PONDICHERY 2018
FRANÇAIS 1ERES ES/L
I. VOUS REPONDREZ A LA QUESTION SUIVANTE :
Quels rôles jouent les chambres d’hôtel dans les textes du
corpus ?
Thèmes abordés : les lieux dissimulés, l’intimité, l’amour, la sexualité, la dissimulation
l’interface entre l’espace privé et l’espace public.
Texte A : Paul SCARRON, Le Roman comique, 1651
Texte B : Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, Troisième partie, chapitre 5, 1857
Texte C : André GIDE, Les Caves du Vatican, Livre IV, 1914
Texte D : Philippe BESSON, Les Passants de Lisbonne, 2016
Accroche et définition des termes du sujet :
Les chambres d’hôtel ont la particularité de constituer des espaces isolés et
dissimulés au regard de la société au sein d’un espace publique, puisque n’importe quel
individu, pour peu qu’il paie la somme due, peut vivre provisoirement dans ces lieux.
Ainsi cet espace privé est aussi public : des femmes de ménage, des servants ou le maître
de l’hôtel peuvent s’y introduire, ils en possèdent les clés, car la chambre d’hôtel ne
constitue pas la propriété privée de ses occupants.
Introduction et présentation des textes à partir de leur particularité et de leur
manière de traiter le thème de la chambre d‘hôtel (préciser : titre, auteur, date) :
Cette caractéristique hybride de la chambre d’hôtel qui se fait à la fois espace
privé et public est mise en scène dans Le Roman comique de Scarron, publié en 1651,
puisque la servante et Ragotin viennent perturber l’intimité des deux personnages. La
chambre d’hôtel donne ainsi l’illusion de l’intimité, comme c’est le cas dans Madame
Bovary, publié en 1857, où Flaubert montre que les personnages s’imaginent dans leur
propre foyer, au sein de cet espace. Mais dans Les Caves du Vatican, publié en 1914, Gide
montre le caractère impersonnel de la chambre d’hôtel : le personnage qui n’est que de
passage, ne prévoit pas l’entrée des moustiques dans la chambre, il n‘est pas habitué à ce
lieu situé face aux arbres, et donc susceptible d‘être infesté d‘insectes. Enfin dans Les
Passants de Lisbonne, publié en 2016, Philippe Besson montre que la chambre d’hôtel
est un lieu d’intimité et de réflexion sur soi.
Problématique :
Comment la chambre d’hôtel, par l’illusion d’intimité qu’elle instaure, permet
d’apporter des informations précieuses sur le caractère des personnages ?
Plan :
D’abord la chambre d’hôtel sera analysée comme une interface entre différents
lieux. Puis nous montrerons les fonctions de dévoilement de l’intime de la chambre
d’hôtel.
D’abord, la chambre d’hôtel est un espace à la fois public et privé, et constitue un
contexte hybride. Dans le Roman comique de Scarron, les péripéties qui se déroulent
dans l’intimité de la chambre d’hôtel sont encadrées par la présence de personnages
secondaires : la servante et Ragotin. L’action des personnages au sein de cet espace
constitue une parenthèse dans le récit. La chambre permet donc de rapprocher des
personnages auparavant éloignés, comme c’est le cas entre le Destin et madame
Bouvillon, dans Le Roman comique de Scarron, ou entre Léon et Madame Bovary dans le
roman de Flaubert. Ensuite, la chambre d’hôtel permet donc l’union de personnages qui
ne peuvent pas s’unir légitimement au sein d’un foyer, elle est un lieu qui laisse place à la
transgression des codes et des conventions sociales. Ainsi Madame Bovary trompe son
mari avec Léon, et le Destin se rapproche physiquement de madame Bouvillon alors
qu’ils ne sont pas de la même condition sociale.
Enfin le cadre de la chambre d’hôtel crée une intimité entre le lecteur, le narrateur
et les personnages présents dans la chambre puisque le secret des événements qui s’y
déroulent est préservé et que les autres personnages du roman ne partagent pas ce
secret. On peut ainsi s’attendrir avec amusement du personnage que met en scène Gide,
Amédée, qui lutte pour pouvoir dormir en présence d’un moustique. La chambre d’hôtel
permet ici de dévoiler un événement banal que tout le monde peut vivre sans jamais
s’attarder à le décrire. La complicité entre le lecteur et le personnage se crée donc dans
le dévoilement de l’intimité banale et quotidienne d’un personnage.
Transition :
Nous avons montré comment le cadre de la chambre d’hôtel permettait de
montrer des scènes habituellement dissimulées. Cela nous amène à nous interroger sur
la façon dont la chambre d’hôtel permet de dévoiler l’intimité des personnages.
La vie intérieure des personnages peut s’exprimer dans cette pièce isolée au sein
d‘une ville. En effet, dans Les passants de Lisbonne, Philippe Besson montre qu’Hélène,
le personnage dépeint dans l’extrait, choisit volontairement de s’isoler de la vue des
passants : « Elle a choisi de ne pas quitter sa chambre, a tiré les persiennes1, s’est
protégée du dehors, de ses rumeurs, de sa corrosive luminosité. » Cette atmosphère lui
permet de se livrer à des pensées « qui l’assaillent pour tenter d’accéder à une sorte de
vacuité2, mais ce sont sempiternellement les mêmes obsessions qui reviennent. » La
chambre d’hôtel est ici un espace en marge où des pensées et des obsessions envahissent
le personnage et l‘amènent enfin à une prise de décision. La jeune femme décide ainsi de
téléphoner à la personne qu’elle aime.
La chambre d’hôtel laisse autant s’exprimer le désarroi ou les pensées
obsédantes, qu’elle laisse s’exprimer des passions. Dans Madame Bovary, le décor
participe à rassurer les personnages et à créer une atmosphère douce propice à
l’épanchement des passions : « Le tiède appartement, avec son tapis discret, ses
ornements folâtres et sa lumière tranquille, semblait tout commode pour les intimités de
la passion. » écrit Flaubert. Ainsi la chambre d’hôtel est un lieu où les amants oublient la
réalité et les conventions. Madame Bovary est en effet une femme mariée qui commet
dans cette scène un adultère. Mais les deux personnages oublient le réel : « Ils étaient si
complètement perdus en la possession d'eux-mêmes, qu'ils se croyaient là dans leur 25
maison particulière, et devant y vivre jusqu'à la mort, comme deux éternels jeunes
époux. » Cet espace suscite le désir et l’oubli des conventions.
La chambre dépeinte par Gide dans Les caves du Vatican est occupée par un
personnage seul et agacé par un moustique. C’est un lieu impersonnel où Amédée prend
un plaisir solitaire à regarder la nature de sa fenêtre : « Deux larges fenêtres ouvraient
sur un jardin ; Amédée, penché vers la nuit, contempla d'indistincts et sombres feuillages,
longuement, laissant l'air tiède lentement calmer sa fièvre et le persuader au sommeil. »
La chambre isolée du monde constitue un lieu de contemplation.
Conclusion :
La chambre d’hôtel peut permettre le développement de l’intrigue et rapprocher
deux personnages qui étaient auparavant étrangers. Elle constitue un lieu où l’intime
peut se déployer au sein d’un contexte social réglé par des conventions. Les personnages
peuvent alors y exprimer la part cachée de leur individualité et l’auteur peut peindre au
sein de la chambre d’hôtel, les passions secrètes des personnages. La chambre peut enfin
constituer un lieu où se montre les expériences banales et anodines de la vie
quotidienne, c’est un lieu qui marque une parenthèse dans le roman et qui permet de
s’arrêter sur des événements et des détails qui ne font pas nécessairement avancer
l’intrigue mais qui exposent la personnalité des personnages.
II. VOUS TRAITEREZ ENSUITE, AU CHOIX, L’UN DES SUJETS
SUIVANTS :
1. Dissertation
Dans quelle mesure les lieux dans un roman nous aident-ils à connaître les
personnages ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les œuvres que vous avez
étudiées en classe et sur vos lectures personnelles.
Thèmes abordés : les lieux publics, l’espace privé, l’intimité, la description réaliste ou
naturaliste des lieux, le reflet des mœurs au sein du décor, le regard et l’interprétation
des paysages.
Accroche : utiliser un exemple ou une définition, ou un cas où le sujet se pose
L’harmonie entre la personnalité des personnages et les lieux qu’ils habitent est
fréquente dans les romans naturalistes et réalistes, où le milieu social et le décor
physique influent sur les passions des personnages. Ainsi dans le Père Goriot, madame
Vauquer est décrite comme une femme laide et « sa personne dodue comme un rat
d’église, son corsage trop plein et qui flotte, sont en harmonie avec cette salle où suinte
le malheur ». Ce rapprochement entre le décor, l’apparence physique et la personnalité
des personnages s’établit afin de montrer l’influence du milieu sur les individus. Ainsi les
lieux dans un roman peuvent nous aider à connaître les personnages.
Problématique : remettre en question les présupposés du sujet, trouver une faille
qui ne rend pas la thèse du sujet nécessairement applicable en toute circonstance
Mais comment un personnage peut-il préserver son originalité et acquérir une
personnalité profonde s’il est systématiquement déterminé par son environnement ?
Plan : utiliser les connecteurs logiques « D’abord/ensuite/enfin » ou d’autres de
votre choix, mais toujours rythmer l’annonce du plan en trois phrases.
D’abord nous montrerons que les lieux permettent de connaître l’identité du
personnage. Ensuite nous verrons que certains personnages ne sont pas nécessairement
perméables à leur environnement. Enfin, nous verrons que c’est plus précisément le
rapport original du personnage aux lieux qui permet d’en exprimer la personnalité.
Introduire la partie I par une idée générale : notons que la Partie I illustre et
défend la thèse du sujet
La description d’un lieu où vit le personnage donne de nombreux indices sur sa
personnalité, son milieu économique et social et ses habitudes.
Donner un exemple en littérature + exemple de roman + conclusion du
paragraphe en répondant précisément au sujet :
Dans l’incipit de l’Assommoir, Gervaise est trompée par son mari, Lantier. Elle
s’effondre en larmes et le décor de sa chambre d’hôtel est décrit de façon à souligner la
destruction des objets à l’image de la destruction intérieure du personnage : « sur le
dossier des meubles pendait un châle troué, un plafond mangé par la boue, les dernières
nippes dont les marchands d’habits ne voulaient pas ». Cette description insiste ainsi sur
le délabrement de l’environnement dans lequel vit Gervaise et accentue son désespoir.
La peinture naturaliste de l’environnement des personnages est donc en accord avec les
émotions qu’ils éprouvent.
De même, dans La Nouvelle Héloïse, le roman épistolaire de Rousseau, le paysage
habité par la communauté de Clarens, traduit les mœurs et les valeurs des habitants.
Julie, la maîtresse de maison, décide d’aménager le jardin qu’elle nomme l’Elysée, de
façon, à ne jamais contraindre l’esthétique des plantes de façon artificielle. De même elle
laisse une entière liberté aux oiseaux de la volière, qui ne vivent pas en cage, et aux
domestiques qui sont libres de partir s’ils le souhaitent. À l’image de son environnement,
Julie respecte donc des valeurs morales de vertu fondées sur la liberté naturelle des
êtres vivants.
Aussi dans le roman intitulé Madame Bovary, Flaubert décrit des objets en
suggérant les pensées qu’Emma Bovary aurait en les voyant grâce à l‘usage du discours
indirect libre, marqué par l’emploi du « on » dans la phrase suivante : « Il y avait sur la
cheminée, entre les 15 candélabres, deux de ces grandes coquilles roses où l'on entend
le bruit de la mer quand on les applique à son oreille. » Or cette description du bruit du
coquillage suggère un rêve et un univers assez mièvre. Cet univers est très
caractéristique du personnage d’Emma Bovary qui a lu beaucoup de romans d’amours
idylliques. Ainsi la description au discours indirect libre permet de percevoir les pensées
des personnages.
On observera que chacun des paragraphes défend la même idée sous trois
perspectives différentes :
§1 = le naturalisme considère que le milieu conditionne psychologiquement les
personnages
§2= la volonté éthique de Julie de décorer son environnement selon ses valeurs reflète
ses valeurs morales au quotidien
§3= le discours indirect libre permet de laisser transparaître les pensées des
personnages lors d’une description et de décrire les lieux à travers leur regard.
Transition : dresser un bilan puis utiliser un connecteur logique pour annoncer la
suite.
Nous avons démontré le fait que l’harmonie entre les caractères des personnages
et leur univers physique permettait de donner une épaisseur à la psychologie du
personnage et d’apporter des précisions au lecteur. Mais certains personnages
tranchent par leur caractère avec leur environnement.
Partie II : prend souvent le contre-pied de la partie I, ou du moins la nuance.
Tous les personnages ne sont pas décrits en harmonie avec leur environnement,
certains s’en détachent et tranchent avec certains comportements traditionnels. Ainsi
certains personnages comme Alice, dans Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll,
tentent d’exercer leur raison dans un univers merveilleux qui échappe entièrement aux
logiques du réel. Ainsi il est possible qu’un personnage se démarque de l’univers qu’il
habite.
Aussi, dans Le Moine, de Lewis et traduit par Antonin Artaud, le personnage
principal qu’est le Moine joue un double jeu au sein du couvent. Il vit dans un univers pieu
et marqué par des images de pureté et de sainteté, mais il se comporte de manière vénale
et corrompue par le mal.
Enfin certains personnages peuvent justement ressentir de l’inconfort face au
décalage entre l’univers social dans lequel ils se trouvent et leur personnalité et leur
origine sociale réelle. Ainsi Lucien de Rubempré se promène dans Paris en observant la
beauté des vêtements des parisiens et ressent un certain malaise dans Les illusions
perdues de Balzac.
Transition : bilan du II, et ses limites qui amènent à introduire la partie III.
Nous avons démontré que les personnages peuvent trancher par leur caractère
avec un univers. Ils semblent dépasser le cadre que les lieux leur imposent par leur
personnalité. Cependant il s’avère que c’est le rapport qu’entretient le personnage avec
les lieux qui permet au lecteur de mieux connaître le personnage en question.
Partie III :
Ce n’est pas tant les lieux qui déterminent le caractère des personnages, mais le
rapport qu’entretient le personnage avec différents types de lieux. L’exemple de la
promenade de l’auteur de Nadja, André Breton dans une rue de Paris, qui aperçoit en se
promenant des signes comme des « rondeaux de bois » peints sur la façade d’une
boutique, puis parle d’une forêt où il aurait rêvé de rencontrer une femme belle et nue.
La promenade de Breton dans Paris est peuplée de signes qu’il interprète et qui peuvent
avoir un rapport avec sa rencontre de Nadja. Ainsi les lieux sont soumis aux
interprétations des personnages qui sélectionnent des éléments du réel pour en extraire
le sens qu’ils souhaitent.
De même dans Aurélien d’Aragon, le personnage Aurélien ne se retrouve plus
aussi heureux qu’il pouvait l’être avant dans la vie mondaine. A partir du moment où il
tombe amoureux de Bérénice, il ne voit que son absence au sein des lieux festifs et
mondains. Il est dans tout le roman dans une quête perpétuelle de Bérénice. Ainsi les
personnages peuvent percevoir des lieux très différemment selon leurs sentiments et
leur vie intérieure.
Enfin dans Les Caves du Vatican, André Gide laisse transparaître le plaisir
d’Amédée qui contemple les feuillages dans la nuit : « Deux larges fenêtres ouvraient sur
un jardin ; Amédée, penché vers la nuit, contempla d'indistincts et sombres feuillages,
longuement, laissant l'air tiède lentement calmer sa fièvre et le persuader au sommeil. »
Son état d’âme apaisé transparaît dans le fait qu’il soit contemplatif de la nature et du
paysage qui s’offre à lui. Ainsi les personnages perçoivent dans un lieu ce qui correspond
à leurs émotions.
Conclusion : Rappel de la problématique + réponse à la problématique :
Comment un personnage peut-il préserver son originalité et acquérir une
personnalité profonde s’il est systématiquement déterminé par son environnement ?
Nous avons démontré que c’était avant tout le regard que posait le personnage sur son
environnement et les lieux qu’il habite qui permet de laisser transparaître ses émotions.
Ainsi ce n’est pas tant les lieux qui déterminent les émotions du personnage que son
rapport à ces lieux C’est l’intrigue dans laquelle le personnage s’inscrit qui influence ainsi
le regard qu’il portera sur ces lieux divers. Ainsi lorsqu’un personnage se promène dans
une ville, en la décrivant comme dans Nadja, on pourra remarquer une unité de son état
émotionnel malgré la variété des lieux parcourus.
2. Commentaire :
Texte B : Gustave Flaubert, Madame Bovary, Troisième partie, chapitre 5, 1857
Partie I :
Le début du texte est rythmé par des verbes d’action énumérés ce qui donne une
impression de suivre les personnages : « Elle le suivait », « il montait », « il ouvrait la porte,
il entrait ». L’usage de l’imparfait souligne que ces actions sont pour eux une habitude.
Puis immédiatement après ces verbes d’action, la phrase exclamative : « Quelle étreinte
! » montre que les deux personnages se sont précipités pour cette étreinte une fois
entrés dans la chambre. À cette phrase nominale, succède une énumération des
contenus de leur discussion : « On se racontait les chagrins de la semaine, les
pressentiments, les inquiétudes pour les lettres ; mais à présent tout s'oubliait, et ils se
regardaient face à face, avec des rires de volupté et des appellations de tendresse. »
L’emploi du pronom « on » marque de nouveau l’habitude de ces échanges pour les
personnages. Dans cette phrase, les échanges inquiets précèdent les échanges plus
joyeux de sorte que l’organisation de la phrase reflète exactement la succession des
émotions des personnages.
Transition :
Le texte introduit la scène d’adultère en montrant l’intensité des sentiments des
personnages. Mais leur conversation semble laisser déjà transparaître les attitudes
stéréotypées que reproduisent les personnages.
Partie II :
Le second moment du texte est constitué d’une description du lit et de la chambre.
La description commence par le lit où se trouvent les amants et s’étend comme si le
champ d’une caméra qui observerait la scène s’élargissait pour décrire la chambre
entière. Le lit, qui ressemble à une sorte de barque cernée par des rideaux rouges relevés
donnent une atmosphère romantique et mièvre à la scène : « Le lit était un grand lit
d'acajou en forme de nacelle. Les rideaux de levantine rouge, qui descendaient du
plafond, se cintraient trop bas vers le chevet évasé ». La seconde partie de la phrase
traduit les pensées de Léon qui s’attendrit face aux couleurs du teint et des cheveux
d’Emma Bovary qui tranchent avec le décor : « rien au monde n'était beau comme sa tête
brune et sa peau blanche se détachant sur cette couleur pourpre, quand, par un geste de
pudeur, elle fermait ses deux bras nus, en se cachant la figure dans les mains. » L’emploi
du discours indirect libre est marqué par « rien au monde n’était beau comme ». La scène
est donc décrite depuis le regard et les impressions de Léon, ce qui permet au lecteur de
se sentir presque présent dans l’intimité des personnages.
Puis le champ d’observation s’étend à la largeur de la chambre : « Le tiède
appartement, avec son tapis discret, ses ornements folâtres et sa lumière tranquille,
semblait tout commode pour les intimités de la passion. » L’adjectif qualificatif « tiède »
suggère à la fois la température tiède de la chambre et l’atmosphère qui règne dans la
relation entre les deux personnages marqués par la naïveté. D’ailleurs le fait que la
phrase fait aussi se succéder plusieurs fois un terme qui marque la tempérance à un
terme qui marque l’excès souligne le fait que les personnages se situent entre l’illusion
de l’intensité de leur passion et les sentiments réellement tempérés qu’ils partagent. En
effet, au terme « discret » succède le terme « folâtre », puis au terme « tranquille »
succède le nom « passion ». L’esthétique baroque de la chambre est marquée par la
présence de « rideaux de levantine rouge » mais aussi par « les grosses boules de
chenets », les « patères de cuivre », la présence d’une cheminée et les « candélabres ». On
peut imaginer que le discours indirect libre prend maintenant le point de vue d’Emma
Bovary qui possède un goût pour l’imaginaire avec les « grandes coquilles roses où l'on
entend le bruit de la mer quand on les applique à son oreille. »
Transition :
Ainsi l’esthétique baroque de la chambre semble rassembler de nombreux clichés
concernant la chambre idéale de deux amants. Mais un troisième moment dans le texte
exprime ensuite le décalage entre leur illusion amoureuse et la réalité de l’adultère.
Enfin, le troisième moment du texte décrit les émotions des personnages qui
apprécient cette esthétique qui favorise le partage de leur passion. La phrase
exclamative « Comme ils aimaient cette bonne chambre pleine de gaieté, malgré sa
splendeur un peu fanée ! » marque par l’oxymore « splendeur un peu fanée », le caractère
éphémère de leur amour et l’excès de leur passion qui un jour se fanera aussi. Ainsi
l’esthétique de la chambre laisse transparaître la contradiction entre l’intensité de leur
passion et son caractère éphémère. Le plaisir de l’habitude de retrouver « toujours les
meubles à leur place, et parfois des épingles à cheveux qu'elle avait oubliées, l'autre
jeudi » montre que ces personnages s’imaginent dans une forme de routine alors qu’ils
ne sont que des amants.
Au moment du repas, Emma s’amuse du fait que « la mousse du vin de Champagne
débordait du verre léger sur les bagues de ses doigts. » On peut ici imaginer une
métaphore sexuelle puisque Flaubert précise qu’elle rit « d'un rire sonore et libertin ». La
métaphore aurait une symbolique d’autant plus forte du fait que la mousse du vin de
Champagne coule sur ses bagues, dont sa bague de mariage, ce qui explique la force de
son rire. Emma était en effet ennuyée de ce mariage et le vivait comme un
emprisonnement terne. Flaubert nomme ainsi leur sentiment d’être « perdus en la
possession d’eux-mêmes », c’est-à-dire qu’ils nourrissent une illusion d’amour qui les
empêche d’en percevoir les limites. Ainsi ces personnages s’imaginent « là dans leur
maison particulière » et croient vivre un amour éternel : « et devant y vivre jusqu'à la
mort, comme deux éternels jeunes époux. » Le contraste avec la réalité est en effet très
tranché puisqu’ils ne sont que dans une chambre d’hôtel et qu’Emma trompe son mari.
La description des pantoufles semble couronner de mièvrerie la scène d’un amour
éphémère et illusoire : « C'étaient des pantoufles en satin rose, bordées de cygne. » Le
« satin rose » semble à nouveau incarner un cliché fameux des accessoires féminins. La
beauté de cette femme est ensuite décrite à travers cette pantoufle qui tient
élégamment à son pied lorsqu’elle est assise sur son amant : « Quand elle s'asseyait sur
ses genoux, sa jambe, alors trop courte, pendait en l'air ; et la mignarde chaussure, qui
n'avait pas de quartier, tenait seulement par les orteils à son pied nu. » Cette image de la
pantoufle prête à tomber peut suggérer dans une image finale la fragilité de leur amour,
associée à la mièvrerie et le cliché qu’incarne la pantoufle qui marque l’imaginaire de
Madame Bovary. Cette femme a lu en effet de nombreux romans d’amours qui regorgent
de clichés et d’une mièvrerie digne de cette scène et de l’esthétique de la chambre
d’hôtel.
Conclusion :
Le texte montre donc une scène d’adultère où des amants s’illusionnent sur
l’intensité de leur amour et aspirent à cet instant à un amour éternel et au partage d’une
routine quotidienne. La description de l’esthétique baroque de la chambre d’hôtel est
rythmée par de nombreux clichés. La description finale de cette femme très belle, aux
pantoufles de satin roses, laisse imaginer et pressentir les prémisses de sa future
désillusion amoureuse, puisque cette description leur imagination d‘une vie amoureuse
idéale semble rattrapée par le mariage d’Emma avec Charles Bovary, notamment avec la
mention des bagues d’Emma.
3. Invention
Comme un romancier, vous décrirez un personnage dont le portrait passe par la
description de la chambre qu’il occupe.
Votre texte comportera au moins une soixantaine de lignes.
Conseils de méthode : définir au préalable le genre du roman, prévoir de décrire des
détails de la chambre, des objets caractéristiques. Associer le regard du personnage au
ton de la description construire une harmonie entre la vie intérieure du personnage et
son environnement. Plutôt que l’emploi du verbe « être », préférer les verbes : « paraître,
devenir, demeurer, rester, s’avérer… »
Dans ce texte nous choisirons de mettre en scène les éléments suivants :
Genre : roman policier
Personnage décrit : le meurtrier
Objets : arme, lampe, lumière, draps, lit, rideaux
Esthétique : sobriété et délabrement
Psychologie du personnage : calcul, stratégie, agressivité
Exemple d’écriture d’invention :
« Derrière les rideaux de tissus rugueux et sombre, la lame du canif reluisait sur le
rebord de la fenêtre. Olivier le meurtrier s’agitait dans sa chambre d‘hôtel, en cherchant
son arme, craignant que le personnel de l’hôtel s’en soient saisis. Enfin trouvée ! Il la
fourra dans la poche arrière de son jean salis, après avoir vérifié que le fonctionnement
mécanique opérait toujours. Il avait aussi observé avec avidité le tranchant de cette lame
étincelante qui sortait promptement. Il regardait la rue par la fenêtre, où tombait une
pluie fine sous un ciel morne et grisonnant. La chambre reflétait l’atmosphère sombre de
la ville, avec ses draps verdâtres parfois effilochés se trouvaient pliés très précisément
par Olivier, et l’oreiller jaunis et semé de trous le long des plis.
Le bois sur lequel se déplaçait Olivier craquait sous ses pas, comme un corps
plaintif et résistant aux chaussures lourdes et épaisses, faisant les cent pas dans la pièce.
Cet homme ahuri s’empressait de rassembler ses affaires avant de partir, il avait été
remarqué par un policier en voiture, il s’en doutait, il le savait, il se pensait suivi, observé,
traqué. Il devait quitter immédiatement ce lieu à l’air fétide et humide, où trônait une
lampe de plafond dont l’abat-jour teinté de couleur rouge diffusait dans la pièce une
lueur terne et angoissante. Des moisissures cernaient certains coins du plafond.
L’homme à l’air glacial comme sa table de bois noir qui pourrissait par endroits, recensait
machinalement les objets qu’il glissait dans son sac. Ses gestes méticuleux et ses manies
nerveuses au sein de cette sinistre chambre laissaient pressentir le spectacle d’une
nouvelle agression à l’image de cette ambiance morbide. »
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