1
Yassin - Vassilis CHERIF
« Le Temps improvisé. »
_ CHRONO-DIVERSITÉS SOCIALES ET ARTISTIQUES EN OCCIDENT À
L’HEURE DES N.T.I.C.
Les montres molles, Salvador Dali, Musée Salvador Dali.
2
Le Temps Improvisé.
Que mon entourage le plus proche pour sa confiance,
Reçoit ici et dès à présent, le témoignage de ma profonde
gratitude.
CHRONO-DIVERSITÉS SOCIALES ET
ARTISTIQUES EN OCCIDENT À L’HEURE DES
NOUVELLES TECHNOLOGIES DE
L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
3
À
Juliette,
Ahmed, Leila, Hélène et Marianne.
Pour ce qu’ils sont.
4
Les philosophes se questionnent
L’information accélère.
Les Nouvelles Technologies de L’information et de la
Communication courbent l’espace temps.
L’art contemporain met le temps à nu et propose de
nouvelles temporalités de l’œuvre.
5
Avantpropos introductifs : 4.
Introduction : 18.
I CHRONODIVERSITÉS SOCIALES : 22.
I.1 LA PHILOSOPHIE DU TEMPS : 25.
I.2 DE LA CHRONO DIVERSITÉ À L’ACCELERATION DU
RÉEL : 31.
I.3 LES NTIC COURBENT L’ESPACETEMPS : 38.
a) Le temps des NTIC ou la cyber chronophagie : 39.
b) L’art à l’heure des NTIC : 47.
II. CHRONODIVERSITÉS ARTISTIQUES : 52.
II.1 L’ART OU LA RÉPONSE À LA QUESTION DU TEMPS :
a) Des artistes et du temps : 53.
b) Du temps à l’art : 59.
6
II.2 TEMPORALITÉS ARTISTIQUES : 67.
a) Du créateur vers l’œuvre, de l’œuvre vers le spectateur : 68.
b) Du temps à l’art présent : 76.
II.3 LE CHAPITRE BOLTANSKI : 81.
L’archiviste.
II.4 BILL VIOLA : 94.
Le sculpteur du temps.
III L’ANOMALIE ROMAIN JÉROME
Un marchand de temps pas comme les autres : 103.
CONCLUONS : 108.
NOTES : 109.
BIBLIOGRAPHIE : 113.
INDEX : 116.
7
« L’art est un processus de transformation, il en use du temps comme
d’un matériau souple : au tournant du XXIème siècle, plus que jamais
encore les artistes manipulent le temps.»1-
1 Art le Present, Paul Ardenne, p. 357 Éditions du Regard Paris 2009
8
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit : ” Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible,
Le plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D’insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi, prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente, souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard,
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! ”1
1 Charles Baudelaire « L’Horloge » in Spleen et Idéal in Les fleurs du mal (p.245) Édition Michel Lévy frères (1868).
9
2
2 Chronos (dieu du temps de la mythologie grecque) par Ignaz Guenther en 1765-75, au Bayerisches Nationalmuseum à Münich.
10
Avant propos introductifs :
11
Il passe, avons nous le choix ?
Un beau dimanche de début mai 2010, un monument antique célèbre
nous le rappel. Le colisée de Rome perd trois fragments.
Le temps se dérobe sous nos yeux.
Nous ne pouvons le saisir.
Héraclite a dit « Le temps est roi ».
Aurions nous pu saisir une mélodie improvisée, jaillissante de la
trompette insolente de Miles ?
Oh certes, la musique nous pouvons l’enregistrer, la conserver,
sur des supports aussi divers que des bandes magnétiques, des disques
ou des banques de donnée numériques, puis nous pouvons la
reproduire, la calibrer mais avons-nous ce pouvoir de l’additionner de
la prévoir ? De la modifier instantanément ? (mis a part les diverses
techniques de sampling, de djing et d’ingénierie studio qui sont de la
post production) De la toucher dans son présent? Comment pourrait
on additionner de la musique ou des voix alors qu’elles n’ont aucune
unité de valeur ?
Comment se fait-il que nous autres les Hommes, plus puissants
que tous les dieux, qui maîtrisons tout, ou du moins qui croyons
dompter tout ce et tous ceux qui entourent nos corps sur et sous la
terre, sur et sous la mer, dans les airs et au delà, n’avons mis au point
aucun procédé, aucune logique, aucun secret, aucune clé qui nous
permettrait d’ouvrir les portes du temps quand bon nous semblerait.
Aurions nous besoin une fois de plus des services de Prométhée, afin
12
qu’il aille rendre une petite visite à Chronos et nous rapporte
discrètement le sablier qu’il serre éternellement dans sa main ?
Nous ne pouvons remonter le temps, corriger nos erreurs,
réécrire l’Histoire. Nous ne pouvons dépasser le temps pour prédire,
voir avec notre œil pervers et insouciant quelles seront les erreurs.
Nous sommes en 2010, nous sommes sur la planète Terre, on nous dit
que le temps joue contre nous. Une peur ancestrale du monde des
hommes, un thème biblique, mythologique magique, une
représentation sociale universelle: L’apocalypse. Soit la fin des temps.
Quelle religion n’en a pas parlé ? Que ce soit les calendriers Maya ou
Aztèques, le livre de Daniel, le Nouveau Testament, le Coran, les
Puranas hindoues, les Sutta Pitaka bouddhistes, l’eschatologie a
toujours été de mise. La peur que ce supposé infini cesse et nous tue
tous. Le discours eschatologique est devenu si populaire aujourd’hui,
surtout le plus proche, celui sur l’apocalypse prévu par le calendrier
Maya pour le 21 décembre 2012, c’est a dire dans moins de deux
années, on voit apparaître sur internet des sites consternant et
pourtant très visités, comme www.fin-du-monde.fr et son slogan
« suivez la fin du monde en direct ! ».
Un parfum de fin du monde se fait sentir par ailleurs à travers le
monde en cette première mi- année 2010. Comme si l’univers nous
disait de profiter du peu de temps qu’il reste. Des prémices de fin des
tems comme la plus longue éclipse annulaire du millénaire du 15
janvier 2010 (faisant gentiment penser à la prophétie maya).
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Petit état des lieux de la planète depuis janvier à mai 2010,
voici les brèves :
Outre les précédentes pseudo Épidémies mortelles,
Catastrophe naturelle haïtienne : 200000 morts, 300000 bléssés
et plus d’1 millions de sans abris. Séisme au Chili 800 morts et des
dégâts colossaux. Un coup d’état au Niger. La tempête Xynthia
ébranle l’Europe des dizaines de morts, de blessés et de milliards
d’euros de dégâts. 300 morts au Brésil dans une inondation.
Tremblement de terre à Sumatra. Révolte populaire violente au
Kirghizstan. Une troublante catastrophe aérienne tue le
gouvernement polonais. Un séisme violent en chine, les morts,
disparus, blessés et sans abris se compte par milliers. Un volcan
islandais plonge l’Europe dans un nuage de cendre fermeture de tous
les aéroports. Nombreux attentats suicides au Pakistan des dizaines
d’innocents morts. La Grèce fait faillite et menace de contaminer
toute l’Europe. Une fuite dans une plateforme pétrolière dans le golfe
du Mexique impossible à boucher lâche près de 800 000 litres de
pétrole par jour, marée noire monumentale, faune et flore menacées,
dégâts très couteux. Attentats à Bagdad, encore des civils par dizaines
morts et blessés. La mer se déchaine sur la côte d’Azur créant de
nombreux dégâts. Affrontement ethnique aux Philippines. Et
dernières nouvelles un attentat raté à Time Square glace le sang des
américains et refroidi le monde. Bangkok au bord de la guerre civile..
Et autre information réjouissante selon la Cour Pénale Internationale
15 serait le nombre d’états africains où des élections risquent
fortement d’être marquées par des violences en cette deuxième moitié
d’année 2010.
14
Les croyances à travers l’art ont depuis toujours tenté de figurer
la fin des temps. Dans des temps plus anciens cela ressemblait à cela :
Calendrier Maya montrant la fin des temps:
Le vitrail de la cathédrale de Bourge montrant l’apocalypse :
15
Ou encore une gravure biblique des Quatre cavaliers de
l’Apocalypse par Albrecht Dürer
On sent toujours cette aura de mystère, dans ces représentations
tribales et médiévales. Mais plus tard dans la modernité la fin des
temps correspondrait plus à du Kandinsky : Sketch for composition II,
1909.
16
Mais aussi à du Meidner : (Apocalyptic Landscape 1913)
Mais aussi montrons le modèle réduit de l’apocalypse « Hell »
réalisé méticuleusement par les frères Chapman (Jake & Dinos) entre
1999 et 2000 en fibre de verre, plastique et techniques mixtes :
17
D’un autre point de vue nous dirions que en ces jours, dans
notre monde soucieux de réalité l’apocalypse correspondrait plutôt
grâce aux journalistes à cette réelle image, de la presse, par exemple
du récent désastre d’Haïti :
On ne peut rien contre le temps qui passe et encore moins
contre le temps qu’il fait et les temps qui courent. Nous fermerons sur
ces mots la parenthèse apocalypse.
Reprenons :
Peut-être nous autres mortels n’avons aucune liberté d’arrêter le
temps, et sans aucun doute cet handicap nous obsède. Mais, certains
parmi nous, un peu plus obsédés que les autres, un peu plus créatifs et
légèrement poètes, se sont essayé à figurer, à représenter, à tracer, à
jouer ou encore à imaginer de matérialiser cette dimension complexe,
impalpable, qui nous échappe à l’infini qu’est le temps.
Ces obsédés dont nous parlons sont les artistes.
L’art.
18
Là se trouvent peut être les réponses. Ou les questions ?
Là subsiste la seule possibilité inconsciente de courtiser le
temps.
Jan Patocka nous le suggère lorsqu’il écrit « L’art et ses formes
fournissent un nouveau fil conducteur, nécessaire à la spéculation
métaphysique qui ne peut plus prendre appui sur les sciences de la
nature… »
Aussi l’art s’est emparé de ce thème de fin des temps depuis ses
prémices.
Qu’est ce que le temps peut contre l’art ? Comment l’art peut-il
jouer du temps ?
Quelques fois l’art peut traverser le temps. L’art est notre
mémoire, donc notre histoire donc notre passé.
Mais l’art contemporain n’est il pas le miroir perpétuel du
sensible ? Nos peurs, nos fantasmes, nos défauts, notre présent ?
L’art moderne ne prévoit il pas le futur ? La photographie ne
fige-t-elle pas le monde, nous permettant ainsi d’avoir assez de recul
afin de mieux l’appréhender, mieux le penser ? La Vidéo n’exprime-t-
elle pas une durée, un écoulement dans lequel tout devient possible,
un morceau de vie, de réalité du monde, de rêve, d’ailleurs ?
Toute forme d’art est une réécriture sensible du monde, bien
entendu elle implique une dimension subjective.
Voyez vous comment Dali, dans une phase peut être
inconsciente de contemplation de la théorie de la relativité d’Einstein,
nous représente le délire et fantasme des Hommes de courber
19
l’espace-temps dans ses « montres molles »? Une montre qu’il aimerait
voir fondre comme du camembert, un temps qui se dilaterait et
s’étirerait. Et comment Guenther nous avais prévenu que cela ne sera
jamais possible, en sculptant dans un marbre sombre Chronos,
gardant jalousement son sablier, prêt à fendre de sa faux quiconque
s’en approchera ? Dans les vers d’ « Horloge », Charles Baudelaire
nous dévoile sa crainte et celle du monde par la même occasion du
temps qui passe. La crainte de l’ultimatum aléatoire, que tout être
vivant subit, qu’est la mort. Il dépeint là le temps en le sublimant en
un dieu ultra puissant, impénétrable, intouchable qui observerai son
pouvoir sur les Hommes avec un regard sadique :
« Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace… ». (Boltanski)
C’est ainsi une représentation grave et tragique du temps, comme ci le
poète voulait nous prévenir. On peut ressentir comme une obsession,
une angoisse, une détresse dans son sonnet, l’obsession stérile de
saisir et de séquestrer le présent. Il révèle ainsi l’appréhension et la
crainte (cosmique) de la vieillesse et de la mort.
« Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or ! »
Même si il sait qu’il s’agit d’un combat vain, Baudelaire lance le défit
aux Hommes de combattre cet écoulement assassin. Cela traduit une
part d’espoir et de courage qui vient colorer cette tirade plutôt
dramatique.
20
Voici comment l’art baroque, la littérature et l’art (moderne) du
surréalisme approche cette éternelle question du temps dans la
condition humaine. Et si on cassait le sablier des impressionnistes ?
Car comment parler de Temps et d’Art sans faire une halte sur le quai
des peintres du « temps ».
Monet, Cézanne, Renoir, Van Ghogh, Pissaro, Manet, Bazille,
Caillebotte, Guillaumin, Gauguin…
Vers la fin du XIX ème en France, les impressionnistes lancent
un mouvement pictural, peignent d’une façon saccadée et subtile, qui
leur est propre, le temps de la vie. Le temps - climat, l’air,
l’atmosphère, le ciel, la météorologie, les nuages, la lumière, les
reflets, les températures, le vent (c’est Émile Zola qui sera le
promoteur et critique de ce mouvement).
« Rassemblés initialement autour de Manet, les peintres Renoir,
Cézanne, Pissarro, Sisley, Degas et bien d’autres veulent fixer
l’impression ressentie devant une nature, un paysage urbain, fugace et
insaisissable : eau, brume, ciel d’orage, lumière diffuse, fumées
d’usine… Les formes échappent à la rigidité du dessin, laissant tout
son pouvoir d’évocation à la couleur. »3
3 Article « Les impressionnistes » de BRIGITTE TSCHAMPER in De l’art rupestre à l’art numérique in http://www.brigitte-tschamper.com/art-numerique.html
21
Dans ce tableau de Monet, nous avons froid, nous entendons la
pie qui chante et nous ressentons le vent qui souffle entre les branches
des arbres. Nous avons donc réellement l’ « impression » d’y être. 4
Dans la mesure ou les impressionnistes sont les peintres du fugace et
de l’insaisissable nous pouvons affirmer qu’ils sont des artistes du
temps. Les impressionnistes traitent du temps, du « weather » et de la
fugacité du monde, narguant ainsi la technique envahissante d’arrêt
sur image et temporalité : la photographie, l’art du petit bourgeois.
Saisir le temps est un rêve d’artiste : La photographie donne l’illusion
quasi instantanée de la saisie du temps.
4 Claude Monet, La Pie, Effet de Neige
22
5
Edouard Boubat6 a dit dans l’introduction de son ouvrage « La
photographie » : « Je suis confondu par mon impuissance à dire, au
vrai je n’ai rien à faire qu’a appuyer sur le bouton…, la photographie
est une invitation à regarder mieux ce que nous croyons voir, à nous
reposer un instant devant la vie…, je marche dans cette ville, je suis
les pas d’Adget, Doisneau, Isis, Ronis, Cartier-Bresson, de tous ceux
5 « Pluie, place Vendôme », Willy Ronis, Paris 1947.
6 1923‐1999 Photographe et reporter de l’après guerre, l’un des principaux représentants de la photographie humaniste française.
23
qui ont rêvé saisir, dans leur boîte magique, l’insaisissable, le temps
qui passe, le temps perdu, le temps retrouvé ».7
L’innocente « boite magique » dont parle Boubat est devenu
bien plus magique aujourd’hui grâce à la révolution numérique, l’art
du petit bourgeois s’est ultra démocratisé. L’appareil photo
numérique, et l’émergence de nouveaux supports, produits en grande
série a atteint un prix d’accès au grand public et est ainsi devenu un
produit de grande consommation, un quasi instrument de survie dans
nos sociétés numérisées. Les réseaux sociaux sur internet, là ou les
frontières entre vie privée et vie publique sont inexistantes, carburent
désormais aux clichés numériques, dans le vortex universel de la mise
en scène des avatars dans la vie quotidienne, le narcissisme virtuel et à
fortiori réel en 2010 bât son plein.
« République du moi » dirait Paul Ardenne,
« Culture du Narcissisme » dirait Christopher Lasch.
Resserrons nous.
Dans l’articulation de cette étude, on approchera le travail
d’artiste tel Bill Viola et Christian Boltanski, entre autres qui traitent
d’une manière distinguée de la et la question du temps. Nous
explorerons et comparerons, nous trouverons des points de
divergences, de convergences. Toutefois, il nous arrivera de nous
aventurer succinctement sur le territoire d’autres créateurs dont le
7 Edouard Boubat, « La Photographie » introduction p 9 et 10, Février 1989 Ed. Le livre de Poche paru en 1991.
24
travail se trouve dans le champ du viseur de notre investigation. Mais
aussi de piocher des informations, des méthodes, des tentatives, dans
le milieu de l’art bien entendu, mais aussi à travers la philosophie, les
médias, l’actualité, dans les sciences, l’histoire ou toute autre division,
nécessaires à l’éclaircissement de notre chemin de bataille. Justement
nous finirons en évoquant le particulier fabricant de montres Romain
Jérôme, car comment parler de temps sans parler d’horloges.
Ère, période, cycle, millénaire, époque, siècle, année, durée, mois,
jour, heure, minute, mois, seconde, nano seconde.
Intervalle, instant, moment, course, retard, vitesse, phase,
précipitation, évènement, évènementiel, ubiquité, instantanéité,
actualité, tendance, mode, passé, passéisme, présent présentisme,
futur, futurisme, souvenir, espoir, âge, enfant, adolescence, jeune,
adulte, vieux, mort.
25
Questionnons nous.
Que pensent les philosophes du temps ?
Qu’est ce que le temps ou plutôt les temporalités dans la société
contemporaine ?
Qu’est ce que le temps dans l’art contemporain ?
Comment le temps devient il l’objet, le matériau, bien qu’immatériel d’une
œuvre d’art ?
Comment l’irréversible temps qui passe est figuré par les nouvelles techniques
d’expression dans l’art contemporain ?
Comment cet art du temps et ces nouvelles temporalités redessinent la réflexion
de nos rapports au temps dans nos sociétés globalisées, numérisées ?
Comment les NTIC métamorphosent elles les temporalités
Rappelons nous.
Depuis l’âge classique et jusqu'à la renaissance, l’artiste ne
signait pas ses œuvres et l’Art était totalement canonisé et n’était
employé que pour servir les causes « sacrées » de cette période. La
religion, les Mythes et Légendes, le pouvoir royal, les guerres et la
noblesse notamment pour les glorifier. Ainsi pour de telles louanges il
se devait d’utiliser des matériaux à la hauteur de la sacralisation des
sujets. De ce fait on maniait le marbre, l’or, le bronze, la pierre, la
peinture pour immortaliser le plus efficacement qu’il soit sur des
support destinés à durer dans le temps les exploits sublimés des
Hommes et des Dieux. Les peintres de l’âge classique se servaient de
la peinture aussi pour figurer et dépeindre un état des lieux du passage
forcé et divin du temps sur la terre et ses Hommes, ils montraient des
26
cadavres, des visages desséchés, les différents corps à différents âges
de la vie, ou les restes d’une cité dévastée. Mais ces mêmes maitres de
la peinture n’étaient pas assez téméraires, assez entreprenant ou
n’osaient ils pas simplement essayer de figurer le temps lui même.
Aujourd’hui nos artistes contemporains sont indéniablement
plus libres et audacieux que les artistes des temps plus classiques. Ils
ont trouvé le courage, la volonté et l’inspiration pour parvenir à
représenter et à mettre à l’épreuve le temps via des moyens et supports
artistiques autres que la peinture encore alors insoupçonnés et qui
vont s’avérer avoir une capacité de diffusion massive phénoménale
grâce a l’enregistrement, aux réseaux sociaux et aux NTIC. Comment
aurions nous pu pensé alors que l’art deviendra libre, éphémère et
même volatile ? Comment aurions nous pu pensé qu’il ira même
jusqu'à être abstrait ? Comment aurions nous pu pensé qu’il utilisera
des matériaux des plus pauvres qu’il existe sur terre dans l’unique but
parfois que de montrer ces matériaux.
Comment penser tout cela alors qu’auparavant les artistes
avaient un rapport fort engagé à ce qui dure, et que le propre de leur
travail était d’atteindre l’éternité en travaillant les matériaux qui
résisteront le plus longtemps alors qu’aujourd’hui nous pouvons
assister a des manifestations artistiques qui n’utilisent même pas de
matière comme les évènements, les happenings, l’art vidéo, l’art
numérique. Les œuvres n’ont plus d’espace propre mais elles
possèdent un temps. Nous ne pouvons pas situer une vidéo de Bill
Viola géographiquement car si on détruit tous ses supports elle
n’existerait plus dans l’espace du monde ; mais par contre rien ne
nous empêchera de se demander depuis quand la vidéo n’existe plus ?
27
.Nous, sommes actuellement en 2010, notre monde au chevet
du Web et du développement durable, et le rapport de
communication entre les hommes et entre les machines et les hommes
s’est métamorphosé. L’avènement et la prolifération des Nouvelles
Technologies de l’Information et de La Communication, avec
lesquels, inutile de le dire, tout va de plus en plus vite. Le temps en
tant qu’il est perçu a changé. On entend par la que le temps a muté
d’une manière socio-psychologique et non scientifiquement. Car
physiquement nous ne pouvons pas altérer le temps car il demeure
une autorité universelle indomptable à laquelle Tout et Tous se
heurtent. Mais par la science et la technique, nous avons inventé des
objets que l’on a interposé entre le temps et nous même et qui a
modifié le flux interrelationnel homme / temps.
On parle d’art et de société contemporaine et nous allons donc
nous intéresser à nos artistes et sociétés contemporaines dans leur
relations et travail avec et sur le temps.
Les Hommes voient et appréhendent le temps différemment, or
les artistes sont des Hommes donc les Artistes voient et appréhendent
le temps différemment. Essayons de constater comment l’actualité, la
société, l’art et la philosophie montre ce temps en tant qu’il est
dominant, comment certains artistes jouent du temps dans leurs
œuvres en le poétisant, l’idéalisant ou au contraire en le vulgarisant.
28
TABLE DES MATIÈRES.
29
Avant propos introductifs :………………………………………………… 4 – 21.
LA PHILOSOPHIE DU TEMPS : ………………………………27 – 32
DE LA CHRONO DIVERSITÉ À L’ACCELERATION DU
RÉEL :…………………………………………………………………… 33 – 38
LES NTIC COURBENT L’ESPACE TEMPS : ……………….39 – 47
‐ Le temps des NTIC ou la cyber
chronophagie………..............................................................41.
‐ L’art à l’heure des NTIC…………………………………………50.
L’ART OU LA RÉPONSE À LA QUESTION DU TEMPS :
55 ‐ 103
‐ Du temps à l’art……………………………………………………..61.
‐ TEMPORALITÉS ARTISTIQUES : Du créateur vers
l’œuvre, de l’œuvre vers le spectateur…………….........68.
‐ Du temps à l’art présent………………………………………..77.
‐ LE CHAPITRE BOLTANSKI : L’archiviste………………...82.
‐ BILL VIOLA : Le sculpteur du temps.……………………..95.
30
ROMAIN JÉROME : Un marchand de temps pas comme
les autres :……………………………………………………………….104.
CONCLUONS :…………………………………………………..108 – 109.
NOTES :………………………………………………………….. 110 – 112.
Bibliographie…………………………………………………………. 113.
31
Newton nous a démontré qu’il y a une seule et unique réalité
absolue et uniforme du temps, une réalité mesurée, une réalité
mathématique. Pourtant chez nous les Humains, chaque culture et
micro culture possède son rapport au temps. C’est ce qu’on appel les
temporalités. C’est à partir de cette observation qu’on peut affirmer
qu’il existe le temps de l’âme et le temps du monde. Les différents
rapports au temps dans les cultures sont ce qu’on peut désigner : La
Chrono-diversité. Nous savons bien par exemple que l’on vit plus
pressement au Nord qu’au Sud. Sud, ou les populations ont gardé un
rapport plus modeste au temps.
Au Nord, dans les sociétés occidentales, la mesure du temps qui passe
fait partie intégrante de la vie des gens et tout est orchestré par des
instruments à temps.
Que penser de la perception de la temporalité de la société occidentale
aujourd’hui en 2010 lorsque on entend Jérôme Kerviel dire dans son
récent et premier ouvrage polémique « L’engrenage : mémoire d’un
trader », et sur différents plateaux TV : « Placer 250 millions d’euros,
ça nous prends ¼ de seconde, chaque millième de seconde est capital,
on est obligé de ramener plus d’argent à la banque tous les jours »
Il y a plusieurs siècles déjà que les occidentaux assimilent le temps à
de l’argent, et cette idée s’est confirmée et installée dans les
représentations collectives avec l’avènement du capitalisme. Mais il se
peut qu’a l’heure critique ou l’on parle les choses changent, et ou
lentement le mot temps devrait s’assimiler à survie si l’on à bien
digéré le message que cette devise du capitalisme était la cause du
32
suicide écologique collectif de la planète Terre. Dans le film « Les
Temps Modernes » sorti en 1936, Charlie Chaplin à essayer en vain
de nous manifester le ridicule de la course folle de l’industrie. Course
à laquelle il était aux premières loges du départ aux Etats Unis. Il a
bien souligné l’aliénation et le délire qu’apportait le rythme effréné de
production et le développement précipité et impatient de
l’industrialisation du monde qui a crée la société moderne dans
laquelle nous vivons aujourd’hui en occident et qui a la fâcheuse et
désastreuse manie de déteindre sur les sociétés plus « innocentes »,
moins abusives ou simplement plus naïves du sud. Cet occident
capitalisé voie aujourd’hui bien ses limites : Crise des subprimes et
marchés financiers, la Grèce en banqueroute menaçant de contaminer
l’europe, l’euro instable et c’est quand l’Europe éternue que l’Afrique
tombe malade.
La chrono-diversité du monde est en voie d’extinction et
d’uniformisation.
Synchronisation, dates, horaires, délais, emplois du temps,
instantanéité, innovation, avant garde, avance, veille sont devenus les
maîtres auxquels il faut obéir à l’œil, sinon quoi on manquerai un
rendez-vous, un train, une heure ou date butoir, une limitation, un
ultimatum qui serait étroitement lié au temps et donc à l’argent. En
d’autres termes cela nous appauvrirait de ne pas se soumettre à cette
« temporalité chef d’orchestre » et nous serions vite dépassé par les
évènements quels qu’ils soient.
C’est du temps de la conscience dont il s’agit la ou plus subtilement
appelé le « temps de l’âme » dans la philosophie qui s’oppose au
temps du monde, au temps physique.
33
Donner une définition au « temps » n’est pas ce qu’il y a de plus
évident. Nous devons pour cela se pencher sur la philosophie.
34
La philosophie du temps.
« Le temps n’est ni un être ni un pur néant : il est le passage perpétuel
de l’un en l’autre »1.
1 « L’être‐temps » André Comte Sponville, p.9, Ed. Presses Universitaires de France, 1999, Paris
35
Voilà ce que commence par dire André Compte Sponville sur le
sujet dans « L’être temps ».
Il définit bien là son insaisissabilité et en même temps nous
pouvons sentir que la définition essaye de fuir le concept concret, la
réponse contient elle même des questions. Sponville se demande si le
temps n’est ni néant ni être alors il ne peut être que les deux à la fois.
Mais comme cela est impossible alors il dit que le temps est ce qui
sépare l’être du néant. Plus tard dans son texte il tente de nous
suggérer que pour qu’il y ait temps : « Il faut donc qu’il y ait de l’être,
pas d’être, pas de devenir, pas de temps, pas de changements ». On
comprend la que la condition du temps c’est l’être. En réalité, le
temps qui nous préoccupe tous est en vérité le présent, de plus nous
dans l’ère du présentisme, le « tout, tout de suite ! ». Le présent pour
André Comte Sponville est « cette apparition-disparition de tout,
qu’on appelle le monde, ou le présent ». En effet, tout passe, tout
change, tout disparaît dans le monde. L’exposé de Montaigne à ce
sujet est à retenir joyeusement :
« Le monde n’est qu’une branloire pérenne. Toutes choses y branlent
sans cesse : La terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Égypte, et du
branle public et du leur. La constance même n’est autre chose qu’un branle
plus languissant. »2.
2 «Essais », Michel de Montaigne, III, 2, p804 ed. Villey‐Saulnier.
36
Les choses existent dans l’espace et dans le temps. Mais les choses
impalpables n’ont pas d’espace propre et n’ont finalement lieu que
dans le temps. Sponville dit : « Être, c’est être dans le temps ; il faut
donc que le temps soit… il contient tout, il enveloppe tout, tout ce qui
arrive, arrive dans le temps…, tout ce qui advient ou dure n’a pas
forcément de lieu… Il est exactement la condition du réel » Ceci peut
de nouveau s’expliquer par cette question : Ou se trouve la chanson :
« Sinnerman », chanson traditionnelle américaine popularisée par
Nina Simone ? La réponse est : nulle part, car c’est une œuvre de
l’esprit, elle existe dans le temps (enregistrée en 1965 par Nina
Simone) mais pas dans l’espace. On peut dater plus ou moins
l’impalpable mais on ne peut le situer. « Cela donne au temps une
espèce de suprématie au moins formelle : il est la condition sine qua
non de tout. »1. Aidons nous de la définition d’Aristote relevée par
Sponville dans Physique, IV (traduit par H.Carteron) : « Puisque nous
ne prenons pas conscience du temps quand nous ne distinguons
aucun changement mais que l’âme semble demeurer dans un état un
et indivisible, et qu’au contraire quand nous percevons et distinguons
un changement, alors nous disons qu’il s’est passé du temps, il est
clair qu’il n’y a pas de temps sans mouvement ni
changement… l’avant et l’après sont dans le mouvement et en tant
que nombrables constituent le temps» On l’a compris, Aristote pense
que le mouvement est la condition du temps. Après réflexion sur la
théorie d’Aristote, Andre Comte Sponville en viens à une hypothèse
qui consiste à dire que sans l’âme il n’y aurait que du présent. C’est à
dire que la tripartition Passé, Présent, Futur que l’on connaît tous
1 « L’être‐temps » André Comte Sponville, p.12, Ed. Presses Universitaires de France, 1999, Paris
37
éclaterait pour se condenser en un unique niveau : l’immédiateté.
Sponville nous dit : « Il n’y aurait sans l’âme, plus rien à mesurer,
puisque l’avant et l’après n’existerait plus, puisqu’il n’aurait plus que
du présent, que du simultané, que du pendant… »1. On ne pourrait
donc plus vivre la dimension du temps puisqu’il n’y aurait pas de
vivants pour la vivre, seulement une vaste éternité terne, fade, vide et
insignifiante. Alors à quoi sert le temps si il ne doit pas être vécu ? Ou
serait cette ultime Trinidad « Passé-Présent-Futur » qui articule notre
dessein ? Que serait la mémoire et les souvenirs pour le néant ? Qui
sera présent pour profiter de l’instant présent ? Quelle âme serait en
train de rêver à un autre avenir ? Que serait l’espoir ? André Comte
Sponville appellera aussi ce temps de l’âme, « le temps de la
concsience » en référence au philosophe Marcel Conche dans son
ouvrage Temps et Destin. Lorsqu’il essaye de penser le temps
A.C.Sponville nous dit : « Il faudrait en effet pour le saisir, penser
ensemble ce qu’il sépare (le passé et l’avenir) et maintenir ce qu’i
supprime (le présent) ; mais alors ce n’est plus lui que l’on saisit, mais
la temporlité. Penser le temps serait le méconnaître. »2. Il tente de
nous dire ici que lorsqu’on pense au temps, nous sommes en fait dans
l’erreur car ce que nous pensons être « le temps » est en fait de la
temporalité. Lorsqu’on pense au temps dans sa représentation sociale
dans une culture occidentale, on aurait tendance à penser à une
montre, à Chronos, à un sablier au flux infini, ou encore au néant.
1 « L’être‐temps » André Comte Sponville, p.19, Ed. Presses Universitaires de France, 1999, Paris
2 ibid, p24.
38
Néant sombre de l’univers associé au schéma de l’espace-temps
d’Einstein.
Lorsqu’on entre le mot « temps » dans « Google Image »
(moteur de recherche d’image sur internet), on obtient
successivement : Une image d’un homme près d’une pendule répétée,
Les montres molles de Dali, une montre, un sablier, encore une
pendule, le big ben de Londres, une horloge, puis l’affiche des
« Temps modernes » de Chaplin. Et c’est un bon témoin de la réalité
(cyber) sociale en 2010 dans nos sociétés numérisées.
On va s’appuyer sur l’exemple simple de l’horloge d’A. C.
Sponville se fondant sur la réflexion d’Henri Bergson dans Essai sur les
données immédiates de la conscience. Cette horloge donc, communément
reconnue, « ce n’est pas du temps » nous dit-il. « C’est de l’espace, et
les aiguilles n’y occupent jamais qu’une position à la fois…leur
position successives, n’ont de sens que pour un spectateur conscient
qui se remémore le passé et les compares les unes aux autres.
Supprimez la conscience et vous n’avez plus de temps ni de
succession…que du présent»1. Puis en s’appuyant sur Etre et Temps
d’Heidegger il nous suggère cette conclusion: « Le temps n’existe pas
dans le monde mais dans la conscience, (ou l’âme) ce n’est qu’une
1 Ibid, p27.
39
objectivation abusive, naïve de la temporalité comme dimension
extatique de la conscience. La subjectivité n’est pas dans le temps mas
dans ce qui le fait advenir »2 Donc nous les êtres dotés de conscience.
Ainsi ce qu’il faudrait comprendre en rapport avec la présente étude
c’est que le terme de chrono-diversité n’est autre qu’un clair et limpide
synonyme du terme « temporalité ». Le temps ne pourrait être étudié
pour ce qu’il est mais plutôt pour ce qu’il représente et c’est l’homme
qui le déploie, le constitue, le développe et l’enveloppe autour de son
existence. Les diversités du chronos dont nous traitons ne sont autre
qu’une écriture temporelle de l’homme, une chronographie
personnalisée.
La thèse de Sartre rejoint l’esprit qu’il n’existe pas de temps
dans la mesure ou : « Le temps n’est plus, l’avenir n’est pas encore et
le présent instantané, chacun sait bien qu’il n’est pas du tout »1
Alors, dans une certaine mesure on pourrait dire, que ce n’est
pas l’homme qui subit le temps, mais le temps qui subit l’homme.
Seulement il n’ « est »pas là et donc ne peut nous le reprocher.
Pour les plus curieux lecteurs et chercheurs, André Comte
Sponville nous suggère que le « plus formidable effort philosophique »
jamais consacré au temps est le Livre XI des Confessions de Saint
Augustin, pour qui somme toute, le temps c’est « l’éternité divine ».
2 Ibid, p28.
1 L’etre et le Néant, II, chap. 2 (la temporalité), Paris, Galimard, 1943, rééd.1969 p.150
40
DE LA CHRONO DIVERSITÉ À
L’ACCELERATION DU RÉEL
Société, culture, média et communication.
« « Slow news. No News »
L’adage du journalisme devient celui de l’historien de l’instant :
« Slow History. No History » »8
8 Le Futurisme de l’Instant, « La propagande du progrès », p.60, Paul Virilio, 2009, Gallilé, Paris.
41
Barack Obama président des États Unis d’Amérique actuel a déclaré à l’université d’Hampton en Virginie : « Avec les Ipod, les Ipad, les Xbox et les Playstation, l’information devient une distraction, une forme d’amusement plutôt qu’un outil d’épanouissement. »
Aujourd’hui en 2010 dans notre monde surpeuplé, il est trop
tard, car beaucoup trop d’esprits sont déjà accoutumé et mobilisés par
ces nouvelles hyper-temporalités et l’accélération du réel.
On n’a pas besoin d’être surdoué pour avoir compris que la
temporalité dans les médias et surtout les mass-médias est devenue
supersonique. La perspective du temps réel d’émission-reception à
changé. Mitraillés de messages, qu’ils soient informations (plus ou
moins pertinentes) ou publicités, nous ne savons plus ou donner des
yeux et des oreilles. Ce phénomène de saturation entraine
l’obsolescence des contenus et la quasi instantanéité de leur date de
péremption. Ces contenus qui étaient à l’origine l’essentiel de
l’information, se voient doublés par la force des choses par le nombre
d’informations sur le sujet. C’est dans la fréquence qu’est la vérité, de
nos jours plus on parlera d’un objet discutable plus il sera considéré.
Lorsqu’on voit qu’un geste malhonnête dans un match de football fait
la une de tous les médias, sur quelque support qu’il soit, pendant une
semaine, alors qu’il y a urgence planétaire, il y a de quoi se poser des
questions quand à la perdition de l’information, dans laquelle le
rapport dérisoire qu’on les médias au temps joue un rôle crucial et
délicat.
Dans un entretien télévisuel, Claude Levi Strauss dénonce que
la surpopulation de notre planète est due à l’essor des Nouvelles
Technologies de l’Information et de la Communication et celui des
42
transports. En effet il accuse la vitesse des communication et leur
omniprésence en tant que vecteur de l’érotisation ainsi qu’accès trop
précipité à l’autre.
Nous ne pouvons parler de crise du temps contemporaine sans
étudier Paul Virilio, qui avait déclaré en 1977 : « La vitesse est la
vieillesse du monde ». Approchons son récent ouvrage, « Le
Futurisme de L’instant ». Ou il essaye de manifester sa lutte pour
« une société de nouveau respectueuse des longues durées. ».
En tant que maître en dromologie et en urbanisme, Paul Virilio
dresse ici un constat prévisionel et meme actuel, sur le plan humain,
social, économique, politique, géographique, démographique et
écologique sur le désastre planétaire d’un progrès technologique et
scientifique ambigu. Il dénonce le faux bonheur du profit immediat lié
à l’accès à l’instantanéité du monde, drainé par une course au progrès
trop puissante pour une planète trop fragile. Paul Virilio nous dépeint,
un monde uniforme qui confondant vitesse et précipitation à souillé le
cours de son Histoire et à modifié dangereusement son rapport avec le
temps, la nature et son envirronement. Il jette à la gueule du monde
comme un Levi Strauss dégouté de ses voyages finalement, le dégout
de l’accélération du reel: « Le bilan d’une accélération de l’Histoire
qui débouche non seulement sur l’épuisement de la GÉO –
DIVERSITÉ du visible, mais aussi sur l’extinction progressive de la
CHRONO – DIVERSITÉ du sensible »9. Se basant sur des
statistiques, des chiffres, des prévisions officielles et des ouvrages,
Paul Virilio affirme que l’on est à l’aube d’une crise migratoire sans
9 Le Futurisme de l’Instant, « La propagande du progrès », commentaire, Paul Virilio, 2009, Gallilé, Paris.
43
précédant ou sédentarité et nomadisme ne feront qu’un. “Une
offensive migratoire du troisième millennium” comme il la nomme.
Un mouvement démograhique qui sera essentiellement dus aux
modifications inéluctables qui s’opéreront sur la plànète pour faire
face aux mutations climatiques et environnementales. En ce sens
“l’exode massif des foules désoeuvrées nécécitera une capacité
d’emport, de transport et de communication à la hauteur. Il compare
l’exode rural du siècle dernier à l’exode urbain à venir qu’il faudra
manager en regard de l’incessante acsension démographique, qui fera
de nombreux réfugiés, migrants et “déportés”. Son idée est que dans
la mesure ou il va falloir faire le moins de déplacements possible en
vu d’économie d’énergies et de prevention de pollution les transports
devront se focaliser sur leur capacité d’emport maximum. Et plus le
mouvement augmente plus la traçabilité et le contrôle augmentent,
souligne Virilio.
En contre partie et d’une certaine manière plus il y aura
de contrôle, de censures et de contraintes en ce monde et plus
l’imaginaire des artistes débordera sur la société. Nous avons pu
assister à l’explosion de la musique Jazz en Europe, après que
Goebbels l’eu interdite pendant l’occupation nazie la qualifiant de
dégénérée. Cette musique, cet art du temps, forme emmergeante du
blues des fins fonds des champs de cotons ou travaillaient les esclaves
noir dans le Sud des États Unis, pendant la segregation qui rappel
toute cette forte époque.
Paul virilio pense, par ailleurs, que nous somme perdu et que la
planète sature alors nous pensons à en coloniser d’autre, c’est ce qu’il
nomme l’exo-planète. Il a surement du être conquis par le roman de
44
Sciences ficton dans lequel l’Homme devait quitter la terre à cause des
guerres et de la pollution, 2001, l’odyssée de l’espace d’Arthur C.
Clarke merveilleusement adapté par Kubrick en 1968 au cinéma ou
plus récemment le film Avatar de James Cameron (décembre 2009),
qui à mis en image et en relief (3D) son image du peuple humain qui
parce qu’il a épuisé les siennes, colonise d’autres planètes pour en tirer
les richesses et les énergies. La sciences fiction anticipe t’elle le futur ?
Yves Fremion, auteur et historien de l’écologie remarque que certains
auteurs inspirés par un monde inquiétés avaient vu juste. En 1912
H.G. Wells prédit les dégâts de la bombe atomique inventée en 1940,
Rudolf Steiner imagine la maladie de la vache folle dans les années
20, Franck Herbert dans son célèbre roman Dune paru en 1965
anticipe le problème de la sécheresse et du manque d’eau pour les
humains.
“Les artistes entrevoient ce que nous historiens analyserons”
Thierry Dufrene.
Recentrons nous sur ce qui serait interressant de soulever dans
l’ouvrage de Virilio et que l’on pourait étroitement lier avec la
temporalité dans l’art, c’est l’idée de destruction des chronodiversités
et de l’historicité du monde, par le phénomène grandissant du
futurisme de l’instant.
45
“La vitesse du progress c’est la vieillesse d’un monde réduit
aux acquêts, dont la Grandeur contre Nature supprime toute
étendue “durable”, l’instantanéité et l’ubiquité éliminant l’antique
tripartition passé-présent-futur.”10
Après l’accélération de l’histoire du siècle dernier due
essentiellement à la révolution industrielle et aux guerres, c’est la
présente accélération du réel que remet en cause Virilio en dénonçant
une nouvelle forme de temporalité due à la révolution
informationnelle qui prétend sans cesse l’urgence et la globalisation
du profit immédiat. La révolution de instantanéité des transmission,
des nouvelles technologies de l’information et de la communication, à
contaminé l’Homme et son Histoire dans ses rapports internes et
externes. Aujourd’hui, dans la mesure ou le progrès vertigineux, tout
puissant et aveugle, prônant l’accélération du réel, la synchronisation
et l’interactivité des relations humaines et cybernétiques à envahit le
cosmos, c’est Histoire de l’accident informationnel, évènementiel qui
l’emporte sur l’Histoire des longues durées de notre temporalité
classique. Ceci entraine la perte de durée de nos diverses activités et
endomage notre perception du temps, ce que Virilio dénomme
« l’extinction prochaine de la chrono-diversité du sensible et des
rythmes de vie de l’humanité». Comme ci les efforts
technoscientifiques nous mettaient face à une impasse du sensible et
une panique apocalyptique en développant des nouveaux
phénomènes de synchronisation et de simultanéité.
10 Le Futurisme de l’Instant, « La propagande du progrès », p.59, Paul Virilio, 2009, Gallilé, Paris.
46
LES N.T.I.C. COURBENT L’ESPACE TEMPS
47
LE TEMPS DES NTIC OU LA CYBER CHRONOPHAGIE :
48
Aujourd’hui, c’est juste évident, qui ne possède pas de page de
profil « facebook »11 est has been. On existe plus sur la toile que dans
la réalité. Internet est un véritable piège à temps car c’est une activité
démesurément chronophage. Une récente étude de l’Insee révèle
qu’en France il y a des personnes qui consacrent plus de temps dans
une journée à l’informatique et à internet qu’à la vie extérieure. Paul
Virilio dénonce la dépendance compulsive à internet. Jusqu'à se
demander que ne pas exister sur le net c’est ne pas vraiment exister.
Cette nouvelle vie virtuelle concerne naturellement les privés comme
vous et moi, mais surtout aux sociétés et entreprises, qui pour prouver
leur existence, leur implantation et leur valeur se doivent d’avoir une
cyber interface de nos jours.
Désormais la fiabilité, la crédibilité des sociétés s’exprime via
internet : Référencement, Site Web, Nombre de visites, système de
cyberpaiement, ou pour les connaisseurs l’IDM. Il s’agit de l’indice de
densité d’un mot c’est à dire la notoriété d’un mot, nom ou marque
sur internet via les moteurs de recherche. Tout est mesurable sur le
net, il y a eu l’essor d’un cyber marché ou l’offre et la demande, c’est
a dire les consommateurs et les producteurs ne sont autre que des
avatars. Et bien entendu c’est le nouveau terrain de jeu du malheur du
monde : Le Marketing. Nous sommes entré en cette fin de première
décennie du XXIème siècle dans ce que l’on pourrait appeler l’empire
du Geek. « Geek » ici désignant, plus que les adeptes, les disciples et
les tenants de la cyberculture. En d’autres termes le Roi des Geeks
11 Réseau social rassemblant 400 millions de membres en 2010. 2ème site le plus visité au monde après Google.
49
serait aujourd’hui Steve Jobs, le patron d’Apple1, car il a geekisé le
monde entier avec ses propres rêves et créations, Ipod, Iphone, Ipad,
Macbook, plus personne ne peut s’en passer. Car être geek c’est
contagieux, un malaise se fait sentir lorsqu’on est pas à la page, qui
plus est à la page internet !
Sur internet, (ordinateurs et mobiles) la planète des geeks et des
avatars le temps et sa perception est modifié. On ne jure que par
l’instantanéité. Chat, messages instantanés, paiement instantané,
chargement instantané, téléchargement etc…) On a pas le temps
d’attendre lorsqu’on utilise les nouvelles technologies de l’information
et de la communication. On est dans une cyber dimension du temps.
L’internaute n’a pas le même temps que les autres. Il est plus pressé et
attendre est sa hantise absolue. Une fois 3 clics dépassés sur une page
1 8,75 millions d'appareils livrés dans le monde. Apple a également livré 10,98 millions d'iPod et 2,94 millions de Macintosh. Source : www.e24.fr/hightech.
50
internet sans avoir obtenu satisfaction il la fermera sans pitié. Mais
cela est compréhensible d’avoir un nouveau rapport au temps
lorsqu’on navigue dans un océan ou l’accès à la connaissance, à
l’information, à la communication et à l’autre est virtuelle certes mais
Immédiate. La raison de cette altération est que l’être virtuel est
plongé dans une alter-réalité virtuelle du temps et donc on obtient une
alter-perception du temps. Le fait davoir un accès à la carte et
disponible de la connaissance fait des utilisateurs d’internet des faux
savants et des oublieux. Le phénomène grandissant que l’on peut
observer est que cette nouvelle perception du temps virtuelle déteint
sur la réalité. Un internaute pouvant télécharger un film en 20
minutes ne prendra ni temps ni argent pour aller au cinéma, sauf si le
cinéma offre un spectacle inaccessible à domicile, comme la 3D
émergente ces temps ci (Avatar de James Cameron, ou Alice aux
Pays des Merveilles de Tim Burton font le plus d’entrée au monde en
2010 et ils sont en 3D). Si il a envi de rencontrer un ami il ira sur
Facebook, si il a envi de rencontrer l’amour il ira sur Meetic1.
L’internaute n’a tellement pas de temps que même pour la recherche
de l’âme sœur des sites comme « MeeticAffinity », lancé par Meetic
en 2008, se sont spécialisé dans la mise en relation des personnes les
plus complémentaires par voie de profiling, se basant sur des facteurs
de compatibilité. C’est ce que l’on appel le Matchmaking, c’est à dire
mettre en relation deux individus par rapport à leur affinités. René
Barjavel l’avait déja imaginé dans son roman fantasmagorique : « La
nuit des temps » ou un arbre magique désigne les couples faits pour
vivre ensemble éternellement créant ainsi une société modèle. Mais
1 Premier site européen de rencontre en ligne. 133 millions d’€ de CA en 2008 contre 1 million en 2002.
51
sur la planète internet tout s’achète, même l’amour. « Perspective de
l’audition ou de la vision et bientôt, perspective paradoxale du
toucher et d’une tactilité à distance, dont les télé-opérations des
sondes spatiales sont déjà le modèle exotique. Que reste-t-il, dès lors
de la proximité physique ? »2. C’est toute la vertu de la patience qui
est mise en jeu, le danger concerne surtout les générations nouvelles
qui sont nés avec ces nouvelles technologies de l’information et de la
communication, pour lequel l’écoulement du temps, le temps subjectif
n’est pas et ne sera pas le même. Le monde s’empresse laissant place à
l’accélération du réel et à la disparition des chrono-diversités.
Windows mobile, Iphone ou Blackberry les PDA (Personal Digital
Assistant) plus connus en français sous le nom d’ « assistant
numériques personnel » et autres Smartphones (téléphones
intelligents) et leurs infinies applications inclues, gratuites ou
payantes : Peer 2 peer (Bluetooth, infrarouge), réseau local wifi,
radiotéléphonie GSM, GPRS, Edge, 3G, TV numérique DVB-H,
navigateur web, courrier électronique, lecteur mp3, image et vidéo,
achat en ligne, chat, météo, géo-localisation, guidage par satellite,
jeux, multimédia etc. Ces nouvelles organes numériques de la taille
d’une main, incluant l’informatique, internet, et les
télécommunications, sont censées simplifier la vie de l’homme
moderne, être une extension de son corps et de son esprit ne sont elles
pas plutôt en train de l’handicaper ? D’accélérer son rapport aux
choses créant ainsi des êtres plus pulsionnels, plus assistés, plus
pressés, plus stressés que jamais ? Par ailleurs ces télé-technologies
2 Le Futurisme de l’Instant, « La propagande du progrès », p.80, Paul Virilio, 2009, Gallilé, Paris
52
créent une nouvelle activité et vie économique, un nouveau marché.
Des emplois certes, mais un monde de plus en plus digitalisé, des
consommateurs et des publicitaires partout autour d’eux pour les
séduire. Surtout que pour atteindre un maximum d’utilisateurs ces
gadgets multifonctions se sont démocratisé et ont atteint un prix
accessible au plus grand nombre. Leur prolifération est fulgurant, il n’
y a qu’a apprécier l’évolution du chiffres d’affaires des tenants du
marché, qui même à très court terme est parlante. Ce phénomène fait
de nos sociétés des sociétés fainéantes, téléassistées, criblées
d’informations un nouveau langage, un nouveau rapport aux temps,
un terrain de jeu infini pour les publicitaires et donc un réseau social
finalement très parasité de messages indésirables : cybermarketing, e-
mailing, spam et marketing viral. En somme, une société pistée,
guêtée. L’avenir du web s’étend naturellement vers une démocratie
participative basée sur les réseaux sociaux, et les avatars sont les
futurs consommateurs et le processus est déjà lancé .1 D’ores et déjà
on peut voir aux États Unis des personnes qui se sont rencontré sur
Second Life 2, qui se sont d’abord mariés virtuellement puis qui ont
fini par se marier dans la réalité « Il ne faut pas voir le réel d’une part
et le virtuel de l’autre aujourd’hui le virtuel, Second Life est
simplement une extension du réel »3. Sachant qu’un réseau comme
Second Life est tellement utilisé qu’on y imagine des stratégies
1 À lire sur le sujet : « La révolte du pronétariat » de Joel de Rosnay.
2 À la fois jeu et réseau social, univers virtuel en 3D crée par Linden Lab en 2003 dans lequel aujourd’hui de grands groupes mondiaux comme L’Oreal, Toyota, Orange, Cortal Consors ou encore Galerie Lafayette usent leur marketing. Aujourd’hui on peut assister à un concert de U2 ou même postuler pour un emploi sur Second Life.
3 « The cat, the révérant and the slave » Alain Della Negra, Kaori Kinoshita, Capricci films, 2009.
53
marketing virtuelles spécifiques aux utilisateurs de Second Life donc
aux Avatars, comme des meeting ou rassemblements d’utilisateurs
pour une cause à la base divertissante mais au final criblée de
messages publicitaires.
Pour reparler « mobiles » et attester que ce secteur est un acteur
majeur de la courbure du temps, rendant les choses plus simples, plus
rapides plus accessibles, laissons parler en image la publicité.
1
Sur le site internet de Samsung Mobile on peut lire dans les
caractéristiques du récent modèle que l’on a pris pour exemple :
« messagerie instantanée et accès aux réseaux sociaux. Restez
connecté avec votre entourage à tous les moments et situation de
1 Publicité Samsung Mobile Printemps 2010.
54
mobilité ». On veut littéralement nous connecter l’un à l’autre, nous
mettre en réseau.
C’est la soit disant tyrannie des distances (et de l’attente) qui
galvanise l’émergence des nouvelles cyber-cultures. Le terme
« distance » s’applique dans ce cas aux deux dimensions Espace et
Temps. On veut aujourd’hui que tout soit à porté de main et dans
l’immédiat. Gagner un maximum d’argent en un minimum de temps
tel est notre devise. On ne sait plus attendre, on ne sait plus apprécier
l’écoulement naturel des choses, comme par exemple s’envoyer une
tendre lettre manuscrite, surtout chez les jeunes dans les cultures
occidentales et occidentalisée.
Le développement des NTIC à crée en nous des pulsions
d’immédiateté dans notre besoin de communication que l’on a
certainement avec ou sans elle. Mais les NTIC rendent notre besoin
de communication obsessionnel.
D’après l’Insee et Eurostat il y aurait près d’1.5 milliards de
personnes abonnées à internet au monde et 3.3 d’utilisateurs de
mobiles et ce sont les chiffres de 2007, nous sommes actuellement en
2010 imaginez les chiffres du jour.
Par ailleurs ce qui est extrêmement inquiétant dans ce sujet de
la téléphonie mobile c’est la menace de notre sphère d’intimité.
Surtout lorsqu’on a lu l’article (envoyé spécial) du Monde du 11 mai
2010 intitulé « Le téléphone qui en savait trop » et l’inquietant sous
titre « Des ingénieurs américains ont mis au point un système (Sense
Network) permettant, grâce à la géolocalisation, de cerner l’âge, le
55
sexe, les goûts d’un utilisateur de portable ». Et plus on en lis plus on
est inquiets. « Les premiers futurs clients de Sense Network sont les
agences de publicité et de marketing et les professionnels du
commerce en ligne ». Inquiétant effectivement ce sentiment de se
sentir pisté, mesuré, observé, calculé, guetté à nos moindre faits et
gestes. Déjà internet offre la possibilité au publicitaires de nous
profiler et nous soumettre des offres personnalisées. Et l’on sent déjà
de l’agression dans ces méthodes. Ce serait indirectement de
l’harcèlement et de la violation de vie privée. Et au nom de quoi ?
L’argent, le marketing. Une fois de plus c’est la temporalité du
rapport aux choses qui en prends un coup on aura accès à encore plus
d’offres et on nous vendra plus de rêve, du rêve ciblé cette fois ci.
C’est littéralement de l’élevage et de l’éducation mentale que cette
psychologie de la communication est en train d’opérer. Alors
inquiétant est bien le mot du jour. On aura plus à prendre le temps
pour se chercher, se trouver soi même, car on nous dira qui nous
sommes ou du moins qui nous devrions être pour « bien passer » dans
cette société.
56
L’Art à l’heure des NTIC :
57
L’art aujourd’hui est à l’heure de l’industrie culturelle, grâce ou
à cause de l’essor des NTIC les œuvres d’art n’ont jamais autant
circulé. Perte d’aura pour un Walter Benjamin qui dirait que la
reproductibilité des œuvres provoque leur destruction mais
démocratisation du savoir, de la culture et de l’art pour nous tous le
« démos ». Véritable lubrifiant et vecteur d’accès à l’information et
aux connaissances Internet devient un musée cliquable. Au bout de
quelques secondes et quelques clics on peut avoir accès à la dernière
sculpture post pop art de Jeff Koons, à une scène macabre de Goya, à
une vidéo de Bill Viola ou de Name June Paik, aux Vanités
d’Abraham Mignon, à la rétrospective d’Andy Warhol, à
l’architecture Baroque, au corps mutilé d’Orlan, à la chaise de Starck,
aux photos d’Elliot Erwit ou encore au dernier live des Daft Punk en
VOD!
La culture est la nouvelle économie car elle est numérisable et
parcequ’elle est numérisable, numérisée et numérique les NTIC sont
le nouveau marché des œuvres d’un autre genre. « Aujourd’hui l’art
est un produit comme un autre et le spectateur d’abord un
consommateur »1. C’est pour ce fait même que Koons essaye de
répondre aux envies d’une certaine clientèle. L’artiste du XXIème
siècle à conscience qu’il a accès à un outil qui peut être facteur de
production et vecteur distribution de l’œuvre. « L’artiste use de tous
les mediums à sa disposition et parfois les combines : mixed media »2
L’ordinateur offre par exemple l’opportunité de création numérique :
1 Art le Present, Paul Ardenne, p 25 Éditions du Regard Paris 2009
2 Ibid, p.10.
58
Musique, Dessin, Design, Conception, Photo, Montage, le tout suivi
de la fameuse formule : Assisté par ordinateur. Bien entendu le
cinéma a ouvert les portes à l’art filmique. Mais depuis l’art moderne,
c’est avec le mouvement Art Vidéo et son précurseur Nam June Paik
que commence l’utilisation de techniques vidéo pour constituer des
œuvres d’art. Techniques vidéo qui ont rapidement migrés vers
l’informatique jusqu'à devenir aujourd’hui totalement indissociables.
La nouvelle utilisation des techniques informatique à offert des
opportunités d’écritures et réécritures esthétiques infinies : Stockage,
Montage Virtuel, Effets, Modifications et toutes autres opération
numérique. Nous somme depuis l’avènement de l’art vidéo et des
nouvelles techniques dans un mode de création appelé la
« performance » (artistique, vidéo…).
Sur les plateformes web V.O.D et p2p, plus où moins légales,
Rapidshare, Megaupload ou Torrentz comme sur certains sites
d’information reconnus on ne nous vend pas le contenu, c’est à dire
l’information, le fichier texte, image, son ou vidéo, mais on nous vend
la rapidité de l’accès à celle-ci. Sur Rapidshare par exemple on peut
télécharger gratuitement n’importe quel titre ou album tout juste sorti,
ou le film vainqueur de la palme d’or de Cannes de 1995, mais il y a
un prix de l’atteinte à la patience virtuelle. C’est à dire que pour
accéder à un fichier gratuitement on doit attendre par un système de
compteur et de compte à rebours un certain nombre de minutes avant
d’accéder à notre requête. Ce temps d’attente est d’environ 3 minutes
avec une fréquence de 1 téléchargement toutes les deux heures. Mais
c’est la que le Spam apparaît en nous proposant de payer pour un
accès plus rapide et illimité pendant 1 mois, 6mois, 1 an ou à vie !
avec des montant allant de 6 à 400 euros.
59
Sur Internet on peut surfer plus vite que la musique. Le leader
du célèbre groupe LCD Soundsystem dit au journal français Le
Monde en mai 2010: « Le monde va trop vite et quand on arrête de
faire quelque chose, on disparaît aussi tôt. Il y a eu plus de musique
publiée en 2009 que dans toutes les années 70. C’est trop
d’informations. Mais c’est libérateur aussi comme de disparaître dans
le désert. ». James Murphy tête pensante de LCD à tout dit en ces
mots sur les méfaits de la prolifération des NTIC pour l’art et
l’information. À peine une information reçue qu’il y en a déjà 100
autres qui font la queue et 100 autres qui sont en préparation pour
dans dix minutes !
Mais…
Grâce aux N.T.I.C des « webisodes » ou autres vidéos et courts
métrages « uploadés » (postées sur internet) peuvent connaître un
succès mondial phénoménal en peu de temps. C’est le phénomène de
Buzz et c’est le cas de « PIXELS »1 un excellent court métrage mêlant
tournage réel et conception numérique du français Patrick Jean avec 3
millions de vues sur Dailymotion et plus de 400 000 sur Youtube. Il a
déclaré à Libération, « Le jour je reçois des coups de fil de la France,
le soir je reçois des appels d’agents et de producteurs d’Hollywood ».
On pourrait dire que les NTIC on remplacé « l’American Dream » par
le « Web Dream ».
Un Web Dream qui se précise et s’authentifie avec le récent
phénomène Gaga. Lady Gaga c’est aujourd’hui une pop star
planétaire et une icône médiatique alors qu’un an en arrière personne
1 Voici le lien internet pour visionner ce court métrage: http://www.youtube.com/watch?v=ou8vRWTSsJo
60
ne la connaissait. Vive le marketing ! Elle est cité en page de
couverture du Monde du 17 mai 2010, journal qui lui consacre son
entière 3ème page dans ce même numéro. Mais cela va s’en dire elle le
justifie, bonne chanteuse, bonne danseuse, un style extravagant hors
du temps, Lady Gaga c’est « Phénomène digital, Lady Gaga
représente 25% du trafic de Vevo, site de vidéo crée par Universal,
Sony et EMI, avec Youtube. Ayant dépassé le milliard de connexions
(légales) sur le Net, elle intéresse jusqu’aux plasticiens comme
Damien Hirst »1
Dans notre époque contemporaine héritant de la révolution
moderne (minimalisme, less is more, pop art, readymade) c’est l’idée
ou le concept qui l’emporte sur la technique ou les matériaux utilisés
dans une œuvre d’art qui devient concept artistique. Il y a dans l’art
contemporain un désir d’extrémisme, de provocation et de politique
du choc. Et aujourd’hui où l’art circule rapidement et où donc la
vitesse de l’information est magnifiée, il faudrait remettre sur la table
le manifeste de Marinetti et le réapproprier à l’information et à la
communication et leurs technologies.
1 V.MO Le Monde 17 mai 2010 p.3
61
L’art, ou la réponse à la question du temps.
62
Il y a de ces artistes qui travail sur le champs du temps des
spécimens étonnants comme par exemple l’anglaise Christine Borland
qui est la seule artiste qui caresse le temps à rebrousse poil. Son travail
ou elle a souvent recours à des ossements humains (de squelettes
importés d’Inde) sont des sculptures qui remontent le temps. En effet
elle endosse la casquette d’anatomiste, s’entoure d’archéologues et de
criminologues, et opère à l’envers du processus normal d’élimination
naturelle du corps humain, elle va partir d’un crâne humain pour
reconstituer le réel visage de la personne. Du vide au plein. (Voir
Second Class Female).
1
On Kawara,artiste conceptuel d’origine japonaise, marque le
temps au sens propre du terme, il retranscrit la date du jour où il se
1 « The being you must create », Christine Borland 1997.
63
trouve en train de peindre sur ses toiles les célèbres « Date Paintings ».
Son travail est un simple décompte du temps tant qu’il passe. Il va
même jusqu'à crée de volumineux index de dates chiffrés dans son
« Un millions d’années ».
« Avec « un millions d’années » On Kawara dimensionne le
temps d’une manière évidement absurde »1
Cette mise en forme artistique du élémentaire s’oppose aux
multiples et différents travaux sublimés et psychiquement profonds
qu’opèrent d’autres artistes sur le temps, pour n’en ressortir que
l’essentiel son unité de valeur, une suite mathématique abstraite
dénuée de tout sens moral. Mais les œuvres d’On Kawara n’en sont
pas moins dénuées de sens, il y a même eu une lecture (performée) de
son ouvrage à la Documenta XI de Kassel en 2002. (Plus grande
manifestation d’art contemporain).
2
1 Art le présent, Paul Ardenne, p.349. .Éditions du Regard Paris 2009
2 « One million year (Past and Future) since 1970 » – On Kawara.
64
Le plasticien français Christian Boltanski dont un chapitre lui
est consacré dans cette étude, a lui aussi expérimenté l’absurdité du
signal continu du temps dans son œuvre « C’est l’heure» installée dans
la crypte de Salzbourg ou une austère Horloge parlante donne l’heure
par la voix de l’artiste imitant celles rythmées par un automatisme.
Pour parler de la rythmicité du temps invoquons sans plus
attendre le vidéaste Bill Viola dont, de même que l’artiste cité
précédemment, une partie plus approfondie de son œuvre est traitée
plus loin dans cette étude. Prenons comme exemple l’installation
vidéo « He Weeps for You » ou l’on voit grâce à l’agrandissement
d’un système d’objectif Macro, et l’on entend grâce à un son amplifié,
une goute d’eau tomber régulièrement. L’artiste par cette
représentation nous suggère une impossible chronométrie de l’ennui,
angoissante, peu pratique mais qui questionne l’essentiel des choses:
1
1 « He Weeps for You » Bill Viola 1976
65
« Dans cette installation, j'ai tenté de créer un "espace accordé"
où non seulement tout est enfermé dans une seule cadence rythmique
mais où un système dynamique interactif est produit dans lequel tous
les éléments la goutte d'eau, l'image vidéo, le son, le spectateur et la
pièce elle-même fonctionnent ensemble de manière unifiée comme un
instrument unique et plus grand. » Bill Viola.
Toujours pour parler de dilatation du temps et de rythme
constant, tout en changeant de registre, nous ne pouvons passer à côté
de l’ambassadeur de la musique répétitive électronique minimaliste et
expérimentale, Ricardo Villalobos.
Allemand, d’origine chilienne, Villalobos déploie le temps de
ses productions musicales, aux boucles exotiques sorcières sans
complexe. Au large des standards, des contraintes et des limitations
de la production Mainstream, permettant une expression musicale
d’une durée « Radio Edit » maximale de 3 minutes 30 à 4 minutes
grand maximum, le sorcier des samplers savoure et nous partage la
répétition extatique de ses boucles. Se moquant ainsi du temps officiel
que doit avoir la musique dans nos sociétés aux systèmes médiatiques
réglées comme du papier à musique, il déploie de longues ballades
techno et micro-house en découpant des bouts de Phillip Glass ou de
Depeche Mode. Son Album « Alcachofa » sorti en 2003 sur le label
Playhouse est un succès critique sur la scène underground mondiale
des musique électronique et à été noté meilleur album de la décennie
(2000 – 2010) par Resident Advisor (Residentadvisor.net), une
puissante organisation et réseau du milieu musiques électroniques. À
écouter : Son maxi « Fizheuer Zieheuer » sorti chez Playhouse en
2006 à ébranlé la scène et crée polémique. En effet Villalobos
66
développe et étale sur deux fois 40 minutes une boucle gitane
synchronisée sur un rythme techno tropicale minimaliste et très
répétitifs aux variations de cuivres, de congas, et autres percussions
très subtiles. Il y a dans l’étendue de cette boucle comme un désir
d’éternité de l’artiste de nous dire « Cette boucle ne fini jamais ». Un
autre moyen encore de fantasmer sur l’infini. Chez Juno Records sort
le Maxi « Enfants (chants) » 2008 ou l’artiste à enregistrer et réarrangé
sur une rythmique minimaliste des enfants chanter en cœur et dans un
ensemble brouillon la légendaire chanson « Baba Yaga la Sorcière »
pendant 16 minutes.
Villalobos dilate le temps dans ses production et nous enivre
avec des boucles parfaites pouvant à elle seule nous faire entrer dans
un état de transe, comme si dans ces boucles infinies, c’était le monde
entier qui avait disjoncté, ou « buggé » à la manière d’un ordinateur
au système surchargé. Voir le film « Villalobos » de Romuald
Karmakar présente à Venise en 2009. « Comment Ricardo Villalobos,
l'un des DJ de musique électronique les plus acclamés à travers le
monde, pense- t-il ? Comment entend-il ? Et comment les gens
réagissent-ils à son art ? » Télérama à propos du film.
67
Du temps à l’art :
Jan Patocka dirait « L’univers de l’art est un univers de
recherches et de conflts qui découlent de la manière dont l’humanité
historique comprend l’essence et la fonction de l’art »12. C’est en ce
sens que l’on peut affirmer le fait que dans l’art se trouvent les éternels
questions transcendantales et existentielles de l’humanité et
notamment celles du Temps qui comme dirait Aristote est
« embarrassante ». Jan Patocka compare les questions de l’art à « …
une réflexion tout ensemble historique, sociologique, esthétique et
philosophique ». Ainsi l’auteur nous livre un message fondamental
celui de la manière dont on comprend l’œuvre d’art à travers les
temps, « … le sens de l’œuvre d’art… est sujet à des variations
historiques… et reflète une évolution esthétique fondamentale ». C’est
la lassitude du chef d’œuvre éternel dans l’art qui engendre toutes les
fantaisies artistiques qui taquinent les dédales du temps et des
nouvelles temporalités dans l’art contemporain. Cette lassitude
concerne non seulement les canons esthétiques et ontologiques de
l’art mais aussi et surtout les techniques artistiques qui se voient
profondément bouleversés à travers cette révolution. Jan Patocka en
abordant les concepts discutés d’Hegel dans l’Esthétique, sur la
doctrine de l’esprit absolu les différentes formes artistiques qui
partageraient un même idéal s’opposant ainsi à la fonction même de
l’art, nous dit « La vérité de l’art, c’est la vérité tout court »1. Cette
12 L’art et le temps in L’art et le temps Jan Patocka (p344 – fin) édition P.O.L Paris 1990
1 Ibid
68
théorie se précise lorsqu’on observe la mouvance créatrice artistique
contemporaine qui obéit en quelque sorte à son temps tout en le
critiquant par l’usance de matériaux et de techniques qui eux même
découlent de ce temps. Nous pourrions par exemple faire référence au
Popart, au Readymade ou à toute autre forme d’art en Série qui
auraient comme tête de proue aujourd’hui en 2010 les artistes
businessman que sont Hirst et Koons. Le Design serait aussi un axe
central de ce débat lorsqu’on sait que Le Corbusier et F.L. Wright ont
adapté et répandu la pensée modulaire et l’utilisation en ABS2 grâce
aux petites briques du fabricant de jouets danois, LEGO. L’art est un
moyen de communication à travers lequel l’humanité peut prendre
conscience. L’artiste plasticien, Jan Vormann restaure à l’aide de
briques « Lego » le patrimoine de quelques villes tel Berlin, Tel Aviv
ou Amsterdam. L’artiste colmate les dégâts des guerres ou du temps
sur quelques constructions à travers la ville en incrustant des LEGO
PATCH.
Dans la mesure ou l’artiste plasticien Vormann colmate les
stigmates du temps grâce à son art contemporain de la brique Lego
réparatrice, nous pouvons allègrement affirmer que l’art est une
réponse à la question du temps.
2 Acrylonitrile Butadiène Styrène thermoplastique employé par l’industrie pour des produits rigides, légers et moulé. L’ABS a connu son âge d’or dans les années 1960 à 70.
69
1
Le vidéaste Marc Beurteaux, (parmi tant d’autres plus ou moins
professionnels) utilise quant à lui, des briques Lego pour totalement
mettre en scène ses fictions, en « Lego Motion » (voir : « Robota »).
Même le célébrissime Michel Gondry réalisera un clip vidéo du
groupe The White Stripes, pour la chanson nommée « I Für »,
entièrement en Lego.
1 « Dispatch Work » Berlin, Jan Vormann www.janvormann.com
70
Jan Patocka qualifie l’art de « medium spirituel qui dévoile le
monde avec une profondeur dont la science demeure incapable»3 Il
évoque une profondeur mythologique, magique, religieuse, cultuelle,
transcendantale dont une Science serait incapable et il nous donne
une définition de l’art qui pourrait résumer toute l’Histoire de l’art :
« L’art est le miracle contradictoire de la réconciliation du fini et de
l’infini, du sensible et de l’intelligible »1. Le temps est un ultime conflit
de l’Homme et son univers qui se situerait sur le seuil invisible du fini
et de l’infini. A ce que nous savons l’Homme finit alors que le temps
ou l’espace ne finit pas. C’est pour cela que l’Homme se pose cette
éternelle énigme : Pourquoi nous finissons alors que rien d’autre ne
fini ? Et comment pourrions nous savoir que rien d’autre ne fini ?
Nous en savons rien mais rien ne nous empêchera de nous poser
indéfiniment des questions sur le sujet notamment à travers le
medium de l’Art.
Dans l’art aussi bien que dans le monde les rapports de forces
ont changé. La vraie révolution, qu’a entrainé entre autre la mise en
place évolutive du système capitaliste et ses effets, est que l’Homme
est sortit du monde subit de la nature, des mythes et de Dieu pour
entrer dans un monde dont il est le seul maitre, un monde ou il lui est
libre de construire, déconstruire, détruire, reconstruire. Seulement
l’Homme en faisant cela s’est tendu un piège dangereux, car le
processus de production capitaliste ne se maintient que par sa propre
croissance.
3 L’art et le temps in L’art et le temps Jan Patocka (p344 – fin) édition P.O.L Paris 1990
1 ibid.
71
Citons Patocka de nouveau lorsqu’il dit que « l’art est en lui
même une manière de vivre, de sentir et de penser certains problèmes
religieux, sociaux, rituels ou éthiques, quelque chose qui donne accès
à la face caché du monde, à sa dimension extraordinaire, divine… »1
Comme si l’homme cherchait à saisir le pouvoir divin, le pouvoir du
temps. Cette pensée s’allie merveilleusement avec celle du poète
illustre du moyen orient Khalil Gibran lorsqu’il écrit : « L’art est le
premier pas de l’Homme vers l’infini » et il n’a pas vu flou sur un
aspect métaphysique, c’est ce que nous verrons plus tard à travers un
travail de l’artiste contemporain Christian Boltanski. Revenons à
notre révolution artistique ou l’on peut dire que le grand style pictural
classique s’est fait détrôné par l’art moderne et contemporain.
On passe d’un Nicolas Mignard qui tire fastidieusement le
portrait de Molière à « la nécessité intérieur » littéralement craché sur
une toile par Kandinsky le parrain de l’art abstrait. En d’autre termes
on passe d’un art conservateur orienté vers un « passéisme fuyant » à
un art qui se veut plus d’actualité, plus libre, plus axé présent et futur.
L’artiste a complètement retourné sa veste dans la société
contemporaine. Et cette veste il l’a achetée parce que dans sa société
contemporaine certains (guerriers du marketing) lui ont mis dans la
tête qu’il en avait besoin pour se démarquer des autres et être lui
même. Car il en va ainsi dans notre monde globalisé, urbain et
sophistiqué, on nous vend des produits dont on nous persuade qu’ils
sont indispensable pour vivre au présent. Nous prenons ici vous
l’aurez remarqué la théorie de Jean Baudrillard sur la société de
consommation post-industrielle dans laquelle le marché de l’offre et la
1 Ibid.
72
demande et la valeur des objets obéirais plus aux tendances et à la
mouvance vantées et diffusées par la publicité qu’a la véritable
économie qui se retrouve remplacée par une économie érotisée.
Patocka remarque : « Quel magnifique instrument d’accumulation de
puissance que de vivre dans la crainte de se voir dépassé par l’autre »2.
Le présent est le grand mot actuel, pire encore nous sommes dans
l’instant, dans l’instantanéité du monde nous somme à l’âge de l’accès
immédiat aux choses et à l’autre. Ainsi comme le montre Patocka
nous vivons sans cesse avec un recul pragmatique sur nous même et
dans une course effrénée à l’accès. Nous ne sommes plus des êtres
mais nous sommes devenus des « cibles », des proies faciles quant à
l’industrie et au marketing qui la vante en essayant de nous éblouir.
Le plus extraordinaire est que le moteur de l’industrie c’est nous
même et le comique dans cette aventure c’est que tout le monde est au
courant. Mais le chaos entre vie privée et vie publique laisse éloigné et
pratiquement invisible ce mal du monde. Cette crise de la civilisation
planétaire est ce qu’on pourrait appeler selon Patocka « la
surcivilisation »1 qui vogue, avec fugacité, de révélation nouvelle à
révélation nouvelle. Ainsi dans cette turbulence Patocka nous
illumine avec sa lueur d’espoir qui consiste à dire qu’il demeure une
activité essentielle de l’homme contemporain qui est intégralement
une preuve authentique de notre liberté spirituelle et qu’il s’agit de
l’art. Mais là encore des doute surgiront sur la véracité de l’expression
« intégralement » si on prends l’art au prisme de son marché, de sa
valeur et de sa consommation en tant que produit artistique. C’est son
sens pur que tente d’épargner Patocka des griffes de l’économie. Pour
2 Ibid.
1 Ibid.
73
l’auteur l’art du XIXème siècle est « une sphère de pureté, qui nous
délivre de la quotidienneté, ou l’on peut vivre à l’abri de la réalité
vulgaire » alors que l’art contemporain ne se veut pas « un paradis
artificiel » mais « le monde de tout le monde » c’est ce qui se précise
lorsqu’on les entends parler, ce que nous verrons avec Bill Viola et
Christian Boltanski. L’art contemporain en rupture avec toutes ses
époques précédentes du classicisme au XIXème en passant par l’effort
de la renaissance et de l’art baroque n’est pas une évasion hors du
monde mais ni un paradis artificiel comme essaye de nous faire
avaler de force les médias et le marketing, souillant ainsi les
subconscients de la foule, mais il est une « détresse intime de notre
temps » comme le suggère Patocka en phase avec l’actualité.
Les matériaux dans l’art moderne et contemporain sont
montrés, il y a une notion de jaillissement et de révélation (Jean
Tinguely, Arman, Niki de Saint Phalle). Les sculptures deviennent
installations et les installations se mettent de plus en plus à emprunter
des techniques audio-visuels digitales et à envahir des lieux
improbables surtout dans l’espace publique. Dans la peinture les
tableaux aussi sont la pour nous dévoiler la toile ou la texture de la
peinture, ou encore jouer avec la lumière sur une même couleur
comme le fait Soulages avec son noir. Certains se sont même essayés
à incorporer des objets sur les toiles, on pense la aux dadaïstes et
autres plasticiens du collage.
La rupture avec les contraintes religieuses, d’autorités et
magiques est claire, aujourd’hui selon l’ultime thèse de Patocka dans
l’Art et le Temps, l’art serait plutôt une expression formelle qui
traduirait la force créatrice de l’homme en tant qu’autonomie
spirituelle de l’humanité.
74
TEMPORALITÉS ARTISTIQUES : Du créateur vers l’œuvre, de l’œuvre vers le spectateur.
75
Dans le rapport entre la temporalité, en tant que perception
temporelle et l’art, il va s’en dire que pour qu’il y ait harmonie, fusion,
entente ou interaction entre le regardeur et le regardé il faut que la
notion de cette temporalité soit ou devienne commune entre l’artiste
et le spectateur. C’est ce que nous dit Edmond Couchot dans Des
Images, du Temps et des machines dans les arts et la communication : « La
vision de l’image originale dans sa vérité,… isole et capte la
temporalité du regardeur pour le projeter directement dans celle du
tableau ».1 Alors c’est dans cette réflexion sur la liaison temporelle
entre l’art et le public, qu’il soulève des questions intéressantes :
« L’espace et le temps d’un musée sont ils neutres ? » En d’autre
termes il nous pose la question suivante : Lorsqu’on consomme ou
absorbe, de l’art, dans un lieu qui généralement s’y prête, galeries,
musées, ou autres lieux dédiés principalement à l’exposition d’œuvres
d’art, notre perception de l’espace et du temps change t – elle ? Est ce
que l’on développe une capacité sensitive spécifique à aborder l’art ?
Le temps s’écoule t il différemment dans un lieu d’art ? Nos notions
habituelles d’appréhension de l’espace changent t-elle pendant la
durée ou nous somme plongés dans ces lieux ? Le temps par lequel
l’image se donne à voir est ce qu’Edmond Couchot nomme « le temps
de présentation » il explique ensuite que suivant les support et les
lieux de ce qui est donné à voir, la temporalité liée change. Supports
et lieux en tant que livres, internet, écrans, toiles, tapisserie,
installation, murs, musées, galeries, espace privé, temples, place
publique, etc. Il va s’en dire que l’on ne pourrait avoir le même
rapport sensible espace – temps avec une œuvre disposée dans un 1 Edmond Couchot « Des images, du temps et des machines dans les arts et la communication » p.25 Éditions Jacqueline Chambon, ACTES SUD septembre 2007
76
espace publique urbain et une œuvre posée dans un musée. Dans une
certaine manière la lecture temporelle de l’œuvre et donc par
extension la lecture de l’œuvre n’est pas la même suivant ces critères
topologiques. Edmond Couchot lui va plus loin dans sa pensée
lorsqu’il affirme que la connaissance de ces différents espaces-temps
de présentation qu’il nomme aussi « contraintes plastiques et
esthétiques »1, « influent non seulement sur la destination de l’image,
mais sur la manière dont elle est conçue ». Durant ces derniers siècles
nous avons assimilé que la temporalité mise en scène dans une œuvre
que se soit dans la peinture d’histoire de Rembrant réalisé au
XVIIème siècle, ou dans un tirage argentique en noir et blanc de
Willy Ronis développé au XXème siècle, n’est pas fiable. Edmond
Couchot voit dans ce mirage la séparation entre le moment et le
mouvement, (momentum contraction de movimentum), « La durée est
première l’instant second » dit-il, le temps n’est plus propre à l’image.
Nous venons d’insister sur ce qu’Édmond Couchot à appelé le
« Temps du Voir » passons à présent à un temps un peu plus profond
que l’on nommera « le temps de regarder ». Nous somme d’accord
une œuvre à besoin d’être vu pour « être » tout court, mais plus encore
elle a besoin d’être regardée. C’est à dire d’être perçue sensiblement
ou en un autre terme : lue. Notre regard doit sillonner l’œuvre, ou
utilisons un mot plus récent « la scanner » pour en dégager toutes les
subtilités et tous les vecteurs esthétiques et émotionnels.
D’après Édmond Couchot citant Bernard Lamblin, auteur,
philosophe et professeur d’esthétique à la Sorbonne au XXème siècle,
qui à écrit une thèse intitulée « Peinture et temps » ou il distingue « le 1 Edmond Couchot in « Des images, du temps et des machines dans les arts et la communication » p.26 Éditions Jacqueline Chambon, ACTES SUD septembre 2007
77
temps d’itinéraire » et le « contenu temporaire » d’une oeuvre, la
lecture d’un tableau se fait généralement de gauche à droite par les
occidentaux, par usage de la lecture alphabétique qui se fait dans le
même sens, mais, Lamblin avoue par la suite que le mouvement des
yeux lors d’une lecture visuelle n’as pas de constante mathématique et
n’est donc pas mesurable. Le temps figuré par une œuvre est aussi une
invitation à un temps de lecture bien précis, c’est une orientation de
notre lecture par l’artiste vers une dimension de perception, comme
celle avec laquelle il nous guide d’une certaine manière en disposant
son œuvre, en se projetant en spectateur au moment de sa création.
Edmond Couchot appel cette notion de proximité culturelle
perceptive « la technésthésique »13 qui opère au niveau de la
fabrication de l’image et au niveau de sa réception, il s’agit alors
d’une connaissance globale, « un savoir sensoriel ». C’est d’une
véritable expérience « technésthésique » dont traite Couchot il en dit
qu’elle ne se limite pas à la perception élémentaire du monde, mais à
une « appréhension et une appréciation finement structurées : à une
pensée technique autonome, travaillant sur des perceptions et des
manipulations spécifiques qui s’inscrivent dans le temps et dans
l’espace »14. C’est une affaire de transcription des choses dont il s’agit
dans cette idée. Ce que l’on reconnaît c’est que l’assimilation d’une
œuvre nécessite une intelligence de lecture, une manière de raisonner
qui consiste à inférer une chose d’une autre. Si il y a une transmission
équilibrée entre le regardeur et le regardé le processus bilatéral aura
réussi. Nous parlons de transmission ici car nous considérons l’œuvre
13 1 Edmond Couchot in « Des images, du temps et des machines dans les arts et la communication » p.31 Éditions Jacqueline Chambon, ACTES SUD septembre 2007
14 Ibid p32
78
d’art comme étant une communication. Une œuvre, une image est la
synthèse d’un ensemble de signes, elle est donc par ce fait un message.
De plus son émetteur l’a conçue selon des codes que le récepteur
devra naturellement et subjectivement décoder. Un langage commun
est donc le bienvenu mais il n’est pas forcément nécessaire à
l’estimation ou à l’impression qu’elle peut dégager. Le support de
l’œuvre quant à lui est le canal de transmission du message. Et selon
certains théoriciens de la communication du XXème siècle comme
Marshall Mcluhan ils seraient finalement eux même le message.
Une œuvre pour qu’elle soit appréciable à sa jute valeur, (on
entend ici par juste valeur les sentiments qu’a désiré dégagé l’artiste
en la créant) et destination se doit de traiter et d’être traitée dans une
dimension commune, en regard de l’émetteur et du récepteur. « …il
existe une temporalité vécue par l’imageur au moment ou il fait
l’image »15 Il faut que cette temporalité se transmette explicitement ou
au spectateur par le biais de l’image.
À partir de ce constat logique, Edmond Couchot nous invite,
naturellement à parler d’empathie. Il définit le terme d’empathie selon
Jean Decety, professeur en psychologie à l’université de Chicago,
disant : « c’est la capacité de se mettre à la place de l’autre pour
comprendre ses émotions et sentiments »1 puis il rajoute de ses mots :
« elle nous permet de reconnaître que l’autre est pareil à nous, sans
que nous nous confondions avec lui,… c’est la simulation mentale
consciente de la subjectivité d’autrui ». Cette faculté de ressentir à la
place du créateur, de trouver l’élixir, la sublimation, la beauté de la
15 Ibid, p47.
1 ibid, p48
79
première idée de l’œuvre c’est avoir la faculté de prendre assez de
recul pour comparer le ressenti (supposé par phase d’empathie) de
l’artiste au sien. « Mais l’empathie est aussi une question de mémoire,
elle s’inscrit dans le flux continu du temps. Elle est la prédiction du
futur en même temps que comparaison avec le passé et identification
du présent »2, c’est ce qu’on appel le phénomène d’empathie
temporelle. Essayer de vivre la même temporalité de l’œuvre que celle
de son créateur.
Paul Klee, peintre surréaliste et expressionniste suisse de renom
dit une phrase essentielle dans la perspective de la lecture d’œuvre
d’art :
« L’œil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans
l’œuvre ».
Une œuvre recèle des codes de lectures esthétique et temporels
bien précis, ce sont ceux de son auteur ou du moins ceux qu’il a voulu
exprimer en celle-ci.
2 ibid, p49.
80
1
Nous cherchons la mise en perspective des représentations
spatiotemporelles et surtout temporelles dans l’art. Mais il s’agit plus
en fait d’une mise en "perceptive".
Tout sur le sujet des relations entre artiste et public dont nous
parlons ici et la et dont nous pourrions traiter pendant des millénaires
s’il nous en est donné la possibilité, réside dans ce qu’on pourrait
appeler simplement un jeu. Jouer c’est prendre part. Jouer c’est
s’hasarder, spéculer, tromper, se divertir. Un divertimento entre le
regardeur et le créateur d’objets regardés. Pour le spectateur, le jeu
justement, est, durant les temps de lectures qui lui sont donnés de
percer le secret de l’artiste, sur plusieurs plans en regard de la
technique, de la représentation des choses, des conditions
spatiotemporelles de l’acheminement du message, des influences, des
références et du récit dont il est question dans son œuvre. Le rôle de
l’artiste est, en prenant en compte des items précédents et des
1 « Red Balloon », Paul Klee, 1922, Huile sur Mousseline et craie, 31,8 x 31,1, Musée Guggenheim N.Y.C. États Unis.
81
conditions de diffusion de l’œuvre, d’assembler, d’articuler, de
combiner, de trier, de comparer, de séparer, de disposer ses éléments
pour en créer une unité lisible. Nous pouvons comparer le rôle ou
travail de l’artiste à la conception de la complexité du labyrinthe qu’il
déposera entre lui et son public. Plus il rallonge le temps de
perception du spectateur plus son œuvre est riche et chargée de sens
mais il devra équilibrer le dosage de complexité qui devrait
naturellement être lié à la cible principale de son art. Nous pourrions
aborder sur ce sujet les frontières entre le Main Stream et l’Underground
en musique et autre art mais ceci ne figure pas dans nos plans.
Nous disions donc, qu’il existe dans l’art un phénomène
d’empathie temporelle qu’Édmond Couchot appellera aussi : Les
modes de résonance temporelle : « l’artiste nous invite à changer de
point « de sentir » ou de référentiel temporel ». L’auteur propose
d’exposer et de définir deux modes de résonances temporelle : une
dite différée, ou « le temps du faire précède le temps du voir », c’est à
dire que l’écriture de l’œuvre est antérieur à sa lecture, cette catégorie
regroupe la peinture, la photographie, le cinéma d’après l’auteur mais
on pourrait y ajouter les sculptures et autres installation, car elle sont
des images après tout et elles sont manufacturée antérieurement ;
ainsi ce mode différé aurait une communication visuelle
unidirectionnelle, de l’imageur vers l’imagé. Le deuxième mode de
résonnance est le mode simultané, où le « temps du faire coïncide
avec le temps du voir », elle englobe pour l’auteur la TV en direct
(transmission/réception instantanée) et l’image numérique interactive
(interfaces d’interaction entre l’ordinateur et le spectateur qui devient
donc participant ; le sens de la communication visuelle dans ce
schéma là est dite bidirectionnelle ou multidirectionnel (réseaux)
82
puisque le feedback est actif. À ce mode de résonnance simultané
expliqué par Edmond Couchot, nous pourrions ajouter différentes
autres formes d’art ou l’artiste convie le spectateur à une fusion
temporelle sensible.
Nous pouvons en conclure allègrement qu’une étroite alchimie
existe entre l’écriture et la lecture de l’art.
La vrai question que pose l’art est : Quelles sont les limites du
temps ? Donc : Où est l’infini ?
Nous disions que nous nous intéresserions à l’art
contemporain donc au présent. Alors allons faire un tour du côté de
Paul Ardenne dans son dernier ouvrage : Art le présent.
83
Du temps à l’art présent.
Pour Paul Ardenne, nous nous trouvons depuis l’année 1980
dans la période de postmodernité. Il en dit : « Plus qu’une anticipation
sur un futur qu’elle refuse d’envisager, elle apparaît surtout comme le
symptôme d’un nouveau malaise dans la civilisation »1 Puis pour
définir clairement ce terme il rajoute « A l’instar de la modernité, il
valorise le changement, le mouvement, la renégociation des valeurs.
À l’inverse de la modernité en revanche il exècre le dogmatisme, le
positionnement idéologique, l’autorité, la normalisation. » Suite à
cette concise définition de l’époque artistique dans laquelle nous nous
trouvons aujourd’hui, celle que d’autres comme Nicolas Bourriaud
appellerait la « contemporanéité brute », Paul Ardenne nous éclaire
sur deux catégories d’artistes que l’on pourra y trouver. Il les
nommes : Les Solitaires irréductibles et Les Compagnons du Réel. La
première catégorie d’artistes, selon lui opère uniquement pour
l’expérience esthétique « au large du débat contemporain »2. Ce sont
des artistes qui ont hérité de romantisme et qui « travaillent dans
l’oubli du monde, ou juste à sa lisière… ils sont adeptes du lointain
intérieur »3. La deuxième catégorie d’artistes dont traite Paul Ardenne
est « Plus à l’écoute de la réalité, et crée en résonance avec « ce qui
est », cette catégorie module la création en fonction de l’actualité, de
1 Art le présent, Paul Ardenne, p8. .Éditions du Regard Paris 2009.
2 Ibid, p.9.
3 Ibid.
84
l’histoire en train de se faire, vécue à son rythme. Mais ils ne
dissocient pas l’actualité et l’élaboration symbolique »4.
Une petite parenthèse, le directeur artistique du Hesbollah,
aussi curieux que cela puisse paraître, il en existe un, dont la tâche est
d’organiser et de mettre en espace les discours des orateurs mais aussi
la réalisation et la promotion de clips de propagande au Liban, à dit
une phrase intéressante au sujet de l’art dans laquelle nous pourrions
placer la première catégorie d’artistes contemporains proposée par
Paul Ardenne : « Il y a des gens qui aujourd’hui font de l’art pour
l’art. Ces gens tombent et font tomber les autres dans un nihilisme qui
n’apporte rien à l’Humanité. Nous, nous essayons de porter un vrai
message susceptible d’avoir un impact réel »4.
L’artiste photographe dénommé J.R pourrait faire parti de ces
artistes dont le message est fort et engagé et dépasse la seule
appréciation esthétique. Son travail est de disposer des cliché aux
dimensions hors normes disposé insolemment dans le paysage urbain
ou plus précisément dans l’espace publique. Dès qu’on se connecte u
site de JR et que l’on veut en savoir d’avantage sur l’artiste on peut
lire en gras : « JR possède la plus grande galerie d’art du monde.»
Alors tout de suite on se dit que la modestie n’est pas au rendez-vous
mais en fait il nous a berné, car lorsqu’on continue de lire on voit :
« … il expose librement dans les rues du monde entier. Attirant ainsi
l’attention de ceux qui ne fréquentent pas habituellement les musées.
Son travail mêle l’art, et l’action, l’engagement, la liberté, l’identité et
les limites. » Là on comprend mieux. Friant d’exploiter l’actualité
4 Ibid.
4 Propos recueillis dans le programme : « Tracks » Arte.tv Avril 2010.
85
brûlante et les sujets sensibles à la manière d’un reporter super-heros
d’un genre insolent nouveau ; il commence à frapper en 2006 lorsqu’il
expose illégalement dans les rues du cœur de la capitale et des
quartiers bourgeois des portraits de jeunes de banlieues parisiennes
invoquant la forte délinquance de cette période là. Ce projet fût
tellement polémique que l’affichage fut légal. En 2004 lorsqu’il prend
des portraits de jeunes de banlieues grimaçants, il disait vouloir
dénoncer l’image déformée qu’a la société de ces personnes là.
Ensuite en 2007 il s’attaque à un sujet encore plus délicat : Il
entreprend le projet Face 2 Face, avec son ami Marco il tire le portrait
de plusieurs juifs israéliens et de plusieurs palestiniens musulmans,
exerçants la même profession, qu’il développe en très grands formats
et affiche dans plusieurs ville d’Israël et de Palestine. « En placardant
agressivement des poster de 7 mètres de haut, 55 mètres de large, JR
nous interpelle sur le conflit Israélo-Palestinien »1 Le triptyque le plus
connu de JR est celui du Rabin, de l’Imam et du Curé.
1
1 Le Monde 27 Novembre 2007.
1 28 milimètres JR 2004 éditions Gallimard. Les 28 portraits que l’artiste avait déjà tenté d’exposer en 2004 furent rapidement nettoyés au Karcher.
86
2
L’artiste photographe JR fait un arrêt sur image, un arrêt sur
information, un arrêt sur un temps sensible. Et il nous demande de
nous concentrer dessus, de ne pas oublier, d’y réfléchir, d’y travailler.
Les photos de JR sont des claques à la société lobotomisée et
manipulée par les médias. Il mène sa propre guerre de l’information
communicationnelle. En même temps il crée en ceux ci des signes
d’espoir, un signal de rappel à la paix. La démesure de ses
installations photographiques sauvages va de pair avec la grandeur du
sujet traité et surtout le malaise social qu’il y a autour son
insolvabilité. Les sujets dont traite JR sont des maux à long terme de
la société à travers le monde ils sont des maux tellement récurrents
qu’ils n’intéressent plus personne alors JR les remet à l’ordre du jour
2 Le rabin, l’imam, le prêtre. Source :jr‐art.net
87
en nous disant : « Non, ce problème existe toujours ! Il faut le
résoudre ». JR agit avec son temps.
1 JR est actuellement sur un géant projet photographique et filmique présenté à Cannes cette année, défendant la dignité de la femme à travers le monde : « Women are Heroes »
1 Faces of Favelas : JR envahit les favelas de Rio de Janeiro en 2008.
88
LE CHAPITRE BOLTANSKI
89
On ne présente plus cet artiste contemporain français, tant il est
connu en France que sur la scène internationale ; un artiste qui nous intéresse dans cette étude pour son travail obsessionnel sur le temps, la mémoire, le souvenir, la mort, ce qu’il reste de nous… et qui par ailleurs a envahi le grand palais cette année pour la monumenta 2010 avec son œuvre : « Personnes ».
Mais tout de même pour ceux qui ignorent tout du personnage Boltanski en voici, grâce à l’ouvrage biographique « La vie possible de Christian Boltanski » entretien entre l’artiste et Catherine Grenier aux Éditions du Seuil, un rappel chronologique synthétisé mais complet: 1944 : Naissance à Paris d’un père médecin juif et d’une mère écrivain rennaise vivant dans la persécution de l’occupation ss. 1957 : 13 ans premier choc esthétique grâce à des livres de piété illustrés. Il commence donc à peindre à dessiner et à façonner de petits objets. 1966 : Après 8 ans de peintures sanglantes, surtout de scènes d’horreur et de massacres il entre doucement dans le milieu de l’art rencontrant artistes et critiques d’art, (Le Gac, Y. Lambert, P. Restany), mais décide d’arrêter de peindre. 1968 : Il expose 15 tableaux et débute les installations en exposants d’étranges poupées évoquant divers chanteuses de l’époque. Puis il touche à l’audio visuel en mettant ses poupées en scène dans son film : « La vie impossible de Christian Boltanski ». 1969 : Commence un travail sur sa vie jusqu'à aujourd’hui encore dans son livre « Recherche et présentation de tout ce qui reste de mon enfance ». Il réalise le film « l’Homme qui tousse ». Il participe à la biennale de Paris. Débute la série « Envois, objets ou messages envoyés par la poste » 1969-74 : Il initie avec d’autres artistes des actions artistiques sauvages avec lesquels il se fait remarqué. Il expose pour la première fois de ses fameuses boites de biscuits métallique. Il expose avec Sarkis au MAMVP. Succès de ses œuvres rencontre avec les américains Rauschenberg et Twombly. Participe à la Documenta 5 de H.Szeeman. Participe à la biennale de Venise 1972. En 73 il expose le
90
premier de la série « Inventaire » (tous les objets appartenant a une seule personne). Série : « Tous mes portraits photographiques ». Il expose au Gugenheim Museum de New York. Ventriloquie 1975 : « Les enfants de Berlin » et autres compositions photographiques. 1981 : « Pantins » figurines de carton photographié, « Lanterne magique » jeux d’ombres et de lumières projeté sur un mur. 1984 : « Exposition personnelle au centre Pompidou. 1985 : « Les Théâtres d’ombre » personnages de détritus éclairés violements. « Monuments » : la notion « humains » entre dans son travail. 1986-88 : « Leçon de Tenebres » ou « Lessons of darkness » à la chapelle de la Salpetriere (grande dimension religieuse dans l’œuvre) cette œuvre circulera jusqu'à 1990 aux USA. Documenta 8 de Cassel. Première installation avec des vêtements : « Canada ». 1993-94 : Série de photographies « Les Suisses morts » aux musées des beaux arts de Lausanne. (Façon détournée de parler de l’holocauste).1994 : Investit la mise en scène pour l’opéra et le théâtre avec H.P.Cloos, J.Kalman et Krawczyk plus tard. 1995 : Biennale de Venise : Inscrit tous les noms des artistes participants sur la façade du pavillon italien. 1998 : Exposition « Dernière années » au MAMVP : Évocation des morts du sida par une installation de lits métalliques froids. 1999 : Sur son thème des archives il présente « Les annuaires » il parvient à réunir 1000 annuaires soit 400 millions de personnes. 2005 : Exposition : « Prendre la parole » Des personnages sans têtes et aux manteaux noir interrogent voix les gens qui passent devant eux 2009-10 : Installation aux vêtements « Personnes » au grand Palais. Horloge parlante pour la crypte de Salzbourg. « Les archives du cœur » sur l’île de Teshima au Japon. L’atelier de Malakoff filmé 8 ans en Web Cam et retransmit chez l’acquéreur en Tasmanie.
91
Christian Boltanski par ses efforts d’accumulation et
d’exposition de l’archivage de la vie vécue devient un metteur en
scène du souvenir.
« Boltanski endosse l’habit d’un faux archéologue dont le
territoire d’investigation serait celui du temps échu, à jamais perdu. »1
Christian Boltanski est un artiste contemporain qui pose des
questions classiques : Dieu, le temps, la vulnérabilité de la vie, la
mort, le hasard : « Je pose les mêmes questions qu’un peintre du
XIIème siècle mais avec les mots de mon temps ». C’est à dire que C.
Boltanski va se servir des matériaux dont se sert un plasticien
contemporain de nos jours c’est à dire à peu près tout et n’importe
quoi peut être matière à l‘œuvre d’art même les déchets. Ainsi pour
être de plus en plus en phase avec un public contemporain qui lui
même a de plus en plus d’engouement d’être en phase avec la réalité,
l’artiste contemporain va utiliser de plus en plus d’éléments de la
quotidienneté sociale. C’est bien le cas de Christian Boltanski avec,
prenons comme exemple, sa dernière œuvre « Personnes » pour la
monumenta 2010 où les composantes de l’œuvre sont des enceintes
diffusants 400 battements de cœurs, des vieux vêtements et un
grappin (de 25mètres) qui sont par ailleurs voués à disparaître ou à
être recyclé par la volonté de l’artiste. L’expérience « technéstésique »
dont nous parlions dans les chapitres précédents ainsi que la
résonnance et l’empathie spatio-temporelle entre l’artiste et le
spectateur est véritablement de mise dans son travail. Par ailleurs
même l’artiste le suggère lorsqu’il dit : « On ne peut parler que de ce
1 Art le présent, Paul Ardenne, p.357. .Éditions du Regard Paris 2009
92
que l’autre sait déjà. L’important c’est que le spectateur reconnaisse.
Qu’i y ait un point en commun que l’artiste va souligner d’une autre
façon ». Ou encore :
« Dans l’art il est important de passer du vécu
personnel au collectif. On ne peut parler que de son
village mais il faut faire en sorte qu’il devienne celui
de tous les spectateurs ».
Mémoire individuelle et mémoire collective se chevauchent dans
cette gigantesque œuvre froide qui se dévoile comme une provocation
du temps, une mise en forme de l’action injustement hasardeuse du
destin et de la mort. Dès que l’on rentre au grand palais nous avons
devant nous un long et épais mur, rien de mieux pour accueillir le
spectateur qu’une barrière, une limite, une frontière, une mise en
garde qui est presque là pour nous dire « vous n’avez encore pas vu la
chose vous pouvez encore faire demi tour », mais aussi une part de
mystère et de suspens à ne pas dévoiler tout de suite l’essentiel de
l’œuvre. L’aura de mystère dont on disait qu’elle appartenait aux
œuvres antico-médiévale au discours apocalyptique, était au rendez-
vous. Ce mur fait de boites de biscuits rouillées empilées les unes sur
les autres, où chaque boite renferme des documents et des objets sur la
vie d’une personne différente, est une œuvre connue de Christian
Boltanski nommée « Archives ». C’est un rappel à la mémoire des
disparus, un vrai rempart contre l’oubli, un mur fait de rouille, la
preuve la plus irréfutable du passage du temps, qu’il nous met sous le
nez en guise d’antipasti pour la suite de l’œuvre « Personnes ». Un
93
travail manifestant contre la mort, le détachement et l’indifférence. Ce
qu’il y a derrière ce mur du non oubli constituant l’œuvre Personnes,
à un parfum de seconde guerre mondiale et encore une fois l’idée de
la Shoah traverse plus ou moins explicitement le travail de Boltanski.
On se croirait à l’usine d’Hadès, à un antre de la mort, la fabrique
mortuaire, dans une ambiance tellement angoissante qu’elle ne l’est
plus. Nous sommes face à la reconstitution du tri des vêtements des
juifs pendant l’holocauste que l’on pourrait apercevoir dans des
images de l’Ina de cette période. Mais aussi une satire de
l’incohérence aveugle du hasard de la mort et du destin et une mise en
réflexion de la disparition des corps. On croirait qu’au dessus de tous
ces tas de vêtements flottaient les âmes éternelles de chaque pièce
entassée. On avait le droit à ce contraste éternité de la personne par
son esprit et vulnérabilité de la personne par la limite du temps du
corps. Voici ce que dit l’artiste de son œuvre :
Le mot Personne en français est une contradiction, c'est une présence et une
absence à la fois, c'est la seule langue ou il y a cette dualité de l'être et du non
être les 30 tonnes de vetements = 300000 personnes mais en même temps il n' y
a personne parce que c'est un lieu de destruction, la grue qui prends les
vetements est comme le hazard du doigt de dieu car elle en prends
aléatoirement et elle les détruits et il n' y a pas de raisons à tout cela. On
avance tous sur un chemin miné et on vois nos amis sauter et nous ne savons
pas quand est ce que nous allons sauter. Le temps nous a, le temps nous
mange. Preserver la vie, conserver la petite mémoire, c'est une parabole sur le
ratage et la posibilité de lutter contre le destin.
Chaque vêtement, chaque objet, de cette oeuvre représente
l’éventuelle absence de l’être qui l’utilisait dans un autre temps. Cette
94
oeuvre serait à recevoir comme une réponse collective, à carractère
révolutionaire, de l’homme à son assujetissement au temps, qui lui est
imposé par des forces qui le dépasse, à la notion de destin qui lui est
lié puis à la terminaison mortelle de ce processus qu’il subit qu’est la
vie. D’un autre côté elle est aussi le rappel ou le fantasme que l’âme
devant ces obligations et limites, reste eternelle.
1
1 Photos personnelles : « Personnes » C.Boltanski Monumenta 2010 Grand Palais, Paris.
95
Comment pourrait on s’empêcher de penser aux moires de la
mythologie grecque devant une telle œuvre ?
Ces divinités de la mort et du
destin, craintes par tous les
hommes qui, filent, défilent et
coupe le fragile fil de la vie des
hommes. Dans la mythologie
elles seraient plus vieilles que le
temps.
Or la grue de Boltanski prenant au hasard les vies représentées par les
habits n’est elle pas une personnification moderne de la moire
coupeuse du fil de la vie ?
La dimension participative de l’œuvre « Personnes » est là. Lorsqu’on
la parcoure on la ressent on la voit, on l’entend retentir. C. Boltanski
nous dit : « Pour moi, on est pas devant une œuvre on est dans une
œuvre : on a froid, on entend les battements de cœurs et on voit les
mouvements de la grue. » Ce qui augmente les façons de la ressentir
d’être pénétré, touchés par l’œuvre, car 3 de nos 5 sens sont stimulés.
En effet lorsqu’on parcourt ce grand espace glacé du grand palais à
travers l’œuvre de Boltanski on pouvait entendre ou plutôt ressentir
les vrombissements des battements de cœurs diffusés par des
enceintes et faisant partie intégrante de l’œuvre « Personne », mais
aussi constituant une œuvre à part entière de l’artiste et nommée « Les
archives du cœurs » l’autre œuvre de Boltanski à laquelle nous allons
nous intéresser.
96
Souvenez vous le poète arabe qui disait : « L’art est le premier pas de
l’homme vers l’infini »
Voyez ici en les mots d’un artiste la possible réponse :
« Je pense que l’art est une tentative d’empêcher la mort, la fuite du
temps. Ce travail d’archivage que je fais depuis le début, cette volonté
de garder trace de tout traduit un désir d’arrêter la mort. J’essaye de le
faire tout en sachant que c’est impossible. »1
Nous disions donc que l’œuvre personnes en recelait en fait une
autre : « Archive du cœur » est une banque de battements de cœurs
recueillis par l’artiste à travers des banques de battements qu’il installe
dans une pièce de chaque lieu où il expose un travail. Par exemple à
Paris lors de la Monumenta au Grand Palais ou au Mac Val dans
l’exposition « après » (la mort), de petites pièces étaient disposées avec
le personnel qualifié qui allait avec ou l’on pouvait enregistrer,
déposer sur une bande son les battements de notre cœur. Puis puisque
au XXIème siècle un artiste contemporain est aussi un business man,
on pouvait acheter l’enregistrement sonore de notre propre battement
de cœur gravé sur un compact disc, pour la somme de 5 euros.
L’entreprise de l’artiste dans ce projet va dans la continuité du travail
de sa vie : inventaire, reconstitution, archive et mémoire.
1 « La vie possible de Christian Boltanski » entretien entre l’artiste et Catherine Grenier aux Éditions du Seuil
97
« L’œuvre d’art est l’analogue d’un cimetière,
d’un mémento mori. Souviens-toi et particulièrement
souviens-toi que tu vas mourir »2
Ces milliers de battements de cœurs qu’il obtiendra seront
stockés dans une « Banque du cœur » (banque, car on fait don du
battement de cœur à l’artiste) dans un espace que l’on a mis à la
disposition de l’artiste sur l’île Teshima au Japon :
« J’ai pensé qu’au lieu d’avoir un album photo,
on pourrait avoir un album de cœur, qu’on se
dise : « Tiens ce soir j’écouterai bien le cœur de ma
grand mère, ou de mon amoureux… » ».
Cette idée, devait être très réduite au commencement mais
l’ampleur que ce projet a pris naturellement à amener l’artiste à
2 Art le présent, Paul Ardenne, p358. .Éditions du Regard Paris 2009
98
œuvrer pour le « grand nombre ». L’artiste par cette œuvre globale
hors norme, collective et ultimement participative, nous convie par
une ingéniosité frisant la perfection, de lutter, de protester contre le
temps et d’essayer ensemble d’approcher l’infini. C’est l’idée qu’il fera
battre des cœurs morts depuis bien longtemps pendant une durée
indéterminée, durée orientée plutôt vers une éternité promise par le
messie Boltanski, qui nous permet de parler d’infini. Le fait de savoir
que l’on a enregistrer le cœur de quelqu’un qui nous est proche et que
ce cœur là s’est arrêté de battre, mais qu’il existe une île au Japon sur
laquelle ce même cœur bat toujours, possède une aura mystique et
une très forte charge émotionnelle. C’est une manière nouvelle de
porter un cierge et une belle moquerie au Temps fatal et le tout mené
par le prisme de l’art contemporain.
Réaction du public : « Être dans cette salle plongée dans le noir et
écouter ces battements de cœur nous donne l’impression d’être dans un utérus.
Le fait qu’il y ai plusieurs battements nous donne la possibilité de choisir d’être
dans l’utérus d’autrui, soit s’inventer une autre mère. »
Réponse de C. B. : « (rire) Cette œuvre plaît surtout aux bébés.
Quand ils rentrent dans la salle ils sont fous de joie »1
Christian Boltanski réalisa auparavant une autre œuvre relative au
temps ou il a mixé mémoire individuelle et mémoire collective
nommé : « 6 septembre » où il a réuni une multitude d’archives
télévisuelles du jour de sa naissance : le 6 septembre 1944. Cette
1 Dialogues entre C.B. et Thierry Dufrene, professeur et historien de l’art, du 30 septembre 2008 à l’INHA – Paris.
99
multitude d’archives d’actualité télévisuelle de cette date ci à été
accéléré 2000 fois et tourne en boucle d’une une durée de 5 minutes.
Là encore l’artiste avait pensé à la dimension participative du public
qu’il combine au fantasme de figer le temps. En effet, était à
disposition du spectateur une sorte de buzzer qui permettait arrêter
net le défilement de ces milliers d’images et de la cacophonie sonore
qui les accompagnait. Il y avait déjà dans cette œuvre une critique de
la déferlante informationnelle que nous soumet les médias de masse,
des informations et des faits passants tellement nombreux et
rapidement que l’on ne peut rien en saisir. Justement Christian
Boltanski nous propose là encore une manière détournée de saisir le
temps et de ne pas oublier qu’il ya eu, face à un monde soucieux
uniquement de ce qui est maintenant.
Parallèlement Christian Boltanski à vendu sa « vie en viager » à
un joueur de Casino en Tasmanie, qui ne perd jamais. Le jeu est que
l’atelier de l’artiste est filmé 24h/24 par Web Cam et que la vidéo
conférence est retransmise en direct dans une salle chez ce joueur en
Tasmanie pendant une durée fixe de 8ans. Cette œuvre est un pari
entre lui et le joueur sur le jour de sa mort : « Cet homme joue au
Casino et il n’a jamais perdu de sa vie. Il a donc vaincu le hasard, il
est le maître du hasard… Cet homme ne perd jamais ces paris alors il
peut prédire le jour de ma mort. Si je meurs dans 2 ans il gagne et si je
meurs dans 12 ans il perd »
Cet homme qui a battu par le biais du jeu le sujet le plus obsédant à
Christian Boltanski et à l’Homme qu’est le hasard, intéresse vivement
l’artiste contemporain qui nous offre un spectacle de pari sur le temps,
la mort, le destin et le hasard et ceci n’a été possible que grâce à cette
100
nouvelle technologie de la visioconférence qui à permis à cette
curieuse œuvre d’exister et de nous questionner. Dans cette œuvre du
temps chaque seconde compte car chaque seconde qui passe est une
victoire ou une défaite sur le temps dans cet hasardeux duel. Ces
mêmes technologies ont permis à des artistes vidéastes comme Dan
Graham par exemple de mettre les caméras de vidéo surveillance en
réseau pour créer une œuvre.
Par ailleurs Boltanski nous dit :
« La peinture, la sculpture, la photographie sont
des œuvres de l’espace, le théâtre, la musique la
vidéo, le cinéma sont des arts du temps »
Ce qu’il veut nous dire c’est que la musique ou la vidéo sont des arts
du temps car la condition et l’expression de ces œuvres là est une
durée dans le temps. Pour lire l’œuvre musicale de Beethoven
« Sonata pour piano en Presto Agitato » il faut exactement 7 minutes
et 15 secondes. Ou encore pour voir l’œuvre court métrage d’Abbas
Kiarostami « Comment utiliser son temps libre ? » de 1977 il nous faut
exactement 7minutes.
Nous allons à présent transiter sur un deuxième artiste du temps, un
artiste vidéaste issu de l’école Video Art de Nam June Paik, Bill Viola.
101
BILL VIOLA
prend son temps.
1
1 « Dissolution » Bill Viola, 2005. Couleur, 7 minutes.
102
Le domaine majeur d’expression de cet artiste dont il est l’une
des figures emblématique est la vidéo. Plus populaire sous
l’appellation Art Vidéo ou Video Art en anglais.
Un petit rappel1, l’art vidéo est un mouvement artistique né au
début des années 1960 aux États Unis et en Europe, dont la technique
est un enregistrement d’images sur support magnétique puis
numérique, relié à une TV ou un moniteur. Elle peut faire l’objet de
manipulation du sujet filmé et s’oppose ainsi à la télévision officielle.
Le premier artiste qui installera une œuvre vidéo est Nam June Paik
assisté de Wolf Vostell, en 1963, avec « Electronic of Music-
Electronic Television», 13 moniteurs trafiqués selon différentes
fréquences, diffusants des images abstraites :
1 Dictionnaire des Arts, les éditions de l’amateur, Paris 2000. Et Encyclopédie de l’Art LGF 2000.
103
L’art vidéo est porté d’emblée par le mouvement et la pensée
« Fluxus », état d’esprit libre et créatif des années 60, Réseau,
Mélange des genres, performances, happenings, variétés des modes de
production, dispersion des lieux d’intervention, galvanisé par la revue
Something Else Press et le Nice Festival Mondial Fluxus d’art total dans
lequel l’artiste Ben s’amusait à filmer les happenings.
C’est entre 1972 et 73 que Bill Viola rejoint le mouvement art vidéo
d’abord en assistant N. J. Paik, puis en installant sa première œuvre
« Wild Horses » en 1973 à New York, (noir et blanc, son, 15 minutes
avec Marge Monroe), à ses côtés et à ceux de, Richard Serra et Bruce
Nauman. Depuis son entrée dans la danse de l’art vidéo, Bill Viola
sublime l’histoire de l’art par le sien, s’attaquant à remanier différents
thèmes classiques puis plus modernes, plus contemporains en
exposant des installations vidéos dont la technique ne cesse de
s’enrichir des nouvelles pratiques digitales, numériques et
multimédias.
« Je suis fasciné par la continuité du signal vidéo,
par rapport à l’attente de développement d’une
pellicule »
Il filme comme si il modelait le temps à sa guise : la quotidienneté, ses
amis, des naissances, des enfants, des cœurs qui bats, des paysages
urbains, montagneux, déserts ou champêtres, l’eau (un thème plus ou
moins omniprésent), le sommeil, la maladie, une agonie, l’attente, la
mort, le rêve, le cauchemar, l’oubli, le passage du temps, l’angoisse.
104
Lorsqu’on regarde une vidéo de Bill Viola, « The Passing » 1991, 51
minutes, noir et blanc, par exemple, on ne sait pas vraiment si on dort
ou qu’on est mort, ou réveillé ou encore dans le coma. Sa technique
filmique lente, flou, ralentie, saturée, variations d’échelles, donne une
dimension onirique d’extase, d’euphorie, de perte de contrôle,
d’errance de l’âme sur terre, tout en filmant des sujets à première vue
anodins. On a le sentiment que l’on peut regarder partout à la fois,
comme un esprit ou un fantôme libre de se déplacer ou il le souhaite,
parce qu’on a le temps de le faire d’abord, de part le lent écoulement
de la vidéo, mais aussi par les angles de prises de vue tantôt subjectifs
tantôt objectifs, tantôt sur la terre, tantôt sous l’eau. Et même
lorsqu’on est en plein air on a l’impression d’être toujours dans l’eau.
Ensuite certains plans très rapprochés et très gros plans mobiles et
saccadés peuvent donner la nausée autant qu’induire une certaine
intimité avec le sujet filmé. Puis ce sujet de l’eau très récurant dans
« The Passing » comme dans plusieurs autres vidéos de l’artiste, si ce
n’est toutes, montre non seulement son obsession de cet élément mais
révèle la fascination et la dépendance universelle, du liquide dans
lequel tout a pris vie y compris nous même le public. Les jeux
d’apparition, disparition, de fondus au noir extrêmement lents, de
sons très étouffés dans certaines scènes, accompagnés par l’eau nous
font revenir dans une vie fœtale, que l’on a tous connu, une vie ou le
temps n’existe pas et ou le son et la vision son floues ou inconscientes
comme les vidéos de Bill Viola qui dissimulent souvent des
questionnement existentiels fondamentaux. De la même manière que
l’impressionniste Monet réalise ces Nymphéas, Bill Viola cherche
dans ses représentations l’amalgame Corps/Eau. Dans sa vidéo
« Angel’s gate » de 1989 (4minutes, Couleur), l’eau apparaît comme
est un lieu intermédiaire entre la quiétude et l’inquiétude, entre la vie
105
et la mort. L’eau est un milieu d’expérimentation de la lumière, des
corps et des formes, et aussi un moyen fantasmagorique de simuler
l’infini. Il y a toujours un aspect « inconscient », un calme inquiétant,
l’eau qui dort, comme dans les bons films d’angoisse, comme
« Apparences » (what is lies beneath) de Robert Zemeckis, sorti en
2000 par exemple, accompagné d’une réflexion psychanalytique plus
ou moins explicite. (Par ailleurs l’artiste a entamé en 1980 une quête
spirituelle au Japon.)
Bill Viola se sert de sa connaissance en histoire de l’art et réalise
des peintures qui ont un temps. « The Greeting » par exemple, vidéo
installée dans l’église sait eustache à Paris, réalisé en 1995, inspirée
d’une peinture médiévale de Pontormo, titrée La « Vistation »
témoigne de son attachement à la peinture, surtout religieuse qui le
fascine, à la mise en scène ou la remise en scène du temps et de
l’espace. Françoise Parfait en dit : « Entre mobilité et immobilité,
l’image s’inscrit dans le cadre de l’église comme une peinture
religieuse, une peinture qui dure dix minutes et qui recommence,
devant laquelle on peut rester ou se recueillir ».
Certains travellings dans The Passing sont interminables, mais
font la beauté de l’œuvre. C’est comme ci Bill Viola prenait
l’accélération du réel que nous connaissons depuis la révolution
industrielle et la plus récente révolution communicationnelle et
numérique, à contre pied. Comme ci il nous disait par exemple :
« Ah ! Vous ne pouvez pas perdre votre temps parce que vous pensez
que le temps c’est de l’argent ? Alors tenez je vous enferme dans une
même scène pratiquement immobile pendant 5 de vos précieuses
minutes».
106
« L’eau, possède des propriétés transformatives et réflectives ; le ralenti, un langage subjectif de l’image ; et les différentes caméras et systèmes d’enregistrement, leurs propriétés inhérentes et uniques de fabrication sonore et visuelles. »1
Par des systèmes de photographie et de photographie évolutive,
l’artiste dans « Matter » réuni en polyptique, un format qui revient
souvent dans son travail des portraits d’hommes et de femmes à
différents ages de la vie manifestant les mêmes expressions du visage.
Sublimant ainsi le contraste des ages et du temps qui s’est écoulé entre
deux points de vie.
Bill Viola expérimente les limites du médium de la vidéo, des
sujets filmés et de la perception du spectateur. Il oscille entre
abstraction et réalisme, entre hasard et mise en scène. Son mode
opératoire est, minimaliste mais extrémiste, toujours orienté vers la
magie, les ténèbres, le mystère, l’incertitude, l’expression et la
confusion. Sa technique qui est aussi son fond de commerce est la
« Slow Motion » soit le ralenti. Par là il procède à un acte allant
contre la volonté de continuité régulière et inébranlable du temps, vu
qu’il en change sa vitesse. Il le courbe à souhait à travers la vidéo. Par
la distortion, la transformation des images il se moque de nos repères
et de la tradition de la pratique audiovisuelle. C’est comme ci il
saisissait ou piégeait des pans d’espace/temps de la vie dans ses
machines et qu’il les remodelait, triturait, les torturait, tel un homme
devenu démiurge et prenant sa perverse revanche sur le temps.
1 Bill Viola « The Passions » 2003.
107
Bill Viola aime nous piéger. Dans « Reflecting Pool » (1977-79,
couleur, 7minutes) il divise l’espace d’incrustation en deux (technique
de l’ « external key ») et opère subtilement sur l’un puis sur l’autre. Tel
un véritable illusionniste il retient notre attention avec de faibles
altérations et variations sur une partie de ce qu’on voit et en profite
pour faire disparaître un élément d’une autre partie. Dans cet
ingénieux jeu de trucage, d’incrustation et de montage, l’artiste
fragmente le temps et nous présente en un même plan un dérangeant
aller retour de temporalités : Présent, futur, passé, arrêt du temps,
début, fin, milieu, jour, nuit.
« C’est vraiment comme si on sculptait le temps »1
1
1 Traitant du montage de Reflecting Pool dans « La sculpture du temps » entretien avec Raymond Bellour.
1 Arrêt sur image « Reflecting Pool » Bill Viola 1977-79, couleur, 7minutes
108
Jean Paul Fargier, dans « L’espace retrouvé, conte d’effet » à
constaté en parlant des silhouettes reflétées dans l’eau et inexistantes
dans l’espace aérien réel dans la vidéo « Reflecting Pool » : « C’est
comme ci les miroir au lieu de réfléchir, se mettaient à penser »2. On
pourrait relier cette théorie à toute l’écriture vidéographique dans la
mesure ou elle retranscrit le monde subjectivement elle est donc un
miroir pensant. Une vision du monde repensé.
Grâce au progrès technologique et au développement des TIC,
à partir de l’an 2000, Bill Viola incorpore les nouvelles techniques de
trucages que lui offre le numériques et nous offre ainsi des tours de
magies audiovisuels où se mêlent questionnement, poésie,
hallucination, amnésie et illusion dans le but revitaliser notre acte de
regarder. La slow motion de Bill Viola aujourd’hui est de 1000 images
par secondes et en une qualité HD (Haute Définition de l’image). Et
la diffusion de ses œuvre ayant un format transportable
numériquement, s’opère sur internet, par exemple sur son site
www.billviola.com où l’on peut commander directement à l’artiste
une œuvre originale. Mais aussi les plateformes de partage de vidéo
sur le web en réseau tel Youtube, DailyMotion ou Vimeo offre la
possibilité de voir certaines de ses œuvres.
En outre, Bill Viola prend son public en considération, il est
conscient du phénomène d’empathie et d’accessibilité de l‘œuvre et la
où Christian Boltanski dit qu’en art il faut parler du même village que
109
celui ou vit le spectateur, Bill Viola dit : « L’art doit faire partie de la
vie quotidienne sinon il n’est pas honnête ».
Grâce à son accessibilité, sa démocratisation, et sa praticité, la
technique vidéographique en art depuis les années 1960 a ouvert une
valve de possibilités, d’inspirations et d’idées qui auraient été
impensable avec le cinéma seul. Aujourd’hui ces technologies ont
augmenté et évolué ont peut voir des sculpture en 3D projeté par
Hologramme ou encore des peintures en cristaux liquides comme le
fait Miroslaw Balka par exemple (voir Bluegaseyes).
Nous allons maintenant nous intéresser à une courbure du
temps sur le seuil de l’art et du business avec Romain Jêrome
l’horloger suisse.
110
Romain Jérôme : Un marchand de temps pas comme les autres.
Fondé en 2004, l’entreprise horlogère genevoise Romain
Jérôme SA, a acquis une forte notoriété grâce à son projet audacieux :
« DNA of famous legend », ou la marque fait le choix de célébrer des
« aventures humaines légendaires », avec en tête de prou la très
controversée montre « Titanic DNA » qui a soulevé maintes
polémiques. La subtile et conceptuelle idée de cette montre est
révolutionnaire : Une montre faite de rouille, matière prohibée et
ennemie jurée de l’horlogerie depuis 300 ans. Et il ne s’agit pas de
n’importe quelle rouille figurez vous bien, mais celle du Titanic
pêchée sur l’épave du feu paquebot de luxe à plus de 3800 mètres de
profondeur et certifié notarié, dont voici un des modèles:
111
Une marque sans histoire à son commencement a remué
l’Histoire avec un grand H, pour s’en procurer une, les spécialistes
parlent de grande leçon de marketing.
Un autre stupéfiant modèle nommé « Moon Dust » propose de
la poussière de lune enfermée dans son cadrant fait à base de métal de
vaisseaux spatiaux saisissant ainsi l’histoire de la conquête de la Lune
depuis la guerre froide.
Mais nous allons nous intéresser à un modèle vraiment
extraordinaire, un modèle étonnant et extrêmement provocateur mais
que le génie de son concept permet à la marque suisse de la vendre
entre 200 et 300 000 euros.
112
Accrochez vous, cette montre dont nous parlons ne donne pas
l’heure elle indique juste si nous somme le jour ou la nuit.
Yvan Arpa, le directeur est la tête pensante des concepts
Romain Jérôme. Sur internet l’homme est appelé l’horloger qui a une
idée à la seconde. Dans une interview pour la télévision suisse il dit :
« Aujourd’hui on a l’heure partout, sur les portables, dans les voitures,
dans la rue, Partout. Les gens ne regardent plus leurs montres pour
regarder l’heure. Une montre c’est beaucoup plus que donner
l’heure…On a fait la première montre au monde qui ne donne pas
l’heure » Et le journaliste rétorque : « la montre qui ne donne pas
l’heure fait un tabac, toutes les pièces sont déjà vendues avant même
leur production ».
No comment, voici la Day and Night, la seule montre qui ne
donne pas l’heure, ni secondes, ni minutes, juste jour ou nuit :
113
Une politique de création basée sur la mise en avant d’une
réflexion philosophique et artistique de contradiction et de
provocation mené par Yvan Arpa, fait le succès de cette marque
helvète qui n’a pas vraiment froid aux yeux. L’ingéniosité de créer des
histoires agitatrices autour d’un objet à l’esthétique guère négligée
galvanisé par des concepts convaincants et une image de marque très
soignée.
Se servir d’un mal du monde pour le sublimer et en faire une
réussite relève du génie.
Les dernières folies d’Yvan Arpa sont merveilleusement
astucieuses, poétiques et insolentes :
La première est la montre « Eyjafjallajokull », Yvan Arpa va
éternisé dans ces montres de la roche volcanique du Volcan Star de
l’année 2010. Comme si il le provoquait en duel spirituel et lui disait
que nous aussi les hommes nous pouvons le mépriser.
La deuxième montre sera une montre enfermant des
excréments fossilisés de dinosaures. Comme si on remontait le temps
pour le piller posséder une ère qu’on ne maîtrise pas. Le plus étonnant
dans cette manœuvre est le slogan promoteur de cet objet
dérangeant : « This Dial is Shit isn’t it ? Indeed It Is » (Ce cadran est
de la merde n’est ce pas ? En effet c’en est.). Ajoutons à l’abondance
de concepts agitateurs d’Yvan Arpa une communication crue
astucieuse, loin des vernis hypocrites de la publicité traditionnelle car
beaucoup de bruit pour pas trop d’investissement marketing.
À lire absolument sur le sujet, l’interview de 2009 d’Yvan Arpa
dans le JSH Journal Suisse de l’Horlogerie.
114
CONCLUONS :
Le Temps fait la pluie et le beau temps de la vie des hommes est
une chose à laquelle on ne peut pas grande chose, dans la mesure où
depuis que l’on existe sur la planète terre, c’est à dire quelques
malheureuses millions d’années, on vit en obéissant au rythme du
soleil, imitant ainsi nos colocataires les animaux. Seulement
l’Homme au contraire de l’animal ne vit pas dans l’instant (quoi que)
dans la mesure ou il se souvient et espère. L’Homme est frustré d’être
arrivé si tard sur la planète à une date ou le passé est déjà Grand et le
futur infini. Alors de par le fait que le monde est divisé en plusieurs
régions aux reliefs et climats inégaux il va vivre le temps différemment
en fonction de la culture de laquelle il est issu créant ainsi des
diversités de temporalité vécues. Mais depuis que l’homme a inventé
l’argent, et s’est épris de ce dernier au point de disperser son amour à
travers le monde, créant ainsi une planète amoureuse de l’argent, il a
malgré lui homogénéisé le rapport des hommes au temps qui
maintenant ne voient qu’une seule vérité : « Le temps c’est de
l’argent ». Or le temps c’est la vie, et c’est notre vie qui défile au profit
d’une course effréné au profit. Dans cette catastrophique perte de
repères, l’art s’est vu être un bon moyen pour fantasmer sur un monde
au temps dilaté, certains artistes comme Christian Boltanski ou Bill
Viola, nous propose donc une autre mesure chronométrique et nous
font rêver par des temporalités inventées, suspendues ou volées à des
temps meilleurs. En outre la déferlante du web et la politique
apocalyptique du développement durable nous font converger vers un
monde virtuel ou le temps est différent mais ou l’accès au savoir, aux,
115
connaissances, à l’art et à la culture s’est totalement démocratisé à
nous de d’avoir l’intelligence de prendre ce qu’il y a de bon à absorber
dans le chaos des « mass cultures », sans perdre nos repères et notre
personnalité, dans un univers régit par les médias mais où la
découverte du monde est empirique et solidaire à l’heure où la
communication à envahit tous les secteurs. À l’heure des réseaux,
l’art est libre alors profitons en. Aussi nous constaterons que l’art s’est
considérablement développé, sans être meilleur il est juste plus loin, il
s’est diversifié grâce notamment à la démocratisation de son approche
technique permise par la révolution moderne mais aussi par l’appui et
la contribution des nouveaux moyens de diffusion que sont les
nouvelles technologies de l’information et la communication, qui sont
aussi devenus des moyens de production. Alors n’oublions pas que
« The medium is the message » comme le disait le philosophe de la
communication Mc Luhan au siècle dernier. Ce qui nous amène à
penser aujourd’hui il ne faudrait pas négliger la psychologie de la
communication. Sa compréhension et sa maîtrise peuvent nous aider
à bâtir des meilleurs temps.
116
NOTES :
D’abord, en ayant rencontré sur la nappe en papier, d’une
vieille table en bois d’un Bar à Mojito à Barcelone la phrase du poète
Khalil Jibran, imprimée dans toutes les langues : « L’art est le premier
pas de l’Homme vers l’infini », j’ai voulu conjoindre dans cette étude
Art et Temps. Une discipline et une vérité absolue aussi étendue et
dissécable l’une que l’autre. Mais lorsque j’ai lu la phrase suivante :
« Cette union n’est ni exceptionnelle, ni singulière. L’art ne lie t’il pas
son destin au temps, qu’il l’arrête un instant, suive son cours, en
déplore la perte ou lui assigne un avenir particulier ?», de Paul
Ardenne, je me suis dit que l’art était du temps manipulé finalement
et que les œuvres n’étaient que des témoins temporels d’un état des
lieux sur terre. Alors j’ai voulu regarder plus loin c’est à dire au
niveau de la temporalité vécue, perçue, d’une œuvre, de son créateur
et de son public, et voir en quoi l’art contemporain peut – il porter
l’Homme vers l’infini. Je dois avouer que le fait d’avoir voulu traiter
de sujets aussi larges que passionnant a orienté mon travail dans tous
les sens, tel une girouette j’ai du picorer mes informations et mes
exemple dans un tout gigantesque, en négligeant faute de temps des
approches fondamentales comme l’ethnologie. Toutefois cette
méthode d’investigation m’a permis diverses découvertes qui ont
nourris mes connaissance et mon projet d’études, un projet à
l’ultimatum trop pressé pour un travail trop extensible.
Aussi cette année 2010 il m’a été donné la chance d’exposer des
photographies à la VIème biennale des arts plastiques de Tunis au
cours de laquelle j’ai eu l’opportunité de rencontrer et de dialoguer
avec nombre d’artistes des quatres coins de la méditerranée. Un des
117
artistes, Mehdi Djelill, un jeune plasticien algérien, à l’imagination
débordante et au talent prometteur à retenu mon attention. En effet
lors d’une discussion portant sur le temps dans l’art nous nous mime
naturellement à parler d’art éphémère. Puis il me détailla un projet
qu’il était en train de mettre en œuvre qui m’a particulièrement
touché : Il s’agira de la maquette d’une métropole de style occidentale
avec buildings ponts et grands aménagements urbains entièrement
réalisée de pain. Œuvre dans laquelle l’artiste lors de son exposition
déversera de l’eau à la base de la sculpture afin qu’elle s’effondre
lentement pour ne plus ressembler à rien qu’a un tas de vomissure.
Haute critique d’un système capitaliste autodestructeur de société et
d’environnement et finalement de l’Homme.
Anecdote d’après les souvenirs de mon père Ahmed :
Il existe un homme (dit) fou, dans le village du Kef en Tunisie
qui est posté tous les jours dès l’aube devant la grande horloge d’une
place publique. Cet homme, à la structure mentale peu commune
gémit avec une gravité profonde toutes les heures et quart d’heures
qui s’écoulent. Oh 3h et quart, 3h et quart, Oh 3h moins 10, 3h moins
10 ! Comme si il apprenait la mauvaise nouvelle que le temps venait
de fuir, sans qu’il ne put rien y faire. Tout d’abord cet homme,
comme je l’imaginais lorsque mon père me racontait l’histoire m’a
paru comme un gardien du temps, élu des hommes et des dieux, qui
essayait de négocier avec ce dernier afin qu’il passe un peu moins vite.
Puis j’ai pensé à l’installation « C’est l’heure » de Christian Boltanski
avec son horloge parlante. Et enfin je me suis dit que si on raisonnait
un peu cet homme et qu’on le présente aux décideurs de chez
118
Christie’s, on pourrait en faire un performer du temps hors du
commun à la côte élevée et le faire voyager à travers le monde entier
en essuyant festivals, fiacs, documentas et autres rassemblements
artistiques internationaux.
119
Je tiens par ailleurs à préciser que le terme CHRONO-DIVERSITÉ
est emprunté à Paul Virilio.
120
Bibliographie d’étude
Ouvrages :
- Le Futurisme de l’Instant Paul Virillio
- L’etre Temps A. C. Sponville
- L’art et le Temps Jan Patocka
- L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
(W.Benjamin)
- Art, le présent Paul Ardenne
- Traité du Sablier Ernst Junger
- Des images, du temps et des machines dans les arts et la
communication Edmond Couchot.
- Les signes du temps et l’art moderne Huyges Rêne
- Les Fleurs du mal Baudelaire
- A la recherche du temps vertical dans l’art Michel Ribon
- L’origine de l’œuvre d’art Heidegger
- Le future antérieur de l’œuvre d’art hilaire
- Dictionnaires et encyclopédies d’art.
Presse & magazines :
- BEAUX-ARTS magazine
- Art Press & Art Press Hors Serie Boltanski Monumenta
- Journal Libération
- Journal Le Monde
Sites Internet
- Paris-art.com
121
- Encyclopédie Universalis
- Wikipedia
- temporalistes.socioroom.org
- Arte.com
- Ina
- TSR archives
- Youtube
- Dailymotion
Corpus Œuvres :
- « Personnes » CHRISTIAN BOLTANSKI Grand Palais
Monumenta 2010
- Vidéo « The passing » & Selected Works (Bill Viola)
- Archives du cœur (Christian Boltanski)
- Montre Romain Jérôme.
-
Sites
- Forum des Images des Halles
- Centre Beaubourg - Pompidou Paris
- Musée d’Art Moderne de la ville de Paris + Encyclopédie
audiovisuel de l’art contemporain
- Bibliothèque N.F François Miterrand Paris.
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