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Page 1: La Russie d'Aujourd'hui- Février 2011

Ce supplément de huit pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu

Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux

Distribué avec

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Mercredi 16 février 2011

L’an dernier, le premier ministre Vladimir Poutine a annoncé un plan sur vingt ans de moderni-sation de l’industrie pharmaceu-tique nationale, assorti d’un � -nancement public de 2,2 milliards d’euros, qui devrait permettre aux sociétés russes d’être plus présentes sur les marchés inter-nationaux.Le chef du gouvernement a dé-claré qu’il voulait que 90% des médicaments essentiels et 50% de l’équipement soient fabriqués en Russie d’ici à 2020, et que l’ex-portation des produits pharma-ceutiques soit multipliée par huit. Les entreprises pharmaceutiques et les fabricants de matériel mé-dical étrangers qui n’importe-ront pas leurs technologies et leurs usines en Russie feront face à des restrictions sévères sur les ventes de leurs produits dans le pays, a-t-il prévenu. « Nous crée-rons des restrictions sur notre marché s’ils n’importent pas leurs usines et leurs technolo-gies », a prévenu Poutine, ajou-tant que des barrières douaniè-res seraient mises en place. progressivement.

La pilule douanièreAlors que les producteurs de médicaments étrangers dopent leurs positions en Russie, Moscou annonce des mesures protectionnistes pour relancer son industrie pharmaceutique.

Lioudmila Oulitskaïa ou le chaînon manquant

Les blinis sans états d’âme

Entretien exclusif avec la romancière qui a reçu le Prix Simone de Beauvoir.

Les Russes donnent libre cours aux tentations du Mardi gras avant les priva-tions du Carême.

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VERONIKA DORMANSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

RACHEL MORARJEEBUSINESS NEW EUROPE

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« La Russie sans Poutine ! », scan-de la foule. Lundi 31 janvier, c’est l’heure de pointe à Moscou, et l’op-position se réunit comme tous les 31 des mois qui ont 31 jours pour défendre l’article 31 de la Consti-

tution, celui qui garantit le droit de rassemblement. Les émeutes égyptiennes sont dans tous les es-prits, et les orateurs, à la tribune, comparent Poutine à Mouba-rak. Sauf que les manifestants mos-covites sont moins d’un millier, parqués sur une place exiguë as-siégée par deux mille policiers et militaires. En novembre, les auto-rités de la capitale ont � ni par consentir à cette manifestation sur la place Trioumfalanaïa, sans renoncer à mobiliser massivement uniformes et matraques et à em-

La matraque retombe sur les ‘mécontents’

Opposition Le dur retour à la réalité de la réaction musclée

Les touristes russes en Égypte ont majoritairement refusé d’écourter leurs vacan-ces au plus fort des manifestations qui ont secoué le pays.

Pas de panique sous le soleil

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Offensive bancaireLa banque d’ État russe VTB part à la conquête de l’épar-gne des Français en se lançant sur le marché des comptes à terme à l’aide d’une stratégie très agressive.

Décidée à mettre toutes les chances de son côté, la Russie se décide pour la première fois à naturaliser des sportifs étrangers de haut niveau, susceptibles de décrocher des médailles olympiques.

Passeport pour la gloire

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Eltsine : quand la foi survit aux échecs

OPINIONS

Le diplomate Wayne Merry était en poste à l’ambassade américaine à Moscou lors du premier mandat de Boris Elt-sine, dont il garde un souvenir admiratif. Il évoque aussi les deux graves erreurs que furent selon lui la guerre en Tchét-chénie et le second mandat.

RIA NOVOSTI

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Lorsque le Président Dmitri Medvedev a effectué une visite surprise dans l’une des princi-pales gares ferroviaires de Mos-cou le 10 février, il n’a non seu-lement pas vu un seul détecteur de métaux pour � ltrer les voya-geurs, mais il n’a pas non plus croisé un seul policier. Dix-sept jours après le drame qui a coûté la vie à 36 personnes et en a bles-sé 200 autres, il a dû constater que les promesses faites à la po-pulation pour assurer sa sécu-rité ne sont guère suivies d’effet dans les services responsables. Exaspéré, le président russe a menacé de faire tomber des têtes et donné trois jours au patron des chemins de fer russes pour « mettre de l’ordre dans les gares de Moscou puis venir s’expliquer dans mon bureau ». Ce n’est pas la première fois que le chef de l’État exprime sa frustration.

Moscou face au défi terroristeSécurité Colère et résolution après l’attentat dans la capitale

SUITE EN PAGE 3 Le Président Medvedev a procédé à plusieurs visites surprises pour inspecter les grands centres névralgiques de la capitale.

barquer les militants par dizai-nes, souvent avec violence. Le 31 décembre dernier, quelques chefs de � le de l’opposition ont été arrêtés et condamnés à des peines de 5 à 15 jours d’incarcé-ration. Sortis de prison, Boris Nemtsov, l’ex-vice premier minis-tre devenu opposant, Edouard Li-monov, chef du parti national bol-chévique, et Ilya Iachine, membre du parti de la liberté du peuple, ont expliqué qu’il s’agit d’une « loukachenkisation » (en réfé-rence au dictateur biélorusse ré-cemment réélu dans un climat de violence) du régime de Poutine. Selon eux, le premier ministre s’applique à concentrer despoti-quement tout le pouvoir entre ses mains.

CHARLYNE DODIERSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Après l’attentat de l’aéroport international Domodedovo, le Kremlin affiche sa volonté de renforcer la sécurité mais se heurte à l’inefficacité des mesures prises jusqu’alors.

La contestation politique et sociale a enflé tout au long de 2010. Tantôt intraitable, tantôt vaguement conciliant, le pou-voir semble avoir opté pour la répression au lieu du dialogue.

Projet de Rudy Ricciotti, l’une des dix propositions architecturales pré-sélectionnées pour le futur centre orthodoxe russe de Paris.

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Les futures coupoles de Paris

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02 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro Politique en bref

migration12 000 russes onT reGaGné leur PaTrie

médias un corresPondanT éTranGer exPulsé... Puis réadmis

Le programme gouvernemental d’aide au retour volontaire a per-mis d’atteindre un chiffre record avec l’arrivée de 12 000 anciens citoyens soviétiques l’année der-nière, soit une hausse de 30% par rapport à 2009, a déclaré le Service fédéral de Migration de la Russie. Environ 31 000 personnes avaient déjà regagné la Russie avant le lancement du program-me en 2007. Les prévisions ini-

Le correspondant à Moscou du quotidien londonien The Guar-dian, Luke Harding, a été expul-sé du territoire russe le 6 février, du jamais vu depuis la fin de la Guerre froide. Selon le journalis-te, il s’agissait d’une mesure de rétorsion après une série d’arti-cles sous sa plume, présentant le Kremlin sous un jour peu favora-ble dans le cadre des révélations de WikiLeaks, largement reprises

économies d’énergiela russie à l’heure d’éTé TouTe l’année

polémiquel’adieu de lénine à la Place rouGe à l’ordre du jour

La Russie, comme de nombreux pays, changeait d’heure deux fois l’an. Eh bien, cette pratique est désormais révolue par ouka-ze du Président Dmitri Medvedev officialisé le 8 février. Les pendu-les seront avancées d’une heure pour la dernière fois au prin-temps prochain, fixant ainsi l’heure définitive du pays. Pour-quoi une telle réforme ? Outre une volonté affichée du chef de l’État dès 2009 de réduire le nombre de fuseaux horaires en

Le parti du pouvoir Russie Unie relance la polémique autour du Mausolée de Lénine, sur la Place Rouge. Le député de Russie Unie Vladimir Medinski veut voir le leader révolutionnaire enterré. Selon lui, la personnalité de Lé-nine porte à controverse et il es-time sa présence au cœur de Moscou « absurde ». Même si une majorité de Russes semblent favorables à l’enterrement du corps de Lénine, la résistance reste forte, en particulier du côté

Russie, des raisons d’ordre prati-que ont été invoquées. La nuit tombera ainsi moins tôt et les ci-toyens seront débarrassés du stress inutile de ce changement d’heure qui perturberait l’horloge biologique humaine. Quoi qu’il en soit, il faudra dès l’automne pro-chain prendre en compte cette nouvelle heure russe pour calculer le décalage horaire avec la France, qui passera donc à trois heures pour une moitié de l’année, contre deux actuellement.

des communistes. En outre, beau-coup, sans être opposés à l’inhu-mation, jugent la démarche pré-maturée.Pour atténuer la polémique, des solutions sont envisagées, comme l’accueil de la tombe dans un ci-metière militaire commémoratif dans les environs de Moscou. La fermeture du Mausolée, quant à elle, n’est pas envisagée ; le Mau-solée serait conservé pour sa va-leur historique et architecturale et transformé en musée.

tiales chiffraient à quelque 30 000 le nombre annuel de re-tours au pays. Désormais, les efforts seront concentrés sur la qualité, et non la quantité de ces retours, a indiqué le directeur du Service de Migra-tion, Mikhail Tiurkin, ajoutant que de nombreuses personnes quali-fiées - spécialistes, scientifiques ou hommes d’affaires - étaient ve-nues s’installer en Russie grâce au programme d’aide.

par son quotidien. Le ministère russe des Affaires étrangères a invoqué un problème d’accréditation. Problème réglé six jours plus tard, l’ambassade de Russie à Londres ayant délivré un nouveau visa au correspondant britannique. Harding avait réagi dans les colonnes du Guardian, ju-geant impensable « que les jour-nalistes puissent accepter l’auto-censure ».

la matraque retombe sur la tête des « mécontents »

avec le peuple (quatre heures de questions-réponses en direct), le premier ministre Vladimir Pou-tine a expliqué ouvertement qu’il ne laisserait pas l’opposition, les Nemtsov, Ryjkov et autres Milov, membres fondateurs du parti PARNAS, « accéder à la man-geoire ». « Ce jour-là, Poutine a scellé le sort de la démocratie. Il est entré en campagne pour les élections de 2012 en faisant bien comprendre qu’il n’y aurait

Nikolaï Petrov, expert au Centre Carnegie de Moscou, est plus nuancé. Il n’est pas convaincu qu’en agissant contre une mani-festation autorisée, le pouvoir ait annoncé une nouvelle stratégie répressive. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’une réaction ponc-tuelle. « Les actions de rue se sont popularisées partout en Rus-sie, et visiblement les autorités sont dépassées. Mais il est plus facile de s’attaquer à des « por-teurs de barbichette » (comme Poutine appelle les opposants), qu’à une foule énervée de fana-tiques de foot ». Le 11 décembre, 5 000 jeunes ont brutalement tenu tête aux forces de l’ordre, sous les murs du Kremlin. De-puis, Poutine accuse l’opposition libérale d’avoir lancé cette mode nuisible des manifestations de rue. Il est vrai que durant toute l’an-née 2010, la contestation de rue a pris de l’ampleur, encouragée peut-être par les déclarations du Président Medvedev favorables à la critique du pouvoir. Reste que l’étau ne s’est jamais vrai-ment desserré et qu’à la veille de la nouvelle année, ce même pouvoir a de nouveau brandi la matraque. Déjà, durant les der-nières semaines, les quelques pe-tites percées qui avaient pu faire penser à un assouplissement de la poigne dirigeante ont volé en éclats. La défense acharnée de la forêt de Khimki (condamnée par un projet d’autoroute), cause écolo devenue politique, avait porté, semblait-il, ses fruits : face à l’ampleur de la protestation, pen-dant l’été, Medvedev avait déci-dé de tendre l’oreille et suspen-du le chantier… qui a repris de plus belle en décembre. Se sou-venant que l’union fait la force, les leaders des mouvements dé-mocratiques et libéraux ont dé-cidé de se rassembler au sein du Parti de la liberté nationale (PARNAS) « Pour une Russie sans arbitraire et sans corrup-tion », afin de présenter une liste aux législatives de 2011 et un candidat unique aux présiden-tielles de 2012. Mais lors de sa conversation télévisée annuelle

aucun transfert démocratique du pouvoir », ne doute pas Vladimir Ryjkov. Mais ce qui ne tue pas l’opposi-tion devrait la renforcer. « Nous n’avons pas le droit moral de montrer notre faiblesse », s’em-porte Iachine, « le pouvoir veut effrayer ceux qui se prononcent contre lui, mais nous allons conti-nuer à défendre la Constitution ». Seulement, si les leaders et les militants actifs ont la rage au

corps, ils peinent toujours à se constituer une véritable base po-pulaire. Pour Denis Volkov, du centre Levada, c’est parce que leur combat demeure trop abs-trait pour le Russe ordinaire, qui ne comprend pas à quoi lui ser-virait le droit de se rassembler s’il n’a pas celui de vivre digne-ment. « Les gens sont prêts à dé-fendre leurs intérêts particuliers dans une forme d’opposition so-ciale, mais ils ne reconnaissent pas en Nemtsov un homme qui s’intéresse à leurs problèmes », explique le sociologue. Ce n’est qu’une question de temps, conclut Nikolaï Petrov : « Les problèmes qui agitent la société ne seront pas résolus en 2011, le mécontentement ne fera qu’augmenter. L’opposition se fé-dère. Quand la protestation aura gonflé et que les mécontents se chercheront des porte-parole, les opposants seront au rendez-vous ». Boris Nemtsov y est déjà, toujours fringant : « Dans l’état actuel des choses, les gens ont besoin d’un parti comme le nôtre. Nos chances augmentent à cha-que tour de vis du pouvoir ».

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suiTe de la Première PaGe

" Nous avons douze priorités législatives qui forment le programme de notre parti,

dont quatre principales : vaincre la corruption systématiquement, mettre sous contrôle l’appareil d’État et les services de sécurité, rétablir des élections libres et équitables, et créer des conditions confortables pour les affaires et la société civile ».

Vladimir RyjkovL’un des quatRe membRes fondateuRs du paRti de La LibeRté du peupLe

alexander braTersKYthe moscow times

une large majorité des 30 000 touristes russes ont tranquille-ment continué de bronzer sur les plages égyptiennes malgré les efforts de leurs voyagistes pour les rapatrier.

Pas de panique sous le soleilTourisme Les émeutes égyptiennes ne gâchent pas les vacances des Russes

retour prématuré seraient in-fluencés par les Anglais, qui continuent d’affluer vers les sta-tions balnéaires de la mer Rouge, Hourgade et Sharm el-Sheikh, estime Mme Lomidze. Mais peut-être est-ce l’inverse ?Les cinq principales compagnies touristiques ont déclaré avoir achevé de rapatrier leurs clients autour du 7 février, a indiqué l’Union russe du tourisme sur son site Web. Les cinq poids lourds de l’Union assurent près de 90% des voyages , indique Er-Portal.ru.Les acteurs plus modestes de la filière se sont également mani-festés. « Nous avons cessé les ven-tes (de voyages en Égypte) jusqu’à ce que la situation revienne à la normale », a déclaré le 4 février au Moscow Times un porte-pa-role de l’agence Elite Tours basée à Moscou. L’ Égypte tente tant bien que mal de renouer avec la normalité après plus de deux semaines de violentes manifestations politi-ques et de combats de rue qui

Émeutes ? Connais pas ! Seuls 30% des touristes auraient ac-cepté d’écourter leur séjour en Égypte, alors que les opérateurs s’efforcent de convaincre les va-canciers de rentrer au bercail, selon Maya Lomidze, directrice de l’Union russe du tourisme. Certains Russes continuent à partir pour l’ Égypte, organisant leur voyage indépendamment, sans passer par les voyagistes, a révélé la porte-parole de l’asso-ciation du tourisme Elena Tiou-rina. L’État n’a ordonné aucune éva-cuation, les touristes se voyant simplement offrir la possibilité de changer leur billet de retour pour une date plus proche. Les touristes russes opposés au

ont fait des centaines de victi-mes. Les banques reprennent épi-sodiquement leurs opérations et l’opposition entame des négocia-tions avec le gouvernement, mais difficile de dire si cette trêve sera durable. Plus de 300 personnes ont été tuées et des dizaines blessées de-puis le 25 janvier, date à laquel-le les manifestants ont investi les rues pour exiger le départ d’Hosni Moubarak. On n’a constaté aucune violence

dans les villes balnéaires, mais la qualité des services offerts aux touristes est réduite, selon les voyagistes qui précisent que cer-tains hôtels avaient annulé le mode de restauration « tout com-pris » pour les clients. Les organisateurs ont proposé des destinations alternatives comme la Turquie et la Thaïlan-de pour les personnes ayant ré-servé des voyages en Égypte. La Turquie est d’ailleurs la premiè-re destination touristique des Russes devant... l’ Égypte.Les conséquences de la « révo-lution du Nil » sur l’industrei touristique russe sont difficiles à évaluer, d’autant qu’Elena Tiourina qualifie la situation de « sans précédent ». Février est la saison basse (c’est aussi le mois le plus froid en Russie), et la plu-part des voyages vendus à cette époque sont à bas prix. Mais sans doute faut-il plus qu’une révo-lution pour décourager les Rus-ses de partir ou les faire rentrer avant l’heure dans leurs contrées septentrionales !

C’est la fréquentation russe sur le total des visiteurs étrangers en Égypte. Selon les chiffres de l’in-dustrie touristique, près de deux millions de Russes ont séjourné dans ce pays en 2009.

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03LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro société

Yulia TaranoVaLa russie d’aujourd’hui

la course aux médailles a conduit à briser un tabou patriotique. mais la délivrance de passeports aux étrangers susceptibles de rapporter de l’or ne fait pas l’unanimité.

Passeports pour la gloire sous la bannière russe

sport Moscou joue la naturalisation des sportifs de haut niveau

t e r l e s r u d e s obstacles de l’appren-tissage de la langue et de la culture en dehors des entraîne-ments. A quoi s’ajoute une souf-france morale due au fait d’être rejeté des deux côtés. « Les mé-dias ont été très critiques », ex-plique Holden. « Mais c’est la vie, et les grandes chances vont de pair avec beaucoup de bon et de mauvais », conclut-il avec philo-sophie. Natif de Pittsburg en Pennsyl-vanie, John Holden est arrivé à Moscou en 2003 avec ses préju-gés : « Comme la plupart des Américains, je croyais que la Rus-sie ressemblait à ce qu’on en voit dans le film Rocky ». Le jeune basketteur, non sélec-tionné par la NBA – le cham-pionnat américain – avait été re-marqué par plusieurs clubs européens. Il a fini par choisir le CSKA de Moscou et par obtenir la nationalité russe. Holden a mené le CSKA à deux champion-nats de l’Euroligue, et l’équipe nationale au titre de champion d’Europe en 2007 avec un pa-nier à la dernière minute contre l’Espagne.Hammon, qui joue dans l’équipe nationale féminine de basket, est arrivée en Russie pour devenir championne olympique. Après avoir joué huit ans dans des équi-pes américaines, elle n’a pas été retenue par les sélectionneurs de l’équipe nationale. Sa décision de partir a provoqué un tollé aux États-Unis et la responsable de l’équipe nationale l’a même trai-tée d’ « antipatriote ». « Ce que j’ai dû entendre chez moi ! J’étais presque accusée de haute trahison. Mais j’ai expli-qué à tout le monde que je n’étais

C’est le monde à l’envers. La Rus-sie avait la réputation d’expor-ter des sportifs de haut niveau. Désormais, elle en importe : il faut compenser les pertes après deux décennies de « fuite des muscles ». À l’approche des Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi en 2014, il faut à tout prix effacer la grosse déconvenue de Vancou-ver en 2010. L’importation de talents étran-gers est désormais perçue comme une chance pour les sportifs lo-caux. « Il ne s’agit pas seulement d’augmenter les chances de la Russie à Sotchi, mais de créer un bon environnement compé-titif pour les athlètes russes », précise l’attaché de presse du Co-mité olympique, Sergueï Averia-nov : « Quand ils s’entraînent avec des partenaires plus forts, ils s’améliorent ».Le virage est déjà amorcé. Les Américains John Robert Holden et Rebecca Hammon, les plus cé-lèbres espoirs olympiques natu-ralisés, sont devenus capitaines de leurs équipes de basketball respectives. La patineuse artis-tique Yuko Kawaguchi, née au Japon, est devenue une vedette nationale après avoir représenté la Russie aux JO de Vancouver. Les satisfactions sportives que peut apporter la prise de la na-tionalité russe ne sont cependant pas sans contrepartie. Les « nou-veaux Russes » doivent surmon-

pas une espionne, que je voulais juste participer aux JO. Et si j’avais été sélectionnée dans l’équipe américaine, je me serais défoncée de la même manière pour les États-Unis », a confié Rebecca Hammon au journal So-vetsky Sport. L’envie de participer aux plus grandes épreuves internationa-les le dispute aux rêves d’argent et de gloire. La patineuse Kawa-guchi est arrivée à Saint-Péter-sbourg pour s’entraîner avec la célèbre Tamara Moskvina.Au pays, sa décision n’a pas été bien reçue non plus. « J’ai lu

beaucoup de commentaires mé-prisants », a-t-elle confié à Reu-ters. « On m’a même qualifiée de traître, mais je ne suis pas offen-sée. Je n’ai pas cessé d’être japo-naise, mais j’ai décidé de pati-ner pour la Russie parce que je n’avais pas de partenaire suffi-samment bon au Japon ». En Russie même, on émet des réserves, et non des moindres, comme celle du ministre des Sports Vitaly Moutko : « D’une façon générale, la naturalisation d’étrangers pour concourir dans les équipes nationales est un mauvais choix ».

l’hexagone va beaucoup plus loin

sondaGe

Sur les 23 joueurs de l’équipe de France de foot, 19 sont d’origine étrangère. En 2005, aux cham-pionnats du monde d’athlétisme à Helsinki, parmi les 52 athlètes de l’équipe de France, sept étaient des Français naturalisés, dont Eunice Barber, de la Sierra Leo-ne, qui a remporté pour la France une médaille d’argent et une de bronze. Le directeur technique de

l’équipe a déclaré au Figaro que la France « a toujours été une ter-re d’accueil » et que la direction de l’équipe n’a pas d’objectif en soi d’accélérer les naturalisations. La coureuse de demi-fond Maria Martins, originaire du Cap-Vert, est toutefois persuadée que c’est précisément la Fédération d’ath-létisme qui l’a incitée à devenir française.

iGor sTomaKhinrusskiy reporter

la capitale de la Kalmoukie offre un singulier îlot d’exotisme bouddhiste, digne des temples tibétains. elista est aussi la capitale des échecs et des idoles iconoclastes.

Buddha est un champion d’échecsTourisme escapade en kalmoukie, une région mystérieuse aux portes de l’europe, bordée par la steppe et la mer Caspienne

même un sphinx, semblable à ceux d’Égypte, mais avec une tête de kalmouke !Enfin apparaît le plus grand tem-ple bouddhiste d’Europe. Un tra-vail d’orfèvre, avec ses lotus cou-ronnant le porche, ses marches et fontaines en cascade. Sur la pancarte, à l’entrée, est inscrit que le matin, dans ce lieu, on ex-pulse les mauvais esprits. La journée, on médite et l’on chan-te. Le soir, enfin, on commémore les morts. L’intérieur est jaune-orangé, orné de dorures, de tapis. Et puis il y a la musique, les mul-tiples senteurs de l’encens, et l’immense statue de Bouddha. Dans la cour, les visiteurs se pres-sent autour de la statue du vieux Sage Blanc. Les plus âgés dépo-sent des douceurs et des fruits à ses pieds, et caressent la sculp-ture d’un petit saïga, ce chevreuil des steppes. Quant aux jeunes, ils photographient l’immuable ancêtre avant de le mettre en fond d’écran sur leur téléphone.

Il existe bien une gare ferroviai-re à Elista... mais elle n’est plus desservie. Les vols étant rares et onéreux, j’ai donc fait le voyage en car. En arrivant à la gare rou-tière, je monte dans le minibus en direction de la principale at-traction de la ville : son temple bouddhiste (Khurula). Le mini-bus contourne plusieurs immeu-bles et déboule sur une rue da-tant de l’ère Khrouchtchev. D’un romantisme ! Une architecture surannée, toutefois compensée par les réverbères au style orien-tal et les nombreuses sculptures qui ornent la ville. Cavaliers et musiciens, lions et chameaux sont là pour m’accueillir. Et

Le Sage Blanc, m’a-t-on racon-té, est le saint patron des peu-ples des steppes. Et le saïga est considéré comme le symbole du peuple kalmouk. Je décide de faire la route à pied jusqu’aux Portes dorées, ornées de gravures et de dragons sculp-

tés. Comme conseillé, je passe plusieurs fois dessous pour me purifier. Sur la place centrale, une pagode à sept étages s’élève vers le ciel, avec son tambour à prière (kiourdé). « Ne soyez pas timide, faites tourner la chan-ce », me lance un policier en ser-

vice. « À l’intérieur, il y a beau-coup de mantras pour purifier votre karma ». J’ai donc fait tour-ner le tambour, sous le regard attentif de Lénine, debout sur son piédestal. Très aimé ici, le Lénine. C’est parce que sa grand-mère était une Kalmouke...

Khurula, le plus grand temple bouddhiste d’europe.

Pour se rendre à elisTa2h en avion (270 euros A/R). En bus depuis Mos-

cou, compter environ 20 heu-res. Départs chaque jour à 14h et à 19h, depuis l’hôtel Yunost. Le billet coûte 1 350 roubles (33 euros).

où loGer ?L’hôtel Elista, dans la rue Lénine, est un établisse-

ment soviétique restauré. Il pro-pose des chambres doubles « luxe » avec un minimum de confort pour 2 500 roubles la nuit (environ 60 euros).

que manGer ?Le restaurant Gourman vous propose de découvrir

la cuisine kalmouke : nouilles « khurn-makhn », raviolis « bio-rigi », gâteaux croustillants et thé au lait, mélangé avec du beurre, de la muscade et du sel.

Moscou face au défi terroriste

pas lutter contre les sources du terrorisme, nous mettrons fin au rhume et non pas au virus qui l’a déclenché. Et pourtant c’est le virus qu’il faut détruire ». Finalement, pour mettre en place un véritable programme de lutte contre le terrorisme, les autori-tés doivent « officiellement re-connaître l’échec de leur politi-que dans le Caucase , estime Olga Allenova, journaliste de Kom-mersant, car c’est précisément cette politique qui a été la cause de l’entrée du terrorisme dans nos vies ».La tragédie de l’aéroport n’est que la dernière d’une longue série. Depuis 1999, la Russie a subi de nombreuses attaques meurtrières. Les autorités peu-vent au moins se targuer de pou-voir identifier l’ennemi. Suite aux deux conflits de 1993 et 1999 entre forces russes et indépen-dantistes en Tchétchénie, la ré-bellion tchétchène a débordé de ses frontières initiales, prenant place dans de nombreuses ré-gions du Nord Caucase. La po-lice russe et les civils sont la cible régulière d’attentats perpétrés dans la région. Doku Oumarov, émir du Caucase autoproclamé et leader des séparatistes isla-mistes tchétchènes, a revendiqué la plupart des attentats organi-sés contre des civils russes, dont celui de Domodedovo. Il a pro-mis début février « une année de larmes et de sang » et affirmé qu’il disposait de 60 volontaires prêts à « se faire sauter » pour sa cause. Combien de colères pré-sidentielles seront-elles néces-saires pour désamorcer ces bom-bes humaines du Caucase ?

Dmitri Medvedev a déjà limogé les principaux chefs du service des transports du ministère de l’Intérieur, ainsi que certains res-ponsables du FSB (ex-KGB), pour laxisme et corruption.Pourtant, les autorités russes ont voulu projeter une image très réactive après le drame de Do-modedovo. Le Parlement a ap-prouvé vendredi 28 janvier, qua-tre jours après les attentats, un nouveau système d’alerte sur la menace terroriste fondé sur un code couleur. La lutte contre le terrorisme mobilise déjà d’énor-mes moyens et se traduit par des opérations militaires massives. En 2010, selon les chiffres du Co-mité anti-terrorisme publiés en octobre dernier, les services spé-ciaux russes ont éliminé 301 ter-roristes et en ont arrêté 468.Le scepticisme règne parmi les observateurs quant aux solutions envisagées par le pouvoir. « Il reste beaucoup à faire », souli-gne Oleg Orlov, directeur de l’or-ganisation non gouvernementa-le russe Mémorial. Selon lui, la solution au problème se trouve à sa source, dans le Nord Cau-case. « Résoudre les problèmes sociaux, répondre aux attentes de la société, voilà la solution », insiste-t-il. Les autorités russes ont lentement pris conscience que la méthode du « tout répres-sif » ne fonctionnait pas. Mikhaïl Marguelov, représentant du parti au pouvoir Russie Unie, au Conseil de Sécurité de la Russie, admet la difficulté des autorités à appréhender la question du ter-rorisme : « Si nous ne pouvons

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04 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro économie

le Kremlin fait avaler la pilule protectionniste aux étrangers

les segments régionaux offrent un potentiel de consolidation aux chaines principales », selon la maison de courtage russe Ural-sib. Les géants pharmaceutiques oc-cidentaux sont déterminés à ne pas se laisser intimider par les barrières douanières et instal-lent des bases de production en Russie, afin de profiter du déve-loppement du marché local.Peu avant Noël, le géant suisse Novartis a annoncé qu’il allait investir 370 millions d’euros en Russie dans les cinq années à venir, en construisant une usine à Saint-Pétersbourg, afin de se concentrer sur la production lo-cale et les partenariats en ma-

tière de recherche et de dévelop-pement avec les compagnies russes. Le suédois Nycomed et le danois Novo Nordisk ont éga-lement fait part de leurs projets d’installation en Russie, tandis que le britannique GlaxoSmi-thKline a signé un contrat sur les vaccins avec Binnopharm, basé à Moscou. Le géant fran-çais Sanofi-Aventis a nommé, en janvier, une nouvelle équipe de gestion des marchés émergents pour stimuler leurs parts de mar-ché en Russie, considérée comme l’un de leurs marchés clés.

Dmitry Genkin, directeur géné-ral de la firme russe Pharmasyn-thez, qui a levé 12,5 millions d’euros lors d’une introduction en bourse en novembre dernier, explique que la Russie livre une bataille contre l’industrie phar-maceutique basée en Europe de l’Est, un héritage de l’époque so-viétique : « À la chute de l’URSS, nous nous sommes retrouvés avec un fossé immense entre les scien-ces fondamentales et la science appliquée, comme la médeci-ne ».Les entreprises russes ont long-temps attendu une aide de l’État, mais les dépenses actuelles en Russie en matière de « recher-che et développement » sont lar-gement en dessous des soutiens à la recherche et au développe-ment en Europe, note Genkin. « L’argent dépensé par l’État russe, c’est de cacahuètes par rapport à ce qui est alloué par la Commission européenne ou l’Institut national de la santé américain », dit-il.Néanmoins, le marché pharma-ceutique russe croît deux fois plus vite que les marchés amé-ricain et européen et il est déjà devenu un terrain de concurren-ce clé pour les entreprises phar-macologiques dont les ventes sta-gnent sur les marchés occidentaux depuis l’expiration des brevets. « Le marché pharmaceutique, stimulé par les dépenses des consommateurs et de l’État, est en passe de surpasser le Produit intérieur brut russe, tandis que

Pendant de ce temps, les entre-prises russes sont également en train d’étudier les marchés étran-gers. Pharmasynthez prévoit d’utiliser une partie de ses fonds d’introduction en bourse pour racheter des producteurs phar-maceutiques en Europe, aux États-Unis et en Israël. L’entre-prise russe cherche des petites compagnies, profitables et en dé-veloppement, qui possèdent des installations de production, pré-cise Genkin. En cherchant à promouvoir la pharmacologie nationale, le Kremlin a ouvert un nouveau front de diversification de l’éco-nomie russe. Les analystes voient d’un bon œil ces initiatives de l’État en faveur d’un nouveau secteur d’investissement. Pendant la dernière semaine de janvier, la banque d’investisse-ment Uralsib a recommencé à couvrir le secteur pharmaceuti-que à travers une étude fouillé. « Les producteurs pharmaceu-tiques russes ont une très bonne histoire locale, l’accès à des ni-ches défensives du marché, et des flux de trésorerie puissants », es-time l’analyste d’Uralsib Tigran Hovhannisyan dans l’étude in-titulée « Ce que prescrivent les médecins ». L’analyste conclut que « les sous-performances re-latives du marché pharmaceuti-que russe par rapport aux autres pays de la BRIC (Brésil, Inde, Russie et Chine) sont compen-sées par les marges importantes et le potentiel de consolidation des leaders du marché ».

la concurrence est-elle forte sur les appels d’offres publics sur le marché de l’insuline ?Bien sûr. Nous sommes en concur-rence avec tous les acteurs, qu’ils soient russes ou étrangers. Actuelle-ment, nous détenons 30% des parts publiques dans le programme des

médicaments remboursés. les produits que votre compagnie s’apprête à produire existaient-ils déjà sur le marché russe ? Oui. Ces médicaments sont déjà po-pulaires sur le marché russe et ren-contrent une forte demande. Mais auparavant, ces produits étaient importés. À la fin du troisième tri-mestre 2010, Lantus est passé nu-méro un dans la commercialisation de l’insuline, avec 25% de parts du marché de l’insuline et 44% de l’in-suline basale. les nouvelles réglementations de cette année ont-elles influen-cé l’activité de votre entreprise ? comment percevez-vous l’intro-duction du contrôle des prix par l’état ?Le contrôle réglementaire fait par-tie intégrante de l’industrie phar-maceutique. Il s’agit d’un secteur

parole au paTron

LES MÉDICAMENTS FRANÇAIS BIEN PLACÉS

nom : PATRICK AGhANIAN

posTe : dIReCTeuR GÉNÉRAL

de SANOFI AveNTIS RuSSIe

sensible de l’économie qui sera tou-jours contrôlé par le gouvernement, non seulement en Russie, mais par-tout dans le monde. Notre activité a bien évidemment été touchée par les nouvelles réglementations. Il est difficile de dire si les contrôles sont en cause ou non. Jusqu’en 2008, le marché pharmaceutique russe a connu un essor plus fort que la Chine, avec un taux de croissance de 20% contre 18% pour le marché chinois. Les experts prévoient main-tenant que la croissance de la Chine sera supérieure. Nous voudrions que le marché russe continue d’at-tirer les entreprises internationales. Il serait dommage que nos experts fassent des conclusions hâtives et erronées, surtout lorsqu’on voit la croissance rapide de la Chine, du Brésil et de l’Inde.

Entretien paru dans RBC Daily

Tim GoslinGBuSINESS NEw EuRoPE

partenaire

alors que les recettes du box office ont passé la barre des 700 millions d’euros, leur marge de progression offre une source de financement de l’industrie cinématographique russe.

Plus de salles, moins de subventions

cinéma Vladimir Poutine veut voir doubler lle nombre de multiplexes

Appauvri pendant les deux der-nières décennies, le marché russe, fort d’un public de 142 millions de « consommateurs », rebondit spectaculairement aujourd’hui et fait saliver les entrepreneurs. En novembre, la distribution russe avait atteint 700 millions d’euros, soit 40% de plus qu’à la fin de la saison 2009. Le box of-fice de l’an dernier a hissé la Rus-sie au cinquième rang mondial des plus gros marchés cinéma-tographiques.Compte tenu de la population, il devrait y avoir 44 000 écrans en Russie, calcule Victor Froum-kine, directeur financier de Ki-noplex qui exploite des dizaines de complexes dans les régions excentrées de Russie.

Le 2 février dernier, Vladimir Poutine a annoncé la réduction des subventions d’État au ciné-ma, qui passeront de 122 mil-lions d’euros l’année dernière à 107 millions en 2011. Selon le chef du gouvernement, il faut im-pérativement, pour aider la pro-duction russe, doubler le nom-bre de salles de cinéma modernes dans le pays, qui n’en compte aujourd’hui que 2 200.

Selon les analystes de la com-pagnie de recherche industrielle, Nevafilm, le nombre de multi-plexes a augmenté de 30%. Les entrepreneurs sont en train de lancer de nouveaux projets tan-dis que le revenu moyen en Rus-sie augmente de 4%, nonobstant la crise. Et compte tenu du ryth-me de croissance des recettes du box office, les multiplexes, stars de la plupart des nouveaux cen-tres commerciaux, font figure de poule aux œufs d’or.

les multiplexes sont appelés à fleurir à travers le pays.

parts de marchéLe cinéma français occupe la troi-sième place sur le marché russe avec 3,5% contre 25% pour le ci-néma russe. Les États-Unis se taillent la part du lion avec 65%. Le principal succès français en 2010 est l’Immortel, avec 2,85 mil-lions de dollars de recette, contre 100 millions pour Avatar.

rachel morarjee, Graham sTacKBuSINESS NEw EuRoPE

l’édition électronique pourrait révolutionner plus vite qu’ailleurs le secteur du livre, alors que ce dernier est aujourd’hui très mal en point en russie.

Les Russes tournent la page... sur écran

édition Le livre électronique s’impose

Nouveau design du site Plus de documents multimédia

rait relever le défi que constitue la distribution du livre sur le vaste territoire russe. « Les mé-dias numériques échappent aux contrôles douaniers et aux prix du transport », explique Simon Dunlop, fondateur de Bookma-te.ru. Le livre électronique (e-book) est déjà considéré par les experts comme le premier pro-duit de téléchargement légal sur le net russe. Selon Dunlop, le nombre de téléchargements à partir de Bookmate a augmenté exponentiellement toute l’année dernière. Avec 110 millions d’internautes dans toute l’ex-URSS et le dé-veloppement effréné d’Internet, le marché a un potentiel de crois-sance énorme. « Il suffit que les gens disposent d’une connexion Internet et l’on peut commencer à utiliser le pouvoir technologi-que pour ouvrir ces nouveaux marchés », espère Dunlop.

La Russie a une longue tradition littéraire, mais son industrie de l’édition n’est plus en mesure de l’honorer comme il se doit. Le piratage sur Internet a enrayé le développement du marché du livre : les téléchargements illé-gaux ont privé les éditeurs des revenus nécessaires à la promo-tion des jeunes auteurs.À l’heure actuelle, 80% des ven-tes de livres papier se font à Mos-cou et Saint-Pétersbourg, contre 20% seulement en province, selon les libraires virtuels Bookmate.ru et Ozon.ru. La distribution numérique de la littérature pour-

le marché pharmaceutique russe croît deux fois plus vite que ses analogues américain et européen.

suiTe de la premiÈre paGe

La Russie livre une bataille contre l’industrie pharmaceutique basée en Europe de l’Est

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Page 5: La Russie d'Aujourd'hui- Février 2011

05LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Économie

EN BREF

Cet appétissant acronyme re-groupe des pays chers à Sber-bank : Belarus, Ukraine, Rus-sie et Kazakhstan. Le groupe du BURK vient d’être imaginé par les économistes de la ban-que d’État russe, qui ont déci-dé de rivaliser avec le célébris-sime acronyme BRIC conçu par l’économiste de Goldman Sachs Jim O’Neill en 2001 pour réu-nir les principales économies émergentes. « Ces pays n’ont pas été choisis par hasard : ce sont les pays où la Sberbank est présente », explique Ksenia Ioudaeva, la directrice du cen-tre pour les études économiques de la banque. « Ces quatre pays sont les plus attractifs du point de vue des investisseurs stra-tégiques comme � nanciers ». Le gros problème, c’est qu’ils ont une propension à ne pas réali-ser leur potentiel.

Après les pays du BRIC, découvrez ceux du BURK !

PAUL DUVERNETLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La banque d’État russe VTB sort du « ghetto » du financement d’entreprise pour se lancer dans l’épargne en ligne par le biais de sa filiale française, avec une offre très agressive.

VTB part à la conquête de l’épargne des Français

Finance Une banque russe se lance à l’assaut du marché des comptes à terme français

bien se ternir. Aujourd’hui, les livrets d’épargne sur Internet ne rapportent que 2% pour les dé-pôts à vue. Du côté des dépôts à terme, les rendements ne sont guère meilleurs. Les deux offres les plus intéressantes du marché atteignent 2,9% (BNP Paribas, avec une limite à un an et un

Le front de l’Est se rapproche dans la guerre des dépôts ! La � liale française du groupe russe VTB, qui possède une licence de-puis 1921 dans l’Hexagone, vient de présenter une offre incontes-tablement alléchante à l’inten-tin des particuliers. Pour se po-sitionner sur ce marché très concurrentiel, l’établissement a choisi une stratégie très agres-sive, à la fois pour maximiser sa visibilité et pour optimiser son � nancement.Le rendement brut des comptes à terme démarre à 2,5% et sa tête de gondole est un placement à 36 mois rémunéré à 4,15% brut, le tout sans plafond de verse-ment La concurrence n’a qu’à

plafond à 50.000 euros) et 3% sur 24 mois de l’américain GE Money Bank.Surprise, les rendements annon-cés par la deuxième banque russe sont nettement supérieurs aux taux de marché (Euribor) sur les-quels sont généralement basés les comptes à terme. Comment

VTB va-t-il s’assurer une marge avec des taux pareils ? En opti-misant la gestion actif-passif, ce qui est rendu possible par le fait que l’horizon temporel des dé-pôts à terme correspond à la durée moyenne des activités de � nancement d’entreprise entre France et Russie, activité prin-cipale de VTB France. Les gros-ses marges dégagées sur les en-treprises permettent ainsi à la banque d’offrir de généreux taux aux particuliers !Pour rassurer les frileux, VTB

avance que le Fonds de garantie des dépôts couvre les placements à hauteur de 100.000 euros en cas de faillite de l’établissement. Il faut toutefois bien faire atten-tion au fait qu’il s’agit d’un compte à terme et non d’un li-vret épargne classique. Les fonds placés sont donc bloqués sur toute la durée du placement, faute de quoi le taux de rému-nération tombe... à 1% brut : une vraie mauvaise affaire. VTB jus-ti� e cette spécialisation dans les comptes à terme par le fait que l’offre y est « très peu déve-loppée en France », selon OlegPitchouguine, le directeur com-mercial de VTB Bank. Or, « C’est le produit d’épargne le plus ré-pandu en Russie. VTB a donc une grande expérience dans le do-maine ».La banque refuse prudemment de � xer un objectif de collecte, mais indique qu’en cas de réus-site sur ce segment, elle élargira sa gamme de produits.Encore pratiquement inconnue du grand public hormis en tant que « banque de poche du Kremlin », la banque d’ État russe part avec un capital… très léger en termes d’image. Tout reste à construire et les beaux chiffres sont sans doute la meilleure stra-tégie pour attirer la très frileuse épargne des Français.

La stratégie agressive de VTB est destinée à maximiser sa visibilité.

C’est la rémunération brute que propose VTB par rapport à la se-conde meilleure offre du marché pour un placement à terme.

4,15 %CHIFFRE-CLÉ

SVETLANA SOROKINALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Mitsui entre au capital de QIWI pour aider ce dernier à investir les marchés prometteurs de l’Asie, puis dans un second temps, l’Europe, les États-Unis et le Brésil.

Un allié japonais pour une expansion tous azimuts

Les grandes fortunes russes se reconstituent rapidement, sti-mulées par l’envol du cours des matières premières. Selon le magazine Finans, 114 Russes sont aujourd’hui milliardaires en dollars. C’est plus qu’avant la crise, où le record s’établis-sait à 101 milliardaires. La cé-lérité avec laquelle les fortunes grossissent ne devrait pas ces-ser au vu de la croissance russe, qui devrait être plus forte cette année qu’en 2010. L’aciériste Vladimir Lissine est en tête du classement avec 18,8 milliards de dollars, suivi de Mikhaïl Prokhorov et de Roman Abramovitch.

Les oligarques rebondissent

Terminaux de paiement Le leader russe QIWI se donne les moyens de ses ambitions mondiales

dit pour son téléphone portable, de payer son accès Internet, le gaz, l’eau et l’électricité, de réa-liser des virements et d’honorer des dépenses courantes sans de-voir se rendre à la banque ou faire la queue. Au départ, ces ter-minaux ont totalement évincé les cartes pré-payées permettant de recharger son forfait de télé-phone portable. Par la suite, ils sont devenus un moyen univer-sel de paiement électronique. Aujourd’hui, près de 80% des dé-tenteurs de téléphones portables en Russie recourent aux termi-naux. Conformément aux pro-nostics, le volume des paiements réalisés par le biais des termi-naux devait atteindre � n 2010

L’entreprise japonaise Mitsui & Co. a acquis pour un montant non révélé 14,9% des actions de la compagnie QIWI Ltd., qui gère le plus grand parc de terminaux de Russie. Les terminaux QIWI sont om-niprésents dans le pays : centres commerciaux, gares et même passages souterrains. Ces appa-reils permettent d’acheter du cré-

sont quasi absents. Pour l’Euro-pe, on prévoit de lancer en 2011 le service en Slovaquie, en Ser-bie et en Lettonie. Sur le conti-nent américain, les terminaux devraient voir le jour aux États-Unis et au Brésil. L’expansion de QIWI a aussi des raisons do-mestiques russes. L’expert Alexandre Chirokovskikh-Smir-

nov note qu’elle intervient alors que la Russie adopte un nouveau système national de paiement qui pourrait réguler le marché en lui faisant perdre sa rentabi-lité. Et de conclure : « C’est pour-quoi QIWI veut se mettre à cou-vert et exporter son activité principale sur le territoire d’autres pays ».

Les terminaux de paiement sont prisés dans les pays émergents.

PAUL DUVERNETLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

3 000 km de voies ferroviaires pour la très grande vitesse à réaliser d’ici à six ans : de très juteux contrats en perspective...

Alstom et Siemens sur la ligne de départ

Transports 50 milliards d’euros pour la grande vitesse

Denis Mouratov, directeur géné-ral de Skorostnye Maguistrali, la � liale grande vitesse de RJD, la société d’État des chemins de fer russes. La ligne, qui devra être opérationnelle en 2017 et permettre aux passagers de re-lier les deux villes en 2h40, re-présente une bonne partie de l’in-vestissement total évalué à 50 milliards d’euros.L’accélération a été déclenchée par la victoire de la candidatu-re russe à l’organisation de la Coupe du monde de football en

La priorité revient à la voie la plus fréquentée du pays, Moscou –Saint-Pétersbourg (660 km), pour laquelle les conditions pré-liminaires d’un appel d’offres se-ront connues en mars. Le choix du vainqueur interviendra « � n 2012, début 2013 », a indiqué

2018. Le premier ministre russe Vladimir Poutine a ordonné à RJD de « relier dans un réseau à grande vitesse les principales villes participant à la Coupe du monde ». Une autre ligne reliera Moscou à Ekaterinbourg, dans l’Oural. En revanche, Denis Mou-ratov a annoncé que RJD renon-çait à relier Moscou et Sotchi, ville des prochains JO d’hiver à 1 700 km plus au Sud.Alstom est aussi bien placé que son concurrent allemand Sie-mens pour ra� er mise. Mais le vainqueur de l’appel d’offres devra être prêt relever le dé� de l’échéance de 2018. Et attention aussi à la concurrence chinoise et japonaise, qui maîtrise égale-ment la technologie de la très grande vitesse.

Le courant passe par (ou avec) l’étranger

fortement alors que le groupe an-nonce une expansion extrême-ment agressive sur le marché do-mestique. Des parts valant au total entre 9 et 15 milliards de dollars seront échangées contre de nouvelles actions émises par Inter RAO. D’ici à 2015, le grou-pe russe table sur une multipli-cation par 15 de son chiffre d’af-faires et vise des résultats nets de 2,8 milliards d’euros. Dans cette optique, Inter RAO annon-ce que sa capacité de production doublera, en passant de 18 Gi-gawatts aujourd’hui à 40 Gi-gawatts en 2015.

Le géant de l’électricité russe Inter RAO propose 25% de son capital à un investisseur straté-gique. Le français EDF, qui a déjà manifesté son intérêt pour une participation à hauteur de 10%, semble être le principal candi-dat pour ce groupe qui possède le monopole de l’import export d’électricité en Russie.Inter RAO ambitionne de s’ap-proprier un quart du marché russe de l’électricité et devenir ainsi le leader régional.La valorisation d’Inter RAO tourne autour de 4,5 milliards de dollars. Elle devrait grimper

environ 750 milliards de roubles. QIWI contrôle jusqu’à 45% du marché. La compagnie cherchait depuis longtemps un investisseur stra-tégique pour une expansion in-ternationale. Vladimir Karpen-ko, consultant chez J’son & Partners Consulting, pense que les Japonais apporteront des technologies, de l’équipement et une expertise commerciale en Asie. L’expansion de la compagnie russe doit se dérouler en premier lieu dans les pays d’Asie du Sud-Est, où les conditions sont réu-nies pour le développement des terminaux : l’argent liquide y est très utilisé, et les concurrents

AFFAIRESÀ SUIVRE

FORUM D’AFFAIRES :LE SECTEUR DES TRANSPORTS EN RUSSIE, EN UKRAINE ET AU KAZAKHSTAN22 FÉVRIER, PARIS, 77 BOULEVARD SAINT JACQUES

Cet atelier d’information pré-sentera les perspectives de dé-veloppement dans les secteurs du ferroviaire et des transports urbains en Russie, en Ukraine et au Kazakhstan, où de vas-tes programmes de modernisa-tion sont en cours. Interventions d’experts et de représentants des groupes Alstom et Systra, avec qui des rendez-vous indivi-duels sont possibles.

www.ubifrance.com ›

TOUS LES DÉTAILS SUR NOTRE SITELARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

Gorbatchev a 80 ans. Retour sur l’histoire d’un homme

qui a changé le cours de l’Histoire.

ITAR-TASS

[email protected] larussiedaujourdhui.fr/lettres

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Page 6: La Russie d'Aujourd'hui- Février 2011

06 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro opinions

BORIS ELTSINE : LA FOI SURVIT AUX ÉCHECS

waynemerry

spécialement pourla russie d’aujourd’hui

le monde a eu véritable-ment de la chance que deux hommes intelligents et modérés aient présidé

à la chute de l’URSS et de son empire. Cela aurait pu ne pas être le cas. Et malgré l’opprobre qu’ils ont subi chez eux, Boris Eltsine et Mikhaïl Gorbatchev laisseront dans l’Histoire l’ima-ge de deux bienfaiteurs. Gorbatchev et Eltsine sont unis comme les deux faces de Janus. Alliés aux premières heures de la perestroïka, chacun reconnais-sant et admirant les qualités de l’autre, ils sont devenus des ri-vaux irréconciliables. Ils se sont accusés mutuellement de s’être laissés porter par l’Histoire. Gorbatchev a reconnu la futili-té de la Guerre froide et y a mis un terme, dans le but de revigo-rer le système soviétique, sans y parvenir. Eltsine a reconnu la fu-tilité du système soviétique lui-même et a concouru à y mettre un terme, dans le but de faire accepter la Russie sur un pied d’égalité par les pays occiden-taux, sans y parvenir. Des forces qui les dépassaient l’un et l’autre ont déterminé l’issue de la Guer-re froide et le destin de l’Union soviétique, mais la gestion paci-fique de ces deux fins de partie aurait été impossible sans un im-mense talent politique. C’est en se heurtant à la réalité extérieure qu’Eltsine a pu se ren-dre compte de la faillite du ré-gime. soviétique. Lors de son pre-mier voyage aux États-Unis, il était sidéré par le moindre su-permarché et le fait que les « tra-vailleurs » avaient le droit d’y faire leurs courses. À son retour, il s’est exclamé : « Notre systè-me est merdique ! ». L’homme avait une foi infinie en ceux qui possédaient une men-talité « occidentale ». Ce n’était pas un adepte forcené de l’ap-plication des prescriptions de l’Ouest au patient russe. Il es-sayait patiemment une méthode après l’autre, jusqu’à ce que quel-que chose finisse par prendre. Malheureusement, rien ne prit. Eltsine était toujours inspiré par une crise, mais manquait de suivi et d’endurance pour mener à terme les réformes. Il s’est lassé des finesses du pluralisme poli-tique. Même après avoir vu son mandat renouvelé par le réfé-rendum d’avril 1993, il n’a pas su l’utiliser efficacement pour faire adopter une réforme consti-

pays. Il ne voulait ni mobiliser, ni harnacher, ni discipliner, ni contrôler son peuple, il voulait lui redonner un pouvoir. Il a échoué. En partie parce que la tâche était trop vaste, et en par-tie parce que même au sein des soi-disant forces démocratiques en Russie, peu de gens parta-geaient la même confiance dans le peuple. L’un des collaborateurs les plus proches de Boris Eltsi-ne au Kremlin était connu pour sa vision peu flatteuse du peu-ple russe, qualifié de « fumier de l’Histoire ». Toutes les carrières politiques fi-nissent mal : celle d’Eltsine a confirmé l’axiome. Mais combien de temps avant que la Russie ne produise un nouveau dirigeant national convaincu que son peu-ple doit être doté de pouvoirs plutôt qu’enrégimenté ?

tutionnelle. Son recours aux pou-voirs d’exception puis aux dé-crets pour gouverner a été un revers terrible pour l’état de droit. Eltsine avait perdu le contact avec le peuple, les dépu-tés le destituèrent et il s’inclina. Il n’a jamais su gérer un Parle-ment insoumis. Face au grave problème du Cau-case en 1994, la guerre déclen-chée contre le peuple tchétchè-ne relève d’un manque de jugement et d’humanité très so-viétique. Elle a non seulement plongé la région dans un bain de sang mais aussi fait dérailler les réformes politiques, tout en dressant l’Occident contre la Russie. La guerre de Tchétché-nie devint un vecteur idéal de russophobie. L’autre erreur d’Eltsine fut de briguer un second mandat pré-sidentiel. Il aurait dû compren-dre qu’il n’était plus en état de servir mais se laissa convaincre

par un message de Washington affirmant qu’il était seul capa-ble d’empêcher un retour des communistes. C’était absurde. D’autres candidats offraient des alternatives tout à fait viables. Pourquoi, malgré tout, doit-on considérer avec respect la pré-sidence Eltsine ? En premier lieu, parce que l’homme a été l’anti-thèse d’un Slobodan Milosevic russe. Nous sommes tous rede-vables au leader des mois criti-ques de 1991-1992. Eltsine n’avait pas peur des mas-ses russes. Il croyait sincèrement à la nécessité de redonner au peuple un vrai pouvoir écono-mique et politique. Comment y parvenir ? Il n’en avait pas la moindre idée. Alexandre Iakovlev a dit de son mentor que Gorbatchev était un démocrate de nature, que la dé-mocratie effrayait. Paradoxale-ment, Eltsine n’était pas un dé-mocrate, mais il n’avait pas peur de prôner la démocratie dans son

Wayne Merry, diplomate améri-cain, était en poste à Moscou en 1991-94.

un legs politique terni par deux graves erreurs : la guerre en tchétchénie et le second mandat

KHOdORKOVSKI : 14 ANS dE gêNE

Georgy bovt

spécialement pourla russie d’aujourd’hui

platon Lebedev et Mikhaïl Khodorkovski ont été condamnés à 13 ans et demi de prison. Les deux

hommes devaient être libérés en 2011, quelques mois avant l’élec-tion présidentielle.Ils ne sorti-ront qu’en 2017, soit à la veille d’un autre scrutin présidentiel.Le procès Khodorkovski a été sans conteste le plus retentissant de la Russie post-soviétique. L’aile libérale met en avant la « motivation politique » et affir-me que le premier ministre Vla-dimir Poutine se venge de Mikhaïl Khodorkovski, qui avait défié le pouvoir au début des an-nées 2000 en finançant les par-tis politiques d’opposition et en plaidant pour une « république parlementaire ».Mais pour toute une partie de la société, il a été condamné avec raison, car c’est un oligarque. Mikhaïl Khodorkovski est un symbole de la « privatisation bar-bare », qui n’a toujours pas été digérée par la population russe.Pourtant, même cette partie de la population compatit avec l’an-cien patron de Ioukos. Car il exis-te en Russie une immense em-pathie du peuple envers les hommes condamnés par l’État pour des délits non violents.Au cours du premier procès, Mikhaïl Khodorkovski et Platon Lebedev avaient été condamnés pour escroquerie et évasion fis-cale à grande échelle.Les critiques du second procès soulignent son absurdité, car on y accuse l’ancien magnat de l’or noir d’avoir « volé » la plus gran-de part de son propre pétrole, en recourant à un mécanisme com-plexe de relations au sein de l’en-treprise Ioukos, une holding ver-ticalement intégrée, et en manipulant les prix d’achat-ven-te du pétrole de ses filiales sur les marchés étrangers.À la suite de l’affaire Ioukos, des appels ont été lancés pour que, selon le principe d’égalité devant la loi, des procès soient intentés à d’autres entreprises - des ap-pels qui n’ont pas été entendus par l’appareil judiciaire russe.Ajoutons que Mikhaïl Khodorko-vski, emprisonné, ne s’est pas ré-signé. Il s’est exprimé régulière-

ment dans les journaux russes, sous forme d’interviews et d’ar-ticles d’opinion. Dans plusieurs interventions, il a reconnu ses fautes pour ce que la société ap-pelle la « privatisation injuste », et s’est prononcé en faveur d’un virage vers la social-démocratie. Il reste un fervent critique des autorités, de la politique écono-mique dans son ensemble tout comme de la corruption.S’appuyant sur ses déclarations, l’aile radicale de l’opposition russe a élevé l’homme d’affaires déchu au rang de ses leaders in-formels. Ce qui est, du point de vue de l’opinion publique russe, plutôt une erreur : selon diffé-rents sondages, une large majo-rité de Russes approuvent la condamnation de Mikhaïl Kho-dorkovski.Sur ce point, l’opinion publique russe diverge radicalement des sociétés occidentales, où le se-cond procès a été vivement dé-sapprouvé par les dirigeants des

grandes démocraties comme par la société civile. Ce procès est perçu comme purement « poli-tique » à l’étranger et génère des tensions diplomatiques.L’administration américaine a déjà brandi la menace « d’obs-tacles » à l’adhésion de la Rus-sie à l’Organisation mondiale du commerce, au moment où, à l’aube de 2011, tous les problè-mes semblaient résolus et où l’on pensait parvenir à boucler plus de dix ans de négociations.Les dirigeants russes, dont on peut ne pas nier l’attitude par-tiale envers Mikhaïl Khodorko-vski, ne peuvent pas objective-ment voir en lui un véritable prisonnier politique, même en se basant sur ses ambitions. Et les critiques faites au régime ne sont pas suffisantes pour acquitter Khodorkovski selon le droit russe qui régit aujourd’hui les relations complexes et souvent contradic-toires entre les autorités et le monde des affaires.

Georgy Bovt est un commenta-teur politique basé à Moscou.

en russie, on n’aime pas les oligarques... ni les condamnations pour des délits non violents

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preparé parVeronika dorman

lu dans la presse

renoncer aux plages et au soleil égyptiens, qui font de ce pays la deuxième destination des va-canciers russes ? cruelle pers-pective. mais il en est une autre, bien plus dérangeante : celle de voir les soulèvements se répan-dre à travers le globe, alors que les commentateurs soulignent les parallèles entre les situations po-litiques égyptienne et russe.

révolution égyptienne : soleil perdu et points communs

sous la réVoluTion, la plaGeIrina Kezikprofil

l’eGYpTe « après Tahrir »Boris Makarenkovedomosti

Toujours les mêmes Vadim Doubnovgazeta.ru

Une fois de plus la Russie a surpris le monde entier. Nos agences de tourisme continuent d’envoyer leurs clients en Egypte, malgré les désordres, et ceux qui refusent de partir ne sont pas remboursés. Les voyagistes ont peur de perdre un gros marché : l’Egypte rapportait 700 millions d’euros par an au tour-isme. Même si le pèlerinage massif en Egypte ne s’interrompt que pour un mois, les pertes représenteront des centaines de millions d’euros. Sans cette destination, les autres sont en train de devenir plus chères. Cela pourrait être la fin des hivers à la plage pour de nombreux Russes.

Nous écrivons “Egypte” en pensant à la moitié du monde arabe et à tous les États qui ont renoncé à l’autoritarisme total mais n’ont pas encore atteint la démocratie. Dont la Russie. L’essor relatif du marché, la nécessité de conserver les relations avec l’Occident et le leadership du monde arabe, rendent le scénario “Attaturk” désirable et possible pour l’Egypte, seul moyen d’éviter le scénario du califat et de s’engager, progressivement, dans celui de la démocratie. Les événements se sont déroulés sur la place Tahrir qui veut dire libération. Souhaitons qu’elle ait commencé, irréversiblement.

Pour une révolution réussie, comme le montrent les exemples de Kiev, Tbilissi et du Caire, il faut qu’une masse critique de gens, en bas comme en haut de la société, aient envie, ensemble, de changer le pou-voir et les règles du jeu. Le proces-sus est tout à fait standard et n’a rien de mystérieux. Le peuple se lasse de ses pharaons. Reste à savoir qui va convertir cette lassitude en force of-fensive dynamique. La place Tahrir a aussi ceci d’intéressant qu’aura été prononcée l’inévitable conclusion, en ce genre de situation, qui veut que ce soient les Américains qui ai-ent préparé la révolution.

consulTeZ nos auTres arTicles en liGne sur boris elTsine : www.larussiedaujourdhui.fr/eltsine

changer le monde... sans faire exprès

étrangers et russes font le point sur l’héritage laissé par eltsine

gorbatchev célébré en occident, eltsine timidement en russie

viktor bogorad

Page 7: La Russie d'Aujourd'hui- Février 2011

07LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro culture

en bref

LittÉRAtUREle 5ème prix russophonie honore deux TraducTrices

Le cinquième prix Russophonie a été remis le 29 janvier 2011 à deux lauréates : Luba Jurgen-son pour la traduction de l’es-sai de Vladimir Toporov Apolo-gie de Pluchkine (ed. Verdier), et la toute jeune Julie Bouvard pour celle du Syndrome de Fritz de Dmitri Bortnikov (éd. Noir sur blanc). Des mentions spé-ciales ont été décernées à Yves Gauthier pour Le voyage de Mu-

ri d’Ilya Boyachov (éd. Galimard), à Anne-Victoire Charrin et Anne Coldefy-Faucard pour La Mère de Dieu dans les neiges de sang, de l’auteur khanty Eremei Aïpine (éd. Paulsen), et à Maud Mabillard pour Opérations betterave de Ni-colas Bokov (éd. Noir sur blanc). Le prix Russophonie récompen-se depuis 2006 la meilleure tra-duction littéraire du russe vers le français.

mÉmoiREun monumenT dédié aux soldaTs russes de 14-18 à paris

Après Reims en 2010, c’est au tour de Paris d’honorer la mé-moire des soldats russes qui ont combattu pour la France pen-dant la Première Guerre mondia-le. Une sculpture du très respec-té Vladimir Surovtsev a remporté le concours pour l’œuvre desti-née à embellir le mémorial. La sculpture se dressera au cœur de la capitale, à proximité du pont Alexandre III, dès juin 2011.

Le corps expéditionnaire rus-se, décimé lors des batailles en Champagne, notamment par les attaques chimiques allemandes, est tombé dans l’oubli après la si-gnature du traité de paix entre la Russie soviétique et les empires centraux (Brest-Litovsk, 1918). Le premier ministre François Fillon et son homologue russe Vladimir Poutine se sont associés pour cet hommage réparateur.

L’Ermitage de Saint-Pétersbourg et la Galerie Tretyakov de Mos-cou peuvent désormais être visi-tées sur Internet grâce au nouvel outil Art Project de Google. Les deux musées font partie des 17 établissements partenaires qui ont accepté de mettre en ligne une partie de leurs collections. Comme si vous y étiez, le pro-gramme vous permet de vous déplacer dans les salles, de vous

ARt l’ermiTaGe eT la TreTYaKoV à un clic de cheZ Vous

rapprocher des œuvres et de les observer comme jamais grâce au zoom et à la numérisation en très haute définition. Pour vous guider dans votre visite virtuelle, des in-formations sur chaque œuvre, son auteur ou le musée qui l’accueille sont mises à disposition. L’appari-tion du Christ d’Ivanov ou le David et Jonathan de Rembrandt n’at-tendent donc plus que vous sur www.googleartproject.com.

chrisTine mesTreLa russie d’aujourd’hui

la romancière russe, qui a reçu le 10 janvier le « prix simone de beauvoir pour la liberté de la femme » 2011, affiche un enga-gement toujours plus affirmé.

lioudmila oulitskaïa et le chaînon manquant

entretien La lauréate du prix simone de Beauvoir évoque l’affaire Khodorkovksi

ment le fait d’aider les autres lui a apporté beaucoup de satisfac-tion... Notre correspondance m’a fait changer d’avis sur un point : Khodorkovski disait que notre État était faible et j’en étais sur-prise. Puis j’ai compris qu’en fait la répression, les pressions sur les médias sont réellement des signes de la faiblesse d’un État.

dîtes-nous quels livres vous avez en projet.J’ai deux livres qui viennent de sortir en Russie et qui paraîtront en France à l’automne... Là, tout de suite, j’ai juste envie de ne pas écrire du tout !

Vous l’avez déjà dit dans le passé, mais cela ne vous a pas empê-

que signifie ce prix simone de beauvoir pour vous ?Les prix littéraires ont toujours cela de bon qu’ils permettent de rapprocher l’auteur de ses lec-teurs. Simone de Beauvoir a su capter quelque chose qu’elle a fait intervenir dans l’évolution socia-le, les choses ont considérable-ment changé, on a pu assister à une féminisation de la société, no-tamment en Russie où, par exem-ple, la majorité des personnes qui ont une éducation supérieure sont des femmes ... Mais je ne suis pas féministe, j’ai une autre religion.

que pensez-vous de la réception de vos œuvres par le public fran-çais, et parmi les auteurs français contemporains, quels sont ceux qui retiennent votre attention ? Le public français est remarqua-ble, on lit beaucoup en France. Pour moi, c’est le pays le plus cultivé d’Europe, même si comme partout le niveau culturel baisse nettement. Quant à la littératu-re contemporaine, à vrai dire, je n’y suis pas très sensible…

Vous venez de publier en russie votre correspondance avec mikhaïl Khodorkovski…S’il y a conflit entre l’État et l’in-dividu je prends systématiquement le parti de l’individu... En ce qui concerne Khodorovski, il s’agis-sait juste de lui redonner la pos-sibilité de s’exprimer et d’être en-tendu... J’avais beaucoup entendu parler de lui dans les endroits les plus reculés de Russie où il avait pris en charge le financement d’hô-pitaux, d’établissements scolaires, ce qui aurait dû être fait par l’État... Tout nous opposait : il était membre du Komsomol, il soute-nait le parti communiste ; lors du démantèlement, il a fait fortune en recevant une part du gâteau... C’est en lui posant directement ces questions que j’ai commencé notre correspondance. Il m’a dit que sa motivation était que son pays soit fort et prospère... C’est un homme d’affaires hors pair, brillant, et je constate qu’à un mo-

chée plus tard d’écrire de longs romans ! Oui, on ne sait jamais... Mais il y a deux types de coureurs, les sprinters et ceux qui courent sur des distances plus longues. Moi, ma distance, c’est la nou-velle, mais il arrive que certains sujets demandent des formes plus longues, alors je me dis, bon, il faudra 200 pages, et je me re-trouve dans un gros roman, dont je sors totalement vidée.

avez vous déjà envisagé d’écrire quelque chose sur mikhaïl Kho-dorkovski?Il ferait un excellent héros, mais non, je préférerais choisir pour personnage principal un méde-cin ou un artiste.

Vous êtes généticienne de forma-tion et vous avez longtemps exercé cette profession. quel regard por-tez-vous l’évolution humaine ?Sur le plan génétique, l’homme a beaucoup changé, on a assisté au cours des cent dernières an-nées à un véritable bond dans l’évolution et il est difficile de se représenter comment ça sera dans cinquante ans. À l’époque soviétique, il y a eu une sélection qui a éliminé les plus brillants, les plus tra-vailleurs, ceux qui pouvaient faire preuve d’initiative... Pour survivre, ceux qui y ont échappé ont dû tout faire pour passer ina-perçus. Il y a une peur génétique qui s’est transmise de génération en génération, et qui perdure.

à l’affichela moueTTe Vue par chrisTian benedeTTidu 28 février au 2 avriLThéâTre sTudio, aLforTviLLe

Trente ans après sa première mise en scène de cette œuvre de Tchekhov en 1980, Christian Benedetti revient sur La Mouet-te pour le Théâtre Studio d’Al-fortville dont le projet artistique porte une attention toute particu-lière à l’Europe de l’Est. Une oc-casion de redécouvrir ce classi-que de la dramaturgie russe et de voir à l’œuvre l’actrice roumaine Anamaria Marinca, remarquée à la dernière édition du Festival de Cannes dans Quatre mois, trois se-maines et deux jours.

www.theatre-studio.com ›

exposiTion : chaGall eT la bible du 2 mars au 5 juin musée d’arT eT d’hisToire du judaïsme, Paris

L’exposition retrace le travail du célèbre peintre autour du projet d’illustration de la Bible et l’in-fluence que le thème a eue sur son œuvre.

www.mahj.org ›Retrouvez aussi Chagall et l’avant-garde russe à Grenoble.

les plus Grands balleTs classiques :moscou ciTY balleTdu 18 février au 17 avriL, en Tournée dans TouTe La france

Ce spectacle réunit des extraits choisis de quatre ballets dont Le Lac des cygnes et Roméo et Juliette.www.infoconcert.com

concerT de boris bereZoVsKY23 eT 24 févriersaLLe PLeyeL, Paris

Le pianiste russe de renom in-terprétera des œuvres de Ravel et de Bartók, accompagné dans Shéhérazade de la mezzo-so-prano Nora Gubisch et de l’Or-chestre de Paris.www.sallepleyel.fr

Tous Les déTaiLs sur noTre siTelarussiedaujourdhui.fr

Il n’est parfois pas nécessaire de voyager bien loin pour respirer l’air de la Russie. Paris regorge en effet d’empreintes laissées par la présence ou le passage de ses illustres immigrants russes. Le quartier de Montparnasse fut un pôle d’attraction pour les ar-tistes en tous genres au début du XXème siècle, et les émigrés russes de talent n’ont pas déro-gé à la règle. Nombreux sont ceux qui, après la révolution de 1917, en ont fait leur deuxième patrie. Dix lieux phares du quartier vous permettent de revenir sur les tra-ces des Chagall, Vassilieff, Sou-tine et autres grands noms rus-ses qui ont influencé et enrichi la création artistique française. Suivez le guide !

Soutine, Chagall et les autrespromenade Quand montparnasse était le repaire de la bohème russe exilée

Préparé parmaria Tchobanov

ecrivaine engagée, ludmila oulitskaïa a su conquérir les français.

d’un livre à l’autre ...

honorée du prix medicis étran-ger en 1996, l’œuvre retrace la quête de bonheur d’une femme.

le dernier ouvrage regroupe 37 nouvelles plongeant dans les entrailles tumultueuses de l’his-toire russe.

en dissidenceNée dans l’Oural en 1943, Ludmila Oulitskaïa fait ses études de biolo-gie à Moscou dans les années 60 et obtient une chaire de généti-que. Mais accusée d’avoir prêté sa machine à écrire à des membres du Samizdat (système clandestin

parcours

de circulation d’écrits dissidents), elle perd son poste et se tourne vers l’écriture. Ses livres ont été primés à l’étranger et en Russie. Elle est aujourd’hui considérée comme auteur emblématique du renouveau de la littérature russe.

4/ Atelier Vassilieff : ce qui fut le lieu de travail de l’artiste accueille désormais le Musée Montparnasse, qui expose les œuvres d’artistes ayant fait la gloire du quartier. C’est de ce passage de l’avenue du Maine où elle avait installé son atelier que Marie Vassilieff étendit son influence sur toute la société artistique de Montparnasse. Ouvert de 12h30 à 19h, fermé le lundi.

3/ Atelier Chagall : le 18 de la rue Antoine Bourdelle accueillit le premier atelier de Chagall où le peintre s’installa à son arrivée à Paris en 1910. Il émigra à la Ruche par la suite.

2/ Cette autre cité d’artistes fait le lien entre la Ruche et Mont-parnasse. Parmi les ateliers en-core visibles aujourd’hui figure celui de Soutine.

1/ La Ruche : en ce lieu subsis-tent une soixantaine d’ateliers. Les artistes désargentés pouvaient, pour une somme modique, en louer un. Le sculp-teur Alexandre Archipenko y a séjourné.

9/ Musée Georges Pompidou : le centre possède une très riche collection d’artistes russes comme Kandinsky, Larionov et Gontcharova. Ouvert de 11h à 21h.

8/ Saint-Germain des Près : les cafés de Flore et des Deux Magots ont aussi eu leur lot d’habitués parmi les artistes russes. Larionov et Gontcharova y avaient leurs quartiers.

7/ Musée Zadkine : à deux pas du Jardin du Luxembourg, la maison de Zadkine a été trans-formée en un musée dédié à son œuvre. Ouvert de 10h à 18h, sauf lundi et jours fériés.

6/ La rue Boissonade a accueilli de nombreux artistes et reste prisée dans leur milieu. Elle hébergea un temps la « Société artistique et littéraire russe de Paris ».

5/ La Rotonde : située Carrefour Vavin, lieu de rendez-vous de toute la création artistique du début XXème siècle, la brasserie La Rotonde fut un des lieux de prédilection de Zadkine, Vassi-lieff ou encore Soutine.

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Code « La Russie d’Aujourd’hui »

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Page 8: La Russie d'Aujourd'hui- Février 2011

08 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Loisirs

JENNIFER EREMEEVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

En Russie, le Carême est une affaire très sérieuse, que vous soyez dévot ou pécheur. Mais avant le jeûne, c’est la fête, surtout si vous aimez les blinis.

Les blinis sans états d’âmeTraditions Les Russes donnent libre cours aux tentations du Mardi gras avant les privations du Carême

blinis et y passer la journée », ai-je dit à mon mari. « N’en fais pas trop », a-t-il imploré. « Tu n’a pas intérêt à manger aujourd’hui, l’ai-je prévenu, je fais 60 blinis pour le dîner ».Le Mardi gras russe ouvre une semaine de réjouissances annon-çant la � n de l’hiver, le début du Carême et la promesse du prin-temps. Adoptée sans enthousias-me par le calendrier orthodoxe, la maslenitsa est en fait un rite tenace, hérité d’une culture an-cestrale païenne de culte de la nature, de traditions rurales et d’une conscience aiguë du chan-gement de saison. À l’origine, la maslenitsa était calée sur l’équinoxe de prin-temps, quand le soleil passe exac-tement au-dessus de l’équateur et que le jour et la nuit sont de même longueur. L’équinoxe de

Dans maslenitsa, il y a « maslo », (le beurre), même si certains sa-vants prétendent qu’il s’agit d’une version archaïque de « myasapustny », (sans viande). Quelle que soit l’étymologie, c’est une occasion de se régaler, sans état d’âme, de beurre, de froma-ge et de crème. La maslenitsa est aux Russes ce que Mardi gras est aux Français : une célébra-tion populaire du retour de la lumière et des beaux jours, le dernier festin ludique avant les privations du Carême.

Certaines choses en Russie ne sont pas négociables. On ne lais-se pas les fenêtres ouvertes, ja-mais. On enlève ses chaussures en entrant dans une maison, tou-jours. Et si l’on veut se faire res-pecter, il faut savoir faire des bli-nis. Surtout en cette période de la maslenitsa. J’ai donc retrous-sé mes manches et ressorti mes livres de cuisine du XIXème siè-cle. J’ai coincé des babouchkas au marché du coin, et même ca-ressé l’idée d’appeler ma belle-mère. C’est dire !« Je vais tester une recette de

printemps était le plus vénéré par les sociétés anciennes car il marquait le retour du soleil après l’obscurité hivernale. Selon un mythe populaire rap-pelant les Isis et Osiris égyptiens, Yarilo et Morana sont des amants frère et sœur, qui représentent la vie et la mort, le feu et la glace, le printemps et l’hiver. Leur danse amoureuse culmine au solstice d’été, pour s’effondrer dans la trahison en automne et mourir dans la séparation en hiver. L’exaltée Morana se trans-forme en effroyable sorcière qui porte la mort et le givre dans son sillage. Les récoltes � étrissent tandis que Yarilo se retire aux enfers. Mais à la � n de l’hiver, les Slaves païens brûlaient une effigie en paille de Morana sur un bûcher de neige, pour rappe-ler Yarilo. Pendant ce temps, ils

dansaient, luttaient et festoyaient en se gavant de blinis, symboles de soleil et de vie éternelle. Dans la Russie rurale, le Carê-me était une bonne excuse pour entamer un jeûne sévère, ex-cluant la viande, les laitages, les œufs, l’huile et l’alcool, des pro-duits bien utiles pour parfumer la kacha de sarrasin. Les qua-rante jours du Carême coïnci-dent aussi avec le moment où les réserves faites pour l’hiver sont presque épuisées. Aujourd’hui, bien sûr, on trouve des mangues et de l’aspic de caille dans n’importe quel super-marché, toute l’année, mais les Russes font � èrement « le Grand Carême ». C’est un moyen de se refaire une santé morale et per-dre dix kilos en moins de deux mois, en vivant de kacha de sar-rasin et de soupe au chou.

Les Slaves païens brûlaient une effigie en paille de Morana sur un bûcher de neige, dansaient, luttaient et festoyaient en se gavant de blinis.

JULIA KOUDINOVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La seconde scène de l’opéra de Saint-Pétersbourg n’ouvrira qu’en 2012 et pour un coût record de 472 millions d’euros.

Sommets lyriques... et abysses financières

Architecture La polémique persiste autour de la reconstruction du Mariinsky

Le Mariinsky, comme son grand rival le Bolchoï de Moscou, s’en-lise dans une reconstruction in-terminable et frustrante pour les mélomanes. Sans parler des contribuables. Le gouvernement

« afin de permettre aux gens d’avoir davantage con� ance en eux pour s’y rendre ». Une conception anti élitiste destinée à rendre le théâtre populaire chez les jeunes.La nouvelle scène de 2 000 pla-ces cohabitera avec les 1 600 pla-ces de l’ancien théâtre (appelé Kirov à l’époque soviétique) conçu en 1860 par l’architecte français Xavier Fabre.Reste que 137 millions d’euros ont déjà été dépensés alors que le gros du travail n’a pas encore été entamé. Dans le meilleur des cas, Valéri Gherguiev devrait inaugurer la nouvelle scène au cours du festival des nuits blan-ches de 2012. Peut-être son ta-lent aidera-t-il alors à faire oublier la gabegie.

russe vient de redé� nir, début fé-vrier, les paramètres budgétai-res de l’aide fédérale consacrée à la reconstruction de la célèbre maison d ’opéra d i r igée aujourd’hui par Valéri Gherguiev. Il en ressort que l’ouvrage abou-tira à l’opéra le plus onéreux du monde après celui d’Oslo (qui a coûté 612 millions d’euros). On se souvient que l’architecte français Dominique Perrault, qui avait remporté l’appel d’offres Le nouveau projet possédera une architecture plus utilitariste.

en 2003, en avait � nalement été écarté dans des conditions controversées en 2007, à cause de « retards ». Vladimir Poutine avait alors demandé à ce que la construction soit achevée pour mars... 2008. Le projet architec-tural de Perrault consistait en un vaste cocon asymétrique en verre et aluminium doré pour un coût de 175 millions d’euros. Finalement, en 2008, Valéri Gher-guiev et le ministre de la Cultu-

re Alexandre Avdeïev se sont aperçus que la « coupole dorée » de Perrault « jurait » avec l’ar-chitecture du quartier et ont opté pour un projet beaucoup plus sobre du cabinet d’archi-t e c t u r e

canadien Diamond and Sch-mitt. Jack Diamond est réputé pour être très mélomane et soucieux avant tout de la qualité acous-

tique. Le projet canadien comprend des façades

transparentes

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