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Votre participation constitue

une aide précieuse. Comptes

ESPERANZA TIERS-MONDE,

commun : 000-025.77.36-07

Bolivie : 088-067.95.10-20

Pérou : 792-534.83.62-28

Belgique – Belgie P.P.

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4500 HUY P20 22 94

Bulletin ESPERANZA T-M a.s.b.l. Trimestriel n° 2 - 2010

Editeur responsable : Jérôme de Roubaix 5, chemin de Gabelle – 4500 HUY

[email protected]

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EDITO

C ’est l’été et il s’en passe des choses, des futiles, des capitales, des réjouissantes, des alarmantes : il y a

Bart et Elio, un ballon rond omniprésent, du fuel qui coule à flots, des flots en furie du Brésil à la Chine en passant par le Var, des frites qui font un tabac chez les chinois..

mais aussi un bien triste anniversaire amazonien (p.4), un chouette projet bolivien en difficulté (p.6), une initiative péruvienne qui mérite d’être connue (p.7), une feuille de coca qui fait des vagues (p.8), un président qui m’inspire un grand respect (c’est pas courant) et un sommet international pas comme les autres (p.9), une Colombie mal en point (p.10), un uruguayen et un belgo-péruvien à la plume alerte (p.12) .

Il y a d’quoi être pas mal inquiet donc, de quoi surtout se demander ce qui justifie une hiérarchie médiatique devenue bien peu éthique, de quoi se demander ce qui justifie 14 pages entières dans un grand journal d’information (El País) consacrées à une rencontre entre 11 suisses et 11 espagnols sur un bout de pelouse africaine (et c’est un mordu qui parle). Mais il y a aussi de quoi s’emballer, de quoi avoir envie de découvrir encore et encore ceux qui nous entourent tout près et bien loin, de quoi s’inspirer d’une beauté qui sans cesse côtoie les pires horreurs.

Il y aussi de quoi réserver pour la rentrée son 4 septembre et pour l’automne son 19 octobre. Esperanza vous invite à une journée de FESTIVAL où TOI AUSSI tu es le bienvenu et à une belle PIECE de THEATRE qui donne à cogiter. Alors cochez votre agenda, ouvrez les yeux et les oreilles, ne croyez surtout pas tout ce qu’on vous dit mais faites confiance au premier venu.

Thomas de Roubaix

TABLE DES MATIÈRES

• Bilan financier 2009. p. 3

• Bagua un an après. p. 4-5

• Projet Niedelbarmi. p. 6-7

• Association Huarayo. p. 7

• La coca dans la campagne brésilienne. p. 8

• Un président pas banal. p. 9

• Une belle initiative et un dérapage. p. 9

• La face cachée de la Colombie. p. 10-11

• Lettre enthousiaste d’un grand écrivain. p. 12

• JUste un mot. p. 13-14 • Rincón de las cosas buenas. p. 15

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ESPERANZA T-M A.S.B.L. NN : 415.304.510. HUY, le 31 janvier 2010

BILAN FINANCIER 2009

Disponible au 1/01/2009 8,681,36

RECETTES :

El Alto Dons 682,50

Fabr Eglise ND Rosaire Scless 849,83

Kiwanis 500,00

Comite Ninane pièce Théatre 150,00 2.182,33

Compte Bolivie - dons divers : 1.129,52

Sapins Wanze 2.500,00

Coll St Quirin Huy Act Pâques 136,00 3.765,52

Compte Pérou - dons divers : 3.898,56

Mariages 3.353,19 7.251,75

Dons Pérou - Tablada : 1.927,44

Dons Compte commun : 2.332,00

Decès 740,00

Mariages 1053,45

Aquilone 730,00

Espéranzah 350,00

Ferme Neuville Jeunes 500,00

Conférence comm. équitable 150,00 5.855,45

Cotisations 2009 : 125,00

Intérêts bancaires : 4,37

Total des recettes 2009 21.111,86 21.111,86

Total des recettes 2009 et du solde 2008 : 29.793,22

__________________________________

DEPENSES :

Bolivie projet : Jeux Nidelbarmi 1.500,00

A, VERHEYLEWEGHEN 1.000,00

EL ALTO 6.644,00 9.144,00

Pérou projet : Ecole Alcides Vasquez 2.000,00

Bibliothèques rurales 1.117,62

Promoteurs 1.000,00

Accueil enfants Sœur Sofia 1.000,00

Groupe jeunes Rolando 1.000,00

Groupe jeunes Tablada 2.000,00

Nina Cusi 1.500,00

Chibolito 2.000,00 11.617,62

Projet d'éducation au développement: journal 1.594,88

Frais financiers :envoi et gestion 359,76

Frais généraux : timbres 108,07

Frais de publication nominations 112,41

Total des dépenses 2009 22.936,74 22.936,74

DISPONIBLE AU 31 DECEMBRE 2009 6.856,48

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BBAGUA

AGUA UN

UN AÑO

AÑO DESPUÉS

DESPUÉS : : PARCE

PARCE QU’ON

QU’ON AA PAS

PAS ENVIE

ENVIE D’OUBLIER

D’OUBLIER...

...

I l faut remonter à décembre 2007, pour mieux comprendre ce conflit. Le Congrès octroie

alors à l’exécutif des facultés spéciales pour légiférer en adoptant des décrets-lois afin de mettre en œuvre le Traité de Libre Commerce (TLC) signé quelques mois plus tôt avec les Etats-Unis. En juin 2008, une série de décrets sont présentés, notamment en vue de permettre une installation plus facile des multinationales étrangères extractives dans le pays, riche en minerais et hydrocarbures. Concrètement, ces décrets réduisent pratiquement à néant les droits collectifs des populations indigènes, en allant d’ailleurs à l’encontre des principes internationaux.

Les protestations se succèdent de juin 2008 à juin 2009. Les tables de concertations mises en place les mois précédents montrent le peu de volonté de dialogue de la part du gouvernement. De même, les demandes d’examen de ces décrets au Congrès pour inconstitutionnalité – émises par la société civile péruvienne (notamment indigène) – sont sans cesse reportées. Ces décrets avaient pourtant été déclarés inconstitutionnels par la Commission multipartite du Congrès, la Commission sur la Constitution du Congrès, la Defensoria del Pueblo, les groupes de travail du ministère de l’agriculture et par des organismes spécialisés. La seule réponse réelle qu’obtiennent les populations amazoniennes à leurs réclamations est l’attaque armée du 5 juin 2009 qui mène à un affrontement violent, tant pour les manifestants que pour les policiers.

La gestion faite par le Gouvernement péruvien après cet évènement a, elle aussi, été problématique. La plupart des leaders amazoniens présents le 5 juin à Bagua et à Lima furent discrédités ou subirent des campagnes de calomnie. Alberto Pizango, président de l’Association Interethnique de Développement de la Forêt Péruvienne (Aidesep) en fut notamment une victime. Certains furent emprisonnés sur base d’accusations peu fiables.

De plus, la criminalisation des mouvements sociaux et des protestations a pris depuis lors une ampleur très importante et s’étend également à d’autres secteurs de la société comme les ONG et les mouvements politiques alternatifs.

La commission officielle chargée d’investiguer les faits a en outre rendu un rapport ignorant la responsabilité de l’armée et du gouvernement dans le massacre qu’elle a imputé aux indigènes et à différents acteurs de la société civile (ONG, Eglises, syndicats, partis politiques, organisations paysannes). Ce rapport

a d’ailleurs été contesté par deux des commissaires qui ont refusé de le signer. En effet, selon eux, il ne respectait pas les principes d'objectivité et d'impartialité. Ils ont

donc publié un autre rapport qui modifie de façon déterminante la vision des faits. Ils y concluent que les raisons du conflit sont les conditions d'insécurité juridique dans lesquelles sont maintenus les peuples indigènes et la stratégie de confrontation du gouvernement. Ils affirment aussi que la façon dont ce conflit a été traité a profondément ébranlé la confiance des peuples indigènes envers le gouvernement. Selon eux, il est impératif que celui-ci réponde de façon responsable à la situation, afin que de tels faits ne se répètent pas, que la vérité et la justice puissent être assurées. Les conclusions de l’Envoyé spécial pour les peuples indigènes de l’ONU, James Anaya, vont dans le même sens.

Il y a tout juste un an, le 5 juin 2009, les forces armées péruviennes faisaient irruption à Bagua, dans la région amazonienne du nord du Pérou. Ils avaient reçu l’ordre de déloger les milliers d’indigènes qui bloquaient les infrastructures routières et pétrolières depuis près de deux mois. Le bilan fut terrible : au moins 33 morts parmi les policiers et les indigènes ainsi que de nombreux blessés. Les faits ont été condamnés partout dans le monde.

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...les raisons du conflit sont les conditions d'insécurité juridique dans lesquelles sont maintenus les peuples indigènes et la stra-tégie de confrontation du gouvernement...

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Ces recommandations correspondent par ailleurs à celles faites il y a quelques années par la Commission de la Vérité et de la Réconciliation mise en place pour déterminer les responsabilités durant la période de terrorisme et de répression (1980-2000) et rechercher les pistes « pour que cela ne se répète pas ». Ce travail avait mis en lumière le lourd tribut payé par les populations indigènes : 75 % des victimes du conflit armé interne parlaient Quechua ou d'autres langues autochtones.

L’ampleur du problème des ressources naturelles est en réalité gigantesque, dépassant largement la région de Bagua, et est la première source de conflits sociaux dans le pays. En effet, 72% de l’Amazonie est sous concession pétrolière, 10% sous concession pour l’exploitation du bois et des projets de grands axes routiers et de barrages (projet IIRSA) se mettent aussi en place. Dans les Andes, on a la même politique d’extraction massive des ressources naturelles si bien qu’ au total, quelque 19 millions d’ha se trouvent sous concessions minières. Or, ces régions sont peuplées et habitées dans de nombreux cas par des populations autochtones ou descendantes de populations habitant la région avant l’époque coloniale et considérés trop souvent comme des citoyens de seconde zone.

Ils sont les premières victimes de ces politiques d’exploitation. Promouvoir un véritable dialogue interculturel est essentiel, car, sans cela les populations locales n’ont aucun mot à dire en ce qui concerne le développement de mégaprojets extractifs sur leurs terres. Le seul levier légal à leur disposition actuellement est la convention 169 de l’OIT sur les peuples indigènes et originaires qui accorde à ces populations le droit à être consultés. Sa mise en œuvre effective doit être une priorité et prendre également en compte les populations andines.

Une avancée notable a eu lieu ces dernières semaines. Ce 19 mai, le Congrès péruvien a en effet adopté une loi sur la consultation préalable qui confère aux indigènes le droit d’être consultés avant l’adoption d’une loi ou d’un règlement administratif qui les affecte directement, eux et leurs territoires. De nombreuses ONG péru-viennes et des associations comme l'AIDESEP (Association inter ethnique de développement de la forêt péruvienne) demandent que le Président promulgue au plus vite la loi votée par le Congrès et ce bien qu’elle soit imparfaite et contienne des ambiguïtés qui devront être levées.

Elle est un pas important en vue de la sécurité et la stabilité juridique des communautés et des peuples indigènes. Au-delà des aspects juridiques, la consultation et le consentement explicite des peuples avant toute exploitation de leur territoire signifient reconnaître le droit pour les populations de choisir leurs modèles de développement, sans que celui-ci ne soit unilatéralement imposé par le gouvernement central. Ce droit à décider eux-mêmes sur leur devenir – avec ou sans exploitation pétrolière ou minière – est revendiqué, justement, de manière de plus en plus claire par les mouvements amazoniens et, dans une certaine mesure, andins.

Ces alternatives, de la part de peuples qui vivent dans des régions fragiles, de grande biodiversité et ont appris à la gérer avec parcimonie pour la préserver, sont, plus généralement, une opportunité de repenser les modèles généraux de développement, dont l’urgence se fait de plus en plus grande chaque jour (crise économique et environnementale).

Pour ces différentes raisons, nous demandons donc, avec les mouvements sociaux amazoniens et andins : le respect de la Convention n°169 de l’OIT sur les peuples indigènes et originaires, la promulgation de la loi sur la consultation préalable, la révision des sept décrets législatifs encore en vigueur à l'origine de la protestation et la mise en place de véritables processus de dialogue, où les différentes parties pourront être entendues et respectées au moment de la prise de décision. Une réforme profonde de l’Etat contribuerait à lutter contre l’impunité, la violation des droits humains et la corruption.

Broederlijk Delen CATAPA

Centre Avec Centre Tricontinental (CETRI)

CNCD-11.11.11 Comité Impulsor Perú

Commission Justice et Paix Belgique francophone COPERBE El Andino 11.11.11

Entraide et Fraternité Esperanza TM

Identité Amérique Indienne Plataforma Perú Bélgica

Service de Formation et d’Information sur l’Amérique latine (SEDIF) et

Francois Houtart, professeur émérite de l’UCL Isabel Yepez, professeur à l’UCL, membre du Groupe de

Recherches Interdisciplinaires sur l’Amérique Latine (GRIAL)

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E n Bolivie, le Nidel se trouve dans une situation difficile : diminution de l’aide

extérieure, santé délicate et âge avancé du père Jean, contexte politique intéressant mais exigeant (évolution positive des salaires en augmentation de 15 à 17 % par an1), exigence parentale (qui prouve leur intérêt envers l’éducation de leurs enfants, mais alourdit le travail).

Le padre a décidé de changer le statut des éducateurs, de salariés à indépendants, sans changement de salaire mais avec perte de certains avantages sociaux (c’est un peu le même que rencontrent nos enseignants non encore nommés, licenciés chaque année).

Il faut savoir que 70 à 80% des emplois à El Alto sont des emplois précaires (par exemple du type petit commerce de rue). Malgré tous ces changements, les éducateurs gardent un emploi réel avec en bonus une assurance soins de santé tout de même. L’option pour un statut d’indépendants apparait donc comme un moindre mal !

Par ailleurs, les enfants doivent désormais contribuer aux frais de matériel par un apport de 10 boliviens par mois (environ 1€). Bien que symbolique à nos yeux cette mesure fait diminuer le nombre d’enfants inscrits (triste situation puisque ce sont souvent les plus pauvres qui ne peuvent plus payer). Nidelbarmi est passé de 1200 à 800 participants, une diminution d’un tiers. Sans doute faudra-t-il moduler car c’est trop dommage pour les plus pauvres. En même temps cela n’est pas dénué d’avantages puisque cela permet aux éducateurs d’avoir plus de temps par enfant et donc d’augmenter la qualité du travail. De plus cela responsabilise plus les familles par rapport au projet (les effets pervers de la gratuité sont bien connus).

Enfin le Padre Juan commence tout doucement à laisser plus d’autonomie à la direction bolivienne du Nidel, c’est très important pour en assurer la continuité.

Malgré toutes les réunions, problèmes de voisinage et autres, j’ai pris le temps de visiter un maximum de centres en allant souvent dans leur quatre sections (Bamby, 1ère, 2ème et 3ème). J’ai pu expliquer au padre Juan que vraiment j’y ai vu de bonnes et de très bonnes choses et que je reste séduit par le travail des éducateurs et par l’évolution des enfants au fil des années. Alors qu’il y a deux ans j’expliquais à Vilma , la directrice de El Alto, que ma petite fille qui n’avait qu’à peine 3 ans savait déjà écrire son nom, à ma grande joie, cette année, j’ai pu constater que les Bamby eux-aussi écrivaient déjà leur nom sur leurs feuilles de dessin.

J’ai aussi assisté à une réunion de parents à El Alto, où manifestement ceux-ci se disaient enchantés du travail du Nidel et des éducateurs.

La semaine de Pâques, je l’ai passée dans un petit village perdu dans l’immensité de l’Altiplano. C’est à chaque fois, pour moi, un tout bon moment du voyage. J’y puise une expérience de vie comme nous ne pouvons ici même plus en imaginer l’existence, noyés comme nous le sommes dans notre monde de consommation à outrance ! Une prochaine fois j’insisterai avec vous sur la qualité de l’accueil et le charme de la curiosité des enfants qui suivent toutes mes initiatives avec passion !

1 Le président Evo Morales a instauré une pension pour tous les boliviens en âge d’arrêter le travail rémunéré ainsi que pour les mères célibataires. Cela n’a l’air de rien du tout pour des gens comme nous (quelque chose comme 200 bolivianos, soit 30 $ / mois), mais croyez-moi pour les gens là-bas il s’agit d’un véritable bouleversement de leur mode de vie !

Notre ami Julien Nyckmans a comme chaque année rendu ce dernier printemps visite au Nidelbarmi, il nous en rapporte quelques impressions :

NNOUVELLESOUVELLES DUDU PROJETPROJET « « NNIDELBARMIIDELBARMI » (B» (BOLIVIEOLIVIE))

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ASSOCIACIÓN

ASSOCIACIÓN HUARAYO

HUARAYO : : UNE

UNE ONG

ONG QUI

QUI VAUT

VAUT LELE DÉTO

UR

DÉTO

UR..

I mmanquablement, j’étais aussi pétri par ces stéréotypes, marqué par les récits et les

images qui façonnent notre conception exotique de l’ailleurs. Trois années de vie sur place m’ont permis d’entrevoir un autre Pérou et d’aborder une réalité particulière de l’Amazonie sud péruvienne.

Après des licences en anthropologie, le moment était opportun pour envisager un long séjour à l’étranger. Dans un premier temps, j’imaginais une année de bénévolat en Amérique Latine, sans avoir d’idées bien précises sur l’endroit et le travail à réaliser. Le hasard des rencontres dans le monde associatif belge déciderait de ma destination et de ma fonction. C’est alors que je fis la connaissance de Jérôme de Roubaix qui envisagea une participation à différents projets de sa connaissance. Par son intermédiaire, j’entrai en contact avec Oscar Guadalupe, directeur de l’Association Huarayo, une petite ONG péruvienne qui lutte pour la défense des droits des enfants dans le département de Madre de Dios. Huarayo acceptait de m’accueillir un an, m’offrant le gîte et le couvert en échange de mes services.

Cette petite association gère différents projets destinés à améliorer le cadre de vie des enfants et des adolescents de l’Amazonie. La région se caractérise par ses exploitations d’or informelles, de grandes surfaces de terres déboisées dont le substrat est lavé pour récolter la précieuse poussière dorée. L’attrait d’une vie meilleure crée alors un afflux de migrants venus des Andes, espérant profiter de cette économie parallèle créée par l’extraction de l’or. Malgré un contexte économique plutôt favorable, la population vit dans des conditions misérables, frappée par la malnutrition, l’alcoolisme et les violences familiales, une situation de pauvreté sociale dont les enfants sont les premières victimes.

Il y a douze ans, l’Association Huarayo prenait en charge une auberge. Elle accueillait une trentaine d’adolescents issus de familles d’agriculteurs, leur permettant d’accéder à une meilleure scolarité tout en leur offrant la possibilité de participer au quotidien selon un principe d’autogestion : des assemblées sont formées par les jeunes afin d’établir leur horaire et les activités telles que le ménage, la cuisine

ou la détente. De plus, filles et garçons s’organisent pour l’entretien des parcelles de terre dans la ferme écologique. Un des objectifs était de favoriser l’agriculture comme alternative économique à l’exploitation minière. Mais l’augmentation des revenus et l’amélioration de la mobilité grâce à la construction de la route transamazonienne diminuèrent la demande des familles locales envers

l’auberge. Huarayo mit alors l’accent sur ses autres projets liés à la défense des droits de l’enfance.

Depuis de nombreuses années, l’association propose gratuitement des orientations familiales, elle effectue un travail de prévention des violences et promeut l’importance de l’éducation. De plus, Huarayo soutient un réseau de bénévoles communautaires attachés à la défense des enfants au cœur des zones minières, réseau que l’association a elle-même créé. Il y a peu l’auberge a été reconvertie en refuge pour les jeunes victimes : bébés abandonnés, jeunes filles violées, adolescentes enceintes, en situation d’exploitation domestique ou victimes de la prostitution, jeunes errant à la recherche d’un travail loin de leur lieu d’origine. L’intention première de ce refuge est de soustraire l’enfant ou l’adolescent aux dangers qui le menacent et lui offrir les bases d’une sécurité alimentaire et matérielle. Par la suite, selon la situation et l’âge de la victime, soit le contact est établi avec la famille, soit elle intègre une institution spécialisée de l’Etat, soit elle reste pour une période indéterminée au sein de l’auberge Huarayo. Toujours, c’est l’intérêt de l’enfant qui prime.

Lorsqu’on pense au Pérou, on imagine l’Empire Inca, la Cordillère des Andes ou les lamas. Les costumes bigarrés des paysans près des maisons d’adobe sur les rives du Lac Titicaca ou encore les célèbres ruines du Machu Picchu. On oublie bien souvent qu’environ un tiers du territoire est couvert par la forêt amazonienne. Évoquer l’Amazonie, c’est encore faire surgir un lot d’idées préconçues : la forêt vierge et ses dangers ; des indigènes en harmonie avec la nature ; les ravages de la déforestation par de grandes entreprises…

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J osé Serra le principal candidat de l’opposition brésilienne, en

prévision des prochaines élections présidentielles en octobre

prochain2, a soulevé la polémique en affirmant que presque la

totalité de la cocaïne consommée au Brésil arrive de Bolivie et en

accusant le président Evo Morales de complicité.

« Vous pensez que la Bolivie exporte 90% de la cocaïne consommée au Brésil sans qu’il y ait une complicité de son gouvernement? Impossible !

Ces accusations du leader du Parti de la Social Démocratie

Brésilienne (PSDB) envers un gouvernement bolivien dont le

président est un grand ami de Lula feraient partie d’une offensive

contre la politique

extérieure de

l’exécutif brésilien

taxé de complaisance envers des

gouvernements qui ne respectent pas les droits

de l’homme tels que Cuba, le Venezuela et l’Iran.

2 Lula da Silva terminera son second mandat, ne pouvant se

représenter pour un 3ème mandat, la candidate de son

Parti des Travailleurs (PT) sera Dilma Rousseff. Elle sera

opposée au maire de Sao Paulo José Serra, déjà candidat en

2002, battu au second tour lors de l’arrivée au pouvoir de

Lula.

Au fil de mon séjour, j’ai vu les projets évoluer avec cette formidable capacité d’adapter l’intervention d’après un contexte socio-économique extrêmement mobile, tout en respectant les objectifs fondamentaux de l’association : offrir un soutien aux plus démunis tout en favorisant leur émancipation pour une amélioration de leur condition. Tandis que le centre d’activité de l’association avait toujours été Mazuko, village à l’entrée du bassin amazonien et de la zone minière, une force de participation s’est alors créée dans la capitale du département, Puerto Maldonado. Cette ville constituant le siège des administrations de la Région, Huarayo y est devenu peu à peu un acteur incontournable de la société civile et est dorénavant perçu comme un spécialiste des questions liées à l’enfance.

Face au dévouement, à la sensibilité, à l’intelligence et à la gentillesse d’Ana et Oscar, ce couple de péruviens à l’origine du projet Huarayo,

ce que je pensais être une année de bénévolat au Pérou s’est transformée en un travail de collaboration de trois ans à l’origine d’une solide amitié. Je mesure à présent l ’ i n e s t i m a b l e richesse de cette expérience, la f o r m i d a b l e opportunité qui m’a été donnée de p a r t a g e r a u quotidien cette vie

émotionnellement intense dans un contexte culturel différent. Je repense alors à cette phrase de Virgile dans L’Enéide, « la Fortune sourit aux audacieux », mais aussi à Hugo Pratt pour qui « voyager dessille les yeux mais qui part con revient con ».

8

Caricature des présidents Evo Morales et Lula da Silva.

L LAA COCA

COCA DANS

DANS LALA CAMPAGNE

CAMPAGNE B BRÉSILIENNE

RÉSILIENNE

Thomas DE ROUBAIX.

Julien LEFEVRE.

Page 9: Journal juin 2010

D u 20 au 22 avril 20 000 personnes ont

participé à Cochabamba à la première

Conférence mondiale des peuples contre

le changement climatique. Objectif : ne pas

laisser l’échec de Copenhague paralyser

l’action contre le réchauffement global.

« C’est un cadeau que fait la Bolivie au monde » s’enthousiasme Nnimmo Bassey,

leader écologiste du Nigeria. « Ici, c’est l’endroit où le peuple parle au peuple, où le peuple parle au gouvernement, et où le gouvernement parle au peuple. A Copenhague, le peuple ne pouvait pas participer aux discussions ».

On retiendra la

proposition d’un tribunal

international de justice

climatique et environnemental

et l’appel à un référendum

mondial sur le changement

climatique portant, notam-

ment, sur la nécessité d’une

"déclaration universelle des

droits de la mère Terre".

Malheureusement Evo s’est bêtement

égaré à l’heure de condamner les dérives

alimentaires, il a déclaré (humoristiquement?)

que « le poulet que l’on mange est chargé d’hormones féminines. Quand les hommes mangent de ces poulets, ils connaissent des déviances dans leur être masculin ». Ces propos regrettables ont constitué une occasion rêvée

pour l’opposition de tirer à boulets rouges sur

une initiative pourtant louable, servant même

d’excuse à certains propos racistes.

J osé Mujica, ancien rebelle d'extrême-gauche (un des fondateurs du Mouvement de libération nationale - Tupamaros), est le nouveau président uruguayen

(depuis le 1er décembre 2009).

Personnage truculent et au passé douloureux

(emprisonné et torturé 13 ans sous la dictature de 73 à

85), "Pepe", comme le surnomment affectueusement ses

concitoyens, ne compte pas changer son train de vie. La

vie dans la capitale très peu pour lui, le président siégera à

la campagne. Son seul patrimoine est une coccinelle de

1987. Il reverse 70% de son salaire présidentiel de 9700

euros pour construire des logements sociaux.

A 74 ans, Pepe se sent proche à la fois de ses

homologues vénézuélien Chavez et brésilien Lula, ne

cache pas sa différence : "L'un des avantages de la vieillesse, c'est de pouvoir dire ce que l'on pense", estime-t-il.

Caricature du président uruguayen Pepe Mújica.

Journal La República 24-04-2010 (« Orgullo polluno » = « Fierté poulesque »).

U UNN PRÉSIDENT

PRÉSIDENT PAS

PAS BANAL

BANAL

U UNE

NE BELLE

BELLE INITIATIVE

INITIATIVE ETET UN

UN DÉRAPAGE

DÉRAPAGE

Thomas DE ROUBAIX.

Thomas DE ROUBAIX.

Page 10: Journal juin 2010

LA FACE CACHÉE DE LA COLOMBIE

LA FACE CACHÉE DE LA COLOMBIE

E n Colombie, on pourrait penser que

depuis qu’Ingrid est sortie de la jungle

il ne s’y passe rien qui puisse retenir l’attention

et pourtant....

En décembre 2009, à l’occasion de la

visite d’une délégation de syndicalistes et

d’eurodéputés britanniques alertés par les

habitants, ce qui est sans doute la plus grande

fosse commune de l’histoire contemporaine de

l’Amérique latine a été découverte à

La Macarena, à 200 km. de Bogotá. Juriste et

secrétaire du Comité permanent pour la

défense des droits de l’homme en Colombie,

Mr Jairo Ramírez, qui accompagnait la

délégation britannique, a déclaré: « Ce que nous avons vu est effrayant […] Une quantité infinie de corps et, à la surface, des centaines de planches de bois de couleur blanche portant l’inscription "non identifié" et des dates allant de 2005 à aujourd’hui ».

D’après les témoignages recueillis, entre mille

cinq cents et deux mille

personnes assassinées –

paysans, syndicalistes, leaders

communautaires – pourraient

avoir été jetés-là par les

paramilitaires et les forces

d’élite de l’armée déployées

dans la région.

Un rapide retour en

arrière s’impose pour

comprendre la terrible

situation actuelle et se rendre

compte qu’on nous dit

parfois pas toute la vérité (au

cas où certains en douteraient). D’abord il faut

bien se dire que comme tout bon pays latino

qui se respecte la Colombie est composée

d’une oligarchie qui contrôle terres et pouvoir

politique au détriment de la majorité paysanne

et avec la complicité/participation/appui

financier du pays des hamburgers et

d’Hemingway.

En 1948 l’assassinat d’Eliecer Gaitan,

leader libéral qui tenta de mobiliser les classes

populaires contre l’oligarchie, marque le début

d’une terrible guerre civile - la Violencia - qui fera 300 000 morts. Face à la violence

conservatrice, des guérillas libérales et

communistes font leur apparition. Aujourd’hui

les nombreux groupes armés (aussi bien

révolutionnaires que liés à l’état) sont des

héritiers de ces sanglants affrontements. Les

paramilitaires sont nés à la fin des années 60,

dans le cadre d’une politique recommandée par

les conseillers américains pour « casser » toute

velléité de transformation sociale. Bras armé

des narcotrafiquants à partir de 1985, supplétifs

de l’armée pour mener la « guerre sale » contre

les bases sociales de la guérilla …

En 1982, le président conservateur

Belisario Betancur prend une initiative sans

précédent pour « faire la paix ». Un accord de

cessez-le-feu est signé et entre

en vigueur en 1984. Le pouvoir

s’engage à lancer une série de

r é f o r m e s p o l i t i q u e s ,

économiques et sociales

(condition exigée par les

révolutionnaires). Il établit un

délai d’un an pour permettre au

mouvement armé de s’organiser

politiquement.

En novembre 1985, les FARC3

lancent un nouveau et large

mouvement, l’Union patriotique

(UP), lequel participe avec succès

aux élections de 1986 (plusieurs

députés et sénateurs sont élus). Mais malgré le

cessez-le-feu une vague d’assassinats sans

précédent fauche 4 000 dirigeants, cadres et

militants de l’UP. Ce véritable génocide politique renforce les FARC dans leur conviction que la

lutte armée est la seule voie possible vers la

prise du pouvoir, sans les justifier on peut

comprendre leur manque de confiance envers

le pouvoir.

Le 20 juin dernier les colombiens ont élu leur nouveau président, le conservateur Juan Manuel Santos, dauphin du président sortant Alvaro Uribe, ce qui ne laisse rien présager de bon pour sortir de la terrible vague de violence et de corruption que connait le pays depuis plus de 50 ans. Petit point sur un pays dont on entend parler par à coups et dont on ne dévoile pas souvent toutes les facettes.

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3 Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia - Ejercito Popular fondées en 1966 constituent la principale guérilla impliquée dans

le conflit armé colombien.

Page 11: Journal juin 2010

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Ce qu’il y a de frappant

avec la sombre réalité

colombienne c’est la vision que

l’on en a si on ne fouille pas un

peu la superficielle carapace

médiatique. Souvenez-vous : il y

deux ans on ne parlait que de

cela : la libération d’Ingrid

Bettancourt (candidate à la

présidence avec des origines

françaises enlevée 6 ans plus tôt par les FARC).

A moins d’être un fin connaisseur de ce pays,

quelle image avez vous gardé des forces en

présence. Les FARC ? Au mieux c’est une

révolution pervertie par le narcotrafic, au pire

des terroristes sanguinaires. Le gouvernement ?

Il combat de la barbarie, défend la démocratie

et forcément fait des omelettes en cassant

quelques œufs.

Soyons clair je ne cherche pas ici à

m’ériger en défenseur de la guérilla mais à

rappeler que la réalité est complexe, que les

exactions, les assassinats et magouilles auquel

est mêlé le gouvernement font légion, que la

cause de toute cette violence n’est pas comme

le prétend la version « officielle » l’affaire de

quelques sauvages illuminés et sans cœur.

Deux alibis font des ravages

depuis longtemps : la lutte

contre le terrorisme et le

narcotrafic, légitimant une

politique du « au grands maux

les grands remèdes » qui bafoue

les droits de la majorité. En

Colombie d’une certaine façon

40 millions de personnes sont

otages de cette violence et ce

sont toujours les plus pauvres qui payent le prix

lourd, les victimes civiles et militaires (dans un

camp comme dans l’autre) sont des gens du

peuple !

Malheureusement l’éclairage de "l’affaire

Bettancourt" a en fait permis d’occulter la partie

la plus terrible de cette situation. La

médiatisation peut parfois avoir cet effet

pervers de cacher une part importante de

vérité. Pour s’en convaincre rien de tel que

d’écouter la propre mère de l’otage la plus

célèbre, interviewée alors que sa fille est encore

captive et qui estime que les demandes de la

guérilla sont légitimes : les gens au pouvoir ont intérêt à dire que tout est merveilleux […] ils payent très cher des gens pour nettoyer l’image du gouvernement4 !

Thomas de Roubaix

4 Interview en 2007 de Daniel Mermet pour l’émission « Là-bas si j’y suis » (voir Rincón de las Cosas Buenas).

Page 12: Journal juin 2010

LETTRE

LETTRE ENTH

OUSIASTE

ENTH

OUSIASTE D’UN

D’UN GRAND

GRAND ÉCRIVAIN

ÉCRIVAIN

M alheureusement, je ne pourrai être avec vous […] pour être là sans y être je vous

envoie au moins ces mots.

Je veux vous dire que j’espère que l’on fera tout ce qui est possible, et l’impossible également, pour que le Sommet de la Terre-Mère soit la première étape vers l’expression collective des peuples qui ne dirigent pas la politique mondiale, mais qui la subissent.

J’espère que nous serrons capables de faire avancer deux des initiatives du compagnon Evo, le Tribunal de la Justice Climatique et le Référendum Mondial contre un système de pouvoir fondé sur la guerre et le gaspillage, qui méprise la vie humaine et sonne la fin des bienfaits terrestres.

J’espère que nous serrons capables de parler peu et de faire beaucoup […] nous sommes fatigués de l’hypocrisie des pays riches, qui sont en train de nous laisser sans planète tandis qu’ils prononcent de pompeux discours pour dissimuler leurs destructions.

Il y a ceux qui disent que l’hypocrisie est l’impôt que le vice paie à la vertu. Les autres disent que l’hypocrisie est l’unique preuve de l’existence de l’infini. La rhétorique de la “communauté internationale”, ce club de banquiers et de guerriers, prouve que les deux définitions sont correctes.

Je veux célébrer la vraie force qu’irradient les mots et les silences qui naissent de la communion humaine avec la nature. Et ce n’est pas par hasard que ce Sommet de la Terre-Mère se déroule en Bolivie, cette nation de nations qui se redécouvre elle-même au bout de deux siècles de mensonges.

La Bolivie vient de célébrer les dix ans de la victoire populaire dans la guerre de l’eau, quand le peuple de Cochabamba a été capable de battre une entreprise californienne toute-puissante, propriétaire de l’eau par l’œuvre et la grâce d’un gouvernement qui se disait être bolivien et était très généreux avec l’étranger. Cette guerre de l’eau a été l’une des batailles que cette terre continue de livrer pour défendre ses ressources naturelles, c’est à dire pour défendre son identité avec la nature.

Il y a des voix du passé qui parlent au futur.

La Bolivie est l’une des nations américaines où les cultures indigènes ont su survivre, et ces voix

résonnent maintenant avec plus de force que jamais, malgré la longue période de persécution et de mépris.

Le monde entier, étourdi comment il est, déambulant comme un "aveugle dans le brouillard"|, devrait écouter ces voix. Elles nous apprennent que nous, les humains, faisons partie de la nature, nous sommes parents de tous ceux qui ont des jambes, des pattes, des ailes ou des racines. La conquête européenne a condamné pour idolâtrie les indigènes qui vivaient cette communion, et pour avoir cru en elle ils ont été fouettés, égorgés ou brûlés vifs.

Depuis la Renaissance européenne, la nature est devenue une marchandise ou un obstacle au progrès humain. Et jusqu’à aujourd’hui, ce divorce entre nous et elle persiste, à tel point qu’il y a encore des gens de bonne volonté qui sont émus par la pauvre nature, si maltraitée, si blessée, mais en la voyant de l’extérieur. Les cultures indigènes la voient depuis l’intérieur. En la voyant, je me vois. Ce que je fais contre elle, est fait contre moi. Je me trouve en elle, mes jambes sont aussi le chemin qui la parcourt.

Célébrons donc ce Sommet de la Terre-Mère. Et j’espère que les sourds écoutent : les droits de l’homme et les droits de la nature sont deux noms de la même dignité.

Je vous embrasse, depuis Montevideo. »

Eduardo Galeano

Dans la continuité des articles sur le sommet des peuples qui s’est déroulé à Cochabamba en Bolivie nous relayons la lettre qu’Eduardo Galeano, bloqué à Montevideo, a adressé aux participants de cette rencontre.

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...les droits de l’homme et les droits de la nature sont

deux noms de la même dignité...

Page 13: Journal juin 2010

A vant de revenir dans nos contrées belges, je

décidai de prendre à nouveau la route, partir à

la recherche d’autres horizons, me sentir une fois

encore nomade. Pour un temps, j’aime larguer les

amarres et dériver seul là où me mène mon désir.

Alors j’ai le sentiment d’une toute-puissance sur

mon être, répondant

à ma seule volonté,

comme libéré des

liens tissés peu à peu

par un quotidien

routinier.

Tout comme le Pérou avait été une

destination désirée pour un séjour de quelques

années, la Patagonie restait pour moi une terre

vierge à explorer, fichée depuis longtemps dans un

recoin de mon esprit comme la destination d’une

inévitable expédition. Je me souvenais d’Antoine

de Tounens, ce français du 18ème dont l’audace de

tout quitter fut récompensée par les autochtones

en le reconnaissant roi de leurs ethnies. Comme

bon nombre de figures extravagantes qui

construisent leur existence sur des rêves, il mourut

en France sans un sou, dans l’indifférence de ses

contemporains. J’affectionne particulièrement ces

individus capables de tout laisser pour contribuer à

des architectures imaginaires, concrétisant par

leurs aventures ce que seul permettait la pensée.

En plus de nombreux inconnus

cherchant une vie meilleure loin de l’Europe, la

Patagonie reçut Magellan, Darwin, Butch Cassidy

ou Hugo Pratt, des femmes et des hommes mus par

la seule volonté, capables de façonner des mondes

nouveaux par le génie de l’esprit. Plus fantasmée

que réellement

considérée, pas même

entrevue en image

dans des livres ou à la

télé, la Patagonie

restait pour moi une

terre de légendes,

imaginée aussi belle que sauvage. A mesure que je

traversais le nord de l’Argentine, j’entendais des

récits, on me présentait des cartes et des

destinations. Mon itinéraire, encore inconnu

quelques semaines plus tôt, se dessinait lentement.

Pour rejoindre les terres australes du continent,

j’optais pour suivre la cordillère et ne jamais m’en

écarter. Traverser à pied des vallées ensoleillées

nichées entre les montagnes dans l’attente d’une

voiture hypothétique et incertaine ou parcourir en

bus des jours durant les steppes arides de la célèbre

Route 40, tout s’apparentait à une quête, à la

poursuite d’une chimère, comme mettre à jour un

trésor imaginé depuis longtemps. Qu’allais-je

découvrir ? La rencontre serait-elle à la hauteur des

fruits de mon imagination ?

13

JU JUste ste 1 MOT 1 MOT (chronique de Julien Lefèvre)(chronique de Julien Lefèvre)

d’énormes murs de glace […] comme d’énormes bêtes sauvages

venues s’abreuver depuis les hauteurs.

Page 14: Journal juin 2010

Les montagnes assistent alors en témoin impassible et solitaire au cirque des vallées.

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La Patagonie est le règne des forces

sauvages, l’empire où se jouent les lois naturelles.

Elle est le lieu de l’extrême où se concentre la

puissance des éléments dans leur forme la plus

crue. L’eau peut être pluies torrentielles, glace

imposante ou fleuves furieux. Légère et aérienne,

elle surgit sous forme de nuages denses ou

clairsemés, réfléchissant la lumière du crépuscule

en extravagances impressionnistes. L’air se

présente en vents impétueux, chargés du froid

austral dans des courses infernales. Le souffle

incessant rappelle la fureur de vivre, la trace d’une

existence exaltée. Quant à la terre, elle est sable,

poussière ou humus mais surtout roche sculptée

par la furie innocente d’une tectonique des

plaques. Les montagnes assistent alors en témoin

impassible et solitaire au cirque des vallées.

Comme pour espérer une continuité vers le

sud, le continent se fragmente en archipel, petits

points de terre en suspension comme animés

d’une volonté d’expansion. L’océan dicte alors sa

volonté, s’immisce dans ces canaux désolés et

dicte sa loi. Il y a enfin le feu, incarné par le soleil

dont la lumière se reflète en des tons contrastés.

Des rayons vifs peuvent surgir de derrière un

nuage tel le doigt d’une divinité, un jeu d’ombre

rouge et jaune surgira d’une plaine couverte de

graminées, l’eau d’un port comme drapée d’une

riche parure dorée. Si les montagnes plantent le

décor de la Patagonie, le vent et la pluie sont les

comédiens incontournables d’une pièce mise en

scène par un soleil capricieux, tel un artiste

présomptueux sûr de la qualité de son art.

Enfin, ces lieux accueillent l’une des

formations naturelles les plus extravagantes qui

m’ait été donné de rencontrer, un colosse

atteignant parfois plusieurs kilomètres carrés : le

glacier. Il en existe plusieurs, la plupart se

déversant en coulée majestueuse depuis la

plaque glaciaire continentale entre le Chili et

l’Argentine : 21000 km2 de neige compactée soit

un désert blanc couvrant plus des deux tiers de la

Belgique. D’énormes murs de glace, certains de

plusieurs kilomètres de large, descendent

lentement les pans montagneux vers des

étendues d’eau douce, comme d’énormes bêtes

sauvages venues s’abreuver depuis les hauteurs.

Tout qui y passe à proximité ne peut qu’être

médusé par sa majesté, spectateur insignifiant

d’une force cinétique en puissance.

La glace se fend, craque, crie et détonne

comme émettant des rugissements pour rappeler

qu’elle est l’unique maîtresse des lieux.

Le spectacle subjugue et rend rêveur,

insinuant notre impuissance devant la grandeur.

Pourtant, les sons du glacier suggèrent une

plainte tel un animal blessé dont l’expression est

celle d’une âme en souffrance. Il rappelle

discrètement la fragilité d’une nature qui nous a

donné la vie, une beauté qui sera plus éphémère

encore si elle n’est pas aimée.

Julien Lefèvre

Page 15: Journal juin 2010

MUSIQUE

INTERNET

CINeMA

Une petite sélection colombienne, assurément un des pays latinoaméricains avec la plus grande richesse et diversité musicale :

• CHOCQUIBTOWN - Somos Pacifico (trio de rappeurs avec des rythmes savoureux).

• LIZANDRO MESA - Para Político No (chanteur/accordéoniste de style traditionnel).

• ARMANDO HERNANDEZ - La Zenaida (un grand classique de buenísima cumbia).

Pour faire écho aux propos sur la Colombie, deux documentaires qui permettent de

découvrir une réalité souvent méconnue, volontairement étouffée:

« HASTA LA ULTIMA PIEDRA » (Juan José Lozano - 2006)

Brosse le portrait d’une communauté de paysans regroupés en une communauté neutre

pour la paix. Les partis en guerre (armée/paramilitaires/guerrilla) n’ont toutefois pas toléré

ce procédé: des familles ont été déplacées de force, des récoltes incendiées et des citoyens

innocents cruellement assassinés.

« EL BAILE ROJO » (Yezid Campos Zornosa - 2007).

L’histoire du parti politique l’Union Patriotica (U.P.) fondé en 1985 au cours d’un processus

de paix accepté par les membres des FARC. Environ 4000 de ses membres furent assassi-

nés méthodiquement au cours d’un plan ciniquement dénommé « La danse rouge » mené

par des forces militaires liées au gouvernement en place de Belisario Betancur.

Nouveauté dans le Rincón une rubrique « radio », un média régulièrement plus fin et riche que son cousin télévisuel. Je veux vous parler pour cette première

d’une excellente émission française : « LA-BAS SI J’Y SUIS » de Daniel Mermet .

Créée en 1989, diffusée quotidiennement sur France Inter, elle tente de donner un éclairage différent à l'actualité, tant locale qu' internationale en donnant la parole à ceux qui ont moins d'exposition médiatique. Elle est qualifiée par son animateur de « modeste et géniale » et n’a pas peur d’assumer une certaine par-tialité réjouissante sans être caricaturale.

J’ai pu notamment écouter un excellent reportage en Bolivie, accessible pour tout néophyte mais d’un grand intérêt pour les connaisseurs, on y entend des intervenants très variés et les choix musicaux sont impeccables.

Ce qu’il y a de pratique c’est que les émissions sont archivées, classées par thématiques, pod-castables et téléchargeables sur le site www. la-bas.org, rien de tel pour des trajets voiture en solitaire.

En plus du site de l’émission dont je parle ci-dessus je vous invite à regarder deux bons docu-mentaires accessibles sur le net :

• L’un évoquant l’incroyable variété de pommes de terre que l’on trouve au Pérou http://videos.arte.tv/fr/videos/perou_miraculeuse_patate-3254560.html

• L’autre présentant un projet de développement avec des producteurs de grenadille http://www.ilesdepaix.org/video-grenadille.html

RADIO

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1 aprem familiale √

1 repas convivial √

1soirée festive √ samedi 4 septembre

mardi 19 octobre

Une histoire qui se raconte à tous les publics, deux su-perbes actrices pour la servir, des rythmes, des voix, des maquillages, des chants… Le Masque du Dragon embarque les cœurs pour un voyage ludique, poétique et citoyen !

ESPERANZA et CAP MIGRANTS vous invitent à 1 pièce de théâtre aux CHIROUX à LIEGE !