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Janvier 2015

près un bref rappel des objectifs et du contenu de la loiconcernant la réforme de la justice prud’homale, la note

présente les résultats de travaux académiques ayantcherché à évaluer les effets de réformes de même nature

visant d’une part à réduire les délais des procédures etd’autre part à professionnaliser les conseillers prud’ho-

maux. Nous analysons également les principauxmécanismes découlant de loi à savoir la diminutiondes coûts de la justice prud’homale et l’accroisse-

ment de la sécurité juridique des procédures. Il apparaît en effet que la combinaison de ces différents éléments est susceptible d’avoir des effets partiels contraires selon que l’ons’intéresse aux effets sur les employeurs ou sur les salariés, sur les créations ou sur les destructions d’emplois, aux effetsde court terme ou aux effets de long terme.

La section 1 rappelle les objectifs de la mesure et identifie lesindicateurs permettant d’en mesurer l’impact. La section 2détaille le contenu de la proposition de loi et la section 3 pré-sente les éléments d’évaluation empiriques existants. Cettesection met aussi en évidence les différents effets partielsévoqués, notamment les effets de la réduction des délais desprocédures sur le coût et le volume des procédures, les effetssur le bien-être et sur l’emploi.

RÉ-FORMESLA JUSTICE

PRUD’HOMALE

COMMISSION D’ÉTUDE DES EFFETS DE LA LOI POUR LA CROISSANCE ET L'ACTIVITÉ

ADans le cadre du débatparlementaire quis’ouvre en janvier 2015sur le projet de loi pour lacroissance et l’activité,Emmanuel Macron,ministre de l’Économie,de l’Industrie et duNumérique a sollicitéJean Pisani-Ferry pourque France Stratégieassure la mise en place et le fonctionnementd’une commissiond’experts indépendantechargée d’évaluer les effets des principalesmesures prévues. Cette commissiontemporaire a retenu cinq thèmes prioritaires,la présente ficheretraçant les conclusionsde la réflexion conduitesur la réforme de lajustice prud’homale.La commission est présidée par Anne Perrot.

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1. OBJECTIFS DE LA MESURE ET INDICATEURS D’ÉVALUATION RETENUS

1. OBJECTIFS – P. 48 DE L’EXPOSÉ DES MOTIFS ‘ 1. « Raccourcir les délais. »

‘ 2. « Faciliter le rapprochement des points de vue des parties avant le recours à une autre phase que cellede la conciliation. »

‘ 3. « Faciliter les procédures. »

‘ 4. « Une justice prudhommale performante […] source de sécurité pour les salariés comme pour lesemployeurs. »

2. INDICATEURS RETENUS‘ 1. Réduction des délais des procédures

‘ 2. Réduction de l’insécurité juridique

‘ 3. Emploi

‘ 4. Productivité

2. CONTENU DE LA LOI ET MODALITÉS DE MISE EN ŒUVRE (ARTICLES 83 ET 84 DU PROJET DE LOI)

1. RENFORCEMENT DES OBLIGATIONS DÉONTOLOGIQUES DES CONSEILLERS‘ « L’acceptation par un conseiller prud’homme d’un mandat impératif, avant ou après son entrée en fonc-

tion et sous quelque forme que ce soit, constitue un manquement grave à ses devoirs. Si ce fait estreconnu par les juges chargés de statuer sur la validité des opérations électorales, il entraîne de plein droitl’annulation de l’élection de celui qui s’en est rendu coupable ainsi que son inéligibilité. Si la preuve n’en estrapportée qu’ultérieurement, le fait entraîne la déchéance du mandat de l’intéressé dans les conditionsprévues aux articles L. 1442-13-2 à L. 1442-14 et L. 1442-16-1 à L. 1442-16-2. »

2. OBLIGATION DE FORMATION INITIALE POUR LES CONSEILLERS‘ « Les conseillers prud’hommes suivent une formation initiale à l’exercice de leur fonction juridictionnelle

et une formation continue. Tout conseiller prud’homme qui n’a pas satisfait à l’obligation de formation initiale dans un délai fixé par décret est réputé démissionnaire. »

‘ « Les employeurs accordent aux salariés de leur entreprise, membres d’un conseil de prud’hommes, cinqjours d’autorisations d’absence pour les besoins de leur formation initiale prévue à l’article L. 1442-1. »

3. CRÉATION D’UN BUREAU DE JUGEMENT RESTREINT‘ « En cas d’échec de la conciliation, si le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judi-

ciaire, le bureau de conciliation et d’orientation peut, avec l’accord des deux parties, en raison de la naturede l’affaire, renvoyer celle-ci devant le bureau de jugement dans sa composition restreinte mentionnée àl’article L. 1423-131. À défaut, l’affaire est renvoyée devant le bureau de jugement mentionné à l’article L. 1423-122. »

‘ « Le bureau de jugement dans la composition restreinte mentionnée au premier alinéa statue dans undélai de trois mois. »

1. Cet article dispose que « Le bureau de conciliation et la formation de référé se composent d'un conseiller prud'homme employeur et d'un conseiller prud'homme salarié. »2. Cet article dispose que « Le bureau de jugement se compose d'un nombre égal d'employeurs et de salariés, incluant le président ou le vice-président siégeant alternativement. »

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4. POSSIBILITÉ D’ALLER DIRECTEMENT DE LA PHASE DE CONCILIATION À LA FORMATION DE JUGEMENT PRÉSIDÉE PAR UN JUGE PROFESSIONNEL

‘ « En cas d’échec de la conciliation, le bureau de conciliation et d’orientation peut, d’office, en raison de lanature de l’affaire, renvoyer celle-ci devant la formation de jugement présidée par le juge désigné enapplication de l’article L. 1454-2. »

5. POSSIBILITÉ POUR LE PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR D’APPEL D’INTERVENIR EN CAS D’INTERRUPTION DURABLE DU FONCTIONNEMENT D’UN CONSEIL DES PRUD’HOMMES

‘ « En cas d’interruption durable de son fonctionnement ou de difficultés graves rendant ce fonctionnementimpossible dans des conditions normales, le premier président de la cour d’appel désigne un ou plusieursjuges du ressort de la cour pour connaître des affaires inscrites au rôle du conseil de prud’hommes. Il fixe ladate à compter de laquelle les affaires sont provisoirement soumises à ce ou ces juges. »

6. RÉNOVATION DU CADRE DISCIPLINAIRE APPLICABLE AUX PERSONNES PARTICIPANTÀ L’EXERCICE DE LA JUSTICE PRUD’HOMALE

‘ « En dehors de toute action disciplinaire, les premiers présidents de cour d’appel peuvent donner un aver-tissement aux conseillers prud’hommes des conseils de prud’hommes situés dans le ressort de leur cour. »

‘ « Le pouvoir disciplinaire est exercé par une commission nationale de discipline qui est présidée par unprésident de chambre à la Cour de cassation, désigné par le premier président de la Cour de cassation. »

‘ « La commission nationale de discipline peut être saisie par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, ou lepremier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le conseil de prud’hommes auquel appartientle conseiller prud’homme mis en cause a son siège, après audition de celui-ci par le premier président. »

‘ « Sur proposition du garde des Sceaux, ministre de la Justice, ou du premier président de la cour d’appel dansle ressort de laquelle le conseil de prud’hommes auquel le conseiller prud’homme mis en cause appartient ason siège, le président de la commission nationale de discipline peut suspendre un conseiller prud’homme,pour une durée qui ne peut excéder six mois, lorsqu’il existe contre l’intéressé, qui aura été préalablemententendu par le premier président, des faits de nature à entraîner une sanction disciplinaire. »

7. CRÉATION DU STATUT DU DÉFENSEUR SYNDICAL‘ « Le défenseur syndical exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de

prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale. Il est inscrit sur une liste arrêtée par l’autoritéadministrative sur présentation par les organisations représentatives d’employeurs et de salariés auniveau national dans les conditions définies par décret. »

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3. ÉLÉMENTS D’ÉVALUATION EMPIRIQUE EXISTANTSLes mesures principales de la loi visent à améliorer la qualité de la justice prud’homale en raccourcissant lesdélais des procédures et en améliorant la formation et le contrôle disciplinaire des conseillers prud’homaux.

Les enjeux de cette réforme sont importants3. En 2013, la longueur des procédures est telle que l'État a etecondamne51 fois pour déni de justice en matière prud’homale. Le taux d’appel des décisions est de 62 % en2012 contre 19,6 % pour les tribunaux de grande instance et 6,3 % pour les tribunaux d’instance. Le tauxd’appel est en augmentation de 6 points depuis 2004. Certes, le taux d’appel élevé peut être lié à la spécificitédes relations du travail qui peuvent être particulièrement conflictuelles. Mais il n’en reste pas moins que letaux de confirmation des décisions en matière prud’homale, de 28,3 %, est nettement plus faible que dansles tribunaux de grande instance (46,4 %) et d’instance (46 %).

Cette fiche éclaire, à la lumière des travaux universitaires, les effets potentiels de la professionnalisation desconseillers prud’homaux et de la réduction des délais de procédure sur les coûts de licenciement, sur le sen-timent de sécurité de l’emploi, sur l’emploi et sur la productivité.

3.1. LA PROFESSIONNALISATION DE LA JUSTICE PRUD’HOMALELa réforme vise à professionnaliser la Justice et à améliorer la qualité et la prévisibilité des jugements : formation des conseillers, renforcement de leurs obligations déontologiques, notamment la suppressiondu mandat impératif, refonte de leur cadre disciplinaire et création du défenseur syndical.

Les dispositifs de la loi qui renforcent la professionnalisation des conseillers prud’homaux sont susceptiblesde réduire le degré d’incertitude lié au fait que différents jugements peuvent être rendus pour une mêmesituation objective selon les contextes locaux ou selon l’appartenance syndicale des conseillers. Des juge-ments plus prévisibles améliorent la qualité des saisines. Une meilleure prévisibilité décourage les recours apriori injustifiés, motivés par l’espoir de gagner un procès du fait d’une erreur de jugement. Elle encourageaussi les recours a priori justifiés, qui ont plus de chance de réussir. Elle garantit donc une meilleure applica-tion du droit.

Plusieurs études ont montré que l’issue des jugements est sensible au contexte local. Deux études ontnotamment établi que le contexte local du marché du travail avait une influence sur les juges. Ainsi, selonIchino et al. (2003) qui se basent sur les données collectées par une banque italienne présente dans 20 régions et employant au total 18 000 salariés sur la période allant de 1979 à 1995, le taux de chômagelocal a bien une influence sur les comportements des individus et des juges. Une hausse du taux de chômagelocal d’un point augmente la probabilité d’un procès de 0,2 point ; lorsque le chômage de la région augmented’un point, le taux de victoire de l’entreprise diminue de 1,9 point. Inversement, une étude récente de Marinescu (2008) qui porte sur le Royaume-Uni, pour la période 1985-2001, indique que les jugementssont plutôt à l’avantage des salariés quand le contexte de l’emploi est favorable. Ces jugements proviennentd’employment tribunals qui rassemblent un président (magistrat professionnel) et deux assesseurs (layjudges), l’un représentant les employeurs, l’autre représentant les employés. Les juges professionnels ysont donc plus présents que dans les juridictions prud’homales. Marinescu trouve ainsi que le pourcentagede succès des salariés est négativement corrélé au taux de chômage.

3. Les chiffres qui suivent proviennent du rapport Lacabarats (2014).

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En France, le contexte local se caractérise notamment par la composante syndicale des conseils deprud’hommes. Desrieux et Espinosa (2015) trouvent que les jugements des prud’hommes sont significati-vement influencés par la composition syndicale. Lorsqu’il y a une plus forte proportion de conseillersprud’homaux issus de listes soutenues par la CGT, les salariés ont moins de chance d’obtenir un jugementqui leur est favorable. En revanche, le taux d’abandon des recours qu’ils ont initiés est plus important, ce quisuggère que les employeurs sont plus enclins à trouver un accord avec leurs salariés afin d’éviter d’êtreconfrontés à une juridiction prud’homale qui leur serait peu favorable.

Les études suggèrent néanmoins que la sensibilité au contexte décroît avec le degré de professionnalisationdes juges. Sans que l’analyse soit directement transposable à la problématique des prud’hommes, Philippeet Ouss (2014) s'intéressent à l'effet des médias sur les décisions de justice prises par des juges professionnelsou des jurys en matière criminelle. L'article utilise l'univers des condamnations de 2004 à 2010 ainsi qu'unebase décrivant l'ensemble des reportages des journaux télévisés de TF1 et de France 2 sur la même période.Il apparaît que les médias influencent les peines prononcées par les jurys, mais pas celles des magistrats pro-fessionnels. Un reportage additionnel sur les crimes augmente les peines prononcées le lendemain enmatière criminelle de 24 jours, tandis qu'un reportage additionnel sur les erreurs judiciaires diminue lespeines prononcées par les jurés le lendemain de 37 jours. Une étude de Gulhrie, Rachlinski et Wistrich (2002)qui porte sur une population de magistrats professionnels aux États-Unis obtient des résultats de mêmenature : elle montre que les décisions des juges professionnels sont moins sensibles à la façon dont sont présentées les affaires que d’autres populations (en général des étudiants de très bonnes universités améri-caines). Ainsi, les études disponibles suggèrent que la professionnalisation des conseillers prud’homaux,prise en charge par les magistrats professionnels, est susceptible d’améliorer la prévisibilité des jugements.L’impact de la professionnalisation sur les coûts de licenciement n’est cependant pas évident. En effet, lamise en œuvre de la jurisprudence sur la rupture du contrat de travail, extrêmement complexe, nourrit uneforte incertitude qui ne semble pas uniquement liée au manque de professionnalisation des conseillersprud’homaux (Ray, 2014). Ainsi, en 2013, le taux de cassation des arrêts rendus par les cours d’appel est de51 % à la chambre sociale, contre 26 % à la chambre commerciale, 33 % à la première chambre civile et 16 %à la chambre criminelle.

3.2. LES EFFETS ATTENDUS DE LA RÉDUCTION DES DÉLAISLa réforme de la Justice des prud’hommes vise à raccourcir la durée des jugements grâce à plusieurs disposi-tions : création d’un bureau de jugement restreint, possibilité d’aller directement de la phase de conciliationà la formation de jugement, faculté donnée au premier président de la cour d’appel d’intervenir en cas d’in-terruption durable du fonctionnement d’un conseil des prud’hommes.

Nous avons vu que la professionnalisation, en améliorant la prévisibilité des jugements, entraîne sans ambi-guïté des effets positifs pour les salariés et les entreprises. En revanche, la réduction des délais de procédurepeut avoir des effets plus ambivalents dans un contexte de forte insécurité juridique.

La réduction des délais de jugement diminue le coût de l’accès à l’arbitrage prud’homal pour les deux parties.Cette réduction des délais entraîne un gain d’efficacité en réduisant les dépenses, pour les salariés commepour les entreprises, liées au règlement des litiges. Son premier effet, clairement bénéfique, est ainsi de faciliterl’accès à un procès.

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Mais, en réduisant le coût d’accès aux recours pour les parties, la réduction des délais est aussi susceptibled’entraîner une augmentation du nombre d’affaires qui ne seraient pas portées devant la justice prud’homalepar crainte de délais trop longs. La contribution récente de Fraisse, Kramarz et Prost (2015) suggère qu’uneamélioration de la procédure de conciliation observée à Grenoble a pu accroître le nombre de recours. Ceci ade fait entraîné une augmentation globale des coûts de licenciements pour les entreprises. Plus généralementl’impact, pour les entreprises, de la réduction des durées des procédures sur le coût de licenciement dépenddu contexte. Si l’issue des procédures est très incertaine, la diminution de leur coût peut entraîner unaccroissement du nombre de recours de la part de salariés qui espèrent obtenir un dédommagement pourun préjudice qui n’est pas nécessairement avéré. Dans le contexte français, pour être efficace, la réductiondes délais des jugements doit donc s’accompagner d’une amélioration significative de la prévisibilité desjugements.

3.3. EFFET SUR LE BIEN-ÊTRE ET SENTIMENT DE SÉCURITÉ DE L’EMPLOIL’impact potentiel de la loi sur le sentiment de sécurité de l’emploi des salariés est éclairé par une étuderécente de Fraisse, Prost et Roux (2015). Le sentiment de sécurité de l’emploi est évalué à partir de la ques-tion : « Pourriez-vous indiquer, sur une échelle allant de 1 (pas satisfait du tout) à 6 (très satisfait), votredegré de satisfaction vis-à-vis de la sécurité de votre emploi ? ». La diminution des délais de procédureprud’homale améliore le sentiment de ssécurité de l’emploi des salariés. Les salariés se sentent mieux sécu-risés lorsqu’ils peuvent obtenir plus rapidement réparations d’éventuels préjudices.

La réduction des délais combinée à une amélioration de la prévisibilité des jugements visée par la loi estdonc susceptible d’améliorer le sentiment de sécurité de l’emploi des salariés.

3.4. EFFETS SUR L’EMPLOIDe nombreux travaux empiriques étudient l’impact des coûts de licenciement supportés par les entreprisessur le fonctionnement du marché du travail. Ces travaux montrent que des coûts de licenciement plus éle-vés diminuent les destructions d’emploi, les créations d’emploi et ont généralement un effet négatif surl’emploi (voir la synthèse présentée dans Cahuc, Carcillo et Zylberberg, 2014).

A priori, les objectifs visés par le projet de loi, de diminution des délais des procédures et de l’amélioration dela prévisibilité des jugements, devraient aboutir à une meilleure sécurité juridique pour les salariés et à uneréduction des coûts de licenciement pour les entreprises. En conséquence, la durée du chômage devraitdiminuer et les effets sur l’emploi devraient à terme être positifs.

L’amélioration de la prévisibilité des jugements en réduisant les coûts de recours pour les deux parties et enaméliorant la qualité des saisines a des effets bénéfiques pour les salariés et pour les employeurs. Elledevrait se traduire par un accroissement de l’emploi.

Néanmoins, comme nous l’avons souligné plus haut, la réduction des délais des procédures ne se traduit pasnécessairement par une diminution des coûts de licenciement pour les entreprises car elle peut accroître lafréquence des recours de la part des salariés. C’est ce que suggère l’étude de Fraisse, Prost et Kramarz (2015).

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Celle-ci montre que l’accroissement du taux de conciliation dans la région de Grenoble a entraîné une dimi-nution des destructions et des créations d’emploi. La diminution du coût des recours liée à une augmentationdu nombre d’avocats a le même effet : elle réduit les créations et destructions d’emploi. Cette diminution dela rotation des emplois traduit un accroissement des coûts de licenciement pour les entreprises, confron-tées à des recours plus fréquents. Selon ces auteurs, l’effet net sur l’emploi est positif à l’horizon d’uneannée. Cet impact positif sur l’emploi à court terme peut résulter du fait que des coûts de licenciement plusélevés ont un impact plus rapide sur les destructions d’emploi que sur les créations d’emploi. Ainsi, à plus longterme, la réduction des créations d’emploi induite par l’accroissement des coûts de licenciement pourraitaboutir à une réduction de l’emploi.

Cet exemple montre qu’une réforme partielle qui réduit la durée des procédures sans modifier substantiel-lement l’incertitude juridique a un impact ambigu sur les coûts de licenciement du fait de la réponse du nom-bre de recours.

Ainsi, l’impact de la loi sur l’emploi ne pourra être positif que si elle combine la réduction de la procédureavec une amélioration significative de la prévisibilité des jugements.

3.5. EFFETS SUR LA PRODUCTIVITÉL’effet de la réforme sur la productivité – comme sur l’emploi – dépend de sa capacité à combiner efficace-ment réduction des délais de procédure et prévisibilité des jugements pour réduire les coûts de litiges pourles salariés et pour les entreprises. Si les coûts des litiges diminuent pour les deux parties, la loi peut avoir unimpact positif sur la productivité.

En effet, de nombreuses études ont montré qu’une diminution des coûts de licenciement améliore la producti-vité. Plusieurs canaux ont été identifiés : une meilleure allocation du facteur travail vers les entreprises les plusinnovantes, une meilleure adaptabilité des entreprises à la conjoncture, ou encore un meilleur investissementdes salariés dans l’entreprise. Par exemple, Autor et al. (2006) montrent qu’une jurisprudence plus protectricedes travailleurs aux États-Unis a conduit à une baisse de la productivité. Bassanini et al. (2009) mettent en évi-dence des effets négatifs de la protection de l’emploi sur la productivité globale des facteurs. Cingano et al.(2013), Micco et Pagés (2006), ou encore Martins (2009) aboutissent à des résultats similaires.

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RÉCAPITULATIF DES EFFETS(EXEMPLE NON LIMITATIF)

INDICATEUR RETENU SENS DE L’EFFET

Sécurité juridique Positifs

Emploi Positifs - incertains

Productivité Positifs - incertains

Sentiment de sécurité de l’emploi En général positifs

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RÉFÉRENCESAutor, D., Donohue, J. et Schwab, S. (2006), “The costs of wrongful discharge laws”, Review of Economics andStatistics, 88(2), p. 211–231.

Bassanini, A., Nunziata L. et Venn, D. (2009), “Job protection legislation and productivity growth in OECDcountries”, Economic Policy, 24, p. 349–402.

Cahuc, P., Carcillo, S et Zylberberg, A. (2014), Labor Economics, MIT Press.

Cingano, F., Leonardi, M., Messina, J. et Pica, G. (2013), “Employment protection legislation, capital investmentand access to credit: Evidence from Italy”, mimeo.

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Desrieux, C. et Espinosa, R. (2015), “Do Employers Fear Unions in Labor Courts? Theory and Evidence fromFrench Labor Courts”, Document de travail, Université Paris 2.

Fraisse, H., Kramarz, F. et Prost, C. (2015), “Labor Disputes and Job Flows”, à paraître dans Industrial LaborRelations Review.

Fraisse, H., Prost, C. et Rioux, L. (2015), "Sentiment de sécurité en emploi : l’effet des indemnités chômage et de la justice prud’homale", à paraître dans Économie et Prévision.

Guthrie, C., Rachlinski, J. J., et Wistrich, A. J. (2002), “Judging by Heuristic- Cognitive Illusions in Judicial DecisionMaking”, Judicature (86) 44.

Huang, Chun-chieh (2009), "Employment Effect of Dismissal Pay in the Presence of Judicial Mistakes",International Review of Law and Economics Vol. 29, No. 1, p. 38-46.

Ichino A., Polo M., Rettore E. (2003), “Are Judges Biased by Labor Market Conditions?” European EconomicReview, Vol. 47, No. 5, p. 913–44.

Lacabarat, A. (2014), L'avenir des juridictions du travail. Vers un tribunal prud’homal du XXIè siècle, rapport à Madame la garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Lepage-Saucier, N. (2009), “Flex-time or Flex Work? Is Employment Protection the Price of EmploymentProtection”, Tech. rep., Sciences Po, Paris and Université du Québec à Montréal.

Lepage-Saucier, N. et Wasmer, E. (2013), “Does employment protection raise stress? A cross-country andcross-province analysis”, Document de travail UQAM et Ensai, à paraître.

Marinescu, I. (2008), “Are judges sensitive to economic conditions? Evidence from UK Employment Tribunals”,Working Paper No. 0802, Harris School of Public Policy Studies, University of Chicago.

Martins, P. (2009), “Dismissals for cause: The difference that just eight paragraphs can make”, Journal of LaborEconomics, 27(2), p. 257–279.

Micco, A. et Pagés, C. (2006), “The economic effects of employment protection: Evidence from internationalindustry-level data”, IZA Discussion Paper n° 2433.

Philippe, A. , Ouss, A., (2014), “No hatred or malice, fear or affection: Media and sentencing”, Mimeo CREST.

Postel-Vinay, F. et Saint-Martin, A. (2005), Comment les salariés perçoivent-ils la protection de l'emploi ?,Économie et Statistique n° 372, p. 41-59.

Ray, J.E. (2014), Droit du travail, Droit vivant, Éditions Liaisons.

RÉ-FORMES

Antoine Bozio, directeur de l’Institutdes politiquespubliques (IPP),chercheur associé de l’Ecole d’économiede Paris et enseignantà l’EHESS, membre du CAE

Pierre Cahuc, directeur dulaboratoire demacroéconomie du CREST-ENSAE,professeur à l’Écolepolytechnique,membre du CAE

Philippe Choné, professeur à l’ENSAE

Anne Epaulard, professeure à Paris-Dauphine, conseillèrescientifique auprès deFrance Stratégie

Marc Ferracci, professeur à l'Université de Nantes - LEMNAMembre du Crest -Laboratoire demicroéconométrie

Giuseppe Nicoletti, chef de la Division de l’Analyse des politiquesstructurelles,Département desaffaires économiques,OCDE

Anne Perrot(présidente), professeure à Paris-Iet à l’ENSAE, associéedu cabinet de conseilMAPP

Jérôme Philippe, avocat à la Cour,associé du cabinetFreshfields BruckhausDeringer

André Sapir, professeur àl’Université Libre de Bruxelles, membrede Bruegel

Etienne Wasmer, professeur à SciencesPo et co-directeur du LIEPP (Laboratoireinterdisciplinaired’évaluation despolitiques publiques),membre du CAE

COMPOSITION DE LA COMMISSION

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