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  • DOI : 10.1484/J.RHE.1.103884

    HYPOSTASE, PERSONNE ET INDIVIDU SELON SAINT MAXIME LE CONFESSEUR

    Certains thologiens orthodoxes, au cours de ces dernires d-cennies, ont dvelopp, sur la base du personnalisme et de lexis-tentialisme modernes, une conception particulire de la personne et de lindividu et tent ensuite de lui trouver une base et une justification patristiques, en particulier chez les Cappadociens (Basile de Csare, Grgoire de Nazianze et Grgoire de Nysse) et chez Maxime le Confesseur. Il nest pas du ressort du patrologue de contester la libert qua un philosophe ou un thologien de d-velopper une nouvelle thorie thologique ou anthropologique ; il relve en revanche de sa comptence de porter un jugement sur la question de laccord ou du dsaccord de cette thorie avec les fondements patristiques dont elle recherche la caution.

    Un certain nombre de patrologues se sont prononcs depuis longtemps sur la question du rapport du personnalisme et de lexistentialisme (tel quon le trouve en particulier chez C. Yan-naras, J. Zizioulas et les disciples de ce dernier) avec la pense des Cappadociens, concluant une discordance entre les deux conceptions, et au caractre anachronique dune interprtation de la thologie des Cappadociens laune du personnalisme mo-derne1. Des patrologues ont, plus rcemment, abouti aux mmes

    1 Voir I. Panagopoulos, . - , dans Synax, 13 (1985), p. 63-79 ; 14 (1985), p. 37-47 ; A. de Halleux, Personnalisme ou essentialisme trinitaire chez les Cappadociens ? Une mau-vaise controverse, dans Revue thologique de Louvain, 17 (1986), p. 132-155, repris dans Patrologie et cumnisme, Leuven, 1990, p. 218-241 ; J. G. F. Wilks, The Trinitarian Ontology of John Zizioulas, dans Vox evangelica, 25 (1995), p. 63-88 ; L. Turcescu, Prosopon and Hypostasis in Basil of Caesa-reas Against Eunomius and the Epistles, dans Vigiliae Christianae, 51 (1997), p. 375-395 ; Person versus Individual , and other Modern Misreadings of Gregory of Nyssa, dans Modern Theology, 18 (2002), p. 527-539 ; Gregory of Nyssa and the Concept of Divine Persons, Oxford et New York, 2005 ; V. Harrison, Yannaras on Person and Nature, dans St. Vladimirs Theological Quarterly, 33 (1989), p. 287-288 ; Zizioulas on Communion and Otherness, dans

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    conclusions au sujet du rapport de la mme conception personna-liste et existentialiste avec la pense de S. Maxime le Confesseur2. J. Zizioulas avec lappui de lun de ses disciples ayant, lors dun rcent colloque consacr Maxime le Confesseur, tent dapporter des rponses aux objections qui lui taient faites3 avec des arguments qui paraissent marqus par certains a priori et par une rfrence insuffisante aux textes4, il est opportun de revenir lensemble des crits de S. Maxime pour dterminer sa posi-tion prcise concernant la dfinition et les relations des concepts dhypostase (), de personne () et dindividu ().

    Lquivalence des notions de personne et dhypostase

    Dans plusieurs passages de ses uvres, S. Maxime affirme de manire explicite et non ambigu lidentit des notions dhypos-tase et de personne (gnralement exprime par le mot ), sinon leur quivalence (marque par les conjonctions , , ou , ou par lusage alternatif et indiffrenci des deux mots).

    Dans des dfinitions gnrales

    Il le fait de manire gnrale, dans cette dfinition bien connue qui figure en Th. Pol., 14, PG 91, 152A : Hypostase et per-sonne : mme chose ( , ) ; les deux

    St. Vladimirs Theological Quarterly, 42 (1998), p. 273-300 (passim) ; N. Lou-dovikos, Person Instead of Grace and Dictated Otherness : John Zizioulas Fi-nal Theological Position, dans Heythrop Journal, 48 (2009), p. 3-4 ; J.-C. Lar-chet, Personne et nature, Paris, 2011, p. 244-275 (passim).

    2 Voir M. Trnen, Union and Distinction in the Thought of St Maximus the Confessor, Oxford, 2007 ; J.-C. Larchet, Personne et nature [voir n. 1], p. 244-275 (passim).

    3 Voir J. Zizioulas, Person and nature in the Theology of St. Maximus the Confessor, dans Bishop Maxim Vasiljevi (d.), Knowing the Purpose of Everything through the Resurrection , Proceedings of the Symposium on St Maximus the Confessor, Belgrade, October, 18-21, 2012, Alhambra et Belgrade, 2013, p. 85-113 ; D. Skliris, Hypostasis , Person , Individual , Mode : A Comparison between the Terms that Denote Concrete Being in St Maximus Theology, ibid., p. 444-449.

    4 Voir notre recension de Bishop Maxim Vasiljevi (d.), Knowing the Purpose [voir n. 3], 2013, dans la Revue dHistoire ecclsiastique, 000, 000, p. 000-000.

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    en effet ont le propre et le particulier, en tant que circonscrits en elles, sans possder pourtant par nature leur prdicat dans la plu-ralit. Cette dfinition se trouve galement dans un passage de Ep., 15, PG 91, 549B que nous citons plus largement ci-dessous : si [hypothse admise par Maxime] lhypostase et la personne sont la mme chose ( ) [].

    Dans des contextes particuliers varis

    Maxime affirme galement lidentit ou lquivalence des deux notions dans des contextes particuliers qui se rapportent la Tri-nit, au Christ, aux anges, aux hommes, mais aussi dautres tres de la nature :

    Ep., 12, PG 91, 468D : lhypostase ou en vrit la personne [ , ] . Ep., 15, PG 91, 549BC : Si lessence et la nature sont la mme chose, et de mme lhypostase et la personne sont la mme chose ( ), il est vident que les tres de mme nature et essence les uns que les autres sont dhypostase autre. Et par les deux, la nature et lhypostase, nul des tres nest le mme quun autre. Et par l, les tres unis selon une seule et mme na-ture, autrement dit les tres de mme essence et nature donc, ne sau-raient jamais tre unis selon la mme hypostase, cest--dire personne ( ), autrement dit ne peuvent avoir une personne et une hypostase unique ( ). Et les tresqui sont unis selon une seule hypostase, cest--dire personne ( ), ne sau-raient se coapter en une seule essence ou nature, cest--dire ne sau-raient provenir dune seule essence et nature. Mais les tres unis selon une seule et mme nature, cest--dire essence, se distinguent les uns des autres par les hypostases, cest--dire les personnes ( , ), comme il en va des anges, des hommes ou de toutes les cratures, prises dans un genre ou une es-pce. Ep., 15, PG 91, 552A : Linengendr, lengendrement, la proces-sion, ne scindent pas en trois essences ou natures ingales ou gales lunique nature et puissance de lineffable divinit. Mais ces choses, en quoi ou quest lunique divinit, cest--dire lessence ou la na-ture, caractrisent les personnes, cest--dire les hypostases ( ). Mais les [lments] qui sont unis selon lunique et mme hypostase, cest--dire personne ( , ), cest--dire sont dune seule

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    hypostase et accomplissent une seule personne, diffrent par le logos de lessence ou nature. On peut noter dans ce passage le caractre rversible de lquivalence : personne-hypostase, hypostase-personne. Ep., 15, PG 91, 552BC : Tous ceux qui sont unis selon une seule et mme essence, cest--dire nature, sont toujours de mme essence les uns que les autres, mais dhypostase autre ; [] ils sont dhypos-tase autre par le logos de lhtrognit personnelle qui les distingue par les proprits caractristiques de lhypostase, selon lequel lun se distingue de lautre et ils ne sassemblent pas par les proprits caractristiques de lhypostase ( , , ). Mais chacun, par la cohrence en lui de ses proprits, comporte le logos de son hypostase propre qui lempche dtre comme ceux qui sont de mme nature et de mme essence que lui. Ceux qui sont unis selon une seule et mme hypostase cest--dire personne ( ), cest--dire sont achevs en unit selon une seule et mme hypostase, sont de mme hypostase mais dessence autre. Ep., 15, PG 91, 553D : le Verbe de Dieu, parfait selon lessence et la nature, selon lesquels Il est le mme que le Pre et lEsprit et consubstantiel eux, et selon la personne et lhypostase ( ) autre que le Pre et lEsprit, sau-vegardant inconfondue Sa diffrence personnelle ( ) . Ep., 15, PG 91, 556AB : En raison dune part de la communaut des parties dont il est constitu selon lessence, uni Son Pre et Sa Mre selon la nature, [le Verbe incarn] Sest rvl conserver la diffrence lune avec lautre des parties dont Il est constitu. En rai-son dautre part de lidenticit de Ses propres parties selon lhypostase ( ), Se distinguant de ces extrmes Son Pre et Sa Mre, jentends , Il Se rvlait dans lunicit de Sa propre hypostase absolument sans dif-frence, unifi au suprme degr par lidentit personnelle ( ) de Ses parties lune avec lautre . Ep., 15, PG 91, 556D-557A : Par [lhypostase du Verbe], les ex-trmes je dfinis ainsi Son Pre et Sa Mre Sunissent en Lui sans [constituer] la moindre diffrence, pour quil ny ait pas dispa-rition totale de lidentit hypostatique des parties ( ) ; car la survenue par elle dune diffrence des parties dissoudrait lunion hypostatique en dualit de personnes ( ), et ne pourrait alors se montrer sauvegarde lidentit personnelle des par-ties lune avec lautre ( ), tant alors scinde par la diffrence hypostatique en une

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    dyade de personnes ( ) . Ep., 15, PG 91, 557C : Par les proprits distinctives qui le dif-frencient de ceux qui sont de mme essence, [le Verbe incarn] garde, vis--vis du combin par union, lidentit de lhypostase conser-ve dans la complte unicit de la personne ( , ) . Ep., 15, PG 91, 565D : Quant nous, [] cest en toute pit que nous affirmons en Christ lidentique : en raison de lhypostase une ( ), nous le confessons par lidenticit de Dieu le Verbe avec la chair, pour que la glorieuse Triade, par lajout dune personne ( ), ne devienne une ttrade. Ep., 15, PG 91, 568C : Svre [dAntioche], en disant, au sujet de lIncarnation divine, que lessence et lhypostase ou la nature et la personne sont la mme chose ( , ), ne connat pas lunion sans confu-sion, mme sil feint de le dire, ni la diffrence sans division, mme sil se targue du contraire. Pyr., PG 91, 289D-292A : Et voici ce quon trouvera, selon vous, concernant la Divinit bienheureuse qui dpasse toute essence et tout bien : cause de sa volont unique, elle na aussi quune seule hypos-tase, comme le dit Sabellius ; cause des trois personnes, elle a aussi trois volonts, et, cause de cela, trois natures, comme le dit Arius, puisque, daprs les dfinitions et les canons des Pres, la distinction des volonts entrane aussi une distinction des natures. Pyr., PG 91, 336D : vous serez contraints, en suivant vos propres rgles [selon lesquelles lopration se rapporte la personne ou lhy-postase et non lessence ou la nature], soit, cause de lunique opration de la sainte divinit, de parler dune seule personne en elle, soit cause de ses trois hypostases, de parler aussi de trois oprations ( , , ) . Pyr., PG 91, 340B : Est-ce dune manire double, cause de la dua-lit de la nature, que le mme opre, ou bien dune manire une cause du caractre dunit de lhypostase ( ) ? Eh bien, si cest dune manire double, celui qui opre tant lui-mme un, cest donc quau nombre des oprations nest pas li le nombre des personnes. Mais si cest dune manire une, cause du caractre dunit de la personne ( ), le raisonnement sur les mmes donnes prsentera dans ce cas-l les mmes absurdits. Car si lopration est hypostatique, la multiplicit des hypostases et la dis-tinction des oprations seront envisages de pair. Th. Pol., 2, PG 91, 40C : si [Svre] dit lunion se faire des hypos-tases, cest--dire des personnes ( )

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    Th. Pol., 5, PG 91, 64C les deux natures du Christ-Dieu concou-rant en une seule hypostase et une seule personne ( ) En Th. Pol., 3, PG 91, 52C-56D, dans un texte trop long pour tre cit ici, on peut observer lusage alternatif et indiffrenci de la notion de personne (prsente douze fois) et de la notion dhypostase (prsente dix fois). Th. Pol., 13, PG 91, 145B-148A : Pour la Sainte Trinit, il y a identit dessence et altrit de personnes. Car nous confessons une es-sence unique et trois hypostases ( ). Et pour lhomme, identit de personne et altrit dessences ( ), car lhomme est un, mais dune essence, lme, et dune autre, la chair. Semblablement en notre Matre le Christ, il y a identit de personne, et altrit dessences ( , , ) ; car tant une seule personne ou en vrit hypostase ( , ), dune essence est la divinit, dune autre lhumanit. Th. Pol., 14, PG 91, 149C : un enhypostasi est aussi ce qui vient en composition et coexistence avec un autre diffrent dessence pour constituer une seule personne et faire une seule hypostase ( , ) . Th. Pol., 14, PG 91, 152A : Lunion est donc hypostatique qui relie et amne les essences, ou natures donc, diffrentes en une seule per-sonne et une seule et mme hypostase ( , , ). Th. Pol., 16, PG 91, 192C : [le vouloir gnmique] constitue une pulsion libre nous faisant tirer des deux cts et une marque distincte dterminant non pas la nature mais proprement la personne et lhypos-tase ( ) . Th. Pol., 16, PG 91, 201D-204A : les notions de personne compo-se et dhypostase compose sont utilises par Maxime de manire quivalente. Th. Pol., 19, PG 91, 225A : sils sont attachs absolument aux [vouloirs] hypostatiques cest--dire personnels (, ) en regardant dun mauvais il les naturels, ils intro-duisent aussi laltrit de la personne et dcrtent ce qui nest pas naturel et la dchance des essences . Th. Pol., 23, PG 91, 269CD : Moi je dclare que la chair vivifiante du Fils de Dieu a, dans le Verbe de Dieu, tout le surnaturel de sa propre nature, accomplissant les deux natures en une personne et une seule hypostase ( ) du Verbe de Dieu.

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    On peut ajouter cela deux textes qui ne sont pas de la main de Maxime mais refltent sa pense :

    Dis. Byz., XIV, CCSG 39, p. 107 : Il est donc clair quil ny a pas dnergie selon lhypostase. [Sinon] nous serons contraints dattribuer des nergies hypostatiques au Pre et lEsprit de la mme faon quau Fils, et, daprs vous, la bienheureuse divinit aura quatre nergies : trois distinctes celles des personnes qui la composent et une commune aux trois, signifiant la communaut naturelle des trois hypostases ( , ). Ep. Cal., CCSG 39, p. 166.18-22 : si des proprits diverses caract-risent naturellement un compos de diverses substances, parce que la diffrence des natures nest en rien supprime par lunion, mais quau contraire, tant sauve la proprit de chaque nature, elle concourt dans une unique personne et une unique hypostase.

    Dans ces diffrents passages et dans de nombreux autres, on peut observer lidentit des termes, leur quivalence, et leur rver-sibilit (on pourrait dans tous les cas utiliser lun la place de lautre) ; le contexte ne laisse apparatre aucune connotation propre lun ou lautre qui permettrait de distinguer lun de lautre.

    Accord avec les Cappadociens

    En affirmant lquivalence des notions dhypostase et de per-sonne, Maxime se fonde explicitement sur les Pres qui lont pr-cd :

    Communes donc et universelles, ou gnral, selon les Pres, sont lessence et la nature : ils affirment en effet que ces choses sont qui-valentes. Propres et particulires sont lhypostase et la personne : on trouve chez eux ces expressions voulant dire la mme chose ( , , , . , ) (Ep. 15, PG 91, 545A).

    Deux passages de Grgoire de Nazianze, cits in extenso par Maxime, affirment trs nettement lquivalence des notions dhy-postase et de personne :

    puisquil faut tenir quil y a un seul Dieu et confesser les trois hypostases, cest--dire donc trois personnes, et chacune avec sa propri-t ( ,

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    , , ) (Discours, XX, 6, SC 270, p. 70.25-27 ; cit par Maxime, Ep., 15, PG 91, 548B). Quand je dis Dieu, soyez frapps par lclair dune lumire unique et de trois lumires : trois en ce qui concerne les proprits ou encore les hypostases si lon veut les appeler ainsi , ou les personnes ( , , , , ), car nous nengageons aucune lutte entre nous pour des noms, tant que les syllabes diffrentes nous porteront vers une mme pense (Discours, XXXIX, 11, SC 358, p. 170-172, cit par Maxime, Ep., 15, PG 91, 548CD5).

    Et Maxime de conclure : Telle est la symphonie que nos Pres inspirs, Grgoire et Basile, nous ont transmise de la claire concordance des dogmes divins : identit de la nature avec les-sence, comme correspondant au commun et au gnral ; celle de lhypostase avec la personne, comme correspondant au propre et au particulier ( , ) (Ep., 15, PG 91, 548D).

    Il faut cependant noter que chez Grgoire de Nazianze et plus encore chez Basile lusage du mot prospon reste rare (il est symp-tomatique que Maxime cite le nom de Basile, mais aucun texte de lui contenant le mot mme) et que ces deux Pres lui prfraient le mot hypostasis, en raison de liens que le mot prospon avait encore leur poque avec le modalisme sabellien et des risques de confusion que son usage pouvait comporter pour certains lecteurs. Cette rticence ne sattnue chez Grgoire de Nysse que dans ses petits traits trinitaires, en particulier Aux Grecs, partir des notions communes ; il considre lui aussi les deux termes comme synonymes mais utilise plus facilement hypostasis que prospon6.

    5 On pourrait ajouter (mais Maxime ne le cite pas) cet autre passage de Grgoire de Nazianze : Voil comment nous sommes forms, nous qui reconnaissons lunit par la substance et le caractre indivisible de ladora-tion, ainsi que la Trinit par les hypostases ou encore par les personnes ( , ), comme prfrent dire certains (Discours, XLII, 16, SC 384, p. 84).

    6 Pour Grgoire de Nazianze, voir la note de P. Gallay, dans G r g o i r e d e N a z i a n z e, Discours 38-41, SC 358, Paris, 1990, p. 171. Pour les trois Cappadociens, voir M. Bonnet, Hupostasis et prospon chez les Cappado-ciens au IVe sicle, dans B. Meunier (d.), La Personne et le christianisme ancien, Paris, 2006, p. 179-207. Il est noter que dans la Lettre 210, saint Basile tolre lusage du mot prospon condition quil soit associ hypos-tasis, cela afin dviter toute confusion avec le sabellinanisme qui propose

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    Lquivalence fut admise en quelque sorte officiellement et uni-versellement au concile de 381 o les Pres appelrent croire en une seule essence du Pre, du Fils et du Saint-Esprit [] en trois hypostases parfaites ou trois personnes parfaites7 .

    Objections possibles et rponses ces objections

    Deux objections pourraient tre opposes laffirmation de lquivalence des deux notions ou de leur usage indiffrenci par saint Maxime.

    1) Saint Maxime, dans plusieurs passages, utilise les deux termes en les reliant par et ou par ou : Ep., 12, PG 91, 469D : les natures concourent pour achever une personne et une seule hypostase du Fils ( ) ; Ep., 12, PG 91, 492C : les deux [natures] achvent une personne du Fils et une seule hypostase ( ) ; Ep., 15, PG 91, 549C : les tres de mme essence et nature [] ne peuvent avoir une personne et une hypostase unique ( ) ; Ep., 15, PG 91, 552A : les [lments] qui sont unis selon lunique et mme hypostase, cest--dire personne, sont dune seule hypostase et accomplissent une seule personne ( , ), diffrent par le logos de lessence ou nature . Cela nest-il pas indicatif dune diffrence ?

    On doit y voir plutt la marque dune insistance, visant juste-ment souligner lquivalence. Il sagit la fois dexclure toute interprtation dans le sens du modalisme sabellien (ce qui tait dj le sens de lexpression utilise par les Pres du concile de 381, cite prcdemment) et toute interprtation nestorienne.

    2) Jean Zizioulas et son disciple D. Skliris font valoir que Maxime utilise le mot hypostase pour tous les tres, mais vite dutiliser le mot personne en rfrence des tres non intel-ligents, et le rserve aux trois hypostases divines, aux anges et

    selon lui une fiction de personnes sans hypostases : Il ne suffit pas de compter les diffrences de personnes (prospon), il faut encore confesser que chaque personne (prospon) existe dans une vritable hypostase (Lettres 210, 5, 37, d. Courtonne, t. II, p. 96). On est loin du caractre ontologique que Zizioulas entend attribuer de manire absolue et exclusive la personne en prtendant se fonder sur les Cappadociens et en particulier sur S. Basile.

    7 T h o d o r e t D e C y r, Histoire ecclsiastique, V, ix, 13.

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    aux hommes8 ; ils se rfrent pour cela, lutilisation de la notion, dans un contexte thologique, dans un passage dAmb. Io., 37, PG 91, 1293D, o Maxime dit : cest selon la personne [quest considre la parole de lcriture] quand elle appelle celle-ci ange, archange, sraphins et autres essences intelligibles dans les cieux ou lorsquon dsigne par son nom Abraham, Isaac ou Jacob, ou tel autre que lcriture loue ou excre . Ils en concluent que le mot personne a pour Maxime une connotation que na pas la notion dhypostase : il dsigne des tres dous dintelligence et de libert.

    J. Zizioulas, visant M. Trnen qui a intitul lune des sections de sa thse sur Maxime Une souris peut-elle tre une personne ? (certes dune manire un peu provocatrice, mais en dmontrant dans le corps de cette section que pour les Cappadociens et pour Maxime un animal est considr comme une hypostase ou une personne9) considre qu une souris, par exemple, ne peut tre ap-pele une personne10 . Mais ce qui peut paratre trange du point de vue de lusage actuel ne ltait pas une poque o le mot prospon avait encore un sens technique, et il nest pas mthodo-logiquement correct de vouloir juger de lusage ancien partir de lusage actuel.

    8 J. Zizioulas, Person and nature [voir n. 3], p. 88 : On doit noter que Maxime qui, suivant les Pres cappadociens, identifie en principe le terme hypostasis avec celui de personne, vite dutiliser personne en rfrence des entits autres que les tres humains (et, bien sr, de Dieu). Une souris, par exemple, possde un hypostase mais ne peut tre appele comme cela a t faussement suggr [rfrence implicite M. Trnen, Union and Distinction in the Thought of St Maximus the Confessor, p. 55-59] une personne. Le fait que Maxime vite dutiliser personne en rfrence des tres non intelligents doit tre not et tudi. Il semble que cela suggre une nuance dans lontologie qui lie la personne avec la libert, via lintelligence ; D. Skliris, Hypostasis [voir n. 3], p. 443 : le terme [personne] nest jamais utilis pour dnoter des ani-maux ou dautres tres qui ne sont pas des personnes divines ou humaines ou des anges. Cest plutt un argumentum ex silentio, mais nous pouvons arguer que le terme prospon est rapport Dieu et des lments qui constituent son image dans dautres tres, comme lintellection () et la libert () [lauteur donne comme rfrence Amb. Io., PG 91, 1293D], tandis que le mot hypostasis semble avoir un contenu ontologique plus ample.

    9 Union [voir n. 2], p. 55-59.10 Person and nature [voir n. 3], p. 88

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    supposer dailleurs que Maxime ait anticip lusage courant actuel qui amne parler de personnes propos dtres dous dintelligence et de capacit dautodtermination (impliquant vo-lont et libert), cela ne conduirait nullement confirmer la tho-rie personnaliste et existentialiste, puisque cela signifierait que les personnes sont telles en vertu de leur nature (lintelligence et la capacit dautodtermination tant des proprits communes des natures divine, anglique et humaine).

    Mais il faut bien constater que chez Maxime, comme chez ses prdcesseurs, la notion de personne, si elle ne comporte pas les connotations spirituelles et axiologiques que le personnalisme reli-gieux moderne lui attache, ne comporte pas non plus lide, ga-lement lie au personnalisme moderne, que la personne se carac-triserait comme un tre dou desprit, dintellect ou de raison, de conscience, de capacit dautodtermination ou de volont et de libre arbitre. Pour les Pres et plus encore pour Maxime (qui sest fait un fervent dfenseur du rattachement de la volont la nature) ces facults appartiennent la nature, mme sil consi-dre que lhypostase ou la personne peut en user de diffrentes faons11.

    En opposition avec lobjection prsente prcdemment, on peut constater que Maxime, comme nous venons de le voir, se prononce, trs explicitement, dans une multitude de textes, en faveur de lquivalence des deux notions dhypostase et de per-sonne, les utilise indiffremment et ne laisse en tout cas appa-ratre aucune diffrence de connotation dans le sens voulu par Zizoulas et son disciple. La majorit des textes se situent dans un contexte christologique parce que la rflexion thologique de Maxime prend place en grande partie dans un tel contexte. Cest par rapport cette proccupation centrale et pour rsoudre les problmes christologiques poss par le monophysisme, le mono-nergisme et le monothlisme que saint Maxime fait appel la triadologie et lanthropologie. Il na pas lieu de faire appel la cosmologie dans une rflexion sur lhypostase ou la personne dans ses rapports avec lessence ou la nature.

    Le passage dAmb. Io., 37, PG 91, 1293D avanc par les deux auteurs doit tre lui-mme resitu dans son contexte et nest au-

    11 Voir ce sujet les remarques trs justes de M. Trnen, Union [voir n. 2], p. 52-59.

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    cunement exclusif. Ainsi quelques lignes plus haut, Maxime note que cest selon le genre [quest considre la parole de lcriture] quand elle montre les anges ou ce qui est dans le ciel au rang des essences intelligibles, ou le soleil, la lune, les astres, le feu et ce quil y a dans lair, la terre, la mer, animaux, plantes ; il omet de mentionner lhomme, mais cela ne signifie pas pour autant que celui-ci ne ressortisse pas un genre

    On peut noter que quand Maxime dfinit, comme les Cappa-dociens mais aussi comme Lonce de Byzanze et Lonce de J-rusalem, une personne ou une hypostase par les idiomes qui la caractrisent en propre au sein de lessence commune ou la dis-tinguent des autres tres de mme genre, il nentend pas quil sagisse de proprits se rapportant spcialement aux personnes divines, aux anges ou aux personnes humaines, mais adopte une dfinition universelle, applicable tous les tres. Ainsi en Ep., 15, PG 91, 557D : Une hypostase, cest ce qui existe en soi de manire distincte, puisque, dit-on, lhypostase est une essence avec des idiomes la distinguant en nombre des autres du mme genre ; ou en Th. Pol., 23, PG 91, 261B : lhypostase dfinit une personne par les idiomes caractristiques ( ) .

    Mais lobjection de Zizioulas et de Skliris est dfinitivement contredite par deux passages de Maxime quils ignorent, o il accepte lusage de la notion de personne, assimile une fois encore la notion dhypostase, pour dautres tres que les tres divins, angliques et humains prcdemment voqus.

    Ainsi, dans un texte, sur lequel nous reviendrons dans la sec-tion suivante, qui appartient la dmonstration que le Christ nest pas un individu, Maxime rejette largument du phnix que lui opposent ses adversaires, en faisant valoir que ce dernier, en tant qutre vivant figurant parmi les oiseaux du monde cr, nest pas singulier comme lest le Christ. Ce qui est intressant pour nous pour le moment, cest de constater que Maxime nh-site pas rflchir la comparaison de lhypostase du Christ avec celle du phnix et ne fait pas dobjection au fait mme que lon utilise le mot prospon (personne) propos de cet oiseau :

    Si la nature du Christ est singulire, et que nous sommes autoriss dire quen gnral une nature nest jamais circonscrite une seule personne ( ), surtout sils mettent en balance loiseau phnix comme suprme et imbattable argument lappui de leur opi-

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    nion, je crains dencourir le risque de faire rire les gens en soutenant une fable avec une autre fable. Car si le phnix est un oiseau, cest un tre vivant ; tre vivant, tout dabord il nest pas singulier comme vivant ; tre vivant ensuite, il a un corps anim et sensible. Si le ph-nix est un corps anim et sensible, il est aussi assujetti naissance et mort. Demandons-leur, ces savants observateurs des tres, sil se peut que lun quelconque des corps anims et sensibles existe [qui soit] de nature singulire par hypostase ( , ) ; corps dont alors la transmission de son genre de lune lautre est le caractre le plus clair de son tre, et sa dfi-nition. Ce dont tmoigne la divine criture, donnant force largu-ment, quand elle fait intervenir Dieu enjoignant No : Entre dans larche, toi et toute ta maison, car je tai vu juste devant moi parmi cette gnration. Tu prendras auprs de toi sept couples de tous les animaux purs, le mle et la femelle ; une paire des animaux non purs, le mle et la femelle ; sept couples aussi des oiseaux du ciel, mle et femelle ; afin de conserver leur race en vie sur la surface de toute la terre. Si le phnix est compt avec eux en tant qutre ail, il nest pas par hypostase dune nature singulire ( ), daprs la dclaration [de lcriture] divine, de sorte que nous ne le disons pas non plus, je lai dit ; nous naimons pas disputer sans ncessit. Il est vident tous que si le Christ est de nature sin-gulire, Il nest consubstantiel ni Dieu, Son Pre, ni aux hommes. Car ce qui est absolument singulier par nature est aussi tranger quoi que ce soit dautre de nature gnrique. Et si daprs eux, comme la montr le propos, le Christ par nature est alin tous les tres, nous les exhorterons, ces no-dogmaticiens, nous rvler qui Il est par nature et pour quelle raison ils Le rvrent, Lui qui, daprs leur blasphme, nexiste mme pas, daprs ce quon dduit de leurs argu-ments (Ep., 13, PG 91, 517D).

    Mais un autre passage est encore plus dterminant pour montrer que les tres autres que Dieu, les anges et les hommes peuvent tre, selon Maxime, qualifis de personnes autant que dhypostases :

    Les tres unis selon une seule et mme nature, cest--dire essence, se distinguent les uns des autres par les hypostases, cest--dire les per-sonnes ( , ), comme il en va des anges, des hommes ou de toutes les cratures, prises dans un genre ou une espce. Lange se distingue de lange, lhomme de lhomme, le buf du buf par hypostase mais non par nature ni essence (Ep. 15, PG 91, 549C).

    Il y a sur ce point un certain nombre dantcdents patris-tiques. Ainsi S. Grgoire de Nysse note : Une chose se distingue

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    dune autre chose soit par lessence, soit par lhypostase, soit par lessence et lhypostase ; ainsi cest par lessence que lhomme se distingue du cheval, cest par lhypostase que Pierre se distingue de Paul, et cest par lessence et lhypostase que telle hypostase de lhomme se distingue de telle hypostase du cheval12. Grgoire de Nysse nutilise pas volontiers le mot prospon, mais du fait quil le considre comme quivalent celui dhypostasis, il pour-rait trs bien dire la mme chose de la personne.

    Cest ce que fera sans hsiter saint Jean Damascne, qui non seulement suit souvent de trs prs Maxime, mais offre une syn-thse des acquis patristiques des sicles qui ont prcd : pour lui, non seulement les notions dhypostase et de personne paraissent tout fait synonymes, mais sappliquent lune et lautre tous les tres, y compris aux animaux13. Les saints Pres, affirme-t-il notamment, ont appel [] personne [] ce qui existe par soi en ayant une consistance propre, est constitu dessence et dacci-dents, est distinct par le nombre et dsigne quelquun de dter-min, par exemple Pierre, Paul, ce cheval14.

    Lquivalence des notions dhypostase, de personne et dindividu

    Maxime affirme galement de manire explicite lquivalence des notions d hypostase et d individu ou de leurs drivs.

    Parfois lquivalence des deux notions comme cest le cas aussi pour les notions dhypostase et de personne est prsente par la conjonction : ainsi en Th. Pol., 18, PG 91, 213A, cit infra.

    Parfois aussi Maxime utilise la notion d individu l o lon pourrait utiliser la notion de personne . Ainsi en :

    Ep. 12, PG 91, 484B, o Maxime crit, contre Nestorius : il ne se peut faire que deux hypostases particulires, spares par leur logos propre en individus spcifiques, deviennent une mme hypostase ( , , ) .

    12 partir des notions communes, aux Grecs, 16, GNO III-1, p. 29.13 Voir A. Louth, John Damascene : Tradition and Originality in Byzantine

    Theology, Oxford, 2002, p. 50-53, qui souligne le dcalage entre la conception de J. Zizioulas et celle de S. Jean Damascne.

    14 Dialectica, 44, PTS 7, p. 109.

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    Ep. 12, PG 91, 513B, o est voque la particularit dindividus dun mme genre distingus par leurs accidents . On peut comparer ce texte Dis. Byz., 14, CCSG 39, p. 105 : Les traits hypostatiques tels quun nez aquilin ou camus, des yeux pers, une calvitie et des choses de ce genre, sont des accidents individuants dtres diffrents les uns des autres par le nombre. Il apparat que les accidents rap-ports aux individus correspondent ce qui est mentionn comme tant les traits hypostatiques qui les distinguent, ce qui signifie que ce qui distingue les hypostases est aussi ce qui distingue les individus et rciproquement. Ep. 13, PG 91, 528AB, o lon peut remarquer que Maxime dfi-nit une hypostase de la mme manire quun individu, savoir une essence ou une nature avec des idiomes, cest--dire des particula-rits : De mme en effet que nous disons, pour dfinir simplement une hypostase, quune hypostase est une essence avec des idiomes, ou bien quune essence implique tous les idiomes pris un un en chaque individu ( , , ), de mme disons-nous, en la dfinissant spcifiquement et non simplement, quune hypostase compose est une essence compo-se avec des idiomes, ou bien quune essence compose implique tous les idiomes pris un un dans chaque individu ( , ). En 528C, il joint les deux notions en parlant d une hy-postase individuelle avec les idiomes caractrisant proprement celle-ci ( ) . Dis. Byz., 22, CCSG 39, p. 123-125 : Maxime souligne que les ner-gies relvent de la nature et non de lhypostase ou de la personne, et lon peut constater quil considre comme quivalentes les notions dhypostase (et donc de personne) et dindividu, lesquelles sont ici ap-pliques des hommes et des anges : Nul nopre comme quelquun en tant quhypostase mais comme quelque chose en tant que nature. Par exemple, Pierre et Paul ont une nergie, mais non en tant que Pierre et Paul mais en tant quhommes ; car tous deux sont hommes naturellement, de par le principe commun qui dfinit la nature et non hypostatiquement de par leur qualit propre. De mme, Michel et Ga-briel oprent, mais non en tant que Michel ou Gabriel, mais en tant quanges, car tous deux sont anges. Et ainsi nous discernons, dans toute nature qui comporte beaucoup [dindividus], une nergie com-mune mais non individuelle. Parler donc dune nergie hypostatique implique que la nature elle-mme, qui est une, est rendue infinie en nombre par les nergies, est diffrente delle-mme selon la multitude des individus quelle contient .

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    Th. Pol., 23, PG 91, 264C : Une hypostase compose est une cer-taine essence compose, embrassant tous les idiomes de chacun des tres en un individu particulier ( , , ).

    Lun des textes o est affirme de la faon la plus nette lqui-valence des notions dhypostase et dindividu est cette dfinition de Th. Pol., 18, PG 91, 213A15 : Lunion selon lessence se dit lorsquil sagit des hypostases, cest--dire des individus ( , , ).

    Il est intressant de noter que cette quivalence vaut aussi pour les animaux, auxquels la notion dhypostase est explicite-ment applique en Th. Pol., 21, 248B-249A : Quant aux Pres divins, leur explication brve et concise ne relve pas dun sujet, cest--dire dune essence et nature, mais de ce que lon consi-dre dans lessence et, bien sr, lhypostase. Ils disent donc que la qualit est, dune part, essentielle, comme le raisonnable dun homme ou le hennissement du cheval, et, dautre part, hyposta-tique, comme le nez camard ou aquilin dun homme ou la robe pommele ou alezane du cheval. Ainsi en va-t-il, pour toutes les autres essences ou hypostases cres, [de la qualit] considre en commun ou en particulier, en gnral donc ou en particulier, dans les tres, et par laquelle est reconnue la diffrence des genres et des individus des uns avec les autres, qui discrimine la ralit des choses ( , , , , ).

    La plupart de ces rfrences indiquent une quivalence des no-tions dhypostase et dindividu, et ne renvoient quindirectement la notion de personne (par le biais de lquivalence hypostase-personne) mais parfois Maxime pose de manire explicite lqui-valence des notions dindividu et de personne. Ainsi en Th. Pol., 16, PG 91, 201C : qui nest-il vident quon ne saurait consta-ter sur la mme essence et nature de diffrence dexistence ou dopration naturelle ? Car aucune ne diffre delle-mme ; cest de

    15 Texte figurant galement dans ldition critique de P. van Deun, LUnionum definitiones (CPG 7697, 18) attribu Maxime le Confesseur : tude et dition, dans Revue des tudes byzantines, 58 (2000), p. 145.

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    toute faon impossible. En revanche, cest toujours et partout le cas dans un individu et une personne ( ), sils sont composs.

    On voit galement bien lquivalence dans ce texte de Th. Pol., 26, PG 91, 276AB : Une essence, daprs les philosophes est une ralit fonde en soi et ne la devant rien dautre. Pour les Pres cest une entit naturelle prdique de nombreuses et diffrentes hypostases. Un individu, pour les philosophes, est une collection didiomes dont le concours ne peut se rencontrer en nul autre. Pour les Pres, cest Pierre et Paul ou tel homme dfini par ses idiomes personnels ( ), distincts des autres hommes. Une hypostase pour les philosophes est une essence avec des idiomes. Pour les Pres, cest chaque homme en particulier, personnellement () spar des autres hommes.

    Objections possibles et rponses ces objections

    1. On pourrait objecter que si, dans les textes prcdents lqui-valence apparat frquemment pour les notions d hypostase et d individu , elle napparat que rarement pour les notions de personne et d individu . Mais on peut rpondre que lquiva-lence tant pose entre les notions dhypostase et de personne, il en dcoule celle des notions de personne et d individu , en vertu du principe logique que si A=B et A=C, alors B=C.

    2. On a avanc largument que la notion dindividu est dune nature diffrente de celle dhypostase ou de personne : alors que ces deux dernires notions seraient des catgories ontologiques, la notion dindividu serait une catgorie logique, prenant place dans un systme de classification (dorigine aristotlicienne lgrement modifi par les disciples noplatoniciens dAristote, en particulier Porphyre), ne prenant son sens que par rapport aux catgories de lessence, de la nature, et plus particulirement du genre, et dsi-gnant au sein de celui-ci le plus petit lment (qui reste inscable : cest le sens propre datomon) rsultant de sa division ; la notion dindividu serait donc lie celle de nombre, et aussi celle de division, et donc de sparation16.

    16 Cf. J. Zizioulas, Person and nature [voir n. 3], p. 91 : Atomon reste pour Maxime une catgorie qui appartient au domaine des essences []. Atomon diffre, en consquence, fondamentalement dhypostasis et de pros-pon parce quil tombe sous la catgorie de la nature. Il peut tre utilis

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    Cela apparat particulirement en Th. Pol., 16, PG 91, 201D-204A o Maxime montre que le Christ, en tant quhypostase ou personne compose, ne peut tre considr comme un individu : Jomets de dire que la personne compose du Christ nest pas dite proprement un individu, car elle na pas de rapport avec la division faisant descendre du genre le plus gnral, par les espces subalternes, vers la forme la plus spcifie, qui circonscrit en cette dernire son propre procs. De l que, selon le sage Cyrille, pour cette raison, le nom de Christ na pas valeur de dfinition, car ce nest pas une forme prdique dentits diffrencies par le nombre, ni certes ne dsigne-t-il lessence de quelque chose. Il nest pas non plus un individu rductible une espce ou un genre, ou cernable par eux selon lessence ; mais hypostase com-pose identifiant en soi, au sommet, la sparation naturelle des extrmes, les amenant en unit par lunion de ses parties propres.

    Il nest cependant pas possible de dduire de ce texte une diffrence et a fortiori une opposition entre les notions dhypos-tase ou de personne et la notion dindividu : il est question de lhypostase compose du Christ qui constitue un cas unique dune hypostase qui unit deux natures. En tant que Dieu-homme, le Christ nest pas un membre dune essence ou dune nature, ou encore dun genre uniques qui comporteraient une multiplicit dindividus.

    Maxime le note en Ep., 12, PG 91, 488AB : le nom Christ nest pas l pour signifier une essence, cest--dire une nature en tant que genre dune srie de multiples individus diffrents par hy-postase, comme le dit le bienheureux Cyrille dans les scholies : Ce nom de Christ na pas valeur de dfinition pas plus quil ne montre lessence dun certain [type] ; cest celui de lhypos-tase du Verbe comprise comme assumant une me notique. Lhomme non plus na pas une seule nature [faite] dune me et dun corps ; cest le nom dun genre spcifi par rapport aux autres par la diffrence de constitution len sparant et gale-ment affirm des individus quelle englobe. Il le redit en Ep., 13, PG 91, 517D o il montre que le Christ, en tant que Dieu-

    comme un quivalent dhypostasis seulement dans la mesure o il indique la particularit et lindividualit. Sil est identifi avec hypostase ou personne, il conduit une totale confusion entre nature et hypostase. Cf. aussi et surtout D. Skliris, Hypostasis [voir n. 3], p. 438-444.

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    homme, nest pas une nature gnrique : si le Christ tait une nature gnrique, elle serait prdique par le nombre des diff-rents [individus], lvidence, et seulement en pense en ceux qui lui doivent dexister, et elle ne serait pas connue en une certaine hypostase propre, en Lui-mme, sans les accidents qui sont dans les individus quelle comporte. Telle est la dfinition et la raison de toute nature gnrique. Et aussi en Ep., 13, PG 91, 528D-529A : Quils nous montrent donc que lhypostase compose du Christ dpend dune nature compose, autorisant ainsi des parties contemporaines, et quils nous reprochent alors avec raison [notre erreur]. Tant quils ne le peuvent, ils btissent leurs opinions sur des sables mouvants. Car celui qui sefforce de ramener le Christ sous ces absurdits, parce quIl est hypostase compose, ce que nous reconnaissons aussi avec pit, erre gran-dement hors la route menant la vrit, ou pour mieux dire, de la vrit elle-mme. Car cest le grand et vnrable mystre du Christ. Celui-ci na pas, comme un individu, une nature gn-rique, telle une espce ; ni, certes, nest-Il ce genre Lui-mme ou lespce pour des individus y ressortissant naturellement. De sorte quIl nentre dans aucun de ces canons susdits ; de mme quil ny a pas, semblable et similaire la rencontre [des par-ties] pour les [tres] composs, une rencontre du Verbe de Dieu avec la chair pour Le composer.

    Autrement dit, Maxime, qui a t jusqu tablir, en Th. Pol. 16, PG 91, 201C, une quivalence entre les notions de personne compose et dindividu compos, veut moins montrer dans la suite immdiate, en Th. Pol., 16, PG 91, 201D-204A, que le Christ nest pas un individu, que le fait quil nest pas un individu dun genre. A fortiori na-t-il aucunement lintention dtablir une quel-conque opposition entre les notions de personne ou dhypostase et la notion dindividu.

    Maxime est dailleurs loin de considrer que la notion dindi-vidu est indissociable de celle de genre. On trouve un certain nombre de textes o il voque les individus en tant que compris sous la nature, ou en tant que se rapportant une essence, ou bien encore en tant que compris sous un genre ou une espce ; certains de ces textes associent la notion dindividu celle de nombre :

    Pyr., PG 91, 304D : Si le vouloir se trouve en tous les hommes et non pas en certains et non dans les autres, et si ce que lon peroit

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    comme un lment commun en tous est un caractre de la nature dans les individus qui sont sous cet lment commun, cest donc par nature que lhomme est dou de la volont. Pyr., PG 91, 336BC : lunit de lhomme selon lespce et lunit de lme et du corps selon lessence ne sont pas identiques. Car luni-t de lhomme selon lespce dsigne la parfaite similitude qui rgne entre tous les individus compris sous la nature. Pyr., PG 91, 345BC : Quant lopration vitale [de sa nature hu-maine], [le Christ] la montre en respirant, parlant, voyant, enten-dant, touchant, humant les odeurs, mangeant et buvant, remuant les mains, marchant, et faisant les autres actes qui, en tous les indivi-dus compris sous la nature, montrent lidentit de lopration selon la nature. Ep., 13, PG 91, 513B : le nombre ne caractrise pas la particula-rit dindividus dun mme genre distingus par leurs accidents . Ep., 15, PG 91, 564BC : Si [le nombre] tait un accident, soit une qualit, il ferait une particularit diffrenciante et, impliqu dans le genre, il entrerait dans la dfinition dun de ses spcimens ; et il indiquerait le genre, non la quantit ; ou bien, coapt au spci-men, il ferait se discerner entre eux les individus du genre ; ou bien il ferait la diffrence proprement dite, dans la collection de tous les idiomes en un individu, qui le diversifierait, pas seulement lui dun autre mais en le dsignant spcialement. Si dans les dfinitions des choses personne ninclut le facteur nombre, cest quil nest ni es-sence ni qualit. Ep., 15, PG 91, 565D-568A : Jamais la divinit et lhumanit ne deviennent essentiellement identiques, afin que rien de cr ne soit, par lunion, consubstantiel et conaturel la divinit. Parce que nous savons que cest dun esprit insane de les dire consubs-tantiels par nature. Car le consubstantiel et le conaturel ne peuvent se dire que des seuls individus qui par leur genre se ramnent une seule essence. Car il ne se peut quune nature soit de mme genre et de mme essence quune autre. Le consubstantiel et le conaturel ne peuvent se dire que des seuls individus qui par leur genre se ramnent une seule essence.

    Les textes les plus prcis ce sujet figurent dans Ep., 13, PG 91, 528B : Les [idiomes] considrs en commun dans les indivi-dus dun mme genre caractrisent principiellement le gnrique de lessence ou de la nature dans les individus qui sont sous elle. Le compos est commun tous les individus qui sont sous un genre compos ; donc le compos caractrise principiellement une nature compose dans les individus qui sont sous elle, mais non une hypos-tase ; et dans Th. Pol., PG 91, 264C : Ce que lon considre de

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    commun dans les individus qui sont sous un mme genre est ce qui caractrise lessence ou nature, principiellement dans les individus qui sont sous lui, et gnralement le commun de tous les individus qui sont sous un genre compos.

    Par ailleurs on peut constater que ce nest pas seulement lindi-vidu que Maxime rfre au genre, mais aussi lhypostase ou la personne, comme on peut le voir dans ce passage dEp., 15, PG 91, 549C : Ceux qui sont unis sous une seule et mme essence ou nature se distinguent les uns des autres par les hypostases ou les personnes, comme il en va des anges, des hommes ou de toutes les cratures considres dans une espce ou un genre.

    Si lon prend en compte lensemble des textes cits prcdem-ment, on peut faire les remarques suivantes :

    a) Maxime voque plusieurs reprises les individus en tant qutant sous un genre ; mais il les prsente aussi comme tant sous une essence, et souvent comme tant sous une nature. Il ne fait donc pas un usage troitement scolastique de la notion, en la situant exclusivement sous le genre, dans un systme de classifica-tion de caractre abstrait o elle prendrait un sens exclusivement numrique.

    b) Ce qui est dit alors de lindividu en tant que compris par une nature ou une essence peut se dire aussi bien de lhypostase ou de la personne. Et inversement, ce qui se dit de lhypostase ou de la personne, peut se dire aussi bien de lindividu, lexception du cas particulier et unique de lhypostase compose du Christ, du fait prcisment quelle est compose.

    Dans la suite du passage cit prcdemment de Ep., 13, PG 91, 528B, o Maxime rapporte fortement lindividu au genre, on peut noter que les notions dindividu et dhypostase restent quivalentes et nen forment quune puisque Maxime parle mme d hypostase individuelle : toute dfinition ressortit ce qui est commun aux individus achevs sous celle-ci. Et tous ceux qui en dpendent tirent par nature leur principe descriptif de ces gn-ralits ; parce quil est bien clair que ce qui dfinit est ce qui est proprement et principalement. Si cela est vrai, et ce lest, il est vident que quiconque parle dune hypostase compose ramene sous une nature, indique ce qui existe gnralement par le com-mun de lessence en une hypostase individuelle ( ) avec les idiomes caractrisant proprement celle-ci.

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    De sorte que, qui parle dhypostase compose accomplie par une nature ne dit rien dautre quune nature, soit une essence, compo-se avec des idiomes. Si donc, comme on la montr, toute nature compose nest que rencontre non dlibre, sans choix propre, de ses parties, elle acquiert ces parties en mme temps, contem-poraines, et accomplit lentiret que lon considre en les tres chacun un tout en son genre. Aussi chaque hypostase a-t-elle sa mme constitution invariable en son genre et espce (Ep., 13, PG 91, 528B-D).

    En Th. Pol., 14, PG 91, 152B, on peut constater que la notion dhypostase est utilise, comme quivalente celle dindividu, alors mme quil sagit de dsigner un spcimen appartenant un genre : Une diffrence hypostatique est un logos selon lequel lal-trit de lassemblage des idiomes, considrs dans le commun de lessence, fait la quantit des individus en les sparant les uns des autres en nombre ( , , , , ).

    Il en va de mme en Th. Pol., 14, PG 91, 152D-153A, o lon peut noter en outre que la notion dhypostase est connecte avec celle dessence, tandis que la notion dindividu est connecte avec celle dexistence (ce qui subvertit totalement les catgories du personnalisme-existentialisme moderne) : Le propre de lenhy-postasi, cest ou bien dtre reconnu avec un autre diffrent en essence en une hypostase indissoluble, ou bien ce qui se trouve naturellement dans les individus par existence ( , .).

    En Th. Pol., 16, PG 91, 197BC, on voit aussi que la notion dindividu est utilise dans un contexte o pourraient tre aus-si bien utilises la notion dhypostase et celle de personne : Je mempresse de dire quaucun des traits naturels nest rapporter primordialement lindividu, mais sa nature et son essence.

    c) La distinction numrique ne fait pas seulement appel la notion dindividu, mais peut tre exprime aussi par la notion dhypostase, comme le montre ce passage de Th. Pol., 14, PG 91, 152D : Le propre de lhypostase, cest le fait dtre vue en soi et dtre distingue numriquement des autres de mme genre.

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    La personne nest pas plus relationnelle que lindividu nest sparant

    Lide que lindividu serait sparant ou divisant alors que la personne ou lhypostase ne le serait pas (ide chre au personna-lisme moderne, en grande partie fonde sur une opposition per-sonne-individu) ne se vrifie pas dans la pense de Maxime.

    1. Premirement, Maxime considre lhypostase comme ce qui distingue des tres de mme nature et particularise en chacun deux le commun de lessence ou de la nature :

    Ep., 15, PG 91, 557D : une hypostase, cest ce qui est en soi dune manire distincte et constitue, puisque, dit-on, lhypostase est une essence avec des idiomes, diffrente par le nombre des tres du mme genre. Th. Pol., 14, PG 91, 152D : Le propre de lhypostase cest le fait dtre considre en soi et dtre distingue numriquement des autres du mme genre17. Th. Pol., 23, PG 91, 265D : Une hypostase est ce qui tablit et circonscrit dune manire particulire, en quelque chose, le commun et lincirconscrit. Une hypostase est quelque chose qui a avec luni-versel quelque chose de singulier. Th. Pol., 26, PG 91, 276B : Selon les Pres, lhypostase, cest chaque homme en particulier, personnellement spar des autres hommes.

    Autrement dit, lhypostase ou la personne est plutt ce qui met part lun de lautre les tres appartenant une mme nature, ou ce qui distingue et mme spare un tre dun autre tre de mme essence, et donc ce qui assure chacun des tres appartenant une mme essence ou nature une indpendance ou une autonomie par rapport aux autres. Maxime sinscrit en cela dans une ancienne tradition qui se continuera aprs lui. Trs tt dans la littrature chrtienne (chez Origne notamment), lhypos-tasis dsigne une existence individuelle, concrte et distincte, et va de pair avec la notion de particularit (18). Thodoret

    17 Cf. L o n c e d e B y z a n c e : Lhypostase se dfinit ainsi : ceux qui sont les mmes par la nature et diffrent pas le nombre (Contra Nestorianos et Eutychianos I, PG 86-1, 1280). On voit que le dnombrement nest pas propre lindividualit comme laffirment Yannaras et Zizioulas la suite de Berdiaev (au sens o ils entendent la notion dindividualit).

    18 Voir B. Meunier (d.), La Personne [voir n. 6], p. 172-173 ; M. Trnen, Union [voir n. 2], p. 53-55.

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    de Cyr note que suivant la doctrine des Pres, il y a entre les-sence et lhypostase la mme diffrence quentre le commun et le particulier19 . S. Basile de Csare crit de mme que le rapport qui existe entre lessence et lhypostase est le mme que celui qui existe entre le commun et le particulier20. S. Grgoire de Nysse semontre plus prcis en notant que lorsque nous appelons quelquun, nous ne le nommons pas daprs sa nature, pour viter que le ca-ractre commun de ce nom nengendre quelque erreur, [] mais [] nous utilisons le terme qui se rapporte lui en propre je veux dire celui qui signifie le sujet , et nous le sparons de la multitude21. Lonce de Jrusalem, qui est lun des auteurs qui ont le plus contribu prciser la notion dhypostase dans le contexte des controverses christologiques, mais qui a aussi beaucoup inspi-r Maxime dans son vocabulaire, se montre trs prcis dans cette conception de lhypostase en soulignant quelle sapplique aussi bien la personne, et en allant jusqu parler non seulement de sparation mais dloignement : Lhypostase, outre quelle est la composition [de plusieurs proprits particulires] et quelle mani-feste lindividu-sujet ( ) comme spar de tous ceux de mme espce et dautres espces selon sa marque distinctive particulire, est par elle-mme un quelque chose, un loignement (22) et une distinction () des substances indistinctes pour les nombrer chacune personne par personne ; ces t pourquoi les Pres nomment cette hypostase personne23 . On retrouvera plus tard la mme conception chez S. Jean Damascne, qui note que le nom dhypostase signifie lexistence par soi et autosubsistante et, selon cette signification, il dsigne lindividu distinct par le nombre24 .

    2. Deuximement, il faut cependant noter que distinction et mme sparation et loignement entre les tres (dans un sens oppos celui de lindistinction et de la confusion) ne signifie pas division et encore moins opposition.

    19 Eraniste I, d. Ettlinger, p. 64 ; cf. p. 65.20 Lettres, 214, 4, d. Courtonne, t. II, p. 205.21 Ad Ablabium, GNO III-1, p. 40.22 Contre les Nestoriens, II, 1, PG 86-1, 1529D. On voit que cette

    caractristique nest pas propre lindividualit comme laffirme Zizioulas (au sens o il entend ce dernier terme).

    23 Contre les Nestoriens, II, 1, PG 86-1, 1529D.24 Dialectica, 43, PTS 1, p. 108.

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    3. Troisimement, on peut voir que les individus restent unis entre eux malgr leur proprit distinguante et en un certain sens sparante, par les logoi du genre ou de la nature auxquels ils appartiennent (ce qui relve du principe gnral selon lequel il y a dans la nature une unit dans chaque degr ralise par le degr suprieur, les logoi gnraux jouant un rle unifiant par rapport aux logoi particuliers, comme cela est indiqu en Amb. Io., 41, PG 91, 1312CD).

    4. Quatrimement ce qui, selon la pense de Maxime, tablit une vritable division et opposition entre les tres est la gnm, qui relve dune disposition particulire de lhypostase ou de la personne humaine (voir entre autres Ep., 2, PG 91, 396C-D, 400CD) ; une telle division nest pas lie une catgorie logique ou ontologique comme celle dindividu. Inversement, les hypos-tases ou personnes ne sont pas de par leur ralit mme ou ontologiquement pour reprendre le langage de la philosophie personnaliste-existentialiste unifiantes, mais lunion qui sac-complit entre elles rsulte dune orientation positive de la mme gnm.

    On peut dire que Maxime ne voit entre la personne et lindi-vidu aucune diffrence dordre ontologique : le fait que lindividu puisse apparatre dans certains contextes comme une catgorie logique nexclut pas quil puisse avoir aussi un caractre ontolo-gique.

    On peut noter corrlativement quil ny a pour Maxime dans la notion de personne aucune connotation relationnelle, ni aucune connotation thique positive particulire, ni aucune connotation ontologique, contrairement ce que lon trouve dans la conception qua de la personne le personnalisme-existentialisme moderne.

    Ascendance et postrit patristiques

    Lquivalence (except dans le cas particulier de lhypostase compose du Christ) des notions dhypostase, de personne et dindividu tait dj admise chez les prdcesseurs de Maxime : dabord chez les Cappadociens25, puis chez les thologiens byzan-tins qui ont continu prciser ces notions, comme Lonce de By-

    25 En ce qui concerne Grgoire de Nysse, voir L. Turcescu, Person versus Individual , and other Modern Misreadings of Gregory of Nyssa, dans Modern Theology, 18 (2002), p. 533-534.

  • j.-c. larchet60

    zance et Lonce de Jrusalem. S. Grgoire de Nysse par exemple crit : Si quelquun disait quon dit de Pierre, Paul et Barnab quils sont trois essences partielles (il est vident que cela veut dire particulires) en effet, il nest pas inexact de le dire , quil sache que quand nous disons essence partielle, cest--dire particulire, nous ne voulons signifier rien dautre que individu, cest--dire personne. Car, mme si nous disons trois essences partielles, cest--dire particulires, nous naffirmons rien dautre que trois personnes. Et le nom Dieu ne correspond pas aux personnes, comme il a t montr ; donc pas non plus lessence partielle, cest--dire particulire. En effet, essence particulire, employ pour les individus, est identique personne26. Ce pas-sage est intressant non seulement parce quil pose trs claire-ment lquivalence des notions dindividu et de personne, mais applique la notion dindividus aux trois personnes divines, contre-disant laffirmation de Zizioulas selon laquelle un tel usage serait inexistant chez les Pres. Un autre passage de la mme uvre raffirme lquivalence des notions dhypostase et dindividu (et, au passage, de personne) en prenant pour exemple des personnes humaines, mais en affirmant par la suite que le raisonnement (et le vocabulaire quil implique) est transposable ce qui concerne les personnes divines27. On peut noter en complment que Gr-goire de Nysse appliquait la notion dhypostase galement aux animaux : Une chose se distingue dune autre chose soit par les-sence, soit par lhypostase, soit par lessence et par lhypostase ; ainsi cest par lessence que lhomme se distingue du cheval, cest par lhypostase que Pierre se distingue de Paul, et cest par les-sence et par lhypostase que telle hypostase de lhomme se dis-tingue de telle hypostase du cheval28.

    On retrouve lquivalence, encore plus strictement affirme chez Jean Damascne, qui est le continuateur de Maxime mais qui propose aussi dans son uvre une synthse des acquis patris-tiques des poques prcdentes :

    Les saints Pres ont appel substance, nature et forme ce qui est communment attribu une pluralit dindividus, cest--dire lespce spcialissime, par exemple, lange, lhomme, le cheval, le chien et ainsi de suite. Certes, la substance tient son nom du verbe

    26 partir des notions communes, aux Grecs, 6, GNO III-1, p. 23.27 partir des notions communes, aux Grecs, 18, GNO III-1, p. 30-33.28 partir des notions communes, aux Grecs, 16, GNO III-1, p. 29.

  • hypostase, personne et individu 61

    tre, et la nature tient son nom du verbe tre par nature, mais le verbe tre et le verbe tre par nature sont identiques. Dail-leurs, la forme et lespce signifient la mme chose par nature. Le plus particulier, ils lont appel individu, personne et hypostase, par exemple, Pierre, Paul29. Le nom dhypostase [] signifie ce qui est et subsiste individuelle-ment par soi, et, daprs cette signification, il signifie lindividu num-riquement distinct, par exemple, Pierre, Paul, tel cheval30. Personne () est ce qui, par ses propres activits et pro-prits, nous fournit une manifestation claire et distincte par rap-port aux autres tres de mme nature que lui. Par exemple, lorsque Gabriel parla la Sainte Mre de Dieu, bien quil ft lun des anges, il fut seul parler en ce lieu, spar des anges de mme substance par sa prsence en ce lieu et par son discours. Et lorsque Paul parlait,debout sur les degrs, bien quil ft lun des hommes, il se distin-guait des autres hommes par ses proprits et ses activits. Il faut savoir que les saints Pres ont appel hypostase (), personne () et individu () la mme chose, savoir ce qui est et subsiste individuellement par soi, constitu de substance et dacci-dents, distinct par le nombre et dsignant quelquun de dtermin, par exemple, Pierre, Paul, ce cheval-ci. On lappelle hypostase () partir du verbe subsister (31).

    Conclusion : la souplesse du vocabulaire maximien

    En conclusion, on peut constater que chez Maxime (comme chez ses prdcesseurs dont il dpend et chez ses successeurs qui se reconnaissent comme ses continuateurs), les notions dhypos-tase, de personne et dindividu sont pratiquement quivalentes et que chacune dentre elles est utilise avec une certaine souplesse. Elles semblent, dans certains contextes, avoir des connotations particulires, mais elles les perdent dans dautres contextes, et semblent globalement interchangeables32.

    La notion dhypostase reste, chez Maxime comme chez ses pr-dcesseurs, beaucoup plus utilise que celle de personne ou dindi-

    29 Dialectica, 31, PTS 7, p. 94.30 Dialectica, 43, PTS 7, p. 108.31 Dialectica, 44, PTS 7, p. 109.32 Nous renvoyons aux tudes particulires mentionnes dans la note

    1, et ce qui reste la meilleure tude densemble (incluant Maxime) : B. Meunier (d.), La Personne et le christianisme ancien, Paris, 2006, qui analyse la signification des notions dhypostase, de personne et de nature chez les Pres des origines S. Jean Damascne.

  • j.-c. larchet62

    vidu, et cest pourquoi son sens parat plus large que celui de ces deux dernires notions. Elle sert le plus souvent dsigner un tre existant concret qui, au sein dune mme nature, se distingue dun autre existant concret par des proprits particulires quil synthtise. Lhypostase parat donc avoir un rle la fois de dis-tinction (voire de sparation, ce qui ne signifie pas de division) et de synthse, lun ou lautre de ces aspects pouvant tre valo-ris selon le contexte. L hypostase compose du Christ constitue un cas particulier. En dehors de ce cas particulier, les notions de personne et dindividu peuvent avoir les mmes connotations que celle dhypostase.

    Les trois notions ne peuvent en tout cas se distinguer selon les catgories troitement scolastiques et les connotations particu-lires que leur prte, de manire anachronique, le personnalisme existentialiste moderne.

    Jean-Claude Larchet14, rue des AlouettesF-57350 SpicherenFrance

    Summary. Upholders of modern personalism cannot, without anachronism, find in Maximus a foundation for their conceptions, lending the person an axiological sense in relation to the hyposta-sis, or which opposes the person and the individual by providing the person a relational connotation and the individual a separat-ing and egoistical connotation linked to current conceptions of individualism. Indeed, an analysis of the texts of Maximus cor-pus shows that, for the Confessoras for the predecessors upon whom he depends (the Cappadocians, Leontius of Jerusalem) and among successors who see themselves as his continuators (John of Damascus), the concepts of hypostasis, person and in-dividual are practically equivalent and that each of them is used with a certain flexibility. In certain contexts, they seem to have particular connotations, but lose them in other contexts, and fi-nally appear as being generally interchangeable.

    Rsum Les tenants du personnalisme moderne ne peuvent, sans anachronisme, trouver en Maxime un fondement leurs conceptions qui donnent la personne un sens axiologique par

  • hypostase, personne et individu 63

    rapport lhypostase, ou qui opposent la personne et lindividu en donnant celle-l une connotation relationnelle et celui-ci une connotation sparante et goste lie la notion actuelle din-dividualisme.

    Une analyse des textes du corpus maximien montre en effet que, pour le Confesseur comme pour ses prdcesseurs dont il dpend (les Cappadociens, Lonce de Jrusalem...) et chez ses successeurs qui se reconnaissent comme ses continuateurs (Jean Damascne) , les notions dhypostase, de personne et dindi-vidu sont pratiquement quivalentes et que chacune dentre elles est utilise avec une certaine souplesse. Elles semblent, dans cer-tains contextes, avoir des connotations particulires, mais elles les perdent dans dautres contextes, et apparaissent, au final, comme tant globalement interchangeables.

    Zusammenfassung. Die Verteidiger des modernen Persona-lismus knnen ohne Anachronismus in Maximus keine Grundlage fr ihre Auffassungen finden, die der Person einen axiologischen Sinn in Bezug auf die Hypostase geben. Ebenso wenig fr die Ansichten, die der Person und dem Individuum entgegengesetzt sind, indem sie dem einen eine relationale Konnotation, dem an-deren eine der aktuellen Auffassung des Individualismus verbun-dene trennende und egoistische Konnotation geben.

    Eine Analyse der Texte des maximilianischen Korpus erweist in der Tat, dass fr Maximus Confessor wie fr seine Vor-gnger, von denen er abhngt (die Kappadokier, Leontius von Byzans,...) und seine Nachfolger, die sich als seine Fortsetzer be-schauen ( Johannes von Damaskus) die Konzepte der Hypos-tase, der Person und des Individuums grundstzlich gleichwertig sind, und dass jedes von ihnen mit einer gewissen Flexibilitt ve-rwendet wird. In bestimmten Kontexten scheinen sie eigene Kon-notationen zu haben, verlieren diese aber in anderen Kontexten und scheinen letztendlich im Ganzen austauschbar zu sein.