Download - Intime, Le Poete Vierge. (Oneirocritée)

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  • ^^m

  • Charles BaudelaireINTIME

  • DTAIL DU TIRAGE

    I exemplaire unique sur papier de Chine.

    20 exemplaires sur papier du Japon, numrots de a 21.

    250 exemplaires sur papier vlin d'Arches, numrotsde 22 271.

    ]\fo 222

  • NADAR ]jp.sul.;;;\

    Charles BaudelaireINTIME

    LE POTE VIERGE

    Dposition Documents Notes Anecdotes

    Correspondances Autographes et Dessins

    Le Cnacle La Fin

    PARIS ^>

  • A Jacques CRPET

    Poursuivant l'oeuvre paternelle, vous tmoignez vail-lamment que votre gnration ne garde pas fidlit

    moins pieuse la grande mmoire du pote dont jefus l'ami-

    Et votre zle est mme venu relancer le tardif hommagede ces pages ds longtemps jaunies que tout l'heure,

    sans l'encouragement de votre coopration offerte, mes

    quatre-vingt-huit ans laissaient derrire eux, feuilles

    mortes...

    Acceptez-en la ddicace qui vous est due.

    NADAR

  • Cherchez la femme ! a-Non dit. L'adages'impose ici premier.

    ^Joici donc tout d'abord celle qui prit telle

    place dans la Vie du pote, celle que l'ceuVre

    treint tant de pages, surtout par les colres

    et imprcations, la Voici telle que le hasard

    nous la fit connatre aVant de rencontrer

    Baudelaire lui-mme.

    Assez mal commode nous sera de retrou-Ver aujourd'hui, par ce Paris bouscul oGomboust aVec son plan ne se repreraitplus, la place de notre premire Vision de

    Jeanne DuVal. Essayons.

    *

  • >?ers 1839-40, sauf erreur, pas loin en

    tout cas, RiVe Gauche. Les grands bou-

    levards Saint-Michel, Saint-Germain n'exis-

    tent pas encore. Par les boues d'un inextri-

    cable lacis d'artrioles, Cluny touffe, em-

    mur. Des tronons de colonnes, des gar-

    gouilles en dbris jonchent son jardin. Dansun foisonnement de lierres et de mousses

    un petit garni borgne, l' Htel des Thermesde Jules Csar , rien que cela! a

    pouss en parasite sur l'un de ses flancs. Duquai del'Htel-Dieu, Vers son Petit Pont ,

    partent en jets de fuses sur le montant de

    Sainte-GeneViVe les deux rues troites et

    Visqueuses l'enVi de Saint-Jacques et de

    La Harpe (V/

  • Au tiers peine de la monte jumelle, une manire de repos en intersection sur la

    droite, une petite place pans asymtriques

    qui a nom le Clotre Saint-Benoist. DeVant

    nous, une antique btisse dont la stature

    noircie se dtache des masures Voisines

    un ou deuK tages en pltras : l'ancienne

    glise des Cordeliers, depuis longtemps

    dsaffecte , c'est le cas de le dire. Son

    club fut clbre l'heure des Jacobins.

    Pour aujourd'hui la Vieille basilique estdevenue thtre : le Thtre du Panthon. Le

    choeur dfonc, planchi, aVec pratica-

    bles , est la scne ; le rideau s'agraffe, la

    herse s'allume entre les ogiVes. Au-deVant

    de l'abside coupe par des cloisonnages, leVaisseau appartient la salle et au;c con-

    trles. Aux bas-ctes du choeur, qui sont de

    trs hauts cts, le long des pais piliers en

    points d'attache se dressent les montants et

    portants de sapin o s'appuie, assist de la

  • toile de fond, un dcor peinturlur par un

    pinceau ingnu : Ciceri ni Rub ne travail-lent pour les croquants de tel endroit. Cedcor surmen, caill, raill qui nous futdj tant de fois serVi, reprsente un salon

    bourgeois, et tout est en place pour la pre-

    mire d'un nouveau leVer de rideau, le

    S;^stme de mon Onch, Vaudeville en un

    acte ml de couplets, qui prcdera ce soir,

    tout l'heure, la quatre-vingt-huitime de

    L'J-^ocaUMubd { Loubet dj II! ) drameen cinq actes par "MV. Eugne Labiche,"Kai'c "Kichel et Auguste Lcfranc, grand suc-

    cs de quartier, succs inou : depuis trois

    mois, L'^S>ocat Loubd tient l'affiche, et a

    n'a pas l'air de Vouloir finir. Le futur auteur

    de La Cagnolk, du Chapeau de paille d'Italie, de

    LAffaire de la rue de Loureine, etc., faitVerser torrents les pleurs.

    Mais si nous sommes ce soir plus qu'exact notre place d'orchestre accoutume, ce

  • n'est pas pour L'^oal que nous savonspar cur, c'est en coup double pour la

    petite premire et un dbut annonc.

    Nous ne saurions, en effet, plus longtemps

    celer que, malgr notre ge d'innocence,

    nous aVons t agr la Re^ua d Gazdkdes fbfrcs de Lireujc pour rendre compte

    s'entend quand il y a place de reste

    des trois petits thtres de la riVe gauche.

    Panthon, Luxembourg, ce Bobino des

    tudiants, et Saint-H'arcel, cher auK tanneurs,

    rendez-Vous de la mgisserie du quartier.

    Et, modeste en notre gloire, nous nous

    acquittons de la tche aVec toute la scrupu-

    leuse conscience, le srieux du nophyte.

    Ne sommes-nous pas l'heure de la roman-tique formule en mot d'ordre sacramentel :

    L'Art est un sacerdoce I

    C'est pourquoi sincrement je souffre

    quand mon confrre et habituel Voisin, par

    trop insuffisamment sacerdotal, n'est pas

  • encore son poste pour changer et corro-

    borer nos impressions, car son exprience a

    sur moi autorit. Il est mon ancien :

    Vingt-quatre ans au moins, lui ! et il fait

    en bouche-trou au Sicle pour "K. "Katharel

    de Tiennes I "Kais il a Vraiment trop

    l'habitude de se faire attendre...

    Enfin, le Voici ! Et justement, les troiscoups frapps, le rideau se lVe...

    Une houle, un hourVari subit d'bahisse-ments, d'effarements dans la salle : quel-

    ques-uns, au fond, se dressent debout sur

    les banquettes... Il y a de quoi !

    En tenue consacre de soubrette, le petit

    tablier et le bonnet rubans flottants, une

    grande, trop grande fille qui dpasse d'une

    bonne tte les proportions ordinaires, sur-tout dans l'emploi, c'est dj quelque chosepour surprendre. Ce n'est rien : cette sou-

    brette d'extradimension est une ngresse,

    une ngresse pour de Vrai, une multresse

  • 7 .

    tout au moins, incontestable : le blanc

    crase paquets n'arriVc pas plir le cuiVre

    du Visage, du cou, des mains.

    La crature est belle d'ailleurs, d'une

    beaut spciale qui ne s'enquiert de Phidias,

    spcial ragot pour raffins. Sous le foi-

    sonnement endiabl des crespelures de sa

    crinire au noir d'encre semblent plus noirs

    encore ses -yeux grands comme des sou-

    pires ; le nez petit, dlicat, aux ailes et na-

    rines incises aVec finesse exquise ; la bou-

    che comme Eg^ptiaque, quoique des An-

    tilles, bouche de l'Isis de Pompi,

    admirablement meuble entre les forteslvres de beau dessin. Tout cela srieux, fier,

    un peu ddaigneux mme. La taille estlongue en buste, bien prise, ondulante comme

    couleuvre, et particulirement remarquable

    par l'exubrant, invraisemblable dveloppe-

    ment des pectoraux, et cette exorbitance

    donne non sans grce l'ensemble l'allure

    penche d'une branche trop charge de

  • fruits. Rien de gauche, nulle trace de ces

    dnonciations simiesques qui trahissent et

    poursuivent le sang de Cham jusqu' l'pui-sement des gnrations. Enfin la Voix est

    sympathique, bien timbre, mais dans les

    notes graves inusites chez les Dorine.

    L'inaccoutume personne se meut en

    toute rsolution sur les planches comme si

    elle n'aVait jamais fait qu'voluer devantune lucarne de souffleur. Mais quel que soitl'vident, imperturbable Vouloir d'entrer

    dans la peau du rle , comme prononcera

    Bignon pour le lexique des Coquelinires

    futures, le srieux, le hautain de la physio-

    nomie et ce timbre en contralto se refusentnet l'emploi. "H"on sige de critique est

    tt fait : il Y en a l pour les trois dbuts, et

    tout juste.

    Je demande l'aVis du confrre. Mais leconfrre est pour l'heure moins que jamais son (( Sacerdoce non plus qu' la pice

  • ^f':-..fegj^

  • * 11 o

    ni l'artiste : il n'a Vu, il ne Voit que la

    femme qu'il a du premier coup d'ozil dcla-re fort intressante , et aVec celui-l on

    sait ce que parler Veut dire : JLa bvk est

    partie...

    J'ai hsit longtemps... Le trs cher est

    pour moi l, toujours en sa chaste,tressaillante rserVe de sensitiVe, sa rpu-

    gnance native, son horreur de tout stupre,

    comme tenant par del la mort son rideau

    baiss...

    Et pourtant il nous faut ds l'abord remuer

    les impurets, toucher des cendres, puis-

    que c'est de l que doit se rvler un Bau-

    delaire inattendu, insouponn, pour nous

    avr : le Pote >?ierge.

    A nous donc (telle l'inscription prmo-2

  • -^ 12

    nitoire du fabliau : Ce que >?ierge ne doit

    lire ), nous d'aViscr la dlicatesse du

    lecteur, de le prmunir deVant tels dtailsscabreux que Viendra nous imposer la sanc-

    tion de notre thse, et d'ejccuser d'abord notre

    prsentation force de l'incongru mais essen-

    tiel personnage qui fut notre initial et dter-

    minatif indicateur. Pas de recul ! le dossier

    rclame toutes ses fiches et, plus amonceles

    au creuset les scories, mieux au prcipit

    s'aggraVcra la somme de nos dductions.

    Ce confrre tait alors un long garon sans

    fin^ maigre en diable et dgingand^ quel-

    que chose comme une ficelle aVec des

    nuds, merillonn, toujours en quted'aVenture, le plus grand chasseur de filles

    devant l'Eternel qu'on pt rencontrer. Ce

    n'est pas le gibier, c'est lui qui tait toujoursde passage et, bien que myope comme sang-

    sue, sans gal, l'escogriffe, pour tomber

    juste tout arrt. Indiscutablement laid, de

  • * 13

    tenue suffisamment modeste sinon parfois

    dlabre pour de prime abord liminer Vir-

    tuellement toute Vise de compensation r-

    munratiVe, pourtant cet agit pour qui la

    monogamie tait le Vrai cas pendable, cet

    instagiaire haletant et perptuel enquteur,

    ce dbraill, ce rp, ce pel Vivait jours et

    nuits en telle ferVeur constamment une, telle

    curiosit jamais inassouvie, que son inlas-sable zle se trouvait d'aVenture, quantit ou

    qualit, rcompens chaque carrefour,passant de droit acquis deVant les plus ave-

    nants et les mieujc hupps.

    Ouelle explication ce phnomne cou-rant de certaines laideurs prfres jusquedevant les dtresses, la disgrce, le repous-

    soir de la misre ? La femme est-elle donc

    tel point reconnaissante, malgr tout, contre

    tout, aVant tout, qui aVant tout et aVant

    tous l'aime, la cherche, la Veut? Pour em-

    ployer le langage du temps o, de par notre

    aimable Banville, on achevait de parler

  • -^ 14

    encore un peu Dieu;c et Desses, les Divi-

    nits de toutes les paroisses n'ont-elles pas

    toujours rserv leur meilleur aujc fidlesmme les moins accomplis mais les plusassidus? Beyle en aVait su quelque chose.

    Ce qui pour notre homme reste acquis, c'estque ses indnombrables sacrifices de colom-bes Vnus, SCS couronnes de myrte, distan-ant bien en arrire tous les milk e In'

    de don GioVanni, l'aVaient aurol d'unesorte de halo lgendaire qui laissa sa trane

    de lueur dans Thistoire galante du temps auPays Latin. Enfin, mais puis-je le dire ?

    tel point que certain soir de causes grasses,

    sur confessions accumules de ce matre-queuc en fricasses de museauxetdsesprantde modrer les bouillonnements de pareilleeffervescence, un trop factieux compagnon

    proposa sans autres faons, pour l'enseigne-

    ment et l'mulation des races futures, de

    tout au moins les enregistrer par l'applica-

    tion d'un compteur...

  • * 15 o

    Cette fois, la Vrit, la fille tait de port

    bien altier, n'a>Jait rien moins que l'air

    d'une garonnire , comme dit le Canut,

    et celle-l deVait tenir les galants toute

    longueur d'ombrelle. Mais plus la citadellese prsentait haute, plus l'assaut sifflait

    notre homme, et rien encore et toujours nerussissant mieu?c que le succs, comme

    toute pice par tel tireur Vise comptait neuf

    fois sur dix pour abattue on pouvait ds

    lors entrevoir la belle multresse, au tableau.

    La personne n'aVait au reste fait que se

    montrer sur. la scne pour disparatre, s'en

    tenant son trs demi-succs. Je me deman-dai plus tard, mis au courant des choses, par

    quelle fantaisie de caprice cet essai et surtout

    quelles conditions, par quels malfices,

    sortilges, l'octroi en aVait pu tre arrach

    de celui qui tenait en telle rpulsion le thtre

    comme toutes les promiscuits.

    Je ne fus d'ailleurs pas longtemps sans

  • 16

    nouvelles : le lendemain mme de cettepremire pour nous mmorable, le confrretait dans la place.

    C'tait rue Saint-Georges, i5 ou 17,

    presque en face du petit htel du pre u-ber le compositeur. Au second tage, sur

    la cour, un appartement modeste mais que

    le tapissier Venait de meubler neuf lgam-

    ment : la perse^ en sa premire faVeur d'alors,

    n'aVait pas t mnage. Une jeune femmede chambre, jolie, v quoique blonde ,

    comme disait le confrre, composait tout

    le service. Pas de cuisinire : les deu?c

    femmes allaient prendre leurs repas au res-

    taurant, ensemble.

    Le confrre tait au-dessus de la discr-

    tion en ses Victoires et conqutes : inconti-

    nent il me narra aVec abondance tous les

  • -^ 17

    dtails de la rencontre, Au pralable, il

    faisait immdiate justice des ignorants ou

    nigauds autres qui ne mritaient de com-

    prendre et goter le charme de la >?nus

    noire, laquelle, pour qui tient en estime les

    brunes, n'est en somme qu'une brune exas-

    pre. Il sMndignait surtout contre le stu-

    pide prjug olfactif, propos de s^cophantc, l'endroit des femmes de couleur, et c'est

    de toute l'altitude de ses comptences qu'il

    retournait l'accusation prcisment contre

    les blondes par lui rprouves, jurait-il, bien

    qu'en son chantier le faujc clectique ft pice

    de tout bois. Encore une fois de plus Venait-

    il de confirmer son enthousiasme pour la

    prexcellence du grain de peau si merveil-

    leusement fin chez la noire, laisser rugueux

    les satins de tous les autres dermes fminins,

    de la Sudoise l'Irlandaise. Il ne faisait

    d'ailleurs difficult d'aVouer que la belle,

    bien faite qu'elle ft, s'tablissait de han-

    ches un peu troites peut-tre, mais il est

  • * 18

    assez rare, cjcposait-il en maquignon sup-rieur, de rencontrer chez ces mammifresles deuN irains de parfait ensemble, la na-

    ture a^ant gnralement rgl de reprendre

    sur la part de l'un les bnfices de l'autre ;je n'aVais rien objecter.

    Passant aux dtails, notre mrite prati-

    cien, sa Vie entire tant l, se complaisait

    consigner et dvelopper chaque spcification

    aVec prcision de procs-Verbal en un tat de

    lieux : tel le chirurgien professeur didacti-

    qucment stipule les divers tats d'un cas. Et

    comme chez nous ds lors le terme parl

    devanait net et ferme la littrature dite na-

    turaliste, je fus crCiment mis au courant de

    tout et du reste, comme une exhibition

    anatomique, d'autant que le physiologiste

    ayant d'abord pass par quelques mois

    d'tudes l'Ecole de Mdecine, sa cliniqueentendait ne nous faire grce de rien. Il fut

    donc consign que, selon la gamme de la race,la coloration du corps tait sensiblement

  • 19
  • *20

    messes, achevait raccomplissemcnt de la

    belle sauVage. Seulement le confrre ne me

    celait qu'il et prfr toute autre senteur

    la dominante qui se dgageait, surtout aux

    instants dcisifs, de cette toison trop serre

    pour qu'Y pt pntrer l'air et rtiVe aux

    tranches du dmloir : quelque chose

    d'atroce, abominable, comme un relent de

    colle de pte srie... Mais part cela!...Par quelle spciale perversion des sens le

    pote des Fleurs du .J/Cal en arriVait-il

    flairer prcisment l pour nous les chanter

    les aromatiques effluVes du cinname et de

    la myrrhe?...

    On s'tait expliqu et entendu quant auxconditions rciproques dans le nouveau petit

    mnage. Premirement la dame, en effetaltire, aVait signifi qu'elle n'entendait ac-

    cepter rien, sous quelque forme que ce ft;

    Monsieur d'ailleurs subvenant tout.

    En se donnant, elle donnait, mais elle ne

  • ^

  • ^ 23 =

    recevait pas. Au restaurant mme, si on yallait, chacun soncot. Pour raisons tablies,

    cet article premier aVait t Vot sans discus-

    sion.

    En second lieu, non seulement l'lu pou-

    vait en toute libert se prsenter, mais encore

    il serait toujours le bienVenu toute heure, sauf de deuN quatre exclusivement

    rserves : l'heure de 'H'onsieur ,

    Monsieur > ne survenant jamais jamais! en de ni au del de ces deux uniques

    heures par lui fijces... Enfin, dernier article

    et expressment, notre prfr devrait, sans

    jamais exception, toutes les nuits.

    Le mot T^onsieur tait profr par la

    matresse et la suivante aVcc un mme ac-cent de dfrente et mystrieuse rscrVe...

    Malgr SCS accoutumances qui n'aVaientplus s'to^nner de rien, l'excs des facili-

    ts prsentes ne laissait pas que d'embrouiller

  • c 24

    quelque peu notre homme. D'autre part, lebatteur de rues et ruelles aVait lui-mme son

    genre de fiert et, comme on insistait le

    convier le plus frquemment possible, iln'hsita pas dclarer que, n'tant de carac-

    tre ni de taille se laisser celer dans les pla-

    cards, la place une fois par lui occupe, il la

    garderait contre quiconque survenant. Sa

    dlicatesse lui faisait du mme coup le deVoirde dnoncer aVeu de \u}

  • 25

    Monsieur tait un personnage trange,"abstrus, fantasque au possible ; aVant tout il

    tait celui dont un riVal n'aurait jamais con-cevoir jalousie : dont, deux >Joix, ratifi-

    cations et corroborations sans fin.

    Le confrre ne broncha point. Le cas tait

    lmentaire et, pour pratiquant de telle enver-

    gure, la dclaration n'aVait rien de neuf. Il

    aVait pass nombre de fois sous le mme dis-cours : de toujours il fut entendu, pour peuqu'elles aient la moindre dlicatesse, que

    toute femme marie, toute matresse par unautre entretenue n'eut jamais contact qu'aVecle prfr.

    "Mais alors, pour bouder telle cuisine,

    que pouvait tre l'autre, le particulier suffi-

    samment passif, en dehors de toute essence

    humaine, assez dnu de sentiments, dsirs,

    nerfs, jalousie, simple flair de conservation,

    pour aVoir ainsi rgl sur son chronomtre,

    lui-mme et constituliVement, sa propre Vie

  • ^ 26 o

    et la Vie de celle qui existait par lui, s'inter-

    disant de jamais frapper cette porte, saporte, aVantdeux heures, aprs quatre,

    laissant en toute scurit, sans jamais letressaut d'un soupon, l'intangible et sca-

    breuse libert de toutes les nuits?

    Evidemment quelque barbon bourgeois defacults plus que limites, quelque ancien

    rond de cuir en retraite ou apothicaire caco-

    chyme n'ayant que tout juste la permission

    de l'aprs-midi pour sa petite promenade desant pendant que sa bourgeoise le remplace

    la caisse.

    A la question : Fait-il quelque chose? on rpondit : Des Vers des Vers

    qu'il Venait lire frais clos la personne^

    sans qu'elle y entendt goutte, et on alla

    dans la chambre Voisine se mettre en qutede la dernire pice apporte.

    Un maniaque, pensa le confrre, etplus qu'assurment un idiot ! ))

  • 27

    Le morceau enfin retrouv sous un fau-teuil tait de ferme et haute plume sur unquart de grand papier de fil que je Vois en-core lgrement gris dans la pte -^ :

    A UNE MENDIANTE ROUSSE

    sJ^a Blanihdk aux chtriaux roux

    Dont la robe, par sus trous,

    JLaisse S)oir la pau-iraU

    El la beaul. . . '

    Monsieur tait quelqu'un ...

    Mais l'bahissement ne suffisait pas : le con-frre allait tre abasourdi :

    Le personnage d'importance, le solen-

    nel, essentiel quidam, l'homme chauVe et

    dsagrg qu'il se trouvait prsentement sup-

    ' Pice CXII des Fleurs du Mal. dition dfinitive.

  • . 28

    planter, "M'cnsicur tait presque de

    deux ans plus jeune que lui...Alors?...

    *

    On connat de reste la lgende de la ren-contre du bon derviche Persan, lequel en sa

    double besace portait depuis leur naissance

    ses trois filles et qui disait : Des deux par-

    deVant, moi, je crois pouvoir peu prs r-

    pondre; pour celle de mon dos, je ne ga-

    rantis rien.

    En matire tant subtile, assertion comme

    ngation sont dlicates en diable. Pour

    treindrerinsaisissablc,nous ne tenons, nous,

    que l'inexpliqu d'un premier indice. Ici,

    l'esprit dominait-il de si haut le corps ce

    point de le rduire anaphrodite, de l'anni-

    hiler, et telle quitude tait-elle bien authen-

    tique ? dfaut de qui jure l, tmraire quiparierait. Le plus sage apparat de n'accep-

  • 29 ^

    ter encore que sous bnfice d'inventaire

    cette premire dposition et de rserver con-

    clusion malgr l'explicite. Vtilleuse prcision

    de notre expert jur en ses dtails documen-

    taires et dductions.

    Avec celui-l, par exemple, les choses ne

    tranaient pas en longueur. Nulle part il ne

    faisait long feu et Tet eu belle la crature

    breVet pour garder plus d'un jour ou deux

    tel oiseau dans sa cage, s'entend encore en

    lui laissant bec librement ouVert pour tout

    autre casuel de picore, puisqu' la pelle il

    engrangeait ses bonnes fortunes, ayant tou-

    jours son trop de pain sur la planche (en un monosyllabe autrement cynique il articu-

    lait le mo\ pain...) "Kol, les femmes, jeles gche!... disait Tanimal, dgag, sou-

    verain.

    Cette fois, par exception notoire Vu le cas

    de couleur, la rencontre se prolongea bien

    4

  • -^ 30

    au del de l'obserVance courante et notre

    homme qui n'tait rien moins que de con-signe dut tre considrablement tonn se

    Voir, selon la prescription, arriver fidlement

    l'ordre pour l'pondre chaque appel du

    soir pendant un trimestre presque. La chose

    tait excessive en Vrit, cas d'abus presque

    impertinent et rdhibitoire. Aussi, raison-

    nablement, ne pouvait se faire davantage

    attendre un certain soir o la belle mul-

    tresse se trouva VeuVe...

    Froide et forte colre au retour du lende-

    main, l'orgueil tant non moins touch,

    et la petite suivante, comme indiffremment

    et d'un air dtach, mais courrouce non

    moins que sa matresse, soutenait par accords

    plaqus le morceau, a^ant par deVcrs elle

    aussi et quoique blonde quelques

    droits s'indigner...

    En conclusion, signification formelle de

    cong dfinitif sur rcidive. Cette bonne

    fois, c'tait bien provocation, dfi en coup

  • 31

    droit qui allait tre sur-le-champ relev : du

    tac au tac, second dcouchage, et, sans

    appel pour le coup, licenciement! D'o,

    quelque peu interloqu une seconde par tel

    renversement d'orientation des faons res-

    pectives en sa manire, Vers d'autres cieu>c

    ou, plus spcifiquement, ciels de lit, le d-

    barqu s'enVola...

    De l'thope un souvenir, persistant ob-

    jectif, de ces quelques lignes d'un billet de

    Jeanne :

    ... On sonne un gros coup. J'taiscouche et Louise sortie. Ce ne pouvait

    tre que toi. Je cours ouVrir en chemise.

    Personne ! mais travers la cour, de mon

    rideau je Vois ton toui'neau de frre qui file

    comme un cerf-Volant. Qu'est-ce que tu Vou-

    lais? "Oicns me le dire...

    Cette lettre n'a pu grossir le dossier pour

    graphologues recueilli par la pit dynastique

    de nos excellents Crepet. Notre enrag la

  • o 32

    brla, l'ingrat, dans l'uniVerscl et correct

    autodaf de toutes ses SVigns, la Veille du

    jour inou o comme tout le monde, conclu-siVement et pour un instant souffler de sa

    personne, il se maria!...

    Quelques deux ou trois mois aprs d-nouement de l'aVenture, je parle de l'aVen-

    ture noire, nous tions, de Banville, un que

    j'oublie n'tait-ce pas Deroy, le peintre?

    le tant menteur PriVat d'Anglemont et moi,

    jacassant, ppiant comme Vole de moineauxsur notre banc habituel du Luxembourg l'esplanade ombreuse gnralement dserte,au-dessus de la ppinire d'alors, aujour-d'hui pleure. Avec les galeries du pripa-ttique Odon, si pertinemment destin la Tragdie qu'en retournant comme peau delapin le monument, le dcor du temple grec

    est dj en place, nous avions fait de ce

  • ^^

    TIi.deBaNVILLE

  • 35

    sous-bois nos autres galeries ; notre propre

    tapage nous suffisant, nous laissions aux

    mamans et bonnes d'enfants le terre-plein

    en hmicycle qui domine le grand bassin.

    Je Vois encore Thodore tel que d'un

    simple linament le daguerrotypa le crayon

    de "Konjoie pour la Silhouette de Balathierde Bragelonne, en Vaste paletot-sac tra-

    nant sur les talons comme une toge, sans

    autre faon, pantoufles de Voisin en tapis-

    serie familiale, petite casquette poche

    sur l'arrire, Visire tombant pic,

    comme chez le horse guard , stature en

    moins, foulard au cou, peine nou,

    imberbissime et dj cette cigarette qui ne

    devait plus s'teindre, coupant jusqu'au po-tage : tout fait la mine d'un trop jeunefils de famille ensauV de chez papa-maman

    pour aller jouer la comdie au Thtredes jeunes lVes de Monsieur Comte,passage Choiseul, ce passage o deVait

    en effet finir notre Thodore, mais chez

  • -^36o

    l'diteur Lcmcrrc, encore clans les limbes,

    et de sa terrible Voix de tte en fausset,suraigu dans les finales, haute-contre per-

    ante comme poinon, parado?cant djcomme s'il en pleuVait.

    Le propos tout d'un coup tomba l'aspect encore lointain d'une figure bizarre,

    fantomatique, qui se dcoupait sous la Voiitedes Verdures, semblant Venir droit Vers notre

    banc.

    A mesure que l'apparition se rapprochait,comme aimante sur nous, plus distincte-ment nous percevions un jeune homme debonne taille moyenne, lgant, tout de noirVtu sauf la craVate sang de buf, en habit, a se rencontrait encore de jour, par-cipar-l : l'habit, qui dut tre mdit, d-

    mesurment Vas du torse en un cornetd'o mergeait comme bouquet la tte, et basques infinitsimales, en sifflet; l'troit

    pantalon sangl par le sous-pied sur la botte

  • 37 o

    irrprochablement Vernie. Col de chemise

    largement rabattu, manchettes non moins

    amples en linge trs blanc de fine toile pro-

    testaient par la proscription du moindreempois contre le supplice d'ericarcanement

    dont l'trange got s'obstine ankyloser nos

    gnrations prsentes dans les roideurs du

    calicot silicate : mancipation du corps

    n'aurait-elle quelque accointance aVec d-

    gagement de l'esprit ? A la main, gantede rose ple, je dis de rose , il por-

    tait son chapeau, superflu de par la surabon-

    dance d'une chevelure boucle et trs noire

    qui retombait sur les paules. Depuis

    Louis XI*^ en ses perruques on n'aVait Vu

    qu'au statuaire Christophe et Got dans

    Monsieur de Pourceaugnae, cascades de cri-

    nire aussi avantage.

    De premier droit une de ces rencontres

    o le passant reste bahi sur place.

    -- Tiens^ Baudelaire! ! ! dit alors ce

  • c 38

    Pri>)at qui connaissait l'entier univers et qui,

    pour une fois, disait Vrai.

    Le banc a tressailli : nous allions donc

    enfin le connatre, celui-l tant dsire, attrac-

    tion suprme ! PriVat nous aVait transports,nous en rcitant quelques pices, dont par

    exception fortuite le lgendaire craqueur

    aVait nglig de s'attribuer paternit.

    L'aspir tirait bien nous maintenant sur

    l'appel entendu, procdant dans sa marche

    par saccades des articulations ainsi que les

    petits acteurs en bois du sieur Sraphin,

    semblant choisir pour chacun de ses pas la

    place, comme s'il marchait entre des ufs

    ou qu'il craignt par ce sable innocent de

    compromettre le luisant de sa chaussure.

    Le noir du costume aidant, le geste retenu,

    mticuleux, concass rappelait les silhouettes

    successives du tlgraphe optique qui se

    dmantibulaient alors sur les tours de Saint-

    Sulpice ou, mieux, la gymnastique angu-

  • o39

    leuse de l'araigne par temps humide aubout de son fil.

    L'entente tait dj complte aVec notrenouveau malgr sa rserVe, car alors ainsi

    se passaient les choses et bien aVant

    les lectricits de "M. Edison : un quart

    d'heure peine, et tout le banc accom-

    pagnait en essaim Baudelaire son logis,

    quai d'Anjou en l'Isle, grimpant quatre quatre et bruyamment le dernier tage duVieil htel Pimodan^ enVahissiait l'appar-

    tement un peu mansard mais Vaste etconfortablement meubl. Un tapis couvraitentirement le parquet, luxe pour nous inu-

    sit. D'un grand fauteuil tout moderne et trs

    accueillant o je me carrai de suite je regar-

    dais quelques tableaujc, dont la miniature de

    "K" Aupick au long col et une inoubliablette de femme, cole italienne. Un peu plustard, la cimaise deVait s'enrichir du portrait

    de Baudelaire par Deroy, presque aussitt

    mort sur son uVre : qu'est devenue cette toile

    5

  • -^ 41 *

    del la mort, en toute occasion et sans occa-

    sion, de Banville ne cessa d'attester, de cla-

    mer son admiration enthousiaste pour le

    grand frre dont il se tenait comme le frre

    jeune, j'allais dire comme la petite sceur, etl'hommage Vaut d'autant que notre Thodoreportait haut, de tout droit, le sentiment de

    sa propre Valeur. Je crois qu'on trouverait

    difficilement dans l'histoire littraire un

    trait plus touchant et plus suivi.

    >}ingt ans plus tard on s'arrtait deVant la

    seconde persona de Baudelaire, soit que, par

    Paris ou Bruxelles, il trottt menu comme

    jadis, soit qu'il se tnt braqu, mditatif, au

    coin d'un carrefour. En Voyant cette tte

    toujours singulire s'Vasant du collet de la

    houppelande invariablement retrouss, nez

    Vigoureusement lob entre ces deux V^ux

    qu'on n'oubliait plus : deux gouttes de caf,

    sous des sourcils retrousss, lVres ser-

    res et amres, mauvaises, cheVeux argents

  • ^ 42 ^

    aVant V^ge, tantt trop courts, tantt trop

    longs, Visage glabre, clricalement ras jus-

    qu'au scrupule, le passant saisi, comme

    inquiet, songeait : Celui-l n'est pas tout

    le monde .

    Assurment l'trange en toutes choses de-meure la dominante caractristique de Bau-

    delaire, et aVec tant d'autres obstins encore

    scruter ce cerVeau, fouiller cette me com-plexes et contradictoires, nous restons

    dchiffrer l'indchiffrable. A l'enqute plusqu'ardue pourront s'entr'ouVrir certains

    aperus dans le fouillis de notes diverses,

    correspondances, dont notre contribution

    est due et par lesquelles nous allons battre

    les buissons, sans perdre de Vue notre point

    de dpart et d'arrive.

    Avant d'entrer tout l'heure dans la nuit

    o il Va rejoindre l'ami parti premier, il n'est

  • o 43 ^

    pas sans douceur pour le surVi^Jant de se

    retrouver une fois suprme aVec celui quiValut tant...

    Le premier billet de Baudelaire qui tombe

    sous ma main tmoigne que l'entente ne futpas moins cordiale que soudaine. On s'taitimmdiatement tout racont puisque rien cacher, tout en commun par ce coin de bo-

    hme, chaque copain dj en partance pourl'entraide au placement de copie ou concours

    quelconque. Non moins de prime abord aVaitdtonn le tutoiement : pas assez bents,

    nous autres, et trop hts, haletants de Vie

    pour perdre le temps allonger le discours

    en pluralisant le simple ( YousaS)eZy lu as,)

    d'essence trop galitaire pour nous aris-

    tocratiser par le VousVoiement.

    La dernire phrase tablit encore qu'on ne

    s'attachait pas aux Vaines distinctions de la

    nuit et du jour pour tomber toute heure sansfaon les uns chez les autres. "Kais il parat

    que cette fois le concierge se serait tenu rtif.

  • ^ 44

  • ^ 45 ^-

    les premires lignes de quelques-unes de

    ces lettres, le dtail est insignifiant ne por-

    tant que sur de minimes sommes d'argentde poche prtes ou rendues.

    Et surtout ne pas oublier ici que, comme

    n sous la noble devise des RaVensvJood :

    la main ouverte ! Baudelaire aVait d-

    but par dissiper une fortune plus que lib-

    ralement et qu' tel banquet n'aVaient pu

    manquer de se presser ses amis dont je

    fus.

    Ici, et ailleurs, longues lacunes dans ma

    correspondance Baudelaire, indignement d-

    cime par une succession de pillards. Ducarton bond jadis ne restent plus que quel-ques lettres dont tout l'heure nous rpar-

    tirons leurs dates la reproduction.

  • -^ 46 o

    Continuons de buissonner.

    Les ans ont pass, on s'est assagi, assis. Je

    n'ai pas entorc prsent Baudelaire dans

    mon mnage. Il Va s'en charger tout seul.

    Un matin, je suis sorti ds la premireheure. Madame, peine leve, entend forttapage dans la salle manger. Elle entr'ouVre

    la porte...

    La grande table de chne a t pousse

    Vers la paroi, assez haute. Sur la table une

    chaise, sur la chaise un M'orisieur hiss s'al-

    longe pour examiner de plus prs un tableau

    Vers la corniche...

    Naturellement c'est Baudelaire qui, de l-

    haut, salue en tous respects, puis se d-

    cide descendre, et s'annonce...

    Plus tard, et cette fois, du Vilain.

    On est table, au dessert.L'enfant guigne le compotier aujc gteaux,

    tend sa petite main.

  • 47

    Baudelaire a pris un gteau qu'il prsente,

    distance.

    Oui, mais tu Vas dire : Je suis un

    gourmand ! Je suis un gourmand et le petit bras

    s'allonge.

    Pas encore! Dis : Je suis un mis-

    rable gourmand !

    Ce mauvais jeu ne me Va pas du tout : et

    le regard de la mre, donc ! EnerV, j'ai saisi

    et donn au petit le gteau, aVant que Bau-delaire ait arrt mon bras, me disant trs

    graVe, en reproche :

    Mais nous pouvions en obtenir davan-tage... ))

    Oui, c'est odieujc, mais par le bariol

    de tel composite, s'attendre tout.

    Quelques rencontres...O allions-nous, lui et moi, ce jour-l en

    plein soleil, sur le pont de la Concorde, d-

    sert par telle canicule?

    6

  • * 48 ^-

    Nous tenions chacun auN doigts le cigare,

    en dtresse de feu. Un beau monsieur pointVers nous, fumant le sien... SauVs !

    A l'abordage, Baudelaire salue, en correc-tion parfaite comme toujours, et demande lapermission de s'allumer. Le monsieur le

    considre, puis simplement : Non, "Honsieur.

    Comment, Monsieur? Et pourquoi? Parce que je tiens conserver ma cen-

    dre.

    Et il reprend sa marche.

    Nous sommes rests bahis, nous regar-

    dant, lorsque subitement Baudelaire se d-

    tache et court aprs le monsieur dj loin.Bien que je sache de reste chez mon

    ami l'expresse horreur de toutes Voies de fait,je m'lance derrire lui, inquiet de ce qui Va

    se passer, et j'arrive juste au moment oBaudelaire a touch lgrement l'paule duMonsieur, qui se retourne et s'arrte : Pardon, Monsieur! lui dit Baudelaire,

  • 49

    aprs un nouveau salut encore plus courtois.

    Auriez -Vous rcKtrme obligeance de bien

    Vouloir me dire Votre nom ?

    Pourquoi, Monsieur? Parce que je Voudrais garder le nom de

    l'homme qui tient conserver sa cendre.

    Sans attendre autre rponse, il me prend

    le bras, et le monsieur reste son tour bra-

    qu sur place.

    Prdliminaira. Autour de l'tat-Majorde l'adorable et ador Gautier, notre eo,

    quelque chose comme deujc camps en fer-

    veur jalouse de l'approche du Matre. Si

    Baudelaire aime Flaubert, Grard de Ner-

    val toujours trop rare, de ChenneVires,Fromentin, etc., tolre Arsne Houssa^eet

    mme Saint-Victor part quelques reprochesde dcalques, il a l'impatience nerVeusc de

    la suffisance des Goncourt, de certaines rai-

    deurs chez Maxime Ducamp, qui sonheure le lui rendra. Enfin le charme inef-

  • o 50 ^-

    fablc de la trs belle Madame Fcydeau n'apu obtenir de lui la grce du mari, sa bte

    noire, tout fin lettr qu'il reste.

    Il crira : Feydeau n'a pas lch une si

    belle occasion d'entendre parler et de parler

    de lui.

    Et ailleurs : Je serais moins embarrass

    pour dire Hugo : >Jous tes unebte , qu' Feydcau : >?ous n'tes pas

    toujours sublime .Donc, nous Voici rentrant chez moi au

    boulevard, lorsque Baudelaire me pousse

    Vivement Vers la porte : il Vient d'apei'ceVoir

    l'ennemi

    Mais Feydeau, lui aussi, nous a Vus et,plus prompt que notre demi-tour, il est sur

    nous...

    l^cs quelques paroles insignifiantes d'ac-

    costage, Baudelaire dj crisp...Mais Feydeau : Cher Baudelaire, Vous qui aVez toutes

    les comptences en fait d'art, Veuillez

  • ^ 51

    donc me dire ce que Vous pensez de ceci?

    Et pendant qu'il extirpe de son porte-

    feuille un petit objet minutieusement enve-lopp et le dpouille aVec prcaution de ses

    langes successifs jusqu'au dernier papierde soie :

    >?ous saVez de reste qu'au K*^III' si-

    cle l'art des miniaturistes, alors son apo-

    ge, se plaisait peindre sur de petits bouts

    d'iVoire l'il d'une personne aime, et aVec

    telle exactitude qu'on y reconnaissait d'em-

    ble la complte ressemblance du modle...

    Et il tend la pice.

    Bon! "Kais...

    Alors "M""" Ecydeau, qui me trouve dans

    le regard certaine expression, a bien Voulu

    me faire peindre mon osil.

    Baudelaire glac, strident :

    Oui, oui I je Vois bien l'il ! mais oest le Vase?

    Par ces reliquiee de mon ami, je

  • > 52 if encore. C'est une de nos C/ergeonades :

    le mot Va tre ecplic|uc. "Kais la fantaisie pi-mente de cette pice, qui laisse loin der-

    rire elle les gra-Oelures des Rabelais et des

    Broalde de >?erVille, est d'un tel scabreux

    que s'il ne s'agissait ici d'un tirage tout

    petit nombre, je n'oserais certes la donner.

    Par quel phnomne bizarre, plus d'unefois rencontr, cette loi contradictoire^ d-

    concertante, qui semblerait infliger premp-toirement et prcisment aujc plus purs

    l'ejcutoire de l'humaine impuret? Commesous un aiguillon, en rvolte furibonde de

    la chair, les moins oss, les plus rservs

    dans l'acte se Vengeront de leur continence

    par les crudits du Verbe, de l'crit; la gau-

    loiserie s'affriandera du leste l'obscne

    pour s'exasprer de la scatologie jusqu'ausadisme, mme au satanisme des messes

  • 53

    noires, comme les priapces certains cha-

    piteaux et gargouilles de nos glises gothi-

    ques.

    Ne mentionne-t-on pas ct d'un San-chez Rodriguez un autre trs saint instruc-

    teur de catchumnes, Goerres qui aurait

    codifi dans sa ^M'^^stique un manuel de l'or-

    dure pour l'interrogatoire des mes inno-centes? Tout prs d'ici, le moins libertin de

    nos potes, le plus chaste des monogames

    rimera YOde la Colonne et Baudelaire,

    farouche comme l'Hippol^te de Phdre,

    nous lguera sa Clcrgeonade en mmoire deClergeon : Ckrgeon aux Enfers.

    Qui, Clergeon?

    Lorsque l'antique Lutce, depuis des si-

    cles ensevelie sous la poussire, sera fouille,

    remise jour comme Herculanum et Pompi,le pic de la pioche fera luire des dblais la

    mdaille frappe de Songeon notre Cler-

  • * 54

    geon , mdaille commmoratiVe dposeen grand apparat dans les fondations de

    l'Htel de >?ine lorsqu'il fut rdifi aprs

    l'incendie de 1871, prcisment sous le

    Consulat de ce Songeon Clergeon ,

    mort prsident du Conseil municipal de Pa-

    ris et mme snateur dans le fauteuil quifut shipeant genks! le propre fauteuil

    d'Hugo II!...

    Car Clergeon, ce fut Songeon en personne

    et mme Lucius Nestor , pour que rienne lui manqut, Songeon dbaptis famili-

    rement Clergeon par une bonne hte-

    lire de la rue Monsicur-le-Prince.

    Songeon aVaitus quelques culottes ct

    de Baudelaire sur les bancs du collge de

    LY*5n, d'o ils se rappelaient certain abb

    Noirot ou Noireau qui aurait t l profes-

    seur de philosophie. On s'tait reti'OuV auquartier latin ou dans les cafs >?oltaire, Ta-

    bourey, de l'Europe, Dagneaujc, successeur

  • ^ 55

    plus ou moins liUraire du Procopc. Son-geon procdait Vers ses hautes destines

    futures par tels interminables discours qu'ils

    ne laissrent jamais ce diarrhtique duVerbe loisir de dcrocher sa licence dedroit. La parole ! Commerce trop de foisdtestable de ceux qui n'en ont pas, la mar-

    chandise qui cote le moins et qui rapporte

    le plus. Nous Venons de Voir jusqu'o peuthisser la grande loquence, surtout quandelle met conviction enflamme l'appui destruismes les plus rebattus.

    D'ailleurs, sous sa prolixit funeste, le

    meilleur des hommes, ce Clergeon^ paran-

    gon de toutes les excellences, honnte

    comme pas un, humain, obligeant, affectueux trop hlas! et insupportable rappeler

    le Vers de Brnice :

    Clergeon, que de Sferhts i>ous mefaiks har!

    Au physique, masque kalmouk ou de laVCalaisie, nez cras, '^gomdiS en saillie,

    7

  • c 56 >

    teint jaune, cheVeu rare, pour ^eujc deux

    fentes horizontales : m^ope travers ses

    binocles jusqu' la ccit.Dans une promenade par les champs,

    passe ct de nous un troupeau de din-

    dons :

    Mais, lui suggre Baudelaire, ces

    petites harpistes ne sont Vrairrient pas

    mal?

    Et Clergeon, de son il brid, finement

    acquiesce...

    "^Y^P'^ physique qui aVait Virtuellement

    induit sa natiVe ingnuit la plus opaque

    myopie intellectuelle. Combinez un Cicronarchi-disert, extirp parCalino, aVecun Cor-

    neille humanis par "K. Prudhomme, dansl'emploi des raisonneurs le plus hors de rai-

    son. Tout le temps et pour ne rien dire par-

    lant sous lui omni re scibili d aliis, cepoint redout, le digne homme, qu'il taitpass terme de comparaison. Nous disions :

    embtant comme Clergeon , d'o le Verbe :

  • o 57

    clergeoner et nos clergeonades sans

    fin ni trcVc, o nous accusions notre tte de

    turc de faire Venir ses rasoirs de Londres.

    "Hais aussi de quel tenace, le monstre!

    Nous dambulons, Baudelaire, notre

    crampon et moi, par le boulevard Montpar-

    nasse, Clergcon plus morignant, plus aga-

    ant, plus clergeonant que jamais. Pi'sente-

    ment, c'est sur Baudelaire qu'il s'est agriff :

    une grle!...

    On souffre. Mais que faire ?Baudelaire, ejcacerb, n'^ tient plus...

    Tout coup il avise un omnibus qui file au

    grand trot, et crac ! sans dire gare, ni adieu,

    il s'est lanc Vers le refuge qui roule, et ydisparat.

    Clergcon en est reste ptrifi comme

    au jeu de billes, ce que les coliers appel-

    lent le pet sur place ... Mais ce n'estqu'une seconde, et crac ! lui aussi a bondi

    et, plus prompt que l'Eurus, rattrape la Voi-

  • ^> 58 ^

    ture dune place tout contre sa proie dvolue,qu'il achi?e,..

    Tout cocasse autour de lui, naturellement,

    et les souvenirs de me pleuVoir. .,

    Il demeurait rue Cassette aVec sa trs

    Vieille maman, Grenobloise ou LY^""^'se, en

    la compagnie de laquelle j'attendais pai'foisla rentre de mon ami. Parfois aussi surve-

    nait quelque Visiteuse, non moins dparte-mentale et compasse.

    Et, comme la maman Songeon tait VeuVe

    jamais inconsole d'un gnral du premierEmpire qui aVait, en je ne sais plus quel 1814,dfendu Saint-Sbastien contre l'Anglais,immdiatement comme robinet, le dis-cours voquait le gnral en ses gloii-es et

    Vertus ; d'o je me disposais, attendez :

    Ah ! "Kadame, si Vous aViez connu leGnral ? Quelle Vaillance, quelle gnro-sit, quelle bont, quelle dlicatesse! et...

    Se tournant Vers moi :

  • ^ 59 >-

    'H'cnsieur Nadar?

    J'tais dj debout, rompu la manuVrc,

    me redressant de toutes les longueurs trs

    peu charnues de mon chine d'alors.

    ... Et quel bel homme!!... Tenez, grand

    comme Vf. Nadar! mais proportionn!!!...

    a n'a jamais rat... une fois.Le hros prsent, on gotera mieujc l'-

    pope. Elle a ce mrite peu banal de rvler

    au lecteur un Baudelaire humoriste.

    CLERGEON AUX ENFERS

    (Il entre d'un pas dlibr, comme les

    gens timides.)

    Il demande bientt ' Voir le rgkmi'nt de

    l'Enfer, et cherche prendre les Diables en

    faute.

    Ds la premire grande assemble, il se

  • 60 >

    plaint Vivement, prtendant qu'on a chang le

    feu.

    Rumeur pouvantable de tous les damnsqui trouvent qu'il fait bien assez chaud.

    Mais non! dit Clergeon.

    Il se plaint aussi de ce que certaines gens

    qui ne sont point d'ici, se soient glisses en

    Enfer, qui mriteraient tout au plus le Pur-

    gatoire. Nou ne Voulons que des gaujc,

    dit-il ; il faut que chacun prouve qu'il est

    un parfait sclrat !

    Je crois aVoir assez de titres pour que

    chacun montre les siens !

    Comme il embte tout le monde, on le f ..dans un abme insondable, d'o il remonte

    bientt aVec une agilit sans gale. Car l'es-

    poir d'aVoir t remarqu par Proserpine lui

    donne des forces proportionnes la diffi-cult de l'entreprise.

  • 61

    Il se glisse par des anfrachtosits lui seul

    connues, et Va attendre la sortie de la Reine

    des Enfers la pefile pork.

    Il la suit par l'escalier drob, et peine

    entr dans la chambre, il jette sur la com-

    mode quinze francs, que les diables, en lefouillant son entre, ont oubli de lui reti-

    rer.

    Voil pour i>ous, pelilef s'crie-t-il d'une

    Voix de stentor. "VJoil comment un damncomme moi sait humilier une reine qui tra-

    hit son poux.

    Proscrpinc, qui depuis six mille ans, n'a

    pas encore Vu un pareil bougre. Veut se

    pendre la sonnette.

    vrais Clergeon ne perd pas de temps ; il

    profitera des dernires secondes, il dsho-

    norera Proserpine, ou il Y perdra son latin.

  • 62

    Il se jette sur elle c/ ejus in oculum penem

    suum inpingif ^

    .

    Pi'oserpinc pousse un cri dchirant!!!

    Tous les Enfers sont sens dessus dessous.

    Clergeon, heureux du dsordre dont il est

    l'auteur, pique son poing sur sa hanche, et

    s'crie, aVec une Voi?c de tte inimitable :

    ha! ha!

    Cependant Pluton, qui au fond est un bon

    enfant, lui demande pourquoi il a commis

    de pareilles btises, et Clergeon lui rpond,

    la main dans le gilet :

    Je croyais qu'en enfer on n'taitjamais mal Venu prouver sa noblesse ; ha !ha! Si je me suis tromp [ai)i'c n'signation

    d dignit) je suis prt subir tous les chti-ments que Vous rservez celui dont l'au-

    dace a dpass Vos prvisions.

    ' En franais dans l'original. iJ. C]

  • o 63

    Pluton lui rend aVcc bont ses lunettes

    tombes dans la bagarre.

    Quoique personne ne lui en Veuille, et queProserpine borgne se soit contente dedire : Drk du bougre! Clergeon croit qu'il estprudent de prendre la fuite.

    A chacun de ses pas, il branle les mon-tagnes. Il fuit! Il fuit!

    Dans une plaine de braise, il aperoit

    Nadar qui collectionne des salamandres, etil lui crie en courant :

    Pends- loi, bra^e ^JVadar! ^JVous aS)ons

    Vaincu sans foi!

    Car il est convaincu qu'il a f. . . Proserpine !

  • o 64

    Mais aVcc ce Clcrgeon nous n'en finirionspas, et puisqu'il n'est que temps de le quit-

    ter et que j'ai demand permis de fourragerquelque peu tort et traders par l'entour,

    m'est-il bien possible de ne pas reViVre un

    instant nos Vieux souvenirs, voquant au

    passage les satellitaires et mme nbuleusesqui gravitrent dans Tirradiation de l'astre

    Baudelaire, se targuant de postes plus ou

    moins congrus.

    Flnons donc encore un peu dans la ga-

    lerie des portraits,

    La premire place duc et hirarchiquement

    maintenue notre exquis Banville jamaisfidle, toujours et encore du sommet de sonOlympe prsentant arme son suprieur,il Va nous tre bon de tendre une dernire

    fois la main plus d'un que nous ne serons

    pas seul nous rappeler : ces deux braVes

    ruraux, d'abord, d'insparabilit touchante

  • c 65
  • 66

    Etkz-S)ous donc pour si trisk S>ouloirPar le couloir touk seule accourue ?Je "Oous ai crue et n'ai rien S>oulu S>oir...

    Tout ct et non moins sympathique le

    dilettante de ChenneVires, qui, ddaigneux

    des foules et publicits a laiss sous le pseu-

    donyme Jean de Falaise les deux accomplismais trop minces Volumes Contes nor-

    mands et Histoires Baguenaudires .Puis, dans Tintimit plus suivie de Baude-

    laire, le raffin Monselet, un petit abb du

    KVIIP, bedonnant et Versiculant, boulimique

    mriter place dans l'article Cas rares

    au dictionnaire des Sciences Mdicales, la

    bouche pan coup, se fendant en coup de

    sabre d'une oreille l'autre comme chez les

    batraciens.

    Encore plus assidment proche du Ma-tre, Asselineau, mon ancien et cher condis-

    ciple du collge Bourbon aujourd'hui lyceCondorcet, un subtil, les deujc Virtuoses,

    Boycr Philoxcne, immdiatement Ira-

  • o 67 ^

    duit Phihhsini'y dit la pluie qui manhe et Milliers de l'Islc-Adam, l'un et l'autre un

    peu contourns : deux cordes Violon de-

    vant le feu, le >?illiers, front d'hydroc-

    phale, physiquement quelque semblance de

    l'ombre porte de Baudelaire, une apparence

    de gibbosit en plus, et encore Thommejaune, l'diteur ft Poulet-Malassis, tou-jours l, et l'auteur du roman VyJJssas-sinat du Pont rouge , l'Orlanais Barbara,

    concentr, plein de mystre, sur lequel en

    sa mansarde nous tombions un soir, Baude-

    laire et moi, et que nous trouvons sans chan-

    delle, juch, et accroupi la tte entre lespoings au sommet d'un haut tabouret :

    Qu'est-ce que tu fais-l? Je pense !

    Et Fcrnand Desnoycrs, rest par son bon

    Vers de son oraison DelaVigne Casimir :

    // est des morts qu'il faut qu'on tue!

    Et ce Privt d'o Privations tant

    craqueur qu'on n'a pu jamais connatre s'il

  • 68 ^

    tait juif, bulgare, multre. Du plus loin,

    l'entreVoYant Venir sur la crte du Pont-Neuf,

    quand je lui criais : PriVat, c'est pas Vrai ! rgulirement il me rpondait, la main

    sur la poitrine : Parole d'honneur! .

    Et les >^?atripon Antonio et frre, fa-milirement Dutripon, et le bon, trs

    sincre catholique G. d'Hricault, et l'ex-

    cellent Armand Du "Kesnil, et ce babouinde Babou (rien du babouVisme !) et notre

    plus que parfaitJ ules de LaVfadelne qui cri-

    vit pour la ReVue de Buloz k Marquis du Safras."t^oins frquents, L. "H"nard, ce digne Tra-

    padoux. Durant^, Th. SilVestre, ArmandBarthet, Pierre Dupont, GustaVe Mathieu,

    Mermet, "H"anet, Courbet, notre Bracque-

    mond, encore l aujourd'hui, Christophe,

    Deroy, Faur, j'en oublie des meilleurs,

    et encore quelques autres quotits inter-

    mittentes ou ngligeables, tout cela ex-

    cellent ou bon, passable ou mdiocre, plus

    d'une fois dconcertant, s"agitant mlimlo.

  • o 69 *

    mouches miel ou bourdons, essaim de la

    Reine des abeilles.

    Je ne me permettrai pas d'ctiager les places

    ducs en dessus ou dessous du panier et don-

    ner chacun selon son grade.

    Mais, part les quelques mes, quelques

    esprits srieux qui prenaient leur place dis-

    crte au sanhdrin ou s'entrepointaicnt ja-

    lousement les coudes autour de Baudelaire,

    il me faut bien dire que, dans l'ensemble, la

    dominante qui donnait le ton n'aVait rien

    moins que d'attractif, les plus encombrants

    prcisment les plus mal lotis en leur pr-

    tention d'atticisme. Le meilleur Vouloir de

    sympathie se repliait deVant le personnel de

    petite paroisse, dont les agits, les excessifs

    n'aVaient pu, parodistcs d'originalit, pren-

    dre du matre que des attitudes, banalement

    simulateurs de cette affectation qui chez

    Baudelairctaitne native. Rien de saugrenu,

    d'agaant comme l'infatuation gourme de cepdantisme, de cette cuistrerie se guindant

  • -^ 70 o

    la prciosit : a puait l'homme de lettres.

    Le Vocable familier pose , d'o les po-

    seurs , dut Venir de l. Toute la bande af-

    fte, contourne en conVulsionnaires d'un

    nouveau Saint-Mdard, grimaant, comme

    d'uniforme, le mme surfin clignement d'ilen signe de ralliement maonnique contre

    le Philistin, l'il marcassin .

    Avec ces pileptiques, combien loin du

    sans-faon tout bonhomme, de la simplesse la bonne franquette de mon autre bande

    de Bohme la bande Murger et de notre Socit des buVeurs d'eau , dont je ne m-ritai d'ailleurs que le titre de membre cor-respondant, sans doute parce que d'eujc tous

    alors, j'tais le seul ne pas boire de Vin.

    ^

    Ne m'aura-t-on pas trouv un peu svre?Encore secrtement n'obirais-je pas ici quelque Vieille rancune? Je me fouille...

  • 71 >

    L'vidence nous dmontre arrivs une

    heure d'encombrement o tout, et partout et

    de plus en plus, se spcialise. Regardez, en

    peinture seulement, comme chacun s'appli-

    que se particulariser, mme localiser. Lepaysagiste normand ou breton n'entend rien

    dmler aVec l'orientaliste, le cheValet arrim

    sur les bords de l'Oise n'est pas admis s'em-

    bosser en rade de Toulon. Aux animaliers,

    Tro^on a pour lui retenu les boeufs, Dedreujcs'est rserv les cheVauK, et les cochons de

    Jacques seraient mal Venus intervenir

    parmi les moutons de Palizzi. Et cette

    mdecine donc, o, entre la farine de lin et

    le bistouri, de l'encphale la rate, du py-lore au calcaneum, nos thrapeutes spci-

    fis, all ou homocures, cardialgistes, ali-

    nicoles, auriculeurs, pdicures, etc., etc. ;

    monopathes dconcerter le Rabelais et ahu-

    rir la technologie des infortuns bipattes,

    tristapattes et autres foietrinaires en toutes

    espces et Varits d'espces, se sont en tels

    9

  • 72 o

    segments entrepartag les dtails de notre

    carcasse, se demander si demain ils neVont pas s'interdiViser encore le menu de

    leur besogne, consignant l'exclusif traitement

    de l'il droit celui-ci, celui-l rservant

    l'il gauche.

    Or, il me faut bien aVouer qu'en certain

    coin du Saint-Synode Baudelairien, unique-

    ment braqu sur sa spcialisation de litt-

    rature, je ne jouissais que d'une considra-

    tion limite, atteint et convaincu de m'tre

    de tout temps intress plus d'une chose,

    mme la fois.Le trs cher Vieux copain Thodore n'a-

    t-il pas crit d'ailleurs dans sa fulgurante et

    trop affectueuse prface de mon Hhlkrkda CoquacigrucSy que ce Nadar tait videm-ment n pour se mler de tout ce qui ne le

    regardait point?

    Mon existence effectivement se sera tirail-le en si fantaisiste Varit d'applications

    que devant tel mli-mlo, dconcert par la

  • 73
  • -^ 74
  • CHAMPFLEURY

  • 77

    Donc, ce Champflcury, n Fleur^ tout

    court, aVait, nous arrivant de Laon, dlibr

    plus littraire et mme distingu d'maillerd'un Champ le baptistre de sa signa-ture. Le malin, qui s'y entendait, ne pouvait

    trouver se faufiler sur estrade plus propice

    alors qu'au camp Baudelairien, d'o, peine

    dbott, il se mit pondre de-ci dc-l, sans

    trcVe, articles et Volumes, de telle conviction

    et en tel foisonnement que, sous la naVe et

    goulue facilit des lecteurs jamais inas-souvis. Vous rencontrerez mme l'heurequ'il est, quelques braVes gens pour croire

    que, littrairement, Champfleury, c'est ar-

    riv.

    Pourquoi le malheureux fut-il rtif l'ob-

    jurgation d'un sage qui coupait court tous

    drglements et garements?

    Ne doutant de l'ien, dnu mme du sim-ple sentiment des distances, il ne bronche

    pour aller dranger le philosophe Proudhon,

    de chez qui il sort trs mcontent.

  • -^ 78

    Un c/vuragcah'ur ! prononce-t-il, ra-r

    contant l'aVenturc. Sur quoi >?euiUot, l'af-

    ft partout, mme l, et qui ses heuresaime rire, Veut bien nous rassurer en cri-

    vant : "htais "M". Champfleury ne se

    laissa pas dcourageater.

    A robinet ouVert notre dVoy en ruptured'orthographe foisonne pondre, re-pondre

    sous lui. C'est ce pauVre Lhomond qui copeet en Voit de dures.

    Quelques perles ramasses la pelle dansle tas et que nous nous amusions nous

    renvoyer sans fin alkrnis canktnus

    comme balles de raquette ou litanies en

    rpons de messe.

    Dans une de ses Etudes (Etudes !) dont

    l'action se passe "H'olinchard (?)

    // faudrait frouS>ffr un jeune hommedont on pt s'enqurir de sa famille, lui parler,

    le sonder, et lui faire des ouvertures au be-

    soin...

    Il Va Voir Balzac qui, pas bte, n'y est

  • < 79 ^

    pas : (( Balzac aS)ait alors pour tout domestique

    un 'ialat de chambre et une concierge qui me don-

    nrent la clef (attendez ! ce n'est pas pour

    ouVrir la porte) des tudes que ce grand cri-

    -iain crait d faire sur ces deux tres pour rendre

    la langue du baron Nucingen.

    La pluie s'obstine : v Je me rappelle d'un

    singulier lii)re. Madame Putiphar, etc.. JLacolre d'une si belle affaire manque, etc..

    Un dner n 'est pas la place d'un homme qui a du

    grec plein la tte, etc.. . // renfermait ses cha-

    grins en dedan.s, etc.. Heureusement lafentre

    donnait .sur la soire, etc., etc..

    A l'occasion il tancera de toute son alti-tude Barbey d'AureVilly, le poseur la

    hanche , qu'on appelait chez "NJeuillot la

    Corsetire , mais qui au moins n'criVait

    pas en Molinchard , Barbey auquel il

    reproche, lui Champfleury, d'ignorer le

    franais et mme la ponctuation , Oncroit rcVer...

    Et il enseigne sa manire aux jeunes dbu-

  • 80

    tants, les avisant qu'aVant tout : Il faut ren-

    dre des passions .

    Une aVersc...

    Ne s'est-il pas inVent Chef d'Ecole et n'a-t-il pas cr la littrature dite naturaliste,

    qui, en effet, son impertinence part, n'eut

    rien de surnaturel.

    Seulement pour rendre des passions (ser-

    vice des cent sous prts ou mme le cafau lait rest en travers) , peut-on se dis-

    penser d'ouVrir boutique de marchand decuirs et que la main qui tient la plume soitune patte?

    Mais n'a rien Vu qui ne Vit ce grotesqueportant deVant lui sacramentellemcnt au jour-nal ses feuillets de copie et sur le bureau dudirecteur les dposant aVec minutieuse cir-

    conspection, comme en crainte d'brchcr

    le manuscrit.

    Enfin, tel point son indubitabilit, sa re-

    ligion de son lui, que Baudelaire se trouVe

    quelque part en ncessit de rappeler l'or-

  • c 81 >

    drc et chapitrer Vertement le plus infatu de

    SCS desservants, le sacristain presque de sa

    Sainte-Chapelle :

    ... Quant Votre si magnifique logede Vous-mme, je n'ai rien en dire, si ce

    n'est que quand on pense tant de bien de soi

    il n'est pas gnreux d'en accabler les au-

    tres.

    D'autant meilleur ici de nous retourner

    Vers d'autres, ceux qui Valent. C'est Bau-

    delaire que je dois d'aVoir connu, aim "Ha-

    net, VfcrYon. Il a crit quelque part : Les

    grandes amitis me Viennent surtout de Tcs-

    prit. Pour se rendre entire justice, il et

    pu ajouter qu'il n'tait pas moins ouVert aux

    tendres dlicatesses du cozur, d'un cur qui

    parfois eut faim.

    28 fvrier 1860.

    Mon cher Nadar,

    Un de nos amis communs m'a fait obser-10

  • o 82 *

    Ver, aVcc le ton du reproche, qu'on ne m'a-

    Vait pas Vu l'enterrement de ta mre. Tu

    devines bien pourquoi ; je n'ai reu aucun

    aVis. Quand j'ai Vu l'annonce de la mort de"^me Xournachon, c'tait non pas dans une

    invitation collective, mais dans la table n-

    crologique du Sikk, et je crois bien que deuN

    jours taient dj couls.

    Depuis quelques annes mon esprit est telle-

    ment frapp des ides de solitude et d'abandon,

    queje serais une brute sije n'tais pas sensible au

    malheur d'un de mes plus Hieux amis.

    Mais ' tu es plein d'acti-Oit, et tu as un en-

    fant.

    Ton bien dvou,

    Ch. Baudelaire.

    Ce cruel aVeu, l'aVeu de cette faim de son

    cur, on peut le rapprocher de la ddicace

    qu'on lit en marge du portrait de Bcrthe,

    l'inconnue qu'il aVait rencontre en Belgi-

    que : A une horrible petite fille, souvenir

  • c 83 ^-

    d'un grand fou qui cherchait une fille adop-

    ter.

    Et ce n'est pas seulement l'esthte affin

    qu'on retrouvait encore fidle ce cheVet de

    la rue Saint-Georges, d'o notre lamentable

    Manet nous racontait, la Veille mme de samort, tout le dtail de ses beaujc projets de

    releVailles, pendant que notre regard

    souvenir atroce sondait, sous l'arceau de

    la couverture gonfle par l'appareil de

    pansement, la place de la jambe tranchel'aVant-Vcille dans l'anesthsie, sans que le

    pauVre cher souponnt encore, et jusqu'son dernier souffle, l'ablation...

    De mme au second plan le dilettan-tisme de Baudelaire, quand il mit toute

    son me soulever de la misre le gnialaquafortiste "Kr^on , s'agitant, remuant

    tout et tous jusqu' un ministre dont aVccBanville et Champfleury auquel je

    suis heureu^c de marquer ici un bon point il harcle la souscription quelques

  • -^ 84 c^-

    collccticns des incomparables eaux-fortes.

    De tel lan obstin de solidarit humainechez Baudelaire, je retrouVe touchant tmoi-

    gnage dans les deux lettres qui me restent de

    "Ki-^on, le pauVre grand artiste qui, aprs

    aVoir ananti lui-mme ses planches en une

    crise de dsespoir, se libra par une fin tra-

    gique de sa lamentable Vie. Aujourd'hui, de-vant la surenchre affole sur chacune de

    ses paVcs^ je suppute naVr ce que repr-

    senteraient pour lui, en liasses de billets de

    mille, les quelques louis de nos apports

    d'antan.

    Paris, 25 fvrier 1860.'

    Monsieur,

    A^ant t inform par M. Baudelaire que,sur sa proposition. Vous aViez bien Voulu

    souscrire mon ouVrage sur Paris, je Vous

    en envoie un exemplaire. Vous priant de

    m'en faire tenir le prix (que je Vous soumetsci-dessous) tel moment et par telle Voiequ'il Vous plaira.

  • -^ 85 ^-

    Jc suis, "Honsieur, Votre trs humble scr-

    Oiteur,

    C. "KrVon.

    De mention de pri?c, la mention annonce

    ci-dessous , point ; en revanche, aprs la

    signature, un dessin reprsentant un serpent

    contourn en forme de huit, aVec cette l-

    gende, profre par la bte :

    NadarBeaucoup d'art

    Peu de l'

    .

    videmment le post-scriphim s'aVrait bi-zarre, et d'un ton qui s'accordait mal aVec

    le texte du billet. En marquai-]e quelque

    tonnement Baudelaire? Je ne me souviens

    pas. Quoi qu'il en soit, je recevais, un moisplus tard, cette lamentable lettre :

    Paris. ;n mais 1860.

    Monsieur,

    Je suis Vraiment bien sensible la dli-

  • * 86 ^

    catesse de Vos procds mon gard.

    D'aprs ce que j'apprends, moi, au con-traire, j'ai d Vous paratre bien indiscret,

    bien mal inspir, en accompagnant d'une

    plaisanterie mes premiers rapports aVcc

    Vous', d'autant plus que, d'abord en raison

    de ma nature propre, en second lieu de la

    bien triste position que les vnements m'ont

    faite, le deuil devrait tre mon fait. Dans les

    circoiistances o Vous Vous trouVcz plac,

    je comprends toute l'inconvenance de ma

    manire et Vous en demande bien humble-ment pardon.

    Quoique ne Vous connaissant que trssuperficiellement parce que je n'ai qu'un trs

    petit nombre de relations et ne puis donnertoute l'attention que je Voudrais au texte ou

    auc dessins des feuilles auxquelles Vous

    aVez souvent prt Votre talent, j'ai plu-

    ' Nadar avait coup ce passage dans son manuscrit.Sa modestie n'tant plus, hlas! mnager, il a paruprfrable au correcteur de ces preuves de rtablir letexte intgral.

  • o 87 ^-

    sieurs fois entendu faire l'loge de Votre ca-

    ractre bon et loyal par des gens qui Vous

    ont frquent. C'est d'abord "H". Baudelaire

    qui tout dernirement me rassurait sur la

    manire dont Vous aviez accueilli mon inop-

    portune boutade ; puis, il Y a dj quelque

    temps de cela, un de Vos lVes en l'art au-

    quel Vous aVez eu le bon esprit de donner

    la meilleure partie de Votre temps, je Veux

    dire la photographie, "H". Radoujc, dont j'ai

    t mme d'apprcier le mrite, la droi-ture et la bont pendant les quelques instants

    qu'il a bien Voulu me donner.

    Je ne Veujc accepter qu'une bien petite

    partie des compliments que Vous me faites

    sur rnes graVurcs de Paris ; mais je suis trs

    flatt qu'elles Vous plaisent. Dans les bons

    jours en effet, quand le soleil luit, ou dans

    le calme du soir, la lampe, l'esprit peut

    rVer l'aspect des lieux ou des monuments

    qu'elles reproduisent et les yeux trouvent

    quelque plaisir dans l'ejcamen des mmes

  • -^ 88 ^

    dtails que je me suis fait cas de conscience

    d'Y indiquer, surtout quand ces dtails sont

    perus par une loupe achromatique.

    Il me reste Vous rpondre pour l'offre si

    obligeante que Vous me faites d'c^:cuter

    mon portrait ; mais je pense ne pas aVoir

    besoin d'insister beaucoup pour Vous faire

    comprendre que ce n'est pas chose faire,

    pour beaucoup de raisons. "VJous aVez obi

    un premier mouvement de gnrosit, de

    bienveillance sur lequel il Vaut mieujc revenir.

    D'abord la position dans laquelle je me

    trouve, qui peut tre facilement comprise, est

    telle que je dois user d'une extrme circons-

    pection envers les personnes qui ne crai-

    gnent pas encore de se mettre en relation

    aVec moi; en dernier lieu mon masque, peu

    attrayant dans l'origine, a subi les influences

    dsastreuses de tous les tiraillements que

    j'ai supports, dans ces dernires annes

    surtout. Il faudrait donc sans doute aVoir

    par trop recours l'art qui, encore en pho-

  • o 89 ^

    tographic, par un habile emploi, peut cor-

    riger, arranger, pour faire d'aprs moi

    quelque chose qu'on pt montrer. Je pense

    que Vous partagerez ma manire de Voir ; je

    me contente donc de Vous remercier sinc-

    rement de cet excs de bont, me proposant,

    quoi qu'il en soit, d'aller Vous Voir dans

    quelques jours pour Vous exprimer de ViveVoix ma gratitude de Vos politesses pour moi

    dont j'apprcie sa juste Valeur, soyez-ensr, la gnrosit.

    Je suis, >tonsieur Nadar, Votre trs

    humble et trs dvou serviteur.

    C. "KrYon.20, rue Duperr.

    Sous son masque d'impermabilit en dfi

    de tout moi, la sensibilit de Baudelaire

    tressaillira toutes les Vibrations. Trop com-

    plet le clavier pour qu'y dfaille une note :

    celle-ci premire. De mme que jamais enlui ne se dmentit une me dlicate et firc,

    11

  • c 90 ^>

    ainsi le profond sentiment, la compassion

    fraternelle l'humaine misre se retrouve-

    ront dans rGuVre comme dans l'acte. Quelle

    tendresse, quelle piti pandues dans JLvs^liux des pau'Ores, JLa serOank au grand cur

    dont )>ous i'tkz jalouse, JLas pdiks ^kilks, d-

    dies Hugo, etc., etc., et aprs Quinceydans ses Paradis arHfckk, la recherche ha-

    letante, le dsespoir de ne plus retrouver la

    petite Ann par les boues noires d'OxfordStreet, page si douloureuse que je ne puis

    jamais l'acheVer haute Voix, la gorge seserrant...

    Ceux qui n'ont pas connu Baudelaire in-

    time ont pu, ont dii deVant sa rserVe d'atti-

    tude prendre pour scheresse de cur ce

    qui n'tait que circonspection et certaine

    pudeur jalouse. Mais mieux encore que lasensibilit, chez notre ami se l'vlaient des

    dlicatesses rares.

    Une dame, morte aujourd'hui, confessait

  • 91

    une fois notre excellent Troubat : Monmari et moi, nous nous tions unis deVant le

    bon Dieu bien aVant de nous prsenter dc->7ant son ministre. Baudelaire n'en ignorait

    rien, et quand nous aVons t promus auxhonneurs de la rgularisation officielle, le

    moindre propos et pu nous faire beaucoup

    de tort. Sa discrtion fut plus que parfaite

    et je lui en garde une infinie gratitude,

    La dame aVait raison : telle rserVe estrarissime. La discrtion au fumoir prouVe

    parfois plus qu'une action d'clat en faVeur

    d'un caractre.

    Revenons la correspondance.

    I

    Honfleur, 14 mai 1859.

    Mon bon Nadar

    Je suis

  • 92

    [dtails d'affaires]

    . . explications

    II

    Il Y a ici un caf qui par extraordinaire

    reoit ton journal, de sorte que j'ai le plaisir

    de Voir dfiler sous mes yeujc les folies, les

    injustices, les caresses aux imbciles et

    enfin toutes les bizarreries qui composent

    la nature exceptionnelle de Nadar. Derni-

    rement il t'est arri-C, en te moquant des gens

    qui ont eu ou qui ont la passion des chats, de

    confondre Po aVec Hoffmann. Sache qu'il

    n'y a pas de chat dans Poe, except un qu'on

    ('borgne et qu'on pend, et dont le successeur,

    borgne aussi, sert dcouvrir un crime. Plus

    rcemment, je ne sais pourquoi, il t'a pris

    fantaisie, propos d'un pote belge ou polo-

    nais, de me jeter un mot dsagrable la

    figure. Il m'est pnible de passer pour le

    Prince des Charognes. Tu n'as sans doute

  • 93

    pas lu une foule de choses de moi, qui ne

    sont que musc et que roses. Aprs cela, tu

    es si fou que tu t'es dit : Je >?ais lui faire

    plaisir!

    III

    Si tu tais un ange, tu irais faire la cour

    un nomm Moreau, marchand de tableaux,rue l^affitte, htel Laffitte. (Je compte bien lui

    faire la mienne propos d'une tude gn-

    rale que je prpare sur la peinture espagnole.)

    Et tu obtiendras, de cet homme, la permis-

    sion de faire une double belle preuVe pho-

    tographique d'aprs la duchesse d'Albe', de

    ' M. Blasco Ibaiiez dtruit dans VImparcial la lgende

    qui s'tait cre autour des deux clbres tableaux de Goya,

    la 3fq/a vestita et la Maja desnuda. On croyait commun-ment que c'taient deux effigies de la matresse du peintre,la duchesse d'Albe, l'une, celle qui est habille, ayant t

    peinte pour ter tout soupon au mari

    .

    Il paratrait, d'aprs M. Blasco Ibanez, que le modlequi posa pour ces fameux tableaux tait une Madrilnede basse classe, merveilleusement jolie. Son protecteur,qui tait un ami de Goya, fit faire par le peintre le por-

  • 94 >

    Goya (archi-GoYa, archi-authcntique). Lesdoubles (grandeur naturelle) sont en Es|3agne,o Gautier les a Vus. Dans l'un des cadres,la duchesse est en costume national ; dansle pendant, elle est nue et dans la mmeposture, couche plat sur le dos. La trivia-lit mme de la pose augmente le charme dutableau. Si je consentais jamais me servirde ton abominable argot, je dirais que laduchesse es\ une bizarn ; l'air mchant,des cheVeux comme SilVestrc, et la gorge,

    qui masque l'aisselle, atteinte d'un strabisme

    sursum d c/i^ergenf la fois. Si tu tais unange trs riche, je te conseillerais de les

    acheter ; c'est une occasion qui ne se re-

    prsentera pas. Figure-toi du Bonnington oudu DeVria galant et froce. L'homme qui les

    trait compltement uu de la jeune femme, mais comme ilne pouvait dcemment accrocher ce tableau 1res sensueldans ses appartements, Goya fit une rplique habille quiservait de couvercle la toile et que le P. Bavi ne sou-levait que lorsqu'il tait seul. De l l'identit du formaiet de pose.

    {Le Temps, 14 juillet 1907.)

  • * 95 >

    a en demande 2 400 francs. C'est peu dechose sans doute pour un amateur enrag

    de peinture espagnole, mais c'est normeaussi, comparativement ce qu'il a d lespayer. Car il m'a aVou qu'il les aVait achetsau fils de Go^a qui se trouvait dans une

    gne extraordinaire. Si tu dis cet hommeque tu Veux faire plusieurs preuves, il

    craindra de te le permettre, justement cause de la notorit de ton nom. D'ailleurs

    la beaut du Go^a tant gnralement peu

    comprise, tu ferais bien de ne faire que deux

    reproductions, l'une pour toi, l'autre pour

    moi. Si tu t'V rsous, prends garde de les

    faire trop petites. Cela enlverait une partie

    du caractre.

    Ce qui m'est particulirement dsagrable

    en crivant tout ceci, c'est que tu Vas rire

    comme un fou en lisant toutes les recom-

    mandations. 'H'ais ce n'est pas fini.

  • 96

    IS)

    Qu'est-ce donc qu'un certain artiste alle-

    mand a^ant fait une certaine chose miracu-leuse ou fantastique, qui se Vend chez Gou-

    pil ? Tout le monde me conseille de m'adres-scr lui. Je ne Veux pas de l'ternel ami de

    "Halassis, de DuVeau, pour les frontispices

    qu'il me faut, pour mes articles sur Po (un

    portrait enguirland d'emblmes), mon Opium

    d haschisch, mes nouvelles Fleurs et mes Cu~riosih's.

    Tu me rendrais parfaitement heureux si

    parmi tes nombreuses relations tu pouvais

    trouver des renseignements biographiques

    sur Alfred RetheL l'auteur de La Danse des

    morts en 1848 et de La Bonne mort faisant pen-

    dant la Premire invasion du cholra l'Opra.

    Connais-tu Knauss ? Il doit savoir quelque

    chose l-dessus.

  • ^ 97

    Je suis Viaimenl fort en peine, aVant depublier mes Curiosits, je fais encore quel-

    ques articles sur la peinture (les derniers!),

    et j'cris maintenant un Salon sans l'aVoirVu. ^Maisj'ai un lisird. Sauf la fatigue de de-viner les tableaujc, c'est une excellente m-thode que je te recommande. On craint detrop louer et de trop blmer, on arrive ainsi

    l'impartialit.

    Ai-je besoin de te dire que de toutes cesrecommandations la plus pressante est cellerelative d^n- mandat?

    Je t'en supplie, mon cher ami, ne m'cris

    pas de farces, selon ton antique mode, surl'enVeloppe de ta lettre.

    Tout toi et pardon de te dranger danston affreux train-train.

    Ch. Baudelaire.

    12

  • 98

    Honfleur, 16 mai 1859.

    "Hcn cher ami,

    Puisque tu n'es pas de ceujcqui se moquentdes longues lettres, tu en auras pour ton ar-

    gent, car j'ai deux heures de loisir devant

    moi.

    Avant tout. . . .

    [ici dtails d'affaires courantes, inutiles

    reproduire]

    Je te remercie pour une phrase aXiclknh

    c/ charmante de ta lettre. Voil une Vraie et

    solide dclaration d'amiti. Je suis peu accou-

    tum aux tendresses. Quant aux complimentsque tu me fais, ma Vanit en profite pour te

    faire lire quelques morceaux que^ sans doute,

    tu n'as pas lus, et qui, aVec quelques autres

    indits, rajeuniront, je l'espre, mon liVrc

    fltri. Tu pourras constater que j'coute peu

    la critique, et que je m'enfonce opinitrement

    dans mon indrotabilitif.

  • -^99

    Maintenant je reprends ta lettre.

    Si les Vers de 'M'. Karski (est-ce bien cela?)

    sont Vraiment beaux, tu devrais m'en pro-

    cui'er un exemplaire^ mais, autant que j'ai

    pu comprendre, cela ne se dbite pas Paris.

    Oui, je dsire pour moi que tu russisses

    dans l'affaire Moreau, mais je suis convaincu

    aussi qu'il te sera galement agrable d'aVoir

    de bonnes preuves d'aprs ces peintures

    singulires.

    Tu ne connais donc pas ces gravures sur

    bois d'aprs Rj^thel. La Dama das morts en

    1848 se Vend maintenant 1 franc (six plan-

    ches). La Bonne mort et VJnS>asion du cholra

    se Vendent, je crois, 7 francs. Tout cela

    chez un libraire allemand qui Vend aussi des

    gravures allemandes, rue de RiVoli, prs du

    Palais-Ro^al. Quelques personnes m'ont ditque Rethel aVait dcor une glise ( Colo-

    gne, peut-tre) ; d'autres, qu'il tait enfermdans une maison de fous. J'ai les uVrcs

    cites ci-dessus et je Voudrais savoir, outre

  • 100

    les renseignements biographiques, s'il y a

    d'autres ozuVres graves.

    L'artiste allemand dont je ne sais pas le

    nom m'a t indiqu par Ricard, qui prtend

    qu'il a un talent tout fait propre aux illus-

    trations et aujc frontispices. Il faudrait Voir

    cette ibaxse.

    Certainement oui, j'aVais pens Dor ; etje ne me rappelle pas si c'est moi qui, toute

    rflexion faite, l'ai rejet cause de l'enfan-

    tillage qui se fait Voir si souvent travers son

    gnie, ou cause de l'antipathie qu'il inspire

    Malassis. Encore, je ne suis pas sr de

    cette dernire affirmation.

    Les diffrents livres ou brochures que

    j'aurai prochainement publier sont : Ven-

    scmbk des articks critiques sur Po (ici un por-

    trait, je me charge de fournir les lments

    ncessaires pour le portrait) encadr dans

    des figures allgoriques reprsentant ses

    principales conceptions, peu prs

    comme la tte de Jsus-Christ au centre des

  • > 101

    instruments de la Passion le tout d'un

    romantisme forcen, s'il est possible. Opium d haschisch : frontispice allcgo-

    ric|uc exprimant les principales jouissanceset souffrances que j'ai racontes.

    JL'^nsvmhk de mes articks critiquas surks

    bcaux-arh cl la lillralurc. Je crois que Ma-lassis ne Veut pas de frontispice.

    l^a deuxime dition des Fleurs. Ici, unsquelette arborescent, les jambes et les ctesformant le tronc, les bras tendus en croix

    s 'panouissant en feuilles et bourgeons, et

    protgeant plusieurs ranges de plantes V-

    nneuses, dans de petits pots chelonns

    comme dans une serre de jardinier. Cette

    ide m'est Venue en feuilletant l'histoire des

    Danses macabres, d'Hyacinthe Langlois.

    Je reviens Dor. Il a un talent extraor-

    dinaire pour donner aux nuages, aux passa-

    ges et aux maisons un caractre positivement

    surnaturel ; cela ferait bien mon affaii'e ;

    mais les figures ! Il y a toujours quelque

  • 102

    chose de puril mme dans ses meilleursdessins. Quant la Divine Comdie, tum'tonnes fortement. Comment a-t-il puchoisir le pote le plus srieux et le plus

    triste? D'ailleurs tu Vois que je Veux en reve-

    nir au systme du frontispice antique, mais

    trait d'une manire ultra-romantique.

    Enfin pour tout dire, parmi les noms que

    j'aVais passs en reVue, je m'tais surtout

    arrt sur ceux de Penguilly et de Nanteuil,

    mais j'ignore si Penguilly consentirait, et

    quant Nanteuil, je crains qu'il n'ait mis

    beaucoup d'eau dans son Vin, et qu'il ne sache

    pas retrouver le caractre d'outrance qu'il

    aVait mis autrefois au service de Victor Hugo.

    Cependant ces deux noms avaient pour moi

    le grand avantage d'offrir une signification

    romantique en parfait accord aVec mes gots

    et rpondant par une certaine forfanterie

    l'ingratitude et la ngligence de ce sicle.

    Mais, par-dessus toutes choses, il ne me

    convient pas de faire une Visite un artiste

  • -^ 103

    distingu et de l'engager dans un petit tra-

    vail pour lequel je serai difficile, aVant d'aVoir

    la certitude qu'il .sera bonorabkmant pa^.

    Ces rserves faites, si tu peux me rensei-

    gner sans m'engager, je t'exprime d'aVancc

    ma gratitude.

    Quant au Salon, hlas! je t'ai un peumenti, mais si peu! J'ai fait une Visite, une

    seule, consacre chercher les nouveauts,

    mais j'en ai trouv bien peu ; et pour tous

    les Vieux noms ou les noms simplement con-

    nus, je me confie ma Vieille mmoire,excite par le liVret. Cette mthode, je le

    rpte, n'est pas mauvaise, la condition

    qu'on possde bien son personnel.

    Entre autres choses Vraiment distingues

    qu'on ne remarquera pas, remarque dans

    une grande salle carre, au fond gauche,

    o l'on a entass des paquets de choses reli-gieuses impayables, deux petits tableaux.

    L'un : n" 121^, les Saurs de charih\ paryjfrmandGautier.

  • c 104

    L'autre : n" 18^4, l'Angelus, ipav Alphonse

  • -^ 105 ^-

    Pour les duchesses d'Albe, je te rpterais,

    si tu n'tais pas dans de grandes gnes, qu'il

    serait bon de les arracher un prix modr.

    Puisque tu as jug propos de jeter lafin de ta lettre un peu de politique, j'en ferai

    autant. Je me suis Vingt fois persuad que je

    ne m'intressais plus la politique et

    chaque question graVe je suis repris de curio-

    sit et de passion.

    Il Y a bien longtemps que je la surveillais

    et que je l'attendais, cette question italienne.

    Bien aVant l'aVenture d'Orsini. El ce su-

    jet, il serait injuste de dire que Napolonexcute le testament d'Orsini. Celui-ci tait

    un honnte homme trop press. Mais l'em-pereur pensait la chose depuis longtemps

    et il aVait fait nombre de promesses tous

    les Italiens qui Venaient Paris. J'admire

    aVec quelle docilit il obit la fatalit,

    mais cette fatalit le sauVe ; qui aujourd'huipense "M'omy, au grand Central, Beau-

    mont "VJassY, et aux quarante mille salets

    13

  • o 106 ^

    qui nous occupaient il y a peu de temps ?

    >?oil l'Empereur laV. Tu Verras, mon cher,

    qu'on oubliera les horreurs commises en

    dcembre. En somme, il Vole la Rpubli-

    que l'honneur d'une grande guerre. As-tu

    lu l'admirable discours de Jules FaVre au

    Corps Lgislatif dans les derniers jours du

    mois dernier, ou dans les premiers de mai?

    Il a pos nettement la ncessit, la fatalit

    rvolutionnaire. Le prsident et les ministres

    ne l'ont pas interrompu. Il aVait l'air de parler

    au nom de l'empereur. Et, quant propos

    de Garibaldi, un Vicomte de La Tour, breton

    bigot et niais, a dit que /a Franir esperaif

    bien m pas se souiller par de pareilles al-

    liances, le prsident Schneider l'a arrt, lui

    disant qu'un dput n'aVait pas le droit de

    diffamer les allis de la France, d'o qu'ils

    tinssent.

    La politique, mon cher ami, est une

    science sans cur. C'est ce que tu ne Veujc

    pas reconnatre. Si tu tais jsuite et rVo-

  • c 107 o

    luHonnairc, comme tout Vrai politique le doit

    tre, ou l'est fatalement, tu n'aurais pas tant

    de regrets pour les amis jets de cte. Je sais

    que je te fais horreur, mais dis-moi, as-tu

    seulement remarque aVec quel -propos sont

    Venues les lettres diplomatiques de Joseph de

    Maistre, publies par M. de CaVour, lettres

    o, pour le dire en passant, le Pape est trait

    de polichinelle ? Quel rquisitoire contrel'Autriche ! l^e Pimont aVait gard ces lettres

    en rserve, et les a lances au bon moment.

    Je crois seulement qu'en mettant les choses

    au mieux, l'empereur couvert de gloire et

    bni de tout le monde, l'embarras sera dans

    l'usage de la Victoire.

    Pour tes chagrins personnels, mon ami,

    rsignation, rsignation.

    Quand j'irai chez 'toi, je te parlerai desmiens qui s'accumulent, et je te ferai piti.

    Je crois sincrement qu'except pour un

    petit nombre de jeunes gens, intelligents,riches (et sans famille) ! qui ne saVent pas

  • -^ 108^

    user de leur bonheur, la Vie doit tre une

    perptuelle douleur.

    Tout toi, C. B.

    Encore deu?c billets retrouvs, pour pren-

    dre place dans la prochaine dition des Ldfres

    du Mercure ; par quel hasard celles-ci sont-

    elles restes dans mon tiroir aVec leurs enve-

    loppes, au lieu d'tre remises leurs destina-

    taires, je ne m'en souviens gure. D'ailleurs

    la chose est de peu d'intrt. Mais ces let-ti'cs Valent par les renseignements qu'elles

    nous apportent tant sur les relations que

    Baudelaire aVait aVec les artistes anglais que

    sur l'estime o il tait tenu chez eujc.

    A MONSIEUR CHARLES A SWINBURNE,16, Che^ne Walk, Cbehea,

  • c 110 o

    PcrmeUcz-moi, mon tour, de Vous dire :

  • * 111

    plusieurs UVres publier, je Vous les exp-

    dierai successivement.

    >}euillez agrer, Monsieur, l'expression

    trs Vive de ma gratitude et de ma sympathie.

    Charles Baudelaire.

    A Paris, 22, rue d'Amsterdam.A Honfleur, rue de Neubourg.Je suis Paris jusqu' la fm de ce mois

    et je passerai tout dcembre Bruxelles.

    "Konsieur,

    Monsieur "Whistlcr,

    7, Lindstr^ Ro^ii, Balkrsan Bridge, Chelsea,

    J^ondon.

    Cher Monsieur,

    Un de mes meilleurs et de mes plus Vieuxamis, M. Flix Nadar, Va Londres, dans

    le but, je crois, de raconkr au public les aVen-

  • ^ 112

    tures qu'il a courues aVec son grand ballon,

    et aussi, je prsume, pour fain partager aupublic anglais ses con-Oiclions relaliS)ement un

    nouveau niixanisme qui civil lre subslilu au bal-

    lon.

    Vous saVcz que nous avions un peu caus

    de hxlures et des chances que j'aurais pu

    trouver d'tre cout Londres. Je Vous en

    prie, gratifiez Nadar de tous les conseilsct.de toutes les indications dont Vous m'au-

    l'iez fait cadeau moi-mme ; en deujc mots,tout ce que Vous ferez pour "H". Nadar, j'en

    mettrai le souvenir dans mon cur. D'ail-

    leurs Vous le Verrez et Vous saurez l'appr-

    cier Vous-mme.

    Prsentez mes amitis Legros, et n'ou-

    bliez pas de montrer Nadar Vos merveil-leuses eaujc-fortcs. Je deVine tout le plaisir

    qu'il en ressentira.

    >}euillez agrer, cher Monsieur, l'assu-

    rance de mes meilleurs sentiments.

    Charles Baudelaire.

  • 113 o

    Voulant aussi lui donner une lettre pour

    Vf. A. SvOinburne, j'ai profit de l'occasion

    pour exprimer ce dernier tout mon repen-

    tir de mon oubli et de mon apparente ingra-

    titude.

    C. B.

    A Paris, 22, rue d'Amsterdam.A Honfleur, rue de Neubourg.A Bruxelles? Je ne sais pas encore quelle

    adresse.

    *

    Encore celle-ci, date de Bruxelles o l'on

    m'aVait demand une ascension du GANTpour l'anniversaire de la rvolution de sep-

    tembre.

    3U aot 1864.

    Mon cher Nadar,

    Je ne serai probablement plus Bruxelles

    14

  • 114

    l'poque des ftes, car tout mon temps, du

    8 au 20 septembre, sera consacr des ex-

    cursions en province.

    Puisque tu aVais la gracieuse intention de

    m'offrir une place dans ta nacelle, Veux-tu

    me permettre de reporter cette faVeur sur

    M. O'Connell, le meilleur compagnon, je crois,que tu puisses trouver. Tu connais ma d-

    fiance relativement t'V^. les Belges. Donc,

    je ne te serai pas suspect en te Vantant

    "H". O'Connell (qui d'ailleurs n'est pas belge,

    comme son nom le prouVc). Si tu dsires un

    homme gai, adroit toutes les gymnastiqucs,assez connaisseur en toutes mcaniques et

    amoureux de toutes le