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Page 1: La Monarchie de tous les défis

EDITORIAL Les trois dates

sacrées du mois d’août

Lire en page 2

10 DH - 1 € - MENSUEL - 32 pages www.maroc-diplomatique.com N° 5 AOÛT 2015

XVIÈME ANNIVERSAIRE DU RÈGNE DE S.M. MOHAMMED VI

Les consulats, l’Enseignement, les enclavées et l’identité passent au crible

La Monarchiede tous les défis

ENTRETIEN AVEC JEAN D’ORMESSON

Colère contre le fanatisme

LES MOINES DE TIBHIRINE

Le devoir de mémoire ressuscite de Midelt

Entre le 30 juillet et le 21 août, le Maroc célèbre quatre dates signi-ficatives : la Fête du Trône qui

coïncide cette année avec le 16ème an-niversaire de l’accession au Trône de Sa Majesté le Roi Mohammed VI ; le 14 août qui commémore, non sans grands ori-peaux, le 36ème anniversaire du retour en

août 1979 de Oued Eddahab au Royaume ; le 20 août le 62ème anniversaire – plutôt douloureux et vaillant – de la déposition par le « Résident de France » et l’exil de S.M. Mohammed V à Madagascar. Enfin, le 21 août, comme chaque année, le Maroc célèbre le 52ème anniversaire de Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui

coïncide avec la Fête de la Jeunesse. Le passé, le présent et l’avenir se

conjuguent ainsi pour maintenir le cap de notre mémoire et notre histoire. Sur la lancée, le Maroc continue de relever les défis.

Lire de la page 5 à 10Hassan alaoui

Tout le monde connaît Jean d’Ormesson. Ses livres sont une

fête et l’homme, admirateur et exégète de Chateaubriand, de Paul Morand et d’Aragon, est un écrivain qui aime la vie. Cependant, à près de 90 ans, c’est encore l’actualité internationale qui motive l’académicien : il vient de lancer un appel en faveur des chrétiens d’Orient, massacrés par Daech et d’autres groupes terroristes.

Jean d’Ormesson a, dans un premier temps, éveillé les consciences en rappelant le caractère ignoble, systé-matique et volontairement spectaculaire de ces tueries : «Le massacre des Coptes en Libye a été absolument abominable avec une mise en scène qui ne manque pas

d’un certain talent atroce.-olivier stevensLire en pages 24 et 25

C’est à Midelt, sur les contreforts du Moyen Atlas, que les deux der-

niers rescapés de la séquestration qui a eu lieu dans la nuit du 26 au 27 mars suivie du massacre, perpétré le 21 mai 1996, à Tibhirine, en Algé-rie, ont réussi à atterrir après avoir échappé à l’enlèvement et au meurtre de sept de leurs compagnons. L’émo-tion qui avait marqué leur kidnap-ping, ensuite leur décapitation était grande. L’opération criminelle était attribuée, tout de suite, au GIA ( Groupe islamique algérien), en pleine guerre civile dans une Algérie livrée aux violences et qui ont fait plus de 100 000 morts…Amédée, décédé entre-temps, et Jean-Pierre Schu-macher, moines de leur état, avaient réussi à échapper au massacre et à gagner le Ma-roc, via Fès pour s’installer au monastère

Notre-Dame de l’Atlas, à Midelt où ils ont essayé de reconstruire une vie normale et une mémoire, alors que l’actualité n’a jamais cessé de leur rappeler leurs compagnons, morts en martyrs… « Maroc diplomatique » a contacté le dernier survivant à Midelt.

souad MekkaouiLire pages 17,18 et 19

Le discrours du 30 juillet 2015 reste marqué par une volonté irréductible du Souverain de mettre le doigt sur la plaie des pro-blèmes du Maroc.

COUP DE GUEULE : Lettre ouverte aux responsables Page 4

DOCUMENTS DIPLOMATIQUES ; communiqués conjoint des visites royales à Dakar, Bissau, Abidjan et Libreville Pages 11 & 12

FORUM : 3ème Conférenceinternationale sur le finance-ment pour le développement Pages 22 & 23

EXOTISME : « Voix d’Haïti » Page 27HYAMYARED : «L’écriture ne

peut se faire sans une bonne dose de désobéissance» Page 28

KAMAL HACHKAR : Rêveries d’un «Retour au pays natal» Page 30

«DÉCRYPTAGES»: Un livre de Omar Dahbi Page 30

NICOLE ELGRISSY, la marocanitéchevillée au corps Page 31

DÉBATS

Par Souad Mekkaoui

Etre intellectuel au-jourd’hui obéit-il à quels critères ? Est-ce

un métier, une vocation, un devoir ou un luxe ? Entre An-tonio Gramsci, qui défendait le statut d’un « intellectuel or-ganique » et Jean-Paul Sartre celui de « l’intellectuel engagé », y a-t-il une autre dimension susceptible de s’adapter à notre époque tourmentée ? Comment être intellectuel au Maroc, à un moment où des voix s’élèvent, avec insistance, pour nous in-terpeller sur son absence, no-tamment dans des débats cru-ciaux qui agitent notre pays depuis quelques temps, portant sur les libertés, le projet de code pénal, les « robes courtes », l’homophobie violente, l’agressivité contre la femme…

Avec l’objectif d’ouvrir et de susciter un débat nécessaire et porteur, nous avons

REPORTAGE

L ’ I N F O R M A T I O N Q U I D É F I E L E T E M P S

Vivre avec les migrants clandestins

La question de l’émigration n’est pas nouvelle, ni vieille non plus. Les gouvernements d’Europe sont

confrontés de nos jours à ce phénomène qui les prend de court et les déstabilise même. Notre reporter Abderrahim Bourquia s’est rendu à la frontière franco-italienne, point chaud s’il en est pour vivre une journée avec les « clandestins » qui tentent de fran-chir les obstacles en tous genres. A Lam-pédusa , comme à Calais, les projecteurs de l’actualité cruelle restent braqués sur le flot considérable de l’immigration qui est devenue un spectre. Certes, mais un pays comme le Maroc – qui constitue une voie de passage de l’émigration – demeure ex-posé, et a consenti des efforts gigantesques pour juguler le phénomène. Les conditions d’existence – ou de subsistance – des can-didats à l’émigration sont d’autant plus dé-plorables à leur débarquement en Europe que la loi, sur l’émigration et le droit civil, se durcissent.

abderraHiM bourkiaLire page 21

DANS CE NUMÉRO

La parole est aux intellectuelsComment sortir de l’ornière d’un débat faussé à coups de préjugés

convié sept intellectuels marocains, posi-tionnés chacun à sa manière et dans son domaine, qui constituent des figures em-blématiques, en tout cas qui réfléchissent

et réagissent au foisonnement de l’actualité quotidienne, marquée par le surgissement de sujets qui fâchent et nous interpellent.

Lire notre dossier pages 14,15 et 16

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?????2 AOÛT 2015

ÉDITORIAL

L’année 2015 tire encore ses derniers mois et la saison es-tivale n’en finit pas de nous

livrer ses temps forts. Après la célébra-tion du 16ème anniversaire de la Fête du Trône, marquée par un important discours royal, nous voilà plongés de nouveau dans une actualité foisonnante propre au mois d’août et qui, dans l’his-toire du Maroc, prend valeur de sym-bole. Le mois d’août est en effet le mois des célébrations de grands événements de l’histoire du Maroc : nous commé-morons le 14 août de chaque année le retour de la province de Oued Eddahab à la mère-patrie, récupérée à la même date en 1979, il y a trente-six ans ! En-suite, de triste mémoire, l’exil forcé par la France du Sultan Mohammed V, le 20 août 1953 à Madagascar ; enfin dans la foulée, le 52ème anniversaire de Sa Majesté Mohammed VI, le 21 août, qui coïncide avec la Fête de la Jeunesse. Ces dates comportent, chacune à sa manière, une signification plus que symbolique .

Le retour de Oued Eddahab en 1979

Les représentants de toutes les tribus sahraouies de la province de Oued Ed-dahab faisaient, ce jour-là, acte d’allé-geance au Roi du Maroc. Notre pays récupérait ainsi la province que les Es-pagnols, depuis qu’ils l’avaient occupée au siècle dernier, appelaient Rio de Oro et qui, dans le cadre de l’accord tripartite de Madrid, de novembre 1975, avait été confiée à la Mauritanie. Son rattache-ment naturel au Royaume, ce jour du 14 août 1979 fut, outre un échange intense d’allocutions, marqué par une cérémo-nie émouvante, au Palais royal de Rabat, au cours de laquelle les chefs de tribus venus de la province de Dakhla renou-velaient le serment de fidélité au Roi.

Oued Eddahab constituait la dernière province du Sahara rétrocédée au Ma-roc. Ses populations ne s’étaient jamais départies de leur marocanité, régulière-ment exprimée et manifestée à chaque fois que l’occasion leur en fut donnée. Le 14 août 1979 symbolisa, de ce fait, une manière de retrouvailles et illustra surtout, de manière éclatante, ce que les historiens n’ont jamais cessé d’invoquer, à savoir l’enracinement de la plupart des dynasties marocaines, en particulier des Alaouites, dans le Sahara.

Sans doute en effet, faudrait-il souli-gner que les populations de l’extrême sud du Sahara refusaient encore, plus ir-rémédiablement que les autres, leur iso-lement imposé par l’occupation coloniale du Royaume du Maroc. Les populations du Sahara n’ont pas été de simples té-

moins mais les véritables acteurs d’une histoire dont les pages continuent d’être écrites. Une histoire rythmée et qui ar-rive aujourd’hui à un tournant significa-tif. Le Maroc, initiateur d’un modèle de règlement de “conflit”, a repris la main, si tant est qu’il l’ait jamais perdue -, dans la gestion de cette affaire, dont les arrière-plans au niveau algérien restent à la fois mystérieux et d’une limpidité hallucinante. Il convient, néanmoins, de souligner que la cohésion nationale, la consolidation du front intérieur de Tan-ger à Lagouira, la prise en compte mal-gré tout par les dirigeants algériens que rien ne viendra entamer l’unité du peuple marocain dans cette affaire, le soutien évident de la communauté internationale au projet d’autonomie constituent des facteurs objectifs et dynamiques dans le sens d’un règlement honorable. Car il n’est pas d’autre issue que ce laborieux chemin qui va au-delà de l’aveuglement algérien.

Le Maroc aura fait le nécessaire, il reste ouvert, mais ne saurait mettre en cause sa cohésion, son intégrité territoriale et sa souveraineté nationale au prétexte que le gouvernement algérien nous les conteste.

Le complot du 20 août 1953 contre Mohammed V

L’autre événement est la célébration, chaque année, de la journée du 20 août, fériée et chômée ! Combien d’entre nous, notamment les jeunes généra-tions, savent-ils ce que cette date signi-fie ? Pourquoi a-t-elle été « baptisée » « Révolution du Roi et du peuple » ? Quelle portée politique a-t-elle de nos jours ? Le 20 août signifie la sinistre date de l’exil forcé du Roi Mohammed V en Corse. Le Maroc était encore un protec-torat français, dirigé de Paris, bien sûr, mais représenté par un Résident à Rabat qui, sorte de proconsul, administrait le Maroc et était doté de tous les pouvoirs politiques, institutionnels, décisionnels et militaires.

Ces dernières décennies, nous avons pris l’habitude de célébrer cet anniver-saire avec la même ferveur, certes, mais aussi une sorte de recueillement qui nous fait presque oublier le contenu et l’objet de cette sacralisation. Cette an-née, nous commémorons donc le 62ème anniversaire de la Révolution du Roi et du peuple . Combien de jeunes d’au-jourd’hui sont-ils au fait de la signifi-cation de cet événement ? Combien de ceux qui ont vécu les années de l’indé-pendance peuvent-ils encore se souvenir de ce duel majeur qui a mis face-à-face le roi Mohammed V et la camarilla or-ganisée autour du résident Guillaume,

composée des Glaoui et les zaouiyas encadrées par Kettani, féodal collabo, dit le « chrif » ?

L’histoire du Maroc en ces années cin-quante était d’autant plus mêlée à celle de la France, qu’elle mérite plus qu’une simple description, images, rares images encore à l’appui... Mais une analyse cen-trale ! Nos manuels d’histoire consacrent rarement la part qui lui faut à cet événe-ment, ils le survolent et le figent dans une chronologie qui a vite fait de réduire sa force. La déposition de Mohammed V, le 20 août 1953, participait ni plus ni moins d’un complot, organisé, planifié, exécuté par le représentant colonial, un militaire borné, au passé pourtant célé-bré et tout à sa gloriole... et ses affidés marocains! Leur objectif affiché ? Outre l’exil forcé du souverain légitime, outre son remplacement par une potiche, du nom de Mohamed Arafa, mettre au pas les résistants à la colonisation, ces jeunes nationalistes qui remplissaient les bagnes installés un peu partout au Maroc, écra-ser la revendication d’indépendance de-venue persistante... Mais, au-delà : c’est l’histoire et la mémoire du Maroc qui étaient dans le collimateur !

Le général Guillaume jubile en ce 20 août 1953, lorsque le souverain du Maroc est contraint de quitter son pays, ses enfants poussés violemment par un escadron de militaires vers la piste d’en-vol de Salé. L’exil de Mohammed V du-rera 28 mois, il commencera en Corse où la population lui exprime sympathie et dévouement. Ensuite à Antsirabé, à Madagascar, où naîtra sa dernière fille, la princesse Lalla Amina. Mohammed V regagnera Paris fin octobre 1955, et entamera de longues et laborieuses né-gociations pour la libération du Maroc avec Antoine Pinay, président du Conseil français...Il arrachera l’indépendance, et fera un retour triomphal au Maroc, le 16 novembre pour proclamer officiel-lement l’indépendance du Maroc le 18 novembre 1955...

La fête de la jeunesseLa célébration, cette année de la Fête

de la Jeunesse, qui correspond au 52ème anniversaire du Roi Mohammed VI, sur-vient dans un contexte inédit, marqué par la mise en œuvre d’une série de ré-formes significatives. Cette constellation heureuse donne la mesure exceptionnelle d’un destin en mouvement au Maroc. L’année 2015 a connu sans doute les plus grands changements que notre pays ait pu enregistrer depuis des décennies. Et pour ne s’en tenir qu’au volet de la jeu-nesse, il convient de signaler que Mo-hammed VI, ayant accédé au Trône en

1999, à l’âge de 36 ans n’a jamais cessé d’incarner la jeunesse, à la fois du règne et de la maturité politique. Son destin personnel et celui du Maroc se croisent indubitablement et se confondent, tant le Roi voue son action et sa vie à la construction du nouveau Maroc.

Le Roi a accordé aux jeunes le pou-voir, institué en droit de vote à 18 ans, autrement dit, la jeunesse marocaine qui représente, en quelque sorte, la majorité de la population a désormais les moyens constitutionnels de s’exprimer et de par-ticiper au choix de ses élus. Les jeunes filles et garçons incarnent à ses yeux l’avenir du Maroc, mais aussi et surtout le très fort potentiel d’édification et de développement. En lui dévouant une date et une célébration, le Roi donne la pleine mesure à la date du 21 août qui, chaque année, a valeur de symbole, renouvelle l’engagement personnel du Roi en faveur de la jeunesse, ouvre de nouveaux chan-tiers et suscite un élan majeur.

Le Roi est plus que tout autre fier de la jeunesse marocaine. Celle-ci, dans sa grande et profonde diversité, le lui rend d’autant plus bien qu’à l’occasion des vi-sites qu’il entreprend dans les provinces, elle lui réserve constamment un accueil enthousiaste qui est à la mesure de l’atta-chement à un guide politique et spirituel. La vision royale de la jeunesse est aussi celle d’un chef d’Etat qui entend donner les moyens d’épanouissement aux jeunes de son pays, en termes de réalisations, sportives, culturelles, sociales notam-ment et politiques même. Il est soucieux de lui offrir les moyens de formation et d’éducation. Son action est alors impri-mée à travers les secteurs où la place des jeunes se reflète, à coup sûr, de manière aussi prioritaire que les autres.

Les jeunes sont au cœur de la réflexion et de l’action du Roi Mohammed VI. Le dire, c’est en effet sacrifier à un truisme, tant il est vrai que le Maroc est d’abord une image de la jeunesse. Et celle-ci bé-néficie, comme jamais une autre ni dans le temps , ni dans l’espace, des libertés publiques et privées que la Constitution et les principes sacrés de l’Etat de droit lui accordent. Ils font d’elle non pas une simple catégorie, mais un acteur essentiel de la société marocaine. On dit souvent que la jeunesse est le miroir d’un pays. Au Maroc, elle incarne surtout l’une des forces – en nombre d’abord – qui consti-tuent l’espoir de notre avenir. n

Hassan alaoui

IMPRESSION

(Al Ahdath Al Maghribia)

Les trois dates sacrées du mois d’août

SOCIÉTÉ :

Maroc diplomatique SARLTél : 05 22 45 20 0442, Avenue des FAR

[email protected]épôt Légal : 2014/59

RÉDACTION :

Directeur de la publication : Hassan Alaoui

E-mail : h.alaoui [email protected]

Directrice de la rédaction :Souad Mekkaoui

E-mail : [email protected]

Directeur Technique et artistique :

Abdeltif ChakirE-mail : [email protected]

Secrétaire de la RédactionEl Hassane [email protected]

Reporter photoghrapheBachir Annoub

Journalistes & Collaborateurs :

Bouthaina Azami, Olivier Stevens,

Abdallah Bouhamidi, Hassan Riad, Mohamed Malki, Yassine BenAli, Boubker Badri,

Abderrahim Bourkia

Page 3: La Monarchie de tous les défis

3NATION AOÛT 2015

Page 4: La Monarchie de tous les défis

HUMEUR4 AOÛT 2015

Par Souad Mekkaoui

Objet : Baccalauréat, Seuils de présélection infranchissables pour démocratiser l’accès aux écoles et même aux facultés ! ! !

A Monsieur le Président du Conseil supérieur de formation et éducation et de la recherche scientifique,

A Monsieur le Chef de gouvernement,A Messieurs les Ministres chargés du système éducatif marocain, A Monsieur le Président de la chambre des Conseillers,A Monsieur le Président du parlement,Aux membres de la Commission chargée de l’enseignement au ni-

veau de la chambre des représentants et de la Chambre des conseillers.

Messieurs les gouvernants, Nos élèves du baccalauréat ont passé une année chargée de travail

intense, néanmoins pleine d’espoir nourri pour aller vers des études supérieures qui répondent à leurs aspirations, leur niveau et leurs besoins.

Les meilleurs se sont distingués par d’excellents résultats obtenus à la fin de l’année et ont fêté leur belle réussite. Ils gardent cependant la peur au ventre devant l’incertitude de pouvoir trancher un choix qui anime leur rêve depuis de longues années pour faire une école d’ingénieurs, de commerce, la faculté de médecine ou de dentaire ou simplement la faculté des sciences et techniques. Et pour cause des seuils de présélection exigés qui donnent le tournis ! Nos élèves doivent crever des plafonds et battre des records, d’année en année, dans les moyennes finales obtenues au baccalauréat.

N’est-ce pas là une aberration des plus discriminantes quand on est fils du peuple et qu’on ne dispose pas de moyens financiers pour prendre le large et partir réaliser son rêve dans des universités étran-gères croyant que les études sont le seul moyen d’une ascension so-ciale? Cette discrimination va laisser en marge des élèves brillants - parce que démunis - pour les casser dans leurs aspirations en leur imposant de s’orienter, à défaut d’accéder à leur choix, vers des spé-cialités qu’ils seront obligés d’accepter par contrainte.

On ne cesse de parler d’un manque d’engagement professionnel, de responsabilité et d’honnêteté dans le travail, constatés et avérés chez nos concitoyens fonctionnaires, cadres, professeurs, infirmiers, gendarmes, policiers, employés de bureau etc…. Nous vous répondons tout simplement que notre système produit à profusion des diplômés, des fonctionnaires et des cadres qui ne sont pas dans leur place par vocation ; mais qui occupent simplement des postes par défaut, sinon dans la majorité des cas, par nécessité d’avoir un salaire à la fin du mois. Le début du redressement devra être orienté vers cette liberté de pouvoir exercer le choix que nous voulons pour occuper un poste auquel nous sommes préparés et, disons-le, pour pouvoir travailler à l’aise, servir son institution, sa famille et son pays. Le schéma que nous vivons est naturellement dans la majorité des cas, tout autre. Faute d’avoir des statistiques, nous dirons que nos étudiants maro-cains tentent plusieurs choix aléatoires pour multiplier la chance de réussir et prendre l’option qui s’offre à eux. Malheureusement, quand ce n’est pas la voie qu’ils ont choisie, le système fabrique d’éternels malheureux à partir des études supérieures pour les transformer en cadres frustrés qui ne seront jamais satisfaits de leur travail, ni ac-complir, convenablement, leur mission de bons citoyens. Un jeune bachelier qui n’a pas le droit de faire les études qu’il souhaite, sera dans le meilleur des cas malcontent, déçu, amer et pire, un mauvais citoyen tricheur, malhonnête et jamais fier de ce qu’il est, avec un niveau faible de l’estime de soi qui s’accentue au fil des ans pour faire

de lui un corrompu et … bonjour la dérive !Revenons maintenant à l’origine de ce dysfonctionnement. Il y a

bien longtemps, nos lycéens souffraient gravement de la non consi-dération du travail accompli, le long du cycle secondaire. Ce faisant, notre législateur, selon les recommandations de la COSEF lors de la fameuse réforme, a bien voulu donner à l’élève la chance de se faire aider par ses efforts personnels, le long de la première et deuxième année du baccalauréat, par les notes du contrôle continu pour repêcher les élèves qui subissent un accident de parcours. Cependant, le mal est plus profond. En référence à ce qui précède dans cette analyse, le professeur marocain qui n’exerce pas, forcément, son métier par vocation se convertit facilement en un malhonnête faussaire qui va chercher et trouver le moyen pour gonfler les notes de ses élèves afin de camoufler son manquement à son devoir et son déficit quant au travail en classe. Ou scénario plus élaboré encore, il exhortera les élèves pour faire des heures supplémentaires dans le but de renforcer leur niveau. Or – et là c’est un autre problème et non des moindres- le miracle n’y sera pour rien et l’effort non plus puisque certains de ces enseignants « dopent » les élèves qui passeront leurs tests, de façon plutôt machi-nale puisque le professeur prépare à l’avance des exercices similaires avec les élèves qui viennent profiter de ses cours. Ces manipulations honteuses et dégradantes pour le corps professoral, sont nourries par des personnes qui sont animées plus par le gain et le matérialisme que par engagement. Mais heureusement qu’il y a encore des professeurs dignes de ce nom qui s’acquittent de leur mission avec beaucoup de dévotion et d’amour. Toutefois, force est de rappeler que plusieurs des cas cités au préalable, font ce métier par défaut et finiront par traîner des générations à la dérive et à la défaillance dans laquelle notre système s’enfonce de plus en plus.

Dans les systèmes qui se respectent, le métier d’enseignant est va-lorisé et prisé par l’élite des étudiants conscients que l’enseignement est le socle sur lequel repose l’évolution d’un pays (exemple de la Finlande). Chez nous, malheureusement, l’enseignant est classé au bas de l’échelle. Il est blâmé mais jamais récompensé.

Nos élèves font leurs études secondaires, le rêve, l’enthousiasme et l’ambition chevillés au corps. Une fois arrivés en terminale, « l’année des sacrifices pour les parents et celle des défis pour les élèves », les parents se saignent pour que leurs enfants aient une place dans l’une des écoles privées qui affichent du cent pour cent, le jour des résultats du baccalauréat. Et bien entendu, font payer cher leur bonne réputa-tion ! Pour ce faire, et pour que les enfants décrochent d’excellents résultats, le budget annuel des familles s’en ressent à cause des frais de la scolarité mais aussi des cours du soir devenus partie intégrante de cette année bien spéciale pour tout le monde. Et cela sans parler des cours particuliers donnés à domicile. C’est dire que le mode de vie de toute une famille est chamboulé ! Et dire que les citoyens payent leurs impôts et que l4etat doit prendre en charge la scolarisation des enfants !

Les pauvres élèves quant à eux, conscients des sacrifices de leurs parents, font abstraction de leur confort et se tuent à la besogne avec le seul espoir et rêve de faire le bonheur de toute la famille. Que de stress, que de fatigue, que de peur, que de travail, que de nuits blanches pour franchir ce pas géant et réussir cet examen qui leur ouvrirait les portes du paradis –songe-t-on- ! Le jour « J » arrive et le bac est passé ! Les pauvres élèves ont juste le temps de respirer avant d’entamer les cours… Eh oui ! Ce n’est pas fini puisque les cours reprennent ! (Je ne sais, d’ailleurs, de quelle égalité de chances on parle puisque les fils et filles de peuple ne peuvent payer toutes ces sommes exorbitantes pour couvrir toutes ces charges !)

Une nouvelle tendance –ou nécessité ?- fait à présent partie de pro-cessus. Il s’agit bien de ce nouveau fétiche appelé « préparation aux concours » !

Et rebelote ! Une période qui va d’une quinzaine de jours à trois semaines avec des cours accélérés afin d’aider les élèves à faire face

aux difficultés des examens pour l’accès aux grandes Ecoles. Or les résultats viennent pour trancher et rappe-ler ces pauvres enfants à la dure réalité ! On affiche des moyennes qui nous laissent bouche bée et qui dépassent les 19 ! Aussi les grandes écoles du Maroc élèvent les seuils pour y accéder puisque les places sont limitées ! A titre d’exemple, pour la médecine générale, le seuil était fixé à 16,22. Les candidats étaient de 3216. Or seulement 400 admis figuraient sur la liste principale et 202 sur la liste d’attente. Pour la médecine dentaire, le seuil d’admission était de 16,97 seuls 135 candidats ont été retenus (Casablanca). Pour la pharmacie, 17,37 (régional coefficient 1/ National×3).

Des élèves brillants avec d’excellents résultats et leurs parents se retrouvent donc dans la tourmente ! Qu’ils n’aient pas réussi le concours d’accès ou qu’ils n’aient

pas eu le seuil requis pour y accéder, des milliers de bacheliers se voient dans le flou, et donc contraints à opter pour la première possibilité – si toutefois il en existe - qui se présente à eux. C’est dire qu’on ne rêve plus son avenir, on ne programme plus son parcours ; mais on met de côté ses ambitions et ses rêves pour prendre un autre chemin imposé au nom de je ne sais quel critère, pour entamer un parcours qu’on

n’a jamais envisagé. « J’ai toujours rêvé de faire médecine. J’ai travaillé dur pour

mettre toutes les chances de mon côté mais malheureusement pour moi, le seuil de présélection dépassait et de loin ma moyenne (15,40). A cause de ces seuils très élevés, je serai obligée de tenter ma chance à l’Etranger ou changer tous mes projets et faire quelque chose qui n’est pas finalement ce que je souhaite par exemple des études en économie .» Tels sont les propos amers de Bouchra. Dounia en-chaîne avec la même amertume : « J’ai toujours caressé et nourri un seul rêve depuis toute petite, celui de devenir médecin. J’ai eu mon baccalauréat avec un 16,96, j’ai passé le concours mais je savais pertinemment que mes chances étaient réduites puisque déjà sur la liste des candidats dépassant les 3200, j’étais classée à plus de 1500 et les places trop limitées. Je vais faire ENCG alors que cela n’a jamais fait partie de mes projets. C’est dommage de devoir faire des études par contrainte mais c’est comme ça. ». Un autre cas, une autre déception et ce n’est qu’un petit échantillon de milliers de bacheliers, c’est Zineb qui nous fait part de ses désillusions : « Moi, j’ai réussi avec un 17,56 ; j’étais très contente et fière mais cela n’a pas duré longtemps. Je me disais que j’allais enfin réaliser mon rêve et devenir pharmacienne. Malheureusement, mon nom ne figurait pas sur la liste des admis. J’ai réussi le concours de l’ENCG et celui de l’ENSA mais je ne me sens pas motivée et ni l’une ni l’autre ne me tente. J’ai décidé de m’inscrire à la faculté des sciences et techniques, option MIPC. Peut-être que cela va m’aider à mieux me préparer pour le concours de la pharmacie, l’année prochaine. Je compte tenter ma chance une deuxième fois même si je vais passer l’année avec ce sentiment de peur au ventre d’être déçue encore une fois ».

Le constat est ainsi amer ! Ces jeunes délaissent leur élan et leur enthousiasme pour se laisser faire et subir ce qui s’offre à eux. Ces jeunes, hommes de demain sont ainsi dépouillés de leur sentiment de sé-curité et de confiance, chose qui affecte sans conteste, leur patriotisme.

Les réformes se multiplient et se succèdent sans qu’elles ne donnent aucun résultat. Ce n’est nullement une affaire de budget ou d’une « réforme de la réforme » comme cela a été souligné par Sa Majesté le Roi dans son discours à l’occasion de la fête du Trône prononcé ce 30 juillet. Ce n’est nullement un manque de volonté politique pour changer de système ou s’ouvrir sur les langues. Notre défaillance est plus grave, elle est humaine, car, notre système produit des citoyens qui n’exercent pas les métiers qu’ils aiment. Des citoyens qui ne sont pas en phase avec leurs aspirations et ne font pas ce qu’ils ont envie de faire. Des citoyens brisés dans leur élan dès le départ, démotivés, déchirés, dégoutés même…Ils sont victimes d’un système dont on ne cessera jamais de dénoncer l’incohérence et l’aveuglement.

Nous sommes le seul pays dont l’Enseignement coûte la bagatelle de 25% du budget national, à lui seul, qui fabrique des chômeurs et des frustrés, qui a fait l’objet, des décennies durant, des successifs calculs politiciens et qui reste rebelle à toute réforme moderne et enraciné dans la réalité mondiale nouvelle. n

Lettre ouverte aux responsablesCOUP DE GUEULE

« N’est-ce pas là une aberration des plus discriminantes quand on estfils du peuple et qu’on ne dispose pas de moyens financiers pour prendre le large et partir réaliser son rêve dans des universités étrangères croyant que les études sont le seul moyen d’une ascension sociale ? »

« Le système fabrique d’éternels malheureux à partir des études supérieures pour les transformer en cadres frustrés qui ne seront jamais satisfaits de leur travail, ni accomplir, convenablement, leur mission de bons citoyens. »

« Des élèves brillants avec d’excellents résultats et leurs parents se retrouvent donc dans la tourmente ! Qu’ils n’aient pas réussi le concours d’accès ou qu’ils n’aient pas eu le seuil requis pour y accéder, des milliers de bacheliers se voient dans le flou, et donc contraints à opter pour la première possibilité - si toutefois il en existe - qui se présente à eux. »

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5NATION AOÛT 2015

LE DISCOURS DU TRÔNE DU 30 JUILLET 2015

Un acte de foi et une feuille de route programmatique

Nous publions ci-dessous le texte du discours que le Roi Mohammed VI a pro-noncé le 30 juillet à Rabat à l’occasion du XVIème anniversaire de la Fête du Trône

:

«C’est avec un sentiment de fierté que nous commémorons au-

jourd’hui le seizième anniversaire de la glorieuse Fête du Trône. Cette célébration n’est pas qu’une simple occasion somme toute passagère. Elle est, plutôt, porteuse de fortes significations qui traduisent la profondeur des pactes de loyalisme et de fidélité scellés entre nous, et incarnent les liens d’allégeance qui t’unissent à ton Premier Serviteur et qui ne font que se renforcer et s’enraciner avec le temps.Nous avons fait de cette commémoration une occasion annuelle pour marquer une pause et nous interroger sur les réalisa-tions que le Maroc a accomplies et sur les défis qu’il affronte. Je voudrais, à cette occasion, adresser mes remerciements à toutes les forces vives de la nation et à tous les acteurs qui se sont tenus à mes côtés dans l’effort collectif qui est engagé au service du citoyen.

Nous sommes également sensible à la contribution qu’ils apportent pour confor-ter le Maroc dans la position qui est la sienne et pour renforcer la confiance dont il est l’objet, surtout dans la conjoncture que traversent certains Etats de la région. Mais je ne veux pas ici parler des seules réalisations, ni m’intéresser uniquement au bilan et aux chiffres. Car, en effet, tout ce qui a été réalisé, nonobstant son importance, restera insuffisant pour notre pays tant qu’une frange de la so-ciété continue à souffrir des conditions pénibles de la vie, et tant qu’elle éprouve le sentiment d’être marginalisée, malgré tous les efforts déjà consentis.

Faire profiter tous les citoyens des richesses

de la nationCertes, c’est une catégorie qui est en

passe de se rétrécir de plus en plus. Mais

je tiens, néanmoins, à ce que tous les ci-toyens puissent profiter des richesses de la nation. Comme je t’en ai fait le ser-ment, je continuerai à travailler jusqu’au dernier souffle pour arriver à ce dessein. Car Notre ambition pour rendre heureux Notre peuple est sans limites. Tout ce que vous vivez m’intéresse : ce qui vous atteint m’affecte aussi, ce qui vous ap-porte bonheur me réjouit également. Ce qui vous tracasse figure toujours en tête de mes préoccupations.

A partir de là, il est impératif de mar-quer une pause pour parvenir à des solu-tions nouvelles, aptes à permettre à cette catégorie sociale de se mettre au diapa-son et de s’intégrer dans la vie nationale. C’est pourquoi Nous avons fait de la pré-servation de la dignité du citoyen la fi-nalité de toutes les réformes politiques et sociales et de toutes les initiatives vouées au développement. En effet, les institu-tions, si importantes soient-elles, ne sont pas une fin en soi. De même, la croissance économique n’aura aucun sens si elle ne se traduit pas par l’amélioration des conditions de vie des citoyens. En dépit des progrès réalisés par notre pays, ce qui me désole, c’est cette situation de précari-té que vivent certains de nos concitoyens dans les régions éloignées et enclavées, surtout sur les sommets de l’Atlas et du Rif, les zones sahariennes arides et les oasis, ainsi que certains villages dans les plaines et sur les côtes. Nous avons conscience de l’ampleur du déficit qui s’est accumulé depuis des décennies dans ces régions, malgré toutes les initiatives et tous les efforts qui ont été déployés.

Une étude sur le terrain

dans chaque douar et région

C’est pourquoi, dès que Nous avons assumé la mission d’assurer ta direction, cher peuple, Nous avons fait le serment devant Dieu de n’épargner aucun effort pour améliorer le sort des populations de ces régions, et atténuer leurs souf-

frances. Aussi, et pour consolider les initiatives déjà mises en chantier, avons-Nous décidé de charger le ministre de l’Intérieur, qui exerce l’autorité tutélaire sur les collectivités territoriales, de me-ner une étude de terrain globale, pour cerner les besoins de chaque Douar et de chaque région, en termes d’infrastruc-tures et de services sociaux de base, tant dans les domaines de l’enseignement et de la santé, qu’en ce qui concerne l’eau, l’électricité, les routes rurales, etc. Cette étude a porté sur toutes les régions du Royaume. Elle a permis d’identifier plus de 29 mille Douars, dans 1272 com-munes, souffrant d’un tel déficit. Les régions et les domaines concernés ont été répertoriés par ordre de priorité.

De même qu’ont été examinés envi-ron 20 800 projets, dédiés à plus de 12 millions de citoyens, vivant dans plus de 24 mille Douars, avec un budget glo-bal de 50 milliards de dirhams environ. Afin de garantir le succès d’un chantier social aussi ambitieux, Nous invitons le gouvernement à établir un plan d’action intégré, fondé sur le partenariat entre les différents départements ministériels et les institutions concernées, en vue de trouver les moyens de financement des projets et de définir un échéancier précis pour leur mise en œuvre.

Ces projets pourront être intégrés à l’Initiative Nationale pour le Développe-ment Humain dans sa nouvelle approche, et s’insérer dans les futurs programmes des Conseils régionaux et locaux, qui disposent désormais de ressources im-portantes et de larges compétences.La régionalisation que Nous appelons de Nos vœux doit reposer sur un effort soutenu et imaginatif permettant de trouver des solutions adaptées à chaque région, selon ses spécificités et ses ressources, et en fonction des opportunités d’emploi qu’elle peut apporter, et des difficultés qu’elle rencontre en matière de développement.La Région doit constituer un pôle de développement intégré, dans le cadre d’un équilibre et d’une complémentarité entre ses zones, ses villes et ses villages,

de telle sorte qu’elle contribue à endiguer le mouvement d’exode vers les villes.

Désenclaver les zones rurales

et les quartiers urbains L’attention portée à la situation de

nos concitoyens ne se limite pas aux seules populations du monde rural et aux zones éloignées ou difficiles d’ac-cès. Elle vise également la promotion des zones marginales et des quartiers anarchiques en périphérie urbaine. C’est pourquoi nous avons concentré les pro-jets de l’INDH sur la lutte contre les déficits qui y ont été relevés.Nous avons également engagé le gouvernement à ac-corder plus d’importance aux politiques sociales. Mais l’intérêt que Nous por-tons à la situation de nos citoyens de l’intérieur n’a d’égal que Notre volonté de veiller sur les intérêts de nos enfants résidant à l’étranger, de consolider leurs attaches identitaires et de les mettre en capacité d’apporter leur concours au dé-veloppement de leur patrie.

Au cours de mes visites à l’étranger et de mes rencontres au Royaume avec des membres de notre communauté à l’étranger, J’ai eu l’occasion de prendre la mesure de leurs préoccupations réelles et de leurs aspirations légitimes.Nous pensions qu’ils affrontaient des difficul-tés uniquement à l’intérieur du Maroc. Or nombre d’entre eux se plaignent éga-lement d’une série de problèmes dans leurs relations avec les missions consu-laires marocaines à l’étranger.

En effet, certains consuls, et non tous – Dieu merci – au lieu de remplir leur mission comme il se doit, se préoccupent plutôt de leurs affaires personnelles ou de politique.Certains membres de la communauté m’ont fait part de leur mé-contentement du mauvais traitement qui leur est réservé par certains consulats, ainsi que de la faiblesse des prestations qu’ils leur fournissent, tant pour ce qui concerne la qualité de ces services, que pour ce qui est du respect des délais ou de certaines entraves administratives.

« En dépit des progrès réalisés par notre pays, ce qui me désole, c’est cette situation de précarité que vivent certains de nos conci-toyens dans les régions éloignées et enclavées, surtout sur les sommets de l’Atlas et du Rif, les zones sahariennes arides et les oasis, ainsi que certains villages dans les plaines et sur les côtes. »

A l’occasion du seizième anniversaire de l’accession

du Souverain au trône, Sa Majesté le Roi

Mohammed VI, a adressé un important discours au peuple marocain,

concis, clair, franc et ferme.

Page 6: La Monarchie de tous les défis

NATION6 AOÛT 2015

L’interpellation du ministre des Affaires

étrangères

Nous attirons donc l’attention du ministre des Affaires Etrangères sur la nécessité de s’employer avec toute la fermeté requise à mettre fin aux dys-fonctionnements et autres problèmes que connaissent certains consulats. Il faut, d’une part, relever de ses fonctions quiconque a été reconnu coupable de négligence, de dédain pour les intérêts des membres de la communauté, ou de mauvais traitement à leur égard. D’autre part, il faut veiller à choisir les consuls parmi ceux qui remplissent les conditions requises de compétence, de responsabili-té et de dévouement au service de nos en-fants à l’étranger. Les membres de notre communauté sont encore plus désap-pointés lorsqu’ils font des comparaisons entre, d’une part, le niveau des presta-tions fournies par les services adminis-tratifs et sociaux des pays de résidence, et l’accueil qui leur est réservé, et, d’autre part, le traitement dont ils sont l’objet à l’intérieur de ces missions consulaires nationales.

S’ils n’arrivent pas à régler leurs af-faires, au moins devraient-ils être bien accueillis et traités avec courtoisie et res-pect. Ainsi, par exemple, ils subissent des lenteurs dans l’enregistrement des noms à l’état civil ou la rectification des erreurs, avec tout ce que cela implique en perte de temps et en coûts financiers.

S’agissant du choix des noms égale-ment, il appartient à la Haute commission de l’état civil de s’atteler à trouver des solutions raisonnables aux cas qui lui sont soumis, en faisant preuve de sou-plesse et de compréhension. De même, il faut mette un terme aux pressions qu’ils subissent parfois pour se voir im-poser certains noms.Le même impératif s’impose pour régler les problèmes de lenteur et de complexité des procédures de renouvellement et de légalisation des documents officiels. Il faudrait, de ma-nière générale, améliorer le contact et la communication avec les membres de la communauté à l’étranger, rapprocher les prestations qui leur sont destinées, simplifier et moderniser les procédures, respecter leur dignité et préserver leurs droits. S’agissant des problèmes que ren-contrent certains immigrés à leur retour dans la patrie, Nous réaffirmons la né-cessité de faire montre de la plus grande fermeté à l’égard de quiconque s’avise d’abuser de leurs intérêts ou d’exploiter leur situation.

En dépit de toutes les difficultés qu’ils

rencontrent, Nous notons avec satisfac-tion le nombre croissant de ceux, parmi eux, qui rentrent chaque année pour vi-siter leur pays et revoir les leurs.C’est pourquoi Nous ne cessons d’exprimer Notre fierté devant tant d’amour qu’ils portent à leur patrie, ainsi que Notre vo-lonté de veiller à la protection de leurs intérêts. Afin de conforter la participa-tion des Marocains de l’étranger à la vie nationale, Nous appelons à la mise en œuvre des dispositions de la Constitution relatives à l’intégration de leurs repré-sentants dans les institutions consulta-tives et les instances de gouvernance et de démocratie participative. De même, Nous réitérons Notre appel pour éla-borer une stratégie intégrée, fondée sur la synergie et la coordination entre les institutions nationales ayant compétence en matière de migration, et pour rendre ces institutions plus efficientes au service des intérêts des Marocains de l’étranger. Ceci implique notamment la nécessité de se prévaloir de l’expérience et du sa-voir-faire accumulés par le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, en vue de mettre en place un Conseil qui réponde aux aspirations de nos enfants à l’étranger. Dans le contexte des réformes que Nous mettons en œuvre au service du citoyen, la réforme de l’enseignement est à la base du développement.

Elle est la clef de l’ouverture et de la promotion sociale, le gage de protection de l’individu et de la collectivité contre les fléaux de l’ignorance et de la pauvre-té, et les démons de l’extrémisme et de l’ostracisme.

Réhabiliter l’école marocaine

Voilà pourquoi Nous n’avons de cesse de plaider pour une réforme substantielle de ce secteur vital, de sorte à réhabiliter l’école marocaine et à la rendre apte à remplir comme il se doit la mission qui est la sienne en matière d’éducation et de développement. Aussi avons-Nous confié au Conseil supérieur de l’Education, de la Formation et de la Recherche scientifique le soin d’évaluer l’état d’exécution de la Charte nationale de l’éduction et de la formation, et de dégager une vision stratégique globale pour la réforme du système éducatif dans notre pays. Pour bien comprendre en quoi consiste la ré-forme, Nous posons cette question : est-ce que l’enseignement que reçoivent nos enfants aujourd’hui dans les écoles pu-bliques est capable de garantir leur avenir ? Ici, il faut faire preuve de sérieux et de réalisme, et s’adresser aux Marocains en toute franchise en leur demandant : pourquoi sont-ils si nombreux à inscrire leurs enfants dans les établissements des

missions étrangères et les écoles privées, malgré leurs coûts exorbitants ?

La réponse est claire: c’est parce qu’ils cherchent un enseignement ouvert et de qualité, fondé sur l’esprit critique et l’ap-prentissage des langues, un enseignement qui permette à leurs enfants d’accéder au marché du travail et de s’insérer dans la vie active. Or, contrairement à ce que prétendent certains, l’ouverture sur les langues et les autres cultures, ne portera aucunement atteinte à l’identité natio-nale. Bien au contraire, elle contribuera à l’enrichir, d’autant plus que l’identité marocaine est, grâce à Dieu, séculaire et bien enracinée, et qu’elle se distingue par la diversité de ses composantes qui s’étendent de l’Europe jusqu’aux profon-deurs de l’Afrique. Même si j’ai étudié dans une école marocaine suivant les pro-grammes et les cursus de l’enseignement public, je n’ai aucun problème avec les langues étrangères.

La Constitution, qui a été votée par les Marocains, appelle à l’apprentissage et la maîtrise des langues étrangères en ce qu’elles sont des moyens de commu-nication, d’insertion dans la société de la connaissance et d’ouverture sur l’esprit du temps.Par ailleurs, les étrangers re-connaissent la capacité des Marocains à maîtriser avec brio différentes langues. Aussi, la réforme de l’enseignement doit se départir de tout égoïsme et de tous calculs politiques qui hypothèquent l’avenir des générations montantes, sous prétexte de protéger l’identité.En effet, l’avenir de tout le Maroc reste tributaire du niveau de l’enseignement que nous offrons à nos enfants.

Partant de là, la réforme de l’ensei-gnement doit viser au premier chef à permettre à l’apprenant d’acquérir les connaissances et les habiletés et de maî-triser les langues nationales et étrangères, notamment dans les filières scientifiques et techniques qui ouvrent les portes de l’insertion sociale.La réforme souhaitée ne pourra être cohérente que si l’on s’affranchit du complexe qui fait penser que le baccalauréat est une question de vie ou de mort pour l’élève et sa famille, et que celui ou celle qui ne l’obtient pas n’a pas d’avenir. Bien évidemment, cer-tains citoyens ne veulent pas s’orienter vers la formation professionnelle car, pour eux, cette filière les dévalorise et n’est utile que pour les petits métiers. Mieux encore, ils y voient un refuge pour ceux qui n’ont pas réussi leurs études.

Nous devons, donc, aller vers eux pour changer cette opinion négative et leur ex-pliquer que l’individu peut s’élever et réussir sa vie sans l’obtention du bacca-lauréat. Nous devons également œuvrer avec le plus grand réalisme à les insérer dans la dynamique que connaît ce sec-

teur. Les Marocains n’aspirent qu’à être rassurés sur l’avenir de leurs enfants en ayant la certitude que ces derniers bé-néficient d’une formation propre à leur ouvrir les portes du marché de l’emploi.

Etant donné que la formation pro-fessionnelle est devenue aujourd’hui la clé de voûte dans tous les secteurs de développement, on devrait passer de l’enseignement académique classique à une double formation garantissant aux jeunes la possibilité d’obtenir un emploi. Dans ce cadre, il faut renforcer les insti-tuts de formation aux différentes filières, notamment les nouvelles technologies, l’industrie automobile, l’aéronautique, les professions médicales, l’agriculture, le tourisme, le bâtiment et bien d’autres.Parallèlement à cela, il faut assurer une formation professionnelle renouvelée et de haute qualité, plus particulièrement dans les filières qui nécessitent des études supérieures.Un motif de satisfaction : le niveau honorable auquel les Marocains se sont hissés dans les différentes branches scientifiques. Ceci a permis à notre pays de disposer d’une main d’œuvre haute-ment qualifiée et apte à travailler au sein des différentes entreprises mondiales, plus spécifiquement celles qui choisissent le Maroc pour élargir leurs investisse-ments et étendre leur rayonnement.

Une autre action diplomatique nationaleAfin d’assurer le succès de la réforme

dans sa portée stratégique, chacun doit se l’approprier et s’impliquer sérieuse-ment dans sa mise en œuvre. En outre, Nous appelons à l’élaboration de cette réforme dans le cadre d’un contrat natio-nal contraignant, et ce, à travers l’adop-tion d’une loi-cadre cernant la vision à long terme et mettant fin à l’intermi-nable cercle vicieux de la réforme de la réforme.

Si la politique intérieure de notre pays a pour vocation essentielle de servir le ci-toyen, sa politique extérieure vise, quant à elle, à être au service des intérêts su-périeurs de la nation. A cet effet, Nous nous sommes attelé à revoir le style et les orientations de l’action diplomatique nationale, tout en demeurant attaché aux principes immuables sur lesquels le Maroc s’appuie dans ses relations ex-térieures, à savoir rigueur, solidarité et crédibilité. Cette orientation est venue dans le sillage de l’évolution et de l’ar-rivée à maturité du modèle marocain et aussi pour accompagner les mutations ré-gionales et internationales accélérées, en mettant à profit les opportunités ouvertes par ces transformations et en relevant les défis qu’elles posent.

« Or, contrairement à ce que prétendent cer-tains, l’ouverture sur les langues et les autres cultures, ne portera aucunement atteinte à l’identité nationale. Bien au contraire, elle contri-buera à l’enrichir, d’au-tant plus que l’identité marocaine est, grâce à Dieu, séculaire et bien enracinée, et qu’elle se distingue par la diversité de ses composantes qui s’étendent de l’Europe jusqu’aux profondeurs de l’Afrique.»

Page 7: La Monarchie de tous les défis

7NATION AOÛT 2015

« Les développements advenus dans l’affaire du Sahara ont démontré la justesse de notre position au niveau onusien et la sincérité de nos orientations au niveau national. C’est ainsi, en effet, que sera lancée, par la grâce de Dieu, la mise en œuvre de la régionalisation avancée et du modèle de développement des provinces du Sud du Royaume. »

Le Maroc ne se fera jamais empiéter

sur sa souveraineté Pour ce qui est de la rigueur, le Ma-

roc, en tant que partenaire responsable et fidèle à ses engagements internatio-naux, ne ménagera aucun effort pour défendre ses intérêts supérieurs. Il ne permettra jamais qu’on empiète sur sa souveraineté, son intégrité territoriale et son projet de société. Tout comme il ne tolérera aucune atteinte à ses insti-tutions ou à la dignité de ses citoyens.

Concernant la question de notre intégrité territoriale, Nous avons défi-ni, dans Notre Discours de la Marche Verte, de façon claire et franche, les principes et les référentiels devant servir de base pour traiter l’affaire du Sahara Marocain aux niveaux interne et international.Les développements advenus dans l’affaire du Sahara ont démontré la justesse de notre position au niveau onusien et la sincérité de nos orientations au niveau national. C’est ainsi, en effet, que sera lancée, par la grâce de Dieu, la mise en œuvre de la régionalisation avancée et du modèle de développement des provinces du Sud du Royaume.

Or cela ne signifie pas que nous avons clos ce dossier. Au contraire, chacun doit rester vigilant et mobilisé pour contrecarrer les manœuvres des adversaires et s’opposer à toute dévia-tion susceptible de se produire dans le processus de règlement onusien. S’agissant de la solidarité, le Maroc suit une approche diplomatique stra-tégique visant à consolider une coopéra-tion sud-sud efficiente, notamment avec les pays africains frères. A cet égard, les visites que Nous avons effectuées dans nombre de pays du continent Nous ont permis de développer un modèle de coopération économique mutuellement bénéfique, et d’améliorer les conditions de vie du citoyen africain.

Les solidarités arabes au Yemen, en Irak, en Syrie

et en LibyeFidèle à ses appartenances arabe et is-

lamique, le Royaume s’est engagé dans les coalitions arabes de lutte contre le terrorisme et pour le rétablissement de la légitimité au Yémen; alliances aux-quelles a appelé Notre très cher Frère, le Serviteur des deux Saintes Mosquées, le Roi Salmane Ibn Abdulaziz Al-Saoud, outre la volonté de soutenir nos frères et partenaires stratégiques arabes.

Dans ce cadre, Nous réaffirmons l’importance de trouver des solutions aux situations qui sévissent au Yémen,

en Syrie, en Irak et en Libye, sur la base du dialogue, de l’implication de leurs peuples respectifs dans toutes leurs composantes et du respect de leur sou-veraineté et de leur intégrité territoriale. C’est, justement, l’objectif que le Ma-roc œuvre à réaliser en abritant les né-gociations de Skhirat pour le règlement de la crise libyenne. Malgré le contexte difficile que traverse la région arabe en raison de la multiplication des bandes de l’extrémisme et du terrorisme, la question palestinienne demeure au cœur de la paix au Moyen-Orient.

Là, Nous réaffirmons, en Notre qua-lité de Roi du Maroc et Président du Comité Al-Qods, notre soutien constant à nos frères palestiniens, direction et peuple, pour recouvrer leurs droits lé-gitimes et établir l’Etat palestinien indé-pendant sur les frontières de 1967, avec pour capitale Jérusalem-Est. Quant à la crédibilité de notre action diplomatique, elle est illustrée à travers les relations de partenariat qui nous unissent à un ensemble de regroupements et de pays amis.

Dans le cadre de son insertion au sein de son environnement euro-méditerra-néen, le Maroc continue à œuvrer au développement des partenariats qui le lient aux pays de l’Union européenne. A cet égard, Nous veillons à renforcer le partenariat exceptionnel avec la France, en collaboration avec Son Excellence, le Président François Hollande. Nous travaillons également à nous prévaloir des liens d’amitié avec Sa Majesté le Roi Felipe VI pour renforcer davantage les relations de coopération et de bon voisinage avec l’Espagne; outre notre engagement à développer les rapports d’une coopération fructueuse avec le reste des pays européens. En tant que partenaire stratégique de l’Europe, le Maroc appelle à la mise en place d’un partenariat équilibré et équitable trans-

cendant les intérêts conjoncturels étri-qués. Nous sommes également soucieux de développer notre partenariat straté-gique avec les Etats Unis, qui repose sur les valeurs et les principes auxquels croient nos deux peuples amis.

Dans le cadre de la diversification de ses relations, Nous réitérons l’engage-ment du Maroc à approfondir et enrichir le partenariat qui le lie respectivement à la Russie et à la Chine. Dans le même ordre d’idées, Nous nous employons à ouvrir de plus larges perspectives de-vant les relations de coopération avec les pays d’Amérique latine et les pays asiatiques. La crédibilité de notre pays s’exprime à travers son engagement constructif concernant les différentes problématiques et questions qui préoc-cupent la communauté internationale.

Les forums abrités par le Maroc sur les questions des droits de l’Homme, de l’immigration, du leadership des af-faires, de la lutte anti-terroriste et des changements climatiques, sont autant de manifestations qui témoignent de la confiance et de la crédibilité dont notre pays jouit à l’échelle internationale.Par ailleurs, les réponses apportées par notre pays pour traiter ces questions planétaires constituent une contribution qualitative aux efforts internationaux visant à leur trouver des solutions ob-jectives.

Servir essentiellement

le citoyen Notre doctrine pour l’exercice du

pouvoir consiste essentiellement à servir le citoyen, à sanctuariser son identité, à préserver sa dignité et à être constructivement réceptif à ses aspirations légitimes. Partant du pacte scellé entre nous, ton Premier Serviteur veillera toujours à poursuivre le travail collectif engagé en faveur du Maroc de l’unité, du développement, et de l’éga-lité en termes de droits et d’obligations et d’accès aux ressources du pays. Nous saisissons cette occasion pour rendre hommage aux Forces Armées Royales, à la Gendarmerie Royale, aux Forces Auxiliaires, à la Sûreté nationale et à la Protection civile pour leurs efforts dans la préservation de la sécurité et de l’intégrité des citoyens, et leur dévoue-ment dans la défense de l’intégrité et la stabilité de la nation.

Il n’y a rien de mieux pour conclure le Discours que Je t’adresse, cher peuple, que de te rappeler la nécessi-té de préserver l’héritage précieux que nos ancêtres nous ont légué, à savoir l’identité marocaine authentique qu’on nous envie. En effet, il est de ton devoir patriotique et religieux de protéger ton identité et de demeurer attaché au rite

sunnite malékite que les Marocains se sont choisi de bon gré et transmis de père en fils.N’oublie pas ce pour quoi les Marocains se sont sacrifiés pendant les première et seconde guerres mon-diales et partout dans le monde, et la raison pour laquelle a été exilé Notre Vénéré Grand-Père, feu Sa Majesté le Roi Mohammed V, que Dieu ait son âme. C’était précisément pour faire triompher les valeurs spirituelles et hu-maines auxquelles nous croyons tous. Tout comme aujourd’hui, nous luttons contre l’extrémisme et le terrorisme.Y a-t-il une raison pour que nous renon-cions à nos traditions et à nos valeurs civilisationnelles marquées du sceau de la tolérance et de la modération, et que nous embrassions des doctrines étrangères à notre éducation et à notre morale ?

Evidemment non. Donc, ne permets à personne venu d’ailleurs de te donner des leçons sur ta religion et n’accepte l’incitation de personne à suivre un rite ou une doctrine originaire de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud, et ce, indépendamment de mon respect pour toutes les religions célestes et les doctrines qui s’y rattachent.Tu dois ré-cuser tous les facteurs de division et avoir à cœur, comme à ton habitude, de préserver l’unité de ton rite et de tes symboles sacrés, et rester ferme sur tes principes et fier de ta religion et de ton appartenance à la patrie.Le Très-Haut a dit : « Mangez ce que votre Seigneur vous a accordé et soyez reconnaissants envers lui : Voici un excellent pays et un Seigneur qui pardonne: Véridique est la parole de Dieu ». n

« Nous réaffirmons, en Notre qualité de Roi du Maroc et Président du Comité Al-Qods, notre soutien constant à nos frères palestiniens, direction et peuple, pour recouvrer leurs droits légitimes et établir l’Etat palestinien indépendant sur les frontières de 1967, avec pour capitale Jérusalem-Est.»

« Y a-t-il une raison pour que nous renoncions à nos traditions et à nos valeurs civilisationnelles marquées du sceau de la tolérance et de la modération, et que nous embrassions des doctrines étrangères à notre éducation et à notre morale ? »

Page 8: La Monarchie de tous les défis

Le Maroc monarchique, à prendre ou à laisser

S.M. le Roi Mohammed VI recevant M. Abdelilah Benkirane.

Hassan alaoui

La célébration, le 30 juillet der-nier, du XVIème anniversaire de l’accession de Sa Majesté

Mohammed VI au Trône, n’a pas man-qué de nous rappeler, encore une fois, ce postulat intangible que la Monarchie est le socle du Maroc. Tout ce qui tourne autour de cette traditionnelle célébra-tion, son organisation, la geste royale elle-même, l’ambiance festive d’une province à l’autre, le discours du Trône – qui en est le moment fort - , l’acte d’al-légeance, enfin, qui est aux institutions ce que les fondements historiques sont à l’Etat, nous ramène à ce péremptoire constat : le Maroc est un pays d’une grande tradition démocratique, il est aussi un pays d’ouverture, lancé au défi de la modernité multiforme.

Ce postulat dialectique ne sacrifie à aucune contradiction sémantique. Il y a seize ans, dans un Maroc qui faisait, non sans grande douleur, son deuil du décès de feu S.M. Hassan II, un jeune Roi prenait les rênes de la relève, susci-tant un enthousiasme populaire, forçant également la curiosité teintée d’admi-ration et de curiosité de la communauté internationale : Sa Majesté Mohammed VI. Il portait les espoirs et les attentes de son peuple, redonnait à son pays la dimension nouvelle, adaptée au socle des valeurs nouvelles de liberté, de so-lidarité et de proximité. Il incarnait un nouveau règne dans sa plénitude et son ancrage dans la réalité sociale du Ma-roc. A l’orée d’un XXIe siècle guetté par les défis en tous genres, accordant la parole au geste, Mohammed VI s’était, d’emblée, inscrit dans une volonté irré-ductible de les relever.

On ne peut, sauf à sacrifier à la mau-vaise foi, résumer un règne à quelque seize ans, fussent-ils denses et intenses,

riches en péripéties, sillonnés de grandes réalisations, conquérants aussi d’une identité collective façonnée et pétrie à force de combats. Il n’est pas excessif de dire que les seize ans qui viennent de s’écouler portent la marque d’un règne exceptionnel, en ce qu’ils ont singulière-ment modifié le visage du Royaume. Et, de ce fait, toute réflexion sur le présent que nous vivons ne peut s’extraire désor-mais de l’esprit de ces années vécues et assumées à la manière d’une épopée où chaque jour, l’actualité expose, au pre-mier plan, notre pays, mettant en avant l’exigence d’un homme, le Roi Moham-med VI. Cette volonté royale affichée, dès les premiers moments de son ac-cession au Trône, symbolisée aussi par une série de gestes forts, à tout le moins significatifs, incarnait déjà la traduction du nouveau socle de valeurs profondé-ment intégrées au règne : l’unité autour de nouveaux objectifs, la promotion des libertés publiques et privées, l’adhésion au principe de progrès et de modernité, le désenclavement des contrées aban-données des années durant, le respect exprimé et défendu de la dignité des po-pulations délaissées, l’adhésion encore au principe du mouvement et de l’action, le refus absolu de la marginalisation des citoyens et le renforcement de l’image d’un Maroc tolérant et ouvert. Plus que des proclamations vertueuses et des dis-cours ressassés, le Roi Mohammed VI en a fait son credo. Sa méthode de pen-sée et de travail. Et tout au long de ces années passées à mettre en adéquation sa pensée et ses gestes, nous verrons se déployer chez lui l’ardeur de la justice, l’ombrageuse jalousie pour la dignité de son peuple, l’implication personnelle pour la défense des jeunes, des détenus, des discriminés…

Sur le plan intérieur et extérieur, il reste l’artisan de la cohésion, l’archi-

tecte de l’unité, d’un même mouvement où l’action quotidienne et le souci du peuple sont présents et ne sacrifient à au-cun artifice, un exercice marqué au sceau de la cohérence. C’est peu dire que ces valeurs ont fini par dessiner l’identité du Maroc nouveau, et agacer ceux de nos adversaires – résiduels à vrai dire – qui tablaient vainement sur la dislocation et peut-être même la désaffection. Le Roi Mohammed VI a conduit le changement à un rythme d’autant plus significatif qu’il a touché à tous les champs, aux pa-ramètres sauvegardés jusque là comme des citadelles, annihilant ou réduisant certains protocoles à des dimensions modestes.

Tout le changement obéissait à un fil conducteur et à un seul : la modernisa-tion, dessinée par une série d’actions, de gestes spontanés et réfléchis, d’actes de rupture et de refondation aussi. Mais une gouvernance royale qui ne s’écarte

jamais des convictions et des valeurs sacrées que sont l’attachement à l’islam sunnite, comme le dernier discours du Trône en a clairement décliné la force, le patriotisme éclairé, et surtout la proxi-mité avec les populations des régions enclavées. Seize ans de règne et l’exer-cice quotidien et usant du pouvoir n’ont pas eu raison – tant s’en faut – de cette conviction chevillée au corps : porter et hisser le Maroc au devant de la scène internationale.

A cette aune, on peut en effet consi-dérer que le Roi, qui ne fait aucune concession à la complaisance, procède en âme et conscience, sans s’écarter de son rôle de guide suprême, il demeure au-dessus de la mêlée. Défenseur impé-nitent de la démocratie et du pluralisme, il s’attellera à son instauration par un acte fondateur : la nouvelle Constitu-tion adoptée à la quasi unanimité par le peuple le 1er juillet 2011 et la tenue d’élections libres qui ont assuré l’al-ternance, la deuxième en fait. Car, en accédant au Trône le 30 juillet 1999, il exprimait déjà sa confiance au gouver-nement de Abderrahmane El Youssoufi, à une transition conduite sous la forme d’une rupture harmonieuse, mais com-portant aussi des orientations précises en termes de priorités dans la gestion et la gouvernance.

Nul mieux que cette phrase n’illus-trait alors l’esprit de ces temps nou-veaux : «A nouvelle époque, nouveaux hommes», avait laissé entendre le Sou-verain. Une génération nouvelle de res-ponsables a pris les devants, confortés par le soutien royal, voire son implica-tion, de nouveaux axes ont été tracés et une immense sympathie internationale n’a cessé, depuis lors, d’accompagner le mouvement de réformes qui a libéré ses énergies.

« Il n’est pas excessif de dire que les seize ans qui viennent de s’écouler portent la marque d’un règne exceptionnel, en ce qu’ils ont singulière-ment modifié le visage du Royaume. Et, de ce fait, toute réflexion sur le présent que nous vivons ne peut s’extraire désormais de l’esprit de ces années vécues et assumées à la manière d’une épopée. »

« Défenseur impénitent de la démocratie et du pluralisme, le Roi Mohammed VI s’attellera à son instaura-tion par un acte fondateur : la nouvelle Constitution adoptée à la quasi unanimité par le peuple, le 1er juillet 2011 et la tenue d’élections libres qui ont assuré l’alternance, la deuxième en fait. »

« Sa Majesté Mohammed VI portait les espoirs et les attentes de son peuple. Il incar-nait un nouveau règne dans sa plénitude et son ancrage dans la réalité sociale du Maroc. A l’orée d’un XXIe siècle guetté par les défis en tous genres, accordant la parole au geste, Mohammed VI s’était, d’emblée, inscrit dans une volonté irréductible de les relever. »

NATION8 AOÛT 2015

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Les priorités du début de règne, outre la méthodologie et le style nouveau, avaient de nets accents économiques et sociaux, le Souverain les ayant formulés comme organiquement liés : l’enseigne-ment et l’éducation, le développement économique, l’emploi productif et le lo-gement décent, la citoyenneté, la femme hissée dans sa nouvelle dignité et recon-nue par son poids, la dignité toujours. Et cette autre dimension de réconciliation nationale lancée à travers l’Instance Equité et Réconciliation (IER), confiée à un ancien détenu politique, feu Driss Benzekri qui a réussi le tour de force exceptionnel de rendre leur dignité aux centaines de victimes des « années de plomb » et à réconcilier les forces de ce nouveau Maroc. Mohammed VI a, di-rions-nous, réinstauré selon ses propres convictions humanistes, sa détermi-nation à y rester le plus près, à ériger l’écoute comme une politique différente. C’est une approche nouvelle, que l’an-nonce faite à Casablanca en 2000 du « nouveau concept d’autorité » semblait traduire, certes, mais que les tournées programmées à travers le Royaume ont davantage illustrée. Le nouveau Roi du Maroc, aussitôt intronisé, a quitté ses bureaux à Rabat pour entamer un long périple qui a commencé par les provinces du Nord et de l’Oriental. Il s’est colleté aux réalités du pays, il a sondé les âmes profondes des popula-tions accourues de partout, attroupées, venues des fonds des villages saluer l’homme qui était venu briser leur soli-tude, leur tendre une main affectueuse, écouter leur voix silencieuse, exprimer lui-même à leur place leurs propres at-tentes dans un langage et une gestuelle inédits. Dans ce mouvement, il y avait comme la volonté du nouveau Roi non seulement d’inaugurer une autre ap-proche avec son peuple, mais d’enterrer l’ancien dogme, marqué du principe de gestion à distance. La visite impromptue qu’il rendra, au cœur de ce Rif austère, aux membres de la famille de Abdelk-rim Khattabi avait sonné comme un si-gnal fort, elle n’en inquiéta pas moins quelques « barons » du pouvoir encore en place, parce qu’elle marqua aussi l’une des premières ruptures signifi-catives. Elle sera suivie, dans le même

sillage de renouvellement, par d’autres comme le retour des personnes exilées à l’étranger, notamment Abraham Serfaty, la famille Ben Barka et autres.

On se doute bien que la dimension humaine, empreinte d’une sagesse po-litique, imprègne de telles préoccupa-tions, elle sera au cœur de la dynamique que le Souverain enclenchera et dont il fera une vision volontariste, tout en s’at-telant à défricher de nouveaux champs et à ouvrir d’autres perspectives. Cette première construction peut s’appeler « le nouveau Maroc de Mohammed VI ». Au principe d’unité autour du Trône, apparu nécessaire au moment où le décès de feu Hassan II laissait craindre chez certains l’inavouable, il fallait donner corps. Et Sa Majesté Mohammed VI s’y est em-ployé avec énergie et une conviction à toute épreuve. La cohésion nationale, à un moment notamment où le pays surmontait une douloureuse épreuve, constituait alors notre valeur étendard. A celle-ci, il fallait en ajouter une autre qui

est le rapport inédit au peuple. Tout le changement obéissait à un fil conducteur et à un seul : la normalisation, dessinée par une série d’actions, de gestes spon-tanés et réfléchis, d’actes de rupture et de refondation aussi. D’abord une transi-tion conduite sous la forme d’une rupture harmonieuse, elle s’est traduite par la confiance renouvelée au gouvernement de gauche de Abderrahmane El Yous-soufi mais comportant aussi des orienta-tions précises en termes de priorités dans la gestion et la gouvernance. Ensuite, des actes porteurs, symboliques comme le changement d’hommes à la tête de différentes responsabilités, la création de nouvelles instances, la mise en œuvre enfin d’une politique de changement im-primée, de bout en bout, et au niveau des divers et multiples espaces. Si bien que, à rebours de tout ce qui paraissait jusque-là quasi immuable, le concept de changement a pris une ampleur telle qu’il est devenu le mot d’ordre du règne commençant. «A nouvelle époque, nou-

veaux hommes», avait laissé entendre le Roi. Une génération nouvelle de respon-sables a pris les devants, confortés par le soutien royal, voire même son implica-tion, de nouveaux axes ont été tracés et une immense sympathie internationale n’a cessé depuis lors d’accompagner le mouvement de réformes qui a libéré son volume multiforme. Les priorités du dé-but de règne, outre la méthodologie et le style nouveau, avaient de nets accents économiques et sociaux, le Souverain les ayant formulées comme organique-ment liées : l’enseignement utile, le développement économique, l’emploi productif et le logement décent.

La Monarchie formant le creuset de l’his-toire et de la continuité du Maroc, en même temps inspiratrice et adossée sur des insti-tutions solides, elle doit ainsi être confortée par une dynamique économique et de grands chantiers. C’est si vrai que Sa Majesté Mo-hammed VI ne conçoit les avancées, quelle que soit leur nature, que dans une interacti-vité complémentaire et nécessaire.

«La Monarchie formant le creuset de l’histoire et de la continuité du Maroc, en même temps inspiratrice et adossée sur des institutions so-lides, elle doit ainsi être confortée par une dynamique économique et de grands chantiers.»

« Les priorités du début de règne, outre la méthodologie et le style nouveau, avaient de nets accents économiques et sociaux, le Souverain les ayant formulés comme organiquement liés : l’enseignement et l’éducation, le développement économique, l’emploi productif et le logement décent, la citoyenneté, la femme hissée dans sa nouvelle dignité et reconnue par son poids, la dignité toujours.»

S.M. le Roi Mohammed VI saluant des citoyens.

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NATION10 AOÛT 2015

L’effort, l’immense effort sans pré-cédent porté sur les réformes politiques, le renforcement irréversible de l’Etat de droit, la promotion des droits de l’Homme avec la création d’un ministère des droits de l’Homme, ensuite du CNDH ( Conseil national des droits de l’Homme), une pré-sence assidue dans les champs sociaux, avec la politique de réinsertion des déte-nus et des centres de formation qui leur sont voués, trouvent, à vrai dire, leur pro-fond écho dans l’autre exigence complé-mentaire, à savoir les droits économiques et sociaux du citoyen, la mise en œuvre d’une politique ambitieuse des grandes chantiers, de l’habitat, des infrastructures et des équipements dont le Royaume ne cesse de se doter avec une cadence à nulle autre pareille.

Quand le 30 juillet 2007, il pronon-cera à Tanger le discours du Trône, le Souverain confirmera avec force la méthodologie ainsi retenue huit ans auparavant : « Je m’attache à définir les grandes orientations pour la nation marocaine en veillant parallèlement à cerner les préoccupations quotidiennes de tous les citoyens. Je m’emploie également à inscrire ces actions dans un ordre homogène où les priorités se complètent et s’articulent entre elles dans une parfaite synergie. Le but trip-

tyque de cette option démocratique est de conforter les réformes structurelles déjà menées à leur terme ; d’accélérer la mise en œuvre optimale de celles qui sont en cours ; d’initier de nouvelles réformes ». Ce n’est pas un euphémisme que cette volonté réaffirmée du haut de la ville du Détroit, qu’il dotera d’un am-bitieux plan de développement, avec à la clé la construction de Tanger Med et d’autres infrastructures.

Le propos, soumis à l’exercice de l’herméneutique, prend sa réelle di-mension dans la pédagogie que le Roi a instituée pour associer son peuple aux décisions stratégiques, aux choix opérés et établir avec lui des liens de

communication inscrits dans l’esprit de nouveaux rapports. Ici, les « préoccu-pations quotidiennes » deviennent une manière de « feuille de route » chez le Souverain, elles ont forgé une relation exceptionnelle entre lui et son peuple. Ni gouvernement, ni autre instance ne peuvent s’introduire entre les deux, le Roi incarnant à la fois le père spirituel, le protecteur et le garant du bien-être de son peuple. Inventeur, metteur en scène aussi de la conception de proximité, Mohammed VI n’a pas seulement don-né à cette notion méconnue sa plénitude épistémologique, il l’a éprouvée au fur et à mesure, à travers le temps et les es-paces, tout au long des dernières années qu’elle est devenue non seulement un symbole du règne, mais l’impératif ca-tégorique de toute gouvernance. Quand le 17 mai 2005, renforçant la disposition d’une politique nouvelle de l’Homme, il a lancé l’INDH (Initiative nationale du développement humain), Sa Majes-té Mohammed VI a conféré une autre dimension à la vision sociale qui est au règne ce que l’engagement irréversible d’un grand Roi est à l’époque : l’huma-nisme social, assumé personnellement, partagé et défendu comme un étendard. 1999-2015, n’est-ce pas une époque qui, plutôt qu’un bilan, constitue un tournant du début du siècle nouveau

« Je m’attache à définir les grandes orientations pour la nation marocaine en veillant parallèlement à cerner les préoccupations quotidiennes de tous les citoyens. Je m’emploie également à inscrire ces actions dans un ordre homogène où les priorités se complètent et s’articulent entre elles dans une parfaite synergie. »

(Discours du Trône le 30 juillet 2007)

« Le propos, soumis à l’exercice de l’herméneutique, prend sa réelle dimension dans la pédagogie que le Roi a instituée pour associer son peuple aux décisions stratégiques, aux choix opérés et établir avec lui des liens de communication inscrits dans l’esprit de nouveaux rapports. »

« Ni gouvernement, ni autre instance ne peuvent s’introduire entre les deux, le Roi incarnant à la fois le père spirituel, le protecteur et le garant du bien-être de son peuple. »

? Une époque hantée par une série de défis que la sagesse d’un Roi, sa pon-dération, cette irascible discrétion ont plutôt réussi à canaliser et à positiver ?

Une aire de liberté, immense et pro-fonde, est née sous l’égide du Roi Mo-hammed VI, elle est marquée d’une fé-condité sans commune mesure avec ce que le Maroc a connu jusqu’ici, elle est le signe emblématique d’un règne qui, quoi qu’on en dise, ne saurait être jau-gé à l’aune des seize ans révolus , mais qui se perpétue et se distingue sur le sol d’une valeur plurielle et une seule : la pérennité, la démocratie, la solidarité et la liberté. Ce qui s’apparentait autrefois à une promesse irénique est devenu une réalité incontournable, elle s’écrit sur une nouvelle page, traduisant l’irréver-sible passage d’un règne à l’autre, d’une page d’histoire à une autre, d’une gé-nération de femmes et d’hommes à une autre, d’une société à une autre. Quand on dit le Maroc nouveau de Mohammed VI, ce n’est pas sacrifier à une clause de style, c’est dire comment la lente maturation d’une philosophie politique se produit et se génère pour imprégner notre histoire et notre mémoire. Mais ce Maroc qui fait pâlir d’envie ses ad-versaires est un Maroc monarchique « ad vitam aeternam », à prendre ou à laisser…. n

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Les communiqués conjoints sanctionnant les visites royales

à Dakar, Bissau, ...Du 20 mai au 12 juin derniers, Sa Majesté le Roi

Mohammed VI a effectué une tournée de travail et d’amitié dans quatre Etats africains : le Sénégal, la Guinée Bissau, la Côte d’Ivoire et le Gabon. Le Souverain était accompagné d’une importante délé-gation comprenant des membres du gouvernement,

des chefs d’entreprises, des banques, des groupes d’assurances, d’offices et de plusieurs autres per-sonnalités. Il s’est entretenu à plusieurs reprises avec les chefs d’Etat des pays visités et présidé une série d’accords de coopération et de partenariat.

Cette tournée a constitué un événement majeur,

parce qu’elle consolide la relation privilégiée que le Maroc a instauré avec les pays africains et donne la mesure du nouveau partenariat Sud-Sud que notre pays renforce chaque année. Nous publions ci-dessous les communiqués signés tour à tour lors de ces quatre visites.

Communiqué conjoint publié à l’issue de la visite d’amitié et de travail de SM le Roi au Sénégal

Dakar, 28 mai 2015 (MAP) - SM le Roi Mohammed VI a effectué du 20 au 28 mai courant une visite d’ami-

tié et de travail au Sénégal à l’invitation du président sénégalais M. Macky Sall, qui a été sanctionnée par un communiqué conjoint dont voici le texte intégral: « A l’invitation de Son Excellence M. Macky Sall, Président de la République du Sénégal, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, a effectué une visite d’Amitié et de Travail au Sénégal, du 20 au 28 mai 2015. Cette vi-site s’inscrit dans la continuité des relations traditionnelles fraternelles et de coopération multiforme entre les deux pays. Au cours de cette visite, les deux Chefs d’Etat se sont félicités du partenariat stratégique singulier qui unit le Maroc et le Sénégal, de la densité de la relation et de son caractère pionnier dans de nombreux secteurs, qui en font un modèle de coopération en Afrique.

Cette visite a été l’occasion de renforcer et d’élargir le cadre juridique régissant les relations entre les deux pays par la signature de vingt-huit (28) Accords de coopération couvrant des domaines stratégiques de la vie économique et sociale. Elle a permis, égale-ment, la mise en place du Groupe d’Impulsion

Economique, comme un nouveau mécanisme de coopération pour assurer notamment le sui-vi et le raffermissement du partenariat écono-mique entre le Maroc et le Sénégal.

La promotion du développement humain était au cœur de la Visite Royale. Sa Ma-jesté le Roi Mohammed VI et le Président Macky Sall ont ainsi présidé les cérémonies d’inauguration et de lancement de plusieurs projets de développement humain réalisés au Sénégal avec le concours du Maroc. Il s’agit, notamment, de l’octroi d’un important don de médicaments et de matériels médi-caux, du lancement des travaux de réalisation d’un quai de pêche à Soumbédioune et de la mise en service du réseau d’électrification rurale des villages de Massar Teugue et Ya-mane SECK, situés dans la région de Louga.Ces projets reflètent la Vision novatrice et pragmatique des deux Chefs d’Etat pour la stabilité et le développement du continent africain, fondée sur une coopération sud-sud, solidaire et agissante.

Son Excellence le Président Macky Sall a salué le plaidoyer de Sa Majesté le Roi en faveur d’une «Afrique décomplexée» qui fait face à ses défis et qui prend en charge son devenir. Il s’est félicité, à cette occasion, de l’engagement du Royaume du Maroc à ac-compagner le Sénégal dans la réalisation du Plan Sénégal Emergent et à partager son ex-périence et son expertise dans les domaines du développement économique et social.

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a mis en exergue les efforts soutenus du Pré-sident Macky Sall pour le développement socio-économique du Sénégal.Sa Majesté le Roi a également loué le rôle que joue le Sénégal en tant qu’acteur régional pour la promotion de la paix et la stabilité et pour ses actions visant le renforcement de l’inté-gration économique sous-régionale et afri-caine. A cet égard, Sa Majesté le Roi a salué l’élection du Président Sall à la présidence de la CEDEAO. Sa Majesté le Roi s’est égale-ment félicité de la candidature du Sénégal au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour la période 2016-2017 et a assuré le Président Macky Sall du soutien inconditionnel du Ma-roc à ladite candidature.

Les deux Chefs d’Etat ont relevé que l’Afrique se trouve aujourd’hui à un moment crucial de son histoire, marqué à la fois par des défis majeurs et par des opportunités énormes, dans sa quête de prospérité.

Dans ce contexte, Ils ont souligné l’im-portance de la consolidation et l’émergence d’espaces géopolitiques sous-régionaux, fon-dés sur l’intégration économique, la concer-tation politique et la coordination face aux défis sécuritaires. A cet égard, les deux Chefs d’Etat ont décidé de promouvoir la création d’un Espace sous-régional de dialogue straté-gique et de concertation regroupant les pays appartenant à cette région. Convaincus que le développement économique et l’intégration

régionale constituent une réponse appropriée aux défis sécuritaires et à l’instabilité, les deux Chefs d’Etat sont convenus d’œuvrer à la conclusion rapide d’un accord de partenariat économique entre le Maroc et la CEDEAO.

Par ailleurs, les deux Chefs d’Etat ont sou-ligné le caractère primordial de la sauvegarde de la paix et de la sécurité dans la zone sahé-lo-saharienne. Ils ont à cet égard réitéré leur détermination à œuvrer de concert avec la communauté internationale pour éradiquer le terrorisme et l’extrémisme violent dans cette région. Ils ont décidé de renforcer leur coopération dans le domaine religieux pour promouvoir l’Islam modéré et tolérant que le Maroc et le Sénégal ont en partage. Concer-nant le Mali, les deux Chefs d’Etat ont noté les derniers développements intervenus et ont souligné l’importance de parvenir à une solution inclusive et durable, dans le respect de l’unité nationale et de l’intégrité territo-riale du Mali. S’agissant de la question du Sahara, le Président Macky Sall a rappelé le soutien constant, inébranlable et indéfectible du Sénégal, à la marocanité du Sahara et à l’intégrité territoriale du Royaume du Maroc.

Au terme de Sa visite d’amitié et de travail en République du Sénégal, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a exprimé Ses vifs remercie-ments à Son Excellence M. Macky Sall et au peuple sénégalais pour l’accueil spontané, chaleureux et fraternel ainsi que l’hospitalité généreuse, qui Lui ont été réservés».n

Communiqué conjoint publié à l’issue de la visite officielle de SM le Roi en Guinée Bissau

Bissau, 30 mai 2015 (MAP) - SM le Roi Mohammed VI a effectué du 28 au 30 mai courant une visite of-

ficielle en Guinée Bissau à l’invitation du président bissau-guinéen José Mario Vaz, qui a été sanctionnée par un communiqué conjoint dont voici le texte intégral :

1- A l’invitation de S.E José Mario Vaz, Président de la Guinée Bissau, Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu l’Assiste, a ef-fectué une visite officielle en Guinée Bissau du 28 au 30 mai 2015.

2- A travers cette visite historique, les deux pays renouent avec leur histoire de combat pour la liberté et la dignité. Cette visite constitue aussi une opportunité pour rendre hommage aux illustres leaders de l’Afrique combattante et rappeler l’apport du Maroc à la libération de la Guinée Bissau et de l’Afrique du joug colonial.

3- Cette visite symbolise, également, l’attachement de Sa Majesté le Roi à ces mêmes valeurs panafricanistes de solidarité et de fraternité et traduit la ferme volonté du Maroc de contribuer à la consolidation du processus de reconstruction de la paix et de la stabilité en Guinée Bissau.

4- A cette occasion, le Président de la Guinée Bissau a exprimé à Sa Majesté le Roi ses remerciements et ceux du Gouver-nement et du peuple Bissau-guinéens pour cette marque d’affection et de solidarité et pour le soutien multiforme que le Maroc n’a cessé d’apporter à la Guinée Bissau dans cette phase déterminante et cruciale de son histoire.

5- Le Président a tenu à féliciter Sa Ma-

jesté le Roi, Mohammed VI, pour Son lea-dership régional, pour Sa vision pour l’éman-cipation et le développement du Continent Africain et pour Son plaidoyer en faveur d’une coopération sud-sud concrète et mul-tiforme en faveur des populations africaines.

6- Le Président de la Guinée Bissau a tenu aussi à réaffirmer le soutien constant et inconditionnel de son pays à la marocanité du Sahara et à l’intégrité territoriale du Maroc.

7- La Guinée Bissau appuie la candidature du Maroc pour un statut d’observateur au sein de la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP).

8- Sa Majesté le Roi a félicité le Président José Mario VAZ, le gouvernement et toutes les autorités nationales pour les étapes fran-chies par la Guinée Bissau dans le processus politique de retour à l’ordre constitutionnel et pour les mesures que le Président a prises pour permettre à la Guinée Bissau d’amorcer la phase de la reconstruction et de l’instau-ration de l’Etat de droit.

9- Cette stabilité passe par la remise en marche des structures et institutions de l’Etat, le renforcement de la paix et de la sécurité, la réponse urgente aux attentes sociales pressantes des populations, le dé-veloppement de programmes concrets pour la sécurité alimentaire, l’électrification, la santé...

10- Dans ce contexte, Sa Majesté le Roi a souligné que le Royaume du Maroc, qui est un ami historique de la Guinée Bissau, se veut aussi son partenaire du présent et de l’avenir.

11- Le Maroc souhaite développer avec la Guinée Bissau une coopération Sud-Sud mutuellement avantageuse et créatrice de ri-chesses communes, et au moyen d’une coo-pération triangulaire à même de mobiliser les

fonds de développement internationaux et l’expertise capitalisée au service du dévelop-pement humain durable de la population lo-cale et pour relever ensemble les défis futurs.

12- Sa Majesté le Roi a, à cet égard, assuré le Président José Mario Vaz que le Maroc est prêt à mettre à la disposition de la Guinée Bissau son expérience en matière de sécurité et de développement économique et social et de l’aider à rompre définitivement le cycle de l’instabilité et à s’engager dans la voie de la paix durable.

13- Au cours de cette visite, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le Président Vaz ont présidé les cérémonies d’inauguration et de lacement de plusieurs projets de développe-ment humain réalisés en Guinée Bissau avec le concours du Maroc. Les deux Chefs d’Etat ont visité l’hôpital de campagne déployé à Bissau par les Forces Armées Royales pour délivrer des soins aux populations. Ils ont également procédé au lancement des projets de développement agricole et d’installation de stations de production d’eau potable.

14- Le lancement de ces projets de dé-veloppement humain témoigne de la priorité accordée par Sa Majesté le Roi à l’améliora-tion des conditions économiques et sociales des populations africaines.

15- Les deux Chefs d’Etat se sont fé-licités du renforcement du cadre juridique régissant les relations entre les deux pays par la signature d’accords de coopération qui permettront à la Guinée Bissau de bé-néficier de l’expérience et de l’expertise du Maroc dans plusieurs secteurs économiques et sociaux.

16- Sa Majesté le Roi a visité la Forte-resse d’Amura et a déposé une gerbe de fleurs au Mausolée Amilcar Cabral, fondateur de la Nation Bissau-guinéenne et a rendu hom-

mage aux héros de la lutte armée de libéra-tion nationale.

17- Abordant les causes des conflits en Afrique, les deux Chefs d’Etat ont affirmé que la sauvegarde de la stabilité est tribu-taire de la relance de l’économie et de la croissance, de la lutte contre la précarité et l’exclusion ainsi que de la mise en place de réformes structurelles politiques et écono-miques répondant aux exigences interna-tionales et tenant compte des spécificités africaines.

18- Ils ont rappelé également l’impor-tance de la lutte contre les menaces sécuri-taires et contre les réseaux du crime organisé transnational qui essaiment en Afrique et ap-pelé la communauté internationale à soutenir de façon plus résolue les efforts visant la construction de l’Etat de droit.

19- De même, l’expérience de plusieurs pays africains, montre que l’aide et le sou-tien internationaux sont importants pendant la crise, ils le sont d’autant plus pendant la phase qui suit la sortie de crise.

20- Les deux chefs d’Etat ont égale-ment affirmé que l’édification d’espaces de prospérité partagée et de solidarité contri-buera à atténuer les écarts entre les niveaux de développement des pays et à favoriser la co-émergence et la paix.

21- A cet égard, les deux Chefs d’Etat, conscients de la communauté de destin et de la similitude des défis qui se posent à toute la région Nord-Ouest Africaine, ont déci-dé de promouvoir la création d’un Espace sous-régional de dialogue stratégique et de concertation regroupant les pays appartenant à cette région.

22- Sa Majesté le Roi a invité S.E le Pré-sident de la République à effectuer une visite officielle au Royaume du Maroc».n

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NATION 12AOÛT 2015

Communiqué conjoint ayant sanctionné la visite de travail et d’amitié de SM le Roi en Répu-blique Gabonaise

Libreville, 12 juin 2015 (MAP) - Voi-ci le texte intégral du communiqué conjoint rendu public vendredi au

terme de la visite de travail et d’amitié de SM le Roi Mohammed VI en République Gabonaise:

« A l’invitation de Son Excellence Ali Bongo Ondimba, Président de la République, Chef de l’Etat, Sa Majesté le Roi Moham-med VI a effectué une visite de travail et d’amitié en République Gabonaise du 05 au 12 juin 2015.

Cette visite s’inscrit dans le cadre du ren-forcement du partenariat avancé, construit par les deux pays sur un socle solide de re-lations historiques privilégiées, axé sur une coopération multidimensionnelle efficiente et crédible, ainsi que sur un dialogue po-litique régulier et approfondi. Au cours de cette visite, les deux Chefs d’Etat ont pro-cédé à l’évaluation de la mise en œuvre des actions et des projets d’envergure qui avaient été lancés lors de la dernière Visite de Sa Majesté le Roi au Gabon, et ont convenu d’en accélérer le rythme de réalisation.

Les deux Chefs d’Etat, qui partagent la même vision concernant le Développement Humain Durable, ont centré cette visite au-tour de cet axe important de la coopération entre les deux pays. Ils considèrent que les projets économiques devraient être accompa-gnés de mesures appropriées de lutte contre la précarité et l’exclusion.

Cette dimension fondamentale dans la po-

litique africaine de Sa Majesté le Roi Mo-hammed VI, constitue un domaine privilégié pour le partage d’expérience dans le cadre d’une coopération sud-sud innovante, qui favorise l’émergence de modèles de dévelop-pements performants, adaptés aux spécifici-tés et réalités de chaque pays. Cette approche est d’autant plus pertinente qu’elle coïncide avec l’examen par les Nations Unies en Sep-tembre prochain des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) post 2015.

Dans ce contexte, les deux Chefs d’Etat se sont félicités de la coopération établie dans le domaine de l’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) et ont prési-dé la cérémonie de signature de conventions permettant le partage de cette expérience pionnière et sa mise en œuvre en République Gabonaise dans le cadre de la Stratégie d’In-vestissement Humain au Gabon (SIHG). De même, les deux Chefs d’Etat ont procédé au lancement des travaux de construction d’un Centre de Formation Professionnelle dans les métiers correspondant aux priorités de l’économie gabonaise et à l’octroi de dons de médicaments.

Sa Majesté le Roi Mohammed VI a tenu à saluer les avancées et les progrès écono-miques enregistrés par la République Ga-bonaise sous la conduite de Son Excellence le Président Ali Bongo Ondimba, et l’a as-suré du soutien du Maroc dans la mise en œuvre du Plan Stratégique Gabon Emergent (PSGE).Les deux Chefs d’Etat ont réitéré leur engagement pour la promotion du dé-veloppement durable et la lutte contre les changements climatiques. Ils se sont félicités du rôle actif de Son Excellence Ali Bongo Ondimba pour la protection et la préserva-

tion des espèces fauniques menacées et de la tenue au Maroc en 2016 de la COP22.

Sa Majesté le Roi a également félicité le Président Gabonais pour son action remar-quable durant son mandat à la tête de la CE-MAC et pour sa désignation à la Présidence de la CEEAC. Les deux pays œuvreront pour le renforcement des liens institutionnels et conventionnels privilégiés entre le Royaume du Maroc et ce groupement d’intégration ré-gionale.

Concernant le Sahara Marocain, le Pré-sident Ali Bongo Ondimba a réaffirmé la position constante du Gabon, qui considère le Sahara comme partie intégrante du terri-toire du Royaume du Maroc. Abordant les conflits en Afrique, les deux Chefs d’Etat ont exprimé leurs vives préoccupations face à la recrudescence des actes terroristes et des situations de crise qui menacent la paix et la sécurité du continent.

A cet égard, ils ont estimé que les crises que connaissent certains pays africains, ne peuvent être résolues de façon durable que dans le cadre d’approches inclusives et glo-bales, comprenant des aspects sécuritaires, les mesures de reconstruction post conflit et l’engagement de réformes structurelles de la gouvernance politique, économique, sociale et culturelle. Ils ont également souligné que les stratégies visant la stabilité doivent s’at-taquer aux causes profondes qui engendrent les conflits par des mesures concrètes de dé-veloppement et de relance de l’économie et par l’atténuation du sous-développement et de la précarité qui sont propices aux troubles et à l’insécurité.

Les deux Chefs d’Etat ont condamné fer-

mement le terrorisme sous toutes ses formes et ont appelé à une plus grande mobilisation de la communauté internationale pour lutter contre ce fléau qui menace la paix et la sta-bilité des Etats et s’attaque aux fondements des sociétés. Ils ont relevé, à cet égard, l’en-gagement du Gabon, aux côtés des pays de la région, dans la lutte contre la secte Boko Haram et contre la piraterie maritime dans le Golfe de Guinée.

Concernant la situation en République Centrafricaine, les deux Chefs d’Etat se sont félicités des actions conjuguées de la CEEAC et de la Communauté internationale, pour l’instauration de la paix et de la sécurité, nécessaires à la mise en œuvre du processus de retour à l’ordre constitutionnel et de re-construction post conflit. A cet égard, Son Excellence le Président Ali Bongo Ondimba a salué le rôle et l’implication du Maroc dans les efforts visant le retour de la paix et de la sécurité en Centrafrique, notamment par la participation d’un contingent des Forces Armées Royales à la MINUSCA et la Pré-sidence par le Maroc, de la configuration RCA de la Commission de consolidation de l’ONU, ainsi que par les actions de solida-rité et de soutien au profit des populations centrafricaines.

Les deux Chefs d’Etat se sont également félicités de la tenue du Forum de Bangui sur la Réconciliation et ont affirmé que la solu-tion à ce conflit doit être inclusive et globale et aboutir à une véritable réconciliation na-tionale dans le cadre de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale de la République Centrafricaine ». n

Communiqué conjoint publié à l’issue de la visite de travail et d’amitié de SM le Roi Mohammed VI en Côte d’Ivoire.

Abidjan, 05 juin 2015 (MAP) - Voi-ci le texte intégral du communiqué conjoint rendu public vendredi à Abi-

djan à l’issue de la visite de travail et d’amitié de SM le Roi Mohammed VI en Côte d’Ivoire :.

« A l’invitation de Son Excellence Mon-sieur Alassane Ouattara, Président de la République de Côte d’Ivoire, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a effectué une visite d’Amitié et de Travail en République de Côte d’Ivoire du 30 mai au 05 juin 2015.Cette vi-site s’inscrit dans le cadre de la consolidation du Partenariat fort, ambitieux et mutuelle-ment bénéfique entre les deux pays dans tous les secteurs ainsi que du renforcement des consultations politiques régulières entre les deux Chefs d’Etat sur les questions africaines et internationales.

Au cours des trois dernières années, le Par-tenariat entre les deux pays s’est considéra-blement développé. Près d’une cinquantaine d’accords de coopération ont été conclus dont de nombreuses conventions portant sur l’investissement et la réalisation de projets de développement.

Ces résultats très positifs font aujourd’hui de ce partenariat un modèle innovant de coo-pération sud-sud entre deux pays africains, un partenariat solide dans ses fondements, substantiel dans son contenu et diversifié dans ses acteurs. II s’inspire de la volonté commune des deux Chefs d’Etat de conduire un partenariat stratégique entre le Maroc et la Côte d’Ivoire.

Dans ce contexte, la visite de Sa Majesté le Roi a permis de procéder à un suivi de la

réalisation des actions et projets lancés au cours des dernières visites.Au cours de cette visite, les deux parties ont procédé à la signa-ture de nouveaux accords intergouvernemen-taux et de conventions du secteur privé dans les domaines de la banque, l’agro-business, l’immobilier, l’industrie, les infrastructures, les NTIC, le tourisme et le transport.

La visite de Sa Majesté le Roi a été éga-lement l’occasion pour lancer les travaux de l’aménagement et de la revalorisation de la baie de Cocody qui constitue un chantier de grande envergure et un exemple phare de la coopération entre les deux pays.De même et dans le cadre du renforcement du partenariat économique avancé entre les deux pays, Sa Majesté le Roi et Son Excellence le Président Alassane Ouattara ont présidé la cérémonie d›installation du Groupe d›impulsion éco-nomique réunissant les opérateurs publics et privés des deux pays.

La promotion du développement humain a été présente au cours de la Visite Royale à travers notamment la construction d’un point de débarquement aménagé à Grand Lahou, ainsi que la création d’un complexe de for-mation professionnelle dans les métiers du bâtiment, des travaux publics, de l’hôtelle-rie et de la restauration. Ces projets fondés sur le partage d’expérience et d’expertise, confortent les liens d’amitié sincères et de solidarité forte entre les deux pays.

Son Excellence Monsieur Alassane Ouat-tara, Président de la République de Côte d’Ivoire, a fait part à Sa Majesté Moham-med VI des progrès accomplis dans le pro-cessus de la réconciliation nationale et de la reconstruction en Côte d’Ivoire, ainsi que des avancées réalisées dans les préparatifs de l’élection présidentielle d’octobre 2015.

Pour sa part, Sa Majesté Mohammed VI,

Roi du Maroc, a salué le retour de la paix et de la stabilité en Côte d’Ivoire et a exprimé son soutien au Président Alassane Ouatta-ra, au Gouvernement et au peuple ivoirien pour leurs efforts dans la reconstruction et le redressement économique du pays, tout en insistant sur le bon déroulement de la pro-chaine élection présidentielle.

Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara a salué la vision de Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour la promotion de la paix, de la stabilité et du développement en Afrique telle que déclinée dans le Discours de Sa Majesté le Roi, à Abidjan, en mars 2014.

Fidèles à leur conviction que l’Afrique doit aider l’Afrique, les deux Chefs d’Etat ont reconnu la nécessité de conjuguer leurs efforts pour d’une part, étendre et élargir leur coopération à l’ensemble de la région nord-ouest de l’Afrique et d’autre part, lutter contre les nouvelles formes de criminalité, notamment le terrorisme, la cybercriminalité et la piraterie maritime, le trafic de drogue. Aussi, ont-ils appelé la Communauté inter-nationale à redoubler d’efforts pour enrayer ces fléaux.

A cet égard, les deux chefs d’Etat ont réaffirmé leur engagement pour la mise en place de l’Espace Nord-Ouest Africain dont ils avaient prôné la création lors de la visite officielle, au Maroc, de Son Excellence le Président Alassane Ouattara. Par ailleurs, l’Espace Nord-Ouest Africain recèle d’im-portantes opportunités de synergie et de coopération entre les pays qui le composent dans les domaines stratégiques tels que l’environnement, la sécurité alimentaire, la santé, l’énergie, l’interconnexion logistique, la mutualisation des ressources, l’échange d’expériences et peut, à cet égard, constituer

une zone de co-émergence et de stabilité.Un tel cadre pourrait, ainsi, constituer un

espace de concertation politique de coordi-nation sécuritaire et un socle pour une in-tégration régionale avantageuse pour tous les pays de la zone. Ces pays sont liés par une histoire commune, une communauté de valeurs, une similitude des défis de dévelop-pement et des menaces multiformes auxquels ils font face ainsi qu’une vocation à s’ériger en tant que pôle intégré de développement et de prospérité du continent.Dans ce contexte, le Président Alassane Ouattara a affirmé son appui actif à la conclusion rapide d’un accord de partenariat économique entre le Maroc et la CEDEAO.

Concernant les conflits en Afrique, Sa Majesté le Roi Mohammed VI et Son Ex-cellence le Président Ouattara ont appelé à des solutions politiques durables et inclu-sives aux crises que connait le continent et particulièrement la région de l’Afrique de l’Ouest. A cet égard, Sa Majesté Mohammed VI s’est félicité du leadership du Président Alassane Ouattara ayant permis le règle-ment pacifique de ces différentes crises. Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara a salué les efforts du Maroc visant à trouver une solution définitive au différend régional autour de la question du Sahara marocain, et réitéré le soutien ferme de la Côte d’Ivoire à la proposition du Maroc d’accorder une large autonomie à la région du Sahara dans le cadre de la souveraineté, de l’unité et de l’intégrité territoriale du Maroc.

Au terme de Sa visite, Sa Majesté Moham-med VI a exprimé à Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, au Gouvernement et au peuple Ivoiriens, ses sincères remerciements pour l’accueil particulièrement chaleureux et fraternel qui Lui a été réservé». n

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Les communiqués conjoints sanctionnant les visites royales

... Abidjan et Libreville

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Effervescence et débats houleux qui versent dans la vindicte sur les réseaux sociaux, n’est-ce pas là les symptômes

bien diagnostiqués d’un malaise sociétal qui s’enracine de plus en plus dans la société marocaine?

Il est vrai que le Maroc s’est toujours enor-gueilli de sa stabilité – exception jalousée par les voisins –, or une évidence est là : après les attentats successifs perpétrés, coup sur coup, en un laps de temps très court en Tunisie, en France, au Koweït et en Arabie saoudite, les Marocains retiennent leur souffle. La menace n’est pas bien loin. Ainsi, vivre dans l’attente, l’aléatoire et la peur du terrorisme influe sur l’air général de tout un peuple. D’ailleurs, nombreuses sont les opérations terroristes évitées de justesse grâce aux forces de sécu-rité, à leur vigilance et aux facteurs humains, matériels et logistiques mis en œuvre. Tou-tefois, le citoyen marocain se sent de facto impliqué et touché par tout ce qui se passe actuellement dans le pays. Aussi, toute mo-bilisation qui se présente sous forme de débat ou manifestation est la meilleure illustration que les Marocains sont à présent conscients du fait que la vraie menace n’est pas celle qui vient de l’extérieur, mais celle nichée dans l’ignorance et l’obscurantisme qui déploie ses ailes sur un pays que tous sont déter-minés à défendre bec et ongles. Plusieurs incidents dans diverses villes du Maroc ont exhorté les citoyens à sortir dans les rues, à manifester et à crier à l’unisson qu’on ne peut toucher à leur liberté. Bien que l’État ait qualifié ces faits qui ont provoqué révulsion et indignation de cas isolés, les Marocains y ont plutôt vu une atteinte à la démocratie, symbole d’une vie digne, que certains es-prits malveillants cherchent à étouffer et à troquer contre un autoritarisme répressif qui cherche à écraser les minorités.Ceci dit, il y a toujours des voix qui surgissent de l’opacité oligarchique des arcanes pour créer le tu-multe et barrer la route. Le Maroc se retrouve alors au carrefour ou plutôt au giratoire des positions où la priorité et la légitimité sont disputées. Entre conservateurs et moder-nistes, le choix s’avère délicat puisqu’on a vidé les mots de leur sens d’origine. Armes et boucliers sont sortis dès qu’il s’agit d’une confrontation. Pour les uns, être moderniste c’est être un libertin détaché des mœurs et des traditions qui ont toujours fait partie de l’identité marocaine. Et pour sceller le verdict, on brandit des versets du Livre sa-cré, mais interprétés selon la circonstance. Pour les autres, une personne conservatrice est l’ennemi juré dont la devise est le terro-risme. Le vrai problème est qu’il n’y a plus de juste milieu. La couverture finira par partir

en lambeaux à force d’être tirée violemment des deux côtés.

Dans ce tumulte, le pays a besoin de voix de la sagesse qui puissent le ramener vers la voie de la raison. Ces voix ne peuvent être que celles des intellectuels, cette force qui éclaire et oriente la réflexion. Pour cela, ils ne doivent être ni prétentieux ni sectaires et imposer «la pensée unique». Une personne intellectuelle est quelqu’un qui sait que plus on sait, et plus on sait qu’on ne sait rien. Ouvert aux autres, il doit avoir l’art de faire émerger les esprits, soulever une réflexion, montrer le chemin à suivre et respecter leur choix.

Quels intellectuels pour la société marocaine?

Entre l’intellectuel spécifique de Foucault, l’intellectuel organique de Gramsci et celui engagé de Sartre, comment peut-on définir l’intellectuel marocain, sachant de prime abord que se hasarder à ébaucher une dé-finition universelle relève vraiment de la complexité?

Si pour Foucault, «être intellectuel, c’était être un peu la conscience de tous. (…) Il y a bien des années qu’on ne demande plus à l’intellectuel de jouer ce rôle. (…) Les intel-lectuels ont pris l’habitude de travailler non pas dans l’universel, l’exemplaire, le juste-et-le-vrai-pour-tous, mais dans des secteurs déterminés, en plus des points précis où les situaient soit leurs conditions de travail, soit leurs conditions de vie».Gramsci, lui, main-tient que ce qui définit les intellectuels est beaucoup plus le rôle qu’ils tiennent au sein de la société que le travail qu’ils font. Pour lui, ils ne se contentent plus de produire des dis-cours, mais sont au cœur de l’organisation des pratiques sociales. Quant à Sartre, il est aussi

pour des intellectuels engagés dans la socié-té : «(…) qui ayant acquis quelque notoriété par des travaux qui relèvent de l’intelligence abusent de cette notoriété pour sortir de leur domaine et se mêler de ce qui ne les regarde pas (la société)».

À la lumière de toutes ces définitions, on peut dire qu’au Maroc, le sens ne diffère pas beaucoup des représentations générales. Pen-dant bien longtemps, des maîtres penseurs de la trempe de AbdallahLaroui, Mohamed Guessous, Mohamed Abed Al Jabri, Ab-delkbirKhatibi, Mahdi Elmandjra, Aziz Blal et bien d’autres ont fait la passerelle entre les savoirs savants et les débats politiques et sociaux. Contre vents et marées, ils se sont engagés dans le développement du Royaume en luttant contre les dérives politiques tout en défendant les masses et le vivre-ensemble.

Des intellectuels démissionnaires?

Aujourd’hui, dans un Maroc en parfaite mutation et en pleine ébullition, la question qui se répète est : y a-t-il encore des intel-lectuels au Maroc? Si oui, à quel point par-ticipent-ils au développement et à la moder-nisation du pays? Le plus souvent, on en veut à cette «élite intelligente» qui s’est retirée de la scène pour scruter, de loin, le déroule-ment des faits. Passivité ou indifférence? La question restera suspendue puisqu’un grand nombre de ces personnes dont les médias ont fait des icônes ne réapparaît que lors d’interventions anodines comme pour rap-peler au monde qu’elles existent toujours. Or elles restent peu enclines à s’exprimer au-delà de leur sujet de prédilection et de leur spécialité académique. Rares sont ceux qui osent prendre la parole devant un public avisé pour traiter des faits d’actualité et des problématiques qui ne relèvent pas de leurs compétences. Les intellectuels de grande envergure sont-ils en train de disparaître?

Ce qui est alarmant, c’est que le débat na-tional n’existe plus ou presque tellement il est phagocyté et esquivé. Dire que le temps des éclaireurs est révolu semble exagéré, et pourtant! On a besoin de gens qui puissent éclairer l’opinion publique et lui proposer des pistes de réflexion ; des éclaireurs et des lanceurs d’alertes. Mais c’est à désespérer de leur retraite et de leur démission volontaire!

Une relève assuréeMais fort heureusement, il y a une petite

minorité qui résiste encore, agit de façon dé-sintéressée et participe à l’émergence d’idées innovantes, à la production de savoirs pra-tiques et théoriques, à l’instauration d’un État

de droit où chaque citoyen aura son mot à dire concernant les grandes décisions du pays. Cela n’est pas toujours aisé, il faut le dire, mais certains intellectuels combattent afin que la démocratie prenne son cours normal dans un pays où beaucoup de choses com-mencent à changer. Conscients de leur devoir de fonction, ils tiennent à faire entendre leur voix et à faire véhiculer leurs idées tout en conciliant bon sens, éthique, humilité, probité et vérité. Ceux-ci quittent leur tour d’ivoire pour aller à la rencontre du peuple et s’écarter de toute rhétorique. Ils ne se limitent plus à décrire simplement la vie sociale en fonc-tion des règles théoriques, mais vivent, par procuration, les expériences et expriment les sentiments que les masses ne pourraient pas exprimer par elles-mêmes. La technologie aidant, le contact est facile entre les intel-lectuels et la population surtout grâce aux réseaux sociaux.

Les réseaux sociaux : fil conducteur entre

intellectuels et internautesComme dirait Albert Camus : «(l’intellec-

tuel) ne peut se mettre au service de ceux qui font l’histoire, il est au service de ceux qui la subissent». Cette catégorie «éclairée» s’engage donc à agir et à parler pour ceux qui ne peuvent le faire. Son vœu? Agir en pre-nant fait et cause pour l’utilité de ses actions dans la mission qui lui est confiée, à savoir le militantisme dans l’intérêt collectif.

Aussi, des milliers d’internautes s’allient en groupes de réflexion autour de têtes pensantes et les échanges deviennent quasi indispensables dans la vie de tout un chacun.

Depuis un peu plus d’un mois, la confu-sion, l’incompréhension, voire la colère

trouvent refuge dans les discussions brûlantes qui commentent les faits d’actualité en temps réel. Assoiffés d’apprendre ce qui se passe, de comprendre, d’avoir des grilles de lecture des réalités où ils évoluent, ils sont tout le temps connectés et en contact direct avec des personnes lucides, avisées et visionnaires qui puissent leur offrir les réponses qu’il faut pour une appréciation juste des contextes culturels, socio-économiques mouvants et complexes qui les entourent. Pendant ces temps graves de périls dans le monde entier, les masses sont en quête de repères fiables qu’elles re-cherchent auprès des intellectuels.

Ces derniers temps, au bonheur de tous, un nouveau souffle règne et certains intellectuels reprennent d’un plus belélan leur mission «lu-mineuse». Ils suscitent et relancent un débat d’idées constructif qu’ils tiennent à suivre de près, à orienter afin que la divergence consti-tue une complémentarité et une richesse. Leur but est de réinstaller la confiance, appeler à la tolérance et à la paix, défendre les droits de tout citoyen et instaurer le vivre-ensemble.

Certains de ces intellectuels ont bien voulu nous livrer leur grille de lecture de la situa-tion actuelle du pays, des événements qui se télescopent et nous expliquer s’il y a un fil conducteur dans cette avalanche de faits «déstabilisants».

«Dire le vrai, telle est la seule responsabi-lité des intellectuels en tant qu’intellectuels. Sortis de cette voie, ils sont des citoyens, ils sont en politique et défendent leur opinion. C’est leur droit. Mais nous n’avons pas le droit de proclamer que parce que nous sommes des intellectuels nous sommes la conscience de la nation.» Arendt Hannah ne pensait pas si bien dire. n

La parole est aux intellectuelsOu comment dissiper les inquiétudes et les interrogations des populations

Pour un Maroc pluriel, un Maroc pour tous.

Ces trois derniers mois ont été chauds. Faut-il rap-peler les événements? Le film de Nabil Ayouch, les homosexuels en prison et un prétendu homo-

sexuel humilié et battu dans les rues de Fès, les jeunes filles d’Inezgane agressées pour avoir porté des robes, l’affaire Jennifer Lopez, les Femen et j’en passe.

Rage sociale? Maroc divisé en deux soudainement? Nous aurions la mémoire courte de déclarer cela. Sou-venez-vous : le plan d’intégration de la femme au déve-loppement, deux marches, une pour à Rabat et une contre à Casablanca, volumineuse, effrayante de discipline. Et pourtant nous avons laissé faire.

Puis, il y a eu les printemps arabes et chez nous le mouvement du 20 Février, le PJD est arrivé au gouver-nement, la nouvelle Constitution de 2011. Notre histoire parle pour nous. Notre léthargie aussi.

Et toujours ces velléités à réagir et agir en masse quand on nous a parlé de culture propre, face à des déclarations conservatrices, voire réactionnaires, de certains membres du gouvernement. Il a fallu tous ces événements et un projet de code pénal conservateur et liberticide pour commencer enfin à nous manifester, pour

comprendre que nous sommes en danger et que notre Maroc pluriel est menacé. À nous demander aussi si ce n’est pas trop tard, pour nos enfants et pour leur avenir.

Le constat est implacable comme nous l’avons dit dans notre groupe des Modernistes : nous avons laissé place à un ordre moral rigide et hostile aux libertés indi-viduelles, à l’exploitation du religieux et de l’identitaire par un gouvernement qui prétend parler au nom de la majorité et de la démocratie.

La morale rigoriste devient violente et menaçante et s’invite en inbox sur les réseaux sociaux. J’en ai fait les frais et j’en témoigne. Mes choix sont ce qu’ils sont, liberté de conscience, liberté individuelle, laïcité. Ma-rocaine à part entière et monarchiste et fière de l’être. Le terrorisme intellectuel ne me fait pas peur. Le Maroc nous appartient tous.

Que faire alors? Pour ma part, je me suis impliquée en créant avec des amis qui ont toute ma confiance le groupe Les Modernistes. J’ai appelé à voter tout en sa-chant que de ce côté-là l’histoire parle pour nous aussi et que nous sommes désemparés, ne sachant pas vers qui porter nos voix. La désertion du champ politique a duré trop longtemps et nous a été préjudiciable. Nous sommes désormais prêts à y remédier avec force conviction.

Il a fallu passer de la critique systématique au positi-

visme. Je me suis dit peut-être naïvement que les partis aussi sont dans l’obligation d’évoluer et de s’adapter aux nouvelles donnes. Et qu’après tout, la seule manière de savoir réellement où nous en sommes est de voter et de nous mobiliser. Notre Constitution n’est certes pas parfaite pour tous, mais elle offre un champ des possibles et permettrait de faire pas-ser des lois organiques pour légaliser nos libertés et nos droits fondamentaux.

Si nous sommes une mi-norité, n’oublions pas que nous sommes en démocra-tie et que la règle première d’une démocratie est de protéger et respecter ses mi-norités. Mais sommes-nous vraiment une minorité? Là est la vraie question. Car au vu de ce grand mouvement qui commence à gronder, il est permis d’en douter. Le groupe Les Modernistes sur

Facebook est à mon sens un début d’alternative, une mise en place d’une force, d’un groupe de pression pour un projet de société humaniste, moderniste et pluraliste, pour un Maroc pluriel, un Maroc pour tous. n

Bahaa Trabelsi Journaliste écrivaine

« Aujourd’hui, dans un Maroc en parfaite muta-tion et en pleine ébullition, la question qui se répète est : y a-t-il encore des intellectuels au Maroc? Si oui, à quel point participent-ils au développement et à la modernisation du pays?»

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La parole est aux intellectuels

Notre moment nihiliste

Qu’est-ce que la haine? Un poison que l’on finit par s’inoculer soi-même. Et de manière déterminée, chaque jour. Et ce, dès lors que les conditions de cet empoi-sonnement volontaire sont remplies. Autrement dit, la haine est une construction.

Et, parce qu’elle se construit selon les modalités d’une logique quotidienne, la haine atteint, très vite, à la rationalité.

Ainsi, celui qui fait le choix de la haine a-t-il toujours les raisons les plus valables qui soient, c’est-à-dire rationnelles, de haïr? Il ne reste plus qu’à sa haine de trouver son objet… Cet objet qui peut être un homme, une femme, un peuple, une religion, une idée, une vision, toute forme d’altérité qui absorbera toute la haine projetée, laquelle dès qu’elle se sera trouvée totalement contenue en l’autre en fera l’autre entièrement fait de ma haine. Et ma haine le rendant totalement négatif.

Et ainsi, rendu digne, au mieux, d’exclusion. Au pire, éligible au meurtre. Mais tou-jours, de violences. Individuelles. Le plus souvent de masse… Ainsi, le lynchage doit-il être compris comme une agrégation de haines se trouvant le même objet.

Qu’il s’agisse d’un jeune homo, presque lynché à mort, de jeunes filles marchant en jupe, de jeunes gens qui s’embrassent, lynchés symboliquement par l’insulte, la menace, et désignés à l’enfermement, nous nous trouvons bien, ici, en présence d’une haine construite, chaque jour. Et s’étant trouvé les objets les plus visiblement, les plus nécessairement et les plus facilement haïssables…

La haine a malheureusement une longue histoire et cette histoire veut que, dans chaque société, les objets ne varient guère… C’est l’Homme et la Femme trop différents qui sont les cibles de l’Homme de la Haine qui est l’Homme du ressentiment, le plus hideux des Hommes…

L’Homme du ressentiment, que la politique, depuis trop longtemps, feint d’ignorer, nous conduisant vers des analyses toujours trop simples, toujours binaires, reconstruisant un ennemi idéologique pour éviter de regarder le Mal dans les yeux.

La haine est, en ce pays, l’objet le plus urgent à déconstruire, l’objet qui commande une véritable généalogie. Nous ne pouvons cependant nier qu’à émerger, en ce pays, cet Homme du ressentiment, qui, de ce qui n’est pas lui, ne veut rien savoir. Cet Homme, hideux, est le produit de trop de haines, construites, chaque jour, qui sont elles-mêmes le produit de trop d’humiliations, de trop d’injustices, agrégées pour produire notre moment nihiliste. Ce moment dont les idéologues de tous bords profitent, et si nous ne les arrêtons pas, profiteront longtemps encore. n

Driss JaydanePhilosophe, politologue, écrivain et chroniqueur

Le diable se cache dans les détails

Les événements que nous avons vécus récemment ont été, à des degrés divers, l’occasion de levées de boucliers et de véhémence orale, sinon de violence verbale. Ils dénotent d’un malaise sociétal grandissant. Quelles mutations de valeurs devons-nous vivre? Comment agencer notre espace public en conformité avec, d’une part, notre histoire et notre patri-moine et, d’autre part, les principes des droits de l’homme dont en bonne partie les libertés individuelles…? Comment devons-nous nous comporter face par exemple à un couple non marié qui vit ouvertement en concubinage? Cet exemple pose le problème de la relation libre en société. Comment devons-nous nous comporter face à un film qui comporte des scènes «osées»? Ce cas pose le problème de la liberté de création et des dispo-sitifs de censure, et de différenciation des publics… Comment

devons-nous nous comporter face à une soirée artistique qui propose un programme de chant et de danse? Idem. Comment traiter l’homosexualité et les homosexuels?

Le débat autour de ce genre de questions a été longtemps ajourné ou escamoté. Questions plutôt marginalisées, sans trop de fixations négatives néanmoins. Le non-exprimé, en quelque sorte, avec lequel on coexiste. Aujourd’hui, il est arrivé peut-être le moment de vérité autour de toutes ces questions, mais cela se passe dans un contexte particulier. Sous nos yeux, quelques phénomènes se sont retrouvés au même carrefour : des générations qui arrivent sur le devant de la scène, souffrant d’un

taux de scolarisation insuffisant, même après un demi-siècle d’indépendance, une ouverture jamais égalée à de nouveaux moyens de communication et d’information, et une demande sociétale de changement et de nouveaux critères, équitables, pour la distribution de la richesse nationale. Si vous ajoutez à cela une représentation politique défaillante et la présence encore vivace de forces conservatrices au sein même de l’État, et une certaine démission des élites intellectuelles, vous vous retrouvez en face d’un tableau très difficile à gérer.

C’est dans ce cadre que se passent les changements actuels. Un peu dans le désordre, en plus d’un environnement géo-politique déstabilisateur. Néanmoins, ce ne sont pas tant les tendances conservatrices qui posent le principal problème à la mutation moderniste, pour la simple raison que les Marocains, même d’antan, sont connus pour leur propension à la mesure,

sinon à la tolérance. C’est, à mon avis, le climat régional et mondial qui risque de freiner cette mutation. C’est dans ce contexte que les élites intellectuelles, productrices de sens, sont appelées à sortir de leur mutisme et de jouer le rôle qui est le leur : celui d’éclaireurs (éclairés) d’un nouveau mode du vivre-ensemble, fait de tolérance, de respect des droits, collectifs comme individuels… seule alternative capable de fructifier notre patrimoine humaniste propre et de nous pro-pulser dans une modernité d’essence humaine. Lourde, mais indispensable tâche. n

Salah El Ouadie Philosophe, poète, écrivain,

militant pour les droits de l’homme

Maroc, ébullition incertaine !Faut-il s’en réjouir ou la craindre? La grande ébullition sociale qu’a vécue la société

marocaine a de quoi provoquer un sentiment mitigé, inquiéter ou susciter de l’espoir. Inquiéter parce que les clivages deviennent plus tranchants et les oppositions plus frontales sur des thématiques qui nécessitent un compromis sinon calme du moins maîtrisé. Le tournant est d’autant plus bruyant que la société marocaine avait donné pendant de longues années l’impression d’être allergique aux ruptures, prête à arrondir les postures plutôt que d’envisager des solutions extrêmes. Et puis soudain, comme un feu qui ne prévient pas, les débats s’enflamment plongeant le Marocain dans un clivant manichéisme.

Plusieurs raisons expliquent ce tournant. La première tient à la nature certes fonciè-rement conservatrice mais structurellement ouverte de la société marocaine. Elle ne pouvait logiquement rester en dehors des grands tourbillons des pensées et d’idées qui secouent le monde à l’heure de la communication instantanée et des réseaux sociaux devenus un lieu de grande agitation politique et sociale. La seconde tient à ce vent de liberté qui souffle sur le pays depuis une quinzaine d’années et qui permet toutes les audaces. Cette ivresse de la parole retrouvée, même si son objectif louable est de secouer les conservatismes, n’est pas sans risque. La logique de l’excès n’est pas loin.

Longtemps tassées ou reléguées à des sphères restreintes, des thématiques comme le sexe, la place de la religion et de la morale, la relation homme/femme ont brusquement fait leur irruption dans la conversation publique. Le plafond politique et idéologue qui encadrait ce genre de réflexion, jadis élitistes, n’est plus aussi bas et les intervenants de plus en plus nombreux et de plus en plus déterminés à en découdre dans un sens

comme dans l’autre. Pour être utile et pour ne pas virer à l’excès, cette conversation a besoin de relais qui l’encadrent. Des médias, des partis politiques, des syndicats, bref des corps intermédiaires lucidement conscients que le jeu actuel est déterminant pour la nature du contrat social et du vivre-ensemble à élaborer.

Vue d’ailleurs, la société marocaine reflète aussi cette double interrogation. Une société dynamique qui ose réfléchir sur des questions taboues, qui sait être pionnière là où d’autres calent et se recroquevillent, qui sait organiser la réflexion là où d’autres font parler le langage des armes depuis longtemps, qui sait laisser parler les différences là où les autres les castrent. Elle peut aussi être une source d’inquiétude puisque le débat se passe sur le fil du rasoir, sans filet. Les terrains minés ne manquent pas. Les sujets explosifs sont légion. Les dérapages, fruit souvent de l’ignorance, d’un cumul de rigidités, d’un refus de l’autre, différent, perçu comme un danger, sont à l’affût. Cette effervescence marocaine est à la fois un signe d’impatience aux impacts imprévisibles et un indicateur de bonne santé puisqu’elle reflète une volonté de changer et d’évoluer. Le Maroc s’est transformé de ce fait en un gigantesque laboratoire d’idées et de postures, de recettes, de subtils dosages, aujourd’hui surveillé avec inquiétude, demain sans doute imité avec admira-tion. Tout dépendra du sens que prendra cette grande conversation publique qu’il vient d’engager. n

Mustapha Tossa Journaliste politologue

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DÉBATS16 AOÛT 2015

La parole est aux intellectuels

Réquisitoire contre la tribalisationdu religieux

Le gouvernement islamiste au pouvoir n’est plus un fait nouveau! Il fait désormais partie du paysage politique, et tente depuis le début de mettre en exergue ses convictions politiques d’un islam plus ou moins rigoureux! Cependant, ce que ce gouvernement (cette tendance d’un islam politique et politisé) ne pouvait prévoir, c’est la radicalisation accrue des mouvements intégristes dans leur forme la plus simpliste, à savoir le daechisme. La mise en place de l’État islamique en Syrie et en Irak semble inquiéter à un haut point notre isla-misme «modéré» et le met face à ses propres contradictions et ses horizons mal dessinés!

Par ailleurs, faut-il le rappeler, cette même situation semble engendrer une inquiétude grandissante dans les sociétés ci-viles quant aux formes d’un islamisme qui prône la minimi-sation des libertés individuelles.

Or, c’est cette confrontation inévitable entre deux concep-tions (deux histoires : celle d’un passé de tolérance et de consensus sociétal, et celle d’un présent ouvert à tous les vents imprévisibles) qui se laisse sentir, prenant tantôt la

forme d’une réaction à une restriction menaçante, tantôt la forme de provocation...

Cependant, si les conflits dans la scène marocaine pre-naient auparavant des formes plus ou moins sociales, les voilà qui prennent des détours d’un nouvel ordre, cette fois intimement lié à l’éthique et aux valeurs. Tournant, certes en relation avec l’islamisation du pouvoir, mais également avec la dépolitisation accrue de la jeunesse, dont l’éclatante vérité a été mise à nue par la fragilité politique dont a témoigné le mouvement du 20 Février!

Dans ce contexte, on peut lire les faits successifs qui ont en quelque sorte secoué l’opinion marocaine (débat sur l’avortement, film de Nabil Ayouch, affaire des Femen, des homos, spectacle de Jennifer Lopez, affaire des deux jeunes filles d’Inezgane, lynchage du supposé travesti de Fès...) comme étant soit le dérivé de questions politiques mues à l’approche des élections, soit l’annonce d’une «guerre» des valeurs dans la société marocaine, une guerre qui met en crise (implicitement et explicitement) toutes les formes de politisation directe de la religion.

Il faudra quand même insister sur un fait crucial relatif au contexte de ces conflits : nous sommes encore loin d’une scène à positions claires et antagonistes. Concernant l’avortement, il s’est avéré que l’islam makhzénien n’est fi-nalement pas aussi distinct que l’on croyait de l’islam prôné par le PJD. Par ailleurs, l’affaire du film de Nabil Ayouch nous a révélé que la position de l’Istiqlal est en fait plus à droite que celle du PJD... Conclu-sion : en matière de valeurs sociales, dès que celles-ci ont des dimensions religieuses ou morales, les frontières s’estompent et tout un chacun peut s’ériger en prophète.

La scène des valeurs semble donc ali-menter le débat public. C’est là un signe de faiblesse du débat politique, mais éga-lement le signe d’une tribalisation du sen-timent religieux, laquelle donne aux gens le droit de s’ériger en gardiens impunis des valeurs. Or, cela annonce également l’impuissance de l’État à faire régner la loi au-delà de cette tribalisation politique des croyances, malgré le travail qui se fait sur le champ religieux depuis bien des années! n

Farid Zahi Ecrivain et Directeur de l’IURS (Institut universitaire de la recherche scientifique)

Nicole Elgrissy Journaliste / écrivaineCiel, mon Maroc!

V oilà plus de cinq ans que je m’acharne à travers mes livres et mon militantisme sur Facebook à prouver aux Marocains résidant à l’étranger

qu’ils ont eu tort de quitter le bateau il y a trente ou quarante ans pour aller s’installer dans des pays où l’intégration s’est révélée n’être qu’un leurre… Au-jourd’hui, tous les déficits budgétaires sont imputés aux étrangers. Tellement facile… Les immigrés sont devenus des détergents qui permettent aisément aux chefs d’État de se laver les mains face aux échecs de leur gouvernance… Les Marocains ont quitté leur pays natal pour aller «construire» l’avenir de leurs enfants… Admettons! Sans toutefois oublier de préciser qu’ils ont choisi des pays dans lesquels leurs enfants peuvent appeler la police et obtenir gain de cause en invoquant la violence physique après avoir reçu une gifle large-ment méritée… L’autorité des parents marocains a formaté une jeunesse dix fois moins rebelle que celle, contemporaine, qui nous fait désormais honte quand elle se laisse enrôler dans des groupes qui ne savent faire rien d’autre qu’appeler à la révolte. On les voit rarement s’impliquer dans des mouvements pacifistes pour hisser haut et fort le drapeau de ce pays auquel ils appartiennent réellement... La majeure partie de la jeunesse marocaine à l’étranger nous démontre, d’année en année quand elle vient chez nous en vacances, les dégâts du laxisme conséquent à cette notion de liberté encore incomprise par ceux qui l’ont transformée en fatalité via leur fraternité avec des groupes terroristes… Et pourtant! L’école marocaine de l’amour et du respect parental reste unique au monde. Nous n’avons jamais eu besoin d’intégristes ambulants pour nous expliquer qu’il fallait cacher ses jambes devant nos pères, nos frères, nos oncles et nos grands-pères… La pudeur a toujours fait partie de l’éducation marocaine sans que qui que ce soit vienne nous le rappeler. Jamais un enfant élevé au Maroc n’a osé lever le ton sur ses parents. Ceux qui l’ont fait ont toujours été pointés du doigt par les millions

d’autres respectueux à outrance vis-à-vis de leurs aînés. Mes frères marocains nous ont quittés vers la fin des an-nées soixante pour aller dans des pays qui ne cesseront jamais de les regarder comme des étrangers naturalisés. Expression rigolote tellement elle est antinomique… Nos prénoms comme nos noms trahissent souvent nos souhaits d’intégration… Que nous soyons juifs ou musulmans marocains, nous resterons éternellement des invités longue durée en Europe. Ne nous leurrons surtout pas. La «marocologie» est une pièce d’origine qui n’existe pas dans le marché de l’adaptable… J’ai souvent «reproché» à mes compatriotes de ne pas être restés là pour que nous nous battions tous ensemble et ainsi faire avancer notre pays à pas de géant, plutôt que d’aller en construire d’autres qui garderont éter-nellement le droit de nous retirer cette fameuse carte de séjour… Celle qu’ils nous auront accordée après tant et tant de difficultés. La vague d’intégrisme et la série d’attentats commis dans le monde ont réussi à saborder et salir l’Islam aux yeux de tous ceux qui ne connaissent rien de cette religion essentiellement basée sur la paix, la tolérance, le pardon et surtout le respect de l’autre. J’ai grandi dans un Maroc plein à 95% de gens accrocs à leur religion autant qu’à leurs traditions, sans jamais ressentir une quelconque gêne en vivant au milieu d’eux. Nous adorions les bruits de leurs fêtes, ils savouraient les odeurs et les ambiances des nôtres. Juifs, musulmans et chrétiens ont vécu quarante ans dans un même immeuble, un même quartier, sans que quiconque ne soit gêné ni choqué par la présence de l’autre. D’où est venu ce tsunami de fanatisme soudain? Nous avons passé une vie dans la liberté totale de nous habiller, de voyager à travers le Maroc, d’organiser des fêtes, de chanter, de danser, de boire de l’alcool quand on le souhaitait, sans que quiconque ne nous jette un regard bizarre. Des milliers de Marocaines ont porté toute leur vie des décolletés et des pantalons sans que personne n’ose venir leur reprocher leurs tenues. Pas même leurs maris! Pourquoi n’a-t-on jamais incarcéré ces millions

de mâles marocains qui ont tant manqué de respect à nos filles en les sifflant à tout bout de champ ou en leur mettant la main aux fesses sans avertir? Deux poids trois mesures? Socié-té marocaine machiste? Programmation d’un nouvel exode pour transformer le Maroc en succursale de l’Afghanistan? Devrait-on au-jourd’hui réapprendre à vivre dans la psychose à cause de ces fanatiques religieux qui pour ne pas baisser les yeux quand une femme passe devant eux (comme il est le cas chez les religieux juifs), de lui crever les siens ou de l’envoyer en taule? Je suis choquée! Doit-on désormais empêcher nos filles de sortir en robes ou en leggins? Au nom de quoi? Vou-drait-on nous dire d’une façon détournée que l’Islam qui a toujours été pratiqué au Maroc n’est soudain plus d’actualité? Et les étrangers qui sont venus investir chez nous, devront-ils demander à leurs épouses et à leurs filles de ne pas porter de robe sans risquer de se faire taillader les joues? Ces fauteurs de troubles vont-ils désormais demander la carte d’iden-tité à toute fille portant une jupe? Mais nous sommes en plein délire, au cœur d’un film de science-fiction!

D’où sont venus ces milliers de perroquets dont le seul mot qu’ils s’acharnent à répéter toute la journée est «Haram»? Qui a le droit en dehors de Dieu lui-même de décréter ce qui est Halal ou Haram? Depuis quand les hommes se substituent à Allah? Leur aurait-Il par-lé sans que nous soyons au courant? Seraient-ils tous subitement devenus des prophètes? La particularité du Maroc a toujours été le multiculturalisme. L’affaire des mini-jupes, des menaces d’emprisonnement à l’en-contre de Nabil Ayouch, du lynchage de ce présumé ho-mosexuel vont produire le pire des effets : faire fuir tous les Marocains habitués à cette liberté de vivre comme ils l’entendaient tout en respectant l’espace public. Nous n’avons jamais flirté dans les rues ni mis des maillots

pour aller faire une marche! Nous avons toujours res-pecté les us et coutumes marocains sans que personne ne vienne nous dire ce que l’on pouvait faire ou ne pas faire! Si ça continue, toute la jeunesse va encore se mettre à fuir. Je l’entends tous les jours autour de moi. Le résultat de cette course de tocards, c’est que le Maroc a été amputé de ses fortunes, de ses business florissants, de cette magnifique ambiance qui embaumait nos cœurs et nos vies. Si c’est le PJD qui a instauré ces règles pour avoir été élu avec seulement 4 millions de voix, alors il est temps que tous les Marocains du monde s’unissent pour monter un nouveau parti. Celui qui contiendra tous les abstentionnistes qui n’ont jamais cru à la régularité des élections. Je suggère même de le nommer le parti des ex-abstentionnistes… n

De la déradicalisation

religieuse

I l y a déjà bien longtemps, Driss Basri avait créé délibé-rément les groupes islamistes

pour contrer les extrémistes de gauche.

Une tactique machiavélique qui a accouché des mutants dangereux que l’on connaît au-jourd’hui, et qui leur échappent des mains.

Au Maroc, à l’instar d’autres pays du Maghreb, tout aussi comme en Egypte, il y a une crise économique et un taux de chô-mage à tel point que les jeunes sont aux abois, et par conséquent les capteurs de djihadistes y trouvent un terreau fertile.

Chez nous, les riches sont hon-teusement riches et l’affichent ostensiblement, et les pauvres sont chaque jour plus pauvres, et le refuge le plus simple est bien évidemment la religion.

Mais d’aucuns vous diront que la barbarie et le terrorisme n’ont rien à avoir avec l’Islam. C’est se mentir à soi-même, parce que ces djihadistes l’ap-pliquent à la lettre. Il faut avoir le courage de dire qu’il faut refaire une nouvelle lecture des textes sa-crés et les interpréter différemment, c’est là le cœur du problème. Le cas échéant, si les responsables de la chose religieuse continuent à jouer à l’autruche, le phénomène de radicalisation ira en augmentant de manière exponentielle, c’est indéniable.

Il faut avoir le courage de décomplexer le débat sur la religion et cesser de sortir le carton rouge de l’intolérance chaque fois que quelqu’un ose ques-tionner le tabou.

Le meilleur exemple d’un pays musulman qui s’en sort bon an mal an en ce qui concerne la to-lérance c’est bien la Turquie. Et c’est bien grâce à Ataturk qui a institué la laïcité que tous les Turcs vivent ensemble, qu’ils soient musulmans ou athées,

chacun jouit de la liberté de conscience. Personne n’a le droit d’obliger quelqu’un à être musulman, croyant ou bouddhiste, chacun doit avoir le libre choix. Chacun a le droit de respecter le jeûne du mois de Ramadan ou de ne pas le faire.

Nous avons plus besoin d’hôpitaux, d’universités, de centres culturels que de mosquées. N’en avons-nous pas déjà assez ? Je sais que mes propos vont être qualifiés d’hérétiques par une grande partie des gens, mais cela ne m’étonnera pas le moins du monde parce qu’ils ont été formatés à l’intolérance pour tout ce qui est tabou.

Même l’amour est tabou dans nos sociétés ara-bo-musulmanes. Quel est l’enfant qui a vu ses pa-rents s’embrasser ou avoir des gestes de tendresse ou se dire « je t’aime »? Combien de parents ou d’enfants se sont dit « je t’aime papa » ou « je t’aime mon fils » ou « je t’aime ma fille »? Nos enfants n’ont pas grandi dans l’amour qui est un bouclier d’airain contre la haine.

Que nos responsables se réveillent avant que ce ne soit trop tard pour ne pas dire qu’il est déjà trop tard! n

Hakim NouryActeur et réalisateur

Page 17: La Monarchie de tous les défis

17ENQUÊTE AOÛT 2015

De Tibhirine à Midelt, l’odysséedes moines et le devoir de mémoire

Le message de Jean-Pierre Schumacher, dernier rescapé du massacre

«M on rêve le plus cher? Celui que nous par-tageons certainement

tous : vivre dans l’amour et la paix. Pour cela, il faut qu’il y ait un effort de la part de tous pour aller vers l’autre, aimer son prochain, quelle que soit sa religion, que nous ayons du respect cha-cun pour l’autre, que nous cherchions à nous connaître, car si nous nous connaissions bien les uns les autres, le monde serait différent. Nous verrions la beauté des autres religions dans leur recherche de Dieu, dans leurs prières. Unissons-nous et prions les uns pour les autres, aimons-nous ensemble en communauté pour monter d’un seul élan vers l’unique Seigneur et Maître de nos vies. Plus on est proches les uns des autres, plus on est proches de Dieu.»

Tel est le vœu lumineux formulé par une voix déchirée et chevrotante mais pleine de chaleur et de sagesse, celle d’un homme dont le destin est tout simplement singu-lier. Un homme de foi qui a eu certaine-ment le don de vivre pour rappeler à la mémoire du commun des mortels d’autres vies interrompues tragiquement et injus-tement. Il s’agit bien du Frère Jean-Pierre Schumacher, le dernier moine rescapé du meurtre de Tibhirine dont sept avaient été enlevés et tués en Algérie en 1996 et qui a défrayé la chronique. Un drame qui dé-chire les consciences toujours.

Les moines de Tibhirine

Fondé le 7mars 1938, le monastère des Cisterciens-trappistes de Tibhirine s’installe à l’Abbaye Notre-Dame de l’Atlas, dans une zone montagneuse au sud d’Alger, près de Médéa sur un domaine agricole de plusieurs hectares. Père Bruno (Christian Lemarchand), Frère Paul Favre-Miville, Père Céles-tin Ringeard, Père Christophe Lebre-ton, Père Amédée, né Jean Noto, Père Jean-Pierre Schumacher, Robert Fou-quez, Frère Luc (Paul Dochier) surnom-mé le toubib, Frère Michel Fleury s’y consacrent à la prière et au travail pas-toral, et à la valorisation de la terre qui les fait vivre. «Ora et Labora» –qui veut dire «prie et travaille»– était leur de-vise, et les vœux monastiques (pauvreté,

chasteté et obéissance) constituaient leur mode de vie.

La vie monastique bénédictine repo-sait sur sept piliers évangéliques : cé-libat, prière, hospitalité, locaux (l’ab-baye), travail, église locale, entraide.

Mais à partir des années 1990, les violences liées à la guerre civile en Al-gérie sont de plus en plus menaçantes. Entre le printemps 1994 et l’été 1996, dix-neuf prêtres et religieux catholiques ont été massacrés. Les moines, inquiets,

devaient choisir entre rester et quitter l’Algérie. Ils optent pour le premier choix au risque de perdre leur vie. D’ail-leurs, Frère Michel écrit à son cousin ce qui suit :«Martyr, c’est un mot tellement ambigu ici… S’il nous arrive quelque chose – je ne le souhaite pas –, nous vou-lons le vivre, ici, en solidarité avec tous ces Algériens et Algériennes qui ont déjà payé de leur vie, seulement solidaires de tous ces inconnus, innocents…»

Et dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, à 1h15 du matin, un groupe d’une ving-taine d’individus s’introduit de force dans le monastère et enlève sept moines de la communauté dont deux sont sau-vés par miracle. En effet, Frère Amédée et Frère Jean-Pierre Schumacher dor-maient dans une aile éloignée.

Le 21 mai, après des semaines de sé-questration, un communiqué attribué au GIA (Groupe islamique armé) annonce l’assassinat des sept religieux. La France entière en était remuée à telle enseigne que le 28 mai 1996, dix mille personnes se rassemblent sur le parvis des droits de l’Homme, place du Trocadéro en guise d’indignation et d’hommage aux mar-tyrs de cet acte terroriste baptisé dès lors Assassinat des moines de Tibhirine. Le 30 mai, l’horreur est à son paroxysme : seules les têtes des moines sont retrou-vées non loin de Médéa.Les obsèques ont lieu le 4 juin à Tibhirine.

Les corps n’ont jamais été retrouvés, appuyant ainsi la thèse qu’on voulait étouffer les circonstances de ce mas-sacre surtout qu’aucun rapport d’au-topsie n’a été communiqué. En plus, les religieux ont été décapités alors que le communiqué annonçant l’exécution parlait de mort par égorgement. Le mystère n’a jamais été élucidé, attendu qu’aucune enquête judiciaire algérienne n’a été entamée, en plus de la volonté rédhibitoire des autorités qui ont cherché à dissimuler la disparition des corps, al-lant même jusqu’à alourdir les cercueils par le sable, chose qui a été démasquée par le secrétaire général adjoint des trappistes qui a réclamé avec insistance l’identification des corps.

Deux survivants pour pérenniser l’esprit

de TibhirineFrère Jean-Pierre Schumacherétait le

portier de nuit du monastère. Les portes étaient fermées à 17h 30 pour n’être rouvertes que le lendemain à 7h30. La nuit du 26mars 1996, il est tiré de son sommeil par des voix qui parvenaient de

l’enceinte du monastère. Quelque temps après, le Frère Amédée vient le retrouver pour lui dire : «Tu sais ce qui est arrivé? Les frères ont été enlevés. On est seuls tous les deux».

Une fois l’assassinat annoncé, Frère Jean-Pierre devient successeur de Chris-tian de Chergé avant qu’il n’atteigne 75ans, âge limite du mandat.

Suite à ces événements tragiques, les moines cisterciens étaient sûrs qu’il était désormais impossible de vivre en Algérie et qu’il fallait aller dans un autre pays musulman. Leur point de chute est le Maroc. Ils se rendent dans l’annexe qu’ils avaient à Fès ; le prieuré Notre-Dame de l’Atlas y est transféré le 2 juin 1996. En 2000, les sœurs franciscaines missionnaires de Marie leur proposent leur propriété qu’elles avaient occupée pendant une trentaine d’années, à Midelt. Ils s’y installent en mars 2000, et le monastère Notre-Dame de l’Atlas y est toujours éta-bli.Depuis 1999, le nouveau prieur en est le Père Jean-Pierre Flachaire.

Frère Amédée est décédé à l’âge de 88 ans, le 27 juillet 2008, à Aiguebelle (Sa-voie) après avoir vécu plusieurs années au monastère de Midelt où l’esprit de Tibhi-rine continue à exister, «une communauté d’amitié et de respect mutuel en dépit des différences de culture, de nationalité, de religion». Aujourd’hui, c’est le seul mo-nastère cistercien du Maghreb. Dans une pièce attenante à la chapelle appelée le «mémorial», les portraits des sept frères trônent, en plus d’une icône de la Vierge devant laquelle les moines de Tibhirine ont prié pendant des décennies. Elle est désormais accrochée dans la chapelle comme pour rappeler que la vie s’est arrê-tée en Algérie pour reprendre à Midelt, au cœur du Maroc, dans ce monastère, havre de paix où se côtoient chrétiens et musul-mans dans un dialogue de vie empreint de respect. Les relations avec les habitants de la ville sont fréquentes et d’une grande simplicité. Aux relations courantes ou de travail s’ajoutent des invitations et des rencontres devenues habituelles dans le cadre d’événements familiaux ou de fêtes. Ce lieu abrite aussi, depuis juillet 2010, les reliques du père Albert Peyriguère, ermite au Maroc, transférées d’El Kbab (province de Khénifra) où il avait été inhumé.

Un dernier rescapé qui porte le sceau

de la mémoireOriginaire de Moselle, près de Thion-

ville, et déjà à l’âge de cinq ans, Jean-Pierre rêvait de devenir prêtre. Mais l’arrivée de la Seconde Guerre mon-diale force sa mobilisation pour le tra-vail obligatoire à l’âge de dix-huit ans. Un problème oculaire joue en sa faveur et rendit possible sa réforme. De retour

chez lui, et après avoir eu son Bac, il entre chez les maristes. Il entame alors sa vie de frère mariste à Saint-Brieuc, en Bretagne, en prenant en charge l’édu-cation de soixante-dix élèves. Mais le rêve d’une vie contemplative ne l’a jamais quitté et c’est ainsi que sa déci-sion est confortée par son supérieur. Il rentre chez les trappistes de Timadeuc en 1957. Et en 1964, il est désigné pour renforcer la communauté de Tibhirine, en Algérie, jusqu’après l’indépendance où beaucoup de frères ont regagné la métropole tandis que le monastère était menacé de fermeture.

Aujourd’hui, Frère Jean-Pierre Schu-macher a 91ans et il est le seul survivant de la communauté des trappistes. Ses yeux d’un bleu pur et son sourire atta-chant donnent à son visage une séréni-té réconfortante.Au monastère Notre-Dame de l’Atlas de Midelt, il continue à vivre dans le même esprit des moines de Tibhirine qui ont voué leur vie au travail, à la paix, à la simplicité, au dépouillement, à l’accueil et au partage inconditionnels loin de toute volonté de prosélytisme.

D’une humilité déconcertante, d’une sagesse apaisante, d’une foi inébranlable et d’une douceur profonde, il reste fidèle à lui-même et à ses frères auxquels il ne cesse de penser. Pour lui, sa renaissance – puisque c’était le cas de le dire– est une prolongation de la vie des autres moines sacrifiés, un témoignage vivant de la tragédie de Tibhirine, afin que ce carnage ne soit pas enseveli dans les dédales de l’oubli.

Depuis la diffusion du film de Xavier Beauvois «Des hommes et des dieux» qui retrace le vécu monacal des frères, le prieuré Notre-Dame de l’Atlas re-çoit plusieurs personnes (jusqu’à 1 500 personnes) qui viennent chaque année pour y effectuer une retraite de ressour-cement.

Frère Jean-Pierre Schumacher au mo-nastère de Midelt

Les moines de Tibhirine

«Frère Jean-PierreSchumacher est le dernier moine rescapé du meurtre de Tibhirine dont sept avaient été enlevés et tués en Algérie, en 1996, et qui a défrayé la chronique. Un drame qui déchire les consciences toujours.»

«Depuis la diffusion du film de Xavier Beauvois «Des hommes et des dieux» qui retrace le vécu monacal des frères, le prieuré Notre-Dame de l’Atlas reçoit plusieurs personnes (jusqu’à 1 500 personnes) qui viennent chaque année pour y effectuer une retraite de ressourcement.»

«A partir des années 1990, les violences liées à la guerre civile en Algérie sont de plus en plus menaçantes. Entre le printemps 1994 et l’été 1996, dix-neuf prêtres et religieux catholiques ont été massacrés. Les moines, inquiets, devaient choisir entre rester et quitter l’Algérie.»

Midelt - de notre envoyée spéciale souad Mekkaoui

Page 18: La Monarchie de tous les défis

ENQUÊTE18 AOÛT 2015

Le Monastère Notre-Dame de l’Atlas à Midelt.

Un mystère non élucidéAujourd’hui encore, la lumière n’est

toujours pas faite sur ce crime tragique et aucune certitude ni sur l’identité du commando qui a perpétré cette tuerie ni sur ses mobiles.

Les familles des sept martyrs tiennent plus que jamais à connaître la vérité des faits. Après avoir suivi la piste du Groupe islamique armé et de son éven-tuelle implication, l’enquête judiciaire a pris un autre tournant, optant pour une possible bavure de l’armée algérienne qui aurait mitraillé le groupe terroriste en tuant accidentellement leurs otages. Leurs corps auraient été détruits après leur décapitation. Or dans une enquête publiée dernièrement, l’écrivain René Guitton réfute, examens photogra-phiques à l’appui, la thèse d’une simple bavure de l’armée algérienne qui aurait tué par des tirs d’hélicoptères les moines détenus dans un camp de jihadistes.

À partir de 2002, de nouveaux agents

du DRS ou des islamistes du GIA confir-ment à Canal +, puis à Libération, qu’en 1996, les moines de Tibhirine auraient été enlevés sur ordre d’Alger. Ces té-moignages sont rassemblés en 2011 dans le livre «Le Crime de Tibhirine. Révé-lations sur les responsables» de Jean-Baptiste Rivoire, puis dans le documen-taire Le Crime de Tibhirine, diffusé le 19 septembre 2011 dans l’émission Spécial investigation de Canal +.

En juillet 2008, le journal italien La Stampa reprend l’information déjà publiée par John Kiser en 2006, selon laquelle on aurait tiré sur les moines à partir d’un hélicoptère. Il a précisé que «d’après une source interrogée à Alger, l’attaché militaire de l’ambassade de France aurait admis que les services de renseignement avaient intercepté une conversation dans laquelle un pilote d’hélicoptère algérien disait : zut! nous avons tué les moines!»

En juillet 2009, le général François Buchwalter, attaché militaire à l’ambas-sade de France à Alger en 1996, rend

public ce témoignage. Dans sa déposi-tion à la Justice française, le général a aussi déclaré qu’il avait constaté, dans la première version du communiqué N° 44 du GIA annonçant l’exécution, une erreur suspecte dans le verset cité du Coran. Selon lui, l’armée algérienne aurait décapité les cadavres des moines pour faire croire à un crime commis par les terroristes.

En octobre 2014, le juge antiterroriste Marc Trévédic reçoit des autorités algé-riennes la permission d’exhumer les têtes des moines afin d’effectuer une autopsie et de déterminer les circonstances de la tuerie. Mais, en juillet 2015, les résul-tats de l’expertise privilégient l’hypo-thèse d’une décapitation post-mortem. La question reste posée : à qui profite le crime? Les rescapés ont retrouvé calme et sérénité à Midelt, non sans être de-meurés à la mémoire de leurs collègues dont l’âme est engloutie dans les dédales d’un terrorisme sombre qui s’est abattu sur l’Algérie, dont on ne dénouera jamais les fils… n

Fac-simili du témoignage manuscrit que Maroc diplomatique a pu recueillir rédigé par Frère Jean-Pierre Flachaire, prieur du monastère Notre-Dame

de l’Atlas. Il y retrace avec concision le parcours des moines.

Page 19: La Monarchie de tous les défis

19ENQUÊTE AOÛT 2015

Le père Peyriguère est connu aussi sous le nom du « marabout d’El Kbab ».Il a consacré sa vie aux populations pauvres du Moyen-Atlas.

Témoignage manuscrit de Jean-Pierre Flachaire

Le prieuré Notre-Dame de l’Atlas.Photo réunissant Feu Hassan II alors Prince Héritier et Père Peyriguère.

Né en 1883 à Trébons à quelques ki-lomètres de Lourdes, Albert Peyriguère est prêtre puis professeur avant de de-venir brancardier, pendant la guerre de 1914-1918. C’est en Tunisie qu’il côtoie de près les musulmans et l’islam. Ses déplacements entre l’Algérie et la Tu-nisie l’emmènent au Maroc, pays qu’il choisira grâce à la biographie du Père de foucauld. Enfin, il pend la crémaillère

à El kbab (à 35 km de Khénifra). La présence de la France était pour lui une faute grave qu’il n’a cessé de dénoncer. Aussi le Prince héritier Moulay Hassan lui rendra-t-il visite juste après l’indé-pendance. Mort à Casablanca le 26 avril 1959, il est enterré à El kbab avant que ses reliques ne soient transférées le 21 juillet 2010 à l’Abbaye Notre-Dame de l’Atlas, à Midelt.

Qui est Père Peyriguère ?

Page 20: La Monarchie de tous les défis

???????20 AOÛT 2015

Page 21: La Monarchie de tous les défis

Il ressort d’un communiqué de Bank Al-Maghrib (BAM) que, conformément aux dispositions de l’article 91 de la Constitution, ainsi que celles de l’article 45 de la Loi n° 76-03, portant Statut de Bank Al-Maghrib, promulguée par le Dahir n° 1-05-38 du 20 chaoual 1426 (23 novembre 2005), Abderrahim Bouazza est nommé directeur général de Bank Al-Maghrib. La nomination est effective depuis le 6 juillet 2015.

Nomination d’un nouveau directeur général à Bank Al-Maghrib

BouBker el Badri

Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, a présenté à Sa Majesté le Roi Mohammed VI,

le 3 juillet dernier au Palais royal de Ca-sablanca, le Rapport annuel de la Banque centrale sur la situation économique, mo-nétaire et financière au titre de l’exercice 2014. Entre autres points saillants, une croissance de l’économie nationale décé-lérant à 2,4%, une baisse du déficit bud-gétaire à 4,9% du PIB…

Dans un contexte marqué par la len-teur de la reprise économique mondiale et par des conditions climatiques relati-vement défavorables, l’année 2014 a été marquée par une croissance de l’économie nationale qui a décéléré à 2,4%. Dans son adresse à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al Maghrib (BAM), a indiqué que l’année sous revue s’est soldée, au niveau des équilibres macroéconomiques, par une baisse du déficit budgétaire à 4,9% du PIB et par une importante atténuation du défi-cit du compte courant à 5,6% du PIB qui, conjuguée à la poursuite de l’afflux des investissements étrangers et des prêts, a contribué à une hausse sensible des ré-serves de change. Pour soutenir l’activité économique, l’institut d’émission va dis-poser de marges de manœuvre suffisantes, grâce à cette amélioration des réserves, la maîtrise relative de l’équilibre budgétaire et la baisse de l’inflation, dont le taux a atteint 0,4% (voir Graphe pour les pré-visions). Compte tenu de cette situation, BAM a renforcé l’orientation accommo-dante de sa politique monétaire, réduisant son taux directeur à 2 reprises, le ramenant à un niveau historiquement bas de 2,5%.

Aussi, elle a veillé à répondre aux besoins de liquidité des banques, rédui-sant en particulier le taux de la réserve monétaire de 4 à 2%. Elle a également poursuivi la mise en œuvre de son nou-veau programme destiné à encourager le financement bancaire des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME). Le wali a indiqué, par ailleurs, que l’année a été marquée par la promulga-tion de la nouvelle loi bancaire, dont les dispositions permettent l’émergence de nouveaux acteurs et services financiers, précisant à cet égard que BAM poursuit actuellement l’élaboration des textes d’ap-plication y afférents.

Relever les défisRelativement au taux de chômage, il

a atteint 9,9%, concomitamment au ra-lentissement de l’activité économique. Son impact sur le marché du travail s’est traduit par un nombre de postes créés au-tour de 21 000 postes. Néanmoins, grâce à une conjonction favorable de facteurs, notamment l’afflux important des dons et la baisse des cours internationaux des produits énergétiques, le Maroc peut bé-néficier actuellement d’une marge im-portante pour la poursuite des réformes dans l’objectif d’accélérer la croissance, de réduire le chômage et d’améliorer les

2014, une croissance économiqueau ralenti

Banque Al Maghrib

Prévision de l’inflation pour 2014 T4 – 2016 T1 (RPM décembre 2014)

2014

4ème trimestre

0.9

Prévision d’inflation

(%)

2ème trimestre

1.1

4ème trimestre

1.2

2015

0.4

1ertrimestre

1.2

3ème trimestre

1.2

2014

1.3

1er trimestre

1.3

Horizon de prévision

1.2

2015 2016 Moyennes

Afin de bien exploiter cette opportunité et la transformer en un élan de développement, il a mis l’accent sur la nécessité de relever plusieurs défis auxquels fait face le pays. Il s’agit, en particulier, du faible rendement de l’investissement dans plusieurs secteurs, notamment celui de l’éducation et de la formation qui fait l’objet d’une attention particulière de la part du Roi.

conditions de vie de la population. Pour le gouverneur de BAM, ces marges sont renforcées par l’image dont jouit le pays dans la région comme un îlot de paix et de démocratie et réconfortées par les appréciations positives des agences de notation et des institutions internatio-nales, grâce aux orientations éclairées et judicieuses du Roi Mohammed VI. Afin de bien exploiter cette opportunité et la transformer en un élan de développement, il a mis l’accent sur la nécessité de relever plusieurs défis auxquels fait face le pays. Il s’agit, en particulier, du faible rende-ment de l’investissement dans plusieurs secteurs, notamment celui de l’éducation et de la formation qui fait l’objet d’une attention particulière de la part du Roi. Il a également appelé à l’accélération de nombreux projets structurants, notamment la réforme de la justice et l’amélioration de l’environnement des affaires, à la pour-suite de la réforme fiscale, ainsi qu’à la mise en œuvre dans les plus brefs délais de la réforme des régimes de retraite, tout en consolidant les filets de sécurité sociale.

Au regard de la situation de l’emploi,

Abdellatif Jouahri s’est interrogé sur la capacité du modèle de croissance maro-cain à tirer profit du dividende qu’offre la transition démographique, estimant qu’il est impératif d’apporter des solutions ap-propriées à ce problème structurel.

La transition démographique

en tremplinEnfin, il a assuré que c’est en menant

les réformes structurelles nécessaires et en veillant à leur mise en œuvre dans des délais appropriés, tout en procédant à une

évaluation régulière des décisions et des choix opérés, que le pays pourra créer les synergies nécessaires pour engendrer l’élan dont il a besoin pour réaliser un saut qualitatif dans son processus de dé-veloppement. À cet égard, l’étude lancée par le Roi Mohammed VI sur le capital immatériel, pour le retenir comme cri-tère fondamental dans l’élaboration des politiques publiques, sera sans nul doute d’un grand apport pour relever ces dé-fis, notamment celui de la redistribution plus équitable des richesses du pays, a-t-il conclu. n

21ÉCONOMIE AOÛT 2015

Page 22: La Monarchie de tous les défis

BouBker el Badri

Après les deux éditions précédentes, tenues respectivement en 2002 à Monterrey au Mexique et en 2008

à Doha au Qatar, la troisième Conférence internationale sur le financement pour le dé-veloppement (FdD3), organisée par l’ONU du 13 au 16 juillet dernier à Addis-Abeba, a évalué les progrès accomplis dans la mise en œuvre du Consensus de Monterrey (2002) et de la Déclaration de Doha (2008), en matière de financement du développement, et a en-visagé de convenir d’une nouvelle stratégie commune sur le financement du dévelop-pement durable et du soutien à la mise en œuvre du Programme de développement post -2015, objet du Sommet mondial prévu en septembre 2015.

Événement de portée mondiale, la Confé-rence internationale sur le financement pour le développement (FdD3), dont le thème por-tait sur «Time for Global Action», d’où l’has-tag #Action2015, a réuni des chefs d’État et de gouvernement, des ministres, ainsi que des institutions internationales, des bailleurs de fonds et des représentants du secteur privé, mais aussi de la société civile.

À l’issue de la rencontre, dont la portée est énoncée dans les résolutions 68/204 et 68/279 de l’Assemblée générale de l’ONU, les différentes parties ont convenu d’un résul-tat négocié et convenu au niveau intergouver-nemental. Ce compromis devrait constituer une contribution importante à la mise en œuvre et de soutien de l’Agenda de déve-loppement post-2015. Rappelons que ces ré-solutions de l’AG de l’ONU mettent l’accent sur l’évaluation des progrès accomplis dans la mise en œuvre du Consensus de Monterrey et la Déclaration de Doha et l’identification des obstacles et des contraintes rencontrés dans la réalisation des buts et objectifs qui y sont convenus, ainsi que les mesures et initiatives pour surmonter ces contraintes. Elles abordent aussi des questions nouvelles et émergentes, y compris dans le contexte des efforts multilatéraux récents pour pro-mouvoir la coopération internationale pour le développement. Il s‘agit aussi de s’enquérir de l’évolution du paysage de la coopération au développement en cours, ainsi que de s’assurer de l’interdépendance de toutes les sources de financement du développement, et veiller aux synergies entre les objectifs de financement dans les trois dimensions du développement durable. Enfin, les différentes parties s’engagent à redynamiser et renfor-cer le processus de financement du suivi du développement.

AAAA, une politique des petits pas

Les séances plénières et tables rondes multipartites, axées sur les thèmes «Le par-tenariat mondial et les trois dimensions du développement durable», et «La garantie de la cohérence des politiques et d’un environ-nement propice au développement durable, à tous les niveaux», qui ont rythmé la confé-

rence, ainsi que les manifestations parallèles, notamment le Forum international du secteur de l’entreprise, le 14 juillet, après celui des organisations de la société civile mondiale les 11 et 12 juillet, ont permis des avancées no-tables, même s’il reste du chemin à parcourir. Justement, à la fin de la conférence FFD3, les syndicats regrettent un recul. Ils estiment que l’Addis-Abeba Action Agenda (AAAA) manque d’ambition et d’engagement pour faire des affaires, montrant un déficit en termes de dialogue social et que beaucoup de questions restent ouvertes pour son suivi.

La troisième Conférence internationale sur le financement du développement, s’étant réunie à Addis-Abeba du 13 au 16 juillet der-nier, a adopté, à titre de document final de la conférence, l’Addis-Abeba Action Agenda ou Programme d’action d’Addis-Abeba. L’AAAA vise un cadre global de finance-ment du développement pour l’après-2015, des interventions dans plusieurs domaines, notamment au niveau des ressources pu-bliques internes, en faisant du secteur privé et du commerce international un moteur de la croissance, sans omettre la coopération internationale, la dette et la viabilité de la dette, de résoudre les problèmes systémiques, le renforcement des capacités par la science, la technologie et l’innovation, et de capita-liser sur la masse de données fort utile pour la prise de décision et pour le contrôle et le suivi. Aussi, la FdD3 recommande que l’Assemblée générale approuve, à sa 69ème Session, l’AAAA qu’elle a adopté.

Les responsables vont examiner la néces-sité de tenir une conférence de suivi d’ici à 2019.

Genèse du FdDEn juin 1997, l’Assemblée générale des

Nations unies (AGNU) a adopté le Pro-gramme de développement qui appelait à l’examen de l’idée de tenir une conférence internationale sur le financement du déve-loppement. À sa 52ème Session, tenue en décembre 1997, l’Assemblée générale a adopté la résolution 52/179 qui soulignait la

nécessité d’un examen intergouvernemen-tal systématique, global, intégré et de haut niveau, de la question du financement du dé-veloppement, et a créé un groupe de travail à composition non limitée chargé de formuler des recommandations sur la forme, la portée et l’ordre du jour de ce processus d’examen.

Le groupe de travail spécial devait, entre décembre 1998 et mai 1999, tenir six ses-sions et adopter un rapport comprenant les recommandations (A/54/28) devant être transmises à l’Assemblée générale, concer-nant la forme, la portée et l’ordre du jour de la réunion intergouvernementale de haut ni-veau, proposée pour 2001. Le rapport recom-mandait que la réunion abordât les questions nationales, internationales et systémiques re-latives au financement du développement, de manière holistique, dans le contexte de la mondialisation et de l’interdépendance. Il soulignait que, ce faisant, la réunion abor-derait également la question du développe-ment dans la perspective du financement et stipulait qu’elle devrait également aborder la question de la mobilisation des ressources fi-nancières pour la mise en œuvre intégrale des résultats des grandes conférences et réunions au sommet, organisées par l’ONU durant les années 1990, et pour celle du programme de développement.

En décembre 1999, l’Assemblée générale a adopté la résolution 54/196 qui entérinait le rapport du groupe de travail spécial et a décidé de tenir une réunion des décideurs po-litiques, de niveau ministériel, au moins. Elle a établi un Comité préparatoire (PrepCom) et un calendrier pour les premières réunions, a prié le secrétaire général de tenir une consul-tation avec le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et de parta-ger les résultats de ces consultations avec le PrepCom, et a décidé de constituer un Bu-reau de 15 membres, chargé de poursuivre les consultations avec les parties prenantes concernées.

En juin 2001, l’ancien président mexicain, Ernesto Zedillo, nommé par le secrétaire gé-néral de l’ONU à la tête d’un Groupe de haut niveau sur le financement du développement, a publié le rapport du groupe, au siège de l’ONU. Celui-ci fait valoir qu’une meilleure gouvernance du système économique mon-dial et que des niveaux significativement plus élevés de l’aide et de la libéralisation des marchés permettaient une bonne avancée vers la réalisation des objectifs internatio-naux de développement, déterminés dans les conférences et sommets mondiaux des années 1990. Les recommandations englo-baient l’examen de la possibilité de créer un conseil de sécurité économique, l’établisse-ment d’un programme multilatéral de gestion

des risques liés aux produits de base, pour les pays les moins avancés, le placement de l’aide dans un «panier commun», et la création d’une organisation internationale de la fiscalité.

Monterrey 2002Après les réunions du Comité préparatoire

de mai 2000, février 2001, avril-mai 2001 et octobre 2001, la première Conférence de financement du développement a eu lieu du 18 au 22 mars 2002, à Monterrey, au Mexique. Les États membres de l’ONU de-vaient y adopter le Consensus de Monterrey, composé de 6 catégories de questions, dont la mobilisation des ressources financières nationales, celle des ressources internatio-nales pour le développement, le commerce, la coopération financière internationale pour le développement, la dette et les questions systémiques, y compris entre autres l’amé-lioration de la cohérence au sein du système monétaire international destiné au soutien du développement. Le document final com-prenait 3 chapitres, à savoir relever les défis posés au financement du développement : une réactivité mondiale; des mesures d’at-taque; et le maintien de l’engagement. Les États membres ont convenu de mobiliser des ressources financières et de réaliser les conditions économiques nationales et inter-nationales nécessaires à la réalisation des ob-jectifs de développement retenus au niveau international et, notamment, ceux énoncés dans la Déclaration du Millénaire, de réduire la pauvreté et d’améliorer les conditions so-ciales. La première Conférence de Monterrey a mandaté l’AGNU de tenir des Dialogues de haut niveau biennaux sur le thème du fi-nancement du développement, pour servir de point focal intergouvernemental, pour le suivi de la Conférence de Monterrey et des résultats connexes. Ces dialogues ont eu lieu en octobre 2003, juin 2005, octobre 2007, mars 2010, décembre 2011 et octobre 2013. Les participants comprenaient des mi-nistres, vice-ministres et autres responsables gouvernementaux de haut niveau, de hauts représentants des principales parties pre-nantes institutionnelles, y compris la Banque mondiale, le FMI, l’OMC, la Cnuced, le Programme des Nations unies pour le déve-loppement (PNUD) et d’autres institutions internationales, ainsi que des représentants de la société civile et des entreprises, en tant qu’observateurs.

En décembre 2002, l’Assemblée générale a adopté la résolution 57/273, appelant à l’établissement de dispositions de soutien du secrétariat, lui permettant de fournir un appui efficace au suivi des accords et engagements pris à la première Conférence de Monterrey.

??????

FORUM

Troisième Conférence internationalesur le financement pour le développement

Événement de portée mondiale, la Conférence internationale sur le financement pour le développement (FdD3), dont le thème portait sur «Time for Global Action», d’où l’has-tag #Action2015, a réuni des chefs d’État et de gouvernement, des ministres, ainsi que des institutions in-ternationales, des bailleurs de fonds et des représentants du secteur privé, mais aussi de la société civile.

Le rapport recommandait que la réunion abordât les questions nationales, internationales et systémiques relatives au financement du développement, de manière holistique, dans le contexte de la mondialisation et de l’interdépendance.

ÉCONOMIE22 AOÛT 2015

Page 23: La Monarchie de tous les défis

Doha 2008À sa 62ème Session, en janvier 2008, l’As-

semblée générale a décidé qu’une Confé-rence internationale de suivi du financement pour le développement, chargée d’exami-ner la mise en application du Consensus de Monterrey, se tiendra à Doha, au Qatar, du 29 novembre au 2 décembre 2008 (62/187).

La Conférence de Doha, qui a eu lieu au milieu d’un marasme économique mon-dial, a englobé des réunions plénières et des tables rondes interactives multipartites portant sur les six grands domaines théma-tiques du Consensus de Monterrey. Outre les résumés des séances plénières et des tables rondes, le rapport de la Conférence comprenait une Déclaration de Doha sur le financement du développement qui avait été adoptée après d’intenses négociations. La Déclaration réaffirmait le Consensus de Monterrey, soulignait la nécessité de main-tenir les engagements en faveur de l’aide, malgré l’incertitude économique mondiale et appelait à la tenue d’une conférence des Nations unies, au plus haut niveau, chargée d’examiner l’impact de la crise économique et financière mondiale sur le développement.

À sa 68ème Session, tenue en janvier 2014, dans sa résolution 68/204, l’Assem-blée générale a décidé de tenir une troisième conférence internationale sur le finance-ment du développement. Dans sa résolution 68/279, adoptée en juin 2014, l’Assemblée générale a décidé que la conférence se tiendra à Addis-Abeba du 13 au 16 juillet 2015.

Toujours des divergences

Le président de la 69e Session de l’AGNU a nommé les ambassadeurs George Talbot (Guyane) et Geir Pedersen (Norvège) en tant que co-modérateurs du processus pré-paratoire. À noter que pour la rédaction du document final de la FdD3, après plusieurs sessions, le résultat n’a pas été accepté, pas même après la prorogation de la réunion au lundi 22 juin, où le co-modérateur Talbot a déclaré que quelques questions en suspens de «grande sensibilité» ont besoin d’être traitées au niveau politique. Après deux semaines de consultations non officielles, dont certaines sous l’égide du président de l’Assemblée gé-nérale, Sam Kutesa, la troisième session de rédaction prit fin le mardi 7 juillet. Les États membres n’étant toujours pas parvenus à un consensus sur le projet de document final, les co-modérateurs ont proposé que la der-nière version du texte soit réexaminée à la conférence elle-même. Les co-modérateurs ont indiqué que les questions encore ouvertes comprenaient le principe de responsabilités communes mais différenciées, la relation entre la FdD3 et le programme de dévelop-pement pour l’après-2015 et les questions relatives à la fiscalité.

Nous reproduisons intégralement ci-des-sous la déclaration du Royaume du Maroc, prononcée par Mohamed Boussaid, ministre de l’Économie et des finances, mardi 14 juil-let 2015 à Addis-Abeba en Éthiopie, et ce, à l’occasion de la FFD3. Il était à la tête d’une importante délégation

«Monsieur le Président,Mon ami le ministre Sufian Ahmed,Excellences, Mesdames et Messieurs,Je voudrais tout d’abord exprimer mes

remerciements et ma gratitude, au nom du Royaume du Maroc, auprès de la République fédérale démocratique d’Éthiopie, pour ac-cueillir les œuvres de cet important événe-ment mondial, et pour l’accueil chaleureux et l’hospitalité. Je tiens également à remercier Son Excellence le Secrétaire général des Na-tions unies, et de toutes les parties prenantes, relativement aux efforts déployés pour la préparation et le succès de cette conférence.

Il ne fait aucun doute que le monde a connu des transformations et des dévelop-pements remarquables depuis l’adoption du Consensus de Monterrey en 2002, à un moment où les économies de certains pays ont fait des progrès significatifs, les plus vulnérables n’ont pas réussi à obtenir des

résultats satisfaisants pour répondre aux as-pirations de leurs peuples. La route est encore longue et ardue, vu qu’elle est doublée de besoins d’infrastructures et de services de base, d’autant plus que la situation actuelle est encore affectée par les répercussions de la récente crise financière mondiale, ainsi que les épidémies et les conflits locaux, et autres effets du changement climatique.

Dans ce contexte, le Maroc a appelé la communauté internationale à mobiliser toutes les énergies possibles pour trouver des solutions réalistes, des politiques appro-priées et efficaces pour relever les défis et réaliser le développement durable, exigeant une approche globale, répondant ainsi à notre objectif ultime de l’éradication de la pauvreté et du sous-développement.

Au moment de l’identification de nou-velles façons internationales à se mobiliser et réunir des fonds, notamment par l’émergence de nouvelles formes de partenariats, telles que la coopération Sud -Sud et le volume élevé des investissements directs étrangers et les envois de fonds, on note avec regret le quota faible de l’aide publique au dévelop-pement par rapport aux obligations primaires contenues dans le Consensus de Monterrey.

Par conséquent, nous insistons sur la né-cessité de fortifier Monterrey et Doha et faire preuve d’innovation en prenant des mesures supplémentaires. Nous sommes convaincus que face à ces défis, le programme de dé-veloppement au-delà de 2015 ne peut être réalisé dans le cadre de l’approche globale de partenariat fondé sur la solidarité, le partage et les objectifs Altqaiah.

Le Maroc, sur la base de son appartenance arabe et africaine, exhorte la communauté internationale à plus d’attention à la promo-tion de l’aide publique au développement aux pays en développement, en particulier les pays les plus vulnérables et les moins avancés, en particulier ceux qui souffrent de conflits et de tensions politiques. Nous

À noter que pour la rédaction du document final de la FdD3, après plusieurs sessions, le résultat n’a pas été accepté, pas même après la prorogation de la réunion au lundi 22 juin, où le co-modérateur Talbot a déclaré que quelques questions en suspens de «grande sensibilité» ont besoin d’être traitées au niveau politique.

Il ne fait aucun doute que le monde a connu des transformations et des développements remarquables depuis l’adoption du Consensus de Monterrey en 2002, à un moment où les économies de certains pays ont fait des progrès significatifs, les plus vul-nérables n’ont pas réussi à obtenir des résultats sa-tisfaisants pour répondre aux aspirations de leurs peuples.

sommes tous conscients aujourd’hui que l’aide au développement doit être répartie de façon juste et équitable pour augmenter son efficacité dans la réalisation des objectifs de développement.

Au cours des travaux, nous devons pour-suivre nos efforts pour améliorer la mobi-lisation des ressources intérieures, en nous penchant sur un examen des stratégies no-vatrices visant à améliorer l’efficacité des systèmes fiscaux et des finances publiques et de la gouvernance, et de promouvoir les partenariats entre les secteurs public et privé et le développement et l’approfondissement des marchés de capitaux.

Le Royaume du Maroc appelle également la communauté internationale à rechercher toutes les possibilités pour le développement de financements innovants, en mesure de soutenir le programme ambitieux de l’ordre du jour au-delà de 2015. Dans ce contexte, nous tenons à souligner l’importance des recommandations du financement innovant pour développer l’Afrique, garanti par la Dé-claration “Consensus de Marrakech” d’une conclusion des travaux de la neuvième ses-sion du Forum africain du développement, organisée par la Commission économique pour l’Afrique en 2014.

Il est également opportun d’inclure dans le cadre de la coopération internationale pour le développement d’autres dimensions non moins importantes, pour aider à développer une expertise dans le domaine des affaires, et le soutien du transfert de technologie, et la promotion de la coopération internatio-nale dans la lutte contre les flux financiers illicites et l’évasion fiscale, la poursuite du commerce international plus souple, plus équitable, et le maintien de la stabilité fi-nancière internationale.

Le Maroc confirme également que, quelle que soit la nature des sources de financement qui soutiendront le développement et quelles que soient sa forme et sa taille, il est néces-saire de respecter les spécificités de chaque pays et la volonté de construire son modèle de développement, et d’assurer que les pays acquièrent leur propre développement.

Monsieur le Président,La stabilité politique étant une condi-

tion préalable pour relever les défis du développement durable, la communauté internationale doit assumer ses responsa-bilités en aidant les pays en développe-ment à réaliser des progrès et assurer la sécurité et la stabilité dans leurs régions, pour conjurer les courants croissants de l’extrémisme, la violence et le terrorisme, ce qui a été confirmé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’Assemblée géné-rale à New York, en disant : « La prise de conscience croissante de la communauté internationale aux menaces de la coopé-ration transfrontalière, connues dans le monde, en raison de la faiblesse du déve-loppement humain et durable, ainsi que la foi dans le destin commun des peuples, aura un impact significatif, d’éveiller la conscience du monde, pour un monde plus sûr, plus juste et plus humain ». n

23ÉCONOMIE AOÛT 2015

Page 24: La Monarchie de tous les défis

GRANDS ENTRETIENS24 AOÛT 2015

ENTRETIEN AVEC JEAN D’ORMESSON

«La paix ne régnera jamais dans cette région si le fanatisme

et l’intolérance y font la loi»Tout le monde connaît Jean

d’Ormesson. Ses livres sont une fête et l’homme, admi-rateur et exégète de Cha-teaubriand, de Paul Morand et d’Aragon, est un écrivain qui aime la vie. Cependant, à près de 90 ans, c’est encore l’actualité internationale qui motive l’académicien : il vient de lancer un appel en faveur des chrétiens d’Orient, mas-sacrés par Daech et d’autres groupes terroristes.

Jean d’Ormesson a, dans un premier temps, éveillé les consciences en rappelant le caractère ignoble, sys-

tématique et volontairement spectacu-laire de ces tueries : «Le massacre des Coptes en Libye a été absolument abo-minable avec une mise en scène qui ne manque pas d’un certain talent atroce. On se demande s’il y a une concertation entre ces différents groupes ou si c’est spontané. Les deux hypothèses sont aussi inquiétantes l’une que l’autre.»

L’auteur de «Au plaisir de Dieu» a aussi insisté sur la volonté de Daech et d’Al-Qaïda d’exterminer les chré-tiens au Proche-Orient et dans certaines régions de l’Afrique noire : «On peut dire que les communautés chrétiennes d’Irak sont génocidées. On essaie de faire disparaître le christianisme dans cette région du monde et, en Afrique noire aussi, il y a une volonté de dé-truire le christianisme. S’il y a une cause qui mérite d’être défendue, il me semble que c’est celle-là. Nous avons un devoir de solidarité avec ces mal-heureux chrétiens d’Orient qui doivent avoir le sentiment d’être un peu aban-donnés.»

Jean d’Ormesson confie ses doutes et ses convictions à MAROC DIPLO-MATIQUE.

l  Maroc Diplomatique : Pourquoi avez-vous décidé de vous engager dans ce combat, vous qui depuis longtemps avez décidé de vous limiter aux sphères intellectuelles et culturelles?

- JEAN D’ORMESSON : Tout a commencé en Irak où la communauté chrétienne, une des plus anciennes du monde et qui se sert encore de l’ara-méen, qui était la langue la plus cou-rante du temps de Jésus, a été soudain la proie de persécutions violentes. Ces persécutions n’ont pas tardé à s’étendre à la Syrie où l’État islamique s’est so-lidement établi. En Égypte, en Libye, partout dans le Proche-Orient et dans de nombreuses régions d’Afrique. Les enlèvements, les viols, les meurtres, les scènes d’horreur se sont multipliés. Chacun a pu assister à des actes de barbarie insoutenables. En Europe, en Asie, en Afrique, nous avons connu, depuis trois quarts de siècle, beaucoup d’abominations. Au moins les assassins tentaient-ils de dissimuler leurs forfaits. Jamais le crime ne s’était donné en spectacle avec une telle violence. La volonté d’éradication du christianisme par Daech et ses satellites dans toute une région du monde ne peut plus être mise en doute. Il est, pour moi, impos-

sible de la voir se développer dans l’in-différence générale.

l Vous avez déclaré récemment que cet engagement était aussi mû par des motivations personnelles...

- Je suis, au même titre que vous et des millions d’autres gens, le produit d’une Histoire, le rejeton d’une civilisation. Nous avons tous été des juifs allemands. Nous avons tous été des dissidents au temps des Sakharov et des Soljenit-syne. Plus récemment, nous avons tous été des Charlie, même si l’expression est malheureuse. Nous devons tous être aujourd’hui des chrétiens d’Orient. Une telle situation constitue un déni d’huma-nité qui regarde l’humanité tout entière. La paix ne régnera jamais dans cette région si le fanatisme et l’intolérance y font la loi.

l Pour vous, l’enjeu est à la hau-teur d’une civilisation?

- Oui. C’est la portée exacte de mon appel : «Les chrétiens d’Orient vont-ils disparaître jusqu’au dernier? Il n’est plus possible d’ignorer l’entreprise de purifi-cation ethnique et culturelle qui les vise et qui se traduit par une persécution gé-néralisée de la part des islamistes. Tout récemment, vingt et un Coptes ont été enlevés d’Égypte et égorgés en Libye dans l’indifférence générale. Quelques jours plus tard, c’est deux cents chrétiens assyriens qui ont été enlevés en Syrie par l’organisation de l’État islamique. Leur sort inspire les plus vives inquiétudes. On ne compte plus dans l’ensemble du Proche-Orient les enlèvements, les meurtres, les viols, les destructions d’églises, les déplacements massifs de populations qui sont sur place depuis deux mille ans. Nous demandons au gouvernement français d’intervenir pour obtenir une réunion spéciale du Conseil de sécurité de l’ONU afin que soit mis un terme au génocide culturel qui est en train d’être commis.»

l  Vous faites également appel aux États-Unis...

- Nous avons réagi à bon droit et vive-ment au massacre de Charlie. On pour-rait dire aussi que nous sommes tous des juifs, nous sommes tous des chrétiens. Il

faut crier notre indignation. L’Europe et les États-Unis devraient agir collective-ment contre ce massacre. Nous risquons de devoir envisager probablement un en-gagement de plus en plus fort.

l Vous envisagez aussi un recours à Bachar Al Assad...

- Vous savez, je suis très hostile à As-sad, mais les chrétiens craignent encore plus l’extrémisme djihadiste des rebelles que la dictature d’Assad. Il y a des mo-ments où il faut savoir choisir même à contrecœur. Nos véritables ennemis, c’est Daech, c’est l’État islamique, c’est Al-Qaïda, c’est Boko Haram en Afrique noire. C’est ce mouvement-là que l’on doit combattre.

l En filigrane, votre appel constitue aussi un vibrant hommage à la civilisa-tion européenne. Pensez-vous, comme vous l’avez parfois écrit, qu’elle se meurt, que son temps est révolu?

- Vous savez, je suis aussi un enfant de mai. Pas de mai 68 mais de mai 40. Les jeunes générations ne s’imaginent pas ce que la défaite de 1940 a représenté pour nous. Nous en payons encore les conséquences aujourd’hui. Nous en por-tons les blessures. Tout ce à quoi nous croyions s’est écroulé en six semaines. Depuis lors, nous n’avons peut-être plus jamais été en mesure de dicter notre po-litique et de réaffirmer les fondamen-taux de notre civilisation dans un monde nouveau.

l Ces «fondamentaux», quels sont-ils?

- Nous autres Européens, nous devons presque tout aux Grecs, aux Juifs et aux Romains. Nos racines et nos sources sont Homère, Platon, les Tragiques grecs, Aristote, la Torah et la Bible, Cé-sar et Auguste, Virgile, Horace, Saint Augustin. Bien avant Napoléon, Charles Quint et Charlemagne, un formidable édifice a longtemps constitué une sorte d’idéal moral, intellectuel, social et un modèle pour toute construction à venir : l’Empire romain. Il est au cœur de la pensée et de l’œuvre de Montaigne, de Corneille, de Racine, de Montesquieu, de tant d’autres. Sous la République déjà, Rome est une grande puissance.

À l’époque de Trajan, d’Hadrien ou de Marc-Aurèle, l’Empire s’étend de l’Angleterre à la Palestine, du Maroc à la mer Noire, de la Hongrie ou de la Rou-manie à la Libye. Il est l’image même de l’union, de l’ordre, de la puissance et de la culture. Chacun de nous a une vague idée des douze premiers Césars : Octave devenu Auguste, Tibère, Cali-gula, Claude ou Néron. Après d’innom-brables inconnus, chacun sait encore que Constantin, vers le début du IVe siècle, est un grand empereur chrétien. Les choses, ensuite, deviennent plus com-pliquées. Le touriste qui se promène à Venise comprend peut-être obscurément, en contemplant le groupe de porphyre qui représente les deux Augustes et les deux Césars au coin du Palais des doges et de la basilique Saint-Marc, qu’après Théodose le Grand, à la fin du IVe siècle, l’Empire romain est définitivement divi-sé : d’un côté l’empire d’Occident ; de l’autre, l’empire d’Orient. Événement peut-être le plus considérable et le plus intéressant de l’histoire universelle, la fin de l’Empire romain d’Occident est un événement probablement aussi im-portant que la guerre de 14, une chute aussi considérable.

l Comment pourrait se sauver cette civilisation?

Je crois que le drame de notre époque, du moins dans notre civilisation, c’est que nous ne croyons plus en rien. À peu près tout s’est écroulé : les institutions, les nations, les religions. Il n’y a plus que deux seules choses qui sont indéniable-ment positives à nos yeux : la médecine et les communications. On s’approche de possibles greffes du cerveau ; un jour prochain, le cancer, le sida ou Alzheimer seront vaincus et en moins d’une journée nous rejoignons l’Australie ou Tahiti. Ce sont des avancées considérables. Tout le reste a été fichu par terre par ce que nous avons appelé le Progrès. La famille est morte, l’éducation bafouée, la puissance dénigrée. Claudel disait entre les deux guerres que trois choses étaient immor-telles : la Chambre des Lords, le Haut État-major allemand et l’Académie fran-çaise. Voyez par vous-même : la gentry a presque disparu, le General stab est dans les oubliettes de l’Histoire, seule l’Académie survit, mais pour combien de temps encore?

l On vous a connu plus optimiste!- Ce qu’il y a surtout, c’est que je

suis très gai dans un monde qui est très triste. Un principe m’a toujours guidé : pour dire les choses d’un mot, c’était le plaisir. Malgré l’actualité, malgré les massacres, malgré tous ces mal-heurs dont les pages des journaux sont pleines. Très tôt dans ma vie, j’ai ren-contré les livres. J’ai toujours soutenu que la littérature n’était ni un devoir, ni une corvée, ni un hochet futile, ni un instrument de combat, ni une pédanterie laborieuse, mais un plaisir. Gaston Gal-limard avait une formule magnifique : «Je n’aime que trois choses : les livres, les bains de mer et les femmes». Je m’y rallie sans hésiter, même si je classe-rais ces trois propositions dans l’ordre inverse.

«Ce qu’il y a surtout, c’est que je suis très gai dans un monde qui est très triste. Un principe m’a toujours guidé : pour dire les choses d’un mot, c’était le plaisir. Malgré l’actualité, malgré les massacres, malgré tous ces malheurs dont les pages des journaux sont pleines. Très tôt dans ma vie, j’ai rencontré les livres.»

Jean d’Ormesson

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25GRANDS ENTRETIENS AOÛT 2015

Ce principe de plaisir, je ne l’ai pas inventé, il est au cœur des œuvres majeures de notre littérature et par-delà au cœur de notre civilisation, aussi décli-nante soit-elle. C’est le moteur de toutes les œuvres de Corneille, de Molière, de Racine. C’est la force des Fables de La Fontaine, des Leçons de Boileau, des Contes de Perrault. C’est d’une actualité indéniable : le plaisir du roi, le plaisir de la cour, le plaisir du public : pour tous les classiques, il s’agit d’abord de plaire. Cependant, plaire est difficile. Ce n’est pas une bassesse, c’est un effort, un défi, un honneur souvent. Il y faut du goût, du talent et, pour quelques-uns du génie.

l La lecture n’est-elle pas une arme un peu faible contre la barbarie?

- César pleurait à la lecture des ex-ploits d’Alexandre. Démosthène avait de la bouillie dans la bouche avant de devoir l’éternité à la perfection de sa pa-role. Est-ce plus utile d’ânonner Cicéron que de sauter les murs pour s’enfoncer dans l’aventure et participer à une forme plus virile de la marche du monde? Je ne sais pas. Sophocle, Virgile, Mon-taigne se heurtent sans cesse en moi à une curiosité égale pour les agréments de l’existence, à un sentiment uniforme de la vanité de tous les efforts. On peut dire que je me suis également nourri de toutes les conversations, de toutes les réflexions. Les livres sacrés de l’Inde furent une révélation. J’eus plein la bouche de deux ou trois mystiques, de préférence allemands. J’ai beaucoup par-lé avec Borgès et avec Naguib Mahfouz. Avec Caillois et avec Jankélevitch, avec Dumézil et avec Jerphagnon ; j’ai été fasciné par l’histoire d’Averroès et d’Ibn Battuta. J’ai longtemps cherché Dieu. Au fil des pages, au lieu de m’enfoncer dans la certitude, je continuai lamen-tablement à mesurer mon ignorance. J’étais soucieux de penser ma vie, mais chaque thèse avait ses défenseurs, ses arguments, son faible et son fort. Adop-ter un système, c’est d’abord refuser les autres. Ceci est prodigieux de suffisance. Au moins grâce aux livres, n’ai-je pas aligné ma vie comme on trace une plate-bande. La littérature, les arts, la philo-sophie enseignent que le désordre est une belle chose.

l Vous affirmez «avoir cherché Dieu par les plaisirs», n’est-ce pas contra-dictoire?

- Oui, c’est paradoxal. Et alors? Cha-teaubriand personnifie la révolution romantique. C’est un conservateur de l’Ancien Régime qui entreprend la révo-lution romantique, fidèle à la monarchie légitime et à la religion catholique, atta-ché à la tradition. Et ce n’est pas le seul paradoxe d’un écrivain dominé par la contradiction. Toute sa vie, il fera pro-fession de mépriser les honneurs, et il les recherchera, et il les obtiendra. Il sera à la fois un défenseur véhément de la

liberté de la presse et un Ultra convain-cu. Il sera un chrétien authentique, un catholique soumis, et l’adultère et les femmes dans son existence tiennent une place considérable. Sainte-Beuve a une belle formule : «c’était un épicurien qui avait l’imagination catholique».

l Vous ne vous lassez pas de vous comparer à Chateaubriand!

- Je vais quand même vous faire une confidence : je fais encore la différence entre lui et moi. Comme avec Mo-rand que j’ai bien connu, comme avec Stendhal ou Montaigne avec qui j’aurais aimé chevaucher. D’ailleurs, une des meilleures définitions du 20ème siècle est peut-être celle-ci : c’est le premier siècle qui se termine sans que l’homme ne vive accompagné de son cheval. Cette formule résume peut-être plus que toute autre notre désarroi en 2015. Mon ami François Nourissier, grand amoureux des chevaux, vous en aurait mieux par-lé que moi. En matière de littérature, de peinture, de musique, de philosophie, chacun aura ses propres choix qui, bien entendu, ne coïncideront pas toujours avec les miens. Au grand dam de certains de mes professeurs, Dante, Camoens, Shakespeare, Cervantès ou Goethe, Ra-cine ou Corneille n’égalent peut-être pas pour moi la généalogie des poètes plus proches de mon cœur : Ronsard, Hugo, Musset, Verlaine, Apollinaire, Péguy, Aragon. Le moindre flâneur a le droit de préférer telle fleur plus modeste ou tel buisson négligé aux espèces les plus célébrées : c’est un bonheur de plus qui nous éloigne de la barbarie. J’ai toujours défendu pour ma part le droit de Paul-Jean Toulet, ignoré de presque tous il y a quarante ans, à se mêler aux plus grands. Même dans la littérature arabe ou persane, dont je ne suis pas du tout un spécialiste, j’ai pu trouver des mots d’enchantement et de rêve qui ont bercé mes saisons, du printemps si lointain à l’automne déjà clos et au seuil de l’hi-

ver, et qui, d’un bout à l’autre de ma vie, m’ont donné tant de bonheur.

l N’êtes-vous pas finalement un pri-vilégié, et cette culture encyclopédique dont vous vous faites le héraut, n’est-elle pas l’apanage de quelques-uns?

- Je vais vous faire un aveu : on peut me reprocher beaucoup de choses. Je suis effectivement né dans un milieu privilégié à une période où le monde ancien ne se doutait pas encore de son inexorable engloutissement. Oui, je suis né dans une famille aristocratique où l’argent ne manquait pas. Oui, j’ai eu accès aux plus grandes écoles, aux meil-leurs professeurs, mais ce n’était déjà plus tout à fait un privilège. Oui, j’ai appris l’équitation sur la plage d’Ipane-ma alors quasiment déserte lorsque mon père était ambassadeur de France – nom-mé par Léon Blum et le Front populaire – à Rio. J’ai connu la Roumanie entre les deux guerres et la montée du nazisme quand je balbutiais mes premiers mots d’allemand avec une nourrice bavaroise à Munich où les chancelleries avaient ensuite envoyé mon père afin de «déta-cher la bonne Bavière, catholique, lati-nisée et positive de la mauvaise Prusse militariste et protestante» responsable à leurs yeux de la Grande Guerre. Manque de chance pour ces chancelleries, c’est dans le sud, aux confins de l’Autriche, qu’est né Hitler. Ce n’était plus pour moi un «privilège». Aucun privilège non plus dans la période suivante où le monde s’est entretué entre Staline et Hitler au prix de 80 millions de morts.

Mais vous savez, ce n’est pas la connaissance du monde qui m’a permis de vivre, de lire et d’aimer la vie : c’est son inquiète méconnaissance. Lorsque je passais mes étés au château de Saint-Far-geau au lendemain de la guerre (le châ-teau de Plessis-lez-Vaudreuil dans «Au plaisir de Dieu»), château certes, mais où seules quatre pièces étaient habi-tables, et que je tournais le bouton d’un transistor à galène pour entendre les pre-mières émissions destinées aux jeunes de ma génération, ne croyez-vous pas que je bouillais de l’envie de partir pour Saint-Tropez, Formentera ou Portofino?

J’ai résisté à ces tentations pour vivre autrement, pour transformer mes avan-tages familiaux en avantages intellec-tuels (je préparais alors une agrégation de philosophie). Est-ce aujourd’hui le choix des jeunes générations «dorées» à Neuilly, Madrid, Casablanca ou Is-tanbul?

Au fond de moi, tout ce qui touchait la littérature, ses acteurs, ses héros, ses partisans, ses adversaires, ses querelles, ses passions, me faisait battre le cœur. Le triomphe du Cid m’enchante, ses tra-hisons me navrent, la «petite société» autour de Chateaubriand et de cette peste de Mme de Staël m’amuse à la folie et m’a appris à prendre les manigances et les intrigues du monde avec circons-

pection, détachement et ironie. La mort de Lucien de Rubempré me consterne. Aragon me transporte. Proust me fait beaucoup rire. On voit les «puissants» autrement lorsqu’on sait que Charle-magne parlait le francique, connaissait le grec et le latin, mais ne savait pas écrire. Officier de réserve chez les pa-ra-commandos (et oui!) pendant mon service militaire, j’ai peut-être plus ap-pris à vivre à cette époque en lisant la Chanson de Roland ou la Cantilène de Ste-Eulalie qu’en regardant le monde qui s’offrait à moi.

l Avez-vous des regrets?- Oui beaucoup et non, aucun. J’au-

rais aimé vivre à l’âge classique : les génies s’y succèdent à un rythme ac-céléré. Descartes fonde la philosophie moderne. Pascal crée la prose française classique. J’aurais volontiers traîné dans les tavernes avec les quatre amis en train de boire et de rire : La Fontaine, Boileau, Racine et Molière. Plus tard, j’aurais aimé connaître – nous y reve-nons! – Chateaubriand et le Romantisme qui éclate comme un éclair dans un ciel sombre. Plus tard encore, Gide, Claudel, Proust, Valéry, Saint-John-Perse....

Mais j’ai connu une femme extraordi-naire, tendre, généreuse et aimante : ma mère que j’irai bientôt rejoindre avec bonheur. Puis une autre, que j’appel-lerai Marie et qui m’a aimé, lorsque je parcourais le monde pour l’Unesco, et m’a fait rire et pleurer au pied des Pyra-mides, à Beyrouth, au Taj Mahal, à Fès, dans les méandres de l’Amazone et du Mékong, sur les plages de Corse et dans les collines de Toscane, dans les travées de Roland-Garros et sur les ruines de Kairouan. «Quels fruits tireront-ils de leurs vaines amours? Ils ne se verront plus», dit Oenone. «– Ils s’aimeront tou-jours», répond Phèdre. Le reste appar-tient au silence et à l’éternité. n

ProPos recueillis Par olivier stevens

Jeand’Ormesson

«César pleurait à la lecture des exploits d’Alexandre. Démosthène avait de la bouillie dans la bouche avant de devoir l’éternitéà la perfection de sa parole. Est-ce plus utile d’ânonner Cicéron que de sauter les murs pour s’enfoncer dans l’aventure et participer à une forme plus virile de la marche du monde?»

«Même dans la littérature arabe ou persane, dont je ne suis pas du tout un spécialiste, j’ai pu trouver des mots d’enchantement et de rêve qui ont bercé mes saisons, du printemps si lointain à l’automne déjà clos et au seuil de l’hiver, et qui, d’un bout à l’autre de ma vie, m’ont donné tant de bonheur.»

«J’ai résisté à ces tentations pour vivre autrement, pour transformer mes avantages familiaux en avantages intellectuels (je préparais alors une agrégation de philosophie). Est-ce aujourd’hui le choix des jeunes générations «dorées» à Neuilly, Madrid, Casablanca ou Istanbul?»

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AbderrAhim bourkiA

Des migrants en provenance du Sou-dan, d’Érythrée, du Tchad, d’Ou-ganda, du Niger et du Turkestan

sont bloqués au poste-frontière Saint-Ludo-vic (frontière franco-italienne) depuis le 11 juin dernier. Ils tentent de passer par la voie terrestre sinon par la voie ferrée. Tous sont passibles d’arrestation suivie d’un refoule-ment en toute illégalité vers l’Italie. Nous savons parfaitement que seul le droit de ré-sidence est une affaire d’État. Il est restrictif et discriminatoire. Mais ceux qui fuient les persécutions dans leur pays n’ont pas choisi de naître sur cette terre plutôt qu’une autre.

Mi-juillet. Menton, poste-frontière Saint-Ludovic. Un campement de fortune, un amas hétéroclite de tentes, de bâches, de parasols sur les rochers. Des vêtements sèchent. Des migrants font la sieste à même le sol. Le lieu est bien visible de loin. Cela fait exactement un mois que ce camp im-provisé fait partie du décor. L’entassement intrigue touristes et curieux qui s’approchent pour s’enquérir des détails. Que sont-ils et que font-ils ici? Retour sur les lieux.

Une journée avec des migrantsclandestins

Détresse humaine aux frontières franco-italiennes.

Conditions invivables mais une foi inébranlable.

Des banderoles parlantes.10 h

Sous les rayons du soleil, des silhouettes bougent. Quelques migrants se dirigent vers ce qui ressemble à des douches : deux points d’eau et des installations sanitaires impro-visées. Ils se lavent le visage, les mains et les pieds. Certains saluent les membres du collectif associatif présents en permanence sur les lieux. Tandis que d’autres se dirigent vers le stand de la Croix-Rouge italienne. Des denrées alimentaires sont distribuées : des fruits, de l’eau, des biscuits. Ceux qui respectent le mois du jeûne font bon ménage avec ceux qui ne l’observent pas. Des Sou-danais, en majorité, des Érythréens sont éga-lement présents. D’autres migrants en pro-venance du Tchad, du Niger, d’Ouganda, de Libye, d’Égypte, du Pakistan, d’Afghanistan et du Kazakhstan (Turkestan) sont présents. Les pratiques et les traditions changent d’un pays à un autre, voire d’une tribu à une autre. Idriss le Libyen fait sa toilette. Âgé de 19 ans, habillé en bleu : le short et le maillot

de Chelsea.Il se rase tranquillement. Sa journée vient de commencer. «La journée du jeûne est encore très longue. Je sais que je ne suis pas obligé de jeûner, mais je pré-fère le faire. Comme ça je suis serein. Il y en a d’autres qui ne le respectent pas. C’est leur choix. Et chacun est responsable de ses actes. Je ne suis pas malade ni souffrant d’un handicap quelconque. Donc, je n’ai pas de prétexte», lance-t-il. Nous lui avons dit qu’en étant en voyage et vu les conditions dans le campement,il avait toutes les raisons de s’abstenir. Sa réponse montre sa volonté et sa détermination : «Si je vais m’incliner devant ces conditions, je ne serai pas capable d’aller loin dans mon voyage qui risque de durer. Ce n’est que par l’épreuve qu’on sur-vit dans cette vie. Moi, depuis que j’ai quitté ma famille, du moins ce qui reste de ma fa-mille, il y a trois mois, et bien je m’attends à tout». Même propos chez Taherqui vient de s’arracher de sa couche de fortune. Ce Soudanais de 20 ans respecte scrupuleuse-ment son jeûne. «Il est hors de question que je ne jeûne pas. C’est vrai que c’est très dur ici, cependant je suis bien armé. J’ai vu pire que ces conditions. Cette chaleur n’a rien à voir avec celle de mon village au Soudan. Sans parler de mes quatre dernières années en Libye», raconte-t-il.

12h : Persécutionset contextes de guerre

Une ombre de moustache, un regard vif sur un visage long et une grande taille. Habillé de blanc, un béret sur sa tête,Taher parle doucement et profondément. Sa voix est bien posée. Il faut se rapprocher de lui pour l’écouter.

«J’ai arrêté l’école à la neuvième année. Mon établissement scolaire se trouvait à environ 5 km de mon village. Je n’étais pas bon à l’école. Mais je ne voulais pas abandonner. Après le décès de mon père, ma mère et mes oncles m’ont proposé de travailler la terre chez les propriétaires voisins, je n’ai pas voulu. Je voulais apprendre un métier plutôt que de servir les notables du village», souligne-t-il avant de poursuivre : «En acceptant la servitude, je savais que j’allais être pauvre toute ma vie. Je ne voulais pas finir comme mon père. J’ai quitté mon village pour le nord, laissant ma mère en pleurs. À peine arrivé là-bas, je savais que ce qui m’attendait et j’étais conscient que je prenais des risques. J’ai pris un camion clandestinement pour la Libye. Avant d’arriver, le chauffeur s’en est rendu compte et m’a frappé. J’ai pu lui échapper et continuer mon che-min. En Libye, j’ai suivi le chemin d’un voisin soudanais qui m’a hébergé et m’a aidé à trouver un travail dans un magasin d’alimentation générale. J’ai commencé à gagner enfin ma vie et à économiser de l’argent. Je voulais y rester, mais la chute du régime de Kadhafi a chamboulé mes plans. Mon patron a commencé à me donner seulement la moitié de ma rétribu-tion habituelle, et même avec du retard. Il a refusé de me donner ma mensualité et j’ai dû quitter le travail pour en chercher un autre. J’ai subi demauvais traitements et des agressions multiples sous menace d’armes blanches ou d’armes de guerre. Et avant d’être racketté, on me pose systé-matiquement les mêmes questions : est-ce que vous êtes avec les dissidents? Est-ce que vous avez combattu avec Kadhafi? Je ne savais pas discerner les dissidents de ceux qui ne l’étaient pas. Les cartes sont bien brouillées en Libye. Je ne savais quoi faire. Un Soudanais m’a proposé de venir avec lui pour tenter la traversée vers l’Italie. J’ai accepté», conclut-il. Et quand on lui demande son avis sur la Libye ac-tuelle,Taher répond sans se faire prier :

«C’est un endroit où personne n’aurait l’idée d’y rester. Un pays de non-droit, surtout pour les étrangers».

16hLe récit de Mousâab consolide celui de

Taher sur le danger que courent les étran-gers (Soudanais, Tchadiens,Érythréens ou Éthiopiens) en Libye. «J’ai trouvé refuge en Libye pendant dix ans après avoir quitté mon village au Soudan suite à la mort de mes parents. Mon village a été envahi par une tribu voisine. J’ignore la cause. Je me sou-viens juste d’une nuit où un homme de notre tribu nous a sommés de nous réfugier dans la montagne. Après, la Libye, ça a été pire. Les menaces étaient quotidiennes. Le pays est devenu une zone de non-droit.La Libye, il y a 10 ou 20 ans, c’était l’endroit idéal pour s’assurer un bon revenu. Au début, c’était le cas, mon frère, et avant lui mon oncle et d’autres membres de ma famille, y sont par-tis pour travailler, économiser et rentrer au pays. La Libye était le symbole d’un pays riche et prospère. Quand j’y suis allé pour la première fois, ma famille était contente. Cela représente de l’argent et des cadeaux et permet surtout de faire des économies. J’ai fait des allers-retours Lybie-Soudan. Je servais à quelque chose. Mais tout cela a pris fin après la mort de Kadhafi», poursuit-il.

19h : La Libye, zone de non-droit

Hadi, Mouawia, Ismaël, Hamid et les autres racontent les agressions qu’ils ont dû subir après la chute du régime. «J’aurai pu rester en Libye, où je me suis habitué à vivre. Mais la mort de Kadhafi a rendu la vie des étrangers très dangereuse. On a commencé à être les cibles préférées de tous les voyous. Il y a ceux parmi nous qui devaient donner une somme d’argent pour pouvoir rentrer chez eux ou se rendre au travail. Sans parler des patrons qui ont commencé à nous exploiter sans nous rémunérer. Des pratiques qui étaient im-possibles sous Kadhafi», a-t-il ajouté. Ses propos sont partagés par Hamid qui vient d’Éthiopie. Il est issu d’une famille de classe moyenne et fait partie des rares qui ont été à l’école. Il parle bien l’arabe clas-sique et d’autres langues locales. C’est en effet lui qui a servi d’interprète lorsque j’ai discuté avec un autre Érythréen. Hamid a passé 3 ans en Libye. «Les pires années de ma vie. J’ai été kidnappé une fois. Mes ra-visseurs ont appelé ma famille pour obtenir une rançon. J’ai été torturé et frappé pour leur donner de l’argent. De l’argent que je n’avais même pas. Car j’étais contraint de donner de l’argent pour pouvoir récu-pérer mon passeport qui avait été confis-qué. Après quelques jours séquestrédans des toilettes, j’ai pu m’échapper via un conduit d’eaux usées. C’était bien étroit,

etmalgré ma corpulence, j’ai pu le faire grâce à Dieu», raconte-t-il. Son récit ne diffère que légèrement de celui d’Ismaël.

21h Rupture du jeûneLes associations ne sont pas les seules à

apporter un peu de solidarité. En cette jour-née, des particuliers se dirigent spontané-ment vers le camion médicalisé de Méde-cins du Monde et celui de la Croix-Rouge italienne avec des denrées alimentaires. D’autres apportent également des vête-ments et des chaussures. D’autres associa-tions distribuent, quant à elles, des pantalons, des chaussures, des sacs de couchage et de la nourriture. Une dame distribue des télé-phones mobiles qu’elle a récupérés.

L’imam de la mosquée de Nice est venu plusieurs fois faire la rupture du jeûne avec les migrants. Il dirige la prière du crépuscule. «Nous avons créé un collectif d’associations : Au Cœur de l’Espoir, Fraternité et Savoir de Bon Voyage, Geste pour Tous et Temps pour Tous pour venir en aide à nos frères qui sont dans le besoin ici», précise Boubakri Sami, imam de la mosquée de Nice. Et d’ajouter : «Nous avons pensé à créer ce collectif,à fé-dérer nos actions pour mieux organiser notre travail. Des associations sont venues d’Avi-gnon, de Grasse, de Cannes, de Menton et d’Ariane. La Croix-Rouge italienne voulait être la seule association sur place et avoir le monopole sur les actions et elle a été dés-tabilisée par notre présence. Notre objectif est humanitaire. Nous sommes là pour tout le monde :les non-croyants, les chrétiens et les musulmans. C’est dommage de voir une telle situation en 2015».

De son point de vue, il s’agit d’une crise humanitaire. Il ajoute que depuis son en-fance, il entend parler des Casques Bleus partis en Afrique pour soigner les gens et s’interroge : «Aujourd’hui, l’Afrique est en Europe, les Africains sont là, et com-ment se fait-il qu’on ne veuille pas d’eux?»

Il leur a demandé lui aussi leur destina-tion : personne ne mentionne ni la France ni l’Italie. C’est vraiment blessant. Je leur de-mande pourquoi vous êtes venus en Europe. Vous savez qu’il y a la crise. Et en guise de réponse, ils me disent : «Si on est venus ici, c’est parce que l’Europe nous a chassés de chez nous. J’ai rencontré parmi eux des médecins, des dentistes et des personnes bien instruites».

Après la prière, les migrants ont rejoint leur tapis autour des mets préparés (chorba, pâtes, salades, pastèque, bananes, œufs durs…) pour partager le repas avec les membres du collec-tif italien créé à l’occasion qui porte le nom de «No Borders» réunissant étudiants, acteurs associatifs, chercheurs et médecins. Ce beau monde– migrants et membres du collectif– a manifesté ce jour même vers 19h45 devant le poste-frontière en brandissant des banderoles «Open the Borders», «We are no going Back» et «Eat the Rich». n

RAGARDS D’AILLEURS26 AOÛT 2015

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27PAYSAGES CULTURELS AOÛT 2015

Voix d’HaïtiBouthaïnaazami

En voyage, je garde toujours deux choses sur moi : mon passeport (dans une pochette accrochée à mon cou) et

un calepin noir où je note tout ce qui traverse mon champ de vision ou qui me passe par l’esprit. Alors que j’étais par terre, je pensais aux films catastrophe, me demandant si la terre allait s’ouvrir et nous engloutir tous. C’était la terreur de mon enfance. On s’est réfugiés sur le terrain de tennis de l’hôtel. Je m’attendais à entendre des cris, des hurle-ments. Rien. On dit en Haïti que tant qu’on n’a pas hurlé, il n’y a pas de mort. Quelqu’un a crié que ce n’était pas prudent de rester sous les arbres. En fait, c’était faux, car pas une branche, pas une fleur n’a bougé malgré les quarante-trois secousses sismiques de cette première nuit. J’entends encore ce silence.

L’Enigme du retour, 2008

Le 28 mai 2015, à l’âge de 62 ans, Dany Laferrière est officiellement reçu à l’Aca-démie française, dont il fait partie depuis le 12 décembre 2013. Étrange, de le voir ainsi affublé de cette veste à broderies verdâtres et de cette épée imposante, qu’il brandissait en arborant un sourire qui lui mangeait tout le visage. Étrange, car on voyait mal Dany Laferrière dans ce rôle plus que convenu. La consécration ne se refuse certes pas, et elle a fait honneur non seulement à un grand écrivain dont le talent n’est plus à prouver et qui cumule les prix littéraires, mais aussi à toute une littérature haïtienne qui sort des sentiers battus, réinvente la langue pour par-ler sa terre et ses hommes, les turbulences du monde. Mais il reste étrange, oui, sans aucun jugement de valeur, de voir ce grand poète solitaire, qui convoque la solitude, qui lui permet d’écrire, pour aller vers le monde, pris dans le tourbillon grandiloquent de cette cérémonie de brocard, vestimentaire et lan-gagier qui habille aussi les corps de toute une gestuelle tendant à assimiler l’art de la lettre et de l’âme à une sorte d’art aristocratique du pantomime, où semblent s’encroûter et les mots et les âmes, et à un macabre jeu de chaises musicales. Mais le nouvel aca-démicien ressent surtout, «sous cette cou-pole (…), le cortège d’ombre protectrices qui l’accompagnent». Il y rendra, bien sûr, hommage à celui dont il occupe désormais le fauteuil numéro 2, Hector Bianciotti. Il rendra, surtout, un vibrant hommage à «ce trio qui a inscrit la dignité nègre au fronton de Paris : le Martiniquais Aimé Césaire, le Guyanais Léon-Gontran Damas, et le Séné-galais Léopold Sédar Senghor. Ce dernier a occupé pendant dix-huit ans le fauteuil numéro 16. C’est lui qui nous permit de passer, sans heurt, de la négritude à la fran-cophonie».

Aussi, peu importe, après tout, ces en-nuyeux cérémonials, ces futiles apparats, et

les discours contraints parmi lesquels nous avons souvent l’impression d’errer en vain dans l’espoir d’une fulgurance poétique, au-thentique, qui nous saisirait du dedans pour nous rappeler à ces inoubliables instants de

communion avec un livre ouvert. Mais ce n’est ni le lieu ni le moment, d’autant que Laferrière lui-même a bien dit qu’on avait be-soin d’institutions inutiles. Ce moment sera donc avant tout un prétexte, pour nous autres amoureux de la littérature, d’en dérouler les plus prégnantes mémoires restées prises dans les creux de nos chairs et devenues nôtres, au fond. Une belle occasion, en l’occurrence, de nous enrouler dans les plus belles pages qu’Haïti aura offertes à la littérature.

Celles de Dany Laferrière, bien sûr et c’est de circonstance. Dany Laferrière qui est donc né, en 1953, à Port-au-Prince où son enfance a tourné autour de sa grand-mère, Da, dont les lecteurs sont familiers tant l’écrivain en a fait une sorte de pièce maîtresse de son œuvre, de son univers in-time, de ses mémoires premières. Cruelles, comme la réalité qui le broie à une époque où l’innocence aurait dû s’éployer dans l’ef-feuillement émerveillé du monde. Mais, à l’âge de quatre ans à peine, le petit Dany est contraint de quitter sa mère qui choisit, en l’envoyant vivre avec Da, de le protéger du régime Duvallier. Les idées politiques de son père, alors exilé au Québec, mettent en effet la famille en danger. Plus tard, c’est d’ailleurs à Montréal, où il s’installera en 1976 après l’assassinat, par les Tontons Macoute, de son ami et confrère journaliste Gasner Raymond, que Dany Laferrière écrira son premier ro-man, paru en 1985 : Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer.

Le ton est donné. Dany Laferrière ne fera pas dans la complaisance, et l’humour sera au vitriol, abrasif bûcher des préjugés dont le lecteur assiste, souriant, au savant dépeçage. Le lecteur qui va à la rencontre, à Montréal, de deux colocataires dont l’un passe son temps à dormir ou écouter du jazz le nez dans son Coran, et l’autre rêve d’écrire un livre qu’il semble préparer dans la séduction effrénée de femmes blanches, un véritable combat, une revanche, une vengeance de l’ancien esclave sur les temps dont la roue a tourné.

S’ensuivront de multiples chefs-d’œuvre dont L’Enigme du retour, prix Médicis et Grand prix du livre de Montréal 2009, prix des libraires du Québec.

LyonelTrouillot, ou Haïti en mille morceaux La littérature haïtienne est «au bouche à

bouche avec l’histoire» René Depestre

René Depestre, Jean-Price Mars, Ma-rie-Célie Agnant et tant d’autres. La litté-rature haïtienne regorge de grandes plumes et de grandes âmes. On ne pourra citer tous ses grands écrivains, mais une chose est sûre : on ne saurait évoquer Haïti et ses grands écrivains sans parler de Lyonel Trouillot. Et ce n’est pas parce que certains journalistes ont prêté quelques différends à Touillot et Laferrière lors de l’accueil de ce dernier à l’Académie française que l’on va se priver de parler de l’un parce qu’on parle de l’autre. Car quelle langue sublime que celle de Lyonel Trouillot. Bouleversante et sublime langue submergée d’amour et de douleur, de tendresse et de colère pour sa terre d’Haïti, terre, en mille morceaux, dont il livre les blessures, la misère, les rêves violés, les temps trahis, les corps volés, les mémoires souillées. Sublime d’une langue qui vous saisit, vous happe, vous submerge d’amour et de douleur, de tendresse et de colère, de bout en bout, sans jamais relâ-cher son emprise sensible, du premier au dernier mot, au fil de phrases filées dans des tremblées de chair et les souffles vibrants, frémissants, de voix tantôt frissonnantes comme une feuille d’automne qui s’accroche à l’espoir d’un printemps improbable, tantôt prenantes et frénétiques comme un Yanva-lou qui vous rappelle à vous dans le rythme onduleux, hypnotique, la transe enivrante d’indéfectibles racines, vivantes, sinueuses et vivantes, qui ont leur prise dans les ven-trailles et reprennent, inattendues, lieu en

soi, soudain, comme en « Dieutor » affamé de bienfaisants oublis, salvatrices amnésies, illusoires, tant la terre a ses plaies inscrites dans le sang. Et on n’échappe pas aux remous de ce sang, aux ressacs imprévisibles de ses propres insouvenances. Voix multiples, qui comme l’auteur portent l’île en elles comme la langue d’oxymore.

Multiples voix d’une même réalité. Voix de Thérèse en mille morceaux qui crie à son corps, à sa soif de monde, sa faim d’une terre longtemps subtilisée à son regard durant des années d’une longue nuit passée entre une mère que pas même la mort d’un mari al-coolique et infidèle n’aura, malgré la haine qu’elle lui portait, réussi à libérer, une mère dont le déplaisir n’était pas provoqué par un accroc au bonheur, une perte de plaisir, mais par un déplacement, un manque de conformi-té , et une sœur craignant, comme Thérèse, la rue, les herbes, les clairs de lune, le plus inno-cent des passants, le bonjour de (son) ombre.

Après le départ de sa sœur qui se sacrifie dans un mariage censé sauver sa famille de la pauvreté et le décès de sa mère, Thérèse, seule dans cette maison familiale qu’elle a continué d’habiter avec un mari qui, trop oc-cupé à faire carrière, brille par son absence, vit dans le spectre de ces femmes, entretient l’existence rangée, obscure et sévère, pétrie de peur et dans le mutisme, qu’elle partageait avec elles.

Bouleversant cheminement de Thérèse vers elle-même, vers la découverte d’elle-même dans l’éveil au monde, à ses propres sens, à sa propre féminité. Thérèse dont le double l’entraîne par-delà le cloître d’un passé sombre, la pousse à ouvrir, entre deux mouvements d’écriture, cette fenêtre jadis désespérément fermée, pour que s’échappe de la pièce le souffle lourd de la mère qui l’envahit encore. Et, alors que tout le monde prend pour folle cette nouvelle femme en le-ver d’interdit. Thérèse qui se découvre, dé-couvre l’autre Thérèse longtemps dormante en elle, l’autre Thérèse qui se révèle dans une folle rage de vivre, dans toute sa sen-sualité de femme qui naît enfin à son corps, dans un terrible désir de vivre et de goûter au grand vent, l’autre Thérèse – la vraie, la Thérèse affranchie de ses peurs et de ses douleurs, de ses manques et d’une solitude

exacerbée par celle de ceux qui l’entourent encore ou des fantômes qui l’assaillent toujours – qui l’emmène, un matin, loin de cette ville qui l’avait exilée d’elle-même, au rythme d’un bus qui lui déroule des paysages nouveaux que Thérèse contemple dans l’euphorie d’un oiseau qui découvre ses ailes, les sent se déployer, s’envole en-fin vers un ailleurs, quitte à ce que ce soit vers nulle part. Nouvelle Thérèse qui in-voque liberté dans un reflux de sève vive, déferlante, filée, ourlée, écumée au fil des vagues de mots montants comme irrépres-sible marée, malgré les vents contraires : Ces notes sont à la fois mon repli et mon déploiement, mon ratage et ma mise à jour. À défaut d’une parole droite, j’écris pour rassembler mes voix. Voix d’une femme, voix d’une terre en mal d’elle-même, voix de l’auteur, aussi, sûrement, qui écrit pour rassembler cette terre, puzzle de mille éclats de voix qui hurlent ses fractures.

Sublimes voix. Belles et poignantes comme une caresse sur un visage aimé, bri-sé, dont on aimerait refaire les traits. Comme un regard voilé qu’on aimerait rendre à lu-mière, mais la lumière n’est plus et, au fond, mieux vaut ne plus rien voir. Voix, belle et poignante comme un rire d’avant le désastre. Voix, intérieure, de Lucien, jeune étudiant qui, dans Bicentenaire, marche, silencieux, vers la mort, en compagnie du lecteur qui accueille, en chemin, les multiples voix qui se lèvent en lui tandis qu’il avance sans même vraiment savoir pourquoi. Voix de sa mère aveugle, Ernestine Saint-Hilaire. Voix du petit frère perdu qui s’en fout des livres et de tous ces intellectuels qui cherchent la vérité dans les livres, le petit qui préférait les armes aux idées. Voix d’Antoine, l’épicier chez qui Lucien s’arrête pour acheter ses ci-garettes et qui vit dans le passé, le rythme de musiques des années 60 et un temps révolu où les rues étaient toujours bien propres et Lucien qui l’écoute en questionnant ce pou-voir qu’a le passé de toujours prendre le pas

sur le présent, de toujours sembler plus beau. Voix du docteur qui feindra, de s’intéresser au monde tandis qu’ils grilleront ensemble une cigarette en attendant que l’étudiant re-çoive enfin son salaire pour les cours qu’il donne à ce gosse de riche qui n’apprendra jamais rien. Et tandis qu’il lui versait son dû, il «écrivait», en silence, «son vrai texte, de volutes en volutes, en tendant les billets. Et levée, là, d’une autre réalité, celle de la richesse insolite, indécente, dans cette ville qui n’a plus de sens, dans cette ville où l’on va soliloquant avec sa faim, cette ville de misère, de cadavres, d’ordures, de faux-sem-blants, de fausses joies, où seuls les riches peuvent se payer d’avoir vingt ans et parfois la fantaisie d’être polis avec les pauvres.

Cri d’amour à sa terre, cri, vibrant de sin-cérité, brûlant de douleur sans que jamais la révolte ne cède à la haine, sans que jamais la lucidité du regard porté sur la débâcle, la misère, la cruauté d’un quotidien qui hurle à la mort, à ses morts, ne sombre dans le pathos ni ne se déprend de la tendresse, profonde, qui traverse frissonnante une œuvre belle qui s’empare de vous dans la force qui l’anime, aussi, d’une espérance qui viendrait corriger le passé, inexorable, désespérément présent. Là puise toute sa beauté l’écriture de Lyonel Trouillot. n

Dany Laferrière

Lyonel Trouillot

«Le 28 mai 2015, à l’âge de 62 ans, Dany Laferrière est officiellement reçu à l’Académie française, dont il fait partie depuis le 12 décembre 2013.»

«Cri d’amour à sa terre, cri, vibrant de sincérité, brûlant de douleur sans que jamais la révolte ne cède à la haine, sans que jamais la lucidité du regard porté sur la débâcle, la misère, la cruauté d’un quotidien qui hurle à la mort, à ses morts, ne sombre dansle pathos ni ne se déprend de la tendresse, profonde.»

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PAYSAGES CULTURELS28 AOÛT 2015

ENTRETIEN HYAM YARED 

«L’écriture ne peut se faire sansune bonne dose de désobéissance»

Hyam Yared est une romancière et poétesse libanaise que nous vous invitons à découvrir ou re-

découvrir à travers un échange d’une telle sincérité qu’il en devient dérisoire de la présenter. Nous retraversons, avec elle, ses romans, de L’Armoire des ombres, paru aux éditions Sabine Wespieser en 2006, à La Malédiction (2012, éditions de L’Equa-teur), en passant par Sous la tonnelle (2009, Sabine Wespieser). Une œuvre qui a valu à son auteur plusieurs prix littéraires, dont le prix France-Liban 2007 pour L’Armoire des ombres, le prix Phénix 2009 et le prix Richelieu de la Francophonie 2011 pour Sous la tonnelle. En attendant la parution, prévue pour janvier 2016, du nouveau ro-man qu’elle vient de parachever, nous vous proposons ces échos, saisissants, qu’elle a partagés avec nous de ses précédents écrits.

l Maroc diplomatique : vous vous exprimez sans détour sur les marasmes d’une réalité dévastatrice qui vous habite. Ou de réalités, plutôt, multiples, tant la débâcle du monde qui nous entoure, la débâcle que vous avez connue, vous in-terpelle dans votre mémoire, votre chair, votre âme et votre sexe ; vous interpelle quant au sens, en somme, de votre être-là. Avant d’en venir à vos «Fleurs du mal» qui, sans aucune concession pourtant, mettent de la beauté dans le désespoir et redonnent, ce faisant, tout leur sens à la littérature, à la force porteuse de la lettre, j’aimerais vous poser la question non pas même de l’émotion première, mais du sentiment d’urgence qui vous a un jour poussée à vous emparer de la plume pour flageller la page blanche.

- HYAMYARED : Je ne sais s’il y a une émotion en soi, en tout cas une seule, qui m’a un jour poussée à flageller la page blanche. J’aime bien ce mot, ici. Flageller. Il y a beaucoup de ça dans l’acte d’écrire. À l’origine de cet acte, il y a cependant eu, chez moi, une profonde nécessité d’ex-primer le mutisme dans lequel j’avais été confinée par un milieu plutôt conservateur. Dès l’adolescence, je m’étais réfugiée dans la littérature. À travers la parole des autres, une parole s’émancipait en moi. La pro-fonde admiration que je portais aux grands textes de la littérature, mais aussi à la poé-sie m’a, peu à peu, tirée du bégaiement où je me trouvais. Peu à peu, mon premier bégaiement a pris forme dans un poème intitulé Tristis, soit Tristesse en Latin, dans lequel j’exprimais cette mélancolie propre à cet âge et une quête identitaire encore balbutiante et individualiste. On commence toujours par se définir dans le monde avant que la conscience ne prenne en nous le relais de notre moi. Il y a un passage obligé du «Je» émancipé pour appréhender pleinement la légitimité de l’altérité et d’une collectivité de «Je». Je me suis longtemps cachée pour écrire. Pour déduire du langage une identité qui res-semblerait à l’image que je voulais avoir de moi et non celle que la société avait fa-çonnée. Plus je tentais de me définir et plus je me rendais compte que je ne pouvais pas échapper à mon environnement, Le Liban. On ne peut naître dans la réalité de son «Babel» et ne pas être désireux de com-prendre l’origine des fractures politiques. Je me suis vite rendu compte qu’elles sont en nous parce que transmises par la sphère restreinte du pouvoir, l’autorité parentale, et les mentalités tribales et conservatrices. Il n’y a qu’à regarder ce qu’on a fait du monde contemporain où les identités natio-nales refont surface, comment a été gérée l’immigration devenue le clou des débats

politiques en Europe, ce qu’on a fait des révolutions arabes à des lieues des cris ori-ginels et collectifs des sociétés civiles qui les ont initiées. Aujourd’hui, mon urgence a changé de repères, elle est passée d’un «Moi» individualiste – passage obligé il me semble – à un «Eux» collectif dans le-quel le «Je» ne peut qu’être, comme disait Camus à propos de l’écrivain, embarqué et dont les premières répressions sont ex-périmentées dans les sphères familiales. Mon urgence aujourd’hui vient de là. Dans cette course folle à l’insanité. L’écrivain emporté par son fleuve n’a qu’un instinct de survie.

l Votre premier roman, L’Armoire des Ombres, est bouleversant tant il est d’une force inouïe. C’est une fiction, certes. Mais des plus puissantes. De celles qui révèlent ce qu’on étouffe du réel, in-terpellent, bousculent et mettent à nu. Car le récit est profondément et violemment enraciné dans une réalité qui coupe de soi, d’où cette métaphore, prenante, de l’ombre, du corps coupé de son ombre.

- J’ai écrit cette fiction à la suite de la mort de notre Premier ministre Rafik Hariri. Cet événement a été le catalyseur d’une vague de manifestations où la socié-té civile libanaise s’est trouvée embarquée dans ce qu’on appellera la révolution du cèdre. Bien sûr, cette vague de manifes-tations était un signe de santé mentale collective, d’un ras-le-bol politique, mais il m’a semblé assez vite que ces manifes-tations prenaient une tournure politique plutôt que sociétale. Et ce déséquilibre entre conscience nationale et conscience individuelle m’a semblé d’office être l’endroit où le bât blesse. Dans ce souci de revendiquer en groupe plus de liberté, une démocratie plus aboutie, la vérité en ce qui concerne la mort de Hariri, je me suis rendu compte que nous étions en fait bien plus impuissants à révolutionner les choses dans la sphère familiale où s’exerce une autorité absolue souvent oppressante qu’à revendiquer des changements sur le plan politique. Il m’a semblé évident que nous abordions la pyramide de la liberté par le haut sans nous soucier des fonda-tions sociétales de cette pyramide. Il ne peut y avoir de libertés collectives et de nation libre à proprement parler si ceux qui revendiquent cette émancipation n’ont pas appliqué les valeurs de cette liberté à un niveau personnel. En fait, il m’a semblé urgent d’écrire un texte mû par l’urgence d’une liberté bien ordonnée qui commen-cerait par soi-même. Car il m’a semblé alors évident que ces manifestations étaient menées par des hommes asservis à un système conservateur, certes avec un ras-le-bol général, mais de quoi? De quelque chose d’aussi indéfini que les valeurs qu’ils réclamaient qu’on leur restitue, comme s’il suffisait d’être en meute pour guérir de nos maux domestiques.

l Vous êtes sociologue et militante as-sociative en tant que présidente de l’asso-ciation culturelle «Centre PEN Liban» où vous luttez pour la liberté d’expression, contre la censure, et tentez de promou-voir, ce faisant, la littérature libanaise et la littérature en général. Trois ans après L’Armoire des Ombres, vous publiez Sous la Tonnelle, un roman poignant où vous nous faites vivre la guerre du Liban à travers le regard d’une femme : votre grand-mère. Dans ce roman très fort, vous mettez en miroir deux générations de femmes où, finalement, les plus jeunes convoquent le souvenir de leurs aînées et

y puisent la force de rester debout. Mal-gré tout. Deux générations qui sont aussi deux métaphores de moments troubles de l’histoire.

- Si ce roman est une mise en miroir de deux générations de femmes, il est aussi une mise en miroir de deux guerres diffé-rentes. La civile, vécue par une grand-mère qui n’abandonnera jamais, même aux pires heures de la guerre, sa maison située sur les lignes de démarcation ; et l’autre, celle de 2006, la «massive», puisque c’est ainsi que j’appellerai les guerres maximisées par une technologie toujours plus inven-tive quant aux manières d’envahir des pays par avion en minimisant les contacts entre individus. Il m’a semblé alors voir dans la guerre civile de la grand-mère plus d’espoir que dans les guerres telles qu’elles se déploient sous nos yeux aujourd’hui. Quand j’ai écrit ce roman, je n’avais en tête que la guerre de 2006 qui, en un mois, aura occasionné le déplacement d’un mil-lion de Libanais vers le nord, fuyant les bombardements massifs d’Israël dans le sud du pays. Aujourd’hui, ce qui se passe avec les révolutions arabes et les conflits qu’elles ont engendrés ne fait que corro-borer ce parallèle comparatif entre guerre civile et guerre massive. Et entre les deux, la question qui se pose concerne la possibi-lité de demeurer humain sans abandonner ces territoires brûlés. C’est un peu le sujet de ce livre, à travers le portrait de cette grand-mère qui, à force de détermination et d’amour, va finir par lier des liens d’amitié avec des miliciens dont la plupart l’abor-daient avec une arme à la main, en la mena-çant. Son leitmotiv, ne pas céder à la peur. Cette femme aura un peu joué au poker avec pour joker un amour inconditionnel et un sens de l’altérité hors pair, ses seules armes. À pile ou face, elle a joué sa vie et a gagné la considération des miliciens. Pour elle, sans cet espoir-là, l’humanité serait fi-nie. J’ai voulu y croire en écrivant ce livre. J’ai pu y croire, car cette femme a existé, étant donné qu’elle a été ma grand-mère et que je peux témoigner de la viabilité de son message. La question qui succède à cette réalité de l’espoir est de voir comment la faire évoluer dans la nouvelle réalité des guerres massives et d’un «État islamique» (EIIL) par exemple répandu sur des ter-ritoires où il doit y avoir des milliers de familles et de grand-mères désireuses de perpétuer ce message, mais uniquement capables d’atterrements.

l Dans La Malédiction, vous mettez en scène une jeune fille «broyée», pour vous citer, par une société étouffante. Hala «ou Beauté», voit le jour, dans les années 70, dans une famille catholique, et grandit dans une société où les femmes

se font dévorer et par les hommes et par leurs propres mères, ces dévoreuses d’en-fants. «Broyée», mais pas dupe. Finale-ment, vous mettez en scène, à travers elle, ce que vous évoquiez plus tôt : une prise de conscience salvatrice du réel qui ne se fait pas dans les cris de «meute», mais dans le silence où se fomente, dans l’inti-mité de soi à soi, une révolution qui se fait dans l’effritement de la légitimité de ce qu’on pourrait appeler la violence établie.

- Vous savez, le mutisme, les tabous, les interdits établis par des sociétés ou plus précisément des familles conservatrices sont des maladies desquelles on ne peut sortir d’un coup. Et ma narratrice en est le parfait exemple. Son silence n’est pas dupe. Il laisse penser qu’il est résigné, mais, en réalité, il se nourrit de l’émanci-pation des autres personnages du roman, à savoir de Fadia, cette amie avec laquelle elle aura une amitié fusionnelle, presque ambiguë. Cette quête, elles la feront à deux. L’une a l’air forte, entreprenante et l’autre silencieuse et suiveuse. Les deux personnages souffrent de la même maladie. L’anorexie et la boulimie, chaque maladie étant le miroir de l’autre et ayant la même origine. Leur déséquilibre alimentaire les unit. Après avoir perdu de vue Fadia, son seul repère de résilience, Hala se repliera dans un silence et un refus de lutter contre un destin qui lui sera imposé jusqu’au jour où un événement catalyseur viendra tout chambouler en elle. Je pense qu’aucun silence ne peut résister au langage, c’est une question de tolérance à l’oppression. Lorsqu’un seuil de non-retour est atteint, alors une révolution s’opère. Il en est de même des pays ayant été colonisés. On ne se libère peut-être pas d’un coup de nos colonisations visibles et invisibles, mais il n’est pas impossible de nous en dépêtrer un jour. Nous n’avons pas tous les mêmes seuils en ce qui concerne l’intensité que nous pouvons accueillir en matière de vio-lence, mais, lorsque ce seuil est atteint, la saturation enclenche alors des révolutions surprenantes. C’est une question de lois physiques, vous savez. Un ressort compri-mé, par exemple, finira toujours par rebon-dir. Il ne faut pas sous-estimer la faculté de rebondir des peuples ou des individus. Hala n’est sortie de sa léthargie apparente qu’à partir du moment où le tribunal re-ligieux, devant lequel elle comparaissait pour obtenir la garde de ses enfants, allait lancer un verdict en sa défaveur. À partir du moment où on a voulu la déposséder de ses enfants, elle n’a plus été la même. Elle le leur dit : «Je me suis retirée du monde en les aimant. Vous ne pouvez pas me retirer le retrait du monde».

ProPos recueillis Par Bouthaïnaazami

« Je me suis longtemps cachée pour écrire. Pour déduire du langage une identité qui ressemblerait à l’image que je voulais avoir de moi et non celle que la société avait façonnée. Plus je tentais de me définir et plus je me rendais compte que je ne pouvais pas échapper à mon environnement, Le Liban.»

«On ne se libère peut-être pas d’un coup de nos colonisations visibles et invisibles, mais il n’est pas impossible de nous en dépêtrer un jour. Nous n’avons pas tous les mêmes seuils en ce qui concerne l’intensité que nous pouvons accueillir en matière de violence, mais, lorsque ce seuil est atteint, la saturation enclenche alors des révolutions surprenantes.»

Hyam Yared.

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29LIVRES AOÛT 2015

Au cœur d’un continent porteur d’opportunités, le Groupe BMCE Bank poursuit son essor, s’appuyant sur l’extension continue du groupe BANK OF AFRICA, contribuant avec confiance au développement des affaires et du progrès social. Avec ses 11.000 collaborateurs mobilisés dans 19 pays africains, son assise financière, son positionnement de banque universelle soutenu par les synergies d’un groupe multi métiers aux ambitions internationales, et ses valeurs de tolérance et de partage, BMCE Bank et BANK OF AFRICA ouvrent la voie d’une finance durable sur le continent africain.

Ensemble, posons les bases d’une finance durablesur le continent africain

Page 30: La Monarchie de tous les défis

LIVRES30 AOÛT 2015

« DÉCRYPTAGES » DE OMAR DAHBI

Un « spectateur engagé » au doute lucide…Hassan alaoui

Notre confrère, Omar Dahbi vient de publier un livre, « Décryptages » (*) qui interpelle à coup sûr beau-

coup d’entre nous. Il s’agit de la somme de ses chroniques et de ses interventions, rédi-gées entre 2005 et 2014, au feu de l’actualité, dans les colonnes du quotidien « Aujourd’hui le Maroc »(ALM) notamment. Omar Dahbi y a exercé la fonction de Directeur de la Ré-daction. A ce titre, il était plus qu’impliqué, plongé même dans le bruit de l’information qui, chaque jour renouvelle son répertoire et oblige un responsable comme lui à l’effort de distanciation nécessaire.

Dix ans, c’est un bail, dira-t-on ! Mais pour un journaliste c’est une tranche de temps, replacée dans le contexte que vi-vait le Maroc à cette époque-là, cinq ans après l’avènement du règne de Moham-med VI. Le livre, constitué de quelque 194 pages, parcourt donc toute une pé-riode où les événements, au rythme d’une cascade, se sont succédé et le regard de Omar Dahbi s’est fait rigoureux et éclec-tique. Si le livre s’ouvre par une préface de notre confrère Saad Benmansour, lui-même directeur de « La Vie écono-mique » et « d’Aujourd’hui le Maroc », il démarre en revanche, en trombe, par un grand et magistral texte dur cette jour-

née exceptionnelle du 23 juillet 1999 au cours de laquelle le Maroc a vécu, non sans une profonde tension, l’annonce du dé-cès de feu Hassan II. Il y décrit, minutieusement, l’état d’âme d’une nation plongée dans le question-nement et incapable d’y répondre, un va-et-vient de l’information livrée à l’exercice de spéculation – horrible ennemi de la vérité -, enfin son propre sentiment comme jour-naliste, tenu à une veille introspective…

Si, en effet, le livre com-mence par ce texte intitulé

« S.M. Mohammed VI, la Ré-

volution permanente », c’est pour mieux nous guider dans une série de pas moins de cin-quante chroniques, rédigées à chaud certes, mais gardant cependant leur fraîcheur et ne perdant en rien leur mordant, aujourd’hui. On y trouve, dans la différence de leur style et leur objet, des thèmes de politique nationale, des sujets de politique étrangère, de société, de culture, des humeurs lâchées parfois à la cantonade qui sont au livre ce que la sève est au fruit : l’art de raconter, la capacité de ne jamais se méprendre quant à la réalité mouvante d’un Maroc en plein réformisme. Il convient de souligner que Omar Dahbi a cultivé et développé sa propre vision – faite en l’occurrence de patriotisme critique et non complaisant – qui est d’interpeller tout en commentant.

En 2009, déjà !...il nous gratifiait d’une belle chronique intitulée « ado.justice.gouv. » et taillait des croupières à une jeune marocaine qui a décidé d’exprimer sa rébel-lion au risque de choquer les marocains, en « dé-jeûnant » publiquement en plein mois de Ramadan. Pis : se réclamant du MALI (Mouvement alternatif pour les libertés individuelles), elle paradait et heurtait les consciences. Cette jeune fille n’était, n’est autre que la Zineb Elghazoui…qui a défrayé la chronique après les attentats du 8 janvier 2015 contre la rédaction de Charlie-Hebdo à Paris… Omar Dahbi l’aura donc « croquée » pour nous à vif, dans quelques lignes, avec superbe et sans parti pris. Il en va de même de ce stupéfiant texte sur la « monorchidie » de Franco, ci-devant dictateur d’Espagne, et sur le gnomique chef du nom de José Ma-

ria Aznar, vestige du franquisme et ancien premier ministre, dont la petitesse et étroi-tesse d’esprit n’avaient d’égale que sa haine morbide du Maroc…

Dans le même souci d’appréhender les événements à la fois à froid et avec une pas-sion de témoigner, Omar Dahbi se livre à l’exercice de l’impénitent décortiqueur, le scalpel à la main, la volonté de pénétrer les arcanes et une volonté d’échapper aux lieux communs. Chroniqueur, éditorialiste, analyste et, la poésie en bandoulière, un hu-mour caustique, il n’en démord pas de sa quête irrésistible : dire les choses telles que vues et ressenties. Sans soliloque, mais avec l’ardeur de témoigner et de partager.

Le parcours de Omar Dahbi n’est pas seulement celui d’un journaliste au long cours. Il aura successivement parcouru les champs de la presse écrite et de la presse au-dio, puisqu’après « Aujourd’hui le Maroc », il a assumé la tache de directeur de l’Infor-mation à Médi 1, à Tanger avant de prendre la direction des rédactions du groupe Maroc Soir. Dans l’une des ses sublimes chroniques, consacrée à Fès et intitulée « Fès, la lente agonie d’une ville-Etat », Omar Dahbi nous fait voyager dans une sorte de tourmente, son regard pénétrant nous conduit dans la désolation comme si c’était nous qui écrivons cette chronique qui en dit long , un voyage au bout de la nuit bouleversant, une sorte de banquise qui fond sous les coups de boutoir du temps, de l’usure et de l’indifférence…Et la chute de sa chronique, dans laquelle défilent l’histoire, la politique et l’éthique , sur fond de nostalgie de son « vieil ami

artisan de Fès », est simplement le modèle de cri déchirant…

Ici « le style fait le journaliste », élevé au rang de témoin de tous les jours, il ne sa-crifie nullement au solipsisme qui dévore quelques-uns de nos confrères voués à leur propre culte. Car, Omar Dahbi, s’il donne l’impression d’être un homme pudique, dis-cret et même en retrait eu égard aux fracas qui déchirent notre communauté profession-nelle, n’en est pas présent sur le champ des combats authentiques, de la vérité et de la ri-gueur, il est un « spectateur engagé »…« Dé-cryptages » de Omar Dahbi

Un « spectateur engagé » au doute lucide… n(*) « Décryptages », ALM Editions, Casa-blanca, 2015

BoutHaïna azami

Kamal Hachkar prépare la suite de son magnifique documentaire «Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah». Le Mellah de Tinghir, les destins

croisés qui éveillent, à Jérusalem, les échos de cette pe-tite ville ocre et de vert. «Un voyage entre le passé et le présent, la redécouverte de la mémoire de l’héritage judéo-marocain et judéo-berbère au Maroc, la mémoire de la diversité culturelle qui est au fondement de la so-ciété marocaine une diversité que beaucoup d’entre nous s’efforcent de maintenir aujourd’hui. Tinghir-Jérusalem est un film sur l’autre et l’absence de l’autre, le juif absent qui nous manque tant au Maroc et surtout dans ma ville natale, Tinghir, une ville du sud du Maroc, dans une vallée, dans les montagnes de l’Atlas», dira ainsi Kamal Hachkar, à New York, lors du Festival 2015 du film séfarade où il s’est vu attribuer un Award pour ce travail artistique et de mémoire qu’il a mené et qui participe à promouvoir le dialogue des cultures.

Un film, un combat, une quête, une catharsis

Projeté à Tinghir le 20 avril 2014, le documentaire a en effet eu un grand succès par-delà les frontières et voyagé de par le monde. «Je suis encore agréablement surpris de l’écho incroyable qu’a suscité mon premier film au Maroc et ailleurs dans le monde. C’est devenu un objet d’étude à Princeton et dans d’autres universités prestigieuses. Les attaques venant des islamistes et panarabistes ne m’ont jamais atteint. Leurs critiques sont dogmatiques et empreintes d’obscurantisme. Venant de ce genre de personnes, cela n’a fait que renforcer ma détermination à combattre cette ignorance crasse. On n’en fera jamais assez autour de ces questions. Il y a un tel vide sur notre passé, notre histoire. Tenter de faire prendre conscience de l’importance de l’autre, de nos différences mais aussi de nos territoires communs, montrer que la diversité est notre force, c’est essentiel, surtout aujourd’hui où les replis communautaires sont forts», nous confie Kamal Hachkar. «Mon second film continue d’explorer cette

mémoire plurielle du Maroc à travers le regard de jeunes artistes juifs et musulmans. Ces derniers perpétuent, à travers leur art, cette idée de notre belle pluralité», ajoute-t-il à propos de son nouveau projet, Retour au pays natal. Un nouveau documentaire où il continue, donc, dit-il, de travailler sur les identités : «C’est pour moi une manière de réparer des blessures, celles de l’exil notamment. Un exil intérieur, même s’il y a eu déplacement. J’ai quitté le Maroc à l’âge de 6 mois, mais j’ai vécu chaque été, à Tinghir, les déchirements de la séparation. Ça m’a marqué... Je me suis toujours senti dans un entre-deux, entre deux mondes, un monde amazigh, profondément enraciné et presque immuable, un monde dont j’avais aussi envie de m’émanciper, tout en y restant fidèle aux gens, aux couleurs, à mes grands-parents adorés, et mon autre monde, la France, où je me suis passionné pour l’histoire des idées et des mouvements intellectuels. Je suis forcément devenu professeur d’histoire. Là aussi, en enseignant, je changeais de monde ; j’étais le premier de la famille à avoir le Bac, à faire des études universitaires et en plus à la Sorbonne. Venant d’une famille d’ouvriers, là aussi, je changeais de monde. J’ai dû apprendre à me sentir légitime dans ma fonction alors que je venais de passer un concours très sélectif», nous confie encore le réalisateur. «J’ai toujours été tiraillé par tout ça et je crois que, si je suis devenu artiste, c’est peut-être aussi pour transcender cette forme de souffrance», poursuit-il. «Je cherche ma place, ma maison, mon endroit à moi et, comme je produis des œuvres autour de ces questions, j’accouche dans la douleur. Personne ne peut imaginer le combat que cela a été de réaliser Tinghir-Jérusalem. Ce film donnait du sens à mon existence et en donne encore. Mes films sont le reflet de mes propres questionnements, c’est pour moi un miroir, et je donne beaucoup de ma personne».

Que reste-t-il des racines dans la distance, dans l’ab-sence? C’est cette question qu’explore Kamal Hachkar dans son nouveau film. «Même si j’ai grandi en France, je suis très imprégné de ce Maroc profond d’où je viens, de Tinghir, de mon amazighité marocaine. Je suis éper-dument amoureux de ma ville natale, non pas au sens nationaliste, je hais ce sentiment, mais au sens poétique.

Il faut entendre ces chants poétiques amazighs qui sont d’une telle puissance. Mon prochain film donnera donc à voir et à entendre ces voix, ces âmes qui donnent ces vraies couleurs à ce Maroc pluriel que j’aime», nous explique-t-il. Des voix et des âmes déployées à travers des portraits de membres de la troisième gé-nération juive et musulmane marocaine qui partagent un même héritage porté par la mu-sique, la poésie, la peinture. Portraits d’artistes vivant aux États-Unis, au Canada, en Israël, en France et dont le «rêve est de retourner sur les traces de leur famille et de vivre un temps au Maroc pour perfectionner leur art et obtenir la citoyenneté marocaine. Leur manière à eux de réparer les blessures de l’exil : ces artistes symbolisent cette jeune génération qui porte en elle avec fierté l’héritage de ses grands-parents et parents nés au Maroc. Par petites touches, en retraçant le portrait de ces artistes, c’est une mosaïque de l’identité marocaine plurielle qui se dessine, un véritable kaléidos-cope d’expériences diverses de ceux qui rêvent, chantent, peignent leur Maroc.»

Kamal Hachkar ira ainsi à la rencontre des artistes à travers le monde et réalisera de même, dans le cadre de ce projet, un road-movie, en suivant deux artistes de Jérusalem qui reviennent vers la terre inaugurale, à la re-cherche de leurs racines enfouies à Tarifa, Tanger, Rabat, Casablanca, Marrakech, Essaouira, et plusieurs villages de l’Atlas, dont Tinghir.

Ce road-movie au Maroc constituera la deuxième étape d’une aventure qui a déjà commencé à Gibraltar, durant le World Music Festival qui s’est ouvert sur la projection de «Tinghir-Jérusalem, les échos du Mellah». Un choix réfléchi, car, souligne Kamal Hachkar, il y a là «une harmonie parfaite entre juifs et musulmans. Les artistes (juifs et musulmans) vont élaborer un spectacle autour de la convivencia, un souk marocain est recons-titué entre la synagogue et la mosquée, dans la vieille ville, les échoppes juives et musulmanes cohabitent côte à côte. Entre les répétitions et les spectacles, on fera parler les artistes de leur rapport au Maroc, avec à l’horizon le

pays fantasmé, rêvé et source d’inspiration de leur art.»La 3ème étape se poursuivra en Palestine et en Is-

raël où le réalisateur sondera, une fois encore, le rêve de certains artistes de revenir vers cette terre synonyme de racines aussi éprouvées qu’exacerbées. Qu’évoque en eux, à présent, cette terre première du Maroc? Nostal-gie, mémoires enchevêtrées, corps à reconstruire dans la conciliation des temps et le retour sur soi, par-delà la fracture, convocation, par la psalmodie, la mélopée, la douceur et la joie des chants traditionnels, l’art, de tout un univers qui subsiste enfoui, vivant, en soi : ces moments d’abandon, d’émotion, de frissonnants reflux de souvenances, il faut reconnaître que Kamal Hachkar sait les saisir à merveille.

Divers tournages au Maroc, dont celui avec l’artiste Miléna Kartowski, qui viendra revisiter le répertoire ju-déo-marocain et collaborer avec notamment des artistes de Tinghir, rythmeront d’ailleurs ce documentaire qui nous emmènera aux États-Unis pour retrouver, entre autres, le cantor Marc Hazan de la synagogue marocaine psalmodiant des prières en arabe et en hébreu (matrouz broderie), à Montréal pour une visite de la fondation Sammy El Maghribi, lieu de rencontre entre artistes juifs et musulmans, en Amérique latine où «des artistes des-cendants de juifs marocains perpétuent leurs traditions en les mélangeant avec les sons locaux.» n

PAYSAGES CULTURELS

Kamal Hachkar : Rêveries d’un «Retour au pays natal»

Kamal Hachkar

Omar Dahbi.

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Nicole Elgrissy, la marocanitéchevillée au corps

Souad Mekkaoui

«L à où il n’y a pas d’humour, il n’y a pas d’humanité»! Eugène Ionesco ne pensait

pas si bien dire!Et Nicole Elgrissy en est la meilleure illustration. «Je ne pouvais plus contenir tout cet amour dans mon dia-phragme. Je veux le partager et donner du bonheur aux gens qui me liront. De l’es-poir, du rire, de l’enthousiasme, voilà ce que je souhaite répandre autour de moi». Au premier contact avec cette personne aimante et attachante, on a l’impression de la connaître depuis des lustres, tellement elle dégage de l’amour et de la confiance qui plongent son interlocuteur dans une aisance confortable. Sa spontanéité et sa sincérité font sa singularité dans un monde où la fausseté bat son plein. D’une gé-nérosité inégalable, elle va vers l’autre, aide son prochain sans attendre de retour. Ceci n’est pas étonnant quand on apprend que sur la pierre tombale de celle qui lui a donné la vie, l’épitaphe était : «Ci-gît celle qui a passé sa vie à donner du bonheur aux autres».

L’amour, la tolérance et la dérision, Nicole en fait sa religion et de l’écriture un engagement qu’elle tient avec ce sen-timent d’urgence dont parlait Romain Gary. «D’où ma volonté d’isolement maximum pour me concentrer et écrire. Je ne supporte plus la fausseté ambiante. Elle m’indispose. Elle me fait l’effet d’une odeur gênante. Un sentiment que j’ai depuis que je suis tombée en écriture. Une sensation bizarre d’ailleurs. Un peu comme ces rabbins qui se sont enfermés, des années durant, à l’intérieur des grottes pour écrire la Torah ou le Zohar. C’est comme si je me battais pour écrire un maximum. Je dois laisser cela en héritage à mes enfants et à ce pays que j’aime tant, mon Maroc, mon rocher, mon roc.»

Une militante de cœur et un patriotisme

inconditionnelAprès son livre engagé, «La Renai-

cendre :Mémoires d’une Marocaine juive et patriote», paru en 2010 aux édi-tions Afrique Orient, Nicole Elgrissy sort son deuxième ouvrage intitulé «Dames de cœur sur le carreau». Si ce deuxième né révèle une autre facette de l’écriture de l’écrivaine, l’identité marocaine et le patriotisme constituent le fil d’Ariane entre ses livres. En effet, ce dernier livre-enquête est, d’entrée de jeu, le

prolongement de «La Renaicendre» où l’auteure brandit ses origines et sa fierté d’appartenir à un Maroc pluriel qui n’a jamais dénigré ses enfants, que le Roi Mo-hammed V a refusé de livrer, en 1940, aux nazis et qui avait même accordé le droit d’asile à des juifs d’Europe. Elle y dépeint un pan de l’histoire indissociable du pays, celle de l’exode massif des juifs du Ma-roc, survenu entre les années soixante et soixante-dix, les retombées et les séquelles que ceux-ci continuent à traîner, à savoir ce sentiment de déracinement et de déchi-rement d’avoir quitté le pays natal alors que rien ne les y obligeait, délaissant des racines de milliers d’années.

Son premier livre est donc une peinture de diverses petites histoires de ses conci-toyens, de petits destins dans l’Histoire du Maroc. Certains, appâtés et aveuglés par l’illusion d’une cité idéale, ont quitté leur terre pour aller vers un inconnu qui s’est avéré une amère désillusion. D’autres, par contre, ont refusé de troquer l’amour du pays chaleureux contre des promesses non fondées.Le premier combat de Nicole est de réconcilier les juifs du Maroc avec leurs origines, cette terre «sainte» où se trouvent quelque 640 tombeaux de saints juifs.

Native de Casablanca où elle a décroché son baccalauréat au lycée Lyautey, elle poursuit ses études en France et retourne au pays où elle fait carrière dans la com-munication. De son Maroc, elle garde de belles images, nostalgiques certes, mais tellement vraies et authentiques qu’elle est décidée à en faire son bourdon de pèlerin pour un appel urgent à l’amour, à la paix et à la tolérance.

Dame de cœur pour dames sur le carreau

«L’exode des juifs et des musulmans du Maroc a coupé nos troncs, mais nos racines doivent rester intactes», écrit l’auteure. Dans «Femmes de cœur sur le carreau», l’auteure passe au crible une société malade, en pleine mutation, ron-gée par les maux du modernisme et de la perte d’identité. Nicole Elgrissy, elle, ne peut s’arracher à sa peau et à son authen-ticité qu’elle glorifie haut et fort. Seule fille de Simone Cohen Elgrissy, elle ne pouvait être que ce qu’elle est. Sa mère, conseillère conjugale hors pair doublée d’une psychologue exceptionnelle, sans diplôme ni patente, représentait pour elle une icône de la psychologie cognitive. «Dans la Torah, il est dit que chacun de nous choisit ses parents avant de venir au

monde, je me félicite d’avoir fait le bon choix».

Évidemment, la fille emboîtera le pas à la maman et reprendra le flambeau. Après des décennies passées à écouter des femmes dont les destins s’enchâssent, elle décide de livrer cet ouvrage-témoignage chargé de thématiques et de probléma-tiques endurées par des concitoyennes dont le point commun est le statut de femme les fragilisant, et ce, depuis les an-nées quarante et même bien avant. Tout y passe, sans complaisance, de la corruption et l’impunité au traumatisme des hommes marocains vécu après la circoncision. La femme quant à elle tient la place la plus vaste dans le champ de vision de l’écri-vaine. Elle raconte comment «à force d’avoir lutté contre elles-mêmes pour cultiver le courage d’escalader les murs de tabous qui ont encerclé leurs aïeules, les Marocaines sont passées en cinquante ans du stade de femmes soumises et taiseuses à celui de révoltées, amères et surtout dé-sabusées».

Esther Azencot, Anita Azencot, Cé-lia Balloul, Zoubida Haraj pour ne citer qu’elles en sont la meilleure illustration. Entre la soumission d’une mère, l’autorité d’un père qui tient mordicus aux tradi-tions et l’intolérance d’une société où la médisance sévit, ces jeunes femmes se réfugient dans l’agressivité d’un conjoint qui prétend aimer la femme, mais qui lui fait toucher le fond. Ces pauvres âmes per-dues sont au fait le souffre-douleur d’un entourage où, jusque dans les années 80, le titre de divorcée faisait d’elle une maudite pestiférée. Or, le pire ennemi de la femme est la femme elle-même, puisque «à force de donner à leurs fils une éducation de macho, certaines mères en avaient fait des fachos». Ces pauvres épouses, étant à la merci des humeurs des maris et sur-tout de la répudiation, craignant aussi la solitude du célibat, le retour chez leurs parents avec une ribambelle d’enfants, le manque d’indépendance financière,

étaient tellement tétanisées et incapables de réfléchir qu’elles taisaient des infidéli-tés dévastatrices et venaient chercher les conseils de l’auteur qui vivait à chaque fois, par procuration, les malheurs de tous ces êtres vulnérables affaiblis par une so-ciété machiste cruelle. Le bilan du désastre est plutôt horrible si on s’en tient au taux du divorce allant crescendo favorisé par une vie trop moderne où l’individualisme est en tête de liste de grands drames de la société actuelle tandis que l’humanisme et la convivialité sont en déclin. «Ce livre est un cri de douleur où je soumets les femmes à l’exercice de miroir».

Nicole Elgrissy, une poétique du rire

L’écriture de Nicole Elgrissy est d’une originalité surprenante telle que ses livres se lisent d’un seul trait nous plongeant dans un voyage au pays de l’humour. Son style à la Molière et ses descriptions à La Bruyère reflètent les maux sociaux et culturels de la société et de la femme. Les caractères ou les mœurs contempo-raines sont peints et présentés sous forme de réflexions et de portraits. Ses mots, elle les puise dans la réalité quotidienne, mais les drape dans un humour et une dérision décapants. En la lisant, on s’empresse de rire pour ne pas pleurer de situations mal-heureuses et déstabilisantes que les mots vifs, des fois crus, atténuent une fois le choc passé. L’ironie et l’autodérision chez Nicole Elgrissy se veulent libéra-trices et révélatrices à la fois. «L’humour suppose une forte dose de détachement et de liberté», comme l’avait bien dit Mo-nique Corriveau. Entre histoires vraies et anecdotes à faire rire à gorge déployée, l’écrivaine écrit gros pour brusquer bien entendu et réveiller. Nicole en est la preuve palpable. Dans ses invites à l’op-timisme et à la joie de vivre, elle cherche aussi à déranger, à faire rire tout en faisant réfléchir. n

Nicole Elgrissy.

«Je ne supporte plus la fausseté ambiante. Elle m’indispose. Elle me fait l’effet d’une odeur gênante. Un sentiment que j’ai depuis que je suis tombée en écriture. Une sensation bizarre d’ailleurs. Un peu comme ces rabbins qui se sont enfermés, des années durant, à l’intérieur des grottes pour écrire la Torah ou le Zohar.»

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