front en sueur. Cest cet instant que la femme revint dans la pice. Elle aussi

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    semblait plus ple et elle avait de nouveaux cernes sous les yeux.- Tout va bien, indiqua-t-elle, les autres protections sont en bon tat.- Il faut absolument qu'on fasse plus attention. On nous a signal plusieurs serpents en ville cette semaine.- Oui, mais maintenir les protections est vraiment trs fatiguant. coute, tu vas aller te reposer. Juste le temps que je vrifie ton sort et je taccompagne. Aprs tout Slne est tranquille. Elle joue trs bien toute seule dans sa chambre. Nous, nous pouvons faire la sieste.- Vas-y, je tattends, murmura lhomme en poussant un soupir puis.De nouveau, des flammes sortirent des yeux de la femme. Elles taient diriges vers la fentre. Cependant, comme un effet de sa fatigue les flammes taient plus petites, moins fortes et durrent moins longtemps.- Cest bon, finit-elle par dire. Il ny a pas de trou dans le bouclier. Tout cela devrait nous permettre dtre labri un bon moment.Sur ces paroles tonnantes, ils sortirent de la pice. De son ct Alos regardait avec une surprise vidente la fentre. Plusieurs choses lui semblaient importantes et il voulait y rflchir son aise.Tout dabord, il semblait vident que les deux adultes ne voyaient pas la mme chose que lui. Lhomme ne semblait pas percevoir les filaments jaunes et la femme le pouvait seulement aprs un effort de volont et en produisant ces espces de flammes qui lpuisaient. De plus sa vision devait tre singulirement dficiente car, comme on vient de le voir, Alos stait jou sans aucun problme de ce quelle avait appel un bouclier, en se glissant dans les multiples trous laisss par le maillage.En dfinitive, qu'taient rellement ces filaments ? Et pourquoi lui, pouvait-il les voir ?Chassant ces questions de son esprit, il se dit quil avait finalement un peu de temps pour se promener dans la maison. Aprs tout, comme il venait de lentendre, le couple devait maintenant se reposer, pendant que Slne, qui qu'elle soit, jouait dans sa

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    chambre.Tout doucement, il poussa la porte de la pice dans laquelle il tait entr et se retrouva dans un large couloir clair par un grand lustre dont les pices de cristal brillaient de mille feux. Dans cette dbauche d'clats de lumire, un escalier partait sur la droite, tandis que, devant lui, le couloir dbouchait sur un grand salon. Quelque chose dans le salon l'attirait. Il sentait sur tout son corps une pression qui le poussait dans cette direction, un peu comme lorsque l'on est en haut d'une pente, en montagne et que l'on sent que tout son corps va tomber. Pas pas il se rapprocha du grand salon. Celui-ci tait premire vue trs sobre, mais il dgageait nanmoins une impression de richesse et d'lgance qui tait vraiment nouvelle pour l'enfant. Rien voir avec le dcor bourgeois et prtentieux quil y avait dans la maison de ses parents. Au centre de la pice, un magnifique tapis affichait un labyrinthe de motifs et de couleurs qui lui donnait le vertige. C'tait trs prcisment vers ce tapis quil se sentait attir. De lautre ct du tapis, sur le mur tait dispos un immense miroir, haut de deux mtres et large dautant. Lenfant le contempla bouche be. Il navait jamais vu de glace aussi grande. Le miroir lui renvoyait l'image de toute la pice, mais inverse. Son reflet y semblait minuscule et cela lui rappela combien il tait petit. Fait surprenant, il avait tout le corps teint de lueurs bleutes, un peu comme sil avait t clair par un spot de cette couleur. C'tait trs trange.Puis, du coin de l'il, il aperut un mouvement ses pieds, sur le tapis. Les motifs avaient chang. Le tapis tait toujours aussi beau, aussi attirant, mais il en manait une menace sourde. Sous ses yeux, les motifs changrent encore. Maintenant on aurait presque dit qu'ils reprsentaient une scne. En tout cas, Alos avait l'impression qu'il revoyait son puits, le puits de la cave dans la maison de ses parents. Il en avait les larmes aux yeux. Pris d'une immense motion, il plongea son regard dans l'image que lui renvoyait le tapis. Il se sentait seul au monde, abandonn, il avait envie de pleurer. Il tomba genoux et ne bougea plus.Combien de temps resta-t-il l, englu dans cette sorte de toile

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    d'araigne magique, triste, toujours plus triste ? Probablement pas trop longtemps. On peut imaginer que ce qui le sauva, ce fut un clat de lumire verte qui traversa son regard, brouillant l'image du puits. Surpris, il essaya de voir de quoi il s'agissait. En face de lui, l'espace d'un trs court instant, il crut apercevoir une petite licorne verte. Celle-ci le regarda tout dabord, puis bondit dans les airs et disparut hors du champ du miroir.Lorsqu'il baissa les yeux vers le sol, il retrouva la premire image, le premier dessin. Plus de puits, plus de tristesse. Il fut seulement frapp par l'impression de mchancet qui manait du tapis. Parmi les fils qui le composaient, certains taient de nature magique, mais c'tait une magie faible, vicieuse, qui ne pouvait capturer ses htes par la force et qui devait recourir la ruse pour les attraper et ensuite se repatre de leurs souffrances. Seulement, une fois que l'on savait ce qui se cachait au cur de cet objet, il n'tait plus possible de s'y faire prendre.cur, il dtourna les yeux. Il ne comprenait pas comment on pouvait garder un objet aussi malfaisant chez soi. Il quitta alors rapidement le grand salon. Il n'avait pas du tout envie de rester prs du tapis. Un peu par hasard, il monta l'escalier. Tout en haut, de derrire une porte, lui parvenaient des ronflements sonores. Il dcida de ne pas tenter de pntrer dans cette pice. Tout doucement il essaya plutt de pousser une autre porte. Derrire, c'tait la chambre d'une trs jeune fille.Il n'y avait aucun bruit et comme il n'avait jamais vu de chambre de fille, il dcida d'y rentrer pour l'explorer. C'est alors qu'il la vit.Assise par terre, tenant un livre entre les mains, une petite fille le regardait avec curiosit et sans aucune peur. Indcis, il sen rapprocha tout doucement. Toute rousse, elle avait aussi une peau trs blanche parseme de tches de son. Une vraie petite sorcire, pensa-t-il en apart. Une trs jolie sorcire, corrigea-t-il aussitt, en captant l'clat de ses grands yeux d'or liquide et de son sourire clatant. Dj, il tait amoureux.- Bonjour. Comment tu tappelles, fit-elle dune petite voix ? Moi,

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    c'est Slne.- Bonjour Slne. Je suis Alos.- Tu as quel ge, Alos ?- 12 ans.- 12 ans, c'est comme moi. Tu es petit quand mme. Je suis sre que je suis plus grande que toi. Fais voir !C'est ainsi que dbuta une des belles histoires d'amour de cette poque. Les enfants commencrent changer gravement sur leur identit, leurs gots et leurs vies quotidiennes. Ensuite, Slne fit faire Alos le tour de sa chambre et de ses jeux. Comme les parents faisaient la sieste, ils descendirent la cuisine afin de prendre ensemble le goter.La situation tait trange. Aucun des deux ne mentionna l'arrive tonnante d'Alos. Aucun des deux ne parla non plus des protections dont bnficiait la maison. Ils s'taient merveilleusement entendus ds le premier regard et aucun des deux ne voulait que ces instants, qu'ils devinaient confusment devoir tre courts, ne soient gchs par des lments de finalement peu d'importance. Cependant, ils en vinrent assez naturellement discuter de la magie en gnral. Mais cest seulement Slne qui en parla vraiment. Alos nosa pas dire quil ny comprenait rien. A un moment, alors qu'ils entraient dans la cuisine, Slne sembla s'entourer d'un halo de lumire jaune. Puis cette lumire se transmit aux lampes qui s'allumrent toutes ensembles. Slne linforma, alors, quelle suivait activement une formation de magicienne, recevant pour cela des prcepteurs et faisant de nombreux exercices avec ses parents. Elle expliqua aussi quil y avait diffrentes faons de percevoir la magie, confirmant ainsi les soupons dAlos :- La deuxime leon nonce : Nous sommes tous des magiciens . Cela veut dire que toi comme moi, comme tous ceux qui nous entourent, nous avons cette petite tincelle de la magie en nous et quil faut soigneusement la conserver et la faire vivre. Dans notre univers infini tout est possible. Dans nos cours de magie, une des premires choses laquelle on nous habitue, cest quil ny a

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    pas vraiment de limite la magie. La seule limite, c'est chacun de nous qui la fixons. Dehors, tous ces gens qui ne connaissent pas la magie et qui pour certains la refusent, tous auraient pu tre des magiciens. Il leur suffirait d'ouvrir les yeux.La vritable question, c'est qu'est-ce qu'on est capable de voir de la ralit ? . Ainsi par exemple, trs rares sont les gens, mme parmi les magiciens, qui arrivent vraiment voir la magie. Ceux-l, la dcrivent sous forme de couleurs, de formes gomtriques et mme pour certains, sous forme danimaux ! Ma mre par exemple la peroit comme une odeur lorsquelle se concentre dessus Moi, jusqu prsent, je la ressens. Un peu comme une pression, l, sur mon cur. Mais daprs ma mre, cela peut voluer et il est possible que trs bientt je la voie. Mais ce qui est important, cest que tout demeure possible. Tu sais, cest un peu comme quand tu allumes une chandelle dans une pice noire. Il y a le noir et puis ensuite la lumire. En gnral les gens disent quil ny a que a. En fait si tu regardes, il y a surtout des ombres. Toutes sortes dombres. Et si tu dplaces la chandelle, les ombres changent. Et toi, si tu te dplaces aussi, tout change nouveau. Tout est alors possible. Par rapport la premire leon, celle sur la connaissance...- Oui, le livre est ton ami - C'est a, bravo, fit-elle en le regardant bizarrement. Puis elle reprit : la seconde leon va bien au-del. Elle indique qu'il y a bien plus dans le monde que tout ce qui pourrait en tre crit dans une bibliothque, mme une immense bibliothque. Pour tre un vrai magicien, il faut bien sr connatre les livres de la bibliothque, mais il faut aussi garder les yeux ouverts et croire que tout est possible.Tout en discutant de manire trs srieuse, ils remontrent dans la chambre avec un grand plateau de tartines. L, Alos lui posa une question qui lui tenait cur :- Ca veut dire que moi aussi, je peux devenir magicien si je le veux ?- Oui, fit-elle gravement, si tu acceptes la seconde leon, si ton

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    esprit reste toujours assez ouvert, il ne devrait pas y avoir de difficultsSoudain ils entendirent un bruit de porte sur le pallier. Avant que Alos n'ait put dire quoi que ce soit, Slne avait mis un doigt sur ses lvres et l'avait pouss sous le lit.- Vite ! S'ils te trouvent ce sera trs grave...- Mais !- Non, maintenant ne dis plus rien et surtout ne bouge pas, quoi quil se passe. Tu as compris, NE BOUGE PAS !Il lui rpondit par un signe de tte pendant quelle lui faisait un rapide clin d'il et lui envoyait un bisou du bout des doigts.- Slne, avec qui est-ce que tu parles ?- Avec personne, Mre. Je joue.- Menteuse ! O est-il ? C'est l'odeur d'un serpent.Alos entendit dabord distinctement des bruits de portes qui s'ouvraient avec violence. La voix de l'homme retentit dans une autre pice. Le petit garon ne comprenait pas ce qu'il disait, mais il sentait dans son ton beaucoup de nervosit et de colre. Il se rencogna le plus possible sous le lit. Il sentait maintenant le poids des flammes jaunes dans la pice ct de lui.- Tu n'as tout de mme pas introduit un serpent dans la maison ! Dis moi o il est. - Je ne sais pas de quoi tu parles, Mre.Menteuse ! Cette chambre pue le serpent. Tu es vraiment dingue. Tu te rends compte de ce que nous risquons ? Pauvre idiote ! fit la voix de l'homme.Alos entendit alors le bruit d'une claque, suivie aussitt par les sanglots de la petite fille. Il rsista l'impulsion de se prcipiter au secours de Slne. D'abord, il ne voyait pas en quoi son arrive pourrait changer la situation. Ensuite, elle lui avait expressment recommand de ne pas bouger. Enfin, au fond de lui, il tait terrifi par tout ce qui arrivait et n'tait plus capable de bouger un seul doigt. Il essayait de toutes ses forces de se fondre dans l'ombre du lit, de ne faire qu'un avec elle. Au bout d'un moment, il n'entendit plus rien, ne pensa plus rien. Il n'entendit pas les bruits de fouilles

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    dans la chambre, ni les cris d'une mre apeure et excde par l'attitude bute de sa fille. Il ne vit surtout pas le regard enflamm qu'elle jeta sous le lit aprs s'tre accroupie. Les flammes jaunes passrent sur lui sans s'y arrter, comme s'il n'existait plus. Et en vrit, c'est ce qu'il tait ce moment, un noyau de peur, dont l'esprit projetait de toutes ses forces : je ne suis pas l .Quelques heures plus tard (mais pour lui ce n'tait que quelques instants) une main vint le secouer tout d'abord doucement, puis avec de plus en plus de vigueur. mergeant avec difficult de sa transe, il tourna lentement la tte pour apercevoir les grands yeux jaunes de Slne carquills par l'angoisse.- Ouf, fit-elle dans un murmure, j'avais cru que t'tais mort. Tu ne bougeais plus du tout et je n'arrivais pas te rveiller. - Non, non, tout va bien. Mais toi, sinquita-t-il, en se rappelant la claque et les cris ?- Tout va bien. C'est toujours pareil, ils ont peur de tout et font une histoire de rien. Mais comment as-tu fait pour que ma mre ne te voit pas ?- Je Je ne sais pas, je ne me rappelle pas de grand chose... Sauf du dbut. Au fait c'est quoi un serpent ? Ils ont l'air d'en avoir vraiment trs peur.- Les serpents ? Oh ! C'est comme cela qu'ils appellent leurs ennemis, ceux qui utilisent la magie de l'eau. - Et moi, j'en fais partie ?- Non, toi tu nes pas pareil. Et puis...- Mais je me rappelle Tes parents ont dit que cela sentait le serpent... C'est qu'ils percevaient mon odeur ? Non ?- coute, ce nest pas a limportant. Limportant cest que tu partes dici et puis- Et puis ?- Et puis, quon puisse se revoir trs vite.- Je n'entends plus de bruits.- Tu sais, ils se sont enferms dans leur chambre... Aprs leur crise, ils se sont enferms. C'est trs mauvais signe. a veut dire qu'ils prparent un tour de magie compliqu. Il faut que tu partes. Je suis

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    sre quils sont en train de prparer un sort terrible pour t'attraper et pire peut-tre...A ce moment Alos sursauta. L'atmosphre tait d'un seul coup devenue glaciale. C'tait comme si quelqu'un venait tout juste d'ouvrir un immense conglateur.- Ca commence, gmit Slne, il faut trs vite que tu partes.Alos en avait la chair de poule. Lair autour de lui semblait pesant. Il se leva au ralenti et eu l'impression de marcher au fond de la mer avec des semelles de plomb de deux cents kilos de chaque ct. L'esprit confus, il se dirigea au ralenti vers la porte du couloir, pouss par Slne qui ne semblait pas affecte physiquement par le phnomne mais qui tait compltement affole. - Vite, vite gmissait-elle, le visage crisp par l'angoisse en essayant de le pousser, mais sans beaucoup de succs.Soudain il les vit. Ils taient partout par terre. C'taient des espces d'herbes brunes d'aspect sinistre qui sortaient du sol et qui s'agrippaient ses pieds. Il en sortait de partout et toutes se tendaient vers lui. Au contraire, autour de Slne il ny avait que de rares herbes qui s'cartaient sur son passage, comme prise de crainte devant la jeune fille.- Passe devant moi. Ne discute pas, mais ne reste pas derrire, souffla-t-il.Elle lui obit sans poser de questions. - Maintenant va vers la porteElle se mit en mouvement et il la suivit coll au plus prs, la tenant doucement par la taille. Aussitt la pression sur ses pieds se relcha. Les drles de plantes n'osaient pas s'approcher trop prs de la jeune fille. Elle ouvrit la porte. Il y avait de l'herbe partout sur le palier de l'escalier. Mais surtout d'normes serpents de lumire orange se tortillaient lentement dans leur direction. Ils semblaient menaants. Ils avaient l'air prts l'avaler.- Ferme la porte. Vite !Elle claqua la porte et se retourna l'air inquite. - Ils sont l n'est-ce pas ?

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    - Oui, jamais nous ne pourrons passer.- Qu'est-ce qu'on peut faire ? La porte ne les retiendra pas.- La fentre vite !- Non, il y a un bouclier.- Ce n'est pas important et je peux le traverser. Passe devant jusqu' la fentre.Il la poussa alors vers la fentre, la tenant bien serre contre lui pour viter les herbes brunes. L, il ouvrit d'abord la fentre et commena carter les filaments jaunes qui faisaient un maillage lche l'extrieur. Il savait quil pouvait facilement dfaire le sort comme il l'avait fait la premire fois. Cependant il ne le voulait pas, car il souhaitait profiter des filaments pour regagner sans risque le sol.Au moment o il se glissait entre deux mailles, sous le regard inquiet de Slne, il entendit la porte de la chambre s'ouvrir. Les grands serpents orange se rapprochaient. Mais il tait maintenant dehors, presque en scurit, accroch au maillage jaune.- Viens avec moi, dit-il dans un souffle Slne.- Non, non. Pas encore. Peut tre un jour. Mais pour linstant je dois encore rester avec mes parents- Comment peut-on se revoir ?- Attends, fit-elle en courant vers une des commodes de sa chambre. Il l'entendit farfouiller toute vitesse. Pendant ce temps les serpents taient entrs dans la chambre et semblaient tourner en rond, sans comprendre la disparition dAlos. Trs vite, elle revint et lui glissa dans la main une petite plaque de mtal, une sorte de pendentif.- Je nai pas le temps de texpliquer, mais quand tu voudras me revoir, tu comprendras comment faire.Les serpents semblaient avoir retrouv sa piste. Ils observaient maintenant la fentre et probablement Alos, avec beaucoup dintrt.- Bon, il faut que jy aille, dit-il, tout dun coup press de sen aller.Il commena dfaire plusieurs boucles de filaments afin de les allonger. Il ne savait pas comment il y arrivait exactement, mais

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    cela lui venait trs facilement. Petit petit il descendait le long de la faade. Le visage adorable de Slne et ses grands yeux jaunes disparurent derrire la fentre quelle refermait.Puis, soudain, il sentit que les filaments auxquels il se retenait saffaiblissaient. Ils perdaient de leur consistance. Linstant daprs, avant quil nait pu faire quoi que ce soit, ceux-ci avaient totalement disparu et il tombait dans un massif de roses.Lorsquil ouvrit les yeux pour regarder le ciel, un serpent jaune semblait lobserver dun air mauvais partir de la fentre.- Ca va, questionna la petite voix de Byblos ct de lui ?- Oui, oui, il faut que lon se tire dici, rpondit-il en commenant se lever maladroitement. Il sentait sur tout son corps les griffures des roses et ses vtements taient un peu dchirs, mais il navait rien de bien grave finalement. Il fit un grand sourire au petit chat.- Ctait trop super lintrieur. Jai rencontr une fille Ae !Il venait de porter son poids sur son pied gauche et avait failli scrouler sous la douleur. En tombant, il stait probablement foul la cheville sans sen apercevoir et maintenant il se sentait bien incapable de marcher.- Ouille !Il traversa cloche pied le jardin pour aller se cacher lombre dun bosquet de petits arbres dont il ignorait le nom, mais qui sentaient bon la rsine.- Ca va, redemanda mi-compatissant, mi-narquois le petit chat ?- Oui, je vais me reposer quelques instants et puis on va filer.Alos commena se masser la cheville. Son pied avait dj enfl et llanait douloureusement. Mais Byblos ne lui laissa pas dillusion.- Je pense quil faut partir vite, TRES VITE !Latmosphre stait en effet considrablement refroidie, un peu comme dans la chambre de Slne quelques instants plus tt. Alos devina que les serpents couleur flamme taient sortis de la maison. Il avait vraiment espr quils y restent.Aussitt, pouss par la peur, il fut debout et, moiti courant moiti

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    boitant, il rejoignit la rue o il seffora de sloigner le plus vite possible. Sur ses talons le petit chat lencourageait mi-voix. Mais sa progression tait vraiment trs laborieuse et il sentait la sensation de froid le poursuivre et le rattraper inluctablement.A un moment, il vit un bus sarrter un stop juste ct de lui. Sans rflchir il sy engouffra et profitant de linattention du chauffeur se glissa larrire sans seulement acheter de ticket. De toutes manires il navait plus dargent. Rencogn au fond du bus, il sentit la sensation doppression diminuer au fur et mesure quil sloignait du quartier.Il stait compltement dtendu et tait en train de se demander comment rentrer chez lui, lorsque soudain latmosphre redevint glaciale. Tournant brusquement la tte, il aperut non loin, un carrefour, un immense serpent dress sur sa queue, en train de scruter les rues autour de lui. Il se fit tout petit et essaya de disparatre. Mais dj le bus avait redmarr et il avait perdu de vue le serpent. Lambiance sallgea aussitt. Cependant, plusieurs reprises, il ressenti la mme impression. Ctait incroyable quon le recherche comme a. Aprs tout il navait rien fait de mal, il navait rien vol. Que lui voulait-on ?Au terminus du bus, il tait dans une lointaine et morne banlieue vaguement pavillonnaire. Il sloigna droit devant lui, sans trop savoir ce quil faisait, sous le regard souponneux du chauffeur. Sa cheville tait maintenant toute engourdie et ne llanait plus trop. Il russissait marcher sans trop boiter, en sarrangeant pour faire porter le plus possible le poids de son corps sur son autre jambe. Mais il navanait tout de mme pas trs vite et il sentait la pression du froid augmenter rgulirement derrire lui. A un moment il quitta la route pour prendre un chemin de terre. Peut tre que dans la nature les serpents perdraient sa trace ? Mais sa marche en tait autant ralentie sans que la sensation de froid derrire lui ne diminue. Il commena se sentir trs angoiss. Byblos dans ses bras ne disait plus rien depuis un moment, probablement tout aussi inquiet.Puis le chemin sarrta.

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    Il se terminait dans un champ, avec pour seule perspective, plus loin une haie puis un autre champ et encore beaucoup dautres champs.Alos ne chercha pas rflchir. Il sengagea dans le champ, sentant le dsespoir sinfiltrer au plus profond de lui. Il percevait presque la progression des serpents. Il savait que ce ntait plus quune question de temps pour quils le rejoignent et lattrapent et Et puis quoi ? Il refusait dy penser, comme il refusait de se laisser aller. Peut tre allait-il trouver une cachette dans la haie ? Ou dans le champ suivant ? Il y avait toujours un espoir. Toujours.Au milieu du champ, en voulant aller trop vite, il se tordit de nouveau la cheville dans un trou. La douleur fut telle quil faillit svanouir. Mais serrant les dents, il essaya de faire comme si de rien ntait. Dans la haie devant lui moins de vingt mtres, il pourrait trouver un bton qui lui permettrait de se faire une canne pour continuer avancer et mme une arme pour se dfendre.Presque cloche-pied, des toiles de douleur tournoyant devant ses yeux, il acclra lallure. Il sentait au fond de lui que les serpents venaient darriver sur la place o il tait descendu du bus. Ils taient sur sa trace et ils semblaient dtermins.Il fallait quil se cache. Il plongea dans la haie pour sy enfouir. Et il roula dans le trou qui souvrait derrire les buissons et les arbustes. Il roula et tomba dans leau glace dun ruisseau. Aussitt, Byblos schappa de ses bras en poussant un cri de protestation.Le ruisseau tait tout petit. Pas plus dun mtre de large pour vingt centimtres de profondeur. Des petites truites staient gayes lorsquil avait fait irruption dans leau. Maintenant elles revenaient, curieuses de voir cet intrus si bruyant mais qui ne leur faisait aucune peur. Alos, moiti assomm, stait content de sasseoir au milieu de leau vive. Il tait tremp de la tte aux pieds. Byblos perch sur son paule ne semblait pas du tout mouill. Il observait avec beaucoup dintrt les formes vives des poissons.

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    Leon3 : tout est leonCest alors quAlos ralisa que depuis quil tait dans le ruisseau, son lien avec les serpents stait rompu. Ceux-ci, il en tait sr, avaient perdu sa trace. Leau les empchait probablement de le retrouver. Lui-mme ne les sentait plus du tout. Ctait comme si un immense poids lui avait t t. Avec soulagement, il les imagina en train de tourner en rond sur la place de larrt de bus. Cependant, il n'avait plus non plus aucun moyen de savoir ce que les serpents allaient faire. Est-ce quils allaient monter la garde l, cet endroit ? Est-ce quil pourrait revenir par ce chemin chez lui ? Il faudrait quil rflchisse srieusement ces questions. En attendant, limportant tait quil soit sauf. Il devait simplement se trouver un abri pour la nuit. Il avait besoin de prendre un peu de temps pour se reposer et pour pouvoir aviser. Lorsquil se releva, il saperut que le froid avait engourdi compltement sa blessure. Cest peine sil ressentait une douleur sa cheville. Il rcupra dans la haie qui cachait le cours deau un solide bton et dcida de continuer tout droit travers champs pour trouver un buisson abrit o il pourrait dormir. La nuit se coucherait dans bientt deux heures et il craignait, tremp comme il ltait, d'avoir trop froid.Derrire lui, le ruisseau mit un lger bruit de regret pendant quil sloignait en boitant. Alos eut limpression que quelqu'un lui soufflait loreille de rester. Il secoua la tte pour chasser cette sensation obsdante et essaya dacclrer lallure. Trs vite sa cheville recommena le faire souffrir. La douleur empira rapidement tel point que chaque pas devint une torture. Cependant il senttait et ne voulait surtout pas se laisser aller. Il avait lintuition quau moindre repos, il ne pourrait plus repartir.Finalement, entre deux champs, il trouva une espce de creux garni de paille dans lequel il s'enfouit et o il sendormit rapidement. Ce nest que quelques heures plus tard que le froid le rveilla. Curieusement ses vtements avaient en grande partie sch pendant quil dormait. Ctait un peu comme si leau du ruisseau lavait protg pendant son sommeil. Maintenant quelle stait

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    vapore, il commenait sentir le froid de lautomne sinsinuer dans ses vtements trop lgers.Il se tapit un peu plus dans la paille sche, Byblos blotti contre son cur. Il se sentait tout petit dans la solitude de la nuit. Non loin, un gros animal faisait beaucoup de bruit, bousculant buissons et fourrs sur son passage.Il ralisa soudain que leau qui venait de scher constituait peut-tre la protection qui lui avait permis dchapper aux serpents. Affol, il tenta de se relever mais sa cheville le lcha aussitt et il retomba avec un petit cri. Alert par le bruit, la bte cessa un instant son raffut. Puis elle sembla se diriger droit sur lui. Retenant son souffle, il se renfona encore plus dans le creux. Daprs le bruit, lanimal qui lui venait dessus, devait tre vraiment trs gros.Soudain une serre se referma sur son bras. Alos poussa un bref hurlement de peur. Aussitt Byblos sauta en l'air et courut se rfugier sous un buisson.Le bras squelettique qui prolongeait la serre le tira vers le haut avec une force incroyable. Ensuite il fut jet sur un dos osseux.Dans la nuit noire, il tait emport par un mort vivant. Il se dbattit un peu, essayant de se librer et de s'enfuir. Mais les mains qui le retenaient ne lui laissaient pas la moindre chance de se sauver. Et puis, de toutes faons, il doutait de pouvoir aller bien loin avec sa cheville foule. Terroris, il cessa tout effort et se laissa emporter travers champs, une allure cahoteuse, vers ce qui serait sa dernire demeure.Il en tait se demander s'il allait tre dvor avant d'tre tu et ce que ferait Byblos une fois orphelin, lorsquils senfoncrent dans une obscurit encore plus sombre que celle o ils voluaient jusqu prsent.Alos frissonna. L'air tait froid et humide. Ils venaient dentrer dans une noire fort. Non loin, l'enfant perut la note claire d'un ruisseau, comme un espoir perdu loin dans la nuit.Son ravisseur semblait s'en rapprocher, le long d'un chemin qui serpentait parmi arbres et broussailles. Sans doute un funeste chemin connu des seules forces malfiques de la nuit. Il y marcha

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    quelques courts instants, avant d'arriver devant une masse noire dans laquelle il s'introduisit avec force grincements de porte et gmissements de lattes de plancher.Un tombeau ? Un mausole ? L'antre du monstre ?Derrire lui, Alos sentit que Byblos le suivait et se glissait dans la pice noire, juste avant que la porte ne se referme avec un sinistre claquement. Puis, contre toute attente, son ravisseur le libra en le dposant sur une surface molle. Il s'y assit de son mieux et aussitt, il sentit Byblos qui lui sautait dans les bras. Cette simple prsence le rconforta considrablement. Il avait limpression que le petit chat ntait pas du tout inquiet. Pendant ce temps le monstre s'agitait travers son antre, faisant de petits bruits et dplaant des objets. Apparemment, il ne se souciait plus du petit garon.Celui-ci, n'y tenant plus, demanda d'une toute petite voix :- S'il vous plat, est-ce que je pourrais avoir de la lumire- Oh, fit une voix rocailleuse pleine de surprise, c'est vrai !Aussitt une petite flamme naquit au cur de lobscurit. Lenfant ouvrit de grands yeux. Une flamme toute bleue, partait du doigt trs maigre dun vieux monsieur et lui aurolait compltement le visage. Celui-ci le fixait intensment, en lui tendant un sourire hsitant.- Je mexcuse, pour la lumire, mais joublie toujours.Alos nosa pas lui demander ce quil oubliait exactement, ni comment il faisait pour produire cette petite flamme avec son seul doigt. En lui, avec la lumire, la peur avait disparu. Il lui suffisait de contempler le visage du vieux monsieur pour se sentir tout fait laise. C'tait une figure trs ride, encadre par dpais cheveux blancs et plante sur un long cou dcharn qui lui donnait un aspect comique et inoffensif. Mais cest surtout le grand sourire qui lui mangeait le visage qui attirait lattention et mettait en confiance. Byblos, de son ct, semblait tout aussi laise. Quelques instants plus tt, il stait voluptueusement tir dans les bras dAlos. Maintenant, il se contentait de suivre les gestes de leur hte dun regard moiti endormi.Assis sur ce qui semblait tre un grand lit, Alos nosait cependant

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    pas bouger. Sa cheville le tirait douloureusement et il se sentait affam et puis. Dans la faible clart de la flamme, il commena distinguer la pice qui lentourait. Il sagissait dune cabane de planches, meuble dun grand lit, dune table et dun fourneau dont le tuyau schappait par une petite fentre. Sur le fourneau, le contenu dune casserole mijotait tout doucement, laissant chapper un arme savoureux.- Je mappelle Antioche, fit le vieux monsieur en se dirigeant vers une tagre o il attrapa dune main incertaine une bougie quil alluma du bout de son doigt.- Et toi, comment cest ton nom ? demanda-t-il un peu plus tard, alors quAlos navait toujours rien rpondu.- Alos - Et lui cest ?- Byblos.- Alos, voil un prnom peu courant. Mest avis quil y a eu un membre de lacadmie franaise des sciences au dbut du XXme sicle qui portait ce prnom. Il vivait en Tunisie et y a dcouvert beaucoup de nouvelles puces !- - Tu sais que tu es un petit gars trs silencieux. Et Byblos, tu sais ce que a veut dire ?- Non- Tu sais que cest le nom dune trs vieille ville du Liban. Peut tre la plus ancienne ville continuellement habite dans le monde entier- - Une ville du bord de leau, du bord de la Mditerrane.-- Dis moi, fit-il tout dun coup en changeant de ton, quest-ce que tu faisais tout seul, de nuit dans ce champ ?Lenfant, submerg par la question, se mit tout doucement pleurer.Aussitt Byblos se redressa pour lui donner des coups de langues compatissants, tandis quAntioche scriait :

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    - Jai limpression que tu as eu une rude journe mon gaillard !Il le prit par le bras pour lamener la table. Cependant, ds le premier pas, Alos trbucha sous leffet de la douleur et seffondra, redoublant de larmes dans les bras dAntioche. Celui-ci le souleva avant de lasseoir sur la seule chaise de la cabane. Puis il sagenouilla devant lui et lui tta la cheville. Ses doigts taient trangement doux et caressants. Lenfant sanglota de plus belle.- Ne pleure pas, je ne vais pas te faire de mal.- Ce nest pas a, je ne pleure pas, rpondit Alos en continuant de pleurer.Antioche, trangement mu le prit contre lui et se mit le cliner. - Quest-ce qui se passe bonhomme. Peux-tu mexpliquer ?- Cest seulement que personne, jamais, ne sest occup de moi.- Eh bien, tu es bien mal tomb, tenta de plaisanter Antioche, moi aussi personne ne soccupe de moi. Nous faisons une drle de paire, tu trouves pas ?Lenfant se permit un pauvre sourire.- Bien, bien, grommela Antioche, je vais te soigner et ensuite tu avaleras quelques louches de ma tambouille. Aprs ce sera le lit. Et demain on discutera. Daccord ?- Dacc daccord, parvint articuler Alos compltement dpass.De son ct Byblos se contenta de ronronner avec beaucoup dnergie.Antioche partit alors chercher au fond dune vieille malle un morceau de tissu propre. Il le trempa dans un seau deau prs de la porte. Puis, en fronant un peu les sourcils, il commena en entourer la cheville du jeune garon. Celui-ci ressentit tout d'abord une douce chaleur envahir sa jambe. Le linge chauffait agrablement, attnuant un peu la douleur. Puis la sensation se transforma en froid intense qui lui engourdit rapidement le membre. Surpris, il tta la compresse et la sentit dure et craquante sous ses doigts. De la glace ?- Ny touche pas, se contenta de dire dun ton paisible Antioche qui, le dos tourn, sactivait devant le fourneau.Quelques minutes plus tard, il lui avait servi une grosse assiette

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    dun ragot agrablement parfum.- Cest ma spcialit, fit-il, de la ragougnasse !Quoique ce ft, ctait dlicieux et lenfant, ayant compltement oubli sa cheville, dvora presque tout le plat. Ensuite il s'endormit sur la table, le ventre plein, pendant que Byblos terminait son assiette sous le regard attendri dAntioche.Le lendemain, Alos se rveilla confortablement install dans une petite couche qui avait t amnage au pied du grand lit dAntioche. Tout contre lui, Byblos lui procurait une agrable chaleur. Avec apprhension, il bougea un peu son pied, mais la douleur avait compltement disparu. Il resta un moment savourer sa quitude et put enfin contempler la pice autour de lui.Le plafond attira en premier son regard. Il tait fait de planches de rcupration. Certaines provenaient de caisses et avaient encore des tiquettes ou des marques de produits ou de machines. D'autres portaient des traces de peinture ou mme de papier peint. L'ensemble, sous l'clairage indirect mais vif du soleil, formait une fresque anarchique, joyeuse et emmle de couleurs, de formes et de textures improbables.Alos tourna la tte et contempla avec effarement la cabane. Tout tait l'avenant. Ce qu'il n'avait pas pu discerner la nuit s'talait ingnument dans la lumire crue et riche. Tout tait fait de bric et de broc, des tagres au sol ou encore au lit ses cts. Le fond de la pice tait constitu d'tagres charges de centaines de livres, dont les couvertures taient de toutes les couleurs. Tout tait assemblage htroclite de planchettes diverses, renforces par des bouts de carton, de plastique ou de tle. L'ensemble avait cependant du charme et mme donnait l'impression tonnante de propret et de chaleur. C'tait une cabane petite, mais c'tait aussi un endroit o l'on se sentait accueilli et o l'on ne pouvait que vouloir rester.Soudain, Alos ralisa qu'il tait seul. Le grand lit ct de lui tait vide et la pice aussi. Il se leva d'un bond. Sa cheville dcidment ne lui faisait plus aucun mal. Il saperut alors quil avait dormi tout habill. On lui avait juste retir ses chaussures, mais il les repra

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    tout de suite ct de sa couche. Elles taient encore toutes crottes, mauvais souvenirs de la veille. Il seffora de ne pas y penser et les enfila toute vitesse. Puis il se prcipita hors de la cabane.Un magnifique soleil d'automne l'accueillit. Surpris par la luminosit, il cligna des yeux. L'air vibrait et les dernires abeilles dansaient follement. Pas loin, le murmure de l'eau l'appelait.- Vite, vite...Il se dirigea vers le bruit du ruisseau mais se figea au bout de quelques mtres. Dans une flaque deau, un petit abreuvoir naturel taill dans la roche, Antioche moiti nu se lavait. Alos eu le temps de contempler son dos maigre et osseux avant que le vieil homme ne linterpelle. A croire qu'il avait des yeux dans le dos !- Allez viens, tu dois te laver. Il faut en profiter, il fait beau aujourdhui. Quand lhiver sera l, ce sera plus difficileDebout au bord de leau, lenfant hsitait se dshabiller.- Quest-ce quil se passe ?- Heu- Si tu as peur de te mettre tout nu devant moi, ne tinquite pas, je ne vais pas te regarder, sesclaffa Antioche avec un bon rire.Ce fut le rire plus que tout qui dcida Alos. Il sloigna un peu sur le bord du ruisseau et commena se dshabiller lentement, jetant des regards par-dessus son paule pour sassurer quil tait bien seul. C'tait la premire fois qu'il se mettait nu en plein air. Mais il ny avait plus de trace dAntioche. Celui-ci avait d repartir la cabane, peut-tre pour prparer le petit djeuner. Byblos, langoureusement install dans une flaque de soleil, procdait son propre nettoyage sec ou plutt coups de langue. Alos se lava alors rapidement. Il avait l'impression de geler sur place. L'eau semblait faire exprs d'tre aussi froide pour pouvoir se moquer de sa frilosit. La veille lorsqu'il tait tomb dans l'autre ruisseau, il n'avait pas eu du tout ce sentiment. L'eau, au contraire, lui avait donn l'impression de vouloir le protger, de lui tenir chaud jusqu'au milieu de la nuit. Heureusement, il y avait ce soleil clatant qui le schait rapidement

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    et l'empchait de geler sur place. Serrant les dents, il se dpcha de se laver avant de s'enfuir vers la cabane, sous les rires de l'eau courante.Comme un cho, il y fut accueilli par dautres rires, ceux d'Antioche. Sur la table une tisane chaude et un uf la coque lattendaient. La pice tait chaude, chaleureuse. Par terre, une cuelle tait prvue pour Byblos qui, sans manires, sy prcipita.- Il faut que tu lui parles, que tu ne la laisses pas se moquer de toi comme a, continuait rigoler Antioche !- Mais de qui, de quoi tu parles ?- De quoi ? Ben voyons. Tu le sais bien, mme si tu fais ton innocent. Je parle de l'eau. Je parle de ce coquin de ruisseau.- Leau ?- Oui, la magie de leau. Ne fais pas cette tte dahuri, je sais trs bien que tu le fais. Sinon, comment je taurais retrouv hier soir ?- Hier soir ?- Oui. Hier soir. Ouh l l ! Il faut que j'apprenne la patience avec toi. Hier, je tai trouv parce que ja