Universit de la Mditerrane Aix Marseille II
Facult des Sciences conomiques et de Gestion
Centre de REcherche sur le Transport et la LOGistique (CRET-LOG)
Intgration du dveloppement durable dans la stratgie
dentreprise: une explication par la thorie des ressources et
comptences et lapproche des parties prenantes.
Le cas du secteur des produits de grande consommation
Thse prsente et soutenue publiquement pour lobtention du
DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTION
Le 25 novembre 2010 par
Sandrine GHERRA
JURY
Directeur de Recherche: Monsieur Pierre-Xavier MESCHI Professeur lUniversit Aix-Marseille III
Rapporteurs: Madame Ulrike MAYRHOFER Professeur lUniversit Lyon III
Monsieur Frdric LE ROY Professeur lUniversit Montpellier I
Suffragants: Monsieur Gilles GUIEU Professeur lUniversit Aix-Marseille II
Monsieur Emmanuel METAIS Professeur lEdhec Business School
Monsieur Gilles PACHE Professeur lUniversit Aix-Marseille II
Remerciements
Je tiens tout dabord remercier le Professeur Pierre-Xavier MESCHI, mon directeur de
thse, pour ses conseils clairs et constructifs, ses encouragements, sa grande disponibilit et
son soutien sans faille tout au long de ce travail.
Jexprime galement toute ma gratitude aux Professeurs Ulrike MAYRHOFER et Frdric LE
ROY, pour avoir accept de porter une apprciation sur ce travail en tant que rapporteurs,
ainsi quaux Professeurs Gilles GUIEU, Gilles PACHE et Emmanuel METAIS, pour avoir
bien voulu participer au jury de soutenance.
Je souhaite galement remercier lAgence de lEnvironnement et de la Maitrise de lEnergie,
qui a particip au financement de cette recherche, le Club Dmter qui ma accueillie tout au
long ltude empirique qualitative, ainsi que toutes les entreprises qui ont accept de rpondre
au questionnaire.
Ces remerciements seraient incomplets sans mentionner les personnes qui, lUniversit
dAix-Marseille II, mont accord du temps et ont contribu au bon droulement de ce travail.
Ma reconnaissance sadresse plus particulirement Franck, pour son soutien de tous les
instants, Ian, pour sa hotline informatique, Frdric, pour son coaching de fin de thse, Flix
pour son rconfort, et Aime, pour sa bienveillance.
Enfin, mes remerciements et mes penses vont ma famille, et plus spcialement mes
parents, pour leur accompagnement et leur patience au cours de ces annes.
Luniversit nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans cette thse:
ces opinions doivent tre considres comme propres lauteur.
Sommaire
Introduction .......................................................................................................................... 1
Partie 1 - Intgration du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise: Modle conceptuel ................................................................................................................................ 17
Chapitre 1: Dveloppent durable: implications et challenges pour lentreprise .......... 171.1 Dfinition du concept de dveloppement durable ...................................................... 171.2 Les fondements du dveloppement durable ............................................................... 181.3 Perspectives thique, morale et de responsabilit sociale dans une approche de dveloppement durable .................................................................................................... 211.4 Postures dentreprises face aux principes de dveloppement durable ....................... 28
Chapitre 2: Caractrisation des diffrents niveaux dintgration du dveloppement durable dans la stratgie .................................................................................................... 36
2.1 Une stratgie environnementale ractive ................................................................... 372.2 Une stratgie environnementale dfensive ................................................................. 432.3 Une stratgie environnementale cooprative ............................................................. 482.4 Une stratgie environnementale proactive ................................................................. 56
Chapitre 3: Lemballage: lment rvlateur du niveau dintgration du du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise ................................................... 64
3.1 Des fonctions qui font appel une perspective stratgique ....................................... 653.2 Lemballage au cur des enjeux de dveloppement durable ..................................... 68
Chapitre 4: Analyse de la relation entre lorientation parties prenantes de lentreprise et la stratgie environnementale engage .................................................... 81
4.1 Une reprsentation des relations entre lentreprise et ses parties prenantes............... 814.2 Les diffrentes composantes de lapproche des parties prenantes ............................. 834.3 Les parties prenantes de lentreprise dans un contexte de dveloppement durable ... 904.4 Lorientation parties prenantes en fonction du niveau de proactivit de la stratgie environnementale ........................................................................................................... 101
Chapitre 5: Types de ressources, comptences et capacits dynamiques en fonction de la stratgie environnementale engage ........................................................................... 116
5.1 Principes de la thorie des ressources et comptences ............................................. 1165.2 Principes de la thorie des ressources et comptences naturelles ............................ 1395.3 Analyse de la relation entre le type de ressources et comptences et le niveau de proactivit de la stratgie environnementale engage .................................................... 1425.4 Effet catalyseur de la possession de comptences relatives lenvironnement naturel sur la relation positive entre lorientation parties prenantes et le niveau de proactivit de la stratgie environnementale engage ........................................................................... 161
Partie 2 - Intgration du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise: mthodologie de la recherche et rsultats de ltude empirique ...................................... 170
Chapitre 1: Choix du positionnement pistmologique et complmentarit entre les approches qualitative et quantitative adoptes ............................................................. 170
1.1 Positionnements pistmologique et mthodologique de la recherche .................... 170
1.2 Les produits de grande consommation: un secteur propice la conduite de notre recherche ........................................................................................................................ 181
Chapitre 2: Choix mthodologiques et mise en uvre du protocole de recherche qualitatif ............................................................................................................................ 188
2.1 Le choix du terrain dtude ...................................................................................... 1882.2 La combinaison de trois techniques de recueil de donnes ...................................... 1892.3 Le choix des techniques danalyse de donnes ........................................................ 1962.4 Les critres de validit de la phase de recherche qualitative .................................... 203
Chapitre 3: Analyse et discussion des rsultats de lanalyse qualitative ..................... 2063.1 Rsultats et analyse de ltude documentaire ........................................................... 2063.2 Analyse des rsultats issus des entretiens ................................................................ 2083.3 Analyse des rsultats issus de lobservation ............................................................ 2153.4 Synthse des rsultats de lanalyse qualitative ......................................................... 247
Chapitre 4: Mthodologie quantitative et mesure des construits ................................ 2504.1 Prsentation de la mthodologie statistique mise en uvre ..................................... 2504.2 Oprationnalisation des variables ............................................................................. 2644.3 Mise en uvre des variables et collecte des donnes ............................................... 2884.4 Evaluation de la qualit des instruments de mesure ................................................. 292
Chapitre 5: Analyse et discussion des rsultats de lanalyse quantitative .................. 3555.1 Test individuel des hypothses par la mthode des analyses de rgressions linaires ........................................................................................................................................ 3555.2 Test global du modle de recherche: la mthode des quations structurelles .......... 3915.3 Discussion des rsultats ............................................................................................ 415
Conclusion gnrale de la recherche .............................................................................. 430Bibliographie ..................................................................................................................... 440Index des tableaux et des figures .................................................................................... 461Tables des matires .......................................................................................................... 469
1
Introduction
Bien plus quun phnomne de mode, le dveloppement durable constitue dsormais
un dfi stratgique majeur pour les entreprises. Ce concept, sarticulant autour des trois axes
de dveloppement que sont les axes conomique, environnemental et social, rencontre
cependant des difficults quant son oprationnalisation en des pratiques claires et
pertinentes. En labsence de repres fiables et prcis, les entreprises mettent en uvre une
multitude de solutions afin de parvenir intgrer les exigences de dveloppement durable
dans leurs pratiques.
Le cas du groupe mondial Coca-Cola constitue une bonne illustration de son
intgration au sein de sa stratgie. Coca-Cola France, filiale franaise du leader mondial des
boissons sans alcool, nenvisage plus le dveloppement de sa stratgie sans considrer
limpact de ses activits sur lenvironnement ainsi que leurs consquences sociales.
Lentreprise met en uvre sur le territoire la stratgie de dveloppement long terme, la
stratgie de communication et les relations avec les consommateurs. Au niveau oprationnel,
elle fournit un rseau dembouteilleurs les concentrs ncessaires la fabrication des
boissons.
Dans la stratgie de Coca-Cola France, lintgration du dveloppement durable
apparat comme une vidence la responsabilit sociale et environnementale est au cur du
dveloppement de notre activit (Rapport de Responsabilit Sociale et Environnementale,
2006: 1). Au niveau environnemental, les actions prioritaires sont de trois ordres: l'eau
(rduction de la consommation globale, optimisation des ressources et traitement des eaux
uses par jardins filtrants naturels entre autres), le transport (rduction du trafic routier et
dveloppement du transport collaboratif), et l'emballage (fabrication conome en matires
premires et recyclage): Les enjeux de RSE les plus frquemment cits avec nos clients sont
ceux lis lenvironnement et au transport, le poids de la prforme, la quantit deau utilise
et la quantit demballage (Rapport de Responsabilit Sociale et Environnementale, 2006:
8). Au sein de laxe environnemental, lemballage reprsente un lment central car la mise
sur le march de nos emballages reprsente une empreinte environnementale . (Rapport de
Responsabilit Sociale et Environnementale Coca-Cola France, 2006: 16). Lentreprise a, ds
les annes 1960, cherch rduire le poids de ses emballages et optimiser leur conception,
afin de rduire leurs impacts environnementaux. Cela se traduit, en 1969, par la ralisation de
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la premire analyse de cycle afin darbitrer entre les matires plastiques ou le verre pour
lembouteillage du produit.
Depuis, laccroissement de la pression rglementaire dans le domaine de lemballage,
a conduit lentreprise persvrer dans ses efforts de rduction des impacts
environnementaux. Elle entreprend donc un travail de rduction la source du poids des
emballages primaires: rduction de lpaisseur de la canette acier et des prformes pour les
bouteilles en PET, prvision en amont des filires de recyclage disponibles. Des rsultats
probants ont t obtenus par lentreprise en la matire: entre 1996 et 2005, le poids moyen
dune prforme PET 1,5L est pass de 48 grammes 40 grammes, soit une conomie de 5 000
tonnes demballage par an. Pour les botes, le poids moyen est pass de 32 grammes 22
grammes, soit une conomie de 3 600 tonnes dacier par an. Les barquettes en carton
enveloppant les lots de six canettes ont t supprimes: 150 tonnes de carton par an ont pu
tre conomises.
Afin dtre en conformit avec les exigences rglementaires, Coca-Cola France tend
ensuite ses efforts de rduction la source aux emballages de regroupement et de transport.
Or, ces emballages remplissent essentiellement des fonctions pour les autres acteurs de la
chane logistique, comme par exemple, les prestataires de services, les entreprises de
distribution ou les clients finaux. Dans ce contexte, la direction logistique de Coca-Cola
France se rapproche de ses partenaires commerciaux privilgis afin dchanger, de partager
et de progresser sur des pratiques logistiques respectueuses de lenvironnement. En prenant en
compte les besoins de chaque acteur, il a t possible, par exemple, de rduire
considrablement lutilisation des films plastiques pour lacheminement des produits depuis
leur lieu de production jusquau lieu de consommation (8% dconomie sur les lots de six
botes, soit 110 tonnes de film conomises chaque anne).
En 2005, Coca-Cola France cre un poste de responsable du dveloppement durable
afin de permettre de centraliser et dorganiser en interne toutes les dimensions relatives ce
thme, de cooprer avec les partenaires extrieurs privilgis et de dvelopper la
communication institutionnelle. Dans cette perspective, lemballage reprsente un axe
important pour le responsable du dveloppement durable, puisque lenjeu rside dans la
poursuite de dveloppement des marques du groupe tout en russissant rpondre aux
exigences de dveloppement durable. Or, avec notamment des tendances marketing en faveur
de la miniaturisation des formats, lentreprise doit trouver un mode de dveloppement
conomique lui permettant de rpondre favorablement aux attentes des consommateurs tout
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en prservant les ressources de lenvironnement naturel. Il sagit de parvenir satisfaire la
fois des critres environnementaux et marketing qui semblent tre contradictoires.
Dans la mme priode, Coca-Cola France lance un emballage innovant sur le plan
marketing. Elle dcide de profiter de son expertise acquise dans le domaine de rduction la
source pour valuer limpact environnemental de cet emballage par rapport son ancien
conditionnement. Pour mener cette tude, Coca-Cola sappuie sur son rseau de relations
troites avec ses principaux partenaires en amont (fournisseurs de matires premires) et en
aval (prestataires de services logistiques, entreprises de distribution) de la chane logistique
afin de relever les donnes pertinentes pour la ralisation de lanalyse. Contre toute attente,
ltude rvle que lemballage innovant sur le plan marketing nest pas favorable la
prservation de lenvironnement. Lentreprise dcide, alors, de ne plus lancer de nouveau
packaging sans raliser dtude environnementale pralable afin de russir intgrer laspect
environnemental au moment de la conception. Une fois encore, critres environnementaux et
marketing ne semblent pas converger, et fournissent lentreprise de nombreux dfis pour
trouver, lavenir, un mode de dveloppement demballages durables.
Lintensit des pressions rglementaires et labsence doprationnalisation du concept
de dveloppement durable en des pratiques concrtes, notamment dans le domaine de
lemballage, a amen Coca-Cola France exprimenter des tests pilotes. Elle a aussi
recherch un mode de coordination avec ses principaux partenaires dtenteurs dexpertise,
afin de faciliter sa dmarche dintgration du dveloppement durable dans sa stratgie
dentreprise, et donc de dvelopper des comptences environnementales.
Problmatique et question de recherche
Tout comme Coca-Cola France, les entreprises sefforcent dacqurir des
comptences, afin de dvelopper des stratgies dentreprise, plus ou moins proactives en
matire de dveloppement durable. Seulement, avec un concept de dveloppement durable
apparaissant comme trs large, parfois flou, et difficilement oprationnalisable, lvaluation
du niveau des entreprises dans ce domaine peut vite devenir difficilement apprhendable.
Pour notre recherche, il nous apparat alors pertinent dutiliser une cl dentre plus
spcifique, afin dapprhender le niveau dintgration du dveloppement durable dans la
stratgie dentreprise: les pratiques de gestion des emballages.
En effet, lemballage occupe une place prpondrante dans la chane de fabrication qui
relie le produit brut au consommateur final et concerne toutes les industries o le
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conditionnement joue un rle dterminant en matire de scurit et dhygine alimentaire,
dinformation au consommateur, de design et de respect de lenvironnement. Lemballage et
sa gestion, qui peuvent reprsenter 15 20% du cot dun produit, se rvlent tre un axe
privilgi dapprciation du niveau de ressources et comptences environnementales dtenues
par une entreprise. Ainsi, si lon considre le format de lemballage dans une perspective
environnementale, on constate quil vise gnralement susciter un trs fort impact visuel
(taille parfois surdimensionne, forme originale) sans pour autant avoir systmatiquement
recours des composants cologiques. Le dveloppement de comptences environnementales
au niveau de la gestion des emballages constitue par consquent un lment rvlateur du
niveau de ressources et comptences en relation avec lenvironnement de lentreprise.
Symboles de notre socit de consommation, les emballages font pourtant lobjet
dinterrogations. En effet, une relle contradiction merge entre, dun ct, les pressions qui
visent rduire lempreinte environnementale des emballages, et de lautre, une modification
des comportements de consommation qui a pour consquence daccrotre le nombre
demballages mis sur le march. En effet, au cours des trente dernires annes, la population
franaise a augment de 21% (soit 58,7 millions dhabitants en 2000), tandis que le nombre de
mnages a progress de plus de 50% (soit 23,5 millions en 2000) et que le nombre de
personnes seules a pratiquement doubl (Adelphe et al. 2004). Concernant la taille des
mnages, elle tait en moyenne de 3,1 personnes dans les annes 1970 pour atteindre 2,3
personnes en 2005, favorisant ainsi la diminution des formats des emballages (Insee, 2006).
Les familles nombreuses sont de moins en moins frquentes, et les personnes seules
reprsentent 26% de la population en 2005, soit prs dun foyer sur trois. De plus,
aujourdhui, plus de la moiti des femmes travaillent contre seulement une sur trois en 1960:
elles aspirent se librer des contraintes du quotidien pour disposer de plus de temps pour
elles. Ainsi, quand le temps de prparation des repas diminue, lachat de produits tout prts et
de produits premballs augmente au dtriment des produits en vrac. Par ailleurs, les repas
sont dstructurs (grignotage), la consommation devient de plus en plus individuelle (en
portions) et nomade. La hausse des achats en grandes et moyennes surfaces (GMS) et en libre
service de produits premballs est significative de lvolution de la dmographie, de la
modification des habitudes et des attentes de consommation. Pour preuve, en 2005, 100
milliards de produits emballs ont t consomms en France, contre 85 milliards en 1997, et
80 milliards en 1994 (CNE, 2005). Les dchets demballages mnagers et non mnagers
reprsentent environ en poids, le tiers (et plus de la moiti en volume) des ordures mnagres
collectes par les communes. En 2003, le gisement franais des emballages mnagers aprs
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usage slve cinq millions de tonnes, soit approximativement le quart des ordures
mnagres provenant des particuliers. Ce tonnage tend se stabiliser en raison de nombreux
efforts de rduction la source qui permettent de rduire le poids unitaire de chaque
emballage mis sur le march (Adelphe et al., 2004).
En prsence dattentes contradictoires qui manent des parties prenantes, notre intrt
se porte sur la faon dont les entreprises sont en mesure dapprhender ces demandes et dy
rpondre en adoptant une stratgie plus ou moins proactive de dveloppement durable. Elles
sorientent vers un principe de responsabilit socitale, afin dattester de leur conformit avec
les valeurs vhicules par les parties prenantes. Cet engagement de responsabilit socitale
passe essentiellement par la gestion de la communication externe et de limage de marque. A
travers notamment la publication des rapports de dveloppement durable, le discours des
entreprises repose sur le modle des parties prenantes, puisquil relate les efforts faits par
lentreprise dans ce domaine lgard des diffrents groupes dacteurs affects par ses
activits.
A travers lexemple de la gestion de lemballage, il est donc possible de mieux cerner
la problmatique de dveloppement durable laquelle lentreprise est confronte. En effet,
lexemple a montr que pour rpondre aux exigences de dveloppement durable vhicules
par ses parties prenantes, lentreprise se devait de dtenir des comptences spcifiques. Par
consquent, nous considrons la gestion des emballages comme une cl dentre pour
apprhender, dun point de vue plus gnral, les antcdents du niveau dintgration au sein
de la stratgie dentreprise. La thse dfendue est donc la suivante: les ressources et
comptences ainsi que le type de relation entretenu avec les diffrentes parties prenantes
permettent dexpliquent le niveau dintgration du dveloppement durable dans la stratgie
dentreprise. Cela nous amne formuler notre thse sous la forme de la question de
recherche suivante: dans quelle mesure, les ressources et comptences ainsi que le type de
relation entretenu avec les diffrentes parties prenantes, expliquent-ils le niveau
dintgration du dveloppement durable au sein de la stratgie dentreprise ?
Afin de rpondre notre question de recherche, nous proposons de la dcomposer en
plusieurs interrogations:
1) Quels sont les enjeux de dveloppement durable pour lentreprise ?
2) Existe-t-il plusieurs niveaux dintgration du dveloppement durable dans la
stratgie dentreprise ?
3) Qui sont les parties prenantes vhiculant des exigences de dveloppement durable
envers lentreprise ?
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4) Quelles sont les ressources et comptences en jeu selon le niveau dintgration du
dveloppement durable dans la stratgie dentreprise?
5) Existe-t-il un niveau dintgration du dveloppement durable dans la stratgie
dentreprise qui anticiperait les attentes des parties prenantes en explorant de nouvelles rgles
du jeu concurrentiel ?
Pour rpondre notre question de recherche, nous mobilisons un double cadre
danalyse, fond sur lapproche des parties prenantes et sur la thorie des ressources et
comptences. Ce cadre nous permet dtudier la nature des connexions entre la gestion des
relations avec les parties prenantes et la performance environnementale conscutive de la
matrise de ressources et comptences environnementales. Lapproche des parties prenantes
permet dtablir une relation entre une forte orientation vers les parties prenantes et le niveau
dintgration du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise. Les organisations ne
doivent pas limiter leurs dcisions stratgiques la seule satisfaction des actionnaires mais
largir leurs objectifs afin de rpondre aux attentes et aux intrts dune large varit de
parties prenantes (Buysse et Verbeke, 2003). La thorie des ressources et comptences met en
vidence lorigine de lavantage concurrentiel dans la capacit de lentreprise exploiter des
comptences spcifiques au sein de lunivers concurrentiel. Le dploiement de ressources et
comptences considres comme stratgiques permet alors dobtenir un avantage comptitif.
Ce double cadre thorique permet darticuler le niveau de comptences environnementales et
limportance accorde aux parties prenantes en fonction du niveau de dintgration du
dveloppement durable dans la stratgie dentreprise.
Le dveloppement durable: un ancrage historique tourn vers le futur
Laccroissement des proccupations en faveur du dveloppement durable concide
avec lexpansion du phnomne de globalisation, synonyme dinterdpendance accrue,
daugmentation du nombre dacteurs influents, de concurrence renforce, daccroissement du
niveau de risque et dacclration des changements au sein des organisations (Urban, 2005).
Le dveloppement durable, actuellement un des termes les plus mdiatiss, est en fait
un concept ancien, et il sest nourri des dbats de socit et des questions que se pose
lhomme relativement son milieu. Une approche historique permet de situer son origine
dans lentreprise paternaliste du XIXme sicle (Stephany, 2003). Plus rcemment, il se
dveloppe partir de 1974 avec le terme dcodveloppement, puis en 1980 o lexpression
sustainable development est adopte par lUnion Internationale pour la Conservation de la
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Nature. Mais cest en 1987, que le dveloppement durable prend son vritable essor. A cette
date, Madame Brundtland, alors Ministre Norvgienne, dfinit pour la premire fois
lexpression. Dans son rapport intitul Our Common Future , elle le prsente comme: un
mode de dveloppement conomique qui rpond aux besoins du prsent sans compromettre la
capacit des gnrations futures rpondre aux leurs (Commission Mondiale de lONU sur
lEnvironnement et le Dveloppement, 1988: 51). Depuis, bien dautres dfinitions se sont
succdes, mais cest cette premire qui est largement reconnue et accepte par tous.
Au niveau de la littrature, lHarvard Business Review sintresse en 1997 au
dveloppement durable avec notamment, larticle de Hart, intitul Beyong Greening:
Strategies for a Sustainable World dans lequel lauteur explique les raisons pour lesquelles
le monde dans son ensemble sinscrit dans un dveloppement non durable. Pour prserver les
ressources naturelles, le dveloppement durable doit donc sappuyer sur trois piliers
complmentaires et indissociables: lefficacit conomique, le respect de lenvironnement et
lquit sociale (Elkington, 1997 ; Gladwin et al., 1995 ; Hart, 1995 ; Stikker, 1995 ; Welford,
1995). Cette convergence entre les sphres conomique, sociale et environnementale autorise
une double lecture du dveloppement durable: la qute de durabilit peut constituer soit un
objectif, soit un moyen permettant datteindre le but que se fixe lentreprise (Boiral et
Croteau, 2001 ; Persais, 2004).
Dans le premier cas, il sagit dadjoindre la finalit conomique un certain nombre
de missions complmentaires, comme la participation au progrs social ou la prservation des
milieux naturels, par exemple. Puisque lentreprise nexiste pas uniquement pour ses
actionnaires mais aussi pour ou par une multitude dautres parties prenantes (Freeman, 1984),
il convient donc dlargir le champ dvaluation de la performance afin dintgrer des
considrations dordre socital (Graves et Waddock, 1994 ; Caroll, 1996 ; Ogden et Watson,
1999). De ce fait, le courant dontologiste se fonde sur une thique du devoir et ne se
proccupe pas des consquences de laction, mais mesure la dimension thique contenue dans
un acte.
Dans le second cas, lobjectif de performance conomique (rsultat) est subordonn
un comportement positif et volontariste dans le domaine cologique et social (moyens). Pour
Friedman et les conomistes de lcole de Chicago, la responsabilit dentreprise ne sexerce
que par des dcisions permettant damliorer la rentabilit aux actionnaires. Ici, la prise en
compte dintrts socitaux conditionne la russite conomique et financire de lentreprise.
Cette approche value donc les actions partir de leurs consquences en considrant lthique
selon une logique utilitariste, c'est--dire une source de profit et de rentabilit.
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Quelle que soit la grille de lecture choisie, la prise en compte du dveloppement
durable implique la reconnaissance dun certain nombre de responsabilits lgard de la
socit. Le dbat sur la responsabilit dentreprise prend son essor lors de larticle de Bowen
(1953) qui prconise une rvision des stratgies en intgrant les dimensions socitales afin de
rpondre aux diffrentes pressions de la socit. Parmi la littrature abondante sur le sujet,
deux courants majeurs se distinguent. Le premier, ax sur les courants Business Ethics et
Corporate Social Responsibility , est moraliste. Il se base sur les fondements des thories
sociologiques no-institutionnelles de la lgitimit, o lentreprise se situe au sein dun champ
social et recherche tre en conformit avec les valeurs de la socit. Cette approche se fonde
sur lthique (distinction entre le bien et le mal au niveau individuel) et la morale (obligation
de se conformer aux valeurs de la socit). Bien que fondatrice, cette approche normative de
la responsabilit sociale est insuffisante pour apprhender le processus dintgration du
dveloppement durable au sein des organisations. Cest pourquoi une seconde approche,
stratgique, porte par les courants Social Issue Management et Corporate Social
Responsiveness sest dveloppe. Elle sinspire de lapproche no-classique conomique et
librale, o la responsabilit de lentreprise sert accrotre le profit des actionnaires. Ces deux
approches se rejoignent pour dfinir des typologies de postures dentreprises vis--vis du de la
responsabilit sociale. Compltes par des travaux relatifs au management environnemental,
elles permettent de dterminer les diffrentes postures possibles dentreprise face aux
exigences de dveloppement durable.
Pourtant cette approche prsente le problme majeur quil nexiste pas
doprationnalisation de la responsabilit dentreprise permettant dtablir un cadre propice au
recueil de donnes (Clarkson, 1995). Toute entreprise a des relations avec diffrentes parties
prenantes, et ces relations peuvent tre gres ou non, suivant les cas. Ainsi, les donnes que
lon peut recueillir sur le terrain correspondent au modle du management des parties
prenantes (Freeman, 1984) plutt quaux concepts de responsabilit dentreprise, de
sensibilit aux questions sociales ou la performance sociale de lentreprise (Clarkson, 1995).
Cest pourquoi lapproche des parties prenantes permet de dpasser les limites lies au
concept de responsabilit dentreprise. Par lintermdiaire des parties prenantes, toutes les
exigences de dveloppement durable sont donc vhicules jusqu aux organisations.
Parties prenantes: dfinition, identification et hirarchisation
Lapproche des parties prenantes sinscrit dans la ligne dapproches normatives, avec
les recherches sur la responsabilit sociale (Berles et Means, 1932 ; Dodd, 1932 ; Bowen,
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1953 ; Preston et Post, 1975 ; Carroll, 1979 ; Garrod, 1997 ; Mc Gee, 1998). Lapproche des
parties prenantes porte, dans un premier temps, son attention sur la morale (Philips, 2003) en
sintressant lquilibre des intrts des parties prenantes (Goodpastor, 1991 ; Frooman,
1999). Puis, dans un second temps, une approche stratgique axe sur la performance, se
proccupe de la gestion des intrts des parties prenantes. Cette approche propose un cadre
intgrateur du management stratgique en dpassant les conceptions restrictives de la thorie
de lagence focalise sur les rapports entre les managers et les actionnaires, et des stratgies
concurrentielles de Porter sur les rapports entre lentreprise et les acteurs de lenvironnement
(Martinet et Reynaud, 2004).
Les premiers travaux formalisant le concept de parties prenantes apparaissent dans les
annes 1970 et 1980 (Charan et Freeman, 1979 ; Sturdivant, 1979 ; Freeman et Reed, 1983).
Le concept de partie prenante na pas le mme sens pour tous les auteurs (Philips et al., 2003).
La vision large des parties prenantes de Freeman (1984) ancre la gestion des parties prenantes
un niveau stratgique, mais pose des problmes puisque tout le monde pourrait prtendre
un intrt dans une organisation (Sternberg, 2001 ; Orts et Strudler, 2002 ; Jensen, 2002) ;
quant lacception plus troite distinguant les parties prenantes volontaires et involontaires
(Clarkson, 1995), elle se rfre plus une notion denjeu et de pari que dintrt (Hill, Jones,
1992).
Depuis la publication de Freeman (1984) intitule Strategic Management: A
Stakeholder Approach , de nombreux articles (Brenner et Cochran, 1991 ; Clarkson, 1991 ;
Goodpaster, 1991 ; Wood, 1991 ; Hill et Jones, 1992) sont venus enrichir ce champ de
recherche. Cette littrature de plus en plus abondante, o apparaissent les concepts de parties
prenantes, de modle des parties prenantes, de management et de thorie des parties
prenantes, dconcerte le lecteur.
Un des principaux enjeux rside donc dans lidentification des parties prenantes
importantes et de leurs attentes, ainsi que dans la mise en uvre de moyens adquats pour les
satisfaire (Beck, 1992 ; Welford et Gouldson, 1993 ; Shrivastava, 1995 ; Henriques et
Sadorsky, 1996 ; 1999 Berry et Rondinelli, 1998). Si lide dune hirarchisation est reconnue
comme ncessaire par lensemble des auteurs, il nen est pas de mme des modalits pratiques
lies cette hirarchisation.
Une typologie des parties prenantes propose de les rpartir en deux groupes distincts:
les parties prenantes primaires impliques directement dans le processus conomique et ayant
un contrat explicite avec lentreprise, et les parties prenantes secondaires ayant des relations
volontaires ou non avec lentreprise, dans le cadre dun contrat implicite ou moral (Carroll,
10
1996 ; Clarkson, 1995 ; Savage et al., 1991 ; Buysse et Verbeke, 2003). Une autre typologie
base sur les attributs des parties prenantes permet de hirarchiser limportance des parties
prenantes pour lentreprise et donc den justifier la pertinence: le pouvoir, la lgitimit
(Andriof et Waddock, 2002 ; Donaldson et Preston, 1995 ; Gond et Mercier, 2005), et
lurgence, perus par les dirigeants (Mitchell et al., 1997 ; Agle et al., 1999 ; Egri et Herman,
2000 ; Sharma, 2000). Dans une logique stratgique, la justification de lexistence des parties
prenantes par lexistence des relations de pouvoir, conduit une interdpendance de
lorganisation avec les diffrents groupes qui constituent son environnement et avec lesquels
elle interagit (Andrioff et Waddock, 2002).
Stratgie de dveloppement durable et thorie des ressources et comptences
La thorie des ressources et comptences prend racine dans la loi des dbouchs de
Say (1803) et dans la thorie de la rente de Ricardo (1817). Dans le prolongement,
Schumpeter (1950) a suggr une stratgie qui sappuie sur des ressources uniques ou rares,
comme tant lorigine de la performance des entreprises. Cela a apport un clairage
nouveau un dbat conomique ancien qui opposait limpact sectoriel (Bain, 1951 ; Scherer,
1973) celui des ressources et comptences sur la performance. Ce dbat thorique a anim la
question de limportance relative des capacits internes des entreprises (Galbraith et
Kazanjian, 1986 ; Peters et Waterman, 1982 ; Prahalad et Hamel, 1990) par rapport aux
facteurs environnementaux (Hannan et Freeman, 1977 ; Pfeffer et Salancik, 1978 ; Porter,
1980, 1990) dans la construction dun avantage concurrentiel solide.
La thorie des ressources et comptences met laccent sur lidentification des
ressources stratgiques ainsi que sur leur bonne utilisation pour construire un avantage
concurrentiel solide (Barney, 1986 ; Amit et Schoemaker, 1993). Dans la ligne de Penrose
(1959), Chandler (1962) et Caves (1980), Wernerfelt (1984: 72) apporte une contribution
importante en dfinissant le concept de ressources comme les actifs tangibles et intangibles
qui sont attachs de manire semi permanente une entreprise . Par la suite, dautres
auteurs se sont intresss aux caractristiques devant tre possdes par les ressources pour
pouvoir tre considres comme stratgiques (Dierickx et Cool, 1989 ; Barney, 1991).
Les spcialistes se sont intresss aux comptences centrales (Prahalad et Hamel,
1990), et la capacit de lentreprise dvelopper des capacits dynamiques en rponse des
changements organisationnels (Teece et Pisano, 1994). La thorie des ressources suggre que
la stratgie dentreprise ne dbouchera sur un avantage concurrentiel solide que si elle est
11
soutenue par les comptences de lentreprise (Barney, 1991 ; Meschi, 1997 ; Rugman et
Verbeke, 2003).
Historiquement, la thorie du management a utilis les dimensions politique,
conomique, sociale et technologique de lenvironnement en omettant sa dimension naturelle
(Shrivastava et Hart, 1992 ; Shrivastava, 1994). Les travaux de Hunt et Auster (1990), Roome
(1992), Schot et Fischer (1993), ainsi que ceux dAzone et Bertel (1994) y remdient, en
proposant des typologies qui classent les entreprises en fonction de leurs stratgies
environnementales. Ces typologies reprsentent une oprationnalisation des questions
environnementales dveloppes prcdemment par Carroll (1979) ainsi que par Wartick et
Cochran (1985). Dans son article de 1995, Hart dveloppe une typologie des ressources
naturelles de lentreprise, o lavantage concurrentiel rside dans la nature de ses relations
avec lenvironnement naturel. Dans le prolongement de Hart (1995), Fowler et Hope (2007)
sinterrogent sur le processus de dveloppement des comptences environnementales pour
savoir si les ressources ncessaires lintgration de ces stratgies dans les entreprises doivent
tre acquises de faon squentielle ou en parallle.
Ces recherches mettent laccent sur la perspective managriale de la thorie des
ressources, o le facteur environnemental et la ncessit de sy adapter en tirant parti des
opportunits gnres par ce contexte, jouent un rle dterminant. Paralllement cette
approche, un mouvement intgratif, considrant la protection de lenvironnement comme une
responsabilit collective sest dvelopp (Purser et al., 1995) Malgr lintrt certain de
lapproche intgrative, lapproche managriale semble tre davantage adapte une
oprationnalisation du concept de dveloppement durable au sein des organisations.
Pour compenser les limites de la thorie des ressources, certains auteurs ont prfr le
rle complmentaire des approches internes et externes des ressources (Wernerfelt, 1984 ;
Hansen et Wernerfelt, 1989 ; Barney, 1991 ; Meadows et al., 1992 ; Brown et al., 1994).
Lentreprise sengage tre responsable afin de rpondre aux pressions des parties prenantes,
qui possdent certaines des ressources dont elle a besoin pour construire un avantage
concurrentiel solide.
Stratgie de dveloppement durable et approche des parties prenantes
Le dveloppement durable, en faisant appel des questions sociales, se prte
particulirement bien lutilisation de lapproche des parties prenantes car elle possde elle-
mme des valeurs intrinsques de responsabilit. Cette approche est considre comme une
12
rfrence en matire de responsabilit socitale des entreprises bien que sa complexit et son
caractre multidimensionnel offrent matire dbattre.
Au sein mme de cette approche, un des dbats majeurs rside dans la connaissance
des raisons pour lesquelles les organisations cherchent satisfaire les intrts de leurs parties
prenantes: est-ce pour des raisons conomiques ou altruistes ? Deux approches coexistent:
lune, normative, o les parties prenantes ont des intrts lgitimes que lentreprise doit, par
obligation morale, prendre en compte, et lautre, instrumentale, o lon sintresse la mesure
de lefficacit du management des parties prenantes sur la performance organisationnelle de
lentreprise (Donaldson et Preston, 1995 ; Berman et al., 1999). Lapproche instrumentale
stipule quun management pertinent des parties prenantes peut permettre lentreprise de
rsoudre le dilemme entre une comptitivit et des actions perues comme offensives par les
parties prenantes (Freeman, 1984 ; Freeman et Gilbert, 1987 ; Harrison et St John, 1996) en
intgrant les proccupations socitales (Donaldson et Preston, 1995 ; Jones, 1995 ; Wood et
Jones, 1995).
Les activits de lentreprise produisent des externalits sur lenvironnement naturel qui
engendrent des ractions dhostilit de la part des acteurs avec qui elle est en relation. Les
pressions environnementales qui sexercent sur lentreprise, sexpriment donc par
lintermdiaire de groupes dacteurs, issus de lenvironnement oprationnel, qui influencent
directement ou indirectement, par leurs actions, les objectifs et oprations quotidiennes de
lentreprise (Dill, 1958). De nombreux travaux sattachent donc identifier les groupes
dacteurs qui exercent des pressions en fonction de la lgitimit de leurs attentes (Clarkson,
1995 ; Frooman, 1999 ; Mintzberg, 1986 ; Persais, 1998 ; Rowley, 1997). Henriques et
Sadorsky (1999) proposent de regrouper les acteurs sur la base de leur fonction et de leur
pouvoir vis--vis de lentreprise, savoir: les parties prenantes de rgulation (Barrett, 1992 ;
Kelley, 1991 ; Kirby, 1988 ; Allen, 1984 ; Porter et Van Der Linden 1985 ; Schrader, 1991),
les parties prenantes organisationnelles (Greeno et Robinson, 1992), les parties prenantes
issues de la communaut (Clairet al., 1995 ; Turcotte, 1995) et les mdias (Mittroff et al.,
1989 ; Sharbrough et Moody, 1995 ; Shrivastava et Siomkos, 1989).
Les parties prenantes sont aussi perues comme tant en possession de ressources
stratgiques pour la survie de lentreprise. Toutes ne sont donc pas aussi importantes les unes
que les autres pour dvelopper des stratgies environnementales, et cette importance est
susceptible dvoluer dans le temps (Henriques et Sadorsky, 1996 ; Mitchell et al. 1997 ;
Buysse et Verbeke, 2003). Leur identification varie donc en fonction du niveau dintgration
du dveloppement durable dans la stratgie dentreprise. A limage de Simon (1993), il sagit
13
de savoir comment mettre en uvre des actions collectives permettant de satisfaire les
objectifs individuels et collectifs. Lentreprise fait partie intgrante de son environnement et la
coopration constitue lessence mme de lorganisation dont le but devient partag par tous.
Les recherches issues des thories no-institutionnelles (Powell et Di Maggio 1983 ;
Meyer et Rowan, 1983 ; Suchman, 1995) expliquent le processus de diffusion de certaines
pratiques managriales comme des tentatives de gestion de la lgitimit organisationnelle. De
ce fait, lentreprise, en sadaptant aux exigences de dveloppement durable vhicules par les
parties prenantes, est en mesure de faire reconnatre la lgitimit de ses actions, par
lensemble de la socit (Boiral et Jolly, 1992). Une impression de transparence avec les
parties prenantes gnre un accroissement de limage de marque, de la rputation et de la
lgitimit de lentreprise. Pourtant, cela nimplique pas ncessairement que cette gestion soit
effective et mise en uvre par des pratiques concrtes. Dans la mesure o il existe toujours un
cart entre le discours des entreprises et leurs pratiques relles, la gestion intentionnelle de la
communication externe et de limage de marque reprsente un enjeu critique pour les
entreprises (Aggeri et Acquier, 2005).
Pour des raisons de lgitimit et non defficacit, les organisations qui appartiennent
un mme champ organisationnel, sont conduites se conformer certaines rgles, structures
et pratiques communes, requises par lenvironnement institutionnel. Meyer et Rowan (1983)
qualifient ce processus de conformation symbolique, dont le but est dattester de ladoption
dun ensemble de croyances et valeurs par lentreprise. En recherchant la lgitimit, les
organisations reconnaissent les intrts des parties prenantes, et dveloppent des stratgies en
faveur du dveloppement durable (Martinet et Reynaud, 2001).
Performance socitale et performance conomique
Auparavant, la variable environnementale tait considre comme une contrainte par
la majeure partie des entreprises industrielles (Hart, 1995 ; Porter et Van de Linde, 1995 ;
Oliver, 1997 ; Persais, 2002 ; Russo et Fouts, 1997). Lmergence du concept de
dveloppement durable et sa mise en uvre favorisent lide dune convergence entre les
dimensions conomique, sociale et environnementale (Gladwin et al., 1995). Alors que
lentreprise tait en position de grer des contraintes environnementales, elle est aujourdhui
en mesure de le considrer comme de relles opportunits de dveloppement stratgique.
Pourtant, la question de limpact de la performance socitale sur la performance
conomique fait lobjet de dbats au sein de la communaut scientifique (Griffin et Mahon,
1997). Klassen et McLaughlin (1996) considrent lentreprise comme une bote boire et
14
mettent en vidence une relation entre performance environnementale et performance
conomique. Il en est de mme pour Waddock et Graves (1997), Russo et Fouts (1997) qui
considrent que les performances conomique et environnementale sont lies. Au contraire,
Wiliams et Siegel (2000) concluent une absence de relation entre performance conomique
et russite socitale. Quant Gond (2000), il prfre ne pas se prononcer en raison de
lambigut du concept de performance socitale.
Selon lapproche no-classique, le premier objectif du management est de maximiser
les rentes des actionnaires (Friedman, 1962, 1970). Le management doit restreindre ses
initiatives environnementales des projets qui confrent la conformit lentreprise tout en
gnrant de la valeur aux actionnaires (Walley et Whitehead, 1994 ; Hillman et Keim, 2001).
Rcemment, les spcialistes ont avanc lide selon laquelle il est possible de parvenir
un scnario dans lequel lentreprise peut maximiser sa valeur tout en progressant dans
lintgration de pratiques de dveloppement durable (Florida, 1996 ; Judge et Douglas, 1998 ;
Klassen et McLaughin, 1996 ; Porter et Van der Linde, 1995). Ce courant est illustr par
plusieurs tudes o il apparat quune stratgie environnementale proactive peut amener
dvelopper de nombreuses comptences organisationnelles qui augmentent la comptitivit de
lentreprise (Aragon-Correa et Sharman 2003 ; Berry et Rondinelli, 1998 ; Sharma et
Vredenburg, 1998). Inversement, une faible performance socitale peut affecter les relations
avec les parties prenantes de lentreprise et donc avec elle-mme. Les actionnaires souffriront
de pertes pcuniaires sur leur investissement si lentreprise est responsable de dommages
causs lenvironnement naturel ou si ses faibles scores font la une des actualits (Hamilton,
1995). Une entreprise avec une faible performance environnementale peut donc apparatre
comme risque aux yeux des actionnaires et des investisseurs. Ils rclameront une prime de
risque leve ou refuseront doctroyer de nouveaux prts. Par ailleurs, lentreprise avec une
faible performance socitale risque davoir des difficults pour conserver son personnel
qualifi qui peut tre attir par des entreprises plus performantes.
Par consquent, sil nest pas clairement tabli que la performance socitale
saccompagne de la performance conomique, les entreprises ont pourtant besoin dintgrer
les questions de dveloppement durable dans leur stratgie afin de rester comptitives sur
leurs marchs (Christman, 2000 ; McGee, 1998).
15
Objectifs de la recherche
Le concept de dveloppement durable tant global et thorique, un des objectifs de
notre recherche est de comprendre et dexplorer la place du dveloppement durable dans la
stratgie dentreprise.
Le deuxime objectif de recherche rside dans lidentification des parties prenantes
qui jouent un rle cl dans le niveau de proactivit de la stratgie de dveloppement durable
engage par lentreprise.
Enfin, le troisime objectif de recherche est didentifier la nature des ressources et
comptences dtenues par lentreprise qui dterminent le niveau dintgration du
dveloppement durable au sein de sa stratgie.
Mthodologie de la recherche et prsentation du terrain dtude
Pour rpondre notre question de recherche, nous nous inscrivons dans une logique
hypothtico-dductive. Cela signifie que le point de dpart pour rpondre notre question de
recherche se situe au niveau de la thorie. La revue de la littrature nous permet dtablir un
modle de recherche que lon confronte par la suite au terrain dtude.
Le design de la recherche sarticule autour dune mthodologie en deux phases. La
premire est une phase dexploration, afin de comprendre comment le dveloppement durable
sintgre dans la stratgie dentreprise. Cette phase permet didentifier les points critiques de
la recherche, de comprendre lensemble du problme. Cette phase exploratoire sappuie sur
un chantillon de petite taille afin de recueillir des donnes qualitatives. Notre choix, quant au
terrain dtude, sest port sur lanalyse dune dmarche initie par lentreprise de distribution
Carrefour, qui a engag en 2001, une rflexion avec ses principaux partenaires, industriels et
prestataires de services logistiques, autour de la problmatique environnementale de la
logistique en France. En 2003, ces partenaires dcident de fonder ensemble lAssociation du
Club Demeter Environnement et Logistique, un groupe dacteurs privs et publics de la
chane logistique globale, dont lobjectif est de promouvoir et de mettre en uvre des actions
concrtes, mesurables et respectueuses des trois sphres conomique, sociale et
environnementale du dveloppement durable. Lensemble de ces acteurs reprsente 40% de la
grande distribution en France, soit prs de 400 000 salaris et 75 milliards deuros de chiffre
daffaires.
Les partenaires ont dfini cinq domaines cls sur lesquels ils souhaitent concentrer
leurs efforts: la saturation des moyens logistiques, loptimisation de la chane logistique, les
emballages, la logistique urbaine, les indicateurs de rfrence en logistique et environnement.
16
A travers ltude de cas longitudinale ralise entre 2003 et 2007, nous avons particulirement
suivi lvolution du groupe de travail sur les emballages. Nous avons mobilis le recueil de
donnes secondaires (tude documentaire des rapports de dveloppement durable) et de
donnes primaires (lobservation dun groupe restreint, et les entretiens semi-directifs) afin
dapprhender un des principaux axes de collaboration entre ces diffrentes parties prenantes,
savoir la politique des emballages. Il sagit donc dune tude en profondeur, ralise sur un
point prcis afin de connatre quelles sont les ressources et comptences en jeu dans la
pratique de gestion des emballages dans un contexte de dveloppement durable. En fonction
de la proactivit de ces pratiques, les parties prenantes qui collaborent avec lentreprise
varient.
Sur la base de lanalyse de la littrature et de la premire phase empirique de la
recherche, un questionnaire denqute est construit. Celui-ci est, au pralable, pr-test auprs
de Responsables Environnement de trois entreprises industrielles oprant dans le secteur des
produits de grande consommation, et de trois enseignants chercheurs franais, experts en
stratgie et dveloppement durable. A la suite de cette phase de pr-test qui a permis de
modifier, supprimer, ou reformuler certaines questions, le questionnaire a t administr la
cible. La cible de recherche est constitue des entreprises industrielles du secteur des produits
de grande consommation. Le choix de cette cible tient au fait que les produits de grande
consommation sont particulirement reprsentatifs de la problmatique de consommation de
produits plus respectueux de lenvironnement. De plus, ce secteur reprsente lui seul, le
premier consommateur demballages. Pour ces raisons, le questionnaire est ainsi administr
aux personnes en charge des questions relatives au dveloppement durable, au sein
dentreprises industrielles oprant dans le secteur des produits de grande consommation.
Lchantillon final de 188 individus est ici de plus grande taille que dans ltude qualitative,
puisquil sagit de recueillir des donnes quantitatives. La premire phase de ltude
quantitative consiste mesurer la validit et la fiabilit des construits. Pour cela, des analyses
en composantes principales, suivies danalyses factorielles confirmatoires sont
successivement engages. A lissue de ces procdures, les hypothses sont retravailles, de
faon prendre en compte ces premiers rsultats relatifs lvaluation de la qualit de mesure
des construits. Une fois la validit et la fiabilit des outils de mesures raliss, les hypothses
sont dans un premier temps, testes une une au moyen danalyses de rgressions linaires,
puis dans un second temps, lensemble des hypothses du modle de recherche sont testes
simultanment au moyen de mthodes dquations structurelles. A lissue du test des
hypothses, les rsultats sont discuts, puis une synthse gnrale vient clore cette recherche.
17
Partie 1 - Intgration du dveloppement durable dans la stratgie
dentreprise: Modle conceptuel
La premire partie de la thse a pour objectif de construire le modle conceptuel de la
recherche. Pour ce faire, cette partie se dcompose en plusieurs chapitres. Le premier,
introductif, dfinit le concept de dveloppement durable et met en perspective ses enjeux et
ses principes pour lentreprise. Le deuxime chapitre construit une typologie du niveau
dintgration du dveloppement durable dans la stratgie. Le chapitre 3 inscrit le domaine de
lemballage dans une double perspective de stratgie et de dveloppement durable. Le
chapitre 4 identifie les parties prenantes pertinentes en fonction du niveau dintgration du
dveloppement durable au sein de la stratgie dentreprise. Le chapitre 5 met en vidence les
ressources et comptences en jeu en fonction du niveau dintgration du dveloppement
durable dans la stratgie dentreprise. Lensemble de ces cinq chapitres permet de construire
le modle de recherche.
Chapitre 1: Dveloppent durable: implications et challenges pour
lentreprise
Ce premier chapitre sur le dveloppement durable est de nature introductive. Dans un
premier temps, le concept de dveloppement durable est dfini. Puis, sont prsents les
fondements sur lesquels il est construit. Ensuite, les implications pour lentreprise des
principes dthique, de morale et de responsabilit sociale qui lui sont associs sont analyses.
Enfin, les diffrentes postures pouvant tre prises par lentreprise face ses principes sont
dcrites.
1.1 Dfinition du concept de dveloppement durable
Le dveloppement durable est parfois qualifi de concept camlon, qui sadapte et
change dapparence en fonction du contexte dans lequel il est dvelopp (Gutsats, 1983). Il a
fait lobjet de multiples dfinitions. La premire, retenue depuis par tous, est celle du rapport
Our Common Future de Gro Harlem Brundtland, alors ministre norvgienne de
lenvironnement: un mode de dveloppement conomique qui satisfait les besoins du
prsent sans compromettre la capacit des gnrations futures rpondre aux leurs
(Commission Mondiale de lONU sur lEnvironnement et le Dveloppement, 1988:51). Elle
marque la naissance du concept de dveloppement durable.
18
Pourtant, cette dfinition est soumise de nombreuses critiques. La principale rside
dans le fait quelle noffre que peu de pistes doprationnalisation du concept (Epstein et Roy,
2001 ; Reynaud, 2004). En effet, elle nexplique pas la manire pour intgrer ce concept aux
actions de lentreprise. Seules des lignes idologiques mergent, et non une traduction
oprationnelle. Ces manquements expliquent pourquoi dautres auteurs ont tent dapporter
une dfinition prenant en compte ces lments. On peut citer Schmidheiny (1992:6): Le
dveloppement durable, qui traduit la volont dune meilleure matrise des rapports entre
lhomme et son milieu, se veut comme une forme de progrs rpondant aux besoins du prsent
sans compromettre laptitude des gnrations futures rpondre aux leurs . Cette dfinition
napporte pas de prcision, bien au contraire, puisquelle fait disparatre la notion de
dveloppement conomique au profit de forme de progrs , encore plus gnral. On est
trs loin dune oprationnalisation du concept pour faciliter sa mise en uvre au sein des
entreprises: on demeure dans des dfinitions macroconomiques. A loppos, on peut citer la
dfinition beaucoup plus prcise de Stphany (2003: 33): le dveloppement durable consiste
pour lentreprise assurer un dveloppement, par une approche globale de la performance,
maintenu dans le temps et rsistant aux alas, respectueux dun systme de valeurs explicit,
impliquant diffrents acteurs internes et externes, dans une logique de progrs continu. .
Bien que cette dfinition apporte de relles prcisions afin doprationnaliser le concept de
dveloppement durable, elle prsente le dfaut dtre uniquement axe sur la performance, et
non sur les dterminants de cette dernire. Quoi quil en soit, ces efforts de traduction
oprationnelle restent vains car cest la dfinition lusive du dveloppement durable
envisage par la commission Brundtland (1987) qui fait lunanimit aujourdhui. Cela
sexplique par le fait que son caractre polysmique et elliptique contribue son appropriation
par tous les acteurs de la socit. Le caractre globalisant, conciliateur et pour le moins
imprcis de cette dmarche dintgration explique pour une large part sa grande popularit
(Boiral et al., 2008: 1). Dans la mesure o les problmes environnementaux des entreprises
sont larges et complexes, une dfinition prcise et adapte toutes les entreprises nest pas
envisageable. Cest pourquoi, la dfinition de Brundtland (1987) rencontre un tel succs
mme si elle manque de prcisions.
1.2 Les fondements du dveloppement durable
1.2.1 Les piliers du dveloppement durable
Afin de satisfaire les besoins de la gnration actuelle sans priver les gnrations
futures de rpondre aux leurs, le dveloppement durable se situe lintersection de trois
19
principes fondamentaux et complmentaires: lefficacit conomique, le respect de
lenvironnement et lquit sociale.
Le principe conomique: la prosprit conomique de lentreprise rside dans la
cration de valeur travers les produits et services quelle dveloppe (Bowen et Ambrosini,
2000). Les firmes accroissent la cration de valeur en tant plus efficaces et plus efficientes
(Conner, 1991 ; Porter, 1985). Le principe environnemental: la protection de lenvironnement
est essentielle. Les entreprises doivent rduire leur empreinte cologique en dveloppant des
pratiques de prvention. Cela conduit une utilisation raisonne des ressources qui ne menace
pas lavenir des gnrations futures (Bansal, 2005). Le principe social stipule que chacun doit
tre trait de faon quitable. Lquit sociale doit tre accorde toutes les parties prenantes
de lentreprise et non plus pour les seuls actionnaires (Bansal, 2005).
Le dveloppement durable imagine donc la possibilit dun dveloppement o la
croissance conomique, la protection de lenvironnement et la prise en compte des exigences
sociales sont compatibles. Ces trois principes sont gnralement accepts par les entreprises
(Rondinelli et Berry, 2000). Elles doivent intgrer ces trois principes au sein de leurs produits,
politiques et pratiques (Bansal, 2005). Cette intgration se caractrise par un processus
dvolutions et dinnovations technologiques, organisationnelles, et comportementales qui
sinscrivent dans le temps.
Par l-mme, il soppose au concept de croissance zro, dvelopp dans les annes
1970, mis en avant au club de Rome et dans son rapport: The limits to growth . Cette
rflexion, qui considre la croissance conomique comme attentatoire aux perspectives
environnementales, est reste sans cho. Il en est de mme de la notion dcodveloppement
propose par Sachs et officiellement adopte dans la dclaration de la confrence mondiale de
lenvironnement de Stockholm en 1972. Cette notion tentait dtablir une connexion entre
environnement et dveloppement. Elle illustre lveil de la prise de conscience des questions
environnementales par toute la socit qui se concrtise par lmergence du concept de
dveloppement durable. Ladoption du dveloppement durable par un nombre croissant
dorganisations rside dans lexistence de moyens de diffusion grande chelle de ses
principes.
20
1.2.2 Mode de diffusion des fondements de dveloppement durable
Le rapport Brundtland a inspir le dveloppement de structures et doutils afin de
faciliter la diffusion des principes de dveloppement durable.
1.2.2.1 Les structures
Concernant les structures, le rapport Brundtland a servi ddifice au premier Sommet
de la Terre Rio de Janeiro en 1992, qui a notamment adopt un plan mondial Action 21
afin de prparer le monde aux orientations stratgiques et ducatives du XXIme sicle. Dans
cette ligne, les confrences internationales de Kyoto en 1997, Davos en 2001, Johannesburg
en 2002, Montral en 2005, Nairobi en 2006 et Paris en 2007, se sont toutes inscrites dans les
principes dfinis de ce rapport. Il a par ailleurs inspir la cration du World Business
Council for Sustainable Development (WBCSD) en 1995, dont le but est de diffuser les
principes du dveloppement durable et de mettre en commun les savoir-faire des entreprises.
Lanne 2000 est marque par la publication dun guide des principes directeurs de lOCDE,
et dans chaque pays membre, la cration dun PCN (point de contact national), dont lobjectif
est daider la concrtisation et au respect de ces principes. Plus spcifiquement sur le plan
franais, est cr en 2001, lInstitut du Dveloppement Durable et des Relations
Internationales (IDDRI), afin de mener une rflexion sur les grands problmes
environnementaux. Cette cration est suivie en 2003 par celle du Conseil National du
Dveloppement Durable (CNDD), constitu de reprsentants dentreprises, de collectivits
territoriales, de syndicats et dassociations. Un grand nombre dentreprises ont adhr au
pacte mondial de lONU qui inclut des recommandations pour assurer le dveloppement
durable. Les efforts portent sur la nature des produits mais aussi sur les processus de
production intgrant la gestion des ressources et llimination des dchets.
1.2.2.2 Les outils
Le second axe de diffusion des principes de dveloppement durable au sein des
entreprises passe par le dveloppement doutils dvaluation spcifiques. Afin de vrifier la
convergence des sphres conomique, environnementale et sociale, les modalits de son
valuation doivent tre clairement dfinies. Il sagit dadopter une dmarche normalise qui
passe par la mise au point de standards volontaires, le dveloppement dune comptabilit
sociale de rfrence (GRI) et le dveloppement dagences de notations spcialises (Frone et
al., 2001). Le concept de triple bilan, plus connu sous Triple bottom line , est un outil cr
par la Commission europenne en 2000, pour valuer la performance des entreprises dans les
21
sphres environnementale, conomique et sociale. Il trouve son application dans lintgration
du dveloppement durable au sein des entreprises (Elkington, 1997). Cette approche value
les entreprises en fonction de leurs performances conomiques, environnementales et sociales.
Face la multiplication dinitiatives individuelles ou sectorielles au sujet de la publication de
rapports socitaux, il est devenu indispensable de dvelopper un standard international
permettant de comparer les entreprises. Cest la mission que sest fixe la Global Reporting
Initiative (GRI) cre en 1997, par le PNUE et lONG CERES (Coalition for Environmentally
Responsible Economies). Cette organisation internationale a pour objectif llaboration du
guide GRI Sustainability Reporting Guidelines prenant en compte les dimensions
conomique, sociale et environnementale. Elle a vocation devenir la norme de rfrence
dans le domaine en sappuyant sur onze principes qui permettent de btir le rapport
(transparence, inclusion, auditabilit), de choisir les informations qui doivent apparatre
(compltude, pertinence, dfinition of du contexte de dveloppement durable) et dassurer
laccessibilit aux personnes intresses (clart et opportunit). On peut aussi citer lEuropean
Fondation of Quality Management (EFQM). Elle propose un modle dexcellence, bas sur
neuf catgories danalyse qui certifie que les leviers de dveloppement durable sont conus et
dvelopps en fonction des attentes des parties prenantes. La normalisation reprsente un
march qui offre des perspectives de dveloppement pour les entreprises concernes. Les
entreprises daudit comptable et financier se dveloppent sur les marchs de la certification
comptable. Quels que soient les modes de diffusion des fondements du dveloppement
durable, ils prennent en considration ses perspectives dthique, de morale et de
responsabilit.
1.3 Perspectives thique, morale et de responsabilit sociale dans une approche de
dveloppement durable
La prise en compte du long terme, la conciliation des intrts des gnrations actuelles
et futures, les dimensions conomique, environnementale et sociale sont toujours les points
forts lorsque lon voque le dveloppement durable sur le plan macro-conomique, politique,
comme sur le plan plus spcifique de lentreprise. Dans la logique de dveloppement durable,
la finalit conomique de lentreprise nest pas remise en cause. Par contre, la qute de
durabilit suppose que lentreprise reconnaisse ses responsabilits dans les domaines
concerns par ses dcisions (Ferone et al., 2001 ; Lauriol, 2004 ; Mayrhofer et al., 2005).
Cependant, tout comme le dveloppement durable, cette notion souffre dun foisonnement
22
smantique. Il existe une confusion relative la dfinition du bon niveau dengagement de
lentreprise dans la responsabilisation. Une grande diversit de travaux est parue, gnrant
une indtermination sur le concept de responsabilit et une convergence plus ou moins
importante entre lintrt de lentreprise et lintrt gnral. Cependant, au sein de cette
littrature abondante, on retrouve deux principales approches (Gond, 2001 ; Persais, 2004).
La premire, intgrative, fonde sur la morale ( Corporate Social Responsibility ) et
sur lthique ( Business Ethics ), considre que lentreprise doit assumer ses obligations vis-
-vis de la socit. Cette vision normative, construite sur un principe dontologique, estime
que la nature est un sujet dattention et non un objet dutilisation. Le dveloppement durable
constitue un objectif part entire, que lentreprise doit satisfaire. Cette approche morale est
construite sur le principe de responsabilit et inspire de la philosophie de Jonas (1990). Elle
considre que lentreprise a lobligation de se conformer aux principes moraux qui rgissent
la socit.
La seconde, stratgique, base sur la rponse sociale ( Corporate Social
Responsiveness ) et sur une vision instrumentale ( Social Issue Management ), permet
lentreprise de ragir aux demandes sociales issues de son environnement. Dans cette
approche pragmatique, la prservation de la nature constitue une condition de survie pour
lhomme. Axe sur un principe utilitariste, elle apprhende la politique de dveloppement
durable comme un moyen permettant de raliser des objectifs. La rponse de lentreprise,
confronte des demandes des parties prenantes, sera dterminante de son succs sur le long
terme. Ainsi, des dbats thoriques ont lieu entre les dfenseurs lapproche thique/morale et
ceux de lapproche stratgique/utilitariste. Le concept de dveloppement durable autorise ces
diffrentes lectures pour crer une convergence entre ses sphres conomique, sociale et
environnementale.
1.3.1 Lapproche morale de la responsabilit dentreprise
Le concept de dveloppement durable est rcent ( Our common future , 1987), mais
les proccupations auxquelles il fait rfrence sont plus anciennes. En effet, il est issu dun
processus de rflexion qui sest nourri des dbats de socit et des questions que se pose
lhomme vis--vis de son milieu. Dans une perspective historique, le dveloppement durable
plongerait ses racines jusque dans la moiti du XIXme sicle, avec lentreprise paternaliste,
qui assume des tches de rgulation que ltat ne veut pas prendre en charge. Cest ainsi que
le courant moraliste thique Business Ethics puise ses racines dans les prceptes religieux
23
et moralisateurs du paternalisme dentreprise (Ballet et Debry, 2001). Lefficacit de cette
entreprise repose sur une association de lconomique, du social, mais aussi sur laffirmation
dune respectabilit du patron vis--vis de ses salaris (Stephany, 2003). Cette approche
considre que lconomie est une science fonde sur deux points (Sen, 1999): lthique et la
morale.
1.3.1.1 La perspective thique
Le concept de dveloppement durable a donn lieu une multitude de travaux ouvrant
des perspectives dans le domaine de lthique (Purser et al., 1995 ; Gladwin et al., 1995). Il
convient de dfinir ce que recouvre le concept dthique. Lthique sest dveloppe autour de
deux approches: la dontologie et la tlologie. La dontologie, est notamment issue des
travaux de Kant et de Platon, qui dfinissent lthique comme une activit accessible tous,
qui ne lse personne, qui est avantageuse pour quelques individus et qui accorde une libert
de choix et dactions. Cette approche implique la conformit des rgles dont le contenu et la
source peuvent diffrer. Elle se fonde sur une thique du devoir en mesurant la dimension
thique contenue dans un acte. Quant la tlologie, elle sinspire notamment des travaux
dAristote et de Sartre, et implique que chaque acte soit valu en fonction des consquences,
au niveau de lacteur (gosme thique) ou au niveau dautrui (utilitarisme). Le concept
dthique est complexe, puisque les deux lectures sont possibles. Cependant, il est
gnralement admis que lthique traduit un comportement individuel qui doit tre conforme
aux rgles de la philosophie morale (De Ferran, 2003). Pour Sirieix et Tagbata (2003:1123)
lthique dsigne dune part, la disposition individuelle agir selon les vertus, dautre part,
la rflexion sur les comportements qui en dcoulent ou sur la perception et les jugements de
valeur dont ils font lobjet dans une situation prcise . On retrouve ces principes dans la
philosophie de Jonas (1990). Il propose une thique qui simpose tous, vis--vis des progrs
techniques, dont les consquences peuvent tre dvastatrices pour lavenir, si elles ne sont pas
matrises par le principe de responsabilit. Ici, le devoir thique se manifeste par une
contestation croissante des modes de dveloppement actuels (Lauriol, 2004).
1.3.1.2 La perspective morale
Selon la dfinition du dictionnaire Le Robert, la morale est une science du bien et du
mal ; une thorie de laction humaine soumise au devoir et ayant pour but le bien . Dans
cette perspective, lentreprise a une responsabilit morale lgard de la socit et des
24
gnrations futures: la vie des individus entrane des interdpendances et des obligations
rciproques lies aux relations quils entretiennent (Capron et Quairel-Lanoizele, 2004).
Complmentarit thique morale
Bien que lthique et la morale soient deux concepts proches, ils se diffrencient:
lthique relve du bien tandis que la morale relve de lobligation. Contrairement au
questionnement thique, la morale envisage uniquement la loi et la conformit de la dcision
cette dernire pour valuer une action. Lthique prend en considration le contexte de la
situation dans laquelle a lieu laction tandis que la morale se concentre sur la conformit de la
dcision avec la loi (Sirieix et Tagbata, 2003). Ces deux principes se rejoignent vers un ple
unificateur quest la responsabilit sociale, voire socitale. Cette approche intgrative de la
responsabilit socitale considre donc la protection de lenvironnement comme une
responsabilit collective. Il ne faut donc plus raisonner en termes de droits, mais en termes
dobligations vis--vis de lenvironnement naturel (Purser et al., 1995).
1.3.1.3 Apports de lapproche morale: Dfinition et enjeux du concept de responsabilit
sociale
Contrairement au concept dthique, gnralement tudi au niveau de lindividu, la
responsabilit sociale est analyse au niveau de lentreprise. Les premiers travaux sur la RSE
se sont concentrs sur la dfinition du concept pour identifier les responsabilits de
lentreprise (Berles et Means, 1932 ; Bowen, 1953 ; Mcguire, 1963 ; Preston et Post, 1975 ;
Carroll, 1999). Ainsi, dans son article, Bowen (1953) prconise une rvision des stratgies en
intgrant les dimensions sociales afin de rpondre aux diffrentes pressions de la socit.
Steiner (1972) considre la responsabilit sociale de lentreprise comme un contrat social
entre le milieu entrepreneurial et la socit. Ce contrat est constitu de relations, dobligations
et de devoirs en rapport avec limpact de lentreprise sur la socit Bowen (1953). Cette
dfinition, bien quintressante, prsente le dfaut de pouvoir tre remise en question par les
volutions socitales. Cest pourquoi Carroll (1999) lui prfre une dfinition articule autour
de quatre dimensions: conomique (commercialisation de biens et de services dans une
optique capitaliste), lgale (respect des lois qui encadrent le fonctionnement et
lenvironnement de lentreprise), thique (comportements et normes que les entreprises
doivent suivre pour satisfaire la socit), et discrtionnaire (philanthropique, c'est--dire des
actions volontaires des entreprises qui ne sont pas explicitement souhaites par la socit).
25
Ces travaux, orients vers la dfinition du concept de responsabilit sociale ont trouv
cho dans de fortes ractions de lopinion publique au cours des annes 1970 et 1980. Une
srie daccidents technologiques frappent les esprits: Seveso 1976 (accident dune usine de
produits chimiques au nord de lItalie), Three-Miles-Island 1979 (accident dun racteur
nuclaire aux tats-Unis), Bhopal 1984 (accident dans une filiale du groupe Union Carbide en
Inde), Tchernobyl 1986 (accident dans un site nuclaire en Ukraine), Sandoz 1987 (incendie
dans une usine pharmaceutique proximit du Rhin). Ces vnements, trs mdiatiss,
affectent le grand public car il sagit de problmes globaux. Associs aux crises ptrolires de
1973 et 1979, ils remettent en question la lgitimit des industries. Cest dans cette priode o
les sinistres saccumulent que les chercheurs ont donc dfini le concept de responsabilit
dentreprise dans une vision normative.
Dans cette approche, lentreprise intgre sa responsabilit au sein de sa stratgie et de
sa politique afin de dvelopper une convergence entre limpratif de cration de valeur et la
prise en considration de la responsabilit sociale et environnementale de lentreprise. Elle
adjoint donc la finalit conomique un certain nombre de missions complmentaires,
comme la participation au progrs social ou la prservation des milieux naturels, par exemple.
Puisque lentreprise nexiste pas uniquement pour ses actionnaires mais aussi pour ou par une
multitude de parties prenantes (Freeman, 1984), il convient donc dlargir le champ
dvaluation de la performance afin dintgrer des considrations dordre socital (Graves et
Waddock, 1994 ; Caroll, 1996 ; Ogden et Watson, 1999).
Ce courant considre quil nexiste pas de frontire fixe entre lentreprise et la socit.
Les deux lments sont en interrelation et se structurent mutuellement par lintermdiaire de
leurs interactions constantes. De par ses activits, lentreprise met un certain nombre
dexternalits ngatives sur lenvironnement nature. Une externalit ngative constitue une
nuisance la socit qui peut tre conomique (dlocalisation qui engendre des pertes
demplois), cologique (pollution), violations des droits, justice. Elle gnre des ractions
dhostilit de la part des acteurs avec lesquels lentreprise est en relation. Lentreprise
entretient donc avec la socit, des relations qui ne sont pas seulement marchandes. Il en
ressort une forme de contrat social, permettant un contrle social par la socit et la possibilit
de sanctionner une entreprise ne respectant pas les rgles. Cela renvoie un environnement
qui impose par lintermdiaire de parties prenantes, des exigences sociales et culturelles, qui
force les entreprises jouer un rle dtermin et maintenir les apparences vis--vis de
lextrieur.
26
Enfin, lentreprise est amene anticiper la conformit aux contraintes
institutionnelles, par ladoption de valeurs sociales. En faisant reconnatre la lgitimit de ses
actions par lensemble de la socit, elle peut bnficier dun avantage de lgitimit (Boiral et
Jolly, 1992). La lgitimit est limpression partage que les actions de lorganisation sont
dsirables, convenables ou appropries par rapport au systme socialement construit de
normes, de valeurs ou de croyances sociales (Suchman, 1995:572). La lgitimit possde
une connotation symbolique (Oliver, 1991 ; Capron et Quairel-Lanoizele, 2004) puisquau
sein dun environnement institutionnalis, les organisations lgitimes sont soutenues sans
pour autant tre prcisment values quant leurs actions. Par consquent, une entreprise
peut trs bien apparatre en accord avec les critres convenus sans pour autant confirmer ce
bon comportement au niveau de ses actions. Meyer et Rowan (1977) insistent sur ce point
surtout lorsque les rsultats des actions de lentreprise sont difficilement mesurables.
Cette approche de la responsabilit socitale, axe sur la morale, a gnr un important
mouvement autour de lthique des affaires, avec un discours ax sur le bien et lutile, qui a
donn naissance de nombreuses chartes thiques et une instrumentalisation de lthique
des fins conomiques. Malgr lintrt certain de lapproche intgrative, elle prsente comme
principale lacune dtre trop radicale pour une oprationnalisation du concept de
dveloppement durable au sein des organisations.
1.3.2 Lapproche stratgique de la responsabilit dentreprise
Aprs stre attachs dfinir le concept de responsabilit dans une vision normative,
les travaux se sont intresss au dveloppement de la responsabilit sociale, au-del de
considrations morales (Ackerman et Bauer, 1976 ; Wartick et Cochran, 1985). En effet, les
courants Corporate Social Responsiveness et Social Issue Management valuent les
actions partir de leurs consquences, en considrant la responsabilit selon une logique
utilitariste, c'est--dire une source de profit et de rentabilit. Ils mettent disposition des
gestionnaires des outils pour accrotre la performance de lentreprise, intgrant les attentes
exprimes par les parties prenantes. Ils sont en phase avec les thories librales et les
conomistes de lcole de Chicago, qui placent la responsabilit de lentreprise dans un
modle bas sur les relations avec ses actionnaires. En effet, le modle libral classique de la
responsabilit dentreprise est ax sur la satisfaction des propritaires de lentreprise
(Goodpaster, 1991 ; Jensen, 2002). Lobjectif de performance conomique (rsultat) est
subordonn un comportement positif et volontariste dans le domaine socital (moyens). Par
27
consquent, la prise en compte dintrts socitaux conditionne la russite conomique et
financire de lentreprise.
Ici, lintgration dobjectifs socitaux au sein des dcisions dentreprise, ne se fait que
sil est prouv quune bonne performance socitale entrane une bonne performance
financire. Cela explique que le lien entre ces deux dimensions ait fait lobjet de multiples
dbats au sein de la communaut scientifique (Griffin et Mahon, 1997). Le BSR (2002) et le
GRI (2002) citent un nombre important dtudes qui confirment lexistence dune relation
positive entre performance sociale et performance financire. Pourtant, les chercheurs ne sont
pas parvenus un consensus sur ce point: avec cinquante et une tudes ralises entre 1970 et
1997, vingt ont tabli une corrlation ngative, vingt-deux, une corrlation positive et neuf ne
sont pas parvenues une conclusion. Pour certains, seule la gestion des questions sociales
concernant les parties prenantes primaires, est significative dune augmentation de la valeur
pour lactionnaire (Hillman et Keim, 2001). Dautres considrent que seules de fortes
pressions rglementaires peuvent rendre cette corrlation positive (Persais, 2004). En effet, les
mcanismes utiliss pour diffuser les principes de dveloppement durable pnalisent les
comportements irresponsables par la lgislation ou des instruments conomiques. Ainsi,
thoriquement, lapplication du principe pollueur payeur permet dinternaliser les cots
environnementaux gnrs par la pollution. Par consquent, la performance environnementale
influence la performance financire de lentreprise. Or, ce courant de recherche repose sur le
postulat de lefficacit des marchs et considre que ce nest quen cas dinefficacit de sa
part que ltat se doit dintervenir par la mise en place dincitations directes ou indirectes.
Enfin, certains concluent labsence de lien entre performance conomique et russite
socitale (Wiliams et Siegel, 2000). Bien que les incohrences mthodologiques expliquent
labsence de consensus, le concept de performance socitale est remis en question quant sa
dfinition trop ambigu et sa mesure (Clarkson, 1995 ; Gond, 2000). Dans la mesure o il est
impossible de mesurer la relation entre performance socitale et performance financire, toute
justification rationnelle devient obsolte (Capron et Quairel-Lanoizele, 2004). Par
consquent, pour ne pas remettre en question la priorit de lobjectif de rentabilit, les
discours de responsabilit sociale de lentreprise font appel une perspective de profit long
terme: le postulat de relation directe entre performance socitale et financire peut donc tre
maintenu. Ainsi, pour certains auteurs, la performance conomique long terme est associe
la performance socitale (Gladwin et al., 1995 ; Waddock et Graves, 1997 ; Persais, 2002).
Dans cet esprit, est admisse lexistence dun dcalage temporel entre les efforts entrepris en
faveur de lenvironnement par lentreprise et lapprciation des rsultats. Cela complexifie le
28
management car le champ des acteurs est largi et la projection des dcisions est prolonge.
Or, lexigence de profit immdiat incite lentreprise prfrer des solutions qui pourtant
rendront hypothtique, long terme, sa capacit future de dveloppement.
Lapproche stratgique de la responsabilit socitale correspond un point de vue
positiviste o lenvironnement naturel est reprsent comme une des composantes objectives
de lenvironnement organisationnel. Cette vision pragmatique considre lenvironnement
comme une source de menaces, dopportunits ou de pressions qui ne peuvent laisser
indiffrentes les entreprises. Lenvironnement naturel apparat comme une opportunit pour
lentreprise puisquelle ouvre la voie de nouveaux marchs porteurs comme les co-produits
ou les technologies propres (Hunt et Auster, 1990 ; Viardot, 1993 ; Hart, 1995). Le succs de
lentreprise dpend de sa capacit dvelopper des activits conomiques prenant en compte
les dimensions du dveloppement durable. Par consquent, cette perspective stratgique
reconnat limportance du facteur environnemental et la ncessit de sy adapter en tirant parti
des opportunits gnres par ce contexte.
La problmatique de dveloppement durable sinscrit dans le courant normatif car il
sagit de dfendre un certain nombre de principes moraux. Toutefois, lentreprise volue dans
un march comptitif et ne peut renoncer son obligation de rsultats conomiques. Pour
mener bien sa mission, elle a donc recours des instruments conomiques prvus pour
favoriser la diffusion du dveloppement durable (Persais, 2004). Par consquent, les
approches morales et stratgiques ne sopposent pas forcment et peuvent mme se re
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