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Methodos
4 (2004), Penser le corpsPenser le corps
Le biopouvoir chez Foucault etAgamben.
Katia GENEL
RSUM
Foucault repre une transformation du pouvoir lorsque la vie entre dans ses proccupations
partir du XVIIIe sicle. Il appelle bio-pouvoir les techniques spcifiques du pouvoir
sexerant sur les corps individuels et les populations, htrognes aux mcanismes juridico-
politiques du pouvoir souverain. Agamben, dansHomo sacer, reprend lhypothse foucaldienne
et la fait fonctionner prcisment sur le terrain dlaiss par Foucault, celui de la souverainet. La
souverainet ne porte pas ses yeux sur des sujets de droits, mais de manire cache sur une
vie nue , ex-cepte par le pouvoir qui lexpose sa violence et sa dcision souveraine. On
peut alors interroger le dplacement de lhypothse foucaldienne opr par Agamben et les
rapports problmatiques entre pouvoir souverain et bio-pouvoir, afin dvaluer la pertinence et
la fcondit de la notion de bio-pouvoir.
ABSTRACT
According to Foucault, a transformation in the way of exerting power can be discerned from the
18th century onwards, as life becomes a topic of concern for power itself. Biopower is the
term he uses to describe the new tactics of power when it focuses on life, that is to say
individual bodies and populations; when such mechanisms differ from those that exert their
influence in the legal and political sphere of sovereign power. In Homo sacer, Agamben takes up
Foucaults analysis and brings it into play on the very terrain that the latter wanted to break
with, namely the field of sovereignty. He argues that sovereign power is not linked to
rightholders, but is covertly linked to a bare life, which is life included in the political realm
by a paradoxical exclusion, exposed to the violence and the decision of sovereign power. It is
consequently interesting to examine how Agamben shifts the emphasis from Foucaults
standpoint and the difficult relationship between sovereign power and biopowers, in order to
assess the relevance and fruitfulness afforded by the notion of biopower.
PLAN
1. POUVOIR SOUVERAIN ET BIO-POUVOIR.
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1.1. Du pouvoir souverain au bio-pouvoir.
1.2. Le pouvoir souverain comme bio-pouvoir.
2. BIO-POUVOIR ET MODERNIT POLITIQUE.
2.1. Histoire et crise du pouvoir souverain.
2.2. Laporie de la dmocratie.
2.3. Lanalyse du totalitarisme.
2.4. Le camp comme matrice de lespace politique.
3. BIO-POUVOIR ET BIO-POLITIQUE.
3.1. La vie comme rsistance au pouvoir.
3.2. La vie comme fondement de la politique ?
CONCLUSION.
TEXTE INTGRAL
Lhypothse dun bio-pouvoir, cest--dire dun certain rapport entre le pouvoir et la vie, a t
initialement formule par Foucault dansLa volont de savoiret dans les cours contemporains
donns au Collge de France ( Il faut dfendre la socit1). Foucault propose ainsi une
nouvelle approche du pouvoir en identifiant un mode spcifique dexercice du pouvoir lorsque
la vie entre dans ses proccupations. Il tudie les technologies de pouvoir qui, partir du XVIIIe
sicle, investissent spcifiquement la vie, cest--dire les corps individuels, objets dune
anatomo-politique . Il sinscrit en cela dans la continuit de ses analyses sur les disciplines. Il
souligne qu partir de la seconde moiti du XVIIIe sicle, la vie de lespce humaine devient
lenjeu des stratgies politiques, marquant le seuil de modernit biologique dune socit .
On voit apparatre des techniques de pouvoir, des mcanismes rgulateurs ou assurantiels, qui
encadrent la vie des corps-espces et contrlent les processus biologiques affectant les
populations. Cest ce que Foucault nomme la bio-politique dans le dernier chapitre de la
Volont de savoir. De son ct, Agamben, conformment au sous-titre de son ouvrage Homo
sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue 2, reprend, dans un tout autre sens, la pense dun
rapport entre vie et pouvoir. Il analyse la structure originaire du pouvoir souverain comme une
relation spcifique la vie, quil appelle relation dexception . La souverainet ne porte pas
selon lui sur des sujets de droits, mais de manire cache sur une vie nue quelle prlve
partir des formes de vie auxquelles elle se rattache normalement. La vie se trouve expose la
violence et la puissance de mort du pouvoir souverain. Elle fait lobjet dune dcision
souveraine qui la qualifie et en dtermine la valeur. La vie, prise dans cette logique
d exception , alimente le fonctionnement du pouvoir souverain, qui sinstitue et se maintient
en produisant le corps biopolitique sur lequel il sexerce.
La reprise de lhypothse du bio-pouvoir propose par Agamben dplace le sens de la notion et
lenjeu de la question telle quelle tait formule par Foucault. Foucault inscrit le bio-pouvoir
dans le cadre particulier de sa rflexion sur le pouvoir : il montre que le pouvoir se modifie
lorsquil prend la vie comme objet. Cette transformation de la manire dont le pouvoir sexerce
et se donne voir requiert une transformation de la manire dont il nous faut le penser. Pour
Foucault, lhypothse dun bio-pouvoir implique certes une redfinition du pouvoir, mais
surtout du mode de saisie du pouvoir, pour lapprhender l o il ne se donne pas. Elle a donc un
caractre polmique, puisquil sagit dans le bio-pouvoir de mcanismes spcifiquement
modernes de pouvoir, qui chappent la thorie traditionnelle du pouvoir souverain. Si le bio-
pouvoir se noue diverses reprises et sous diverses modalits avec le vieux pouvoirsouverain , et sil se rapporte aux larges processus de la souverainet et du droit, il reste
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1. POUVOIR SOUVERAIN ET BIO-POUVOIR.
cependant htrogne aux mcanismes juridiques qui caractrisent la souverainet. Il fonctionne
selon des technologies de pouvoir et doit tre analys dans le jeu concret de ses procds les
plus locaux. Dans sa reprise, Agamben fait sortir le bio-pouvoir de ce champ premier de
problmatisation. En effet, il rinvestit la question dlaisse par Foucault, celle de la
souverainet. De surcrot, il nentend pas penser des techniques de pouvoir spcifiques et
historiquement dtermines, mais la structure mme de la souverainet depuis son origine, en la
dchiffrant comme un rapport la vie. Ainsi, Agamben dplace lhypothse du bio-pouvoir et
procde son extension la nature mme du pouvoir souverain. Est- il alors lgitime ou
pertinent de faire du bio-pouvoir la structure originaire de la souverainet, puisquil fait
fonctionner le concept de bio-pouvoir lintrieur mme du concept de souverainet ? Telle sera
notre premire question. Cependant, Agamben ne se borne pas mettre en lumire la relation
la vie nue qui constitue la structure du pouvoir souverain. Il utilise la notion de bio-pouvoir ainsi
redfinie pour clairer lhistoire de la souverainet depuis son origine jusqu la modernit
politique, qui est marque par son entre en crise. La politique actuelle et les nigmes du sicle,
comme le nazisme, qui restent dramatiquement actuelles , doivent tre lucides sur le terrain
mme la biopolitique o elles se sont formes. Le bio-pouvoir est donc sollicit par
Agamben pour penser le tout de lespace politique, fonctionnant alors selon la matrice quest lecamp, paroxystiquement bio-pouvoir puisque dcision radicale sur la vie nue. On peut alors
sinterroger sur la pertinence et la fcondit de cet usage tendu de la notion pour penser la
modernit politique. Enfin, le contenu nouveau donn la notion de bio-pouvoir par ce
dplacement et cette extension appelle une transformation de ce que lon entend par politique. Si
lon peut admettre avec Foucault que la vie est un enjeu privilgi du pouvoir, que lhomme
moderne est un animal dans la politique duquel sa vie dtre vivant est en question 3 , peut-on
avec Agamben complter la formule par son inversion selon laquelle nous sommes des
citoyens dans le corps naturel desquels est en jeu leur tre politique mme 4 ? Le contenu
donn la notion de bio-pouvoir commande la manire dont on peut penser la rsistance au
pouvoir et la possibilit dune autre politique. Il sagirait alors de penser la vie comme lefondement possible dune rsistance au pouvoir et comme le point dancrage dune politique.
Lanalyse polmique des mcanismes de pouvoir est alors double dun enracinement vitaliste
de la politique, quil convient dinterroger.
On a donc affaire deux apprhensions diffrentes du rapport entre le pouvoir et la vie, deux
contenus donns la notion de bio-pouvoir. La difficult provient de lindtermination des
notions de vie et de pouvoir. Si la vie de ltre vivant, individuel et collectif, est lenjeu des
analyses de Foucault, le concept de vie nue dAgamben est la fois plus prcis, puisquil
implique une vie prise dans un rapport la puissance et la dcision souveraine ; et plus
mtaphysique, puisque la vie nue serait le fondement oubli de lhistoire de la politique. Ontudiera le bio-pouvoir sous langle de llucidation quapporte sa reprise par Agamben, en
interrogeant sa plasticit pour clairer lhistoire et les transformations du pouvoir jusqu
aujourdhui, ainsi que la rsistance possible au pouvoir. Le dplacement propos par Agamben
est alors concevable comme la mise lpreuve de la notion de bio-pouvoir.
Les analyses proposes par Agamben dansHomo sacer constituent une reprise de lhypothse
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1.1. Du pouvoir souverain au bio-pouvoir.
Une des plus massives transformations du droit politique au XIX e sicle a consist, je ne dispas exactement substituer mais complter, ce vieux droit de souverainet faire mourir oulaisser vivre par un autre droit nouveau, qui ne va pas effacer le premier, mais qui va lepntrer, le traverser, le modifier, et qui va tre un droit, ou plutt un pouvoir exactement inverse :pouvoir de faire vivre et de laisser mourir 9.
foucaldienne du bio-pouvoir, reprise qui est dabord un dplacement de la question sur le terrain
de la souverainet. Afin de mesurer ce dplacement, il convient de rappeler les enjeux du bio-
pouvoir chez Foucault. La formulation de lhypothse selon laquelle souvre lre dun bio-
pouvoir est solidaire dune redfinition du pouvoir, qui nest finalement pas mene son terme
dans cette voie, mais conduit Foucault poser la question du sujet. Lanalyse qui conduit une
telle redfinition du pouvoir est mene selon deux plans solidaires, celui du mode dexercice du
pouvoir et celui de son mode de saisie, puisque ce qui nous empche dapprhender le pouvoir
dans le jeu complexe de ses procds est prcisment quil se prsente dans le code du droit et
de la souverainet : saisir la transformation du mode dexercice du pouvoir, cest le lire selon
une nouvelle approche. En ce sens, lhypothse du bio-pouvoir implique une critique des modes
traditionnels dapproche du pouvoir comme pouvoir souverain.
Lre du bio-pouvoir, o la vie est prise en compte par le pouvoir, succde au pouvoir de
souverainet, compose avec lui et le transforme. Foucault met au jour une lente et trs
profonde transformation des mcanismes du pouvoir5. Le droit de vie et de mort dusouverain est relativis. Ce droit de mort asymtrique, sexerant comme droit de glaive, nest
plus la forme majeure du pouvoir mais une pice parmi dautres. Il sordonne un pouvoir de
gestion de la vie, entendre non plus comme seule force de travail, assise indispensable du
capitalisme, mais comme lment dune bio-histoire dans laquelle on acquiert la possibilit
scientifique de transformer la vie ; en dfinitive, il sagit de la vie pour elle-mme, comme
bien-tre ou sant. Foucault lie cette hypothse ses travaux prcdents sur la microphysique du
pouvoir : dans Surveiller et punir, il montrait que le pouvoir disciplinaire tend majorer la
force utile des corps individuels. Il met au jour, dans un dcalage chronologique, une
technologie non disciplinaire du pouvoir, qui nexclut pas la technologie disciplinaire, mais se
superpose elle, lembote et lintgre , va lutiliser en simplantant en elle 6. Ces deuxtechnologies fonctionnent deux niveaux distincts : la discipline est individualisante, la
biopolitique est massifiante. La biopolitique sadresse lhomme vivant : non plus au corps,
mais la multiplicit des hommes comme masse globale affecte de processus densemble qui
sont propres la vie 7 . Les diffrents processus sur lesquels elle intervient sont la naissance,
la mort et les maladies considres comme des facteurs de soustraction des forces, mais
galement la vieillesse, les accidents, tout ce qui requiert des mcanismes dassistance et
dassurance, ou encore le rapport entre lespce et le milieu, par exemple le problme de la
ville. En somme, lobjet de la biopolitique est la population, conue comme problme
scientifique et politique ; la biopolitique porte donc sur des phnomnes collectifs ayant des
effets politiques dans la dure et sefforce de rguler ces phnomnes. Il sagit d installer desmcanismes de scurit autour de cet alatoire inhrent une population dtres vivants 8.
Comment penser le lien, dans cette transformation, entre le pouvoir souverain et le bio-
pouvoir ? Il sagit dun changement dans le rgime de pouvoir :
Le pouvoir est de moins en moins pouvoir de faire mourir, de plus en plus droit dintervenir
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A la vieille mcanique du pouvoir de souverainet, beaucoup trop de choses chappaient, lafois par en bas et par en haut, au niveau du dtail et au niveau de la masse. Cest pour rattraper ledtail quune premire accommodation a eu lieu : accommodation des mcanismes de pouvoir surle corps individuel, avec surveillance et dressage - cela a t la discipline. [] Et puis vous avez
ensuite, la fin du XVIII e, une seconde accommodation, sur les phnomnes globaux, sur les phnomnes de population, avec les processus biologiques ou bio-sociologiques des masseshumaines. Accommodation beaucoup plus difficile car, bien entendu, elle impliquait des organescomplexes de coordination et de centralisation 10.
On demeure attach une certaine image du pouvoir-loi, du pouvoir-souverainet que lesthoriciens du droit et de linstitution monarchique ont dessine. Et cest de cette image quil fautsaffranchir, cest--dire du privilge thorique de la loi et de la souverainet, si on veut faire uneanalyse du pouvoir dans le jeu concret et historique de ses procds. Il faut btir une analytique dupouvoir qui ne prendra plus le droit pour modle et pour code 12.
Et sil est vrai que le juridique a pu servir reprsenter de faon sans doute non exhaustive, unpouvoir essentiellement centr sur le prlvement et la mort, il est absolument htrogne auxnouveaux procds de pouvoir qui fonctionnent non pas au droit mais la technique, non pas la
pour faire vivre. Cependant, les deux dimensions ne se prsentent pas comme une simple
succession, mais comme des croisements de processus. Le pouvoir, pour prendre en charge la
vie, a besoin de nouveaux procds, de nouvelles technologies qui agissent en-de du pouvoir
de la souverainet. Foucault insiste donc sur le caractre inoprant du pouvoir dont le schma
organisateur est la souverainet pour rgir le corps conomique et politique dune socit
saccroissant dmographiquement et sindustrialisant. Il fait apparatre la ncessit dune double
accommodation du pouvoir des processus qui lui chappaient :
Les mcanismes disciplinaires et normalisateurs constituent des modes dexercice dune
nouvelle forme que le pouvoir souverain ne pouvait exercer pleinement. Ils peuvent sarticuler,notamment autour de la norme, lment qui circule entre les deux, comme le montre de manire
exemplaire la sexualit. Les mcanismes normalisateurs ne sont cependant pas des formes
largies de discipline. Il sagit plutt, comme lcrit Foucault, de couvrir une plus large
surface du corps la population, par le double jeu des mcanismes disciplinaires et
normalisateurs.
En ce sens, Foucault abandonne la thorie de la souverainet et du droit, pour tudier des
technologies de pouvoir qui ne se prsentent plus exclusivement dans le code du droit et de la
souverainet, ces codes masquant au contraire les nouveaux modes dexercice du pouvoir. Une
nouvelle apprhension du pouvoir, une analytique du pouvoir est alors requise. Cetteexigence est formule en particulier dans la Volont de savoir, dont lobjet central nest pas le
bio-pouvoir mais lhypothse rpressive soit lide que le sexe aurait t rprim, ni et tu
que Foucault entend rcuser ou plutt replacer dans une conomie gnrale des discours sur le
sexe pour mettre en lumire une mise en discours du sexe, soit un mcanisme dincitation
croissante et non des processus de restriction 11. Cest le second doute mis par Foucault sur
cette hypothse qui nous intresse ici, doute qui prend la forme dune question historico-
thorique : Le mcanisme du pouvoir est-il bien de lordre de la rpression ? Il sagit donc
pour Foucault de sortir dune interrogation juridico-discursive sur le pouvoir, qui le pense dans
la forme ngative de la rpression ou de linterdit ; le pouvoir est bien plutt un mcanisme
positif, visant la multiplicit, lintensification et la majoration de la vie.
Il faut se dprendre du code juridico-politique, code dans lequel le pouvoir se prsente et
prescrit lui-mme quon le pense 13 , pour mettre au jour des techniques de pouvoir :
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loi mais la normalisation, non pas au chtiment mais au contrle, et qui sexercent des niveauxet dans des formes qui dbordent lEtat et ses appareils. Nous sommes entrs depuis des siclesmaintenant dans un type de socit o le juridique peut de moins en moins coder le pouvoir ou luiservir de systme de reprsentation 14.
Saisir linstance matrielle de lassujettissement en tant que constitution des sujets, cela serait,si vous voulez, exactement le contraire de ce que Hobbes avait voulu faire dans leLviathan, et, jecrois, aprs tout, tous les juristes, lorsque leur problme est de savoir comment, partir de lamultiplicit des individus et des volonts, il peut se former une volont ou encore un corpsuniques, mais anims par une me qui serait la souverainet. [] Plutt que dessayer de poser ceproblme de lme centrale, je crois quil faudrait essayer ce que jai essay de faire dtudierles corps priphriques et multiples, ces corps constitus, par les effets de pouvoir, commesujets 17.
Pour saisir la multiplicit des rapports de force et des jeux de pouvoir, particulirement ceux qui
mettent en jeu la vie, il faut se rfrer un modle stratgique du pouvoir plutt quau modle
du droit. Cest la question comment sexerce-t -il ? que lon doit poser au pouvoir.
La lente redfinition du pouvoir par Foucault, dans ses cours comme dans ses crits publis, fait
apparatre un rapport problmatique entre le bio-pouvoir et le pouvoir souverain. Lhypothse
du bio-pouvoir est non seulement descriptive, mais aussi polmique lgard des thories de la
souverainet. Pour caractriser ce rapport polmique, il est intressant dtudier la lecture
propose par Foucault de la thorie de Hobbes, dans la mesure o la souverainet est un modle,
ou plutt un contre-modle recouvrant des significations diverses dans les crits de Foucault,
que la figure de Hobbes peut nanmoins reprsenter 15. On peut tout dabord souligner la
dmarcation opre par Foucault entre le bio-pouvoir qui met en jeu la vie et le droit de vie
et de mort du souverain dans lanalyse de Hobbes, puisque cette dmarcation ne fonctionnera
pas chez Agamben. Le droit de vie et de mort, prsent ltat de nature puisque chacun peut,
selon le droit naturel, conserver sa vie au prix de celle des autres, est transfr au souverain qui
conserve la scurit et la vie des citoyens, mme sil est possible de lui rsister. Au contraire,
dans le bio-pouvoir, les mcanismes ne sont plus de lordre du prlvement ou de la prise de la
vie, mais sont des mcanismes positifs de gestion et dintensification de la vie. La brve
allusion Hobbes dans la Volont de savoir, qui rattache le droit de vie et de mort au vieux
pouvoir de souverainet , tablit nettement cette distinction. Cette allusion est prcde par une
longue analyse consacre Hobbes dans le Cours Il faut dfendre la socitavant la
formulation de lhypothse du bio-pouvoir dans la sance du 17 mars. Cette analyse nous
permet de comprendre le rle de la critique de la thorie de la souverainet dans la redfinitiondu pouvoir par Foucault. Foucault soumet lexamen une nouvelle manire dapprhender le
pouvoir qui fasse place aux discours assujettis , cest--dire aux contenus historiques
ensevelis, locaux, investis dans lhistoire quil appelle le savoir historique des luttes . Il
sintresse au modle de la guerre pour penser les mcanismes de pouvoir. La mthode suivre
suppose alors le renversement de la perspective classique porte sur le pouvoir et vhicule de
manire privilgie par Hobbes, qui figure la mthode classique dapprhension du pouvoir
selon le point de vue universel du philosophe, et non celui du combattant investi dans la
bataille 16. A loccasion de la deuxime prcaution de mthode, nonce dans le cours du 14
janvier, Foucault crit :
Cest lordre de la dmarche qui est vis, puisque pour comprendre la domination dans sa
complexit, le modle de la constitution du souverain par la cession des droits des individus est
inadquat. Foucault critique prcisment le triple cycle du sujet, de lunit du pouvoir et de la loique Hobbes met en uvre. La thorie de la souverainet prsuppose le sujet dot de droits qui
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1.2. Le pouvoir souverain comme bio-pouvoir.
La prsente recherche concerne ce point de jonction cach entre le modle juridico-institutionnel et le modle biopolitique du pouvoir. Lun des rsultats auquel elle est parvenue est prcisment le constat que les deux analyses du pouvoir ne peuvent tre spares, et quelimplication de la vie nue dans la sphre politique constitue le noyau originaire quoique occult du pouvoir souverain 18.
deviendra le sujet assujetti dans un rapport de pouvoir. Elle vise fonder lunit essentielle du
pouvoir, et se dploie dans llment pralable de la loi. La direction de ce schma constitue
lobstacle pour penser le pouvoir. Il faut linverser : La fabrication des sujets plutt que la
gense du souverain, voil le thme gnral. Il faut se dbarrasser du modle du Lviathan,
cest--dire en somme dun pouvoir conu comme foyer central et dcrit en termes juridiques,
et analyser le pouvoir partir des techniques et tactiques de domination . Le bio-pouvoir se
comprend dans le cadre de cette redfinition du pouvoir.
Le modle juridico-politique du pouvoir souverain, mme lorsquil est conu comme un
prlvement ou une prise sur la vie, est mis distance par Foucault. Or Agamben, lorsquil
repense le rapport du pouvoir et de la vie, revient sur cette notion de prise, et analyse
limplication de la vie dans le pouvoir souverain. Sil prsente son analyse comme une
correction ou un complment des recherches de Foucault, il procde un vritable changement
de perspective :
Il cherche tenir ensemble ces deux thorisations du pouvoir qui, chez Foucault, se nouaient,
mais restaient htrognes.
Agamben prend pour point de dpart la distinction asymtrique entre la vie de ltre vivant et le
mode de vie politique. Lentre dans la sphre politique se fait par une exclusion de la simple
vie naturelle, ouzo, qui reste confine dans la sphre domestique de loikos. La destination delhomme, et en particulier de la communaut chez Aristote, nest pas le simple fait de vivre
mais la vie politiquement qualifie, le bios. Foucault reprenait cette ide en crivant que
lhomme tait depuis Aristote, un animal vivant et, de plus, capable dune existence
politique. Il ajoutait, et telle est la modification apporte par lhypothse du bio-pouvoir, que
lhomme est aujourdhui un animal dans la politique duquel sa vie dtre vivant est en
question. Or Agamben ne conoit pas cet ajout comme le signe dune transformation du mode
dexercice du pouvoir. Selon lui, la vie naturelle, qui devient lenjeu des techniques politiques
spcifiques que Foucault met en vidence par le bio-pouvoir, est en ralit au fondement de la
sphre politique ds son origine sous les espces de la vie nue, selon la modalit particulire de
lexception. La vie naturelle est exclue de la sphre politique, qui se constitue par son viction
ou sa transformation en vie politique. Cette transformation est ce quAgamben appelle la
politisation de la vie naturelle. Ce qui fait problme, cest prcisment le de plus de la
dfinition dAristote, cest--dire la modalit du passage de la vie naturelle la vie politique.
Lexclusion de la vie naturelle, qui rend possible la vie politique, est redfinie par Agamben
comme une ex-ception au sens tymologique, cest--dire une prise du dehors .
Lopration qui fonde la sphre politique nest donc pas une simple transformation de la vie
naturelle, mais la constitution dune vie nue cest--dire une vie qui nest pas seulement
naturelle, mais prise dans un rapport avec le pouvoir et maintenue sous sa puissance. Les deux
termes, pouvoir souverain et vie nue, mergent dans cette relation dexception. La vie nue est lepoint dancrage du pouvoir ; elle rend possible lexercice du pouvoir. Ainsi, cest parce que la
vie est originairement au fondement de la sphre politique que des techniques politiques comme
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Est sacre lorigine, cest--dire expose au meurtre et insacrifiable, la vie dans le bansouverain. Et la production de la vie nue devient, en ce sens, la prestation originaire de lasouverainet. Le caractre sacr de la vie que lon tente aujourdhui de faire valoir, comme droithumain fondamental contre le pouvoir souverain, exprime au contraire, lorigine,lassujettissement de la vie un pouvoir de mort, son exposition irrmdiable dans la relation
dabandon 20.
celles que Foucault tudie peuvent porter sur elle.
Agamben approche lessence de la souverainet par le biais de la relation dexception. La vie
nest pas simplement exclue mais capture par cette exclusion mme : appelons relation
dexception cette forme extrme de la relation qui ninclut quelque chose qu travers son
exclusion 19 . Cette relation met laccent sur le caractre potentiel du rapport du pouvoir la
vie. La puissance du souverain rside dans sa prise sur par lacte dexclure ; le pouvoir a
donc un rapport indirect la vie dans la mesure o il peut la mort. Le schme du ban ,convoqu par Agamben, exprime cette puissance : la vie nue est ce qui est banni au double sens
de ce qui est exclu de la communaut, mis au ban, mais qui est de cette manire mis sous
lenseigne du souverain. La vie est lobjet fondamental du pouvoir souverain, le vritable sujet
souverain. Elle nest pas un donn, mais la prestation originaire du pouvoir souverain.
Agamben entend renverser le dogme du caractre sacr de la vie dont parlait Benjamin 21,
en en faisant la gnalogie. Loin dtre lobjet dune quelconque protection par son caractre
sacr, la simple vie est une production du pouvoir pour exercer sa puissance. Agamben le
montre par une redfinition du sacr, en convoquant la figure de lhomo sacer, lhomme sacr.
La vie de lhomo sacer, obscure figure du droit romain archaque que lon peut tuer sans
commettre dhomicide mais que lon ne peut sacrifier dans les formes rituelles, est une vie
voue la mort en toute impunit. Elle donne un contenu la relation formelle de lexception.
Le pouvoir souverain ne porte sur les sujets de droits que dans sa face visible, mais porte en
ralit sur une vie nue ou sacre. Les arcanes du pouvoir sont soigneusement cachs par lasouverainet, gardien qui veille ce que ce fondement ne soit pas mis en lumire. Mais ce
fondement, lexception, perdure ltat normal, et acquiert prcisment une visibilit dans les
situations exceptionnelles.
En somme, lexception, comme structure de linclusion de la vie par une exclusion, est la
structure de la souverainet, qui ds lors nest ni un concept exclusivement politique, ni une
catgorie exclusivement juridique [] : elle est plutt la structure originaire dans laquelle le
droit se rfre la vie et linclut travers sa propre suspension 22.
Ainsi, la conception biopolitique , selon la redfinition de ce terme par Agamben, quicaractrise la structure du pouvoir souverain suppose une redfinition du concept de
souverainet. La souverainet nest pas apprhende par un questionnement traditionnel qui
poserait la question de sa lgitimit ou de sa constitution partir de sujets de droit. La
souverainet nmerge pas dun contrat ou dune volont gnrale, elle ne drive pas des
intrts des citoyens, ce qui rompt avec le modle dun pouvoir source de lordre tatique et de
ses lois. La souverainet fonctionne selon la logique de lexception, topologie inhrente au
paradoxe de la souverainet. On aperoit la forte affinit entre cette notion de souverainet et
celle qui est labore par Schmitt. Schmitt refuse lidentification entre le politique et lEtat ; il
redfinit le politique par la discrimination de lami et de lennemi, visible dans le droit de
dclarer la guerre et de conclure la paix. Plus prcisment, le souverain sinstitue dans unparadoxe : il se constitue du dehors, en instituant quil ny a pas de dehors, posant par l lordre
juridique ( pour crer le droit, il nest nul besoin dtre dans le droit , crit Schmitt). Ce
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Ltat de nature hobbesien nest pas une condition prjuridique sans rapport avec le droit de lacit mais lexception ou le seuil qui le constituent et lhabitent. Il reprsente moins un tat deguerre de tous contre tous quune situation o chacun est pour lautre vie nue et homo sacer 24.
paradoxe, en vertu duquel le souverain est hors du droit et institue le droit est aussi une mise en
relation entre la vie effective et le droit, par laquelle la vie est inscrite dans le droit. Le concept
de nomos, utilis par Schmitt et repris par Agamben, exprime cette mise en rapport du droit et
de ce quil ordonne. Le nomos dsigne chez Schmitt limposition dun ordre ou dune
organisation une localisation. Il sagit de raliser, dans le corps du nomos linscription de
lextriorit qui lanime, cest--dire en somme dintgrer ce qui excde. Lexception, chez
Schmitt, nest pas le chaos qui prcde lordre, mais lacte qui rend possible la validit de la
norme juridique. Finalement, le souverain nest institu que par une dcision sur la situation
dexception. En effet, lordre juridique ne repose pas selon Schmitt sur une norme mais sur une
dcision. Lorsque la dcision porte sur ltat dexception, le souverain manifeste la possibilit
de suspendre lordre juridique. Il est souverain par cet acte mme. Comme Schmitt le montre
dans la Thologie politique, ltat dexception par lequel sinstitue le souverain nest pas
rductible un tat de sige ou durgence, ni mme aux mesures que peut prendre le souverain
pour y mettre fin ; il dsigne en un sens plus gnral la situation de celui qui est en marge de
lordre juridique normalement en vigueur tout en lui tant soumis, car il lui appartient de
dcider si la Constitution doit tre suspendue en totalit 23 . Agamben reprend aux analyses
de Schmitt lide selon laquelle la souverainet sinstitue par une dcision sur ltat dexception.Cet tat dexception est redfini comme prise de la vie, qui devient lobjet de lordre juridico-
politique.
Le paradoxe de la souverainet, dans lequel lexception tient une place centrale, est nonc par
Agamben ds la premire partie de louvrageHomo sacer. Il peut tre illustr par la lecture de
Hobbes propose par Agamben, lecture qui fournit galement loccasion de comparer la position
dAgamben avec celle de Foucault examine prcdemment. Dans le cadre de cette redfinition
de la souverainet, le dispositif hobbesien est sollicit dans une perspective surprenante :
Agamben utilise la construction de lEtat partir de ltat de nature sans faire une quelconque
rfrence lide de contrat, sauf pour montrer quelle entrave la comprhension du problmedu pouvoir souverain. A partir de la description de Hobbes, ltat de nature est redfini par
Agamben comme un tat o la vie est en jeu. Le concept de vie nue, vie expose la mort,
sinscrit alors dans une pense renouvele de ltat de nature. Tous les hommes sont les uns
pour les autres des hommes sacrs, des vies nues, dans ltat de nature :
Le pouvoir souverain nest pas constitu, partir de cet tat de nature, par un contrat. Agamben
ne tient pas compte des mdiations comme la dlibration ou le calcul des forces qui fondent lacrainte de la mort et rendent ncessaire le passage ltat civil, et qui engageaient Foucault
insister sur le fait que ltat de nature est un tatde guerre et non une guerre relle. Le point qui
conduit Agamben utiliser limage duLviathan est lexposition de la vie la mort ; cela lui
permet de penser une continuit entre tat de nature et tat civil, telle que ltat civil est
structur par ltat de nature, la relation la vie nue devenant le fonctionnement de lordre
politique lui-mme. Ltat de nature continue de fonctionner lintrieur de la souverainet. Il
survit notamment dans la personne du souverain, seul conserver son ius contra omnes,
puisquil conserve un droit de vie et de mort sur les citoyens, qui sont pour lui des hommes
sacrs. Plus gnralement, ltat de nature est toujours actif, toujours prsuppos pour maintenir
et perptuer le pouvoir.
Agamben, dans cette relecture, procde un rapprochement entre tat de nature et tat
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Ainsi en la recherche du droit de lEtat et du devoir des sujets, bien quil ne faille pas rompre lasocit civile, il la faut pourtant considrer comme si elle tait dissoute, cest--dire, il faut bienentendre quel est le naturel des hommes, quest-ce qui les rend propres ou incapables de formerdes cits, et comment cest que doivent tre disposs ceux qui veulent sassembler en corps derpublique 25.
La souverainet se prsente comme une incorporation de ltat de nature dans la socit ou, silon prfre comme un seuil dindiffrence entre nature et culture, violence et loi, et cestjustement cette indistinction qui constitue la spcificit de la violence souveraine 26.
2. BIO-POUVOIR ET MODERNITPOLITIQUE.
dexception. Cest ce qui le conduit renverser la perspective traditionnelle. Ltat de nature est
moins ce qui constitue lordre juridique que ce qui rend visible son fondement, de la mme
manire que ltat dexception livre un accs la structure cache du pouvoir souverain. Pour
Hobbes, ltat de nature tait effectivement une manire de considrer la socit ltat civil
comme si elle tait dissoute , ce qui fait apparatre le principe interne de lEtat. La citation
provient duDe cive (il sagit du passage o Hobbes explique sa mthode) et elle est cite en
exergue dHomo sacer:
Pour Agamben, ltat dexception est bien une manire dapprhender la socit comme si elle
tait dissoute. Il est donc la fois le principe immanent la souverainet, qui structure ltat
politique sans apparatre en lui, et la fois ce qui rend manifeste cette structure cache, en cas
de situations exceptionnelles. Il rend visible en particulier la conjonction de la violence et du
droit qui constitue le pouvoir souverain :
Il importe de souligner la divergence entre les deux lectures de Hobbes par Foucault et
Agamben. Ce qui intresse Agamben nest pas de savoir comment la constitution de la
souverainet met fin ltat de guerre. En ce sens, il ne pense pas comme Foucault que le
pouvoir souverain signe larrt de la guerre, et manifestement pas que Hobbes soit un penseur
de la paix civile 27. La relecture de Hobbes permet Agamben de mettre en vidence la
violence au fondement de lEtat, et la persistance de cette violence dans la constitution du
souverain. Plus gnralement, ce qui occupe Agamben est la logique de la souverainet, et la
relation entre lordre juridico-politique et ce quil prsuppose, le non juridique (la pure
violence en tant qutat de nature) avec lequel il reste dans un rapport potentiel dans ltat
dexception. La question porte sur le seuil de lordre juridique. Le problme de la souverainet a
longtemps t, selon Agamben, le problme de lidentification de ce qui, lintrieur de
lordre juridique, tait investi de certains pouvoirs . Or, il note que jamais le seuil mme de
cet ordre ne ft remis en cause 28 . Il sagit donc de reformuler le problme des limites et de
la structure originaire de la sphre tatique, structure dont la logique est lexception. Agamben
et Foucault rpondent deux interrogations diffrentes : pour Foucault il sagit de savoircomment le pouvoir sexerce dans ses technologies concrtes, htrognes aux mcanismes
juridiques du pouvoir souverain, tandis quAgamben sinscrit dans une recherche de la logique
substantielle du pouvoir, celle de lexception de la vie.
Les analyses de Foucault et dAgamben donnent un sens et un enjeu diffrents au rapport entrela vie et le pouvoir. Le bio-pouvoir dsigne pour Foucault un mode dexercice spcifiquement
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2.1. Histoire et crise du pouvoir souverain.
Ce qui caractrise la politique moderne nest pas linclusion de lazodans la polis, en soi trsancienne, ni simplement le fait que la vie comme telle devient un objet minent de calculs et deprvisions du pouvoir tatique ; le fait dcisif est plutt que, paralllement au processus en vertuduquel lexception devient partout la rgle, lespace de la vie nue, situ en marge de lorganisation politique, finit par concider avec lespace politique, o exclusion et inclusion, extrieur etintrieur, bios etzo, entrent dans une zone dindiffrenciation irrductible 30.
moderne, qui apparat au XVIIIe sicle lorsque la vie entre dans son champ dapplication et
appelle des mcanismes de prise en charge htrognes aux mcanismes juridico-politiques du
pouvoir souverain. Dans lanalyse dAgamben, le bio-pouvoir est dplac sur le terrain de la
souverainet, caractrise par une structure dexception de la vie nue. La perspective
dAgamben est une extension de la validit du bio-pouvoir, qui concerne dsormais aussi bien la
nature du pouvoir souverain que lhistoire du pouvoir. Lhypothse du bio-pouvoir est reprise
dans une vise unitaire : le rapport la vie a toujours t prsent dans le pouvoir souverain, et lastructure dexception commande lhistoire mme du pouvoir. Ainsi, loin de reprer comme
Foucault une transformation des mcanismes du pouvoir, Agamben repense lhistoire du bio-
pouvoir comme celle du dploiement de la structure redfinie de la souverainet et comme son
entre en crise.
Si le bio-pouvoir nest pas un mcanisme spcifiquement moderne, on peut se demander
comment Agamben conoit la spcificit de la modernit. En effet, comme lcrit Agamben,
la biopolitique est au moins aussi ancienne que lexception souveraine , puisque lexceptiondsigne lexclusion de la vie qui fonde la sphre politique, et fait de la vie le fondement cach
de la souverainet. Lide dAgamben est que lEtat moderne, en plaant la vie biologique au
centre de ses calculs , ne fait que mettre en lumire le lien secret qui unit le pouvoir et la vie,
renouant ainsi avec le plus immmorial des arcana imperii 29 . Lhistoire du pouvoir
souverain, qui procde de la structure de la souverainet prcdemment dgage, ne manifeste
pas lintensification des processus visant faire vivre sous les diverses formes que Foucault
a mises en vidence. La spcificit de la modernit rside dans le fait que la vie nue se
libre , cest--dire que ce qui tait cach vienne la lumire jusqu devenir lespace
politique mme ; le bio-pouvoir ne fait que rvler une structure originaire :
Lhistoire du bio-pouvoir, qui vise rendre intelligible la modernit politique, doit pouvoir
rendre raison la fois des nigmes du XXe sicle, essentiellement le nazisme, et la fois de la
politique actuelle, qui sinscrit dans la continuit de ces nigmes et sur le mme terrain. Il faudra
alors interroger la validit du concept de bio-pouvoir rlabor par Agamben pour clairer cettemodernit politique, et comprendre en quoi la dmocratie comme le totalitarisme, rapprochs
par Agamben, sont pensables comme deux rponses la crise quil met en vidence.
Lhistoire du pouvoir est celle de laffirmation croissante de la biopolitique, et de lextension de
la dcision sur la vie nue. Elle est marque par deux lments : dune part, la vie nue, qui
constituait le fondement cach de la souverainet, devient la forme de vie dominante et le
point dancrage direct du pouvoir ; paralllement ltat dexception est devenu la rgle , selon
le diagnostic dAgamben repris Benjamin, le pouvoir travaillant la production de cet tat
dexception parce quil na plus aujourdhui dautre forme de lgitimation 31. Les mcanismes
modernes du pouvoir, dmocratiques aussi bien que totalitaires, seront pensables comme de
nouveaux liens tablis entre vie et pouvoir lorsque lordre politique entre en crise, cest--direquand la structure cache du pouvoir devient lespace politique.
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2.2. Laporie de la dmocratie.
Les dclarations des droits de lhomme [] assurent lexceptio de la vie dans le nouvel ordretatique qui succde lcroulement de lAncien rgime. Le fait que le sujet se transforme travers elles en citoyen signifie que la naissance cest--dire la vie naturelle en tant que telle devient ici pour la premire fois [] le porteur immdiat de la souverainet. Le principe denaissance et le principe de souverainet qui, dans lAncien Rgime (o la naissance donnait lieuseulement au sujet), taient spars, sunissent dsormais irrvocablement dans le corps du sujetsouverain, pour constituer le fondement du nouvel Etat-nation. [] La fiction implique ici estque la naissance devienne immdiatement nation sans quil puisse y avoir aucun cart entre lesdeux termes. Les droits ne sont attribus lhomme (ou ne dcoulent de lui) que dans la mesureo il constitue le fondement, qui disparat immdiatement (ou plutt qui ne doit jamais merger la lumire en tant que tel) du citoyen 32.
De l aussi son aporie spcifique, qui consiste mettre en jeu la libert et le bonheur deshommes dans le lieu mme la vie nue qui marquait leur asservissement. Derrire le longprocessus qui mne la reconnaissance des droits et des liberts formelles, se trouve, encore unefois, le corps de lhomme sacr avec son double souverain, sa vie insacrifiable, et pourtant,tuable 33.
La conception des droits de lhomme, fonde sur lexistence reconnue dun tre humain en tant
Cette crise, qui permet de concevoir la modernit politique, est rendue possible par un double
processus de politisation de la vie , qui consiste en linscription croissante de la vie dans
lordre politique, et ce faisant en son exposition de plus en plus radicale au pouvoir. La
spcificit de la dmocratie moderne la diffrencie de la dmocratie antique en la rapprochant
de son oppos, le totalitarisme.
Telle est laporie de la dmocratie, analyse dans son avnement comme linscription de la vie
dans lordre politique, et plus prcisment dans la nation . Agamben entend dterminer et
dmasquer la fiction dans laquelle le pouvoir se donne en empruntant les codes juridiques.
Comme le montre ltude des Dclarations des droits de lhomme et LHabeas corpus, la vie
elle-mme, sous les espces de la naissance et du simple corps, est investie du principe de
souverainet. La fiction de la souverainet est la fiction dun lien entre naissance et nation,
tymologiquement semblables. La vie naturelle est inscrite dans lordre politique, elle est le
vritable sujet souverain.
Or, cest l une inscription ambivalente, puisque les hommes inscrivent leurs revendications de
droits et de liberts dans le lieu mme de leur asservissement au pouvoir
Chaque sujet rpte ce geste dexception sur sa vie, en linscrivant dans lordre politique, et
sexpose de cette manire tre plus fortement assujetti au pouvoir.La crise pointe par Agamben est la crise des Etats-nations, soit la crise du lien entre naissance
et nation. Elle fait advenir une modernit paroxystiquement biopolitique. La fiction de la
souverainet est en quelque sorte dmasque par une autre fiction, ou plutt une autre histoire,
ce que Benjamin appelle la tradition des opprims . La figure du rfugi en est le symptme,
en rfrence explicite lanalyse dArendt, dans le cinquime chapitre de lImprialisme. Cest
dailleurs loccasion de cette analyse de la falsification des droits de lhomme, qui sont
originairement des instruments de protection face la nouvelle souverainet dEtat, mais qui
rvlent leur inconsistance pratique ds la confrontation avec les rfugis, que Hannah Arendt
se rfre quelque chose comme une vie nue :
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que tel, sest effondre ds le moment o ceux qui sen rclamaient ont t confronts pour la premire fois des gens qui avaient bel et bien perdu tout le reste de leurs qualits ou liensspcifiques si ce nest quils demeuraient des hommes. Le monde na rien vu de sacr dans lanudit abstraite dun tre humain 34.
2.3. Lanalyse du totalitarisme.
La vrit, difficilement acceptable pour les victimes elles-mmes mais que nous devons pourtantavoir le courage de ne pas recouvrir dun voile sacrificiel, est que les juifs ne furent pasextermins au cours dun holocauste dlirant et dmesur mais littralement, selon les motsmmes de Hitler, comme des poux , cest--dire en tant que vie nue 35.
Le rfugi comme le juif sont de simples vies nues ; comme telle, la vie nue du rfugi devrait
faire lobjet dune protection, puisquil est lhomme des dclarations. En ralit, il rvle la
vacuit de la notion dhumanit et de la dclaration, qui nest pas une proclamation de valeurs
ternelles, mais a une fonction historique prcise, celle dinscrire la vie dans la nation. Lors de
la crise des Etats-nations, le rapport entre la vie et le pouvoir est disloqu. La vie ne parvient
plus sinscrire dans le systme. Elle devient enjeu et problme politique. La dmocratie
moderne comme le totalitarisme sont analysables comme des rponses cette crise. Le pouvoir
souverain va court-circuiter ce lien inscrivant la vie dans la nation, et avoir affaire directement
la vie nue.
Le totalitarisme est analys sur le terrain biopolitique. Par totalitarisme, et dans la ligne deHannah Arendt, Agamben entend caractriser un rgime spcifique, distinct des dictatures ou
tyrannies, moins par son rapport aux masses que par son investissement de toutes les sphres de
la vie et en particulier par son lien la simple vie ; le nazisme est spcifiquement analys ici
comme rapport direct la vie nue, la vie voue la mort. Parce quil investit de plus en plus
directement la vie, qui devient immdiatement politique, le totalitarisme est une rponse la
crise de lespace politique, et labsence de rgulation du systme. Un processus continu
conduit de la dchance des droits (une citoyennet de seconde classe est confre aux juifs)
la production dune vie nue puis son extermination. Lextermination doit tre comprise dans
lordre juridico-politique du meurtre dune vie nue et non dans la violence religieuse dun
holocauste :
Deux traits caractrisent le totalitarisme : dune part, le pouvoir devient dcision immdiate sur
la vie, cest--dire dcision sur sa valeur, ou sa non valeur. Cest partir de l que sont tudies
les pratiques deuthanasie et dexprimentation sur les humains, puisque la vie a t qualifie de
vie sans valeur . Ceci explique que des exprimentations humaines semblables aient t
pratiques dans les dmocraties, sur des vies dclares sans valeur , celles des condamns mort par exemple. Spcifiquement, le nazisme opre la production dun peuple partir de la
discrimination et de lexclusion dune population, soit dune certaine vie, la vie des juifs.
Dautre part, un second trait caractrise le totalitarisme : le donn biologique devient tche
politique. Les concepts scientifiques ne sont pas des rfrences dformes, mais prennent une
valeur immdiatement politique : la race est un hritage gntique assumer politiquement. En
ce sens, la politique est conue comme police. Ce qui relve de la fonction positive de la police,
le souci lpanouissement de la race, concide avec ce qui relve de la politique extrieure, soit
la lutte contre lennemi. Ce sont deux lments indissociables, en lesquels politique et biologie
se confondent. Selon Agamben, le nazisme est intelligible dans cette perspective biopolitique.
Avant daffronter la thse massive selon laquelle le camp est la matrice de la modernit
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LEtat nazi a rendu absolument coextensifs le champ dune vie quil amnage, protge, garantit,cultive biologiquement, et, en mme temps, le droit souverain de tuer quiconque non seulementles autres, mais les siens propres 37.
politique, on peut examiner le commentaire de lanalyse foucaldienne du racisme. Il nest pas
formul dansHomo sacer, mais dans sa suite, Ce qui reste dAuschwitz 36. Le bio-pouvoir,
redfini comme rapport originaire de la souverainet et de la vie, est le paradigme pour penser
le nazisme. Or le nazisme, sil est analys en termes biopolitiques, conduit un paradoxe du bio-
pouvoir, formul par Foucault dans son cours Il faut dfendre la socit, celui de la
contradiction entre la fonction dintensification de la vie par le pouvoir et les moyens mis en
uvre, lexercice du pouvoir de tuer. Ce paradoxe est intressant, car il met laccent sur
lopposition entre pouvoir souverain et bio-pouvoir chez Foucault, tout en mettant en question
cette opposition. Effectivement, si la fonction du bio-pouvoir est essentiellement la gestion et la
multiplication de la vie, comment comprendre lexercice de la fonction du meurtre au sein de ce
pouvoir ? De quelle manire le bio-pouvoir se noue-t-il lexercice dun pouvoir souverain ?
Deux exemples sont donns par Foucault : le pouvoir atomique comme excs du pouvoir
souverain de tuer, mais prcisment de tuer la vie, et la possibilit technique de fabriquer des
virus, des armes biologiques, comme excs du bio-pouvoir sur le pouvoir souverain. Lanalyse
du racisme, qui succde celle de la guerre des races, constitue une rponse au paradoxe du bio-
pouvoir. Le racisme sinscrit dans les mcanismes tatiques par lmergence du bio-pouvoir,
selon une double fonction. Dune part, le racisme introduit des csures dans la vie prise encharge par le pouvoir, entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir ; il opre une fragmentation
du champ du biologique en faisant apparatre des races (infrieures ou suprieures), ce qui
permet de dcaler lintrieur dune population, les groupes les uns par rapport aux autres .
Dautre part, il tablit une relation positive qui nest plus guerrire ou militaire, mais biologique,
entre la vie des uns et la mort des autres. La mort de lautre nest pas seulement la scurit
dune race, mais la mort de la mauvaise race, qui rendra la vie de la race plus saine et plus pure.
Les ennemis ne sont pas des adversaires politiques mais des dangers biologiques. Le racisme est
ainsi entendu par Foucault comme condition dacceptabilit de la mise mort dans une
socit de normalisation . Il est le point par lequel le bio-pouvoir doit passer pour exercer un
pouvoir de souverainet, soit un droit de mort. Sur le cas spcifique du nazisme, Foucault tablitune concidence exacte entre les deux procds, la gnralisation paroxystique du pouvoir de
tuer et du bio-pouvoir : la socit nazie, rgulatrice et assurancielle, dchane dans le mme
temps son pouvoir de tuer, par lexposition la mort des citoyens. Cest cette exposition totale
la mort qui constitue la race allemande comme race suprieure.
La concidence ne permet pas de penser de manire approfondie la place centrale du pouvoir
souverain dans lEtat totalitaire, mme avec lirruption du racisme. Il est significatif que dans laVolont de savoir, Foucault revienne sur le gnocide, comme rve des pouvoirs modernes ,
pour lexpliquer par le bio-pouvoir, et non par un retour aujourdhui du vieux droit de
tuer 38. Cet inflchissement pointe la difficult dtablir un lien entre souverainet et bio-
pouvoir.
Agamben commente lanalyse foucaldienne du racisme comme mode de rsolution du paradoxe
du bio-pouvoir. Il entend poursuivre lanalyse de Foucault et met alors en vidence la
mobilit des csures biopolitiques qui ne cessent de discriminer et dexclure une vie (celle des
juifs) pour en faire merger et en renforcer une autre (celle des allemands). Cependant, il se
distingue de Foucault en deux points. Selon lui, les deux fonctions du bio-pouvoir et du meurtrequi viennent concider dans lEtat nazi, mais qui restent htrognes dans lanalyse de Foucault
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On voit, entre ces deux formules, sen glisser une troisime qui saisirait la spcificit de la
biopolitique du XXe sicle : non plus faire mourir, non plus faire vivre, mais faire survivre. Carce nest plus la vie, ce nest plus la mort, cest la production dune survie modulable et
virtuellement infinie qui constitue la prestation dcisive du bio-pouvoir de notre temps 40.
2.4. Le camp comme matrice de lespacepolitique.
en dpit de leurs croisements, sont indissociables. Cela tient prcisment, et cest le deuxime
point, au fait que lextermination nest pas le paradigme exclusif dans lequel saisir le nazisme et
ce qui se passe dans les camps. La production de la vie nue, acte du pouvoir souverain, peut en
revanche expliquer ce double processus. Le camp de concentration est alors li au camp
dextermination, puisque la logique de la production de la vie nue mne la production de la
mort. Devenir un musulman (figure paradigmatique pour Agamben de lhomme des camps en
train de mourir de malnutrition, donc en phase de survie), cest tre peu peu produit comme
mort 39. Ainsi, pour Agamben, le racisme va en quelque sorte au-del de la race . Il cre
des csures entre peuple et population, le peuple mergeant par lexclusion dune population qui
est pour lui un danger biologique, mais poursuit ce dpartage pour atteindre un seuil o il nest
plus possible doprer des csures. Il y a vritablement production de la survie. Le pouvoir est
par excellence dcision sur la vie, sous les espces dune qualification de la vie, dune dcision
sur sa valeur et donc sa non valeur. Cest ce qui caractrise la biopolitique du XXe sicle :
De lanalyse du totalitarisme rsulte la mise en vidence dune qualification politique de la vie,
et plus largement dune logique dassignation des seuils qui discrimine dans la vie biologique
elle-mme, forme scularise de la vie nue , des valeurs de vie, des frontires au-del
desquelles la vie cesse dtre politiquement pertinente. Ce sont des processus biopolitiques et
thanatopolitiques. Cette logique stend selon Agamben tout lespace politique, qui est alors
figur par le camp.
Notre question initiale tait celle de savoir comment le totalitarisme et la dmocratie peuvent
tre conus comme des biopolitiques, et plus encore comme deux rponses la crise de lespace
politique. Le terrain biopolitique commun engage Agamben penser que totalitarisme et
dmocratie ont une structure commune. Il figure cette similitude en dgageant un paradigme de
lespace politique moderne, le camp . De quelle manire ce paradigme parvient-il figurer la
modernit politique, et en particulier clairer la structure biopolitique commune des deux
rgimes politiques malgr leurs diffrences ?
Examinons dabord comment Agamben dfinit le camp, et comment celui-ci acquiert un sensautonome par rapport son enracinement historique 41 pour fonctionner comme matrice de
lespace politique. Agamben rapproche dabord le camp de ltat dexception. Historiquement,
le camp ne nait pas du droit ordinaire, ni mme du droit carcral ; son apparition dans le cas du
camp nazi est lie une mesure de police, mesure de dtention prventive qui a pour fondement
la proclamation de ltat de sige ou de ltat dexception, donc engage une suspension
provisoire de lordre juridique 42. Il na pas t institu en rfrence lordre juridique,
mais il est l , il a t prolong de fait. En ce sens, le camp est proche dun tat dexception,
mais qui serait devenu la rgle : cest un tat dexception devenu permanent.
On constate quAgamben formule un type dinterrogation spcifique lgard du camp. Ilinterroge sa structure, et cest ce qui lui permet dmanciper le camp de son origine historique
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Au lieu de dduire la dfinition du camp partir des vnements qui sy sont drouls, nousnous demanderons plutt : quest-ce quun camp, quelle est sa structure juridique pour que de telsvnements aient pu sy produire ? Cela nous conduira considrer le camp non comme un faithistorique et une anomalie appartenant au pass (mme si ventuellement, toujours vrifiable),mais, en quelque sorte, comme la matrice secrte, le nomos de lespace politique dans lequel nousvivons encore 43.
pour en faire un paradigme.
Le camp est la structure dun rapport direct du pouvoir la vie. En ce sens, il est irrductible
une ralit historique. Le camp est prcisment lcart entre la naissance et la nation. Il dsigne
un ordre spatial nouveau et stable, habit par une vie nue qui, de plus en plus, ne parvient pas
sinscrire dans le systme : la vie fait alors lobjet dune capture radicale par le souverain. Le
camp est donc la fois un nouveau lieu, un nouveau rgulateur, et la fois le signe que le
systme ne peut plus fonctionner sans se transformer en une machine ltale. Cest ce qui permet
de comprendre en quoi il est la marque de la crise du politique, cest--dire la disjonction entre
la vie et le pouvoir politique, mais galement en quoi il est la matrice et la solution de la
crise, puisquil tablit un nouveau lien pour investir la vie malgr la crise du systme. Le
totalitarisme rpond la crise par linvestissement paroxystique de la vie par le pouvoir. Ladmocratie actuelle, de son ct, marque par la socit de consommation et dhdonisme de
masse , investit elle aussi dans un autre sens la vie elle-mme, et spcifiquement la vie
biologique sur laquelle elle peut intervenir.
Le camp est davantage un oprateur ou une machine quun phnomne historique. Il renvoie
des situations diverses, qui ont pour centre commun lindistinction entre norme et vie. Ce sont
des situations o la norme porte sur la vie au point que la vie se confond avec la norme. Il sagit
par exemple de la vie de lhomme des camps, qui nest pas la simple vie naturelle, mais
lindtermination absolue du fait et du droit, du naturel et du politique ; ou encore
symtriquement, le pouvoir dufrher, dont chaque parole a immdiatement force de loi, nestpas lautorit dun despote ou dun dictateur simposant de lextrieur la volont des sujets,
mais un pouvoir qui sidentifie avec la vie biopolitique mme du peuple allemand . Du ct
de la vie biologique, forme de la vie nue, Agamben prend lexemple de la vie du
nomort 44 , qui pose le problme biothique de la dfinition lgale de la mort qui ne croise
pas la dfinition mdicale : la vie est maintenue uniquement grce aux techniques de
ranimation, sur la base dune dcision juridique. Agamben met en vidence les actes du
pouvoir qui portent sur une zone de la vie nue dsormais pntre par le scientifique, le mdecin
et le souverain. Ainsi, la modernit est place sous la matrice du camp pour sanctionner
limpossibilit pour lhomme de distinguer dsormais entre sa vie dtre vivant et son existence
de sujet politique. Cette indistinction, caractristique de ltat dexception, gouverne aussi bienlanalyse de la dmocratie que la spcificit du nazisme comme totalitarisme, et place la vie
biologique au centre du pouvoir.
La figure du camp, convoque par Agamben pour figurer la dmocratie comme le totalitarisme,
est paradoxale : en cherchant soustraire Auschwitz lindicibilit, et proposer une
explication biopolitique de la modernit politique, Agamben est conduit limpossibilit de
penser la pluralit et la spcificit des modes de pouvoir. Par cette mthode dassimilation entre
pouvoir souverain, pouvoir des SS et pouvoir mdical, et par lusage du camp comme figure
gnrale, et en ce sens imprcise dgageant la structure commune dvnements et de ralits
disparates (camp de concentration, dextermination, dinternement, zone dattente des aroports,camps de rfugis), ces vnements ne sont plus suffisamment analyss de manire locale. Le
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3. BIO-POUVOIR ET BIO-POLITIQUE.
transfert de lanalyse du camp une figuration de lespace politique fait apparatre un paradigme
rducteur. Lespace politique, norm par le camp, est rduit tre un mode spcifique
dexercice du pouvoir : la dcision souveraine sur la valeur de la vie lorsque celle-ci devient le
lieu de lordre politique, dans ltat dexception devenu la rgle.
Ainsi, Agamben, en pensant le rapport du pouvoir et de la vie selon le paradigme du camp et de
ltat dexception, modifie radicalement le concept foucaldien de pouvoir. Sil prend lui aussi
ses distances par rapport au modle classique du pouvoir, il inscrit nanmoins le biopouvoir surle terrain de la souverainet, cest--dire sur le terrain mme avec lequel il entretenait, dans la
thorie de Foucault, les rapports les plus problmatiques - des rapports de concidence sur fond
dopposition, qui permettaient difficilement de penser lEtat totalitaire. Cependant, lanalyse
dAgamben est sur le fond totalement trangre lhypothse de Foucault, ne serait-ce que par
le double projet dune investigation du pouvoir souverain et dune thorie unitaire du pouvoir.
En effet, Agamben sattache malgr tout un pouvoir et sa logique, plutt qu la pluralit
de ses mcanismes. Le pouvoir est conu comme un oprateur de csures sur la vie, selon le
modle du camp ; il est alors rduit cette logique paradigmatique.
Avec la matrice du camp, Agamben est au plus loin de lhypothse de Foucault. Le changementradical de perspective tient ce que chacun des deux auteurs entend par histoire. Dans le cas
dAgamben, il est tout dabord question dune histoire au sens dune fiction, celle dont lhomo
sacer est le protagoniste, et qui est gnralise (en vertu de sa mthode selon laquelle
lexception rvle la rgle, mthode non justifie dans les analyses dAgamben, sauf par son
objet, lexception) jusqu devenir lhistoire du masque dans lequel se prsente la souverainet,
sa fiction originaire . La logique de cette histoire est celle de la crise, dont le paradigme, ou
encore le verre grossissant 45 , est le camp. Il signifie lindistinction de la vie et de la
politique. Ce type dapprhension de lhistoire suppose une assimilation des diffrents
mcanismes du pouvoir, une continuit dans le dploiement historique de la souverainet, par-
del les diffrentes formes quelle prend. Lhistoire du pouvoir sinscrit ensuite dans uneperspective plus large et se transcrit en termes mtaphysiques : la vie est conue comme le
fondement oubli de lhistoire du pouvoir. Cest ce qui va commander la solution de
rsistance au pouvoir et ses mcanismes. A linverse, la perspective de Foucault sur lhistoire
des mcanismes de pouvoir est une attention particulire porte aux ruptures et discontinuits,
qui requiert une mthode gnalogique applique des discours spcifiques. On a alors affaire
une histoire locale et plurielle.
Le bio-pouvoir dsigne ainsi, selon des perspectives radicalement diffrentes, deux modes
dexercice du pouvoir. Le mode spcifique dexercice du pouvoir tudi par Foucault est tendu
et dplac tout lespace politique par Agamben. La question est alors de savoir si la notion de
bio-pouvoir se borne dsigner un dispositif polmique qui dmasque les modes dexercice du
pouvoir ou si lon peut partir de cette hypothse, penser une rsistance au pouvoir, voire
reconstruire une politique partir de la vie. Sur le premier point, on a affaire la difficile
question de la libration dun sujet pris dans des relations de pouvoir qui le constituent. Sur le
second point, on peut se demander si la vie peut tre le lieu dmergence dune nouvelle
politique. Il faut alors prciser ce quon peut entendre par vie.
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3.1. La vie comme rsistance au pouvoir.
Dans ltat dexception devenu la rgle, la vie de lhomo sacerse renverse en une existence surlaquelle le pouvoir souverain ne semble plus avoir aucune prise 50.
Il conviendrait plutt de faire du corps biopolitique mme, de la vie nue elle-mme, le lieu o seconstitue et sinstaure une forme de vie entirement transpose dans la vie nue, un bios qui ne soit
La rsistance doit senraciner dans cela mme qui tait en jeu dans le pouvoir : la vie. DansLa
volont de savoir, Foucault crit : La vie est en quelque sorte prise au mot et retourne contre
le systme qui entreprenait de la contrler 46. Cest dans la vie que senracinent les luttes
politiques. Sexprime ainsi un droit la vie, au bonheur, la sant, la satisfaction des
besoins , qui est la rplique politique toutes les procdures nouvelles de pouvoir qui nerelvent pas du droit traditionnel de la souverainet. Il sagit de rsister aux processus
dassujettissement oprs par les technologies du pouvoir, qui prcisment constituent le sujet.
La rflexion de Foucault sinflchit nettement dans les volumes suivants de LHistoire de la
sexualit du ct du sujet, avec lexamen des pratiques de soi et du souci de soi . La
rsolution foucaldienne ne pose donc pas la question du sujet politique, mais celle de la
constitution du sujet partir des relations de pouvoir et de la possibilit de se librer de ces
relations : lanalyse de la gouvernementalit, comme conduite des conduites ou action sur les
actions, amnage la possibilit de la libert du sujet.
Dans les crits dAgamben, la solution de rsistance au bio-pouvoir est disperse 47. Elle est
seulement indique dans les dernires lignes dHomo sacer. Comme pour Foucault, la vie est ce
qui doit sopposer lopration du pouvoir. Cest donc des mcanismes particuliers, des
scissions et des prlvements, quil faut sopposer. Il sagit de faire jouer une vie de la puissance
(puissance entendue partir doutils conceptuels qui ne sont pas nouveaux, la dunamis
aristotlicienne sans energeia, puissance qui jamais ne passe lacte, et lapotentia spinozienne)
contre le pouvoir. La puissance de la vie, pour rsister au ban opr par la souverainet, doit
opposer une cohsion toute scission : il faut faire de sa vie une forme de vie, ce qui semble
rejoindre lanalyse de Foucault dans lide dune pratique de soi qui donnerait forme la vie.
Une des voies pour penser cette soustraction au pouvoir, cette dprise , est la singularit
quelconque 48 . Il sagit par cette forme de vie de se librer de lEtat, cest--dire de se
soustraire toute appartenance codifie, toute identification par lEtat. Les singularits
quelconques ne forment pas une socit mais une communaut sans prsuppos ni objet car
elles ne disposent daucune identit faire valoir, elles nont aucun lien dappartenance quelles
peuvent faire reconnatre. Or une telle singularit non reprsentable est ce que lEtat ne peut en
aucun cas admettre. Ds lors, la politique qui vient - celle qui correspond la communaut
des singularits quelconques ne sera pas une politique tatique, ni la revendication du social
contre lEtat, mais la disjonction irrmdiable entre lhumanit et lEtat. La singularit
quelconque, comme dautres figures convoques par Agamben la relecture du Bartleby de
Melville49
sont des figures dune puissance qui se fait rsistance, versants positifs langativit de lhomo sacer. En somme, il y a l un retournement de lacception ngative de la
notion de biopolitique, en direction dune puissance de la vie. Agamben va jusqu appliquer ce
renversement la figure mme de lhomo sacer, repensant la vie nue comme une
indtermination positive, qui permet dopposer une puissance aux scissions du pouvoir :
Effectivement, la dernire page dHomo sacer fait tat de la ncessit de faire de la vie nue elle-
mme qui dsignait la production du pouvoir - une forme de vie :
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que sazo 51.
3.2. La vie comme fondement de la politique ?
On aurait affaire un retournement du diagnostic en tche, enracin dans une histoire
ambivalente. Pour interroger ce retournement, il faut porter attention ce qui distingue la vie
prleve par le pouvoir et la vie oppose au pouvoir. Lhomo sacer qui fait lobjet du pouvoir
est une vie qualifie par une biopolitique qui se renverse perptuellement en thanatopolitique. Sa
vie est dfinie en termes biologiques et eugniques par le pouvoir nazi. A linverse, l homo
sacer rsistant , caractris en termes heideggeriens, est celui dont chaque acte mettoujours en jeu sa propre vie . Il devient leDasein pour lequel il en va, dans son tre, de son
propre tre, unit insparable dtre et de modes, de sujet et de qualit, de vie et de monde. La
vie de lhomo sacer peut devenir une cohsion indissoluble, dont lunit a la forme dune
dcision irrvocable 52 , et se soustrait toute dcision extrieure ou qualification
biopolitique.
On constate quAgamben nopre pas un simple retournement, puisque la rsistance au pouvoir
est pense selon la modalit de la puissance, mais aussi parce quil entend dpasser lopposition
entre puissance et pouvoir. Il engage en effet penser une puissance au-del de lacte, et mme
au-del du ban et de toute relation. Il sagirait dune vie qui ne soit plus en rapport avec le bansouverain une disjonction irrmdiable , selon le terme qui qualifiait les singularits
quelconques. Cest dans cet au-del de la relation quil situe le vritable nihilisme, cest--dire
le nihilisme messianique auquel Benjamin a ouvert la voie, la diffrence du nihilisme
imparfait. Ainsi, dans cette soustraction absolue au pouvoir et aux apories de la souverainet,
dans ce repli vers une puissance, il sagit bien de ne plus donner prise .
Lissue est mtaphysique, au sens o elle est solidaire dune certaine vision de lhistoire. La vie
est effectivement pour Agamben ce qui a t exclu originairement par lexception. Or ce
fondement abandonn de lhistoire de la souverainet est, dans une perspective
explicitement heideggrienne, ce qui commande son devenir, le telos mme de lhistoire (quitend vers loriginaire) ou encore ce quil sagit de redevenir et dassumer. Le destin historico-
politique de lOccident, une poque o il ny a plus de tches, est de se rapproprier la vie
nue. Agamben, dans lOuvert, dsigne lassomption de la vie biologique comme tche
politique (ou plutt impolitique) suprme 53 . Il faut dsormais assumer la simple existence de
fait des peuples. Lissue propose signe lviction du politique en mme temps que lviction de
lEtat dans une solution mtaphysique donne au problme politique, pour qu son tour la
politique puisse accomplir la tche mtaphysique quest la libration humaine. Cela suppose une
identit de structure entre politique et mtaphysique : la vie est le nom de ltre, et sparer la vie
nue des formes de vies concrtes revient isoler ltre pur partir des significations multiples
du terme tre. Lhistoire est alors lexpropriation de la nature humaine dans une srie dpoqueset de destins. Cest dans une telle perspective mtaphysique que la rappropriation de la vie
nue, cest--dire la constitution dune vie indissoluble, peut se comprendre.
Lissue de la biopolitique est ainsi marque par le retournement de la conception de la vie nue
qui, de point dancrage du pouvoir, devient le foyer dun mode de vie politique. Or la vie nue
apparat comme un fondement problmatique de la politique, qui laisse finalement place une
thique ou une mtaphysique.
Le problme pos par la biopolitique est de penser la vie au fondement de la politique. Or cest
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ce qui, dans le projet dAgamben, est ajout la reprise de Foucault. On doit, aux yeux
dAgamben, complter la formule de Foucault selon laquelle notre vie est en jeu dans notre
politique par la formule inverse selon laquelle nous sommes des citoyens dans la vie desquels
est enjeu leur tre politique mme . Ce complment vient dplacer la notion de bio-pouvoir
vers celle de biopolitique. Lapprhension du pouvoir souverain par Agamben tait dj trs
loigne de lattention aux techniques et aux jeux de pouvoir par Foucault. Le projet denraciner
la politique dans la vie prend une direction trangre lhypothse de Foucault, tout en tant
prsent par Agamben comme une vise de synthse des analyses foucaldiennes. La rouverture
de la question de la souverainet est effectue dans une perspective singulire puisque la vise
de la recherche est de trouver un point de jonction cach entre les divers mcanismes du
pouvoir. Agamben fait tat dun manque dans lanalyse de Foucault, labsence dune thorie
unitaire du pouvoir : deux lignes de recherches sentrelacent en plusieurs points , celle
concernant les techniques politiques et celle concernant les technologies du soi, cest--dire
entre les mcanismes par lesquels la vie entre dans les stratgies politiques et les processus de
subjectivation par lesquels les individus sattachent leur identit. Cest la question dun
sujet du politique qui se pose, de manire problmatique puisque cest la vie qui remplit
cette fonction aux yeux dAgamben. Foucault parle effectivement dune combinaisoncomplexe de techniques dindividuation et de procdures totalisatrices , en se rfrant au
pouvoir pastoral 54. Or Foucault ne dsigne pas le centre unitaire de ce double lien
politique. Agamben entendait, par sa critique, complter les analyses de Foucault sur le terrain
du pouvoir et non sur celui du sujet. En prsentant la vie nue comme centre de ce double lien,
Agamben propose une conception du pouvoir non seulement htrogne la perspective
foucaldienne, mais problmatique. La vie nue est certes le point dancrage du pouvoir, et
devient le sujet et lobjet de lordre politique. Mais deux difficults apparaissent : dune part, la
vie nue nous renseigne sur des mcanismes politiques prcis, qui ne sauraient figurer le tout de
lespace politique. On peut mettre un doute sur la validit de cette notion pour analyser divers
phnomnes et en particulier les formes nouvelles de racisme. Dautre part, si la vie nue doittre ce partir de quoi une politique peut tre reconstruite, elle ne saurait conserver le sens
quAgamben lui donne dans son analyse du pouvoir souverain, celui dune production du
pouvoir. On a pu en effet constater un glissement de sens de la notion selon quelle fonctionne
dans le dispositif polmique ou dans lissue positive. Dans la perspective historique qui sous-
tend lanalyse dAgamben, il sagit, pour opposer aux scissions du pouvoir la cohsion de la
vie, de se rapproprier la vie nue, fondement oubli et exclu. Est-elle alors encore la prestation
du pouvoir, ne devient-elle pas un fait originaire retrouver ? La vie nue est en effet
caractrise par Agamben comme concept vague et indtermin qui, au mme titre que
ltre, dtient le destin historico-politique de lOccident. Sa signification oscille donc entre un
statut polmique de production du pouvoir, et un statut positif mais ambigu de foyer dun modede vie politique. Elle est fondamentalement ambivalente. Cest la raison pour laquelle la
politique est pense en termes mtaphysiques et la tche de penser la rsistance aux mcanismes
du pouvoir revient en dfinitive lthique. La vie dfinie par Agamben dans la relation
dexception, prise par le pouvoir souverain, apparat comme bien plus fconde dans le cadre du
dispositif critique, et comme un lment essentiel pour dfinir la structure du pouvoir qui
sancre en elle. En tant que fondement de lordre politique, elle est un concept politique
scularis , plutt quune notion scientifique ou quun simple fait. LorsquAgamben la repense
comme vie thique, au sens dune manire dtre , dune puissance indissoluble, la question
quil pose ne reoit pas de rponse satisfaisante : comment unepolitique qui serait
uniquement voue lentire jouissance de la vie de ce monde est-elle possible 55 ? Il
sagirait finalement dune vie philosophique quAgamben dfinit comme vie suffisante , qui a
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CONCLUSION.
atteint la perfection de sa puissance propre et de sa propre communicabilit et sur laquelle
souverainet et droit nont aucune prise. Or cette vie ne semble plus relever dune politique
permettant de rsister aux oprations du bio-pouvoir. DansLOuvert, Agamben enjoignait
apprendre penser lhomme comme ce qui rsulte de la dconnexion du corps et de lme,
cest--dire du vivant et du logos, du naturel et du surnaturel, et examiner non le mystre
mtaphysique de la conjonction, mais le mystre pratique et politique de la sparation 56 . Or
cet examen a t effectu par lui plus profondment que linvestigation de ce qui pourrait, en
lhomme, runir sa vie et refonder une politique.
On peut ressaisir en conclusion lenjeu de la question du bio-pouvoir et les difficults mises au
jour par ltude de cette notion. Le bio-pouvoir, comme analyse gnalogique des
mcanismes du pouvoir, trouve ici deux formulations extrmement diffrentes : cest un mode
spcifique dexercice du pouvoir pour Foucault, et la structure de la souverainet depuis son
origine pour Agamben. En ce sens, la vie est le point dancrage du pouvoir qui sexerce, et pour
Agamben la production mme du pouvoir. Elle nous renseigne sur des mcanismes de pouvoir
dans deux directions : Foucault est attentif aux mcanismes spcifiques qui encadrent la vie des
individus et des populations, tandis quAgamben met en vidence la manire dont le pouvoir
souverain sexerce sur la sphre de la vie nue. Agamben, en se plaant sur le terrain de la
souverainet, permet de pointer le rapport problmatique entre pouvoir souverain et bio-pouvoir
dans les analyses de Foucault, et plus gnralement, entre sa redfinition du pouvoir et son
apprhension de lEtat et de la souverainet.
Lanalyse du mode dexercice du pouvoir par Agamben est cohrente dans la mesure o elle
parvient mettre jour le masque sous lequel savance le pouvoir dans le code juridico-institutionnel et au plan de la souverainet, et la manire dont la souverainet met en jeu une vie
nue. En ce sens minimal, on peut entendre lanalyse dAgamben comme un complment de
celle de Foucault : en de et au-del des processus de normalisation et de contrle qui
rgissent les corps individuels et collectifs, un dpartage sopre au niveau de la vie nue
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