Uniondedeuxplumes.Unegrandeamitiéetpassioncommunepour la romanceérotique,voilàquidécritbienAngeDeroy.UncoupdecœurentreCallieJ.DeroyetL.S.Ange.
Pournouscontacter:PageFacebookAngeDeroySiteofficielAngeDeroyPageTwitterAngeDeroy
Comment rester insensible aux plumes de Callie J.Deroy et de L.S.Ange, surtout lorsqu’ellesunissentleurtalentderomancière?Chacuneàsafaçonsaitmenerladanse,vousinviteretvousretenirdanssonmonde,jusqu’àvousfaireaimeroudétestersespersonnages…
Plongezuneseule foisdansunede leurspages,croisezuneseule fois leurspas,etvousserezàjamaisconquis(es).
DidierdeVaujany(auteurducycleTryskelliaetdenouvellesFantasy)
RemerciementsUnecomplicité indéfectible,un romanàquatremains…etmêmedes remerciementscommuns ! Eh
oui,nousfaisonstoutensemble !D’autantquepourcepremierprojetàdeux,AngeDeroyaeulachanced’êtrebienentourée.
MerciàLilianRonchaud,éditeurpascommelesautresetami,quinoussoutientquoiqu’ilarrive.MerciàDidier, un choubidoudou génial dont l’aide nous a été indispensable. Et ce n’est pas une
certaineL.S.Angequivousdiralecontraire…Merci à Pascale, Mell, Karen, Joëlle, Nathalie et Patrick pour leurs précieuses corrections et
relectures.Certainespersonnessontdevraistrésors.Merciàtouteslesblogueusesquinoussuivent.Votreenthousiasmeetvotregentillessesontunmoteur
pournous,vousêtesgéniales !Et, bien sûr, merci à nos lectrices. Livre après livre, page après page, vous répondez toujours «
présente».Etça,c’esttoutsimplement…inestimable.
Chapitre1
Stephen*
Je rentrechezmoicomplètementépuisé. Je ferme laporteàclé,onn’est jamaisassezprudent.Cequartierestdeplusenplusdélabré,c’estdevenuunrepairepourdroguésetprostituées.Qu’est-cequejenedonneraispaspourmebarrerdecetroumiteuxquimesertd’appartement.Sionpeutappelerçaunappartement !LeschienssontmieuxlogésàlaSPA !
Jevisdansvingt-cinqmètrescarrés,avec,pourseulefenêtre,unelucarnequidonnesurunepetiteruesombreetdégueulasseoùviennenturinertouslestoxicosducoin.Unminusculesalon/chambre.Danslasalledebains,àpeinepluslargequemesépaules,trônentd’antiqueschiottesébréchéesenpleinmilieu,entre la douche et le lavabo. Remarque, n’y a pas bien la place pour lamettre ailleurs ! pensé-je enbalançantlavestedemoncostumesurleclic-clacquimefaitofficedelit.Jeremontelesmanchesdemachemiseenmedirigeantverslakitchenettepourmepasserlatêtesouslerobinet.Punaise,j’aicruquecette journée n’en finirait pas. Je ne peux plus l’encadrer, cette cliente ! Ellem’a exhibé pendant desheures à ses copines botoxées jusqu’à la racine des cheveux. Elles ont le visage si déformé par lachirurgie esthétique abusive, la peau tendue à l’extrême, qu’on a l’impression qu’elles semarrent enpermanence !C’enestpitoyable…
J’aideplus enplusdemal à supporter cesvieillesbourgeoisespleines auxasqui se croient toutpermisparcequ’ellesmepayentbien.C’esttellementflatteur,àleursâges,desepromeneravecunbeaumecàleursbras,commesilasociéténesedoutaitpasunseulinstantquejesuisrémunérépourça !Voilàoùçamèned’enchaînerleserreurs.UnGigolo,c’esttoutcequejesuis.Non,jen’aipashonte,j’assume.Cependant,certainsjours, jemedemandeoùtoutcecimeconduira.Jenecroisplusenl’amourdepuisbienlongtemps,jecollectionnelesconquêtesdepuistoujoursoupresque…
Jeplaisauxfemmes,c’est incontestable.Lanaturem’adotédebeauxatoutset jesaism’enservir.Paradoxalement, le fait d’être abaissé au rang d’accessoire, de n’être qu’un jouet, m’a complètementécœurédelagentféminine.Pourmoi,ellesnesontriend’autrequ’unebandedesalopesmalveillantes.Pourtant,dansmajeunesse,j’aiconnul’amour,legrand,lebeau…Levrai.Maisilm’aétéarrachéparlavie. Julie…En repensant à elle,mapoitrine se serre. Je revis régulièrement encauchemarcette tristejournéequim’adémoli.Jerevoissonpetitvisages’éteindresansquejenepuisserienyfaire.Putaindeleucémie !Elleneméritaitpasça !Toutescesvieillessalopesquejebaise,oui,maispaselle !
Jesorslabouteilledewhiskyduplacardetm’ensersunverre.J’enaibienbesoin,cesoir.Jel’avaleculsecetme laisse tomber touthabillésurmoncanapé-lit. Jesuis trop laspourenlevermesfringues.Mon regard fait le tourde lapiècepourobserver lesmursgris à lapeintureeffritée, leplafond jauniconstellédetâches,lesantiquesrideauxàfleurs,sûrementlà,depuisunsiècle.Jelouecetappartpourunebouchéedepain,maisjen’aipastouchéladéco.Jen’aipaslecœuràm’installerdansuntrouàrats.Detoutefaçon,jenecomptepasm’éterniserici.J’auraibientôtassezd’argentpourmetireretréalisermonrêve:ouvrirunmodestecaféenborddemer.Çapeutparaîtredérisoire,voireridiculecommerêve,maispourmoic’estimportant.Lesplusbeauxmomentsdemavie,jelesaipassésàLaMarine,unpetittroquetquiabercémonenfance.Jemerevoisauxcôtésdemesparents,servantlestouristesdumondeentier.Lesoir,jerejoignaisJuliesurlaplage,nousrestionsdelonguesheures,àparler,àrire.
Ellememanquetellement…Nousnousétionsjurédevieillirensemble,maiscettechiennedevieen
adécidéautrement !Jemepasseunemainsurlevisagepoureffacerleslarmesquidévalentmesjoues.Jepleure comme une gonzesse. Fait chier ! Je chopemon paquet de clopes dans la poche avant demonpantalon.J’enallumeuneetcontemplelesvolutesdefumées’enroulerautourdel’uniqueampoule.Jemejureintérieurement,quedansuneannée,douzeputainsdemois,jeserailoindecettemerde !
Jesursauteensentantvibrermontéléphonedansmapoche.C’estunappeldeGreg.Qu’est-cequ’ilmeveutencore,cetemmerdeur ?Jemetsunsiècleàmedépatouillerdesesembrouillesàchaque foisqu’ilpointeleboutdesonnez.Jelâcheunsoupiretdécroche:
–Salut,dis-jed’unevoixlasse.–Steph,çafaitunbail !braille-t-ildansl’appareil,àlalimitedemepercerlestympans.–Nem’appellepascommeça,jetel’aidéjàdit !Monprénom,c’estStephen !–Ouais,excuse,mec !Çava ?OntevoitplusauStar-pub.–J’aiplusletemps !Jesuisdébordéencemoment,rétorqué-je,enmeretenantdeluilancerqueje
n’enairienàfoutredeluietdesonbaràputes.– Ah… Débordé comment ? Repose-toi quand même, elles vont finir par te l’user, mon pote !
plaisante-t-il.–T’essérieusemententraindemeparlerdemaqueue,là ?aboyé-je,àboutdepatience.Pourquoitu
m’appelles ? J’ai pas de temps à perdre et je sais que tu ne me contactes jamais sans raison, alorsbalance !
–OK,OK.Je…J’aibesoind’uncoupdemain.–Lecontrairem’auraitétonné !ironisé-je,enm’allumantuneautrecigarette.–Tutesouviensquetumedoisunservice ?–Putain,Greg !Arrêtedemefaireperdremontempsetcrachelemorceau !–Euh…Trèsbien,voilà…Ilyaunenana,elles’appelleVanessaetc’estunedemesplusgrosses
clientes.Ellechercheungigolo…–Etalors,tuneluisuffispas ?memoqué-je,enrecrachantunnuagedefumée.–C’estpaspourVanessa,mec.C’estpouruneamieàelle…–Etpourquoitunet’enchargespas ?Jenecomprendspasbien,là.–Ben…Vanessametraited’idiotetditqueçanemarcherajamaisavecmoi !–Tum’étonnes !Toi,unidiot ?–C’estbienpayé !Ellechercheunhommegrand,musclé,brun,lesyeuxclairs.C’esttouttoi,ça !–Commejetel’aidit,jen’aipasletemps,monplanningestchargé !–Tumedoisunservice !Tunepeuxpasmeplanter !s’affole-t-il.–Tufaischier,Greg !–Çaveutdirequetuacceptes ?–Ouais,maisc’estladernièrefois,jenetedevraiplusrien.–Merci,monpote.–Bon,donnelesdétails.C’estqui ?Jelarencontreoù etàquelleheure ?–Elles’appelleÉmy.Tuasrendez-vousavecelledemainàmidi,auSteampunkcafé.–Demain ?Tutefousdemagueule ?J’aiunrencardavecunecliente !m’écrié-je,àboutdenerfs.Décidément,jenepeuxvraimentplusmel’encadrer,cemec !–Désolé,monpote,cen’estpasmoiquichoisis,c’estVanessa,bafouille-t-il,l’airennuyé.–J’espèrepourtoiquecen’estpasuncoupfoireux,sinonjetejurequedemainjefaisundétourpar
leStar-pubpourterefairelafaçade !–T’inquiète,c’estdusérieux !–Bon,admettons.Jelareconnaiscommentlagonzesse ?Etelle,commentellesauraquec’estmoi ?–Toutcequej’aicommerenseignements,c’estqu’elleestblondeetqu’ellet’attendraassisesurun
tabouret,aubar…
–DoncÉmy,blonde,assisesuruntabouret ?C’estçatesinfos ?T’essérieux,là ?–Ben,ouais…Jesaisriendeplus…–T’esvraimentencoreplusconquejelepensais !lancé-je,désespéré.Autrechose,tuluiasditque
messervicessepayentrubissurl’ongle ?–Euh…Non.Ilseraclelagorgeetcoasse:Ilfautquetusachesautrechose…–Jet’écoute !Aupointoùj’ensuis…–Ellen’estpasaucourant…–Commentça ?Qu’est-cequetumechantes ?–Ben,enfait,c’estVanessaquitepayepourséduireÉmy…–QUOI ?hurlé-je.Jedoisemballerunefemmequiignorequejesuisgigolo ?Tumeprendsvraiment
pourledernierdesconnardsouquoi ?Etpourquoidois-jefaireça ?–Jenesaispas…Tudoistoutfairepourl’éblouiretcoucheravec…Sansluiavouerquitues.Neme
dispasquetuaspeurdereleverledéfi ?meprovoquecetimbécile.–Jeveuxl’argentavantdecommencer,pourêtresûrdenepasmefaireavoir !–OKmonpote,jetel’apporte,cesoir.–Non,jen’aipasenviedevoirtasalegueulechezmoi !Glissel’enveloppesousmaporte.–Super,jefaisça.Merci,tunesaispascommetumerendsservice,là !pleurniche-t-ilàl’autrebout
dufil.–Ouais,c’estça !L’enveloppe,sousmaporte,cesoir !Je lui raccroche au nez. J’ignore dans quoi je m’embarque, mais je ne la sens pas du tout, cette
histoire. Je vais régler cette affaire vite fait bien fait. J’emballe la blonde, je lamets dansmon lit etbasta !merassuré-je,enmeredressantpourmedéshabiller.Ilm’atellementénervéquej’aimêmeplussommeil.J’allumemonordietjetteunœilauxpetitesannonces,commeàmonhabitude.Touslesjours,jeregardelesfondsdecommerceenventesurleborddemer,àlarecherchedeceluidemesrêves.Uneheureplustard,j’entendsdubruitderrièremaporte,jemelèvepourallervoirettrouvel’enveloppesurlamoquettecrasseuse.Jelaramasseetl’ouvre.J’écarquillelesyeuxendécouvrantlaliassedebillets.Ildoityavoirpasloindedixmilleeuros.J’ignorequiestcetteVanessa,maisellesemblebiendécidéeàfoutresacopinedansmonlit !Jeplanquel’enveloppeavecmeséconomiesetmecouchelatêtepleinedequestions.Pourquoimedemanderdeséduirecettefemme ?Est-ellejeune ?Belle ?Avec lachancequej’ai,c’estsûrementunevieillepeaudécoloréeenblonde !Unefilletropmochepoursetrouverunmec,etquifaittellementpitié,quesacopineluipayeunJules !Jefinisparm’endormirsurcesquestions,plustortueuseslesunesquelesautres.
Cematin, je suisd’unehumeurde chien ! Je viens demeprendre la tête pendant vingtminutes autéléphoneaveclaclientequej’aidûannuler.Ducoup,j’aiacceptédelavoircesoir,maisjedétestecettebonnefemme !Elleavraimentdelachancedemelaisserdegrospourboires,parcequ’ellereprésentetout ce quime répugne chez le sexe opposé. Je vais devoir prendre la petite pilule bleue pourme lafarcir !Cen’estpasquejenebandeplus,maisquandtuvoiscesvieillesrombièressansleursgaines,ehbien,c’estuneautrehistoire !Fautyalleràlamine…
J’avale rapidement un café noir sans sucre et file sous la douche.Unmoment plus tard, devant lemiroir,j’hésiteàmeraseretdécidedegardermabarbedetroisjours.Jesaisqueçaplaîtauxfemmes.Jemeparfumeetretournedansmonsalonpourchoisirmoncostume.J’optepourlegrisavecunechemiseblanche.Jeprendsmacravate,puis la reposeavantde laisser lesdeuxboutonsducolouverts,ça faitplusdécontracté. Jevaisdans la salledebainspourme regarder etmemettreunpeudegeldans lescheveuxquejegardetoujourstrèscourts.Contentdurésultat,jeramassemonportefeuilleetmesclésdevoiturepourfileràcerendez-vousquinem’inspireriendebon.
Jeprendsplacedansma207noireetparsendirectiondel’autoroute.Jesitueàpeuprèscebar,j’enaientenduparleràplusieursreprises.Vingt-cinqminutesplustard,jemegaredansunerueadjacenteet
descendsdemonvéhiculedansunétatd’excitationinhabituel.Unefoislacolèredisparue,jereconnaisqueçam’amusededevoirséduirecettefemme.Jeprendsçacommeunjeuetmedisquedansquelquesheures, je la baiserai dans un petit hôtel du coin. Certes, on pourrait penser que je suis le pire dessalauds, pourtant, je n’étais pas comme ça avant. Mais mon chemin a croisé trop de femmesmalveillantes,etducoup,jenecroisplusdutoutenlanaturehumaine,etencoremoinsenl’amour…
Jem’immobilisequelquesminutesdevantl’entréeduSteampunkpourprendreunegrandeinspirationetjemejettedanslafosseauxlions.Jefranchislesportesd’unpasassuréetobserveladécod’unautremonde.Lesmurssontcouvertsdebibliothèquesenboisvernisoùsontentassésdevieuxbouquinsetdesbibelotssansutilitéapparente.Desfauteuilsetdesbanquettesrecouvertsd’uncuirmarronusésparlesannéessontdisposésunpeupartout.Desaffichesretraçantlesgrandesinventionsdudix-neuvièmesiècletapissentlesmursetungigantesquebarencuivretraverselasalle.Jemepasseunemainnerveusedanslescheveuxetparsàlarecherchedemavictime.Envoyantunepetiteblonderondouillardeassisesurletabouretleplusprochedemoi,jelâcheunjuron.MonDieu,faitesquecenesoitpaselle !Jen’airiencontrelesrondeurs,maisquandçadébordedetouslescôtés,cen’estjustepaspossible !Sonvisageestbouffietsesyeuxcernéssontglobuleux…Jefaisunpasenarrière,mepromettantintérieurementdetuerGregensortantd’ici.
Jejetteunœilàmamontre,j’aidéjàvingtminutesderetard.Qu’est-cequejefais ?Sijemebarre,jeperdsl’argent…Jemedéplacesurlagaucheetfaisletourdubarduregard.Elles’estpeut-êtreassiseailleurs,maisrien,pasd’autresblondes.Jesuisdanslamerde.Justequandjedécidedepartir,j’aperçoisunefinesilhouetteauboutducomptoir.Jenel’avaispasremarquéeaumilieudecebordelquirecouvrelebar.Jel’étudieetlâcheunsoupirdesoulagement:elleestblonde.Seslongscheveuxsontrelevéssuruncôté,révélantunvisaged’unegrandefinesse.Ellesembleattendrequelqu’un,elleregardesamontretouteslescinqsecondes.J’avancetelunfauvesursaproie,ladétaillantdelatêteauxpieds.Elleporteune jupe noire avec un chemisier en soie couleur ivoire qui dévoile la naissance de sa poitrine. Unfrissonmeparcourtlacolonnevertébrale.
Jecroiselesdoigtspourquecesoitelle…Maproie.Jem’installeàsescôtésetremarquequ’ellemejaugedesonregardbleutopaze,plusfroidqu’unicebergaumilieudel’océan.Encetinstant,jeperdsunpeu demon assurance, j’ai l’impression d’être un p’tit pingouin égaré sur la banquise. Elle est justemagnifique, jen’aipasd’autresmotspour ladécrire.Vuleregarddetueuseàgagesqu’ellemelance,j’endéduisquelatâchenevapasêtreaussifacilequejelepensais.Sic’estELLEbiensûr…
Chapitre2
Émy*
Jolicafé.L’ambiancerappellel’universSteampunkdeJulesVerne,avecunbarparédemétalcuivréouvragéetunesalledécoréedansunedéclinaisondetonsmarronetcrèmetrèsagréables.Çaauncôtésurannéetdécaléquej’adore.
Pourtant,jelesensvenir,lecoupfoireux.Groscommeunemaison.J’ignored’oùexactementmevientcepressentiment,maisjesuispersuadéequejenevaispastarderà
lesavoir.Déjà,elleestenretard.EtVanessan’estjamaisenretard.Elleabeaucoupdedéfauts,maiselleestplusponctuellequ’unehorlogesuisse.Or,celafaitdixminutesqu’elledevraitêtrelàetpasl’ombred’unebrunettehautecommetroispommesàl’horizon.Dixminutes,cen’estpasgrand-chose,maisc’estdéjàbien assezpourmemettre la puce à l’oreille. Je connaismameilleure amiemieuxque je nemeconnaismoi-même.Jemettraismamainàcouperqu’ellemeprépareunnouveauplanfumeux,dugenredeceuxqu’ellen’adecessedecomploterdepuisquatremois,depuisque jemesuis fiancée…Carcetteimbéciles’estmisentêtequejesuissurlepointdecommettrelaplusgrosseerreurdemavieetquejeregretterai amèrement d’avoir épousé Nicolas Dambres-Villiers. Du coup, elle essaye de me faire «ouvrirlesyeux»,detouteslesfaçonsqu’estcapabled’imaginersonpetitesprittorduetmaléfique.Etjevous prie de croire qu’elle a de la ressource…Malheureusement pour elle, je suis à cent pour centcertainedemonchoixetaucunedesestentativesdesabordagen’ychangeraquoiquecesoit.
Oui, Nicolas (ne l’appelez surtout pas Nick, ça l’insupporte) est un homme froid, autoritaire etmégalo,quin’aimerajamaispersonneautantqu’ils’aimelui-même.Oui,ilmeconsidèrecommeunjolitrophée qu’il sera fier de balader dans les soiréesmondaines.Et non, il n’est ni gentil nimême justeagréablelaplupartdutemps.Maisileststableetsérieux,etd’accordpourprendresoindemamamanetdemoi.Voilà toutcedont j’aibesoin.Carsimaintenant jegagnemavieetnem’ensorspastropmal,vivreàdeuxsurunseulsalairerestetrèsdifficile,etlesfinsdemoissonttoujourschaotiques.Nousenavonstropbavé.Plusjamaisjeneveuxmeretrouverdanslamisèrequenousavonsconnue,àneplusavoirriend’autreàmangerquedespâtesàl’eaupendantdesjours,ouànepluspouvoirseservirdelavoiture,carplusassezd’argentpourfairelepleind’essence.Certes,cestemps-làsontrévolus,maislavieestprécaire, j’ensaisquelquechose.Quandona toutperdudu jourau lendemain,qu’onestpasséd’une enfancedorée àune jeunesse enHLM,on sait à quel point tout peut changer enune fractiondeseconde. Personne ne sait de quoi demain sera fait, à moins…Àmoins d’épouser Nicolas Dambre-Villiers dans deux mois. Ce mariage sera notre sécurité, à maman et à moi, notre rempart contre unnouveauplongeonverslebas.
« Et l’amour, dans tout ça ? », vous demandez-vous peut-être. L’amour ? C’est de la merde, unecochonnerieinventéepardesécrivainsetdesréalisateursaffabulateursetsadiques,dansl’uniquebutdevousvendredurêve.Çamarchedanslesbouquins,danslesfilmsetleschansons,maisdanslaréalité,çase termine toujours dans la souffrance ou, pire, dans l’indifférence. Je n’ai que vingt-huit ans, maissuffisammentd’expériencepourenavoiracquislacertitudeinébranlable.Cynisme ?Non,réalisme.Etsimapathétiquevieamoureuseafinidem’enconvaincre,celledemamèreavaitdéjàbienentamécelongprocessusd’écœurement.
Il est certain que jamais je n’aimerai Nicolas de cette façon-là, ce qui est une excellente chose.
Jamais iln’auralepouvoirdemefairesouffrir, jamais iln’aura lacapacitédemebriser lecœur.Pascommetousceshommesavantluiàquij’aieulabêtisedefaireconfiance,dequij’aieul’imbécillitédetomber amoureuse. Notre mariage sera ancré sur des fondements bien plus stables que de fugaces etinconsistants sentiments, notre « entente » ne s’envolera pas enmême temps que la jupe légère de lapremièrejoliefillequicroiseranotreroute.Ils’agitd’uncontratdictéparlaraison,établisurlaréalitédel’existence.Pasdeplacepourlehasard,etc’esttantmieux,carj’aidéjàeumadose.
Nicolaspartagecettevisiondelavie,jevousrassure.Iln’yapastromperiesurlamarchandise.Ilconsidèrequejeluiappartienscommeluiappartiennentlesdifférentesvoituresqu’ilpossède,sansyvoirplusde romantismequecela. Ilnemedemandequ’unechose :être laparfaitepetite fiancée,avantdedevenirlaparfaitepetiteépouse.C’est-à-direnejamaisfairedevagues,êtrejolie,sourirepolimentenprésenced’autrespersonnes,écarterlescuissesuneoudeuxfoisparsemaineetêtrecapabledel’écouterparlersansl’interrompreparcequ’iln’aimepasça…Riendebiendifficile,ensomme.
VoilàdoncpourquoijesuisprêteàmelaisserpasserlacordeaucouetpourquoitouslesplansdeVanessa pourme faire changer d’avis sont aussi inutiles que vains.Malheureusement pourmoi, ça nel’empêchepasdecontinueràessayer,avecuneobstinationremarquableettoutàfaitexaspérante.
Cen’estpasvrai,maisqu’est-cequ’ellefiche ?Ilestmidiquinzeet j’ai rendez-vousavecunclientdansquarante-cinqminutesà l’ouestdeParis !
MonsieurdeLaFresnayen’estpasvraimentdugenretrèsconciliantetjenepeuxpasmepermettredeperdrececontrat.Ilfautquejesoispileàl’heure,impeccabledelatêteauxpiedsetprêteàécouter,sanssourcilier, ses requêtes les plus extravagantes. Être organisatrice d’événements, même si je me suisspécialiséedanslesgalasdecharité,acegenred’inconvénients.Onnedemandepasàdesgensfortunésde sortir leur carnet de chèques sur des chaises inconfortables ou devant des compositions floralesinadaptées,voyons ! Il ne faudrait pas qu’ils abîment leur postérieur délicat sur de fauxLouisXV, ouleursyeuxfragilesenleslaissantseposersurunenappetisséeàlamaincouleur«écrumoyen»aulieude«écrumoyen/clair»…
Parfois,montravailm’agace,jelereconnais.Quandjepenseauxgensàquiiral’argentrécoltélorsdes soirées huppées que j’organise, je me dis qu’ils aimeraient certainement avoir pour principalepréoccupationlaprovenanceducristaldanslequelilsboirontleurDomPérignon…Maisjenevaispasnonpluscracherdanslasoupe.Cejob,jel’aichoisiparcequ’ilmepermetdebiengagnermavieetj’aitravaillétrèsdurpourenarriverlà.Etsi jelefaiscorrectement,si lafêteestréussieetquebeaucoupd’argentestrécolté,peut-êtremontempsn’est-ilpascomplètementgaspillé.Etpuisc’estcommeçaquej’airencontréNicolas,alors…
Bon,sidanscinqminutesellen’estpaslà,jem’envais !Qu’est-cequ’ellemijote,cettechipie ?Vingtminutesderetard,c’estvraimenttrèsétrange,toutdemême.J’espèrequ’ilneluiestrienarrivé…Peut-être devrais-je lui envoyer un texto ? Pour être sûre. Après un dernier coup d’œil lancé à travers lavitrineducafé,pourm’assurerqu’ellen’estpasentraind’arriver,j’attrapemontéléphonedansmonsac.Cefaisant,unesilhouetted’ungrisclairentredansmonchampdevision,jeconstatequ’elleappartientàunhommeencostumelorsquecelui-civientprendreplacesurletabouretjusteàcôtédumien.Lecafén’estpasbondé,ilyaaumoins—quoi ?—sixautressiègesinoccupés.Pourquoidiablefaut-ilqu’ilsecolleàmoicommeça ?Pourvuquecenesoitpasencoreundecesdragueursdudimanche !Sic’estlecas,ilvasesouvenirduvoyage…
Jelanceunregardfugaceverslui,histoired’essayerdevoirdequoiilretourneexactementetàquij’aiàfaire.
OK.Jevois le style :grand,decarrure trèsathlétique,cheveuxchâtains,biencoupés,yeuxclairs,barbedetroisjours,genre«jesuislebaroudeurdevoscœurs»,costumechicsurunechemisedontilaouvertlesdeuxpremiersboutons,pourlecôtéfaussementdécontracté,beaugosseetfierdel’être.Bref,ladéfinitionexacteduconnard,ladescriptionparfaitedustyledemecsquejefuiscommelapeste.Jeles
connais,cestypes-là.«Tropcanon,tropcon !»,telleestmadevise.Etcethomme-làdoitêtrevraimenttrèstrèscon…
–UneGuinness,s’ilvousplaît,commande-t-ilalorsàlaserveuse.Ila lavoixquivaavec,évidemment !Chaudeet très légèrementvoilée.Jemeretiensde lever les
yeuxauciel.Cemecdoitêtreunaimantànanastropcrédules…Bref,peuimporte.Avectoutça,jenesaistoujourspasoùestVanessa !Jecommenceàpianotersur
monécrandetéléphone,quandletypesetournelégèrementversmoi.Jel’ignore,maisaprèsunepoignéedesecondesilmedemande:
–Vousattendezquelqu’un ?Voilà,c’estparti.J’enétaissûre !C’estfoucequeleshommessontprévisibles !JeprendsletempsderendremesyeuxplusfroidsquelesplainesdésertiquesdeSibérieet,lorsque
c’est fait, relève la tête vers lui. Puis je le fixe en silence, un sourcil levé et les lèvres pincées,monexpressionquiveutdire:«nemecassepaslespieds,mongrand,oùjeteplantemontalondansl’œil».Çaal’airdefonctionner,carmêmes’ilpersisteàmedévisager, ilaperduunpeusonattitudedeDonJuandepacotille.
–Jevousdérange,peut-être ?Ilinsiste !Bon…Ilvafalloirmettrelespointssurlesi.–Alors,est-cequevousattendezquelqu’un ?Aprèsunsoupir,jerépliquedurement:– Excellent esprit de déduction, mon grand, mais, à moins que vous ayez mangé ma copine, ce
quelqu’uncen’estpasvous.Vouspouvezdoncretourneràvotrepalpitantepetiteexistenceetoublierlamienne.
Voilàquidevraitmettreleschosesauclair…– Très bien, je ne voulais pas vous déranger, lance-t-il avec un brin d’agacement dans la voix.
J’essayaissimplementd’êtrepoli.–Poli.Maisoui,biensûr…Il se redresse un peu sur son tabouret, piqué au vif, hésitant visiblement à me répondre.
Malheureusementpourmoietmatranquillité,ilneseretientpaslongtemps:–Jenesuispasvotrecopine,maisriennevousempêched’êtreplussympathique.–Jevousdemandepardon ?–Vouscroyezêtrelaseulefemmeséduisantedanscebar ?Mais…Ilparleàqui,là ?C’estuneblagueouquoi ?Ilcommenceàm’agacersérieusement,celui-là !– Je n’ai aucune raison dememontrer sympathique avec vous,Monsieur « j’essayais simplement
d’êtrepoli !»,monœil !–Jedisaisjusteque…rien,s’interrompt-il,nesachantvisiblementpasquoidire.–Bien.Voilàlapremièrechoseuntantsoitpeuintéressantequisortdevotrebouche:lesilence.Là,jetapedanslemille.Ilprendunegrandeinspiration,peut-êtrepours’inciteràgardersonsang-
froid,maissesmâchoiressecontractentsifortementqu’ildoitêtreàdeuxdoigtsdesecasserlesdents.Tuvoulaisjouer,monpetitgars,non ?–Pourquivousprenez-vous ?me lance-t-il.Vousn’êtespaspossible ! Jeviens icipourboireune
bièretranquillementetparlersansarrière-pensées,etjemefaisagresser,c’estincroyable !J’ouvredegrandsyeux.–Sansarrière-pensées ?Agresser ?Vousplaisantez, j’espère !C’est vous qui venezm’aborder, et
c’estmoiquivousagresse !– Vous, vous avez un problème avec les hommes, je me trompe ? ironise-t-il avant d’avaler une
longuegorgéedebière.–Absolumentpas !
Etpourluiprouvercequej’avance,j’agitesouslenezdecethommesansgêneethorripilantlabaguedefiançaillesqueNicolasm’aofferte.Ill’achoisieénormeettapeàl’œil,cequiàcetinstant,m’arrangeplutôtbien.J’accompagnemongested’unsourireforcé.IljetteunrapideregardàmoncaillouetavaleunenouvellelampéedeGuinness.
–Joliebague.Etalors ?–Etalorsjen’aiaucunproblèmeavecleshommes,puisquejememariedansdeuxmois !– Ah, le pauvre… Eh bien… Mes félicitations ! Donc je peux vous offrir un verre pour fêter
l’événement !Est-cequ’ilessayedememettrehorsdemoi ?Ilsembleraitbien…Sonpetitsouriremedonneenvie
deluirenversersabièresursonbeaucostume !–Jeparlequoi,aujuste ?Chinois,bulgare,austro-hongrois ?NON !Plusieursclientstournentlevisageversmoi,apparemmentinterpellésparmontrèslégerhaussement
deton.–C’estassezclairpourvousouvousavezbesoindesous-titrespourcomprendre ?–Quelle têtedemule ! Jolie tête,maisdemulequandmême ! Je lui souhaiteboncourage, àvotre
futurmari !Vousl’avezpayépourqu’ilvousépouse,ouest-ilsourdetmuet ?Alorslà…Alorslà !Mabouches’ouvretoutrond,jenesaismêmeplusquoirépondreàcemufle !–Çadoitêtreça,ilestsourdetmuet !insiste-t-il.–Il…ilest…Non,maisçavapeut-êtrealler,maintenant !Jenevousairiendemandé,moi !–Moi,nonplus !Jevoulaisjusteboireunverreavecvous,maisjepensequec’étaitunemauvaise
idée !Etqu’unchienenragéseraitdebienmeilleurecompagnie !Notreéchangedemoinsenmoinscordialcommenceàattirerl’attention.Lebarman,unhommed’une
bonne cinquantaine d’années à lamoustache impressionnante, s’approchede nous, un verre à lamain.Sans quitter le type infect des yeux, je lève le bras vers lui pour lui faire comprendre que je medébrouilletrèsbientouteseule.
–Allezplutôttrouverunefilleassezconnepourgobervotrebaratindebeaugossebasduplafond,etfoutez-moilapaix !
–Ahbentiens !Çavousarrangerait,quejechangedeplace !Maisjesuistrèsbienici !En prenant un air arrogant, il faitmine de s’installer plus confortablement sur son tabouret, allant
mêmejusqu’àcommanderunedeuxièmebièred’unsignedetêteàlaserveuse.Celle-cinousregardel’unetl’autre,dubitative,sedemandantdetouteévidencecequ’elleestsupposéefaire.
–Bien !Trèsbien !Maisnecomptezpasnonplussurmoipourm’enaller,j’étaislàlapremière !Àmontour,jeprendsmesaisesetportematassevidejusqu’àmeslèvres,histoiredemedonnerune
contenance.Ilnerestededansqu’unegouttedecaféfroid,quej’avalesansbroncherpournepasperdrelaface.
Un silence tendu et électrique s’installe, durant lequel chacun s’applique à ignorer la présence del’autre.Lescurieux,croyantlespectacleterminé,s’enretournentàleursconversationsouconsommationsrespectives.
–Etvotreamieimaginaire,elleestoù ?semoque-t-ilenentamantsadeuxièmebière,quelaserveuseafinalementdécidédeluiapporter.
–Jenevoisabsolumentpasenquoiçavousconcerne,dis-jeentremesdents.–Vousêtestoujoursaussiodieuse,ouc’estseulementavecmoi ?Jecroisquejevaisassassinercemec.L’étrangleraveclalanièredemonsacàmain,luiplantermon
talonenpleincœuroul’étoufferavecleSpéculoosquitraînesurmasoucoupe.–Uniquementaveclesdragueursratésdansvotregenre,monp’titbonhomme.Ilmelanceunregardencoin,qu’ilassortitd’unsourirecondescendant.–Jepeuxavoirdansmonlittouteslesfemmesquejedésire,alorsredescendezsurTerre !
Sarépliquemefaitrire.Commentpeut-onêtreaussiimbudesapersonne ?–Dansvosrêves,oui…–Vouspouvezvousmarrer !DesBimbodansvotregenre,j’enemballetouslesjoursdelasemaine,
sijeveux !Attendez…Ilvientdelorgnerdansmondécolletéouj’airêvé ?–Ôtez-moid’undoute.Voussavezquejevousparleavecmabouche,là,pasavecmesseins ?–Quoi ?Ilssontfaux,detoutefaçon !J’aibienmieuxàregarder !–Ilsnesontpasfaux,monsieur !Pascommevosairsdebaroudeurdudimancheetvotreassuranceà
deuxballes !–Jepréfèrelenaturel,moi,alorsnefantasmezpastrop,map’titedame !lance-t-ilenregardantune
foisdeplusmondécolleté.Jem’étouffed’indignation.Vraiment.L’oxygènememanque.Maisc’estquoi,cemec ?–Vousêtes…vousêtesungrandmalade !Ilfautvousfairesoigner !–Vousn’êtespasfatiguéed’êtreagressivecommeça ?Jeluiréponds,dutacautac:–Etvousd’êtreaussicon ?Ilmefixesansriendirequelquessecondes, j’ai l’impressiondevoirdesflammesdanserdansses
yeuxverts.–Vousn’êtes…qu’unepétassearrogante !–Etvousunpauvretype !–Espècedetarée !réplique-t-ilenmefusillantduregard.Là,ilselèved’uncoup,enfaisantdurementraclerlespiedsdesontabouretsurlesol.Toutcommele
restedesapersonne,cesonstridentmehérisse.Puisilbalanceunbilletdevingteurossurlecomptoiret,sansmejeterunregard,dirigesahautesilhouetteverslasortie.
– C’est ça ! crié-je dans son dos. Retournez donc dans votre caverne ! Vous y trouverez bien unepauvreidioteàtraînerparlescheveux !
Je le regardedisparaître, essouffléeet follede rage, en imaginantvoir soncorpsdemachodébilevoler dans les airs après qu’il se soit violemment fait renverser par une très très grosse voiture. Çan’arrivepas,biensûr,maiscettepenséemetireunsouriremachiavélique,peut-êtreunpeuétrangesij’encrois la façon dont les clients du café me dévisagent. Me rendant compte que je suis le centre del’attention,jemeredresseetlèvelementon,pourtenterderetrouverunsoupçondedignité.Pasfacile…
Non,mais,vraiment,jen’enrevienspas !Ilfauttoujoursqueçatombesurmoi,cegenredetrucs !Àcroirequej’attire lesconscommelalumièreattire lespapillons !Ilestcomplètementfou,ce type.Ausensmédicalduterme.EtVanessaquin’estpasencorelà !Ilfautquejeparte,maintenant,jen’aiplusquetrenteminutespourrejoindremonsieurdeLaFresnayeàsonhôtelparticulier…
Quellejournéedemerde !
Chapitre3
Stephen*
Je sors du bar fou de rage. C’est quoi cette gonzesse ? Ce n’est pas Dieu possible d’être aussiagressiveetprétentieuse !Commesi lemonde tournait autourde sapetitepersonne !Quellegarce ! Jevaisrentrerchercherl’enveloppeetfilerauStar-pubpourdémolirleportraitdeGreg !
Jemontedansmavoitureàboutdenerfsetdémarreentrombe.J’arrivechezmoiensueuretfoncedanslasalledebainspourprendreunedoucheglacée.Ilmefautbienvingtminutessouslesjetsd’eaupourmecalmer.Levisagedecetteblondemerevientenmémoire,dommagequ’ellesoitsiconne,j’enauraisbienfaitmonaffaire.Unp’titcoupvitefaitpourluirabaisserlecaquet.
Elle se marie dans deux mois, m’a-t-elle dit ? Je me demande bien quel genre d’imbécile peutsupporterunefemmepareille !
Jeregardel’heuresurmonportable,ilfautquejemebougesijeveuxpasservoirGregavantmonrencard.Àdix-neufheures,j’airendez-vousavecJuliaRoche,unedemesplusimportantesclientes,danstouslessensduterme.Groscompteenbanque,grosconnarddemari,grosdébitdeconneriesàlaminuteetj’enpasse…Àsoixanteansrévolus,elles’habillecommeunepoupéeBarbie.
Jeremetsmoncostumegrisetrécupèrelefricdansmaplanque,puisjefileauStar-pub.Jeneprendspasmavoiture,c’estàdeuxpâtésdemaisons,çameferaleplusgrandbiendefaireunpeudemarchepour calmer l’envie demeurtre quime démange.Quand j’arrive au bar, je fais le tour de la salle duregardetrepèreimmédiatementGregassisàunetabledanslefond,uneputesurlesgenoux.Cebarestréputé pour la prostitution et le trafic de drogue, c’est pour cette raison que je n’y viens plus. Lesdescentesde flics sontdevenues trop régulières.Etcen’estpasen traînantdansce troumiteuxque tutrouvesdesproiespleinesauxas.J’aiquelquescontactsdans lahautesociétéquimedonnentdebonstuyauxsurlessoiréesmondainesetlesclientespotentiellescontrequelquesbillets.
En arrivant devant Greg, je chope la rousse par le bras et lui dis d’aller voir ailleurs, avant dem’asseoirsurlabanquettecrasseuseauxcôtésdemon«pote».
–Oh, Steph, qu’est-ce que tu fous là ? questionne-t-il en reculant aumaximum sur son siège pours’éloignerdemoi,sûrementeffrayéparmonairfurax.
–Arrêtedem’appelercommeçaoujet’encolleune !grogné-jeencommandantunwhisky.–TunedevraispasêtreavecÉmy,là ?–Ôte-moid’undoute,tonÉmy,elleressembleàquoi ?Plutôtbelleouplutôttrèsmoche ?–Bensij’encroisVanessa,sacopineesttrèsbelle…Pourquoi ?Jeserremespoingsetprendsunegranderespirationpournepasluienenvoyerundanslatronche.Je
nemesuisdoncpastrompé,cetteblondehystériqueétaitbienÉmy…Qu’est-cequej’aibienpufoirerpour la rendredingue commeça ?Engénéral, c’estmoiqui repousse les femmes trop insistantes, pasl’inverse !
–Tumedemandessérieusementpourquoi?–Ben,ouais…bafouille-t-ilenserecroquevillantsurlui-même,avecsurlevisage,cetairidiotqui
nelequittejamais.–Ehbien,jevaistedirepourquoij’aienviedetemettremonpiedaucul !J’aiétévoirtafoutueÉmy
et jeme suis pris le pire râteaude toutemavie !Elle est complètement… siphonnée, timbrée, elle…
elle…elle est possédée par le diable en personne !m’emporté-je en sortant l’enveloppe dema vestepourlabalancersurlatable.
–Quoi ?TOI,t’asfoiré ?questionne-t-il,l’airdenepasycroire,unbrindemoqueriedanslavoix.–J’aipasfoiré !Cettefilleestcomplètementdingue…Jesuisàcentpourcentsûrqu’elleestfrigide
ou…lesbienne !medéfends-je,unpeuhonteuxd’admettremadéfaite.–Putain,t’asfoiré,jen’ycroispas !Mêmemoijen’auraispasfoiréunplancommeça,insiste-t-ilen
ricanant.Là,c’estplusfortquemoi,jecraque.Jemelève,l’attrapeàlagorgeetlerenversedesachaisepour
leclouerausolenhurlant:–Ferme-laoujefaisensortequetaputaindetroncheressembleàunPicasso !–OK,OK,çava,mec…Jenedisplusrien !bégaye-t-ilenlevantlesmainsensignedecapitulation.Jelelâcheetreprendsmaplaceenfaisanttournernerveusementmonverreentremesdoigts.Jeperds
trèsrarementlecontrôle,maiscettefillem’aaiguisélesnerfs !–JevaisraconterquoimaintenantàVanessa ?–Cequetuveux,j’enn’airienàfoutre !Qu’elles’estimeheureusequejeluirendesonfricaprèsle
tempsetlapatiencequ’ellem’afaitperdre !–Ouais…Maisdonc,tumedoistoujoursunservice ?Tente-t-il,enfuyantmonregard.–Alorslà,jen’ycroispas !T’asleculotdemedemanderça,aprèsl’enferquej’aivécuaujourd’hui
àcausedetoiettesplansfoireux ?–OK,jet’enfaiscadeau !Jesautedemonsiège,balanceunbilletsurlatableetmedirigeverslasortieavantdepéteruncâble
etdel’encastrerdanslemurentredeuxbouteillesdewhisky.Jen’enrevienspas !Ilaletoupetdemedirejet’enfaiscadeau ?Quelcon,cetype !
Je reparsendirectiondemonappartementpour récupérermavoiture.Etdireque j’ai rendez-vousavecJulia…Ilmemanquaitqueçapourfinirmajournée !J’espèrequ’ellenevapasêtretropchianteouexigeantecesoir,carjesuisauboutdurouleau.Étantmariée,ellemerejointtoujoursdansunpetithôteldiscretenbanlieue.Ellemepayepourassouvirsesfantasmesetluifairetoutcequesonépouxneluifaitplus.J’enaipourdeuxheuresmaxietjepourrairentrer.Jesuiscomplètementcrevé.J’arrivedevantlachambredix-huit,unedemi-heureplustard.Lamainsurlapoignée,jesuisàdeuxdoigtsdem’enfuirencourant.Jenesaispaspourquoij’aideplusenplusdemalàexercermaprofession.Sionpeutappelerçauneprofession…Quandj’aicommencé,jeprenaismonpied.Jebaisaisdesfemmesetmeremplissaislespoches,qu’espérerdemieux ?Maiscesderniersmois, jesuisarrivéàunstadeoùces femmesmedégoûtent,oùjesuisobligéd’avalerlapetitepilulemagiquepourbander.J’ensuisàmedemandersijesuiscapabled’avoiruneérectionsansenprendre.Depuisquandn’ai-jepasdésiréune femme ?C’esttellementloinquejenem’enrappellemêmeplus,àcroirequejen’aiplusdefantasmes,plusd’envies,que jeneressensplusaucuneémotion…Jesuisdevenuunemachineàsexe,unrobot,unemarionnetteentre lesmains de cesmenteuses, cesmanipulatrices vicieuses…Comment ne pas être profondémentdégoûté ?
Parfois,jemedemandesimoncœurn’estpasmortquandceluideJulies’estarrêtédebattre…Monâmesœurn’étantplusdecemonde, j’aiperduma lumière,cettepetiteétincellequi faisaitquechaquejour était plus beau que le précédent. Jeme retrouve plus seul que jamais, lamort dans l’âme, àmedemander siun jour,monchemincroiseraceluid’uneautre Julie…Qu’est-ceque jenedonneraispaspour ressentir ces sensations, cette excitation des premiers instants partagés avec une femmeque l’ondésireplusquetout.Maisjedoisarrêterderêver,jenesuisapparemmentpasdestinéàaimer.Oupire:àêtreaimé…
Jetournelapoignéeetpénètredanslachambre.Leslumièressonttamisées,jenedistinguepasgrand-chose,sicen’estsasilhouetteallongéesurlelit.Elleestnueetm’attendensilence.Cen’estpasdans
seshabitudesde la fermer,maisparfoisellevientpour lesexeetsebarredèsqu’elleaeucequ’ellevoulait, sans un mot. Je me rends dans la salle de bains et retire mes vêtements, avant d’avalerdiscrètementunepetitepilule.Jeprendsdanslecreuxdemamainquelquespréservatifsetmacravate,puisjemedirigeverslelit:
–Couchez-voussurleventre,ordonné-jed’untonsec.Elleaimesefairedominer.Moi,çanemedérangepas,jediraismêmequeçam’arrange.–Tendezlesbrasverslehaut,dis-jeenprenanttoutmontempspourlaisserlepetitcompriméagir.J’attache ses poignets auxmontants du lit avecma cravate et pendant unmoment, je la caresse et
quand jesensmonentrejambesedressercommeunmât, jedéroule lepréservatif surmonsexe.Je luirelève le bassin pour lamettre à genoux etme positionne derrière elle. Je glisse unemain entre sescuissespourcaressersesreplishumidesetinsérerundoigt,puisdeux.Ellegémitquanddemonpouce,jefrôle son clitoris. Toutes lesmêmes ! C’est toujours lamême chose, la même routine, le même pointsensible.Jeretiremesdoigtspourlesremplacerparmonoutildetravailquisembletenduàl’extrême,prêtàexplosersousl’effetdupetitcomprimébleu.J’empoignesesfessesetlapilonnecommeunmalade,en fermant les yeux pour ne plus voir son corps flasque s’agiter dans tous les sens. Et devinez quoi !Devinezquelleimagevientsegraversousmespaupières !Quelfoutuvisagevientmehanteralorsquejebaisemacliente !
Les traits délicats d’Émy, sa bouche joliment dessinée, ses yeux furibonds quand elle m’insultait.Touscesdétailsmedonnentuncoupdefouet.AlorsqueJuliapousseuncrietjouitsousmesassauts,untrucinespéréseproduit…Jejouisàmontourcommeunmalade !Jem’écrouleàsescôtésetladétacheavantdem’allumerunecigarette,quej’avaisdiscrètementposéesurlatabledenuit.Ellesecolleàmoiet laisse samainsepromener surmesabdoscouvertsde sueur.Putain, jen’en revienspas ! Commentcettepetitegarceprétentieusea-t-ellepumefaireprendremonpiedàdistance ?
Quelconjesuis !J’auraisdûinsisterunpeuplus.J’enaimatédesbiensplusterriblesqu’elle !Alorspourquoij’aifuicommeunegonzesse ?Qu’est-cequim’aréellementleplusagacéchezelle ?Sonfichucaractèreoulefaitquejelatrouvaisbelleetque,quelquepartenmoi,moncœurs’estéveilléd’unlongsommeil ? Non, je divague ! Je ne ressens plus ce genre de choses depuis longtemps… J’écrase macigaretteetjeremetslecouvertavecmacliente.
Deuxheures plus tard, j’arrive chezmoi. Je fonce sous la douchepour retirer demon corps toutetracedemonmal-être…Puisjemecoucheaveclesidéesenvrac,touts’embrouilledansmatête.CetteÉmym’aenvoûté,ouplutôtjetéunmauvaissort.
Lesjourssuivants,j’enchaînelesrendez-vousetlessortiesdansdessoiréesplusdésespéranteslesunesquelesautres.Ellesveulentmamort,cen’estpaspossibleautrement !AlorsquandsamediarriveetqueVictoriaBesneymecontactepourquejel’accompagnelesoirmêmeàungaladecharitédestinéàcollecter des fonds pour construire des puits en Afrique, je suis à deux doigts de refuser. Quellehypocrisie ! Comme s’ils en avaient quelque chose à faire de la misère du monde, quand on voit lamanièredontilssevautrentdansleluxe !Maisjedoisaccepter,c’estmaplusgrosseclienteetellepayebien.Cequim’agaceprodigieusementchezelle,c’estqu’ellenesepromènejamaissanssonChihuahuaqu’ellesurnommePrincesse…Heureusement,leridiculenetuepas !
Jepasselajournéeàtournerenronddansmontroumiteux,àessayerd’oubliercesyeuxbleuazurquim’obsèdentdepuisquelquesjours.J’hésiteàplusieursreprisesàtéléphoneràl’autreabrutipourqu’ilmeremetteencontactavec la fameuseÉmy,mais jemefaisviolence.Jenesuispascegenrede typequigalopeauxculsdesfemmespourassouvirleursplusvilsfantasmes.Non,moi,jevauxmieuxqueça !Jenemerabaisseraipasdevantunepetitegarcefrigide !Horsdequestion !
Enfind’après-midi,jemeprépare.Jesorsmonsmokingnoirduplacard,machemiseblancheetmonnœudpapillon.Jedétesteça,maisdanscessoiréesjen’aipaslechoix.Jedoissuivrelemouvement.Jemeregardedanslemiroirfendususpendu,au-dessusdulavaboetmedisquec’estpasmal.Jesuisrasé
deprèsetmescheveuxsontimpeccablementcoiffés.Jedoisêtreparfait.Unetouchedeparfumetletourestjoué.Jemetsquelquespréservatifsdansmapoche,onnesaitjamais,etjem’installedevantmonordi.Jen’aiplusqu’àattendrelesignal.
Quinzeminutes plus tard, je reçois unmessage pourme dire que la limousine est en bas demonimmeuble.Jedescendsenfixantunsourireforcésurmeslèvres.Lechauffeurm’ouvrelaportièredelavoituredeluxeetjem’yengouffreleplusdignementpossible.Victoriaestlà,assise,lesjambescroisées.JerepèresonChihuahuacouchésur labanquette,àsescôtés,prèsde lafenêtre.Jen’aipasbesoindevoir ses yeux pour savoir qu’ilme bouffe du regard et que ses petites babines sont retroussées. Saleclébard !J’observeensuiteVictoria,elleporteunfourreaupailletéd’unrougepresqueaveuglant.Qu’est-cequiluiaprisdemettreunehorreurpareille ?Onvanousrepéreràdixkilomètresàlarondeaveccetterobe !Sescheveuxrouxsontremontésenunchignonsophistiquéetsonvisageestrecouvertd’unecoucheimpressionnante demaquillage. Elleme sourit de sa bouche gonflée au botox qui lui dévore la face.Certainsdiraientquec’estuneboucheàpipe,moijenesaispastropquoienpenser.C’estjustehideux…
–Bonsoir,Stephen,dit-elled’unevoixrocailleuse,uséeparlesannées.–Vousêtessublime,Victoria,commed’habitude,jemenssansscrupule,enm’installantàsescôtés.–Oh,vousmeflattez,mongarçon,répond-elle,enposantsamaintouteridéesurmacuisse.Lesmains…C’estlapartiedecesfemmesquejepréfère.Ellesdévoilentleursâges.Ellesontbeau
serefairedelatêteauxpieds,leursmainslestrahissent.ÀvoircellesdeVictoria,jediraisqu’elleaplusdesoixanteans,c’estsûr !Sesdoigtscaressentl’intérieurdemacuisse.Jemeraidis,maispasvraimentlàoùillefaudrait.Jemeforceàposerlesmienssursongenouetlesremontesoussarobe.C’estmonrôle, je suispayépour ça.Leur faire croirequ’elles sontdésirables…Même si ledégoûtmenoue lagorge,jefaisbonnefigureetjemepenchepourfrôlerseslèvrescouvertesdeglossrougesang.Àtouslescoups,ellevam’entartinerlagueule !
Lalimousines’immobilise.Jesuissoulagédesortiràl’airlibre.Jepassediscrètementunmouchoirsurmonvisage pour effacer toutes traces deVictoria.Nous voilà sous les feuxdes projecteurs.Nousremontonsletapisrouge,aveuglésparlesflashsenn’oubliantpas,biensûr,deprendrequelquesposessexypourlesphotographes.Jedétesteça,maisjen’aipaslechoix.Jesuislamarionnettedemaclientel’espaced’une soirée et je dois assouvir tous ses désirs…J’ai vendumonâmeaudiable, il y a bienlongtempsetmoncœurs’estéteint,ilyadesannéesdecela.Jenesuisplusqu’unecoquillevide…Untasdemuscles,dechairetd’os.C’estmavie,monquotidien…
Arrivésenhautdesmarches,Victoriadonnenos invitationsauservicede sécurité,quinous laissepasser quelques secondes plus tard, sans sourciller. Nous pénétrons alors dans un autre monde. Ladécoration de la salle est spectaculaire. Des lustres comme je n’en ai jamais vu l’éclairent de leursdouces lumières.Les tablesdresséesautourde lapistededanse sontmagnifiques. Jedois reconnaîtrequ’ilsontmislepaquetpourséduirelesdonateurs.Victoriaglissesonbrassouslemienpourm’entraînerversunserveurtandisqu’elleportePrincessedel’autre.Nousprenonschacununecoupedechampagneetparlonsdejenesaisquoi,jenel’écoutepasvraiment.Jelaissemesyeuxsepromener.J’observelafouleentenuedegala,çabrilledemillefeuxcesoir.Unesilhouetteaccrochemonregard.Monsangnefaitqu’untour,moncœurs’arrêtedebattreetmonsoufflesecoupe…Oui,rienqueça…Toutçaàcausedemonpirecauchemar…Ellesetientàl’autreboutdelasalle.Ellenem’apasvu.J’enprofitepourladétailler de la tête aux pieds. Elle est juste magnifique. Elle porte une robe bustier en satin couleurchampagne, courte devant et longue derrière, qui dévoile ses interminables jambes fuselées dont jen’arrivepasàdétournerleregard.C’estincroyablel’effetquecettefemmeinsupportableasurmoi !
Je faisvolte-facepour reprendremesesprits.Que fait-elle là ?Jenecomprendspas. Jamaisde lavie,jen’auraispensélarevoir…C’estunsalecoupdudestin,c’estsûr !Uneoccasiondepluspourelledem’humilier !Etqueva-t-elledireenvoyantquemacavalièren’estplustoutejeune ?Queva-t-elleendéduire ?Merde,cen’estpasdechance !CetteÉmycommencevraimentàmepourrirlavie !
Chapitre4
Émy*
– Ça m’est égal, Karl ! Et à monsieur de La Fresnaye aussi, vous pouvez en être sûr ! Alors,débrouillez-vouscommevousvoulez,mais il faut impérativementque levéhiculesoitdégagédans lesminutesquisuivent !Mesuis-jebienfaitcomprendre ?
Après avoir entendu mon interlocuteur me répondre par l’affirmative, je raccroche et pousse unsoupirinquiet.L’heurequiprécèdel’arrivéedesconvivesestlaplusstressante.C’estlàquesurgissenttous lespetits soucisqui, s’ilsne sontpas résolusdans la seconde,peuvent se transformerenénormeproblème comme, par exemple, une voiture garée juste devant la porte de service, qui empêche lafleuristededéchargerlesdernièrescompositions.Jedoisavoirdesyeuxpartout,penseràtout,prévoirl’imprévisibleetprévenirlamoindreanicroche.
–Non,pasparlà !m’exclamé-jeenvoyantunemployépasserdevantmoiavecunprojecteurdesol.Celui-civaprèsdelascène,parici.
Le jeunegarçon faitdemi-touretprend ladirectionde la salleprincipale,aumomentoùmonsieurSavornin,l’intendantduSalonFochoùsedéroulelegaladecesoir,seprésentedevantmoi.Cethommedecinquanteans,toujourstiréàquatreépinglesetàladictiontrèssoignée,medonnel’impressionqu’ilsebaladeenpermanenceavecquelquechosedecoincé làoù ilne faudraitpas.Maissousdesabordsfroidssecacheunepersonnetrèsdévouéeetpassicoincéequ’ilyparaît.LeSalonFochétantl’unedessallesde réception lesplus courues (et chères) deParis, beaucoupdemes clients veulent yorganiserleursévénements. J’aidoncdéjàeuà faireà son intendantuncertainnombrede foiset, à forcede lecôtoyer, j’ai pume rendre comptequ’il est davantagequ’unvieuxbourgeois endimanché. Il lui arrivemêmedefairedespetitesblagues,quandilestdetrèsbonnehumeur.
–MademoiselleBressac,jevoulais…–Non !beuglé-jeà l’intentiond’unejeunefemme,coupantmoninterlocuteurenpleinélan.Cesont
leschevaletsquivontàl’accueil !Àl’accueil !MonsieurSavorningrimacelégèrementetporteunemaindélicateàsonoreille,façonélégantedeme
fairecomprendrequelevolumesonoredemavoixl’incommode.Levoyantfaire,jeluiadresseunpetitsourirecontrit.
–Désolée…Donc ?–Donc,jevoulaisvousfairesavoirquelesserveurs…–Quoi ?L’und’euxestenretard ?Oumalade ?MonDieu,s’ilmanqueunserveur,jen’auraijamais
letempsdeleremplacer !Àmoinsquevousayezunplandesecours ?Alexandre, jevousenconjure,dites-moiquevousavezunplandesecours !
L’intendantsoupiredefaçonfugace,puislèveunsourcilquejesoupçonnefortementd’êtreépilé.–MademoiselleBressac, si vous appreniez ànepas, si grossièrement, couper laparole, peut-être
vouséviteriez-vousquelquesmontéesd’adrénalinesuperflues.–Oui,désolée,désolée.Alors ?Lesserveurs ?demandé-jeavecappréhension.–LesserveursduSalonFoch,enprofessionnelsaguerris,sontprêtspourleservice,mademoiselle.
Jetenaissimplementàvouseninformermoi-même.Là,toutdesuite,jeluisauteraisaucou !Voilàenfinunebonnenouvelle !
MonsieurSavorninm’adresseuneébauchedesourireamusé,etpartdesadémarchealtièrevaqueràsesoccupations.C’est à cet instant qu’unbruit d’aspirationdesplus élégants se fait entendrederrièremoi.Jemeretourneet,sanssurprise,voismonamieVanessareposersonverresurundesplansdetravaileninoxdel’immensecuisine.Étantinvitéeaugaladecesoir,elleadécidéd’arriverenavancepour«m’aider » avec les derniers réglages. Apparemment, elle vient d’aller vérifier les compétences dubarman…
–Pourriez-vousm’apporteruneautreTequilafizz,s’ilvousplaît ?demande-t-elleàuncommis.Puis,àmonintention:–Détends-toiunpeu,Émy,où tuvasnous faireunecrise cardiaqueavantd’avoir eu tonprochain
orgasme !–Lebarestprêtpourlecoupdefeu ?–Oui,c’estimpec.–Bien.Trèsbien.–Allez,sourisetboisunverre !Çatedétendra !–Jen’aipasbesoindemedétendre,Vaness.J’aibesoindegarderlesévénementssouscontrôle.Etil
fautquej’aillevérifierdanslasalleprincipalequetoutestprêtpourl’arrivéedesconvives.–Hum.C’estpashypermarrant,commeplan…Jeluiadresseunemouefataliste,genre«c’estladureréalitédelavie»,puism’approched’elleet
passeunbrasautourdesesépaulesjolimentdénudées.– Tout lemonde n’a pas la chance d’être une riche héritière,ma vieille. Il y en a qui doivent se
bougerlesfessespourgagnerleurcroûte !Là,ellemetirelalangue,cequimefaitrire.C’esttoutelle !Insoucianteetfacétieuse,cequejene
suisplusdepuislongtemps.Maisc’estaussipourçaquejel’adore.Nousnousconnaissonsdepuismaintenantcinqans,depuisquelatoutejeuneassistante-organisatrice
que j’étais à l’époque l’a croisée à l’un de ses premiers galas. Alors que j’étais en pleine crise depanique,tétaniséeparletracetlapeurdefairequelquechosedetravers.Unepetitebrunetteadébarquéavecunsourireamicaletunverredeliqueurqu’ellem’aobligéeàavalerculsec.Nousnenoussommesplusquittéesdepuis,mêmesielleetmoisommesextrêmementdifférentes.Peut-êtreest-cedûaufaitquesi ma vie avait continué comme elle avait commencé, j’aurais pu être son double parfait, avec descheveuxblonds.Elleestlafilledumarchandd’artlepluscourudeParisetn’ajamaiseuàsesoucierderien.Vanessaestlegenredefemmequicroquel’existence—etleshommes—àpleinesdents,avecunelégèretéetunenthousiasmequejeluienvieparfois.Bon,elleatendanceàêtreunpeutranchéedanssesopinionsetànejamaisrienprendreausérieux,surtoutpaslavie,maiselleestadorableetelleparvienttoujoursàmefairerire.Alorslereste,jem’enaccommode,mêmesisouvent,ellemetapesurlesystème.SurtoutquandarrivesurletapislesujetdemonmariageimminentavecNicolas…
–Jevaisbosser,dis-je,enluiplantantunbisousurlajoue.–Oui,va.Moijevaismerepoudreretrefairemonentrée.Maisparlagrandeporte,cettefois !Elles’éloigneentrottinant,nonsansavoirattrapéaupassagelaTequilafizzapportéeparlecommis.–Etpasd’entourloupecesoir,hein !–Non,non !–Promis ?Pasderéponse.–Vanessa,promets-le !crié-je,toutàcouppassablementinquiète.Elleseretourne,melanceungrandsourireetpousselaportedeserviced’uncoupdefesses.Puissa
courterobeensoiebleunuitetsonvisagemalicieuxdisparaissent,sansqu’ellem’aitpromisquoiquecesoit.
Bonsang,qu’est-cequ’elleestencoreentraindemijoter ?Jen’aiabsolumentpasletempsdegérer
une énième tentative deme faire renoncer àmonmariage ce soir !Mais on verra ça plus tard. Pourl’instant, j’ai du travail. C’est le plus gros contrat qu’onm’ait jamais confié, je me dois d’être à lahauteur.Jeveuxquecettesoiréeatteigne laperfection, jene laisseraipas lemoindredétailécorner letravailacharnéfournicesdernièressemaines !
La salle se remplit au sonduquintette à cordes engagéparmes soins, dans la valse chatoyante etpailletéedesrobesdesoiréedecesdames.
Les élégants convives déjà présents discutent entre eux, tout sourire, en buvant une coupe dechampagne offerte par des serveurs en chemise blanche immaculée. Le personnel du vestiaire gèreimpeccablementlefluxdesarrivées,lestables,magnifiquementdressées,sontdumeilleureffetsousleslumières tamisées.Toutes lescompositionsfloralessontà leurplaceexacte, lepupitreestprêtpourlediscoursdemonsieurdeLaFresnaye,présentementoccupéàaccueillirsesinvités.Mavigilanceresteàsonmaximum,maistoutsembleroulercommeilfaut.
Juste après que monsieur Savornin soit discrètement venu m’informer du bon avancement de lapréparationdudîner,j’aperçoisuneVanessarayonnanteaubrasd’unjeunehommequejeneconnaispas.Encoreun !Ellemefaitunclind’œil,auqueljerépondsparunsourireamusé,enlevantlesyeuxauciel.Contrairement àmoi, la gentmasculine semble avoir pour elle un intérêt illimité,même si en généralcelui-cinedurejamaisplusd’unenuit…
Puis,toutàcoup,lecielmetombesurlatête.Oupeut-êtreundesgigantesqueslustressuspendusauplafond,jenesaispas.
C’est une plaisanterie ? Un nouveau coup pendable de l’univers, pour me faire payer une fautecommisedansunevieantérieure ?Dequeldictateurabominableoutueurensériesuis-jelaréincarnationpourmériterunetellepunition ?Hein ?Ilyadeuxcentsinvitésprévuscesoir.Deuxcents !COMMENTest-il possible que sur les millions d’habitants que compte la capitale, je me retrouve par hasard enprésencede l’être leplusexécrablequi soit,unedes seulespersonnesque jenesouhaitecroiser sousAUCUNprétexte ?Lavieenaaprèsmoi,cen’estpaspossibleautrement !
Jemeretournebrusquement,lesjouesbrûlantesetunecolèreirrépressibleaucreuxduventre.Ilfautquejemecalme,quejeretrouvemonsang-froidimmédiatement !Riennedoitvenirgâchercettesoirée !Rien !
Respire,Émelyne,respire…Cen’est pasgrave, çava aller. Jevais faire comme si ce typeodieuxn’était pas là, comme si le
souvenirdenotre rencontredésastreuseet lecomportement infectdont ila faitpreuvene faisaientpasnaîtreenmoiuneexaspérationvirulente.
Inspire…Expire…Inspire…Expire…Voilà.Zen.Calme.Toutvabien.–Benqu’est-cequit’arrive,Émy ?T’estouterouge…JesursauteenentendantlavoixdeVanessaetmetournebrusquementverselle,unemainsurlecœur.–Je…Rien.Çava.Jevaistrèsbien.Trèstrèsbien.Elle me dévisage quelques secondes, sceptique, avec son air « on neme la fait pas à moi ». Je
soupireetlaprendsparlebraspourl’attirerunpeuplusàl’écart.Puis,suruntondeconspiratrice:–Tutesouviensdecemectropcondontjet’aiparlé ?–Euh…Lequel ?–Celuiquiestvenum’aborderauSteam’,lejouroùtum’asposéunlapin.Letaréaveclequeljeme
suisengueulée.–Ah.Hum,oui,jemesouviens,oui…–Ilestlà !–Quoi ?Làoù ?–Benlà,quoi !Ici !–Non,ça,c’estimpossible,dit-elle,enricanant.
–Jet’assurequesi !Pourluiprouverquejenesuispasdevenuecomplètementfolle,jedonneuncoupdetêteendirection
duconenquestion.Contrairementàladernièrefois,ilestrasédeprèsethabilléd’unsmokingnoirtrèsélégant.
–C’estlequel ?medemandeVanessaaprèss’êtreretournée.–Legrandbaraqué,là,avecsonvisagedeplay-boyet…Bençaalors !Elleestbienbonne,celle-là !–…aveclavieilleenrougeaccrochéeàsonbras.Cellequiporte…unrathabilléenrosesousle
bras ?Maisqu’est-ceque…–Merde !mecoupeVanessa.–Oui,commetudis !–Bon, écoute, çava aller.T’en fais pas. Ignore-le et tout sepasserabien. Je…euh… je reviens,
OK ?–Hein ?Tuvasoù ?Ellemefaitunsourirequejequalifieraisdelégèrementcrispé.–Jevais…auxtoilettes !Voilà,aux toilettes.LesAnglaisquidébarquentet toutet tout…Enfin, tu
saiscequec’est…Etelles’éclipse,melaissantseuleaumilieudelasallederéception.Qu’est-cequiluiarrive ?Bon.Pasdepanique.Ellearaison,jenedevraispasmefairedesoucipouruntrucaussiinsignifiant.
Ilsuffitquejecontinueàvaqueràmesoccupationssansmesoucierdecetype.Jen’aimêmepasbesoindeluiadresserlaparole,aprèstout !
Dix minutes plus tard, je vérifie auprès du barman en chef que la provision de champagne estsuffisante.Mais c’est quandmême bizarre, tout ça…Qui est cette vieille toute refaite avec qui il estvenu ?Elleesthorrible.Sonvisageesttellementtiréqu’elledonnel’impressiondeclignerdespaupièresàlaverticale…J’aivérifiésurlalistedesinvités,ils’agitdeVictoriaBesney.Elleluiamislamainauxfesses, toutà l’heure, je l’aivuefaire.Lamainauxfesses !Nonpasque je regarde,notezbien.Enfin,bon,j’aijustejetéunoudeuxcoupsd’œildansleurdirection…Etpuiselleestvulgaire,cettefemme,c’estfou !Ondiraituneenseignedeboîtedenuit,avecsaroberougepétantquidonnemalauxyeuxetsonchienrachitique ! Jemedemande cequ’il fait avec elle,même si çanem’intéressepasvraiment,hein.C’est justeque jemepose laquestion,c’est tout.Parsimplecuriosité.Ellene le lâchepasd’unpoil,enplus.Commesielleétaitcolléeàlui !C’estquandmême…
–Vousavezeuuneautorisationdesortie,cesoir ?Lepsychiatreadécidéderefaireunessai ?Interrompuedansmespensées,jefaisunquartdetoursurlagauche,espérantsanstropycroirequela
personnequivientdem’envoyercettepiquen’estpascelleàlaquellejepense.Maisquid’autrepourraitsemontreraussidésagréable ?C’estbienluiquisetientàcôtédemoi.
–Essayezdenepasmordreundes invités,ça ferait tache,ajoute-t-il sansme regarder,en tendantdeuxcoupesvidesaubarman.
Jeprendsuneprofondeinspiration.Jenepeuxpaslaissersereproduirelesévénementsdeladernièrefois sur mon lieu de travail, ce serait la faillite assurée. Il faut à tout prix que je me contienne unminimum,quelsquesoientleseffortsquecelamedemande.C’estdoncenaffichantunsourirefaussementavenantquejeluiréponds,àmi-voixpouruneparfaitediscrétion:
– C’est gentil à vous, de sortir votre mamie. Faites quand même attention à ce que sa hancheartificielletiennelechoc…
Ses mâchoires se contractent, mais lui aussi garde sur les lèvres un sourire de façade trèsconvaincant.
–Victoriaest…macompagne,pasmagrand-mère.Et jevousassurequeseshanches fonctionnenttrèsbien.Entoutescirconstances.
–Votrecompagne ?C’estça,oui !–UnBloodyMaryetunWhisky,s’ilvousplaît,commande-t-il.Puis,àmonintention:– Je préfère les femmesmûres aux gamines insupportables dans votre genre. Elles, aumoins, ont
l’expériencedeshommesetneseprennentpaspourdesreinesjusteparcequ’ellesontunjolicul.Respire,Émelyne,respire.–Vousêtessérieux,là ?Ilsourit,cecon.–Onnepeutplussérieux.Detoutefaçon,jenevoispasenquoiçavousposeunproblème.– Mais ça ne me pose aucun problème, rétorqué-je sèchement. Votre compagne, par contre,
n’apprécieraitcertainementpasdesavoirquevousessayezdedraguerlesinconnuesdanslescafés.Nonpasquevousarriviezàgrand-chose,ceciétantdit.
–Çadoitêtreduràencaisserpourunepétassearrogantedansvotrestyle,maisjenevousdraguaispas.
–Ah,oui ?Vousmeprenezvraimentpouruneconne…–Oui,j’aitoujoursététrèsperspicace.Je vais le tuer… lentement, après l’avoir torturé des heures durant avec un économe et de l’huile
brûlante.Sanscriergare,ilsepencheversmoietplantesesyeuxvertsdanslesmiens.Ilestsiprèsquejesens
sonparfummechatouillerlesnarines.Desurprise,sansdoute,moncœursemetàbattreàcentàl’heureetlerougememonteauxjoues.Maisjenemedémontepasetnedétournepasleregard.
– Jamais vous n’arriverez à la cheville de Victoria, alors arrêtez d’imaginer que vous pourriezm’intéresser.
–Oui,vousaimezl’archéologie.Moijenesuispasencoresuffisammentfossilisée…–C’estmoche, la jalousie.Etpuisçarendaigri.Faitesattention,vousallezfairefuir le taréquia
proposédevousépouser.Touteœuvredecharitéaquandmêmeseslimites…–Àl’inversedesmonceauxdeconneriesquisortentdevotrebouche,apparemment.Je lève un sourcil, l’air de dire « Alors ? Qu’est-ce que tu as à répondre à ça, sale connard
détestable ?»,maisiln’apasletempsd’ajouterquoiquecesoit,carlebarmandéposesacommandesurlecomptoirenmarbre,justedevantlui.Ladiversionestexcellente,ellemepermetdemereprendre.Leschosessontencoreentraindedégénérer,ilfautymettreuntermeavantdeperdretoutcontrôle.
– Puisque tout est dit, je vous souhaite une agréable soirée, dis-je avec un sourire qui me coûtehorriblement.Pourmapart,jeretournetravailler.
–Parcequedépenser les sousdepapadansune robehorsdeprixensirotantduchampagne,pourvous, c’est du travail ? ricane-t-il en attrapant les verres. Je comprends d’où vient votre côté petitebourgeoisecrâneuse…
– « Perspicace », hein ? Vous m’en direz tant… Sauf que je ne suis pas ici en tant qu’invitée,Sherlock,maisentantqu’organisatrice.Alorsmaintenantçasuffit,j’aimieuxàfairequedeperdremontempsavecvous.
Etsansattendreuneréaction,jeleplantelàpourmedirigervers…n’importeoùailleurs,d’unpasmoinscalmeetmesuréquejenel’auraissouhaité.
Nomd’unchien,ilaencoreréussiàmemettrehorsdemoi !Quel…quelenfoiré !Qu’ilretournedansles jupes de samaîtresse botoxée jusqu’aux replis de ses vieilles fesses flasques et qu’ilme foute lapaix !Pourquoia-t-ilfalluqu’ilviennemeparler,d’abord ?Iln’avaitqu’àresterauprèsdesasichèreVictoria,puisqu’ill’aimetantqueça !Merde,àlafin !
Jedébarquefinalementdanslescuisines,oùl’effervescenceestàsoncomblepuisqueledînerdevraitêtreservid’iciunepetitedemi-heure.
–Bon,est-cequetoutestprêt,ici ?aboyé-jeàlaronde,toujourstrèsénervée.–Toutvapourlemieux,mademoiselleBressac,merépondlesous-chef.Nousseronsprêtsdansles
temps.–Bien !Alors…alors,continuezcommeça !Plusieurscommislèventlatête,surprisparmontonautoritaireetcassanttoutàfaitinjustifié.Me rendant compte que mon comportement est inapproprié, je fais demi-tour et gagne le grand
couloir,pouryrespirerunpeu.J’aibesoind’unmomentdesolitude.Là,jefaislescentpassurlemarbrebrillant, en essayant de retrouver mon calme (et mon professionnalisme). Mais la porte de la salles’ouvreuneseconde,pourlaisserpasserlapetitesilhouettedeVanessa.
–Jet’aivueparleraveclemecduSteam’,çava ?–Non.Jelehais,cetype !Ilaencoreréussiàmefairesortirdemesgonds !Surmonlieudetravail,
tuterendscompte ?–Ah,et…qu’est-cequ’ilt’adit ?–Des conneries, comme d’habitude !À propos de samaîtresse toutemoche, toute vieille et toute
refaite !Elleseraitcentfoismieuxquemoi,àl’entendre !Pff !Jemedemandebiencequ’illuitrouve,àsamémé !
Vanessamedévisageensilenceunmoment,avantdesepincerleslèvres.Jejureraisqu’elleessayedeseretenirdesourire.
–Onpeutsavoircequit’amuse ?–Moi ?Rien.Jesoupirerageusementetcroiselesbrassurlapoitrine.J’aidécidémentbiendumalàmecalmer.–Entoutcas,mêmes’ilestcon,ilestvraimentcanon,non ?commentemonamie,enmeregardantdu
coindel’œil.Tunetrouvespas ?–Absolumentpas !Cen’estpasdutout,maisalorspasdutout,mongenre !–Hum…–Quoi«hum» ?laquestionné-jeavechumeur.–Non,non,rien…Bon,tuesdemauvaispoil,sij’aibiencompris ?–Tuasbiencompris,oui.–Mince…Ducoup,cen’estpaslapeinequejeteramènelemecmignonquejevoulaisteprésenter
cesoir ?Ilestdanslagrandesalle.Jeluilanceunregardnoir.–T’aspasencorefini,avecça ?Jememarieraidansdeuxmois,queçateplaiseounon.Alors,s’ilte
plaît,Vaness,arrêteavectesplansfoireux…–OK,OK !Riennetedétourneradetonidéedébiled’épouserunmecfroidetennuyeuxdonttun’es
mêmepasamoureuse, j’aicompris…Niunweek-endpasséchezmononcleetmatante, toujoursaussiheureuxaprèsquaranteansdemariage,niuncentièmevisionnagedufilmLoveActually,niunesoiréedefoliedansunclubdestripteasemasculin…
–Ah,merci !Tutedécidesenfinàentendrecequejetedis !Ellemegratified’unnouveauregardencoindontjenecomprendspasvraimentlacause,maisjesuis
encoretropexcédéepourm’ensoucier.Puiselleajoute:–Aucunbeaugosseneteferacraquercontretavolonténonplus,donc.C’estcertain.–Aucun.Lesmecssontdesenflures,j’aieumadose !–Oui,oui…–Quoi ?Pourquoitudisçacommeça ?–Pourrien.Bon,excuse,maisj’aiuncoupdefilàpasser !–Oui,etmoijeretournebosser.Àplustard ?–Àplustard !
Etnouspartonschacunedenotrecôté.Bonsang,cettesoiréeaétéatroce !Passurunplanprofessionnel,cardececôté-làj’aiatteintmes
objectifs.MonsieurdeLaFresnayeétaitravi,lesconviveségalement,etbeaucoupd’argentaétérécoltéen faveur de l’associationWater for Africa. Aucun soucimajeur n’est venu troubler la fête, qui s’estdéroulée sans accroc.C’est juste la présence de ce type qui a gâchémon plaisir ! Lui et à sa vieillecopinevulgaire,qu’ilatripotéesansarrêtetpastrèsdiscrètement.Maisquellehorreur,franchement !Enplusd’êtrecon,ilestincapabledesecomportercorrectement.Jemedemandemêmesiàunmoment,ilsn’ontpasétéfairedestrucsdanslestoilettes.Beurk !Commentest-cequ’ilpeutavoirenviedecoucheravecunenginpareil ?Lesmecsmedégoûtent…Touslesmêmes,tousdesobsédésdégueulasses !C’estsûrementpoursonargentqu’ilestavec,detoutefaçon.
Merde !Mêmemaintenant,àquatreheuresdumatin,alorsquej’aibossétoutelanuitetquej’arrivechezNicolas,ilparvientencoreàmemangerlesnerfs !
Justegaréedansleparkingsouterraindel’immeubledemonfiancé,jesouffleencoupantlecontactdemaMini.Pourêtretoutàfaithonnête,jen’aipasenvied’êtrelà.Aprèscettesoiréestressante,j’auraispréféré retrouver la tranquillitédemonpetitdeux-piècesdebanlieue.MaisNicolasm’aexpressémentdemandédevenir,alorsjen’aipaslechoix.Jedoiseffectuermonderniertravaildelajournée.
Je sors de ma voiture et rejoins l’ascenseur, qui me conduit jusqu’au dernier étage de cettesomptueuse constructionhaussmannienne. Il n’y aqu’une seuleporte sur cepalier, cellede l’immenseappartementdedeuxcentsmètrescarrésdemonfiancé.J’ailaclé,j’entreenessayantdenepasfairetropdebruit,mêmesijesaispourquoiilm’ademandédeveniretqu’ilattendjustementquejeleréveille.Ilasignéungroscontratdansl’après-midietilaimefêterçaàsafaçon.
Mesescarpinsà lamain, je traverse le longcouloir,plongédans l’obscurité,en faisantdoucementgrincerleparquetancienparfaitementlustré,sousmonpoids.Toutaufond,derrièreladernièreporte,setrouvelachambredeNicolas.Commejelepensais,ilestendormi.Jeretiremarobe,quitombesurlesoldansunbruitsoyeuxdemousselinefroissée,etavanceverslelitkingsizedanslequeldortl’hommequejevaisépouser.Alorsquejeglisseungenousurl’épaissecouetteenplume,deuxyeuxgriss’ouvrentetse posent surmoi, puis leur propriétaire se redresse sur un coude. Ses cheveux sombres, qu’il coiffed’uneraiesur lecôté,nesontqu’unpeuébouriffés,commesi lesommeil lui-mêmes’étaitsoumisà larigueurpermanentedemonsieurDambres-Villiers.
–Enfin…medit-ilpourtoutesalutation,d’unevoixsanschaleur.–Désolée.J’aiaidémonsieurSavorninàsuperviserlerangementetvérifierquemesprestatairesne
laissaientpasdebazarderrièreeux.LamainchaudedeNicolasseposesurmacuissenue,preuvesuperfluedufaitqu’ilsemoquedece
quejepeuxluiraconter.– J’ai signéun contrat à plusieursmillionsd’euros, aujourd’hui, dit-il en fixant son regard surma
poitrinedécouverte.–Félicitations.–Cen’estpascommeçaqu’onfélicitesonfuturmari,Émelyne…Jesais,ai-jeenviedeluirépondre.Maisjegardelesilence.Àlaplace,jefaiscequ’ilattenddemoi
et retirema culotte en dentelle transparente.Nicolas aime la dentelle.Lorsque je suis débarrassée duderniermorceaudetissuquimecouvrait,jem’allongeetattendsqu’ilfassecequ’ilaàfaire.Saboucheseposesurmapoitrineunepoignéedesecondes,sesdoigtsvolentsurmapeauquelquesinstants,puisilvient déjà entremes jambes. Ilme pénètre brusquement, en haletant dans le creux demon cou. Il estbrutal,commetoujours,maisaprèstoutilnefaitqueprendrecequiluiestdû.Moiçam’estégal,detoutefaçonjenesensrien.Jenesuisniécœurée,nifâchée,nimêmeattristéeparsonmanqued’égardsenversmoi.Moncorpsetmoncœursontmortsdepuis longtemps.Chaqueépreuve, chaque trahisonet chaqueblessureonttuéunpetitmorceaudemoi.
Aujourd’hui, il neme reste plus rien à offrir qu’une coquille vide, une enveloppe inanimée.Maisc’esttoutcequedemandeNicolas.Pourmasécuritéetcelledemamère,pourneplusjamaisavoiràlaregardertrimercommeunemalheureuseàramenerquelquespiècesàlamaisonetneplusêtreterroriséepardemain,jesuisprêteàdonnercequ’ilrestedemoi.
Leschosesauraientpuêtredifférentessanscemauditaccident.J’auraispuresterlaprincesseàsonpapa, la petite dernière trop gâtée, une enfant choyée avec une mère certes fragile, mais protégée etsoutenueparunmariaimant.Êtreàl’abridubesoin,sansceshorriblescicatricescachéesàl’intérieur.J’auraispuêtreheureuse.Maislavien’estpasuncontedefées,toutcequiestbeaufinitparêtreabîmé,détruit,réduitàl’étatdecendres.
Plusjamais,jamais,jenetomberaidanslepiègecrueldel’espoir.
Chapitre1
Stephen*
J’aimel’archéologiem’a-t-elledit… ?!Pourquoijepenseàçamaintenant ?Jesuisdansunechambreluxueused’unpalaceentraindebaiserVictoriaettoutcequimevientàl’espritcesontlesparolesdecette vipère ! Je chasse ces pensées de ma tête tandis que je chevauche… Mamie. Et voilà, çarecommence !Cettefemmeestmonpirecauchemar,elles’insinuedansmatêteàtoutboutdechamp !Mesyeuxseposentsurlepostérieurdressédevantmoietjereconnaisqu’ellen’apastort.
Putain,faitchier !Pense à autre chose… Pense à autre chose… Sinon tu vas débander malgré la petite pilule
magique !QuandVictoriajouitencriantàtue-tête,jesimulemonorgasmeetmeprécipitedanslasalledebains
pour jeter la capote vide dans le chiotte. Je prends ensuite une douche et tandis que les jets d’eaubouillante martèlent ma peau, je n’ai qu’un visage en tête. Elle m’obsède littéralement, ça me renddingue !Cettesalopemepourritlavie !Émy…Émy…
Jenevoulaispasalleràcegaladecharité,j’étaisàdeuxdoigtsd’annuler.Jedevaispressentirquequelquechoseme tomberaitdessus. Jevais rentrerchezmoi, jenepeuxpas finir lanuit iciavecmonfossile…ironisé-je,enmeregardantdanslegrandmiroirquisurplombeladoublevasqueenmarbregris.Jeremetsdel’ordredansmescheveuxenignorantlesourireamerquiétiremeslèvres.Jeretournedanslachambreetramassemesvêtementspourlesenfiler.Victoriaseredressepours’adosseràlatêtedulitet me fixe. Son maquillage a coulé, ses cheveux sont ébouriffés, elle n’a plus rien d’une femmesophistiquée.Elleressembleplutôt…àunevieilletenancièredebordel.
–Alorstupars…Tunepassespaslanuitavecmoi,Stephen ?demande-t-elle,enayantl’aird’êtredéçueouagacée,jenesauraisdire,carjem’enmoquecomplètement.
–Oui,Victoria,jem’envais,lancé-jesansmêmelaregarder.–Tusaisquejepourraist’offrirtoutcequetudésires,situacceptaismaproposition ?–Quelleproposition ?Celledevenirvivrechezvousetd’êtreàvotredispositionnuitetjour ?Non,
merci !Jeme redresse pour lui faire face. La colèremonte enmoi. Je veux bien vendremon corps pour
quelquesheures,maisvendremavie ?Horsdequestion !–Tusaisquejetiensàtoi,avoue-t-elle,ens’enroulantdansledrappourmerejoindre.Tusaisqueje
pourraisterendreheureux…–Victoria…Soyonsréalistes,j’aitrente-deuxansetvous,vousavezquoi ?Ledoubledemonâge ?Sonvisagesedécompose,s’ilestpossiblequ’ilsedécomposeplusqu’ilnel’estdéjà.Sesyeuxse
voilent.Jecroiselesdoigtspourqu’ellenesemettepasàmepleurerdanslesbras.Ilnemanqueraitqueçapourfinircette journéedemerde !Quejeconsoleunefemmeparcequejerefused’êtreson jouetàpleintemps…
–Excusez-moi,Victoria,jenevoulaispasdireça,lancé-jepouressayerd’arrangerlasituation.Jeneveuxpaslaperdre,ellemepayebienplusquelaplupartdemesclientes.–Oh,quesi,tuvoulaisledire…Jesaisbienquejesuismoinsdésirableetmoinssexyquelajeune
femme que tu n’as eu de cesse d’épier toute la soirée ! crie-t-elle de sa voix rocailleuse emplie de
tristesse.–Jenecomprendspasdequoivousparlez…Je mens, en essayant de me voiler la face par la même occasion.Moi, j’ai passé la soirée à la
regarder ?Impossible,jelahaistroppourça !Jemefouscomplètementdecetteblondassesanscervelle !–Si.Tusais trèsbiendequoi jeparle. Je levoisdans ton regard…Mais jene t’enveuxpas. Je
comprendsquecettepetiteblondepuisse te fairede l’effet.Maisdis-toiunechose :ellene tepayerajamaiscommemoijetepaye !
Voilà, le ton monte et la jalousie s’installe. Qu’est-ce qu’elles ont ces bonnes femmes, avec ça !Pourquoiveulent-ellestoujoursseconvaincrequ’ellesvalentmieuxqu’uneautre ?
–Écoutez,Victoria,onseconnaîtdepuislongtemps,maisjenevousaijamaisrienpromis.–Oui,nousnousconnaissonsdepuisplusdevingtans.Jeconnaissaistesparentsbienavanttoi.–Nemêlezpasmafamilleàtoutça.Ilsseretourneraientdansleurstombess’ilssavaientcequenous
faisons !– Ce que je voulais dire, c’est qu’il est normal que j’éprouve des sentiments pour toi, ça fait si
longtemps…–Non,cen’estpasnormal !Leschosessontclairesdepuisledébut.Vouspayezpourmesservices,
pointfinal !Çanevapasplusloin.Jen’enrevienspasquelasituationdérapeàcepoint.Commentai-jefaitpournepasm’apercevoir
qu’elle avait des sentiments pour moi ? Elle s’approche, les yeux pleins de larmes, et m’enlace enmurmurant:
–Tunepensespascequetudis…Je…jesaisquejecomptepourtoi…Jelevoisbiendanslafaçondonttumefaisl’amour…
–Quoi ?Non…Non,jenevousfaispasl’amour.Jevousbaise,ças’arrêtelà !Vousn’êtesqu’unecliente,Victoria,lancé-jed’unevoixglaciale.
Je la repousse un peu trop brusquement, mais je ne peux pas contenir le dégoût et la rage quim’envahissent.Commentcettevieillepeaurefaitedelatêteauxpiedspeut-ellepenserquejel’aime ?
–Tuesfatigué,Stephen,c’estpourçaquetuesencolère…Tuneterendspascomptedecequisepasseentrenousparcequetuaspeur,cafouille-t-elleentredeuxsanglots.
Elles’accrocheànouveauàmoi.Jesuisexaspéré,auborddelacrisedenerfs.Maisqu’est-cequej’aibienpufairedansmaputaindeviepourmériterça ?Toutcebordelparcequ’ellem’avumaterlablonde.C’est encore à cause de cette chieuse que jeme retrouve dans cemerdier ! Si un jour j’ai lemalheurde recroiser sa route, jeme fais lapromessede luipourrir lavie !Mais en attendant, j’ai unautregrosproblèmescotchéàmoicommeunesangsue.
–Jevaispartir,Victoria.Jepensequ’ilvaudraitmieuxneplusserevoir !J’aurais lâché une bombe en plein milieu de la chambre que ça aurait eu moins d’effet. Victoria
devientlivideetrecule,mefusillantdesespetitsyeuxmesquins.Plusdelarmes,plusdesupplications.Non,non,plusriendetoutça !Àlaplace,uneattitudehautaineetdédaigneuse.Ellemetoiseuninstant,avant demehurler dessus comme si je n’étais qu’un gamin de dix ans qui venait de faire une grossebêtise.
–Pourquiteprends-tu ?Tucroisquetupeuxmejeterdecettemanière ?Tunesaispasdequoijesuiscapable,Stephen…Situcroisquejevaisteregarderfoutreenl’airnotrerelation,tutetrompes !
Jepensequ’elleaperdularaison.Elleestcomplètementcinglée,maparole !Jeluttepourdécrochersesdoigts,oudevrais-jediresesgriffes,demesbras.Elleesthystérique,sesyeuxluisortentlimitedelatête.
–Adieu,Victoria,grogné-jeenlarepoussantpourmedirigerverslaporte.–Tuleregretteras !Cettefilletebriseralecœurettureviendrasversmoi !C’estcommeçaqueçava
sepasser,Stephen…Tureviendrasenrampantàmespieds !
–T’asraison,vieillefolle !Je sors précipitamment hors de la chambre avant qu’elle ne s’agrippe à nouveau àmoi. Je prends
l’ascenseur dans un état second. Je suis à la limite de tout défoncer. Ellem’a rendu fou de rage, dessueursfroidescoulentlelongdemondos.Quandj’arrivedanslarue,jelâcheunjuronenmerappelantquejen’aipasdevoiture.Jedoisprendreuntaxi.Jecherchemonportefeuilledanslapocheintérieuredemoncostumeetmerendscomptequej’aioubliél’enveloppesurlatabledenuit,danslachambredelatimbrée. Je suis coincé sur le trottoir à presque quatre heures du matin. Je n’ai pas d’argent et lestransportsencommunnefonctionnentquedansdeuxheures.
Jeregardel’entréedupalaceenmedemandantsijedoisremontercherchermondû,maisdécidequenon.Ilesthorsdequestionquejeretournelà-haut.Jen’aipaslechoix,jenevoisqu’unepersonneassezdébile pour venirme récupérer à cette heure. Je sorsmon portable et fouille dansmes contacts.Uneminuteplustard,unevoixensommeilléemerépond:
–Mec,t’asvul’heurequ’ilest ?Jepionce,moi,àcetteheures !seplaint-il.–Me fais pas chier,Greg, ce n’est pas lemoment ! J’ai un service à te demander, je suis dans la
merde !–Monsieuraunserviceàmedemander ?Benvoyons…Etquiest-cequim’aplantéavecmacliente,
ladernièrefois ?Quivoulaitmecollersonpoingdanslagueule ?Putain, je suis à deux doigts deme jeter sous la première voiture qui passe et de crever dans le
caniveau !J’enpeuxplus…Jesuisépuiséetauborddel’explosion…–Greg,viensmechercheroujetejureque…–Quequoi ?mecoupe-t-ilavecunbrindemalicedanslavoix.Jevaisvenir,maisenéchange,tume
devrasunservice !finit-il,trèscontentdelui.Quelabruticemec !–OK,jetedevraiunservice !merésigné-je.–Super !Çatombebienparcequejustement,jevaisavoirbesoindetoisamedisoir…Paslapeinedeledire:jemesuisfaitroulerdanslafarine !Maisai-jevraimentlechoix ?–Grouille-toi,jesuisdevantLePalace,ruedeBerri !Jeraccrocheavecungoûtamerdanslabouche.Jenesaispascequemepréparecetimbécile,mais
çaneprésageriendebon.Unedemi-heureplustard,ilsegaredevantmoi.J’ouvrelaportièreetmelaissetombersurlesiège
passagerengrommelant:–Tacaisseestaussidéglinguéequetoi !Tunepeuxpastepayeruntrucquinesortpasdesannées
70 ?–Tupréfèrespeut-êtrerentreràpied ?–Roule !–Jetesignalequec’estunevoituredecollection.Ettoi,qu’est-cequetufousàcetteheuredansla
rue ?–Rienquit’intéresse !réponds-jeenmepassantlesmainssurlevisage.Jejetteuncoupd’œilàGregetretiensunsourireenvoyantsatroncheetsescheveuxébouriffés.–Jerêveout’esenpyjama ?Quiporteencorecegenredetrucsànotreépoque ?memoqué-je.Ilyabienqueluiquiestcapabledemedonnerl’enviederireaprèslesmomentsdemerdequej’ai
passé.–Quoi ?J’aifroidlanuit !–T’asfroidlanuit…Tum’endirastant !–Aulieudetefoutredemagueule,parlonsdesamedisoir.IlfautquetumerejoignesauSaintJames
café,àvingtheures.–Tuasbesoindemoipourquoiexactement ?
–Oh…Pasgrand-chose…Jeledévisageuninstant.Jen’aimepasvraimentsafaçondedire:pasgrand-chose.Aveclui,jeme
méfietoujours,carquelquechosed’insignifiantpeutprendredesproportionsdémesurées.–Crachelemorceau !–Trèsbien,j’aibesoin…dequelqu’unpourcouvrirmesarrières.–Dis-moipasquec’estunehistoireavecundealerparcequetusaisquec’estnond’office !–Maisnon,Steph !Ilyalongtempsquejenetoucheplusàcescochonneries !–Alorspourquoias-tubesoind’ungardeducorps ?demandé-je,agacédecomprendrequ’ilmemène
enbateau.– J’ai… j’ai rendez-vous avec lemari d’une demes clientes… Il a découvert le pot aux roses et
désiremerencontrer.Jesupposequ’ilveutmeparlerdesafemmeoudejenesaisquoi…–Ahouais ?C’estbizarretonhistoire…–Peuimporte,detoutefaçontumedoisunservice !–Trèsbien !Maisàlamoindreentourloupe,jemecasse !–N’yaurapasd’entourloupe.Tumeconnais !répond-ilenmelançantunsourirehypocriteàsouhait.–Justement,oui,jeteconnais…J’arrivechezmoiunmomentplustardetmedéshabillepourmelaissertombersurmonclic-clac.Je
netrouvepaslesommeiltoutdesuite,étantbientropsoustensionaprèslesévénementspassés.JepenseàVictoriaetmedisquedèsdemain, je la rayedemalistedeclientes.Puis levisaged’Émyvientmehanter. Pourquoi ? Pourquoi faut-il que ses grands yeux bleus, que sa bouche charnue, que sa poitrinegénéreusemouléedanslebustierdecetterobeviennents’imprimersousmespaupièrescommeça ?
Lasemaines’écouletranquillement,j’aireprismapetiteroutine.Lesrendez-vousavecmesclientes,lepressingpourrécupérerlescostumespropresetdéposerlessales,lescourses,leménage…Enfinriendebienpassionnant.
Samediarrive.Unebouled’angoisses’installedansmagorge.J’aiunmauvaispressentiment,cettesoiréem’inquiète.Gregm’amenti,j’ensuissûr.Jeleconnaisdepuislongtempsetilpuaitlemensongeàpleinnez.Jenesaispascequ’ilmeréservepourcesoir,maisriendebon,j’ensuiscertain !
Enfind’après-midi, jemedétendsunmomentsous ladouche,puis jemeprépare. J’enfileun jeannoir, un tee-shirt gris et je récupère quelques billets dans mes économies. Je descends chercher mavoituresurleparkingaucoindelarueetparsendirectionduSaintJamescafé.
J’arriveàvingtheurespétantesetpénètredanscelieuquejeconnaisdéjà.J’ysuisvenuàplusieursreprisesparcequel’ambianceestsympa.Lelongbarenboisbrutéclairépardepetitsspotsencastrés,levieuxplancheretladécofaçonpubirlandais,j’aimebeaucoup.Sanscompterqu’ilspassentdelabonnemusique.
Ilyadumonde, jemetsquelquessecondesà repérerGreg. Ilestassisàune tableavecunepetitebrune. Ilneperdpasde temps,celui-là ! Jem’approcheendétaillant lademoiselleet,mafoi,elleestplutôt canon, les cheveuxnoirs et courts,unvisagebiendessiné,un regardmalicieuxetuncorpsà sedamner.Qu’est-cequ’ellefabriqueaveccetidiot ?Enl’observantdeplusprès,jemerendscomptequesonvisagemeditquelquechose,maisjen’ensuispassûr.
–Salut,monpote !s’exclamel’idiotenquestion,enmevoyantapprocher.–Salut,lancé-jeensaluantlabellebrune.Jecroyaisqu’onavaitrendez-vousavecunmarijaloux ?–Yaunp’titchangementdeprogramme,bafouilleGregenfuyantmonregardmeurtrier.–Cechangementconsisteenquoi ?Jedoisvoustenirlachandelle ?–Non, pas du tout !me répond la jolie bouche de la brune. Je neme suis pas présentée, je suis
Vanessa,lance-t-elle,enmefaisantunsouriredespluscharmeurs.Jemeraidissurmonsiègeetmamâchoiresecrispequandjeluidemande:–LaVanessaquim’afaitvivreunenferpasune,maisdeuxfois ?Cellequim’afoutulapirepestede
laplanètedanslespattes ?Ehbien,jevoussouhaiteunebonnesoiréeàtouslesdeux !ironisé-jeenmelevantpourpartir.
–Attendez,s’ilvousplaît…mesupplie-t-elle.Intrigué,jereprendsmaplaceetsoudemonregardausien,avantdedired’unevoixglaciale:–Vousavezdeuxminutes.–Tum’aspromis,Steph,tumedoisunservice !s’écriel’autreabruti.– Ferme ta gueule, Greg ! dis-je sansmême le regarder, mes yeux toujours plongés dans ceux de
Vanessa.–Bon,sionparlaitentreadultes, lesenfants ?commence-t-elleenredressant lesépaules,avantde
boireunegorgéedebière.Jenelaconnaispasdepuiscinqminutesqu’ellem’agacedéjà.Elleadûfairelamêmeécoledela
conneriequesacopine !–Jevousécoute,grogné-je,avantdecommanderunwhiskyauserveur.–Pourcommencer,tutoyons-nous,ceseraplussimple.–OK,jet’écoute !Jem’impatienteenlavoyantminauderavecsonp’titairfaussementintelligentsurlafigure.–Voilà.Ilsetrouvequemonamievasemarieravecungrosenfoiré,etjerefusequeçaarrive !–Etenquoiest-cequeçameconcerne ?questionné-je,sentantmonterlacolère.–Jesuissûrequetupeuxladévierdelalignedebonneconduitequ’elles’estfixée.–Non,mais,jerêve,là !Etc’esttoiquinoustraitesd’enfants ?Dequeldroittutemêlesdesaviede
cette façon ?Attends…Faiscommesi jene t’avaispasposécesquestionsetcommesinousn’avionsjamais eu cette conversation ! Si ton amie, c’est Émy, oublie-moi tout de suite ! Je ne veux plus enentendreparleretjeneveuxplusvoirsatronchedemavie !
Jem’emporteavantdeboiremonverreculsec.–Saufqu’enfait,tunevaspastropavoirlechoix.Ellearrivedanspeudetemps…Écoute,jedouble
lamise.Situparviensàlamettredanstonlit,jetedonnevingtmilleeuros.–Vingtmilleeurospourbriserlaviedetacopine ?Ettudisêtresonamie ?–Pensecequetuveux !Tunesaisriendesavieettuneconnaispasl’hommequ’elledoitépouser !
Alors,partantpourvingtmille ?– Ça ne m’intéresse pas ! Je n’ai pas de temps à perdre avec ces conneries ! grommelé-je en
commandantunautreverre.–Tutedégonflesparcequetuaspeurdenepasyarriver !meprovoque-t-elle.Trouillard !Quellesalope,cettefemme !Jepensequ’elleestpirequesacopine !–Ma pauvre fille ! J’emballe qui je veux, quand je veux ! Tiens, même toi je t’emballe en deux
minutes,maist’espasmonstyle…Tropgrandegueule !larembarré-je.–QuandÉmyditquet’esungroscon,elletapevraimentdanslemille !Ellenepouvaitpastrouver
plusreprésentatifpourtedécrire !–C’estlamanipulatrice,lamenteusequiveutbousillerlemariagedesacopinequiparle ? lancé-je
ensouriantdevantsonairfaussementblessé.–OK,beaugosse.Situacceptes,jerajouteraiunpetitbonusdansl’enveloppe.–Enfin,nousparlonslemêmelangage…Bon,j’accepte,réponds-jeenmedemandantintérieurement
pourquoijemelancedanscetteaventure.–Escroc !s’écrie-t-elle.–Salope !Jemeretiensd’éclaterderire.Enfait,jesaispourquoij’accepte.J’aiperdumaplusgrosseclienteet
cetargentvabienm’arranger.–Ellevabientôtarriver,alorsjetedemanderaiunedernièrechose:neluiparlepasdenotrepetit
arrangement,murmure-t-elle.–OK.Mais change de table,Vanessa, sinon ça nemarchera pas ! ordonné-je en sentantmonter la
pression.Jedoisyarriver,c’estunequestiond’honneur !Aucunefemmenem’a jamais repoussé,etcen’est
pasmaintenantqueçavacommencer !Jeregardelapetitebruneseleverets’asseoiràlatablevoisine.Unrirem’échappeavantquejenem’adresseàellesuruntonironique:
–Trèssubtile !C’estvraiqu’ellenetrouveraabsolumentpasbizarrequel’onsoitassiscôteàcôte…–Onn’estpascôteàcôte.Etpuisdetoutefaçon,touteslestablessontprises !Jenevousconnais
pas,vousnemeconnaissezpas,basta !lance-t-elleenchangeantdeplacepourmetournerledos.MaiscommeÉmysaitquejeconnaistonvisage,jevaisfairecommesijenet’avaispasvu !
–Ah…Etcommentconnais-tumonvisage ?demandé-jeintrigué.–Augaladecharité.Elle…ellevoulaitmefairevoirlegrosconquilaharcelait,finit-elleunsourire
danslavoix.–OK,super !C’estrassurant,toutça…Jesuisfigésurmachaiseetn’osepasmeretourner.Jesensquejevaisencoreenprendrepleinla
gueule,cesoir.Maispourvingtmilleeuros,jesuisprêtàencaissertouteslesvacheriesquisortirontdelajoliepetitebouched’Émy !Etjedoisavouerque,d’uncertaincôté,çam’exciteaupossible.
Dixminutesplustard,jelavoiss’installerfaceàsacopine,doncfaceàmoi.Jeperdsunpeudemonassurance.Ellenem’apasencorevu,j’enprofitepourl’observerdiscrètement.Elleestsexyendiablecesoir,avecsapetitejupeencuirsousuneblouseblanchesansmanches.Ellecroiseseslonguesjambesetjeremarquequ’elleportedessandalesàhautstalons.Jel’avoue,çam’excite.Jenesaispaspourquoi,maislesfemmesquiportentdestalonsm’onttoujoursfaitdel’effet.Jeremontemesyeuxsursonvisageet reste paralysé par le sourire qui illumine ses traits. Je ne l’avais jamais vu, ce sourire-là…Bienévidemmentquenon.Àmoi,ellemeréservesapiregrimacediabolique,sonpireregarddetueuseàgageetsesmimiquesdesorcière !Unpetitrirem’échappe,cequiattirel’attentiond’Émysurmoi.Sesyeuxs’agrandissentcommedessoucoupes,tandisquesonsijolisouriresedéforme.Voilà,c’estbiencequejedisais.Moijen’aidroitqu’àça…
–Bonnechance,monpote,marmonneGregàmescôtésenvoyantlatêtedelablondefuribondeprêteàmesauteràlagorge.
Chapitre2
Émy*
Je traverse leSaintJames,pleinàcraquerencesamedisoir,etm’assiedsenfacedeVanessa.Lajournéeaétélongueetjesuisvraimentheureusedevoirunvisageamical !J’airencontréunenouvellecliente aujourd’hui, et lemoins que l’on puisse dire, c’est quemademoiselleRochecault est du genreexigeant…J’aipratiquementpassé l’après-midiànoter lespoints« incontournables»de lagrandioseréceptionqu’elledésireorganiser,j’aiunelistegrandecommelebrasderequêtestoutesplusaberranteslesunesquelesautres.Jesuispresquesûrequelamoitiéd’entreellesnousmettraitlaMairiedePariset/oulaProtectiondesanimauxet/oudesdroitsdel’hommesurledos…Bref,j’aidésespérémentbesoind’unAppleMojitobiencorséetdemameilleureamie.Nousallonspasserlasoiréeàpapoter,çavanousfairedubienàtouteslesdeux.Jeluisouris,heureusedelavoir,maisalorsquejem’apprêteàentamerlaconversation,unbreféclatderirelancéparquelqu’unsetrouvantsurmadroitem’interpelleetjetournelatête.Quandjevoisquiestassislà,àlatabled’àcôté,monsourireenjouémeurtsurmeslèvresetmesyeuxs’ouvrenttoutrondsouslecoupdelastupeur.
RHÂÂÂÂÂÂ !Non,mais,jerêve !JERÊVE !Pincez-moi,mordez-moi,allez-yàcoupsdemarteauouàlatronçonneusemême,maisparpitiéréveillez-moi !
Jeprendsuneprofondeinspirationpourjugulermonexaspération,maisrienquedevoirlevisagedeceplay-boydepacotillefaitmonterenmoidesenviesdemeurtresbiensanglants.
–OK !Là,c’estbon,j’appellelesflics !Vousallezarrêterdemesuivrepartout,maintenant !C’estcarrémentflippantd’êtreobsédéàcepoint !
–Hey,ducalme, lagreluche !J’étais làavantvous,donc, techniquement, jene risquepasdevousavoirsuivie !C’estplutôtmoiquidevraisappelerlesflics !
–Vousêtes…vousêtes…Jesuistellementexcédée,tellementstupéfaiteparcettesituationubuesquequejenetrouvemêmeplus
mesmots.Bonsang,jevaisfaireuneattaque !Puis,soudainement,jemetourneversVanessa.–Ettun’auraispaspumeprévenirqu’ilétaitlà,toi ?–Désolée,jenel’avaispasreconnu !plaide-t-elleenmeregardantavecdegrandsyeuxinnocents.Ilyaquelquechosedanssonregardquimefaitfroncerlessourcils.Aurait-ellequelquechoseàvoir
avectoutça ?Lacoïncidenceestbientropgrossepourenêtrevraimentune.Tomberdeuxfoisenquinzejourssurlemêmetypeinfect,passeencore.Maistrois ?
Je scrute le visage de mon amie, à la recherche d’un quelconque indice de culpabilité, maisabandonne rapidement.Vanessa n’a certainement rien à voir là-dedans.Quel intérêt aurait-elle à faireça ?Ellesaitàquelpointils’estmontréodieuxenversmoietàquelpointjeledéteste.Jamaisellenemeferait un truc pareil. Je soupire et décide de reporter mon animosité sur la personne qui la méritevraiment.Cen’estpasaprèsellequej’enai.C’estaprèsl’autre,là,avecsontee-shirtgrismoulantetsesbrastoutpleinsdemuscles…
Letypeavecquiilest,unautrepseudobeaugossequinesemblepasparticulièrementfin,semetàricanerenvoyantlaminefuribondequej’adresseàsoncopain.Jeluijetteunregardassassinquilefaitstoppernet.J’attendspourlelâcherdesyeuxqu’ilaitbaissélatêteetprisunairpenaud.
Voilà.C’estmieuxcommeça.
–Bon.Trèsbien,dis-jeavecraideur.J’aienvie,besoin,depasserunebonnesoiréeavecmacopine.AlorsKenetKen,vousêtesgentils,vousdéplacezvosculsenplastiquejusqu’àunautrebar !Merci,aurevoir…etàjamais !
–Etaunomdequoi ?medemandecetabruti.Sit’espascontente,t’asqu’àpartirtoi-même !Ah,parcequ’enplus,ilsemetàmetutoyer ?Maisallons-ygaiement !C’estlafête,là !– Déjà, on n’a pas gardé les cochons ensemble, mon p’tit bonhomme ! Donc je t’interdis de me
tutoyer ! Ensuite, non, je n’ai aucune envie de traîner des heures dehors pour trouver une table libreailleurs !
–Bien !Onestdeux,TUvois !Purée,maisausecours !N’ya-t-ilaucunelimiteàl’imbécillitédecemec ?–Sinon,commenceVanessad’unevoixprudente, tout lemondereste là,onfaitcommesionnese
connaissaitpasetonpasseunebonnesoirée,chacundenotrecôté.C’estbien,ça,non ?J’inspire,prêteàluidémontrerpourquoicetteidéen’estpasréalisable,maisl’autreestplusrapide
quemoisurcecoup-là.–Elleestincapabledesetenir,cettemégère !Çanemarcherajamais !Pirequ’unputainderoquet !Jesuisàdeuxdoigts,vraiment,etmêmeàunquartd’auriculaire,deluihurlerdessuspourluidirece
quejepensedufaitqu’ilosemetraiterderoquet.Mais,toutàcoup,jemerendscomptequeceseraitluidonner raison et je refuse catégoriquement de lui faire ce plaisir. Pourme forcer à garder la boucheferméeetmedonnerletempsdefaireredescendrelapression,jememordsl’intérieurdelalèvre,sifortqu’unegouttedesangserépandsurmalangue.
–Jetrouvequec’estunebonneidée,dis-jed’untonunpeurêche,maisparfaitementmesuré.–Ah,ouais ?Genre…–Maistoutàfait.Touslesdeux,là,vousfaitesvotresoiréedevotrecôté,etVanessaetmoionfaitla
mêmechosedunôtre,comme…commelesadultesmaturesetcivilisésquenoussommes…Letypesecalecontreledossierdesachaiseetmedévisageuninstant,medonnantl’impressionqu’il
soupèsemaproposition.Puisunlégersourireétireseslèvres,jecommenceàmedemandersilasituationnel’amusepasunpeu…
–Stephen ?s’enquiertsoncopain,enlevantlessourcils.Alors c’est ça, le nom du mec le plus haïssable de la Terre ? Je me rends compte que je ne le
connaissaismêmepas,nonpasquecelareprésenteunquelconqueintérêt,cecidit.Stephen.–Moiçameva,commenteVanessaenglissantunregardverslesdeuxgarçons.–Bon,alorsonfaitcommeça,tranché-je.Puis jeme tourne versmon amie,même si je n’ai aucune idée de ce que je vais bien pouvoir lui
raconteraprèstoutça,surtoutensachantquelesoreillesdel’autrecontraînentjusteàcôté…Maisj’ail’impressiond’avoirremportéunepetitevictoire,cequimerendplutôtfière.
Alors,grossecrottedenez ?C’estquilaplusmatureici,hein ?Ah,ah !Unedemi-heures’écoule,durantlaquellejeparvienspresqueàfaireabstractiondesdeuxnulsassisà
côté.Presque,carjen’arrivepasàignorertotalementleurconversationaffligeante.Sij’étaisparano,jepourraiscroirequ’ilsparlentplusfortquenécessairejustepourqu’onlesentende.Jeneloupepasunmotdeleurdiscussionpourrie.Maismêmesic’étaitlecas,jenediraisrien,carjeperdraisnotrepartiede«jesuisplusadulteetintelligentquetoi»etça,c’esttoutsimplementhorsdequestion,mêmesil’envied’intervenirmedémangefurieusement…
«EtVictoriapar-ci,etVictoriapar-là»…«Onaétéfaireci,onaétéfairemi»…«Onparttouslesdeuxàl’Île-Mauriceenseptembre»…«Etgnagnagnietgnagnagna»…
Si,biensûrquej’écouteVanessa !Maisc’estl’autre,quin’arrêtepasdeparlertropfortdesavieilletatiepréhistorique !
–Etlà,tuvois,ellem’aditqu’enfaitellenel’aimaitpas !s’exclameVanessaenfacedemoi.J’aicarrémenthalluciné !
–Dimanchedernier,avecVictoria,onapassélajournéeaulit,monpote,raconteStephenàl’autretable.Elleestinfatigable,c’estdingue !
–Émy,tum’écoutes ?–Onafaitdescestrucs !Jetejure,jen’aijamaisconnuunefemmecommeelle…–Émy ?–Etcettepipe,putain…Mé-mo-rable !Lemiel,mec,çavautvraimentlecoupd’essayer.OK.Là,c’estbon,j’aieumadose.Sij’entendsencoreuneseulefoislenomdeVictoriafranchirses
lèvres,jeluibalancemachaisedanslesgencives !Onverras’ilatoujoursunesibellegueule,cecon,avecseulementdeuxdents !
–Émy,çava ?mequestionneVanessa.T’estoutecrispée,ondirait…Non,çanevapas.J’aienviedecasserdelamémébotoxée.–Oui.Super.J’aijusteenvie…d’allerdanser.Jerepoussemachaiseunpeubrusquementetmelève.–Tuviens ?–Euh,non.Jevaisfinirmonverreavant.Maisvas-y,j’arrivedanspaslongtemps…–OK.Ouf,enfin !Libéréedesélucubrationsdel’autreobsédé !Jerejoinslapistededanse,avecl’enviedemedéfouler.J’aivraimentbesoindemecalmerlesnerfs,
etjeneconnaispasdemeilleurmoyenpourçaquedesebougerlesfessessurdelabonnemusique !Aprèsquelquesminutes,Vanessafaitsonapparitionetsemetàdanserenrythmeàcôtédemoi.JesuisbeaucoupplusdétendueetrisquandellemimelachorégraphiedePulpFiction.SurPharrell
Williams,jevousassurequeçavautlecoupd’œil…–Pfiouuu,jesuisfatiguée !crie-t-elleàmonoreilleaprèsdeuxmalheureuseschansons.–Déjà ?–Oui,jeretournem’asseoir !Maisrestelà,situveux !Etcomment !Horsdequestionderevenirànotretableetd’entendrel’autrecontinuerànousfairele
récitdétaillédesesfouillesarchéologiques.Jesuisbienmieuxici !Oh,enplusleDJjoueAnimals,deMaroon5 !J’adorecettechanson !
–OK !Jeterejoinsplustard !Elle me lance un grand sourire et quitte la piste. Je ferme les yeux et me laisse emporter par la
musique.Queçafaitdubien !Çafaisaittroplongtempsquejen’avaispasdansé.Nicolasahorreurdesbarsetdesboîtes,jen’aidoncplussouventl’occasiond’yaller…
Aïe !Quelqu’unvientdemerentrerdedans !Jefaisdemi-toursurmoi-mêmeet…tombenezànezavecStephen.–C’estuneblague ?crié-je,horripiléeau-delàdupossible.Tuvasmefairecroirequeçaaussi,c’est
unecoïncidence ?–Cen’estpasdemafautesitudansescommeunpied !–N’importequoi !C’esttoiquinesaismêmepasbouger,pauvrecon !Ilmelanceunregarddedéfi.–Ah,ouais ?C’estcequ’onvavoir !Viensparlà,pétasse…Il m’attrape par la taille et me ramène contre lui, le tout sans quitter mes yeux. Je lâche une
exclamation stupéfaite, sorte de protestation qu’il ne prend pas en considération. Jeme retrouve doncplusoumoinsdanslesbrasdutypequejedétesteleplusaumonde,siprochedeluiquelachaleurdesapeauserépandsurlamienne.Ilestgrand,maisjeportedestalons,monvisagearrivejustedanslecreuxdesoncou.
Merde,jeviensdepenserqu’ilsentbon.Uneautrechansondébute,etjemedisquetoutcecinepeutqu’êtreunemachinationorchestréeparle
Diable lui-même. Il s’agit deCrazy in love, de Beyonce, dans sa version la plus sensuelle…MaisStephen,mêmesijelesenstendu,nesedémontepas,alorsmoinonplus.Ilcommenceàbougercontremoi,doucement,jesuisdonclemouvementpournepasêtreenreste.Tantquejeseraienvie,jamais,jeneluilaisseraiavoirlederniermot.Vousentendez ?Jamais !
Sesgestessont lentset, jesuisbienobligéede lereconnaître,enparfaiteharmonieavec lerythmehaletantdelachansonde50nuancesdeGrey.Lorsquejeposeunemainsursanuque,dansleseulbutdelui prouver qu’il a tort et que je danse très bien, évidemment, les battements de mon cœur doublentd’intensité. Je ne comprends pas cette réaction demon corps, j’ai l’impression dérangeante qu’il metrahit.Stephen,lui,laisseglissersesdoigtsunpeuplusbas,justeau-dessusdemesfesses,àlalimitedecequiestacceptable.Jedevraisarrêtertoutça.Maintenant.Jedétestecemec !Mais…jenelefaispas.MonAppleMojitodoitm’êtremontéàlatête,sinoncommentexpliquerlefaitquejenelerepoussepas ?Pire, que je n’ai aucune envie de le faire… À chaque seconde de plus passée dans ses bras, mesréticencess’essoufflent,pourfinirpardisparaîtrecomplètementetêtreremplacéesparquelquechosedebeaucoupplusfort,quelquechosequejenedevraispasressentir.
Soncorpsathlétiquemefrôleàchaquemouvement,seshanchesetlesmiennesbougentàl’unisson.Letempss’écouleaveclenteur,j’ailesentimentdem’éloignerduSaintJames.Jen’aiplusconsciencedubruit,delalumière,desgens…Toutdisparaîtautourdenous.D’unelégèrepressiondanslecreuxdemesreins,ilmerapprocheencoreetjefermelesyeux,prisemalgrémoiparlavaguedechaleurquiirradiedepuisl’endroitexactoùilaposésamain.Uncentimètreplusprèsetnousserionstotalementcollésl’unàl’autre.
Stephen respire tropvite, sonsouffle irréguliercaressemescheveuxàchaquenouvelleexpiration.Maistoutçan’estqu’unjeupourlui,jelesais.Unjeudestinéàdéterminerquiestleplusfortdenousdeux.Seulementàcet instant, jen’arrivepasàgarderçaenconsidération.Mapoitrine, lorsqu’elle sesoulève,vientseposercontresontorse,jememordslalèvresousl’intensitédelasensationquecelameprocure.Jenesaisplusoùjesuis,j’ailatêtequitourneetlecorpsenébullition.Jen’avaispasressentiçadepuistellementlongtemps…Sansréfléchir,emportéeparmonémoi,jevaischerchersamainlibreetentremêle mes doigts aux siens pour les caresser doucement. Il répond à mon geste par un soupirinvolontaireetunfrissonleparcourt.J’aimecetteréactiondesoncorps.Jenesaispaspourquoi,maisj’adoreça.
Mes paupières sont toujours closes,mais de toute façon lemonde s’est effacé. Il ne reste que lamusique,etlui.Stephen.Jen’aiplusconsciencequedesonextrêmeproximité,desonbrasautourdemoi,desmouvementspresque indécentsqu’il imprimeavecseshanches. J’aienviede lesentirencoreplusprès.Jenepenseplusqu’àça,sonodeur,lachaleurdesapeau,samainsurlehautdemesfesses,sonsoufflecourtsurmescheveux…J’entremble,j’aichaud.Tellement,tellementchaud…Jen’enpeuxplus.C’estmoiquiréduislepeud’espacequinoussépareetviensmeplaquercontrelui.Cequejesenscontremonventremeprocureunesortededéchargeélectriquedélicieuseentrelesjambes.Ilbandeàmort.
Alorsquejeledevrais,jenefuispascecontactintimequiaffoletousmessens.LamaindeStephensecrispesurmesreins,enmêmetempsqu’unnouveausoupirluiéchappe.Lasecondequisuit,sesdoigtsdescendent et franchissent cette fois les limites de la décence. Puis ses lèvres se pressent contrematempe,façonimplicitedemedemanderquelquechose.Jerelèvelatêtepourluidonnercequ’ilaréclamé:mabouche.Parcequej’enaimaladivementenviemoiaussi,jusqu’àavoir l’impressiondesentirmesveinesprendrefeu.
Alors, ilm’embrasse.D’abord doucement,mais sa tempérance ne dure pas. J’accueille sa languedansmaboucheetluioffrelamienne,enoubliantcomplètementquenousnesommespasseuls,maisaubeaumilieud’unbarbondé.Toujourstoutcontresoncorpspuissant,jepartageavecluilebaiserleplus
ardentetlangoureuxquisoit,unbaiserquim’enflammeetmedonnel’impressionden’avoirjamaisétéembrasséeavantça.
Chapitre3
Stephen*
Mes doigts remontent sur ses hanches et s’enfoncent dans sa chair pour la rapprocher le plusétroitementpossibledemoncorps.Jesaisqu’ellesentl’effetqu’elleasurmoi.Commentnepassentirlamonumentaleérectionquidéformemonpantalon ?Çanem’estpasarrivédepuissilongtempsdedésirerunefemmeàcepoint,quec’enestpresquedouloureux.Noslanguessefrôlent,sedécouvrent,puisnosbouches sedévorent, commesinosviesendépendaient.Cetteattraction irrationnellequinousunit esteffrayante. Son délicieux parfum emplit mes poumons et me donne le vertige. J’ouvre les yeux pouressayerdereprendrelecontrôledemoncorps,maisrienn’yfait…Jelaserreencoreplusfort,remontantune main dans ses cheveux pour les tirer légèrement en arrière. J’abandonne sa bouche pour, de malangue, tracer un sillon humide le long de samâchoire.Un gémissement s’échappe de ses lèvres. Sesdoigtstremblantsdescendentsurmontorse.MonDieu,faitesqu’elles’arrête,sinonjenerépondsplusderien !
Toutàcoup,ellemerepoussesansménagement.–T’esvraimentqu’unpauvrecon !mecrie-t-elle,horsd’elle.Jerestesansvoix,lesbrasballants,laboucheentrouverte.Jelafixeenmedemandantpourquoima
prièreasiviteétéexaucée.J’aisuppliéDieudemevenirenaideunmillierdefois, ilnem’a jamaisentendu…Et là, boum, toutd’un coup j’existe et onm’arrachedesbras cettepetite chosequi ébranletoutesmesbarrières enun regard, quime fait bander commeun taureau, alors que je nedésirais plusaucunefemmedepuisbienlongtemps.
–Pourquoituprofitesdemoidecettefaçon ?Toutçaparce…parcequej’aitropbu !lance-t-elleenmejetantunregardfurieux,commesijevenaisd’essayerd’abuserd’elle.
–T’asmêmepasbulamoitiédetoncocktail !medéfends-je,excédé.– Oui, ben… je ne supporte pas l’alcool ! Et… tu profites de la situation ! s’exclame-t-elle, en
croisantlesbrassurlapoitrine.–Tum’asalluméetpresqueviolésurlapistededanse,etc’estmoilecoupable ?T’esfolleouquoi ?
Iln’yapas la lumièreà tous lesétages,dans tapetite tête ! rétorqué-je, agacéetblesséenprenant ladirectiondelatable.
Ellemesuitetramasseprécipitammentsesaffaires,endemandantàVanessadepartiravecelle.Enpassantdevantmoi,ellemebalanceun«connard»avecsonp’titairpincé,puissedirigeverslasortie.Jeresteleculsurmonsiège,incapablederépondre.Encolèreaprèscettetarée,maisaussicontremoi.Pourquoisuis-jesifaiblefaceàelle ?Ilesthorsdequestionqueçasereproduise.Qu’ellemerepousseencorecommeunemerde !Jelamettraidansmonlit,d’unemanièreoud’uneautre,etsijedoislaportersurmonépauleoulatirerparlescheveuxpouryparveniretben…jeleferaisanshésitation !
–Ehben,cen’estpasgagné !Elleestcoriace,lap’tite !ricaneGregàmescôtés.–Ouais,maisçanevapasdurer !Tumedonnerassonadresse,numérodetéléphone,lieudetravail.
Jevaism’atteleràlatâchedèsdemainetvoircequ’ellenouscache.Jeveuxconnaîtresespointsfaibles,pourmieuxsavoirsousquelanglel’attaquer.Etjepeuxtefaireunepromesse:avantlafindumois,ellesera dans mon lit à couiner comme une lapine ! affirmé-je avant de me lever pour régler la note aucomptoiretpartir.
Pendantletrajetendirectiondemonappartement,jerepasselascèneenboucledansmatêteetjenecomprendsvraimentpascequiadéraillé.Qu’est-cequej’aifait ?Elleétaitàmamerciettoutd’uncoup,elle m’a repoussé sans raison. Ai-je été trop vite ?Mais bon sang, c’est elle qui m’a presque sautédessus !Elleenavaitautantenviequemoi,j’ensuissûr !Jeconnaistroplesfemmespourm’êtreimaginéqu’ellemedésirait.
J’arrivedevant chezmoi et trouveuneplaceprèsde l’entréedemon immeuble, cequi je l’avouem’arrangebien.Jeneveuxpasperdreuneminute,jesuiscrevé !Jen’aipasletempsdeverrouillermavoiturequ’unelonguelimousinenoires’arrêteàmahauteur.Unjuronm’échappe,jesaistrèsbienquisetrouvedanscettevoituredeluxe.
Je regarde lechauffeurdescendreetouvrir laportièrearrière.Victoriaapparaît,Princesse sous lebras,etmedévisageavecunairdereproche.
–Quefaites-vousàcetteheureavancéedevantchezmoi,Victoria ?demandé-je,àboutdenerfs.–Jevienstevoir,quellequestionstupide !rétorque-t-elleens’approchantdemoi.–Jepensaisavoirétéclair,ladernièrefois.Ilvautmieuxneplusnousvoir.–Ça,c’estimpossibleettulesaisbien !Tuétaisavecelle…Jet’aivu !–Nemeditespasquevousm’avezsuivi ?Là,çadevientdelaviolationdevieprivée,Victoria !Jemepasseunemainnerveusedans lescheveux,avantdeplantermonregardglacialdans lesien.
Qu’est-cequiluiprenddefaireunefixationsurmoiàcepoint ?– Oui, je t’ai suivi, tu nem’as pas laissé le choix ! C’est cette fille qui te fait perdre la raison,
Stephen,c’estelle !Tuesaveugléetneterendsmêmepascomptequ’ellesemoquedetoi !Maismoi,jesuislà,etjesuisprêteàtoutt’offrirpourquetul’oublies…
–Cen’estqu’unecliente,jemefouscomplètementdecettefemme !Vousvoustrompez,Victoria.Iln’yarienentreelleetmoi,ellen’aaucuneimportanceàmesyeux !
–Alors,prouve-le-moietrecommençonsnospetitsrendez-vous.Jet’attendssamediprochain,commed’habitude.
–Non,jepensequ’ilvautmieuxenresterlà !Jefaisvolte-faceetmedirigeverslaported’entrée,maisellemestoppeenattrapantmonbras.Jeme
retournepourluijeterunregardd’avertissementetluifairecomprendrequ’elleaintérêtàarrêtertoutdesuitesacomédie,maisellemecoupedansmonélanenmesuppliant:
–S’ilteplaît,jetepayerailedoubleetferaitoutcequetuveux !Ah,là,j’avouequ’ellem’intéresse…Onpeutpenserquejesuislepiredessalauds,mais,entrenous,
a-t-elleplusdefierté,derespectoudequoiquecesoitd’autrequemoi ?Non,elleestpire.Alorsjen’aiaucunscrupuleàluirépondre:
–Mêmeendroit,mêmeheure,samediprochain.Etjetournelestalonsenignorantlesouriredesatisfactionquiétiresagrossebouche.Jemecouche
aprèsunebonnedouchefroidepourfairebaisserlatempératuredemoncorps,carÉmym’amenélaviedure,cesoir !Enparlantdedur,monsexesedresserienqu’enrepensantàcecourtinstantoùelles’estdonnéeàmoisansretenuesurlapistededanse.Monérectionesttellequ’elleenestdouloureuse,maistoutaussiappréciable.Jemecaressepoursoulagercetextrêmeengourdissementquiremontelelongdemacolonne.J’accélèrelemouvementdemesdoigts.Meshanchess’agitentavantdesecalmer,puisderecommencer.Quandj’atteinslepointdenon-retouretqu’unviolentorgasmemetraverse,jem’égareenrâlantmadélivrance.Àcemomentprécis,jen’aiqu’unvisageentête:celuid’Émy.Puisjem’endors,apaisé.
Jeme réveille en sursaut,mon portablem’annonce unmessage. Jeme redresse et l’attrape.C’estGreg, ilmedonnetoutes les infosdont j’aibesoinpoursuivreÉmy:sonadresse,celledesonboulot,même ses horaires de travail et son numéro de portable. Je ne sais pas pourquoi j’ai demandé sonnuméro,maisj’avaisenviedel’avoir.Jel’enregistredansmescontacts,souslep’titnomde«Greluche
»,çamefaitsourirebêtement.Jemelèveetpréparemoncafé.Aujourd’hui,ellecommenceàhuitheures,c’esttroptard,ilestdéjàneufheurestrente-cinq.Jevaislasuivreàpartirdecetaprèm.Ellereprendàquatorze heures, je serai devant son agence à cette heure précise et je ne vais plus la lâcher d’unesemelle ! Cette idée me ravit. De pouvoir l’observer sans qu’elle le sache, d’épier ses moindresmouvementsàsoninsumeréjouit !
Je me prépare tranquillement, et quand l’heure fatidique approche, je me mets en route pour sonagence.Aprèsunetrentainedeminutes,j’arrivedevantlebâtimentchicosquiaccueillecettesociétéquiorganiselesévénementsgrandiosesdetouscesbourgeois.Jemegareàdistance,pournepasmefaireremarquer, et éteins lemoteur. Je n’ai pas à patienter très longtemps avant de voirma petite sorcièrepointer le bout de son nez, au volant de saMini noire. Elle est sublime, dans son tailleur beige, lescheveuxrelevésenchignon.Trèsprofessionnelle,maistrèssexy.Moncœurs’emballeunpeutropdansmapoitrineàcetteapparition.C’estsûrementlachaleurquimedonnedespalpitations !Certainementpascettediablesse !Ilnemanqueraitplusqueça,qu’ilmetrahissepourunehistoirequin’enestmêmepasune…C’estmaqueue,quilaréclame,pasmoncœur.J’aijusteenviedelamettredansmonlit…
Ellepénètredanslebâtimentetenressortquatrelonguesheuresplustard.JesuisàboutdepatiencequandellereprendsaMinietrouleendirectiondelabanlieue.Cen’estpasvraimentdumêmecôtéquesonappartement…Jemedemandebiencequ’ellevientfoutredanscecoin.Jelasuisàdistanceetjesuistrès surpris de lavoir segarer devantunemaisonnette toute simple, dansun lotissementplutôt calme.Peut-êtrevient-ellevisiterquelqu’undesafamille ?Uneheuretrenteplustard,elleressortetreprendlaroute,puiscettefoisrentretranquillementchezelle.
Lesoirvenu,enfaisantlebilandelajournée,jemerendscomptequejen’ensaispasdavantagesurelle.Ilvafalloirquejecreuseunpeuplus.
Dèslelendemainmatin,jemeretrouveàhuitheurespétantesdevantchezelle.Jelasuisjusqu’àsontravail et à midi, je la vois traverser l’avenue à pied en direction de la rue marchande. Je sorsprécipitammentdemonvéhiculepour laprendreenchasse.Elleentredansunrestaurantplutôtchicets’installe, toute seule,àune tableaucentrede la salle. Jedécidedeprendre le risquedem’asseoiràproximitéd’elle.Deuxgrossesplantesvertesnousséparentetellemetourneledos,maisjedistinguesesfinesépaulesàtraverslefeuillage.Mesdoigtsmedémangent.Qu’est-cequejenedonneraispaspourlesposersurlapeausensibledesanuquesigracieuse…Monfantasmeestviteinterrompuparl’arrivéed’unhomme en costume trois-pièces. C’est quoi ce rigolo, avec ses cheveux gominés ? Il l’embrasserapidementsurlabouche,commes’ilrisquaitdesebrûlerleslèvres.Mapoitrineseserreàcettevision.Jesupposequec’est son futurmari.Qu’est-cequ’elle lui trouve ? Je suis choqué,moiqui l’imaginaisavecunbelhomme,jeladécouvreavecunblocdeglace.Jecommanderapidementunesaladeaunomcompliquéàlaserveuseettendsl’oreillepourécouterleurconversation,lesyeuxfixéssurlevisagedecemecquim’agacedéjàprofondément.
– Souris, Émelyne, dit l’homme d’un ton autoritaire. Tu pourrais aumoins avoir la décence de tecomportercommeilfautenmaprésence.
–Jesuisvenue,répond-elled’untoncalme,maisunpeulas.Commetumel’asdemandé.–Etc’estunminimum.Tutedoisd’êtredisponiblepourmoi,tuesmafiancée.–Oui,c’estjustequej’avaispromisàVanessademangeravecelle…Jen’aimepaslaplantercomme
ça,àladernièreminute.–Maiscen’estpasVanessaquetuvasépouser,répond-ild’untonfroidetsec.Niellequivapayerle
loyerdetamèredurantlesvingtprochainesannées…Émyneditrien,maisjesensuneprofondemélancoliedanslafaçondontellesetient.–Tut’esoccupéedumenu,pourlemariage ?s’enquiert-il,sansregarderautrechosequesacarte.–Oui,maisjevoulaisvoiravectoi.Est-cequetupréfèresle…–Commetuveux.Jem’assuraisjustequetuétaisdanslestemps,maislesdétailsm’importentpeu.
J’aidéjàtropdeproblèmesentête.–Trèsbien.Jem’enoccupe,alors.–Voilà.Illèvefinalementlesyeuxdesacarte,etsoupirelorsqu’ilregardeÉmy.–Pourl’amourdeDieu,Émelyne,souris !NoussommesdansundesmeilleursrestaurantsdeParis !
Tudevraisêtreravied’avoirlachanced’ydéjeuner,etencompagniedetonfuturmari,quiplusest !Jesupposequ’elleobéitàvoirl’airsatisfaitsurlevisagedutype.Puisilbaisselatêteetsemetà
pianotersurl’écrandesontéléphone.C’estplusquejenepeuxensupporter,uneenvieviolentedeluisauteràlagorges’emparedemoi.Commentpeut-illatraiterainsi ?Etelle,siagressiveetgrandegueule,commentpeut-elleserabaissercommeçadevantlui ?Jesuisstupéfaitparcettescèned’unautremondequisedéroulesousmesyeux.Jem’agitesurmachaise,ilfautquejeparteavantdefoutremonpoingdanslagueuledecemecexécrable !Jefaissigneàlaserveusedem’apporterl’addition,enrepensantàcesmotsqu’ilaprononcés:niellequivapayerleloyerdetamèredurantlesvingtprochainesannées…
Serait-il possible qu’elle l’épouse pour son argent ? Non…Elle n’a pas l’air d’être ce genre defemme. Quelque chosem’échappe… Elle est si pleine de vie, comment peut-elle se marier avec cethommefroidetodieux ?
Jejetteunœilsurl’additionquelaserveusevientdeposersurmatableetétouffeuncrienvoyantlemontant.Soixanteeurospourunesaladeagrémentéedetroispetitsmachinsquejen’aimêmepasréussiàidentifier ?C’est une blague ?Une caméra cachée ? Putain demerde, je n’en crois pasmes yeux ! Jebalancel’appointdanslacoupelleetmebarrerapidementdecerestaurantavantdetoutcasser.
Quandj’arriveàmavoiture,jetranspire,jetremble,jenesupportepasl’idéequecetimbécileposelamainsurÉmyoulatraitedecettefaçon.Cen’estpasnormal,qu’est-cequiclochechezmoi ?Jen’enairienàfoutredecettegreluche !Jem’écroulesurmonsiègeetlaissematêtepartirenarrièreenfermantlesyeux.Il fautquejemecalmeetquejereprennemesesprits.Cettefemmeauntelpouvoirsurmoncorps et surmes émotions, c’en est déstabilisant. Jemepasseunemain sur levisagepour essayerdechasserlesouvenirdelapetitevoixmélancoliqued’Émy,enmedisantquejelapréfèrelargementquandellem’insulteoumehurledessus !
Unmomentplustard,jelavoisréapparaître.Elletraversel’avenue,têtebaissée,ledosvoûtécommesitoutelamisèredumondepesaitsursesfrêlesépaules.Unebouleseformedansmagorge.
Ellenevapasbien,jeleremarquedanssonattitude,danssafaçondesetenir.Ellemontedirectementdanssavoitureaulieuderetournersursonlieudetravail.Jelaprendsenfilatureetmerendscomptequ’on va dans lamême direction que la veille. Elle se gare à nouveau devant cette petitemaison enbanlieue. Qu’est-ce qu’elle vient encore faire ici, en plein après-midi ? Vient-elle là pour se faireconsoler ?Est-ce…unhommequ’ellerejoint ?Jenevoismalheureusementpasd’autreexplication.
Ce n’est pas vrai ! Je suis complètement chamboulé pour elle, alors qu’elle trompe déjà son futurmari !Quelleironie !Cettesalopes’envoieenl’airdeuxmoisavantsonmariage !Derage,jedonneuncoupdepoingdanslevolant,démarrema207etparsrapidementavantdefaireuneconnerie.
Je suis le roi des cons !Qu’est-ce que jem’imaginais ?Qu’elle était différente des autres ? Pff…Toutes les mêmes ! Je ne la pensais pas comme les autres parce qu’elle repoussait mes avances, jem’étais aussi imaginé, au plus profond demoi-même, qu’il s’était passé quelque chose lors de notrebaiser.Même si je refuse de l’admettre, je suis irrémédiablement attiré par elle…Et en sentant cettedouleurtraversermapoitrine,jecommenceàavoirpeurquelesexen’ensoitpasl’uniqueraison.Jesuisaccroàcettenana,c’estlaseuleexplicationlogiqueàmoncomportement.Non,non,impossible.Jemefouscomplètementdecettegreluche,toutcequejeveuxc’estjustelabaiser !
J’arrivechezmoilecœurlourd,jesuisàdeuxdoigtsdemeretirerdeceplanfoireux.Jemeprépareun sandwich et me pose devant mon ordinateur pour regarder les petites annonces, comme à monhabitude,pouressayerdemechangerlesidées.Montéléphonesonne,jemedemandesiunjourj’auraiun
peuderépit !Jedécrocheengrognant:–Allô.–Salut,Stephen,c’estVanessa,commenceunevoixmielleuse.J’espèrequejenetedérangepas ?–Si,tumedéranges,justement !–Toujoursaussicharmant,àcequejevois !–Qu’est-cequetuveux,Vanessa ?questionné-je,sentantqu’ellemeprépareencoreunsalecoup.–Ehbien,t’inviteràmafêtedesamedisoir.Surpris,j’enlâchemonsandwich,quiéchouelamentablementsurleclavierdemonordinateur.–Pourquoicettesoudaine invitation ?demandé-jeenessayantde retirer lespetitesmiettesdepain
glisséesentrelestouches.–Jemedisaisqueçapourraitt’aiderunpeuavecÉmy,situestoujourspartantpourgagnerunebelle
sommed’argent,biensûr…Jeprendsdeux secondesde réflexion.Ai-jevraiment enviede continuer, au risquedeperdremon
âmeenroute ?Putain,oui,jemeursd’enviedelarevoir,mêmesijesuistoujoursencolère.Jeveuxallerjusqu’auboutetavoirlefinmotdecettehistoire !
–Ouais,OK.Àquelleheureetàquelleadresse ?Etaufait,commenttuvasjustifiermaprésence ?–Oh,jevaisfairesemblantdesortiravecGreg,c’estdéjàtoutorganiséaveclui.Etcommetuesson
ami,c’estnormalquetusoislàaussi !Facile !conclut-elle,trèsfièred’elle.–Jenesaispassilagrelucheapprécierademevoir.Maisçametentebiendelafaireragerunpeu…
rétorqué-jeenretrouvantlesourire.–Laquoi ?Situparlesd’ellecommeça,jenesuispassûrquetuarrivesàtesfins !–T’inquiètepaspourça.–Si,jem’inquiète,justement !Jusqu’àprésent,tun’aspaseubeaucoupdesuccèsdanstestentatives,
etlemariageapprocheàgrandspas.–Jen’aipaseubeaucoupdesuccès ?Quiavaitsalanguedanslabouchedelapeste,samedisoir ?–Etquis’estfaittraiterde«connard»,justeaprèsça ?–OK,jenesaismêmepaspourquoijeperdsmontempsàdiscuteravectoi !–Ça,c’estparcequetucraquessurmacopine !rétorque-t-elle,unbrindemalicedanslavoix.Je lâcheunsoupir,en tapantdupied.Pourquoi tout lemondemesort lamêmeconnerie ?Est-cesi
évident que ça, ma légère faiblesse pour Émy ? Il faut vraiment que je dissimule un peu mieux mesémotions !Siémotionilya,carpourmoicen’estqu’unesimpleattirance.Jeraccrochetroisminutesplustard,aprèsavoirnotétouteslesindications,etmesouviensavoirrendez-vousavecVictoriacesamedi…Ilfautquejelaprévienne,j’espèrequ’ellenevapasencorepéterunplomb !
Je compose son numéro. Quand elle décroche, j’attaque directement sans lui laisser le temps deparler:
–Victoria,bonsoir,excusez-moidevousdérangeràcetteheure,maisj’aiunproblème.Jenepourraipasvousrejoindresamedi,j’aiunimprévu.Doncilfaudraitrepousseràlasemaineprochaine.
–Stephen…Pourquoinesuis-jepassurprise ?Cepetit imprévua lescheveuxblonds, jesuppose !ironise-t-elle,lavoixchargéed’émotion.
–Peuimporte,jen’aipasdecomptesàvousrendre.Soitvousacceptezderepousserlerendez-vous,soitonenrestelà.
Letonmonte,jen’enpeuxplusdesescrisesdejalousie.Jenevaispasmefaireemmerderparcettevieillechouette !
–Ehbien,puisquetunemelaissespaslechoix !Onsevoitsamediprochain,rétorque-t-elle,avantdemeraccrocheraunez.
Voilàunebonnechosedefaite.Jemecoucheenayanthâted’êtreàsamedisoir.Jesourisenimaginant
latêtequevafairel’autreenmevoyant !Àmonavis,çavaudraledétour.Lasemainen’enfinitplus,jesuissiimpatientd’êtreauweek-endquequandlegrandjourarrive,je
suissurexcité. Jene tienspasenplaceet retourne toutemonarmoireà la recherchedemon jeanbleudélavéquej’adore.Jeprendsunebonnedouchepourdénouermesmusclestendusparl’excitationetlestressdelasoiréeàvenir.Puisjemeparfumeetmetsdugeldansmescheveux.Jenemerasepas,jesaisqu’elleaimeramabarbedetroisjours.J’enfilemonjeanetmonpolonoir.
Quandvingtetuneheurestrentes’affichentsurlapendule,jesuisprêtàpartir.Angoissé,maisprêt !Jerécupèrelafeuilleoùj’ainotélesindicationsetfilecherchermavoitureaucoindelarue.Surla
route,monpoulss’accélèreàchaquekilomètrefranchi.J’aichaud,j’aifroid,j’aimalauventre,jesuisnerveuxcommepasdeux.C’estincroyablel’effetquecettepetiteteignesexyasurmoi.
J’arriveàlafameuseadresseetécarquillelesyeuxenvoyantlasomptueusepropriétéquisedressedevantmoi.«Petite fête»m’a-t-elledit ?Desvoitures sontgaréesdans tous les sens, jemetsquinzeminutes avant de trouver une place où stationner. Je descends enfin du véhicule et admire les lieuxquelques secondes, puis avance vers l’entrée. Je ne sais pas ce que fait cette Vanessa, mais ça doitrapporter !Jemedemandesijenevaispaslarajoutersurlalistedemesclientespotentielles !Àcetteidée,magorgeseserre.MespenséessedirigentversÉmyetlacolères’infiltredanschaqueparticuledemoncorps,àl’idéequ’elleaitunamant.Çanemeregardepas,jesais…Etjesuistrèsmalplacépourlajuger.Maisc’estplusfortquemoi,çameronge.Jesuis…jesuisjaloux.Maisjusteparcequ’unautrearéussilàoùj’aijusqu’àmaintenantéchoué…
–Salut,monpote !m’interpelleunevoixquejemeseraisbienpasséed’entendre.–Salut,Greg.Qu’est-cequetufabriquesplanquéderrièrecebuisson ?Jeleregarde,intrigué,sortirdesacachette.Ilsepositionnedevantmoienmurmurant:–Jet’attendais.Vanessam’aditqu’ilfallaitqu’onarriveensemble,pourquecesoitmoinssuspect !–Pourquoituchuchotes,yapersonned’autrequenousdeuxici ?!–Jesaispas…Quelabruti,cemec ! Jemedemandebienceque lui trouveVanessa ! Ildoit trèscertainementêtre
douédansundomaine,etjepensesavoirlequel…Mespoilssehérissentrienqu’àcettepensée !– On y va, je n’ai pas de temps à perdre, grommelé-je en l’entraînant vers l’intérieur de la
somptueusemaison.
Chapitre4
Émy*
Mamanétait fatiguée, hier.Mais c’est comme si elle était fatiguéedepuisdix-neuf ans.Le jourdel’accident,uneombreestapparuedanssesyeuxetnelesaplusjamaisquittés.Longtemps,j’aiattenduderetrouver la petite lumière qui illuminait son regard avant ça, même pour un instant, même pour uneseconde,maisellen’ajamaisréapparu.Alorsj’aiarrêtéd’espérer,pourça,etpourtoutleresteaussi.Maisilyadesjoursoùjelatrouvepluslassequed’autres.Ellesouritetparleavecmoi,commesitoutallaitbien,maiscesjours-là,j’ail’impressiondelavoirporterunpoidstroplourdpourellepartoutoùelleva.«Netefaisdoncpastantdesouci»,medit-ellesouvent.Siseulementjepouvais…Desfois,j’aimeraisarrêterdem’inquiéter,mêmeuncourtinstant.
Peut-êtrepourrait-elledéménageretserapprocherunpeudelacapitale.Nicolasavouluquejerendemonappartementpourhabiterchezluiaprèslemariage,cequiestnormal.J’aid’ailleursdéjàdonnémonpréavis.Maisunefoisinstalléedansle9ème,jeseraiencoreplusloind’elleetjerisqued’avoirplusdemalà lui rendrevisite.Jeparleraiàmonfiancédecette idée,undeces jours,quand ilseradebonnehumeur.Doncaprèsm’avoirécartélesjambes…
Plus qu’un mois avant le jour de mon mariage. J’ai hâte. Après ça, je serai certaine de pouvoirprendresoindemaman.Jeseraienfinrassurée.Certainedepouvoirpayersonloyerettoutcedontelleabesoin,commeelle l’afaitpourmoilorsquejen’étaispasenâged’assumer.Elles’estdonnée tantdemal,estalléedepetitsboulotsenpetitsboulotspournousdonnerleminimumvital…C’estàmontour,maintenant.
Oui,dansunmois, jeseraiunefemmemariée.Respectableet…intouchable.Pascommecettefillequis’estlaisséeembrasserparungroscondansunbar…Maisjeneveuxpasyrepenser.Pourrienaumonde.Jenesaismêmepascequim’apris,c’étaituneerreurcolossale.
Assisesurmoncanapé, seuledansmonpetit appartement, j’essayedechasser le souvenirdecettesoirée.Commetrèssouventdepuisquec’estarrivé,ilyapresqueunesemaine.J’aijusteeuuninstantd’égarement,çaarrive.Maisçanevoulait riendire.Riendu tout. Jeneme laisseplusprendreau jeuidiotdudésiretdel’amour,celan’apportequedouleuretchagrin.Quandjepenseaunombredefoisoùmamanaeulecœurbrisé !Elleatoujoursététellementnaïve,mamère !Àchaquenouvelhommequ’ellearamenéàlamaisonaprèspapa,elleacruavoirtrouvélegrandamour !Elleétaitsisûrequelesmotsdouxetlespromessesdesesamantsvenaientducœur…Combiendefoisai-jedûlaconsoler,laremettresurpied,réparerlespotscassésparcesconnardsquinefaisaientqueprofiterdesacrédulité ?Troppourquejepuisselescompter.Alorscen’estpasmoiquivaismelaisseravoircommeça,vouspouvezmecroire.Moncœur estmort et il le restera.Toujours,même lorsque je prétendrai l’offrir àNicolas, levingt-septjuinprochain.
Ilnes’estrienpassé,samedidernier.C’estcequ’ilfautquejemedise.Jedoisoubliertoutça.Jeledois.
Jeme lève et pars en direction de la salle de bains, afin dem’y préparer. Il serait temps, la fêted’anniversairedeVanessacommencedansmoinsd’uneheure.Aprèsquelquessecondesd’hésitation,jechoisisd’enfilerunpantalonencuirnoir,uncache-cœurrougeetunepaired’escarpinsàhautstalons.Jerassemblemescheveuxenunchignonflou,memaquille rapidementetmevoilàdéjàprêteàpartir.En
attrapantlecadeaud’anniversairedeVanessa,jejetteunœilsurmonpetitchez-moienmedisantquesoncôtédouilletvamemanquer,lorsquej’auraidéménagéchezNicolas.Monsalonestsipetitquemongroscanapécouleurlin,couvertdeplaidsmoelleux,mangepresquelamoitiédelapièce.Maisjesuisbien,ici,loindumonde…Mieuxquedansl’immenseappartementdeNicolasàladécorationultramoderneetfroide,oùtoutestparfaitementordonnéetoùpasunmagazinenedépassedesesmeublesdedesigners.
Bref,peuimporte,medis-je,enfermantderrièremoi.Toutçan’aaucuneimportancecomparéàcequejevaisgagner.
Devantlaported’entréedelamagnifiquemaisondeVanessa,jecollesurmeslèvresungrandsourirejoyeux. Je ne suis pas en forme,mais ellemérite de passer une bonne soirée et je ne veux pas la luigâcher.Jevaisrire,danseretmemontrerenjouée,parcequec’estcequ’unevraieamieferait.Mêmesiaufondj’aijusteenviederentrerchezmoietdemepelotonnersurmoncanapétropimposant…
Àl’intérieur,lafêtecommencetoutjuste,maisilyadéjàbeaucoupdemonde.Alorsquejedéposemonpaquetsurlapile,quelqu’unmesautedessusetmeprenddanssesbras,avectantd’enthousiasmequejemanquedetomber.Vanessa,évidemment !
–Tueslà !s’exclame-t-elle,ravie.–Biensûrqueoui !Joyeuxanniversaire !–Merci !J’adoooooremonanniversaire !Jeluisouris,heureusedelavoirsiexaltée.Maissonexpressionextatiquedisparaîtdéjàetelleme
prendparlebras,l’airàprésentplusennuyéqu’autrechose.–Écoute,Émy,ilfautquejetediseuntruc…–Quoi ?Çanevapas ?–Si,si…C’estjusteque…Semontrersihésitanteneluiressemblepasdutout.Ellecommenceàm’inquiéter…Jenedisrienet
attendsqu’ellepoursuive,lessourcilslevésenguised’encouragement.–Bon,voilà,finit-elleparselancer.JesorsavecGreg.–Greg ?C’estqui,Greg ?Ellesoupirenerveusement.–Onl’avuauSaintJames,tutesouviens ?C’est…c’estlecopaindeStephen…Là,ellemeregardeengrimaçant,commesielleavaitpeurquejeluitapedessus.Àl’évocationdece
prénom,unfrissondésagréablemeparcourt.–Oh…Dedirequelanouvellemesurprendseraitencoretrèsloinducompte !Vanessan’estpasdugenreà«
sortir»avecdeshommes,elleestdugenreàlescroquerpourlepetitdéjeuner.–Ettu…sorsvraimentaveclui ?Jeveuxdire…commedansavoirunerelationsuivie ?Elleopine,pendantquejetented’intégrerlanouvelle.Parmitouslesmecsquej’aivusàsonbras,
c’estaveccelui-làqu’elledécidedefranchiruncap ?Ilestmignon,certes,maisjen’aipasl’impressionqu’ilainventélamachineàdénoyauterlesolives.
–Etdonc,Gregestlà,cesoir…–OK.Pourquoisemble-t-elleencoreplusmalàl’aise,toutàcoup ?Est-ceque…non.Non,ellenevapas
medireça,n’est-cepas ?Pitié,ellenevapasledire.–Maisducoup,étantdonnéquec’estsonmeilleurpote…Non,non,non,non,non.Neledispas…–Ilsepourraitbienque…enfin…IlsepourraitqueStephenvienneaussi…Jedéglutis,j’ail’impressiond’avoirquelquechosecoincédanslagorge.Là,toutdesuite,j’aienvie
departirencourant.Lemecquej’aiembrasséetinsultéjusteaprèspourraitêtrelàcesoir.Merveilleux.
–Tun’espasfâchée,hein ?s’enquiertVanessa, lavoixet lesyeuxpleinsd’espoir.Jesaisqu’avectoutcequis’estpassé,cen’estpasvraimentlemeilleurdesscénarios.Maisc’estmonanniversaire…
Etlà,ellemefaitlesourireleplusadorablequisoit,enjoignantlesmainsdevantpourmesupplierdenepasmemettreencolère.
Ceseraitmentirdedirequejen’aipasenviedecasserviolemmentlepremiertrucquimepasseraitsouslamainetd’enécraservigoureusementlesmiettesavecmestalonsdedixcentimètres.Mais…c’estsonanniversaireetelleestlameilleureamiequejen’aijamaiseue.Alorsaulieudem’enprendreàsadécohorsdeprix,jeluirendssonsourireetdis,avecsincérité:
–Non,net’inquiètepas.C’esttasoiréeetjesaisquec’esttrèsimportantpourtoi.Lerestenecomptepas.
–C’estvrai ?J’acquiesceetellemesauteencoredessus,pourmegratifierd’uncâlinquimecoupelarespiration.–Hey,Vanessa !l’interpellelejeunehommequivientdefairesonapparitiondansl’entrée.C’estoù
queturangeslesbouteilles ?–Ah,attends,jevaistemontrer.Enme lançant un dernier sourire, elle part chercher de quoi ravitailler ses invités.Dès qu’elle a
disparu,j’arrêtedefairecommesijen’étaispasenpleinecrised’angoisseetmeprendslatêteentrelesmains. Il va falloir que je prenne surmoi, je ne veux pas gâcher la fête deVanessa enme disputant,encore,avecl’autreénergumène !D’autantqu’ilnedoitpasavoirappréciélafaçondonts’estterminéenotredernièreentrevue.Bon, j’aipeut-êtreétédemauvaisefoi, très légèrement,enreportant touteslesfautessurlui,maisçan’empêchequecetypeestdétestable…
Unegrossebouled’appréhensionaucreuxduventre,jeprendsuneprofondeinspirationetjetteunœilverslesalon,quiàcetinstantmefaitpluspenseràunniddeguêpesqu’àunendroitpourfairelafête.Moncœurbattropvite,mesmainssontmoites…Ohlà,là !Jesensquelasoiréevaêtrelongue !
Pourvuqu’ilneviennepas…Pourvuqu’ilneviennepas…Lesgensdansent,boiventets’amusent,etmoijefaissemblantdefairepareil.Enréalité,jen’arrive
pas à m’empêcher de regarder vers la porte toutes les cinq secondes. Pour l’instant, pas de bellâtreexécrableàl’horizon,maisonnesaitjamais…
–Émy,tusaisoùVanessaarangélesaffaires?medemandeClarissa,unefilleavecquionfaitdustepquandonestmotivées,c’est-à-direàpeuprèsdeuxfoisparan.J’aioubliémonpaquetdeclopesdansmonsac.
–Oui,viens.Jel’emmènejusqu’àl’entrée,afindeluimontreroùsetrouvelaportedubureau/vestiaired’unsoir.
C’estlàquejevoisGreg,toutsourire,occupéàretirersaveste.Puisjereconnaislasilhouettedeceluiqui l’accompagne et mon sang se fige dans mes veines. Voyant le visage de son copain changerd’expression,Stephenseretourneetm’aperçoitàsontour.
Jerelève lementonetserre lespoings,prêteà recevoir lapiquequ’ildoitêtresur lepointdemelancer.Lesyeuxvertsdusalopardquej’aieulemalheurd’embrasserdeviennentplusacérésquelalamed’uneépée,etilsemetàavancerversmoi.J’attendsl’attaque,laremarquedésobligeantedestinéeàmefaire sortir de mes gonds…mais elle ne vient pas. Stephen passe à côté demoi sansm’adresser laparole,commesinousnenousconnaissionspas,etpartrejoindrelesalon.Greglesuit,enmelançantunpetitsouriregêné.
Jerestesansbougerquelquessecondes,unpeudécontenancée.Bien…Ilal’airdécidéàsemontrerenfinmature.C’estunebonnechose.Etnon,jenesuispasvexéedutout.Ilm’aignoréecommeonignoreunvieuxsacpoubelleabandonnédansune ruelle,maiscen’estpascommesi j’avaisquelquechoseàfairede l’attentiondecegrosnul.Donctoutvabien.Voilà.Toutvabien.Çanem’énervepasdu tout.Mêmepasuntoutpetitpeu.
Lasoiréesepoursuit,dansuneambiancesurvoltée.Ladernièrefoisquej’aicroiséVanessaremonteàunebonnedemi-heure,maispuisqueGregaussimanqueàl’appel,jenemedemandepascequ’elleestpartiefaire…
De grosses enceintes déversent dans le salon des flots de musique pop, pendant que les invitéspicorent les délicieux amuse-bouches du buffet préparé par un prestataire avec qui j’ai l’habitude detravailler.Enfin,certainssontplusoccupésàviderlebarqu’àdégusterlesexquiscanapésausaumon…Surtoutun,dontlenomcommenceparun«s»etsefinitpasun«tephen».Nonpasquejelesurveille,hein,maisilparleetritdeplusenplusfort,difficiledenepasleremarquer.Etlanuéedenanasquiluicolleauxbasquescommedesmouchessurungroscacadechienmanquentellesaussidediscrétion.Etdeclasse,sivousvoulezmonopinion.Maisquellebandededébiles !Ellesnevoientdoncpasquecetypeestunenfoirédepremière ?Qu’est-cequ’ellesontàlaplacedelacervelle,franchement ?Delasemouletropcuite,probablement.Etbienmarinéedansleshormones…
Labonnenouvelle,c’estqu’ellesl’occupent.Ilnem’apasadressélaparoledepuissonarrivéedeuxheuresplustôtnimêmejetéunseulregard.Pasun.C’estparfait.Maisjemedemandetoutdemêmeceque penserait sa vieille tatie si elle le voyait comme ça…vautré sur le canapé, en train de vider sadouzièmebière,unepétassemêmepasjolieàmoitiésurlesgenoux.Etdirequ’ilaosémedirequejen’arriveraijamaisàlachevilledesachèreVictoria !Ilm’arabattulesoreillesavecsasupermamieetses fameuses pipes aumiel,mais là ça ne lui pose aucun problème de laisser la première gourdassevenuelui…
Attendez,ellevientdel’embrasserdanslecou,ouj’airêvé ?Alorslà,c’estlepompon !D’ungestetrèsbrusque,jetendslebraspourattrapermoncocktail,maisj’embarquesanslevouloir
unautreverreenmêmetemps.Cederniertombesurlesoldansunfracasdetouslesdiablesetplusieursregardssetournentversmoi,dontceluideStephen.
–Yavraimentdesgensquinesaventpassetenir !balance-t-il,bienassezfortpourquejel’entende.Latraînéequilecollecommeunesangsuesemetàglousser, j’aisoudainementenviedeplanterun
trucbienpointudanssesseinstropgrosettroprefaits.Jedevraislafermeretignorerlaprovocation,jelesais.Maisc’estplusfortquemoi,jenepeuxpasm’empêcherderépondre.
–C’estvraique toi, tues lesavoir-vivrepersonnifié,sifflé-jeen lançantunregardappuyévers lafillevulgairevautréesurlui.C’esttamamiequit’aapprislesbonnesmanières,non ?D’ailleurs,elleestoù,cesoir ?Ellefaitunbridgeàlamaisonderetraite ?
Stephensemetàrire,d’unefaçonquimerappellecelled’univrognebienimbibé,maissonregardsecharged’électricité.
–Ettoi,ilestoùtonabrutidemec ?Lerégulier,j’veuxdire…Pasl’autre…Quoi ?–T’asvraimenttropbu…luidis-jeavecuneminedégoûtée.Tusaismêmepluscequeturacontes…–Ah,ouais ?Ilricaneànouveau,avantdereveniràlacharge–Dis, çamarche encore, tonnumérodep’tite bourge coincée ?Tu le lui fais, aumec avec qui tu
couchesderrièreledosdetongroscondefiancé ?J’ouvreuneboucheimmense,outréeparsesaccusationsmensongères.–Yap’t’êtredesmecsqueçafaitbander,remarque,tonrôledesainte-nitouche !Là,c’enesttrop.Jemelèved’unbond,horsdemoi,prêteàluirenversermoncocktailsurlatêteetà
luibalancerleverrevidedanslesdents.–Jenesaispasd’oùtusorstoutescesconneries,m’emporté-je,maisjet’interdisformellementde
raconterdesmensongespareils !–Desmensonges ?Ah !Elleestbienbonne,celle-là !–T’esvraimentuncondepremière !
Aprèsavoirrepoussélafillesansménagement,ilselèveàsontour,entitubantlégèrement.Lesgensautournousregardentavecintérêt,espérantsansdoutevoircoulerunpeudesang.
–Jesais !beugle-t-il.Tumel’asdéjàditcentfois !Maismoiaumoins,jenefaispassemblantd’êtrequelqu’undebien !
Jesecouelatête,tellementénervéequej’ail’impressiondesentirmoncorpsentiersemettreàbrûler.–Ferme-laimmédiatement !–Quoi ?Tunesupportespasd’entendrelavérité ?–Riendecequisortdetabouchen’estlavérité !Ilmeregardeunmomentsansriendire,unairécœurésurlevisage.Jen’ycomprendsvraimentrien !
D’oùest-cequ’ilsortcesaccusationsàlanoix ?–Putain,c’estbon,jemecasse…lâche-t-ilsoudainementd’untonrageur.Sansattendresonreste,ilsedirigeversl’entrée.Tropencolèrepourréfléchir,jeluiemboîtelepas.
Jeveuxsavoirdequoiilmeparledepuistoutàl’heure !–Hey !Uneminute !l’apostrophé-je,justeavantqu’iln’atteignelaporte.–Quoi,encore ?!Voyant que quelques curieux nous ont suivis, je l’attrape par le bras et l’entraîne vers le
bureau/vestiaire.Lorsque nous sommes tous deux à l’intérieur, je refermeviolemment le battant etmetourneverslui,lesmainssurleshanchesetdeséclairsdanslesyeux.
–Pourquoitut’amusesàraconterdesconneriescommeçasurmoi,hein ?Onpeutsavoir ?D’oùest-cequetusorsquej’aiunamant ?
–Arrêtetonnuméro,bordel !–Mon…monnuméro ?Maist’esvraimenttaré !–Ah,ouais ?Alorsc’estqui,letypechezquituvastoutletemps ?–DeQUOI ?–Laissetomber !J’enaipleinlecul,detoutça…–Ah,non,certainementpas !Tunesortiraspasd’iciavantd’avoircrachélemorceau !–Maist’eslapiredesemmerdeuses !Putain,jen’ycroispas…Nous nous dévisageons sans plus rien dire, aussi remonté l’un que l’autre. Il fait sombre dans la
pièce,seulementéclairéeparlapâlelumièredelalunefiltrantparlafenêtre.Jesuistellementenragequelesoufflememanque !Lesilencequis’installen’estrompuqueparnosrespirationshaletantes.
–Etpuisarrêtedemeregardercommeça !reprend-il,abruptement.–Etcommentest-cequejeteregarde,s’ilteplaît ?–Commesit’allaismesauterdessusdanslaseconde !–Ah !ricané-je.Maisturêves,là !–Tucrois ?Il s’approche vivement etme prend par la taille,me faisant sursauter.À son contact, une chaleur
fulguranteserépandsurmapeau.Puisilplongesesyeuxbrillantsdanslesmiens,etmeditd’unevoixrauque:
–Demande-moid’arrêter.–Tuastropbu,Stephen.–Peut-êtrebien,ouais.Maisnemefaispaslamorale,cen’estpasçaquejet’aidemandé.Lesmainsfermementposéessurmataille,ilfaitunpasenavant,m’obligeantàenfaireunenarrière.
Ilcontinueainsijusqu’àcequemondosrencontrelemur.Sonvisageesttoutprèsdumien, jen’arriveplusàpenseretmoncœurbatsifortqu’ilmedonnel’impressiondevouloirsortirdemapoitrine.
–Dis-moinon,murmure-t-il,enapprochantseslèvresdesmiennes.Sinonjevaist’embrasserencore.Pourtouteréponse,j’exhaleunsoupirtremblant.Ilaenviedem’embrasser.Cettepenséemechavire.
J’essayederésisterà l’attractionquesoncorpsexercesoudainementsur lemien,maisc’estcommesi
j’étaisaimantéeverslui.Sesmainssedéplacentsurmesfessesetilm’attireplusétroitementcontrelui.–Dis-moinon,Émy…répète-t-il,toutcontremabouche.Maintenant.Jen’arrivepasàluidirenon.Ilestcolléàmoi,seslèvresmefrôlent,provoquantl’apparitiond’un
désirlancinantquiéteinttout.Jesuisivredelui,desaprésence,delaforcequ’ildégage,desonodeur.Lecontactdesesmainsm’électrise,jecrèved’enviedesentirleurcaressesurmapeau.Etjeveuxqu’ilm’embrasse,plusquen’importequoid’autreaumonde.Jesuisincapabledeluidirenon,alorsj’attendsqu’ilsedécideàtenirlapromessequ’ilvientdemefaire.Lapoignéedesecondesquis’écoulemeparaîtatrocementlongue.Jetremblededésir,j’ail’impressiond’êtrepossédée.
Enfin, sa langues’invitedansmabouche, sansaucune retenue. J’agrippe laceinturede son jeanetbasculeleshanches,pourmieuxlesentir. Il répondenpressantsonérectioncontremoi, jemeliquéfied’envie et gémis sanspouvoirme retenir.Cette réaction l’attise et samain remonte jusqu’àmon sein.Quand il me touche, un violent frisson m’agite et un nouveau gémissement franchit mes lèvres. J’aitellementenviedeluiquejenecontrôleplusrien.Jepasselesmainssoussontee-shirtpourcaressersonventreauxabdosparfaitementsculptés,puislesglissejusqu’àsondos,aumomentoùildonneunsensuelcoupdereinsquimeplaquedavantagecontrelemur.Lasensationm’étourditetmesongless’enfoncentdanssachair.Cettefois,c’estluiquigémitdansmabouche.D’ungestebrusqueetempressé,ilm’attrapesous les fesses et me soulève. J’enroule les jambes autour de son bassin afin d’accentuer le contactaffolantdesonsexetenducontrelemien.Jem’embrase,jeperdslatête,jenesaisplusoùjesuis.
Seslèvresetsalanguevoyagentlelongdemoncou,sonsoufflehaletantmebrûlelapeau,lelégerva-et-vientqu’il imprimeentremescuissesme rendcomplètement folle.Sioncontinuecommeça,onferal’amouricietmaintenantdansmoinsdetroisminutes.L’idéem’exciteàenmourir.OuplutôtStephenm’exciteàenmourir…
«Tunepeuxpas faire ça…»,me souffleunepetitevoix.«Tuvas te faire avoir encore.Souffrirencore.Etturisquesdetoutperdre.»
Jem’enfous!ai-jeenviedehurler.Jeveuxvivre!Etjeleveuxlui,maintenant.Jememoquedureste!
«Lilianetpapasontmorts.Iln’yaplusquetoi,Émelyne.Seulementtoipourprendresoind’elle.Situ fous tout en l’air, tu couleras et tu l’emporteras avec toi. Parce que ce mec te brisera en millemorceaux,tulesais.Tunepeuxpasluifaireconfiance.»
Alertéeparcettevoixquimesouffledesmotsquejevoudraisnepasentendre,jerouvrelesyeuxetrepoussefaiblementStephen.Maisilnecomprendpasetdéposetoutlelongdemamâchoireunesériedebaisersardentsquimetmavolontéàrudeépreuve.
«Iln’yaplusquetoipourvoussauver.Nelaissepaspassertachancepourunechimère.Ledésiretl’amours’envolentenuneseconde,Émelyne.Tulesais,tul’asvu.Tul’asmêmevécu.»
–Arrête,Stephen…–Quoi ?demande-t-ild’unevoixrauque.Jelerepousseplusfortquelapremièrefois,suffisammentpourl’obligeràmeposer.Essoufflé,les
mainstoujourssurmeshanches,ilmefixeavecincompréhension.Jebaisselatête,incapabledesoutenirsonregardenfiévré.Puislalumièresefaitdanssonespritetsesbrasretombentlourdementlelongdesoncorps.
–OK, j’ai pigé, dit-il d’un ton désabusé quime heurte.Dans deux secondes tu vasme traiter deconnard,c’estça ?
–Non,je…Maisjenesaispasquoiluidire.–C’estbon,laissetomber.Aprèsavoirprisunelongueinspiration,ils’éloigneetvajusqu’aubureau,oùilattrapeunefeuilleet
unstylo.Aprèsyavoirnotéquelquechoseàlava-vite,ilrevientversmoietmedévisageavecamertume
etdéception.–Jenesuispasunputaindeclébard,Émy !Quiremuelaqueuequandonlesiffleetqu’onenvoieau
panierquandonenamarre !–Stephen…–J’aienviede toicommeundingue, jenepeuxpas lenier.Et jesaisquec’est réciproque.Alors
quandtuaurasdécidéd’assumer,tum’appelles.Moijenetecourraipasaprèscommeunclebs…Ilmetendlemorceaudepapier,surlequelilainscritsonnumérodetéléphone.Commejenem’en
saisispas,ilsoupireetmelecolledanslesmains.Sansrienajouter,ilfaitdemi-tourets’envasansseretourner.Jeresteseuledanslapièce,unpeusouslechocdecequivientdesepasser.Leséclatsd’unchagrin
acérénichésaucreuxducœur,jememetsàpleurer.
Chapitre1
Stephen*
Jem’écrouledansmavoiture.J’ai tropbupourprendre levolantmaintenant,et jesuis tropabattupourretourneràcettefêteetaffronterleregardpleindereprochesd’Émy.Cesoir,jen’aipluslecœuràmebattre.Jesuiscommevidédetouteémotion.J’yaivraimentcruuninstant…Jelatenaislà,dansmesbras,ledésirmeconsumanttoutentieretenmoinsd’unesecondetouts’esteffondré.
Ilyaquelquechosedefortentrenous,uneconnexionindéniableettellementintense…Mêmesiellerefusedelevoir,ellesevoilelafacepourjenesaisquelleraison.Elles’obstineàmerepousseralorsquetoutsonêtreetsoncorpsmeréclament.Jel’aisentievibrersousmesdoigts,ellenepeutpasnierl’évidence.
Laserrercontremoi,putain…Jen’aipasressenticettesensationdebien-êtredepuisdesannées.Enfait,depuisJulie.Elleseuleavaitcepouvoirsurmoi.Jel’aimaisàenmouriretc’estellequiestmorte,melaissantseulsurcetteTerre,plusdémuniquejamais.Jem’étaisjurédeneplusm’attacheràquiquecesoit,pourneplusressentircevidequim’ahabitésilongtempsaprèssadisparition.Maisvoilàqueledestinenadécidéautrement,enmettantsurmaroutecepetitboutdefemme.Ellemetapesurlesnerfs,oui,c’estvrai.Jeladétesteautantquejeladésire.Etpourtant,jenemesuispassentiaussivivantdepuislongtemps.
Qu’est-cequejevaisfairesiellenem’appellepas ?Jevaisdevenirdingue !Demain, je vais prévenirVanessa que j’arrête cettemascarade. Je n’ai pas le droit de briser son
mariagesic’estréellementcequ’elledésire.Ilesthorsdequestionquejeluifasselemoindremal.MonDieu…Jeconnaiscettedouleuraufonddemoncœur,cesentimentdedésespoirquim’habite,la
peurdeperdreceque jeviens tout justede trouver.Jesuissous lechoc.Commentest-cequeçaapum’arriver,àmoi,quicollectionnelesfemmessansscrupulesetquin’éprouveaucuneémotionouplaisiravecelles ?
Chapitre2
Émy*
J’aijetélepapieroùStephenanotésonnumérodetéléphone.Jel’aidéchiré,froisséetbalancéaufonddelapoubelledubureaudeVanessa,parcequ’ilmebrûlaitlesdoigtsetqu’ilfaisaitrevivreenmoideschosesquejevoulaismortespourtoujours.Jenepeuxpaslaisserçaarriver.Jerefuse.Etjeneveuxmême pas y repenser.Monmariage approche, il ne reste plus que trois semaines avant la cérémonie.C’estsurçaquejedoismeconcentrer,passurlecorps,laboucheoulavoixchaudedeStephen.Alorsj’aijetécettepetitefeuilledepapier,quicristallisaitsursafinetramelégèrementtransparentetoutceàquoij’airenoncé,toutcequejeveuxoublier.Etpourtant,malgrétout,çafaitdeuxjoursquejeregrettedel’avoirfait…J’aimeraisprétendrequecen’estpaslecasetqueStephenatortdepenserquejeressensle moindre désir pour lui, mais je ne peux pas me mentir à ce point. Il a raison. Tous mes senss’enflammentdèsqu’ilestprèsdemoi,d’unefaçonquejamaisjen’auraispenséepossible.
Maiscelan’aaucune importance,puisqueriennesepasseraentre luietmoi.Jesuispromiseàunautre.Etmêmesicen’étaitpaslecas,cethommereprésente toutceque jefuiscommelapeste. Ilestimpulsif,séducteur,irréfléchi…
Passionné,attirant,spontané,follementséduisant…Nicolasn’est riende toutça.Etc’estexactementpourcetteraisonque jevais l’épouseretoublier
Stephen.D’ailleurs,jesuisencemomentmêmeentraind’attendrequelavendeuseterminedeboutonnerlarobequejeporterailevingt-septjuinprochainpourluidireoui.
–Voilà !s’exclamelapetitedamequis’affairaitdansmondos.–Merci.Ellemecontourneetvientseplanterdevantmoi,pourvérifierlerésultatdesontravail.–Vousêtesravissante,mecomplimente-t-elleavecunsourireenchanté.Venez,allonsregarderçaà
l’extérieur !Jesorsdelacabineetmontesurl’estradeblancheinstalléedevantunénormemiroiraucadredoré.
Enprenantgardeànepasaccrocherletissuirisé,jemeretourneetposelesyeuxsurlafuturemariéequime fait face. Sa robe est vraiment magnifique. Sur son bustier ivoire sont brodées des centaines deminusculesperlesbrillantes,quidescendentjusqu’àuneceintureensatind’unbleugrisétrèspâle.Lebasde la somptueuse tenuemarque les hanches, avant de s’évaser dans une envolée de tulle léger et denouvellespetitesperles.Maislesyeuxdecettejeunefemmenes’illuminentpas,iln’yapasdejoiedanssonregard,pasd’impatience.Pasd’émotion.
–Qu’est-cequevousenpensez ?s’enquiertlavendeused’unevoixdouce.–C’est…trèsbien.–Sivousvoulez, jepeux la reprendreunpeu ici,dit-elleenpinçant le tissusurmahanche. Ilya
peut-êtreencoreundemi-centimètreentrop…–Non,çaira,c’esttrèsbiencommeça.–Vousêtessûre ?Nevoudriez-vouspas…Ellehésite.–Nevoudriez-vouspasreveniravecquelqu’un ?Unedamedevotrefamille,peut-être,ouuneamie ?Jesaisqu’elletrouveçaétrange.Aucunefemmenevientchoisirsarobedemariéeseule.Maismoi,
jepréfère.–C’estgentilàvous,Emma.Maisc’estparfaitcommeça.Elleestmagnifique.Et je suis sincère. Elle est tout simplement sublime, au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer,
alors…alorspourquoiai-jeenviedepleurerlorsquejeregardemonrefletdanslemiroir ?J’essayederetenirceslarmesidiotesquimenacentdedéborder,maismesyeuxs’humidifientmalgré
tout.–Oh,vousêtesémue,mademoiselleBressac…s’attendritlavendeuse.C’estnormal.–Oui…Jem’essuielesyeux,espéranteffacerlestracesdemonchagrin.–Oh !Quelle sotte je suis, j’ai faillioublier ! s’exclame-t-elle. J’ai reçuvotrevoile !Attendez, je
vaislechercher !Sapetitesilhouetterondedisparaîtderrièreuneporte,melaissantseulefaceàmoi-même.J’observe
monrefletensilence,détaillecetterobesomptueuseenm’imaginantremonterl’alléedevantmafamille,devantmesamis.Moncœur,aulieudesegonflerdejoie,seserredouloureusementdansmapoitrine.
–Etvoilà !chantonneEmma,enréapparaissantavecunmorceaudetullebrodé.L’atelierLessageafaituntravailmagnifique,vousallezvoir !
Avec la dextérité qu’offre l’habitude, elle déplie le voile, me fait baisser la tête et accrochel’accessoire à l’aide de la petite pince prévue à cet effet. Jeme redresse et, pendant qu’elle finit depositionner le tissu diaphane sur mes épaules dénudées, observe le résultat en retenant de nouvelleslarmes.Cettefemme,danslemiroir,vaoffrirsavieàNicolasDambres-Villiersdansquelquesjours.
–C’estsuperbe,n’est-cepas ?–Oui.Vraimentmagnifique.Emmasouritàmonreflet.J’essayedefairedemême,maismatentativeressembledavantageàune
grimacequ’àunemanifestationdebonheur.Soudain,j’aienviederetirerlarobeetdescendsdel’estrade.–J’airendez-vousavecunclientdanspeudetemps,Emma.Vousvoulezbienm’aider ?–Déjà ?Ehbien…oui.Oui,biensûr.Elle me suit jusqu’à la vaste cabine, dans laquelle je m’engouffre en prenant soin de ne pas me
regarderdanslaglace.Unefoislibéréedemoncarcandesatin,jemerhabilleenvitesseetremerciemonadorablevendeuse.Ellemesourit,maisjevoisunesorted’inquiétudeetbeaucoupd’interrogationssansréponsedanssesyeuxnoisettelorsqu’ellemeraccompagnejusqu’àlaporte.
–Àdanstroissemaines,mademoiselle.Vousvenezrécupérerlarobelevingt-six,c’estbiença ?–Oui.–Bien.Mais…dites-moi,est-ceque…–Jedoispartir, lacoupé-je,sentantvenirdesquestionsauxquellesjeneveuxpasrépondre.Merci
pourtout,vraiment.Vousêtesunange.Jeluisourisfaiblementetm’échappedelaboutique,j’aibesoinderespirerunpeud’airfrais.Toutvabien,Émy.Larobeesttrèsbelle,elleplairasansdouteàNicolas.Lereste,tun’aspasle
droitd’ypenser.Mercredi. Je suis avecNicolas, attabléedans l’unde ces restaurantsguindés et horsdeprixqu’il
affectionne.Jenel’avaispasvudepuisquatrejours,depuislasoiréed’anniversairedeVanessa.Celleoùj’aiembrasséunautrehommequeluipourlasecondefois.Cen’estpasunhasardd’emploidutempssinous n’avons pas eu la possibilité de nous retrouver avant ça. C’estmoi qui ai tout fait pour que çan’arrive pas, parce que jeme sentais tropmal pour jouer la femme parfaite, et que j’étais terrifiée àl’idéequeNicolass’aperçoivedequelquechose.Maismonfiancéaexigémaprésenceàsescôtéscemidi,ignorantleprétextebidonquej’aiessayédeluiservir,jen’aidoncpaspuluiéchappercettefois-ci.
L’appétitmemanque, j’avale unmorceau demon délicat filet de rouget barbet avec difficulté. Le
regardrivésurmonassiette,surmonverre,ousurleballetincessantdesserveurs,jem’appliqueànepasposerlesyeuxsurlevisagefermédemonfiancé.Sijelefaisais,lesdifférencesentreluietl’hommequihantemespenséesn’enseraientqueplusévidentes,etjenesuispassûredevouloirmeconfronteràcetteréalité-là.Nicolasestbeaugarçon,c’estun fait,maiscequisedégagede luiest siglaçant, siâpre…Cettefroideurseramonquotidienpourlerestantdemavie,j’auraitoutletempsdelahaïrplustard.
–Commentestlerouget,Émelyne ?mequestionnemonfiancé.–Excellent.Jemeforceàsourirepoliment,avantd’avalerunegorgéed’eaupourmecacherderrièremonverre.–Bien.C’estunpoissontrèsdélicatetseulslestrèsbonschefssaventenrévélertoutelafinesse.Il
n’yaquedanslesendroitsdecettequalitéquel’onpeutespérers’enrégaler.–Oui.–L’agneauaussiestvraimentexcellent.–Tantmieux.Jeretiensunsoupiretmeforceàmangerunenouvellebouchée.J’aimeraisquecedéjeunersetermine
vite, toutcommecetteconversationquiestplus insipidequemonrouget.MaisNicolasestdécidémentd’humeurloquace.
–J’aidemandéàNatashades’occuperdetondéménagement.Touslesdétailsserontréglésavantlafindesemaine.
– Je peux emballer mes affaires moi-même, Nicolas. Je n’ai pas besoin de ta secrétaire ni dedéménageurspourça…
Puisquetuneveuxaucundemes«vieuxmeublesdebonnefemme»danstonappartement,jemeretiensd’ajouter.
Unearméedegrandsgaillardspourtransporterquelquescartons,quelleestl’utilité ?Maisessayerdediscuternesertàrien,jel’aicomprisilyalongtemps.Leschosessepassentcommeilleveut,quandilleveut,oùilleveut,etdel’exactefaçondontill’adécidé.Point.
– Il va falloir t’y faire, Émelyne, reprend-il en s’essuyant délicatement la commissure des lèvres.D’ici peu, tu serasma femme.Tu n’auras plus à te soucier des choses dont se soucie le commundesmortels.
Sabouchesefendd’unsouriresatisfait.–Oui,bientôt.D’icitroispetitessemaines…–Ah,d’ailleurs,ilvafalloirpenseràinformertonpatron.Jelèvelessourcils,étonnée.Jen’aiaucuneidéedecedontilmeparle.Quesuis-jesupposéedireà
monpatron ?JeposelaquestionàNicolas,quimerépondeningurgitantsonderniermorceaud’agneauaujuscorsé.
–Ehbien,àproposdetadémission.–Quoi ?–Tadémission,Émelyne,merépète-t-ilenarticulant,commes’ils’adressaitàquelqu’unayantdes
difficultésde compréhension. Il faut s’occuperde cela.Combiende temps faudra-t-il à ton employeurpourtetrouveruneremplaçante ?Deuxoutroisjours ?Unesemaine ?
Ma bouche s’assèche à mesure que le sens de ses mots pénètre ma conscience. J’ai peur decomprendre.
–Attends…Est-cequetuveuxdireque…Ilavalesabouchéeetposesesyeuxgrisetperçantssurmoi,attendantlasuitedemaphrase.Maisje
n’arrivepasàlaprononcer.–Ehbienquoi ?–Est-cequetuveuxdireque…quetuveuxquej’arrêtedetravailler ?–Naturellement,enfin.
Toutàcoup,jemesensvide,commesitoutcequej’avaisdevieàl’intérieurdemoiavaitétéécraséparcettedéclaration.
–Enfin,Émelyne,continue-t-ilenmevoyantpâlir.Jecroyaisquec’étaitévident.Mafemmenepeutdécemment pas « travailler » au service de gens de ma connaissance. C’est impensable. Ce seraithumiliantpourmoi.
Quoi ?Ettousleseffortsquej’aifaitspourenarriverlà ?Toutletravailquej’aifourni ?Qu’espère-t-il que je devienne ?Une femme qui n’a rien d’autre à faire de ses journées qu’attendre sagement leretourduvaleureuxguerrier ?
–Nousn’avonsjamaisparlédeça,dis-je,lagorgenouée.J’aimecequejefais,je…j’aibesoindeça…
– Besoin pour quoi ? demande-t-il d’un ton glacial. Pour gagner une misère dont tu n’auras plusl’utilité ?
Pournepasavoirl’impressiondedépendreentièrementdelui,pournepastournerenronddansunappartementquejedéteste,pournepasjusteêtrela«femmede»…etparcequej’aimecequejefais.Parceque c’est tout cequ’il restera demavie d’avant, parceque c’est la seule choseque je pensaispouvoirgarderpourmoietnepasavoiràdonneràNicolas.Unevaguedepaniquedéferleenmoi.Jenepeuxpasrenonceràça.Jenepeuxpas…
Estimantlesujetclos,monfiancéfaitsigneauserveurdenousdébarrasseretcommandedeuxtassesdeDarjeeling.
–Est-ceque…est-cequ’onpourraitaumoinsenparler ?lequestionné-je,nauséeuse.–Dequoi ?–Dufaitquetumedemandesdedémissionner.–GrandDieu,Émelyne,tuesencorelà-dessus ?–C’estimportantpourmoi,Nicolas.–Jenecomprendspasenquoi,assène-t-ilabruptement.–Ehbien,j’aibesoin…d’avoiruneactivité,devoirdesgens,de…d’êtreoccupée.–Tuserasbienassezoccupéelorsquenousaccueilleronsnotrepremierenfant.Notre…enfant ?Oui,Nicolassera…lepèredemesenfants.Aussiétrangequecelapuisseparaître, jamais jen’avais réaliséça jusqu’àprésent.L’idéem’avait
vaguementeffleurée,maisjen’enavaisjamaisprispleinementconscience,commes’ilétaitinconcevablequequelquechosed’aussibeauqu’unevienouvellepuissenaîtredecetterelationstériledesentiments.
–Ilyabeaucoupdemamanquitravaillent,tusais,et…–Çasuffit,Émelyne,mecoupe-t-il,avecuneautoritétranchante.J’aiprismadécision,ladiscussion
estclose.–Mais…Ilmelanceunregardaiguisé,histoiredemefairecomprendrequelanégociationn’estaucunement
envisageable.–JesuiscertainquecettechèreAnnepartageraitmonopinion,necrois-tupas ?Levoilà,l’argumentimparable.Lamenaceestàpeinevoilée,cettefois-ci.C’estsafaçonàluideme
rappeler les termesducontrat implicitequenousavonspassé.Jedoisfairecequebonluisemble,mecontenterdeluiappartenir,sansmerebellerouexigerplusquecequ’ilconsentàmedonner.Monaveniretceluidemamèresontsuspendusàsaseuleetuniquevolonté.Unpasde traversetnotresérénitésidurementretrouvéeneseraplusqu’unsouvenir.
J’ail’impressiondesentirunpiègeserefermersurmoi.C’estterrifiant,douloureux,j’ailesentimentdenepluspouvoirrespirer.Maisjemesuislaisséattraper,etjenecomptepasessayerdem’échapper,mêmesijeréalisequec’estmavietoutentièrequejesuisentraindesacrifier.
«Tuaurascequetucherchesdepuisl’accident,Émy.Tun’aurasplusjamaispeurdedemain.Ettu
nesouffrirasplus».Jesais!Jesaistoutça!C’est pour cela que je reste assise, calme, le visage neutre, à essayer d’ignorer les violentes
secousses qui font trembler lemonde autour demoi. Le serveur dépose les tasses devant nous, je luiadresseunlégersignedetêtepourleremercieretmesaisisdemonbreuvage.J’aihorreurduthé, j’aitoujours détesté ça.Mais c’est une information dont Nicolas ne semble pas se soucier. Peu importe.J’avaleunegorgéeduliquideambréetmeconcentresurcegoûtaffreux,surlabrûlurequ’ilprovoquesurmalangue,afind’éteindrel’autredouleur.Cellequiesttropdifficileàsupporter.
Le déjeuner se termine dans un silence de mort, puis Nicolas paye l’addition et nous quittons lerestaurant.Aprèsunbaiserdurplantésurmes lèvres,etaprèsm’avoir faitpromettredepasser lanuitchezlui,nousnousséparonssurletrottoir.Chacundenousdoitretournertravailler.
Une fois seuledansmavoiture, sans spectateurs, libéréedemon rôledeparfaitepetite fiancée, laretenuequejem’imposaismequittesoudainementet j’éclateensanglots.Danstroissemaines, jeseraiunefemmemariée,ensécuritéetàl’abridubesoin.Maisunefemmeemprisonnée,bridée,àquionauravolésonâme…unemarionnette,unejoliepoupéeenferméedansunecagedorée,dontondisposeraàsaguise.Cesort,jel’aichoisi.Alorspourquoimesemble-t-iltoutàcoupaussiinsupportable ?
DerrièremespaupièresclosesapparaîtlevisagedeStephen.Jemesouviensdelasensationgrisantedel’avoircontremoi,delaforcedesesbras,dugoûtdesesbaisers.Etdecetteimpressiondevibreretd’êtrevraimentvivantepourlapremièrefoisdepuistoujours.Unepenséesurgitalorsentredeuxsanglots,unepenséefolleetdangereuse,maistotalementirrépressible.
Jevaismemarierdanstroissemaines.Renonceràtoutesmeslibertésetpromettremavie,moncorpsetmoncœur,mêmeinanimé,àunseulhomme.Troissemaines,c’esttoutcequ’ilmereste.Troistoutespetitessemaines…
Fébrilement, mais habitée par un sentiment d’urgence, je fouille mon sac à la recherche de montéléphone.Lorsquejeletrouve,jecomposelenumérodeVanessa.
–Salut,toi !mesalue-t-elleàl’autreboutdufil.–Vaness,j’aibesoindetoi…–Qu’est-cequ’ilya ?s’enquiert-elle,alertéeparlesondemavoix.Tuaspleuré,Émy ?Est-ceque
toutvabien ?–Je…écoute,jesaisqueçavateparaîtrebizarre…–Non,dis-moi,dis-moi.–Est-cequetuconnaisl’adressedeStephen ?Unsilenceaccueillemaquestion.–Vaness,est-cequetuasl’adressedeStephen ?répété-je,pressante.–Moinon,maisGregdoitlaconnaître…répond-ellefinalement,unpeudésarçonnée.Tuveuxqueje
luidemande ?–Oui,s’ilteplaît.Maintenant.–Maintenant ?Euh…OK.Jel’appelleetjet’envoiel’adresseparSMSdèsquejel’ai…–C’estparfait.Parfait.–Émy,tuessûrequeçava ?–Enfait,jen’ensaisrien…Maisonenparleraplustard,d’accord ?–Oui…Oui,biensûr.Je…J’appelleGregimmédiatement.–Mercibeaucoup.Je raccrocheetessayedesaisir toute laportéedeceque jem’apprêteà faire.Moncœurbatà se
rompre,jesuismortedetrouilleetenmêmetempsfollementexcitée.JevaisallersonneràlaportedeStephen.Maintenant,toutdesuite.Jeneveuxpasl’appelerparce
quej’aipeurdemedégonflersij’entendslesondesavoixousijedoisluidemandersonaccord.Ets’il
n’estpaschezluietbien…ceseraunsignedudestin.Deux minutes plus tard, je reçois le message de Vanessa. J’entre l’adresse dans mon GPS, avec
difficultétantmesdoigtstremblent,puisprendsladirectionqu’ilm’indique.Àmesurequeleskilomètresdéfilent,mapeurse transformeenimpatienceet jemerendscomptequej’ai terriblementenviedelui,depuisbienpluslongtempsquejen’étaisprêteàl’avouer.
Maismaintenant,j’assume,Stephen.Après vingt minutes de route, j’arrive devant un immeuble vétuste, planté dans une rue sale et
fréquentéepardesgensquin’ontpasl’aird’avoirlaviefacile.C’esticiqueStephenvit ?Vraiment ?Jenem’attendais pas du tout à ça…Mais ça n’a aucune importance. Jemegare à la hâte, entre dans lebâtimentdélabréetdélaissel’ascenseurpourgrimperlesescaliersàtouteallure.J’arrivesurlepalierdusecond étage, essoufflée, fébrile, une boule d’appréhension et de désir fou au creux du ventre.Appartement203.C’estici…
Sanshésiter,jepresselasonnetteetattends.Jeveuxqu’ilsoitlà,jeveuxleretrouver,maintenant,etluimontreràquelpointj’assumetouteslesenviesincandescentesqu’ilm’inspire.
Laportes’ouvreenfin.Ilestdevantmoi,àlafoissurprisetsublime,simplementvêtud’uneservietteblanchenouéesurlesreins.Jerestefigéequelquesinstants,maislaflammequis’allumedanssesyeuxvertsmedécideàfranchirlacourtedistancequinoussépare.J’aitellementenviedelui…
Sansplusréfléchir,jem’avanceetmejettedanssesbras.
Chapitre3
Stephen*
Jepasseundébutdesemainechaotique.Jesuisfatiguéet j’aidûannulerplusieursrendez-vous.Jen’aipaslatêteàbaisercesvieillesrombières.Jemetraîneduclic-clacàlasalledebains,delasalledebainsauclic-clac.Jeresteallongéde longuesheuresàfixer leplafond,medemandantquoifairepourl’effacer de ma mémoire. Je fume cigarette sur cigarette pour essayer de chasser son visage de mespensées,maisrienn’yfait.Jesuisauborddugouffre,mapoitrineestcompriméeenpermanence,écraséeparleremordetladouleur,leremorddem’êtrefaitpayerpourlaséduireetladouleurdel’avoirperdue.
Jeruminedansmontroumiteuxàm’enrendrefou.Cematin,j’aienvoyéunmessageàVanessapourlui dire que j’arrêtais tout, que finalement je passais à autre chose et que je ne voulais plus jamaisentendreparlerd’Émy.C’estlameilleurechoseàfaire,jedoisl’oublier.Maisj’aibeaumelerépéterenboucle,jen’arrivepasàpasseràautrechose,ellem’obsède,metourmenteàchaqueinstant
Lasonnetteretentit,metirantdemessordidespensées.Iln’yapasmoyend’êtretranquille.J’ouvrelaported’entréeetm’agaceendécouvrantGreg.
–Qu’est-cequetufouslà,mec ?l’interrogé-jeenm’écartantpourlelaisserpasser.–BenVanessam’aditquetuabandonnais,alorsjevenaisvoircequisetramait.–Ilnesepasserien,jerenoncec’esttout,réponds-jeenluifaisantsignedes’asseoirsurlecanapé,
pendantquejevaischercherdeuxbièresdanslefrigo.–Pourquoi ?Onenaconnudespluscoriaces,toietmoi,danslepassé !Jeluitendslabouteilleenrepensantànotrerencontreunedizained’annéesplustôt.Onétaittousles
deuxprésents lorsd’unedecesmauditessoiréesdegaladecharitéetonvisait tous lesdeux lamêmebourgeoise.Jesurveillaisuneclientepotentielledepuisplusieursjoursetcesoir-là,jelatenais,elleétaitàmamercietcegrosconnarddeGregestvenufoutrelebordel.Ilatoutfoutuenl’airenmoinsdedeuxsecondesavecsagrandegueule !J’aiperdumapotentielleclienteàcausedelui.Onchassaitsurlemêmeterritoire,cequifaitquejesuisretombésurluiplusieursfois,lessemainessuivantes.Onaalorsconvenudesepartagerleterrainet,depuis,ilnemelâchepluscroyantquejesuissonpote,cequejesuispeut-êtredevenuavecletemps,finalement…Mêmesijeneveuxpaslereconnaître,jel’aimebiencetype,ilmefaitmarrer.
– Jene sais pas, avec elle c’est différent.Émyest spéciale, avoué-je enme laissant tomber à sescôtéssurlecanapé.
–Putain,lavache,tut’esfaitavoir,jen’ycroispas !Pastoi !s’esclaffe-t-ilenemplissantlapiècedesonriremoqueur.
–Dequoituparles ?–T’esamoureux,mec,t’esmort !T’esfoutu,ricane-t-il.–Fermetagueule,Greg !Jenesuispasamoureux,medéfends-jeenlemenaçantduregard.–Alors,explique-moi ?Tuconnaiscommemoilapremièrerègledenotrejob:nejamaiss’enticher
d’unecliente.–Tucroisquejenelesaispas,grosconnard ?Tucroisquecettesituationm’éclate ?Jesautesurmespiedspourm’éloignerdeluietéviterainsidel’encastrerdanslemurpourridemon
taudis.Jesaisqu’ilaraison,j’aimerdé,maiscommentfairepourmelasortirdelatête ?Jedonnerais
n’importequoipouravoirlasolutionàceproblèmequimebouffelavie.Perdudansmespensées,jeneprête pas attention àGregqui se lève pour répondre au téléphone. Il part s’enfermer dans la salle debains tandisquejesorsdeuxautresbièresdufrigo.Ilmerejointunmomentplus tard,avecunsourireidiotenmefixantbizarrement.
–Quoi ? Qu’est-ce qui se passe, y a un problème ? m’inquiété-je, en voyant sa sale tronche medévisager,unrictussatisfaitsurleslèvres.
–Non,aucunproblème,toutvabien !Jedoisfiler,monpote !–Tuesbienpressétoutàcoup…Qu’est-cequetumecaches ?–Oh…Rien du tout, j’ai un rendez-vous c’est tout, conclut-il en se dirigeant vers la sortie.À la
prochaine !Etarrêtedeteprendrelatêteaveccettegonzesse !–Ouais,c’estça,àlaprochaine,réponds-jeenignorantsadernièreremarque.Ilclaquelaportederrièreluietjemeretrouveànouveauseulfaceàcemerdier.Ilestquatorzeheuresetjesuisprostrédevantmonordi.Jefixel’écransansvraimentlevoir.Jeme
lèveetfilesousladouchepouressayerdemeremettrelesidéesenplace.Jelaissecoulerl’eauchaudesurmes épaules un longmoment,mais rien à faire, rien ne va plus… Je perds pied et je ne sais pascommentm’ensortir.J’aipasséquatreputainsdejoursàfixermontéléphone,espérantqu’ilsemetteàsonner.Jemesuisfaitviolencepournepasl’appeleretlasupplierdebienvouloirdemoi.
Jesorsdeladoucheetentoureuneservietteautourdemataille.Delamain,j’essuielavapeursurlemiroiretunefoisdeplus,jesuissurprisparmonreflet.Jesuisblanccommeunlingeetmesyeuxsontcernés à cause de mes nuits tourmentées. Je cherche ma brosse à dents, mais suis interrompu par lasonnettedel’entrée.Jemedemandebienquivientmefairechieràcetteheure !Sic’estGreg,jeluiencolleune !Jemedirigeverslaporteenrâlant.Jedéverrouille,ouvre,etlà…jerestescotchésurplace,bouchebée,lesyeuxécarquillésdevantcetteapparitioninespérée.
Incapabledeprononcerlemoindremot,lecœuràdeuxdoigtsd’exploserdansmapoitrine,jelafixesansy croire. J’ai tellementpenséà elle, rêvéd’elle cesderniers joursque jemedisque jevaismeréveillerbrutalementetmerendrecomptequecen’étaitqu’unrêve.Letempsestsuspendu,onpourraitpresquevoirlesgrainsdepoussièresefigerentrenosdeuxcorps.Jeladévisageetremarquesesyeuxbrillantsd’uneintensitéincroyable.Est-cepourmoiqu’ilss’illuminentdecettefaçon ?Peum’importe,elleestlà…devantmoi,danssapetiterobenoirequiluicouvreàpeinelescuisses.Monregarddescendsur ses longues jambes fuselées puis remonte vers sa bouche pulpeuse, entrouverte. Elle semblecomplètement chamboulée, hésitante. Alors que je m’apprête à lui demander ce qu’elle fait là, ellefranchitladistancequinousséparepourvenirseblottircontremoi,enencerclantmataille.Jetressaillequandmoncorpstoutentiers’enflammeàsoncontact.Mesbrass’enroulentautourdecettefemmetantdésirée tandisque je referme laportedupied. J’ai bien troppeurqu’ellem’échappe pour prendre lerisque de la laisser ouverte. Je posema joue sur le haut de son crâne m’enivrant de son parfum. Jeremontemesmainspourvenirencadrersonvisage.Jedoisvoirsesyeux,jeveuxêtresûrqu’elledésirelamême chose quemoi.Quandmon regard plongedans le sien, je n’ai plus aucundoute…Alors, nepouvant me contenir plus longtemps, je me penche pour m’emparer de sa bouche. Elle est douce etchaude.Jeforcelebarragedeseslèvrespourpartiràlarencontredesalanguequejetaquine,mordille.
Elleexploremontorsedesesdoigtstremblants,cequiapoureffetimmédiatdemefaireperdrelecontrôle.Jelasoulèvebrutalementenmeretournantpourlaplaquercontrelemur.Sesjambesviennenttoutnaturellements’enroulerautourdemeshanches.Jepasseunemainsoussarobetandisqueseslèvresquittent lesmiennespourembrassermoncou,monépaule.Moncœurs’accélère dangereusement.Mesdoigtsglissentsous le tissufindesaculotte.Ungémissement luiéchappequand,délicatement, j’agacesonclitoris.Elles’accordeaurythmedesmouvementsdebassinquejeluiimpose.Elleredresselatêtepour venir à nouveau s’emparer de mes lèvres. Je l’embrasse avec acharnement, étouffant ses cris,resserrantmon étreinte, à la limite de l’écraser entremes bras.C’est plus fort quemoi, elleme rend
complètementdingue,jenemaîtriseplusrien.Maserviettetombeàmespiedscequimeramèneàlaréalité.Jeneveuxpaslaprendrecommeun
sauvage contre le mur, je veux savourer cet instant magique, alors je la porte jusqu’au clic-clac etl’allonge.Jemeretrouveàgenouxentresescuisses,j’enprofitepourluifaireleverlesbrasetluiretirerla petite robe noire pour l’envoyer valser à l’autre bout de la pièce. Son soutien-gorge et sa culotteprennentlemêmecheminquelquessecondesplustard.Elleestnue,àmamerci,s’offrantàmonregardgourmand.Mesmainsglissentlelongdesonventrepourallercaressersapoitrinegénéreuseetentitillerlespointes.Ellesecambreetpeineàrespirer.Sesyeuxsoudésauxmiens,sontemplisdedésir,ilsmegalvanisent.Jedélaissesesseinsfermes,pourécartersesgenoux.Sarespirationsefaitlourde,pesante.Je positionne mon visage entre ses fines cuisses, m’approchant doucement de ses replis humides. Jesouffle sur ses lèvresempreintesdesonenvie.Leboutdema langueseposeetagace lepetitbouton,tournantautourpuispénétrantcetteintimitédéfendueetinterdite.Maboucheentredansceballetsexuel,seposantsurcesexeoffert.Malanguesefaufile,audacieuse,s’insinuantdanslesplisetreplis,frétillantsursonclito,entrantenelle.Sesgémissementsdeviennentplusfortslorsquesesjambesserefermentsurmoietquedansunréflexeinconditionné,elleposesesmainssurmatêtepourl’appuyerencoredavantagesur son entrecuisse. Je glisse deux doigts au plus profond de son intimé et je relève le menton pourl’observer.Elletremble,secontorsionnedanstouslessenssousladoucetorturequejeluiinflige.N’ytenantplusjemeredresseetmepositionneentresesjambesaprèsavoirenfiléuneprotection.J’agrippeseshanchespourlasouleverlégèrementetlapénètrebrusquementenfermantlesyeux,pourmelaisserporterparcemomenttantattendu.MonDieuquec’estbond’êtreenelle…Nosdeuxcorpss’emboîtentàlaperfection.Jecommenceunlentva-et-vient,puisj’accélèrepourralentirànouveau.Jemèneladanse,elleestàmoietjecomptebienenprofiter.Assouvirtouslesfantasmesquim’onthantédepuisquemesyeuxsesontposéssurelle.Lerythmedevientplussoutenu,unsonrauquesortdemagorgetandisquejem’assiedssurmestalonsetquejelatireparlesbraspourqu’elleviennes’empalersurmoi.Sesjambesautourdemoi,sesmainsaccrochéesàmesépaules,nosbouchessetrouventetsedévorent.Mesdoigtsglissentsoussesfessespourlesempoigneretleurimposerunmouvementrapide.Jem’enfonceenelledeplus enplus profondément, deplus enplus vite. Je la sens lâcher prise, elle tremble entremesmainsquandelle jouit contremes lèvres. Je la rejoinspeude tempsaprèsdansundernier coupde reins, jem’immobiliseen l’écrasantcontremapoitrine.Nousrestonsuneéternitédanscetteposition, reprenantnotresouffle,imbriquésl’undansl’autre.Nosdeuxcorpstrempésdesueurnedésirentplusseséparer.
Nousnousfixonsunlongmoment,cherchantsûrementdesréponsesàcequivientdesepasser.Puisjelareposedélicatementsurlelitetm’allongeàsescôtés.Elleseblottitcontremoi.
–Alors,c’estlàquetuvis ?murmure-t-elle.–Oui, c’est là.Mais c’est provisoire,me sens-je obligé de préciser, ayant un peu honte de l’état
délabrédemonappartement.–C’estsurprenant.Jet’imaginaisplutôtvivredansunduplexultramoderne,insiste-t-elle.Unprofondmalaises’insinueenmoi.Est-ellevraimententraindemeparlerdemonappart ?Après
lemomentquel’onvientdepartager ?Jenemesenspastrèsbientoutàcoup.J’ail’impressiondenepasêtreà lahauteur.Denepasêtreassezbienpourelle.MaisÉmy redresse sonvisagepourplanter sonregarddanslemienetm’adresseleplusbeausouriredumondeettoutesmesangoissess’envolent.
Chapitre4
Émy*
Jemesensincroyablementbien.Stephenestallongéàmescôtés,ledoscontrel’oreilleretunemainsouslatête,entièrementnusouslesdraps.Sonvisageestdétendu,c’estlapremièrefoisoupresquequejelevoisainsi.Iln’estniencolère,niagacé.Juste…apaisé.Jeletrouvecraquant,çamedonneenviedeluisourire.
–Tuesbeau,commeça,dis-jeenposantlatêtesursonépaule.–Ah,ouais ?«Commeça»comment ?–Jenesaispas…Quandtuesbien.–Seulementquandjesuisbien ?demande-t-il,amusé.–Tuveuxm’entendredirequejetetrouvecanontoutletemps,c’estça ?–Ouais,répond-ilenriantàmoitié.Jemeredresseunpeupourpouvoirleregarder.Puis,d’untonmalicieux:–Quelprétentieux,celui-là,c’estdingue…–Alors,mademoiselle ?Jesuiscanontoutletempsoupas ?–Ehbien…Illèvelessourcils,attendantmaconfession.–Oui,tuescanontoutletemps.Satisfait ?–Etcomment !Pourunefoisquetumesorsuntrucsympa !Çamefaittoutdrôle…–Ah,maissiçateperturbe,onpeutreprendrenosvieilleshabitudes.–Cellesoùtumetraitesdetouslesnomspourunouioupourunnon ?–Celles-làmêmes,oui.–Çatemanquedéjà,c’estça ?J’embrassesonépaule,enmedisantquecen’estpasdutoutçaquimemanque.Puisjeplongedans
sesyeuxvertsetluisourisànouveau,sanspouvoirmeretenir.–Non.Mais…t’esplutôtsexy,pourungroscon.–Toiaussi,pourunepétasse…Nousnousesclaffonsenmêmetemps,et jemerendscompteque j’adore l’entendrerire.J’observe
sonvisageun instant,avantdemeredresser toutà fait.Là,àgenoux,àcôtéde lui, jemepenchepourembrasserdoucementseslèvres.
–Àvraidire,murmuré-jetoutcontresabouche,tuesleconleplusscandaleusementattirantquejen’aijamaisrencontré…
Puis je l’embrasseencore,maisenallantdélicatementcherchersa langue.Samainseposesurmajoue,pouraccentuerlaprofondeurdenotrebaiser,pendantquelamienneseposesursontorsenu.
–J’aimequandtudisça,répond-il,nemelâchantqu’unesecondeavantdereprendremabouche.Mesdoigtsglissentlentementlelongdesonventre,encaressantaupassagechacundesesmusclessi
biendessinés.Sarespirations’alourdit.–D’ailleurs,jecroisquej’aiencoretrèsenviedetoi,Stephen…Mamaindescenddenouveauets’emparedesonsexequiseraiditdéjà.Ilsoupire.–Tun’yvoispasd’inconvénients ?demandé-je,enentamantunlentmouvementdeva-et-vient.
–Non…souffle-t-il.Jepenseque…çadevraitaller…Larépliqueauraitpumefairesourire,sijen’étaispascomplètementivrededésir.Jelecaresseavecuneaviditégrandissante,etreculeunpeupourregardersonbeauvisage.Sesyeux
sesont fermés,ses lèvresentrouvertes laissentéchapperunsoufflerapide,haletant.Toutsoncorpsesttendu et son sexe dansmapaume est à présent raide à l’extrême. Jem’applique à nourrir sonplaisir,jusqu’àcequ’ungémissementgravemontedesagorge.
–Viens…réclame-t-il,enposantsurmoiunregardfoud’envie.Je m’exécute et prends place au-dessus de lui. Je lui mets lentement un préservatif et reste sans
bougeruninstant,malmenantsapatience,avantdemepencherpourallerl’embrasserdanslecou.Jeveuxfairegrandirencoresondésir.Sesmainsseposentsurmeshanchesetilgémit.
–Viens,Émy,répète-t-ild’unevoixrauque.J’enpeuxplus,viens…Cette fois, je fais exactement ce qu’il attend demoi etm’empale sur lui d’un lentmouvement du
bassin.Sonsexecoulissedanslemiendelaplusexquisedesfaçonsetc’estmoiquigémis.J’entamedesensuelsbalancements,enmêmetempsquesesmainssedéplacentsurmesseinsofferts,dontilcaresseavidementlespointesdurcies.
Notre danse enflammée gagne en intensité, Stephen accompagne chacun demes coups de reins dedélicieuxmouvementsdubassin.C’estsibon,j’enperdslecontrôle.Moncorpssilongtempsendormiseréveille,galvaniséparleplaisirinsenséquej’aiàfairel’amouràcethomme.Sousmoi,ilsecabre,lespaupières closes et la tête renversée en arrière, le voir comme ça me rend folle.Mais alors que jepensaisimpossibledemerapprocherdavantagedel’extaselaplustotale,lesdoigtsdeStephenseposentcontremonsexepourcaressermonclitoris.Jejouisinstantanément,enhaletantetgémissantsanspouvoirfairepreuvedelamoindreretenue.
Àboutdesouffle, rompuedeplaisiret les jouesbrûlantes, jecontinuemesva-et-vientpourmenerStephensurlemêmecheminquemoi.Jeleregardes’approcherdeplusenplusprèsdelajouissance,endonnantunrythmerapideetprofondàmeshanches.Soudainement, ilarrêtederespireretsefige,puisexploseà son tourdansuneplaintegraveet animale. Jeme laisse tomber contre son torse couvertdesueur,tremblanteetdésorientée,maissatisfaiteau-delàdupossible.
Jenesaispascombiendetempsnousrestonsenlacés,nusentrelesdrapsfroissés,maiscen’estpasencoreassez.J’auraisvouluresterainsidesheuresdurant.Maislaréalitéserappelleàmoiet,aprèsundernierbaisersurseslèvres,jemelèveafind’allerrécupérermesaffaires.
–Tupars ?demandeStephenenmevoyantfaire.–Oui,ilesttemps.J’aidéjàmanquéunaprès-mididetravail.Ilselèveàsontouret,commemoi,serhabilleensilence.Lorsquenousavonsterminé,jeluijetteun
regardembarrassé,nesachantcommentluidireaurevoir.Tropdequestionssansréponsesalourdissentl’atmosphère.
C’estfinalementluiquis’approche.Ilm’enlaceetm’attrapedoucementparlementon,pourrelevermonvisageverslesien.
–C’estquoi,lasuite ?–Lasuite ?–Pourtoietmoi.Est-ceque…est-cequ’onvaserevoir ?Jeprendsunelongueinspiration.Pourmoi,lesrèglesdujeusontclaires,maisenest-ildemêmepour
lui ?–Troissemaines,Stephen.Ilcomprendtoutdesuitecequecelasignifie.Sonvisagedevientgraveetsesyeuxvertssevoilent,
maisjenesuispassûredesavoirexactementpourquoi.–Tutemariesdanstroissemaines,c’estbiença ?J’acquiesce faiblement, honteuse de l’entendre formuler cette vérité après ce que nous venons de
faire.–J’aienviede te revoir.Vraiment.Maisçaneserapossiblequesionestd’accord tous lesdeux.
Aprèsmonmariage,toutdevras’arrêter…Etpuistoi…toi,tuasVictoria…Ilpousseunsoupirrapide,puiscaressedoucementmajoue.Cegestetendre,parcequ’ilmefaittrop
debienetqu’ilsembletropsincère,faitnaîtreenmoiuneprofondeinquiétude.–Cen’estquepourlesexe,Stephen,n’est-cepas ?Justepourlesexe…–Oui,biensûr,finit-ilpardireaprèsplusieurssecondes.Saréponsemesoulageunpeu.–Alors…jet’appelle ?proposé-je.–Oui.Nousnousembrassonsunedernièrefois,longuement,profondément,etjequittesonappartement.Maintenant,jedoisreprendremonrôledeparfaitepetitefiancée,afind’allerretrouverNicolas.Après être revenue à la vie le temps de quelques heures, je dois mourir à nouveau. Mais j’ai
l’habituded’êtremorteàl’intérieur.Çaira.
Chapitre5
Stephen*
Troissemaines…Troissemainesetjelaperdrai.Ellevientàpeinedes’enallerqu’ellememanquedéjà,alorscommentvivresanselle ?Commentsupporterl’idéequ’ellesoitloindemoietsurtoutqu’unautrehommelatouche,posesesmainssursoncorps,respiresonparfum ?Non,cen’estpaspossible,ilyaforcémentuneautresolution.Çanepeutpassepassercommeça…
Ma poitrine se contracte tandis que je fixe inlassablement cette maudite porte, espérant la voirs’ouvriràlavoléepourqu’Émyreviennesejeterdansmesbras,enmedisantqu’elleachangéd’avis,qu’elleneveutplussemarier.Maisfautpasrêver,lavienem’ajamaisfaitdecadeauetellesemblebiendécidée à m’enlever toutes les personnes qui sont importantes à mes yeux, de toutes les manièrespossibles.Mesparents,Julie,etmaintenantÉmy…
Pourquoi suis-je si en colère ? Je devrais me dire que c’est juste une cliente de plus, un nomsupplémentairesurlalonguelistedemadéchéance,demadescenteauxenfers.Unegonzessedemoinsàbaisersurcettefoutueplanèteou…unedeplusdansmoncœur…carc’estça,levraiproblème.J’enaiconscience.C’estçaquimemetréellementencolère:lefaitdesavoirqu’ellen’estpasjusteunnomdeplusetqu’ellemetouchelàoùpersonned’autrenem’avaittouchédepuisJulie.Elles’estinfiltréedansmatêteetdansmoncœur,pourmedirefinalementqu’ellemereprendraittoutdanstroissemaines.Vingtetunpetitsjoursetjemeretrouveraiseulunefoisdeplus…
Jerangetout,rageusement,nesupportantplusdevoircesdrapsfroissés,témoinsdenosétreintes,decesmomentspartagésquimeserontbientôtinterdits.Quandtoutestenordre,jedécided’allerfaireuntouràlasalledesportpourévacuercettecolèreetcettedouleurquimenouentlestripes.Ilfautqueçasorte, si je ne veux pas exploser et faire n’importe quoi, commeme rendre chez son futurmari et luidémolirleportrait.OuretrouverÉmyetlasupplierdebienvouloirdemoi.
Jenesuispascegenredetype,ilfautquejemereprennerapidement.Jesuisjustedéstabiliséparcequejen’aipasressenticegenred’émotion,d’attachement,depuisdesannées.Maisçavaaller, jevaismeressaisir.Toutvarentrerdansl’ordre,merassuré-je.
Lelendemain,jenebougepasdechezmoi,avachidansmoncanapé-lit,j’attends.Lesyeuxrivéssurmon portable ou sur ma porte d’entrée, j’attends… Il est presqueminuit quand je décide enfin à mecoucher. Elle ne m’a pas donné de nouvelles et je suis effrayé à l’idée de ne plus jamais la revoir.Pourtant,jesuissûrd’avoirvudanssonregardcespetitesétincelles,cettemagiequidémontrentqu’ellepartagemessentiments.
Jem’endors,sonvisagegravésousmespaupières.Cematin,jemeprépareàaffronterunejournéedemerdedeplus.Jesuisàdeuxdoigtsdeprendrema
voitureetdemebarrertoutelasemaine,loindecettevilleetloindecellequimepourritl’existenceparsonsilence.Maisàl’instantmêmeoùmesyeuxseposentsurlavalise,rangéesurlehautdemonarmoire,monportablem’indiquel’arrivéed’unmessage.Jemejettedessuspourdécouvrirqu’ilvientd’Émyet,d’unseulcoup,toutmonuniversestsuspendu.
Etsiellemedisaitqu’elleneveutplusjamaismevoir ?Lecœurbattant,jedécouvrecesquelquesmots:[Tueslibrecetaprès-midi,à13h?]
Jefixecemessagequelquessecondes,n’encroyantpasmesyeux,avantderépondre:[Oui,jesuislibre.]Puisuneenviesoudainedelataquinerm’envahitalorsjerajoute:[Maispastroplongtemps,j’aiunrendez-vousgalant.][Avecméméetsonratcrevéentuturose?]Unrirem’échappe.Ellearrivetoujoursàmeclouerlebec,elleestincroyablecettenana ![Oui,avecVictoriaetPrincesse.]Jenesaispaspourquoijeluimens.JenevoisVictoriaquesamedi,maisj’aicommeuneenviedela
piquer,delarendrejalouse.Peut-êtreparcequemoi-mêmej’aimalaucœuràl’idéedelasavoiravecsonfuturmari.
J’attendsuneréponse,maisrienn’arrive.Jepensequej’aiatteintmacible.Jem’empressedefairedurangementenmefaisantlapromessed’endécouvrirunpeuplussurelle.Jeneveuxpasquecesoituniquementcharnelentrenous.Jeveuxsavoircequisedissimuledanssapetitetête.Etpuisjenecessedepenseràcettemaisonenbanlieueoùsecachesûrementunautreamant.Maisjen’aipasledroitdeluifairedereproche.Jesuismalplacépourça.
Lasonnette retentit à treizeheurespétantes. Je suisprêt. J’aiprisunedouche,enfiléunvieux jeanbleuusé, un tee-shirt noirmoulant et, très important, jeme suisparfumé !C’est undétail trop souventnégligé par les hommes. Les femmes sont sensibles aux parfums. Je jette un regard circulaire dans lapiècequimesertd’appartementetouvreensentantmoncœurs’emballeràlalimitedusupportable.MesyeuxseposentsurÉmyetjerestetétanisésurplace,subjuguéparsabeauté.Elleporteunepetitejupenoire,avecuntopdumêmebleuquesesprunelles,dévoilantsapoitrinegénéreuse.Elleestchausséedetalonshauts,exactementcommejelesaime.Jedoisprendresurmoiensentantmonsexetendrelatoiledemonpantalon.
–Jet’enprie,entre,lancé-jed’unevoixrauque.Je la regarde pénétrer dansmon antre. Elle semble hésitante et nerveuse, alors jemets un peu de
musiqueetluipropose:–Tuveuxuncaféouuneboissonfraîche ?–Uncafé,répond-elleenmerejoignantderrièremoncomptoirquiséparelakitchenettedusalon.–Noirouavecdulait ?questionné-je,lesyeuxbraquéssursabouche.–Noir,précise-t-elleavantdesemordillerlalèvreinférieure.Pourquoivis-tuici ?–Commentça ?demandé-jeensachanttrèsbiencequ’elleveutdire.–Ben,sansvouloirtevexer…Tupourraistrouvermieuxailleurs.–Non,sûrementpasaumêmeprix !–Tuvasmedirequetun’enaspaslesmoyens ?Tuportesdescostumesgriffés,alorsjepensaisque
tugagnaisbientavie.–Maisjegagnebienmavie.Jenesouhaitetoutsimplementpasbalancerl’argentparlesfenêtres !
J’économise,répliqué-je,légèrementagacé.–Jenevoulaispasteparaîtrecurieuse…Maisjeneconnaisriendetoi.Jenesaismêmepasceque
tufaiscommejob…C’estquoitontravail ?–Chefd’entreprise,je…jesuisàmoncompte.–Oh,dansqueldomaine ?–Je…louedesservices.–Quelsservices ?questionne-t-elle,surprise.–Écoute…jen’aivraimentpasenviedeparlerdeçamaintenant,esquivé-jeenluilançantlesourire
lepluscharmeurdontjesuiscapable.Jeprendsunegranderespirationetdétournemonregard.Elleaunpouvoirinimaginablesurmoi.Je
memets à transpirer, des frissonsme parcourent le corps, je suis à deux doigts de l’arrêt cardiaque,
bordeldemerde !Dansquoijemesuisfourré ?!Je lui tends la tasse de café etmes doigts frôlent les siens. Aussitôt, une décharge électriqueme
traversedelatêteauxpieds.–Alors…Tueslibrejusqu’àquelleheure ?demandé-jepourfairediversion.–Pastrèslongtemps,aprèsjedois…jedoispartir.Elletournesatassenerveusemententresesmains,adosséeaucomptoir.Lapiècesembleserétrécirà
mesurequemesyeuxsepromènentsursoncorps.Sonparfumdefleurssauvagesvientchatouillermesnarines, commesi savisionne suffisaitpasàme fairebandercommeunmalade,voilàque sonodeuremplitmespoumons.
–Tudoispartir rejoindre ton futurmariauxcheveuxparfaitementgominésetà la raie sur lecôté,ironisé-je, en le regrettant aussitôt, car ses traits se décomposent. Je suis désolé, je ne voulais pas teparlerdelui…continué-je,embarrasséparlatristessequivoilesonvisage.
–Commentsais-tuàquoiressembleNicolas ?s’enquiert-elle,l’airsoupçonneux.Jemerendscomptedemonerreuretréfléchisàtouteallurepourtrouverlaréponsequilarassurera.–Euh…Jenesaispas,uncoupdechance.Cen’estpaslacoiffureofficielledetouslestrousducul
delahautesociété ?–Écoute,ilfautqueleschosessoientclairesentrenous,Stephen.Jememariedanstroissemaineset
toi,tuas…Victoria,dit-ellecommesilesmotsvenaientdeluibrûlerleslèvres.–Oui,moij’aiVictoria,répété-jeavecundégoûtprofond.Alorspourquoiperdons-nousdutemps ?
murmuré-je,nepouvantmecontenir.Jeluiprendslatassepourlaposersurl’évieret l’encercledemesbraspourl’écrasercontremon
torse.Sansattendreunesecondedeplus,jemepenchesursonvisagepourm’emparerdesabouche.Elleestchaudeettremblecontrelamienne.Sesmainssenouentautourdemanuquetandisquesonbas-ventresefrottecontremonérection.Jelâcheungrognementet lasoulèvedansmesbraspourl’asseoirsuruntabouret.Mes gestes sont précis et rapides, je n’ai pas de temps à perdre, je dois la posséder.À cetinstant, il n’y a pas de place pour les préliminaires, elle doit m’appartenir coûte que coûte. Je mepositionneentresesjambesqu’elleécartelargementpourm’accueillir.Elledéfaitmaceintureetouvremabraguettependantquejesorsunpréservatifdemapochearrière.Ellemesurprendenmel’arrachantpourledéroulersurl’objetdesondésir.Jeglissemesdoigtsentresescuissespourécartersaculotteetenmoinsd’uneseconde,jesuisauplusprofonddesonintimité.Jelapénètresansdétourenagrippantsesfesses.Elles’accrocheàmesépaulesalorsquejelaculbutesansménagement.Lapassionestpalpableentre nos deux corps. Nos bouches se dévorent entre deux gémissements. Ses jambes encerclent meshanchespourm’accueillir toujours plus loin en elle. Je perds complètement pied.Un feu ravageurmeconsumesurplacealorsqu’ellesecontracteautourdemonmembreenlâchantuncri.Jelarejoinsdansleslimbesduplaisirenétouffantmesgémissementscontrelapeausensibledesoncou.
Je me retiens de la mordre ou de lui faire un suçon, comme un ado boutonneux qui a besoin demarquersonterritoire.Cettefemmemerendstupideetpathétique.
Sa joue posée contre mon torse, elle reprend sa respiration. J’essaye de m’éloigner, mais elleresserre son étreinte. Le nez dans ses cheveux, je m’enivre de son odeur, pour l’imprimer dans mamémoireetnejamaisl’oublier.Jesecouelatêteetmedégageunpeutropbrusquementpourallerjeterlacapotedanslapoubelle.Ellemefixe,surprise,enrajustantsesvêtements.
–Jenesaispassijepourraismecontenterdetroissemaines,avoué-jesansréfléchir.Sonvisageserefermeaussitôtetdevientlivide.Jel’observeramassersonsacetsedirigerversla
ported’entrée.Auderniermoment,elleseretournepourmedired’unevoixdistante:–Troissemaines,Stephen.Riendeplus.Situn’espasd’accordavecça,mieuxvautenresterlà…Sesyeuxnequittentpaslesmienstandisqu’elleattenduneréponse.Jemeressaisisetmeredresse
pourlancerun«OKpourtroissemaines»commesitoutcecim’étaitindifférent.
–Alorsàbientôt.–Àbientôt…Àpeinea-t-elledisparuquejem’effondresurletabouret,pleindedoutes.Jemedemandesic’estune
bonneidéedelarevoir.Ellemedétruira,j’ensuisconvaincu…Sonemprisesurmoiesttropforte,c’enesteffrayant,voireirréel.
Le reste de la semaine passe lentement, comme si le temps se foutait de ma gueule lui aussi etralentissait, pour que jeme rende bien compte à quel point les heures, lesminutes, les secondes sontlonguessansÉmy.Ellememanqueterriblementetjesouffredesonabsence.Jen’aipaseudenouvellesdepuisnotredernièrerencontre,cequim’inquiète,caronnes’estpasvraimentquittédanslesmeilleurstermes.J’attrapeunebièredanslefrigoetmefaisviolenceàplusieursreprisespournepas l’appeler,puisjefinisparcéderetjeluienvoieunmessage:
[Quandpeux-tuvenir?J’aienviedetevoir.][Ah,oui?Envieàquelpoint?]Jesuisunpeurassuréqu’ellemerépondeetqu’elledésirejoueravecmoi.[Tuterappellesnotredernièrerencontre?Ehbien,tumultipliespardix.][Jesuisintriguée…Samedi,18h?]Jetapeduplatdelamaincontrelemur.Samedi,jenepeuxpas,j’airendez-vousavecVictoriaetsi
j’annuleencoreunefois,c’estlecataclysmeassuré !Alorsjeréponds,lamortdansl’âme:[Samedipaspossible.Unautrejour ?][Encoremémé,jesuppose.]Jesourisbêtement.Serait-ellejalouse?Cettepenséemeréjouitalorsj’enrajouteunecouche:[Oui,jedoisencoretesterquelquespositionsquipourraientéventuellementconveniràsonâge
avancé.][Essaieaussisanssondentier.Sionécoutelesrumeurs,ilparaîtquec’estfantastique !]Jerecrachelagorgéedebièrequej’allaisavalerenlisantsonmessage.Ellen’estquandmêmepasen
traindemeparlerde…Non,c’estdégueulasse !Maisjedécidedelaprendreàsonproprejeu:[Déjàtestéetjeconfirme:c’estmagique.][Bon.Alors,amuse-toibien.]Envoyantsesderniersmots,jem’empressederépondrepournepasperdrelecontactànouveau:[Quand?Dis-moiquand?][Demain.Jedoisallervoirmamère,maisjepeuxpasseraprès.Vers19h][Jet’attendrai.]Soulagéd’avoirunrendez-vous,jemelaissetombersurlecanapé,mabièreàlamain.Demain,on
est vendredi, c’est parfait ! Cette semaine était plutôt calme, mais la prochaine risque d’être pluscompliquée.J’aiunplanningchargéetvafalloirquejejongleentreÉmyetcesputainsdeclientes !
Chapitre6
Émy*
Stephenmemanque déjà. Ça ne fait pas longtemps, pourtant.Mais lorsqu’il ne vous reste qu’unepoignéedejours,chaqueheurecompte.C’estladernièrefoisquejevivraiça.Lefeudelapassion,cetteexplosiondesensationscharnelles,êtreavecquelqu’unquia lepouvoirdevousenflammerrienqu’eneffleurantvotrepeau.Maisc’estjustementparcequ’ilaceteffet-làsurmoiquetouts’arrêteralevingt-septjuinprochain.Jemelaisseembraser,carjesaisquecetteaventureseverraposerunpointfinaltrèsbientôt,nous sommes tous lesdeuxd’accordàcepropos.Rienn’est remisencause.NimavisiondumondeetdeshommesnimonmariageavecNicolas.EntreStephenetmoi,cen’estquesexuel.Pasdesentiments,justeundésirmutueltrès,trèsintenseetdespartiesdejambesenl’airfantastiques…Etpuisiln’estpasseul,luinonplus.Ilsortavecuneautrefemme.Iltrompeuneautrefemme.Cettevieillepeaude Victoria… Bon sang, qu’il me parle d’elle m’insupporte au plus haut point ! Je ne peux pasm’empêcherd’êtredésagréable,mêmesi jesaisque jenedevraispas.Qu’est-cequ’il lui trouve,à lafin ?Çanepeutpas être cettehistoirededentier…MonDieu, çamedonne lanauséed’imaginer ça !Maisalorsquoi ?S’ilétaitavecellepoursonargent,ilnevivraitpasdansunendroitaussivétuste.C’esttellementétrange,toutça…Commentpeut-ilressentirdudésirpourcettefemme ?Est-cequ’il…aplusenvied’ellequedemoi ?
Et là,maintenant, est-cequ’il est avec elle ?Est-ce qu’il rit, parle, se promène avec elle ? Est-cequ’il…est-cequ’ill’embrasse,luifaitl’amour,ouluimurmuredesmotsdoux ?Jedétestecetteidée,jel’aienhorreur.Toutcommecette femmeetsonvisage tout refait, sescheveux trop rouges, sonaffreuxchienetses…
–Tuesdanslalune,ondirait,commentemamanensouriant.Tiens,passe-moil’épluche-légumes.Tiréedemespenséespar lavoixdoucedemamère, jereviensà laréalitéet lui tends l’économe.
Puisjerecommenceàcoupermapommedeterre,cellequej’aidanslamaindepuiscinqbonnesminutes.–J’étaisdanslemêmeétatquetoi,quelquessemainesavantmonmariage,reprendmaman.Tun’es
pastropnerveuse ?–Non,çava…–Detoutefaçon,toutsepasserabien.Ceseraunejournéemagnifique.S’unirpourlavieàl’homme
qu’onaime,iln’yariendeplusbeau.Unebouleseformedansmagorge,jebaisselesyeux.–Jemesouvienscommesic’étaithierdujouroùj’aiépousétonpère,continue-t-elle,leregarddans
levague.Ilaplutoutl’après-midi,meschaussuresétaienttrempées !Maiscefutleplusbeaumomentdemavie…avecvotrenaissanceàtouslesdeux,biensûr.
Etelles’éloigneencoreunpeuplus.Elleestlà,présentephysiquementàcôtédemoi,maissonespritestdansunautremonde.UnmondeoùpapaetLiliansontàjamaisauprèsd’elle.J’ail’habitude,maisçamefaittoujoursaussimaldelavoirpartircommeça.
– Lilian adorait regarder nos photos de mariage ! s’exclame-t-elle, en souriant doucement. Ilfeuilletaitl’albumsansarrêt !
–Oui,maman.Jem’ensouviens.Mavoixsortmamèredesessouvenirs,elletournelatêteversmoietsonregards’éteintlorsqu’elle
revientàlaréalité.–Enfin,bref,sereprend-elle.Jevaischercherlesoignons.Elleselèveetquittelatabledelacuisine,àlaquellenoussommestoutesdeuxinstallées.Jelasuis
desyeux,enmedisantque toutescesannéesdechagrinne l’ontpasépargnée.Déjàd’uneconstitutionfluette,elleportedesvêtementsdémodésdanslesquelsellesemblecomplètementperdue.Sescheveux,autrefoisblondsetsoignés,sontaujourd’huistriésdeblancetsimplementmaintenusparunepinceplacéeàlava-vite.Ondevineenlaregardantattentivementqu’elledevaitêtretrèsbelle,lorsqu’elleétaitplusjeune.Maisladuretédelaviel’afanée,afaitmourircettebeautéenvolanttoutcequ’ilyavaitdejoyeuxenelle.Àprésent,elledégageunetellefragilité,unetellelassitude,quej’aipeurdelavoirs’envoleraumoindrecourantd’air.
–Ça fait bien longtemps que je n’ai pas vuNicolas, dit-elle en fourrageant dans le placard, à larecherchedesoignons.J’aimeraisbiencroisertonfuturmariunpeuplussouvent.
–Ilesttrèsoccupé,tusais,éludé-je.Sontravailluiprendbeaucoupdetemps…Etj’aipeurqu’ennousvoyantensemble,maman,tucomprennesdeschosesquejeneveuxpasque
tusaches…ElleneconnaîtpaslesvraiesraisonsdemonmariageavecNicolas.Jamaisellen’accepteraitdeme
laisserl’épousersiellesavait.Mamèreatoujoursunevisiontellementutopiquedel’amour…Elleestrestéeplusromantiquequ’unejeunefille.Mêmeaprèstoutessesrupturesdésastreuses,mêmeaprèsavoireulecœurbriséàdenombreusesreprises,ellecontinueàcroirequel’amourestlaplusbellechosequiexiste. Jamais jenebriserai cela, c’est toutcequ’il restededouxdans savie.L’espoir.Et la joiedepenserquejesuisheureuseettrèsamoureusedemonfuturmari,commeellel’aétédemonpère.
–Tuestoujourssurlamêmepommedeterre ?mequestionne-t-elleenrevenants’asseoir. Jecroisquejesaisàquitupenses,pourêtreàcepointperturbée…
Ellem’adresseunsourireattendri,jemecontented’acquiescer.Jamaistunesauraspourquoijefaisça,maman.Tucroisquecetargentquitombeducieltousles
moissurtoncompte,c’estjustemoiquiteledonne,queçanemecoûterien…parcequejet’airépétécemensongedesdizainesetdesdizainesdefois,pourteconvaincred’acceptermonaidesansteposerdequestions.Tucroisquejegagnetrèsbienmavie,quemonmariageavecunhommefortunéestuneheureusecoïncidence.Tuestroploindanstonmondepourvoirlavérité,etjetelacacheraijusqu’àtondernierjour.Tuasperdutonmari,tuasperdutonfils.Tonexistenceentièreavoléenéclatsetcesépreuvest’ontvidéedetoutestesfaiblesforces.Pourtant, tuascontinuéàtebattre,aussidurementquetulepouvais,parcequej’étaislàetquej’avaisbesoindetoi.Jet’aivueconstammentsurlepointdetenoyer,peinantàgarderlatêtehorsdel’eau.Maisjetelejure,çan’arriveraplusjamais.Jesuislà,etjeferain’importequoipourallégerunpeutonfardeaudechagrin.N’importequoi,maman.
–Tonpèreadoraitcetterecette,dit-elleens’enfermantunefoisdeplusdanssonespritembrumé.–Jesais,maman.Jesais…Jesuisallongéesurleventre,lespaupièrescloses,lamaindeStephencaressedoucementlapeaunue
demon dos. Jeme sens bien.Nous venons de faire l’amour, deux fois, etmon entrejambe est encorebrûlantdesesdélicieuxassauts.
–Àquoitupenses ?medemande-t-il,avantdedéposerunbaisersurmonépaule.–Augrosconquivientdemefairegrimperauxrideaux,dis-jeensouriant,amuséed’imaginerson
expressionàcetinstant.Jerouvrelesyeuxetsourisencoreplusgrandenvoyantque,effectivement,ilal’airaussidésabusé
quejemel’imaginais.–T’arrêterasjamaisdemetraiterdecon,sijecomprendsbien ?–Tuastoutcompris !Maisc’estdetafaute.Tul’asbiencherché…Ilsoupire,maissesyeuxbrillent.
–Non,enfait,jepensaisàmamère,situveuxtoutsavoir.–Encoremieux ! s’esclaffe-t-il. Jepréféraisencorecettehistoiredeconqui te faisaitgrimperaux
rideaux !–C’est parce que je regrettais juste de devoir bientôt partir, grosmalin. Je dois passer chez elle
déposersarobeetellehabiteenbanlieue,danslefinfonddelaSeine-et-Marne !–Tamèrehabiteenbanlieue ?Genre…genredansunepetitemaison ?–Euh…oui,dis-je,surpriseparsaquestion.C’estsiétrangequeça ?–Non.Non…Stephenselaissetombersurundesoreillers,poursemettreàfixerleplafond.–Tuesproched’elle ?demande-t-ilaprèsunmoment,sansmeregarder.–Pourquoituveuxsavoirça ?–Jenesaispas.J’aiperdumesdeuxparents,alors…j’ensaisrien…Jeneparle jamaisdemonpasséàpersonne. Iln’yaqueVanessaquisoitaucourantdecequiest
arrivé àma famille,mêmeNicolas ne sait pas exactement ce qui s’est produit. Je regarde Stephen etperçoissursonvisageunedouleurquejeconnaisbien.Ilavécucequej’aivécu.Ilsaitladéchirurequeprovoquelaperted’unêtrecher.J’aisoudainementenviedeluiparler,detoutluidire.Peut-êtreparcequ’ilpourraitcomprendre,oupeut-êtreparcequejemesensbien,jenesaispas…
–Jesuisaussiprochedemamèrequ’onpeut l’êtreétantdonné lescirconstances,commencé-jeenvenantposerlatêtesursontorse.
–Quellescirconstances ?s’enquiert-ild’unevoixdouce.J’hésite à répondre.Mêmesi j’enai envie, luiouvriruneporteque jegarded’ordinaire ferméeà
doubletourm’estdifficile.Ilneditplusrienetattend,sapatienceestsiréconfortante.Àtelpointque,toutàcoup,jemesensprêteàmelancer.
–J’avaisunfrère,avant.Ils’appelaitLilian.Onavaittroisansd’écartetonpassaitnotretempsàsedisputer…Maisjel’adorais.Etpuisunjour,j’avaisneufans,il…ils’estfaitrenverserparunevoiture.Ilestmortàl’hôpital,aprèsquemesparentsaientdûprendreladécisiondedébrancherlesmachinesquilemaintenaientenvie.
Jem’arrêteuninstant,revoyantmamères’effondrerdanslesbrasdemonpèreaumilieud’uncouloirblancaseptisé.LamaindeStephenseposedoucementsurmonépauleetilmeserrecontrelui.
–Pendantquelquesmois,j’aicruquenotrefamilleallaittenirlechoc,malgrécetteterribleépreuveettoutcechagrin.Lilianmemanquaitatrocement,iln’yavaitpasunjouroùjenepleuraispasdepenserquejenelereverraijamais.
Combiendefoisai-jeétérejoindresachambreencachette,durantlanuit,justepourm’allongersursonlit,sansmêmedéfairelesdraps,etavoirl’impressionqu’ilrestaitunpeudeluiquelquepart ?
–Jesavaisquemesparentsavaientlecœurbrisé,continué-je,maisj’étaistropjeunepourréaliseràquelpoint.Jen’aipasvumonpères’enfoncerdansladépression,jen’aipasreconnulessignes…Moinsd’unanaprèsladisparitiondeLilian,il…ilafinipar…
Jem’arrête.Lesmots,mêmeaprèssilongtemps,sontdursàprononcer.–Ilafiniparsependredanssonbureau.–Émy…murmureStephen.Çaadûêtre…atroce.–Oui,çal’aété.Toutachangé,cejour-là.Mamère,moi.Notrevie…Ledébutd’unelongue,trèslonguegalère.–Aprèsledécèsdemonpère,mamèreetmoinoussommesrenduescomptequ’ilavaitcomplètement
abandonnésasociétédeconstruction.L’entrepriseétaitenfaillite.Enplusdudeuil,nousavonsdûfaireface aux dettes, aux créanciers, aux saisies…On a perdu tout ce qu’on avait : notre grande et bellemaison,nosmeubles,lesdeuxvoitures…Ons’estretrouvéestouteslesdeuxdansunpetitappartementdéfraîchi,dansunetourHLM.
–Commentvousêtes-voussortiesdetoutça ?–Onnes’enestpasvraimentsorties,àvraidire.Surtoutmaman…Ellequin’avaitjamaistravailléa
dûaccepterlepremierboulotqu’onluiaproposé.C’étaitpayéunemisère,maisellen’apaseulechoix.Çaaétélepremierd’unelonguelistedejobsprécaires,etd’unevie…pastouslesjoursfacile.
Jesoupire,commelibéréed’unpoids.Voilà,ilsaittout…Luiavoirparlémefaitdubien,maispasautantquelafaçondontilmetienttoutcontrelui,comme
s’ilessayaitdemeprotégeràretardement,ouderecollerlesmorceauxdemoicassésparlavie.–Doncoui,continué-jepourenfinrépondreàsaquestion.Jesuisprochedemamère,mêmesielle
n’estplusdutoutlamêmedepuisqu’ellesembles’êtreenferméedansunmondedontelleaexclujusqu’àsaproprefille…Maiselleabesoindemoimalgrétout.Jesuistoutcequiluireste.
–Jesuisvraimentdésolé,Émy.Jen’avaisaucuneidéedetoutça.Nousrestonsunmomentenlacés,sansriendire,l’atmosphèrelourdedemesaveux.–Ettoi ?lequestionné-jeprudemment.Qu’est-cequis’estpassé ?Jeregrettecettequestiondèsl’instantoùellefranchitmeslèvres.Jeneveuxpasleforceràseconfier
s’iln’enapasenvie.Maisiln’hésitepasàmerépondreetmacrainted’avoirététroploins’envole.–Untrucàlacon…commence-t-il.MesparentsétaientpartisenÉgypte,pourfêterleursvingt-cinq
ansdemariage.Maisilsnesontjamaisrentrés.J’inspiresansfairedebruit,parpeurdelegêner,maisenserresatailledemonbras.–Yaeuunproblèmeaudécollagedeleuravion.Ils’estabîméenmer,touslespassagerssontmorts.
Défaillancetechnique,qu’ilsontdit…Derrièreledétachementaveclequelils’exprimesecacheunedouleurtoujoursmordante,jelasenset
jenelasupportepas.–J’avaisdix-neufans,etjemesuisretrouvétoutseul.–Tun’aspasdefrèreetsœur ?–Non.Jesuisfilsunique.De l’imaginer sans personne, soudainement livré à lui-même alors qu’il était si jeune me fait
atrocementmal.Jedéposeunlongbaiserdanssoncou,enmeserrantcontresoncorpschaud.Stephenembrassemes
cheveux,caressemonépaule,avecunetelledouceurquependantuncourtinstant,moncœurn’estpluscetamasinertequ’ilestdepuisdix-neufans.C’estjusteuneimpressionténue,commeunlégersursaut,maiscettesensationmefaitpeur.Ilnefautpasquej’imagineunesecondeneplusêtrecomplètementseule.Jemeredressepourfuircesbrasdanslesquelsjesuistropbien.
–Enfinbon,dis-jepourchassermonmalaise.Cen’estpastrèsgai,toutça !–Non.Maisc’estaussicequenoussommes,Émy.Cequetues,toi.Stephen se redresse à son tour,me dévisage avec intensité quelques secondes, puis s’avance pour
m’embrasser,avecuneferveurquifaitsursautermoncœuràlafolie.Ilyatrop,danscebaiser.Tropdedouceur, trop de compréhension, trop de bien-être, trop d’apaisement. Trop de tout…Les larmesmemontentauxyeux.Jemedéfaisdesonétreinte,entournantlatêtepournepasluimontreràquelpointjesuisbouleversée,etsorsrapidementdulit.
–Jedoisvraimentyaller,dis-je,dosàlui,enenfilantmarobe.–OK…Jenemeretournequelorsquejesuisprêteàpartiretquej’airetrouvéunvisageexemptd’émotions.–Ons’appelle ?demandé-je.–Oui,ons’appelle.Jeluisourislégèrementetreviensjusqu’aulitpourl’embrasserunedernièrefois.Jesorsdesonimmeublepourrejoindremavoitureavecuneseulepenséeentête:ilnenousresteque
deuxsemaines…deuxsemainesavantquetoutsoitterminé.
QuelquesheuresaprèsmavisitechezStephen,jesuisdansl’appartementdeNicolas.Ilvoulaitquejepasselanuitaveclui,ilasignéunautrecontrat.J’auraispréférénepasvenir,maisilnem’aencoreunefois pas laissé le choix.Même si jeme sens particulièrementmal, les désirs demon fiancé sont desordres…
Quel genre de femme suis-je donc, pourm’allonger dans le lit de deux hommes différents en unejournée ?C’est étrange,mais j’ai l’impressionquecellequiétait avecStephenn’estpas lamêmequecellequiestàprésentavecNicolas…commes’ilexistaitdeuxversionsdemoi,commeonséparesaviepersonnelledesavieprofessionnelle.IlyaÉmy,etilyaÉmelyne,cellequisedonneavecpassionetquiprend tant de plaisir à le faire, et celle qui écarte les jambesmachinalement, juste parce qu’on lui aordonnédelefaire.
Êtretraitéecommeunepoupéegonflablenem’avaitjamaisgênéejusqu’àmaintenant.Jeneressentaisrien, j’avaismêmeoublié àquelpoint faire l’amourpourdevraipouvait être extraordinaire.Et à cetinstant,jepréféreraisnejamaism’enêtresouvenu.Ladifférenceentrecequej’aivécucetaprès-midietcequejevismaintenantestinsupportable.
Nicolasestallongésurmoi,ilgémitdansmoncou,soncorpsestlourdetmonabsencetotaled’envierendl’actedouloureux.Sonsoufflehaletantmeglace,soncontactmerebute.Sesva-et-vientbrutauxneserventquesonpropreplaisir,iln’yaaucunpartage.Riendedoux,riendesensuel,justeunepénétrationrudeetégoïste,quisetermineradansunrâled’autosatisfaction.
Faitesqu’ilfinissevite,jen’enpeuxplus.Je ferme les yeux pour ne plus voir le plafond s’agiter au-dessus demoi. J’ai envie de vomir. Il
grognedansmonoreille,cesonmerévulse.J’obligemoncorpsàrester inerte,ànepasserebeller,àaccepterensonseincetintrusquepourtantjeméprise.J’ail’habitude,jenedevraispasensouffrir.MaisdepuisStephen, tout a changé…Comment deux actes en théorie similaires peuvent-ilsmeprocurer uneffet si diamétralement opposé ? Il me faut vider mon esprit, éteindre mon corps, pour redevenir lamarionnettequej’étaisencoreilyapeu,pourneplusrienressentir,pourneplussouffrir.
Derrièremespaupièresclosesrevientsanscesse levisagedeStephen.Jemesouviensde lafaçondontilm’afaitl’amouraujourd’hui,dontilm’aembrassée,etdubien-êtreinsenséquis’estemparédemoi lorsque j’étais dans ses bras, tout contre lui. Je me souviens de ses regards, à la fois doux etenfiévrés,desonodeur,sidifférentedecelledeNicolas.Etleslarmesmebrûlentlesyeux.Cettehistoireavecluin’estqu’unrêveéphémère,uneparenthèse.Laréalitédelavie,demavie,estcethommequis’agiteentremesjambescommeunanimalgrotesqueetdégoûtant.
Aprèsundernier coupdeboutoir,mon fiancé sevideengémissant.C’est enfin terminé.Puis il seretireetselaissetomberàcôtédemoi,dansunsoupirsatisfait,sansm’adresserunmot.Débarrasséedeluietcettehorriblecorvée,jemeretournepournepluslevoiretluicachermesjouestrempées.Ilnefautsurtoutpasqu’ils’aperçoivequejepleure.Ils’endortcinqminutesplustard,sanss’êtrerenducomptedequoiquecesoit.
Danscettepièceglacialequiseramachambred’icideuxsemaines,lesyeuxouvertssurl’obscuritéépaisseetfroide,j’attendsquemeslarmessetarissent.Maisrienn’yfait,ellescontinuentdecoulersurl’oreiller,détrempantlecotonégyptienhorsdeprix.Jepleuredemedirequemavien’auraitpasdûsepasser comme ça et n’être qu’une succession d’épreuves et de sacrifices. Mais surtout, je pleure decomprendrepourquoi,toutàcoup,jenesupportepluscequiauparavantmesemblaitacceptable.
Jem’étaisjuréqueçan’arriveraitplus.Jenesuispasunedecesfillescrédules,jenemelaissepasmenerparmoncœur,carjesaisqu’ilestlepiredesguidesetn’apportequedouleursetdésillusions.Etpourtant,mevoilà,ànepenserqu’àunseulhomme,àattendrel’instantoù,enfin,jeretrouveraisesbras.
Jelesaisdéjà,notreruptureserapourmoimourirànouveau,maisjen’auraipaslechoix.Lorsquejefinisparm’endormir,madernièrepenséeestpourlui.Encoreettoujourslui,cethomme
quiaréussirenversertoutesmesbarrières.Stephen.
Chapitre7
Stephen*
JemegaredevantlePalace.C’estsamedisoiretaulieudepartirenbringueoudepasserlasoiréeenfamillecommelefontsûrementlaplupartdesgensnormaux,moi,jevaisdansunhôtelluxueuxpourm’envoyer en l’air avec une vieille chieuse. C’est ma vie, mon quotidien. Émy n’est qu’une petiteparenthèse,unepetitedouceuraumilieudecettemerde.Maislesmeilleureschosesontunefin.JeprendsquelquesinstantspourfairelepointavantderejoindreVictoria.
Hier,Émys’estconfiéeàmoienmeparlantdelapertedesesproches.Ellem’aouvertsoncœur,pastrès longtemps, juste assez pour que je réalise que, tout commemoi, elle est brisée. Je commence àcomprendreseschoixetsonattitude.Jesuispresquesûrqu’ellesemariepourmettresamèreàl’abridubesoin.Sic’estlecas,jenedoispasm’enmêler,çanemeregardepas !Moiquipensaisqu’elleavaitunamant…Pff, jemesuiscomplètementplanté !Onreprendrabientôtchacunnotrecheminet terminé !Jen’entendraiplusjamaisparlerd’elleettoutrentreradansl’ordre,merépété-jepourlamillièmefoisendescendant de ma voiture. Je me demande même pourquoi je pense à elle alors que je dois bosser.Sûrement parce que la veille elle m’a dit qu’elle m’appellerait et qu’elle ne l’a pas fait. Satanéegonzesse…
Je salue le portier qui commence à bien me connaître, et prends l’ascenseur pour rejoindre lachambredeVictoria.J’aiàpeineletempsdefrapperdiscrètementàlaportequ’elles’ouvredéjà.
Uniquementcouverted’unpeignoirdel’hôtel,Victoriamedévoredesyeuxensouriant.Ellesembletrèsheureusedemevoir.Avait-ellepeurquej’annuleencoreunefoisnotrerendez-vous ?Possible,maisjem’enfichecomplètement.Jepénètredanslachambre,quifaitcinqfoislatailledemonappartement,etfixeleplusfauxsouriredumondesurmonvisageavantdeluidire:
–Bonsoir,Victoria.Commentallez-vouscesoir ?–Pourquoit’obstines-tuàmevouvoyer,Stephen ?Depuisletempsquel’onseconnaît,c’estridicule !
s’agace-t-elleenfaisantglisserlavestedemoncostumelelongdemesépaules.–Parcequejenepeuxpasfaireautrement,lancé-jeenretenantlesquelquesréponsesacerbesquime
brûlentleslèvres.Unparfumsucréembaumelapièce,cequin’estpasdésagréable.Jem’avanceverslebarpourme
servirunwhiskyenignorantsesœilladesprovocatrices.JeremarquePrincesseallongéesurlelit,dansunegrotesque tunique rouge,quime fixedesespetitesgobillesmauvaises. Jeme retiensde l’envoyervalserd’unboncoupdepiedetreportetoutemonattentionsurmacliente.
–J’aifaitcoulerunbain,Stephen.Rejoins-moiquandtuserasprêt,dit-elleendisparaissantdanslasalled’eau.
Je profite de son absence pour sortir le petit comprimédemonportefeuille et l’avaler. J’en auraibesoinaujourd’huiplusquejamais.Jeprendsaussiquelquespréservatifsaupassage,quejeposeàcôtédulit,etdécided’engarderundanslecreuxdelamainpourrejoindreVictoria.Jenesuispasdupeetmedoutebienquel’histoiredubainn’estqu’untraquenard.
Jepénètredanslapièce,uniquementéclairéedequelquesbougieséparpilléesauxquatrecoinsetmedéshabille.Jesenssonregardlourddedésirpesersurmoi.Jenepeuxretenirunfrisson,paslegenredefrisson queme procure Émy, non…Celui-là n’est dû qu’au dégoût profond que je ressens pour cette
femme.Ilmedonnelachairdepouleetmenouelagorge.Jenesaispascequejevaisdevenir,maisj’aideplusenplusdemalàsupportermonjob.Cesderniersjoursontfinidem’acheveretquandjeregardemavieillebotoxéedanssonbainmoussant,uneenviedevomirmeprendàlagorge.Faitchier !Jen’aiquetrente-deuxansetjenesuisdéjàpluscapabledebaisertoutcequipasse !Moncorps,etsurtoutmatête,semettentàfairelesdifficiles.
Jeprendsplacedanslagrandebaignoire,derrièreVictoria.Elles’installeentremesjambes,secalantcontremontorse,entrémoussantsonculflasquecontremonsexequipeineàsedresser.
Ses longsdoigtsmanucurés,auxonglesrougepétant,sepromènentsurmescuissesetmeprocurentunesensationdemal-êtreintense.Jefermelesyeuxetlaissematêtepartirenarrièrepourreposercontreuneépaisseserviette.Aprèsunegranderespiration,jedécidedereprendreleschosesenmain.J’encerclema cliente de mes bras musclés et caresse sa poitrine descendante. Elle gémit en se collant plusétroitementcontremoi.Mesdoigtsglissententresesjambespourmalmenersonintimité,sesreplisd’uneautreépoquequi,enleurtemps,étaientsûrementbandants.
Ellepassesonbrasentrenosdeuxcorpspourvenirempoignermonmembreetsoupiredesatisfactionenlesentantaussidurquedubéton.S’imagine-t-elleréellementquec’estellequimefaitceteffet ?Jedéchirel’emballagedupréservatifaveclesdentsetjemeredressepourledéroulersurmonsexeavantdemeréinstallerconfortablement.
JeretiensunrireameretsoulèveVictoriapourvenir tranquillement l’empalersurmonmat,drességrâce à la magie de l’évolution médicale. Elle gigote dans tous les sens en lâchant des sons plusécœurantsqu’autrechose.Jel’attrapeparleshanchespourl’immobiliseretcommencemonva-et-vienten fermant les yeux. Comme par enchantement, le visage d’Émy s’impose à moi, ce qui, je l’avoue,m’arrangebien.Jel’imagineàlaplacedemaclienteetsanslevouloirmonrythmecardiaques’accélèreenmêmetempsquelacadencedemescoupsdeboutoir.Victoriatrembleetcrieentremesbrastandisquel’eauagitéepassepar-dessuslesrebordspourinonderlesolmarbré.
J’ouvre lesyeuxpour regarderVictoria jouir,maisneparvienspas à en fairedemême. Je simulepourluifaireplaisir.
– C’était merveilleux, Stephen, dit-elle en reprenant place contre mon corps. Tu vois qu’il y atoujourscettemagieentrenous.Tul’asressentietoiaussi ?
Dequellemagiemeparlecettevieillefolle ?A-t-elleàcepointperdularaison ?Jemepasseunemainsurlevisagepourmecalmer,avantderépondredutonleplusneutredontjesuiscapable:
–Oui,c’étaitmagique…Maisnevousfaitespasd’illusions,jen’accepteraipasvotreoffredevenirvivrechezvouspourautant.
–Pourquoi ?Tun’asrienàperdre,réplique-t-elle,ensetournantpourplongersesyeuxdepoissonfritdanslesmiens.Onseraitheureux,touslesdeux.Tuneseraisplusobligédevivredanscequartierdélabré.Tuvauxmieuxqueça,Stephen !
Oui,jevauxmieuxqueça,pensé-je,enmeretenantdeluifoutrelatêtesousl’eaupourlafairetaire,etneplusêtreobligéd’entendreceramassisdeconneries.J’aibeauessayerdememaîtriser,ellearrivetoujoursàmerendrefou.Maisjedoismecalmer,c’estgrâceàsonfricquejeréaliseraimesrêves,undecesjours.
–Nousavonsdéjàeucetteconversationetjepensaisqueleschosesétaientclaires,grommelé-jeendétournantleregard.
–Jet’aime,lâche-t-elletoutàcoupenm’agrippantdeseslonguesgriffes.–Quoi ?questionné-jeenmeraidissant.J’aidûmalentendre,cen’estpaspossibleautrement !Cettevieillerombièren’estquandmêmepas
en train de me faire une déclaration d’amour ? Ce serait la cerise sur le gâteau ! Je soupire en larepoussantpoursortirdelabaignoire.
–Stephen…Tuneparspas,j’espère ?s’affole-t-elleenmesuppliantduregard.
–Non,maisj’enaimarredefairetrempette,jevousattendsdanslachambre.Uneminute de plus dans ce bain etma peau serait aussi fripée que la sienne, pensé-je en prenant
placedanslesdrapsfrais.J’attrapemonpaquetdecigarettesetenallumeune,leventrenouéenpensantàlanuitquim’attend.Jevaisdevoir laculbuterencoreuneoudeuxfoisetdevoir fairesemblantd’êtreheureuxdelefaire !Jejetteaussiunœilàmonportableetsuisdéçuendécouvrantqu’Émynem’apascontacté.Jevaispeut-êtredevoirmefaireàl’idéequ’ellenem’appelleraplus…J’écraserageusementmacigarettedanslecendrierencristal,enévitantdeposermesyeuxsurVictoriaquisortnuedelasalledebains.Àpresquesoixante-dixbalais,ellesedandineàpoildevantmoi,commesiçapouvaitmefairelemoindreeffet…Seprend-ellevraimentpouruntopmodèle ?Oùn’a-t-elleplusdemiroirchezelle ?Elleenestcomplètementridicule.
Je me rends compte que ce soir je n’ai pas fait l’effort de lui faire la conversation. On n’a paséchangéplusdetroismots,cequimeconvienttotalement,maiscen’estpascommeçaquej’exercemonjob !Ilfautquejemeressaisisse,maisj’aidumal.Etceputaindeclebsquivientsecollercontremesjambesnefaitrienpourarrangermonhumeur.
–Princessenepeutpasdormirsurlecanapéousurletapisaupieddulit ?grogné-jeenm’empêchantdel’éjecter.
–MonDieu,non,s’offusque-t-elle.Princessefaitdodoavecmaman,couinelavieille,enfaisantdesmimiquesridiculesàsonrat.
–OK…J’éteinslalampedechevetetm’allongesouslesdraps.Victoriamerejointetvientselovercontre
moi.Jem’obligeàpasserunbras sous sanuquepour luimontrerunpeud’affection.Maiscegeste sifacileàl’époqueestdevenuunetorturesansquejesachepourquoi.Mavieaprisunvirageàcentquatre-vingtdegréssansquejenepuisserienychanger.Jereplongedansmonpassé.Jemerevoisprèsdemesparents quelques heures avant leur « grand voyage ». Ils étaient si heureux, alors, de fêter leuranniversaire.Vingt-cinqansdemariage…Denosjours,c’estdevenutellementrare.J’auraisaiméavoircettechanceavecJulie.Silamortnemel’avaitpasarrachée,serions-nousencoreensemble ?J’ensuisconvaincu, c’était mon âme sœur, ma moitié. En pensant à elle, mes yeux se mettent à brillerdangereusement. Victoria me sort de mes songes quand sa main descend entre mes cuisses pour mecaresser,espérantsûrementremettrelecouvert.Maiscesoir,riennevaplus,jem’écarteenmurmurant:
–DésoléVictoria,maislà,jenepeuxpas…–Commentça,tunemedésiresplus ?panique-t-elle.Jerepousseledrapetmelève,àboutdenerfs.Jerépondsenessayantdemaîtrisermavoix.–Cen’estpasvousVictoria,c’estmoi.Je…jenevaispasbien.Jevaisrentrer.–Stephen,restejusqu’àdemainmatin,tunepeuxpasm’abandonner !Jel’ignoreetenfilemesvêtements.Unemigraineatrocefinitdem’acheverquandsavoixperçante
résonnedanstoutelachambre.–Jet’aipayépourtoutelanuit,tunepeuxpaspartir !Emportéparlacolère,jesorsl’enveloppedemapocheetenretirelamoitiédesbilletspourluijeter
auvisage.–C’esttoiquejeveux,pascetargent !Qu’est-cequisepasse,Stephen ?Pourquoias-tuchangéces
dernierstemps ?–Jen’aipaschangé,c’estjusteque…quej’enaipleinleculdetoutecettemerde !hurlé-je.Jene
suispasunclébardqu’onprend,qu’onmanipule !Oui,vousmepayez,mais jenesuispasvotreobjetpourautant !
–Jenetetraitepascommeunobjet !réplique-t-elle,piquée.–Biensûrquesi,vousl’avezfaityamoinsdedeuxminutes !Vousnemepayezpaspourlanuit,mais
pourunservice.Jevousbaiseetjenevousdoisriendeplus !
–Jenetepermetspasdemeparlersurceton !–Jevousparlecommejeveux !Etdetoutefaçon,jemecasse !–Jeneveuxpasquel’onsedispute.Jetetéléphoneraiquandtuserascalmé !J’écoutesesderniersmotsetme trouvebeaucoup tropduravecelle.Alors,prisde remord, jeme
radoucispourluidire:–Appelez-moidansunjouroudeux,çairamieux.Je tourne les talons et m’éloigne rapidement de Victoria, de cette chambre, de cet hôtel, de ce
quartier. Je rentrechezmoicomplètementanéanti, sansvraimentenconnaître la raison.Peut-êtresont-elles trop nombreuses pour les énumérer. Je suis dansmon troumiteux,mais jamais je n’ai été aussicontentdem’ytrouver.
Chapitre1
Émy*
Le temps passe vite, si vite… Nous sommes samedi, il ne reste plus qu’une semaine avant monmariage.J’essayedenepasypenser,defairecommesijen’avaispasdeplusenplusl’impressiondemeprépareràmonteràl’échafaud,maismestentativesn’ontguèredesuccès.
JevoisStephenaussisouventquepossible,entredeuxrendez-vous,durantmapausedéjeuner,lesoir,avantderentrerchezmoi…J’essayedesavourerunmaximumcefeuquiseraledernieràmeconsumer,pour garder un peu de sa chaleur quand mon univers tout entier tiendra entre les mains glaciales deNicolas.Jeprofiteautantquepossibledecesultimes joursavecStephen,enveillantànepasfranchircertaineslimites.Nepaspasserlanuitchezlui,nepasobéiràcetteenvieidiotequej’aisouventdeluienvoyer unmessage, juste comme ça, ou de lui dire à quel point ilmemanque…Luimontrer quelleimportanceilaprisepourmoirendraitlefaitdelequittertoutsimplementinsupportable,jeneveuxpasqu’ilsache.Ensaprésence, jemecache, faiscommes’iln’était riendeplusqu’unamantdepassage,maisjen’yarrivepastoujours.Certainsgestesm’échappentparfois,révélantunpeudecesecretquejedoisàtoutprixgarderpourmoiseule.Unecaresseouunregardtroptendre,unsouriretropdoux…Sedoute-t-ilunesecondedecequiestentraindem’arriver ?Etmoi,commentvais-jemesortirdetoutça ?Jemefaisplusdemalquedebien, j’enaiconscience.Mais jen’aipaspuempêchermoncœurdeselaissercapturer,mevoilàpriseaupiègedessentiments…
Jen’ai rienditàVanessaàproposdemonaventureavecStephen.Siellesavait,ellesauterait surl’occasion et ferait tout son possible pour essayer de me faire renoncer à mon mariage. Et je n’aiabsolument pas le courage de lutter, d’argumenter, de tenter de lui faire comprendre pourquoi celan’arriverapas.Quoiqu’ilarrive, j’épouseraiNicolasdansunesemaine,mêmeside laisser le«oui»fatidique franchirmes lèvresme coûtera certainementmon âme. Et qu’il sera sans doute la parole lamoinssincèrequejeprononceraidemavieentière…
–Émelyne,tuesprête ?Nicolasvientd’entrerdanslachambre,rasédeprès,vêtud’unsmokingnoiràl’aspectbrillantetde
chaussuresvernies.–Oui,jesuisprête.Jejetteunderniercoupd’œilaumiroirenpieddevant lequel jemetienset lissemasublimerobe
longueÉlieSaab.Lamousselinedesoiebleusaphir,silégèreetdélicate,glissesousmesdoigtscommeunnuagevaporeux.Lehautdematenueestfaitd’untissudiaphaneetdedentellebrodéedestrass.Lesavantjeud’empiècementscachelamajeurepartiedemapoitrine,maisdévoilemapeauentransparence,defaçondiscrèteettrèssensuelle.Unepuremerveillequis’accordeàlaperfectionavecmesescarpinsJimmyChooauxtalonsaiguillesdedixcentimètres.
Jedevraismesentircomblée,etbelle,maisjemesensjuste…lasse.AlleràcetteréceptionaubrasdeNicolasnemeditriendutout,jesaisdéjàqu’ilvametraîneràdroiteàgauchetoutelasoiréecommeunaccessoiredécoratif.Cettedébauchedemoyens,cetterobe,seschaussures,lapochetteChanelqu’ilvientdemecollerdanslesmains…Toutçan’estdestinéqu’àlefairebrillerlui.
–Allons-y,décrète-t-il.Tuasmisassezdetempsàtepréparer,nousrisquonsd’êtreenretard.Etj’aihorreurd’êtreenretard,Émelyne,récité-jedansmatête.
–J’aihorreurd’êtreenretard,Émelyne.Tulesais.Non,jenesuispasdevin.Maisjecommenceàconnaîtrelachanson…Tous deux assis à l’arrière d’une luxueuse Mercedes CLS noir métallisé, nous laissons notre
chauffeurnousconduirejusqu’aulieudelaréceptionsanséchangerunmot.Nousarrivonsrapidementsurle boulevardMontmartre, puis sur le boulevardHaussmann, et longeons ses célèbres grandsmagasinsavant d’entrer dans le 8e arrondissement de Paris. Après une vingtaine de minutes passées dans unecirculationdense,lagrosseberlines’engagesurl’avenuedeFriedland.Faceànous,l’ArcdeTriomphe.Noussommespresquearrivés.
Finalement, après avoir parcouru près d’un kilomètre sur l’immense avenue Foch, la Mercedess’immobilisedevantun ancienhôtel particulierque je connaisbien.Le salonFoch.Aussitôt, un jeunehomme en livrée sematérialise face àma portière. Il ouvre, avant deme tendre lamain en inclinantrespectueusement la tête.Jedétestecessimagrées, j’ai toujours trouvéçaridicule.Maisapparemment,noshôtesn’ontpaslésinésurlesmoyensetontpristouteslesoptionsproposéesparleprestigieuxsalonderéception…
Unefoisdehors, je lèvelesyeuxpourregarderl’édificedanslequeljem’apprêteàpénétrer. Ilestmagnifique, toutenpierresde tailleetcolonnesouvragées.Jeconnaiscetendroitparcœur,c’estvrai,mais j’ai l’impression de le voir à travers les yeux de quelqu’un d’autre. La sensation est un peuperturbante.
Nicolasmerejointetmeprésentesonbras.Çava,çava !Jesuiscapabledesortird’unevoitureetdemarchertouteseule,àlafin !m’agacé-je
inpetto.MaisjenedisrienetfaiscequeNicolasattenddemoi,englissantmonbrassouslesien.Puisnous
franchissonsensemblelaporteprincipaledubâtiment,parlaquellejen’étaisencorejamaispassée,carelle est exclusivement réservée aux invités. J’ai un pincement au cœur en me disant que d’ici unesemaine,cesera la seuleque j’emprunterai. Jedevraispeut-êtremeréjouird’êtreparvenuede l’autrecôtédelabarrière,maisjen’yarrivepas.Montravailvatellement,tellementmemanquer…
Àl’intérieur,ilyadéjàbeaucoupdemonde.Pendantqu’unhommed’unesoixantained’annéesvientsaluerNicolasd’untrèsguindé:«MonsieurDambres-Villiers,quelhonneurdevousavoirparminouscesoir…»,jelaissemesyeuxvagabonderdanslegrandsalon.L’organisatriceafaitunexcellenttravail,ladécoration est des plus réussies. Sobre et élégante.D’ailleurs, ce doit être elle, là-bas, avec la robefourreaunoire.L’endroitoùelleachoisideprendreplace,lesourirefigéqu’elleaffiche,lafaçondontellesurveillelaporteetleva-et-vientdesserveurs…Toutenellecrie«Jesuisl’organisatricedecettesoiréeetjeveuxqueTOUTsepasseparfaitementbien !».Avais-jel’airaussitendue,lorsquej’étaisàsaplace ?Certainement…
Puis,àcôtédelaportedeservice,j’aperçoisunesilhouettefamilière.MonsieurSavornin,l’intendantprincipal, est là, fidèle auposte.Voir sonvisageaumilieude cette fouled’inconnus antipathiquesmesoulageetm’attristeàlafois.Puisilmevoitàsontouretmesalue,d’unefaçonquineressemblequ’àlui: ses yeux me sourient davantage que sa bouche. Pourtant, son expression est avenante et pleine degentillesse.Luiaussivaterriblementmemanquer.Cettepenséemefaitbeaucoupdepeine, jetournelatêtepourdissimulerlatristessequim’étreint.
C’estàcetinstantprécisquemonregardseposesurledosd’unefemmed’uncertainâge,vêtued’unerobepailletéecriarded’unvert rappelantceluid’un feude signalisation.Sachevelureartificiellementrousseet laquéeàoutrancesembleaussisouplequ’unmorceaudecarton,et jedistinguesoussonbrasdroitlespattesarrièred’unesortedepetitanimalquiressembleàs’yméprendre…àunrat.
Oh…mon…Dieu.Non.Non,non,non,non,non…Non,cen’estpaspensable…Lafemmeseretourne,etmespirescraintesdeviennentréalité.Ils’agitbiendeVictoria.Sielleestlà,
est-cequ’ilseraitpossibleque…
Soudainementfébrile,àlalimitedumalaise,jeparcourslasalledesyeuxàlarecherchedeceluiquipourrait être là également. Si tel était le cas, ça ferait demoi la fille la plusmalchanceuse de toutel’histoiredel’humanité.Ceserait,etdeloin,lepirescénarioimaginable !Unecatastrophe,unvéritabledésastre !
Trèsvite,jerepèresahautesilhouettequ’àprésentjeconnaisbien.Ausecours,ilestlà !Stephenestlà ! Il traverse la salle avec deux coupes de champagne à lamain…Mon cœur cesse de battre et lapaniquesepropagedansmesveinestelunveninglacé.
Mesdoigtss’enfoncentdanslamanchedeNicolas,qui,sanss’arrêterdeparlerà l’hommevenulesaluer,melanceuncoupd’œilmécontent.J’essayedeluisourirepourluifairecroirequetoutvabien,maismaboucherefusedem’obéir.L’effroimeparalyse.Heureusement,monfiancéestplusintéresséparsa conversation que par ma petite personne et ne me prête déjà plus attention. Cela tombe bien, carStephen,quivientderejoindreVictoria,meremarqueàsontour.Desurprise,illâchepresquelesdeuxcoupes de champagne qu’il a à lamain et le liquide pétillant se renverse à quelques centimètres deshorribleschaussuresdesavieillebotoxée.Lesyeuxbraquéssurmoi,ilneleremarquepastoutdesuiteetneseressaisitquelorsqueVictoriaréagitàsamaladresse,enluidisantdesmotsquejen’entendspas.Undes serveurs seprécipitevers euxet essuie lesdégâts, si vite et discrètementquepersonnen’a letemps de s’apercevoir de quoi que ce soit. Mais Stephen continue de me fixer, ce qui intriguesuffisammentsacompagnepourqu’elletournelatêtedansmadirection.
Vite !Ilfautque…quejeplongesousunetable !Non,non…Jenepeuxpasfaireça !Ilfautque…que…Rhââââ,jen’enaiaucuneidée !
De toute façon, c’est trop tard pour tenter quoi que ce soit. Les yeux trop maquillés de Victoriaviennent de se planter sur moi. Oui, « planter », c’est exactement l’impression que ça me donne…Pourtant,ellenemeconnaîtpas,n’est-cepas ?Jerestepétrifiéesurplace,enessayanttantbienquemalde peindre sur mon visage une expression innocente et sereine, mais je ne suis pas sûre d’être trèsconvaincante.Rapidement,lavieilledamereportesonattentionsurceluiquil’accompagne,metournantànouveauledos.J’expiredoucementl’airbloquédansmespoumons,etessayederefairefonctionnermoncerveau.
J’aibesoindemeremettreunpeudemesémotions.Pourcefaire,jem’excuseauprèsdeNicolasetfileaux toilettes,enprenantsoindenepas lever la têteavantd’avoiratteint laportedescommodités.Unechancequejeconnaissecetendroitcommemapoche…Unefoisseule,jesouffleàplusieursreprisesetm’approchedesvasquesenporcelainepourmepasserlesmainssousl’eaufroide.Puisjejetteunœilaugrandmiroirmefaisantface.Unefilleauxjouestroprosesetauvisagedéfaitmefixe,ondiraitqu’elleavuunfantôme…
Çavaaller,Émelyne,dis-jeàmonreflet.Cen’estpassigrave,calme-toi.Aprèstout,Nicolasneconnaît pas Stephen, et Victoria ne te connaît pas non plus. Il n’y a aucune raison pour que cettesoiréetourneaufiasco.Absolumentaucune…Ilfautjustequeturestescalmeetquetufassescommesiderienn’était.
Lorsque j’ai réussi à me convaincre moi-même que tout se passera bien, je sors des toilettes ettraverselasallesansregarderautourdemoipourretrouverNicolas.Sijem’absentetroplongtemps,ilneserapascontent.Àquelquespasdelui,jerelèvefinalementlatête…etmetétanisesurplace.Monsangvientdesefigerdansmesveines.
Monfiancéestentraindeparleravec…Pitié,dites-moiquej’hallucine !Avec…Victoria ! Stephen se tient juste à côté d’eux, il a le visage fermé et semble affreusement
tendu.Jem’apprêteàfairedemi-tourpourrepartirmecacherdanslestoilettes,maiscettesaloperiedevieillesorcièretournelatêteversmoietsonvisagesefendd’unaffreuxsouriremielleux.
–Ah,n’est-cepasvotrecompagne,quejevoisarriver ?demande-t-elledesavoixrocailleuse.
–Toutàfait,machère,luirépondmonfiancé.Vousavezdeviné.MonDieu.Je…jesuiscoincée,jenepeuxpaspartir…Voyant que je ne me décide pas à rejoindre le petit groupe, Nicolas tend le bras vers moi et
m’interpelled’un«Émelyne»impatient,quimerappelleceluiqu’emploieraitunmaîtrepourfairevenirsonchien.Puisquejen’aipaslechoix,jeluiobéisetviensprendrelamainqu’ilmetend,sansoserleverlesyeux.
–Elle est tout à fait charmante.N’est-ce pas,mon amour ? commenteVictoria en se tournant versStephen.
Lesmâchoiresdeceluiàquiellevientdes’adressersecontractentfortement.C’estsansdesserrerlesdentsqu’ilrépond:
–Oui.–Danscombiendetempsestprévulemariage ?–Toutjusteunesemaine,rétorqueNicolas.LacérémonieseracélébréeàlaparoisseSaint-Louis,à
Fontainebleau,mafamilleestoriginairedelà-bas.EtlaréceptionauchâteaudeVaux-le-Pénil.–C’est adorable…continueVictoria.Un jour, Stephen etmoi nous déciderons aussi à franchir le
pas !J’ai l’impression que l’intéressé est devenuplus pâle que les nappes blanches habillant les tables
autourdenous.Quantàmoi,jemeretiensd’écarquillerlesyeux.Elleetlui,mariés ?Cetteidéeabsurdem’estsiinsupportablequ’ellemedonnelanausée.
–Ceseraitformidable,ditNicolas,enseforçantàsourire.–Oh,jesaiscequevousvousdites,jeunehomme,continue-t-elleàl’intentiondemonfiancé.Ilya
unepetitedifférenced’âgeentrenous…–Ahbon ?Jenel’avaispasnotée.Vousêtesunefemmemagnifique,machère.–Etvousunvilainpetitflatteur…Toutenminaudant,VictoriaattrapelebrasdeStephenpourleramenerplusprèsd’elle.–Maisl’amourn’apasd’âge,n’est-cepas,monchéri ?Etellelèvesonvisageverslui,espérantvisiblementqu’ill’embrasse.Aprèsquelquessecondes,il
finitparobtempéreretvaposerseslèvressurlagrossebouchebotoxéerougecarminquil’attendait.Jeretiensmonsouffle,mesongless’enfoncentdansmapaume,àmemarquerlapeau.Jedétesteça,
j’aienviedelagifler,deluihurlerdeneplusjamaisposerlesmainssurlui.Cespectaclememethorsdemoi,jesuisfollederage.Mais,surtout,atrocementblessée…VoirStephenembrasseruneautrefemmemefaitl’effetd’uncoupdecouteaureçuenpleincœur.
–Toutvabien,machèrepetite ?Vousavezl’air…patraque,toutàcoup…Jemetsuncertaintempsàcomprendrequec’estàmoiqueVictorias’adresse.–Non,je…toutvabien,jevousremercie,dis-jeenmeforçantàgarderuneexpressionavenante.–Entoutcas,Nicolas,vousavezdelachanced’avoirtrouvélaperlerare,continue-t-elle.–C’estunfait,répondmonfiancé,sansémotion.–L’amourvraiestunechoserare,denosjours.Toutcommelaconfianceet lafidélité…J’aimoi-
mêmedelachanced’êtretombéesurquelqu’uncommeStephen.Cequenouspartageonsestsincère,ilnes’agitpasd’unevulgairepassade,commenousenavonstousconnu…
Pourquoimeregarde-t-elle,endisantça ?Etpourquoiya-t-il,quandellemeparle,quelquechosedesi…venimeuxdanssavoix ?Serait-ilpossibleque…non,ellenepeutpassavoircequ’ilsepasseentreStephenetmoi.Elleneseraitpaslà,pendueàsonbras,sielleétaitaucourant.
–Mepermettez-vousdevousdonnerunconseil,Émelyne ?s’enquiertalorslavieillepeau.Non !Ferme-laetvacassertahancheartificielle,salepétassepréhistorique !Etfais-leloin,TRÈS
LOINdeStephen !–Jevousenprie,dis-jeavecunsourirequimecoûtehorriblement.
–Labeautépasseaveclesannées,majeuneenfant.Pourgarderunhomme,ilfautapprendreàêtredavantagequ’unjoliminois…
–Voilàunexcellentconseil,Émelyne,intervientalorsNicolas.Maisnevousenfaitespas,Victoria.Lemariageluimettraunpeudeplombdanslatête.
J’ail’habitudedecegenredecommentairesdésobligeants,etd’ordinairej’arriveàfaireensortequecelanemeheurtepas.Maislà,ilyaStephenenfacedemoietj’aimald’êtreainsirabaisséedevantlui.
–Ilmesembleàmoiquesatêteestaussibellequepleine.Ces mots viennent d’être prononcés par Stephen, d’un ton si tranchant que mon fiancé tique
légèrementetportepourlapremièrefoisuneréelleattentionàl’hommequisetientenfacedeluidepuistoutàl’heure.
Jecherchelesyeuxdemonamant,pouressayerdeluifairecomprendredenepassemêlerdetoutça,mêmesilefaitqu’ilaitainsiprismadéfensemetoucheprofondément.Maisils’estengagéentreluietmonfiancéunesortededuelsilencieux,etleursregardssontcommesoudésl’unàl’autre.J’attendslafindecetteconfrontationvisuelleavecunepeurterrible,craignantqueNicolasnecomprennequelquechose.Aprèsquelquessecondes,c’estcedernierquimetuntermeàcetéchangepesant,endétournantlesyeux.Sabouche se fendd’un souriredur, car conserver les apparencesestpour luiplus importantque tout.MaisjedevinequelecomportementdeStephenluiasouverainementdéplu.
– Bien, dit-il d’un ton calme, mais glacial. Émelyne et moi devons aller saluer nos hôtes, nousn’avonspaseul’occasiondelefaire.Sivousvoulezbiennousexcuser…
Enfinlafinducauchemar !J’aicruqueçan’enfinirait jamais !J’ai lesentimentd’êtrepassée trèsprèsdelacatastropheetjeressenslebesoinimpérieuxderespirerunpeu.
– Faites,mon cher, ditVictoria.Nous poursuivrons cette intéressante conversation plus tard, noussommesàlamêmetable.
Quoi?Non!–Quellebonnenouvelle,commentemonfiancéenseraidissant,apparemmentaussipeuemballéque
moiparl’idée.Nousnousretrouveronsdonctoutàl’heure.Je risqueun rapide regardversStephen,etceque j’ai le tempsd’entrevoirdanssesyeuxalourdit
moncœurdeplusieurstonnes.Sesirisvertssontporteursdecolère,maisaussid’unchagrinprofondetmanifeste. J’ai soudainune envie folledeme jeter dans sesbras et de l’embrasserpour chasser cettedouleurquinousunitensecret.Jedonneraisn’importequoipourlesentircontremoi,maintenant.MaisNicolasposeunemainsurmatailleetmepousseavecautoritépourmefaireavancer.Jel’accompagneversunautrecoupled’inconnusetlaisseStephenderrièremoi,alorsqu’ilesttoutcedontj’aibesoinàcetinstant.
Je suis terrifiée par la fin de soirée quim’attend. Il vame falloir être vigilante en permanence etmaîtriser chaque geste, chaque regard, afin de garder sous silence ce que mon cœur et mon corpsvoudrontcrier.Mavietoutentièreetcelledemamèreendépendent.Nicolasnedoit riensoupçonner,monmariageestenjeu.
Maiscequimefaitvraimentmal,c’estdesavoirquejevaisavoiràsupporterdedîneràlamêmetablequeStephen,sansêtrecellequiauraledroitdeletoucher,deluiparler,sansêtrecellequiauraledroitdemontreraumondetoutl’amourqu’elleapourlui.
Chapitre2
Stephen*
Jepressentaisquequelquechoseallaitmalsedéroulercesoir.QuandVictoriam’atéléphonépourmedemanderdel’accompagner,j’étaisàdeuxdoigtsderefuser.
Cesderniersjoursontétémerveilleux.Émyetmoiavonspassébeaucoupdetempsensemble.Jenepeuxpasnierquenousnoussommesrapprochésetquej’ensouffre…surtoutàcetinstantoùjelavoisparaderaubrasdesonfuturmari.Jenem’attendaisvraimentpasàlatrouvericicesoir,c’estuncoupduràencaisser. J’aieudumalàmeressaisir lorsque je l’aiaperçue.Moncœurs’estarrêté debattrequelques secondes, quandmesyeux se sontposés sur cette femmequemoncorpsdésire tant.Elle estmagnifique,maislatristessequejelisdanssonregardm’inquièteprofondément.
Cettedernièresemaine,jemesuisrenducomptequejemevoilaislaface.Cequejevoulaisprendrepourunehistoiredeculsansgrandeimportancen’enestpasune…Jelesaismaintenant.Ellememanqueen permanence. Ses yeux, sa peau, son parfum m’obsèdent à longueur de journée. Je nage en pleincauchemar,cesoir…Delavoirauxcôtésdecethommememetdansuneragefolle.Unedouleurs’estinstalléedansmapoitrineetnesemblepasvouloirs’enaller.Jenesaispassic’estdel’amour…maiscequejesais,c’estqueçafaitmaletquec’esteffrayant.Etpournerienarranger,VictoriaareconnuÉmyetparaît déterminée à la torturer de toutes les façons possibles.Quand ellem’a entraîné vers le fameuxNicolas,monsangn’afaitqu’untour.Etjeneparlepasdubondquemoncœurafaitlorsquecettevieillepeauafaitallusionànotreéventuelmariage !Jemesuisretenudel’étranglersurplace.Ellesaittrèsbiencequ’ellefait !ElleprovoqueetblesseÉmy,sachantquejenepeuxriendireniréagirenprésencedel’autreabrutiauxcheveuxgominés.Putain,maisquisecoiffeencorecommeçadenosjours ?
Je lâche un profond soupir tandis queVictoriam’entraîne vers la table. Comment est-ce possiblequ’aveclafouled’invitésprésents, jemeretrouveàlamêmetablequ’Émy ?Certainsdirontqu’ilsontunebonneétoileau-dessusdeleurtête,moijediraisplutôtquec’estlediableenpersonnequiveillesurmoi.Enparlantdudiable,jeregardeVictoriatandisquel’onnousinstalle.Ellesembleenchantéeparlasituation,cequimedonneencoreplusenviedel’étriperetderépandresesentraillessurlatêtedel’autreconnard.
Assiscôteàcôte,jemepenchediscrètementpourchuchoteràsonoreille:–Jevouspréviens,Victoria,sivousrecommencezcettemascaradeenprésenced’Émy,jemecasse
sur-le-champ !–Allons,Stephen,unpeud’humour,ricane-t-elleenposantsamainsurmonbras.–Jen’aipasvraimentenviederirecesoir,vousêtesprévenue !– Voyons mon garçon, pourquoi es-tu si en colère ? Je croyais que cette femme n’avait aucune
importanceàtesyeux…–Maisc’estlecas !Jemefouscomplètementd’elle,maisjerefusequevouslamalmeniez !–Promis,jenel’embêteraiplus,répond-elledesavoixmielleuse.Jene lacroispasunseul instantet je saisqu’àpartirdumomentoù le couple s’installera ànotre
table,leshostilitésserontlancées.Jefaissemblantd’écoutercequemeditVictoria,toutenparcourantlasalle du regard pour essayer de repérer celle qui hante mes pensées. Je suis inquiet pour elle. Émysemblaitcomplètementdécontenancéedemevoir ici.Et je lacomprends,carmoi-même j’aidumalà
m’enremettre.–Nousvousattendions,lancetoutàcoupVictoriaenresserrantsesdoigtsautourdemonbras.Jen’aipasbesoinde tourner la têtepour savoir àqui s’adresse ladiablesse. Je reste figé surma
chaise et fais semblant d’être absorbée par le menu. Le couple s’installe face à nous. Émy croiserapidementmon regard avant de baisser les yeux sur son assiette. Je ne supporte pas de la voir si…tendue, soumise, comme tenue en laisse par cet imbécile qui n’a de cesse deme fixer de son regardimpérieux.Jel’ignoreetreportetoutemonattentionsurleserveurvenunousapporterlevin.
– Nous vous proposons un Puligny-Montrachet de 1993, messieurs, dames, annonce-t-il d’un tonguindé.Un vin blanc au bouquet riche, qui s’accordera parfaitement aux deux entrées qui vous serontserviescesoir.
–Parfait,décrèteNicolas.Celaconvient-ilàtoutlemonde ?–Trèsbien,réponds-jed’unevoixdédaigneuse.– Je n’aime pas tellement le vin blanc sec, commence Émy en se tournant vers son futur mari.
Pourrais-jeavoir…–Tun’asdécidémentaucuneidéedecequiestbon,Émelyne,lacoupe-t-ild’unevoixtranchante.Il
vafalloiraffinertesgoûts,etc’estunexcellentsoirpourdébuter.Etilajoute,àl’intentionduserveur:–Allez-y,servez.Je suis estomaqué. Jem’enfonce dansmon siège pourme retenir de lui sauter à la gorge.Émyne
protestepasetse remetà fixersonassietteenévitantdecroisermonregard.Sonvisagesidélicatestblêmeetsesyeuxsontvidesdetouteexpression,commeceuxd’unepoupée.Oui,c’estça,cesoirelleressembleàunepoupéedeporcelaine.Fragileetprêteàsebriseràtoutinstant.
Elleobéitetselaissetraiterdelapiredesfaçonssansprotester,jen’encroispasmesyeux…Ilsepencheversellepourluidirequelquechoseàl’oreilleetlevisaged’Émysemblesedécomposerunpeuplus.Jedonneraischerpoursavoircequecetabrutiluireprocheencore !Jefaissemblantd’êtreplongéenpleineconversationavecVictoria,pouréviterd’avoir àparler àNicolas. Jene suispas sûrd’êtrecapabledememaîtriser,doncdansledoute,jem’abstiens.
Unmomentplustard,leserveurrevientpourprendrelacommandedesentrées:– Pour commencer, messieurs, dames, le chef du salon Foch vous propose un foie gras poêlé,
pamplemousseroseetmarmeladeépicée,ouunelangoustinerafraîchieauxherbesetfleurs,accompagnéedesaroyaledechampignons.
Victoriaetmoicommandons,puisquandvientletourd’Émy,jelaregarde,nepouvantrésisterpluslongtemps.
–Lefoiegraspoêlé,s’ilvousplaît,demande-t-elle.–Pourl’amourdeDieu,Émelyne !Vas-tum’obligeràtereprendreàchaquefois ?intervientdurement
sonfiancé.Lemariageapproche,ilseraitbondeveilleràcequetupuissesrentrerdanstarobelejourJ.Tusaiscequejepensedesfemmesquiselaissentaller.Nousprendronsdeuxlangoustines,avectrèspeudesauce.
Mesdoigtssecrispentsurmonverreetmonsangsemetàbouilliraussivitequemoncœurmartèlema poitrine.Une colère d’une violence inouïemonte enmoi. Je prends plusieurs grandes inspirationspourmecalmer,maisrienàfaire,ilfautquejeprennel’airoujevaisexploser.
–Veuillezm’excuserquelquesinstants,lancé-jeenmelevant.Jem’éloignerapidementetmedirigevers lesportes-fenêtres,ouvertessurunegrande terrasse.De
l’air, voilà ce dont j’ai besoin pour calmer mes nerfs aiguisés ! Je m’arrête dans un coin discret etm’appuiecontrelabalustrade,enmeretenantdeladémoliràcoupsdepoing.J’allumeunecigaretteetobservelafuméequis’enéchappe.
Ceconnardme renddingue, jenevais jamaispouvoir tenir toute la soirée, cen’estpaspossible !
CommentÉmyfait-ellepourlesupporterensilence ?Jenelareconnaispas,ellesemblesidifférenteensaprésence.Elleencaissesesmesquineriesetsesordressansbroncher.LavraieÉmyauncaractèredemerdeetneselaissepasmarchersurlespieds !Elleprendsonpetitairdesorcièreetterentrededanssanshésiter.Jen’aiplusaucundouteenlesvoyantensemble:Émynel’aimepas.Pourquoisemarie-t-elle ? Je commence à croirequ’elle se sacrifie pourmettre samère à l’abri dubesoin.Cette idéemetranspercelecœur.Jenesupportedéjàpasqu’ellesoitavecunautrehomme,alorsdesavoirqu’enplusillarendmalheureusememethorsdemoi !
J’écrasemacigarettedansunpotdefleursetretournem’installeràtable.JetrouveVictoriaenpleineconversationavecceconnard. Je retiensun soupird’agacementet jetteunœildiscretà Émy. Elle estprostréesursachaiseetfixeinlassablementsonassiette.Etdirequ’ilyaquelquessemainesdecela,jerêvaisdelavoirfermersonclapet…Cesoir,çamebriselecœurde lavoirsisilencieuse…Elleestcommeéteinte.
– Alors, comment deux personnes si radicalement opposées se sont-elles rencontrées ? s’enquiertl’autreimbéciled’unevoixpleinedesous-entendus.
Pense-t-ilréellementqueçalerendplusintelligentd’avoircetairsupérieursurlevisage ?Pff…Jesensmoncorpsseraidirde la têteauxpiedset le regardsuppliantqueposeÉmysurmoiàcet
instantnefaitrienpourarrangerleschoses.Alorsjeprendsunegranderespiration,etplongedesyeuxméprisantsdansceuxdecettetêtedecongominée.
–Jenesaispas,àvousdemeledire,lancé-je,unsourireprovocateuraucoindeslèvres.–Pardon ?Puis-jesavoircequevousinsinuez,monsieur ?–Maisjen’insinueriendutout,c’estvousquilefaites,lecoupé-jefroidement.Émyattiremonattentionengigotantsursachaise.Elleestàdeuxdoigtsdefaireunmalaise.–Allons,messieurs, calmons-nous et profitons de cette belle soirée, rétorque la vieille peau, qui
sembleraviedelatournuredesévénements.Desserveursinterrompentlaremarqueacerbequejem’apprêtaisàlancerendéposantsurlatablede
petites assiettes d’amuse-bouches. Émy lève la main pour en prendre un, mais son fiancé l’arrête endonnantunetapesurlapeaudélicatedesonpoignet.
–Voyons,Émelyne,n’as-tupasfini ?Tun’asvraimentriendanslatête,cesoir !LerirecristallindeVictoriaéclateàmescôtésetmoncœursefigedansmapoitrineenvoyantles
yeuxd’Émysemettreàbriller.Derage,mesdoigtsseresserrentautourdemonverreencristaletcelui-ciexploseenmillemorceaux,répandantleliquidedorésurlajolienappeblanche.Victoriasejettesurmoi,arméed’uneserviette,pours’assurerquejenesuispasblessé.Maisjesuisincapabled’entrouvrirleslèvrespourcalmersesinquiétudes.Monregardestrivésurcethommemonstrueuxquioseporterlamainsurlafemmelaplusdouceaumonde.Émytremble,alorsjetournelatêteetremarquetoutdesuitecetteperle d’eau salée qui dégringole le longde sa joue.Mes poings se serrent à nouveau et à la secondepréciseoùjedécidedesautersursonconnarddefiancé,ellereculesachaiseetquittelatable.
–Veuillezm’excuseruneseconde.Jelaregardes’éloigneret,nepouvantmeretenirpluslongtemps,jeparsàsarecherche.Rienàfoutre
decequevas’imaginersonfuturmarià lanoix ! J’ignoreaussi lesprotestationsdeVictoria. Jene latrouvepasauxtoilettesdesdamesniprèsdubar,encoremoinssurlaterrasse.Jesuisàdeuxdoigtsdepenserqu’elleestpartiequandmesyeuxtombentsuruneportedeserviceentrouverte.Jem’ydirigeetlapoussesanshésitation.Jemeretrouvedanslapénombred’unepetitecourintérieure.Jenedistinguepasgrand-chose,maisunbruitdesanglotsparvient jusqu’àmesoreilles.Moncœur se désagrègedansmapoitrinetandisquej’avance.
–Émy,c’esttoi ?Ellenemerépondpas,maisjesaisquec’estelle.Jem’approchedoucementetlatrouveaccroupie
dansuncoin,lesmainssursonvisagepourétouffersonchagrin.Jem’agenouilleetl’entouredemesbras
enposantmajouecontresescheveux.Elleselaisseallercontremontorseenagrippantmachemise.Çamerendmaladedelavoirdanscetétat.
–Oh,Émy…Jesuisdésolé,murmuré-jeenlaberçanttendrement.–Ce…cen’estpasdetafaute,cafouille-t-elleentredeuxreniflements.–Nerestepascommeça,redresse-toi,dis-jeenl’aidantàseremettredebout.Qu’est-cequetufous
aveclui,jenecomprendspas,lancé-jeenencadrantdemesgrandesmainssonvisagemouillédelarmes.–Non,justement,tu…tunepeuxpascomprendre,souffle-t-elleensecollantcontremoi.Jenepeuxrésisterpluslongtempsàl’enviedel’embrasserquimedévoredepuisledébutdesoirée.
Jemepencheetm’emparedeseslèvresenlesfrôlant,lescaressantdemalangue.Jesenslegoûtsalédeseslarmesetmapoitrinesecontractedouloureusement.Notrebaiserdevientprofond,commeteintédedésespoir.
–MonDieu,Émy…Qu’est-cequetumefais ?chuchoté-jeenlaplaquantcontrelemur.Mesdoigtsglissentlelongdeseshanchespourdescendresursescuissesets’aventurersoussarobe,
quejeremontenégligemmentpourpouvoirm’emparerdesesfesses.Ungémissements’échappedeseslèvresquandjefrottelapreuveévidentedemondésircontresonbas-ventre.
– Dis-moi que tu en as envie, demandé-je, ne pouvant plus contenir ce feu ravageur qui envahitchaqueparticuledemoncorps.
Elle lance un regard inquiet vers la porte de service, mais ses hésitations ne durent pas. Elles’agrippeàmoietmemurmure,tremblante:
–Oui.Oui,j’enaienvie…Ilnem’enfautpasplus.Jedéfaislehautdemonpantalonetattrapeunpréservatifdansmapocheque
je déroule le long dema verge prête à exploser. Puis je soulèveÉmy dansmes bras en l’embrassanttandisqu’elles’agrippeàmesépaulesenm’entourantdesesjambes.J’écartesaculotte.Ungrognementm’échappequanddansuncoupde reins, jem’enfonceenelle.Unedéchargeélectriqueme traverse lacolonnevertébrale.J’accélèrelemouvementetdelasentirtrembleretondulercontremoimegalvanise.Nossoufflessemélangent,soncorpsm’appartientletempsd’uninstantetcelameprocureuneimmensesatisfaction. Elle est àmoi et je ne supporte plus l’idée qu’un autre homme la touche, la caresse, larespire…Dans un corps à corps endiablé, nous atteignons des sommets de plaisirs et nous jouissonssimultanément. Liés par une existence tragique, nous explosons à l’unisson, laissant ce feu qui nousconsumenousréduireencendres.
Je m’écarte et ses jambes glissent le long de mon corps. On ne peut pas prendre le risque des’absenter trop longtemps, jeneveuxpasqu’Émyaitdesproblèmesavec l’autre abruti. Jebalance lacapoteetmerhabillerapidement,puisjel’aideàréajustersarobe.Nousnousdirigeonsverslasortiedesecoursensilence,maisarrivésdevant laporte, je lastoppepour la tournerfaceàmoi.Je laissemesdoigtscourirlelongdesajoue,mesyeuxrivésauxsiens.Jesuistouchéparladétressequej’ydécouvre,alorsjemepenchepourl’embrasser.
–Jetiensàtoi,Émy,murmuré-jecontreseslèvres.Ellesecontented’acquiescer,endétournant leregard.Magorgesenoue…J’aurais tellementaimé
qu’ellemediselamêmechose.Maisellegardelesilence,lesyeuxfixéssurlaporte.–Rejoins-les,j’arrivedansquelquesminutes,ilnefautpasqu’onsepointelà-basensemble,dis-je
enlapoussantdoucementversl’intérieur.J’allumeunecigarette enm’adossant contre lemur, le tempsde reprendremes esprits.Rienneva
plus, jeperds lecontrôlede lasituation.Cette faiblesse risquedemecoûtercher. J’ensuisconscient,maisjenepeuxrienfairepourarrêterlamachine,ellem’entraîneinexorablementverslefondcommeuneancre lâchée d’unbateau. Jemedécide enfin à rejoindre notre table et suis surpris de ne trouver queVictoria.Elleestseuleetsembletrèsencolèrequandjeprendsplaceàsescôtés.Ellerivesonregardvenimeuxaumienavantdemedemanderd’unevoixglaciale:
–Alors,tuescontentdetoi ?Tuétaisavecelle,n’est-cepas ?–Çanevousregardepas !Oùsont-ils ?–Ilssontpartis.Etjepeuxtedirequetapetiteprotégéerisquedepasserunsalemoment,vul’étatde
colèredanslequelétaitsonmari,ricane-t-elle.–Etçavousamuse…Vousn’avezpasdecœur ?–Àmonâge, jen’aiplusdetempsàperdre.Moncœurm’aétéarrachéàdenombreuses reprises,
doncoui,tuasraison,maintenantjen’enaiplus,avoue-t-ellefroidement.–MonDieu,vousêtespirequemoi…Émyneméritepastoutça.– C’est plus fort que toi, tu ne peux pas t’empêcher de la défendre… J’ai vu la façon dont tu la
regardaiscesoir.Cen’estpasseulementunehistoiredesexecommetut’évertuesàmelefairecroire.Jenesuispasdupe,Stephen.
Jeboisd’unetraitelacoupedechampagnemiraculeusementapparuedevantmoi.Etjereplongemesyeuxdanslessiens.
–Mêmesi,effectivement,j’avaisdessentimentspourÉmy,enquoicelavousregarde-t-il,Victoria ?Jesuislàquandvousavezbesoind’uncavalier,ouquandvousavezenvievousfairebaiser !Alors,nemefaitespaschiercesoir,surtoutpascesoir…finis-jeensentantmesépaulessevoûtersouslepoidsduchagrin.
Unvoilederegrettraversesonvisage,puislacolèrereprendplacedanssesyeuxsombres,danslepliamerdesabouche,dans la ridequi luibarre le front.Oui,elleestencolère…Mais jem’en fousroyalement.
–Tun’enaspeut-êtrepasconscienceStephen,maistuvassouffrir…Encoreunefois,finit-elleaveccepetitairmesquinquim’insupporte.
Toutmoncorpsseraidit,s’ilestpossiblequ’ilseraidisseplusqu’ilnel’estdéjà.–Pourquoi«encore»Victoria ?demandé-jeenpressentantsaréponse.–Parcequejeteconnaisdepuistrèslongtempsetquejeconnaistespetitssecrets.Jesuisaucourant
pourJulie…–Fermez-la,crié-jeen ignorant lesnombreuxregardsquise tournentdansnotredirection.Vousne
connaissezriendemavie !Jevousinterdisdeprononcersonprénom !–Calme-toi,Stephen.Toutlemondenousobserve,chuchote-t-elle,malàl’aise.–Jen’enairienàbattredetouscescons,decettesoiréedemerdeetmêmedevous !hurlé-jeenme
levantpoursortirdececauchemaràgrandesenjambées.Dehors, j’allumeunenouvelle cigarette, enm’immobilisant sur le trottoir. Jeme rends compteune
foisdeplusquejen’ainiargentnivoiture.JesorsmonportableetappelleGregàlarescousse.Aveclachancequej’ai,cetabrutivaencoremedemanderunserviceenéchange.
Ilarrive,vingtminutesplustard.Jegrimpedanssavieillebagnoleenmarmonnantunbonsoirrapide.–Qu’est-cequetufousencoreàlarue ?C’estladernièrefoisquejetedépanne !Jesuiscrevémoi,
j’aibesoindedormir,lanuit !– Putain, ferme-la cinq minutes, Greg, ce n’est pas le moment, ronchonné-je en le mitraillant du
regard.–Ben,c’estjamaislemomentavectoi,mec !C’estencorecettevieillepeaudeVictoria ?–Ouais,réponds-jepourqu’ilmelâchelagrappe.–Non,non,non,non…Ilyaautrechose,monpote…YaduÉmylà-dessous !–Nefaispaschier !–J’aivujuste,c’estbiença !raille-t-il.–Jeneveuxpasparlerdeçaavectoi !–Pourquoi ?Jesuisbienplacépourtecomprendre !–Toi ?Tunecomprendsrienàrien,Greg.
–Ohsi,jecomprendstoutjustement !Tumeprendspourunabrutisanscervelle,maistutetrompes !Jesaisparexemplequetuesraidedinguedecettefilleetquetuignorescommentfairepourtesortirdecettesituation.
Jetournelatêtepourl’observerquelquessecondes,surprisparsaperspicacité.–Etenquoituesbienplacépourmecomprendre ?lequestionné-je.–Parcequejevispresquelamêmechosequetoi,avoue-t-ild’unevoixteintéedetristesse.Jerestesilencieux,letempsderéfléchir,puisjelance:–TuestombéamoureuxdeVanessa…–Ouais.Depuis longtemps.Mais jene l’intéressequepourdespartiesde jambesen l’air.Pour le
reste,jenesuisqu’undébilequinecomprendrienàrien…Enfin,c’estcequ’ellepense…Je reste figé surmon siège, surpris par ces révélations. Je nem’attendais pas à ça. Jem’en veux
d’avoirétésisouventinjusteaveclui.Ilmefaitdelapeine,caroui,iln’estpassicon,ilaraison.Jesuisamoureux,toutcommelui.Mêmesijerefusedel’admettre,j’aimeÉmycommeunmaladeetjenesaispascommentjevaisfairepourvivresanselle…Ellevamequitterdansquelquesjours,poursemarieraveclepiredessalaudsetmoijevaismourirpetitàpetit.Pourquoilavies’acharne-t-ellesurmoi ?J’aidéjàsouffertlemartyreenperdantJulie…PourquoimeprendreÉmy ?
– Je suis désolé,Greg…Tu n’es pas un imbécile. C’est juste que…que je fais tout pour ne pasm’accrocherauxgens,jegardemesdistances.Jesuisunloupsolitaire,tusais…
–Jenet’enveuxpasmec,jesaistrèsbienqu’aufonddetoi,tuesquelqu’undebien.–Putain,arrête,jevaisdevoirsortirlesmouchoirs !–Tupensesréellementqu’Émyvasemarier ?–Oui…Jenesuispasencorevraimentsûrd’enconnaîtrelesraisons,maisilyaquelquechosede
pasclairlà-dessous.–Oui,surtoutqu’elletientàtoi,elleaussi.–Commentça ?demandé-je,toutcouptrèsintéressé.–C’estVanessa,elleanotécertainschangementschezsonamie.–Çam’étonnerait…Ellemecachetellementdechoses.Ellegardetoutenelleetnelaisseparaître
aucunsentiment.Elleestmalheureuseaveccethomme,jelevoisbien,maismeconcernant,jenesuissûrderien.Jenesaispassiellem’aimeousic’estjusteunehistoiredeculentrenous,meconfié-je.
– C’est pareil pour moi ! Je fonce droit dans le mur avec Vanessa, mais je ne peux pas faireautrement !
– Ouais… Nous sommes deux cons sans cervelle, finalement ! conclus-je quand la voitures’immobiliseenbasdemonimmeuble.Àlaprochaineetencoremerci.
– De rien, mon pote, mais si tu pouvais arrêter de m’appeler en pleine nuit ça m’arrangeraitvachement !lance-t-ilensemarrant.
–J’ypenserai !Jeclaquelaportière,etaprèsunderniersignedelamain,rentrechezmoi.Jesuislessivécesoir.Je
medéshabillelentement,perdudansmespensées.Jerevoislevisaged’Émy,sesyeuxsuppliantsetmapoitrineseserreànouveau.Jecroisquejevaisdevoirm’habitueràcettedouleur.Jemesersunwhiskyetmelaissetombersurleclic-clac.Jeprendsmonportableetdécidedeluienvoyerunmessage.Jesuisangoisséàl’idéequececonnards’ensoitprisàelle.
[Donne-moidetesnouvelles,jesuisinquietpourtoi.Jet’embrasse.]Je reste un longmoment les yeux braqués sur l’écran demon téléphone, mais rien…Absolument
rien…Aucuneréponse.
Chapitre3
Émy*
Prendreunlivresurl’étagère,l’épousseter, lerangerdans lecarton.Prendreunlivresur l’étagère,l’épousseter,lerangerdanslecarton.Puisrecommencerjusqu’àcequel’étagèresoitvide,etpasseràlasuivante.Agirsansseposerdequestions,commeunautomate,etsurtout,surtout,s’interdirederéfléchir.Ignorerladouleuretfairecommesitoutallaitbien,commesilemanquenerongeaitpasmoncœurunpeuplusàchaquesecondepasséesanslui.
Jen’aipasvuStephendepuissamedietlasoiréecatastrophiqueauSalonFoch.Parchance,Nicolasn’apascomprisdequoiilretournaitexactement.Ill’ajusteprispourun«petitconjalouxavecunetropgrandegueule».Malgrécela,monfiancéétaitfouderagecesoir-là,etlanuitaétélongue.Toutcommelalistedereprochesqu’ilaeuàm’adresser.J’aifrôlélacatastrophe,samedidernier,toutauraitpuvolerenéclats.Jenepeuxpaslaissercelasereproduire,j’aitropàperdre.Mamèreatropàperdre.Alorsj’aiprisladécisionquis’imposait,celledecouperlespontsavecStephen.Mêmesicelamefaitatrocementmal,oupeut-êtrejustementpourça…Jen’avaispluslechoix,cettehistoireaétébeaucouptroploin.
Depuisquatre jours, j’ignore ses appels,ne lisplus ses textos.Cela faitdemoiune lâcheet il neméritepasd’êtretraitéainsi,maisjesuisincapabled’entendresavoix,oudeliresesmots.C’estjuste…au-dessusdemesforces.Leseulmoyenpourmoidecontinueràavancerestdefairecommesiderienn’était.M’enfermerdansunebulleetmeconvaincrequetoutvabien,quejenesouffrepasetquemoncœurn’estpasécraséparlepoidsd’unchagrininsupportable.
Plusquetroisjoursetjeseraimariée.Ilmefautjustetenirbonencoreunpeu.Aprèsmondestinserascelléetiln’yauraplusderetourenarrièrepossible.J’appartiendraiàNicolasetmamèreetmoiseronsenfinàl’abri.EtStephen…Stephenneseraplusqu’undouxetmagnifiquesouvenir.
Prendreun livre sur l’étagère, l’épousseter, le ranger.Nepaspleurer,Émy.Tun’aspas ledroitd’êtreaussitriste,tusavaisquecetteaventurenepourraitpasdurer.
Detoutefaçon,cethommen’estpaspourmoi.L’amourn’estpaspourmoi.Stephenesttoutcequejeneveuxplus, tout cequim’a rendue simalheureusepar lepassé.Ledébutd’une relationest toujoursidyllique,maisçanedurejamais.Ilnefautpasqueje l’oublie.Ilauraitfiniparmementir,ouparmetrompercommeiltrompeVictoria,etm’auraitbrisélecœur,commetantd’autresl’ontfaitavantlui.Etjen’auraispluseuquemesyeuxpourpleurer.AlorsÉmy,jet’ensupplie,arrêtedet’apitoyersurtonsort…
Lasonneriedemontéléphone,poséàcôtéd’uncarton,surlatablebasse,mesortdemespensées.Jemets plusieurs secondes à oserm’approcher de l’appareil pour regarder quim’appelle.Un soupir lasm’échappelorsquejeconstatequesurl’écranestaffichélevisagesouriantdeVanessa.Jenemesenspaslecouragedeluiparler,deprétendrequejevaisbien,defairecommesitoutétaitnormal.Maiscelafaitplusieursfoisqu’elleessayedemejoindre.Alors,jemeforceàdécrocher,aprèsavoirprisuneprofondeinspirationpourmedonnerunpeudecourage.
–Ah,enfin !s’exclame-t-onàl’autreboutdufil.Jecommençaisàcroirequetut’étaisfaitkidnapperourenverserparunbus !
–Non,je…toutvabien.Jesuisjuste…trèsoccupée,encemoment.Jegrimace,conscientedufaitquemameilleureamieestbientropmalignepoursecontenterd’une
excuseaussilégère.
–Tropoccupéepourmerépondreàchaquefoisquejet’appelle ?–Oui,enfin…non.Si.C’est…Jesuisentraindem’enfoncer.Loin,trèsloinsouslasurfacedelaTerre.–Bon,Émy,qu’est-cequisepasse ?–Ri…–Etnemedispas«rien» !s’agace-t-elle.Je teconnais, tusais.Et jesuissûreque tumecaches
quelquechose !–Maisnon,enfin…–Mamainàcouperquesi.Çafaitdesjoursqu’onnes’estpasvues,ettufiltresmesappels.Àmoi,
tameilleureamie !–C’estjustequelemariageestdanstroisjours.J’aibeaucoupàfaire,avecledéménagementettout
ça…Un soupir désabusé se fait entendre à l’autre bout du fil.Çame faitmal de luimentir.Et elleme
manqueénormément…Maisjemesenssiprèsdugouffrequ’uncoupdeventm’yferaittomberàcoupsûr.Jenepeuxpasmettredesmotssurtouslesbouleversementsquisesontopérésenmoi,ousurcettedouleurquimedonne l’impressiondemanquerd’airenpermanence.Commentcontinuerà les ignorer,sinon ? Les révéler à quelqu’un, même à Vanessa, les rendraient trop réels, je ne pourrais pas lesupporter.
–Tudevraismeparler,Émy,insiste-t-elle.–Maisiln’yarienàdire…Unsilencesuitmadéclaration.C’estmonamiequilebrise,d’untonsoudainementdouxethésitant:–Est-ceque…est-cequetuestoujourscertainedevouloirtemarier ?–Oui,biensûr,dis-jed’unevoixunpeutropcassante.Pourquoitumedemandesça ?– Eh bien… tu ne ressembles pas vraiment à une future mariée épanouie, Émy. C’est même tout
l’inverse.PluslejourJapprocheetplustuterenfermessurtoi-même,c’est…–Arrête,Vanessa.Nerecommencepas,s’ilteplaît.Lasonnetteretentitetjelanceunregarddésabuséverslaporte,enmedemandants’ilseraitpossible
quelemondem’oublieunpeu.–Désolée, continueVanessaau téléphone.Mais tunepeuxpasm’envouloird’essayerdeprendre
soindetoi !Çanevapasdutout,encemoment,jelevoisbien !– Écoute, dis-je en me dirigeant vers l’entrée, on a déjà eu cette conversation à propos de mon
mariage,desdizainesetdesdizainesdefois.Tusaisqueriennemeferachangerd’avis.Monportablecoincéentrel’oreilleetl’épaulepouravoirlesmainslibres,jedéverrouillelaporte,et
l’ouvre.–Oui,maistusaiscequej’enpense,Émy !Jenepeuxpastelaisserfaireunetelleconnerie !Je…La voix deVanessa continue deme parvenir,mais je n’entends plus ce qu’elleme dit.Mon bras
retombelelongdemoncorps,tandisquejefixeceluiquisetientsurlepasdemaportesansêtrecapabled’articulerunmot.
Stephenestlà.Saprésenceinattenduemebouleverse,sonregardintensémentinquietmetoucheenpleincœur.–Je…jeterappelle,Vaness,balbutié-je.–Quoi ?Non,attends,ilfaut…Jeraccroche.Pendant un court moment, nous restons l’un en face de l’autre sans rien dire, laissant le silence
s’imprégner d’unmalaise que j’ai de plus en plus demal à supporter. Puis je soupire longuement etbaisselatêtepourneplusvoirlevisagedeStephen.
–Tudevraist’enaller,dis-jed’unevoixfroide,alorsquec’estladernièrechosedontj’aienvie.
–Tun’aspasréponduàmesmessages,Émy.Jemefaisaisdusoucipourtoi.–Ehbien,tuvois,toutvabien.J’essayederefermerlaporte,maisilm’enempêcheenposantlamaindessus.Pitié,arrête,nerendspasleschosesencoreplusdifficiles…–Quoi,c’esttout ?medemande-t-il,interloqué.–Écoute,jen’aipasvraimentletempsdeparler,là…–Donctumefousdehors,c’estça ?–Stephen…–Non,Stephenriendutout !s’agace-t-il.Ilfautqu’onparle !Jecroiselesbrassurlapoitrine,ensecouantlatêtedoucement.Iln’yarienquejesoisenmesurede
lui dire.Me voyant sur le point de l’éconduire, il entre rapidement dansmon appartement et refermederrièrelui.
–Tunerépondsplusàmesappels,Émy.Çafaitquatrejoursquejesuissansnouvellesdetoi !–Etdonctudébarqueschezmoi ?–Tunem’aspaslaissélechoix !–Tun’auraispasdûvenir,lerécriminé-je.Jepenseque…C’esttellementduràdire…Lesmotsquejem’apprêteàprononcerm’écorchentlabouche.–Jepensequ’ilvautmieuxqu’onenrestelà.–Quoi ?LesyeuxdeStephencherchentlesmiens,peut-êtrepourtrouveruneexplicationàcequejeviensde
luiannoncer,maisjen’aipaslecouraged’affrontersonregard.J’aipeurdecraqueretdememettreàpleurer.
–Non,Émy,non,dit-ilens’approchant.Ilnousrestetroisjours !–Çaneserviraitàrien,asséné-jeenfaisantunpasenarrière.–Mais jem’enfous,queçaserveàquelquechoseoupas !Onaencore trois jours !C’étaitça, le
deal !Sontonpressantetsavoixunpeucasséemefontunepeineatroce.Pendantuninstant,jememetsà
croirequ’ilestpossiblequejecomptepourlui,etcetteidéemanquedemefairecomplètementcraquer.Jemeursd’enviedemeblottirdanssesbrasetdeluiavouerquejesuistombéeéperdumentetfollementamoureusedelui.PuisjepenseàVictoriaetàcequ’elleaditlorsdelaréception,etjeréalisequetoutceci ne peut être autre chose qu’une impression erronée.Révéler à Stephenmes sentiments serait unebêtisemonumentale.
–TudevraisretournerauprèsdeVictoria !dis-je,enayantlasensationhorribledemeplantermoi-mêmeuncouteauenpleincœur.Situveuxunaveniravecelle,tu…
–Putain,mecoupe-t-il,jen’enairienàfoutre,deVictoria !Tunel’aspascompris,ça ?–Pardon ?Il s’approche et m’attrape doucement par le menton, pour m’obliger à le regarder. Complètement
perdue,etchambouléeparlecontactdesapeausurlamienne,jeplongedanssesyeuxtropbrillants.– Émy, commence-t-il d’un ton incroyablement doux, je ne veux aucun avenir avec Victoria, tu
entends ?Etjeneressensrienpourelle.Jel’observeenessayantd’intégrerlesensdesesmots.–Maisalors,pourquoi…pourquoiest-cequetuesavecelle ?–C’est…compliqué.Commetoiavectonsalauddemec,jesuppose.–MarelationavecNicolasn’ariendecompliqué,luidis-je,soudainementsurladéfensive.–Ah,oui ?Cen’estpasl’impressionqueçadonne.Lesentanttropprochedelavérité,jereculeetl’obligeàlâchermonvisage.Jeneveuxpasqu’ilen
devinedavantage,ceseraitbientropdangereuxpourmoi.
–JevaisépouserNicolasdanstroisjours,dis-jeenbaissantlesyeux.–Maispourquoi ?s’emporte-t-ilbrusquement.Tun’espluslamêmedèsqu’ilestdanslesparages !
Etiltetraitecommeunchien !Mens,Émy.Dis-luique tuesamoureusedeNicolas, il le faut,mêmesi riennesauraitêtreplus
éloignédelaréalité…–Je…jememariepourlesmêmesraisonsquetouteslesautresfemmes.–Arrête !Nemedispasquet’esamoureusedececonnard,c’estridicule !–Si.Je…jesuisamoureusedelui.Pournepasluilaisserletempsderéagiràceténormemensonge,j’ajouteprécipitamment:–Maisdetoutefaçon,qu’est-cequeçapeutbientefaire,hein ?–Qu’est-cequeçapeutbienmefaire ?répète-t-ilenlevantlessourcils.Qu’est-cequeçapeutbien
mefaire ??Ilme rejoint à nouveau et, cette fois, pose lamain contrema joue. La douceur de son geste et le
regardqu’ilasurmoiàcetinstantfonts’emballermoncœuràlafolie.Ilsepencheunpeuetjetressailleenl’imaginantm’embrasser.
–Émy…murmure-t-il,siprèsdemonvisagequesonsoufflecaressemabouchelorsqu’ilprononcemonprénom.Je…
Lasituationestentraindem’échapper,etcelameterrifie.Pourtantjenebougepasetattendslasuite,suspendueàseslèvres,lesmainstremblantesetlesouffleincertain.Jeveuxsavoircequ’ilaàmedire.Àcettesecondeprécise,plusriend’autrenecompte,toutcequin’estpasluietsessublimesyeuxvertsn’existeplus.
–Cequeçapeutmefaire,c’estque…Ilhésite,soupire.–Bordel,çafaittellementlongtempsquejen’aipasditça…dit-il,commepourlui-même.–Quetun’aspasditquoi,Stephen ?lepressé-je.Alorsqu’ilprenduneprofondeinspiration, troiscoupssecsfrappésà laportedemonappartement
meramènentbrusquementàlaréalité.Lamagies’évaporeetjerecule,enmedonnantuneclaquementalepourm’obligeràmeressaisir.Stephensecouelatête,agacé,etsepasselamaindanslescheveux.Quantàmoi, c’est toujours aux prises avec un émoi insensé que jeme dirige à nouveau vers cette porte demalheur.Décidément,c’estlorsquel’onaleplusenvied’êtreseulequel’humanitétoutentièreserésoutàse préoccuper de vous…Quand j’ouvre et vois qui se tient sur le seuil, j’ai l’impression atroce desombrerdanslevide,exactementcommesiquelqu’unvenaitdemepousserduhautd’unprécipice.Uneénormevaguedepaniquem’engloutit,jesuisàdeuxdoigtsdetomberdanslespommes.
–Qu’est-cequetufaislà ?demandé-jed’unevoixblanchequejenereconnaispas.Iln’estvenuiciqu’uneseulefoisenplusd’unan.Une.Seule.Fois.Ildétestemonappartement,ille
trouve trop petit, trop vieux, trop en fouillis… Alors pourquoi — POURQUOI — est-il chez moimaintenant ?
–J’avaisrendez-vousdansle13e,merépondfroidementNicolas.J’aidécidédefaireundétourpourvoiroùtuenesaveclescartons.Lesdéménageursviennentdansdeuxjours,Émelyne,etjeteconnais…toujoursàremettreleschosesàplustard.
Mon fiancé fait un pas dansmon appartement. J’essaie d’inventer n’importe quel prétexte pour leforceràfairedemi-tour.Maisjen’aipasletempsdetenterquoiquecesoit.
–As-tudéjà…Son regard se pose un peu plus loin et il s’interrompt brusquement. Stephen est là, au milieu du
couloir,lesbrascroiséssurletorseetlesmâchoirescontractées.Unairsombre,presquemenaçant,estgravésurses traits.LesyeuxgrisdeNicolasdeviennentplusdursquedumarbreet,passéesquelquessecondesdestupéfaction,uneondedecolèreglacéedéferletoutautourdelui.Jelasensmordremachair
commeunblizzardcinglant,jesuistétanisée.–Émelyne ?m’interroge-t-il,sansquittermonvisiteurduregard.Lafaçondontilaprononcémonnom,d’untonorageuxrésonnantd’uneragedifficilementcontenue,
meprocureunfrisson.–Qu’est-cequeçaveutdire ?Qu’est-cequecetypefoutici ?Demonespritnoyéparl’affolementnesortaucuneexcusevalable,nimêmeunepenséesimplement
cohérente.–Tum’avaisassuréquetuneleconnaissaispas.–Non,je…jeneleconnaissaispas,dis-jed’unevoixétranglée.C’est…c’estpour…Madamede
Besney.Victoria.Elle…voudraitorganiseruneréceptionet…Nicolaslèvelamaindevantmonvisagepourm’arrêter.– Ne me prends pas pour un con, Émelyne, lâche-t-il entre ses dents. Pourquoi ici et pas à ton
bureau ?Etpourquoitoi,alorsquetuvasquittertontravail ?Lorsqu’ilentendça,Stephenmelanceunbrefregard,avantdereportersonattentionsurmonfiancé.
Ilyatantderagedanssesyeuxvertsqu’ildonnel’impressiondevouloirtranspercerNicolasdepartenpart.Maiscedernier,s’étanttournéversmoi,nelevoitpas.
–Ehbien…jedevaisfairemescartons.Jen’avaispasletempsdepasseraubureauaujourd’hui…Donc…doncvoilà.C’estpourça…
J’attends la réactiondeNicolas, lesmainsmoiteset lecœuraubordde la rupture. Ilme jaugedelonguessecondesdurant,uneexpressionindéchiffrableetombrageusesurlevisage.PuisunsouriresansjoieétireseslèvresetilsetourneversStephen.
–Bien. Je comprendsmieux.Danscecas, transmettezmesamitiés àVictoria. J’espèreque la fêteseraréussie.
Lemessageestclair,illuidemandedes’enaller.Sanshausserleton,sansmêmesemontrerimpoli.Pourtant, la façondont il se tient, l’éclatacéréquianimesesprunelleset lamanièredont ilhachesesmotsmerendentextrêmementnerveuse.Soncalmen’ariendenaturel, j’ensuisconvaincue,mais ilnefautsurtoutpasqueStephenledevine.
Cedernier,quin’atoujourspasouvertlabouche,setourneversmoipourmedemandercequ’ildoitfaire.Afin de le rassurer, jeme force à lui adresser un petit sourire. Puis je luimontre la porte d’unimperceptiblemouvementdetête,carjevoisqu’ilhésiteàpartir.
–Maremplaçantevousrecontacterapourvousproposerdeslieuxadaptésàvosbesoins,dis-jepourledécider.
Ilinspire,indécis,maisfinitparsesoumettreauregardsuppliantquejeluilance.–Parfait.Alorsbonneaprès-midi,lâche-t-ilavecraideur,enprenantladirectiondelasortie.Jelesuisdesyeuxjusqu’àcequ’ilatteignel’entrée,partagéeentreangoisseintenseetsoulagement
profond.Ilsortsansseretourneretlaporteclaqueavecforcelorsqu’ilrefermederrièrelui.À la secondemêmeoùNicolas etmoinous retrouvons tous lesdeux, lamaindemon fiancévient
enserrerma gorge et ilme pousse contre lemur le plus proche.Malgré la douleur et la peur, j’ai laprésenced’espritdenepascrier,carStephenn’estpasloin.
–Jenetelaisseraipasmeprendrepourunimbécile,Émelyne !éructe-t-il.Tuentends ?J’opinefrénétiquement,maiscelanesuffitpasàapaiser lecourrouxdemonfuturmari.Sonregard
suintantderagesedardedanslemien.–Tusemblesavoiroubliéquelquechose…Tuesàmoi,tucomprends,ça ?ÀMOI !Laprisequ’ilexercesurmoncouseresserre,jecommenceàmanquerd’air.–Unseulfauxpasdetapart,UNSEUL,ettoiettonparasitedemèrevousfinirezsansrien !Pire,je
ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que vous vous retrouviez à la rue, à devoir mendier pourmanger !Etcroisbienquej’enailesmoyens…
Deslarmesacidesmemontentauxyeux,j’attrapesamainpouressayerdeluifairelâchermoncou.–Tumefaismal,Nicolas…murmuré-je.–Tuascompriscequejeviensdetedire ?J’opineencore,alorsqu’unelarmes’échappeetcoulelelongdemajoue.–Bien.Alorstuvasmelemontrer !Ilnedélaissemoncouquepourprendremonpoignetetm’entraînerverslecouloir.Ilouvrelaporte
demachambred’ungestesibrusquequelebattantvapercuterlemur.Puisilmepoussesansménagementàl’intérieurdelapièce,jemanquedetomber.
–Déshabille-toi.Jeleregardeuncourtinstant,pasvraimentcertained’avoircompris.–Qu…Quoi ?–DÉSHABILLE-TOI !hurle-t-il.Lorsquejesaisiscequ’ilattenddemoi,uneterreurnouvelles’emparedemoietjereculed’unpas.–Non,Nicolas,je…pasmaintenant,pascommeça,s’ilteplaît…Monrefusd’obtempéreràunordredirectrenforceencoresacolèreetilmerejointd’uneenjambée.
Sesdoigtsseresserrentsurmonvisage,jusqu’àmefaireterriblementmal.–Unseulfauxpas,Émelyne,menace-t-il,ettun’aurasplusrien…Ilreculeunpeuetmejetteunregardautoritairequisembledéborderd’unerageglacée.–Déshabille-toi !répète-t-ild’unevoixtranchante.Levisageémaciédemamèreapparaîtalorsdansmonesprit.Je la revois trimer, lutter,s’escrimer
jouraprèsjourpourrapporterdequoimangeràlamaison.Jemerevoisenfant,allongéedansmonlit,àl’écoutersangloterdesnuitsdurant,lesfoisoùellen’enpouvaitplusouquandundesesamantsl’avaitquittée.Jeneveuxpasvivrecommeça.Jenepourraispas…
Alors…jefaiscequemonfiancém’ordonnedefaire.Enessayantdenepaséclaterensanglots,jeretiremontee-shirtetmonjean.Lesyeuxgrisacierde
Nicolassuiventchacundemesmouvements,jelessenserrersurmoncorpsàdemidécouvertetlanauséemeprend.Lesmainstremblantes,jedégrafemonsoutien-gorgeetenfaislentementglisserlesbretelleslelongdemesbras,avantdel’abandonnersurlesol.Larespirationdemonfuturmaris’accélère,maisilnebougepasd’unmillimètre.Ilmefixeensilence.
Lorsqu’arrivelemomentd’enlevermaculotte,jem’arrête.Jeneveuxpas,jen’yparvienspas.–Continue !m’ordonne-t-il.–Nicolas,s’ilteplaît…–CONTINUE !L’ordreestclair.Jeluiobéis.Jesuisàprésenttotalementnue,àendurerleregardpossessifetlubriquequ’ilpromènesurmapeau.
Ilprendsontemps,ilveutquejecomprennequeleseulmaîtreici,c’estlui.Jenesuisriendeplusqu’unobjetqu’ilpossèdeetdontilpeutdisposercommebonluisemble…unechosesansâme,etsansdroits,quel’onpeuttraitercommeunemoinsquerien.
–Allonge-toietécartelesjambes.–Nicolas…–Maintenant.Enserrantlesdents,jem’installelentementsurmonlit,commeilmel’ademandé.Puis,exposéede
laplusintimedesfaçons,j’attends,lesyeuxclos.Lorsquejel’entendsdétachersaceinture,jefermelespaupières encore plus fort,mais ne parviens plus à retenirmes larmes.Les secondes s’écoulent aveclenteur,jesuisdéjàrévulséeparcequivasepasser.
Neréfléchispas,Émy.Faiscequetuasàfaire.Lematelasgrincequandilmerejointsurlelit,passuffisammentfortpourcouvrirlesondusanglot
quim’échappe.Puisils’allongeentremescuisses.Letissudesonpantalonetdesachemise,qu’iln’apasprislapeinederetirer,frottecontremapeaunue.
–Tum’appartiens,murmure-t-ilàmonoreille.Ça,c’estpourquetunel’oubliespas.Ilprendletempsdesepositionneret,d’uneseulepoussée,mepénètrebrusquement.Siladouleurest
vive,ledégoûtl’estencoredavantage.Jevoudraiscrier,appelerStephenàl’aidepourqu’ilviennemesauver,oufrapperNicolaspourqu’ilarrêteetnemetoucheplusjamais.Aulieudeça,jememordslalèvrepourm’empêcherdepleureretresteraussiimpassiblequepossible,mêmesij’aihorriblementmal,mêmesij’ail’impressionquechaqueva-et-vientmebriseunpeuplusetquejesuisentraindetomberenmorceaux.
La boucle de ceinture de Nicolas mord la chair tendre de ma cuisse, me causant une souffrancecuisantequiestpourtantloind’êtrelaplusinsupportable.Mêmelesgrognementsgutturauxqu’ilémetàchaquecoupdereinsmeheurtentetmefontmal.Cethommemedébecte,àcetinstantjelehaisdetoutmoncorpsetdetoutemonâme.
Jevousensupplie,faitesqueças’arrêtevite…Mesjouessonttrempées,j’aideplusenplusdedifficultésàretenirlesmanifestationsdemadouleur.
J’étouffemes plaintes en plaquant unemain contrema bouche et tourne la tête pour ne plus sentir lesoufflechaudetsaccadédeNicolassurmapeau.
Aprèsplusieursminutes,sesva-et-vientrageursgagnentenintensité,etilsevideàl’intérieurdemoienlibérantungémissementrauquequimesoulève lecœur.Essouffléet lourd, il resteallongésurmoncorpsmeurtridurantd’interminablessecondes. J’ai lasensationd’avoirunanimalmortetdégueulasseentrelesjambes,jeressenslaviolenteenviedelemordre,delegriffer,deluihurlerdedégageretdeneplus jamaiss’approcherdemoi.Mais jesuisàboutdeforce,videde tout, incapabledebougeroudeparler.J’aimêmedumalàsimplementrespirer,commesijevenaisdemouriràl’intérieur.
Nicolasserelèveenfin.Je l’entendsserajuster,mais jegardelespaupièrescloses.Jenesupportepasl’idéedeposerlesyeuxsurlui.
–Jeneperdsjamais,Émelyne,dit-ild’untonâpre.Nidansmavieprofessionnellenidansmavieprivée.Est-ceclair,àprésent ?
Jemecontented’acquiescer,carsij’ouvrelabouchejerisqued’éclaterensanglotsetjeneveuxpasqueçaarrivedevantlui.Sespasfontgrincerleparquetdemachambre,puisceluiducouloiret,enfin,laported’entréeclaqueetjemeretrouveseule.
Toujoursallongéesurmonlit,jenepeuxmeretenirpluslongtempsetlaisseexplosermadouleur,mahonte etmon dégoût, qui prennent la forme de pleurs véhéments et éperdus. Recroquevillée surmoi-même,assassinée,briséeetsalie,jeresteunlongmomentsanspouvoirmecalmer.Desminutesoudesheures,jen’enaipaslamoindreidée.Perduedansunbrouillardimmondeetépais,j’oscilleentredégoûtviscéralpourNicolasetrévulsionprofondeenversmoi-mêmeetcequejesuisdevenue:unefemmequiselaissebaisercontresavolontépourdel’argent.Unevulgairepute.
J’ai froid, j’aimal,pourtant jeneparvienspas àbouger.Les larmescoulent encore, intarissables,sansrienapaiserdemonchagrinetdemonmal-être.
Durantcemomentatroceoùjenesuisplusqu’untasdechairsansvie,unepenséeémergedesflotsdéchaînésdans lesquels jesuisen traindemenoyer.Cepetit radeausalvateurauquel jemeraccrochepournepassombrer,c’estStephen.Lesimplefaitdemeremémorerletimbredesavoix,oulasensationde samain contrema joue,me rappellequ’il y adubon,dans cemonde.De ladouceur.De l’amour.Quelquechosedebeau.Messouvenirsde lui,personnenepourra jamaismelesenlever,mêmesi toutespoirestmortetquemaintenantc’esttoutcequ’ilmereste.Dessouvenirs.C’estridiculementpeu,maisc’est laseule lueurquiéclaireunpeumes ténèbres.Maisni luinipersonnenemesauvera.C’est troptard.J’aivendumonâmeetmoncorpsaudiable,etentouteconnaissancedecause.Cequejen’imaginaispas,parcontre,c’estquecelamecoûteraittant…
Chapitre4
Stephen*
Je sors de l’ascenseur fou de rage et me dirige vers la sortie à grandes enjambées, puis jem’immobilisesurletrottoiretfaisvolte-facepourrevenirsurmespas.Jenepeuxpaspartircommeça.Jemefigedevantl’ascenseur,lecœurpartagéentredeuxpossibilités.Lapremière:monterdémolir latêtedecegrosconnard.Laseconde:avoueràÉmycombienjel’aimeetqu’ellen’apasledroitdemechasserdesaviedecettemanière.Jeposelesmainsdevantmoisurl’acierfroid,enfermantlesyeux.
Respire,expire,respire,expire…Ilfautquejemecalmeetquejemeressaisisse.Jedoisrespectersavolonté,jen’aipasledroitdelui
imposerseschoix.Maisqu’est-cequim’arrive ?Jedeviensfou…Ellemerendfou…–Putain !m’énervé-jeentapantviolemmentduplatdelamainsurlaportedel’ascenseur.Qu’est-ce
quejefouslà ?Jemeredresseetreprendsladirectiondelasortie.Jedoisvitepartird’iciavantdefaireunegrosse
connerie.Etdirequej’étaisàdeuxdoigtsdeluiavouermessentiments…Commenta-t-ellepumedirequ’elleaimaitcettetêtedecon ?Jesaisquec’estfaux,jel’aivudanssesyeux.Ellement,ellenel’aimepas, c’est certain.Pourquoi s’entête-t-elle à vouloirme faire croire le contraire ? Je dois connaître lavérité,jenepeuxpascontinuercommeça.
Je récupère mon portable dans la poche arrière de mon jean et cherche Greg dans mes contacts.Quandildécrochequelquessecondesplustard,jesuisentranse,dansunétatsecond.Quelquechosenevapas,j’aiunmauvaispressentiment.Quelquechosedansleregarddufiancéd’Émym’aglacélesang.Cetypeestdangereuxetmalsain,j’ensuissûr.J’espèrequ’ilneluiarienfait…
–Salut,monpote !Nemedispasquetuasencorebesoind’untaxi ?plaisanteGreg.–Non…J’aibesoind’unservice.–Jem’endoutaisunpeu,vois-tu !Chaque foisque tum’appelles, c’estparceque tu asbesoinde
quelquechose !–NemecherchepasGreg,jesuisàcran,là !lemenacé-je.–OK,balance.Tuveuxquoi ?–JedoisrencontrerVanessadetouteurgence.–Là,tum’endemandestrop,mec.Ellen’accepterajamais.Encemoment,ellefaittoutpourm’éviter.–Démerde-toi,jedoislavoir.Dis-luiquec’estausujetd’Émy.–Ouais,jevaisessayer.Maisjeneteprometsrien !–OK.–Bon,jel’appelleetjeterecontacte.Jerejoinsmavoitureetprendslarouteavecunnœuddansl’estomac.Jenesupportepasdesavoir
Émyseuleavecl’autre.Çamerendmalade.J’arrivechezmoiunmomentplustardetmeprépareuncafépourm’éclaircirlesidées.Ellesemariedanstroisjours…Troisputainsdejours !
Ce n’est pas possible, je dois trouver une solution pourmettre fin à cette mascarade. Il faut queVanessame dise ce qui se passe.Mon portable sonne et je décroche le cœur battant. Pourvu qu’elleacceptedemevoir.
–C’estbon.ElleseracesoirauSaintJames,àvingtetuneheures.–Merci,jeterevaudraiça.–J’ycomptebien,ricane-t-il.–Ouais.Àundecesjours !–Àcesoirenfait…–Pourquoi ?–JenevaispasraterunesibelleoccasiondevoirVanessa !Ellem’évite,encemoment.–Arriveunpeuplustard,situpeux,quej’aieletempsdeparlerseulàseuleavecelle.–OK,jeviendraiversvingtetuneheurestrente.–Putain,Gregnefaitpaschier !Viensversvingt-deuxheures !–D’accord,çava…Jetelaisseuneheure,maisaprèsjedébarque !–J’avaiscompris,ouais.Àcesoir.Je lui raccroche au nez. Quel abruti, ce mec. Tu m’étonnes que Vanessa l’évite. Soulagé, je file
prendreunedoucheet j’enfileun jeannoiravecunechemiseblanche.Pourm’occuper l’esprit jusqu’àvingtetuneheures, jem’installedevantmonordiafinderegarderlespetitesannoncespourtrouverunbarsympaenborddemer.SiÉmysemarie,jevaisdevoirm’éloignertrèsloind’icietsurtouttrèsloind’elle.Jepensequ’ilesttempsdecherchersérieusementl’affairedemesrêves.JesuisperdudansmessongesquandmonportablesonneànouveauetenvoyantleprénomdeVictorias’afficher,jemeraidis.Jenerépondspas.Jenesuispasd’humeuràsupportersesconneries.J’évitesescoupsdetéléphonedepuisla soiréedegalaoù je l’ai plantée sanspitié.Émya fait lamêmechose avecmoi.Elle a ignorémesappelsetmesmessagespendantplusieursjours,cequi,jel’avoue,m’arenducomplètementdingue,d’oùmavisiteàsonappartementsansinvitation.Jenem’attendaispasdutoutàtombersurl’autreconnardetencoremoinsàmefairerembarrerparÉmy…
J’airefoulémessentimentsdetoutesmesforces.J’airefuséd’admettrelaréalitélepluslongtempspossible.Maisilarriveunstadeoùtun’aspluslechoix,tudoisaffrontertesdémonsetfairefaceàceque tu refoules auplusprofondde toi. J’ai réalisé cesderniers jours la forcedemes sentimentspourÉmy. Elle a rouvert de vieilles blessures, des sensations oubliées, des rêves brisés. Des souvenirsprofondémentenfuisrefontsurfaceetmecoupentlesouffle.Jeregardelapendulepourlamillièmefoisetdécidedepartirpourlebar.Sij’arriveplustôt,jepourraisboirequelquesverrespourmedétendre.Jerécupèremesclés,monportableetjefile.
AuStJames,unmomentplustard,jem’installedanslefonddelasalle,uncoindiscretoùjepourraidiscuterlibrementavecVanessasansêtredérangé.Jecommandeunwhiskyglaceetobserveleslieux.Iln’yapasfoule,cesoir:quelquesjeunesaucomptoiretdeuxcouplesinstalléssurlestablesautourdelapetite piste de danse. Des souvenirs envahissent ma tête en revoyant justement cette piste : le corpsd’Émy contre lemien, son souffle surmon visage, son parfum, la douceur de sa peau, notre premierbaiser…Putain, je suis fichu ! J’avalemon verre cul sec et en commande un deuxième. Je sors monportable dema poche et fais défiler la liste des contacts jusqu’au numéro d’Émy. Je le fixe un longmomentavantdemedécideràl’appeler.Jedoissavoirsiellevabien,c’estplusfortquemoi.Depuisquejel’ailaissée,jesuisangoissé.Aprèsplusieurssonneries,jetombesurlerépondeur.
Mesmainssemettentàtremblerdecolèreoudestress, jenesauraisdire.Jerelancemonappelettombeunenouvellefoissursamessagerie.Soitelleneveutpasmeparler,soitceconnardl’enempêche.Jeposemonportablesurlatableetcommandeuntroisièmewhisky.J’enaimarredecogitercommeuntaré,j’aienviedetoutoublier.
Vanessaarrivepeude tempsaprèsmonquatrièmewhisky.Elles’assiedfaceàmoietmedévisagecommesij’avaisuntroisièmeœilquivenaitdepousserentrelesdeuxautres.
–Quoi ?grogné-jeenfronçantlessourcils.– Oh rien, je suis ravie de discuter avec de la viande saoule ! rétorque-t-elle, agacée, avant de
commanderuncocktail.–Jenesuispasbourré.Jesuisencorecapabled’avoiruneconversation.–J’espèrebien !Jen’aipasdetempsàperdre,moi !–OK, on va peut-être se calmer, lancé-je en plantantmes yeux dans les siens pour bien lui faire
comprendrequejenesuispassaoul.Jet’aipasfaitvenirpourmefaireuneleçondemoralesurl’alcool.Jeveuxqu’onparled’Émy.
–Trèsbien.Qu’est-cequetuveuxsavoir ?Soulagéqu’ellemettesoncaractèred’emmerdeusedecôté,jem’enfoncedansmonfauteuiletprends
unegranderespirationavantdelancerlaconversation.–Bon, quelque choseme chiffonnedepuis le début de toute cette histoire, commencé-je en faisant
tourner nerveusementmon verre entremes doigts. Si Émy est tameilleure amie comme tu l’affirmes,pourquoiteservirdemoipourmettrelebordeldanssoncouple ?
Ellemetoiseetprendquelquessecondesderéflexionavantderétorquer:–Justementparcequec’estmameilleureamie…–Soisplusprécise,jenecomprendspasbien.Ellesoupireetsemblehésiteràmerépondre.–Jepensequ’ellefaitunemonumentaleerreurensemariantaveccesaletype !finit-elleparavouer.–Enfinunechosesurlaquellenoussommesd’accord.Maispourquoipenses-tuça ?–Parcequejelaconnaisetjevoisbienqu’ellen’estpasheureuseaveclui.Tul’asvu ?s’emporte-t-
elle. Ilest l’opposéd’Émy ! Il estodieuxavecelleetpasse son tempsà la rabaisser ! Je nepeuxpasconcevoirlefaitqu’ellepassesavieàêtremalheureuseaveclui !
–Oui, j’ai vu ce connard et lamanière dont il la traite. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquellesraisonselleselaissemalmener ?
–Tul’aimes ?demande-t-elletoutàcouptrèssérieusement,enposantsescoudessurlatablepourserapprocherdemoi.
Jerestesansvoixuninstant.Jenem’attendaispasàcettequestionetjenesaispassij’aienviedeluirépondre.C’estpersonneletj’aidéjàdumalàm’avouermessentimentsàmoi-même.Alors,lesavouerauxautres…
–Qu’est-cequeçapeuttefaire ?lancé-je,surladéfensive.–Ehbien,c’est trèssimple :si tunemerépondspas, jem’envais immédiatement.Jenevaispas
parlerdelavieprivéed’Émyàquelqu’unquisefoutroyalementd’elle.–Maisengagerunmecpourlabaiser,là,n’yaaucunsouci !laprovoqué-je.–T’esvraimentcon !s’exclame-t-elleenselevantpourpartir.Lapanique s’empare demoi. Je nepeuxpas la laisser s’en aller, elle seule a les réponses àmes
questions.Ellemetourneledosetprendladirectiondelasortie.–Oui !dis-jeassezfortpourqu’ellem’entende.Elles’immobiliseetfaitvolte-face,pourmedévisagerd’unregardfuribond.–Ouiquoi ?questionne-t-elleenarquantunsourcilprovocateur.Jenedétournepaslesyeuxetmecontentedeluifaireunsignedelamainpourqu’ellereprennesa
place,cequ’ellefait,aussiraidequ’unpiquet.–Oui,jel’aime,confié-jeensentantunpoidsimmenses’abattresurmesépaules.Lefaitdeledireàhautevoix,quiplusest,àunepersonneproched’Émymerendmalade.–Depuisquand ?insiste-t-elle,commepourmieuxmetorturer.–Jenesaispasvraiment…Jepensequeçaacommencélesoiroùl’onadanséensemble,icimême,
dis-jeenmontrantlapiste.Oupeut-êtreavant…J’avalemonverred’unetraiteetencommandeunautre.Puisjemepasseunemainsurlevisageavant
decontinuer:
–Jenesaispaspourquoi…nicommentc’estarrivé,maisjel’aimeetjenesupportepasl’idéequececonnardlatouche.Jesuisfouderageenl’imaginantépouserunautrehommequemoi.Ellesouffre,jel’aivudanssesyeux,maisjenecomprendspaspourquoielles’obstinedanscetterelation !Jesaisquejeneluisuispasindifférent,jel’airemarquédanssesgestes,danssafaçondemetraiterdecon,lancé-jeennepouvantretenirunsouriremélancolique.
–Poursamère…dit-elleenbaissantlesyeuxpourobserversonverre.–Poursamère ?Qu’est-cequetuveuxdire ?–Ellesesacrifiepourelle.–Putaindemerde,jemedoutaisd’untrucdanslegenre !rétorqué-jeensentantunetensions’installer
dansmoncorps.Magorgeestsinouéequej’aidumalàrespirer.Commentpeut-ellesesacrifierainsi ?–C’estpourl’argentqu’ellesemarie ?–Oui, pourmettre samère à l’abri du besoin. Et son empaffé de fiancé nemanque pas de le lui
rappeler !–Jevaistuer,cemec !m’emporté-jeensentantmonsangbouillirdansmesveines.Jepasseunemainnerveusedansmescheveux,avantd’attrapermonportableetdetéléphoneràÉmy.–Qu’est-cequetufiches ?s’agaceVanessaenm’arrachantl’appareil.–Jedoisluiparler…–Elleestaveclui,cesoir.Tuveuxvraimentempirerencoresasituation ?–Non,maisje…jesaisplusquoifaire…avoué-je,désespéré.–Tuluiasditcequeturessenspourelle ?–Non,j’allaislefaireaujourd’hui,maisl’autreconnardm’enaempêché !–Ilfautquetuluidises.–Oui,maisjenesaispascommentfairepourlavoirseule.–Àsontravaildemain !–Quoi,carrémentàsonbureau ?–Oui,là,tuescertaindenepascroiserNicolas,affirme-t-elleenmelançantunregardmalicieux.Il
nevajamaissursonlieudetravail.–OK,demainmatin,j’irailavoirpourluiavouermessentiments,mais…jenesuispassûrqueça
changegrand-chose.–Jen’enrevienspas,ricane-t-elleensecouantlatête.–Dequoi ?questionné-je,necomprenantpascequ’elleveutdire.–Jamaisjen’auraispuimaginerqu’unmeccommetoitombeamoureux…T’esungigolo !Je me raidis et encaisse difficilement ses paroles, avant de répondre sur un ton nettement moins
sympathiquequequelquesminutesplustôt:–Parcequejesuisgigolo,jen’aipasledroitd’aimer ?Oud’êtreaimé ?Tut’imaginesquejefaisce
métierpourquelleraison ?–Pourl’argent.–Exactement,pourl’argent.N’ayantpersonnedansmavie,jefaiscejobpourm’enrichirrapidement
etpouvoir réalisermesrêves.Necroispasque jeseraigigolo jusqu’à la findemonexistence !C’estl’histoired’encorequelquesmoispourquejeréunisselasommenécessaire.
–Ettucroisqu’Émyleprendracommentquandellesauracequetues ?–Jen’ensaisrien…J’aimeraisautantqu’ellenel’apprennepas,enréalité…–Oui,j’imagine.Maissitul’aimesvraiment,pourras-tularegarderjouraprèsjourdanslesyeuxen
sachantquetuluimens ?–Peut-êtrepas…Maisceque jesais,c’estque jenepeuxplusvivresanselle.Etsi je luidis la
vérité,ellerisquedeneplusvouloirdemoi.
–C’estvrai…Votrehistoireestcondamnéed’avance !Jemeredresseetnepeuxm’empêcherdeluijeterunregardnoir.Commentpeut-ellemedireçaalors
quejeviensdeluiouvrirmoncœur ?N’a-t-ellepasunminimumdecompassion ?–Tun’esvraimentqu’unegarcefinalement !décrété-je.Ellereculesursonsiègeetdétournelesyeux,l’airmalàl’aise,avantdemedévisagerànouveau.–Jenevoulaispasdireça,mais…c’estvraiquec’estmalbarré !–EtsionparlaitdetoietdeGreg ?Tusaisqu’iltientàtoi ?–Pff…Sûrementpas !Jelepayepoursesservices,çanevapasplusloin !–Situn’esmêmepascapabledevoircequetuasdevanttonnez,commentpeux-tuêtrecapablede
savoirsiÉmyetmoiçapeutoupasmarcher ?–Jetel’accorde.Jenesuispaslamieuxplacéepourdonnerdesconseilsoujugerlesrelationsdes
autres !–Çafaitplaisiràentendre !dis-jepourdétendrel’atmosphère.Tuboislamêmechose ?–Oui,maisonarrêtedeseprendrelatêtepourcesoir,j’aimadose !–OK.Jereviens,jevaiscommanderetfumeruneclopedehors.Jerécupèremontéléphoneetfileaubarpassercommandepourlatable.Puisjesorssurlaterrasse.
J’allumeunecigaretteavantdetenteruneénièmefoisdejoindreÉmy,maisrienàfaire,jetombetoujourssur sa messagerie. Je range mon portable et m’adosse au mur le plus proche. Je sens que l’alcoolcommenceàagirsurmoncorps.Jenevaispaspouvoirconduirepourrentrerchezmoi.Jedormiraidanslavoiture,cen’estpasgrave.Demainàlapremièreheure,jefonceraivoirÉmy.Peum’importequ’ellemechasse,qu’ellemedisequ’ellenem’aimepasetqu’ellevaépouserl’autrecon !Peuimporte…Elleentendracequej’aiàluidire !
JebalancemacigarettedanslarigoleetjerejoinsVanessa.–Çateditdepasserlasoiréeavecmoi ?demande-t-elle.–Commentça ?m’inquiété-je.–Cen’estpascequetut’imagines,justeentreamis,jen’aipasenvied’êtreseulecesoir,avoue-t-
elle.Je me rends compte que cette femme est peut-être encore plus seule que moi, ce que je pensais
impossible.Commequoi…–On ne peut pas, on attend quelqu’un, lancé-je en souriant jusqu’aux oreilles à l’idée de la tête
qu’ellevafaireenvoyantdébarquerGreg.–Quoi ?Tuplaisantes ?NemedispasquetuasappeléÉmy ?–Émy ?Non,pasdutout,justeunpote,ricané-jeenobservantsonvisagesedécomposer.–Gregvavenir,c’estça ?s’affole-t-elle.–Ouiettuvasfinirlasoiréeavecluicommeçatuneseraspasseuleettupourrasmêmeluiparler
dessentimentsqu’iléprouvepourtoi !–Ohnon,cen’estpasvrai…Jefaistoutcequejepeuxpourl’éviteret toi, tumelefousdansles
pattes !–Dequoituaspeur,exactement ?C’estunbeaumecsympaetpasaussiconqu’ilenal’air !–C’estungigolo !–Etalors,moiaussi !Çan’empêchepasquenoussommeshumainsetquenousavonsuncœur !–Ouais,benmercibienducadeau !rétorque-t-elleenriant.–Iln’estpassiterrible !Ah,quandonparleduloup !dis-jeenvoyantGregavancerversnous.IlamissonplusbeaucostumeetdévisageVanessaavecunsourireéclatantsurleslèvres.Siellene
craquepas,jen’yconnaisrien !Nouspassonsunepartiedelanuitàboireetdanser.Jenem’attendaispasàunesibonnesoirée.Commequoi,onneconnaîtjamaisvraimentlesgens.Àplusieursreprises,levisaged’Émys’invitedansmespensées.Mais l’alcool aidant, je parviens àmedétendre.Vers quatre
heuresdumatin,j’abandonneGregetVanessapourallermecoucherdansmavoiture,ivremort.Je suis réveillé par le bruit du moteur d’un camion de livraison vers sept heures. Je suis
complètementdéconnectéetj’ailabouchepâteuse,ilfautabsolumentquejeboiveuncaféavantd’allervoirÉmy.Jetrouveunpetitbistrotetfonceauxtoilettespourmepasserdel’eaufroidesurlevisage.J’aiunemigraineatroceetmonestomacseretourneàl’idéedelarevoir.
Aprèsdeuxgrandscafés,jeprendslarouteendirectiondesontravail.Jemegaredevantl’immeubleetpénètredanslehall.Unesecrétairem’indiqueladirectiondesonbureau.J’avancelentement,letempsdereprendremesespritsetdetoutmettreenordredansmatête,cequin’estpasuneminceaffaireaveclaquantitéd’alcoolquej’aiingurgitéetoutelanuit.
Enarrivantdevantlaporte,jem’immobiliseuninstantetaprèsunegrandeexpiration,jefrappedeuxcoups.J’attends,lecœurauborddeslèvres,etquandelles’ouvre,j’arrêtederespirer.
Elleestlà…Sonsouriresedésagrègesursonvisageetlasurprisesepeintsursestraits.Letempsd’uneseconde,
ledoutem’envahit.Jenesaispassic’étaitunesibonneidéedevenirsursonlieudetravailencoreàmoitiébourré…Puisnos regardssesoudent,etplus riend’autren’ad’importanceàmesyeuxque lessiens,siclairsetprofonds.
Chapitre1
Émy*
Stephenestjustelà,devantmoi,àmedévisager,lesyeuxbrillants,lesoufflecourtetl’allureunpeudébraillée.Ilneditrien,maislafaçondontilmeregardemechavire.Ilyadeladouleurdanssesyeux,mais aussi une douceur exacerbée et quelque chose qui ressemble à… une supplication fiévreuse etsilencieuse.Pendantquelquessecondes,j’oublietoutcequ’ilyaautourdemoi:lefaitquejesoissurmonlieudetravail,laprésencedemonpatrondanslebureauvoisin,oucelledeVincent,moncollègue,justeàcôté.Jemelaisseemporterparl’intensitéquisedégagedeluietparlebien-êtrequesaprésencesoudaineetinattenduem’apporte.C’estcommesiunventchaudsoufflaitsurledésertsépulcraletglacéqu’estdevenumoncœurdepuishier,depuisqueNicolasalaissésonempreinteatrocedansmachair.
LaréalitéserappelleàmoilorsqueVincentseraclelagorge,etlesoulagementapportéparl’arrivéedeStephensemueenangoisse. Je tourne la têteversmoncollègue,quiabiencomprisquecenouvelarrivantdépenailléestlàpourmoi,puisquesesyeuxpleinsdequestionsnemequittentpas.
–Je…jereviens,balbutié-je,enposantledossierquej’aidanslamain.Sans prononcer unmot, jem’avance vers Stephen, le prends par le bras et l’entraîne avecmoi à
l’extérieur.Encejeudimatin,lafouleetlacirculationsontdensesdanslacapitale,jecontinuedoncmoncheminjusqu’àlapetiterueperpendiculaireauboulevardpourytrouverunsemblantdecalme.Puis,jemetourneversStephen,quim’asuivieensilence,etjeretrouvelamêmeexpressionsursonvisagequecellequim’a tant chamboulée lorsqu’il a surgidansmonbureau.Moncœurmanifestesonémoi en semettantàcogneravecforcecontremacagethoracique.Nousrestonsuninstantsilencieux,lesyeuxdanslesyeux.Maintenantqu’il est prèsdemoi, je remarquequ’il a les traits tirés, commes’il n’avait pasdormidelanuit.
Ilprendlaparoleet,d’unevoixcassée,légèrementtraînante,melancesanspréambule:–Netemariepas,Émy !T’espasobligée.Reste…resteavecmoi…J’inspireabruptement,maisaucunsonnesortdemabouche.Cequ’ilvientdedireme laisse sans
voix,jenem’yattendaispas.Unedouleuraiguëprendplacedansmapoitrine.J’aimeraisplusquetoutaumondepouvoirluirépondreoui,maishélas,celam’estimpossible.Lacollisionentrelesdésirsdemoncœuretmesobligationsestviolente,leslarmesmemontentauxyeux.
–Jenepeuxpasfaireça.Jebaisse la tête et reculed’unpas, commesi le fait dem’éloigner un peude lui allait rendre les
chosesmoins douloureuses.Mais Stephen se rapproche et, avec cette douceur habituelle qui est aussiagréablequ’intolérable,prendmamainentrelessiennes.
Àcetinstant,unelégèreodeurdewhiskymeparvient,pastoutàfaitdissimuléeparcelleducafénoir.–Attends…Tuasbu ?C’estpourçaquetumedistoutça ?lequestionné-je,affreusementblesséeet
déçue.Est-cel’alcoolquiparleàsaplace ?Cetteidéemefaitsimalqueladouleur,commetropsouventen
saprésence,setransformeencolère.–Non !Enfin…si.Maisçanechangerien !–C’estça,oui…Arrêtedetefoutredemoi…Jedégagemamaind’ungestesecetrecule.
–Émy,attends !J’aibu,c’estvrai,maisj’étaisfurieuxet…etmortd’inquiétude !Aprèsquel’autreconnardsesoitpointé,tum’asfoutudehorsetçam’arendudingue !J’étaisencolèreetj’avaispeurqu’iltefassequelquechose…J’aifaillirevenir,maisjemesuisditquetum’envoudraisàmort…
Àmesure qu’il me parle, les images et les sensations de ce qui s’est passé après son départmereviennent dans la tête et dans le corps. Je me mets à penser à ce qui aurait pu arriver s’il étaiteffectivementrevenuetjegrimacededouleuretderegret.IlauraitpuempêcherNicolasdemetoucher.L’empêcher de…deme violer. Si seulement j’avais eu la possibilité de lui demander de ne pas s’enaller !Siseulement…
–Qu’est-ce qu’il y a, Émy ? questionne-t-il en voyant passer surmon visage les émotions que jen’arrivepasàrefouler.
Jeneluirépondspas,jenepeuxpas.–Est-cequ’il t’a faitquelquechose ? continue-t-il d’un tonpressant et inquiet. Putain, s’il t’a fait
quelquechose,jeletue !Est-cequ’ilt’afaitdumal,Émy ?Réponds-moi !Ilmeregarde,lesyeuxremplisderageetd’angoisse.Jen’airienditàpersonne.PasmêmeàVanessa.Est-cequejedevraistoutraconteràStephen ?Sije
meconfiaisàlui,iliraitcertainementtrouverNicolasetluiferaitpayersonacteodieux.Cettepenséemesoulageuneseconde,maisjesaisquejegarderaimonhorriblesecretpourmoi.Rienneferadisparaîtrelasouffrance,etlesconséquencesseraientdévastatrices.Pourlui,pourmoi.Etaussipourmamère.
–Non,murmuré-jesansleregarder.Ilnem’arienfait.Stephensoupire,apparemmentsoulagé.–Vanessam’atoutraconté,avoue-t-il.Jesaispourquoituveuxépouserceconnard,Émy.Maist’es
pasobligée !–Quoi ?m’enflammé-jeànouveau.Vanessaafaitquoi ?–C’estmoiquiluiaidemandédetoutmedire.Neluienveuxpas.Paniquée par les conséquences que pourrait avoir la trahison de Vanessa, la révélation faite par
Stephen attise ma colère. Le repousser en prétendant aimer quelqu’un d’autre était possible, maiscommentlepersuaderàprésentquejeneressensrienpourlui ?Commentpourrais-jeseulementaccepterqu’un tel mensonge sorte de ma bouche ? J’ai le sentiment que mon cœur et mon âme seraient toutbonnementincapablesdemelaisserfaireunechosepareille.
–Écoute-moi,Émy,s’il teplaît, réclameStephenlorsquejem’éloignepouressayerderemettredel’ordredansmespensées.
–Non !crié-jepresqueenfaisantvolte-faceverslui.Iln’yarienàdire !–Ilyadesmilliersdechosesàdire,aucontraire !Alorsquejereprendsladirectiondemonbureau,lesbrasserrésautourdemoietdeslarmesplein
lesyeux, ilparcourt rapidement lacourtedistancequinoussépareetmecoupe la routeenseplantantdevantmoi.
–Qu’est-cequetuveux,encore ?demandé-je,lavoixétrangléepardessanglotscontenus.–Jeveuxquetusachespourquoijesuislà,Émy,merépond-il,enposantsurmoiunregardintense.Et
àquelpointtuasbouleversémavie !Je…–Non,Stephen,s’ilteplaît.–Jesuistombéamoureuxdetoi.Un torrent d’émotions déferle soudainement à l’intérieur demoi, je suis engloutie par ses vagues
tumultueusesetchaudes.Toutcequiétaitfroidetmorts’enflammetoutàcoupd’unevienouvelleetlemondesembles’embraser.Jamaisdesimplesmotsnem’ontfaitautantdebienoubouleverséedavantage.Pourtantjenebougepasd’uncil,pétrifiéesurplace,commesijen’étaispasenmesured’associercettevériténouvelleetmagnifiqueàlatristeréalitédemonexistence.
–Tuentends,Émy ?medemandeStephenàmi-voix.Je…jet’aime.
Jet’aime.Ces mots dans sa bouche… C’est comme du chocolat, un baume pour le cœur, une délicieuse
friandisepourquelqu’unquin’auraitjamaisgoûtéquedupainsec.Commejesuistoujoursincapablederéagir,ils’approchelentementdemoi,sansmequitterdesyeux.
Lorsqu’il est assez près, il se penche et pose doucement ses lèvres sur les miennes. Je devrais lerepousser,luidirequejenepeuxpasfaireça,quel’amournechangerienetn’apassaplacedansmavie.Maisjenepeuxpas…
Ladouceurchaudedesabouchemeréveille,etlorsquejereprendspossessiondemoncorps,c’estpourpassermesbrasautourdesoncouetl’embrasserenretour.Malanguetrouverapidementlasienneetungémissementsoulagémontedesagorge. Il répondenm’enlaçantétroitement,commes’ilavaitpeurque je disparaisse.Notre baiser est ardent, profond, il a la saveur exquise de tous les sentiments quiexplosentdansmoncœuràcetinstant.
Quandnousnouslâchons,Stephenm’attrapeparlamainetplongesonregardvertdanslemien.–Netemariepas,medit-ilànouveau.Jelefixeunmoment,unsouriretristesurleslèvresetlesyeuxemplisd’unchagrinacéré.–Tusaisquejenepeuxpas.–Si !Si,tupeux !–Jenepeuxpaslaissertombermamère,pasaprèstoutcequ’elleatraverséettoutcequ’elleafait
pourmoi…–Mais tun’aspasà la laisser tomber !Tun’esplusunepetite fille impuissante,Émy, tugagnes ta
vie !Oui,jegagnemavie.Lamienne.Maisj’aideuxloyersàpayer,deuxpersonnesànourrir,àsoigner,à
habiller.Chaquemoisestuneépreuve, jedoiscompterchaquecentimeetnepeuxmepermettreaucunécart.Lemoindreimprévuestunecatastrophequimetcetéquilibretropfragileendanger.
–Tunesaispascequec’est,argué-je,enproieàunebrusquemontéed’angoisse.Je…Elleabesoindemoi,maistouteseulejenesuispasassezforte !
–Tuneseraspastouteseule,jeserailà !–Jeneveuxplusrevivrecequenousavonsvécu.Jenepourraispas,tucomprends ?Mamèreadéjà
tropdonné,ellemériteunpeuderépit !Stephensoupire,moijechassedemesjouesl’eausaléequiarecommencéàcouleretmemetsàfaire
lescentpassurlebitume.–J’aideséconomies,melancetoutàcoupStephen.Unegrossesomme.Ilsetaituninstant,etajoute:–Jetedonnetout,situveux.Àtoietàtamère.–Non,voyons,nedispasn’importequoi…–Jem’enfous,dufric !Cequejeveuxvraiment…c’esttoi.Jel’observe,touchéeau-delàdesmotsetcomplètementchambouléeparlasincéritéquejelisdans
sesyeux.– Il n’y a qu’une chose quim’importe, reprend-il. Est-ce que tu ressens lamême chose quemoi,
Émy ?Est-cequej’aitortdecroirequetum’aimesaussi ?Nesachantpasquoiluirépondre,jebaisselatête.Toutàcoup,jemesensperdue.Suis-jeamoureusedeStephen ?Oui !Àenavoirlecœurquidéborde,àavoirenviedelecriersurles
toitsetdel’écriredanslesnuages !Maissuis-jeprêteàlaissermessentimentsprendrelepassurmespeurs,mescertitudesetleslaissergouvernermavie,aurisquedetoutperdre ?Rienn’estmoinssûr…
Lavérité,c’estquejesuisterrifiée.Follementamoureuse,maisterrifiée.–J’ai tellementsouffert,Stephen…commencé-jed’unepetitevoix.Onm’adonnémilleraisonsde
croirequel’amourestunevraiecochonnerie,quin’apportequesouffrance…
–Moiaussi.J’aivulaseulefemmequejen’aijamaisaiméemourird’uneleucémie.J’aiperdumaraisondevivre,cejour-là.
Sa révélation fait naître une douleur acide dansmapoitrine.L’imaginer à ce pointmalheureuxmedémolit.
–Jesuisdésolée,Stephen,murmuré-je,netrouvantriendemieuxàluidire.–Ouais.Lavieestdégueulasse,desfois.Jesuisbiend’accord…–Maisdepuistoi,toutestdifférent !s’anime-t-ilsoudainement.Toutachangéet…toutestredevenu
beau !Bonsang,Émy…Jenecroyaismêmepasqueçaseraitpossible !Samainseposecontremajoueetilvientmettresonfrontcontrelemien.Lespaupièrescloses,ilme
ditàmi-voix:–Jet’aime.Jesuismêmecomplètementdinguedetoi,alors…alorssituressenslamêmechoseque
moi,nemelaissepas.Jetejurequejeferaitoutpourtoi,tuentends ?Nemelaissepas…Jem’accroche à lui, à son corps autant qu’à ses mots, parce que je sens ma vie sur le point de
m’échapper. Je perds le contrôle et çam’effraie,mais c’est aussi terriblement bon. J’ai l’impressiond’êtreentraindemelibérerd’unpoidsquej’auraisportédepuistoujours.
–Promets-moiunechose,Stephen.S’ilteplaît.–Toutcequetuveux.–Promets-moidenejamaismefairesouffrir.Etdenejamaism’abandonner.Quelques secondes s’écoulent, durant lesquelles je retiens mon souffle. Puis, après une grande
inspiration:–Jetelepromets,Émy.Etvoilàquejepleureencore,maiscettefoiscesontdeslarmesdejoiequiperlentdemesyeux.–Jet’aimeaussi,Stephen,avoué-jefinalement,aveclasensationdebrisermeschaînes.–Émy…lâche-t-ildansunsoupir.Répète-moiça.–Jet’aime.Ilreculeunesecondeetmesouritcommes’ilétaitl’hommeleplusheureuxdumonde.Sonexpression
dejoiepresqueenfantinefaitexplosermoncœurd’unamourinfini.Sanscriergare,ilmeprenddanssesbras etme soulève de Terre.Mon petit cri de surprise se transforme en gémissement quand il prendpossessiondemabouchepourm’embrassercommes’ilvoulaitmedévorer.Jeluirendssonbaiseraveclamêmepassionetlamêmeeuphorie,bienqu’aufonddemoi,jesoismortedepeur.
Que vais-je faire, à présent ?Vais-je réellement avoir le cran de quitterNicolas et d’affronter safureur ?Ma vie et celle demaman seraient alors tellement plus difficiles… Je n’aurais aucun droit àl’erreur, aucune marge de sécurité. Ce serait comme de marcher sur un fil suspendu dans les airs.Renonceràlasûretéfinancièrequem’offremonmariagesignifieraittravaillerduretsansjamaisfaiblir,sansjamaisfairedefauxpas.
Maisj’aimeStephen.Jel’aimeànepaspouvoirimaginerunfuturoùilneseraitpaslà,àavoirenviedeprendretouslesrisquespourlui,mêmeceluidefaireconfianceàunhomme,alorsquejem’étaisjurédeneplusjamaismelaisseralleràcroireleursparoles.Etsicettefoisc’étaitdifférent ?Etsi j’avaisenfintrouvéquelqu’undebien,defidèleetd’honnête ?Jen’imaginepasunesecondequeStephenpuissemefairedumalunjour,àtelpointque,pourlapremièrefoisdepuislongtemps,peut-êtremêmedepuistoujours,jemesensprêteàécoutermoncœur.
Chapitre2
Stephen*
Jeplongeunedernièrefoismesyeuxdanslessiensetunefoisdeplus,jesuisbouleverséparl’amouretl’espoirquej’ydécouvre.Jel’aimetellementqueçamefaitmaldanslapoitrine,jenesaispascequejeferaissiellemequittait.Jedeviendraisfou,jepense…
Jenepeuxpaslalaissers’échappertoutdesuite,alorsquenousvenonstoutjustedenousavouernossentiments. J’observe ses sublimesyeuxbleus etmon regard se promène sur les traits délicats de sonvisage, sur son nez fin et droit, sur ses pommettes hautes et sur sa bouche… sa bouche charnue quim’attireàm’enrendremalade.Nepouvantm’enempêcher,jemepencheànouveaupourm’enemparer.Jelafrôle, lacaressedemalangueavantdem’immiscerentreseslèvrespouravoirsongoûtdansmabouche. Je sens mon désir grandir et mon cœur s’affoler dangereusement. Il faut absolument que jel’emmèneavecmoi.Jem’écarteetlafixe.
–Partons,Émy.Allonschezmoi.J’aitellementenviedetoi…Je…Viensavecmoi,s’ilteplaît,lasupplié-je.
Ellemedévoreduregardetétireseslèvresdansunsourirequim’enflammedelatêteauxpieds.–Jenepeuxpas,j’aidutravailaujourd’huietj’aiplusieursrendez-vous,répond-elleenbaladantses
mainssurmontorse.–J’espèrequetuplaisantes,parcequejesuisàdeuxdoigtsdeteplaquercontrecemur…murmuré-je
enresserrantmonétreinte.J’enfoncemes doigts dans ses hanches pour la coller contremon érection et lui faire comprendre
combien je la désire.Un petit soupir s’échappe de ses lèvres quand elle découvre l’ampleur demonproblème.Elledescendsesmainsfineslelongdemontorsepourseglisserentrenosdeuxcorpsetvenircaressermonmembre.
– Tu ne peux pas me faire ça, Émy, grogné-je en fermant les yeux pour essayer de maîtriser lesfrissonsquirecouvrentmapeau.
Samainm’infligededoucessensations,j’aidumalàrespirer,alorsjelarepoussegentimentavantdenepluspouvoirmecontrôler.
–Allonschezmoi,dis-jeenessayantdereprendreunerespirationrégulière.–Ilfautquejeretournedansmonbureaurécupérermesaffairesetdireàmasecrétairequejem’en
vais,lance-t-elleensouriant.Soulagé qu’elle accepte, j’entoure sa taille demon bras et l’entraîne vers l’entrée du bâtiment en
essayantd’ignorerlabossequidéformemonpantalon.Jelalaissepartirenluidisantbiendesedépêcheret allume une cigarette en attendant son retour. Je reprends doucementmes esprits et repense à notreconversation.Jen’aipasmentiquandj’aiditquej’étaisprêtàluidonnertoutesmeséconomies.Jemefouscomplètementdecefric.Toutcequicomptepourmoi,c’estdepasserlerestedemavieaveccettefemme.Riennenousempêchedepartirouvrirunepetiteaffairetouslesdeuxetd’emmenersamèreavecnous !Jeluienparleraidanslesjoursàvenir,pourlemomentj’aiseulementbesoindesentirsoncorpsnu contre le mien et de la sentir vibrer sous mes caresses. Mais qu’est-ce qu’elle fabrique ? Jem’impatienteetregardedanslehalld’entréepourlamillièmefois.
Quelquesminutesplus tard, elle revient son sac àmain sous le bras et attrapemonpoignet enme
demandant:–Bon,onfaitquoiexactement ?–Jet’emmènechezmoietonrestelajournéeaulit,réponds-jed’unevoixpleinedesous-entendus.–Quej’aimecetteidée…Jerécupèremavoitureetjeterejoins.–OK,jepasserapidementchezletraiteurpournousacheterdeslasagnes.Tuaimes ?–Oui,j’adore.–Trèsbien.Alorsàtoutdesuite,murmuré-jecontreseslèvres,avantd’ydéposerunlongbaiseret
dem’éloigner.Jemontedansmavoitureetm’empressedeprendrelarouteendirectiondupetittraiteuraucoinde
marue.Unmomentplustard,jemegareetsuissortiedemespenséesparlasonneriedemonportable.Jeregardel’écranetlâcheunjuronendécouvrantlaphotodeVictoria.Jelerangedansmapoche.Ellemefaitvraimentchier,cettevieillepeau !Jevaisdevoir luidireque toutest finietque jemets finàmesactivités.Jenepeuxplusprendreaucunrisque.SiÉmyvenaitàapprendrecequejefaisréellementdanslavie,jelaperdraisàtoutjamais.Demain,j’appelleraiVictoriaetrégleraileproblème.
J’achète deux portions de lasagnes et une bonne bouteille de vin, puis rentre à la maison etm’empressedemettreunpeud’ordre.Quandlasonnetteretentit,moncœurfaitunbonddansmapoitrine.J’ouvrelaporteetnepeuxm’empêcherdesourireenlavoyant.Elleestsibelle,jeladésiretellementquej’aiuneérectiondemalade.Ellefranchitladistancequinousséparepoursejeterdansmesbras.Jelaserretrèsfortenmedemandantcommentj’aifaitpourvivresilongtempssanselle.Jefermelaporteetl’entraînedanslapetitepiècequimesertdesalon,chambreetcuisine.Cen’estpasvraimentglamour,maisjen’aipasd’autressolutionspourlemoment.
Ledésirm’accable,c’estcommeêtreaffamé,commeuneenviequitambourinedanschaqueparcelledemoncorps.J’aibesoindesabouche,desesmains.J’aibesoindepassermesdoigtsdanssescheveux,detracerleslignesdesescourbes.Mesmainsglissentsurseshanchesetagrippentsesfesses.Nosyeuxsontsoudésquandjemepenchepourm’emparerdesabouchequinedemandequ’àêtreembrassée.Jelafrôle, lamordille.Demesdents, j’attrapesa lèvreinférieure, je ladévore.Noslanguesse trouvent, jegémisdoucement.Ledésirmebrûle,meconsumesurplace,unbesoindelaposséder,delafairemiennedevienturgent,unbesoind’elle,maintenant.Jefaisglissersarobelelongdesoncorpsetluiretiresessous-vêtements tandisqu’elledéfaitmaceinturepourôtermonpantalon.Quelques secondesplus tard,noussommesnusl’uncontrel’autre.Jelasoulève,elleenroulesesjambesautourdemataille,avantdeprendremonvisagemalraséentresesdoigtsdélicatspourm’embrasserfiévreusement.Marespirationestdeplusenpluslaborieuse.Jelaportejusqu’aucanapé-litetl’allongesurledos.Sesyeuxsurmoimefontchavirer.Jeresteimmobile,penchéau-dessusdececorpsquej’aimetantetlalaissemecontempler.Mesmusclessetendentàl’extrême.Sonregardestintense,presqueanimal.Ellesentincroyablementbon,uneodeur familièreet rassurante.Sesdoigtscourent le longdemon torseet s’arrête sur lechemindepoilssombressurlebasdemonventre,jefrissonne.Puisilseffleurentmonsexeenérectionetjenepeuxretenirunsursaut.
–Doucement…dis-jed’unevoixprofondeet rauque.Si tucontinues, jenevaispasfaire longfeu,plaisanté-jeendéposantunbaisersursonfront.
–Nousavonslajournéepourrecommenceretrecommenceret…Je lui coupe la parole en m’emparant de sa bouche sauvagement. Je ne peux me contenir plus
longtemps.Jemerapprocheetsesseins tenduscaressentmontorse.Jeglissemesdoigts le longdesacolonneetl’attireencoreplusprès,àlalimitedel’étouffer.Elleempoignemesfessesetsepressecontremonmembreàl’agonie.J’enailesoufflecoupé.Demamainrugueuse,jecaressesespointesdurciesparl’excitation, un grognement m’échappe quand ses ongles s’enfoncent dans mon dos. De ma langue,j’explorelavalléeentresesseinsetdescendslentementverssonnombril,puisverssahanche,avantdeglisserversl’intérieurdesescuisses.
Jen’arriveplusàrespirer,moncœurestcoincédansmagorge,j’enailevertige.J’attrapesesjambesquejeposesurmesépaulesetlesécarte,avecentêtel’idéedelarendrecomplètementfolle.Jeconnaissonpoint faibleetmedélectede lavoir fermer lesyeuxensecambrant.Ma languechaudeethumidelèchedoucementlafentedesonsexe.Elleagrippemescheveuxquand,dansunautrecoupdelanguedouxet lent, je passe sur son clitoris. J’aspire, lape, la torture, la pousse aubordduprécipice, sans aucunrépit.Mesdoigtsprennentlemêmecheminets’enfoncentenelle,luiarrachantungémissementalangui.Jefouillesonintimitésansluilaisserletempsdereprendresonsouffle.Jetracedescerclesautourdesonpetit boutonmagique ultrasensible et une pression brûlantemonte enmoi.Alors que je la sens vibrerentremesdoigts,surlepointdejouir,jeralentisetredressemonvisagepourl’observer.Elleestàdeuxdoigtsd’exploser,jecaressesescuissesetlecreuxdesesgenouxavantdel’attaquerànouveaudemescoupsdelangueplusrapidesetplusfiévreux.Demamainlibre,jeprendsunpréservatifdanslaboîtesurla table basse. Jeme redresse et le déchire avecmes dents pour le dérouler surmonmembre. Jemepositionne entre ses jambes. J’observe ce sublime spectacle de ce corps quim’est offert sans aucunepudeur.
–S’ilteplaît,j’enpeuxplus,mesupplie-t-elleensecambrant.Je pose lesmains de chaque côté de sa tête et prends appui surmes avant-bras, puis lentement je
glisseenelle. Jevais loin, si loin,que je lasens tremblersousmesassauts. Jemedémènepour fairedurerleplaisirlepluslongtempspossible.Jeralentis,jeperdslecontrôle,letempsdequelquesminutesetlaprendsansménagement.Àvoirsaréaction,elleaimeça.J’accélère,jemepenchepourl’embrasser,nossoufflessemêlent.Moncœurestàdeuxdoigtsdecéderquandjelasensdéfaillirentremesmainsetqu’ellesecontracteautourdemonsexe,cequial’effetimmédiatdemefairejouir.Noslanguesetnoscris se mélangent. Nous ne sommes plus qu’un. Je suffoque, j’ai du mal à reprendre une respirationrégulière.Elletournesonvisageavantdeplongersonregardemplid’amourdanslemien.
–Jet’aimetellement,nepuis-jem’empêcherdemurmurer.– Moi aussi je t’aime, Stephen, répond-elle, en caressant mon dos avec des mouvements lents,
circulairesetapaisants.Jel’embrasseànouveau.C’estunbaiserpleind’amouretdetendresse.Unbaiserprofondpleinde
promesses.Unbaiserquiveutdireque l’avenirnousappartient,seulementelleetmoietqueplusriend’autren’ad’importance.Nousdeuxfacesaumondeentier.Çafaitpeurd’unecertainefaçon,carsijelaperds je ne serais plus rien, la vien’auraplus aucune saveur.Pour la première fois depuis Julie, j’ail’impressiond’avoirtrouvémamoitié.Sijamaiselles’envolait,jenem’enremettraipas.Autantmourir.
Jesuisheureuxet je refusede laisserquoiquecesoitgâchercet instant,pasmêmelesouvenirdeJulieoulaculpabilitéderessentirànouveaucessentiments.Jesaisqu’ellememanqueratoujoursetjelagarderaidansuncoindemoncœur,maisaujourd’hui,j’aimeÉmyplusquetout,etriennesemettrasurnotrechemin !Jemelaissetomberàsescôtésetl’attirecontremoi.Ellenichesatêteaucreuxdemonépauleencaressantmontorseduboutdesdoigts.Jenepeuxm’empêcherdeplongermonnezdanssescheveux,pourm’imprégnerdesonparfum.
–Qu’est-cequejevaisdevenir ?demande-t-elletoutàcoupd’unevoixangoissée.–Pourquoidis-tuça ?m’inquiété-je,depeurdelavoirchangerd’avis.–Parce que je vais devoir parler àNicolas…Et imagine que ça nemarche pas entre nous ?Que
deviendrais-je,avecmaman ?– Tu n’as pas confiance enmoi ? demandé-je, en redressant la tête pour plonger dans son regard
tourmenté.– Si, mais je me suis si souvent fait avoir que je suis terrorisée à l’idée de te perdre et de me
retrouversansrien…–Tunemeperdraspas,Émy !Jet’aimecommeunfouetriennechangeraça.Tunepeuxpassavoir
cequej’aiendurétoutescesannées.J’étaisplusseulquejamais,necroyantplusenriennienpersonne…
Tum’asréveillé, tum’as renducette joiedevivreque j’avaisperduedepuisbien longtemps.Tum’asdonnél’enviedefairedesprojetsetdecroireenunaveniràdeux !Tuneterendspascomptecommetuaschangémavie…finis-jeensentantleslarmesenvahirmesyeux.
Jenedoispaspleurercommeunegonzesse,putain !Cettefemmefaitdemoi toutceque jedétestechezunhomme.Ellemerendfaibleetvulnérable.
–Etqu’allons-nousfaire ?questionne-t-elle,angoissée.Jepasseunemainsurmonvisagepourmeremettredemesémotionsetreportetoutemonattentionsur
elle.–Pourcommencer, tuvasquittercegrosconnard !Si tuveuxque je t’accompagne, je le fais sans
problème !–Non,Stephen.Jedoisréglerçatouteseule,dit-elleendétournantleregard.Uneombrepasse sur sonvisage. Je suis certainqu’elle a peurde cet homme, je ne sais paspour
quellesraisons,maisjelesdécouvrirai.–Ensuite,avecmeséconomies,onvachercherunepetiteaffaireenborddemer.Avectontalent,on
pourraitorganiserdesmariages,desgalas,desréceptions.Ilestévidentqu’onemmèneratamèreavecnous.Ontrouveraunejoliemaisonpastroploindelaplage.
Jeladévisage,inquiet,pourêtresûrquemesprojetsluiconviennent.Envoyantsesyeuxs’illuminer,jesuisimmédiatementrassuré.
–Tuaimeraisça ?Jeveuxdire,menercettevieavecmoi ?Parcequ’onpeut faireceque tuveux,Émy,toutcequetuveux.
–Çamevatoutàfait.Maistuasoubliédeparlerdelademi-douzained’enfantsquejevaistefaire,metaquine-t-elle.
Mon cœur se gonfle de bonheur, voilà encore une chose que je croyais inconcevable. Jamais jen’auraispum’imaginerêtrepèreunjour.PourtantDieusaitquej’aimelesenfants.
–Tupeuxm’enfaireautantquetuledésires,monamour.Toutcequim’importe,c’estquetunemequittesjamais…Jenesurvivraisplussanstoi,ilfautquetulesaches.
Jesoudemonregardausien,lecœurbattantetlagorgenouée.–Jenetequitteraijamais,Stephen.Jetelepromets,dit-elleencaressantmajoueduboutdesdoigts.–Tuasfaim ?demandé-jepourfairediversionetcacherlesémotionsquimesubmergent.–Oui,jesuisaffamée.–Vaprendreunedouche,situveux.Pendantcetemps,jeréchauffeleslasagnes.Je dépose un dernier baiser sur son épaule et me lève pour aller balancer le préservatif dans la
poubelle.Jemedonneuncoupdegantpendantqu’Émysefaufiledansmaminusculedouche.Jenepeuxm’empêcherdel’admirer.Elleestmagnifique.Voyantquejel’observe,ellemedécocheunsourirequimepercuteenpleincœur.Jesorsrapidementdelasalledebainsavantdelarejoindresousladoucheetdeluifairetoutcequimepasseparlatête.Etquandjevoissoncorps,jenemanquepasd’imagination.
Jeposelabarquettedelasagnesdanslefouretouvrelabouteilledevin.Jesaisisdeuxverresdansleplacardetsursauteenentendantlasonneriedemonportable.J’ignorel’appeletinstallelesassiettesetles couverts sur le comptoir. Émy me rejoint, enroulée dans une serviette de bain et s’assied sur letabouretavecunairheureuxsurlevisagequejeneluiavaisjamaisvujusqu’àprésent.
–Tucomptesmangertoutnu ?demande-t-elleenbaladantunregardmalicieuxsurlespartieslesplusintimesdemonanatomie.
Cettefemmemeperturbetellementquejenemesuismêmepasrenducomptedemanudité !Jeperdslespédalesensaprésence…
–Jenevoudraispastecouperl’appétit,réponds-jeenmedirigeantversleplacardpourenfileruncaleçon.
–Ça,çanerisquepasd’arriver,metaquine-t-elleenfixantmesfesses.
Jem’installe à ses côtés et nous sers deux verres de vin.Alors que nous trinquons à nos projetsd’avenir, mon téléphone se remet à sonner. Je l’ignore une nouvelle fois, mais Émyme demande, enfronçantlessourcils:
–Tunerépondspas ?–Non,jeneveuxpasqu’onnousdérange.Jeveuxprofiterdechaquesecondeàtescôtés.Je fais rapidement diversion, sachant très bien qui est l’auteure de ces appels incessants. Cette
Victoriaaledondemepourrirlavie.Jemelèveetremplisnosassiettes,quenousmangeonsavecungrandplaisir.Puisjenousfaisdeuxcafés,quejeposesurlatablebasseàcôtéducanapé-lit.JefaissigneàÉmydemerejoindreetl’entouredemonbraspourlaserrercontremoi.
–Jeveuxqueturestesavecmoicesoir,lasupplié-jeenvoyantl’heuresurlapendule.On arrive en fin d’après-midi sans que jem’en rende compte. Pourquoi file-t-il si vite quand on
aimeraitqu’ilralentissepourpouvoirprofiterdechaquesecondedecebonheurinattendu ?Jevoudraisstopperletempsetresterallongésurceclic-clacavecÉmydanslesbras.Pouvoirrespirersonparfumetcaressersapeausatinéejusqu’àlafindemavieetainsiêtrecertainquejenelaperdraijamais.
–Jenepeuxpas,Stephen…JedoisvoirNicolasetromprenosfiançailles.Jenesaispascommentilvaleprendre…
Je la dévisage et remarquede petites rides dues au stress se dessiner aux coins de ses yeux.Ellesemblevraimentangoisséeàl’idéedemettrefinàsarelation.
–Tuaspeurdelui ?demandé-jeensentantmonsangsemettreàbouillonnerdansmesveines.–Jen’aipastellementenvied’enparler,Stephen…répond-elleensaisissantlatassedecaféentre
sesdoigtstremblants.–Tusaisquejesuislà.Aumoindreproblème,tumedonnesuncoupdefiletj’arrive !J’essayedelarassurer,maisj’avoueêtreaussiinquietqu’elle.J’aitellementpeurdelaperdre…Mon téléphonechoisitcemomentprécispourse remettreàsonneret jen’aipas le tempsdem’en
saisirqu’Émyl’adéjà entre lesdoigts.Elle regarde l’écran et blêmit. Je lui prendsmonportable desmainsetl’envoiebaladeràl’autreboutduclic-clac.
–Tulavoisencore ?demande-t-elled’unevoixtremblante.–Non,jelacontacteraicesoirpourluidiredemelaissertranquille.–Oh…–Émy…Jet’aifaitunepromesseetjelatiendrai.Tudoismefaireconfiance.–Oui,jesuismalplacéedetoutefaçonpourtereprocherquoiquecesoit.Jesuismoi-mêmeencore
fiancée,lance-t-elleenbaissantlesyeuxsurlabaguequ’elleporteàsondoigt.–J’appelleraiVictoriacesoiretluiavoueraimessentimentspourtoi.Jeveuxquetufasseslamême
chosedetoncôté,quel’onpuissecommencernotrehistoiresurdebonnesbases.– Oui, murmure-t-elle en posant sa joue contre mon épaule. Je vais devoir m’en aller, mais on
s’appelledemainmatin.–Tuvasmemanquer.Jel’entouredemesbrasetlaserretrèsfortcontremoi.Jesuisdéchiréàl’idéedelalaisserpartir
rejoindrecegrosconnard.Jelaregardes’habilleretl’accompagnejusqu’àlaported’entréequej’ouvreàcontrecœur.Ellese
tournefaceàmoietm’offreunsouriretristeenposantsesmainssurmontorse.–Tum’appellesdemainmatinsansfaute,luirappelé-jepourmerassurer.–Promis,tuseraslepremierdemalongueliste…J’aitellementdemondeàcontacterpourannulerle
mariage…Etjedoisaussienparleràmamère.Jenesaispascommentjevaisluiannoncer.–Çaenvautlapeine,Émy.Onpourraenfinvivrenotreamouraugrandjour.–Oui.Jet’aime,chuchote-t-elleenm’embrassant.–Moiaussi,réponds-je.
Aprèsundernierregard,jefermelaportelecœurlourd.Çam’estinsupportabledelavoirs’enaller,maisjen’aipaslechoix.Encorequelquesjoursetnouspartironsensemble.Jen’aipasletempsdemerendredanslasalledebainspourenfilerunpeignoirquelasonnetteretentit.Émyasûrementdûoublierquelquechose. Je jetteun regardcirculaireà lapièceetnevois riend’inhabituel. J’ouvre laporteensouriant.
–Tuasoubliéquelquecho…commencé-je.Jeme raidis de la tête aux pieds en découvrantVictoria, les lèvres pincées.Elleme pousse pour
pénétrer chez moi sans attendre d’y être invitée. Je claque la porte, légèrement agacé par soncomportement.Duregard,ellefait le tourdelapièceetsesyeuxseposentsur lecanapé-litauxdrapsdéfaits,puisellemescrutedehautenbas.
–Tupourraisaumoinstemettrequelquechosesurledosletempsquel’ondiscute !m’agresse-t-elle.–Jesuischezmoi,Victoria.Sij’aienviedemebaladeràpoil,jelefais !larembarré-je.–Trèsbien,Stephen.Peux-tumedirepourquoitunerépondspasàmesappels ?–Parcequejeneveuxplusvousvoir.–Etcelan’arienàvoiraveclapetiteblondequivientdesortirdetonimmeuble,jesuppose ?Sonairdédaigneuxmerépugneauplushautpoint.Commentai-je faitpourbaisercette femme tant
d’années ?–ÇaatoutàvoiravecÉmy.Jel’aimeetellem’aime.–MonpauvreStephen…Crois-tuvraimentqu’ellevaquittersonfuturmaripleinauxaspourunpetit
gigolocommetoi ?lance-t-elle,hargneuse.Jemedécomposesurplace.Ellem’a touchéenpleincœur, jedois l’admettre.Un sourire sadique
étireseslèvresenvoyantmaréaction.–Nemedispasqu’ellen’estpasaucourantdeceque tuesvraiment ?Sait-elleque tuvends ton
corpsetqu’elleestuneénièmesurlalistedetesvictimes ?Sait-ellequetubaisesdesfemmesdifférenteschaquejourdelasemainedepuisdesannées ?Non,ellenesaitrien,jelevoissurtonvisage.
–JeveuxquevouspartiezVictoria,grogné-jeenluidésignantlaporte.–Tucroispouvoirtedébarrasserdemoiaussisimplement,Stephen ?Pourquimeprends-tu ?crie-t-
elleens’approchantdemoi.–Cesontdesmenaces ?demandé-jeenladéfiantduregard.– Prends-le comme tu veux… Tu t’en mordras les doigts, tu sais. Elle te brisera le cœur et tu
reviendrasversmoi.–Jenecroispas.–Cettepetitegarcete…–Dégagezdechezmoi,lacoupé-jeensentantlacolères’emparerdemoi.– Très bien, je m’en vais.Mais tu le regretteras amèrement, lance-t-elle d’un air mauvais, en se
dirigeantverslasortie.–Cequejeregretteraitoutemavie,c’estd’avoirpuposerunjourlesmainssurunevieillesalope
commevous,lancé-jeenlafusillantduregard.Elle se fige surplaceetme fixe. Je l’aiblessée, je levois au fondde sesyeux.Elle redresse les
épaules, la tête et sort en claquant la porte derrière elle. Je reste un longmoment immobile. Je suissoulagéd’êtredébarrassédecettevieillesorcière.Jetrouvesurprenantqu’ellenesesoitpasplusbattuepourme garder. Elle a baissé les bras un peu vite. Peut-être est-elle lasse de cette situation qui duredepuisbientroplongtemps.
Uninstantplustard,jemecoucheavecdesimagesd’Émypleinlatête.Sonodeurprésentesurmonoreillerm’apaiseetjem’endorspresqueimmédiatement.
Chapitre3
Émy*
Réveilléetrèstôt,jetourneenronddansmonsalondepuisplusd’uneheure.Commejenetravaillepas, je vais passer voirNicolas pour lui annoncer que je ne l’épouserai pas demain. Sa réactionmeterrifie,mais je dois l’affronter.C’est la première étapevers unenouvelle vie, unpremier pas sur cecheminquej’aichoisidesuivreavecStephen.Lapeurmenoueleventre,maisjesuiscertained’avoirprislabonnedécision.Cetaprès-midipasséavecluihier,cesmomentsquenousavonspartagés…j’aitrouvésurseslèvreslegoûtduparadisetdanssesmots,toutelatendresseetl’espoirdontj’aibesoin.Danssesbras,jemesensmoi-même,jesuisenfinsereineetconfianteenl’avenir,commesisonamourmeprotégeaitdetoutetqueplusriennepouvaitm’atteindre.Mêmesesrêvesmeplaisent.Voirsesyeuxbrilleretimaginernotrevieàsafaçon,ensembledansunepetitemaisonenborddemer,m’afaitréaliserque,mêmesijelevoulais,jenepourraispasrevenirenarrière.Jenepourraispasaccepterl’existencequej’aitentédem’imposer.J’aivuautrechose,unechosequiarallumécequejecroyaiséteintdepuislongtemps.Etçamedonnelecouragedefairecequejevaisfairemaintenant,mêmesimonappréhensionesttellequej’enailanausée.Maisilaraison,çaenvautlapeine.Pourlui,pourStephen,toutenvautlapeine.Jemelaissealleràpenserquechacunedemesdouleurspasséesn’avaitpourbutquedem’amenerlàoùjesuismaintenant,danslesbrasdecethommequej’aimeplusquetoutetquiredonneàmavielescouleursetl’éclatqu’elleavaitperdus.
L’aimerautantdevraitmefairepeur.Moiquinesavaisplusfaireconfianceetquim’étaisjuréedeneplusmelaisserprendreaupiègedessentiments, jeviensderemettremoncœur,monâmeetmonfuturentrelesmainsd’unseulhomme.Pourtant,jemesensjuste…heureuse.Mesangoissesquantàl’avenirsonttoujourslà,biensûr,maisilyadésormaisquelquechosedeplusintense,quimedonnelecouragedefaire un pas vers l’inconnu. Malgré tous les problèmes qui m’attendent, toutes les difficultés qui nemanquerontprobablementpasdesurgir,rienn’estplusfortquecebonheurdesavoirqu’ilestlàetqu’ilm’aimeluiaussi.Lereste,jeseraiassezfortepourfaireavec,mêmesiçaveutdireperdrecettesécuritéquim’étaitsichère.Card’unecertainefaçon,j’enaitrouvéuneautre:celledepouvoirmereposersurquelqu’un,decroireenluietencetamournédansmoncœurquinen’espéraitplusrien.
Maispourça,ilmefautd’abordfairefaceàlafureurdeNicolasDambres-Villiers…Jenesuispaspasséechezluihiersoir,lefaitdemeretrouverseuleaveccethommedansl’intimitédesonappartementme terrorisait. Qui sait ce qu’il aurait pume faire ? J’aurais pume contenter de lui téléphoner,maismalgrétoutelapeurqu’ilm’inspire,j’aibesoindeleregarderdanslesyeuxenluiannonçantquejelequitte.Jeleveuxenfacedemoilorsquejeluidiraiquejeneveuxplusdeluietdesonargentdansmavie, à cet instant où il comprendra que je ne lui appartiens plus. Je dois trouver ce courage-là, pourreprendrelecontrôledemonexistenceetmeprouverqu’ilnem’apasbriséenirenduefaible.C’estuneétapedifficile,lapiresansdoute,maisellem’estnécessaire.C’estpourcelaquejem’apprêteàquittermonappartementpourrejoindreleneuvièmearrondissementetlebureaudeNicolas.Jepourraiainsiluiparlersansavoiràcraindreuneréactiontropviolente ;ilyauradestémoins,ilseraobligédeconserverunsemblantdecalme.Aprèsça,j’auraiàappelertouslesprestataires,lesinvités…Etjepasseraivoirmaman.
AprèsavoirattrapémonsacetenvoyéuntextoàStephenpourluidirequejel’aime,jesorsdechez
moietempruntelesescaliers.Enlesdescendant,jemerendscomptequ’àl’appréhensionquejeressenssemêleunautresentiment,beaucoupplusagréable.Jemesenslégère,toutàcoup.Etlibre.Commesijevenaisdesortird’unecagedans laquelle j’auraisétéenfermée toutemavie.Mesblessurespasséesetmessouvenirsdouloureuxsonttoujourslà,maisilsnesontpluscespoidsoppressantsquipesaientsurchacundemesinstants.Commel’avenirressembleàunendroitmerveilleux,àprésent…Ettoutça,jeledoisàStephen.MonDieu, je suiscomplètement folleamoureusedecethomme…À telpointque j’ail’impressiondesentirmoncœursegonflerdansmapoitrinedèsquejepenseàlui.Ilestfortettendreàlafois,solideetmalgrétoutvulnérable.Ilestdrôle,sincère,pleindefougue,dedouceur,de…de…Jene trouvemêmepas lesmots. Il est juste… lui, et tout ceque jeveuxaumonde.Ceque j’ai toujoursespéré sans oser croire que ça pouvait exister. La vie est vraiment pleine de surprises, parfois. Je lesavais,maisladifférencec’estquemaintenantjesaisquecessurprisespeuventaussiressembleràdescadeauxprécieux.
Je me retrouve sur le trottoir, sous un ciel bleu où ne vogue pas le moindre nuage. Je souris ensongeantquel’universlui-mêmesembleressentirlebonheurfouquim’anime.Aprèsavoirfaitquelquespas,unevoixquinem’estpasinconnuem’interpelleetjemeretourne.Lesourirequis’attardaitsurmeslèvres se fige quand je vois qui vient de sortir de la luxueuse voiture garée devant la porte demonimmeuble.Victoria,l’ex-compagnedeStephen.
–Bonjour,mabelleenfant.Commentallons-nous,cematin ?Sontonestavenant,toutcommel’expressiondesonvisage,maisleregardqu’elleposesurmoiala
dureté du marbre et quelque chose de si venimeux qu’un sentiment de malaise me prend au ventre.Stephenluiaparlé,c’estcertain.
–Bien,merci,luiréponds-jesansmelaisserimpressionner.Sonchien/rat,toujoursdanssesbras,semetàsetortiller,elleluicaresselatêteavecsamainpleine
debaguesénormesettape-à-l’œil.Maissesyeuxrestentbraquéssurmoi.–J’aiapprislabonnenouvelle,reprend-elle.Toutesmesfélicitations.–Àquelpropos ?fais-jeminedenepascomprendre.–ÀproposdevousetdeStephen,decette…petiteidyllequ’ilyaentrevousdeux.Voilà,j’enétaissûre,elleestlàpourlui.Ellen’apasdûapprécierdevoirleurhistoireseterminer.
Comment pourrais-je l’en blâmer ?Renoncer à Stephen est la chose la plus douloureuse et difficile àfaireaumonde.J’aidéjàessayé,j’ensaisquelquechose.
Malgrélefaitquetoutencettefemmemerebuteetquejeneressentepasuneoncedesympathiepourelle,jemesenstoutàcoupdésoléedeluiinfligerça.Elledoitêtretrèsmalheureuse,encemoment.Et,quellequesoitmonaversionàsonégardetlajalousiequej’éprouveàsavoirqu’elleaunjoureuledroitdeposerlesmainssurl’hommequej’aime,elleneméritepasdesouffrirpourautant.Jemesenstristepourelle.
–Écoutez,Victoria…commencé-jeenavançantverselle.Jen’avaispasprévucequiarrive,jesuisdésolée…
Àcesmots,pourtantsincères,elleseraiditetj’ail’impressiondesentirsacolèreenflammerl’airquinousentoure.
–Épargnez-moivotrepitié,petite,lâche-t-elled’untonacerbe.–Non,enfin.Ilnes’agitpasdeça…tenté-jedemedéfendre.–Vousvouscroyezbienmeilleurequemoi,n’est-cepas ?Vousêtesjeune,belle,vouspensezquele
mondevousappartient !–Non,pasdutout…–Vousêtes fièred’avoir réussiàensorcelerStephen,de l’avoirdétournédemoi !Vousvousdites
mêmequec’étaitfacile,del’obligeràmequitterpourvous !–Absolumentpas.Jevousassurequevousvoustrompez.
Mêmesiellecommenceàm’agacersérieusement,jegardeuntonaussicalmeetdouxquepossible.Quelquepart,jecomprendssonchagrinetjeneluienveuxpasd’êtreencolèreaprèsmoi.Àsaplace,sansdouteserais-jeaussifurieuseetdésespéréequ’elle.
–Noussommesjuste…tombésamoureux,Victoria.Jesaisqueçafaitmal,maisc’estarrivé.Jenepeuxrienvousdiredeplus.
Laréactionqu’elleaàcetinstantn’estpascelleàlaquellejem’attendais.Elleéclatederire…Unrirefroidetmordant,porteurdeméprisetd’unamusementmalsain.
–Cequevousêtesnaïve,mapauvrepetite…lance-t-elle,enmedévisageantavecdédain.Lesfillesdevotregenrenesontvraimentbonnesqu’àécarterlesjambes !
–Bon,çasuffit,dis-je,sentantmapatiences’étioleràmesurequegranditsonagressivité.Jepensequenousn’avonsplusrienànousdire.
Jugeantquecetteconversationasuffisammentduré,jefaisdemi-tourpourreprendremonchemin.J’aiplus urgent à faire que d’écouter les méchancetés de cette femme. Elle est blessée, certes, mais çan’excusepastout.
–Détrompez-vous,Émelyne.Jepenseaucontrairequ’ilyaencorebiendeschosesquenousdevrionsnousdire,lance-t-elledansmondos.ToutescellesqueStephenvousacachées,parexemple…
Cettefois,elleaclairementdépassélesbornes.Jenesaispascequ’elleessayedefaire,maisjenela laisseraipasrépandresonfieletsalirStephensansréagir.Jefaisvolte-faceet larejoins,àprésentmoiaussitrèsencolère.
–Arrêtez,Victoria.Quevoussoyezmalheureuse,soit,maisneracontezpasn’importequoipourvousvenger !
–Cen’estpasmoi,petite,quiraconten’importequoi !réplique-t-elle.C’estvotreamoureuxtransi !Est-cequ’ilvousaditdequellefaçonilgagnesavie ?
–Oui,biensûr !Iltravailledanslesservices.Ellesouritànouveau.–Les«services» ?Oui,c’estunemanièredevoir leschoses…Cecidit, jedoisbienreconnaître
qu’iladûrendre«service»àbeaucoupdefemmes,durantseslonguesnuitsdelabeur…– Qu’est-ce que vous sous-entendez ? ne puis-je m’empêcher de lui demander, en fronçant les
sourcils.Ellemetoiseunmoment,unairvictorieuxsurlevisage,ménageantsoneffet.Quandellereprendla
parole,c’estenarborantunsourireacideetmalveillant.–Stephenestgigolo,petite.VotreRoméogagnesavieenbaisanttoutescellesquiontassezd’argent
poursepayersajoliequeue…Jereculed’unpas.–Vousracontezn’importequoi,lancé-je,dégoûtéedeconstaterqu’elleestprêteàtouteslesinfamies
pourtenterdebrisermarelationavecStephen.–C’estcequevousvoudriezcroire,maisessayezdevoirunpeuplusloinqueleboutdevotrenez,
pourunefois !–Arrêtez.–Stephenvousamentisurtoutelaligne.Jesuispeut-êtrevieille,maisréaliste.Vouspensezvraiment
qu’unefemmecommemoiauraitpusortiravecunhommecommeluisijen’avaispaspayéunesommefollepourm’offrirsacompagnie ?
–Arrêtez…Je déglutis et recule encore d’un pas, mais j’ai l’impression que mes jambes ne me portent plus
vraiment.–Etvous,jolieÉmelyne,continue-t-elle.Commentcroyiez-vousqu’ilsoitentrédansvotrevie ?– Je ne veux plus rien entendre, dis-je en secouant la tête. Vos mensonges sont répugnants, vous
devriezavoirhontedevousrabaisseràcepoint !–J’aimenémonenquête,concernantvotresiromantiquepetitehistoire.–Taisez-vous !–Jenesaispasquelgenred’amiesvouspensezavoir,maisilsembleraitquecertainessoientprêtesà
débourserunbeaupaquetpours’assurerquevousn’épousiezpasn’importequi…Moncœursevided’uncoup,jecommenceàavoirdumalàrespirer.–Dequoiparlez-vous ?luidemandé-jed’unevoixblanche.– Vanessa, c’est bien ça ? C’est bien elle que vous considérez comme votre grande amie, je me
trompe ?Comment… comment connaît-elle Vanessa ? Et pourquoi l’air qui m’entoure semble prendre une
étrangeconsistancepoussiéreuse ?–C’est ellequi a engagéStephenpourvous séduire, reprendVictoria.Elle apayéungigolopour
briservosfiançailles.–Non…soufflé-je,refusantdecroireseshorriblesparoles.Vousmentez !Victoriacaresselatêtedesonchienavecnonchalance,commesiellevenaitdem’inviteràboireune
tassedethé.Seulsonregardtrahitlasatisfactionhaineusequil’anime.–Détestez-moiautantquevouslevoudrez,çam’estégal.Maisçanechangerapaslefaitquejesuis
laseuleàvousdirelavérité.Stephennevousaimepas,Émelyne.Ilajusteétépayéparvotre«meilleureamie»pourvouslefairecroire…
Aprèsunderniersourire,ellefaitdemi-touretremontedanssavoiture.Jemeretrouveseulesurletrottoir,avecl’impressiondevoirlemondes’écroulerautourdemoi.
Je voudrais tellement croire qu’elle a inventé tout ça. Tellement… Mais je me souviens de marencontre avec Stephen, du fait que ce jour-là j’attendaisVanessa et qu’elle n’est jamais venue.À laplace,c’estluiquim’arejointedanscecaféetquis’estinstalléjusteàcôtédemoi.JemesouviensaussidecegalaausalonFochetdelaréactiondemonamielorsqu’ellel’avuarriver.Jemesouviensdecequej’aipenséenlevoyantaubrasdecettevieillefemmelaideetriche.EtdelagênedeStephenquandjeluiaidemandécequ’ilfaisaitdanslavie.
Àmesurequelespiècesdupuzzles’assemblent,unedouleurcuisantes’imprègnedansmachair.Jeme mets à trembler et les larmes commencent à me brûler les yeux. Alors… tout ça n’était qu’unmensonge ?Mesespoirs,mesrêves.Sa tendresse,sespromesses.Notrehistoire,notre…amour. Iln’yavaitriendevrai.PasplusquedansmonamitiéavecVanessa.
J’avanceversmonimmeubleetenpousse laported’entréepourmeréfugierà l’intérieur.Unefoisdanslehall,àl’abridesregards,jem’effondresurlesolfroidetmemetsàsanglotersanspouvoirmeretenir.Unemassenoires’abat surmoi, j’ai l’impressiond’étouffer,d’êtreécrasée sous lepoidsd’unchagrin insoutenable. J’aimal,mal à avoir envie d’arrachermon cœur dema poitrine,mal à vouloirmourir.Monâmesevideenmêmetempsquesedéversentmeslarmes.Lesimplefaitderespirerdevientunesouffrance.
Stephen, sesmots, ses caresses, sesbaisers, les sentimentsqu’ildisait avoirpourmoi… tout étaitfaux.Commentai-jepumelaisseravoirencore ?Commentai-jepuluifairesientièrementconfiance ?Commentai-jepu…tomberàcepointfollementamoureusedelui ?Commejem’enveux…Àcroirequelavienem’avaitrienappris.
Jerestelongtempsdanslehalldemonimmeuble,assiseparterre,àlaisserladouleurmebroyeretlesregretsm’ensevelir.Avantquemeslarmessesoienttoutàfaittaries,jemerelève,avecdifficultétantlepoidsquim’accablepèselourdsurmesépaulesetdansmoncœur,etressors.Sansréfléchir,sansrienressentird’autrequecevidenoirquimedévore,j’arrêteuntaxietgrimpeàl’intérieur.
Trois quarts d’heure plus tard, et après un court arrêt, j’arrive devant chez Stephen. Jemonte lesescaliers dans un état second, un petit sac en plastique opaque serré contremoi, et frappe à sa porte.
Quandilouvreetmevoit,unsouriresedessinesurseslèvres,sourirequimeurtimmédiatementlorsqu’ildécouvremon visagemaculé de traînées noires etmes yeux brillants des larmes que jeme retiens àgrand-peinedeverser.
–Émy ?s’alarme-t-il.Qu’est-cequisepasse ?C’estNicolas ?Je ne lui réponds pas et entre d’un pas déterminé. Avant de me tourner vers lui, je prends une
profondeinspirationquiremplitmespoumonsdecendresgrises.Voirsonvisage,retrouversaproximité,sonodeur,entendrelesondesavoix…Toutçarendmadouleuretmonchagrinencoreplusvifsetfaitremonteràlasurfacecetamourquimebriseetquejehaisressentir.
–Émy…reprend-ilavecuneinsupportabledouceur,enrefermantlaporte.Tum’inquiètes,qu’est-cequisepasse ?
Luifaisantfinalementface,jerivemesyeuxauxsiensetm’approche,lebrastendudevantmoi.Iljetteunœilausacplastiquequej’aiàlamainetsonvisageprenduneexpressiondetotaleincompréhension.
–Tiens,luidis-jed’unevoixcassée.Jenesaispassiceserasuffisant,maisc’esttoutcequej’ai.Ill’attrapeetl’ouvrepourenexaminerlecontenu.Lorsqu’ilvoitcequ’ilyaàl’intérieur,untasde
billetsdebanque,ilsembleencoreplusperdu.–Qu’est-ceque…qu’est-cequec’estqueça ?–Peut-êtrequelquesheuresdetontemps.Maisjen’ensuispassûre.Jelefixeensilenceuneseconde,etajoute:–Jen’aipasautantd’argentqueVanessa,tuasdanslesmainstoutcequirestaitsurmoncompte.Soudainement,sonvisageblêmitetunelueurdepaniques’allumedanssesyeuxverts.–Émy,je…– Par simple curiosité, Stephen, le coupé-je. Combien est-ce qu’elle t’a donné pourme sauter et
brisermesfiançailles ?Illaisselesactomberàsespieds,quelquesbilletss’échappentets’éparpillentsurlesol.Puisiltend
lamainversmoipourmetoucher,maisjereculevivement.–Cen’estpascequetucrois !plaide-t-il,levisagedéfait.–Ahbon ?Tun’espasgigoloettun’aspasétépayépourmeséduire ?Sabouches’ouvrecommes’ilétaitsurlepointdedirequelquechose,maisseulunsoupirfranchit
seslèvres.Sonsilencesonnecommeunaveuetunesalvedelarmesacidesmemonteauxyeux.–Tunem’aspasditcombien,lancé-jeenfaisantdemonmieuxpourlesretenir.Àcombienest-ceque
toietmameilleureamieavezestimélavaleurdemavie,Stephen ?–Émy,jet’ensupplie,écoute-moi.– Combien pour chaque baiser ? continué-je, en ignorant sa requête. Combien pour chaque mot
d’amour,pourchaquecaresse,pourchaque…pourchaquemensonge ?–Non,j’aiétésincèreavectoi !Jetelepromets !– Sincère ? répété-je en sentantma peine semuer en colère.Sincère ? Comment oses-tu dire une
chosepareille ?Meslarmesdébordentetdegrossesperlessaléesdévalentmesjoues,dessinantdenouveauxsillons
noirssurmapeaublême.Stephententeunefoisdeplusdemetoucher,unairàlafoissuppliantetaffolésurlevisage.Jerepoussesamainavecviolence.
–Émy,ilfautquetumecroies !Oui,j’aiétépayépourcoucheravectoi,maistoutachangéquandj’aiapprisàteconnaître !Je…jesuisvraimenttombéamoureuxdetoi !Jet’aime,tuentends ?Pourdevrai !L’argentn’aplusrienàvoiravectoutça,j’aimêmetoutrenduàVanessa !
– Est-ce que c’est ce que tu as dit à Victoria, aussi ?Ou à toutes tes… clientes ? Est-ce que lesmensongeset les faussespromesses sont inclusdans le forfait ouc’est justeun traitementque tum’asréservé ?
JemetaisetStephenmedévisageavecdésespoir.Ilsemblechercherquoidire,quoifairepourme
convaincre, mais je ne me laisserai plus avoir. C’est terminé, quelles que soient les sornettes qu’iltrouveraàinventer.
–Jet’aime,Émy,finit-ilparlâcher.J’aieutortdetementir,situsavaiscommejeregrette…Jesuisleroidescons.Maisjet’enprie,crois-moiquandjetedisquejet’aimecommeunfouetquejemourraissitumequittais…
Jesecouelentementlatête,dansunsourireaussitristequedésabusé.–Plusjamaisjenecroiraiunseuldesmotsquisortiradetabouche,Stephen,asséné-jeenm’essuyant
lesjoues.–Émy…implore-t-il.Ilfaitunpasversmoi,jereculed’autantetmetsunemaindevantmoipourluiinterdiredetenterquoi
quecesoit.–TudirasàVanessaquetamissionestunéchec.Tusaispourquoi?Jen’attendspasqu’ilmerépondepourcontinuer.–Parcequ’épouserunhommecapabledemeviolermeferamoinsmalquetesfaussespromesseset
tesfauxmotsd’amour.Moinsmalqued’avoireulabêtisedetomberamoureusedetoi…–Quoi ?Qu’est-cequetuviensdedire ?–Plusrienquineteconcerne.–Non,Émy,attends !–Laisse-moi.–Non !Non,jet’ensupplie,tunepeuxpaspartir !Pasaprèsm’avoirditça !Soudainementlasseetvidéedetoutesubstance,jemedirigeverslaporteetlafranchissansjeterun
regardderrièremoi.–Émy ! crieStephen lorsque je disparais dans le couloir. Je ne te laisserai pas retourner avec ce
type !Enm’engageantdansl’escalier,j’entendssespasrapidesderrièremoietcomprendsqu’ilmesuit.–Quitte-moi !Déteste-moi,même !J’encrèverai,mais jem’enfous !Maisneretournepasavecce
connard,parpitié !C’esttoutcequejetedemande !Jedévalelesmarchessansvoiroùjemetslespieds,lavuebrouilléeparcesfichueslarmesquine
cessentdecouler,etdébouchedanslarue.Letaxiquim’aconduiteicim’attendtoujours.–Émy !Jem’engouffredanslavoiture,enclaquelaportièresansqueStephenparvienneàm’enempêcheret
ordonneauchauffeurdesemettreenroute.–ÉMY !Levéhicules’engagedanslacirculationetlasilhouettedeStephens’éloigne.Jesongeunesecondequejen’aipaspenséàrécupérermonsacremplidebillets,puisréaliseque
celan’aaucune importance.C’est toutceque j’ai,mais jem’enmoque.Parceque j’ai laissédanscetappartementquelquechosedebienplusprécieuxquedel’argent.J’yailaissétousmesespoirs,tousmesrêves, tout ceque j’étais capablede ressentirdedouxetdebon. J’yai laissémonâme,mavie.Moncœur.Cequepersonnenepouvaitacheter.Toutcequej’avaisd’inestimable.
Chapitre4
Stephen*
Je ne comprends pas…Pourquoi ? Pourquoimaintenant quema vie a enfin un sens ? pensé-je enregardantletaxis’éloignerettourneraucoindelarue.Jeresteimmobilesurletrottoirunlongmoment,commesimoncorpsetmoncœurs’étaient figés enmême temps, comme si laTerre entière venait des’effondrersurmoi.J’ail’impressiondesuffoquer,jesuisanéanti…J’étaisl’hommeleplusheureuxdumonde en recevant sonpetitmessage cematin, comment la situation a-t-elle pudérailler en si peu detemps ?Mesyeuxsont rivéssur lebitumetandisquemonregardsevoile.Mavuesebrouillealors jeprendsunegranderespirationet j’obligemoncorpsàbougerpour retournerdansmonappartement.Jefermelaportederrièremoiavecuneimpressiondevidedansmapoitrine,commeuntroubéantàlaplaceducœur.Jepose lespaumesdemesmainscontre lemurquimefait facepourmepencherenavantetlaissersortirceslarmesquejeretiensdepuisqu’elleadisparuàl’angledecettefichuerue.Unedouleurinimaginablem’écraselapoitrineàm’enrendrefou.Jepensaisavoirconnulepirelejouroùj’aiperduJulie…J’étaistrèsloindelaréalité…
Jel’aiperdue…Jel’aiperdueetjenesaispascommentfairepouraccuserlecoup,pourencaissercetévénementqui
vientbrisermesrêvesetmonexistencetoutentière.QueseramaviesansÉmy ?Jenepeuxmêmepasm’imaginervivreunejournéesanselle,alorstouteunevie ?Jepleure,maismeslarmessontamères.Jene peux m’en prendre qu’à moi-même. Pourquoi je ne lui ai pas dit la vérité ? Ou tout simplementpourquoi suis-je ce que je suis ? Pourquoi j’ai laissé les événements déraper sans réagir ? J’étaistellementpersuadédeneplusjamaisconnaîtrel’amourquej’aivendumonâmeaudiable…
Jem’enveuxterriblement.Émyneméritepasdesouffriretencoremoinsàcaused’ungrosconnardcommemoi !Jeprendsmonportabledanslapochearrièredemonjeanetlacherchedansmescontacts.Quand sa photo s’affiche, j’ai l’impression de recevoir un coup de poignard en plein cœur. Je suistétanisédevantcevisagequej’aimetant.Jemetsquelquesminutesàmesortirdecetétatsecond.Jelancel’appeletj’attendslecœurbattant.Unesonnerie,deuxsonneries…Àlaquatrième,jemedécomposeetquandje tombesursamessagerie, jesuiseffondré.Jerecommenceetrecommence, inlassablement.Auboutd’unmoment,jelaisseglissermonportableausoletj’attrapel’horriblevaseposésurlaconsoledel’entréepourl’envoyervalseràtraverslapièce.Ilsebriseenmillemorceauxcontrelemur.Envahieparun mélange de colère et de désespoir je me mets à tout renverser, casser. Je ravage complètementl’appartement. Mon corps ne m’appartient plus, je suis comme possédé. J’achève mon massacre endonnantdescoupsdepoingdanslemurdelasalledebainsetenattrapantlemiroirpourl’exploserdansunfracasinimaginable.Ilvoleenmilleéclatsdanstoutelapièce.Jem’effondre,complètementàboutdesouffle,lecœurdémoli.Jenesaisplusquoifairepourcalmercettedouleurquitorturechaqueparticuledemon corps. Je détruirais la ville entière que ça n’y changerait rien. Jeme laisse glisser au sol ensortantmescigarettes.J’enallumeuneetregardelafuméeunmoment,puisjejetteuncoupd’œilàmamontre.Ilest14h,jevaisallervoirÉmychezelle,jesaisqu’ellenetravaillepasaujourd’hui.Jesorsdel’appartement en évitant les débris et je file au parking récupérerma voiture. Je conduis sans prêterattentionàlaroute,jesuiscomplètementdéconnectédemoncorps.Etsiellenevoulaitplusjamaismeparler ? Comment vais-je faire si elleme repousse ?Non, ce n’est pas possible ça ne peut pas nous
arriver,ellevamedirequ’ellemepardonnetoutesmesconneriesetqu’ellem’aimeplusquetout.Çanepeutpasenêtreautrement…Jenepeuxpaslaperdre…
Jepénètredansl’immeubleetgrimpelesmarchescommeunmalade.Remarquez,c’estunpeucequeje suis… je suis complètementmaladede cette femme ! J’arrivedevant son appartement etmemets àsonner,puis impatient, je commenceàdonnerdescoupsdans laporte. J’insiste,mais rien…Soit ellem’ignore,soitelleestabsente.Jel’appelleunenouvellefois,maisrienàfaireellenedécrochepas.
–Émy…Situeslàouvre-moi…supplié-je,latêteappuyéecontreleboisvernidelaporte.S’ilteplaît,j’aibesoindeteparler…
Jenesaispascombiendetempsjeresteprostrésurcepalier,maisilsembles’êtrefigé.Jeregardeànouveaumamontre, il estpresque16h, etuneenvie soudainedevoirVictoriapourdéverser surelletoutemacolère,mevient. Je retourne cherchermavoiture enmepassant unemain sur le visagepoureffacer les tracesdemonchagrin. Je rouleà toutevitesseetmegarecommeunsauvagesur le trottoirdevantsademeure.Parchance,lesgrillessontouvertes.Jepresselepasjusqu’àl’entrée.Jen’aipasletempsdesonnerquelaportes’ouvre.Unefemmetrèsélégantemeregardedelatêteauxpieds.Ilestvraiquejedoisêtreeffrayant,lescheveuxenpagaille,levisagedéforméparlacolère,lesvêtementsfroissésettachésparlesaccagedemonappartement.
–JevoudraisvoirVictoria.–Quilademande ?s’enquiert-ellefroidement.–Unami,grogné-je.–Jesuisdésolée,maisMadameserepose,répond-elleenrefermantlaporte.Jedonneunviolentcoupd’épauledans lebattantavantqu’ilnesoitcomplètement fermé,envoyant
valser l’employée par lamêmeoccasion. Je suis tellement fou de rage que rien ne semettra surmonchemin.Jedoisvoircettesaloperiedebonnefemmepourluidirecequejepensedesoncoupfoireux.Jepassedepièceenpièce,c’est immense.Jecommenceàperdrepatienceetmemetsàhurlercommesij’avaisperdularaison,etpeut-êtrel’ai-jeréellementperdue…
–VICTORIA !VICTORIA…Jetourneentrecesmurscommeunlionencageetremarquelaportevitréeentrouvertedonnantsur
uneimmenseterrasse.Unefoisdehors,jenemetspaslongtempsàrepérercettesalopeallongéesurunechaise longue. Je fonce droit sur elle, et je dois sacrément avoir l’airmenaçant, car elle se redresseprécipitammentenrenversantaupassagesatassedethé.
–Espècedevieillegarce !hurlé-jeenmedressantdevantelle.–Jenetepermetspaset…–Vous neme permettez pas quoi ? la coupé-je. La question est plutôt comment VOUS, vous êtes
permisdebousillermaviesansraison ?!–Jet’airenduserviceStephen,merépond-elled’unevoixchevrotante.–Vousm’avezrenduservice ?Vousêtescomplètementtimbrée,jemedemandebiencommentj’aipu
voussupportertantd’années !–Oui,Stephen,jet’aisauvéd’unehistoiresansavenir !Crois-tuvraimentqu’elleallaitquitterson
fiancépourunpetitgigolocommetoi ?–Oui,jelecrois !Nousnousaimons.Nousvoulionsjustepartird’icietcommencerunenouvellevie
àdeux…Vousaveztoutdétruit !Vousêtestellementseuleetaigriequevousn’avezpaspuvousempêcherdefoutrelebordeldansmonhistoire !Vousêtespitoyable,Victoria…lamentable…
–Nemeparlepassurceton,jeunehomme !s’excite-t-elled’uncoupenpointantundoigtmenaçanttoutfripédansmadirection.
–Jedoisfaireuncauchemar,cen’estpaspossibleautrement !Vousdevriezvousestimerheureusedenepasvousprendremonpoingdanslafigure,espècedevieillesalope !
Jeregardesonvisagedevenirblême.Sesyeuxvenimeuxmefixentalorsquejemedemandecequeje
fousici.Çanechangerarienàlasituation.Jem’adresseàelled’unevoixglaciale:–Ouvrezgrandvosoreilles,Victoria,cequejevaisvousdirenevapasvousplaire,commencé-jeen
lavoyantmettresamainsursoncœur.Depuistoutescesannées,jevoussupporteuniquementparcequevousme payez bien ! Je prends depuis tout ce temps du viagra pour pouvoir vous baiser ! Vous êtestellementégocentriquequevousnevousêtesjamaisrenducomptequej’étaisincapabledebanderpourunevieillepeaucommevous !Jevoushais.Vousêteslapirechosequimesoitarrivéedansmaputaindevie !PourtantDieusaitquej’enaivu !Jevaissortirdecettemaisonetjevousinterdisdevousapprocherànouveaud’Émyoumêmedemoi, sinon je ne suis pas sûr de pouvoirme retenir de vous étrangler !Tenez-vousloindemavie,espècedevieillecinglée !conclus-jeentournantlestalonspourm’éloignerrapidementdecettefemmeavantdenepouvoirm’empêcherdelasécheràcoupdepelleetdebalancersoncorpsflasquedansuntrou !
–Stephen…gémit-elleentreseslarmes.Je l’ignoreet lecœurpleinde rage, je remontedansmavoiture. Jeneparspas toutde suite, j’ai
besoin de quelques secondes pourme calmer et reprendremes esprits. Puis lemoral au plus bas, jedécidedemerendreauStJames.Jem’installeaufonddelasalle,dansuncoinàl’abridesregards.Jecommandeunebouteilled’unbonwhisky,vieuxdedouzeansd’âge,ilmefaudrabiençapourm’aideràsupporter cette douleur qui me comprime la poitrine sans interruption depuis ce matin. Je sors monportableetleposesurlatable,nepouvantm’empêcherdefairedéfilerlesphotosjusqu’àcelled’Émy.Jemesouviensdujouroùjel’aipriseàsoninsu.C’étaiticimême,danscebar.ElledansaitavecsonamieVanessa.Elleétaitmagnifiqueet souriait, lesyeuxpétillantsdemalice. Jemesersundeuxièmeverre,commesiçapouvaitdénouercenœudquej’aidanslagorgequim’empêchederespirer.
Unmomentplustard,monregardseperddanslafoule.J’observelesgenss’amuseretdansercommesij’étaisdéconnectédelaréalité.Onestvendredisoir,leStJamesestpleinàcraquerd’individusprêtsàfairelafête,toutl’inversedemoi.Toutcequejedésire,moi,c’estoublier…
Jesursautequandmonportablesemetàvibrersurlatableetm’enempareprécipitamment,lecœurauborddeslèvresavecl’infimeespoirquecesoitÉmy.Grossedéception,c’estunnuméroinconnu…J’hésiteuninstant,puisdécrocheensoupirant.
–Stephen,j’écoute…–Oh…jesaisquitues,espèced’abruti !hurleunevoixféminine.Commenttuaspumefaireça ?–Vanessa ?Qu’est-cequetudis,je…–Tuasbousillémonamitié,espècedegrosconnard !mecoupe-t-elle,follederage.Commentas-tu
puluidirequejet’avaispayépourlaséduire ?Tuterendscomptequejeviensdeperdremameilleureamie ?Commentjevaisfaire…je…je…cafouille-t-ellelavoixétrangléeparunsanglot.
–Vanessa, écoute-moi jen’y suispour rien…Jeviensdeperdre la femmedemaviealorscrois-moi…jesaisdequoituparles,avoué-jeensentantmesyeuxseremplirdelarmes.
Maisqu’est-cequim’arrive,cen’estpasvrai,jenemereconnaisplus !Jepleurepourunefemmequim’alarguésansmêmeécouterunseulmotdecequej’avaisàluidire.Jesuisdevenufaibleetj’enpayeleprix.C’estbienladernièrefoisdemaviequejem’autoriseraiàaimerquiquecesoit !
–Maissicen’estpastoi,alorsd’oùvientlafuite ?s’empresse-t-ellededemander.–Écoute,jesuisauStJames,rejoins-moietonparleradetoutça,enplusjepeuxtedirequej’aiune
bonnebouteilledewhiskyquin’attendquetoi !–OK, j’arrive,mais s’il te plaît pas demauvaise surprise, ne fais pas venirGreg, je ne suis pas
d’humeur !–Jenebougepas,réponds-jeenraccrochant.C’estsurprenantcommelefaitdesavoirquequelqu’und’autresouffredurejetdelamêmepersonne
quevous,peutfairedubien.Jesuispeut-êtreunpeuégoïste…Peum’importe,jemesenspluslégertoutà coup et attends, avec impatience, l’arrivée de Vanessa pour pouvoir partager cette peine qui me
consumeàpetitfeu.Jeboisunautreverreetlabrûlureduliquidefinitparmedénouerlagorge,l’alcooletsesbienfaits…QuandVanessaapparaît,jesuisdéjàbienéméché.Ellemetombedanslesbrascommesi sa vie était aussi brisée que la mienne. On s’installe face à face, je lui sers un verre avant decommencercetteconversationquinoustienttantàcœur:
–Alors,commentl’as-tuappris ?demandé-je,curieux.–Émym’atéléphonéfollederageetenpleurs.Ellem’aditquej’étaislapiredesgarcesetqu’elle
necomprenaitpascommentj’avaispuluiplanteruncouteaudansledos,enpayantungigolopourbrisersonmariage.J’aiété tellementsurpriseque jen’aipaspumedéfendre, jesuis restéeparalyséepar ledésespoirquej’aientendudanssavoix…Qu’est-cequ’onvafaire ?Etquiafoutucegrosbordel ?Jesaisquejenesuispasinnocenteetquejen’auraisjamaisdûfairecequej’aifait,mais…jenepouvaispaslalaisserfoutresavieenl’airavecunmonstred’égoïsmecommeNicolas !
–C’estVictoria,unedemesclientesquia toutdévoiléàÉmy,par jalousie.Et…jedois teparlerd’autrechose…Émym’aavouéavoirétévioléeparNicolas…Ellem’aditqu’ellepréféraitvivreaveccemonstrequiavaitabuséd’elleplutôtqu’avecmoi !lancé-jed’unevoixbrisée.
–Quoi ?Non…non,cen’estpaspossible…–Ellemel’aditetjepeuxtedirequ’àvoirladouleurquiplanaitdanssesyeux,ellenementaitpas !–MonDieu…Jenel’aipassentiebien,ilyaquelquesjours,jepensaisquec’étaitàcausedetoi.
Jamaisjen’auraisimaginéqu’ilaillesiloincetenfoiré !–Oui,jepeuxtedirequesijetombesurlui,jenesuispassûrdenepasletuer…–Idem,répond-ellepensive.Elleneveutplusjamaisquejel’appelleetneveutplusmevoir.Jene
saispasquoifaire…Jenepensepasqu’ellevaannulersonmariage…Jeme redressepaniqué, j’avais complètementoublié cettehistoiredemariage.Ennous resservant
deuxverres,jeluidemandesoucieux:–Tu crois vraimentqu’elle va semarier avec lui ? Impossible, elle nepeut pas faire ça ! S’il l’a
violée,ellenepeutpass’uniràlui !m’emporté-jeàdeuxdoigtsdel’explosion.–Tusais,elleestprêteàtoutpourmettresamèreàl’abridubesoinetelleesttellementencolère
contrenousqueçanemesurprendraitpas.–Cen’estpasvrai,commentj’aipuenarriverlà !Jel’aimetantet…jenepeuxpasvivresanselle,
Vanessa,jenepeuxpas…–Parcequetucroisquemoijepeux ?Jen’auraisjamaisdût’embaucherpourlaséduire !–Oui,maissitunel’avaispasfait,jenel’auraisjamaisconnue…L’undansl’autre,jelaperdais,
conclus-jeenmepassantunemainsurlevisagepourchassertouteslesimagesd’Émyquiemplissentmespensées.
–Oui,c’estvrai…–Tusaisqu’hiersoir,nousparlionsdepartirtouslesdeuxpourmonternotrepetiteaffaireaubordde
lamer ?Nousétionssiheureux…Nousn’avionsplusaucundoutesurnotrerelationetenmoinsd’uneseconde,touts’estenvolé !ÀcausedecettemisérableVictoria,nosviessontcomplètementbrisées.
– C’est incroyable ! Quand je t’ai engagé, pas un instant je n’aurais pensé que vous tomberiezamoureuxl’undel’autre !
–Oui, la vie peut nous jouer de drôles de tours parfois, lancé-je enme repassant notre premièrerencontre.
Je me rappelle son air agacé quand elle m’avait envoyé promener et ce sourire provocateurlorsqu’ellerépondaitàmesattaques.Commentvais-jefairepourvivresanselle ?
Jenoussersdeuxautresverres.J’aivraimenttropbu,jelesensdanslamaladressedemesgestes,danscetteimpressionquemoncorpsflotteetqueplusrienn’ad’importance.Vanessaaussiasoncompte,elleestimbibéed’alcoolquandellem’inviteàdanserunslowquelquesheuresplustardsurunemusiquequ’elle adore. J’accepte etme retrouve sur la piste à enlacer cette jeune femmequi semble tout aussi
anéantiequemoi.Nouspassonsunepartiedelanuitàdanseretboire,jesuisivremortquandonarrivechezmoi.NousavonsprisuntaxietjenepouvaispaslaisserpartirVanessadanscetétat,alorsjel’aiinvitée.Pourêtrefranc,l’idéederentrerseuldansmonappartementsaccagénem’enchantaitguère !Ilvafalloir tout remettre en ordre,mais on verra ça plus tard, pour lemoment j’ai bien d’autres choses àpenser…commelemariage.
Lejourselève.Jesuisassissurunechaise,penchéenavant,latêtedansmesmains.J’aiunegueuledeboismonumentaleetunmal-êtreinimaginable.Vanessadortencore,elleesttombéeivremortesurlecanapé-litenarrivant,moijen’aipaspufermerl’œil.Émym’obsèdeetmerongedel’intérieur,elleestdevenueenpeudetempsmonpirecauchemar.Chaqueminute,chaquesecondesansellec’estcommesijebrûlaisdanslesflammesdel’enfer.Çateconsume,tedétruitàl’infini,iln’yapasdemomentderépitdanscecercleinfernal.Jepensequejevaisdevenircomplètementfououalcoolique,sijenelarécupèrepas.Mavieestfinie.
–Àvoirlatêtequetufais,çanevapasmieuxcematin,toi !intervientVanessaenseredressantpours’asseoir.
Je la dévisage un instant et remarque ses cernes, ses yeux rouges et ses cheveux en bataille…Finalement,ilyapirequemoi.
–Tudevraisteregarderdansunmiroir,grogné-jeenmelevantpoursortirunebouteilledewhiskyduplacard.
–Ohnon,nemedispasqueturemetsça,tuvasmefairevomir.Enlèvecettebouteilledemavue !gémit-elle.
–Jepeuxtefaireuncafésituveux,maismoijepréfèreêtresaoulquedesupportercettesituation !–Lâche !Voilàcequetues !lance-t-elleenmedéfiantduregard.–Queveux-tudire ?–Tudevraistebattreaulieudetelaisseraller !Pourhiersoir,jepeuxcomprendre,nousétionssous
lechoc,maisaujourd’huiestunautrejouretjenecomptepasenresterlà !–Qu’est-cequetuvasfaire ?Elleneveutplusdenousdanssavie !–Jenevaispasluilaisserlechoix !Jevaisallerlavoiretlaforceràm’écouter !Jepensequ’ellea
dûannulerlemariage,jevaisessayerdelatrouverchezelle !– Elle ne t’écoutera pas ! Elle n’a plus du tout confiance en nous et vu ce qu’on lui a fait, je la
comprends !–Jesaisbienquecequenousavonsfaitestimpardonnable,maisçavaut lecoupd’essayer,ELLE
vautlecoup…finit-elleleslarmesauxyeux.–Oui,tuasraison…– Mais c’est quoi ce bordel ? demande-t-elle tout à coup en réalisant l’état laborieux de mon
appartement.Commenttupeuxvivredansunepoubellepareille ?!–J’aipétéunplombhierquandÉmyestpartie…Ellemeregardeenécarquillantlesyeux,avantdesecouerlatête.–T’escomplètementdingue !–Jesais,réponds-jeenpréparantlecafé.–Émyvenait ici ?Déjàque jenecomprenaispascequ’elle te trouvait,maisalors là, çadépasse
l’entendement !–Ferme-la,tunevauxpasmieuxquemoiparcequetuesblindéedefric !Tuaspayéungigolopour
foutrelaviedetameilleureamieenl’air,tun’espasplusrespectablequemoi !répliqué-je,agacé.Voyantsonvisagesedécomposerjen’insistepasetluitendsunetassedecafé.Jemesersunwhisky
etmelaissetomberàsescôtéssurlecanapé.–Finalement,nousnevalonspasmieuxl’unquel’autre,bredouille-t-elleenretenantseslarmes.–Excuse-moi,jenevoulaispasteblesser,jesuisàcran !
–Non,c’estmoi…J’aitoujourseucettevilainehabitudederabaisserlesgens…Peut-êtreparcequej’aipeurdemesentirinférieure,meconfie-t-elle.
–Jesaiscequec’estdesesentirinférieur,réponds-jeenavalantmonverred’unetraite.–Tuvasêtremalade,megronde-t-elleenmevoyantm’enservirunautre.–C’estbienledernierdemesproblèmes !–Pourquoi…pourquoies-tugigolo ?Unmecbeauetintelligentcommetoi !Jenecomprendspas.–Yarienàcomprendre.J’aifaitdemauvaischoixparceque…parcequej’aiperduunepersonne
quej’aimais.Etj’aifoututoutemavieenl’air,parpeurd’aimerànouveau.J’aibaiséplusdefemmesquelaplupartdeshommes.J’aiaccumulélesconquêtespouroubliercettesolitudequim’habitait.Puisunjour,j’aidécidédemefairepayerpourmefairedel’argentfacile.Jenesuispasfierdecequejesuis,maisc’estcommeça,jenepeuxpasrevenirenarrière.
–EtcetteVictoria ?–Victoria,jelaconnaisdepuistoujours,c’étaituneamiedemesparents.Elleatoujourseuunfaible
pourmoi,mêmequandj’étaistrèsjeune.–Ellet’aime ?–Non, je pense qu’elle aime l’idée que je lui appartienne,maisVictoria n’aimepersonne d’autre
qu’elle-même !–Alorspourquoia-t-ellefoutucegrosmerdier ?–Elleneveutpasperdresonjouetfavori,dis-jed’unevoixpleined’amertume.–Quellesalope !–Oui…TusaisÉmyestlaplusbellechosequimesoitarrivée…Je…jel’aimevraimentetjene
saispascommentjevaispouvoirvivresanselle.J’enarriveàregretterd’avoiracceptétonoffre !Ainsijenel’auraisjamaisconnueetjeneseraispasmalheureuxmaintenant…Non,jedisn’importequoi !Cescourtsinstantsontétélesplusbeauxdemavieetpourrienaumonde,jeneleseffacerais.
–Oui,jecomprends,moij’aitellementdesouvenirsavecÉmy,quemedirequ’ellepourraitneplusfairepartiedemaviem’estinsupportable !
Jeladévisageunmomentensilenceetlatristessequejelisdanssesyeuxmeconfirmequ’elleestsincère.
–Nousnesommespassidifférentsfinalement,lancé-jeenmelevant.–Non…Jeposemonverredansl’évieretdécidederamasserlesdébrisdumiroirdanslasalledebains.J’ai
vraimentfaitn’importequoi.Jeprendslapoubelleaveclapelleetlabalayetteetmemetsautravail.J’ailatêtequitourne,jesuiscomplètementbourré,vais-jedevoirfinirmaviedanscetétatpoursupporterdevivresanselle ?
–Tu ne fais pas les choses àmoitié, toi, quand tu piques une crise ! lanceVanessa enm’aidant àremettredel’ordre.
–C’estmoncôtéimpulsif,j’essayedememaîtriserengénéral,maisj’avouequ’hierj’aicrudevenirfou !
–Qu’est-cequetuvasfairependantquejevaischercherÉmy ?questionne-t-ellesoucieuse.–J’aiunevagueidéedelamanièredontjevaisoccupermontemps,réponds-jed’unevoixgrave.–Ohnon,tumefaispeurlà !–Jevaisrendrevisiteàcegrosconnardpourluifairepayercequ’ilafaitàÉmy !–Çavamalfinir,Stephen,nefaispasça !–Jen’aiplusrienàperdre !Simavieestfoutue,autantqu’ellelesoitcomplètementetsiçapeutme
faireunpeudebienaupassage…–Merde,faiscequetuveux,maisneletuequandmêmepas !Iln’envautpaslapeine !–Oh !jenevaispasletuer,justeluimettreunebonnebranlée !
–Ouais,jenesaispassijedoistecroire,maisdetoutefaçon,c’esttavie !Bon,jevaistelaisser,jedoismerafraîchiravantdepartiràlarecherched’Émy,conclut-elleenramassantsesaffaires,puisellesedirigeverslaported’entrée.
–Vanessa,attends !Elles’immobiliseetseretournepourmeregarder.–Merci…Pourcettenuit…–Derien,maisnevapascroirenonplusquenoussommespotes !plaisante-t-elleensortantdechez
moi.Aprèsavoirremisunpeud’ordrepouressayerdecalmerlarageaufonddemoiquirefaitsurface,
j’appelleuntaxi.Jevaisdevoirrécupérermavoituredèsquej’auraidessaoulé.J’indiqueladirectionàprendreauchauffeuretmeperdsdansmespenséesletempsdutrajet.Touts’embrouilledansmatêteetàchaque kilomètre qui passe, la colère s’amplifie dans chaque particule de mon corps. Quand nousarrivons à destination, je demande au chauffeur de m’attendre en le payant et je me précipite versl’immeuble qui abrite les bureaux de l’autre salopard. Jeme retrouve devant la réception, une femmed’uncertainâgem’accueilleenmescrutantdelatêteauxpieds.Jemerendscomptequejenemesuispaslavé,jedoisempesterlatranspirationetl’alcool.Avecmescheveuxenbataille,mabarbedetroisjoursetmesvêtementsfroissés,jedoisavoirl’aird’unclochard,maisjen’enairienàfoutre.
–Bonjour,jecherchemonsieurDambres-Villiers,lancé-jeensoutenantsonregard.–Ilestabsent,répond-elled’untonfroid.–Savez-vousoùjepeuxletrouver ?insisté-je,agacéparsonattitude.–Ilsemarieaujourd’hui.Doncilneserapaslàdelajournée.Uncouteauenpleincœurm’auraitfaitmoinsmal.J’essayedemereprendreenm’appuyantcontrele
comptoir.Ilfautquejemecalmeetquejesacheoùsepasselacérémonie,alorsjemeredresseetdécidedementir:
–Jesuisaucourant,merci !Jesuisdelafamilleetnousavonsunpeutropfêtél’événementcettenuit,sivousvoyezcequejeveuxdire, tenté-jedel’amadouer.Jenemerappelleplusdel’adresse.Jesuisdéjàenretardet,enplus,jedoismechanger…
Quandjesorsdel’immeubledixminutesplustard,avecl’adresseenpoche,jen’enrevienstoujourspasqu’ellesesoitfaitavoirsifacilement.Jeremontedansletaxietdonnelesinstructionsauchauffeur.Jesuiscomplètementsouslechoc.Jen’arrivepasàencaisserlefaitqu’Émyvaquandmêmeépousercemec,ensachantqu’ill’avioléeetqu’ellem’aime…Jeveuxbienqu’ellesoitencolèrecontremoi,maisdelààmettresavieentrelesmainsdecetêtreodieux,çamedépasse.Levéhicules’immobilise.Jesuisàlalimitedelacrisedenerfs.Jerèglelacourseetdescendsrapidementsurletrottoir.J’avanced’unpaschancelant et monte les marches. Une musique emplit mes oreilles quand je pénètre dans l’église.J’avance sansmêmem’en rendre compte, je suis comme un automate guidé par la seule force de sonamour.Jemetétaniseunefoisdansl’alléecentraleettrésailleenentendantlalourdeporteserefermerderrièremoidansunbruitsourdquiserépercutecontrelesmurs.Lafouled’invitéssetournepourmeregarder,maisjelesignore,toutcequim’importec’estcettesublimefemmedanssalonguerobeblancheaupieddel’autel.
Elleestlà,àquelquesmètresdemoi,maindanslamainaveccethommequejehaisplusquetoutaumonde.Mon sang s’est figé dansmes veines etmon cœur a cessé de battre.Mesmains semettent àtremblertandisqu’unedouleurinsupportablemetraverselapoitrinequandmesyeuxseperdentdanslessiens.Enunefractiondeseconde,l’universtoutentiers’esteffondrésurmoi,jeluttepourreprendremonsouffleenrestantfigé,incapabledumoindremouvement.Monregardsoudéausien…
Chapitre1
Émy*
J’inspireprofondémentpourfaciliterlafermeturedemarobe.Sophie,unecousinedeNicolasquejeconnaisàpeine,devenueenurgencemontémoin,s’affairedansmondospourattacherunàunlespetitsboutonsnacrés.Mamère,àcôté,suitson travailavecattention,pendantque l’organisateurdumariagedistribuesesordresàlaronde.Ilyafouleautourdemoi,dubruit,desvoixenthousiastes.Maismoi,jen’entends rien. J’évolue au milieu d’un brouillard dense qui semble me couper du monde.À chaqueboutonquisefermedansmondos,j’ailesentimentdevoirs’ajouterunnouveaubarreauàmaprison.
JesuisdansunedeschambresdumagnifiquechâteaudeVaux-Le-Pénil, sur lepointdememarier,maisc’estcommesijemepréparaisàmonteràl’échafaud.Unedouleurdiffuse,quiimprègnechacunedemespenséesetchacundemesgestes,faitperleràmesyeuxdeslarmesquej’aideplusenplusdemalàretenir.Pourtenterdeleschasser,jeregardelesgensautourdemoi,cetteagitationàlaquellejemesensétrangère.Commentpeuvent-ilsnepasvoirqu’iln’yariendejoyeuxdanscettescène ?Commentsefait-il que personne ne se rende compte qu’aujourd’hui a lieu un assassinat, un suicide, et non une unionsacrée ?C’estcertainementdûaufaitqu’aucundecesgens,venantpourlaplupartdelafamilledemonfiancé,nemeconnaîtvraiment…Cellequejeprenaispourmameilleureamiem’atrahie,etmamère…mamèreestperduetroploindanssonmondepourcomprendrecequisepassedevantelle.Ilneresteriendesafilleunique,justeunecoquillevideetsansâme,unréceptacleàchagrinetàdouleur.
Sophie se redresse, en annonçant de sa voix trop aiguë qu’elle a terminé. La coiffeuse vientpositionnermonvoile,etquelqu’un,jenesaismêmepasqui,m’aideàenfilermesescarpinsivoire.Jemeretrouvedevantungrandmiroirsurpied,installélà,pourl’occasion.Lesilencesefait,jen’entendsplusquelesondemesinspirationstroprapidesetceluidemonsangquipulsecontremestempes.Mesyeuxseposentsurlasilhouettedemontémoin,quisetientderrièremoi,unpeuenretrait.LacousinedeNicolas est vêtue d’une robe dumême bleu gris que la large ceinture en soie qui ceintma taille. Jedétaillesestraits,lescirconvolutionsdebouclesquientourentsonvisage,toutpournepasposerlesyeuxsurmonproprereflet.Maisjecroisesonregardetcomprendsque,commetouteslespersonnesprésentesdanslapièce,elleattenduneréactiondemapart.
Jesaiscequejevaisvoirdanscemiroir.Unefemmeauchignonblondunpeufloupiquédediscrètesperlesirisées,habilléed’unemagnifiquerobeivoireendentelleettullevaporeuse.Unefemmedéguiséed’amouretdebonheuralorsqu’elleal’impressionquelesolestentraindes’ouvrirsoussespiedsetqu’unocéandedouleuren fusionest sur lepointde l’engloutir.Mamères’approche,meprendpar lamainetm’encouraged’unsignedetêteàcontemplerlerésultatdutravailaccomplisurmoicesdernièresheures.Jenepeuxplusreculer.
Dèsquejeposelesyeuxsurlafuturemariée,moi,leslarmesquejeretenaissemettentàcouler,tirantàmamèreunsouriredouxetaurestedel’assembléelamêmemoueattendrie.
–C’estnormal.Tuesémue,machérie,dit-elleenserrantplusfortmesdoigts.–Oui…Ellelèvelamainetreplacegentimentmonvoilesurmonépaule.–J’étaisdanslemêmeétat,lorsquej’aiépousétonpère.Non,maman,jenecroispas…
MadameMarie-CatherineDambres-Villiers,lamèredeNicolas,quittelefauteuilqu’elleoccupaitetmerejoint,avecl’éléganceguindéequilacaractérise.Elleprendletempsdemedétaillerdelatêteauxpieds,etunsouriresedessinesursabouche.Sonexpressionestavenante,maisjevoisdanssonregardlamêmefroideurquecellequihabiteceluidesonfils.
–Vousêtesravissante,Émelyne.Sa voix aux accentsmétalliques résonne dansmon cœur vide, y distillant un glaçant sentiment de
malaise.C’estd’ellequeNicolas tient sonaptitudeàdonner lechange,àparaîtreaffable,quellesquesoient les circonstances. Et ce même lorsque la situation lui déplaît. Je sais queMarie-Catherine nem’aimepas.Elleauraitvoulupoursonfilsunefemmedebonnefamille,depréférencetitrée,pasune«coureused’héritage»…
–Bon !intervientGeorges,l’organisateur.Noussommesdéjàenretard,ilfautd’yaller.L’excitationmontesoudainementettoutessemettentenmouvementaumêmeinstant.Ilesttempspour
moid’allerscellermondestin.Laportedel’église,jusqu’àprésentclose,s’apprêteàêtreouvertepourmepermettredefairemon
entrée.Mamère,rayonnantedefierté,setientàmescôtés,petiteentorseauprotocolepuisquemonpèren’est plus. J’inspire profondément pour stopper les tremblements qui m’agitent. Mon cœur bat à serompre.J’aipeur.Jesuismêmeterrifiée.Maisjenereculeraipas.
Laportes’ouvre,j’arrêtederespirer.C’estàmontourd’entrerenscène.Touteslestêtessetournentdansmadirectionetlespremièresnotesdelamarchenuptialemontentdansl’églisepleineàcraquer.Auboutdelanefm’attendNicolas,élégantcommelamortdanssoncostumenoirlégèrementsatiné.Mamèrefaitunpas,jelasuis,lesjambesencoton,maislatêteetledosdroits.J’avancelentement,évoluantaumilieudelamaréechatoyantedesinvités,quelenuagesombrequim’entourefaitressembleràdestachesdecouleursfloues,indistinctes.Chaquepasmedonnelesentimentdemerapprocherdelafin,pourtantjecontinuemaprogressionsansciller.Puisquemavien’aétéquemensongesetquel’amournem’aapportéquesouffranceetchagrin,jeresteraiamoureusedemadouleur.Etcettedouleurestincarnéeparl’hommequejerejoinsetàquijevaism’unirpourlerestedemavie.NicolasDambres-Villiers.
Ilmeregardeavanceravecunefiertémanifeste,maissanstendressenidouceur.Jefixesonvisageetrevoisl’expressionbestialeetfurieusequ’ilavaitlorsqu’ilallaitetvenaitentremesjambeslesoiroùilm’a violée dans mon propre lit.Mon estomac se tord, tout mon corps se rebelle à l’idée de devoirsupportersaproximitéunseulinstantdeplus.Maisjeneveuxpasoubliercequ’ilm’afait.Jamais.Jeneveuxme souvenirquede cequem’a coûté le fait de croire lesmotsprononcésparunhomme, le faitd’avoircruunesecondequel’amourexistait.
J’arriveaupieddel’autel,mamèremelâchelebrasetj’ail’enviesoudainedem’enfuirencourant.Unepetitepartiedemoivoudraitqu’ellevoieenfin,qu’ellecomprenne.
Non,maman,nemelaissepas!Jet’ensupplie,sauve-moi!Nemelaissepasfaireça!Maisellenevoitninecomprendpas,ets’éloignepourallerrejoindresaplace.Seulefaceàmoi-
mêmeetàmeschoix,jemontesurl’estradeenayantlesentimentdesentirlecanond’unearmeàfeuseposercontrematempe.Ilnemeresteplusqu’àenpresserladétente.
Nicolasprendmamaincommeonmarquesonterritoire, toutdanslafaçondontil lefaitmontresavolontédeme rappelerqued’iciquelquesminutes, je luiappartiendrai.Puis leprêtre semetàparlerd’unevoixmonocorde,prononçantdesmotsquejen’entendspasvraiment.Sondiscours,quimesembledurerdesheures,ouunepoignéedesecondes,jenesaispas,estinterrompupardescantiquesquisonnentàmesoreillescommedesmarchesfunèbres.Quelquesinvitésprennentlaparole,lisantdespassagesdelaBibleoudespoèmesromantiques.J’écouteàpeinelesmotsqu’ilsprononcenttantjemesensmaldelesfaireproférerdetelsmensonges.
Vient ensuite lemoment des consentements et de l’échange des alliances, lemoment de signer unpacteirréversibleaveclediableetdedescendreauxenfers.Lemondes’éteintautourdemoilorsqueje
melèvepourfairefaceàNicolas.–MademoiselleÉmelyneJoséphineBressac,acceptez-vousdeprendrepourépouxmonsieurNicolas
CharlesFrançoisDambres-Villiersiciprésent ?J’ailevertige,lecœurauborddeslèvres.J’entendsdansmatêteunbruitquiressembleaucliquetis
quefaitunrevolverquel’onarme.Pourtant,c’estd’unevoixclairequejeréponds:–Oui.Ilpasseàmondoigtunanneauenorblancornédediamantsquimesemblepeserune tonneetme
brûlerlapeau.– Monsieur Nicolas Charles François Dambres-Villiers, acceptez-vous de prendre pour épouse
mademoiselleÉmelyneJoséphineBressaciciprésente ?Nicolas inspire,prêtàrépondre,mais laportede l’églises’ouvre toutàcoup.Apparaîtunhomme
débraillé,essoufflé,auregardflouetégaré.Moncœurfaitunbonddansmapoitrine,avantdeseserrerdelamanière laplusdouloureusequisoit.Tous lesconvivesseretournentpourvoirdequoi ils’agit,moij’ail’impressiondesentirmonsangquittermoncorpsetserépandresurlesolfroid.
PourquoiStephenest-ilici ?Son regard accroche le mien et j’explose en milliards de morceaux. Tous les souvenirs de ces
moments de bonheur passés avec lui me reviennent en mémoire : nos baisers, nos étreintes, nosdiscussions, nos projets et nos rêves. La douceur de sa peau, de ses caresses et de sa voix lorsqu’ils’adressaitàmoi…Sonsourire,l’éclatdesesyeux,leurferveuretlatendressequej’ylisaisquandnousfaisionsl’amour.Puisserappelleàmoiladureréalité:sesmensonges,saterribletrahison,lafaçondontlui et Vanessa ont piétiné mes espoirs et mon cœur, le peu de valeur qu’ils ont accordée à ma vie.Déterminée,jequittelesyeuxdeStephenetmetourneversNicolas,l’enjoignantàdonnersaréponseettirantainsiun lourd rideausurmonâme.Plus jamais jeneverraiunnouveau jourse lever, je resteraidansmanuit.Làoùtoutestsombreetoùjenepourraiplusmourirencore.
D’unimperceptiblesignedetête,labouchecontractéeetleregardnoir,Nicolasdemandeàl’hommeencostumequisetientprèsdelaported’intervenir.Unagentdesécurité.Monfiancéa,commetoujours,toutprévu.Voilàpourquoiil«neperdjamais».
Sansvoirlascènedirectement,jecomprendsqueStephenselaisserepousserverslasortie.Jesenssesyeuxrivéssurmoi.
–Cen’estrien !lanceNicolasàlaronde,afinderassurernosinvités.Unesimpleerreur…Ilfaitcommesitoutallaitbienetmesouritlorsqu’ilreportesonattentionsurmoi.Maisjesaisàla
façondontilmeregardequeleschosesn’enresterontpaslàetquejepayeraicequivientdesepasser.Malgréça,jenecillepasetattendslecoupfatal,lecorpsfigéetlarespirationlaborieuse,maislatêtehaute. La porte de l’église se referme. L’assemblée paraît soulagée. Et moi, je suis résignée… Lamacabrecérémonietoucheàsafin.
–MonsieurNicolasCharlesFrançoisDambres-Villiers,reprendleprêtresansseformaliserdecetteinterruption, acceptez-vous de prendre pour épouse mademoiselle Émelyne Joséphine Bressac iciprésente ?
Pasdesecondediversion.Jefermelesyeux…etlaissemonfiancépresserladétente.–Oui,répond-ilfinalement.Cesimplemotrésonnedansmatêtecommeunedétonation,quej’entendsencoreetencorelorsqueje
passesonallianceaudoigtdeNicolas.TroptardàprésentpouraccorderplusdevaleuràmaviequeStephenetVanessal’ontfait.Monsortestscellé…Jesuismariée.
–Vouspouvezembrasserlamariée,annonceleprêtrealorsqu’unesalved’applaudissementssefaitentendre.
Lecontactdesaboucheduresurlamiennemerévulse,jem’accrocheàcesentimentdétestablepouressayerdelerendrefamilier.Voilààprésentcequeseramonquotidien.Nousnoustournonsensuitevers
nosamisetfamilles,quiapplaudissentdeplusbelle.Jemeforceàsourireetànepasregarderverslaportedel’église,quis’ouvreànouveaupourlaisserlafoulequitterleslieuxdelacérémonieausond’unnouveaucantique.Toussemblentravis,jenepensaispasqu’unsuicidepuisseêtresiréjouissant.
Mamèrem’adresseunsignedelamain,enchantée,lesyeuxbrillantsd’unejoiepresqueenfantinequimescielecœurautantqu’ellemeréconforte.
Toutirabien,maintenant,pensé-je,en luisouriantdumieuxque jepeux.Tuesensécurité, tunerisquesplusrien.C’esttoutcequicompte.Jesuisdésoléed’avoirfaillitoutgâcher,maman.Tellementdésolée…
Lafoule,rassembléesurleparvisdel’église,nousattend.Nicolasetmoiavançonslelongdelanefpourlesrejoindre,etmon…mariprofitedecebreftête-à-têtepourmeglisserquelquesmotsàl’oreille.
–Tuvois,jeneperdsjamais,Émelyne.Tut’ensouviendrasmieuxcesoir,quandjet’expliqueraiçaàmafaçon.Etsitonpetitcopaina l’audacedes’approcherànouveaudecequim’appartient, je te jurequejeletuerais,tuentends ?
Àsontontranchantetàlafureurquipercedanssavoix,jesaisqu’ilnes’agitpasdeparolesenl’air.Nicolasestcapabledetout,jen’aiplusaucundouteàcepropos.Cequ’ilmeditmeterrifie,pourtantjesourislorsquenousarrivonsànotretoursurleparvis,parcequejen’aipaslechoix.Etparcequejeneveuxpasluidonnerlamoindreraisond’êtreplusencolèrequ’ilnel’estdéjà.
–Mesdames etMessieurs, annonce l’organisateur du mariage, se présentent à vous pour la toutepremièrefois…MonsieuretMadameNicolasDambres-Villiers !
Sousdenouvellesacclamations,unepluiederizs’abatsurnous.Maisunevoixquejeconnaistropbiens’élèveaumilieudelafouleetlesgrainsblancscessentbrusquementdetomber.
–Émy…Desmurmuresmontent lorsque tous reconnaissent l’hommequi a fait irruption dans l’église tout à
l’heure.Cette fois, ilnepeut s’agird’uneerreuret tout lemonde l’abiencompris.Une ragehaineuseenflammel’airautourdemoi,celledeNicolas.JeregardeStephenapprocher,sefrayantmaladroitementun chemin aumilieu des invités consternés, pendant qu’un sentiment de panique se propage dansmesveines.Plusintensequemonchagrinetmacolèreenverslui, ilyalapeurviscéraledevoirmonmarimettresamenaceàexécution.
«Sitonpetitcopainal’audacedes’approcherànouveaudecequim’appartient,jetejurequejeletuerais,tuentends ?»
Stephendoit sortir demavie définitivement.Et pour demultiples raisons. Je ne veuxplus de sesmensonges, mais l’idée qu’il puisse lui arriver malheur me soulève le cœur. Jamais je ne laisseraiNicolasluifairelemoindremal.
–Émy…répète-t-ilenarrivantàmahauteur.Son air hagard, ses vêtements froissés et ses cheveux en désordre contrastent avec l’élégance de
l’assistancequimefixe,dansl’expectative.J’entendsleschuchotements, lesnombreusesinterrogationssoulevéesparl’insistancedecetinconnudébrailléquinesaitquediremonprénom.Stephen,àprésentfaceàmoi,maisàunedistancerespectable,plongesonregarddanslemien.Alorsquejemeperdsdansses magnifiques yeux verts, s’immisce dans mon ventre une douleur qui m’est devenue coutumière.Soudainement,jenesaisplusoùj’ensuis.Lechagrin,lacolère,lasouffrance,l’amourfouquejeressenspourluimalgrétout…Touscessentimentss’entremêlentetformentdansmonespritunesortedebrumeopaque. Je ne réagis pas, incapablede savoir ceque je devrais dire ou faire. Je détourne les yeux, àl’instantoùNicolass’approcheetpasseunbrasautourdemataille.
–Jecroisquevousdevriezpartiravantdevouscouvrirderidicule, lance-t-ilalorsquel’agentdesécuritéapprocheetattrapeStephenparlebras.
Celui-cineportesonattentionsurmonmarietsonsourirecondescendantqu’uncourtinstant,puissedégaged’unbrusquecoupd’épaule.
–Émy,jeveuxqu’onparle,plaide-t-ilens’approchant.Lasituationprenduntrèsdangereuxtournant.Aussidésorientéeetconfusequejesois,jem’enrends
compte.Unevérités’imposealorsàmoi : jedoisprotégerStephen.Toutestfini,àprésent. Ilneresteriendenotrehistoire, si tantestque l’onpuisseappelercequenousavonsvécuainsi.Sesmensongesl’ontréduiteàl’étatdecendresetildoitlecomprendreavantquelesconséquencesdesonobstinationnevirentaudrame.Etjeferain’importequoipourlesauverdelui-même,ycomprisdeveniràmontourlapirementeusequisoit.
–Non,asséné-jed’untontranchant,enparantmestraitsd’unmasquedur.Iln’yarienàdire.Va-t’en.–Vousavezentendu ?intervientNicolas,deplusenplusfurieux.–Vous,fermez-la !s’emportemonex-amantenfusillantmonmarid’unregardnoirderage.Les convives, spectateurs involontaires de cette scène ahurissante, marquent leur désapprobation
d’exclamationschoquées.LamèredeNicolass’approche,cedernierlarepoussedoucementd’ungestedubras.
–Jevousdemandepardon ?–Vousêtesuneputaind’ordure !poursuitStephen,horsdelui.Vousneméritezmêmepasdeposerla
mainsurelle !–Et vous un perdant, répondmonmari, laissant s’étioler ce flegme glacial qui le caractérise.Un
perdantquiaessayédejoueràunjeudontilesttropstupidepourcomprendrelesrègles !Elle…avecvous ?Pauvreimbécile,vousmefaitespitié…
Instantanément, lepoingdeStephenvient s’abattre sur lamâchoiredeNicolas,dont la têtepartenarrièresouslaforcedel’impact.Uncrid’effroim’échappe,j’ail’impressiondevivreuncauchemar.
Lafoulerecule,horrifiéeetscandalisée,pendantquemonmariseressaisitettentedefrapperStephenà son tour. Plus rapide, et plus fort, ce dernier parvient à éviter l’attaque et même à lui asséner unnouveau coup, en plein dans l’estomac. L’agent de sécurité intervient, mais mon ex-amant, en rage,l’envoieautapisenlefrappantauvisage.PuisilrevientsurNicolas,toujoursàgenouxsurlesol.
Enunefractiondeseconde,j’entrevoisledésastrequisuivracettescèneapocalyptique.Monmariluiferapayercetaffrontimpardonnable,commeilmel’apromis,etrienaumondenem’ajamaisfaitpluspeurquecettecertitude.Jedoisàtoutprix,àtoutprix,empêcherça.
AlorsqueStephenlèvelebras,prêtàporterunnouvelassaut,jemeprécipiteentreluietNicolas.–Laisse-le !crié-je.Me voyant devant lui, il stoppe immédiatement son geste et son visage se radoucit un peu. Nous
restonsfaceàfaceunmoment,sansqu’aucunbruitneviennetroublerlesilencechoquéquinousentoure.Puistoutàcoup,lamèredeNicolasrejointsonfilsàlahâte,s’agenouillantàsescôtéspours’assurerqu’il n’est pasgrièvement touché.Celui-ci se relève sans tropdedifficultés, à présent entourépardenombreuxinvitésinquiets.
Stephenetmoinousregardonstoujours.Jet’aime,Stephen.Endépitdetout,jet’aime…nepuis-jemeretenirdepenser.Maiscetamourn’a
plusrienàfairedansmavie.TUn’asplusrienàfairedansmavie.–Écoute-moibien, commencé-je,d’un ton tranchant, en totalecontradictionavecmesémotions. Je
t’interdisformellementdeleverlamainsurmonmariànouveau.–Émy…–Arrête,avectes«Émy».C’estpathétique,Stephen.Ilfaitunpasenarrièreetmedévisagecommesijevenaisdelegifler.Ceregardmefaitatrocement
mal.Jefaisçapourtoi,Stephen.Pourteprotégeretprotégermaman.–Au lieude te comporter comme ledernierdes imbéciles,mets-toi dans le crâneque je suisune
femmemariée,àprésent,etquejen’aijamaisrienressentipourtoi.Jamais.
–Non,c’est…non…murmure-t-ilensecouantlatête.–Maisqu’est-cequetucroyais,enfin ?lancé-jeaveccondescendance.Tut’esbienregardé ?Tuesun
looser,Stephen.Unpauvretypequin’ariend’autrequesonphysiqueetquin’irapasloindanslavie.J’ail’impressionquelesmotsmebrûlentlalanguetantilssontdouloureuxàprononcer.–Tun’arriverasjamaisàlachevilledeNicolas.Mêmetespetitsrêvessontminables,Stephen.Aussi
minablesquetoi !Nepaspleurerdeluidiretoutesceshorreursesttellementdifficilequej’enfoncelesonglesdansmes
paumesàenavoirmal.–Alors,oublie-moietlaisse-nousenpaix.LafaçondontStephenmeregardeàcetinstant,commes’ilétaitfaceàuneétrangère,mebriseenun
millierdemorceaux.Ladouleur,danssesyeux,estsiacéréequ’elleprendladuretéd’unelamed’acier.MadameDambres-Villiers lâche son fils et nous rejoint, le dos raide et ses fins sourcils froncés
d’indignationetdecolère.–J’ignorequivousêtes,etcelam’esttoutàfaitégal,maisjevousconseillevivementdefairecequi
vousaétédemandé.Partezsur-le-champ.Àcesmots,Stephensortdelatorpeurquilepétrifiaitetserrelesdents.Lespoingscontractés,etsans
mequitterdesyeux,illâchesombrement:–Vousavezraison.Jemesuistrompésurtoutelaligne,iln’yarienàquoijenetienneici.Sans rien ajouter, il tourne les talons, et s’enva.Àcet instant, j’acquiers la certitude absolueque
c’est la toute dernière fois que je le verrai.C’est ce que je veux, pourtant je suis aussi soulagée quedémolie.Combiendetempscetamourindésirableetinsensémettra-t-ilàs’enaller ?Pourquoifaut-ilquemoncœurmetrahisseàsontourenrestantàcepointéprisdecethommeindignedeconfiancequim’atantfaitsouffrir ?
Jelesuisdesyeuxjusqu’àcequ’ildisparaisse,engardantunvisagelissealorsquejesuisentraindem’effondreràl’intérieur.
QuandStephenesthorsdevuedepuisunbonmoment,etlorsquejemesensànouveauprêteàjouerlacomédie,jemetourneversnosconvives,quisemblentcomplètementsouslechoc.
–Jesuis…jesuisnavrée…dis-jeavecsincérité.Nicolas, mimant le calme avec une perfection effrayante, s’approche demoi et vient faire face à
l’assemblée.Ilposeunemainsurmataille,j’ailasensationquelesgriffesd’unprédateurenmaldesangsesontreferméessurmoi.
–Unsoupirantéconduitquiaeudumalàsupportersadéfaite,lance-t-il.Puis,entournantsonvisageverslemien:–Maiscommentluienvouloir,n’est-cepas ?Mafemmeestuneexquisecréature…Laremarque,enapparencedouceetbienveillante,paraîtrassurer tout lemondeetunlégerventde
soulagementparcourtleparvisdel’église.Pourmoi,c’estunetornadedeterreurquivientdeselever.Jeconnaissuffisammentmonmaripourcraindrelalueurvenimeuseethaineusequiallumesesprunelles.Marespirations’accélèreetlapeurmesaisitàlagorge.Jeredoutelesretombéesquecescandaleaurasurmoi,maissurtoutsurStephen.
–Jevousenprie,chersamis,continuonslafête !reprendNicolas.Nelaissonspascepetitincidentgâcherleplusbeaujourdenotrevie.N’est-cepas,Émelyne ?
Jemeforceàsourirefaiblement.–Oui.Doucement,lesinvitéssemettentenmouvementetvontrejoindreleurvéhiculerespectifpourgagner
lechâteaudeVaux-Le-Pénil,oùsedérouleralerestedesfestivités.Puis tout à coup, je croise le regard de ma mère, où se lisent une multitude de questions et une
profonde incompréhension.Pour la première fois depuis des années, j’ai l’impressionqu’ellemevoit
vraimentetcetéclairdeluciditém’effraie.Iltombeaupiremoment.Jeneveuxpasqu’ellecomprennequoiquecesoitniqu’ellesemetteàdouter,alorsjerassemblelepeudeforcementalequ’ilmeresteetluiadresseunsourirerassurantdesplusconvaincants.Aprèsuninfimefroncementdesourcil,ellefinitparme rendremon sourire et je vois qu’elle est de retour dans sonmonde. En retenant un soupir desoulagement,jelaregardefairedemi-touretsuivrelesautres.
Dèsl’instantoùpluspersonnen’estàportéed’oreilles,jem’adresseàNicolas.– Je suis vraiment désolée ! murmuré-je précipitamment. Je ne savais pas, je te le jure. Je suis
vraimentdésolée !–Oh,maistupeuxl’être,répond-ilsansmeregarder.Cettehumiliation,jetepromets—Tuentends?
–,jeteprometsquetuvaslapayer…–LaisseStephenendehorsdetoutça,jet’ensupplie…Je…jeferaicequetuvoudras,toutcequetu
medemanderas,Nicolas.Maislaisse-le…Monmari inspireprofondément, je le sensvibrerde ragecontremoi.L’air autourdenousdevient
toxique,j’aidumalàrespirer.–Tuessayesdeleprotéger?Vraiment,Émelyne?–Non,je…–N’ajoutepasunmot!m’ordonne-t-ild’unmurmuretranchant.–Tuasgagné,Nicolas, lancé-jemalgré tout.Noussommesmariés, je t’appartienset je tepromets
d’êtrel’épouse laplusservileetobéissantequisoit. Jene tedemandequ’uneseulechoseenéchange.LaisseStephenendehorsdetoutça…
Ilrivesesyeuxdanslesmiens,medonnantlasensationatrocequ’ils’insinuejusqu’auplusprofonddemonâme.Delonguessecondes,iljaugecequ’ilytrouveetj’attendssaréaction,lecœurbattantetuneangoisse indicible aucreuxduventre.Si ceque j’aià lui offrir,moi, ne lui suffit pas, je n’aurai riend’autreàdonnerpourépargneràStephenlefeudesavengeance.
–Bien !annonce-t-il finalement,mefaisantsoupirerdesoulagement.Puisque tume ledemandessigentiment…
Unsouriresombreetdénuédejoieétireseslèvres.–Maisàlamoindreincartade,Émelyne,aumoindrepasdetravers,aupluspetitécart,jemettraima
menaceàexécution.Quecesoitdansunesemaine,unmois,oumêmeunan…MevoilàdoncavecunenouvelleépéedeDamoclèsau-dessusdelatête.Jeviensdefairedonàmon
marid’unautremoyendepression,dontiluserasansdouteàchaqueoccasion.Jenepensaispaspouvoirêtre plus enfermée que je ne l’étais déjà, mais un nouveau barreau vient de s’ajouter à ma cellule.Qu’importe.Detoutefaçon,j’étaisdéjàcondamnée…Aumoinsai-jeréussiàprotégerStephen.
–Allons-y,décrèteNicolas.Allonscélébrerlefaitquetum’appartiennesjusqu’audernierjourdetavie.
Chapitre2
Stephen*
JeregardeÉmysanscomprendre…Commentpeut-ellemefaireça ?Jesaisquejeluiaicachémonpassé,mais jamais je n’aurais pu la traiter de cette façon, jamais ! Je l’aime et la respecte trop pourl’humilierdecettemanièreenpublicetsurtoutdevantsongrosconnarddemari !
Sonmari,jen’enrevienspasqu’ellesesoitmariée…Jerestefigéaumilieudecettefouled’invitéssansvraimentcomprendrecequivientdesepasser.Ou
peut-êtrequejerefuselaréalitéetquejenepeuxaccepterlerejetd’Émy.Elles’estmariéeaveccetypeaprèstoutcequ’illuiafait…etmerepoussecommeladernièredes
merdesalorsquejel’aimecommeunfou,quejesuisprêtàtoutsacrifierpourelle.J’enarriveàdouterdesonamourmaintenant…Siellem’aimaitvraimentaurait-ellepuépousercemonstre ?Et prendrait-ellesadéfense ?
Jesecouelatêteenmepassantunemainsurlevisagepouressuyerlesangquicouledemalèvre.Uneprofondedouleurm’écraselecœur.J’ignorelesouriresatisfaitetprovocateurdesonsalopard
demari. J’ignore aussi les chuchotements et les regards de stupéfaction de cette assistance qui nousentoure.Jereculed’unpaschancelantensentantmapoitrineseserreràlalimitedusupportable.Jemerendscomptetoutàcoupduridiculedelasituation…Jeviensdem’humilierdevantunefouledegensquim’observent comme si j’étais complètement dingue. Émy ne m’a jamais aimé, je me suis totalementtrompésurelle.Moil’hommeexpertenfemmes,quienabaiséplusquel’onnepeutl’imaginer,jemesuisfaitroulerdanslafarine !Jen’enrevienspasd’avoirétésiaveugle,sistupide.Elleavait l’airsisincèrequejesuistombédanslepanneau !
Jeplongemesyeuxunedernièrefoisdanslessienspourêtresûrquejenemetrompepas.Maisenlavoyantdétournerleregard,jeréalisequejenelaconnaispasaussibienquejelecroyais,etquej’aitoutfauxdepuisledébut.Quandjepenseàtoutcequejeluiaiconfié…Commeuncon,jeluiaimêmeparlédeJulie ! Je fais volte-face etm’éloigne précipitamment de cette église qui restera le témoin du pirecauchemardemavie.Endescendantlesquelquesmarchesquimènentaupetitparcadjacent,jedécouvreVanessablanchecommeunlinge.J’essuierapidementmeslarmes,jen’aimepasmontrermesfaiblesses,jen’aipasbesoindelapitiédequiquecesoit.
–Qu’est-cequetufaislà ?demandé-jeenpassantdevantelle.Elleattrapemonbraspourmestopperdansmacoursefolle.Jemefigeetlaregardesanscomprendre
cequ’elleveut.–Jesuisdésoléepourcequis’estpassé,j’étaislà,j’aitoutvu…Ellen’avaitpasledroitdetetraiter
decettefaçon !–Jeneveuxplusjamaisentendreparlerdecettefichuegonzesse !Commentm’as-tutrouvé ?–J’aicherchéÉmydanstouslesendroitspossiblesetinimaginablesetquandjemesuisrenduechez
samère,unevoisinem’ainforméedumariageetdulieu.Jemedoutaisbienquejet’ytrouverais,mais…pasqu’Émyseraitsiméchanteavectoi…
Je lâche un soupir en essayant de décontracter mes muscles tendus par cette situation qui m’acomplètementéchappé.
–Dégageonsd’ici,luidis-jeenl’entraînantverslasortieduparc.
–Jesuisgaréeplusloinlà-bas,m’indique-t-elleenmedésignantunesuperbedécapotableaucoindelarue.
–TupeuxmedéposerauStJames,jedoisrécupérermavoiture ?–Onvafairemieuxqueça !OnvaallersedéchirerauStJames !–Trèsbonneidée,réponds-jeenmontantdanssonvéhicule.Nous restons silencieux durant le trajet, chacun perdu dans ses propres pensées, toutes sûrement
reliéesàÉmy.J’aibeautoutfairepourmel’ôterdel’esprit,rienn’yfait.Jesuissiaccabléquejenesaispascommentjevaisfairepoursortirlatêtedel’eau.Jevaisdevoirreprendrelecoursdemamisérablevie. J’avaisannulé tousmes rendez-vousdecesdernières semaines…jenepouvais toucheruneautrefemmeenétantavecÉmy,c’était plus fort quemoi.Maismaintenant, plus riennem’arrêtera ! Je vaisenchaînerclientesurclientepourvitemebarrerd’ici !
Vanessasegaredevantl’établissementquivaêtretémoindelapirebeuveriedusiècle !JesuisbiendécidéàfaireuncomaéthyliquepourenfinmesortirÉmydelatête.Mêmesijedoismemettredansunétatpitoyablepouryparvenir,cen’estpasunproblème,jenesuisplusàunehumiliationprès.
La terrasse est pleine demonde, ce qui est normal pour un samedi.Nous nous faufilons entre lesclientsetprenonsplaceànotretablehabituelle,toutaufond,dansuncointranquille.D’ici,nousvoyonstoute la salle et sa piste de danse, tout en étant à l’écart, c’est parfait. Je ne suis pas d’humeur àmemélangeraux fêtardsniàparleràquiquece soitd’autrequeVanessa.Elle seulecomprendceque jetraverse,puisqu’ellevitàpeudechoseprès lamêmechosequemoi.Elleaussiaétérejetée.Émyl’achassée de sa vie sans que Vanessa puisse s’expliquer. Je ne dis pas que ce qu’on a fait est biencependantnousavionsaumoinsledroitdejustifiernosactes.Maisnousn’avionsapparemmentpasassezdevaleuràsesyeuxpouravoirceprivilège.Maisàcôtédecela,ellepardonneàsonmarilefaitd’avoirétévioléeetd’êtretraitéecommeunemoinsquerien…C’estànerienycomprendre !
J’ail’impressiond’avoireuunerelationavecuneinconnue.Jemesuisfaitmanipulerdepuisledébut,quelleironiequandonypense…Vanessacommandeunebouteilledewhiskyaccompagnéedesoda,dechipsetdecacahuètes.
–C’estjourdefête,lance-t-elleenvoyantmonregardsurpris.– Jen’auraispasdit çacommeça,mais tuas raison !Portonsun toast en l’honneurdenos jeunes
mariés:longuevieàleurmariage,qu’ilsoitremplid’embûchesetdemalheurs,conclus-jelavoixpleined’amertumeavantdeboiremonverreculsec.
–Jenepouvaispasdiremieux !répliqueVanessaenm’imitant.–Crois-tuvraimentquecemariagevamarcher ?–Jamaisdelavie !Émyvasouffriretendurertoutcequesonlamentablemariluifera.Toutçapour
quoi ?Pourprotégersamèreetnouspuniraupassage.–Jepouvaislesmettreàl’abridubesoinelleetsamère,jeluiaimêmeproposé.J’aidel’argentde
côté,j’étaisprêtàtoutluidonner…Quelimbécile,jesuis.–NedispasçaStephen.Tuesquelqu’undebienmalgrécequejepensaisdetoiavantdeteconnaître
unpeumieux.–Ouais,apparemmentpasassezbienpourelle…–Ellenesaitpascequ’elleperd !C’est marrant comme quelques petits mots peuvent vous réchauffer le cœur même venant d’une
personnequel’onconnaît trèspeu.Jeplongemesyeuxdanslessienset luisouris.Cesourireestmonpremierdepuisqu’Émym’aabandonnésurcemaudittrottoirlaveille.Etçafaitdubienquandonestaufonddutroud’avoirunemaintendue.
–Merci,réponds-je,gênéennousservantdeuxautresverres.–Jelepense,maisneprendspaslagrossetêtenonplus !rajoute-t-elleensouriantàsontour.–Çanerisquepasd’arriver,surtoutpasaujourd’hui…
–Jesuisdésoléepourtoi,c’estdemafaute,dit-elleenposantsamainsurlamienne.–Pourquoi ?–Parcequec’estmoiquiaifaitentrerÉmydanstavie.Sansmoi,voscheminsneseseraientjamais
croisés.–Ouipeut-être,maiscrois-tuquej’auraisétéplusheureux ?Jen’ensuispassûr…Detoutefaçon,ma
vieestunnidàmerde !Tusaisquej’avaistoutarrêtépourelle,quej’avaisannulétousmesrendez-vousparcequel’idéedetoucheruneautrefemmemedégoûtait ?
–Nonjenesavaispas…–Toutçapourquoi ?Pourunefemmequis’estserviedemoietm’amenti !–Ellen’estpascommeça !Je laconnaisdepuisassez longtempspoursavoirquecen’estpasson
genredesemoquerdesgens.– Alors comment appelles-tu ce qu’elle nous a fait, ce qu’ellem’a fait devant cette église tout à
l’heure ?–Jenesaispas…Jenecomprendspasnonplus.–Commenta-t-ellepusemarieraveccesalopard ?Ill’avioléeputain !m’énervé-je.–Elleréaliserasonerreurtôtoutard !–Ouais…C’estbiendommagepourelle,carpourmoi,ilestaussitroptard !Jereviens,lancé-jeen
sortantduStJames.Jefaisquelquespassurletrottoirenallumantunecigarette.J’aibesoindemecalmerlesnerfs,cette
conversation m’a mis dans tous mes états. Combien de temps me faudra-t-il pour reprendre une vienormale,pouroubliersonvisage,sesyeux,sabouche,l’odeurdesapeau,ladouceurdesescheveux ?Bordel je suis en traindedevenir fou ! Je jettemonmégot et rejoinsVanessa enme jurant quedès lelendemain,jereprendrailecoursdemavieetcontacteraimesclientes.
–TuasdesnouvellesdeGregdemandé-jepourparlerd’autrechose.–Nonetçamevatrèsbiencommeça.–Pourquoi ?C’estunmecsympa.–Ouais,c’estpourcetteraisonquetuletraitesdedébileàtoutboutdechamp ?!–Tumarquesunpoint,réponds-jeennepouvantretenirunsourire.C’estladeuxièmefoisqu’ellearriveàmefairesourire,pourtantilyaencorequelquesheures,jene
pouvaispasmel’encadrer.Commequoiilnefautjamaisjugerlesgenssanslesconnaîtreunpeu.–Non,sansplaisanter,ilestcool !Ilt’aimebeaucoup,tusais ?–Cequ’ilaimesurtout,c’estmoncompteenbanque,ironise-t-elle.–Jenepensepas.Jecroisqu’ilestréellementamoureuxdetoi.Remarquetumediras,ilyaencore
quelquesheures,j’étaispersuadéqu’Émym’aimait…nepuis-jem’empêcherderajouterensentantmoncœursefigerdansmapoitrine.
–Arrêtedetetorturer,çanechangerarienàlasituation.–Oui,tuasraison.Noustrinquonsànosmisérablesexistences,ànosamantspassésetfuturs,ànotreamitiénaissante.Ellemeparledesavieetjeluiconfiemesrêves.–Tonrêve,c’estd’acheterunbarenborddemer ?Jenetecroispas…Cen’estpasunrêveça !–Pourquoi ?–Tupeuxrêverd’êtrerentier,maispasdetenirunbistrot !Tumefaismarcher ?–Jet’assurequejesuissérieux,réponds-je,enrigolantdevantsonairdéconcerté.–Etpourquelleraison ?Qu’est-cequipeutbienpousserunhommecommetoiàvouloirdecettevie ?–Parcequetucroisquemavieactuelleestmieux ?J’habiteuntaudis,jepassemontempsàbaiserde
vieillesbourgeoisescapricieusespourgagnerdel’argentetj’aiperduÉmy…Etmerde…Encoreunefois,mespenséesdériventverscellequej’aimeraisoublier.
–Désolé, je ne voulais pas parler d’elle. Je veuxme la sortir de la tête,mais je n’y arrive pas !m’agaçé-je.
–Jecomprends.Tuveuxqu’onparte ?Nousavonsdéjàbientropbu.– Je… je n’ai pas envie de rentrer chezmoi…confié-je, en détournant les yeux pour cachermon
désarroiàl’idéedemeretrouverseul.–Ah…Quedirais-tudesortirdetontaudisetdevenirchezmoi ?J’aiunechambred’ami.Je la dévisage un instant pour chercher le piège, mais elle semble sincère alors j’accepte. Nous
payonsetpartonsentitubant.Ayanttropbunousprenonsuntaxijusqu’àsasuperbedemeure.Enpassantl’entrée, une foule de souvenirs avecÉmyenvahitma tête. Je la revois s’enprendre àmoi lors de lasoirée d’anniversaire de Vanessa et je me rappelle la façon dont elle vibrait sous mes caresses, unmomentplustard.C’étaitcesoir-làquenousavionséchangénotretoutpremierbaiseretjesavaisdéjàquej’étaisprisaupiègedanssesfilets.
–Tuveuxunautreverredemande-t-elle,enbalançantsonsacàmainsurl’immensecanapéencuirnoir.
–Oui,jeveuxbien,çam’aideraàdormir.–OK,jereviens,jevaismemettreàl’aise,installe-toi.Jelaregardepartiretmelaissetomberlourdementsurledivan.Latêteenarrière,jefixeleplafond.
Je vais boire un dernier verre et essayer de dormir quelques heures avant d’affronter une nouvellejournéesanselle.Dèsdemainmatin,jecontactemesclientesetremplismonplanning.Jevaism’occuperl’espriteteffacerlestracesd’Émysurmoncorps,enbaisantunemultitudedefemmes.Jevaisencaisserunmaxdeblépourvitemecasserloindecettevilleetsurtouttrèsloind’elle.
Vanessarevientpiedsnus,avecpoursimplevêtementsurledos:unepetitenuisetteensatinnoirluicouvrantàpeinelesfesses.Jemedisqu’àunecertaineépoque,j’auraisfaitmonmaximumpourlamettredansmonlit.Maislà,jelafixesanslemoindredésir,jesuiscommemortàl’intérieur.Jeneressensplusriend’autrequedelacolère,dudésarroietdelatristesse.
–Nefaispascettetête,jenevaispastesauterdessus !lance-t-elleenvoyantmonregardbraquésurelle.
–Cen’estpascequetupenses.–Alors,dis-moiàquoitapetitetêtepensait?–Jepensaisquesi tu t’étaisbaladéedevantmoidanscette tenue,quelquessemainesenarrière, je
t’auraissansdoutebaisésansétatsd’âme,laprovoqué-je.–Encore aurait-il falluque tumeplaises ! rétorque-t-elle, en sepenchantoutrageusement en avant
pourattraperdesverressoussonbar.Jedétournelesyeuxduspectaclequis’offreàmoi.Nonqu’ilsoitbeau,maisjen’aipaslatêteàçaet
jeconnaisassezbienVanessapoursavoirquecen’estquedelaprovocation.–Nemelancepasdedéfi…Regardeoùm’amenéledernier !–Ouais…Detoutefaçon,jeplaisantais,jem’habilletoujourscommeçachezmoi.N’yvoisaucune
proposition.–Jem’endoutais.Elle me tend un verre en cristal à moitié rempli d’un liquide ambré et s’installe à mes côtés en
repliantseslonguesjambes.–Comment une jolie femme comme toi, pleine aux as n’est pas encoremariée avec une chiée de
gamins ?demandé-jecurieux.–Jepourraisteretournerlaquestion !– Pourmoi, c’est un choix à cause demes activités.Quand j’aurai assez de fric et que… j’aurai
rencontrélabonnepersonne,jemecaserai !–Moijen’aipasrencontrélabonnepersonne.Lagentmasculines’intéresseàmoiuniquementpour
monargentoupourmaplastiqueparfaite,dit-ellelavoixpleined’amertume.Tucroisquejen’aimeraispas avoir un homme à mes côtés, une épaule sur laquelle pleurer, une personne sur qui je pourraiscompteretàquijeconfieraismesjoiesetmespeines ?Maistuesbienplacépoursavoirquel’onn’apastoujourscequ’ondésiredanslavie.
Elle baisse ses yeux pleins de larmes et bois une grande gorgée de whisky en grimaçant. Je ladévisage,touchéparsesconfidences.Finalement,ellesembleaussiseuleetdésespéréequemoi.
Nousavonspeut-êtrebienplusdepointscommunsquenouslepensons.–Bon,jetemontreoùdormir ?–Oui,ilfautquejemerepose,demainj’aipleindechosesàfaire.–OK,suis-moi.Nousmontonsquelquesmarchespuisellem’entraînedansunlongcouloir.Elleouvreuneporteetme
dit:–Voici ta chambre, ici tu as une grande salle de bains avec tout ce qu’il faut, conclut-elle enme
désignantuneautreporte.–Merci.–Derienetsitufaisdescauchemars,lamienne,dechambre,estauboutducouloir…Non,jerigole !
Débrouille-toi,plaisante-t-elleensortantdelapièce.–Faisattentionjepourraispresquetetrouversympa !répliqué-jeensouriant.–Jesuistellementsympaquemameilleureamies’estdébarrasséedemoisanshésitation.Elle tourne les talons et part sans unmot de plus. Je ferme doucement la porte et me déshabille
commeunautomate.Jemerendsdanslasalledebainsetouvrelesjets.Jem’appuiecontrelavasque,pourme regarder dans lemiroir le tempsque l’eau chauffe. Jeme fais peur ! Je suis livide, les yeuxcernés,lescheveuxtroplongsenbataille.Jamaisdemavie,jen’aieusimauvaisemine.Émym’adétruitaussibienàl’intérieurqu’àl’extérieur…
Jelâcheunsoupirdedésespoiretmepositionnesouslesjetsbrûlants.Jeposemespaumescontrelafaïenceetmepencheenavantpourfaireglisserl’eausurmesépaulesetmondos,commesiçapouvaiteffacertoutel’humiliationetlapeinequim’onthabitétoutelajournée.Voyantqueriennechangeetquejemesensaussimalqu’auparavant,jeprendslegeletcommenceàmesavonner.Quelquesminutesplustard, je sors de la douche une serviette autour de la taille et décide d’aller chercher un verre d’eau.Doucement, sans faire de bruit, je pars à la recherche de la cuisine. Je la trouve assez rapidement.J’attrapeunegrandebouteilled’eaudanslefrigo,ilmefaudrabiençapourlanuit,avectoutl’alcoolquej’aiingurgité.
Jereprendsladirectiondemachambre,maismonattentionestattiréepardessanglots.Surlapointedes pieds, j’avance jusqu’au fond du couloir et colle mon oreille à la porte. J’entends des plaintesétouffées, des gémissements. Vanessa semble vraiment malheureuse. Je recule en direction de machambre,puis,prisderemord,jem’avanceànouveaupourfrapperdoucementetm’annoncer:
–Vanessa,jepeuxentrer ?demandé-jesoucieux.–Oui,balbutie-t-elle.Jeladécouvrerecroquevilléesursonlit.Unelampedechevetdiffuseunelumièretamiséedanstoute
lapièce.Jelaisselaporteouverteetm’approchelentement,pourm’asseoiràsescôtés.–Jesuisdésolée,baragouine-t-elleentreseslarmes.–Cen’estpasgrave,c’estnormalquetucraques,jet’aitrouvéefortetoutelajournée,j’enarrivaisà
medemandersitutenaisvraimentàÉmy.–Jel’aiperdue,ellenemepardonnerajamaiscequejeluiaifait,sanglote-t-elle.Jeprendssamaindanslamienneetj’essayedelaconsolercommejepeux.Jenesuispashabituéà
cegenredesituationetçamerendmalàl’aise.ÇamefaitmaldevoirVanessadanscetétat,jesaiscequ’elleressent,moi-mêmejesuisbriséenmillemorceaux.
–Tuveuxquelquechose ?Unverred’eau ?demandé-jeinquiet.–Nonçava,jeveuxjustedormir,çairamieuxdemain.–OK,jetelaisse,commencé-je,enmelevant.Je…–Non,mecoupe-t-elleenattrapantmamain.Resteavecmoicettenuit…justeenami…Jeladévisage,hésitant,puisdécidederesterauprèsd’elle.Detoutefaçon,jedoisbienadmettreque
moiaussi,jeneveuxpasêtreseul.–Jereviens,dis-jeenpartantdansmachambrerécupérermoncaleçonetmontee-shirt.Quelquesminutesplustard,jem’allongesouslesdrapsàcôtéd’elle,unpeudéstabilisé,jegardemes
distances,jenevoudraispasqu’elles’imaginequoiquecesoit.Maisquandellevientsecolleràmoietm’encerclerdesonbras,jetressaille.
–Vanessa…je…–Net’inquiètepas,jeveuxseulementdormir,Stephen.Netefaispasdefilm,tun’espasplusmon
genremaintenantqueplustôtdanslajournée !J’aijustebesoind’uncâlin.Rassuré,jemedétendsetpasseunbrassoussatêtepourl’enlacer.Unpeud’affectionn’ajamaisnui
à personne, et en fermant les yeux, je pourrais presque m’imaginer que c’est Émy. Presque… J’aibeaucoupdemalàtrouverlesommeilcettenuitetmelèvelematinavecuneénormegueuledebois,unefoisdeplus.Vanessadortencore.Jerabatssurellelesdrapsetparsdanslacuisineàlarecherched’unemachine à café ! J’en repère une, fort heureusement… je neme voyais pas commencer cette nouvellejournéesanscaféine.Pendantquematasseseremplit,jeconstatequecettenuitn’arienchangé,jesuistoujoursaussimaletcettedouleurquim’oppressen’estpaspartie.Ellesembleencoreplusprésenteetplusancréeenmoi,commepourmedirequejamaisjenemedébarrasseraid’elle.Ellemecomprimelapoitrineetmenouelagorgeenmeprenantauxtripesaupassage.
Jesoupireetsoupireencoreàl’idéedecettejournéequim’attend.Jenepensaispasqueceseraitsidifficile de retourner dans mon sordide quotidien. Je vais devoir recontacter toutes mes clientes etremettreunplanningenplace.J’angoisseàl’avancededevoirtoucheruneautrefemme.Maisilvafalloirque je prenne surmoi et que j’assumemamisérable vie jusqu’au bout. Si je veux réalisermes rêvesrapidement,jedoisreculerdevantrien.Émyétaitunaccidentdeparcours,maisc’estterminé,plusriennesemettrasurmaroute.
–Tuesbienpensifcematin,lanceVanessaenentrantdanslapièce.–Oui,jepensaisàtouteslesclientesquejevaisdevoircontacteraujourd’hui…grogné-je.–J’ail’impressionqueçaneteréjouitpas !–Pasvraiment !Essaiedebaiseravecunhommealorsquetuenasunautreentêtequit’obsèdeette
hante !ironisé-je.Encoreunefois,jesuissurprisdelafacilitéaveclaquellej’arriveàluidirecequej’aisurlecœur.
Vanessapourraitbiendevenirunegrandeamiesansquejem’enaperçoive.–Ouais,jecomprends.Maisenmêmetemps,c’esttoiquit’imposesça.–Tuconnaisd’autresfaçonsrapidespourgagnerdel’argent,pourquelqu’uncommemoiquin’apas
dediplôme ?–Non…–Donc,j’assume.Etjevaisreprendrelecoursdemavielàoùjel’avaisarrêtéenrencontrantÉmy.–Moiaussi,d’ailleursjedoispartir,situveuxrevenirdormirlà,cesoir,tupeux !–Merci, mais je vais essayer d’avoir un rendez-vous pourme remettre dans le bain le plus vite
possible.–OKàbientôtalors,lance-t-elleensortantdelacuisine.Jemeretrouveseuletdécidederentrerchezmoi,pourmeprépareràaffrontercesheures,cesjours,
cesmoisàvenirsansÉmy…
Chapitre3
Émy*
Lecoupestpartisansquejelevoievenir.Dudosdelamain,ilm’afrappélajoue,assezfortpourme faire tomber en arrière. Toujours vêtue de ma robe de mariée, je me suis retrouvée assise surl’immense lit de notre suite nuptiale, sonnée, sous le choc, des larmes brûlantes plein les yeux.Nousétionsmariés depuis quelques heures à peine, etmon époux venait de lever lamain surmoi pour lapremièrefois.
Jesavaisquej’allaispasserunenuitdenocesabominable.Commentaurait-ilpuenêtreautrement,puisquejelapassaisavecunhommequejehaïssais ?Maisj’étaisloind’imaginerqueceseraitaussidur.Unefoislescoupesdechampagnevidéesetlesinvitéspartissecoucher,Nicolasn’avaitplusdetémoinsetilapulaisserlibrecoursàsacolère.Ilétaithorsdelui.SonaltercationavecStephenl’avaitrendufouderageetj’étaisdevenuelacibleparfaite.
«Tun’esplusunesimplepute,Émelyne !Tuesmafemme ! ».Voilàcequem’aditmonmariavantdem’ordonnerderetirermarobeetdememettrenue.
«Pluspersonned’autrequemoineposelamainsurtoi,tuascompris ?TUESÀMOI ! ».Etvoilàlesmotsqu’ilaprononcésavantdem’allongeretdem’écarterlesjambessansménagement,pourprendrecequiluiestdésormaisdû.
Deboutdevantlafenêtredecequefutmonappartementplusieursannéesdurant,jemeremémorelesévénementsdelanuitdesamedi,mapremièreentantquefemmemariée.MessouvenirsontladuretédelamaindeNicolas, l’odeurdesoneaudeColognehorsdeprixque jene tolèrepluset le sondeseshalètementsécœurantsaucreuxdemonoreille.Violence,honte,dégoûtetdésespoir.Voilàcequ’ilmeresteradujourdemonmariage.Ai-jeencoreétévioléeparmonmari,cettenuit-là ?Est-celetermequiconvient ?Peut-être,jenesaispas.Jenevoulaispaslelaissermetoucher.Pire,soncontactmerévulsait,jemesuismordulalèvrejusqu’ausangpournepaspleurerenattendantqu’ilsevide.Pourtant,jen’airienfaitpourl’arrêter.Jemesuisdonnéecommeonjetteunmorceaudeviandemorteàunchiengaleux,sansaucuneenvieetavecrépugnance,maisdonnéequandmême.
Unevoixs’élèvederrièremoi,metirantdemespenséesetm’arrachantaupaysageurbainquiétaitjusqu’àpeumonquotidien.
–C’estbonpourvous ?Jemeretourneetvoisquemonpropriétairem’attenddansl’embrasuredelaportemenantàl’entrée.–Oui.J’arrive.Jejetteunregardcirculaireautourdemoi,surcequ’ilneconvientplusd’appelermonsalon.Jeme
sentaistellementensécurité,ici…Commedansunebulledouilletteetprotectriceoùriennipersonnenepouvaitm’atteindre.Uncocon,uneîleloindetout,unendroitquin’appartenaitqu’àmoi.Àprésent,monîleaprisl’eauetaétéengloutieparuntsunamidunomdeNicolasDambres-Villiers.Monappartementestentièrementvide.Monimposantcanapémoelleuxainsiquelatotalitédemesmeublessontpartisjenesaisoù,làoùmonmariadécidédelesenvoyer.Certainementàladécharge…
Mespasrésonnenttristementdanslapiècelorsquejelatraversepourrejoindremonpropriétaire.Lecœurserré, je lui tendslesclés.J’ai l’impressiondedéposerdanssamainlesdernièresbribesdemalibertéperdue,leslambeauxdemonbonheurpassé.Ilnemeresteplusrien.
–Toutestenordre,dit-ild’untonneutre,sanssavoircequetoutcelareprésentederenoncementpourmoi.Tenez,voilàvotrechèquedecaution.
Jemesaisisdupetitmorceaudepapier.Mille-huit-centseuros.Tiens,maintenantjeconnaisleprixdemaliberté.Cette matinée ensoleillée de juin déverse par les fenêtres une lumière chaude et dorée, qui
m’enveloppejusqu’àcequejegagnelepalier.–Ah,aufait,lancemonsieurLopezdepuislesalon.Félicitations,pourvotremariage !«Toutesmescondoléances»mesembleêtreuneformuleplusadaptée,songé-je.Jeneluirépondspas,mecontentantdeluisourirevaguement,duboutdeslèvres.Puisjerefermela
porteetmeretrouvedanslasemi-obscuritédupalier.Lenoir,lefroid.Pourtoujoursetàjamais.Mesvêtementssont rangésdans ledressing,mes livrescachésdansunplacardparceque«çafait
désordre», et lesquelques affairesque j’ai emportéesont elles aussi trouvé leurplace làoù« çanegênerapas». Jemesens si lassequechaquegestemecoûteet j’aimisun temps fouàaccomplir cessimplestâches.Moncorpsestlourdalorsquejedéambuledansl’immenseapparemmentdeNicolas,nesachantquefairedemoi-même.Parbonheur,jesuisseule,puisquenoussommeslundietquemonmariestparti travailler. Ilavaitdesobligationsauxquelles iln’apaspusesoustraire,pourmonplusgrandsoulagement.
J’aipeurdumomentoùilrentrera.Depuislanuitdesamedietcecoupquiatoutchangé,laprésencedemonmarim’estdevenueintolérable.Avant,jenelesupportaispas.Àprésent,jelehais.Ilafaitdemoiunechosesansâme,etlepire,c’estquejeluiaimoi-mêmedonnétouteslescléspourparveniràsesfins.Mevoilàpiedsetpoings liés, enferméedanscette existence toxiquequim’empoisonnera jusqu’àmonderniersouffle.J’aicroquélapommeentouteconnaissancedecause,maisjenepensaispasquesongoûtseraitàcepointfielleuxetdétestable…
Jetombesurlecanapédesign,dontl’assisemesembleaussidurequ’unsacd’os,etmerecroquevillesurmoi-même.J’aihonte…Hontedel’avoirlaissémefrappersansréagir,honted’avoiràcepointpeurdeluietdecequejesuisdevenue.
Pourtant, je ne partirai pas. Que pourrais-je trouver, ailleurs, qui n’est pas également source dechagrin ?J’aitoutperdu.Mameilleureamiem’atrahieetavendumoncœuràunmenteur.
Stephen…Sonvisagesurgitdansmespenséesetuneboulededouleurexplosedansmapoitrine.Malgrélefait
qu’ilm’aitmenti et qu’il se soit joué demoi comme le pire des salauds, l’amour que je lui porte nesemblepasvouloirdisparaître.J’aibeausavoirquejemesuiséprised’uneimage,d’unmensonge,rienn’yfait.Quelleidiotejesuis !Jevoudrais l’arracherdemoncœur,fairemourir tous lessouvenirsquej’aidelui !Àlaplace,jeressenstoujourssonabsencecommeunedéchirure.L’hommequ’ilaprétenduêtrememanqueàenavoirmalauxtripes,j’ail’impressiond’avoiruntroubéantàl’intérieurmêmedemoncorps.
Ilm’a dit ce que je voulais entendre etm’a bercée de fausses promesses pour honorer son fichucontrat.Jen’aiétéqu’unarrangementjuteux.Maisàcausedelui,j’yaicru.J’aivraimentpenséquejepourraisêtreheureuseetvivreauprèsd’unhommebiendontjeseraiséperdumentamoureuse.Maintenant,c’estencoreplusdifficile.Quandtoutestnoirdepuistoujoursetqu’iln’yaplusd’espoir,onoublielegoûtdubonheur.MaisStephenarapportéunpeudecettesaveursidoucesurmeslèvres.Mêmesielleétaitartificielle,ellem’aparuvraieletempsdequelquessemainesetàprésent,l’amertumedeNicolasm’estjusteintolérable.
De rage et de désespoir, j’attrape la pile demagazines posée sur la table basse devantmoi et labalanceàtraverslapièce.Lasseau-delàdetout,enproieàunedouleursuffocante,jemelaisseallersurlecanapé,sanspouvoirretenirmeslarmes.
Jepleureenimaginantlaviequej’auraispuavoirsiStephenavaitétésincère.Jedonneraitoutpourmesentiraiméeetensécuritéànouveau,pourlevoirmesourire,pourmeretrouverentresesdrapsdansson appartementminable. Jememets à rêver d’unmonde où ilm’aurait aimée aussi fort quemoi jel’aime,etoùj’auraispassémesjournéesàessuyerdestablesetservirdescafésaveclui…Unmondeoùj’auraistoujoursmameilleureamieàmescôtés.
Unsimpleregardautourdemoimeramèneàlaréalité.Jesuisseuledansunappartementluxueuxquejedétesteetoùjemesenscommeuneétrangère,unappartementoùjen’airiend’autreàfairequ’attendreleretourd’unépouxquej’exècreetquimeterrifie.Ets’illuiprenaitl’enviedeleverlamainsurmoiànouveau ?Quepourrais-jeyfaire ?Rien.Voilàlatristevérité.Mamanabesoindemoi.Merebellerlamettraitendanger,ainsiqueStephen.Detoutefaçon,jenem’ensenspaslaforce.Jesuisvide,ilneresteriendemoi.Niénergie,nicourage,niespoir.
J’ai la sensationde glisser vers le néant, d’avoir à l’intérieur ungouffre noir quim’aspire petit àpetit.Jefermelesyeuxpourneplusvoircequim’entoureetmelaisseallerdansmonchagrin.Ilesttropfort,jen’arriveplusàlutter.
Laported’entrées’ouvreunpeuavantvingt-deuxheures.Jesursaute.Jemelèveducanapé,quejen’avaispasquitté,etfaisquelquespasprudentsdanslapièce,sanssavoircommentréagir.Jen’avaispasréaliséqu’ilétaitsitard !J’aimêmeoubliédemanger.
Nicolasfaitrapidementsonapparitiondanslesalon,levisageferméetlessourcilsfroncés,avecsavestedecostumesurlebras.Untrèsdésagréablefrissond’appréhensioncourtsurmapeau.
–Bonsang,tuvisdanslenoir,àprésent ?Effectivement,lalumièrecommenceàdéclineretlesalonbaignedanslasemi-obscurité.Ilsoupireet
va attraper la petite télécommande qui actionne les lampes.Cette soudaine luminositém’agresse et jeclignedespaupières.Puis,sansdireunmot,monmari renifled’unefaçonquimefaitcomprendrequequelquechoseledérange.Lorsquejeposemonregardsurlui,jeconstatequ’ilmefixed’undrôled’air.
–Tuaspassélajournéecommeça ?mequestionne-t-ilsèchement,endétaillantmatenue.Jebaisselesyeuxsurmondébardeurnoir,monjeanetmespiedsnus.–Oui,je…j’aifaitdurangement,aujourd’hui.–Et ?–Et…c’étaitplusconfortable.La bouche de Nicolas se tord une seconde et ses yeux gris se voilent de mécontentement.
Soudainement,jeressenslebesoinurgentdemejustifier.–Oui,jesais,cen’estpastrèsféminin,mais…Illèvelamaindevantluipourmefairetaireetj’obéisàcetordresilencieux.Monrythmecardiaque
s’accélèreetmabouches’assèche.Jereconnaiscettebrumenoirequisembles’éleverdanslapièceetl’éclatdurqu’ontprislesyeuxdemonmari.
–Émelyne,ilfautquetucomprennesquelquechose,commence-t-il.J’aipasséunejournéedifficile,parcejetravaille,figure-toi.J’aidesobligationsquimepèsent,surtoutencemoment.Tusaisquejesuissuruncontratarduquipourraitnousouvrirlaportedumarchéallemand.
–Oui,je…–TOUTce que je te demande, à toi, qui n’as rien d’autre à faire de tes journées, c’est d’être un
minimumprésentablelorsquejerentre.Est-cetropdemander ?–Non,c’estjusteque…–«Justeque»quoi ?répète-t-ilenmimantmavoix.Quetuestropfainéantepourfaireplaisiràton
mari,quisetueàlatâchepourt’offriràtoietàtaplaiedemèreuneviedorée ?Quivapayerleloyerdesontaudislemoisprochain,hein ?
Sontonestdeplusenplustranchant.Jevoissacolèregrandir,maisnesaispasquoifairepourlecalmer.
–Qui,Émelyne ?–Toi,Nicolas,dis-jeentremblant.Humiliée.Voilàcommentjemesensàcetteseconde.Pourtantjemesoumetssansmebattre…–Oui,moi !Exactement !Alors,parpitié,pourrais-tuaumoinsavoirlacorrectiondetefairebelle
pour tonmari,qui travaillesidurpour toi ?Nousne sommesmariésquedepuisdeux jours,nomd’unchien !Tunevaspasdéjàcommenceràtelaisseraller !Àmoinsque…
Saphraseresteensuspens.Ilavanceunpeuetjerelèvelatête,necomprenantpaslaraisondesonsilencesoudain.
–Pourquoin’es-tupasaussiapprêtéequed’ordinaire,Émelyne ?–Quoi ?Ilcontinueàapprocheretjefaisunpasenarrièresanspouvoirm’enempêcher,parréflexe.Sijene
comprendspasoùilveutenvenir,jesensvenirlesproblèmes.Savoix,lafaçondontilmedévisage,lamanièredontsesmâchoiressecontractent…Cespetitsélémentsmisboutàboutsonnentàmesoreillescommeunsignald’alarme.
– J’ai dit : « Pourquoi n’es-tu pas aussi apprêtée que d’ordinaire ? » Hum ? Il y a une raisonparticulièreàcela ?
–Non,je…jetel’aidit,j’aifaitdurangement…–Ah, oui ?Ou alors…peut-être que tu n’estimes pas nécessaire de te donner autant demal pour
plaireà tonmariquetut’endonnaispourplaireàl’autremerdeuxavecqui tut’envoyaisenl’airdansmondos ?
Monsangsefigedansmesveineset l’airdésertemespoumons.JeregardeNicolassansriendire,mespenséesgeléesparlapaniqueglacéequim’envahit.
–Alors,Émelyne,j’aiviséjuste ?–Non,enfin…réussis-jefinalementàarticuler.Qu’est-cequetuvasimaginer…Nicolass’arrêteenfacedemoietdardesesyeuxgrisdanslesmiens.–Nemeprendspaspouruncon,tuentends ?Jedéglutispéniblement,lecœurauborddeslèvres.–NEMEPRENDSPASPOURUNCON !mehurle-t-ilauvisage.Alorsquejefaisunpasenarrière,lamaindeNicolasserefermesurmonpoignetetjeretiensàpeine
unpetitcrid’effroi.–Tunetefaisaisbellequepourallerbaiseravectonlooser ?Hein,Émelyne,c’estbiença ?Soudainementagitéedetremblementsincontrôlables,jesecouevivementlatête.–Non,biensûrquenon !medéfends-jed’unevoixtropétranglée.–Cemecestunmoinsque rien ! crache-t-il en resserrant saprise surmonpoignet.Une loque,un
déchet,unparasitetoutjustebonàlécherlessemellesdemeschaussuresquandjemarchedanslamerde !–ARRÊTE !crié-je.Stephenn’estriendetoutça !La réplique est sortie toute seule, mais je la regrette aussitôt. Comme pour m’imposer, trop
tardivement, le silence, jeplaquemamain libresurmaboucheensecouant frénétiquement la tête.Lesyeuxagrandisparlapeur,jevoislevisagedemonmariprendreuneexpressiondefureurmélangéedestupéfaction.
–Tu…tul’aimes,Émelyne ?C’estça ?Tuesamoureusedecepauvretype ?–Non,non !Pasdutout !Jet’assureque…–J’aidit…NEMEPRENDSPASPOURUNCON !Samainnelâchemonpoignetquepourprendredel’élan.Le premier coup de monmari me laisse à genoux sur le parquet ancien, le souffle coupé et une
douleur cuisante à la joue.Ma peaume chauffe comme si onm’avait jeté un charbon ardent en pleinvisage. Je fixe les pieds de Nicolas, les bras le long du corps, pantelants, trop lourds pour que je
parvienne à les bouger. Je suis sonnée, presque anesthésiée. Je n’ai pas le temps deme ressaisir queNicolasm’attrapepourmereleveravecunebrutalitéinouïe.
Son visage est presque méconnaissable, empreint d’une telle rage qu’il ressemble à une bête. Jecomprendsalorsqu’iln’enapasfiniavecmoietouvrelabouchepourlesupplierd’arrêter.Maislànonplus, jen’enaipas le temps.Undeuxièmecouppart, lemondes’éteintuneseconde. Ilm’a frappée àl’œil.Mesjambesnemeportentplus,jemanquedem’effondrer.C’estmonmariquimeretient,enmeserrantsifortlebrasqu’ilmefaitmal.
Jesuis terrorisée, je souffre, j’ai l’impressiondenepluspouvoir respirer.Toutvacille et trembleautourdemoi,j’ailanausée,jenesaisplusoùjesuis.
–Tumedégoûtes,Émelyne !éructeNicolas,essoufflé.Tuneméritespaslenomquejet’aidonnéent’épousant !Unevulgairepute,voilàcequetuesetcequeturesteras !
Ilmelâcheenfinetjem’effondre.–Reprends-toi.Sinonjetejurequetoiettasalopedemèrevousretrouverezsurletrottoir,làoùest
votrevéritableplace.Tuascompris ?Jen’arrivepasàparler,lesmotsbloquésdansmagorge.–Tuascompris ?répète-t-il.–Oui,oui…murmuré-je.Aprèsunepoignéedesecondes,quimesembledurercentans,leparquetgrincesoussonpoidsetil
finitpars’éloigner.Jerestelà,allongéeàmêmelesol,incapabledefaireungeste,lecorpsetl’espritbrisésparNicolas
Dambres-Villiers.Monmari.Cen’estquelorsqu’unegoutted’eauglissesurlapeaudemonpoignetquejeréalisequejesuisentraindepleurer.
Les larmes dévalentmes jouesmeurtries en cascade, et en silence, comme si elles-mêmes avaienttellementhontequ’ellescherchaientà se rendreaussidiscrètesquepossible.Pourtant,mapeineetmadouleursontsiintensesqu’ellesmebroientsurplace.
Quandjemerelève,quelquesminutesplustard,moncorpstoutentierestendolori.Jetitubelelongducouloirpourrejoindrelasalledebains,automateunpeudérégléquinesaitmêmeplusmarcherdroit.Sansallumerlalumière,sansréfléchir,etsansjamaisleverlesyeuxverslemiroir,jemebrosselesdentsrapidement, enfile une chemise de nuit en satin ivoire et gagne la chambre à coucher.Nicolas est là,allongé sous les draps, en train de lire le journal. Il ne m’adresse pas un regard, mais je sais qu’ilm’attendait.
Jem’installeàsescôtés,toutauborddulit.–Bonnenuit,Émelyne,medit-ild’untonégal.–Bonnenuit.Àonzeheures,lelendemainmatin,lasonnettedelaported’entréeretentit.Jejetteunœilendirection
ducouloir,sanssavoircommentréagir.Lebrouillardquim’enveloppe,enpartiedûaufaitquejen’aipasréussiàdormirdelanuit,merendpresquecatatonique.J’auraisvoulum’assoupir,pourtant,tellement…J’auraispu,letempsdequelquesheures,oublierl’horreurqu’estdevenuemonexistence.Aulieudeça,mes yeux sont restés grand ouverts et j’ai laissé s’égrainer les heures en écoutant le souffle lourd etdégueulassedemonmari.
Un autre coup de sonnette et jeme souviens enfin de ce que je suis supposée faire.Me lever ducanapé.Lentement.Ramasser lespetitsmorceauxdemoiéparpillésàmespieds,et les traîner jusqu’àl’entrée.Dieuquec’estdifficile…Ondiraitque l’air autourdemoiaprisuneconsistanceépaisseetchaquegesteressembleàuneépreuve.
J’entrouvrelaportesansm’attendreàrien,saufpeut-êtreàuneerreur.Personnenepourraitêtre làpourmoi.
–Maman ?
Masurpriseesttellequejemeréveilletoutàcoup.Voiricietmaintenantlevisagebienveillantdemamèremebouleverseprofondément.Quefait-ellelà ?Elleestvenuedanscetappartementqu’àuneseulereprise,ilyaplusieursmoisdecela,jenel’aipasréinvitéedepuis.Saprésenceencesmursmemettaittropmalàl’aise,j’avaispeurqu’elleremarqueàquelpointjesuisétrangèreàcelieu.
Pourtant elle est bien là, et soudain jeme sens commeunepetite fille au genou écorché tout justetombéedevélo.Jevoudraismeblottirdanssesbraspourqu’ellemeconsole,attendrequesatendressefasses’envolermonchagrin.J’aienvied’enfouirmonvisagedanslecreuxdesoncouetdel’entendremedirequeçavapasser,quetoutirabien.
Maisjenesuisplusuneenfant…Laplusadultedenousdeux,maintenant,c’estmoi.C’estàmontourdelaprotéger.Jesuiscellequidoitprendresoind’elleetluimurmureràl’oreilledenepass’inquiéter.
«N’aiepaspeur,jesuislà…»Qu’importelefaitquejesoisterrorisée.Ilmefautmerecomposeruneattitude.Jeledois,pourelleettoutcequ’elleafaitpourmoiaulongde
cesannéesdemisère.Ellenedoitrienvoirdemesfêluresousoupçonnerlefaitqu’àl’intérieur,jesuisbriséeenunmilliardd’éclats tranchants.Jem’appliquedoncàpeindresurmonvisageuneexpressionsereine,celled’unejeunemariéeheureuseetsanstracas.Jeluisourisavectoutl’amourquej’éprouvepourcettefemmecourageusequinem’ajamaislaisséetomber,mêmedanslesmomentslesplusdurs.
– Bonjour, Émy, dit-elle avec douceur. J’espère que tu ne m’en voudras pas d’être passée àl’improviste…
–Non,biensûr.Qu’est-ceque…Jene terminepasmaphrase.Son regardvientde seposer surmonœil droit, celui qui,malgré le
maquillagedontjemesuisparéeavecsoincematin,portelatracelégèrementviolacéedelafureurdeNicolas.Ellefroncelessourcilsetjevoisdanssesyeuxqu’elleserapprochetropprèsdelavérité.
–Chérie…s’enquiert-elled’unevoixhésitante.Qu’est-il…qu’est-ilarrivéàtonœil ?Mentir. Vite. L’éloigner le plus rapidement possible de cette pourriture à laquelle je ne veux pas
qu’elletouche.Nepaslasouillerelleaussi,laprotéger.Ellevautunmilliondefoismieuxquecetatrocemarasmepuantqu’estàprésentmonmonde.
Jelafaisentreretfermelaportederrièreelle,gagnantainsilesquelquessecondesmepermettantdetrouverunmensongecrédible.
–Oh,ça ?Tuvasrire,jesuislareinedesandouilles !Jemimeunricanementunpeuhonteux,maislevisagedemamèregardeunairinquiet.–Netemoquepas,continué-jeaveclégèreté,malgrémonangoissed’êtredécouverte.Jemesuispris
lecoind’uncartondelivres !–Ah…C’estvrai ?–Oui,jesais,jenemesuispasloupée…Je soutiens aussi longtempsquepossible le regard étrangement inquisiteur demamère.Comme le
jourdemonmariage, j’aicetteimpressionalarmantequ’ellemevoitréellementetcetéclatdeluciditém’effraietantquejecraqueetmedétourned’elle.
–Tu…tuveuxboireuncafé ?dis-jeenprenantladirectiondelacuisine,afindedonneruneexcuseàmonlâcheabandon.
–Oui,jeveuxbien,répond-elleenmesuivant.Siçanetedérangepas.Mais,Émy…Lebruitdesespassur leparquets’arrêteetsamainseposecontremonbras,à l’endroitexactoù
Nicolasm’aattrapéehier.Jeporteunchemisieràmancheslongues,sibienquelesbleusnesevoientpas,maisladouleurestbienlàetjedoismeretenirdegrimacer.
–Oui ?Ellemedévisaged’interminablessecondesavantdepoursuivre.–Siquelquechosen’allaitpas,tumeledirais,n’est-cepas ?
–Qu’est-cequin’iraitpas,maman ?luidemandé-jeensouriant.–Tusais,jesuistoujourstamère,Émelyne.Etcertainementbienplusfortequetunel’imagines…–Jelesais,enfin.Oh,j’aipresqueoublié !IlfautquejetemontrelecadeaudelatantedeNicolas !
Ondiraitlevasedegrand-mère,tusais ?Celuiquiétaitdanslebureaudepapa !Voilà.Cettediversionmonstrueuseabienl’effetescompté: lesyeuxdemamèresevoilent,etelle
repartdanssonunivers,celuioupapaetLiliansontmoinsloind’elle.–Vraiment ?–Oui,viens.Je l’entraîne doucement vers le salon pour lui montrer ce stupide vase, pendant qu’une vérité
insupportables’imposeàmoi.Jevaisdevoirm’éloignerdemamère.Sijem’offraisleluxedelagarderauprèsdemoi,ellefinirait
parcomprendreetleschosesdeviendraientbientropcompliquées.Pourcontinueràlaprotéger,jevaisdevoirlateniràl’écart.
Legouffresombrequimenaçaitdem’engloutirsetransformeenabysseetjetombedanscepuitsdedouleursansfond.
Lenoir,lefroid…etàprésentlapluscomplètesolitude.
Chapitre4
Stephen*
Jefaisunpasenarrièreenfixantlemiroirpourêtresûrqu’ilestbiendroit.J’aidûremplacertoutceque j’avais cassé lors dema crise de nerfs. Je dois remettrema vie en ordre et faire comme siÉmyn’avait jamaisexisté.J’ai remismonappartementenétatet j’ai remplimoncarnetderendez-vous.Cesoir, c’est mon premier depuis un bonmoment, et j’angoisse un peu de ne pas pouvoir satisfairemacliente. Rien que l’idée de toucher une autre femmeme rendmalade. Jeme déshabille et prends unedouchepresquefroidepourmeremettrelesespritsenplace.J’aiencoretropbuhiersoiretjesaisquejeboiraiencoretropcesoir.Jenesaispasquoifaired’autrepoursupportercettedouleurquim’écrase lecœur.CettenuitpasséeavecVanessadansmesbrasm’afaitdubien,jedoisl’avouer.Jemesuissentimoinsseuletçam’aaidéàdormirunpeu,maisjeredoutemaprochainenuit,seulentrecesmurs.JemedemandesiÉmyestpartieenvoyagedenoces?Etpuisjemesouviensdelafaçondontellem’atraitédevantl’égliseetlacolèrerefaitsurface.Jedoismeservirdecettecolèrepourl’oublieretavancer.Jemesersuncaféetm’installefaceàmonordinateurpourfouillerdanslespetitesannoncesetessayerdepenseràautrechose.
Cesoir, j’ai rendez-vousavecÉlisabethThomsonune richeAméricainedequarante-cinqans.Ellen’estpasdésagréableàregarderetelleestplutôtgentille,pourmeremettreenmarchec’estcequ’ilmefaut.
Jepasselajournéeàtournerenronddansmonclapieretenfind’après-midi,jemeprépare.J’enfilemon costumegris foncé, une chemise blanche dont je laisse deux boutons ouverts. Jeme coiffe etmeparfumeenévitantdecroisermonrefletdanslemiroir.J’aiunesalemineencemomentjelesais,maisjedoisfaireavec.Jeprendsmonportefeuilleetmescléspuisjeparsrécupérermavoitureauparking,aucoindelarue.
Quandj’arrivedevantl’hôtelunedemi-heureplustard,j’ailesmainsmoites.Jemedemandecequ’ilm’arrive ?Pourquoisuis-jedanscetétatdestress ?Jemesuistapédesdizainesdefemmessansaucunscrupule,alorspourquoiai-jecesentimentdeculpabilitéquimeronge,commesijetrompaisÉmy ?Jeneluidoisrien,aprèstout !Pourquoicettesensationdemal-êtres’insinue-t-elleenmoipourmeserrerlagorgeetmedonnermalauventre ?Jedevienscomplètementdingue…Jesuisdevenuunevraie loque.Maisquem’arrive-t-il ?Cettefemmeaprispossessiondemoncorpsetdematête,cen’estpaspossibleautrement.
Je sors de l’ascenseur et fouille dans la poche intérieure de ma veste pour chercher mes petitespilulesmagiques.Aujourd’huiplusquejamaisjevaisenavoirbesoin.Jelâcheunjuronendécouvrantquejen’enaiplus.Cen’estpasvrai,jesuismaudit !Jevaisdevoirfairesans.Jefrappenerveusementàlaporte12ensentantmoncœurdéraperdansmapoitrine.
–Bonsoir,Stephen !lancemaclienteenm’embrassantsurlesjoues.–BonsoirÉlisabeth,réponds-jeendétournantleregard.Jepénètredanslapièceetretiremesvêtementsquejeposesurungrosfauteuilenvelourssombre.
Élisabethneportequ’unpeignoirdesatinrose.Ellemefixe,immobileaupieddulit.–Toutva,Stephen ?demande-t-ellegentiment.Vousavezl’airfatigué ?–Oui…jelesuisunpeu.Maisçan’aaucuneimportance,rétorqué-jeenlaprenantdansmesbras.
Jeposemeslèvressurlessiennesenrefoulantleprofonddégoûtquimeretournel’estomac.Jefermelesyeuxtandisquenoslanguesserencontrent.Lesprunellesbleuesd’Émysegreffentsousmespaupièresalorsjelesouvre,agacé,etjefaisglisserlepeignoirlelongdesbrasdemaclienteavantdeluidiredes’allonger.Jeregardesoncorpsnuetjen’éprouveriend’autrequedudégoût.Jemeforceàembrassersesseinsgonflésparledésir,puisjedescendsentresescuisses.Jemefaisviolenceàplusieursreprisespournepaslarepousseralorsqu’elleenfoncesesdoigtsdansmescheveux.Jeremonteetm’allongesurelleenessayantdetoutesmesforcesdefaireréagircettepetitepartiedemoncorpsquisemblemorte…J’aibeaumefrotter,mecaresseroumêmem’imaginercontre lapeauchaudeetdouced’Émy, rienn’yfait…Jenebandepas…Mortifié,jemelèvepourfairelescentpasenmepassantunemainagitéesurlevisage.
–Jesuisdésolé,lancé-jeàÉlisabethencroisantsonregardinterrogateuretinquiet.–Que…quesepasse-t-ilenfinStephen ?–Oh…jen’yarrivepas !Jesuisvraimentdésolé,réponds-jeenmerhabillantprécipitammentpour
partirauplusvitedecettechambre.–C’estmoi…j’aifaitquelquechosedemal ?questionne-t-elled’unevoixtremblante.Jemefigeetplongemonregarddanslesien.Jel’aimebienetçam’ennuiedelablesseralorsjelui
avoue:–Çan’arienàvoiravecvousÉlisabeth…c’estmoiquidéraille…–C’estàcaused’unefemme,déduit-elleensecouvrantavecledrapblanc.–Oui…confié-je,surprisdemedévoilerainsi.–Vousl’aimezprofondément,c’estpourcetteraisonquevousnepouveztoucheruneautrefemme.–Ouietçamerenddingue !Jenesaispascequejevaisdevenir…–MonpauvreStephen,l’amourestsidangereuxsionn’yprendgarde.Pourquoin’êtes-vouspasavec
ellesivousl’aimez ?–Elleneveutplusdemoietelleaépouséunautrehomme…legigoloquejesuisn’étaitpasassez
bienpourelle…–Quel dommage qu’elle n’ait pas vu plus loin que les apparences !Vous êtes une belle personne
Stephen,ne laissez jamaispersonnevousdire le contraire.Si ellen’apas suvoir l’hommesincère etgénéreuxquevousêtes,alorsc’estqu’ellen’envautpaslapeine !
Touchéenpleincœurparsesparoles,jem’approchepourdéposerunbaisersurseslèvres.–Merci,murmuré-jeavantdem’éloignerendirectiondelaporte.–Jesupposequ’onneseverraplus ?demande-t-elled’unevoixdouce.–JenesaispasÉlisabeth,j’aibesoindetemps…–Trèsbien,voussavezoùmejoindresivousreprenezduservice.–Mercietàbientôt.Jesorsrapidementdecemaudithôteletmarchelentementjusqu’àmavoiture,profitantdecettebrise
fraîchequicaressemonvisage,pourmecalmer.Jesuisfichu !Jen’aiplusdetravail,jen’aiplusrien,maviedérailleinexorablement…
JedécidedemerendreauStJamespourboirequelquesverrescommetouslessoirs.C’estleseulmoyenpourmoidenepasdevenircomplètementfou.Jem’installeàmatablehabituelleetcommandeunebouteilledewhisky.J’écoutelamusiqueenbuvantverreaprèsverre.JeremballequelquesminettesquiviennentmetournerautouretquandVanessadébarqueetselaissetombersurlesiègequimefaitface,jenepeuxretenirunsourireenvoyantsatête.
–Qu’est-cequetufouslà ?questionné-je,endétaillantsescheveuxenpétardetsaminedéconfite.–Jefaiscommetoi,jeviensboirepouroublier,rétorque-t-elle,lavoixchargéed’émotion.Je commande un autre verre au serveur et le remplis, puis je le pousse devant Vanessa, elle me
remercied’ungestedelatêteetl’avaleculsec.Jelaregarde,surprisdevoirquelqu’unquisemblealler
bienplusmalquemoi.–Mauvaisejournée ?demandé-jepourbriserlesilence.–Nem’enparlepas !–Raconte !–Riennevaplus,jesuisd’unehumeurdechien !Jepréféraisencoreêtretriste…maintenant,jesuis
rongéeparlacolère !Commentpeut-ellemerayerdesaviecommeçaenunbattementdecil ?N’avais-jepasplusd’importanceà sesyeux ?Jesuisénervéed’être rejetéede cette façon sans avoir ledroit dem’expliquer !Pourquiseprend-elle ?Moijenepensaisqu’àsonbonheur,je…jevoulaisqu’elletrouvelevraiamouretpascettecomédiedebasétage !Commenttufaistoipourrestersicalme ?medemande-t-elledésespérée.
–Détrompe-toi,jenesuispascalme…jebouillonne.Jedeviensunpeuplusdingueàchaqueminutequipasse…jemèneuncombatintérieurjouretnuit.Tusaisjusqu’oùjeperdslecontrôle?Jusquedansmonjob !Jenesuisplusbonàrien,àcaused’elle…alorsoui,jesuisencolèremoiaussi.
–Qu’est-cequetuveuxdire ?questionne-t-elleenremplissantnosverresavantdeporterlesienàseslèvres.
–Jeveuxdirequejenebandeplus…jesuisincapabledebaisermesclientes !grogné-je.Vanessarecrachelewhiskyets’étrangleenpouffantderire.–Moque-toidemoienplus !lancé-jeagacé.–Avouequec’estrisiblequandmême ?Ungigoloquinebandeplus !ricane-t-elle.–Moiçanemefaitpasrire.Commentvais-jegagnermaviemaintenant ?Etréalisermesrêves ?Elleprendtoutàcoupunairétonnéetmefixeavantdemedired’unevoixenrailléeparl’alcool:–Tuessérieux,tunebandesplus ?–Biensûrquejesuissérieux,tucroisquejemevanteraisdebandermou ?m’énervé-je.–Merdealors…lâche-t-elleenmedévisageantlesyeuxouvertscommedessoucoupes.–Ouais,commetudis…–Bon,arrêtonsdeparlerdetoutçaetamusons-nous !Elleselèveetm’entraînesurlapistededanse.Jelalaissefaire,detoutefaçon,noussommesaussi
bourrés l’un que l’autre, plus rien n’a vraiment d’importance. Nous dansons un longmoment, tout envidantverreaprèsverreetjedoisdirequejefinisparm’amuseràunecertaineheuredelanuit.Vanessaestplutôtdrôlequandelleabu.ÀlafermetureduStJames,nousappelonsuntaxi.Ellem’inviteencoreàdormirchezellepournepasresterseuleetj’acceptebienvolontiers.L’idéemêmederentrerdansmontaudissombreetsilencieuxmedonnedesfrissons.
–Tudorsavecmoicettenuit !m’ordonne-t-elleenm’entraînantdanssachambre.–OK,maisneprendspasdemauvaiseshabitudesmabelle,lataquiné-je.–Sûrementpas !Commejetel’aidéjàdit:tun’espasmonstyle.–Ellesdisenttoutesçaaudébut !–Jenerisqueriendetoutefaçon,tunebandesplus, lance-t-elleavantdes’excuserenvoyantmon
visagesedécomposer.–Laissetomber !réponds-jeenm’allongeantsursonlit.Je reste immobile, lesyeuxbraqués sur leplafond, avec commeseulvêtementmonboxer. Jedois
avoirl’airmisérable.Maisàcetinstant,jeneressensplusrien,jesuiscommevideàl’intérieur.Vanessasecoucheàmescôtésdansunepetitenuisettenoireultracourte.–Tuesfâché ?demande-t-elleensetournantpourmeregarder.–Non…–Jeplaisantais…jesaisquetuesunsupercoup,Émymel’arépétéàmaintesreprises.Unfrissonmeparcourtlacolonneàl’évocationdeceprénom.–Jem’enfous,jen’airienàprouver !rétorqué-jeenmedéplaçantpourluitournerledos.
Vanessasecolleàmoienglissantsonbrassous lemienpourvenirentrelacernosdoigts. Jene larepoussepasetprofitedelachaleurdesoncorpspourm’apaiseretm’endormir.
Lesjours,puislessemainespassentetjenemesensguèremieux.Onditqueletempsrendleschosesplusfaciles,maisjen’ycroisplusuninstant.Quandonestmortàl’intérieurjepensequemêmeletempsnepeutrienyfaire.J’aiessayéàplusieursreprisesderencontrerdesclientes,maislescénarioserépèteàchaquefois.Jenevauxplusrien.J’aidûannulertousmesrendez-vousetmerendreàl’évidencequejeneréaliseraijamaisplusmesrêves.Jepassemesjournéesetmessoiréesdanslesbars.Monbutultime:deveniruneépaveetneplus rien ressentir.Voilàmonnouveau rêve…Vanessame ramasseà lapetitecuillèreassezrégulièrement.Elleestdevenuemabouéedesauvetagedanscettedescenteauxenfers.Ellenemejugepasetsecontented’êtrelàquandj’aibesoin.Jenesuisplusquel’ombredemoi-même,jenemereconnaisplus…
–Tunepeuxpluscontinuercommeça,medit-elleenm’aidantàmarcherjusqu’àsachambre.ÇavamalfinirStephen,s’inquiète-t-elle.
Jem’avachissurlelitetlalaissemedéshabillercommepresquetouteslesnuits.Jenerépondspasàson inquiétude, de toute façonquepourrais-je bien répondre ?Que je suismort ?Que je ne sens plusbattremoncœur ?Quejesuiscommeunintrusdansmonproprecorps ?
–Jenepeuxplustelaisserfaire…demain,nousdevronsparlerquetuleveuillesounon,continue-t-ellealorsquejemerecroquevillesurlecôtépourluitournerledos.
Elles’allongeetm’encercledesesbrascommeàsonhabitude.Aprèsunenuitagitée,jesuissoudainéblouiparlalumièrequiinondelapièce.–Qu’est-cequetufous,grogné-jeenvoyantVanessaouvrirlafenêtreengrand.–C’estfinilagrassematinéejusqu’à15h.Tuvastebougerleculetteressaisir !Jet’aiachetéun
joggingetdesbaskets,onvaallercourir.–Quoi ?Sûrementpas !Aveccequejefumeencemoment,jevaisperdreunpoumonenroute !– Jene te laissepas le choix, prendsunedouche et rejoins-moidans la cuisine, ordonne-t-elle en
s’éloignantdéjà.–Putain !J’ailagueuledebois,jenepeuxpasallercourir…–J’enairienàfoutre !crie-t-elleàl’autreboutducouloir.–Quellechieuse,lâché-jeentremesdents.–Jet’aientendu,jerajoutedeuxkilomètressurnotreparcours !Jefilesousladouchesansunmotdeplus.Quandjelarejoinsdanslacuisineunmomentplustard,
habillédusurvêtementqu’ellem’aoffert,sonvisages’illumine.–C’estparfait !dit-ellecontentedesonchoix.Quandonfranchitànouveauleseuildelaported’entréeaprèsuneheureàcourir,jesuisàboutde
force. Essoufflé et dégoulinant de transpiration, jeme dirige vers la salle de bains. Sous le jet d’eaufroide,jereconnaisqueçam’afaitunbienfou.Jemesenstellementbienquejedécidedecontacterunedemesclientespourluiproposerunrendez-vouscesoir.Jevaisretenterlecoup.
Jepénètredanslachambre25del’hôtelàlanuittombée,jesuispleind’espoir,maisj’enressorslesépaulesvoûtéestrenteminutesplustard,jesuisauborddudésespoir.
Jenepeuxpas…jenepeuxplus…Jesuismort,iln’yapasd’autresexplications.JerejoinsVanessachezelleetm’avachissur lecanapécomplètementanéanti.Voyantmondésarroi
ellesortunebouteilledevodkaducongélateuretnousensertdeuxverres.–Jetepréviens,jetelaisseboirecesoir,maisdemainmatinàlapremièreheure,tuserasdanstes
basketspourallercourir !–Là,turêves !–Nonjenerêvepas.Sinonjerangetout !lance-t-elleensaisissantlabouteille.
–OK,c’estbon,jeviendraiavectoi,cédé-jeàcontrecœur.– Alors, buvons à notre avenir. Qu’il soit empli de fous rires et de baise ! trinque-t-elle avant
d’avalersonverreculsec.Jenepeuxretenirunsourireetl’imite.Nousbuvonsplusquederaisonetparlonsdetoutetderienen
évitant bien sûr le sujet qui fâche et blesse.Assis côte à côte sur le divan, nous passons un excellentmoment.
–Alors,çaaencoremerdéavecunecliente ?finit-ellepardemanderd’unevoixchargéed’alcool.–Ouais…réponds-jeenm’enfonçantdanslecanapé,latêteenarrièrepourfixerlelustreencristal.–Commentest-cepossible ?Jenetecroispas.Siunefemmesaitbiens’yprendre,ellearriveàfaire
bandern’importequelmec !–Cequetunecomprendspas,c’estquec’estmoiquidoislessatisfaireetnonlecontraire.–Ah !Alorsçaneveutpasdireque tonmatérielnemarcheplus,plaisante-t-elleenplongeantson
regarddanslemien.–Jen’yarriveplus,Vanessa…Émym’obsède…–Jenetecroispas…jepenseseulementquetun’aspaseudefemmesachanttedonnercedonttuas
besoin…dit-elleenserapprochantmaladroitementdemoi.–Qu’est-ce que tu sous-entends ?Que tu pourrais être cette personne ? demandé-je en ne pouvant
retenirunsourire.– Pourquoi pas ? murmure-t-elle en passant une jambe par-dessus mes cuisses pour s’asseoir à
califourchonsurmoi.–Tun’ypensespas ?Tuesl’amied’Émy ?–Jenesuisplusl’amiedepersonne…EtjenedoisplusrienàÉmy…Jen’aipasletempsderépondrequesaboucheécraselamienneetquesesmainss’agrippentàmes
épaules,alorsqu’ellefrottesonintimitécontrecettepartiedemoncorpsquisembleinexistantedepuistrop longtemps. Je lui rends son baiser, et laisse sa langue s’immiscer entre mes lèvres pour venirtaquiner lamienne. Jem’abandonne et posemêmemesmains sur ses hanches, pour accompagner sonmouvement du bassin, sur monmembre qui par miracle durcit dans mon pantalon. Pourquoi je ne larepoussepas ?Peut-êtreparcequej’aibesoind’êtresûrquemoncorpsm’appartientencore…peut-êtrequej’aibesoind’effacerlatraced’Émyetdepasseràautrechose ?Oualorsest-ceàcausedel’alcool ?Tantdequestionsquejechassedansuncoindematêtepourprofiterdel’instantprésentoutoutsemblefonctionnercorrectement.Vanessaglissesanuisettepar-dessussesépaulesetseretrouvenue.Elledéfaitmaceintureetouvremonpantalon,avecdesgestesmaladroits,elles’emparedemonmembredressé.Unsourireilluminesonvisageavantqu’ellemedisedansunmurmure:
–Ilsembleraitquejesoiscettepersonnefinalement…Jenerépondspas,maisluirendssonsourirealorsqu’elledérouleunpréservatifsurl’objetdeses
désirs.Jelalaissefaire.Ellesemblevouloircontrôlerlasituationetj’avouequecen’estpaspourmedéplaire.Habituellement,c’estmoiquidoisprendreleschosesenmain,maiscesoirj’aienvied’êtreleclientpourunefois,deneplusriencontrôler.Vanessasesoulèveetglissesurmonsexeérigéenlâchantungémissementdeplaisir.Jefermelesyeuxalorsqu’unfrissonmeparcourt.J’enfoncemesdoigtsdanssescuissesaumomentoùelleaccélèrelerythme.Bougeantdeplusenplusvite,ellem’emmèneaubordduprécipiceetquandtoutmoncorpssecontracteetquejelâcheungrognementenjouissant,elleretombesurmoiessoufflée.Nosbouchesserencontrentànouveaudansunbaiserpleind’incertitudesetnosdoigtss’entrelacent,encorehésitants.
–Qu’est-cequ’onvientdefaire ?chuchoté-jecontreseslèvres.–Laseulechoseà faire !Nousavonscomblécevidequinoushabitepournousprouverquenous
sommestoujoursvivants…Cen’estpasparcequ’ellenousaabandonnésqu’onnedoitplusvivre…Incapablederépondrejemecontentedelafixer.Sesimmensesyeuxnoirssemblentsitristesqueje
ne peuxm’empêcher de la serrer dansmes bras.Deux personnes blessées, détruites, peuvent-elles sereconstruireensemble ?S’épauler,sesoutenirafindeneplusêtrebancales ?
Quoiqu’ilsepasseparlasuiteàcetinstantprécis,j’aibesoindeVanessa,sansellejesuissûrdem’effondrerdechagrin.
Nousnousallongeons,enlacéssurlecanapéetnousendormonsapaisésparcetteétreinteinattendue,maissalvatrice.
Chapitre1
Émy*
Huitmois demariage.Huitmois de coups, d’humiliations, de peur, de solitude. Je sors lemoinssouventpossibledecetappartementquiressembledeplusenplusàunecage.Jem’habille,memaquilleetme coiffe, pour ensuite rester cloîtréedans cet espaceque je ne supporte plus.Commeunepoupéemannequinposéelàparunmetteurenscènesadiqueettoutpuissant.Jeparticipeàunepiècegrotesque,celled’unbonheurconjugalfeintoùtoutn’estquemensongesetfauxsemblants.
Coupéedumonde,enhuisclosavecunmariquej’abhorre,jedépéris.Fleurcaptivedontlespétalestombentpeuàpeu,jeregardelaviemequittersanschercherlalumièresalvatrice.Pire,jecoupemoi-mêmemesracines,cellesquimemaintiennentencoreenvie.
Celafaitdeuxmoisquejen’aipasvumamère.Autéléphone,jeprétexteêtretropoccupéeparmonrôledefemmemariée.Jeprétendscourirdegalasendîners,deséancesdeshoppingensortiesavecmesamiesimaginaires,alorsquejepassemontempsallongéedanslelitdeNicolasouassisesurlecanapé.Monexistenceserésumeàregarderlesheuress’écouler,seule, lesrideauxtiréspournepaslaisserlaviedudehorsm’atteindre.Àattendrelesinsultesetlescoups.
Nicolasa levé lamainsurmoiàde trèsnombreuses reprises, cesderniersmois,maisdemanièreplusréfléchie.Ilnes’enprendplusàmonvisage,lesmarquessontvisiblestroplongtempsetilnepeutpas sortir aubrasd’unepoupée abîmée, celane se fait pas…Même sous la soievaporeuse et légèred’unerobedesoiréeaérienne,uncoupbienplacédansleventreoulescôtesnesevoitpas.C’estplusdiscret. Plus…commode.Et puisquede toute façonmonventre reste obstinément vide, à quoi bon sedonnerlapeinedeleménager,n’est-cepas ?
Pluslesmoispassent,plusmon«incapacité»àtomberenceinteaccroîtlecourrouxdemonmari.Sijamais ilapprenaitquecela résultedufaitque jen’aipasarrêté lapilule,nuldoutequ’ilme le feraitpayer très cher. Pourtant, c’est un risque que je continuerai à prendre, coûte que coûte,même si celadevaitfinirparmetuer.Commentpourrais-jemettreunenfantsurlechemindecetêtreimmonde,violentetsanscœur ?Renonceràdonnerlavieestuneévidence,pourmoiquimecontented’attendredemourir.Pourtant,avant,j’auraistoutsacrifiépourconnaîtrelebonheurdedevenirmaman.Unbébé,mêmeconçudans la douleur et sans amour, aurait offert à mon existence une joie que je ne suis plus en mesured’imaginer…Maisjenepeuxinfligeràunenfantd’avoirNicolasDambresVillierspourpère.MonDieu,queceseraitcrueletégoïstedemapart !
Cematin,jesuisobligéedesortir.UnautregaladecharitéestannoncépourlasemaineprochaineetNicolasm’asomméedemetrouverunenouvelletoilette.Safemme—sapoupée,sonfaire-valoir—nepeutpasêtrevuedeuxfoisdanslamêmerobe.Jedoisdoncallercourirlesmagasinspourêtrebelleetfaire semblant d’être heureuse, pendant que mon mari, lui, fera semblant d’être un homme bien endistribuantquelqueschèquesetcommentairesgrandiloquents.Quelleironie…
Encemoisdefévrier,leciels’estparéd’unblancpoudreuxetdéversesescristauxévanescentssurlacapitale,créantdanslesruesfréquentéesdesamoncellementstropvitegrisetsales.J’ajustelecoldemon manteau pour me protéger de l’air piquant, aussi glacial que le néant qui m’habite. J’aurais puprendrelavoiture,maisjenevaispastrèsloinetj’aienviedemarcher.
Uneboutique.Deux.Jem’habilleetmedéshabilleseuledanslacabine,afind’empêcherquiconque
devoir lesmarquesquicouvrentmoncorps.Maisdèsque jesors,despetitesmainshabilesenroulentautour de mon cou ou de mes poignets des bijoux scandaleusement chers. On me fait essayer deschaussuresfabriquéespardesgensquinegagnentpas,enunmois,cequejevaisdépenserpouracheterlerésultatdeleurlabeur.«Soierosepoudrée,ousatinbleucéruléen ?»«Escarpinsàhautstalons,ouescarpins àbouts ronds ? » « Sautoir en perles roses deTahiti, ou collier en émeraude avec braceletassorti ?»Jen’ensaisrienetjem’enmoque.
Lorsquejequittelaboutique,jenemerappelledéjàpluscequej’aiacheté.Peut-êtrelaroberosepoudrée…Lepaquetseralivrédemain,unefoisquelesretouchesaurontétéfaites.Jeverraibien.
Etpuistoutàcoup,audétourd’unerue,aumilieudelafoulequiarpenteenpermanencelestrottoirsdeParis, j’aperçois unvisagequime fait stoppernet.Une femme,derrièremoi,mepercute etmeditquelquechosequejenesuisplusenmesuredecomprendre.
Moncœur,quiacessédebattrequelquessecondesdurant,seremetenmarcheets’emballecommeunfoudansmapoitrine.
Stephen.Jeviensd’apercevoirStephen…Je fais un pas, puis un autre, sans réfléchir et sans réussir à le quitter des yeux. Le voir est un
soulagement,commedetrouveruneîlealorsqu’onl’onestentraindesenoyerdanslesflotsfurieuxd’unocéan déchaîné. J’avance dans sa direction sans même me rendre compte de ce que je fais,irrésistiblementattirée,presqueaimantée.Ildisparaîtdansuneboutiqueetjepanique.
Non,nemeleprenezpasencore !Jemefraieunchemindanslafoule,leslarmesauxyeuxetlecœurbattantlachamade.J’aibesoindelevoir,mêmeuninstant.J’aibesoindelui.Laissez-le-moiunpeu…Il est juste là, dos àmoi, aumilieudes rayonnages de cemagasin de vêtements pour homme. J’ai
l’envieidioteetirraisonnéedemejeterdanssesbrasetdeluidirecombienjel’aime.Carlavéritéestlà.Jesuistoujoursaussiamoureusedecethomme.Letemps,monmariage,toutcequejesaisdeluietlemalqu’ilm’afait…Rienn’aréussiàtuercetamourinsensé.Lefaitdelevoirvientdefaireremonteràlasurfacecessentimentsquej’aipourtantessayéd’enfouirauplusprofonddemoi.
Alorsquejel’observeàladérobéedepuisl’entréedelaboutique,despenséesstupidesmeviennent.Undélire dans lequel il se tournerait dansmadirection,m’apercevrait et se précipiterait versmoi. Ilm’emmèneraitloind’ici,loindemaprisonetjeretrouveraislebonheurirréeldevivreensécurité,celuid’êtreaimée,protégéeetchoyée.Jememetsàrêverdelachaleurdesesbras,desavoix,desesyeux.Jevoudraistellementqu’ilmevoie…Tellement…
Maiscen’estpasversmoiqu’ilsetourne.Etquandjedécouvrequil’accompagne,monrêvesebriseetmonêtretoutentiervoleenéclats.IlestavecVanessa.Stephen…estavecVanessa.Elleentremêlesesdoigtsauxsiensetl’entraîneunpeuplusloin.
Jefaisbrutalementvolte-face,larespirationsyncopéeet lesépaulestremblantes.Commentai-jepuêtreaussistupide ?Comment ?Aprèstoutcetemps,pourquoin’ai-jepasencorecompris ?Pourquoimesuis-je inventé,même l’espace de quelques secondes, ce petit rêve ridicule ? Stephen ne fera jamaispartiedemavie.Jamais !IlestavecVanessa !Maréalitéàmoi,c’estNicolasDambres-Villiers.
C’estencourantpresquequejerentreàl’appartement.Leventchargédefloconsmefouettelevisage,contrastesaisissantavecleslarmeschaudesquidévalentmesjoues.
« Mêmes mes rêves sont minables… aussi minables que cette femme pathétique que je suisdevenue !»
Pourquoi a-t-il fallu que je le croise ?Et pourquoi suis-jeà ce point blessée et bouleversée ?Cetévénementdevraitêtreinsignifiant !Aulieudeça,monmondevientd’êtreréduitencendresànouveauetlepeud’équilibrequejeparvenaisàm’imposeraétédémoli…
StephenestavecVanessa.Monanciennemeilleureamie.Ungoûtdetrahisonquejeconnaistropbieninondemabouche.
Jedélaissel’ascenseuretmontelesmarchesenmetenantàlarambardepourtrouverl’équilibrequime fuit. Lorsque j’arrive sur le palier, je n’ai plus qu’une envie : rentrer chezmoi et fermer tous lesrideaux. Retrouver le noir et pouvoir pleurer tout mon soûl, essayer d’éteindre cette douleur qui meconsume àme faire perdre la tête.Mais en relevant les yeux,mes clés à lamain, je vois que je suisattendue.Surlepasdemaportesetientmamère.
–Émy,tevoilà,dit-elleens’avançant.MonDieu,cen’estpasvrai…Elleavraimentchoisilepiremoment !Jenepeuxpasfairesemblant
maintenant,jenepeuxpas !–Qu’est-cequit’arrive ?demande-t-elleenvoyantmonvisagetrempé.Jedoisavoirune tête à fairepeur.Suis-je seulementcapabled’inventerunmensongeconvaincant,
cettefois ?Jenemesenspluslaforcederien.Jesuisvidée.Jen’enpeuxplus.–Chérie,jet’enprie,réponds-moi.Qu’est-cequisepasse ?–Rien,maman.Mais…cen’estpaslemoment,jesuisdésolée…J’ouvremaporte,avecl’intentiondelarefermersitôtfranchieetd’abandonnermamèresurlepalier.
Elleneméritepasça,jelesais,maisjenepeuxpas…Ellenemelaissepasfaireets’engouffreavecmoià l’intérieur.Unenouvellesalvede larmesmonteet jeplaqueunemainsurmabouchepour retenirunsanglot.
–Émelyne,monbébé,mapetitefille,jet’ensupplie,parle-moi,reprendmamère,enseretenantelleaussidepleurer.Est-cequec’estencorelui ?Est-cequ’ilt’aencorefaitdumal ?
–Dequituparles ?luidemandé-jeenmetournantverselle.–Jenesuispassibête,jesaiscequisepasse !Jesaiscequetefaitsubirtonmari !Sesmotsmefontl’effetd’unegifle.L’affolementmesubmergelorsquejeréalisequetoutestentrain
des’effondrer. Ilne fautpasqu’elle sache ! Jedois laprotéger, àn’importequelprix. Jenepeuxpaséchouer,jenepeuxpaslalaissertomber !Ilnefautpasqu’ellesache !
–Non,maman,toutvabien,jet’assure.–ARRÊTEDEMEMENTIR !Pour la première fois demavie, je viens d’entendremamère crier.Le chocme laisse sans voix.
Alorselleafiniparcomprendre…Jen’aipasréussiàlapréserver.Jen’aipasétéassezforte.–Écoute-moi,machérie, écoute-moibien, continue-t-elle,d’un tonànouveaumesuré.Tun’espas
obligéederesteraveclui,tuentends ?Tun’espasobligée.Elleatort.Maiscommentleluifairecomprendre ?Nousavonsbesoindel’argentdeNicolas.Jen’ai
plusdetravail,plusd’ami,pluspersonnepourvenirànotresecours…Etpuissijepartais,jesuissûrequ’ilmetuerait.Moi,maisaussiStephen.Partirseraitpirequerester.
–Toutvabien,maman,m’obstiné-jeàluirépéter.Mamèresoupireets’essuielesyeux.–Tuasbesoind’aide,dit-elle.–Non,jevaistrèsbien !–Pasdutout,machérie.Riennevaetc’estmafaute…Ellehésiteuneseconde,puisajoute:–Je…J’aiessayéd’appelertonamieVanessa.–QUOI ?m’emporté-je,aussitôt.–Tuasbesoindequelqu’un !sedéfendmamère.Etjenesavaisplusquoifaire !Turefusaisdeme
voir,tunerépondaismêmeplusàmescoupsdefil !–Bonsang,maman !Non,ilnefallaitpas !–Alors,viensavecmoi,Émy !Jerefusedetevoirpasserunenuitdeplusauprèsdecemonstre !–Tunecomprendspas…Jefaisunpasenarrière,avecl’impressiond’évolueraumilieud’unchampderuines.L’air,suffocant,
mesemblesaturédepoussière.–Viensavecmoi,machérie,s’ilteplaît.Jesecouelatête.–Rentrecheztoi,d’accord ?Toutvabien,jetelepromets.Tutetrompes,jen’aibesoinderien.–Émy,je…–Maman,jet’enprie,rentrecheztoietoublietoutça.–Émy…–Va-t’en !Madéterminationforcenéeetmafarouchevolontédenepascraquerontraisond’elle.Enmelançant
leregardleplustristedumonde,mamèrefaitdemi-tour,ets’enva.Laporteclaqueet jemeretrouveseule.
Aussitôt,untourbillonm’emporteetjeperdspied.Commentvais-jemesortirdetoutça ?Commentcontinuer àprotégermamère si elle sait ?Et elle a tout raconté àVanessa !Si jamais elle enparle àStephen,jenem’enremettraispas.Mêmes’iln’enauraitrienàfaire,jeneveuxpasqu’ilapprenne,j’aitrophonte.Tellementhonte…
Complètementdésorientée et égarée, rongéepar l’appréhensionet lapeur, je rejoins le salon.Unefois recroquevillée sur le canapé,ma place habituelle, j’inspire profondément et… je ferme la porte.C’est trop, je suisà telpointdépasséepar lesévénementsque jemesens incapabled’y faire face. Jerefused’ypenser.
Toutvabien,Émy.Mamanestchezelle,elleestensécurité.Lemoisprochain,sonloyerserapayé,elleauradequoimangeretmêmedequois’achetercequiluifaitenvie.Toutvabien.Nicolasnesaitrien.Toutvabien…
J’aitellementbesoindecroireàcemensongequejefinisparm’enconvaincre.À dix-neuf heures trente, je quitte finalement le canapé, les yeux rouges et la tête engourdie.Ma
lassitude est si grande que ce simplemouvement est un effort quime coûte horriblement. La nuit esttombéeetilfaitnoirdansl’appartement.Seulelalueurdelaviedudehors,filtrantàtraverslesrideauxentrouverts,éclairefaiblementcettepièceauxalluresdecaveau.Pourtantjemedéplacesansrienheurter,j’ai l’habitude d’évoluer dans cette obscurité que je ne quitte quasiment plus. Elle me protège,m’enveloppe,mecache…auxyeuxdumondeetauxmiens.
J’allumeuneàunetoutesleslampesetcetteluminositésoudainemefaitmal.Puisjegagnelasalledebains, prends une douche brûlante de quelques minutes et enfile laborieusement de délicats sous-vêtementsainsiqu’unejolierobesexy.Commeonprépareuncadavrepourlerendreprésentable,jemecoiffeetmemaquille:eye-lineretmascarapouragrandirmonregardmorne,fardàjouespourdonnerunpeudecouleuràmapeaulivide,rougeàlèvrescarminpourégayermonvisagefantomatique.UnnuagedeChanelN°5,parfumachetéparmonmaridontjenesupportepasl’odeur,etmevoilàprête.Ilnemeresteplusqu’àchausserunepaired’escarpins.
Ainsidéguiséejeressembleàunepute.Unepute,ouplutôtunepoupéegonflable.Unobjetsansvieque l’on frappe ou que l’on baise, au choix, quand l’envie nous en prend.Un réceptacle à coups et àfoutre.JevaisdoncplaireàNicolas.C’estluiquichoisitlaplupartdemesvêtements,àprésent.Entoutcasceuxqu’ilveutmevoirporterlorsquenoussommesseulschezlui.
Meschaussuresà hauts talons claquent dans le vide glacial de l’appartement lorsque je vais à lacuisinepréparerlesouperdemonmari.Aujourd’hui,ilvarentrerasseztôtpourquenousdînionstouslesdeux, il me l’a dit cematin avant de partir travailler. Tel un automate, ou un animal bien dressé, jecommence parmettre le couvert sur la grande table de la salle àmanger. Puis je prépare une salade,quelques pommes de terre grenailles, et sort un filet de bœuf mariné du frigo. La laitue devra êtreassaisonnéeauvinaigredefigueetlaviandebleue,passaignante.«Tusaisfaireladifférence,Émelyne?Ouest-ceencoretroptedemander?»
Un bruit de clé dans la serrure.Mon cœur s’emballe et un frisson dévalema colonne vertébrale.Nicolasestderetour.J’entendssespasdanslecouloir,bruitterrifiantquirésonneàmesoreillescommecelui du moteur d’un avion pendant la guerre. Où la bombe tombera-t-elle ce soir ? Sur moi ? Quedétruira-t-ellecettefois-ci ?Iln’yadéjàplusquedesruines…
Toutàcoup,plusaucunsonnemeparvient.Justeunsilencedemort.Puis,aprèsquelquessecondes:–Émelyne ?Instinctivement,mesmainsagrippentlerebordduplandetravailetmarespirationdevienterratique.
Jesensquequelquechosenevapas.–Peux-tu,s’ilteplaît,veniriciunepetiteminute ?Non.Non,jeneveuxpasvenir.J’aipeur.–Émelyne !Maissijen’obéispas,ceserapire.Ilperddéjàpatience.–Je…oui.J’arrive.Jem’arracheduplandetravailetavancepourallerretrouvermonmari,pendantquemillequestions
fusentdansmonesprit.Qu’ai-jepufairepourlemettreencolère ?Est-cequemamanluiaparlé ?Non,ellen’auraitpasfaitça,j’ensuiscertaine.Peut-êtreai-jejusteoubliéderangerquelquechose.Maisai-jepenséàprendrelecourrier ?Jenesaisplus.
Lorsquejelerejoins,ilestàcôtédelaported’entrée,sonmanteauencoreàlamain.Droitcommeuni, il tourne la têteenm’entendantarriveretdardesurmoi son regardcouleurd’orage. Jeme raidisetbaisse lementon, commeuneenfantprise en faute,même si jen’ai aucune idéede ceque j’ai fait detravers.Ilattendquejesoisàsonniveaupourreprendrelaparole.
–Est-cequetuaseudelavisite,aujourd’hui ?demande-t-ild’untoncassantquimepétrifie.Saurait-ilquemamanestvenue ?Non,c’estimpossible.Maiss’ilétaitaucourant…Si,d’unefaçon
oud’uneautre,ilavaitappriscequ’ellem’aditaujourd’hui ?Un sentiment de paniqueme submerge et je réponds la première chose quime passe par l’esprit
affolé.–Non,personnen’estvenu.LegrisorageuxdesyeuxdeNicolasvireaunoir.Mauvaiseréponse.–Alors…àquiappartientceparapluie,Émelyne ?–Quoi ?Jen’arriveplusàpenser.Lapeuretl’angoisseontemportéauloinmacapacitéàraisonner.–Àqui…appartient…ceparapluie ?–Je…Il y aurait mille mensonges à inventer, mais rien ne me vient. Rien ne me vient ! Des larmes de
détressememontentauxyeux,jepatauge,menoiedanslaterreur.–Quiestvenuici ?demande-t-ilenfaisantlentementunpasversmoi.–Personne,jet’assure !–Tumeprendsencorepouruncon,Émelyne ?Ilfaitunautrepasversmoietjereculed’autant,lesmainslevéesdevantmoi.–Non !Non,jetelepromets !–C’estlui,n’est-cepas ?–Dequi ?Dequoituparles ?–Dece…connarddelooserdemerdeavecquitubaisesdansmondos !IlparledeStephen ?Ilimagineque…oh,monDieu.S’ilimaginequejecoucheencoreaveclui,il
va…Oh,monDieu.Enuneseconde,ilestsurmoi.Sesdoigtsagrippentmescheveuxpourlestirerviolemment,jemanque
detomber.
–Non,c’estmamanquiestvenue !–Ah,maintenantilyabienquelqu’unquiestvenu ? rugit-il,triomphant.–C’estmamanquiestpassée,jetelejure,Nicolas !Jetelejure !–MENTEUSE !Iltireànouveauetcettefois,juchéesurmestalonsdepute,jetombe.Moncoudeheurteleparquet,
propulsantunevivedouleurdanstoutmonbras.Toujoursdebout,monmarimetoisedetoutesahauteur.–Çafaitcombiendetempsqueçadure,hein ?–Stephenn’ajamaismisunpiedici,jetelejure !tenté-jedemedéfendre.–Tul’aslaissétebaiserdansMONlit,Émelyne ?DansMONPUTAINDELIT ?–Non,non !–Tuesunementeuse…etUNEPUTE !Sesyeuxbrillentd’unefièvredémentielle,ilressembleàunanimalenragé.Jesuffoquedeterreur.Il
lèvelamainenprenantautantd’élanquepossible,sanss’imposeraucunelimiteniaucunself-control.Àcetinstant,jecomprendsqu’ilacomplètementperdupied.Ilvametuer.
Sans réfléchir aux conséquences, portée par un réflexe primaire, l’instinct de survie, je reculeprécipitammentpouréviterlecoup.Grâceàcegeste,lamaindemonmarifendl’air,maisnerencontreriensursonpassage.Cequiaugmenteencoresafureurincontrôlable.
L’uniquepenséequim’anime:memettrehorsdeportée.S’ilcommenceàmefrapper,ilnes’arrêteraplus.
Maladroitement,mais aussiviteque je lepeux, jeme lève, et cours vers la cuisine, où je pourraim’enfermer.Maislamaindemonmarisaisitmonbrasavantquejen’aiepufairetroispas.
S’ilcommence,ilnes’arrêteraplus…Cettecertitudemedonneuncourageque jen’avaisencore jamaiseu : celuidemedéfendre.Eny
mettantl’énergiedudésespoir,jeluigriffelebrasjusqu’ausang.Surpris,ilmelâcheengrognantdedouleur.Jeprofitedecetteseconded’inattentionpourreprendre
macoursefolleetatteindrelacuisine,dontjerefermebrutalementlaporte.Lacléàpeinetournée,leslarmesjaillissentetjedoismeretenirauplandetravailpournepastomber.Mesjambesnemeportentplus.
–OUVRE-MOICETTEPORTE,BORDELDEMERDE !vocifèreNicolas, foude ragedenepluspouvoirm’atteindre.
Alors qu’il se met à tambouriner contre le bois, j’attrape fébrilement le téléphone. Mes doigtstremblent,leslarmesmebrouillentlavue,moncœurbatàserompre.Jamaisjen’aieuaussipeurdemavie.
–ÉMELYNE,OUVRE !OUJETEJUREQUEJEDÉMOLISLAPORTE !–Réponds…supplié-jeenportantlecombinéàmonoreille.Jet’ensupplie,réponds…–Allô ?Monsoulagementesttelqu’unsanglotm’échappe.–Émy ?C’esttoi,chérie ?–Maman,aide-moi…l’imploré-je,enpleurs.–Qu’est-cequisepasse ?s’alarme-t-elleinstantanément.–ÉMELYNE !!!Le fracas que fait le pied de Nicolas en rencontrant la porte est tel que je sursaute, en laissant
échapperuncrid’effroi.–Émy,chérie !Parle-moi !s’affolemamèreautéléphone.–Ilvametuer,maman !Ilvametuer !–Appellelapolice,monbébé !Tuentends ?Appellelapolicetoutdesuite !Encore un coup contre la porte. Et un autre. Le chambranle cède à moitié et je crie, presque
hystérique.–Émy !Dansuncraquementsonore,laportes’ouvreàlavoléeetvaviolemmentpercuterlemur.Faceàmoi,
unNicolasivredecolère.Letéléphonemeglissedesmainsettombesurlesol,alorsquej’écarquillelesyeux.
–ÉMY !ÉMY !J’entendslavoixdemamère,hurlantdanslecombiné.Etpuisplusrien.Justelebruitquefaitmon
cœuraffoléenenvoyantmonsangpulsercontremestempes.Nicolass’avance,fauvefouprêtàporterl’assautfinal.Je lui jette lespremiersobjetsquime tombent sous lamain :unepoêle,unecarafe,un saladier…
Manœuvrepathétiqueetdérisoirequileralentitàpeine.Puismesyeuxseposentsurleblocàcouteauxet,sanshésiter,jemeprécipiteverslui.
MaislepoingdeNicolass’abatcontremonvisageavantquejeréussisseàl’atteindre.Unedouleurfulgurantemetranspercelecrâne.Jetombe.Étenduesurlesol,sansdéfense,jesuisàlamercidemonmari.
–ESPÈCEDESALOPE !rugit-il.Uncoupdepieddanslescôtes.Jemanqued’air.Jesuffoque.Jemerecroquevillesurmoi-même.–Tun’esqu’unepute,Émelyne !UNEPUTE !Lescoupspleuvent.Jepleure.J’aimal.Legoûtdusanginondemabouche.J’aimal.J’abandonne.Qu’ilmetue.Quetoutças’arrêteenfin.Mêmepourmamère,jenepeuxplus.J’aitropmal.Dansmon
corps,dansmatête,dansmoncœur.J’aitropmal.Je ferme les yeux et attends de ne plus rien ressentir. Le noir,mon ami,m’enveloppe de ses bras
froids.Jeveuxqu’ilm’étreignepourtoujours.Alorsquejesombre,j’entendsauloinmugirdessirènes.Maislenoirm’emporte.Ilesttroptard.
Chapitre2
Stephen*
JeregardeunedernièrefoislaneigetomberparlafenêtreavantdereportertoutemonattentionsurVanessa.
–Tuescertainedevouloirveniravecmoiceweek-end ?Demandé-je,étonné.–Oui,jeveuxvoirl’avancéedestravauxetpuisdeuxjourspassésenborddemerentacompagnie,
çavamefairedubien.–OK,maistuterappellesqu’iln’yapasdegaleriesmarchandesoudeboutiquesdeluxeàmoinsde
cinquantekilomètres ?lataquiné-je.–JesaisStephen !Si jeviens,c’estpourpasserdu tempsavec toi, je trouvequ’onnesevoitpas
souventencemoment.Nousvivonsensembledepuisquoi ?Huitmois ?EttuenaspassépresquesixàFréjus.
–Jesais,maislestravauxnesefontpastoutseuletjedoisêtreprésentpourfaireavancerleschoses.Jeveuxquel’onouvreàlafindel’hiveretc’estbientôtlà.C’estlerêvedetouteunevie,c’estimportantpourmoiVanessa,réponds-je,agacé.
Jemeretiensd’êtretropagressifavecelle.Encemoment,riennevaplusavecVanessa.Nousavonsemménagé ensemble très rapidement et c’était une erreur. Je pensais qu’avec le temps, je tomberaisamoureuxd’elle,mais non…Émyest toujours ancréedansma tête et dansmon cœur.Vanessa espèretellementplusdemoique je culpabilise à longueurde journée. Je saisqu’ellem’aimeetqu’elleveutfonder une famille, mais j’en suis incapable. Elle m’a beaucoup aidé en me présentant les bonnespersonnespourréalisermesprojetsetjeluisuisredevablebienmalgrémoi.J’aiprismesdistancescesderniersmois en restant àFréjus le plus souventpossiblepensant qu’elle sedétacherait demoi,maisc’est l’inverse qui s’est produit. Elle semble encore plus amoureuse et possessive. Je ne sais pascommentvafinircettehistoire,maisj’aibienpeurdeluifairedumal.
Audébut,cen’étaitqu’uneaffairedesexeentrenous,puisellem’aditdevenirvivreavecelle,pourlecôtépratique,étantdonnéquejepassaistoutesmesnuitschezelle.Jenesaispasàquelmomentçaadérapé…Peut-êtreest-cemafaute ?J’auraisdûêtreplusclairsurmessentiments,maisn’étantpasdansmonétatnormalcesderniersmois,j’ailaisséfaire.
–Trèsbien,maisonpartiratrèstôtdoncilfaudrapréparerlesvaliseslaveilleausoir.–Oui…Ilfautqu’onaillefairelesmagasinspourtetrouverdesvêtementschauds,Stephen.–J’enaidéjà,réponds-jeenprenantunebièredanslefrigo.–Oui,jesais,maisonnepeutpasdirequ’ilssoient….duderniercri…Jemetournepourluifairefaceenhaussantlessourcils.–Commentça ?De toute façon, j’yvaispourbosserpaspour faire leminetde foire ! lancé-je en
ayantdumalàgardermoncalme.–S’ilteplaît.Çanoussortiraunpeu,depuiscombiendetempsn’avons-nouspasfaitquelquechose
ensemble ?Onmangeraunboutdansunpetitrestoetontechercheraquelquesjeansetpulls.Elleplongesonregardsuppliantdans lemienet laculpabilités’empareànouveaudemoi.Jesuis
conscientdufaitquejel’aitotalementdélaisséecesderniersmois,alorsjelâchedansunsoupir:–OK,onyva,maisjetepréviens,jen’ypasseraipaslajournée.
–Merci !dit-elle,enmesautantaucou.Quandnousrevenonsquelquesheuresplustard,decetteviréeshoppingquim’aparuinterminable,je
suis à bout de nerfs. Vanessa m’a traîné de boutique en boutique, m’a contraint à faire essayage suressayage.Jenesuisvraimentpasfaitpourcesconneries !Enplus,sonportablen’acessédesonneretelleapassésontempsàignorer lesappels.J’aieubeauluidemandercequi la tracassait,maisrienàfaire,ellenem’arienexpliqué.Jelaissetomberlesnombreuxsacsdenosachatsdanslehalld’entréeetjereparsendirectiondelaporte.
–Oùvas-tu ?s’inquiète-t-elle,enmerejoignant.–J’aibesoindefaireuntour,jevaisauStJames.–Jeviensavectoi…–Non,lacoupé-jeprécipitamment.Ellemefixesanscomprendreetposesamainsurmonbras,cequialedondem’exaspérer.– Je ne veux pas rester seule ici, Stephen… Pourquoi me rejettes-tu ? bredouille-t-elle, les yeux
pleinsdelarmes.–JesuisdésoléVanessa,maisj’aibesoindefairelevide.Onapassélajournéeensemble,çanete
suffitpas ?m’énervé-je,enhaussantleton.Queveux-tuàlafin ?!–Quetum’aimes…toutsimplement,murmure-t-elleavantdefairevolte-face.Jelaregardes’éloigneretsorsrapidementpourm’engouffrerdansleventglacialquivientfouetter
monvisage.J’ailagorgenouéeàl’idéedelafairesouffrir,maisc’estplusfortquemoi,jenesupporteplus sa présence. Je marche en direction de ma voiture en remontant le col de mon manteau. Il faitvraiment froid et la neige ne cesse de tomber.Rien n’est fait pour arrangermonhumeur. Je prends laroute,lamortdansl’âme.
Quandj’arriveauStJames, je remarque toutdesuiteGreg,assissurun tabouretdevant l’immensecomptoir.Jel’ignoreetfilem’installeraufonddelasalle.
Ilnemanquaitplusqueluipourfinirmajournée !Depuisque je fréquenteVanessa,Gregneratepasuneoccasiondemeprovoquer. Ilétaitvraiment
amoureuxd’elleetpourçaaussi,jem’enveux.Jeluiaifaitdumalsanslevouloir.Jecommandemonwhiskyhabituel etmeperdsdansmespensées.Commentvais-je sortir de cette
situation ? Il est évident que je suis toujours fou d’Émy… Plusieurs mois se sont écoulés, mais j’aipourtantl’impressionquec’étaithierqu’ellem’arejetédevantcetteéglise.Jesuissûrquejamaisjenel’oublierai,alorscommentvivresanselle ?Jedoisremettremavieenordre.
IlfautvitequejepartehabiteràFréjus,que jem’éloigned’icietque j’ouvremonaffaire.Jedoisprendreunnouveaudépart.Unefoisinstallé,jequitteraiVanessaendouceur,jenepeuxpascontinueràluimentirsurmessentiments.
–Qu’est-cequetufouslà ?Tunepeuxpastetrouverunautrebar ?–Lâche-moiGreg !m’agacé-je,enrelevantlatêtepourplantermonregarddanslesien.– Tum’as volé ma femme et je dois supporter ta tronche où que j’aille ? Tu ne peux pas sortir
définitivementdemavie ?grogne-t-il,enmefusillantdesyeux.Je le fixe un instant, ne sachant pas comment réagir…Dois-je envoyermon poing dans sa fichue
gueuleouêtreplusintelligentetl’ignorer ?Jechoisisladeuxièmeoption.–Vanessan’ajamaisététafemmeetjevaistedemanderdedégagerdematablerapidement.–Sinonquoi ?meprovoque-t-il.–PutainGreg !C’estquoitonproblème ?ÇafaitdesmoisetVanessanet’ajamaisaimé !–Monproblème,c’estquejel’aimeetquetuétaismonami,jetefaisaisconfiance !s’énerve-t-ilen
mebalançantsonverredebièreàlafigure.C’estplusque jenepeuxensupporter. Jeme lèveetmedirigevers la sortie.Arrivédans la rue,
j’allumeunecigaretteetmarchejusqu’àmavoiture.Jeprendsdegrandesrespirationsd’airglacialpour
essayerd’éteindre le feu sous-jacentquimonteenmoi. Jeme retiensde fairedemi-tourpouraller luidémolirleportrait.Quelconnardcemec !
Je cherchemesclésdans lapoche intérieuredemonblousonquandonm’attrapeviolemmentpar-derrière.Jemedébatsetfaisbasculermonagresseurpar-dessusmonépaulepourlemettreausol.Jenesuispas surprisdedécouvrirGreg, allongé sur lebitume,alorsque je lui assènecoupsurcoup. Il sedéfendetpercutemamâchoirepuismonarcadedesespoings.LesvideursduStJamesaccourentpournousséparer.IlsrelèventGregtandisquel’onmeretientparlesépaules.
–Tuasbousillémavie,hurle-t-il,enessuyantlesangsursonvisage.Tum’asvoléVanessa…Jeleregardesanscomprendre,jesuisenétatdechoc,mespenséestournentàmilleàl’heuredansma
tête.Qu’est-cequej’aifait ?J’aifoutuenl’airlesviesdedeuxpersonnesquej’aime.VanessaetGregn’avaientpasàfairelesfraisdemonmal-être.Leremords’emparedemoietmeretournel’estomac,j’aitoutjusteletempsdemedégagerdesbrasdesgorillesquimeretiennentquejemepencheenavantpourvomir sur le trottoir. Je suispitoyable, j’ai hontede ceque je suisdevenu. Jeme redresse et regardeGreg,lesyeuxemplisderegret.
–JesuisdésoléGreg,jenevoulaispastefairedemal…jenesaispaspourquoijet’aifaitça,tuneleméritaispas…
–Allezvousfairefoutre,toiettesmauditesexcuses,s’égosille-t-il.Jeneveuxplusjamaistevoir,tum’entends ?Dégagedemavie !
Je ne sais quoi répondre, je suis anéanti. J’ai devant les yeux un homme brisé à cause de monégoïsme.Alorsjepréfèremetaire.Jesorslesclésdemavoiture,m’engouffredansl’habitacleetparsvite de cet endroit pour m’éloigner de cette scène complètement surréaliste, preuve de ma totaledéchéance.
Ilestpresqueuneheuredumatin,quandjemegaredevantlamaisondeVanessa.J’habiteicidepuishuit longsmoiset jen’arrive toujourspasàdirechezmoi…Cesmotsm’écorchent la bouche. Je suiscommeunétrangerentrecesmurs,commejelesuisaussidanssonlit,sesdrapsousesbras.Lavienousjouededrôlesdetoursparfois.J’ouvrelaporteenessayantdenepasfairetropdebruitpournepaslaréveiller,maisc’estpeineperdue.Jelatrouverecroquevilléesurlecanapé.Moncœurfaituneembardéedansmapoitrine.Jenesupportepasdeluifairedumal,elleneméritepasça.Jem’approchedoucementetmelaissetomberàsescôtés.Ellenebougepasd’unmillimètreetsecontentedefixerlatablebasse.
–Jesuisdésolé…murmuré-je,enposantmamainsursongenou.–Çanesuffitplus…Tuesdésolésisouventquecemotneveutplusriendire,Stephen…répond-
elle,enmerepoussant.–Jenesaispascequ’ilm’arrive…jefais toutcequejepeuxpourquetoutaillebienentrenous,
maisjen’yarrivepas…–Moijesaistrèsbiencequ’ilt’arrive !rétorque-t-elle,lavoixpleinedereproches.–Jenevoispasdequoituparles.Je détourne mon regard pour éviter de croiser le sien plein d’accusations et pour cacher mon
mensonge.–Nemeprendspaspouruneimbécile,Stephen !Depuis ledébut, jefaismonpossiblepourquetu
l’oublies.Jedonneraisn’importequoipourquetum’aimesundixièmedecequetul’aimes…Mais iln’ya rienà faire,elleest toujours là,entrenousdeux.Elledétruit toutceque j’essayede
bâtir,telunfantôme,ellehantenosvies…Jenepeuxpluscontinuercommeça !–Émyn’arienàvoirdanstoutça,tenté-jedemedéfendre.–Arrêtedetevoilerlaface !Tul’aimestoujours…peut-êtremêmeencoreplusaujourd’hui…jene
peuxpluslutterStephen,jesuisfatiguée,finit-elleensanglotant.Lagorgenouée,jecombatspourretenirmeslarmes.Jeconnaismessentimentsetjesaistrèsbienoù
j’ensuis,maisjerefusedemelaisserdétruireparÉmy.Celamettrapeut-êtreunan,voiredeux,maisje
l’oublierai. Je prends Vanessa dans mes bras pour la consoler et dépose quelques baisers sur sescheveux.Elleseblottitcontremoietlibèreseslarmes.
–Jeteprometsquejevaisfaireuneffort,nousallonspartirtouslesdeuxàFréjuspournouschangerlesidées.JetiensàtoiVanessa,laisse-moijusteunpeudetemps.
Ellehochelatête,maisjesaisqu’aufondd’elle-mêmeellen’ycroitpasvraiment,toutcommemoi.Nous repoussons l’inévitable. Je la soulève dans mes bras et me dirige vers la chambre. Nous nousallongeonsl’uncontrel’autreetnousendormons.
Aprèsunenuitmouvementée,jemeredresseetremarquetoutdesuitelaplacevideàmescôtés.Jefilesousladoucheenignorantmonrefletdanslemiroir.Mabarbedeplusieursjours,mesyeuxcernésetmescheveuxtroplongsnefontqueconfirmerletroubéantdanslequeljenecessedesombrer.Jeneparlepasdemonarcadeéclatéeetdemonœilaubeurrenoir.J’enfileunjean,unpullgrisetmerendspiedsnusdanslacuisine.JetrouveVanessaassisesuruntabouretdevantlecomptoir,unetassedecafédansunemainetsonportabledansl’autre.Ellesemblesoucieusealorsqu’ellefixel’écran.
–Toutvabien ?jedemande,inquiet.–Oui,répond-elle,enrangeantprécipitammentsontéléphonedanslapocheavantdesonjean.Jeresteimmobileuninstantàl’observer.Jesensquequelquechosenetournepasrond.Jesecouela
têteetmesersunetassefumantedecafénoir.–Tusaisquesituasdessoucis, tupeuxm’enparler,commencé-jeenm’asseyantàsescôtés.J’ai
remarquéquetonportablen’arrêtaitpasdesonnercesderniersjours.–Tupeuxmelâchercinqminutes !s’énerve-t-elle,enselevantpourposersatassedansl’évier.Je reste sansvoixdevant cette soudaine sauted’humeurque jene comprendspas.Son attitudeme
confirmequ’ilyaunproblème.Jemedemandebiencequ’ellemecache.–Jeveuxsimplementt’aid…– Laisse tomber Stephen ! Commence donc par t’aider toi-même ! Tu as vu la tête que tu as ? Tu
cherchesquoi ?Te faire tuer dansunbar ou te foutre en l’air sur la route à forcedeboire commeuntrou ?!hurle-t-elle.
Jegrimacedevantsescrisperçantsetmedépêchederépondreagacé:–Tun’espasobligéedebrailler !Jevoulaisjustet’aider.–Ouietbienoccupe-toidetesaffaires !Commenceparrentreràdesheurescorrectesetpasàmoitié
saoul !rétorque-t-elle,lavoixpleined’animosité.–OK,c’estbon,t’esmallunée !J’aifaituneerreurhier,maissituneveuxpasquejecontinue,lâche-
moiunpeu,balancé-je,enmelevantbrutalementpourjetermatassedansl’évier.Horsdemoi,jemedirigedanslachambrepourprendreunepairedechaussettesquandj’entendssa
voixdéchiréepar-dessusmonépaule:–C’estça,casse-toi !Detoutefaçon,c’estlaseulechosequetusachesfaire !Retournedoncdanston
troumiteuxfairelaputeavectesvieillessalopes.Jemefigeetmetournepourlaregarder,jen’encroispasmesoreilles.–C’esttoiquiparles ?Lafemmequisepayaitdesgigolospouravoirunpeud’amouroulagarcequi
atoutfaitpourfoutreenl’airlaviedesameilleureamie ?laprovoqué-je.–Espècedesalopard !Tun’esqu’unenfoiréquisesertdemoidepuisdesmoisparcequ’iln’apas
lescouillesd’allerchercherlafemmequ’ilaime !Impossibledememaîtrisersouslaragequienvahitmoncorpstoutentier,j’envoieuncoupdepoing
danslemuretm’exploselamainaupassage.Puisjefiledanslachambre,enfilemeschaussettesetmeschaussures.J’ignoreseshurlementsetsesparolesblessantes,pouréviterdeluifracasserlatêtepourlafairetaire.Jenesuisjamaisviolentaveclesfemmes,maislà,ellevatroploin.Jeneveuxpasqu’ellemeparled’Émyetdetoutcequej’aifoutuenl’air,jenelesaisquetropbien.Chaquejourquipasseestunetortureetchaquenuitunenfer.Ellen’apasbesoindemerappelerquejesuisladernièredesmerdes,je
lesaisdéjà !–Tun’esqu’unlâche,conclut-elleenselaissanttombersurlelit.–Jenesuispaspluslâchequetoi,Vanessa…nousnoussommesconsolésquelquetemps,maisjene
t’aijamaisparlédemariageoudejenesaisquoid’autre !Jet’aimebeaucoup,tulesais,mais…–Non,tais-toi,s’ilteplaît,neledispas…neledispas…m’implore-t-elleens’effondrantsurlelit.Je passe une main sur mon visage en soupirant et m’assieds à côté d’elle, pour l’enlacer. Je ne
supportepasde lavoirdanscetétat,macolères’envoleaussi tôt. Je laberceun longmoment, tandisqu’elles’accrochedésespérémentàmesépaules.Puisauboutd’unmoment,jeluidis:
–Jepensequejevaispartirtoutseul,ceweek-end…nousavonsbesoindefaireunepause.Nousnepouvonspascontinuerànousdéchirerdecettefaçon,Vanessa.
–Non !s’exclame-t-elleenseredressantprécipitamment.Tunepeuxpasm’abandonner,çavaaller,toutvas’arrangerentrenous,mesupplie-t-elle.
–Riennevas’arranger,àchaque jourquipasse,nousperdonsunmorceaudenous-mêmes. Il fautqu’onprennedureculetcen’estpasennousdisputantqu’onvaréglerleschoses.Jenesaisplusoùj’ensuis…avoué-je.
–Detoutefaçon,ai-jemonmotàdire ?questionne-t-elle,agacée.–Non,jesuisdésolé.JedoisvraimentsouffleretquelquesjoursseulàFréjusvontmefaireleplus
grandbien.– Je sais que tu l’aimes…mais tu l’oublieras avec le temps et toi et moi, nous serons heureux,
cafouille-t-elleentredeuxsanglots.–Jeneveuxplusquetupleures,Vanessa.Profitedecesquelquesjourspourtereposeretréfléchisà
cettesituationquinousrendmalheureux.–Jeneveuxpasqu’onsesépare,Stephen…jet’aime…–Jesais,mais…commencé-je,avantd’êtrecoupéparlasonneriedesontéléphone.Ellelesortetblêmitenregardantl’écran.–Tunerépondspas ?–Non,réplique-t-elle,enl’enfouissantànouveauaufonddesapoche.Jeladévisage,soupçonneux,ellemecachequelquechose,c’estsûr.–Quiessayedetejoindredepuisplusieursjours ?Etpourquoitunerépondspas ?–Tudevraispartir,aujourd’hui,pourFréjus,plutôtquederesterlà,àmeposerdesquestionsdontles
réponsesneteregardentpas,m’agresse-t-elle.Jel’observeseleveretsortirdelachambre,stupéfait,devantcesoudainchangementd’humeur.Nepouvantensupporterplus,jesorslavaliseduplacardetcommenceàlaremplir.Ilfautvraiment
que jeparte loind’ici,pour reprendremesesprits.Et jesuispressédevoir l’avancéedes travaux.Sil’appartement au-dessus de mon bar est prêt, je pense déménager plus vite que prévu. Vanessam’insupportedeplusenplus,alorsavantd’êtredéfinitivementfâchés,ilfautquejem’enaille.
–JeparsVanessa,dis-jeenentrantdanslesalon.Elleestfigéesurlecanapé,lesgenouxremontéscontresapoitrine.Sesyeuxsemblentégaréstandis
quedeslarmesroulentlelongdesesjoues.Voyantqu’ellenemerépondpas,jerécupèremesclésetmonportefeuille,puis jesorsdelamaison.L’airvifmefaitunbienfou, jerespireànouveau.Lasensationd’étouffement et d’emprisonnementme quitte pourmon plus grand soulagement. Je balancema valisedanslecoffredemavoitureetm’installederrièrelevolant.Jedémarrelevéhicule,enjetantunderniercoupd’œil,àl’immensedemeuredeVanessaetm’éloignelecœurunpeuplusléger.
Leskilomètresdéfilent lentement. Jemeconcentre sur la route, en essayantd’oublier cinqminutesmes emmerdes. Le visage d’Émy vient me hanter à plusieurs reprises, mais je le chasse en meremémorantsesdernièresparolesblessantes:
«Tun’arriveras jamaisà la cheville deNicolas.Même tes petits rêves sontminables, Stephen.
Aussiminablesquetoi !»Cettephrasem’obsèdedepuisdesmois,nuitetjour.Émyaraison,jenesuisqu’unminable,unbonà
rien.Commentaurait-ellepuêtreheureusedansunbarpaumé,enborddemer ?J’aiétéidiotdepenserque j’étais assezbienpour elle… je soupire, et soupire ànouveau. J’essayede soulager cepoidsquim’écraselecorpsetlecœur,cenœudquienserremagorgeetsemblevouloirm’étoufferàchaqueinstant,cedégoûtdemoi-mêmequimedonnelanauséeetmeretournel’estomac…cettefragiliténouvellequim’habite,quifaittremblermesmainsetquimedétruitàpetitfeu.
Jesuismortàl’intérieuretsiriennechange,jenedonnepascherdemapeau.Fatigué,jem’arrêtesuruneaired’autoroute.Ilmeresteencoreplusieursheuresdetrajet,ilmefaut
unboncafé.Tandisquelamachineleprépare,jejetteunœilàmonportableetydécouvrepasmoinsdeseptappelsmanquésdeVanessa.Jen’écoutepaslesmessages,carjesaisd’avancecequ’ilscontiennent.Je rangemon téléphonedansmavesteet récupèremoncafé,avantde rejoindremavoiture. Je leboisrapidementetreprendslaroute.
Quand,quelquesheuresplustard,jemegaredevantmonbar,jesuisexténué,maisexcitéàlafois.Jesuischezmoi,enfin…
L’odeurdugrandlarge,desembrunsmarins,vientchatouillermesnarines.Quej’aimecesparfumsdebord demer et le bruit des vagues se brisant sur les rochers. Je prends de profondes respirations etj’emplismespoumons,decettenouvelleviequim’attend.Jelaissemesyeuxsepromenersurlameretsur le superbe spectacle qui s’offre à moi : un coucher de soleil comme je n’en ai pas vu depuislongtemps.Uninstantmagiquequimeredonnedubaumeaucœur.
Aprèscesquelquesminutessalvatrices,jerécupèremavaliseetouvrelaportedemonnouveauchez-moi… Je pénètre dans le bar et suis surpris par l’avancée des travaux. Le carrelage est posé, lemagnifiquecomptoirenboismassifestàsaplace,lesmurssontrepeints.Ilnemanquepasgrand-chose,pourfairedecetendroitunlieusympathique,oùs’arrêterprendreunverreaprèsunebonnejournéesurlaplage.J’ai l’impressiondefaireunbonddans le tempsetdemeretrouvergamin,assisà la terrasseàfairemesdevoirs,alorsquemesparentsaccueillaientlestouristes,dansleurpetitbistrot.
Jemonteàl’étagepourinspecterl’appartementetsuissurprisdeletrouverterminé.Ilnerestequ’uncoupdeménagepourrendreleslieuxhabitables.Lacuisineouvertesurunimmensesalonmeredonnelesourire.C’est exactement commedansmes rêves. Je laisse tombermesaffaires au sol etparsdans lecouloir,découvrirlestroischambresetlesdeuxsallesdebains.C’estunpeugrandpourmoi,maisjemesuis dit que peut-être un jour, j’aurais une femme et des enfants, même si en ce moment, cette idéem’éclatelecœur,enmillemorceaux…Mafamille,c’estavecÉmyquejevoulaislaconstruire…
Jelâcheunjuronetdécidedepartirmepromenersurlaplage.Jelongelesvaguesquiviennentlécherlesable,enmedisantquedèslelendemain,jevaisdevoirtrouverdesmeubles.Pourcesoir,jedormiraiàmêmelesoloudansmavoiture,peuimporte.Jem’occuperaidetoutçademain.
Jem’installesurunrocheretlaissemonregardsepromenersurlamer.Jedonnerain’importequoipourêtreavecÉmy,àcetinstantprécis,pourluimontrercemagnifiquespectacleetpartagerunepartiedemesrêvesavecelle,maisvoilà,ellen’estpaslà…etjevaisdevoirvivreavec…
Depuis deux jours que je suis là, j’ai tout nettoyé de fond en comble, avant de faire livrer mesnouveauxmeubles.Riendebienluxueux,jen’enaipluslesmoyens,j’aitoutinvestidanscetteaffaire.Desmeubles simples, comme la vie que je souhaitemener : un canapé, une table basse ainsi qu’unebibliothèquepour lesalon,une tableetquatrechaisesenpinavecunfrigopour lacuisine,un litdeuxplacesaccompagnéd’unearmoireetd’unetabledenuit.J’aiaussiinvestidansdelavaisselleetdulingedemaisonpourremplirlesplacards.Unemachineàlaverdanslabuanderieclôtureletout.
Riend’extraordinaire…Maisc’estchezmoietjem’ysensbien.J’aidécidéderentreraujourd’hui,pourrécupérertoutesmesaffaireschezVanessa.Jenepeuxplus
vivreavecelle,aussivais-jedevoirmettrefinànotreaventure.Jesaisqu’ellevatrèsmalleprendre,
maismadécisionestprise.JerestedeuxjoursàParis,histoirederégler toutesmesaffaireset jeparsdéfinitivementdecettemauditeville.
Ilestmidiquandjeprendslaroute,unpeustressé,jel’avoue.J’aipeurd’uneréactionexcessivedelapartdeVanessa,enapprenantquejelaquitte.Jeculpabiliseatrocementdeluifairedumal,maisn’est-cepaspiredeluimentir ?Unefoisloindesavue,ellem’oublieravite.
Letrajetpasseàtouteallure,commesiletempsoulediableenpersonneavaitdécidédemeplongerenpleincauchemar,leplusrapidementpossible.Etquandjeparledecauchemar,cen’estrienàcôtédelaVanessaquejedécouvre,ivremortesursoncanapé.Lesalonestsensdessusdessousdescadavresdebouteillesjonchent lesoletdulingesaletraîneunpeupartout.Unouraganauraitfaitmoinsdedégâts.Qu’est-cequec’estcebordel ?Jesuispartiquoi ?Deuxjours ?Putaindemerde,maruptures’annonceplusdifficilequejenemel’imaginais.
JeréveilleVanessaenlasecouantdoucement.Elleécarquillelesyeuxenmedécouvrantàsescôtés.–Tues…ren…rentré…cafouille-t-elle,l’haleinechargéed’alcool.–Ouiettoi,tuescomplètementdéchirée !ladisputé-je.–Pourquoi…tunerépondaispas…àmesappels ?–J’étaisdébordé,maisqu’est-cequetuasfoutu ?demandé-jeenluimontrantd’ungestedelamainle
merdierquijonchelapièce.Laissetomberjeteportedanstonlit,conclus-jeenvoyantsaminedéconfiteetsesyeuxembuésdelarmes.
Jeladéposedanssonlitetlaborde,elles’endortdanslaseconde.Jesecouelatête,agacé.Jevaisencoredevoirattendrepourluiavouermesprojetsàcourtterme.
Jeretournedanslesalonetcommenceàmettredel’ordre.Ilfaitnuitquandjemedécideàprendreunedouche,avantdemecoucherdanslachambred’amis.Jeresteunlongmomentàfixerleplafond,unnœudauventre,jemedemandecommentjevaismedépatouillerdetoutça.
Après une nuit agitée, jeme lève avec unemigraine atroce alors je pars à la recherche d’un tubed’aspirine.JefarfouilleunpeupartoutetsuiscoupédansmesrecherchesparlasonnerieduportabledeVanessa.Jen’yprêtepasattentionetcontinuelafouilledestiroirsdelacuisine,maisquandelleretentitànouveau, quelquesminutes plus tard, inquiet, je regarde l’écran. Je ne connais pas ce numéro,mais ilsembleraitqu’ilait laisséplusieursmessages. Jemedécideà lesécouteràcauseducomportementdeVanessa,cesdernierstemps,jen’aimeraispasqu’elleaitdesennuis.
J’écoutelepremier,ledeuxième,letroisièmeetaufildesmessagesetdesmotsquej’entends,monuniverstoutentiers’effondre.Moncœuracessédebattreetsemblevouloirs’effriterdansmapoitrine.Mavuesebrouillealorsquemarespirationsefaitchaotique.Mesmainss’agrippentaucomptoirdelacuisine,pourmemaintenirdebout,tandisquemesjambessemettentàflageoler.
Émyestàl’hôpital…Émyestàl’hôpital….Émyestàl’hôpital...Cettephrasetourneenboucledansmatêteetsembleneplusvouloirlaquitter.Lavoixdecettefemme,quejesupposeêtresamère,paraissaitbouleverséeetprofondémentinquiète.MonDieu,faitesquecenesoitpastropgrave…UnéclairdeluciditémetraverseenréalisantqueVanessalesavaitetmecachaitlavérité.Alors,fou
derage,jefoncedanssachambreetmemetsàhurlerpourlaréveiller:–Commenttuaspumementir ?Pourquoi…pourquoituasfaitça ?Tueslapiredesgarcesqueje
connais…Elles’assied,lesyeuxcernésetbredouilled’unevoixensommeillée:–Dequoituparles ?Arrêtedecrier,j’aimalàlatête…–Tunesaispasdequoijeparle?Tuveuxvraimentjoueràcepetit jeuavecmoi ?rétorqué-jeen
balançantsonportablesursonlit.–Tuasfouillédansmonportable !hurle-t-elle,lesjouesenfeux.–Tuétaisaucourantbienavantquejeparte…Ettunem’asriendit…Commentas-tupumementir
surunsujetaussigrave ?–Dequoituparles ?essaye-t-elledemementirànouveau.– Je t’interdisdecontinuer tonpetit cinéma !hurlé-je àboutdepatience.Tun’esqu’unementeuse
manipulatrice ! Tu sais que je l’aime plus que tout, comment as-tu pume cacher le fait qu’elle soit àl’hôpital ?
Elledétourneleregardetbaisselatête.Ellesemblecomplètementabattueparcequejeviensdeluidire. Emporté par la colère, je veux la blesser autant que je le suis, alors je rajoute d’une voixsarcastique:
–Quoi ?Tupensaisvraimentquejepouvaisêtreamoureuxdetoi ?Tun’esqu’unepetitefillericheetcapricieuse, qui trahit ses amis et quiment sans aucun scrupule !C’est terminé, tum’entends ?Tuvassortirdemavieaussivitequetuyesrentrée…
–Tun’aspasledroitdedireça…J’aimentiparceque jesavaisqu’en l’apprenant, tufonceraisàl’hôpitalpourlavoiretquejeteperdrais !sedéfend-elleensanglotant.
–Tuasraison…j’aimeÉmyplusquetout…plusquetoi…ettun’auraisjamaisdûmecachercequisepassait !
Jefaisvolte-faceetfiledansmachambre,pourenfilerun jeanetunechemise.Depuiscombiendetemps,n’enai-jepasmis ?Uneéternité…JeveuxêtreunminimumprésentablepourÉmy.Jesaisquejesuismalraséetquel’onvoitencoremonœilaubeurrenoir,maisjeveuxaumoinsêtrebienhabillé.Jemets aussi une touche de parfum puis récupère ma veste et mes clés, avant de me diriger d’un pasdéterminéverslasortie.
–Tune peuxpas y aller, Stephen !Etmoi je ne compte plus ? crieVanessa en pleurant toutes leslarmesdesoncorps.
–Aprèscemensonge,tunecomptesabsolumentplusàmesyeux…Je sors de sa maison, en essayant de calmer les palpitations de mon cœur dues à l’angoisse de
retrouverÉmy,allongéesurunlitd’hôpital.Queluiarrive-t-il ?Pourquoiest-ellelà-bas ?A-t-elleeuunaccident ?Peut-êtreunmalaise…est-ellemalade ?Jevaisdevenirdingueàforcedemeposertoutescesquestions.Jemontedansmavoitureetparsàtouteallureendirectiondel’hôpitalmentionnéparsamèredanssesmessages.Jeconduiscommeunautomate,jenevoispaslaroutedéfilernilesfeuxnilesstops,jenevoisplusrien,seullevisaged’Émym’obsède.
Jemegarecommeunsauvagesurletrottoir,devantl’entrée,enignorantlesprotestationsdespassantsetdéboule,commeunmalade,pourtournerdanstouslessens,àlarecherched’unascenseur.Samèreaditquelachambred’Émysetrouvaitautroisièmeétage,couloirB,chambre324.Quelquesminutesplustard,jemarchedansunlongcouloirauxmursblancs.Jeregardechaquenumérosurlesportes.311,312,313, 314…Au321, j’aperçois une femme recroquevillée sur un fauteuil.Elle lève sonvisage ridé etdéforméparl’angoisse.Sesyeuxs’agrandissentdesurpriseets’éclaircissent.Jenelaconnaispas,maisellesemblemereconnaître.Elleseredressedifficilement,ens’appuyantsursespetitsbrasetvientàmarencontre.Jem’immobilisealorsqu’ellemebarrelepassage.Cettefemmeestminuscule,jedoisbaisserlatêtepourlaregarder.
–C’estvous…jevousreconnais…–Jenecomprendspas…balbutié-jemalàl’aise.–Vousêtescejeunehommequiestvenufaireunscandaleàl’église,lejourdumariagedemafille !Merde,c’estlamèred’Émy.Cen’estpas lemomentdemeprendre la têteaveccettehistoire, j’ai
d’autressoucis.Queva-t-ellemereprocher ?Va-t-ellem’obligeràquitterleslieux ?Jeluisouhaiteboncourage,carunearméetoutentièredesoldatsnem’empêcheraitpasdevoirsafille !
–Écoutez,Madame,jesuisdésolépourcequis’estpassé,cejour-là…J’aimevotrefilleplusquetoutaumondeetpersonnenem’empêcheradelavoiret…
–Calmez-vous,jeunehomme,mecoupe-t-elleenposantsamainsurmonbras.Jesaistrèsbienque
vousl’aimez,jelevoisdansvosyeux…Émyaépouséunmonstre,plutôtquedesuivresoncœur…–Commentça ?Quesepasse-t-il…commentvaÉmy ?demandé-jeprécipitamment,mortd’angoisse.–Ellenevapasbiendu tout…cethomme l’adétruiteaussibienmoralementquephysiquement…
répond-elleenessuyantleslarmesquiroulentsursesjoues.Secouéparcequejeviensd’entendre,jefaisunpasenarrièreetm’adosseaumur,pourluttercontre
le vertige qui s’empare de moi. J’ai peur de comprendre… Comment aurait-il pu la détruirephysiquement,l’aurait-ilfrappée ?Non…Monsangsemetàbouillirdansmesveines,mamâchoireetmespoingssecrispentquandjeluidemande:
–Qu’est-cequecesalaudafaitàÉmy ?arrivé-jeàarticulerentremesdentsserrées.– Il… il l’a frappée et… je pense qu’il y a plus que ça… je ne reconnais plusma fille, elle est
brisée…Jevousenprie,jevousensupplie,aidez-la.Jenesaisplusquoifaire…Jehochelatête,nepouvantsortiraucunsondemabouche.Jeregardelaportedelachambre324et
unpasaprès l’autre,d’unedémarchechancelante, jem’enapproche.J’avaledifficilementmasaliveetprendsdegrandesinspirations,enposantmesdoigtstremblantssurlapoignée.Jesuiseffrayéàl’idéedecequejevaisdécouvrir…Saurais-jemaîtriserlacolèrequimonteenmoienpensantàcequececonnardluiafait ?Jen’ensuispassûr,maisjetournequandmêmelapoignée.Moncœurmartèledangereusementmapoitrine.J’aidumalàrespirer.
J’entrebâillelaporteetdécouvreÉmy…MonÉmy…Allongée,ellesembledormir.Jem’approchedoucement etmon esprit vacille, alors quemon estomac se retourne.MonDieu elle est… elle est simenuesouscesdrapsblancs.Commenta-t-ellepuperdreautantdepoids,ensipeudetemps ?
Enm’approchantencore,jeremarquetoutdesuiteleshématomessursesbras,monsangnefaitqu’untour. Puis, mes yeux se posent sur son visage, et tout mon corps n’est que douleur devant ce que jedécouvre.Salèvreestfendue,sonœildroitestgonflé,cernédenoiretsajouetoutentièren’estqu’unénormehématome…J’aidumalàlareconnaître…
Le cœur au bord des lèvres, je retiens un sanglot, mais ne peux empêcher quelques larmes, des’échapperentremescils.Jecroisbienquejesuismortdepuisquej’aifranchileseuildecettechambre.JeregardeÉmyplusfrêleetpluslividequejamais,ellesembleavoirdumalàrespirer.
Jeladevinefêléeàlalimitedelabrisure…Çam’estinsupportable…
Chapitre3
Émy*
Je suisdans lebrouillard.Depuis combiende temps, suis-je allongéedansce lit ? Je neveuxpassavoir.Ici,danscettechambred’hôpitalauxmursverdâtres,quiempesteledésinfectantetlamort,jemesensmoinsmalqu’entrelesdrapsdesoiedeNicolas.Jevaispourtantdevoiryretourner.Jen’aipaslechoix.
Lesmédecinsontessayédemefaireparler.Ilsontmêmeenvoyéunedamequim’aquestionnéesansrelâche.Jenesaispasexactementquielleétait.Peut-êtreunepsychologue,ouuneemployéedesservicessociaux.Jenemesouvienspasnonplusdesonnom,justedelaprofondeurdesavoix.Douce,calme,posée.Maisellenonplusn’apaseuraisondemonobstinationànerienrévéler.Jeluiaimenti,commej’aimentiàtouslesautres.
«Jesuistombéedanslesescaliers».«Oui,j’ensuiscertaine».«Non,jenevouscacherien».«Jevousraconteraisdeschoses,s’ilyenavaitàraconter».
Ilsnesontpasdupes,j’enaibienconscience.Maistantquejen’avouepas,ilsnepeuventrienfaire.PorterplaintecontreNicolas,carc’estbiencedontilsessayentdemeconvaincre,seraitunsuicide.
Mamèrenequittepasmonchevet.Jepasseleplusclairdemontempsàdormir,ouàfairesemblant,pournepasavoir à répondreencoreauxmêmesquestions. Jeneveux…jenepeux riendire. Je sensparfoissamainfraîchecaressermonfront,ousesdoigtsserrerlesmiens.Jel’entendssangloter,aussi.Sicelamefendlecœur,jeneréagisjamaisetgardelespaupièrescloses,commesij’étaisassoupie.Jesuisincapablederegardersonangoisseetsadouleurenface…Parcequej’aihontequ’ellemevoieainsi,parcequejedoislaprotégeretqu’aucontraire,jelafaissouffrir,parcequej’aidéjàsimaletsipeurquejenepeuxsurvivreàplus.Jesuispleine,jedéborde.Unegouttesupplémentairemenoierait.
Desdocteursetdesinfirmièrespassentsouventdansmachambre.Ilsvérifientmaperfusion,ladosed’antidouleurquejereçois, lacicatrisationdemalèvreet l’évolutiondemeshématomes.Jeleslaissesoignermoncorps,maisneleurdonneaucunaccèsàmatêteoumoncœur.J’ail’habitudedeneriendire,derestermuréeà l’intérieurdemoi-même.C’estmoinsdifficileaveceuxqu’avecmonmari,mêmesicertains de leurs regardsme déchirent. La sollicitude peut fairemal, quand on n’a pas le droit de larecevoir. La douceur, de quelque nature que ce soit, ne fait plus partie de mon quotidien depuislongtemps.Mesouvenirdecettesensationrend levideencoreplusgrand,et lasouffranceencoreplusinsupportable.
Depuisquejesuisarrivée ici, jen’aipasvouluvoirmonrefletdansunmiroir.Çanonplus, jenepeuxpas.Pourtant, je devine à la façondontmamanme regardeque je dois être bien amochée.Et ladouleur qui résulte de chaque geste que je fais, ou de chaque mot que je prononce, me le confirmeégalement.Nuldoutequ’àprésent, jesuisaussi laideà l’extérieurque je lesuisdevenueà l’intérieur,aussidémoliededansquedehors.
J’entendslaportedemachambres’ouvrir.Allongéeentremesdrapsrêches,jegardelespaupièresclosesetfaissemblantdedormir.S’ils’agitd’unmédecinoud’uneinfirmière,ilouelleessayerademeréveiller.Sic’estmaman,elles’assiérasurlefauteuil.
Quelquessecondespassent,maislesilencedansmachambrerestecomplet.Monvisiteurn’estdoncpasunmembredupersonnelhospitalier.Cequiestétrange,c’estquejen’entendspaslecouinementdes
semelles en caoutchouc de ma mère sur le sol plastifié de ma chambre. Auraient-ils encore envoyéquelqu’unpourmeparler ?Sic’estça, jen’aiaucunement l’intentionde leurdirequoiquecesoit.Nimaintenant,nijamais.Qu’ilsarrêtentdesefatiguer.
Monmystérieuxvisiteuresttoutprès,jesenssaprésenceàcôtédemonlit.J’entendssarespiration,le froissement du tissu de ses vêtements quand il bouge. Puis, le contact chaud et léger de ses doigtscontrelapeauglacéedemamainmefaitsursauter.Jetournefinalementlatêtepourvoirdequiils’agitet…
Etjetombedanslevide.–Stephen…lâché-jedansunmurmure.Jenesaisplusoùjesuisnicequejeressens.Unetornadedesentimentscontradictoiress’emparede
moi,jesuisballottéeentrebonheuretcolère,teluninconsistantfétudepaille.–Émy,dit-ild’unevoixcassée.Ceregard,qu’ilposesurmoi.Ceregard…Jemourraisdanslasecondepouravoirlachanced’emporterceregard-làcommedernièreimagede
lavie.Ilyatantdedouceurenlui,tellementdechaleuretdetendressequeleslarmesmemontentauxyeux. J’essaye de me retenir, mais je n’y arrive pas et me mets à sangloter. Sa présence inespéréeréchauffebrusquementcequiétaitdevenusifroid.Mêmesij’aiconsciencequ’ilnes’agitqued’unfeuéphémère,levoiricimefaitunbienincommensurable.
–Jesuislà,Émy,nepleurepas,murmure-t-ilens’asseyantdoucementsurmonlit.Son visage, son beau visage, est porteur d’une telle souffrance quand il lève la main pour venir
caressermajoue…Malgré ladouleurquemecausecegestebrusque, jemeredresseet l’attirecontremoi.Je leserre
dansmesbrasàm’enfairemal,enpleurantcommeuneenfant, levisagedans lecreuxdesoncou.Lecontactdesoncorpscontrelemien,mêmes’ilestdouloureux,apaisedesblessuresbienplusprofondesque celles infligées par mon mari. Après quelques secondes de surprise, il m’entoure de ses braspuissants,avecunedélicatesseinfinie,commes’ilcraignaitdemebriserenm’étreignanttropfort.Unelarmequinem’appartientpasvientseperdresurmonfront.
Pour la première fois depuis des mois, je me sens en sécurité. Là, auprès de Stephen. Pendantquelquesinstants,jemedismêmequeplusriennepourrajamaism’arriver.
Puis,toutàcoup,jemesouviens.Laréalitéplantesesgriffesnoiresdansmoncœuretunsentimentdehontecuisantmeprendàlagorge.JerepousseStephenetdétournelatêtepouressayerdeluicachermonvisagemeurtri.J’étaistellementstupéfaitedelevoirici,ettellementsoulagée,quej’enaioubliétoutlereste.
–Va-t’en,asséné-je.Maisilnebougepas.Quandsamainvientchercherlamienne,jemeretournedifficilementdansmonlit,pourfairefaceàla
fenêtre. Jeneveuxpasqu’ilmevoie commeça.Ladouleurme fait grimacer, j’ai dumal à retenir laplaintequimontedansmagorge.
Stephensoupire,jel’entendssefrotterlevisage.–Jemesuisplantésurtoutelaligne,déclare-t-ilàvoixbasse.Jenesaispasdequoiilmeparleetjemerefuseàluiposerlaquestion.Ilfautqu’ils’enaille,même
sic’estbienladernièrechosequejesouhaite.Jeneveuxpasdesapitié.Riennesauraitêtrepirequeça,pasmêmelescoupsdemonmari.
–Commentt’aspulelaissertefaireça,Émy ?–Jenevoispasdequoituparles.Jesuis…tombéedanslesescaliers.–Arrête…Parlafenêtre,lepaysagecouleurdecendresdevientflou,brouilléparmeslarmessilencieuses.
–Qu’est-cequetufaislà,detoutefaçon ?luidemandé-je,sanspouvoirm’empêcherdeprendreuntonaccusateur.TunedevraispasêtreavecVanessa ?
–TusaispourVanessa ?Comment…–Qu’est-cequeçachange,commentjelesais ?lecoupé-je.Pendant un long moment, il garde le silence. Dans le couloir, un brancard que l’on déplace fait
entendresoncliquetismétallique.Uneconversation,danslachambred’àcôté,parvientvaguementàmesoreilles,embrouillaminidemotsdontjenesaisispaslesens.
–MarelationavecVanessaestterminée,reprend-ilfinalement.C’était…c’étaituneerreur.–Désoléepourtoi.–Vraiment ?Non.Biensûrquenon.Lesimaginertouslesdeuxmedéchirelecœur.Unnouveausilences’abatsurlachambre,jusqu’àcequederrièremoi,Stephencommenceàs’agiter.
Puisilserelèvesoudainement,faisantbougermonmatelas.–Jen’auraisjamaisdûsortiravecelle,Émy.Jamais.Tusaispourquoi?Jenerépondspas,maisilcontinuequandmême.–J’ai faitçaseulementparceque j’avais tropmal,parceque je t’aimaiscommeundingue,que tu
étaistoutcequejevoulaisetquej’aicrucreverquandtum’aslaissé !Jefermelesyeux,commesicelaallaitempêcherlesmotsdeStephenm’atteindre.Commentquelque
chosepeut-ilêtreaussibonetaussidouloureuxenmêmetemps ?Ilm’avraimentaimée.Cettevéritéestàlafoisunbaumeetunpoisonpourmoncœur.Unapaisement,etunetorture.Rapidement,ilcontournemonlitpourvenirmefaireface.Jevoudraispouvoirmecacher,nepaslui
laisservoiràquelpointjesuisdevenuelaide.Maissonregardenfiévrérencontrelemienetmecapture.–Etjesuisfatiguédefairesemblant.Tellementfatigué…Tuveuxquejetedise ?Nousrestonslesyeuxdanslesyeuxuncourtinstant.Lessienssemettentàbrillerjusteavantqu’ilne
reprennelaparole.–Jet’aime,Émy.Çafaithuitmoisetiln’yatoujoursquetoi.Ilattenduneréactiondemapart,c’estévident.Maislaseulechosequejesuiscapabledefaireestde
memettreàsangloter.Cettedéclaration,c’esttoutceàquoijerêvedepuisdesmois.Ettoutcequimeterrifieleplus.
–Non,nepleurepas,murmure-t-ilenglissantunemaindansmescheveux.Jesuisdésolé…Ne le soispas.Moiaussi je t’aime,Stephen…plusque tune le sauras jamais. Si seulement ça
pouvaitsuffire,siseulement…–Ilfaut…ilfautquetupartes,dis-jeentredeuxsanglots.–Pourquoi ?–Nicolas…–Jen’enairienàfoutredeNicolas !m’interrompt-il,uneétincellederageaufonddesyeux.Dis-moi
justeunechose,Émy.Uneseule.Est-cequec’estluiquit’afaitça ?J’inspiredoucement.Jevoudraisluidirequenon,queNicolasn’arienàvoiraveccesblessuresqui
couvrentmoncorpsetsouillentmonâme.Jedevraisluimentir,commejemensàtouslesautres.Ilestpenchéau-dessusdemoi,enappuisurmonlit,lesmusclestendus.Enattente.Etfaceàlui,je
n’arrivepasànierl’évidence.Lesmotsrefusentdefranchirmeslèvres.– Je sais que c’est très dur à dire, Émy. Alors, si dans dix secondes, tu ne m’as pas affirmé le
contraire,jeprendraisçapourunoui.Lessecondess’écoulent,etjerestetoujoursmuette.Stephenmefixeavecunetelleintensitéqueses
prunellessemblents’embraser.Aprèsdixsecondes,sesmâchoiressecontractentetsesmainsagrippentlesdrapscommes’ilvoulait
lesmettreenpièces.–Écoute-moibien,reprend-il.C’esttrèsimportant.Quandjereviendrai,tumedirassituveuxdemoi
oupas.Mais,quellequesoit taréponse, ilyaunechosequiestsûre:plusjamais, jenelaisserai tonorduredemarileverlamainsurtoi.Tum’entends ?Plusjamais.
–Qu’est-cequetuvasfaire ?demandé-jealors,sentantl’inquiétudemonterbrusquement.–Cequej’auraisdûfaire,ilyahuitmois.–Stephen…Sestraitss’adoucissentunpeu,puisilvientposerseslèvrescontremonfront.Aprèscedouxbaiser,
ilsortdelachambrecommeunbouletdecanonetdisparaîtdanslecouloir.
Chapitre4
Stephen*
Jesorsdelachambre,complètementanéanti.Jem’appuieaumurletempsdereprendremesesprits.Lamèred’Émyestlà,ellemefixeinquiète,ens’approchantdemoi.
–Vousallezbien ?demande-t-elleenposantsamainfroidesurlamienne.Sijevaisbien ?Non,biensûrqueçanevapas,j’aienviedetoutdémolirdanscemaudithôpital !Je
suisfouderageetj’ail’impressiondedevenircomplètementdingue.–Çavaallermerci…je…jedoisyaller,commencé-jeenpartantavantdefairedemi-tour.Dites-
moi,oùtravailleNicolas ?J’écoutelesexplicationsdelamèred’Émyenayantdeplusenplusdemalàgardermonsang-froid.
Puis,jelaremercieetparsàgrandesenjambées,pourrécupérermavoiture.Jemelaissetomberderrièrelevolant,ensentantlacolèreexploserenmoi.
–PUTAINDEMERDE !Hurlé-je,tandisqueleslarmesdévalentmesjoues.Jevaistuercetenfoiré !continué-jeendémarrantlevéhicule.
J’essuie mon visage d’un revers de la main, tandis que je zigzague comme un malade entre lesvoitures.Sijenemetuepasavantd’arriver,j’auraidelachance.Jemegareà l’angledelaruedesasociété.Jesensunetellepressionmonterenmoiquejesuisàdeuxdoigtsdel’explosion.Jesorsdemavoiture etme précipite vers l’immeuble, le cœur battant. Je pénètre dans un immense hall d’entrée etcommenceàtournerenrond,commeunlionencage.Jebousculeplusieurspersonnessurmonpassage,maisn’yprêtepasattention.Jenevoisplusrien,jen’entendsplusrien,lediableestenmoietmeguideversl’inévitable.Jepassedecouloirencouloir,jefaisirruptiondansplusieurssalles,interrompantdesréunions.Oùestceputaindesalopard ?!Jetrouveenfinunedoubleporteenboisavecsonnom,gravésuruneplaque.Jel’ouvrebrutalementetl’envoiecognercontrelemurdansunfracasinimaginable.
Ilestlà…Ilestlà,assisderrièresongrandbureauenacajouetquandilrelèvelatêtedesesdossiers,pourvoir
ce qui se passe, son visage se décompose. Il se lève précipitamment et essaye de décrocher sontéléphone,sûrementpourappelerlasécurité.Frapperunefemmeinnocente,c’estfacile,maisaffronterunhommeencolère, ça l’estmoins…J’attrape l’appareil, arrache les fils et l’envoievalser à travers lapièce.Ilterminesacoursedansunevitrinequisebriseenmillemorceaux,dansunraffutinimaginable.Jenecontrôleplusrien,jesuishabitéetguidéparunecolèremonstrueuse.Jenesaispascommenttoutceciva finir,mais ceque je sais, c’est que ce salopardne s’en sortira pas. Je sautepar-dessus le bureau,envoyanttoutvalsersurmonpassageetattrapecetabrutiparlecoldesachemisepourleplaquercontrelemur.
–Lâchez-moi,vousn’avezpasledroitdevenirici,jevaisappelerlapolice !crie-t-ilenmedéfiantduregard.
–Vas-y,appelle-les,espècedesalopardettuleurexpliquerasdequellefaçontuasfrappéetenvoyétafemmeàl’hôpital !grogné-jeencollantmonfrontcontrelesien.
–Émelyneestma femme, jen’aipasdecompteàvous rendre !cafouille-t-il alorsque je resserrel’étreinteautourdesoncou.
–C’estlàquetu te trompes…Émyn’estplus tafemmeet tunel’approcherasplus jamais,si tune
veuxpasquejetetue !murmuré-jeprèsdesonoreilled’unevoixgrave.–Pourquivousprenez-vous ?Jevaisvousattaquerenjustice,menace-t-ilentremblantdetousses
membres.–Jemeprendspourquelqu’unquiaimeÉmyplusquetout…Etjenelaisseraijamaispersonnelui
fairelemoindremal !Surtoutpasunlâche,complètementtarécommetoi !Ilmepoussebrutalementpouressayerdesedégager,jel’attrapeauvoletluiexpédiemonpoingen
pleine figure. Il titubeet s’agrippeaubureau.La fureur s’emparedemoi, je luidécrocheunuppercut,digned’unboxeur,quil’envoievaldingueràtraverslapièce.Enunclind’œil,jesuisdenouveausurlui,il semble complètement sonné, je lui décoche une droite qui lui percute lamâchoire. Sa tête part enarrièreetils’écrouleausol.Jeleregardegisantàplatsurledos,immobile,ilmefixedesesyeux…Desesyeuxétroitsetpeureux.Jenesuisplusimpressionnéparsonattituderoyale,jen’aiqu’unechoseentêtelefrapper,lefrapperànouveaupoursoulagermarageetmadouleur.LefrapperencorepourvengerÉmyetluimontreràquelpoint,ilnevautrien,àquelpointcen’estqu’unmisérableenfoiré…
J’entends les cris des secrétaires,mais ça nem’empêche pas deme jeter sur lui et de le frapper,encore et encore. Impossible dem’arrêter. Je vois du sang se rependre sur son visage et sa chemiseblanche,jevoisqu’ilestinconscient,maisjecontinue,jecontinue.Jesuisstoppéettiréenarrière,pardeuxhommes,maisjemedébatsdetoutesmesforcesetmelibère.Leregardd’Émys’imposeàmoietjeredescendssurterre.Lapaniqueet lescrisquim’entourentmepercutentdepleinfouetet jeréalisecequejeviensdefaire.Jevois lecorpsimmobiledecet imbécileet lestressm’envahit.Etsi je l’avaistué ?JeneverraisplusjamaisÉmy…
Plusieurs personnes essayent de le réanimer et quand dans un sursaut, il se redresse, je lâche unsoupirde soulagementetm’enfuis. Jedoisvitepartir loinde lui,parceque jene suispas sûredemecontrôler, s’ilmeprovoque.Jesorsde l’immeubledansunétat second.Jemarche jusqu’àmavoiture,m’écroulesurlesiègeconducteurettapeplusieursfoissurlevolantderage.
Quellemerde !Jen’auraispasdûl’amochercommeça !Maintenant,ilvasûrementporterplainteetavectouslestémoinsprésents,jesuisfichu !Jetapeunenouvellefoissurlevolantetdémarrepourmeglisserdanslacirculation.JedoisrejoindreÉmyàl’hôpital,maispasdanscetétat,elles’affolerait.
Machemiseestéclabousséedesangetmesmainssontégratignées,ilfautquejeprenneunedoucheetquejemechange.JedoisrentrerchezVanessa.Àcetteheure,j’espèrequ’elleseraabsente,jenesuispasen état pourme disputer avec elle.Vingtminutes plus tard, jeme gare devant l’immense demeure. Jemontelesquelquesmarchesetpénètredanslehalld’entrée.Laporten’étaitpasfermée,cequin’estpasbonsigne.MescraintesseconfirmentquandVanessaarriveversmoi,affoléeenmevoyantcouvertdesang.
–Qu’est-cequetuasfaitpourêtredanscetétat,demande-t-elleenmedétaillantdelatêteauxpieds.–Rien,çaneteregardepas,réponds-jed’unevoixglaciale.–Tantquetuserassousmontoit,çameregarde,crie-t-elleenmesuivant.–Jenevaispasrestercheztoi !Jemechange,récupèretoutesmesaffairesetjefile !Tun’entendras
plusjamaisparlerdemoi !J’ouvre le placard, en sors un grand sac de sport et le remplis demes vêtements, en ignorant les
protestationsdemonex-compagne.–Tunepeuxpaspartir !Onestbienensemble,tunepeuxpastoutfoutreenl’air,pourunefemmequi
sefichedetoi !s’égosille-t-elledésespérée.–Jet’interdisdeparlerd’Émy !Ons’aimeplusquetupeuxl’imagineretplusriennesemettrasur
notreroute…surtoutpastoi !crié-je,àboutdenerfs.–Qu’est-cequej’aifaitpourmériterça,Stephen ?demande-t-elleenpleurantàchaudeslarmes.–Tuteledemandesréellement ?Tuasfaitdumalàtameilleureamieetquandelleavaitbesoinde
nous,allongéesurcelitd’hôpital,tum’ascachélavérité !Tun’aspenséqu’àtoisanstesoucierdece
qu’elleendurait !Tun’espasunebonnepersonne,Vanessa…Jefiledanslasalledebainsetmedéshabille,puisjemeglissedansladouchepourmerincersous
l’eaufroide.Ilfautquejemecalme.Émyestensécurité,toutvabien.Respire,respire...Quelquesminutesplustard,jesautedansunjeannoirpropreetenfileuntee-shirtgris.Uncoupd’œil
danslemiroirm’indiquequej’aiunetêteàfairepeur.Cet imbécilearéussiàm’encollerune. Ilm’aexploséunearcadesourcilière,ceconnard !SijenepensaispastantàÉmy,jeretourneraislefinir,c’esttout ce qu’il mérite, ce sac à merde ! Je récupère mes affaires, toujours en ignorant Vanessa qui mesupplie,selamenteetvoyantqueçanemarchepas,envientauxinsultes.Peum’importe,ellepeutbienpensercequ’elleveutdemoi,elleestmorteàmesyeux.
Jesorsrapidementdelamaisonetbalancemonsacdanslecoffredemavoiture,avantdereprendrelarouteendirectiondel’hôpital.Unmomentplustard,jesuisdevantlaportedesachambre.Hésitant,jefixelapoignée,medemandantcommentÉmyvam’accueillir.Jeprendsunegranderespirationetjerentredanslapièce.Elleestseuleetsembleendormie,alorsj’avanceàpasdeloup,jeneveuxpaslaréveiller.Jeprendsplacesurlachaise,toutprèsd’elleetl’observeensilence.Elleparaîtsifragileetsi…brisée.Moncœursedéchiredansmapoitrine,toutceciestdemafaute,j’auraisdûmebattrepourelleettoutfairepourlarécupérer.Maisj’aibaissélesbrasetl’ailaisséentrelesmainsdecefoufurieux.Jen’osepasimaginertoutcequ’elleadûendurercesderniersmois ;rienqued’ypenser,unecolèrenoirerefaitsurfaceenmoi.Jelachasserapidement,cen’estpaslemoment.Jemepencheenavant,pourposermeslèvressursamaindélicateet,tressailleàsoncontact.Commesapeauetsonodeurm’ontmanqué.Jesuisraide dingue de ce petit bout de femme et ne pourrais plus vivre sans elle. Ça doit-être ça, une âmesœur…
Émys’agite.Sûrementuncauchemar,alorsjemelèveetcaressesonvisagepourl’apaiser.Elleouvrelesyeuxensursautantetsemblecomplètementperdue.Sonregardfaitletourdelachambreetseposeànouveausurmoi.Sestraitssedécrispent.
–Toutvabien,jesuislà,murmuré-jeendéposantunbaisersursonfront.–Tuesblessé…qu’as-tufait ?demande-t-elleangoissée.–Jemesuisoccupédetonsaloparddemari…C’estfini,ilnet’approcheraplus !Ilneterestequ’à
porterplainteetengagerledivorce.–OhmonDieucStephencTunesaispasàquitut’esattaqué…panique-t-elleens’agitantdansses
drapsblancs.–Jesaistrèsbienàquij’aiàfaire,net’inquiètepas !Jenetedemandequ’unechose,Émy.C’estde
nepaslaissersongesteimpuni !Ildoitpayerpourcequ’ilt’afait.–Maistuneterendspascompte,jamaisilnenouslaisseratranquillesc–C’estpourcetteraisonquetudoisporterplainte !Ensuite,tulanceraslaprocédurededivorceet
nouspourronscommencerunenouvellevie,ensemble…enfin…situveuxencoredemoi…Tudoismeledire,Émy…
Je plonge mon regard dans le sien, effrayé à l’idée qu’elle me repousse, mais elle me sourittendrementetcaressemajoue,duboutdesdoigts.
–Biensûrquejeveuxdetoi,Stephen…Jet’aime,souffle-t-elleenlaissantéchapperunsanglot.–Nepleurepas,Émy,toutestfini…jet’aimetellement,chuchoté-jeprèsdesonoreille.–Maisqu’est-cequejevaisdevenir ?Etmamère ?s’inquiète-t-elle.–Situesd’accord,nousallonspartirtouslestrois,pourrecommencernotrevieailleurs.J’aiacheté
une affaire, en bord de mer, avec un grand appartement, nous pourrons vivre ensemble, le temps detrouverunlogementpourtamère,prèsdecheznous.
–Uneaffaire ?–Oui,tuvasadorer.C’estunpetitbarenfaced’uneimmenseplage,onpourraittravaillerensemble !
Tuorganiseraisdessoiréesmondaines,commetusaissibienlefaire,nousserionsheureux,Émy…–J’aitellementpeur,Stephenc–Tu n’as plusà avoir peur, je suis là et jem’occuperai de toi et de tamère, tu n’as plus rien à
craindre.Jel’enlaceetlaserretrèsfortdansmesbras,avecunimmensesoulagement.Jen’arrivepasàcroire
que tout ceci est bien réel, j’ai tellement peur qu’ellem’échappe une nouvelle fois, le bonheur est sifragile.
Épilogue1
Émy*
Unenouvellejournéecommence.Lepaysages’embraseet,commetouslesmatins,jemeperdsdansla contemplation de ce spectaclemagique.Moi qui ai vécu dans les ténèbres pendant desmois, cettechaleuretcettelumièresontmonpetitmiraclequotidien.J’étaissisûredeneplusrevoirl’auroreetdedemeurerdanslenoirpourtoujours…
Alorsquejesuisperduedansmespensées,quelqu’unarrivederrièremoietm’entouredesesbras.Jesourisetmelaissealler,avecl’impressionsoudainequ’aujourd’hui, lesoleilneselèvequepourmoi.Pournous.
Nous restons enlacés unmoment, à admirer le ciel incandescent. Lamer s’agite doucement, paréed’un habit orangé et scintillant qui lui donne, pour quelques minutes, des allures de tableauimpressionniste.Unbaiserdansmoncou,uneétreinteaussidoucequelabrisequicaressemescheveux,le corps chaud de Stephen contre le mien et ses bras autour de moi. Voilà les ingrédients exacts dubonheur.
–C’estbeau,murmuré-je.Celafaitplusieursmoisquej’ailachancedepouvoirappréciercettevuetouslesmatins,maisjene
m’enlassepas.–Oui,répondStephen.Presqueautantquetoi.–Vilflatteur…Il s’esclaffe doucement et je me retourne pour lui faire face, abandonnant sur la table le chiffon
humidequej’avaisàlamain.–Ilvaencorefairebeauetchaud,dit-il,toutsourire.–Alorsonaurabeaucoupdemonde,c’estparfait.Tandisqu’ilacquiesce,jeleprendsparlecouetmemetssurlapointedespiedspourl’embrasser.
J’aibeaufaireçatrèssouvent,maintenant,j’aitoujourslesentimentquejen’auraipasassezdetouteuneviepourcomblerlebesoinquej’aidelui.Sesmainsglissentdematailleàmesfesses,etjemedisqu’iln’estpasimpossiblequ’ilressentelamêmechose.
Une sensation familière point dans le bas de mon ventre. Délicieuse et chaude. J’accentue laprofondeurdenotrebaiseretlecontactdemoncorpscontrelesien.Laréponseestimmédiate,ilgémitlascivementdansmabouche.
–Situcontinues,murmure-t-il,jet’allongedirectementsurlatablequiestlà.D’humeurtaquine,jepressemonbassincontrelafermeturedesonpantalon,enluilançantunregard
sanséquivoque.–Faisdonc,leprovoqué-je.–Tuessûre ?J’opine.–Tutesouviensqu’onestsuruneterrasse,oulesoleildumoisd’aoûtt’a-t-il troptapésurlatête,
mademoiselleBressac ?–Nousnesommespassuruneterrasse,maissurnotreterrasse.Nuance.Etonfaitcequ’onveutsur
notreterrasse.
–Mêmefairel’amoursurlestables ?demande-t-il,amusé.–Surtoutfairel’amoursurlestables…Etpuisilfautbientesterlasoliditédumobilier.–«Testerlasoliditédumobilier» ?–Humhum.–Tudirasçaaucoupledepetitsvieuxquivientparlà,alors.Etàladamequipromènesonchien.–OK.Jel’embrasseànouveau,avectantdesensualitéquejelesensfrémir.J’aimisdutempsàpouvoirapprécierlecontactducorpsd’unhomme,mêmes’ils’agissaitdecelui
de Stephen. Réapprendre la douceur, les caresses, le plaisir. J’avais oublié ce que c’était de fairel’amour.Aprèshuitmoisderapportsforcés,depénétrationsbrutalesetdedouleurinsupportable,lesexenem’inspiraitplusquedudégoûtetdelapeur.Nicolasavaittoutdémoli,toutrendumoche.
Pendantplusieurssemaines,j’aimêmeinterditàStephendemetoucher.J’étaisterrifiéeàl’idéederessentir,encouchantaveclui,cequejeressentaisencouchantavecmonmari.Cetterépulsionmaladivepourleschosesducorps,cettesouffrance.Ilafalluàmonhommebeaucoupdepatienceetdedélicatesse,pourmeremettresurlechemindelasensualité.Maisilaétéparfait.Àl’écoute,tendre,doux…L’amantidéal. Cela vient peut-être de sa grande expérience en lamatière,mais ça, j’essaye de ne pas trop ypenser.Cetteépoqueestrévolueetàprésent,jesuislaseuleetuniqueàpouvoirbénéficierdesestalents.Voilàtoutcequim’importe.
Peuperturbéeparlefaitquenoussoyonsàportéedevuedespassants,jeglisselamainsousleTee-shirtdeStephenetcaresselebasdesondosavecmesongles.Lefrissonquicourtsursapeaumeravit…Nonseulement il a réparécequ’unautreavaitbrisé,maisenplus, ilm’a redonnéunappétitplusquecertainpourlesexe…entoutcas,pourlesexeaveclui.Jenepeuxpasmerassasierdecethomme,pasplusdesoncorpsquedesesmots,desessourires.Ilestmanouvelleaddiction,dejourcommedenuit.
Àquelquespas,quelqu’untoussoteetjerepoussebrutalementStephenenconstatantquelequelqu’unenquestionestmamère.
–Navrée…s’excuse-t-elle,mi-amusée,mi-embarrassée.–Non,voustombezbien,Anne,répliqueStephenenmelançantunregardencoin.Émyétaitentrain
demedirequenousavionspeut-êtreunproblèmedemobilieret…Jeluidonneunpetitcoupsurlebraspourqu’ilsetaise,cequiapoureffetdelefairerire.–Quoi ?medemande-t-il,lefourbe.C’estimportant !Leregardfaussementmauvaisquejeluilanceaccroîtsonhilarité.–Vaplutôtt’occuperdetonpremierclient,aulieudediredesâneries,lehouspillé-jeensouriant.D’unpetitcoupdementon,jedésignelemonsieurquivientdefairesonapparition,unjournalsousle
bras.–J’yvole,Madame !Avantdepartirvaqueràsesoccupations,ilsepencheetmechuchoteàl’oreille:–Ontesteralasoliditédumobiliercesoir,àlafermeture…Aprèsunhaussementdesourcilsentenduetunbaiserplantésurmeslèvres,ils’envatravailler.Jele
suisdesyeuxunmoment,rêveuse.Lorsquejereportemonattentionsurmamère,sonexpressionattendriemefaitpresquemonterlerose
auxjoues.Priseenflagrantdélitd’adoration…–Alors,tuprendstesmarques ?l’interrogé-je,pourmasquermagêne.–Oui,l’appartementestparfait.Etcettevue…NosregardsseperdentensembledansleseauxcalmesdelaMéditerranée.Mamanvientd’emménagerdansunjolistudio.L’endroitn’estpasgrand,maistrèscoquet.Etdepuis
labaievitrée,quidonnesurunepetite terrasse,elleaunevue imprenablesur lameret lesplagesdeFréjus.
Ensilence,mamèrepasseunbrasautourdemesépaulesetvientcollersatêtecontrelamienne.Nousrestonsencoreunmomentàadmirerlavue,puisellereprendlaparole.
–Leverdictapproche,machérie.Tuesprête ?–Oui.Detoutefaçon,quoiqu’ilarrive,j’aidéjàtoutgagné.EtNicolas,lui,atoutperdu.Lescandalequiarésultédesamiseenexamenluiabeaucoupcoûté.Sa
sociétéet,surtout,saréputation.Lepire,pourNicolasDambres-Villiers.Monavocatditqueleprocèsest gagné d’avance, mais je ne veux pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Qu’il soitcondamnéseraitunvéritablesoulagement,lafindulongcombatquej’aimenécontreluietlesblessuresqu’ilafaitesàmonâme.Maiscen’estpasuniquementparçaquepasseramaguérison.
Jemeretourneetobservelascènequej’aisouslesyeux.Derrièremoi,lamer.Devantmoi,lajolieterrassed’uncafédeplusenplusfréquenté,aussibienpar
lestouristesdepassagequeparleshabitantsdecettebellevilledusud.Endessousdel’enseigneÉmy’s,Stephenestoccupéàservirnotrepremierclientdumatin.Ilsembleheureux,détendu.Àsaplace.Puisillèvelatêteetmesurprendentraindel’observer.Unsourireradieuxetpleindepromessessedessinesurseslèvres.Jedevinele«Jet’aime»qu’ilarticuleensilenceetmoncœursegonfledebonheurdansmapoitrine.
Mamère,quin’arienmanquédelascène,mesouritàsontour.–Bon,jevaisvoirsitonamoureuxtransiabesoind’uncoupdemain,medit-elle.J’acquiesceetattrapemonchiffonhumideafindeterminerlenettoyagedestables.Jemesenssereine,
détendue,heureuse.Etfollementamoureuse.Vivementcesoir,quejepuisseparleràStephenentêteàtête.Luietmoi,nousn’ensommesqu’au
débutdenotrechemin.Maisj’aid’oresetdéjàlacertitudequ’ilserabeau.
Épilogue2
Stephen*
Depuis quelques jours, je trouve Émy bizarre. Elle s’isole de longues heures sur la plage. Jesurprendssonregardposésurmoirégulièrement,maisdèsquenosyeuxsecroisent,elledétournelatête.Jesuisanxieuxetmedemandecequisepasse…Regrette-t-ellesonchoix ?Oùa-t-elledessoucisdontjenesuispasaucourant ?Nousavons travailléensemble toute la journéeet jen’ai cesséde l’observer,pourcomprendrecequinevapas,cequ’ellemecache,maisrien…Jen’airientrouvépourcalmermesinquiétudes.Jeviensdefermerlebaretaprèsavoiréteintleslumières,jemonteàl’étage.L’appartementest plongé dans la pénombre.Mon ventre se contracte tandis qu’une angoisse profondem’envahit. Jeparcours la cuisine du regard et passe dans le salon,mais aucune trace d’Émy. Je pars alors dans lecouloir d’un pas précipité et ouvre toutes les portes. Un soupir de soulagement m’échappe en ladécouvrant,deboutdevantlemiroirdelasalledebains.
Ellefixelaglaceetnesemblepass’êtreaperçuedemaprésence.J’observesonmagnifiqueprofil.Jesuisl’hommeleplusheureuxdumonde,cesderniersmois,jenepensaispascelapossible.Chaquematin,jemelèvelesourireauxlèvresetchaquesoir,jemecoucheavecunsentimentdepaixincroyable.J’aitrouvémamoitié,monâmesœuretplusriend’autren’ad’importance.
Jemedemandecequisepassedanssatêtepourqu’elleresteainsi,immobile,àfixersonreflet.L’aircontrariésursonvisageetlapâleurdesapeaum’inquiètent,cesderniersjours.Serait-ellemalade ?
Jem’approchedoucementetmepositionnederrièreelle,enpassantmesbrasautourdesataille, jecroisesonregarddanslemiroir.Ellemesourittendrementetentrouvrelabouchepourmedirequelquechose,puislarefermehésitante.
–QuelquechosenevapasÉmy ?demandé-jeangoissé.–Non,toutvabien,répond-elleenbaissantlatête.Sentant qu’ellemement, je la tourne pour lui faire face et plongemes yeux dans les siens.Mon
sourires’effaceenlesdécouvrantremplisdelarmes.–Jeveuxquetumediseslavérité,Émy…jevoisbienquequelquechosenevapasdepuisquelques
jours…–Non…–Si,jeteconnaisassezbienpoursavoirquetucachesquelquechose,dis-moilavérité,lasupplié-
je.Situregrettestonchoixetquetuneveuxplusvivreavecmoi,ilfautme…–Non !me coupe-t-elle enposant sesmains surmon torse. Jamais je ne regretteraimon choix, je
t’aimetellement.Noslèvresserencontrent,noslanguessefrôlent,noscorpss’écrasentl’uncontrel’autre.Jeluttepour
nepaslasouleverdansmesbrasetl’emportersurlelitpourluifairetoutesleschosesquimepassentparlatête.Engrognant,jelarepoussedoucementpourquenosregardssesoudentànouveau.
–Tunevaspast’entirersifacilement,Émy…dis-moicequisepasse.–TuvasmedétesterStephen…jenepeuxpas,finit-elleentredeuxsanglots.Moncœurs’accélèredansmapoitrine,enlavoyantsidémunie.Jelaserrecontremoietlaberceun
longmoment,attendantqueseslarmessetarissent.Puisjereprendsenmurmurantprèsdesonoreille:–Émy,quoiquetumedises,çanechangerarienentrenous.Jet’aimeplusquetoutaumondeetrien
nechangeraça !Tum’inquiètesvraiment,dis-moicequitetracasse…–Tuprometsquetunem’envoudraspas ?–Jetelepromets…Pourdirelavérité,jecommenceàpaniquer…Saréactionmefaitpeur.–J’écoute,insisté-je.Ellemedévisageetprendunegranderespiration,avantdemedired’unevoixgrave:–Tuvasêtrepapa…Sous le choc, je m’adosse au mur. Mes jambes flageolent dangereusement. Une joie incroyable
m’envahitetunrirem’échappe,envoyantl’airapeurésurlestraitsd’Émy.–Tuesenceinte ?Ettuavaispeurdemeledire ?–Noussommesàpeineinstallésetje…j’avaispeurquecesoittropprécipitéouquetupensesqueje
tepiégeais…–Tuplaisantes ? Je rêved’être pèredepuis si longtemps.Et puis, de toute façon, c’était dansnos
projetsd’avoirunenfant.C’estjusteunpeuplustôtqueprévu.Jelaprendsdansmesbrasetl’embrasseavecpassion.Moncœurdéborded’amourpourcettefemme
etpourcetenfantquigranditenelle.Moi,père ?C’estlaplusbellechosequipouvaitm’arriveraprèsÉmy.
–Jesuistellementheureux,chuchoté-jeprèsdeseslèvres.Nouséclatonsderireensembleetlajoie,l’amour,labonnehumeursemblentpalpablesdanslapièce.
Tousmes rêves sont exaucés.Après des années de galère, je suis enfin heureux et en paix avecmoi-même.
–Jet’aime,dis-jeenlaserrantplusfortdansmesbras.–Moiaussi…
Fin
CallieJ.DeroyNéeàParis(ilyapresquemoinsdetrenteans),CallieJ.Deroyestmariéeetmamandedeuxpetites
filles.Leslivres,c’estunpeutoutesavie,elleesttombéededansquandelleétaittoutepetite.Elleestl’auteuredeplusieursromansetnouvelles,dontlapluparts’imprimentdanslestylequ’elleaffectionnetoutparticulièrement:laromancefantastico-érotique.
Auteurede:Egon(éditionsL’ivre-Book)LiensdeSang–Tome1(éditionsL’ivre-Book)LiensdeSang–Tome2(éditionsL’ivre-Book)DélicieuxPoison(éditionsSharonKena)Lucyinmysky(éditionsL’ivre-Book)
PourcontacterCallieJ.Deroy:PageFacebook
L.S.AngeNéeàLyonen1975,L.S.Angeapassésajeunesseàlacampagne,dansunpetitvillageisérois.Elle
vitdepuisdanslesmontsduLyonnaisàCoise.L’écritureestunepassionrécente,elleaécritlasérie«De toute mon âme » sans y croire vraiment. Quand les épisodes se sont vendus à plus de 10 000exemplaires,elleaététrèssurpriseets’estlancéedansl’écriturede«Quandlamortnoussépare»unesériefantastiquequiaconfirmésonenvied’écrire.Elleestavant toutunegrandelectriceetdévoreunromanparsemaine.Ellepiochedansplusieursunivers:fantastique,érotique,Fantasy,romance…
Auteurede:Detoutemonâme(éditionsL’ivre-Book)Quandlamortnoussépare(éditionsL’ivre-Book)Dubleuàl’âme(éditionsL’ivre-Book)Supplice(éditionsL’ivre-Book)Mesétatsd’âme(éditionsL’ivre-Book)
PourcontacterL.S.Ange:PageFacebookSiteofficielPageTwitter
DumêmeauteurchezL’ivre-Book
–Inestimable:–Épisode1(Coll.LaRomance)–Épisode2(Coll.LaRomance)–Épisode3(Coll.LaRomance)–Épisode4(Coll.LaRomance)–Épisode5(Coll.LaRomance)–Épisode6(Coll.LaRomance)
Notedel’éditeurTousleslivresdeséditionsL’ivre-BooksontsansDRM,sansprotection.Il est possibleque, selon le site oùvous avez téléchargé cet ebook, des verrous aient été rajoutés
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