1
"Jurisprudence récente de la Cour de Justice de l'Union européenne et des juridictions administratives (suprêmes) dans le contentieux des marchés
publics"
LUXEMBOURG
1. Organisation juridictionnelle nationale
Remarque préliminaire :
L’organisation juridictionnelle nationale au Luxembourg en matière de marchés publics se trouve
réglementée pour l’essentiel par la loi du 10 novembre 2010 instituant les recours en matière de
marchés publics, telle que modifiée par la loi du 26 décembre 2012, ci-après la « loi du 10 novembre
2010 ». Lesdites lois ont transposé en droit luxembourgeois la Directive 2007/66/CE du
Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 modifiant les directives 89/665/CEE
du 21 décembre 1989 et 92/13/CEE du 25 février 1992 du Conseil en ce qui concerne
l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés
publics, ainsi que la Directive 2009/81/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet
2009 relative à la coordination des procédures de passation de certains marchés de travaux, de
fournitures et de services par des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les
domaines de la défense et de la sécurité, et modifiant les directives 2004/17/CE et 2014/18/CE.
D’après l’article 22 de la loi du 10 novembre 2010, la loi modifiée du 13 mars 1993 relative à
l’exécution en droit luxembourgeois de la directive 89/665/CEE et la loi du 27 juillet 1997
relative à l’exécution en droit luxembourgeois de la directive 92/13/CEE sont abrogées.
La loi du 10 novembre 2010 ne s’applique pas à tous les marchés publics mais concerne
uniquement les marchés des livres II et III de la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés
publics, ci-après la « loi du 25 juin 2009 », c’est-à-dire les marchés publics d’une certaine
envergure et les marchés publics dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des
services postaux.
1.1. Quelle juridiction est chargée de l'application des procédures de recours en matière
de passation des marchés publics entrant dans le champ d’application des
directives ?
1.1.1. Est-ce une juridiction administrative ou civile ou spéciale ou une instance
d’une autre nature ?
De façon sommaire, on peut dire que les juridictions chargées de l’application des
procédures de recours en matière de marchés publics sont à la fois les juridictions
administratives et les juridictions judiciaires ou civiles. Aucune juridiction spéciale ou
instance d’une autre nature n’a été prévue en droit luxembourgeois.
2
1.1.2. Y-a-t-il une répartition des rôles entre ces juridictions (contentieux de la
décision motivée ? indemnisation ? déclaration d’absence d’effets ? … ?)
En droit luxembourgeois, il existe une séparation stricte des compétences entre la
juridiction administrative et la juridiction civile en fonction de la nature de l’action
intentée en justice.
- Ainsi, depuis la loi précitée du 13 mars 1993, le droit luxembourgeois connaît une
procédure qui permet à une personne qui s’estime lésée par une violation du droit
communautaire ou du droit national en matière de marchés publics de saisir le
président du tribunal administratif à un stade précontractuel. Les dispositions y
relatives inscrites à la loi du 13 mars 1993, entretemps abrogée, ont été intégrées
dans la loi du 10 novembre 2010. La procédure est qualifiée de référé
précontractuel et se trouve notamment réglementée aux articles 3 et 4 de la loi du
10 novembre 2010.
Le président du tribunal administratif peut ordonner au provisoire toutes les
mesures nécessaires qui ont pour but de faire corriger la violation alléguée ou
d’empêcher d’autres dommages d’être causés aux intérêts concernés, y compris des
mesures destinées à suspendre ou faire suspendre la procédure de passation du
marché en cause tant que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice n’a pas
procédé à la correction ordonnée. Il peut notamment supprimer des spécifications
techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les
documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout
autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause. La
procédure du référé précontractuel n’a vocation à s’appliquer que dans la phase
préalable à la décision portant adjudication du marché.
Le soumissionnaire n’a pas besoin de déposer parallèlement un recours au fond et
les mesures ordonnées ne font plus l’objet, plus tard, d’un examen par le juge du
fond. Les mesures ordonnées par le président du tribunal administratif sont
qualifiées de provisoires dans le sens qu’elles se situent avant la décision
d’adjudication mais elles sont définitives en ce qu’elles ne font plus l’objet d’un
examen par le juge du fond.
Ainsi, il a été décidé à plusieurs reprises que « le tribunal administratif est incompétent
pour faire supprimer dans le cahier des charges des clauses incompatibles avec le droit
communautaire, ce pouvoir appartenant au seul président du tribunal statuant en référé ». (voir
notamment Cour adm. 29 novembre 2001, n° 12592C du rôle).
Aux termes de l’article 4 de la loi du 10 novembre 2010, le président du tribunal
administratif peut décider de ne pas accorder les mesures sollicitées lorsqu’une
comparaison des conséquences probables des mesures pour tous les intérêts
3
susceptibles d’être lésés, ainsi que de l’intérêt public, révèle que les conséquences
négatives de ces mesures pourraient dépasser leurs avantages.
L’introduction d’une demande sur le fondement de l’article 3 de la loi du 10
novembre 2010 a un effet suspensif, le pouvoir adjudicateur ou l’entité
adjudicatrice étant tenus de sursoir à la poursuite de la procédure de mise en
concurrence, voire à la décision d’adjudication jusqu’à la notification de
l’ordonnance de référé.
L’ordonnance de référé est susceptible d’appel. Faute de dispositions procédurales
spécifiques, l’appel devra être porté devant la Cour administrative, juridiction
administrative suprême au Luxembourg, siégeant en formation collégiale (3
magistrats), d’après les règles procédurales se dégageant de la loi modifiée du 21
juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-
après « la loi du 21 juin 1999 ». A noter que le législateur a omis de prévoir une
suspension de la procédure de passation de marché pendant la durée de l’instance
d’appel, omission expliquant peut-être l’absence de saisine à ce jour de la Cour
administrative comme juridiction d’appel en matière de référé précontractuel.
- Il existe ensuite la possibilité d’introduire sur base de l’article 6 de la loi du 10
novembre 2010, de nouveau devant le président du tribunal administratif, une
demande en sursis à exécution pendant le laps de temps qui se situe entre la
décision d’adjudication et la signature du contrat. Le soumissionnaire écarté peut
user de cette possibilité uniquement en introduisant de manière parallèle au fond un
recours en annulation devant le tribunal administratif, siégeant en formation
collégiale (3 magistrats). La demande de sursis à exécution tend à empêcher que le
contrat n’ait pas déjà reçu exécution au moment où le tribunal administratif
décidera sur le fond de l’affaire.
Pareil sursis ne peut cependant être accordé par le président du tribunal
administratif aussi longtemps que le contrat n’a pas été signé, la loi du 10 novembre
2010 prenant soin de prévoir un délai de suspension de 10 respectivement 15 jours
selon le moyen de communication utilisé (article 5 de la loi du 10 novembre 2010)
pendant lequel la conclusion du contrat qui suit la décision d’adjudication d’un
marché ne peut avoir lieu. L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 précise
expressément que le président du tribunal administratif peut être saisi endéans les
délais prévus à l’article 5 conformément aux règles procédurales inscrites à l’article
11 de la loi du 21 juin 1999.
A noter cependant que l’ordonnance du président du tribunal administratif en
matière de sursis à exécution n’est pas susceptible d’appel.
- La grande nouveauté de la loi du novembre 2010 est, aux termes des articles 9 à 15,
la déclaration sans effet d’un marché public déjà signé, manière la plus efficace de
4
rétablir la concurrence et de créer de nouvelles perspectives commerciales pour les
entreprises qui ont été privées illégalement de la possibilité de participer à une
procédure de passation. L’article 9 de la loi du 10 novembre 2010 attribue cette
compétence nouvelle au président des juridictions civiles, à savoir président du
tribunal d’arrondissement siégeant comme juge des référés.
Indiquons brièvement les cas d’ouverture de cette voie de recours juridictionnelle, à
savoir la non-publication de l’avis de marché, la méconnaissance des droits garantis
par la loi elle-même (non-respect de l’obligation de surseoir à la poursuite de la
procédure de mise en concurrence ou à la décision d’adjudication jusqu’à la
notification de l’ordonnance de référé prise sur base de l’article 4 de la loi du 10
novembre 2010, non-respect du délai de différé de signature, non-respect de
l’obligation de surseoir à la conclusion du contrat si le président du tribunal
administratif a été saisi pendant le délai de suspension de signature sur base de
l’article 6 de la loi du 10 novembre 2010) et la violation des dispositions régissant
l’attribution de marchés fondés sur un accord cadre.
L’ordonnance du président du tribunal d’arrondissement est susceptible de faire
l’objet d’un appel devant la Cour d’Appel de Luxembourg, siégeant en matière de
référé (3 magistrats).
- Comme déjà indiqué ci-avant, une décision d’attribution du marché peut être
attaquée au fond par l’introduction d’un recours en annulation devant le tribunal
administratif siégeant en formation collégiale. En effet, le tribunal administratif est
compétent pour connaître de la régularité de la décision unilatérale du pouvoir
adjudicateur de choisir le mode de passation d’un marché public déterminé, de
même qu’il est compétent pour connaître de la régularité de la décision d’attribution
concrète dudit marché.
Appel peut être formé devant la Cour administrative siégeant en formation
collégiale (3 magistrats).
- Par contre, le contentieux ayant trait à la conclusion d’un contrat de marché public
relève du juge judiciaire, de même que le recours en indemnisation (dommages-
intérêts). Lesdits recours sont portés devant le tribunal d’arrondissement siégeant
en formation collégiale avec possibilité d’appel devant la Cour d’Appel.
1.1.3. Quel est le rôle exact de la cour administrative suprême dans le contentieux des
marchés publics (juge de plein contentieux, juge de cassation, juge de l’excès
de pouvoir ?)
Comme relevé ci-avant, la Cour administrative, juridiction administrative suprême au
Luxembourg, dispose d’une double compétence au niveau du contentieux des marchés
publics.
5
Ainsi, elle peut être appelée à siéger comme juridiction d’appel à l’encontre des
ordonnances du président du tribunal administratif prises sur base des articles 3 et 4 de
la loi du 10 novembre 2010, à savoir en matière de référé précontractuel. Aucune
affaire n’a été introduite à ce jour devant la Cour administrative sur cette base.
Cependant, la Cour administrative est également appelée à connaître comme juridiction
de fond des appels dirigés contre les jugements du tribunal administratif.
En effet, en vertu de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant
organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après « la loi du 7 novembre
1996 », le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès
et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinés à protéger les
intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun
autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements.
Pour tous ces recours, l’article 2 (3) de la loi du 7 novembre 1996 prévoit qu’appel peut
être interjeté devant la Cour administrative.
Ainsi, la juridiction administrative est compétente comme juge de l’annulation pour
connaître de la régularité de la décision unilatérale du pouvoir adjudicateur de choisir le
mode de passation d’un marché public déterminé, de même qu’elle est compétente
pour connaître de la régularité de la décision d’attribution concrète dudit marché. - La
loi ne prévoyant pas de recours en réformation en matière de marchés publics, la
juridiction administrative, au-delà de sa compétence de droit commun lui permettant
d'annuler l'attribution d'un marché qu'elle estime illégale, est incompétente pour
attribuer le marché à un soumissionnaire. - Il n'incombe pas à la juridiction
administrative en tant que juge de la légalité de substituer son appréciation à celle du
commettant, mais de contrôler si l'appréciation de ce dernier repose sur des critères
objectifs et s'est opérée d'une manière non arbitraire. – Ainsi, le juge administratif est
appelé à respecter le pouvoir d'appréciation du commettant, son contrôle consistant à
vérifier si les faits à la base de la décision sont établis et si la mesure prise est
proportionnelle par rapport aux faits établis, seule une erreur manifeste d'appréciation
de l'autorité ayant pris la décision déférée étant à sanctionner en conséquence.
1.1.4. Est-ce que la répartition des compétences entre les juridictions change par
rapport aux procédures pour des actions qui sont introduites après la conclusion
du marché ?
En droit luxembourgeois, la conclusion du contrat suite à une décision d’adjudication
est de nature purement civile et constitue un acte détachable de la décision
d’adjudication. Ainsi, en matière de soumissions publiques, l’annulation ab initio d’un
marché public ne saurait affecter l’intégrité juridique du contrat qui s’est formé au
moment de l’adjudication entre le commettant et l’adjudicataire. – Admettre le
6
contraire impliquerait que la décision du juge administratif règle le sort d’un droit civil,
lequel relève cependant de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire.
Ainsi, s'il est incontestable que le juge administratif n'est pas le juge des contrats que les
personnes publiques passent avec les personnes privées et ne saurait prétendre pouvoir
s'y immiscer, il n'en reste pas moins qu'il est compétent pour connaître de la régularité
de la décision unilatérale du pouvoir adjudicateur de choisir le mode de passation d'un
marché public déterminé, de même qu'il est compétent pour connaître de la régularité
de la décision d'attribution concrète dudit marché. En effet, la conclusion d'un contrat
de marché public, acte de gestion relevant du juge judiciaire pour ce qui est de son
interprétation et de son exécution, est nécessairement précédée d'une opération
administrative conduisant au choix du mode de passation voire au choix du
cocontractant. Or, les choix opérés précédant l'acte d'exécution s'analysent en des actes
administratifs susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation devant le juge
administratif.
Le contrôle exercé par le juge administratif reste possible même après la conclusion du
contrat de marché public, à condition qu’il soit exercé dans le délai légal, à savoir le
délai de droit commun de 3 mois après la prise de connaissance de la décision
d’adjudication.
La conclusion du contrat de marché public n’a dès lors pas d’incidence proprement dite
sur la répartition des compétences entre les juridictions administratives et les
juridictions civiles, mise à part l’hypothèse déjà relevé ci-avant, du président du tribunal
administratif siégeant en matière de référé qui, saisi d’une demande en sursis à
exécution pendant le laps de temps se situant entre la décision d’adjudication et la
signature du contrat, ne peut accorder pareil sursis qu’aussi longtemps que le contrat
n’a pas été signé.
2. Durée des procédures juridictionnelles
2.1. Existe-t-il des moyens ou procédures spécifiques pour vérifier que la procédure
nationale appliquée soit efficace et rapide (par exemple : échéances spécifiques pour
statuer sur les mesures provisoires, etc.) ?
Au Luxembourg, il n’existe pas de moyens ou procédures spécifiques en vue de vérifier si la
procédure nationale appliquée est efficace et rapide. Il se dégage cependant des chiffres
indiqués au tableau ci-dessous qu’en moyenne une procédure devant le président du tribunal
administratif, siégeant en matière de référé, est vidée dans un délai approximatif d’un peu
plus de 20 jours calendriers.
Concernant les affaires au fond, il convient de signaler que la procédure devant les
juridictions administratives est écrite et que la loi du 21 juin 1999 prévoit au niveau de
7
l’instruction des affaires des délais stricts sous peine de forclusion, à savoir en première
instance 3 mois pour la réponse suite au dépôt du recours introductif, 1 mois pour la
réplique et 1 mois pour la duplique. En appel, la réponse doit intervenir 1 mois après le
dépôt de l’acte d’appel, ensuite 1 mois pour la réplique et 1 mois pour la duplique.
Si une partie au procès estime que son affaire est particulièrement urgente, les délais
d’instruction ordinaires peuvent être abrégés par ordonnance du président du tribunal ou de
la Cour (art. 5 (8) et 46 (5) de la loi du 21 juin 1999).
2.2. Mesure-t-on le délai moyen de traitement des affaires en marchés publics ? Avez-
vous des données spécifiques par type de procédure et par niveau juridictionnel
(instance)? Si oui, lesquelles ?
Le délai moyen de traitement des affaires en matière de marchés publics ne fait pas l’objet de
statistiques à part. Afin de fournir une réponse précise à ce niveau, les chiffres indiqués ci-
après pour les années 2013 et 2014 ont été calculés pour chaque affaire sur base des
décisions rendues par les juridictions administratives, que ce soit le président du tribunal
administratif siégeant en matière de référé, le tribunal administratif siégeant en première
instance, ainsi que la Cour administrative siégeant en dernier ressort. Le soussigné n’a pas pu
se procurer des chiffres concernant les délais de procédure devant les juridictions civiles.
Au cas où il n'aurait pas des statistiques disponibles sur la durée moyenne de ce type
de procédures, serait-il possible d'avoir une moyenne pour les cas traités par la
juridiction administrative suprême ?
Il se dégage du deuxième tableau ci-dessous que le contentieux en matière de marchés
publics devant la Cour administrative est extrêmement rare et que la juridiction
administrative suprême a uniquement eu à connaître de quatre (4) affaires en matière de
marchés publics au courant des années 2013 et 2014. Ces quatre procédures ont été vidées
dans des délais de 101, 179, 1.311 et 205 jours calendriers, le délai prolongé de 1.311 jours
s’expliquant par le fait que dans cette affaire la Cour administrative avait procédé à la
nomination de deux experts consultants ayant déposé chacun un rapport d’expertise.
8
Procédure en « mesures provisoires » (en ce compris la suspension)
Année de résolution
du cas
Nombre des
procédures en
matière de passation
de marchés publics
résolues dans la
Cour administrative
suprême dans l'année
de référence
Durée moyenne des procédures résolues
chaque année calculée en jours calendaires1
2013 : 23,43 jours
2014 : 20,89 jours
Première
instance2
Deuxième
instance3
Court
administrative
suprême-
Juridiction de
dernier
ressort3
2013 14
2014 9
Procédure au fond (annulation, déclaration d’absence d’effets, indemnisation, etc.)
Année de résolution
du cas
Nombre des
procédures en
matière de passation
de marchés publics
résolues dans la
Cour administrative
suprême dans l'année
de référence
Durée moyenne des procédures résolues
chaque année calculée en jours calendaires3
Première
instance4
2013 : 427
2014 : 473
Deuxième
instance3
Court
administrative
suprême-
Juridiction de
dernier
ressort3
101
179
1311
205
2013 3 12 3
2014 1 6 1
1 Pour le calcul, il faut inclure le jour où le recours est introduit et le jour où la décision est rendue.
2 Si applicable
3 Pour le calcul, il faut inclure le jour où le recours est introduit et le jour où la décision est rendue.
4 Si applicable
9
2.3. Les parties au contentieux peuvent-elles demander une accélération du délai de
jugement ? Si oui, dans toutes les instances ou seulement devant la cour
administrative suprême ? Si oui, dans quelle proportion des procédures utilise-t-on
cette possibilité ?
Comme relevé ci-avant (point 2.1.), une partie au procès estimant que son affaire est
particulièrement urgente peut demander que les délais d’instruction ordinaires soient abrégés
par ordonnance du président du tribunal ou de la Cour (art. 5 (8) et 46 (5) de la loi du 21 juin
1999). Cette possibilité existe dès lors tant au niveau du tribunal administratif que devant la
Cour administrative.
Or, comme les délais stricts au niveau de l’instruction des affaires, tels qu’indiqués au point
2.1. ci-avant sont impératifs et assez rapprochés, il est rarement fait usage de cette faculté. A
ce jour, il n’a pas encore été fait usage devant la Cour administrative de cette possibilité au
niveau du contentieux des marchés publics.
3. Dialogue entre la Cour administrative suprême et la CJUE
3.1. Combien de questions préjudicielles à la CJUE a posé votre Cour administrative
suprême à propos des marchés publics ?
A ce jour, la Cour administrative n’a pas encore posé de questions préjudicielles à la CJUE
en la matière des marchés publics.
3.2. Existe-t-il un service de documentation analysant systématiquement les arrêts de la
CJUE et informant les membres de la Cour administrative suprême des réponses
préjudicielles ?
Il n’existe aucun service de documentation chargé de l’analyse des arrêts de la CJUE avec
pour mission d’informer les membres des juridictions administratives des réponses apportées
aux questions préjudicielles, que ce soit en matière de marchés publics ou en toute autre
matière.
3.3. La Cour administrative suprême cite-t-elle la jurisprudence de la CJUE dans ses
décisions ou y fait-elle une référence matérielle ?
Il n’y a aucune règle ou pratique précise en la matière. Selon les compositions et le conseiller
rapporteur d’une affaire, la juridiction saisie est soit amenée à citer in extenso des passages
précis des arrêts de la CJUE, soit par simple référence.
10
4. Mise en œuvre des procédures de recours visées aux directives 89/665/CEE et
92/13/CEE
4.1. Est-ce que la Cour administrative suprême (ou une juridiction de rang inférieur) peut
déclarer un marché public dépourvu d'effets et/ou prononcer des sanctions de
substitution ou autres (d'après les directives 89/665/ECC ou 92/13/CEE) ex officio
ou seulement à condition que cela lui soit demandé ?
La loi du 10 novembre 2010 donne uniquement aux juridictions judiciaires
luxembourgeoises, et plus précisément au président du tribunal d’arrondissement siégeant
comme juge des référés, le pouvoir de déclarer qu’un contrat de marché public déjà signé et
dépourvu d’effets.
Ainsi, aux termes de l’article 9 de la loi du 10 novembre 2010 :
« Un marché est déclaré dépourvu d'effets par le président du tribunal d'arrondissement siégeant comme juge des référés :
1. si le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice a passé un marché sans avoir préalablement publié un avis de marché au Journal officiel de l'Union européenne, sans que cela soit autorisé en vertu des dispositions des livres II ou III de la loi sur les marchés publics; 2. en cas de violation des articles 4, alinéa (2), 5, 6, 20, paragraphe (5), ou de l'article 21, si cette violation a privé le soumissionnaire intentant un recours de la possibilité d'engager ou de mener à son terme un recours précontractuel lorsqu'une telle violation est accompagnée d'une violation des dispositions des livres II ou III de la loi sur les marchés publics respectivement des dispositions régissant le cahier général des charges applicables aux marchés publics d'une certaine envergure et le cahier général des charges applicables aux marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux telles que fixées par règlement grand-ducal, et si cette violation a compromis les chances du soumissionnaire intentant un recours d'obtenir le marché; 3. dans les cas visés à l'article 8, point c), deuxième alinéa.
La décision déclarant un marché dépourvu d'effets peut être subordonnée à une décision au fond établissant qu'une violation a été commise ».
De même, l’article 14 de la loi du 10 novembre 2010 donne le pouvoir au président du
tribunal d’arrondissement siégeant comme juge des référés de prononcer des sanctions de
substitution, article de la teneur suivante :
« (1) En cas de violation des articles 4, alinéa (2), 5, 6, 20, paragraphe (5) ou de l'article 21, sans que les conditions d'application de l'article 9, point b) ne soient remplies, le président du tribunal d'arrondissement siégeant comme juge des référés prononce des sanctions de substitution. (2) Les sanctions de substitution pouvant être prononcées suivant l'article 10, alinéa (2) et suivant l'article 14, paragraphe (1) doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Elles consistent :
11
- à imposer des pénalités financières au pouvoir adjudicateur ou à l'entité adjudicatrice, ou - à abréger la durée du marché.
Le président du tribunal d'arrondissement siégeant comme juge des référés tient compte de tous les facteurs pertinents, y compris la gravité de la violation, le comportement du pouvoir adjudicateur ou de l'entité adjudicatrice et, dans les cas visés à l'article 10 la mesure dans laquelle le contrat continue à produire des effets (…) ».
Cependant, le président du tribunal d’arrondissement n’a pas la possibilité de prononcer ces
sanctions ex officio.
En effet, aux termes de l’article 1er, alinéa 4, de la loi du 10 novembre 2010 « les procédures de
recours sont accessibles à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant
été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée de droit communautaire ou de droit national transposant
le droit communautaire en matière de marchés publics ».
Dès lors, les pouvoirs conférés au président du tribunal administratif et au président du
tribunal d’arrondissement en vertu de la loi du 10 novembre 2010 présupposent l’initiative
d’une personne justifiant d’un intérêt suffisant à agir.
4.2. Qui peut demander une déclaration d’absence d’effets ? La jurisprudence de l’arrêt
CJUE du 18 juillet 2007, Commission c/RFA, C-503/04, a-t-elle été intégrée dans le
droit national ?
Comme relevé ci-avant, toute personne justifiant d’un intérêt suffisant à agir peut saisir le
président du tribunal d’arrondissement en vue de voir déclarer un marché dépourvu d’effets
(article 1er, alinéa 4, de la loi du 10 novembre 2010).
L’affaire C-503/04 concerne un recours en manquement introduit par la Commission des
Communautés Européennes à l’encontre de l’Allemagne au motif que ledit Etat n’avait pas
pris les mesures suffisantes pour se conformer à un arrêt rendu par la CJUE (C-20/01 et C-
28/01) en ne procédant pas dans le délai requis à la résiliation d’un contrat conclu par une
ville allemande pour l’élimination de déchets en violation des dispositions communautaires
en matière de marchés publics.
Quant à l’intégration des enseignements de l’arrêt C-503/04 en droit national, il convient de
répondre par l’affirmative pour la problématique visée au point 23 dudit arrêt en relation
avec l’article 3 de la directive 89/665/CEE.
Ainsi, aux termes de l’article 17 de la loi du 10 novembre 2010 « tout pouvoir adjudicateur ou
entité adjudicatrice autre que l'Etat qui a fait l'objet d'une notification de la Commission européenne, en
application de l'article 3 de la directive 89/665/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 portant
coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des
procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures de travaux, ou en application
de l'article 8 de la directive 92/13/CEE du Conseil du 25 février 1992 portant coordination des
12
dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application de règles communautaires sur
les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des
transports et des télécommunications, telles que modifiées par la directive 2007/66/CE du Parlement
européen et du Conseil du 11 décembre 2007, est tenu de fournir à l'autorité déterminée par voie de règlement
grand-ducal, dans les dix jours de la notification, tous les documents et renseignements nécessaires à
l'élaboration de la communication à faire en application des directives précitées ».
Si l’enseignement à tirer de l’arrêt C-503/04 était d’intégrer en droit national une disposition
visant à faire cesser les effets de contrats conclus en violation des directives communautaires
en matière de marchés publics par une initiative de l’Etat concerné prenant des mesures
satisfaisantes comme suite à un arrêt de la CJUE, la législation luxembourgeoise ne prévoit
pas à l’heure actuelle la possibilité pour l’Etat de saisir le président du tribunal
d’arrondissement en vue de voir déclarer le marché en cause dépourvu d’effets, cette
procédure n’étant accessible qu’aux seules personnes ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir
un marché déterminé.
4.3. Dans quelle proportion d’affaires est-il fait application du mécanisme de la balance
des intérêts pour ne pas ordonner de mesures provisoires ou de suspension ?
En la matière du référé précontractuel (articles 3 et 4 de la loi du 10 novembre 2010), l’article
4 de la loi du 10 novembre 2010 permet au président du tribunal administratif de ne pas
accorder les mesures sollicitées lorsqu’une comparaison des conséquences probables des
mesures pour tous les intérêts susceptibles d’être lésés, ainsi que de l’intérêt public, révèle
que les conséquences négatives de ces mesures pourraient dépasser leurs avantages. Il
convient de relever que le mécanisme de la balance des intérêts était déjà prévu au niveau de
la législation antérieure, à savoir la loi précitée du 13 mars 1993
Le président du tribunal administratif n’est que rarement saisi au provisoire sur cette base
légale, à peine une fois par an. A ce jour, il n’a pas fait application du mécanisme de la
balance des intérêts pour refuser les mesures sollicitées par des requérants.
Quant à la demande en sursis à exécution devant le président du tribunal administratif (article 6 de la loi du 10 novembre 2010) à introduire pendant le laps de temps se situant entre la décision d’adjudication et la signature du contrat, pareille demande est soumise aux conditions de droit commun tel que prévus à l’article 11 de la loi du 21 juin 1999, à savoir, d’une part, que l’exécution de la décision attaquée risque de causer au demandeur un préjudice grave et définitif et que, d’autre part, les moyens invoqués à l’appui du recours dirigé contre la décision apparaissent comme sérieux. Le sursis est rejeté si l’affaire est en état d’être plaidée et décidée à brève échéance (ord. prés. 17 septembre 2012, n° 31340 du rôle). En la matière des demandes en sursis à exécution, le mécanisme de la balance des intérêts ne
joue pas, le président du tribunal administratif pouvant soit ordonner un sursis à exécution
afin que le contrat n’ait pas déjà reçu exécution au moment où le tribunal administratif se
prononcera par rapport au fond du litige, soit débouter purement et simplement le
demandeur pour l’hypothèse où les conditions précitées n’étaient pas remplies.
13
Pour être complet, relevons encore que le mécanisme de la balance des intérêts est également
prévu de manière indirecte aux articles 10 et 11 de la loi du 10 novembre 2010 dans le
contexte d’une demande visant à voir déclarer un marché dépourvu d’effets.
Ainsi, aux termes de l’article 10 de la loi du 10 novembre 2010 :
« Les conséquences du constat de l'absence d'effets d'un marché sont laissées à l'appréciation du président du
tribunal d'arrondissement siégeant comme juge des référés.
L'annulation rétroactive de toutes les obligations contractuelles est possible, mais la portée de l'annulation
peut également être limitée aux obligations qui doivent encore être exécutées. Dans ce deuxième cas, le
président du tribunal d'arrondissement siégeant comme juge des référés devra imposer des pénalités financières
au sens de l'article 14, paragraphe (2) ».
De même, l’article 11 de la loi du 10 novembre 2010 énonce que :
« Le président du tribunal d'arrondissement siégeant comme juge des référés a la faculté de ne pas considérer
un marché comme étant dépourvu d'effets, même s'il a été passé illégalement pour des motifs visés à l'article 9,
s'il constate, après avoir examiné tous les aspects pertinents, que des raisons impérieuses d'intérêt général
imposent que les effets du marché soient maintenus. Dans ce cas, le président du tribunal d'arrondissement
siégeant comme juge des référés doit imposer des sanctions financières, qui s'appliquent à titre de substitution.
Dans tous les cas, un marché ne peut être considéré comme ne produisant pas d’effet si les conséquences de cette
absence d’effets peuvent sérieusement menacer l’existence même d’un programme de défense et de sécurité plus
large qui est essentiel pour les intérêts d’un Etat membre de l’Union européenne en matière de sécurité.
L'intérêt économique à ce que le marché produise ses effets ne peut être considéré comme une raison impérieuse
que dans le cas où, dans des circonstances exceptionnelles, l'absence d'effets aurait des conséquences
disproportionnées.
Toutefois, l'intérêt économique directement lié au marché concerné ne constitue pas une raison impérieuse
d'intérêt général. L'intérêt économique directement lié au marché comprend notamment les coûts découlant
d'un retard dans l'exécution du contrat, du lancement d'une nouvelle procédure de passation de marché, du
changement d'opérateur économique pour la réalisation du contrat et d'obligations légales résultant de
l'absence d'effets ».
Comme la compétence en la matière appartient au président du tribunal d’arrondissement, le
soussigné n’est pas en mesure de donner de plus amples précisions quant au nombre
d’affaires dans lesquelles il a été fait application du mécanisme de la balance des intérêts.
4.4. La jurisprudence nationale soumet-elle la balance des intérêts à des conditions
particulières ?
Mis à part les critères tel qu’énoncés à la loi du 10 novembre 2010, la jurisprudence
luxembourgeoise n’a pas encore eu l’occasion d’instaurer des conditions où critères
particuliers dans le contexte du mécanisme de la balance des intérêts.
14
4.5. Les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE disposent que lorsqu’une instance de
premier ressort, indépendante du pouvoir adjudicateur, est saisie d’un recours
portant sur la décision d’attribution du marché, les États membres s’assurent que le
pouvoir adjudicateur ne puisse conclure le marché avant que l’instance de recours
statue soit sur la demande de mesures provisoires, soit sur le recours.
Aux termes de l’article 5 de la loi du 10 novembre 2010 « la conclusion du contrat qui suit la
décision d'attribution d'un marché (…) ne peut avoir lieu avant l'expiration d'un délai d'au moins dix jours
à compter du lendemain du jour où la décision d'attribution du marché a été envoyée aux soumissionnaires et
candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d'autres moyens de
communication sont utilisés, avant l'expiration d'un délai d'au moins quinze jours à compter du lendemain
du jour où la décision d'attribution du marché est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés (…) ».
L’article 6 de la loi du 10 novembre 2010 précise que « le président du tribunal administratif peut
être saisi endéans les délais prévus à l’article 5 conformément à l’article 11de la loi du 21 juin 1999 portant
règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Le pouvoir adjudicateur ou l'entité adjudicatrice est obligé de surseoir à la conclusion du contrat jusqu'à la
notification de l'ordonnance en référé et jusqu'à l'expiration du délai prévu à l'article 5 ».
Est-il possible de faire lever cette suspension automatique par votre juridiction ? Si
oui, sous quelles conditions ?
Il convient de rappeler à ce stade que les ordonnances du président du tribunal administratif
rendues sur cette base ne sont pas susceptibles d’appel, l’article 11 de la loi du 21 juin 1999
étant de la teneur suivante :
« L’ordonnance est exécutoire dès sa notification. Elle n’est susceptible d’aucune voie de recours. Elle cesse ses
effets lorsque le tribunal a tranché le principal ou une partie du principal ».
Il n’est partant pas possible de lever ni la mesure de suspension automatique avant la
notification de l’ordonnance de référé (article 6, alinéa 2, de la loi du 10 novembre 2010), ni
la décision de sursis à exécution prise par le président du tribunal administratif s’il accueille
favorablement la demande d’un soumissionnaire s’estimant évincé à tort (article 11 de la loi
du 10 juin 1999).
L’ordonnance de référé rendue sur cette base cesse cependant ses effets au moment où le
tribunal administratif rend son jugement sur le fond de l’affaire.
Si le demandeur obtient également satisfaction au fond devant le tribunal administratif,
l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 permet au tribunal d’assortir son jugement de l’exécution
provisoire pendant le délai d’appel et une éventuelle instance d’appel, de sorte à maintenir le
statu quo.
15
5. Division de critères d'attribution en sous-critères d'attribution, pondération des sous-
critères d'attribution, éléments d'appréciation et méthode de notation des offres
(références de jurisprudence: CJUE, C-331/04 ATI EAC and Others ; CJUE, 24 janvier
2008, Lianakis, C-532/06)
5.1. Comment votre juridiction applique-t-elle cette jurisprudence dans sa pratique
quotidienne ?
Malgré un contentieux relativement limité en la matière des marchés publics, la Cour
administrative au Luxembourg a déjà eu l’occasion d’appliquer « à la lettre » l’arrêt de la CJUE
C-331/04, sinon les enseignements à tirer de l’arrêt de la CJUE C-532/06, cités ci-avant.
Dans un arrêt du 7 juillet 2009 (n° 25347C du rôle), la Cour administrative a retenu par
rapport à un marché visant des travaux relatifs à la construction, au terrassement et à la pose
de conduites de transport d’eau potable :
« Selon la jurisprudence de la CJCE, les critères d'attribution définis par un pouvoir adjudicateur doivent
être liés à l'objet du marché, ne doivent pas conférer une liberté de choix illimitée au pouvoir adjudicateur,
doivent être expressément mentionnés dans le cahier des charges ou dans l'avis de marché et doivent respecter,
notamment, les principes fondamentaux d'égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence
(CJCE 17 décembre 2002, aff. C-513/99, pt. 91; 24 novembre 2005, aff. C-331/04, pt. 21).
La CJCE a posé trois conditions pour que des critères appliqués pour identifier l'offre économiquement la
plus avantageuse répondent aux exigences du droit communautaire, tout en soulignant que c'est à la
juridiction nationale qu'il appartient d'apprécier concrètement si le pouvoir adjudicateur a enfreint le droit
communautaire (arrêt du 24 novembre 2005, précité, pt. 25).
Il y a lieu, premièrement, de vérifier si, compte tenu de tous les éléments pertinents de l'affaire au principal, la
décision prévoyant cette pondération modifie les critères d'attribution du marché définis dans le cahier des
charges ou dans l'avis de marché (pt. 26). (…)
Selon la CJCE, il convient d'apprécier deuxièmement si la décision prévoyant d'appliquer des sous-éléments
contient des éléments qui, s'ils avaient été connus au moment de la préparation des offres, auraient pu
influencer cette préparation (pt. 28). (…)
Troisièmement, il y a lieu de vérifier si le pouvoir d'adjudication a adopté la décision prévoyant une
pondération en prenant en compte des éléments susceptibles d'avoir un effet discriminatoire envers l'un des
soumissionnaires (pt. 30). (…) ».
Dans ce cas d’espèce, après vérification de ces trois conditions, la Cour administrative est
arrivé à la conclusion que l'application, par le pouvoir adjudicateur, des sous-critères destinés
à apprécier la valeur technique des offres respectives, n'avait pas été illégale.
16
Dans un arrêt du 20 juin 2006 (n° 20141C du rôle), la Cour administrative a procédé à la
même démarche que la CJUE dans son arrêt C-532/06, sans cependant se référer
explicitement à la jurisprudence communautaire.
Il convient de noter, par rapport à ce cas d’espèce, que l’arrêt C-532/06 de la CJUE visait
l’hypothèse d’une détermination ex post par le pouvoir adjudicateur, après la présentation des
offres, tant des coefficients de pondération que des sous-critères pour les critères
d’attribution, tandis que dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt de la Cour administrative du 20
juin 2006, le pouvoir adjudicateur avait non seulement procédé à une pondération des
critères, mais avait pour le surplus procédé au changement d’un des critères initiaux.
La Cour administrative a dès lors prononcé l’annulation du marché litigieux visant le
creusement d’un tunnel routier, en constatant qu’ « il découle de la comparaison de ces deux versions
que le pouvoir adjudicateur a non seulement procédé à une pondération des critères mais a supprimé le critère
de la « réduction des délais » pour le remplacer par le critère du « risque », ceci à une époque où les
soumissionnaires potentiels devaient nécessairement être engagés depuis trois mois à l’élaboration de leur offre »
et en retenant qu’ « en présence d’une modification des critères applicables pour déterminer l’offre la plus
avantageuse, élaborés et publiés après le lancement de la soumission publique et en dehors des conditions de
légalité, il y a lieu, par réformation du jugement du 9 juin 2005, d’annuler l’arrêté ministériel du Ministre
des Travaux publics du 2 juillet 2004 adjugeant en vertu d’une appréciation basée sur les critères modifiés le
marché public relatif au creusement du tunnel (…) au groupement (…) ».
5.2. La jurisprudence ou la législation admettent-elles l'utilisation de sous-critères non
annoncés explicitement et à quelles conditions ? La jurisprudence ou la législation
définissent-elles les sous-critères ? La jurisprudence ou la législation font-elles une
distinction entre sous-critères et éléments d'appréciation ?
Le législateur luxembourgeois fait référence aux critères d’attribution des marchés publics,
respectivement à la pondération de ces critères, au chapitre V de la loi du 25 juin 2009 et
plus précisément à l’article 11, article de la teneur suivante :
« (1) Les marchés à conclure par procédure ouverte ou restreinte sont attribués par décision motivée au
soumissionnaire ayant présenté soit l'offre régulière économiquement la plus avantageuse, soit l'offre régulière
au prix le plus bas. Est considérée comme offre régulière toute offre qui après évaluation faite est formellement
et techniquement conforme, et qui remplit les critères de sélection qualitatifs qui peuvent être prévus par les
cahiers spéciaux des charges.
(2) Lorsque l'attribution doit se faire selon le principe de l'offre économiquement la plus avantageuse du point
de vue du pouvoir adjudicateur, les critères suivants liés à l'objet du marché public en question sont pris en
considération: la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les caractéristiques
environnementales, l'aspect social, le coût d'utilisation, la rentabilité, le service après-vente et l'assistance
technique, la date de livraison et le délai de livraison ou d'exécution.
Le pouvoir adjudicateur est libre de n'appliquer, pour un marché public déterminé, qu'une partie des critères énumérés à l'alinéa qui précède.
17
(3) Le pouvoir adjudicateur précise dans l'avis de marché ou dans le cahier spécial des charges la pondération relative qu'il confère à chacun des critères choisis pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse.
Cette pondération peut être exprimée en prévoyant une fourchette dont l'écart maximal doit être approprié. (4) Lorsque, d'après l'avis du pouvoir adjudicateur, la pondération n'est pas possible pour des raisons
démontrables, il indique dans l'avis de marché ou dans le cahier spécial des charges, l'ordre décroissant d'importance des critères.
(5) Dans le cadre des marchés publics de services, l'application de dispositions légales, réglementaires ou administratives n'est pas affectée par les dispositions des paragraphes (1) à (3) ».
Au niveau du règlement grand-ducal du 3 août 2009 portant exécution de la loi du 25 juin
2009, ci-après le « règlement grand-ducal du 3 août 2009 », les critères d’attribution d’un marché
public sont mentionnés tout d’abord à l’article 16 (1) traitant de l’objet de la soumission,
article de la teneur suivante :
« L’objet de la soumission doit être décrit dans un cahier spécial des charges. Ce cahier spécial des charges, qui forme la base du marché à conclure, doit être rédigé de façon suffisamment claire et détaillée, afin qu’il ne puisse subsister de doute sur la nature et l’exécution du marché. Il indique notamment, et pour autant que possible dans l’ordre décroissant de l’importance attribuée, le ou les critères entrant en ligne de compte pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse ».
Au chapitre XIX, intitulé adjudication, le règlement grand-ducal du 3 août 2009 précise aux
articles 88 et 89 ce qui suit :
« Art. 88. (1) Les marchés à conclure par procédure ouverte ou restreinte sont attribués par décision motivée au soumissionnaire ayant présenté soit l’offre régulière économiquement la plus avantageuse, soit l’offre régulière au prix le plus bas. Est considérée comme offre régulière toute offre qui après évaluation faite est formellement et techniquement conforme, et qui remplit les critères de sélection qualitatifs qui peuvent être prévus par les cahiers spéciaux des charges. (2) Lorsque l’attribution doit se faire selon le principe de l’offre économiquement la plus avantageuse du point de vue du pouvoir adjudicateur, les critères suivants liés à l’objet du marché public en question sont pris en considération : la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les caractéristiques environnementales, l’aspect social, le coût d’utilisation, la rentabilité, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison et le délai de livraison ou d’exécution. Le pouvoir adjudicateur est libre de n’appliquer, pour un marché public déterminé, qu’une partie des critères énumérés à l’alinéa qui précède.
Art 89. (1) Le pouvoir adjudicateur précise dans l’avis de marché ou dans le cahier spécial des charges la pondération relative qu’il confère à chacun des critères choisis pour déterminer l’offre économiquement la plus avantageuse. Cette pondération peut être exprimée en prévoyant une fourchette dont l’écart maximal doit être approprié. La méthode de notation des points doit être précisée dans le cahier spécial des charges et doit être transparente. (2) Lorsque, d’après l’avis du pouvoir adjudicateur, la pondération n’est pas possible pour des raisons démontrables, il indique dans l’avis de marché ou dans le cahier spécial des charges, l’ordre décroissant d’importance des critères ». Au niveau de la jurisprudence, les juridictions administratives luxembourgeoises ont à plusieurs reprises rappelé l’importance des principes fondamentaux d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence en la matière en relevant que : « Les critères
18
d’attribution définis par un pouvoir adjudicateur doivent être liés à l’objet du marché, ne doivent pas conférer une liberté de choix illimitée au pouvoir adjudicateur, doivent être expressément mentionnés dans le cahier des charges ou dans l’avis de marché et doivent respecter, notamment, les principes fondamentaux d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence. Le devoir de respecter le principe d’égalité de traitement correspond à l’essence même des directives dans le domaine des marchés publics et les soumissionnaires doivent se trouver sur un pied d’égalité aussi bien au moment où ils préparent leurs offres qu’au moment où celles-ci sont évaluées ».(Cour adm. 7 juillet 2009, n° 25347C du rôle). La notion de « sous-critères », non consacrée par les textes législatifs et réglementaires, a été précisée par la jurisprudence par un jugement du tribunal administratif du 14 janvier 2008 (n° 22756 du rôle) qui s’est explicitement référé à la jurisprudence de la CJUE. Si dès lors, en droit luxembourgeois l’utilisation de sous-critères est autorisée en vertu de la jurisprudence en la matière, la notation des divers soumissionnaires en vertu des sous-critères non annoncés explicitement n’est possible que si les conditions telles que définies à l’arrêt C-331/04 de la CJUE se trouvent respectées, le tribunal administratif, dans son jugement précité du 14 janvier 2008 ayant rappelé « qu’une ventilation pratiquée par des sous-critères n’est pas interdite en soi, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, mais n’est cependant possible qu’à condition qu’elle ne modifie pas les critères d’attribution du marché définis dans le cahier des charges, qu’elle ne contienne pas d’éléments qui auraient pu influencer cette pondération et qu’elle ne prenne en compte des éléments susceptibles d’avoir un effet discriminatoire envers l’un des soumissionnaires ». Il convient de préciser que dans ce cas d’espèce, concernant un marché public des services, le tribunal a annulé la soumission litigieuse au motif qu’en présence de 5 critères de sélection initiaux figurant au cahier des charges, le document de notation à la base de la sélection pratiquée s’était ensuite basé sur 13 sous-critères sans qu’aucune règle de cotation objective pour 8 de ces sous-critères n’était décelable. En conséquence, le tribunal administratif est arrivé à la conclusion que la motivation à la base de la décision d’adjudication ne permet pas de vérifier le respect des critères initiaux figurant au cahier des charges. Précisons finalement qu’en droit luxembourgeois, aucune distinction n’est faite entre « sous-critères » et « éléments d’appréciation ».
5.3. Quelle conséquence tire la jurisprudence de l'utilisation de sous-critères non
explicitement annoncés ? Même question pour les éléments d'appréciation ?
Il y a lieu de renvoyer aux réponses données au point 5.2. ci-avant, à savoir que l’utilisation
de sous-critères non annoncés explicitement en dehors des conditions telles que définies à
l’arrêt C-331/04 de la CJUE entraîne l’annulation de la décision d’adjudication.
5.4. La jurisprudence ou la législation nationale imposent-t-elles la communication
préalable de la méthode d'évaluation des offres ?
Au vu du contenu des textes législatifs et réglementaires applicables et des précisions
jurisprudentielles, il convient de répondre par l’affirmative à cette question.
19
6. Coopération interne horizontale [arrêts de la CJUE C-15/13, Technische Universität
Hamburg-Harburg; C-386/11, Piepenbrock Dienstleistungen; C-159/11, Azienda
Sanitaria Locale di Lecce et C-480/06, Commission c. Allemagne (grande chambre)].
6.1. Votre Cour administrative suprême est-elle confrontée à des difficultés liées aux
marchés passés dans des procédures de coopération ?
A ce jour, les juridictions administratives luxembourgeoises n’ont pas encore été saisies avec
des problématiques similaires à celles décrites dans les arrêts CJUE C-15/13 (attributions de
marché dites « in house » ou la notion de « contrôle analogue »), C-159/11 (conclusion d’un
contrat entre deux entités publiques instituant entre elles une coopération sous le couvert
d’une mission de service public), C-386-11 (contrat de coopération entre deux entités
publiques contractantes en vue de la mise en œuvre d’une mission de service public
commune par laquelle une entité publique confie à une autre entité publique des activités de
nettoyage de bâtiments publics moyennant compensation financière avec possibilité pour
cette dernière entité de recourir à des tiers pour l’accomplissement de cette mission) et C-
480/06 (marché relatif à l’élimination de déchets conclu entre des collectivités territoriales et
n’ayant pas fait l’objet d’un appel d’offres).
6.2. Comment se déroule, concrètement, l’examen de la condition de contrôle analogue ?
La notion de « contrôle analogue » n’a jamais encore fait l’objet d’un examen par les juridictions
administratives luxembourgeoises.
7. La confidentialité des offres à l'occasion du contrôle juridictionnel (références de
jurisprudence: CJUE, 14 février 2008, Varec, C-450/06)
7.1. La confidentialité de pièces est-elle fréquemment invoquée dans le contentieux des
marchés publics que vous traitez ?
Malgré un contentieux réduit en matière de marchés publics, la question de la confidentialité
de pièces se pose de manière relativement fréquente dans les affaires soumises aux
juridictions administratives.
7.2. Comment la législation nationale ou la jurisprudence concilient-elles la
confidentialité et la motivation des décisions des pouvoirs adjudicateurs et des
juridictions ?
La jurisprudence luxembourgeoise a eu l’occasion de s’exprimer à plusieurs reprises quant à
la problématique de concilier le caractère confidentiel des pièces sensibles avec l’obligation
de motiver les décisions administratives prises en la matière des marchés publics.
20
Ainsi, la Cour administrative, dans un arrêt du 3 octobre 2002 (n° 14687C du rôle), par
confirmation d’un jugement du tribunal administratif du 6 février 2002, s’est exprimée
comme suit : « Dans la matière spécifique des soumissions publiques, le droit d'accès au dossier
administratif est d'application plus ou moins stricte, en fonction du stade procédural, en ce sens que
l'obligation de maintenir certains documents secrets domine la phase préparatoire de l'adjudication, tandis
qu'elle s'estompera, sans pour autant disparaître, postérieurement à la passation du marché en faveur de
l'exigence de transparence de la procédure de marché. Cette application nuancée du droit d'accès au dossier
résulte de la nécessité de concilier les deux impératifs gouvernant le régime des marchés publics, à savoir le
souci de respecter le libre jeu de la concurrence, d'un côté, la garantie d'une procédure de marché transparente
et régulière, de l'autre ».
Il s’agissait en l’espèce d’une décision d’annulation d’une soumission publique prise par
l’entité adjudicatrice au motif que les prix indiqués par les soumissionnaires étaient exagérés,
l’entité adjudicatrice se basant dans ce contexte sur un devis d’une société tierce qu’elle
refusait cependant de communiquer.
Or, pour arriver à sa solution la Cour administrative a mis en avant « le caractère universel et
l’importance fonctionnelle du principe général dit du contradictoire non seulement dans le cadre des procédures
judiciaires, mais également dans celui des procédures administratives », principe général qui « se trouve
formellement imposé au processus décisionnel de l’Administration par l’article 12 du règlement grand-ducal
du 8 juin 1979 relatif à la procédure administrative non contentieuse, texte qui confère à l’administré un
droit d’accès aux documents sur lesquels l’administration s’est basée ou entend se baser lors de l’élaboration
d’une décision ».
Dans un autre cas d’espèce, le juge des référés du tribunal administratif, par une ordonnance
du 16 novembre 2006, s’est exprimé comme suit au sujet de la problématique soulevée
concernant les prix unitaires d’une offre qu’un des concurrents refusait de rendre publics.
« Les soumissionnaires peuvent légitimement refuser de divulguer à leurs concurrents et aux tiers les prix
unitaires qu'ils pratiquent, et l'administration, qui joue le rôle d'arbitre, est alors en possession de tous les
chiffres émanant des différents soumissionnaires, sans qu'elle soit en droit de les communiquer aux
contestataires dans le cadre de réclamations ou d'un recours contentieux. La position procédurale de
l'administration change cependant en cas de recours contentieux dirigé contre une décision d'adjudication,
l'administration revêtant alors la qualité de partie et non plus d'arbitre, ce dernier rôle revenant au juge. Or,
celui-ci, en raison du caractère contradictoire de la procédure et de la communicabilité de toutes les pièces
versées, ne dispose pas, alors, des informations dont pouvait profiter l'administration pour prendre sa décision,
de sorte qu'il se trouve dans une position qui lui rend très malaisé le contrôle de la légalité de cette décision au-
delà des pures conditions de forme, contrôle insuffisant au regard de la loi qui impose par ailleurs le respect de
certaines conditions de fond comme, précisément, celle d'un prix normal de l'offre. Le juge ne peut dès lors que
s'en tenir à des présomptions pour former sa conviction », tout en relevant que « deux droits a priori
équivalents, à savoir celui du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, y compris de la procédure
devant expert, et celui du secret des affaires risquent de se paralyser mutuellement » et que « ni le législateur
national, ni les organes communautaires n'ont mis à la disposition du juge un instrument permettant à celui-ci
de disposer d'une information aussi complète que l'administration pour se forger une opinion, le cas échéant
21
moyennant des aménagements au caractère contradictoire de la procédure, y compris de la procédure
d'expertise ».
7.3. La question de l'accès à des pièces confidentielles durant la phase juridictionnelle
est-elle réglée par la loi dans votre pays ? S'agit-il de règles générales ou de règles
spéciales pour les marchés publics ?
La question de la confidentialité des pièces au niveau juridictionnel est réglementée à la fois
par un texte d’application générale, à savoir les dispositions inscrites au règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de L’Etat
et des communes, ci-après le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », de même que par diverses
dispositions inscrites au règlement grand-ducal du 3 août 2009.
Ainsi, aux termes de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 « toute personne
concernée par une décision administrative qui est susceptible de porter atteinte à ses droits et intérêts est
également en droit d’obtenir communication des éléments d’informations sur lesquels l’Administration s’est
basée ou entend se baser ».
Cependant l’article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit des tempéraments à
cette règle en énonçant :
« Dans tous les cas, la communication des pièces pourra être refusée si :
- des intérêts publics importants exigent que le secret soit gardé ;
- des intérêts privés importants, notamment ceux des parties ayant des intérêts opposés, exigent que
le secret soit gardé ou lorsque des pièces contiennent des informations pouvant constituer une
atteinte à l’intimité de la vie privée d’autres personnes ;
- il y a péril en la demeure et que la décision ne peut être différée.
La pièce dont la consultation a été refusée à la partie ne peut être utilisée à son désavantage qui si l’autorité
lui en a préalablement communiqué par écrit le contenu essentiel se rapportant à l’affaire et lui a donné
l’occasion de présenter ses observations ».
Au niveau de la réglementation spéciale applicable aux marchés publics, le règlement grand-
ducal du 3 août 2009 contient à divers endroits des dispositions spécifiques traitant de la
confidentialité respectivement des pièces et des offres.
Ainsi, concernant en premier lieu l’avis de marché, l’article 39 (5) du règlement grand-ducal
du 3 août 2009 énonce qu’« il est interdit de porter à la connaissance des soumissionnaires le devis que le
pouvoir adjudicateur a établi pour l’exécution de l’entreprise totale ou de certaines parties de l’entreprise
seulement ».
Quant à la communication des plans et documents par le pouvoir adjudicateur aux divers
concurrents potentiels en vue de l’élaboration des offres respectives, l’article 41 du règlement
grand-ducal du 3 août 2009 prévoit que « les noms des concurrents auxquels les pièces de soumissions
ont été délivrées ne sont pas divulguées ».
22
Concernant les dispositions relatives au contenu de la soumission, l’article 61 du règlement
grand-ducal du 3 août 2009 précise que « le pouvoir adjudicateur veillera à ce que les calculs
justificatifs, les dessins et variantes qui accompagnent les soumissions restent la propriété intellectuelle de leur
auteur. Le pouvoir adjudicateur ne peut utiliser ces pièces directement ou indirectement sans l’autorisation du
propriétaire. En outre, il veillera à ce que les calculs justificatifs, dessins et variantes ne soient divulgués aux
autres concurrents ou à des tierces personnes ».
Finalement, parmi les articles du chapitre qui vise le dépôt et l’ouverture des offres présentés
par les soumissionnaires, l’article 66 (3) du règlement grand-ducal du 3 août 2009 énonce
qu’« il n’est pas donné connaissance des prix d’unité ni avant, ni après l’adjudication ».
Toutes ces dispositions générales et spécifiques, qui figuraient par ailleurs déjà pour
l’essentiel dans un règlement grand-ducal du 2 janvier 1989 pris en exécution de la législation
antérieure, ont été appliquées et interprétées au niveau de la jurisprudence nationale par les
juridictions administratives.
7.4. Est-ce le juge national qui statue sur la confidentialité des pièces ? Doit-il consulter
une instance particulière en la matière ? Y-a-t-il une différence selon que la
procédure de contentieux est une procédure d'urgence ou non ?
En droit luxembourgeois, il appartient exclusivement au juge national de statuer sur le
caractère confidentiel des pièces sans devoir consulter une autre instance spécifique en la
matière.
Il n’y a aucune différence de principe selon que la procédure soit pendante devant les
juridictions du fond ou devant le président du tribunal administratif siégeant en matière de
référé. A noter cependant que le juge des référés, statuant au provisoire, ne se livre qu’à un
examen sommaire des éléments lui soumis et que ses pouvoirs sont ainsi plus limités pour
arriver à des solutions concrètes, surtout s’il doit se prononcer sur base d’éléments de fait
lacuneux et incomplets lui mis à disposition par les parties respectives au procès.
7.5. Quels critères utilise la jurisprudence pour permettre ou refuser l'accès à des pièces
annoncées comme confidentielles ? Lorsque des pièces sont considérées comme
confidentielles, comment le droit à un procès équitable est-il organisé ?
De manière générale, la jurisprudence luxembourgeoise, en présence de pièces considérées
comme confidentielles, fait une distinction en fonction du stade procédural auquel se situe le
dossier.
Au sujet de la problématique soulevée, le tribunal administratif s’est notamment exprimé
comme suit : « Les soumissionnaires peuvent légitimement refuser de divulguer à leur concurrent et aux
tiers les prix unitaires qu'ils pratiquent, eu égard notamment au contenu de l'article 66 § 3 du règlement
grand-ducal du 7 juillet 2003 [actuellement article 66 (3) du règlement grand-ducal du 3 août
2009], et l'administration, qui joue le rôle d'arbitre, est alors en possession de tous les chiffres émanant de
23
différents soumissionnaires, sans qu'elle soit en droit de les communiquer aux contestataires dans le cadre de
réclamations ou d'un recours contentieux. - Cependant, la position procédurale de l'administration change en
cas de recours contentieux dirigé contre une décision d'adjudication, l'administration revêtant alors la qualité
de partie et non plus d'arbitre, ce dernier rôle revenant au tribunal. Or, celui-ci, en raison du caractère
contradictoire de la procédure et de la communicabilité de toutes les pièces versées, ne dispose pas, alors, des
informations dont pouvait profiter l'administration pour prendre sa décision, de sorte qu'il se trouve dans une
position qui lui rend très malaisé le contrôle de la légalité de cette décision au-delà des pures conditions de
forme, contrôle insuffisant au regard de la loi qui impose par ailleurs le respect de certaines conditions de fond
comme, précisément, celles de la vérification du prix dans le cadre d'un marché attribué au soumissionnaire
ayant présenté l'offre économiquement la moins disante. Il s’avère donc en l’espèce, que deux droits a priori
équivalents, à savoir celui du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle, et celui du secret des
affaires risquent de se paralyser mutuellement. Pour le surplus, ni le législateur national, ni les organes
communautaires n’ont mis à la disposition du juge un instrument permettant à celui-ci de disposer d’une
information aussi complète que l’administration pour se forger une opinion, le cas échéant, moyennant des
aménagements au caractère contradictoire de la procédure. Finalement, en présence d’un litige qui a pour objet
même le refus de communication de documents administratifs, le tribunal ne saurait se prononcer sur
l’opposabilité d’un secret sans connaître la teneur exacte des documents litigieux. Les juridictions
administratives, même dans le cadre de leur pouvoir en matière de contrôle de la légalité, sont cependant
habilitées à ordonner toutes les mesures d’instruction qu’elles estiment nécessaires pour la solution des litiges,
pouvoir qui découle de l’obligation du juge de la légalité de vérifier si les faits sur lesquels l’administration se
fonde sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute. Usant de ce pouvoir, les juridictions
administratives sont notamment habilitées à demander aux autorités publiques compétentes la production de
tous dossiers et documents qu’elles jugent nécessaires pour leur information, à la seule exception des documents
couverts par un secret garanti par la loi ». (trib. adm. 5 juillet 2007, n° 22184 du rôle).
Dans cette affaire, par application de ces développements, la juridiction de première instance
est arrivé à une solution pragmatique et a ordonné la communication par la partie étatique,
moyennant dépôt au greffe, de diverses données contenues dans des rapports d’étude avec
possibilité pour la partie étatique de supprimer des passages contenant des données sensibles
d’un point de vue du secret commercial et industriel.
De même, la Cour administrative, dans un arrêt du 24 mai 2011 (n° 27947C du rôle), a
confirmé la motivation de la juridiction de première instance dans le contexte d’une affaire
d’annulation d’une soumission publique pour dépassement du devis estimatif, juridiction qui
avait retenu que le secret en matière commerciale et industrielle n’est pas opposable aux
juridictions administratives en relevant que : « L'article 13 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979
réglant la procédure administrative non contentieuse n'a pas pour objet de régir la communication du dossier
administratif au juge, mais exclusivement de régir sa communication aux administrés. Pour pouvoir apprécier
le caractère communicable ou en revanche le caractère secret des pièces du dossier administratif aux parties
intéressées, le juge doit disposer de l'intégralité du dossier pour ensuite être statué sur la demande en
communication. Par exception au principe du contradictoire, ce dossier n'est pas à communiquer aux parties
intéressées. Cette dérogation au dit principe général du droit s'impose nécessairement, étant donné que le refus
de communication des documents du dossier constitue l'objet même du litige. En décider le contraire, c'est-à-
dire associer la partie demanderesse à ce contrôle juridictionnel et lui communiquer la teneur des documents
24
litigieux, reviendrait, en effet, à leur donner gain de cause avant toute décision au fond quant à l'existence de
son droit de communication ».
De même, il a été décidé que « l'objet de la disposition générale de sauvegarde de l'article 13 du
règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est de garantir, entre autres, le secret des affaires ou, autrement dit, le
secret industriel et commercial. Ainsi, elle vise à protéger les entreprises contre la concurrence déloyale, en
prévenant la divulgation des secrets des procédés et des informations économiques et financières risquant de
porter préjudice à leur capacité concurrentielle. – Cette exception à la règle du droit à l'accès aux documents
sur lesquels l'administration s'est basée ou entend se baser dans le cadre d'un processus de décision s'applique,
en matière de soumissions publiques, de façon plus ou moins stricte, en fonction du stade procédural. Ainsi,
l'obligation de maintenir certains documents secrets domine la phase préparatoire de l'adjudication, tandis
qu'elle s'estompera, sans pour autant disparaître, postérieurement à la passation du marché en faveur de
l'exigence de transparence de la procédure de marché. – Cette application nuancée de l'exception tirée de
l'obligation du secret des affaires résulte de la nécessité de concilier les deux impératifs gouvernant le régime des
marchés publics, à savoir le souci de respecter le libre jeu de la concurrence, d'un côté, et la garantie d'une
procédure de marché transparente et régulière, de l'autre. – En effet, la liberté de la concurrence ne se conçoit
que dans le cadre d'une procédure de marché, garantie par un contrôle, a posteriori, de la régularité et de la
loyauté de la procédure de marché » (tribunal administratif, 16 février 1998, n° 9776 du rôle).
Dans ce cas d’espèce, la juridiction de première instance, au sujet du caractère confidentiel
des prix d’unité, a appliqué ces principes en retenant que « l'article 29 (7) du règlement grand-
ducal du 2 janvier 1989 [actuellement article 66 (3) du règlement grand-ducal du 3 août 2009]
institue un secret devant entourer les procédures de marché jusqu'à la passation du marché. – En effet, le
maintien du secret des prix d'unité, lors de la séance d'ouverture et jusqu'à la passation du marché, est justifié
par le fait que le commettant peut, dans différentes hypothèses, recourir à l'annulation d'une soumission
publique, auquel cas la communication des prix d'unité risquerait de fausser le jeu normal de la concurrence
lors d'une remise en adjudication par soumission publique. – S'il est encore vrai que ce risque n'est pas exclu
par une communication des prix d'unité suite à la passation du marché, étant donné, d'une part, qu'une
annulation judiciaire pourrait, théoriquement, aboutir à une nouvelle soumission publique et, d'autre part,
plus généralement, parce que ces informations sont susceptibles d'intéresser les concurrents lors de futures
soumissions publiques, il n'en reste pas moins que l'impératif d'un contrôle de la loyauté et la régularité de la
procédure d'adjudication doit nécessairement, sous cet rapport, l'emporter sur la garantie du libre jeu de la
concurrence ».
Dans le même sens, la Cour administrative, dans un arrêt du 3 octobre 2002 (n° 14687C du
rôle), a retenu que « l'article 23 (4) du règlement grand-ducal du 2 janvier 1989 [actuellement article
39 (5) du règlement grand-ducal du 3 août 2009] qui interdit la divulgation du devis avant la
passation du marché, n'affecte pas l'accès des soumissionnaires au dossier administratif postérieurement à la
passation du marché, notamment dans le cadre d'une procédure contentieuse destinée à faire vérifier la légalité
de la décision du pouvoir adjudicateur ».
Lynn Spielmann
Conseiller Cour administrative
15.09.2015
Top Related