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ESPERANZA TIERS-MONDE,
Commun : 000-025.77.36-07
Bolivie : 088-067.95.10-20
Pérou : 792-534.83.62-28
ESPERANZA T.M.
Belgique – België PP 9/2208
—————–—————–—–—————————————————-
4500 HUY P20 22 94
Bulletin ESPERANZA T-M a.s.b.l.
Trimestriel n° 2 - 2011
Editeur responsable : Jérôme de Roubaix
5, chemin de Gabelle – 4500 HUY
p. 2
p. 3
p. 4
p. 5
p. 8
p. 11
p. 12
p. 14
p. 16
Assemblée Générale du 28 mai
Thèse d’Emmanuelle Piccoli - Au revoir Jules
Bilan de l’année 2010
Nouvelles de nos projets en Bolivie
Une date à marquer d’une pierre blanche au Pérou
Bibliothèques rurales à Cajamarca
L’or bleu latino-américain
JUste 1 mot
Le coin des bonnes choses
L ’asbl Esperanza-TM a tenu son assemblée générale le samedi 28 mai dernier.
Ce fut une excellente réunion avec une bonne vingtaine de participants. Une
des obligations d’une telle réunion est la présentation du bilan financier de l’année
antérieure et la décharge donnée aux administrateurs. Ce bilan vous est présenté ci
-après.
Avant cela, le président a tenu à faire pour l’assemblée un « rapport moral » de
l’année 2010. C’est ainsi qu’il rappela l’événement qui a le plus marqué notre
association, le décès de celui qui nous rappelait tant notre « fondateur » Paul
Bouvy : Francis Ulsen, petit frère de Charles de Foucault, que les lecteurs attentifs
avaient également appris à connaître dans ces pages. Certaines présences à son
enterrement nous marquèrent particulièrement: deux des trois enfants de Paula
Steels, bien sûr aussi son plus proche frère dans la prêtrise avec qui il avait travaillé
des années à Titicachi et qui célébra la messe, ainsi que deux de ses grandes amies
de Bolivie.
Ce rappel fut également l’occasion de nous souvenir de deux autres disparitions
récentes et fort importantes pour Esperanza. Il y eut celle de Jules Colsoul, un de
nos fondateurs, auquel ce journal rend hommage par ailleurs. Récemment disparu
aussi, quelqu’un qui fut également un grand ami de Paul: Olivier de Visscher,
durant des années agronome faisant équipe avec le padre au Nord Lipez, et qui
s’était dernièrement rendu célèbre ici chez nous dans la culture, (exploitation,
transformation, ventes) d’orties. Toute notre sympathie va à son épouse Poupette
Choque. Mais penser à nos disparus nous fit également évoquer nos grands
anciens et nous avons eu une pensée amicale pour notre président de toujours,
François Fraikin, et pour le frère de Paul, Philippe Bouvy.
Le calendrier des activités de 2010, passé en revue, nous permit de :
marquer de pierres blanches les dates du souper de la St Valentin à Beaufays,
celle de la représentation théâtrale du Masque du dragon aux Chiroux, celle du
Fest’toi aussi à La Sarte par le groupe Esperanza-J, celle du souper du groupe
« C’est Pas l’ Pérou » à Marchin ;
cocher aussi le fait que nous avons tenu de très régulières réunions en CA
élargi, parfois avec l’un ou l’autre invité (Brigitte de Terwagne, par exemple,
nous a laissé un très bon souvenir),
souligner que nous avons réalisé 4 fort bons numéros de ce petit journal grâce
au travail de Thomas qu’il faudra veiller à suppléer à plusieurs puisqu’il est parti
en Amérique Latine sans doute pour une durée assez longue.
Nous avons aussi passé en revue tous les projets à soutenir en 2011 et élaboré le
budget, puis programmé les activités qui seront organisées pour récolter les fonds
nécessaires. Nous avons bien sûr besoin de vous pour arriver à réaliser tout cela !
Jérôme
2
3
Le samedi 14 mai 2011 fut une date historique pour Esperanza-TM. Un de ses membres a ce
jour-là, et un tout petit peu grâce à notre petit groupe, décroché un titre de Docteur en
Anthropologie de l’UCL (excusez du peu !). Le Dr Emmanuelle Piccoli avait invité ses proches
et des membres de notre association à la défense de sa thèse de doctorat qui nous
intéressait tout particulièrement puisqu’elle portait sur les Rondes Paysannes de
Bambamarca. Ce fut une réunion à la fois extrêmement sympathique et admirablement
intelligente. Le niveau des interventions des membres de son jury (parmi lesquels Luis Mujica)
fut tout à fait remarquable. Ce qu’ils nous disaient, outre des éloges dithyrambiques sur notre
amie, stimulait de manière enthousiasmante nos réflexions et donnait envie de nous en
procurer le texte. Après quoi les proches d’Emmanuelle furent aux petits soins pour proposer
à toutes les personnes présentes, plus de 50 passionnés, fiers et contents, boissons et amuse-
bouches bien péruviens : papas a la huancaïna, cancha et mote cuisinés avec du vrai maïs de
l’Ahijadero étaient au rendez-vous ! Encore toutes nos félicitations et remerciements à Emmanuelle et aux siens ! Aux antipodes
d’un travail de recherche austère et exclusivement théorique, elle nous a réellement fait
pénétrer le quotidien et savourer la réalité des gens dans toute sa dureté certes, mais aussi
dans toute sa beauté !
« Vie paysanne et gouvernance rondera dans les Andes ».
Ethnologie de la communauté de l'Ahijadero et de la gestion du vivre ensemble à Bambamarca, Pérou
¡
Au revoir, Jules, et merci…
Dès le départ de l’Abbé Paul BOUVY pour la
paroisse minière d’Atocha, quelques amis de la
première heure se sont réunis pour mettre au
point une équipe d’entraide.
L’Abbé Jules COLSOUL, François FRAIKIN, Alphonse
et Yvette DANS, Jean JORISSEN jetèrent ainsi les bases de
ce qui allait devenir ESPERANZA Tiers Monde.
Jules COLSOUL est né à Jemeppe le 02/10/1931 et est décédé à
Embourg le 16 mars 2011.
Le 8 janvier 1975, Jules n’hésite pas à s’envoler vers le Nor Lipez, en compagnie de
l’abbé Philippe BOUVY, frère de Paul, et de Alphonse et Yvette DANS. Visite inoubliable
pour la petite équipe.
Jules fut un des plus fidèles piliers d’Esperanza. Jamais il n’a refusé ses services. Présent
à chaque rencontre, il a beaucoup travaillé dans la discrétion, en assurant un service
humble et régulier.
Merci Jules !
Yvette Dans
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C omme chaque année à l’époque
de Pâques, deux de nos
membres ont pu rendre visite à
certains des partenaires que nous
soutenons dans ce pays qui est à
l’origine de la création d’Esperanza.
Cette année Julien s’y est rendu avec
sa fille Bernadette du 8 au 29 avril
dernier. Un de nos rédacteurs les a
interviewés pour recueillir leurs
impressions.
* Cette année-ci votre voyage avait un
triple but n’est-ce pas ?
Oui, d’une part nous voulions rencontrer
des personnes qui pourraient nous donner
quelques informations sur les suites du
travail de notre ami décédé le padre
Francisco Hulsen. Ensuite bien sûr nous
voulions, comme d’habitude, rendre une
visite de soutien et d’appui afin de mesurer
l’évolution de notre cher Nidelbarmi, enfin,
nous voulions aussi, comme nous le faisons
depuis des années, vivre la semaine sainte
avec les communautés villageoises de la
paroisse d’ Uyuni.
* Comme le souhaitait notre groupe de
Beaufays-Ninane-Embourg, et comme cela
était rendu nécessaire par notre manque de
communication avec nos amis boliviens,
pour nous permettre de prolonger notre
appui à ce que nous pourrions appeler
« l’héritage du padre Francisco », vous avez
pu, par ce voyage, avoir enfin des nouvelles
de son ancienne paroisse et surtout du
travail que, par lui, nous avions pu aider à El
Alto?
Oui, et elles sont contradictoires. Bonnes
en ce qui concerne le travail dans
l’ancienne paroisse de notre ami sur la rive
est du lac Titicaca, elles le sont un peu
moins en ce qui concerne le groupe que
nous avons aidé à El Alto.
* Détaillez-nous d’abord un peu ce que
vous pouvez nous dire concernant le groupe
de femmes aymaras originaires de cette
paroisse de Titicachi et installées dans les
bidonvilles de El Alto.
Le groupe continue de se réunir dans le
local, lieu de production artisanale dont
nous avions pu appuyer la rénovation. Mais
la cohésion du groupe fait défaut et
manque d’un « guide », rôle que
remplissait si bien Francisco.
* Mais vous avez pu rencontrer l’ancien
séminariste et compagnon de travail de
Francisco ainsi que les quelques femmes qui
ont « hérité » de son travail à El Alto ?
Oui, et ici par contre le travail paroissial, se
porte fort bien. Il est porté par le curé Max,
son ami qui était venu en Belgique célébrer
avec nous son enterrement, ainsi que son
ancien séminariste, Xavier (par ailleurs frère
d’une ancienne éducatrice du Nidel et
grande amie de Julien). Des petits projets,
par exemple pour des ateliers de couture et
du travail d’éducation féminine dans les
trois principaux villages constitutifs de
cette paroisse aymara, mériteraient sans
doute de petits appuis d’Esperanza. Nous
avons rétabli un contact de qualité tant
avec les deux prêtres (Max et Xavier)
qu’avec les trois amies du père Hulsen de
El Alto (Maria Teresa, Nancy et Maria
Elena).
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* Mais cette année-ci, comme nous le disions
dans notre numéro précédent et faute de bonnes
nouvelles, Esperanza va plutôt aider
ponctuellement un important organisme de
Cochabamba ?
Oui, n’avons pu encore visiter Creamos, mais
Emmanuelle Piccoli s’y rendra en visite
prochainement et leur apportera notre petite
aide financière pour le foyer d’accueil.
* Et comment va notre cher Nidelbarmi, où le
padre Juan ne peut plus aujourd’hui être présent
au quotidien, alors qu’il en contrôlait, jusqu’ici
sans beaucoup de partage des responsabilités,
tant l’organisation que les considérables moyens
financiers ?
Eh bien les nouvelles sont plutôt bonnes.
L’ambiance nous a paru excellente au sein des
équipes tant de El Alto (5 centres coordonnés,
sur le plan éducatif, par Vilma et Lucia) qu’à
Potosi (5 centres coordonnés par Zenobia, Felix
et Mari-Luz). D’ailleurs cela nous a frappés un
peu partout cette année : l’éducation s’améliore
et est devenue une priorité pour tous. Les
qualités des professeurs nous ont paru en
progrès et les livres et jeux éducatifs de tous
types sont très diffusés et présents partout (ceux
du Nidel participent bien sûr de ce climat
général favorable).
* Et que pouvez-vous nous dire de la gestion du
projet ?
La direction financière est assurée par un trio où
personne ne peut décider seul. David, un
éducateur issu donc des travailleurs boliviens
salariés du projet, Hernan, prêtre bolivien, ancien
curé de la paroisse de l’endroit, ainsi que Juan
Carlos autre prêtre, espagnol, sont les 3
membres bien sûr en étroite relation aussi avec
le fondateur Juan Claessen aujourd’hui retiré
dans une maison d’anciens en région
carolorégienne.
* Comme nos lecteurs le savent, à chacune de
vos visites, Esperanza vous munit d’une somme
qui vous permet d’acheter, en vue de leur
diffusion, une grande quantité de jeux produits
par le Nidelbarmi. Comment l’ utilisez-vous?
En moyenne pour un jeu , comprenant son
plateau et ses pions ainsi que le(s) livret(s) de
questions, il faut compter entre 5 et 10 € environ,
ce qui est cher pour les gens là-bas, mais le
matériel est de bonne qualité et comprend bien
des éléments qui sont aussi chers là-bas qu’ici.
Toujours est-il que pour équiper une classe
d’une trentaine d’enfants on arrive assez vite à
des montants de l’ordre de 250 €. Ceci fait
comprendre que les 1500 € annuels d’aide
apportée par Esperanza, qui bénéficie tant au
Nidel auquel nous achetons les jeux, qu’aux
villages auxquels nous les offrons, sont bien vite
dépensés. Nous en avons souvent trop peu,
même si nous y ajoutons des jeux achetés de
notre poche dans le commerce, en particulier
pour jouer avec les tout petits (puzzle, pour
moins de 5 ans, par exemple, lesquels ne sont
guère produits par le Nidel)
6
7
* Dans cette ville anciennement minière aujourd’hui très touristique au
bord du Salar du Nord Lipez, Esperanza a ces dernières années, grâce à
vous soutenu trois projets. Quelles sont les dernières nouvelles de
l’internat, de l’orphelinat et de la paroisse en général ?
Le hogar, si pauvre et en mauvais état, à l’époque où seul le Dr Benjamin
lui permettait de survivre, qu’Esperanza avait vraiment dû financer les
réparations des fenêtres et du mobilier, est enfin devenu l’orphelinat de
la ville qui l’a sérieusement restauré et permet d’accueillir tant des
nouveaux nés que des adolescents sans famille.
* Et que nous racontez-vous du superbe internat financé à bout de bras
par Barbara et l’Allemagne où Esperanza a de temps en temps contribué à
l’achat d’une belle batterie de cuisine ou au salaire du gardien ?
L’insécurité urbaine a beaucoup augmenté à Uyuni et les parents des
jeunes du secondaire qui habitent trop loin de la ville pour rentrer chez
eux sont très rassurés, surtout s’il s’agit de filles, de les voir loger dans un
endroit sûr et bien tenu. Mais le travail de la gardienne reste énorme et
peut être trop prenant pour une jeune fille comme elle qui n’a plus
beaucoup de vie pour elle-même.
* Enfin, chers amis, la raison même d’effectuer votre voyage à ces dates-là
est bien la célébration de la semaine sainte dans et avec les communautés
paysannes, n’est-ce pas ? Racontez-nous donc un peu comment cela se
passe.
Il faut vous rendre compte que la paroisse compte une trentaine de
villages et que, chaque année, c’est un autre village qui reçoit, à son tour,
les célébrations, de plusieurs jours de durée, avec quelques 1200
participants environ, dont une délégation de chacun des autres villages.
Chaque année Bernadette et moi organisons des ateliers pour animer
quelques dizaines d’enfants de tous âges avec notamment des jeux du
Nidelbarmi. Nous essayons que des professeurs co-animent avec nous
afin qu’ils se familiarisent avec ces jeux pour en devenir par la suite des
utilisateurs car nous sommes convaincus de leurs vertus éducatives.
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Quelle joie, chers lecteurs, lorsque la
démocratie a vaincu la
dictature et la corruption ! Le
5 juin, les péruviens ont voté
pour élire pour 5 ans leur
nouveau président. Et ils l’ont,
ouf, de justesse fort bien fait !
C’est la première fois qu'un
gouvernement de gauche sera au
pouvoir au Pérou par la voie
démocratique (pour ceux qui ne
connaissent pas bien l'histoire du
Pérou, il ya eu le gouvernement de
gauche du militaire Velasco, mais
c'était au travers d’un coup d'état).
Ce sera aussi la première fois que
plus de deux mandats présidentiels
en suivant sont le résultat de la
démocratie (le Pérou a toujours
alterné dictature et démocratie). Tout
un enjeu, mais, comme cela circulait
le lendemain des élections , "ganó el
Perú" "ganó la esperanza" !
Enfin c’est la première fois depuis
longtemps qu’un président gagne
l’élection sans avoir la majorité à Lima,
donc surtout avec les voix des Andes et
de l’Amazonie!
Tous les journaux, radios et chaînes de
TV, dès les lundi 6 et mardi
7, même ceux clairement opposés à
Humala, ont reconnu sa victoire.
Au moment de mettre sous presse on
attendait impatiemment les noms du
premier cabinet ministériel. Mais tous
nos amis là-bas étaient déjà
incroyablement contents, et vigilants
quand même, vu que Humala est un ex-
militaire…Bien qu'il ait été victime d'une
satanisation systématique, et qu'il ait
fait preuve d'une capacité de
concertation avec d'autres tendances en
vue de la gouvernabilité , il y a tout de
même quelques déclarations et
attitudes du passé qui donnent de lui un
portrait un peu trop autoritaire et
« militariste », impétueux et « d’extrême
gauche » avec nationalisation et impôts.
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Mais il y a tellement de bases sociales,
syndicales, intellectuelles (dont l’écrivain
Vargas Llosa, lui-même, pas vraiment
d’extrême gauche), politiciens (nos anciens
amis « chrétiens de gauche », de la
mouvance Susana Villaran toute récente
bourgmestre de Lima) qui ont décidé de
lui faire confiance, qu'il semble difficile
qu'il ne respecte pas cet appui. Son
discours était émouvant, et donne envie
d'y croire pour que ce pays soit enfin
meilleur pour tous et que son succès
macro-économique (relatif) ne soit pas
seulement la seule chose mise en
avant. D'autres valeurs existent que le
portefeuille !
Mais avant tout .... c'est la dignité qui a
gagné, parce que pour la
majorité d'entre nous cela aurait été
une honte face au monde, que la fille
de Fujimori devienne présidente.
Une fois de plus et, plus que jamais, la
marmite populaire a bouilli à gros bouillon
et la cocotte-minute politique sifflé à toute
vapeur, durant des mois, et la tension ne
retombera pas tout de suite .C’est plutôt
bon signe. C’est justement pour la survie
de la démocratie que beaucoup de
Péruviens craignaient, luttaient, et
attendaient avec angoisse le résultat de ce
deuxième tour des élections. Deux
candidats se présentaient : ceux qui étaient
arrivés en tête au 1er
tour et que nous vous
avions présenté dans ces colonnes en
mars dernier : Ollanta Humala, qui a perdu
les élections en 2006 pour avoir présenté
un programme de changement
socioéconomique trop radical, mais est
arrivé en tête en avril avec 31,2% et Keiko
Fujimori, fille de l’ex-président Alberto
Fujimori, condamné à 25 ans de prison
avec 70 de ses complices, pour ses actes
de corruption et ses crimes politiques, qui
a eu, elle, 23% des voix.
Mario Vargas Llosa, qui choisit finalement
un appui total à Humala, écrivait il y a
seulement un mois que les péruviens
avaient le choix « entre le sida et le
cancer », ne pouvant donc opter que pour
le moindre mal. Ils avaient plutôt le choix
entre un mal connu : le retour d’une
dictature corrompue et le maintien du
néolibéralisme sauvage, et un bien
possible, voire probable : des réformes du
système économique et politique pour une
répartition plus équitable du pouvoir et
des richesses entre tous les péruviens.
Cette option fut largement diabolisée par
la droite : comme émanant d’un suppôt de
Chavez, de Lulla ou de Cuba. Les classes
dirigeantes se sont beaucoup lamentées et
disent aujourd’hui encore craindre le pire,
d’où chute de la bourse malgré les
discours rassurants d’Humala. Le jeu des
nantis est facile à comprendre : sur le
terrain politique, ils étaient en possession
du ballon depuis 20 ans et ne sont
toujours pas prêts à le lâcher, même si ils
devaient multiplier les fautes et payer
l’arbitre. Les grandes entreprises minières
nationales et surtout internationales, le
gouvernement actuel, la plupart des
services de presse, de radio et télévision,
l’Eglise de l’Opus Dei s’unirent donc et
s’opposèrent ces dernier mois férocement
à tout changement. On les comprend :
accusés de corruption, ils risquent même
de perdre leur liberté.
Mais comment expliquer le vote d’un
pourcentage important de pauvres en
faveur de Keiko qui, au final, est passée
tout près de la victoire avec 48.8% ?
Keiko Fujimori promettait de reprendre la
politique assistencialiste de son père : elle
a distribué à pleins camions nourriture et
vêtements pour acheter les voix des
pauvres.
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Nous, qui ne souffrons pas la faim, avons
du mal à comprendre que, pour un
morceau de pain, ils plient l’échine et
renoncent à leurs droits. Aujourd’hui les
pauvres ne sont pas seulement exploités,
ils sont exclus et inutiles. Ils sont de trop.
Et comme ils dérangent, il faut les mettre à
l’écart, les neutraliser. C’est pourquoi
Fujimori avait fait une campagne de
stérilisation des femmes du peuple. Et puis
beaucoup de péruviens
attribuent à Fujimori la
fin de l’hyperinflation qui
les avait durement
appauvris juste avant son
accession au pouvoir et
abusivement aussi la
capture d’Abimaël
Guzman et par là-même,
la mise totalement sous
le boisseau des activités
de Sentier-Lumineux, et
lui en sont aujourd’hui
encore reconnaissants au
point d’applaudir sa fille.
Paolo Freire nous aide à
comprendre les causes
de l’oppression. Il écrit : « Les opprimés
“accueillent” en eux l’oppresseur, dont ils
“projettent” en eux “l’ombre” : ils sont à la
fois eux-mêmes et l’autre ». Avec la
propagande, la télévision, la politique et la
pastorale de la peur que pratiquent
certains secteurs d’Eglise pour anesthésier
le peuple, celui-ci devient fataliste « et
croit que sa souffrance est l’expression de
la volonté de Dieu comme si Dieu était
l’artisan de ce “désordre organisé” ».
Certes Ollanta Humala n’est pas un ange
et ne fera pas de miracles. Il ne pourra pas
changer radicalement le système
économique en vigueur au Pérou. Mais il
veut s’orienter vers une économie sociale
de marché, s’inspirer de l’expérience de
Lula au Brésil, investir plus dans l’éducation
et la santé, respecter les droits des
communautés andines et amazoniennes,
donner une pension aux retraités de plus
de 65 ans…. Il faudra bien qu’un jour les
riches comprennent que c’est aussi leur
intérêt de changer le modèle économique
actuel parce que « s’il n’y a pas
d’espérance pour les pauvres, il n’y en aura
pour personne, même pas pour les soit
disant riches ».
Aujourd’hui le défi est
énorme. Humala a
beaucoup promis
d’améliorer la situation
des plus pauvres et il lui
faudrait un ministre de
l’économie qui rassure les
milieux économiques et
financiers et les
entreprises sur le plan
national et international.
Or le pays est maintenant
divisé en deux : les
partisans qui attendent
énormément de cette
grande première et les
adversaires d’hier, déçus
et meurtris, qui sont
intimement convaincus que l’on court à la
catastrophe, pour leurs intérêts et/ou ceux
du pays. Une source d’espoir : l’Equateur,
la Bolivie, le Paraguay, l’Argentine, et le
Brésil disposent tous aujourd’hui de très
intéressants régimes de gauche. Seuls le
Chili et la Colombie restent franchement
du côté de l’ultralibéralisme. Croisons donc
les doigts pour le continent que nous
aimons !
NB : Notre texte est largement inspiré d’une lettre du père
Francisco Fritsch, prêtre français du diocèse d’Ayaviri, actif
depuis plusieurs dizaines d’années dans le sud andin en
totale identification avec la cause des plus pauvres et
d’une autre émanant, au lendemain des élections, de notre
amie Bernadette Brouyaux - Ortiz de Zevallos, maman de
Soledad et épouse d’un architecte urbaniste proche
collaborateur de S Villaran.
10
L e 27 mai, les autorités de la province
de Cajamarca ont mis à l’honneur le
réseau de Bibliothèques Rurales à
l’occasion de ses 40 ans, avec notamment
une exposition de photos dénommée
« Terre qui raconte, terre qui lit ».
Voici la traduction d’un article paru dans le
journal local à cette occasion.
Il y a 40 ans, une des idées les plus
révolutionnaires a vu le jour à Bambamarca : il
s’agissait de mettre la lecture à portée des
populations rurales, dans ces zones
systématiquement oubliées, où l’on pensait
que serait vain tout essai de semer des livres.
Dans ces terres, on n’avait cultivé que des
pommes de terre et du maïs, des tubercules et
des fèves, du blé et de l’orge, et cela depuis
des siècles.
Mais comme l’homme ne vit pas seulement de
pain, un autre pain paraissait dangereux pour
certains secteurs, certains qui ne pouvaient
concevoir l’idée d’un « indien lecteur » ou d’un
homme andin réfléchissant sur des choses
élémentaires comme le monde où il vit, d’où il
vient et où il va, et la perception que la vie est
faite d’inégalités. Cela, c’était un danger pour
certains, mais pas pour le Père Juan Medcalf.
Pour ce prêtre, la nourriture des livres devait
être partagée entre tous, avec tous ceux qui
n’y avaient pas accès et étaient marginalisés
par ceux qui détenaient le pouvoir dans les
communautés. C’est ainsi qu’en 1971 surgit le
cri, au début silencieux, du réseau de
Bibliothèques Rurales. Un réseau qui s’étend
lentement dans différentes communautés,
comme un filet qui attrape dans ses mailles les
fils des livres, des savoirs, et les donne de
manière rotative à d’autres
communautés.
Bambamarca fut le début d’un des
projets de lecture les plus importants
d’Amérique, qui s’est propagé en 40 ans
à plus de 500 communautés dans 10 des
13 provinces du département de
Cajamarca. Il a fallu pour cela étendre le
projet initial de Juan Medcalf, et ici surgit
la lumière, la voix et l’action d’Alfredo
Mires. Cet homme a fait de sa vie un
don aux livres, au recueil de l’essence
pure de ce qui ne fut pas colonisé et a
survécu dans l’âme de ces habitants des
Andes, dans les conversations autour du
feu, dans les bavardages lors des
récoltes et parfois dans les nuits
lugubres où l’on parle des peurs et des
âmes comme quelque chose de naturel.
Parler de tout le travail des Bibliothèques
Rurales demanderait de nombreuses
pages qu’il faudrait écrire, plus qu’avec
de l’encre et du papier, avec les visages
heureux des campesinos qui ont eu, en
ces 40 ans, accès à la lecture qui lui était
interdite depuis des siècles, dans les
visages et la joie de ceux qui ont eu
l’occasion d’être auteurs et écrivains à
travers leur propres histoires.
La justice tarde, mais elle arrive. Cet
hommage rend justice au travail
d’Alfredo Mires, et parviendra d’une ou
l’autre manière, probablement à travers
un sourire, à l’âme compatissante de
Juan Medcalf, dans un coin de l’univers.
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11
V ous avez lu le dernier Vargas Llosa ? Et
bien il vaut le détour, plus pour l’histoire
que pour la prose. On y découvre les atrocités
commises au début du XXème siècle par notre
cher Léopold II au Congo et celles non moins
terribles de compagnies britanniques dans
l’Amazonie péruvienne. A chaque fois le
principe est le même: l’appât du gain passe
avant l’humain ! Et le plus paradoxal c’est que
les principales victimes sont bien souvent les
personnes qui vivent là où se trouvent les
principales richesses, c’est ce que certains
appellent la malédiction des richesses naturelles.
Malheureusement les choses n’ont pas
beaucoup changé et aujourd’hui l’or peut être
doré, noir, blanc, vert mais aussi bleu. 3
histoires, 3 pays, 3 destins, 3 exemples
révélateurs…
« MASSACRES DE RIO NEGRO » - UN PASSÉ
TERRIBLE À NE PAS OUBLIER (GUATEMALA)
En 1975, le gouvernement dictatorial du général
Lauguerud commence la construction d’un
gigantesque barrage sur la rivière Chixoy (centre
- nord) sans informer la population et grâce à un
financement de la Banque Mondiale et de la
Banque Interaméricaine du "Développement".
28 communautés se voyaient directement
affectées par l’inondation pure et simple de
leurs terres et donc une délocalisation forcée.
Peu enthousiastes, les populations firent preuve
d’une résistance et une opposition fermes. La
réponse du gouvernement mena à une des pires
atrocités de l’histoire guatémaltèque (pourtant
tristement accoutumée du fait). Une campagne
de terreur se solda par l’assassinat de 450
personnes.
Le 13 mars de chaque année, les membres des
communautés des collines du Rio Negro font
une marche en mémoire des victimes de ces
tueries. Carlos Chen, qui a perdu sa femme et
ses deux enfants, est un des leaders du
mouvement communautaire qui demande que
justice soit faite.
Terminé en 1983 ce barrage génère 278
mégawatts d’énergie et fournit près de 40% de
l’électricité guatémaltèque. Aujourd’hui encore
les survivants, les personnes affectées (près de
13000), vivent dans des conditions d’extrême
pauvreté, déplacées sur des terres non fertiles,
sans eau courante ni électricité !
« VIDAS A CAMBIO DE ORO » - UN PRÉSENT
PEU RÉJOUISSANT (PÉROU)
Nous vous avons déjà parlé de l’entreprise
Yanacocha qui extrait de l’or à ciel ouvert, dans
la région de Cajamarca. Les dégâts écologiques
et humains sont proportionnels aux bénéfices.
Yanacocha est la deuxième entreprise minière
mondiale dans laquelle participe une
corporation financée par la Banque Mondiale. Il
faut retourner une tonne de terre pour un
gramme d’or. Cette terre est ensuite lavée dans
un chouette produit . . . le cyanure. Des
montagnes disparaissent littéralement pour
laisser la place à des cratères remplis de poison
qui ont jusque 500m de profondeur !
QUAND L´EAU LATINO-AMÉRICAINE DEVIENT UN OR BLEU QUI APPARTIENT À QUELQUES-UNS
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Les rivières sont contaminées, divers cas de
maladies inhabituelles ont été observés et il
arrive que l’eau vienne à manquer dans une ville
andine peu coutumière de ce type de pénuries.
Les gens, pour la plupart agriculteurs, ne sont
pas très contents, ils l’ont donc fait savoir ce qui
leur a valu une très dure répression de la part de
la police et de groupes de sécurité privés de
l’entreprise minière. «Quien se opone a la mina
se juega no solo la tranquilidad, sino la vida ! » .
Il y a déjà eu six leaders communaux assassinés
depuis 2003 (Godofredo Garcia Baca – Juan
Montenegro – Remberto Herrera – Melanio
Garcia – Isidro Llanos – Edmundo Becerra). Ce
dernier s’opposait à Yanacocha dans la région
d’El Solitario, il a reçu 17 tirs et laissé une veuve
et deux enfants en bas âge.
Mais les gens ne baissent pas les bras, entre
autres avec le soutien de l’association GRUFIDES
qui continue courageusement son travail malgré
les campagnes de harcèlement et diffamation.
Celle-ci tente parfois de jouer les médiateurs via
une de ses figures emblématiques, le prêtre
Marco Arana. Mais les choses ne sont pas
simples et il arrive que les gens lui disent :
«No nos hable más padre Marco, porque cada vez
que nos habla aceptamos dialogar con la minera,
y yá no queremos más dialogar ! ».
« EL AGUA ES DEL PUEBLO, CARAJO ! » - UN
EXEMPLE DE CE QUE LA MOBILISATION POPULAIRE
PEUT OBTENIR (BOLIVIE)
En 1997 la Banque Mondiale imposa la
privatisation de l’eau à El Alto – La Paz comme
condition de son aide financière. La distribution
d’eau fut ainsi cédée à la compagnie Aguas del
Tunari, filiale des multinationales Bechtel -
Edison – Abengoa, qui, en janvier 2000,
augmenta les tarifs de 200%. Les réactions ne se
firent pas attendre, la répression du
gouvernement d’Hugo Banzer non plus. De
nombreux dirigeants furent emprisonnés et la
ville mise en état de siège pendant 90 jours avec
une occupation militaire en bonne et due forme.
Mais la résistance civile ne faiblit pas malgré de
nombreux blessés et deux décès parmi lesquels
celui de Victor Hugo dont l’assassinat fut filmé
sans que pour autant justice soit faite. Cette
mobilisation déterminée, à laquelle participa
activement le président actuel, Evo Morales
(comme le témoigne la photo ci-dessous)
aboutit finalement à l’annulation du contrat.
Comme le disent les gens d’El Alto : « Por una
vez David venció a Goliat ! » .
1. Celui qui s’oppose à la mine joue pas seulement sa tranquillité mais aussi sa vie !
2. Ne nous parlez plus padre Marco, parce que chaque fois que vous nous parlez nous
acceptons de dialoguer avec la mine, et nous ne voulons plus dialoguer !
3. Pour une fois David a vaincu Goliat !
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A l’heure où j’écris ces
lignes, les Belges fêtent un
bien étrange anniversaire. Une
année riche d’absence, de
vacuité et d’indifférence. Est-ce
le symptôme d’une volonté
inconsciente de se distinguer et
d’exister malgré tout ? La preuve
faite que nous restons maîtres
du surréalisme ? Une illustration
parfaite d’un désir de dialogue
intercommunautaire au-delà du
concret et des résultats, comme si la
négociation se suffisait à elle-même
comme acte de réconciliation ?
En dehors des raisons objectives
qui justifient nos errements, j’ai le
sentiment de participer à une farce
grotesque, comme un entracte burlesque
d’une tragi-comédie où le public se perd
à observer l’arroseur arrosé. Et pourtant,
dans l’ombre des coulisses, les
comédiens démissionnaires poursuivent
une pièce périmée, un spectacle minimal
vital pour notre divertissement tandis que
les protagonistes s’essayent encore aux
costumes.
Au quotidien, je n’y vois pas une grande
différence. Les affaires suivent leur cours.
On les dit “courantes”. Peut-être une
course de fond… Pièce de théâtre ou
manifestation sportive, je reste
“spectateur”, un rôle parfaitement
incarné : je regarde et j’attends. Peut-être
que ma participation sera sollicitée dans
un isoloir. Peut-être pas… Dans l’attente,
je regarde une définition au dictionnaire :
« fait d’accepter sans protester ; tendance
à se soumettre, à subir sans réagir ».
Quelques mots qui décrivent
étonnamment mon attitude et celle de
mes contemporains. Quelques mots qui
synthétisent selon moi l’année écoulée.
Quelques mots qui définissent la
“résignation”, soit le renoncement,
l’apathie, la démission, la soumission, le
fatalisme… autant de synonymes que le
constat actuel me force à associer au
concept de “démocratie belge”.
En contraste, je tiens entre les mains un
petit livre d’une dizaine de pages où il est
question de “principes”, de “valeurs”,
d’“espoirs”, d’“idéaux à transmettre”.
L’auteur en appelle à « veiller tous
ensemble à ce que notre société
reste une société dont nous soyons
fiers ». Il s’agit du désormais
célèbre pamphlet « Indignez-
vous ! » de Stéphane Hessel. Ce
résistant nonagénaire, témoin actif
du Conseil National de la
Résistance créé en 1943 et co-
rédacteur de la Déclaration
Universelle des Droits de
l’Homme, nous invite à l’insurrection pacifique.
Si « les raisons de s’indigner peuvent paraître
aujourd’hui moins nettes ou le monde trop
complexe » dit-il, « il y a des choses
insupportables » face auxquelles « la pire des
attitudes est l’indifférence ». Stéphane Hessel
propose une action en réseau, par l’usage des
nouveaux moyens de communication, fondée
sur « l’espérance de la non-violence », « un
message d’espoir dans la capacité des sociétés
modernes à dépasser les conflits par une
compréhension mutuelle et une patience
vigilante ».
Au-delà de la résignation et de
l’indifférence, une frange de la population
espagnole s’est inspirée des mots du vieux
résistant. Depuis le 15 mai, des milliers
d’espagnols ont investi les places publiques par
l’improvisation de campements, à Barcelone et
ailleurs. Via internet et les réseaux sociaux, par la
présence d’espagnols immigrés dans les autres
villes d’Europe, les Indignés appellent à la
solidarité sur le Vieux Continent par l’occupation
des centres urbains. Là-bas, sur des pancartes de
fortune, on peut lire : « Sans travail, sans maison,
sans futur et sans peur » ; « Les Marchés
gouvernent et je n’ai pas voté pour eux » ; « Ce
n’est pas la crise, c’est le Capitalisme » ; « Nous
ne sommes pas le problème, nous sommes la
solution ». Si le contexte espagnol est particulier
quant à l’acuité des effets de la crise –
retombées des spéculations
immobilières, emplois précaires, taux excessif de
chômage chez une génération de jeunes
diplômés, manque de représentation de la part
de la classe politique – les conséquences de la
crise financière sont symptomatiques des
orientations économiques mondiales.
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IND
IGN
ON
SIN
DIG
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NS --
NO
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NO
US
?
j U ste
un m O t
15
L’instabilité des marchés, les diktats des
banquiers et des agences de notation, la
politique d’austérité imposée aux citoyens, la
démission générale de la classe politique face
aux institutions internationales… sont autant de
facteurs dont nous sommes à présent
coutumiers.
Sur le fond les Indignés ont raison car les
faits parlent d’eux-mêmes. Peut-être doublement
raison puisque la plupart vivent quotidiennement
la précarité. C’est bien plus la forme qui déchaîne
les passions.
Je fus surpris d’entendre un journaliste
bien connu du service public, professeur
d’université et fervent adepte des définitions
étymologiques dans un jeu radiophonique – un
homme au savoir colossal donc – railler le
mouvement des Indignés. Ailleurs je lisais un
philosophe espagnol dénonçant le “populisme”
du mouvement, constatant que « nos sociétés
regorgent de gens qui sont “contre” »,
représentants d’une “ère de la politique
négative” « dans la mesure où leur attitude ne
dessine aucun horizon souhaitable, aucun
programme d’action ». Par contre, selon lui,
« l’indignation cesse d’être une boutade
inoffensive et incapable de modifier les situations
intolérables qui la suscitent lorsqu’elle
s’accompagne d’une analyse
raisonnable ». Sans parler de
l’interrogation classique
formulée par le sens commun :
« à quoi cela les mènera-t-il ? ».
Parlant des hommes
politiques, j’écoutais un espagnol
annoncer : « ils veulent que nous
changions en une semaine ce qu’ils n’ont pas
réussi à faire en quarante ans ». Car les
sceptiques de tout poil aimeraient des
propositions concrètes (même si elles existent
bel et bien) et des résultats immédiats – sans
parler de l’immobilisme intéressé des
conservateurs et autres réactionnaires. Or le fait
d’occuper une place en permanence, à plusieurs
centaines de personnes, est déjà en soi un plan
d’action. Se réapproprier un espace public,
physiquement et symboliquement, par l’usage
du corps et de la parole, en tant qu’individu
associé à d’autres est déjà une proposition
concrète. Par les Assemblées populaires, ils
expérimentent la démocratie telle qu’ils
l’imaginent, telle qu’ils la veulent où la pensée et
l’expression individuelles reprennent toute leur
importance. L’imagination, la créativité, la
solidarité, l’écoute sont promues comme des
moyens dans la prise de décisions. Plutôt que
d’être simplement “contre”, les alternatives de
“vivre ensemble” sont expérimentées
directement sur le terrain. Plutôt que d’être
“apolitique” ou “antipolitique”, ils parlent
ensemble de politique, amenant des gens
auparavant peu soucieux de la chose à
s’interroger et à s’exprimer, tout en étant vigilant
des récupérations politiciennes. Le tout en
rythme, en musique, avec la gaieté de cœur et
l’esprit d’initiative des volontaires. A ce propos,
Eduardo Galeano donnait son opinion à Daniel
Mermet rencontré Plaza Cataluña pour l’émission
radio Là-bas si j’y suis : « Ici il y a la même
rencontre, la même énergie de dignité, le même
enthousiasme. L’enthousiasme est une vitamine
qui vient d’un petit mot grec signifiant “avoir les
dieux à l’intérieur. Et moi à chaque fois que je sens
que les dieux sont à l’intérieur – d’une personne
ou de beaucoup de choses, de la nature, des
montagnes, des rivières – c’est à ce moment là
que je me rends compte que vivre vaut la peine
[…]. De ce monde infâme, pas très accueillant, pas
très chaleureux dans lequel on est né, il y a un
autre monde en gestation dans le ventre de ce
monde-là, qui attend. Et c’est un
monde différent, un monde
différent dont l’accouchement est
difficile. Et par contre c’est sûr qu’il
est en train de battre à l’intérieur
de ce monde et c’est certain qu’il
existe. Je le vois. Je le reconnais
dans ces mobilisations spontanées.
Elles prouvent l’existence de cet autre monde ».
Si les campements des Indignés prouvent
bien le désir et l’existence d’alternatives, ils
démontrent aussi leur capacité d’innover dans
les formes de mobilisation. Ils appliquent avec
courage et imagination l’appel de Stéphane
Hessel : « Créer, c’est résister. Résister, c’est
créer ».
Julien Lefèvre
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L’enthousiasme est une
vitamine qui vient d’un petit
mot grec signifiant “avoir les
dieux à l’intérieur.
Calle 13
est un excellent groupe Porto-Ricain
à découvrir sur leur site Internet
-
Le site en français des bibliothèques rurales de Cajamarca
Et bien sûr le site Internet de Esperanza-TM à recommander
Musique
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