Figuration libre
Bang ! Bing ! ... Bam ! Putain, 6h40... La maison
d'à-côté, celle de la grand-mère de Marjo, ils ont du
finir par la vendre. Z'étaient pas forcés de la refiler
à des fanas du marteau matinal. Un clignement
d'yeux et Marco se dresse sur ses chevilles. Avec
un calbut rouge digne de Retour vers le futur. Et
dévale l’escalier de l’ex-cabane de pêcheur, avec
Tango, le chat, sur ses talons. Direction croquettes.
Le jour où Chabat se lance dans un Didier version
chat, je le présente au casting. Le bidon roux et
blanc de sa sœur Yasmine a encore enflé. Mince
alors, elle aurait besoin d’une petite cure.
Un petit caf' en chaussettes. Y a du mouvement
dehors. Ouverture de porte. À 30 cm, un énorme
projecteur bouche la vue sur les ruelles du quartier.
Marco hausse la mèche rebelle de son sourcil droit
façon gourou. José et Nanou sont déjà campés
dans la rue. Avec Pierrot, aux premières loges.
Pêcheur de dorades, chasseur de sanglier, mais
surtout contrôleur des travaux de la Pointe. La
Pointe courte, notre quartier en triangle. Un côté
canal, un côté étang, avec le port de pêche « petits
métiers », les aigrettes, la digue Georges-Brassens
avec les cabanons, un côté vers la ville. Coupé par
un échangeur routier, une ligne de chemin de fer et
une route sur deux ponts à bascule. Au milieu,
deux cents maisonettes aux couleurs pastel
alignées en cinq rangées. Mais rien à voir avec les
lotissements. Même si chacun possède 24m2 au sol,
un arrangement avec la Mairie et le domaine
maritime pour régulariser les cabanes illégales, en
1969. Aujourd’hui, les garages où les pêcheurs
ramandaient leurs filets, où ils vivaient à dix en se
relayant pour dormir, les garages s'achètent 50 000
euros et se font construire sur trois niveaux.
Manhattan, c'est au bord de l'étang de Thau.
Hollywood aussi, visiblement. Notre traverse
reconvertie en studio. Des rails à la place de la
table rouillée de Babu. Isabelle Carré, au bout, le
dos au quai. Juste qu'il est envahi par les nylons
entremêlés de la pêche a la daurade. La daurade,
elle change de sexe et elle migre dans le canal en
octobre, une aubaine pour les Lyonnais et les
Marseillais qui parviennent à se mettre en arrêt
maladie pour s’exercer au lancer d’hameçon.
Une quarantaine de queues de cheval en polaires
s'agitent, les ceintures blindées de porte-clés
techniques. « Silence, s'il vous plait ! » Elle se croit
chez elle ou quoi ? Alors on tente de murmurer.
Autant qu'un Pointu peut murmurer. De façon à ce
que tout le monde soit haut-courant. Et si possible
avec un accès guttural. « Oooah..! » Le Corse et
Coin-coin se sont joints à José et Pierrot. L'air
connaisseur et détaché du joueur de boules qui
regarde les compétiteurs l'oeil de côté, sans
conviction. Si les boules luisent encore, pas
crédible, un touriste.
Les cameras luisent au soleil d'automne. Nanou et
Mireille préfèrent s'extasier. « On vit dans un décor
de cinéma ! » « On vit dans un décor de cinéma ! »
La répétition, c'est tout un art. Surtout bourré en
fin d'apéro a 2h du mat' sur la table en plastique
commune de ma rue. Dans un De Funès, c'est
culte, mais dans une nouvelle, ça fait cucul. Je vous
épargne.
Isabelle Carré est sommée de faire des allers-
retours entre le quai et la maison d'à-côté dont ils
ont changé le numéro. Les coups de marteau à 6h
du mat, ça valait le coup. Remarque, ça nous
entraîne à modifier les habitudes. Nos numéros de
rue affichent une logique déroutante pour les
facteurs intérimaires— pour qui le service public est
aussi d'actualité que le Minitel. Mais une logique
quand même, de l'ordre de l'arcane en zig-zag à
travers les quatre rues principales. Au nom de
l'harmonisation, on nous les change. Toutes les
emmerdes du Déménagement sans déménager, et,
j'espère sans Emmanuelle Devos, son pire rôle.
Doit-on vraiment se taper les « filles de » ? Et
passer du 68 au 15 traverse des Rameurs ? Foutue
standardisation.
Pas l'air très jouasse la Isabelle Carré en
commissaire. En même temps, il doit y avoir un
mort sous roche. Elle sort une clé d'une pochette en
plastique, et force un peu pour pénétrer dans la
maison rouge d'à-côte. Le crépi est tout fendillé. Et
ses collègues flics la prennent pour une cruche. Pas
un métier, ça. Elle devrait plutôt Se souvenir des
belles choses.
Le bar du Passage, le seul commerce restant, à
l’entrée du quartier, s'est fait investir par l'équipe
de prod'. Reconverti en bureau parisien, avec
iTrucs, bible de tournage, et brillant à lèvres Body
shop, face au menu « Tielle » sous vide et aux
petits jaunes qui s'enquillent. Alexandre, le
commercial de Ricard, fait un boulot de dingue,
l'été à offrir les apéros. Force est de constater qu'il
optimise son retour sur investissement.
Mais c'est pas à l'époque où les Molle tenaient le
Passage qu'on aurait vu des étrangers s'étaler dans
le bar, même pour créer. Loulou Molle, lui, il décore
son arbre de Noël avec des gilets de sauvetage, des
vieilles arseillères aux grandes mâchoires pour
râcler les coquillages au fond de l'étang, et de
capétchades pour piéger les anguilles. Alors, la
création, ici, on s'y connaît. De l'art modeste,
parfaitement.
La prod' m'adresse la parole. Fagotée comme une
citadine, je dois lui sembler vaguement proche de
son monde à elle. Elle imagine peut-être qu'on peut
se comprendre. Qu'on a Un air de famille.
« Pour cet après-midi, on cherche une figurante. »
Mal organisés, en plus. « On en avait une, de
Vic…la-Gardiole, elle nous a fait faux-bond. 110
euros la journée. Ça vous intéresse ? »
J'ai encore deux semaines pour boucler mon
dossier sur le retour des méduses. Comme
Dupontel, j'ai bien Deux jours à tuer. Allez, je me
jette à l'eau. Après tout, mes six mois d'impro
amateur, ça peut servir. Mon premier rôle : remplir
une fiche détaillée, avec ma généalogie et mes
mensurations. Limite s'ils me demandent pas Tout
sur ma mère.
Rendez-vous à 14h25, la figuration n'est pas
conviée à la cantine. Faudra que je pense à faire
pipi avant. C'est l'enseignement principal d'un stage
sur les métiers du cinéma quand j'étais ado. Le
concept de la figuration, c'est d'attendre sans rien
comprendre, mais surtout d'être dispo au bon
moment. Donc d'éviter d'être coincé aux WC au
moment de gloire où il faudra jouer une passante.
Ils tournent une autre scène sur le quai. Isabelle
Carré ressort d'un bateau amarré, es pieds nus
vernis en rose, vert pomme et bleu turquoise. Elle a
Du vent dans les mollets. Et elle a
vraisemblablement trouvé des indices. Elle les
montre aux flics dubitatifs, fringués en Terminator,
qui remuent du flingue pour éprouver leur
puissance. Passionnant. Du deuxième étage de sa
maison, sur le quai du Mistral, Jean-Mi, le
propriétaire du voilier et candidat aux municipales,
lorgne la scène au téléobjectif. Méticuleux comme il
est avec son pont en bois lustré, ses pensées n'ont
pas de mal à arriver jusqu'à moi. « Ils m'ont
débaptisé ma Stella… Et ils marchent dessus à 14
avec leurs chaussures…C'est un petit viol… 1 000 €
la journée, d'accord, mais un petit viol quand
même. »
Jeanine, une mamette en tablier entr'ouve la porte
pour sortir chez elle. Une assistante réalisatrice la
stoppe net. « Ah, je ne peux pas ? » Pas de
papotages devant la porte. Aujourd'hui, c'est cloître
obligatoire. Elle va préparer des encornets farcis,
tiens. Ils en goûteront bien un peu, les Parisiens ?
Deux portes plus loin, face à la fontaine du quai,
Paulette déverse son seau d'eau. Manière de
nettoyer devant sa porte. Et de montrer c'est qui
l'patron ici. Face à la deuxième assistante
catastrophée, les bras septentenaires font des
gestes dominateurs. Les yeux dans les yeux.
« J'étais connu ici quand il n'y avait pas encore de
quai. On faisait nos besoins dans une cabane
jusque au-dessus. » « Mais vous avez coupé quand
Isabelle Carré était en train de jouer. » « Et moi,
j'ai autre chose à faire que passer mon temps à
jouer. » Oui, Paulette a du boulot. Elle voudrait
racheter tout le quartier.
Dans une douce sirène, les ponts à bascule se
lèvent pour laisser passer les bateaux de l’étang à
la mer, coupant la fin de la conversation. Séparant
le quartier de la ville, lui conférant le mystère des
lieux entrevus, les ponts coupent deux fois par jour
le ciel en trois, dessinnant sur les maigres nuages
des motifs croisillonnés. Métalliques. Des
pénichettes de location, s'ébrouent, laissant tomber
un vélo de location à l'arrière. Les dernières de la
saison, accompagnées par un voilier des Glénans.
Dans un envol de mouettes rieuses et de gabians.
Totalement invisible pour la scripte qui vérifie les
retours vidéo, cryptée sous une tente de tissu noir
fermée par des pinces à linge. Totalement inaudible
pour l'ingé' son casqué, accroché à son caddie de
marché reconverti, sur lequel il empile ses
machines.
Bondissant de son tabouret de camping, la
coiffeuse profite de l'espace-temps pour remettre
en place la mèche rebelle d’un comédien. Au-
dessus du canal, les ponts mobiles affichent la
même facture industrielle fin 19eme que la Tour
Eiffel. À peine un peu moins connus. Ce qui
explique que le Département et la Région se
renvoient la balle pour rénover le pont à voitures
rongé par le sel et les années. Une occasion de plus
pour une lutte politicarde entre deux socialos.
Socialos théoriques.
Perchés sur le toit du camion de Popeye, les
matous matent les bateaux en transit. Simulant la
sieste, mais de vrais tireurs avec vue en hauteur.
Le clan des chats « tient » la Pointe de griffe ferme.
Une véritable société parallèle. Avec Callaghan, le
caïd qui sait s'imposer, mais aussi boiter dès qu'il a
besoin d'attendrir son ennemi. La Panthère,
cambrioleur mâle aux pattes de velours, qu'on
retrouve alangui sur les canapés une fois son forfait
de croquettes accompli. Tigresse, la sensuelle qui
se roule par terre et sait monter sa croupe pour
détourner l'attention. Hermione, l'espionne aux
yeux perçants, dissimulée sous sa fourrure
bigarrée. Le gang de la cabane, une trentaine
d'individus de la rue, borgnes ou teigneux, qui n'ont
rien à perdre. On a même la romance contrariée,
entre Yasmine, derrière sa fenêtre, et Athos, le
bouledogue tassé, derrière les barreaux du 124.
Aux claps du film, ils répondent par les claps des
chattières magnétiques. Pour tourner un James
Bond, tous les ingrédients sont là. Suffit de se
baisser.
Pour tourner Commissaire Charlotte, en revanche, il
faut cinquante têtes de pipe et trois camions de
matos. Marco a préparé une grande salade avec les
olives que nous a apportées Pedro, et les derniers
poivrons grillés avant les « sous-serre ». Pour
déjeuner dans la traverse, je recrute des chaises
auprès des tables des voisins. Passage de Norbert :
« Tes tomates, je te les ai pincées, sinon ça pousse
pas…Oh, pour une fois, vous mangez pas à l'heure
espagnole… » Passage d'un homme en combi de
plongée. Normal. « Bon appétit ! ». Passage de
deux techniciens de derrière. Rien. Passage de
deux techniciens en face. Rien. Rappel à l'ordre
souriant : « Bonjour! »… Coup de coude dans les
côtes : « C'est vrai qu'ici, il faut… »
Ici, c'est ni Minuit à Paris, ni Two days in New-York.
C'est La Pointe courte, ninou. Encore qu'Agnès
Varda, pour lancer la Nouvelle Vague en 1955, elle
ait bien fait venir Philippe Noiret et Sylvia Montfort
sur les rives du quartier, sans accent. Et que sur
notre table, on trouve du vin bio. Ici, tout est
possible, ninou, à condition de dire bonjour.
Dans mon gosier, les olives de Pedro commencent
à avoir du mal à circuler. Le trac ? Je ne sais même
pas ce que je suis censée faire. Après une gorgée
de muscat fleuri, je m'entraîne. Surtout ne pas
sourire. Non, c'est trop dur. Regarder droit devant
soi, l'essentiel. Comment ça, pas crédible ? Marco
s'amuse : « Tu l'as voulu… Moi, c'est comme danser
la salsa, je mettrais jamais un pied là-dedans ! Mais
t'aimes bien, toi, prendre des risques. » OK, je ne
l'ai jamais fait mais faut pas exagérer. Passer
devant la caméra, avec une chance sur deux d'être
coupée au montage, c’est pas la mer à boire.
Aucune chance de me faire repérer comme la future
égérie de Trucmuche, le nom du réalisateur ne me
dit rien, et son regard est absorbé par Isabelle
Carré. Et a priori, ce n'est pas une scène de strip-
tease, je ne vais pas sortir The Full Monty…
Évidemment que je sais séduire autrement, pff !
Han, et s'ils me mettent des talons ? Je suis
incapable de marcher avec ces choses ! Et si je dois
ramper par terre ? Le Muge a laissé de l'huile avec
sa bagnole juste au niveau du tournage…
« Ça ira », conclut Marco. « Que la force soit avec
toi », message reçu. Mais pour la méditation zen,
on repassera. J'ai pas encore passé Sept ans au
Tibet, moi…
Lucile, l'assistante réalisatrice, ne m'attend pas. 15
000 autres choses à gérer. Dans un brouhaha, elle
pointe du doigt sans regarder l'arrière d'un camion.
Le même qui m'a empêché de me garer hier matin.
Le ventouseur chargé de prendre les places dès
qu'elles se libèrent.
Une loge sur un monte-charge logistique, tu parles
d'une star… Karine, la maquilleuse, place des
mouchoirs tout le long de mon décolleté. Et sort
une palette vert clair, gris, jaune pâle. À l'arrière,
l'étiquette indique Death wheel. La roue de la mort.
Charming. Elle répond à mon regard interrogateur.
«Tu vas jouer un cadavre. Une femme qui se
prostitue occasionnellement pour faire tenir les
finances de son foyer. Isabelle Carré va découvrir
que son mari, artisan dans le bâtiment, est en
pleine galère avec la crise de l'immobilier.» Entre
un poivron grillé et un bouquin de Russel Banks,
Marco touille des enduits à la chaux pour rénover
des baraques. Il appréciera.
Pendant l'opération, je tente de rester de marbre.
Et je ne crois pas si bien dire. Adieu mon bronzage
doré qui avait tenté durer par-delà l'été. Un coup
d'œil dans le miroir, je devient livide. Mieux que
l'infirmière des labos d'analyse, Karine parvient à
faire ressortir mes veines. Sur le visage. Puis sur
les jambes. Tapotage. En finesse. Du grand art. Ces
petits noms du générique qui défilent alors que la
moitié des spectateurs sont déjà sortis de la salle.
Injuste. Les « HMC » du plateau. Habillage-
maquillage-coiffure.
Je ressemblerais à ça quand je serais morte ? Plus
raide ? Plus creusée, plus gonflée ? Les gens seront
dégoûtés, alors que moi, ça me fait rire. Là tout de
suite. Morte de rire. Pause, une clope. Un cadavre
qui s'en grille une. Prête pour des Noces funèbres
avec Tim Burton. Lucile revient. Visiblement, dans
ce monde, les cadavres, enfin, les figurants, n'ont
pas droit à la parole. 15 secondes plus tard, elle
repart, alerte dans son jean moulant et ses baskets
decontract' de marque. En substance, je suis
censée être retrouvée noyée et transportée dans un
brancard pour être examinée par la police
scientifique. Et là, mon cas va émouvoir Isabelle
Carré, énerver ses collègues et créer l'intrigue. J’ai
déjà réussi à tirer quelques vers du nez de
l’assistante prod, mais pour le reste, faudra
attendre la sortie du film. Un an facile.
Il y a deux brancards fermés par un zip. L'un,
destiné aux tests, contient un mannequin. C'est
celui-là qui sera utilisé à la fin de la scène. Quand
Nathan, le collègue flic, le rejettera dans le canal de
colère. L'autre, celui où je suis, est destiné aux
plans serrés. C'est le chef op' qui gère ça. OK.
C'est parti. Livide, je trottine au milieu des
techniciens pour rejoindre la scène, sur le quai,
ceinturée par des bandes jaunes. Au loin, je crois
déceler la petite tête curieuse de Mireille dans le
halo bordeaux de sa dernière teinture, mais je suis
un cadavre sans lunettes. Donc myope et
astygmate.
Devant un scotch rouge collé sur le quai pour
repérer l’emplacement, un autre assistant
réalisateur me montre le brancard vert à fermeture
éclair. Une des inventions les plus impressionnantes
de l'homme, même si moins médiatique que la roue
ou l'iPad. La fermeture éclair, pas le brancard. Je
m'y glisse. Sur le tournage, tout est lent mais il
faut aller vite. De là, j'ai une vue imprenable sur le
quai, qui retrouve son allure piétonne, qui dégage
la vue sur des maisons de Tom Pouce. Dire
qu'après la consolidation du quai, la moitié du
quartier a été pour le transformer en parking. On a
évité la guerre civile de justesse. Ces bandes
blanches prennent la forme de crèves-cœur. Bien
rectilignes.
Sur les conseils-express de Lucile, je rabats mes
cheveux sur le côté, pour éviter qu'ils se fassent
prendre dans la fermeture-éclair. Un cadavre qui dit
« aïe », ça casse l'ambiance. Deuxième conseil : se
glisser la tête contre la paroi du brancard pour
éviter que la sangle ne m'étouffe.
Concentration. Fermer les yeux. Surtout ne pas
bouger. « Ça tourne ! » Penser au cerf-volant de
compèt' que je vais pouvoir payer à Marco. Autour
de moi des murmures. « Coupez ». Déjà ?
Le vent s'est levé. Le soleil tourne derrière la
station Méditerranéenne, en face, à la Plagette.
L'éclairage et le son se remettent en place. L'un
avec un immense panneau blanc censé réfléchir la
lumière. L'autre, avec une perche, il doit se faire
des biceps. Le TER de 16h50, direction Montpeul.
On recommence. Re-concentration. Murmures. Zip
qui s'ouvre, on doit me voir, au secours. Vérifie que
les lèvres sont fermées. Naturellement. Chut, pense
crêpe caramel-beurre salé. Pense film-surprise
concocté par Priscilla au Cinémistral. Ils referment
le zip. Pense bain chaud extérieur des hot-pots
islandais. Détente totale, ça vient. Les dialogues
sont amortis par le tissu, par mon esprit. Waw,
c'est cool, la mort, en fait. Pas de coup de fil, pas
de bonne tenue devant les buffets. En quelques
instants, je me sens légère. Légère. Légère ? Mais
qui me porte ? Je croyais qu'on ne devait pas me
soulever ? Vol plané. Deux secondes. Tête en
arrière. Ça flotte. Non, ça coule ! L'odeur du canal.
Mais j'étais en pleine méditation, moi ! « Youhou
? » Ils n'ont pas prévu une fermeture-éclair dans
les deux sens, ces cons. C'est pas un sac de
couchage Quechua, c'est du matos de la police pour
des gens censé être vraiment morts. L'eau envahit
la poche. Le courant m'emporte vers l'étang.
Même avec les dents, j'arrive pas à déchiqueter ce
tissu. Non, comme cercueil, c'est pas terrible, moi
je voulais du carton recyclable à planter dans une
forêt, pas un truc pour envahir les poissons. Les
récifs artificiels, c'est bien, mais là, ça sert à rien,
les daurades, c'est pas un endroit pour elle pour
s'arrêter. Le père de Marjo m'en a amenées plein,
je les ai pas encore écaillées. Mea culpa les filles.
Ou les gars. Me rappelle plus quel sexe ils ont
quand ils passent dans le canal à l'automne. Me
rappelle plus quelle tête j'ai quand je suis pas un
cadavre. Là, je vais devenir comme je suis. Sauf
que dans un an, je pourrais pas me voir à l'écran.
C'est pas du ciné. Coupez.
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