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[TITRE] Les blogues communautaires

Claude Springer, université Marc Bloch, Strasbourg, France

[Sous titre] Du journal intime aux communautés de blogueurs

L’Office québécois de la langue française (OQLF) définit le blogue comme « un site

web ayant la forme d’un journal personnel, daté, au contenu antéchronologique (ordre

chronologique inverse) et régulièrement mis à jour, où l’internaute peut communiquer

ses idées et ses impressions sur une multitude de sujets, en y publiant, à sa guise, des

textes informatifs ou intimistes, généralement courts, parfois enrichis d’hyperliens, qui

appellent les commentaires du lecteur »1. Un certain nombre de termes sont également

utilisés pour parler de cette réalité : carnet web, cybercarnet, weblog, blog, journal web,

webjournal, joueb, jourel et bloc-notes.

Même si, comme la définition le dit, d’un point de vue visuel et technique, un

blogue n’est en fait qu’un site internet, il y a une approche à la fois technique et

philosophique qui va bien au-delà. [insérer image 1 + légende] En opposition à cette

définition originelle et reconnue, qui ne tient compte en fait que de l’aspect individuel

inhérent au journal intime, nous souhaitons montrer que les blogues aujourd’hui ont pris

une dimension « pronétaire » (voir plus loin) et communautaire remarquable.

Le blogue répond avant tout à un certain besoin d’exister. Cependant, exister sur

internet n’est pas suffisant, il faut être reconnu et intégré dans une communauté

virtuelle. Bloguer n’est pas uniquement parler de soi, de sa vie, donner son opinion, c’est

aussi et surtout interagir avec les autres internautes, créer quelque chose à plusieurs,

échanger et partager ce qui a été créé. L’espace privé du début s’est transformé en

espace d’échange. Les diaristes du début, auteurs de journaux intimes, continuent bien

sûr à écrire publiquement leur vie. Les deux modes d’expression coexistent et

correspondent à des besoins différents.

[Sous titre] Agir ensemble : l’esprit communautaire

Le Cadre européen définit ce que l’on nomme une perspective

communicationnelle et actionnelle (pour reprendre l’expression de Daniel Coste), qui met

sur le devant de la scène l’agir social, l’action commune pour parvenir à un but partagé

dans un contexte précis. Selon De Rosnay, le fait marquant de ces dernières années est

l’explosion de la « création collaborative ou intercréative, » qui « fait appel à des réseaux

d’intelligence collective et non plus à des organisations humaines pyramidales ». Les

blogues des jeunes, comme l’explique Anna Koenig-Wiśniewska dans le prochain article,

sont le ferment de ce nouvel esprit. Les blogues communautaires constituent ainsi un

contexte particulièrement favorable à cet agir communicationnel et actionnel qui nous

intéresse pour les langues.

1 http://www.clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=1001

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Le besoin social de l’homme, celui de faire partie d’un groupe existe sans aucun

doute, qu’il soit exprimé explicitement ou pas. Une communauté virtuelle est avant tout

un groupe interagissant sur internet. [insérer image 2 + légende] Ce qui caractérise

plus fondamentalement la communauté virtuelle, comme tout type de communauté, c’est

le fait d’avoir un but ou des intérêts communs (Dillenbourg, 2003). Construire

collectivement une expérience, partager des émotions ensemble, est une quête qui vaut

la peine d’être vécue. À partir de ces éléments, il n’est pas difficile de reconnaître

comment cette intelligence collective se développe, ni de comprendre pourquoi on voit se

développer à une allure phénoménale tous ces artefacts, outils cognitifs virtuels,

nécessaires à ces communautés.

On peut, de ce fait, parler de communauté d’apprentissage informel, brisant ainsi

la frontière entre action et apprentissage. Le blogue offre à la communauté un espace

informel et peu hiérarchisé avec des outils d’interaction et de partage faciles à utiliser,

invitant même l’apprentissage informel. Les interactions et échanges suivent une « forme

narrative et ouverte », fortement contextualisée et chargée émotionnellement,

permettant ainsi une co-construction de savoirs, savoir-faire et savoir-faire sociaux.

[Sous titre] Les nouveaux atouts du blogue communautaire

Le génie technologique des blogues, qui leur a assuré un succès universel (blogues

de jeunes, blogues de citoyens, blogues des politiques, …) repose sur une recette

simple : ils sont faciles à créer et utiliser et offrent la possibilité d’arriver rapidement à un

très joli site internet performant, qui permet à tous ceux qui le souhaitent d’interagir.

Toutes les formes d’expression sont aujourd’hui possibles et font des blogues de fabuleux

outils multimédia : écrit, vidéo, audio, photo, dessin. L’important est de libérer

l’expression et la fantaisie de Monsieur tout le monde à travers un nouveau média de

masse ouvert et gratuit qui s’oppose aux mass médias traditionnels fermés et payants

(De Rosnay, 2006).

L’atout majeur est l’interactivité que l’on trouve dans le système des billets. La

valeur et la réputation d’un blogue se fait généralement par la popularité illustrée par le

nombre de commentaires et de visites. Le deuxième atout est assuré par la technique de

la syndication, ce qu’on appelle les fils rss intégrés au blogue et qui permettent aux

lecteurs de s’abonner comme s’ils s’abonnaient à un journal. Il est de ce fait possible de

récupérer automatiquement, et dès leur parution, les contenus recherchés. Les blogues

constituent ainsi un vaste réseau social de publication et de distribution de contenus.

[insérer image 3 + légende] Une autre prouesse technique est la facilité de

classification, d’archivage et de navigation. Les blogues récents ont adopté une nouvelle

philosophie de classement des billets, à savoir par mots-clés intuitifs (tags). Cette

indexation populaire (on parle de folksonomie) permet une représentation graphique sous

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forme de nuage de tags hyperliens qui rend possible une navigation thématique, et non

plus uniquement chronologique. Cette navigation a ceci de remarquable qu’elle ouvre la

possibilité d’entrer en relation avec d’autres internautes en utilisant le même tag. Ce

système a fait tâche d’huile et est utilisé par la plate-forme d’archivage de photos

(Flickr), mais bien d’autres encore comme par exemple la plate-forme d’archivage de

signets (del.icio.us.)

[insérer image 4] Enfin, les blogues facilitent l’intégration d’extensions (plugins)

mais aussi l’intégration directe de photos (Flicrk - application de gestion de photos en

ligne), de vidéos (Youtube - application de gestion de vidéo en ligne). Il est également

facile de télécharger et écouter des podcasts. Les blogues intègrent aussi les services de

communication comme le chat communautaire et le téléphone (meebo, skype,…).

[ Sous titre] La révolte du pronétariat : auto-publication et droits libres

La blogosphère est devenue en peu de temps un territoire de communication,

d’échange, d’inventivité, de créativité, unique en son genre. Ce réseau social

communautaire a pris la place du système de production et de diffusion capitalistique

classique. De Rosnay parle de « révolte du pronetariat ». Ainsi, grâce au blogue, l’auto-

publication est aujourd’hui une réalité. Nul besoin de rechercher un éditeur et de payer

ses services. [insérer image 5 + légende] La publication est immédiate, gratuite, de

qualité, sans frein ou obstacle éditorial. La distribution des œuvres écrites et multimédia,

comme nous l’avons expliqué, est immédiate et gratuite. Il serait faux, et vain, d’intenter

un mauvais procès es qualité en jugeant négativement ces contenus. Cette tentative

existe et a touché le frère jumeau du blogue, le wiki. L’encyclopédie gratuite Wikipédia se

voit régulièrement dénigrer toute qualité scientifique. Or, le contrôle de la qualité existe

et se fait en réseau, sous des formes diverses dont les commentaires et autres

appréciations et votations. Tout se publie donc, la sélection se fait naturellement au sein

même de la blogosphère et non pas par élimination préalable ou financière. On retrouve,

comme dans l’édition classique, des valeurs sûres, des effets de mode et des doués du

marketing.

Une nouvelle forme d’écriture : écrire à plusieurs mains

Dans ce blogue du Monde, l’auteur se pose la question de « l’écriture blog »

(http://argoul.blog.lemonde.fr/2005/03/04/2005_03_rflexion_chaud). Ce blogueur, plutôt

classique, a créé un blogue sur le site du Monde (autre plate-forme possible) et reconnaît

être prêt, dans son carnet de voyages, à tenter l’expérience de l’écriture blogue qu’il

définit de la manière suivante :

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L’écriture blogue n’est pas construite comme un texte académique et littéraire

que l’école cherche à transmettre. Le texte est court, il ressemble à une suite de notes,

une pensée qui se déroule, une mosaïque qui doit être agréable, mais pas trop

formalisée. Il faut accrocher et plaire en peu de mots. L’idée de la « trace éphémère » est

jolie, le texte, la parole relève plus de la culture orale que de la culture écrite, rien n’est

gravé dans le marbre. L’auteur dit justement qu’elle est un prétexte à des liens, d’autres

traces qui permettent à la pensée collective de se construire et d’avancer. L’écriture

blogue est une écriture à plusieurs mains, les commentaires ne sont pas que de simples

réactions, mais poussent la réflexion, la dévient, la renforcent, l’ouvrent.

Les remarques et conseil d’un autre blogueur, Jean-François Ruiz,

(http://www.webdeux.info/8-astuces-pour-crire-des-articles-pour-un-blog) montrent que la

blogosphère régit d’une certaine façon la vie des communautés et des blogueurs isolés.

Certaines règles de publication sont indispensables à la popularité et à la renommée. Ne

jouons pas aux vierges effarouchées contre ce besoin de popularité de la blogosphère.

C’est vieux comme l’humanité et les hommes politiques sont les premiers de la classe

pour la maîtrise des ficelles de ce côté humain, trop humain. L’auteur de ce blogue,

Gaetano, (http://www.expressions.be/index.php?Ecrire-pour-les-blogs) explique de

manière très claire le métier d’écrivain de blogue. On retiendra trois points : écrire

régulièrement, choisir un titre qui accroche, inviter les lecteurs à participer. Gaetano va

plus loin et explique comment garder sa renommée, malgré les fils rss et autres

extensions qui permettent de lire sans aller sur les sites. Là aussi, on peut faire la fine

bouche et jouer au Tartuffe (cacher ce blogue que je ne saurais voir). En tant

qu’universitaire, je sais que nous sommes également pris par l’audimat et que ce que

nous nommons pudiquement « rayonnement » n’est rien d’autre que notre capacité à

être populaires et que cette popularité est actuellement calculée par les citations et par

le classement de Google. Le chapitre 3 de Gaetano est particulièrement intéressant

puisqu’il explique l’importance des tags qui permettent l’ouverture et le partage dans

toute la blogosphère et la toile. « Le but étant, in fine, qu'en taggant mon article "voiture

« J’ai dans l’iddée (sic) d’augmenter la part des photos, de rédiger des textes

plus courts, de centrer chaque note sur un seul thème. Telle une mosaïque, la suite des

notes prendra alors sa dimension. Elle perdra ce côté "construit", trop rédigé" qui

indispose certains. Peut-être. Après tout, un blog n’est pas "gravé dans le marbre" mais

demeure une trace éphémère qui doit inciter aux liens, à l’avancée - toujours - de la

pensée, même embryonnaire… Parfois, il suffit de si peu de choses. »

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de sport", il se retrouve aggrégé avec tous les autres articles publiés par d'autres auteurs

qui auront, eux aussi, taggé un article "voiture de sport". ».

On le voit bien, l’écriture blogue n’est pas celle d’un simple journal, écriture

solitaire qu’on donne à lire sans retenu. C’est une écriture collective, solidaire, à plusieurs

mains, un brouillon partagé qui ne vise aucune finalisation, une mosaïque d’idées, de

mots, de pensées informelles (voir aussi la réflexion de Boudroux sur l’écriture collective,

http://www.cndp.fr/dossiersie/45/acrobat/06206311.pdf.). L’écriture collective n’et pas

facile à définir. Si l’on prend l’exemple de cet enseignant, on voit qu’il confond écriture

académique formatée et « écriture blogue » collective.

Ces étudiants semblent bien avoir compris la spécificité de l’écriture collaborative

du blogue, sous forme de petites notes personnelles, qui se suivent et se complètent de

manière informelle, comme une mosaïque pour former à la fin un ensemble

« intelligent ».

J’ai trouvé sur le blogue d’un autre blogueur un commentaire qui explique le but

de cette écriture particulière et le plaisir d’écrire à plusieurs :

On pense souvent que le blogue est limité au seul auteur responsable et créateur

du blogue. Il serait donc le seul véritable auteur, comme dans le journal personnel. Or, il

est de plus en plus possible, comme pour le wiki, d’inviter d’autres auteurs qui partagent

la responsabilité des billets. Mais l’écriture collective ne se limite pas aux auteurs

responsables, les lecteurs qui réagissent régulièrement peuvent devenir de véritables

contributeurs. Ils renvoient souvent à leurs propres réflexions sur leurs blogues et

« attention, je constate dans la plupart de vos blogs que vous écrivez chacun à

votre manière sans souci d'harmonisation. Or le blog est une publication, donc une

des difficultés est de créer une ligne éditoriale. … Dans un centre de doc ou une

bibliothèque, on ne vous demandera pas d'écrire de manière très personnelle mais de

contribuer à la conception, à la rédaction et à l'évolution d'une lettre d'information ou

d'un blog ou tde out (sic) autre produit documentaire, au sein d'un groupe et pour un

public donné. Donc arrêtez d'écrire des notes, concertez vous, critiquez et corrigez

ensemble les notes déjà écrites. »

« juste le plaisir d'échanger autour de mots et voir avec surprise comment un

même texte peut amener des univers si différents. Pour ceux qui écrivent, j'en fait (sic)

partie, cela permet de désacraliser l'acte d'ériture. Non, l'incriture (sic) n'est pas le

domaine réservé des écrivains qui nous enchantent tant. Il peut être également un

espace de jeu et de plaisir sans autres finalités que celles-ci. »

http://blogauteurs.typepad.com/le_blog_des_blogs_littrai/2006/05/les_blogs_decri.html

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proposent des liens vers d’autres réflexions et contributions. L’écriture collective des

blogues n’est de ce fait pas linéaire, mais spatiale. Chacun doit s’adapter aux choix

énonciatifs des autres, aux contraintes imposées par le blogue et par la communauté. Il

ne suit pas les règles scolaires de l’écriture de groupe pour rédiger une œuvre ensemble,

en suivant un schéma narratif précis. La frontière entre auteur et lecteur disparait dans la

mesure où, sur un blogue, on peut être simple contributeur, mais auteur sur son propre

blogue. On assiste ainsi à un changement de rôles : auteur/lecteur. Une fois le billet posté

on acquiert un nouveau statut, d’autres peuvent réagir, l’auteur/lecteur se voit de

l’extérieur et en sachant que le contenu est public, il ne peut que relativiser, réfléchir à

ce qu’il vient d’écrire. On peut imaginer un processus psychologique interne

d’autoréflexion qui se met en marche également.

L’écriture collective ressemble ainsi à un caléidoscope de reflets d’opinions, de

pensées. Une pensée collective se construit par touches infimes et éphémères, jusqu’à ce

que le tour de la question soit provisoirement fait et l’éventail d’opinions ainsi créé se

fige un moment. L’ensemble, billets et commentaires et liens inter blogues, constitue une

unité réflexive qui n’aurait pas la même valeur et richesse de langue, d’optique, si

l’auteur était unique. Le blogue permet de garder la trace de tout cela dans les archives,

vaste mémoire collective de la blogosphère.

En guise de conclusion, nous avons voulu montrer que le blogue ne doit pas être

réduit au simple journal intime, et qu’il est important de connaître l’esprit communautaire

qui l’anime et caractérise ce que l’on nomme le web 2.0 ou réseau social. Le potentiel

communautaire du blogue ouvre ainsi des perspectives qui intéressent l’éducation à la

citoyenneté avec les aspects de communication interculturelle et d’agir social. Nous

avons pu constater que la blogosphère réagit comme toute communauté sociale, ni plus,

ni moins. Enfin, les possibilités d’auto-publication, l’ouverture sur une autre forme de

création collective de connaissances et de savoir-faire ne peuvent nous laisser

indifférents.

Bibliographie et sitographie

Boudroux, E. Ecritures hypertextuelles, Du carnet individuel à l’écriture collective.http://www.cndp.fr/dossiersie/45/acrobat/06206311.pdfDillenbourg, Rosnay, J. et Revelli, C. (2006) La révolte du pronétariat. http://www.pronetariat.com

Claude Springer dirige le département de didactique des langues / FLES à Strasbourg (http://dladl.u-strasbg.fr). Il est également directeur de publication de la revue Alsic (http://alsic.org) et président de l’Acedle (association de chercheurs en didactique des langues, http://acedle.u-strasbg.fr). Il intervient sur le plurilinguisme et Emile, l’évaluation et les TIC. On peut consulter son blogue : http://springclo.wordpress.com

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Vie palpitante d’un prof de ZEPhttp://perso.orange.fr/notules/ Web 2.0, blogue de Jean-François Ruizhttp://www.webdeux.info/8-astuces-pour-crire-des-articles-pour-un-blogFugues & fougueshttp://argoul.blog.lemonde.fr/2005/03/04/2005_03_rflexion_chaudExpressions.be, blogue de Gaetanohttp://www.expressions.be/index.php?Ecrire-pour-les-blogs Clichttp://www.clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=1001

15500 signes

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