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LA 10 ÈME

UNIVERSITÉD’AUTOMNE

2010DU SNUIPP

A PLANCHÉ SURLA RÉUSSITE

POUR TOUSAPERÇU DES DÉBATS

Réussir l’école

SNUippFédération Syndicale Unitairewww.snuipp.fr

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EDITO

( fenêtres sur cours)Hebdomadaire du Syndicat National Unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC

128 Bd Auguste Blanqui - 75013 Paris - Tél. : 01 44 08 69 30 - e-mail : [email protected] de la publication : Sébastien Sihr

Rédaction : Marianne Baby, Francis Barbe, Aline Becker, Fabienne Berthet, Lydie Buguet, Patrick Cros, Clémence Fabry, Judith Fouillard, Michelle Frémont, Véronique Giraud, Daniel Labaquère, Pierre Magnetto, Vincent Martinez, Philippe Miquel, Jacques Mucchielli, Gérard Pla, Sébastien Sihr

Photographie : Mira Impression : la SIEP-Bois-le-Roi

Régie publicité : Mistral Media - 365 rue Vaugirard - 75015 Paris - Tél. : 01 40 02 99 00Prix du numéro : 1 euro - Abonnement : 23 euros

ISSN 1241 - 0497 • CPPAP 0410 S 07284 - Adhérent du Syndicat de la Presse Sociale

La dixième université d’automne du SNUipp nepouvait pas être comme les autres. Elle s’estouverte au cœur d’un mouvement social d’ex-ception contre la réforme des retraites. Elle areçu presque autant de participants que lesannées antérieures malgré les difficultés detransports à travers le pays. Elle a écouté,entendu, débattu avec des chercheurs travaillantsur toutes les diversités qui font l’école pri-maire. Elle a enfin accueilli des personnageshors normes, comme le réalisateur Serge Watelqui a diffusé le premier film d’animation trai-tant des questions de l’homophobie, le procu-reur Eric de Montgolfier venu parler des rap-ports entre école et justice, et le footballeurLilian Thuram pour sa fondation contre leracisme. Fenêtres sur cours rend compte decette richesse et ouvre, dans ce numéro spécial,plusieurs dossiers, sur le travail enseignant, lesrythmes scolaires, les évaluations, l’acceptationdes diversités.

L’Université d’automne du SNUipp de La-Londe-les-Maures est organisée en partenariat avec la Ligue de l’enseignement et la MGEN.

3

Sous le titre « 2 temps, 3 mouvements », la plasticienne Joëlle Gonthier a rythmé l’université d’automne de ses installations. Ici 100 ABRIS

Sont joints à ce numéro un supplément direction d’école, un encart ADL Partner, un encart Gaumont, et un encart Rue du Monde.

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40-47

UNIVERSITÉD’AUTOMNELA LONDE

2010

UNIVERSITÉD’AUTOMNE : 10 ANS

POUR L’ÉCOLE

8-12

22-39

DOSSIERÉVALUATION

MÉTIER

APPRENTISSAGES

14-19

ANNIE CAMENISHGRAMMAIRE

DANIÈLE MANESSEGRAMMAIRE

LAURENCE DE COCKHISTOIRE

FRANÇOISE DELPYLANGUES VIVANTES

YANN QUÉRÉSCIENCES

YVES SOULÉÉCRITURE

VALERIE BARRYCALCUL

SYLVIE LALAGÜE-DULACENSEIGNER L’ESCLAVAGE

SOPHIE SOURY-LAVERGNEGÉOMÉTRIE

22

24

26

ROLAND MICHAUD

SABINE KAHN

JEAN-CLAUDE EMIN

161719

FRANÇOISE LANTHEAUME

DOMINIQUE BUCHETON

FRÉDÉRIC SAUJAT

FRANÇOISE JUHELBIBLIOTHÈQUE NUMÉRIQUE

JEAN-JACQUES GUILLARMÉRASED

4244

4648

5028

32

30

34

36

38

SOMMAIRE

40-51

4

DOSSIER TRAVAIL ENSEIGNANTS

Page 4: Fenêtres sur Cours

MATERNELLES

ENFANTSET SOCIÉTÉ

59-65CATHERINE LEDRAPIER

SCIENCES

MIREILLE BRIGAUDIOTGRANDE SECTION

CHRISTOPHE JOIGNEAUXINÉGALITÉS

60

62

64

70-74

YVANNE CHENOUFLITTÉRATURE

SYLVAIN CONNACPHILOSOPHIE

MARIE -CHRISTINE PHILBERTHANDICAP

SERGE WATELPRÉSENTATION DU FILMLE BAISER DE LA LUNE

78

80

82

84

76-87

LILIAN THURAM

NINIAN-HUBERT VAN BLYENBURGH

ERIC FAVEY

88

93

96

88-98MARCEL CRAHAY :UNE ÉCOLE JUSTE ET EFFICACE

LES RYTHMESSCOLAIRES

RACISME66-68

ÉCOLE ET JUSTICE :ÉRIC DE MONTGOLFIER

52-56

SOMMAIRE

6

CLAIRE LECONTE

BERNARD MEYRAND

ARNOLD BAC

72

73

74

Page 5: Fenêtres sur Cours

8

UNIVERSITÉ D’AUTOMNE10 ANS POUR L’ÉCOLE

ors de la préparation, au printempsdernier, de la dixième édition de

l’université d’automne du SNUipp, per-sonne ne pouvait imaginer le climat bienparticulier dans lequel elle se déroulerait.C'est en effet du 22 au 24 octobre, aucœur d’un mouvement social d’ampleurrarement égalé contre la réforme des re-traites imposée par le gouvernement, ques'est ouverte cette manifestation singu-lière.Dans ce contexte, l’université d’automnes’est rappelée comme un moment impor-tant de la construction d'un projet de trans-formation de l'école pour la réussite detous les élèves.

RENDEZ-VOUS DE L’ÉCOLE PRIMAIRE

En dix ans, les universités sont devenuesle rendez-vous incontournable de l'écoleprimaire, accueillant à chaque édition plusde quatre cents enseignants et une tren-taine d’intervenants venus d’horizons trèsdivers. La raison d'être de cette initiatives'est confirmée d'année en année, sansdoute parce que les multiples ateliers apportent nombre de réflexions et deconnaissances professionnelles dont lesenseignants dans leur classe sont souventprivés.Les thèmes principaux qui ont été déve-loppés depuis 10 ans posent les questionsessentielles à notre système éducatif :comment construire une école de la réus-site de tous ? Quelles pratiques dans lesclasses ? Comment permettre aux ensei-

L

De Bombannes où s’est tenue la première université d’automne du SNUipp en 2001…

gnants de développer un travail de qualité ?Quel fonctionnement pour l'école ? Cetteannée, les échanges ont particulièrementporté sur les questions de l’évaluation,du travail enseignant, des gestes profes-sionnels, de l’accompagnement des élèvesen situation de handicap, des contenusdisciplinaires, de l’école maternelle, desrythmes scolaires… autant de confé-rences-débats pour dessiner les contoursd’une école ambitieuse et innovante.

UN ENGAGEMENT PROFESSIONNEL

C’est le pari de l’intelligence, de l’éduca-bilité de tous, face à un noyau dur de

l'échec scolaire. 10 à 15 % des élèves entrent en 6ème avec des difficultés sco-laires sérieuses. L’idée n’est pas nouvelle,mais parvenir à la concrétiser reste undéfi, le coeur de l'engagement profession-nel des enseignants, la ligne de force del’engagement du SNUipp. Il s'agit bien pour le syndicat de nourrir parla recherche son projet de transformationde l'école et de lutte contre les inégalitésau moment où, à l’inverse, la formationinitiale et continue des enseignants estmise à mal et où la politique budgétaireaggrave encore les inégalités.

Jacques Mucchielli

Page 6: Fenêtres sur Cours

… à La-Londe où s’est tenue cette année la 10ème édition

Agnès Florin Jacques Bernardin Pef André Ouzoulias Rémi Brissiaud Stella Baruk Boris Cyrulnik

Agnès Florin Jacques Bernardin André Ouzoulias Rémi Brissiaud Stella Baruk Boris Cyrulnik

Gérard Chauveau Philippe Frémeaux Yves Alpe Marie Duru-Bellat Yves Lacoste Roland Goigoux

Philippe Frémeaux Yves Alpe Marie Duru-Bellat Yves Lacoste Roland GoigouxAndré Antibi Dominique Frémy Martine Safra Dominique Senore Edgar Morin Sylvie Cèbe

André Antibi Dominique Frémy Martine Safra Dominique Senore Edgar Morin Sylvie Cèbe

Claudine Garcia-Deban Laurence Janot Yves Girault Jean-Yves Rochex Eve Leleu-Galand Zaü

Erick Prairat Bruno Suchaud Marcel Gauchet Jean-Michel Zakhartchouk Christian Baudelot

Erick Prairat Bruno Suchaud Marcel Gauchet Jean-Michel Zakhartchouk Christian Baudelot

Gilles Baillat Elisabeth Bautier Sylvain Broccolichi Anne-Marie Chartier Jean Hébrard

Marguerite Altet Line Audin André Giordan Emmanuel Davidenkoff Bernard Rey Charles Gardou

Marguerite Altet Line Audin André Giordan Emmanuel Davidenkoff Bernard Rey Charles Gardou

Laurent Mucchielli Maurice Titran Philippe Joutard Marie Choquet Roger Establet

Laurent Mucchielli Maurice Titran Philippe Joutard Marie Choquet Roger Establet

Christine Passerieux Marie-Ange Dat Roland Charnay Françoise Carraud Claude Lelièvre Charles Conte

Christine Passerieux Marie-Ange Dat Roland Charnay Françoise Carraud Claude Lelièvre

Pef Christine Félix Daniel Favre Agnès Van Zanten Pascal Clerc Viviane Bouysse

Christine Félix Daniel Favre Agnès Van Zanten Pascal Clerc Viviane Bouysse

Serge Tisseron Françoise Hatchuel Benoit Falaize Samuel Joshua Yvan Moulin

Sylvie Chevillard Serge Tisseron Françoise Hatchuel Benoit Falaize Samuel Joshua Yvan Moulin

François Dubet Marie-Claude Courteix Bernard Devanne Eric Debarbieux Stéphane Bonnery

François Dubet Marie-Claude Courteix Sylvie Chevillard Bernard Devanne Eric Debarbieux Stéphane Bonnery

Françoise Lorcerie Nicole Mosconi Eric Maurin Catherine Tauveron Alain Serres Maryse Métra

Nicole Mosconi Eric Maurin Catherine Tauveron Alain Serres Maryse Métra

Christian Forestier Christian Laval Olivier Houde Michel Defrance Didier DaeninckxBruno Heitz Judith Gueyfier Philippe Meirieu Egide Royer Serge Boimare Michel Fayol

Page 7: Fenêtres sur Cours

quer le dogme du « un fonctionnaire surdeux » non remplacé tourne le dos à cetobjectif de démocratisation et donc à ce-lui de réduction des inégalités scolaires.J’en veux pour preuve plusieurs rapportsqui ont été rendus publics ces dernières se-maines. Le rapport de la Cour des comptesétablit que l'école primaire française estsous-investie de 15 % par rapport aux au-tres pays de l'OCDE. La note concernantla rentrée 2010 affirme que la politiqueéducative du ministère de l’Éducation na-tionale ne prépare pas l'avenir. La notede synthèse de l’inspection générale sur lesréformes de l'école primaire indique quel'absence d'accompagnement des ensei-gnants les met dans des situations de dif-ficultés professionnelles.. L'école primaire est reconnue par touscomme facteur essentiel et déterminantpour la réussite de tous les élèves. Etpourtant, l'éducation prioritaire reste lagrande oubliée de la politique éducative,les enfants de moins de trois ans sontécartés de l'école maternelle…

Lutte sociale, lutte pour le métier, c’estune liaison constante dans l’action duSNUipp ?Le SNUipp s’est bâti sur un projet fort, ce-lui de la transformation de l’école pour laréussite de tous. Cela implique que l’on senourrisse des travaux des chercheurs pour

L’université d’automne du SNUipp sedéroule cette année dans un contexteparticulier, celui d’un fort mouvementsocial…Oui, nous nous sommes même interrogéssur son annulation, pour des raisons desimple logistique de cette dixième édi-tion. Mais le contenu même de cette ma-nifestation est en lien direct avec lesluttes menées dans le pays contre lesinégalités sociales. L’objectif des uni-versités est en effet de mieux armer lesenseignants que nous sommes pour par-venir à la réussite des élèves, de tous lesélèves. Une université, c’est le savoiropposé aux inégalités, non ? Dans cecombat professionnel, le moins que l’onpuisse dire est que ministère et gouver-nement, non seulement ne nous apportentpas les aides que nous attendons, mais enplus tirent dans l’autre sens.

Les mesures gouvernementales sontparticulièrement négatives …C’est le moins qu’on puisse dire. Com-ment parler d'école, sans aborder l'actua-lité budgétaire qui est depuis quelques an-nées de plus en plus tendu. 9 000 postesd'enseignants dans le primaire devraientêtre supprimés. Qui peut croire alors quel'on fera mieux avec toujours moins ? Lapolitique éducative qui s'obstine à appli-

Élu secrétairegénéral du

SNUipp en juindernier,

Sébastien Sihrexplique la

raison d’être etl’importance de

l’universitéd’automne

pour le premiersyndicat

enseignant duprimaire.

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SEBASTIEN SIHR : « UNE UNIVERSITÉ,

C’EST LE SAVOIROPPOSÉ AUXINÉGALITÉS,

NON ? »

Page 8: Fenêtres sur Cours

s’attaquer aux inégalités scolaires. Lesenseignants ont un appétit naturellementimportant pour tout ce qui touche auxquestions de la recherche. L’institution, leministère, n’assure pas son rôle à ce ni-veau. La formation continue est mini-male. Résultat : les enseignants ne sont pasen mesure de prendre connaissance del’état de la recherche et des réflexions enmatière pédagogique. Trop souvent, ilsen sont privés dans leur classe.D’où l’importance de ce grand rendez-vous autour de l’école primaire où les en-seignants rencontrent les chercheurs.Or, il reste urgent de combattre les inéga-lités et c’est bien là l’enjeu de la transfor-mation de l’école pour laquelle se bat leSNUipp. Les réponses se trouvent à lafois dans les mesures sociales et dans lesressources que donne le métier. Sur cedernier point, il est clair que rien ne vien-dra « d’en haut », mais bien des percep-tions, des capacités données auxenseignants d’être des profes-sionnels sereins, créatifs, capa-bles de faire évoluer leur tra-vail, de trouver les bonnesréponses, et pour cela de nour-rir leurs pratiques profession-nelles dans leur confrontationavec les autres et avec les cher-cheurs. Comment faire mieuxd'école ? Comment transformerle métier pour répondre au défide la démocratisation scolaire ?Comment améliorer le climatscolaire qui s'est détérioré cesdernières années ? Le bien-être des élèvesà l'école, la qualité du travail enseignant :voilà des sujets trop rarement abordésdans le débat éducatif français. Alors for-çons la porte ! N'y a-t-il pas là un fil à ti-rer qui permet de repenser la transforma-tion de l' école ?

Pédagogie, réflexion, formation… cesnotions n’ont pas l’air en vogue au mi-nistère de l’éducation nationale ?C’est malheureusement un fait. Cela nefait que rendre plus utile ce rendez-vous.Depuis les polémiques soulevées parGilles de Robien sur la lecture et XavierDarcos sur la maternelle, la pédagogieest mise à mal. Il y a comme un déni denotre professionnalité, qui est en quelquesorte confirmé par la réforme de la for-mation initiale. Elle réduit comme unepeau de chagrin l’enseignement desconnaissances pédagogiques et desgestes professionnels laissant les jeunesenseignants désarmés face à la classe età l’échec scolaire.

Est-ce à dire que l’université d’au-tomne disparaîtrait si une forma-tion continue et initiale à hauteur devos demandes était mise en place ?Nous exerçons un métier exigeant,complexe, en lien avec une sociétémouvante et la plus jeune des généra-tions, celles des enfants de 2 à 12 ans.Il sera donc toujours nécessaire d’in-terroger en permanence nos pratiquesprofessionnelles, nos rapports à l’ins-titution, aux parents, mais surtout auxélèves. Ces élèves sont également desenfants et, là encore, il est importantpour les professionnels que noussommes d’être informés des travaux,mais aussi des questionnements, quedes chercheurs de disciplines diverses,psyhologique, médicale, sociolo-gique… peuvent produire sur l’en-fant. Or, dans ce débat, les enseignantssont des acteurs, ils interviennent, ils

participent, ils ne sont pasles réceptacles d’idées ve-nues d’ailleurs. Il faut nonseulement interroger la re-cherche, mais encore la dis-cuter et s’en approprier lesdonnées. Cet échange lé-gitime notre universitéd’automne.

C’est la dixième universitéd’automne, quel bilan tirez-vous de cette manifestationassez singulière dans le pay-sage syndical ?

En 2001, à l'occasion des premières uni-versités, à Bombannes en Gironde, j'étaislà, jeune enseignant, j'avais été intrigué parcette initiative pas comme les autres. Ils'agissait même un peu d'un OVNI. Unsyndicat qui pendant trois jours sur lesvacances de la Toussaint réunit ensei-gnant et chercheurs pour évoquer l'étatde connaissance et des recherches sur lesélèves, la classe, le métier. Quelle drôled'idée ! Une telle université, cela ne col-lait pas à l'image que l'on se fait habi-tuellement d'un syndicat. Et pourtant,quelle bonne idée !Le succès de cette manifestation depuisdix ans montre que cela répond à uneforte demande. En dix ans, nous avonsmultiplié les ouvertures, invité des cher-cheurs et des professionnels faisant auto-rité venus de tous les horizons. Et ce, enpartenariat avec la ligue de l’enseigne-ment, un partenariat qui nous a permispar exemple d’aborder la question de l’ho-mophobie avec la projection du film d’ani-mation de Serge Watel.

« Le bien-êtredes élèves àl'école, la qualitédu travailenseignant :voilà des sujetstrop rarementabordés dans ledébat éducatiffrançais.»

Quel moment fort retenez-vous ?Cette année, la présence de Lilian Thuram,fruit de notre collaboration avec laMGEN, a permis de mettre la question duracisme, de la façon dont le sujet est traitéà l’école, sur le devant de la scène. D’uneautre façon, l’intervention du procureurEric de Montgolfier et les échanges vifs,mais responsables, avec les enseignants,a ouvert des pistes sur les relations entreces deux institutions de la Républiqueque sont l’école et la justice. Dans lesdeux cas, la question de la responsabilitéenseignante n’a pas été écartée, mais aucontraire interrogée, pour tenter d’accroî-tre l’efficacité de l’école dans la luttecontre les inégalités et les injustices.Je prendrai un autre exemple l’interven-tion, l’an dernier de Christian Baudelot etRoger Establet. Leurs travaux, et leurséchanges, ici à La-Londe, avec les ensei-gnants, ont montré combien le systèmebrille par ses injustices et ses inégalités, etle fort déterminisme social des parcoursscolaires. Être bien ou mal né, cette dis-tinction très ancien régime, reste une fa-talité française que nous ne pourrons ja-mais accepter.

Propos recueillis parJacques Mucchielli

Page 9: Fenêtres sur Cours

Depuis la première université d’automne,la plasticienne Joëlle Gonthier,enseignante, auteure de la GrandeLessive® participe à la manifestation.Cette année, elle a créé des installationsdans différents espaces, invitant, pourcertaines, le public à participer. Dans untexte, sous le titre “le maître apprenant”,elle écrit son impression après dix ans surl’université.Dix années passées à venir à votrerencontre, sans savoir comment sedéroulera ce rendez-vous dont je connaisdésormais les rites. Il n’est jamais facile,toujours à construire en amont et dansl’instant même. La photographie est sansdoute l’épreuve qui met le plus à mall’image que l’on tente donner de soi lorsde la conférence : un regard plus sombre,un sourire esquissé avec maladresse ouune mèche déplacée peuvent ainsi ébranlerun édifice pédagogique, philosophiqueou artistique pensé avec soin, et ce avecd’autant plus de force que les choix duphotographe et l’intervention du graphisteéchappent au modèle. Quel sera alors monvrai visage ? Celui qui change et devientlabile face à des personnes venues partagerune réflexion élaborée à vif ou celui figésur une page de revue face à ceux quicherchent, grâce à un texte et à quelquesclichés, à savoir ce qui s’est dit ?Mon visage de femme a changé en dix ans(si, si), mais sans doute pas autant que le

regard que je porte sur l’école et sur ceuxqui la font exister. L’Université d’automnem’a offert l’occasion de découvrir l’humi-lité et l’engagement d’enseignants face àleur tâche. Elève, je n’avais perçu d’euxque l’autorité de ceux qui savent, affir-ment, notent, orientent, jugent, punissent.Fille d’ouvriers, enfant d’un ancien élèveayant quitté l’école sans savoir écrire à huitans pour devenir « toucheur de bœuf » etd’une élève brillante ayant pu passer soncertificat d’étude avant de devenir « employée de maison », je n’avaiséprouvé que le poids de l’école et sonmarquage social si puissant que je n’ima-ginais pas que les enseignants puissentsortir d’ailleurs que de l’école elle-même.Ne passent-ils pas leur vie au-dedanscomme dans un nid d’où ils s’échappentde temps à autre ?Je fus étonnée de me retrouver parmi eux,puis devant eux et rassurée d’entendreque des « professeurs des écoles » osaientaffirmer qu’ils ne connaissaient pas tout,heureuse de découvrir leur désir d’ap-prendre. Mais pourquoi ne pas l’avoueraux enfants et à leurs parents : cela neles rassurerait-il pas de savoir qu’ils nesont pas les seuls à devoir évoluer entreignorance et connaissance selon les âges,les circonstances, les avancées du monde ?Pourquoi ne pas également le dire à sescollègues ? Serait-il déplacé de penserque l’apprentissage ne cesse pas avec lafin de la scolarité ou le diplôme acquis ?Apprendre serait-il le fait de petits commel’est le dessin selon l’opinion commune ?Un maître apprenant ? Là où ne se dis-cerne parfois que le ridicule de la posturede l’arroseur arrosé, il y a sans doute àsouligner les intérêts conjoints du savoiret de la création au fil d’une vie, demême que l’obligation d’apprendre (sanscesse) pour enseigner (toute une car-rière). Est-il possible d’affirmer à la foisque l’on sait et que l’on a encore à apprendre, et plus encore que loin d’êtreun problème, il s’agit là d’une chance et d’un pari sur la vie ? Faite de rencontres, d’échanges, de ré-flexions et imaginée pour apprendre en-semble, l’Université d’automne invente untemps précieux qui valide l’école. Desenseignants y prennent en charge une part

12

de leur formation en situant leur personnedans la complexité d’un processus d’ap-prentissage où chaque intervenant occupe-rait un rôle véritable. Ils franchissent ainsiun pas entre la réalité de leur métier etl’idée qu’ils s’en font.Devant des enseignants venus de toutepart et ayant vécu toutes les figures impo-sées et les aléas de l’école depuis des dé-cennies, l’authe nticité de la démarche et lacréativité s’imposent. Ce travail sans filet,cette exigence extrême est pour moi l’undes acquis de ces dix ans passés ensemble.Il a fallu inventer, se déplacer mentalementafin de dialoguer avec des êtres qui aban-donnaient à mes yeux le visage convenude « l’instit » pour devenir des personnesen quête de sens. L’obligation de conce-voir des interventions dans la durée m’aconduite à me détourner du cours ou de laconférence. L’Université d’automne in-vite, par son principe et les attentes qu’ellenourrit, à l’exploration de contenus diffé-rents, ainsi qu’à l’adoption de tonalitéset d’intervalles qui permettent, à l’interve-nant comme à son auditeur, de se dire(quand c’est réussi) qu’ils ont avancé en-semble. En fait, il serait plus juste de par-ler de co-auteurs d’une performance. Dés-ormais, mes valises débordent d’objetsde toute sorte : canards pour le bain, gre-nouilles, os pour chiens. J’ai beaucoupgrandi, désormais j’achète des jouets enrefusant l’emballage cadeau que l’on mepropose et en reconnaissant que c’est pourmoi en vue de « consommer tout de suite ».C’est comme si les regards qui me sontadressés ici m’indiquaient ce qui sert aumieux mon propos. Je prends appui sur ceque je perçois, je reçois autant que jedonne et j’en oublie mon vrai métier :enseignante ou artiste, à moins que La Grande Lessive® ne me situe au plusprès des tâches ménagères. Merci. Remerciements particuliers et amicauxaux initiateurs et organisateurs de cetintervalle spatio-temporel entre l’école etnous, et pourquoi pas entre nous et nous :Nicole Geneix, Gilles Moindrot, Sébas-tien Sihr, Mathilde Radzion, l’équipe deFenêtre sur cours et tant d’autres depuisdix ans.

Joëlle Gonthier

JOELLE GONTHIER,10 ANS D’UNIVERSITÉ

Page 10: Fenêtres sur Cours

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L’ÉVALUATION,UN CAS D’ÉCOLE

u'évalue-t-on, comment évalue-t-on, àqui servent les évaluations et qu'en

fait-on ? Autant de questions qui se posentà tous les systèmes éducatifs et à tous lesétages de l'institution. Au niveau international, l'OCDE disposede PISA et PIRLS pour créer des donnéesafin de renseigner sur les différents systèmes et les comparer. En France, le ministère a mis en place desévaluations qui lui permettent, depuis long-temps déjà, de porter un regard sur les acquisdes élèves. La DEP organise régulièrementdes bilans sur échantillons. Le dernier dated'octobre et s'intéresse aux compétences enmathématiques des élèves en fin d'écoleprimaire. 385 items ont été proposés à 3809élèves de CM2 pour mesurer des compé-tences telles identifier des notions, exécuterun calcul, traiter des données, produire enautonomie, contrôler, valider (lire ci-contre).Un savoir-faire statistique qui a pour butde mesurer les différents niveaux de compé-tences des élèves et mettre à disposition desdonnées pour piloter l'éducation.

CLARIFIER LES OBJECTIFS

Là où le dessin se brouille c'est que viennents'ajouter les nouvelles évaluations CE1 etCM2 concoctées par le ministère, pour les-quelles 2011 sera la troisième année d'exis-tence. Trois ans déjà et, pour l’essentiel, lescontestations qu'elles ont soulevées dans lacommunauté éducative demeurent. Car, de-puis le début, les objectifs de ce dispositifrestent flous. S'agit-il de piloter le systèmeou bien d'aider les enseignants à identifier lesdifficultés des élèves ? A la Dgesco**, onfeint de penser que les deux sont possiblesavec un seul outil alors même que le calen-drier les place en milieu et en fin d'année.Les enseignants ont critiqué ces outils qui

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La contestation soulevée parles évaluations CM2 a rappelé

que cet outil n'est neutre nidu point de vue du système

ni de celui de la classe.

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Page 11: Fenêtres sur Cours

MATHS : DERNIERS RÉSULTATS EN DATE...

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n'en sont pas et le SNUipp n'a cessé de de-mander une clarification des objectifs et estaussi intervenu pour que soit revu le code bi-naire, ce que s'est engagé à faire le ministère.La contestation est aussi venue d'ailleurs.Jean-Claude Emin, ancien sous-directeurde la DEP, s'inquiète du fait que ces évalua-tions « peuvent nourrir un discours discuta-ble sur l'école ». Si l'on se reporte à l'exem-ple de l'Anglettere, les conséquences de telsbilans ne manquent pas de poser question.Mais il insiste sur le fait que les équipespédagogiques disposent d'autres instrumentspour apprécier les progrès et les difficultésdes élèves. Les évaluations CE2 et 6èmequi ont rythmé la vie des écoles et des col-lèges chaque début d'année depuis 1989jusqu'en 2008 avaient le mérite de tenterde donner aux enseignants des outils pour re-pérer les difficultés de leurs élèves et y re-médier.

QUE RESTE-T-IL AUX ENSEIGNANTS ?

Parce que s’il faut des statistiques pour pi-loter le système, l'enseignant, lui, a besoinde comprendre les stratégies et les raisonne-ments mis en oeuvre par les élèves. La no-

L'évaluation des compétences consiste à mesurer la mobilisation des savoirs et savoir-faire. La difficulté réside donc dans l'élaboration d'instruments qui évaluenteffectivement cette mobilisation.Sabine Khan propose un outil d'évaluation à trois niveaux qui permet à l'enseignantde repérer précisément où en sont les élèves afin d'apporter des étayages adaptés auxbesoins des élèves.Le premier niveau place l'élève face à une situation nouvelle, complexe et pluridis-ciplinaire, permettant de vérifier la capacité à mobiliser plusieurs procédures et àles combiner. Le second niveau consiste à redécouper la situation en problèmes sim-ples impliquant la mobilisation d'une seule procédure à la fois. Enfin, le troisièmeniveau d'évaluation mesure la simple maîtrise d'une procédure sans qu'elle soit mobilisée dans une situation particulière.

La Direction de l'évaluation de laprospective et de la performance(DEPP) vient de publier une note quirend compte des résultats d'une éva-luation bilan passée par les élèves deCM2 en mai 2008. Plus d'un quartdes élèves maîtrisent l'ensemble desexigences du programme de find'école primaire en mathématiques, « les enfants ont acquis les capacitésd'abstraction leur permettant de ré-soudre des problèmes complexes etd'adapter leurs stratégies ». 30% lesmaîtrisent de façon satisfaisante. Al'opposé, 15% des élèves sont en dif-ficultés et pour le quart restant, lesélèves commencent à construire desautomatismes mais leurs capacitésen calcul restent partielles et ils nesont pas capables de transférer leurscompétences dans des situations nou-velles. Les élèves scolarisés dans desécoles de ZEP comme ceux qui ontredoublé ont des résultats plus faibles.

tion de compétences prend ici toute sa me-sure car « elle met l'accent sur l'utilisationdes acquis des élèves, sur l'utilisation deprocédures à bon escient » explique SabineKahn docteur en sciences de l'éducation.Mais l'évaluation de ces compétences n'estpas sans poser problème aux enseignants.Elle propose un outil réalisé par une équipede recherche belge (lire ci-contre). Le li-vret de compétences généralisées dans toutesles écoles cette année, paraît bien ridicule àcôté. Roland Michaud, conseiller pédago-gique en EPS propose, lui, de travailler à ceque l'évaluation fasse partie intégrante du

processus d'apprentissage notamment enéducation physique. Des propositions et réflexions qui montrentque du pilotage des systèmes au coeur dutravail enseignant, si les mots sont parfois lesmêmes, les objectifs et les réalités qu'ils re-couvrent peuvent être dissonants.

Lydie Buguet

*Direction de l'évaluation de la performance et dela prospective **Direction de l'enseignement général et de l'enseignement scolaire

MATHS : DERNIERS RÉSULTATS EN DATE...

EVALUER LES COMPÉTENCESEVALUER LES COMPÉTENCES

Sous le titre « 2 temps, 3 mouvements », la plasticienne Joëlle Gonthier a rythmé l’université d’automne de ses installations. Ici Digital / digitales

©MIRA/NAJA

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après que l'élève se soit approprié les cri-tères de réussite qui vont lui permettred'évaluer sa performance. A ce momentlà, le contrôle est dédramatisé car il n'y aplus de « bons » et de « mauvais » élèvesmais seulement des « bonnes » et « mau-vaises » performances... Ceci est en relationavec l'estime de soi : c'est la réussite quipermet d'être motivé, et pas l'inverse...

Comment concevoir l'évaluation ?II faut enseigner l'autoévaluation aux élèvesafin qu'ils deviennent autonomes dans leurschoix de vie et maîtres de leurs apprentis-sages. En effet, comme nous le rappelle O.Reboul, la compétence est d'abord et avanttout construite et montée sur l'aptitude à ju-ger et à se juger. L'auto-évaluation devraitdonc être à la base de tous les pro-cessus conscients d'acquisition deconnaissances et de compétences.C'est la raison pour laquelle l'éva-luation doit faire partie intégrantedu processus d'apprentissage. Elledoit contribuer à rendre l'élève deplus en plus performant dans sonjugement. La pratique des activitésphysiques et corporelles participede cette construction lente, mais indispen-sable, à l'éducation de tout citoyen.

L'évaluation comprise ainsi, commentconstruire les séances d'EPS ?Tout d'abord l'EPS doit permettre aux en-fants d'avoir une aventure motrice quoti-

dienne, qu'ilspratiquent avecplaisir en s'enga-geant dans l'ac-tion. Ensuite, lemodule d'ap-prentissage peuts'articuler enquatre phases :tout d'abord une« phase de dé-couverte » quidoit inciter lesélèves à entrerdans l'activité, àoser faire, et ceciquel que soit leniveau d'organi-sation de leur

Dans votre ouvrage vous distinguez « contrôle » et « évaluation »...L'éducation physique scolaire – par oppo-sition au sport qui vise le plus haut niveaude performance – recherche l'accomplisse-ment de la personne et n'est pas une activitéperformative. Le contrôle est synonymede vérification, de mesure, et ne fait querenseigner, à un moment donné, sur laconformité à la norme. Par contre, selonJ.Ardoino, l'évaluation concerne la « déter-mination de la valeur », elle aide celui quiapprend et donne du sens à son chemine-ment. L'objectif de l'enseignant est de ren-dre l'enfant autonome, en lui permettantde se construire, d'apprendre à utiliser de fa-çon personnelle les critères sur lesquels ilva fonder son jugement.

Mais en classe on a tout de même besoinde contrôler les connaissances...A l'école on a besoin du contrôle pour me-surer, jauger, et de l'évaluation pour ac-compagner l'élève dans son cheminement.Le contrôle est donc nécessaire dans lemodule d'apprentissage, mais seulement

motricité, dans un dispositif qui permetd'accueillir chacun ; ensuite une « phase deréférence » qui pose un problème moteurconcret avec plusieurs possibilités de lerésoudre : les réponses des élèves se déve-loppant jusqu'à ce qu'elles stagnent ; la « phase d'entraînement » permet un bondqualitatif au cours duquel l'élève utiliseses ressources et en construit de nouvelleslui permettant de résoudre ses problèmes ;enfin, la « phase de bilan » va permettre devalider les acquis et vérifier s'ils sont sta-bilisés.

Cette méthode ne valorise-t-elle pas l'er-reur dans les apprentissages?C'est la notion d' « erreur créatrice »d'Anne Jorro : si l’erreur constitue une « en-

trée compréhensive sur et dans lesprocessus d’apprentissage desélèves » en tant que premier pasdans une activité et qu’elle repré-sente « le signe d’un début decompétence en cours de construc-tion », celle-ci devient un levier in-contournable pour l’élève, la classeet le maître pour procéder ensem-ble à une analyse individuelle et

collective des performances des élèvesdans la tâche proposée. On entre de plain-pied dans une « pédagogie de la compré-hension » qui permet de modifier « le re-gard sur la production scolaire » des appre-nants. Pour les élèves, l’erreur n’est plus « regardée comme une faute » car elle revêt le statut de « création dans leur raisonnement ».Reste qu'en éducation physique, toutes leserreurs ne sont pas sources de progrès, no-tamment celles qui mettent les élèves dansune « insécurité » corporelle…mais aussipsychologique. Par exemple, en activitéde combat, il est nécessaire pour l’ensei-gnant de poser comme un acte citoyen, entout début de module d’apprentissage, ceque l’on nomme depuis vingt-cinq ans la« règle d’or » : ne pas faire mal, ne pas sefaire mal, ne pas se laisser faire mal. L’intégrité physique et psychologique desélèves n’est pas négociable à l’école…etailleurs.

Propos recueillis parVincent Martinez

« C'est laréussite qui permetd'êtremotivé, et pasl'inverse. »

Roland Michaud

Ancien conseiller pédago-gique départemental enE.P.S dans le départementdu Rhône puis professeuragrégé d’éducation physique.

BibliographieMichaudRoland Collection « Agirdans le monde », fichierressources Nathan pédagogieMichaud Roland 2003 « L’éducation physique et sportiveau cycle 2. » Volumes 1 et 2Michaud Roland 2000« L’éducation physique en

maternelle»

ENSEIGNER L'AUTO-EVALUATION EN EPS

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sur leur mobilisation à bon escient. L'autreconcept important est celui du cadrage.Lorsque l'on place l'élève face à une situa-tion inédite et complexe, de quelle manièrecadre-t-il la situation ? Certains élèves ontdes cadrages qui ne sont pas appropriés àl'école. Les « hyperpragmatiques » résolventla situation comme on le ferait dans la viecourante sans utiliser les instruments sco-laires, d'une façon inappropriée à l'écolemais qui, dans la vie courante, permet de s'ensortir. D'autres, les « hyperscolaires » utili-sent tous les outils, toutes les procéduresqu'ils auront vues récemment en classe, enles assemblant mais sans savoir ce qu'ilsfont avec. On constate donc qu'un certainnombre d'élèves ne sont pas au clair avec lecadrage attendu.

Apprentissage et évaluation vont de pair,alors comment évaluer les compétences ?L'analyse des compétences en jeu dans lesréférentiels montre qu'il existe une grandediversité de compétences qui va de compé-tences très générales comme « traiter l'infor-mation » ou « résoudre des problèmes » àdes compétences spécifiques à une disci-pline comme « mesurer une longueur » ou« adapter son écrit au destinataire ». Maisil y a aussi des degrés de compétences allantdu plus simple comme « maîtriser les tablesde multiplication » qui renvoient à des com-pétences pouvant être apprises par coeur etque l'on appelle procédures, à des compé-tences complexes qui nécessitent une mobi-lisation et donnent accès à une série ou-verte de situations. L'analyse de ces degrésde compétences a permis de construire unoutil d'évaluation qui mesure des compé-tences avec mobilisation complexe, descompétences avec mobilisation simple c'està dire quand l 'élève choisit une seule pro-cédure mais qui mesure aussi la simple mai-trise des procédures. C'est donc un outildiagnostique d'évaluation à trois niveauxqui permet à l'enseignant de repérer où ensont les élèves et à quel niveau il peut agirpour les aider.

Qu'est-ce que cela implique pour les en-seignants? Il faut évidemment cesser de demander aux

De quelle manière les compétences sesont-elles installées dans la conceptiondes apprentissages ?L'introduction des compétences est liée à undouble mouvement, externe et interne àl'école. Le monde socio-économique a misl'accent sur les compétences, lorsqu'il aconsidéré qu'il ne suffisait plus d'être quali-fié ou diplômé pour obtenir un emploi. Cetteconception s'est alors développée dans l'en-seignement professionnel avant d'atteindrel'enseignement général. L'Europe s'en estégalement emparée à travers « les compé-tences clés pour l'éducation et la formationtout au long de la vie ». La pression écono-mique a donc été largement relayée par lesinstances politiques. Mais cela n'expliquepas tout. Contrairement aux cycles qui n'ontpas trouvé de véritable relais dans l'école, lescompétences ont été prises en compte par lemonde pédagogique. Injectées dans l'écoleen même temps que les cycles, les compé-tences à acquérir à la fin de chaque cyclesont définies pour la première fois dans le li-vret des « cycles à l'école primaire » de1991. Elles rencontrent le mouvement d'édu-cation nouvelle qui s'est développé dans lapériode de l'entre-deux-guerres. Porté parceux qu'on appelle « les grands pédagogues »(Freinet, Decroly, Dewey...) ce mouvementinsiste sur la mise en activité signifiante del'élève dans ses apprentissages. Or une com-pétence se définit par l'action qu'elle permetd'effectuer. La vague des compétences adonc rencontré le mouvement impulsé parl'éducation nouvelle.

A quoi renvoie finalement la notion decompétence ?Ce qui me semble intéressant, c'est qu'ellemet l'accent sur l'utilisation des acquis desélèves. L'école a toujours transmis des au-tomatismes, des procédures. Or, la discrimi-nation entre les élèves se fait entre ceux quisauront utiliser ces procédures et les autres,c'est à dire au niveau de leur capacité à mo-biliser des acquis. Maîtriser une compé-tence implique que non seulement l'élève ré-utilise ce qu'il a appris mais qu'il soit aussicapable de combiner les procédures. L'ac-cent n'est donc plus mis sur la seule acqui-sition de savoirs ou de savoir-faire, mais

enseignants de remplir systématiquementdes grilles d'évaluations, ce qui tend à lesconduire à mettre en place des séquences pé-dagogiques courtes et à se limiter à transmet-tre des procédures, en perdant finalementcette intention d'amener les élèves à êtrecompétents. Il est nécessaire de donner lapossibilité aux enseignants de réfléchir en-semble à ce qu'ils font dans la classe, cequi n'est pas vraiment le cas actuellement. Ilme paraît fondamental de libérer du tempspour que les enseignants puissent s'impliquerdans une recherche collaborative.

Propos recueillis parAline Becker

Sabine KahnDocteur en sciences de l'éducationdepuis 2007, enseigne à l'Universitélibre de Bruxelles. Ses travaux portent sur la notion de compétenceet l'évaluation des compétences ainsique sur les causes des difficultésscolaires des élèves à l'école pri-maire.

BibliographieKahn S., 2010, « Pédagogie différenciée », Bruxelles : De Boeck.Carette V., Defrance A.,Kahn S., Rey B.,2006, « Les compétences à l'école Appren-tissage et évaluation », Bruxelles : DeBoeck.

REQUESTIONNER LES COMPÉTENCES

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« L'accent mis sur les apprentissages peutaméliorer les performances alors que l'ac-cent mis sur les performances peut lesdiminuer » écrit Chris Watkins en conclu-sion de sa recherche intitulée « Learning,performance and improvement »* publiéecet été. Il critique le climat dans les classes qui, deplus en plus orienté vers la compétition,désavantage les élèves les plus en difficul-tés. Il propose deux défis à l'école : recon-naître que les tests ne sont pas le but del'éducation mais un sous-produit de ce queles élèves ont réellement appris et admettreque la pression mise sur les performancesne permettent pas de l'atteindre. Cetteétude tombe à pic après des mois decontroverse sur les tests d'évaluations pro-posées Outre-Manche qui permettent d'éta-blir un classement des écoles. C'est le gou-vernement travailliste de Tony Blair quiavait mis en place ce système de pilotagepar l'évaluation. En mai dernier, le syndicatenseignant National Union of Teachers et

l'association des directeurs NationalAssociation of Head Teachers ont appeléles enseignants à ne pas faire passer lestests Key Stage 2 SATs. En effet, ils leurreprochent d'affaiblir l'enseignement parceque les écoles finissent par enseigner pourles tests et négligent les matières autres quel'anglais et les maths. Le syndicat précisequ'il n'est pas contre les évaluations maispropose plutôt qu'elles aient lieu sur deséchantillons d'élèves.

QUELLES ÉVALUATIONS, POUR QUOI FAIRE ?

D'autres tests ont permis de mettre à jourles carences du système anglais. Les uni-versitaires Jo Blanden et Stephen Machin,dans l'étude « Recent Changes inIntergenerational Mobility in Britain »**sortie en décembre 2007, se sont intéressésaux résultats scolaires en fonction desmilieux d'origine. Les chercheurs ont com-paré les résultats enregistrés par les enfantsde 3 et 5 ans à des tests au pourcentage de

Si les jeunes Anglais ont obtenu de très bons scores dans certaines évaluations internatio-nales, les maths par exemple, c'est en se focalisant aux matières dites fondamentales et enappauvrissant les sujets abordés en classe. C'est le constat qu'a fait le professeur RobinAlexander dans un rapport paru en 2009 qui parle d'éducation « déficiente ». L'histoire,les sciences, la géographie, les arts ont été bannis du quotidien des écoles. Son rapport pré-conise donc de remodeler le curriculum équivalent du programme et de faire entrer dansle nouveau en plus des matières classiques des compétences telles l'aptitude à travaillerensemble, l'épanouissement, la capacité à donner du sens aux enseignements, à explorer.

jeunes ayant obtenu une licence. L’étudemontre qu’en 2002, 44 % des jeunes issusdes 20 % des familles les plus riches ontobtenu leur licence contre 10 % chez lesjeunes venus des 20 % des ménages lesplus pauvres. Mais plus inquiétant, lesélèves issus des 20 % des familles les pluspauvres classés parmi les meilleurs auxtests cognitifs à 3 ans, passent d’un scorede 88 % à 65 % à l’âge de 5 ans. Ces écarts de performances, le nouveaugouvernement a annoncé vouloir lesréduire. Pour le primaire, le budget prévoitde consacrer 2,5 milliards de livres (2,27milliards d'euros) afin de « favoriser l'ap-prentissage des élèves défavorisés » et d' « inciter les meilleures écoles à accueil-lir des élèves de milieux sociaux défavori-sés ». Il a aussi déclaré son intention deréformer le système d'évaluations et depilotage des établissements. Dans le mêmetemps, le ministère de l'éducation va voirson budget amputé de 3,4 %, mais les cré-dits accordés aux écoles vont augmenterjusqu'en 2015 de 0,1 % chaque année.Conséquence : la suppression de 40 000postes d'enseignants en 5 ans. Desréflexions et des décisions qui montrentbien que le débat sur les évaluationsdépasse de loin le cas français.

L.B.*http://www.ioe.ac.uk/staff/LCLL/LCLL_179.html**http://www.suttontrust.com/news/news/low-a-uk-has-not-improved-in-30-years/

ANGLETERRE : Y A-T-IL UNPILOTE EN ÉDUCATION ?

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mateurs d'évaluations reviennent en arrière. La pression mise autour de cesoutils a amené les enseignants à travaillerles items d’évaluation au détriment del’acquisition des compétences. Quand jelis qu'il est positif que les enseignantspuissent travailler les items échoués, jesuis inquiet. Quand j'entends qu'on ob-

serve les progressions des ré-sultats d'une école par rapportà ces items, je le suis encoreplus sur la nature du pilotage.Une équipe pédagogique doitdisposer – et surtout maîtriser– d'autres instruments pour ap-

précier les progrès et les difficultés desélèves.

Les évaluations bilan type PISA rensei-gnent sur l'école, le système...Oui, mais si on veut pouvoir tirer desconclusions, il n'en faut pas une seulemais plusieurs. Pour le primaire, les éva-luations PIRLS ou celles de la DEPP fontle point sur les acquis des élèves et per-mettent de détecter un certain nombre dedifficultés des élèves. Un des élémentsconvergents de leurs résultats c'est que, dèsle CM2, on observe une hausse des inéga-lités. Les élèves les plus faibles sont deplus en plus faibles et de plus en plusnombreux. Autre information convergente :le redoublement ne rend service ni auxélèves ni au système. A niveau égal de dé-part, un élève qui n'a pas redoublé s'en sortmieux. Mais, par elle-même, l’évaluationne dit pas comment gérer l’hétérogénéiténi quel dispositif mettre en place pour ai-der les enseignants.

Et sur la nature des difficultés, y a-t-ildes tendances saillantes ?Je parle de ces questions avec énormémentde prudence car je ne suis pas un péda-gogue. Il semble néanmoins que lesbaisses de performance porteraient moinssur les mécanismes de base de la lectureque sur les aspects plus « sophistiqués »de la langue. Ce ne serait pas tant le BA-BA qui pose problème que la maîtrise de

Les récentes évaluations CM2 ont jetéun trouble chez les enseignants. Com-ment analysez-vous ce qui s'est passé ?Ce trouble est tout à fait légitime. Cesévaluations CM2 posent plusieurs pro-blèmes. Le principal à mon sens est leflou maintenu par le ministère sur lesusages qui en seraient faits. Elles ne ren-seignent pas sur le niveau desélèves en fin de primaire – dece point de vue la passation desitems en janvier est « folklorique »– et elles n'aident pas non plusles enseignants à repérer les dif-ficultés de leurs élèves. Le nou-veau codage ne règle pas ce problème.Le rapport de l'inspection générale sur lesujet souligne d’ailleurs que les ensei-gnants « restent démunis pour reconsi-dérer leurs choix pédagogiques ». Je trouve inquiétant qu'elles entrent dansune certaine routine. Nous disposionsd'évaluations CE2/6e qui, si elles étaientperfectibles, avaient le mérite de cher-cher à repérer les difficultés des élèves, quiquestionnaient les raisons pour lesquellesles élèves se trompaient et étaient accom-pagnées de propositions de remédiations.Les nouvelles restent très ambiguës etpeuvent nourrir un discours discutablesur l'école.

Ne peuvent-elles pas servir au pilotagede l'école comme on l'a annoncé ?Aucune évaluation ne donne de solutionautomatique pour améliorer le systèmeéducatif même si certains discours mi-nistériels peuvent le laisser croire. Iln'existe pas d'évaluation avec un grandE mais des dispositifs d’évaluation, aux fi-nalités et aux modalités différentes qu’il nefaut utiliser que pour ce qu'ils peuventdonner : soit apprécier le niveau deconnaissances et de compétences desélèves, en faire un bilan, en précisant ceque sont les connaissances et les compé-tences mesurées, soit établir un diagnos-tic de leurs difficultés d’apprentissageLes pays comme la Grande Bretagne et lesÉtats-Unis qui étaient de grands consom-

l’expression et la compréhension. Onconstate aussi une dégradation des résul-tats en orthographe. Ce constat peut êtrerenvoyé au fait que la société française yaccorde moins d'importance.

Propos recueillis parLydie Buguet

« L'évaluation ne dit pascomment gérerl'hétérogénéité. »

Jean-ClaudeEminAncien sous-directeur à la Direction de l'évaluation et de la prospective du Ministèrede l'éducation nationale.

Bibliographie :Les évaluations de la réussite à l’école,quels usages politiques, in Cahier d’Édu-cation & Devenir, Numéro 8, juin 2010 Toute évaluation se situe dans l’histoiredes politiques éducatives, in Emin, Jean-Claude, Villeneuve Jean-Luc (coord.), « Evaluer l’évaluation », Editions Le Ma-nuscrit, Paris, 2009Impacts positifs et effets pervers du pilo-tage par les résultats, in Nathalie Mons,Jean-Claude Emin, Philippe Santana(coord.).

« IL N’EXISTE PASD’ÉVALUATION AVECUN GRAND E »

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LES INTERVIEWS DES INTERVENANTS DE LA

10ÈME UNIVERSITÉ D’AUTOMNE

DU SNUIPP

SONT EN VIDÉOS SUR

www.snuipp.fr

L’UNIVERSITÉ D’AUTOMNE EN VIDÉOS

Des vidéos réalisées en partenariat avec la MGEN

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GRAMMAIRE : UNE DEMARCHEREFLEXIVE

En proposant des passerellesentre les activités, les ensei-

gnants aident leurs élèves à concevoirla complexité du réel et à tisser desliens ». Les projets en interdiciplinaritécomportent le plus souvent un axe « maîtrise de la langue » qui découledes champs abordés et des dispositifsretenus. Vocabulaire spécifique, lec-ture de documents, écriture d'une let-tre ou préparation de questions orales,par exemple, sont des bénéfices duprojet interdisciplinaire tout autant quecertains de leurs buts cachés. Ce quemontre Annie Camenish, c'est quel'étude de la langue elle-même peutêtre mise au service de l'objet d'ap-prentissage, que ce soit au niveau de laformation des mots pour en appréhen-der le concept ou, par exemple, au ni-veau de la manière de lire un énoncé deproblème pour en faciliter la résolution.

La grammaire et la conjugaison n'ont pasété inventées exprès pour embêter les en-fants. Avec une démarche réflexive, il estpossible d'éviter « l'abondance du méta-langage, l'incohérence de l'étiquetage »,le placage des phrases fabriquées, touteschoses qui provoquent désintérêt et démo-tivation des élèves. Au contraire, il fau-drait à l'école primaire travailler des no-tions qui correspondent au fonctionnementeffectif de la langue, revenir sur des textesconnus des élèves pour en faire des sup-ports d'étude des faits de langue qui expul-

seront les problèmes de compréhension,créer des liens pour rendre les savoirs co-hérents, développer des compétencestransférables, hiérarchiser et enseigner enpriorité les grandes régularités...Carole Brach est enseignante à l'écoleSerpentine de Colmar (Haut-Rhin) et aparticipé au travail de recherches sur lalangue dans les activités mathématiques.Sur un sujet comme celui-là, les béné-fices ne se font sentir qu'à moyen termemais sont réels et importants. C'est toutela pratique qui est bousculée par « les re-

gards croisés qui se complètent, la distancedu chercheur qui ouvre des horizons »,même s'il faut de temps en temps le rame-ner au quotidien de l'élève. Travailler avecla recherche, ça permet « d'aller au fonddes choses », d'avoir prise sur son métier.« Mettre de la langue partout », avoircette préoccupation constante, c'est à ceprix que les élèves peuvent comprendreque la langue n'est pas seulement impor-tante dans le cadre restreint de l'écolemais partout et tout le temps.

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Créer des liens pour gagner dutemps

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Maître de conférencesen sciences du lan-gage, formatriceIUFM à l’Universitéde Strasbourg. Sesrecherches portenten particulier surla maitrise de lalangue dans lesdisciplinesscienti-fiques.

Concernant la maîtrise de la langue,dans quel état d'esprit trouvez-vous lesenseignants du primaire ?Depuis 2008, de nombreux enseignantssont dans la confusion. L’assimilationdes programmes de 2002 commençait às’amorcer quand tout a été remis enquestion. Les enseignants ont cru qu'ilfallait revenir à ce qui se faisait avant(cloisonnement, leçon, étiquetage, exer-cices). Ils se sentent submergés par lenombre de notions à acquérir et stresséspar les évaluations en milieu de CM2.L'observation réfléchie de la langue par-tait du postulat de l'intelligence del'élève, de sa capacité à comprendre lefonctionnement de la langue. Pour celal’enseignement portait sur les savoirsles plus récurrents permettant à l'élève deréaliser des transferts. Il s'agissait à lafois d'apprendre les fondamentaux etd’acquérir une démarche.

Cette démarche est-elle accessible auxélèves en difficulté ?Une idée reçue consiste àpenser que cette démarche neconvient qu’aux « bons »élèves mais pas aux « faibles». Nous avons clairementconstaté le contraire. Ceuxqui s'en sortent le mieux avecune démarche transmissivetraditionnelle sont ceux quimaitrisent déjà la langueécrite. Mais les élèves qui lamaîtrisent moins bien ne sontpas capables de transférer les savoirsgrammaticaux en compétences d'écri-ture après une suite leçon-exercice car ilsne font pas de lien avec les activitésd'écrit, même s'ils savent leur leçon parcœur. La démarche 2002 créait explici-tement ces liens, d’une part en prenantappui sur les textes lus ou écrits par lesélèves, d’autre part en mettant en placedes démarches d’observation de lalangue accessibles à tous. Une deuxième idée reçue laissait enten-dre qu'il n'y avait plus transmission desavoirs grammaticaux. C’est de la mau-vaise foi, car les savoirs à acquérir dansdes séances spécifiques étaient claire-ment listés et identifiés... Quant à la baisse de niveau imputée auxprogrammes de 2002, quelles sont les

études qui l'ont prouvée ! A-t-on eu letemps de les mettre en œuvre entre 2002et 2008 ? Y a-t-il eu suffisamment deformation ? Peut-on trouver plusieurscohortes d'élèves formés avec les pro-grammes de 2002 ? Une étude un peu sé-rieuse aurait forcément montré que ladémarche très majoritairement utiliséedans les classes restait et reste toujoursla démarche transmissive.

Proposez-vous de revenir à « l'espritde 2002 » ?Les programmes de 2008 prônent la li-berté pédagogique. Je préconise que l'en-seignant fasse le choix de « mettre lepaquet » sur les notions fondamentalesselon une démarche réflexive pour lais-ser aux élèves le temps d’assimiler etde faire des liens entres les savoirs et lescompétences de lecture et d’écriture, etce dans toutes les disciplines. Forcé-ment le reste devra être traité plus vitecar le programme est trop lourd maisles élèves pourront transférer les compé-

tences qu'ils vont acquérir au ni-veau de la démarche.Cela signifie aussi qu’il faut par-fois changer le regard porté sur lalangue. Ainsi certaines traditionsscolaires masquent le véritablefonctionnement de la langue etcompliquent inutilement les ap-prentissages (le système de laconjugaison peut être simplifié). A l’école primaire, il faut s’inté-resser en priorité à ce qui est le

plus régulier et le plus récurrent.

Quel est votre sujet de recherche ?Actuellement, mon travail porte sur lesinteractions entre les apprentissages surla langue et les apprentissages scienti-fiques. Travailler la langue dans les dis-ciplines permet à la fois d’apprendre lalangue et de renforcer les apprentissagesdisciplinaires. Par exemple, compren-dre que dans le mot rectangle, « rect » si-gnifie droit, fait porter un autre regardsur le concept de rectangle. Ma re-cherche porte aussi sur les stratégies delecture à mettre en place pour compren-dre un énoncé de problème. Le détourpar un projet d’écriture d’énoncés deproblèmes additifs par exemple, mobilisetout à la fois les représentations men-

tales, linguistiques et mathématiques.L’articulation de ces représentations ades conséquences sur la compréhensiondes énoncés de problème, sur leur réso-lution et en maitrise de la langue.

Propos recueillis parDaniel Labaquère

« A l’écoleprimaire, il fauts’intéresser enpriorité à ce quiest le plusrégulier et leplus récurrent »

Annie Camenisch

Bibliographie :Ouvrage collectif sous la direction de JCPellatQuelle grammaire enseigner ? Hatier(Enseigner à l’école primaire) 2009Camenish Annie, Petit Serge, avec la par-ticipation de Brach Carole et de Schatz Co-lette, Au cœur des mots, Comprendre etapprendre le vocabulaire dans toutes lesdisciplines, Cycle 3, sous la direction deAnnie Camenish, Hatier (Objectif vocabu-laire), 2010. Niveau 1 disponible ; Niveaux2 et 3 décembre 2010Nombreux articles, par exemple « Les ma-thématiques et l’apprentissage du plurieldes noms au cycle 2 », « La formation sa-vante des mots en mathématiques », « Ap-prendre à lire par les mathématiques », enligne sur le site d'Annie Camenishhttp://a.camenisch.free.fr/

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gnement grammatical, autour d'un inven-taire de notions précises, explicites, pro-grammées par cycle et même par année,dans un temps beaucoup plus important,défini avec précision lui aussi. En tant quetel, il s'agit beaucoup plus d'un « pro-gramme ».

Comment expliquer ces changements àrépétition ? N'existe-t-il pas de consen-sus ? Il est vrai que ces changements sont très dé-stabilisants pour les maîtres ! Les raisonsd'une telle accélération dans leur publica-tion – 1996, 2002, 2008 pour les dernièrespublications de programmes ! - sont certai-nement multiples. Il n'y a pas de consensusparce que les « théories » sur la langue etl'apprentissage évoluent sous l'effet dessciences académiques - linguistique, psy-chologie de l'apprentissage - déstabilisentet discréditent les savoirs « traditionnels »; il n'y a pas de consensus parce que les ré-sultats des élèves aux évaluations se dégra-dent incontestablement en mor-phologie et en orthographe, etpoussent à la révision ; il n'y apas de consensus parce que desgroupes de pression qui dénon-cent toute innovation font pres-sion sur l'institution, mais à monavis l'absence de consensus vientsurtout du terrain : les pro-grammes de 2002 sont terrible-ment difficiles à mettre en œuvre,et les enseignants sont désemparés...

Les programmes de 2002 étaient-ils àce point décalés ? Les programmes de 2002 supposaient chezles enseignants une grande expérience dela pratique de l'analyse de la langue, ainsique la capacité de se mobiliser à tout mo-ment de l'enseignement, dans toutes lesactivités, sur des problèmes de langue, deles faire reformuler, de les transformer en

Vous avez observé les changements desprogrammes de grammaire. Pouvez-vous décrire les évolutions ? Les grands changements viennent de loin: les instructions de 1972 marquaient unerupture avec celles qui précédaient, danslesquelles la grammaire avait pour objec-tif exclusif l'acquisition de la norme del'écrit ; depuis 1972, on laisse une place àl'étude de la communication, à celle desusages oraux de la langue, à la parole del'élève. Ce en quoi les instructions de 2002 inno-vent, c'est dans la démarche : l'acquisitionde savoirs grammaticaux n'est plus l'objec-tif premier. Ce qui importe, c'est d'installerdans la classe une relation active, collective,d'observation et de réflexion sur la langueavant d'installer les connaissances à propre-ment parler ; celles-ci sont en petit nombre,les définitions les plus précises se faisant entermes de compétences. L'étude de lalangue devait se faire dans un temps li-mité – une heure et demie par semaine -mais se mettre en œuvre dans tous les «champs disciplinaires » : l'étude de lalangue n'est plus une fin en soi puisqu'elles'élabore lors de la mise en oeuvre réelle dela langue. Les programmes de 2008 réintro-duisent un ordonnancement dans l'ensei-

notions que les élèves puissent s'appro-prier ; or les maitres pluridisciplinaires del'enseignement primaire sont sollicités surdes quantités de fronts, ils n'ont pas tousune formation linguistique poussée. Lesprogrammes de 2008 balisent mieux le tra-vail du maitre : liste de notions, progres-sions etc. Ces programmes ne sont paspour autant un carcan où l'on doit débiter unprogramme, le nez dans le guidon, et les en-seignants gardent une grande marge demanoeuvre. Comme d'autres, j'aurais évi-demment trouvé plus raisonnable qu'onaménage ceux de 2002, ce qui aurait évitéce sentiment d'inconstance et d'arbitrairedans les choix, mais je soutiens les nou-veaux programmes – je ne parle ici que dela grammaire ! - parce qu'ils exposentmoins les maitres et sont à mon avis large-ment suffisants pour ce qu'on attend de laconnaissance de la grammaire.

Comment faire en sorte que les élèvesprogressent ?

Je crois qu'il faut donner à l'ensei-gnement grammatical des objectifsmodestes, mais s'y tenir. L'écoleprimaire prépare les élèves aux exi-gences plus grandes du collège enmatière d'écrit. Du côté des ensei-gnants, l'objet principal est qu'ilssachent pourquoi ils enseignent dela grammaire, quelles sont les no-tions utiles, et qu'ils sachent l'ex-pliquer aux élèves. La réflexion sur

le sujet n'a pas été assez menée dans lesIUFM car le temps consacré à la didactiquede la grammaire a toujours été insuffisant: la grammaire est aussi un ensemble de no-tions à apprendre, à automatiser pour cer-taines. Par exemple, et j'ose le dire ! (et jel'enseigne à mes étudiants de FLE) le pas-sage par la mémorisation pour certainesconnaissances (la conjugaison) est unetechnique qui gagne énormément de tempset qui permet d'économiser de l'énergiedes élèves lors des activités écrites..

Propos recueillis par Lydie Buguet

« Pas deconsensusparce queles résultatsdes élèvesse dégra-dent. »

Professeur de sciences du langage àl'université de Paris 3 - Sorbonne Nouvelle. Auteur de : Orthographe, à qui la faute, ESF, Paris 2007Le français dans les classes difficiles, INRP, Paris, 2003

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GRAMMAIRE : « DESOBJECTIFS MODESTESMAIS S'Y TENIR »

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La rencontre de la carpe et du lapin

Les nouvelles technologies sauveront-ellesl'apprentissage de la grammaire de papa ?Pas sûr mais il semble que leur rencontrese passe bien si l'on en croit Sylvie Denis,enseignante en CM2 à l'école Paul Bert deLiévin. Depuis cette rentrée, sa classe estdotée d'un tableau interactif et elle s'estlancée dans l'aventure. « Le TBI est unoutil qui me permet d'aborder cet ensei-gnement perçu comme rébarbatif et diffi-cile par les élèves, de façon plus ludique »expliquent-elles. Cet outil permet dedécouvrir les régularités en entourant avecle crayon mais il permet aussi de déplacerdes blocs et de les ranger. On imagine l'uti-lisation que l'on peut en faire avec les pro-positions, le classement de phrases... « Jel'utilise le plus souvent dans les phases dedécouverte ou dans des corrections collec-tives », explique l'enseignante qui note que

les enfants se portent beaucoup plus facile-ment volontaires pour intervenir.L'interactivité a pour elle un autre avan-tage, faciliter la réflexion des élèves. « Defait, la mémorisation s'est faite beaucoupplus rapidement, raconte-t-elle, tout enétant prudente sur l'acquisition réelle decompétences. Certains sites internet pro-posent des scénarios pédagogiques propo-sés par des enseignants ainsi que leurcommentaire. Dans les « petits plus »signalés, beaucoup soulignent la place quele TBI permet de laisser à l'erreur avec lapossibilité laissée du retour en arrière. Unenseignant de Montpellier conclut « cesoutils permettent aux élèves d'apprendreautrement et à l'enseignant de re-découvrirson champ pédagogique et didactique d'in-tervention ».

À l’école, l’enseignement de lagrammaire consiste en un ap-

prentissage des règles de la languefrançaise, des régularités et des ex-ceptions, aux fins de permettre à tousles élèves d’exprimer leur pensée auplus juste de leurs intentions, maisaussi d’analyser avec rigueur et vigi-lance les propos oraux et les textesqui leur sont adressés. » Une définition officielle* qui cachemal les difficultés propres à cet ap-prentissage. Les différentes évalua-tions montrent que les résultats desélèves sont problématiques. En 2007,la reprise par la DEPP d’une enquêtede 1987, portant sur la lecture, le cal-cul et l’orthographe en fin de CM2, apermis de comparer les performancesdes élèves à vingt ans d’intervalle, àpartir des résultats observés aux mêmesépreuves. Concernant l’orthographe,le nombre d’erreurs, essentiellementgrammaticales, constatées à la mêmedictée a significativement augmentéde 10,7 en 1987 à 14,7 en 2007. Unesituation à laquelle Danièle Manesse nese résoud pas.

*Circulaire du 18 janvier sur la mise enoeuvre du socle commun des connais-sances et de compétences : l'enseigne-ment de la grammaire.

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'histoire à l'école primaire estnourrie de deux traditions, celle

de la leçon faite par le maître, nourriede dialogues et d'échanges mais aussicelle issue de l'éveil où pour dire ce quel'on veut faire passer, les élèves sontmis au travail. Entre les deux, il y amille manières de faire selon les sup-ports, les sujets, les thèmes abordés.Cette diversité cache pourtant mal lemanque d'assurance des enseignants,relevée par l'inspection générale dansun rapport de 2007, face à cette disci-pline objet de savoirs, mais aussi outilde compréhension du monde et passeurde mémoires entre génération. Les pro-grammes de 2008 ont fait un choix etmarquent le retour à l'histoire desgrands hommes avec son lot de dateset de grands noms à retenir, et un retourà la transmission de valeurs qui doiventpourtant être interrogées.

A l'Estaque, ce quartier de Marseille quisurplombe les ports, l'histoire et plus par-ticulièrement l'histoire du XXème siècleest partout. Quartier d'usines et d'immigra-tion, quartier de révoltes et de la Résis-tance, l'Estaque peint par Cézanne est unconcentré d'histoires. C'est pourquoi, de-puis trois ans, Jacques Vialle, enseignantde l'école Estaque-gare, travaille avec sesélèves de CM2 sur ce « quartier de mé-moire ». Pour ce faire, il amène les enfantsà se faire enquêteurs de terrain, à sollici-ter et recueillir les témoignages des acteursanonymes et, les mettant dans cette si-

tuation de recherche, les conduit à mieuxcomprendre le travail de l'historien. Ilsdécouvrent aussi « qu'ils baignent dansl'histoire, que leur quartier représentedes strates de cette histoire, qu'elle estencore portée par des personnes et qu'ellen'est pas uniquement faite de ce qu'on litdans les manuels » explique Jacques. Leprogramme n'est pas sacrifié pour autantet les manuels permettent de contextuali-ser, de disposer de référents historiques so-lides. Le projet, quant à lui, est conduit in-dépendamment des horaires dévolus auprogramme d'histoire. Il se déploie de

manière transversale, à raison d'une heurepar semaine, tout au long de l'année etinvite à faire aussi bien de la géographieque du français, des arts plastiques ou dela technologie. Un travail sur la mémoire,sur l'histoire sociale et le patrimoine quiconstitue aussi une façon privilégiée defaire de l'éducation à la citoyenneté. Pour aller plus loin, le dossier « Appren-dre l'histoire » dans le n°471 des cahierspédagogiques.

http://www.cahierspedagogiques.com/spip.php?article6019

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L’Estaque, quartier de mémoire

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Professeured’histoire-géographiede lycéeformatricedansl'académiedeVersailles.Elle estégalementenseignanteassociée àl’Institut national de recherchepédagogique (INRP) et participe à unprogramme de recherche sur l’articulationentre la diversité culturelle à l’école etl’universalisme républicain.

Bibliographie :De Cock Laurence et Picard Emmanuelle (dir),La fabrique scolaire de l'histoire, Agone 2009 De Cock Laurence (et alii), Comment Nicolas Sarkozy écrit l'histoire deFrance ? Agone 2008 De Cock Laurence, Bonafoux Corinne, FalaizeBenoît, Mémoires et histoire à l'école de la république, Armand Colin 2007

Vous avancez que les programmes de2008 signent un retour à une conceptiontraditionaliste de l'enseignement de l'His-toire à l'école. Qu'entendez-vous par là?On pourrait inscrire les programmes de2008 dans une sorte de filiation avec ceux dela IIIème République. A cette époque, ilsétaient centrés sur une finalité, former despetits français. On était dans un contextedans lequel la France était composée d'unemultitude d'identités régionales et l'écoleavait une fonction de creuset. L'objectifétait de développer une citoyenneté fran-çaise, une mentalité républicaine et patrio-tique. Du coup, les instituteurs présentaientaux enfants des figures embléma-tiques et exemplaires d'une gestenationale. De Clovis roi des francs àCharlemagne, en passant par SaintLouis et Jeanne d'Arc, se construisaitune sorte de « roman national » ja-lonné de dates et d'événements struc-turants qui donnaient corps à uneforme de légende républicaine. C'est en celaque les programmes de 2008, dont on ne saittoujours pas à ce jour, comment et par qui ilsont été élaborés, signent un retour à la trans-mission de valeurs qui ne sont pas ques-tionnées. Pourtant, l'Histoire scolaire avaitbeaucoup changé ces trente dernières an-nées, en intégrant notamment de nombreuxaspects de l'Histoire sociale.

C'est donc ce qui les différencie des pro-grammes de 2002 en terme de contenus?En effet, les programmes « Joutard » de2002 étaient très novateurs, y compris parrapport à ceux du secondaire. Alimentéspar les évolutions de l'historiographie mo-derne, ils faisaient la part belle à la com-plexité, à une amorce de réflexion critiquechez les enfants. On était moins dans unehistoire des grands personnages, des datesclefs, et plus dans un accent mis sur lesgroupes sociaux. Qui étaient les gens ordi-naires? Comment agissaient-ils, que peutsignifier pour le monde d'aujourd'hui, cequ'ils ont vécu et construit. Il s'agissait là demettre à la disposition des enfants, des ou-tils pour les faire réfléchir, développer unecitoyenneté critique en opposition à la ci-

toyenneté d' « adhésion » qui revient au-jourd'hui sur le devant de la scène.

Selon vous, à quels enjeux éducatifs de-vrait répondre l'enseignement de l'his-toire à l'école?A mon sens, l'histoire est un miroir de ce quis'est passé, de ce que les hommes ont pufaire à un moment donné. Un miroir de cequi a été possible et de ce qui ne l'a pas été.C'est pour moi extrêmement important, dedonner à voir que ce ne sont pas simplementdes personnages célèbres qui ont fait deschoses dont on se souvient. Ce sont aussi deshommes et des femmes « ordinaires », qui

avaient une culture, des coutumes,des façons de vivre et de travailler,de protester, de se battre et de mou-rir. Et ça, c'est un support formida-ble, pour commencer à réfléchir à ceque c'est que « faire société ». Onpeut alors construire des notions etdes outils pour analyser ce qui fait

que des hommes vivent ensemble, com-ment ils s'organisent, comment ils négo-cient et délibèrent. Et là, on est dans l'ap-prentissage de cette citoyenneté critique quej'évoquais. Je regarde ce qui a été fait, j'es-saie de le comprendre, je fais des aller-retourentre passé et présent pour comparer et éta-blir des relations. Tout ce processus va mepermettre de « penser » la société dans la-quelle je vis et celle dans laquelle je vivrai.

Y a-t-il malgré tout dans ces programmesde 2008, des espaces, des marges de ma-nœuvre, pour les enseignants qui souhai-tent faire de l'Histoire « compréhension dumonde » avec leurs élèves? Il y a toujours des marges de manœuvre,même si elles sont singulièrement réduitespar la construction de ces programmes. Il estpossible par exemple de monter des pro-jets avec une sorte de fil rouge, sur l'année,dans lesquels les éléments du programmed'Histoire sont une sorte de prétexte, pour je-ter des ponts vers un travail plus réflexif.Mais nous savons tous les difficultés que çaprésente. C'est chronophage et c'est coû-teux parce qu'il faut pouvoir sortir de l'école.Et puis reste la question de la formation. On

peut tout à fait présenter Clovis avec un re-gard multiple et une présentation critique dupersonnage. Mais il y faut de la formation,initiale et continue, avoir la possibilité de semettre au point scientifiquement, pour dis-poser des outils afin de pouvoir « ruser »avec les libellés des programmes.

Propos recueillis parFrancis Barbe

« Jeter desponts versun travailplus réflexif »

L'HISTOIRE POUR PENSER LA SOCIETE

Laurence de Cock

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LANGUES VIVANTES : AUTOMATISER LES « GES

enseignement des langues estemblématique de la volonté

d'harmonisation européenne. LeCECRL, le cadre européen de réfé-rence pour les langues, publié en 2001,constitue une approche nouvelle del'enseignement des langues. C'est ainsilui qui définit le niveau A1 que doiventatteindre les élèves en fin de CM2,mais aussi le CLES 2 ou le niveau B2dont les nouveaux enseignants devrontdétenir la certification. Cette volontéeuropéenne se manifeste aussi par lesprogrammes d'échanges d'enseignantsposte à poste et par les stages linguis-tiques à l'étranger (surveiller les BO dedécembre). Il existe aussi une volontéeuropéenne de préserver une réelle di-versité des langues enseignées. Chaque22 janvier, depuis 2003, est organiséela journée franco-allemande. Ce jour-là fleurissent les déclarations d'inten-tions de promotion de l'allemand... peusuivies d'effet.

Enseignante en CM1, Monique Hedde-baut est aussi animatrice allemand à mi-temps sur le bassin de Douai dans le Nord.Elle illustre les difficultés dans lesquellesse débattent les enseignants qui assurentl'enseignement de l'allemand. Dans lesrares écoles où interviennent encore desprofesseurs du secondaire ou des contrac-tuels, il n'y a pas de problème, en dehorsde la continuité école-collège. En effetMonique détaille le cas de ces 26 germa-nistes arrivés de 3 écoles dans un collègeet dont 5 seulement ont été acceptés en

classe bilangue, les autres devant « passer» à l'anglais, à cause de la suppressionde la LV1 allemand. Dans le cas ordinaire où un enseignantde l'école est chargé de l'allemand, les ef-fectifs se trouvent en général réduits. L'en-seignant prend avec les siens les quelquesélèves germanistes des autres classes maisdoit organiser la prise en charge de la ma-jorité angliciste de sa classe... ce qui peuts'avérer « compliqué ». La difficulté s'ac-croît quand une note de service acadé-mique demande de ne plus faire bénéficier

les CE2 de l'enseignement de l'allemand.Pourtant, le tableau n'est pas que noir. Letravail en groupe restreint permet « dudynamisme, des interactions maximalesavec les enfants », du temps pour tâtonneret surtout un vrai temps d'oral. Et la proxi-mité de l'Allemagne rend possible uneauthentique exposition à la langue autourdes projets de visites, que ce soit les mar-chés de Noël, les musées, les villes deCologne ou Aix-la-Chapelle.

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Un chemin pavé d'embûches

Toby Roper, 14 ans, est un brillant élève de 3ème. Arrivé d'Angleterre en France à l'âge de6 ans, il a appris à lire en français, une langue qu'il découvrait. Il est aujourd'hui parfaitementbilingue et il est confronté, depuis l'année dernière, à son « premier » apprentissage scolaire delangue étrangère, espagnol en LV2. En effet, à l'école primaire comme au collège, il n'a pas eutrop besoin de s'investir dans les cours d'anglais. Pour lui, il est clair que « ça ne va pas, on nousapprend une langue à travers la grammaire pour expliquer comment la langue fonctionne »,et ce n'est pas intéressant. Sa solution, dictée de son « expérience » ? Apprendre en écoutant,en comprenant ce que l'on peut, avec un maximum d'oral qui permettrait à la classe « d'avan-cer petit à petit en n'ayant pas peur de parler ».

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Et la formation didactique ?Sur ce plan, on est en train de franchementrégresser. En 1993, lorsque j'ai commencé àexercer en IUFM, les plans de formationcomportaient suffisamment d'heures pourun travail linguistique et didactique. (Lesdeux sont d'ailleurs liés.) Que doit com-prendre une formation didactique ? Des sa-voirs mais également une pratique qui faitl'objet d'une observation réfléchie. J'aiconnu une forme de travail privilégiéeavec les ateliers de pratique pédagogique: les PE2 commençaient par observer uneséance de langue puis menaient les séancessuivantes. Le professeur de la classe res-tait présent y compris à l'issue du courspour participer à son analyse et à la prépa-ration de la suite. Depuis cette année detels dispositifs ne peuvent plus être mis enplace.

La LVE est à la fois discipline et moyende communication, cela pose-t-il desproblèmes spécifiques ?Il me paraît souhaitable que les ensei-gnants mènent l'essentiel de leur séancedans la langue cible – ce qui n'exclut pasdes recours ponctuels au français. Laconséquence est que cela les place, surtout

en début de carrière, dans uneinsécurité maximale. L'ensei-gnement des langues est parti-culier puisque le professeurest amené à gérer des activitéset à faire progresser ses élèvesdans une langue qui n'est pasla sienne. D'où la nécessité,en formation, d'automatiser un

maximum de « gestes linguistiques ».

Que pensez-vous du système allemand ?En Allemagne, la masterisation n'a en riensupprimé la formation sur le terrain.L'école élémentaire ne comporte en gé-néral que 4 classes, 6 dans certains Länder.L'enseignement de la LVE est assuré par-tout dans les 3ème et 4ème classes (CE2 etCM1) et dans certains Länder dès la 1èreclasse. Ni la formation des enseignants, nil'enseignement des LVE ne sont au coeurdes débats actuels en Allemagne. Les ré-sultats aux premiers tests PISA (2000) y

L'enseignement des langues vivantes àl'école est-il satisfaisant ?On ne met pas assez en avant ce qui marchebien. Je vois couramment dans les classesdes enfants qui participent avec beaucoupd'intérêt et de plaisir à ce qui leur est pro-posé, des enfants qui savent déjà beaucoupde choses. Les enseignants chargés de l'al-lemand, minoritaires, sont certes particuliè-rement motivés et convaincus, mais si, au ni-veau européen, on a fait le choix de confieraux professeurs des écoles l'enseignement dela langue vivante étrangère, c'est justementparce qu'ils connaissent parfaitement le public auxquels ils s'adressent et sont très aupoint sur le plan pédagogique. De plus, les pratiques se sont diversifiées :on assiste à une introduction raisonnée del'écrit, à des moments d'observation de lalangue et de conscientisation des apprentis-sages. Il me paraît extrêmement importantque les enfants « sachent qu'ils savent ». Je trouve aussi que l'on est en progrès sur lacontinuité école-collège.

Quelles évolutions pour la formation desenseignants ? Faut-il un meilleur niveaude langue ?Le meilleur niveau de langue possible ! Maisles progrès en langue demandentbeaucoup de temps et l'acquis doitêtre entretenu. C'est comme lesport, quand vous cessez de vousentraîner vous régressez. Il fautse servir régulièrement des outilslangagiers pour en maintenir lamaîtrise. Ce que je reproche aux certifica-tions de type CLES c'est qu'ellesne sont pas adaptées à ce dont un PE a besoinpour dispenser l'enseignement d'une LVE danssa classe. Le CLES 2 a été conçu pour des étu-diants se préparant à effectuer un séjour dansune université étrangère. Or, un professeurdes écoles a par exemple besoin de maîtriser« la langue de la classe » : consignes, lexi-quedu matériel et des activités scolaires, etc.Pour ce qui est de la syntaxe, il a besoin depouvoir produire des énoncés en général brefs.Pourquoi, surtout en formation initiale, consa-crer tant de temps à des entraînements finale-ment peu utiles, du moins en début de carrièreet peut-être au-delà ?.

ont été un véritable traumatisme et beau-coup de choses sont faites pour améliorerle niveau scolaire des élèves allemands, enparticulier de ceux issus de l'immigrationdont la « langue maternelle » n'est pasl'allemand. Une réflexion intéressante estmenée sur les possibles articulations en-tre l'enseignement de la langue vivanteétrangère et celui de la langue d'origine,entre le travail d'intégration de ces jeuneset les objectifs de l'enseignement des LVE.

Propos recueillis par Daniel Labaquère

« En Allemagne,la masterisationn'a absolumentpas empiété surla formationprofessionnelle »

Françoise DelpyEnseignante de secondaire enAllemand, puis maître de conférences à l'IUFM Nord/ Pas-de-Calais. Elle travaille sur la didactique scolairedes langues vivantes étrangères.

BibliographieDelpy Françoise, En cours de publication2010 « Allemagne : La réforme de laformation initiale des enseignants », Spirale 46Delpy Françoise, 2009 « Comments'articulent en Allemagne formationuniversitaire et formation professionnelle desenseignants » - in : Actes du Colloqueinternational CDIUFM IUFM Nord/Pas-de-Calais, pp.119-126. Delpy Françoise, 2009 « L'impact du CECRLet de ses interprétations à l'école primaire »,Cahiers Pédagogiques

TES LINGUISTIQUES »

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entre les hypothèses énoncées. Ce qui nousintéresse c'est que les enfants puissent ap-prendre en faisant, pratique vieille comme lemonde. A l'école, ils peuvent pratiquer lascience un peu à la manière des chercheurs: questionner, émettre une hypothèse, réali-ser une expérience (qui joue le rôle du jugede paix), puis rédiger tout cela sur leur « ca-hier de sciences » , un peu comme le feraitun chercheur dans une revue.

On parle d'une crise des vocations ensciences. N'ont-elles pas un déficit desympathie ? Et l'école peut-elle contri-buer à éveiller des vocations ?Il est bon d'alerter tôt sur labeauté de la science, l'intérêt d'enfaire. Nous serons heureux sidans quinze ans La Main à lapâte a contribué à développerdes vocations. Mais je ne pensepas que la longue quasi-absencede cet enseignement au primaire ait jouéun rôle dans cette déshérence. Un enfantde 10 ans est très éloigné de celui qu'il seraà 18. Je crois plutôt que cette désaffection estla conséquence du peu de place que lascience a dans la société. Dans les années 60,les centrales nucléaires, le Concorde, lastructure de l’ADN étaient des aventurestechniques et scientifiques dont on parlait.Aujourd'hui l'évocation de l'Airbus se fait leplus souvent sur son volet économique. Defaçon emblématique, je note que la sciencea une place très marginale au gouverne-ment. Presqu’aucun de nos ministres n'aune formation scientifique au contraire de laChine où tous en ont eu une. Cette désaffec-tion se voit d'ailleurs dans les médias. Pen-dant un temps, le quotidien Le Monden'avait même plus de pages « Sciences ».

Vous militez pour que les sciences soientenseignées à tous dès l'école primaire.Pourquoi ? Qu'apporte cet enseignementque n'apportent pas d'autres ?Dès le départ, l'idée de Georges Charpak,initiateur du projet La Main à la pâte, étaitque l'enseignement des sciences est làd’abord pour la formation de l'esprit de l'en-fant, c’est-à-dire sa capacité à raisonner, à re-garder le monde dans sa réalité, à question-ner, à aiguiser sa curiosité… L'homme, danssa vie d’adulte doit être un questionneur.Nous sommes loin de l'idée que les élèves nefassent qu’emmagasiner des connaissances.Cela viendra dans le secondaire. Si lessciences ne sont pas les seules à transformerl'esprit - la littérature, la philosophie y par-ticipent tout autant - leur spécificité estqu'elles permettent aux enfants de seconfronter à un problème réel, concret. Etc'est l'expérimentation qui fait la différence

J'ajouterais que les études scientifiques sontconsidérées comme difficiles, selon l'imagequ'il faut s’y mettre la tête dans les mains.Enfin, le peu d'orientation des jeunes fillesvers ce domaine reste assez inexplicablealors qu'elles réussissent tout aussi bien queles garçons et que des efforts considérablesde persuasion sont faits en ce sens.

Quel bilan faites-vous de La Main à lapâte, 15 ans après sa mise en place ?D’abord, les réussites ?Il y a des raisons de se réjouir. La science estredevenue présente dans l'école primaire.Les enseignants en parlent, quand ils en

font c'est le plus souvent à lamanière Main à la pâte et si ilsn'en font pas, certains culpabi-lisent. Dans l’institution del'Education nationale, l'ensei-gnement de type expérimentalest reconnu depuis les pro-

grammes de 2002. Le site internet du projetest très visité par les maîtres. Ils y disposentde ressources, d'un forum mais aussi d'un es-pace de discussions avec les scientifiques quifonctionne bien. Enfin, l'accompagnementde classes des écoles défavorisées par desétudiants, des ingénieurs en retraite ou desscientifiques continue à se développer. Au-tre sujet de satisfaction : ce projet s'exporte.Nos équipes sont sollicitées pour des confé-rences mais aussi pour la formation de for-mateurs dans des dizaines de pays. C'est unmouvement mondial, favorisé par le carac-tère universel la science.

Et du côté de ce qui reste à faire ?Il existe une résistance considérable malgréles 15 ans d’effort. Plus de la moitié desclasses en France ne font toujours pas de

« L'hommeadulte doit être unquestionneur. »

Physicien, membre de l'Académie des sciences et initiateur avec Georges Charpak et Pierre Léna de La main à la pâte

Bibiliographie :Doubles croches, Ed Le PommierSavourer et faire savourer la science, avec P. Léna et B. Salviat, Ed Le Pommier, 2009Enseigner, communiquer, Ed Le Pommier, 2008, L'enfant et la science : l'aventure de La main à la pâte, avec G. Charpak et P. Léna,Ed Odile Jacob, 2003

Yves QuéréYvesQuéré

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APPRENDRE LASCIENCE EN FAISANT

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sciences. La raison invoquée est parfois lemanque de temps. Mais je ne crois pas quece soit valable. Je pense plutôt que beaucoupd'enseignants ont peur de la science car ilsn'en ont pas fait. Seulement 15% des profes-seurs des écoles ont fait des études scienti-fiques. Les autres n'en ont plus fait depuis lesecondaire - dont ils gardent souvent unmauvais souvenir - et ils ont perdu leur ba-gage de connaissances. La formation ensciences dans les IUFM était trop homéopa-thique pour pouvoir impulser un mouve-ment en faveur de cet enseignement. Toutnotre effort encore aujourd'hui est d’arguerque la science est partout, dans le jardin,dans la cuisine… Si l’on met un glaçondans de la laine, fondra-t-il plus vite oumoins vite que dans une feuille d’alumi-nium ? Les enfants répondront naturelle-ment « plus vite parce que la laine, c'estchaud », ce qui est faux. Qu’on ne dise pasque l’expérience correspondante, et que sonexplication (fondée sur la notion d’isola-tion), sont difficiles !

Propos recueillis parLydie Buguet

« Le site de La Main à la pâte fonctionnebien », explique Yves Quéré. Et pourcause! L'équipe qui y travaille (membresde l'école normale supérieure, de l'Institutnational de recherche pédagogique, del'académie des sciences) propose réguliè-rement de nouveaux projets. Le dernieren date « Ma maison, maplanète... et moi ! » est pro-posé depuis une semaine etdéjà plus de 3000 classes sesont inscrites. « Ce projetentre dans le cadre del'éducation au développe-ment durable, expliqueDavid Wilgenbus, un desconcepteurs du projet. Dansles programmes tout ce quirelève de l'EEDD a unancrage dans les scienceset elles sont nécessaires sion ne veut pas en rester à dire « la bonneparole ». A travers la vingtaine deséances proposées (10 pour une versionlight), les élèves sont amenés à découvrir

les différents types d'habitat existant,mesurer leur impact écologique, explorerles différentes énergies, prendreconscience des économies possibles d'eaupotable, de l'intérêt des différents maté-riaux.... « L'approche d'investigationreste le moteur du projet, confirme David

Wilgenbus, on part d'un ques-tionnement, on enquête et sibesoin on observe, on modé-lise, on expérimente pouraboutir à une conclusion ».Pour aider les enseignants,l'équipe a développé plusieursoutils pédagogiques et notam-ment un guide diffusé gratui-tement avec le détail desséances. Une série de six ani-mations qui prolonge les acti-vités de classe multimédia ontaussi été créées avec l'aide

d'universciences. Enfin, un accompagne-ment sur internet est prévu pour lesclasses qui participent. D'ailleurs déjà1000 questions sont arrivées...

a Main à la pâte a 15 ans. Cettedémarche pédagogique pour rénoverl'enseignement des sciences dans lesécoles primaires a été initiée par troisscientifiques de renom Georges Char-pak, Yves Quéré et Pierre Léna. Alorsque Georges Charpak vient de mourir,la présence d'Yves Quéré à l'Universitéd'automne du SNUipp prend une va-leur particulière. Transmettre un in-térêt pour les sciences mais surtoutformer les esprits grâce à la démarcheexpérimentale sont les objectifs aucoeur du projet depuis sa création ettoujours d'actualité. Il a su renouve-ler ses initiatives pour continuer à por-ter cette idée que les sciences permet-tent de comprendre le monde dans saréalité. D'ailleurs, elle investit lechamp du développement durable avecles deux derniers projets qui permet-tent aux enseignants de faire dessciences dans une approche transdis-ciplinaire sans s'en rendre compte !

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Ma maison, monécole… Et moi !

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a tentation est grande deconsidérer que, pour appren-dre à lire et écrire, il suffi-

rait de quelques méthodes et exer-cices, le tout bien pensé dans uneprogression préétablie et program-mée pour tous, une chose venant aprèsl'autre. Or les voies du développe-ment cognitif, social, relationnel, affectif du petit humain sont bien tropcomplexes et confrontent les ensei-gnants à une hétérogénéité qu'ils vivent souvent comme un obstacle àun bon travail. Les recherches sur les-quelles s'appuie Yves Soulé (Labo-ratoire Lirdef, université de Montpel-lier 2) explorent ces domaines et fontdes découvertes qui remettent encause des conceptions en cours dansl'institution. Celles-ci doivent doncêtre discutées, tout comme les pra-tiques professionnelles qu'elles condi-tionnent. Les ateliers dirigés d'écritureen cycle 2 dans lesquels l'enseignantprend le temps d'observer ce qui sepasse quand les élèves se frottent àl'écrit mettent en évidence l'intérêtd'une posture et de gestes profession-nels nouveaux.

« … Mais on peut avancer pour travail-ler plus finement », défend Yves Soulé. Enguise de travaux pratiques, il projette uneséquence d'un atelier dirigé d'écriture dansun CP de Montpellier. Tels des ensei-gnants débutants, l'assistance est amenéeà préciser les gestes professionnels mis enjeu par l'enseignante Isabelle au cours descinq phases de l'atelier : négociation dutexte à écrire (en lien avec un projet declasse) : « Bonjour papa, maman, est-ceque vous pouvez me donner des pots deyaourts ? », écriture des trois premiers

mots, transition et renégociation de latâche, enfin écriture de la phrase et correc-tion/validation individuelle. On observeles enfants chercher pas à pas le ON, puisle OU en passant par le J (G ou J ?), po-ser la question du S à « pots ». Pourquoiun petit groupe hétérogène ? Comprendrecomment on apprend passe par deséchanges langagiers, des interactions danslesquelles les enfants mutualisent leursconnaissances, confrontent leurs straté-gies. Un fonctionnement en groupe debesoin relève d'une autre logique et ne

permettrait pas ce travail. Isabelle a adopté une posture d'accompa-gnement : ouverture, pilotage souple, tis-sage multidirrectionnel, étayage à la de-mande... Elle doit comprendre rapidementles problèmes didactiques en relation avecles obstacles que rencontrent les élèves,ce qui implique une grande expertise.Mais comment obtenir du reste de laclasse l'autonomie nécessaire ? Yves Soulédonne quelques pistes mais de nombreuxgestes professionnels restent à construire.

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« On n'arrivera jamais à mettre le métier en bouteille... »

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parce qu'on va profiter des interactions : ily a toujours quelque chose à dire. Celui quisait quelque chose le communique aux au-tres, etc.

La mise en oeuvre d'ateliers dans un CP n'est pas simple. Cela n'implique-t-il pas une autre posture de la part desenseignants ?Cette question est centrale, mais va au-delà du dispositif. Il est nécessaire de ne pasavoir plus de 5 élèves à la fois, sur untemps court d'environ 20/25 minutes pourun travail effectif de 15/20 minutes. Il fautdonc en parallèle créer les conditions d'uneautonomie effective pour la vingtained'élèves restants. La stratégie la plus adap-tée est de proposer à tout le monde une

tâche d'écriture (copie, inven-tion de texte, fichiers, exercices).La finalité de l'atelier est dou-ble : miser sur la co-activité desélèves et sur les interractionsavec l'enseignant. Celles-cijouent ici un rôle décisif. La pos-

ture du maître n'est pas une posture decontrôle. Il adopte une forme de lâcherprise. Il observe, se tient plutôt en retrait.Il doit utiliser un questionnement pour faireverbaliser, problématiser pour rendreconscients les mécanismes. Le maître doitêtre disponible, accompagner et réguler.

Comme évaluer ce type de dispositif, no-tamment pour des élèves en difficulté ? Depuis 3 ou 4 ans, on demande aux ensei-gnants d'individualiser, de personnaliserles apprentissages, de faire l'aide aux élèvesen difficulté hors de la classe avec le dis-positif de l'aide personnalisée. Il y a l'idéequ'on sera au plus près d'eux, mais on perdde vue l'importance de la co-constructiondes apprentissages. L'atelier permet pré-cisément d'installer et de maintenir dans laclasse un espace de médiation, un espaceintermédiaire entre le groupe classe et l'aidepersonnalisée. C'est le troisième enjeu dudispositif qui vise le développement del'enfant comme élève et sujet scripteur et ledéveloppement professionnel de l'ensei-

Quelle spécificité ce travail en ateliera-t-il ?

L'atelier dirigé d'écriture en cycle 2 diffèredes ateliers pratiqués en maternelle (« coins», ateliers d'activité tournants...). Tel qu'ilest ici conçu pour la grande section, le CPet le CE1, il n'est pas systématique ni des-tiné à des apprentissages spécifiques maisà l'observation des élèves en situation d'ap-prentissages. Il s'agit de mettre en relief lesprocédures, les problèmes rencontrés dansles relations aux savoirs, les manières defaire que les enfants mettent en oeuvrequand ils sont confrontés à l'écrit ou leproduisent.

Vous considérez que ces ateliers s'ins-crivent dans une « conception intégrée dela différenciation ». Pouvez-vousexpliquer ?Le but n'est pas la performance enproduction. Il y a différenciationparce qu'on prend le temps d'ob-server les connaissances, parexemple phono-graphiques, et lescomportements des élèves en situation. Ons'aperçoit ainsi que les élèves sont capablestrès tôt de se situer face à l'écrit en terme deréussite, d'envie d'essayer ou d'impossibi-lité. Il est donc important de débuter tôtdans les pratiques et les usages de l'écriture.Les programmes de 2008, en remettant lelangage oral en première ligne dans uneconception « étapiste » du développementdes enfants, amènent à considérer qu'unbon apprentissage de l'oral prépare l'en-trée dans l'écrit. Notre hypothèse est qu'ilfaut mettre en route le plus vite possible etparallèlement l'oral et l'écrit, de manière in-teractive, les différents apprentissages s'en-richissant mutuellement. Dans les ateliers,les enfants parlent de ce qu'ils savent surl'écriture, observent, verbalisent, prennentconscience et échangent sur ce qui se passe.Peu à peu s'installe une réflexivité. L'ate-lier est alors une fenêtre ouverte sur l'acti-vité cognitive, relationnelle, émotionnelledes élèves dans la construction des lan-gages, oral et écrit. Dans ce sens l'hétérogénéité est un plus

gnant. En écoutant les élèves, il apprécie lesacquisitions métalinguistiques et métasyn-taxiques. Il a vu un retour sur son propretravail. Il apprend des élèves le sens mêmede son métier. Dans l'atelier il fait de l'éva-luation « en ligne » de l'appropriation desapprentissages. C'est un véritable espace deparole pour l'élève, sur son métier d'élève,ses pratiques, ses savoirs faire, mais aussid'analyse de pratiquees pour le maître.C'est très valorisant pour tous.

Propos recueillis parMichelle Frémont

« Le maîtreadopte uneforme delâcher prise. »

Yves SouléProfesseur de lettres à l'IUFM de Montpellier, membre del'équipe de recherche du LIRDEF et membre de l'AGEEM.

BibliographieBucheton Dominique, Yves Soule,L'atelier dirigé d'écriture au CP, uneréponse à l'hétérogénéité desélèves, Pédagogie et formation,Delagrave, 2009

ATELIER D' ÉCRITUREPOUR LES PROCÉDURES

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uand des élèves rencontrentd'importantes difficultés sco-laires, le travail tend à se foca-

liser sur le langage oral et écrit : lire,écrire... mais compter, c'est importantaussi. Les mathématiques semblentposer plus de problèmes (!) dus : àleur complexité au croisement deschamps lexicaux et numériques, à lanécessité de l'accès à l'abstraction quiinterroge le développement cognitifdes enfants et peut-être à une moindreformation des enseignants sur lesphases délicates de la maternelle et ducycle 2. Pourtant le calcul, ici le calculmental, ne vient pas par générationspontanée. Pouvoir décoder la naturedes obstacles et analyser le fonctionne-ment des élèves permet de prévenirdes difficultés plus importantes grâceà la mise en oeuvre de situations d'ap-prentissages qui tiennent compte deleurs besoins.

Une grande frise colorée des nombres de1 à 31, de grandes fiches plastifiées re-présentant des collections ordonnées defruits ou de fleurs... Valérie Barry in-vite à une séance de calcul mental dontelle va détailler les étapes pour pointerce qui permettra de « déminer » les obs-tacles. Quel est le rôle de ces images ?« Chez les enfants troublés, on observeune pauvreté imageante, une difficulté àse représenter une image d'une formelexicale ». La première prévention c'estde nourrir la mémoire à long terme.

En calcul mental, les images ne sontmontrées que quelques secondes, puiscachées : impossible de dénombrer. Ilfaut que « l'enfant mémorise parce quecela lui devient nécessaire » . Laconstruction des résultats, des procé-dures et des stratégies est sous-tendupar une mise en mots permanente qui uti-lise les termes mathématiques dès la pe-tite section. Que penser alors des mani-pulations, de l'expérience tactile, dudénombrement ? « La question, c'estcomment on s'en sert ». La pensée se

construit dans une médiation avecl'adulte par le langage, agir ne suffit pas.Il est important de penser des dyna-miques et non pas des états grâce à uneentrée précoce dans l'arithmétisation desdoigts. Quoi de mieux pour captiver lesélèves que ce superbe gant de ménagecoloré dans les jeux de doigts commemédiateur. Les élèves en difficulté sontsouvent en souffrance , ils ont besoinde médiateurs (personnages, détective)qui accompagnent, mais qui ne sont pasdes modèles à atteindre.

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Retour sur atelier

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Professeure agrégée de mathé-matiques et docteure ensciences de l’éducation.Elle enseigne dansles formations pourl’Adaptation Sco-laire et la Scolari-sation des élèvesHandicapés (ASH)de l ’ IUFM del’Université Pa-ris Est-Cré-teil.

Vous proposez d'identifier les besoinsd'apprentissage des élèves plutôt quede lister les difficultés. Pouvez-vousexpliquer cette démarche et sa mise enœuvre ?Il ne s’agit pas de ne plus penser en termesde difficultés, mais de tenter, quelle quesoit la situation de difficulté, d’envisager lesbesoins d’apprentissage de l’élève commeun levier pour passer du constat d’échec àl’action pédagogique. Par exem-ple, si le constat est : « l’élève necalcule pas », l’idée est de trans-former ce constat en la question :« de quoi a-t-il besoin pour calcu-ler ? » (avant de se demander : «que vais-je faire ? »). Ici, on pour-rait penser que l’on n’a pas beau-coup avancé ! Mais le passage du constat aubesoin s’accompagne d’un changement deposture : l’enseignant passe d’une diffi-culté qui « appartient à un élève » (ou plu-sieurs élèves) à un questionnement qui l’en-gage, en tant que pédagogue, et qui estpartageable avec d’autres adultes. Ensuite,il me semble important d’adopter une ap-proche systémique des besoins d’apprentis-sage des élèves, c’est-à-dire de tenter d’iden-tifier un faisceau de besoins, qui, réaliséssimultanément, permettent progressivementde franchir les obstacles. Dans le domainedu calcul, les enfants ont par exempleconjointement besoin de construire une re-lation fonctionnelle avec le nombre (en leconsidérant comme utile dans leur quotidienscolaire et social), d’élaborer une diversitéstratégique (pour avoir le choix dans une si-tuation numérique, et ne pas répéter infini-ment une procédure « stratifiée »), de déve-lopper un langage numérique interne et descapacités de transcodage qui leur permettentde penser les nombres en chiffres et de separler à eux-mêmes (mentalement) en uti-lisant des mots-nombres.

Pouvez-vous expliquer ce que sont le cal-cul en acte, le calcul stratégique et le cal-cul complexe ?Dans un calcul-en-acte, l’apprenant n’a pasconscience d’opérer un calcul. Quand parexemple un élève répond spontanément « 5» quand on lui demande « 3+2 », il mobi-lise une information en mémoire à longterme : le résultat du calcul. Il a opéré un

calcul en ce sens qu’il a été susceptible degérer une relation ternaire entre 2 donnéesnumériques (3 et 2) et un opérateur (+).Cette association de « 3+2 » et de « 5 » sedistingue donc d’une simple correspon-dance binaire comme celle qui existe entre« Marignan » et « 1515 ». En effet, si l’onchange d’opérateur, en passant par exempleau calcul de « 3 -2 », l’élève va mobiliser unautre répertoire mental, celui des résultats

soustractifs. Dans un calcul stra-tégique, l’élève ne mobilise pas unrésultat mais une procédure. Parexemple, s’il effectue plusieursmultiplications par 10 (5x10,14x10, 28x10, 135x10, etc.), il nerecherche pas un résultat stocké enmémoire mais mobilise une pro-

cédure récurrente (décaler les chiffres d’uncran vers la gauche et ajouter un zéro dansla colonne des unités). Toute combinaisonde calculs en acte et stratégiques est un cal-cul complexe, comme par exemple : (5x10)+ (3+2).

Comment le recours à ces notions peut-il aider les enseignants à mieux répondreaux problèmes numériques ?Il s’agit pour l’enseignant(e) de construiredes séances de calcul mental en s’assurantde combiner ces trois formes de calcul, enproposant : - des calculs qui ont pour objetde convoquer (et construire) un répertoire derésultats numériques en mémoire à longterme ; - des calculs qui visent la mobilisa-tion d’une stratégie spécifique (qui seraverbalisée, et récurrente) ; - des calculs fai-sant intervenir trois nombres ou plus, quicombinent les opérations effectuées dans lesdeux phases précédentes et contribuent àleur généralisation.

Enfin vous utilisez la caractérisation de« trouble » du calcul, plutôt que de diffi-culté. Cette terminologie médicale nepose-t-elle pas problème ? Les enseignantspeuvent-ils définir des « troubles » ?Parler de troubles de l’apprentissage necorrespond pas dans mon propos à une mé-dicalisation de la difficulté scolaire, mais àune distinction, à partir du cycle 3, entre desobstacles passagers et des obstacles dura-bles, qui nécessitent des actions croisées.Trois facteurs conjoints peuvent caractéri-

ser les troubles de l’apprentissage et lesdifférencier de la difficulté scolaire passa-gère : leur complexité (ils ne se réduisentpas à une cause unique mais sont associésà un réseau de causalités), leurs consé-quences (l’élève est en échec scolaire géné-ralisé ou électif) et leur persistance (ils res-tent présents après deux annéesd’apprentissage de la langue écrite).

Propos recueillis parMichelle Frémont

« Passer duconstat d’échecà l’actionpédagogique »

CALCUL : PREVENIR L’ECHEC

Valérie Barry

Bibiliographie :Barry Valérie, à paraître, Dénombrer et calculer à l’école maternelle, collection Hatier Pédagogie, Paris : Hatier.Barry Valérie, 2010, Dialectiser la recherche et l’action. Paris : L’Harmattan.Barry Valérie, 2010, Constituer du commun à par-tir de l’hétérogène, dossier Travailler avec lesélèves en difficulté, Cahiers Pédagogiques, n° 480, mars 2010.

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Quelle définition donneriez-vous de l'es-clavage ?L'esclavage c'est le fait d'enlever toute hu-manité à un être humain qui est chosifié,qui devient un objet, qui est vendu,échangé, examiné...C'est réduirel'humain à l'état d'objet, oud'animal.La notion d'esclavage existe de-puis l'antiquité, avec différentsstatuts, et a considérablementévolué. L'objet de mes re-cherches est l'enseignement del'histoire de l'esclavage et destraites négrières entre l'Afrique,l'Europe et l'Amérique aux XVIIème etXVIIIème siècle.

Vous parlez de stéréotypes, d'analogies...qu'entendez-vous par là ?Si l'esclavage a existé de tout temps, au dé-part l'esclave n'était pas noir. Or, dans l'es-

prit des élèves noir = esclave ou esclave =noir. C'est automatique. On est toute uneéquipe a avoir travaillé dans différentesrégions. On a observé qu'il s'agissait vrai-ment d'un stéréotype figé. Et comme sou-vent les collègues ne sont pas à l'aise avecl'histoire des traites négrières, parce qu'il n'ya pas de formation sur ce sujet, ils vont pré-férer actualiser le concept en posant laquestion : « est-ce que l'esclavage existe en-core? ». Beaucoup de collègues insistentsur cette dimension, car il estiment - à justetitre - que les élèves sont beaucoup plus ré-ceptifs et sensibilisés.

Il y a pourtant des formes modernesd'esclavage....Je ne sais pas s'il y a une nouvelle formed'esclavage. La réalité est toujours la même: la réification de l'être humain. Quandvous êtes une petite fille, qu'on vous vend,pour aller travailler dans le meilleur des casdans une usine, dans la plupart des casdans une maison close, l'enfant n'est plusconsidéré comme une personne...

Ces exemples doivent aider à dépasserles stéréotypes ?Ce qui est très étonnant c'est que les enfantsvont bien voir qu'il s'agit d'asiatiques ou deblancs qui sont réduits à l'esclavage. Maisils ont énormément de mal à employer leterme « esclave » pour les désigner. Ilsn'emploient le terme « esclave » que si lapersonne est noire. Et ça, jamais je ne l'au-

rais imaginé... Ce qui est frappant,c'est que les élèves manifestent peud'empathie lors des séances classiqueset on assiste parfois à des réactionsétonnantes : « Pourquoi ça serait mal? S'ils l'achète c'est pour qu'il soitheureux ». En revanche, les projetspluridisciplinaires mêlant des visiteset des mises en ?uvre dynamiques,le tout dans un ancrage local, ont été

largement plébiscités par les élèves.

Comment expliquer ces réactions ? C'est toute la difficulté notionnelle : faire del'histoire c'est contextualiser... Or les élèvesne sont pas spontanément capables de lefaire. Leurs représentations ne reposent

« Éviter lesstéréotypes,les analogies et lesconfusions »

Agrégéed’histoire,docteur enhistoiregrecque.

Sylvie Lalagüe-DulacSylvieLalagüe-Dulac

nseigner l’histoire de l’escla-vage au cycle 3 est régulière-ment problématique malgré

l’empathie générée par un tel sujetdans le corps enseignant. Les produc-tions langagières orales et les négo-ciations langagières qui se nouent lorsdes séances observées illustrent le pro-blème majeur rencontré par les ensei-gnants dans l’étude de l'histoire del'esclavage, à savoir celui de la termi-nologie correcte, des stéréotypes etdes analogies douteuses. Au delà decritères lexicaux, quels termes em-ployer ou éviter afin de construire unsavoir historique ne reposant pas surdes mots à connotation éventuellementpéjorative ou offensante selon les lieux,les personnes et les époques ? Le rôledu langage est d’autant plus fonda-mental dans la construction des sa-voirs en histoire et dans leur mise entexte lorsqu’il s’agit de sujets sensibles.

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ENSEIGNER L’HISTOIREDE L’ESCLAVAGE

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L'esclavage est aussi vieux que l'huma-nité et on en trouve les premières tracesdans le Code d'Hammourabi sous l'An-tiquité. Certains personnages illustrescomme Esope ou Epictète ont même étéesclaves. Le Moyen-Age et le dévelop-pement du christianisme en Occidentmodifient l'esclavage en servage, l'Eglises'opposant à ce que des chrétiens appar-tiennent à d'autres chrétiens. Cependant,l'esclavage continue à se développer enEurope comme au Moyen Orient.La découverte du nouveau monde au16ème siècle puis le développement descolonies vont ouvrir une nouvelle pagede l'esclavage avec le commerce triangu-

laire. Si en 1794 la Convention vote undécret d’abolition de l’esclavage s'ap-pliquant aux colonies françaises, il fau-dra attendre le décret du 27 avril 1848pour que l'abolition de l'esclavage devienne effectif, sous l'impulsion deVictor Schoelcher.Mais l'esclavage est malheureusementloin d'avoir disparu : L'Organisation Internationale du Travail estime à 25millions le nombre de personnes vivantactuellement dans des conditions assimi-lables à de l'esclavage. Et selon l'ONU,deux millions de personnes seraient réduites en esclavage chaque année.

Le Sénat a choisi en 2001 la date du 10 mai pour honorer le souvenir des esclaves et lacommémoration de l'abolition de l'esclavage. Cette commémoration obligatoire estconçue comme un moment de partage dont l'école peut s'emparer en organisant en classeun moment particulier de réflexion par la lecture de textes notamment.En 2002 la notion d'esclavage fait son apparition dans les programmes d'histoire et lesprogrammes de 2008 font explicitement référence aux « Empires coloniaux » et à « latraite des Noirs et l'esclavage ».

que sur leur vécu. Par exemple le collierd'esclave : pour eux, l'esclave porte un col-lier, comme le chien, et l'esclave a un maî-tre, comme le chien... Et ça ne les heurtepas... Cette analogie aide à la compréhen-sion de ce qu'est être esclave mais c'estchoquant... Parfois des enfants tombentdans la victimisation en disant « pourquoi on leur a fait ça ? Ils sontcomme nous, eux... » L'identification sefait aussi dans les classes à forte composi-tion d'enfants d'origine antillaise ou afri-caine, où nous avons observé des réac-tions du type : « Mais pourquoi ils ne sedéfendaient pas ? Pourquoi ils ne se révol-taient pas ? »

C'est essentiellement un problème delangage...Si vous montrez aux enfants des hommeset des femmes africains qui sont en traind'être capturés, et que vous leur demandez« qui sont ces personnes ? », ils tombentdans le stéréotype et répondent spontané-ment « des esclaves ». Quand Jean II le Bonest capturé lors de la bataille de Poitiers en1346, puis transféré à Londres avant d'êtreracheté par une rançon, on le désignecomme un « prisonnier ». C'est pareil pourles personnes capturées sur le sol africain,ce sont d'abord des prisonniers qui vont êtredéportés en Amérique. C'est pourquoi lanotion de « commerce des esclaves » est su-jette à caution car elle suppose qu'à partirdu moment où ils ont été capturés, ce sontdéjà des esclaves. Ce qui dédouane les né-griers mais n'est pas vrai. Être esclave c'estêtre commercialisé pour être employé àune tâche. Tant qu'ils n'ont pas quitté lesol de l'Afrique, on préfère employer leterme de « captif » ou « déporté ».

Comment enseigner l'histoire de l'escla-vage ?Il faut déjà avoir une rigueur langagière.L'entrée par la littérature de jeunesse est ef-ficace. L'histoire véridique d'OlaudahEquiano, qui est le seul témoignage d'un es-clave qui a vécu cette réalité au 18èmesiècle, ou Deux graines de Cacao qui suitles aventures d'un jeune enfant. En s'ap-puyant sur la pluridisciplinarité, avec l'étuded'un ouvrage, on peut aborder ce thèmetout en permettant aux élèves d'incarner cesfaits passés et d'avoir de l'empathie. Sur desnotions comme la torture par exemple, ilssont trop jeunes.

Propos recueillis parVincent Martinez

Petite chronologie de l’esclavage

Devoir de mémoire de la traite négrière

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Qu'est-ce qui caractérise ces situationsproblèmes ?Les concepts géométriques ne peuvent êtreatteints qu'à travers un ensemble assezvaste de représentations de l'objet géomé-trique. La difficulté est donc d'amener pro-gressivement les élèves à se détacher de lasimple lecture du dessin pour atteindre lespropriétés géométriques. L'élève qui reco-pie la forme au papier calque ne fait pas en-core de géométrie. Il est du côté de la repré-sentation graphique, du contour. Ce qui val'aider à construire un carré par exemple,c'est qu'il l'analyse avec cer-taines propriétés comme avoirquatre angles droits. Mais letravail sur le dessin est incon-tournable. Il n'est d'ailleurs pasuniquement une étape d'ap-prentissage. Les chercheursutilisent aussi des systèmes dereprésentations d'objets ma-thématiques qu'ils manipulent. Il faut quece travail sur le dessin soit suffisammentvarié, avec de nombreuses représentations,pour que l'élève accède aux propriétés géo-métriques. Le but est de les amener, à par-tir de différents types d'activités et d'outils,à un niveau d'abstraction qui leur permet-tra de réunifier les situations.

Et les élèves, de quelle manière perçoi-vent-ils les objets géométriques ?Les élèves ont des représentations spa-tiales. Ils ont une perception assez aigüe dela forme. Par exemple, un carré n'est pasidentique s'il est posé sur un côté ou sur unsommet. Les élèves investissent donc leursconnaissances immédiatement disponibles

Qu’en est-il de l'enseignement de la géométrie à l'école ?La géométrie est peu investie à l'école pri-maire car les enseignants se sentent dé-munis dans leurs pratiques. En observantles cahiers d'élèves, on constate qu'il s'agitsouvent de mettre des mots sur des objetsprésentés graphiquement. Cette façond'aborder la géométrie pose problème carl'apprentissage ne se réduit pas à poser desmots sur des objets. Il est indispensablede changer de point de vue sur un domainequi recouvre des activités très diverses etnécessite une grande exigence. Du point devue institutionnel, l'accent est mis sur la ré-solution de problème, à partir de situationsqui soient suffisamment riches pour quel'élève construise des connaissances au-tour de concepts géométriques. Mais au-cune démarche n'est proposée.

pour analyser un objet géométrique. C'estdonc à partir des connaissances spatialesque doit se bâtir l’apprentissage en géomé-trie.

En quoi la géométrie dynamique est-elle un atout ?La géométrie dynamique utilise l’environ-nement informatique comme un outil puis-sant permettant de se confronter à un vasteensemble d’éléments géométriques.Les figures peuvent être manipulées beau-coup plus qu'à partir d'un simple dessin sur

la feuille. C’est un moyen pourles élèves d'expérimenter, d'agirsur les formes tout en mainte-nant leurs propriétés. La dé-marche consiste à proposer unefenêtre blanche dans laquellel’élève va avoir à sa dispositionun certain nombre d'outils telsque des points, des cercles, des

droites simples, perpendiculaires ou paral-lèles, ou encore des angles, et avec les-quels il va pouvoir construire une figure.Lorsqu'il fera bouger les points, la figureconservera exactement les propriétés géo-métriques qu'il a choisi, grâce aux outils.Si les propriétés ne sont pas suffisantes, lesfigures ne se déformeront pas correcte-ment. Progressivement l’élève porteraplus son attention sur les propriétés quesur la forme.Grâce à l’outil informatique, l’élève peutinteragir avec l’environnement indépen-damment de la validation de l’enseignant.Le contrôle est immédiat et permet unréajustement continue des procédures.Dans cette démarche, l’élève est totale-

« L'informatiquepermet de seconfronter à unensembled’élémentsgéométriques. »

Maître de conférence en didactique des mathématiques, détachée à l’Institut National de laRecherche Pédagogique. Elle est également responsable de l’équipe de recherche DIAMDidactique et Informatique pour l’Apprentissage des Mathématiques, du laboratoire LIG deGrenoble, à l’origine de la création du logiciel Cabri-géomètre. BibliographieAuteur d’activités de la collection « 123… Cabri, je fais des maths » diffusées dans le cadre del'opération Ecoles Numériques Rurales.

Sophie Soury-LavergneSophie Soury-Lavergne

GEOMETRIE : DU DESSINAUX CONCEPTS

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ment acteur. C’est lui qui décide de met-tre en œuvre telle procédure, ce qui luidonne une grande autonomie dans sonapprentissage. Mais l’enseignant gardeun rôle crucial dans la mise en commun et« l’institutionnalisation » des connais-sances. Les mots viennent caractériserdes procédures utilisées; la trace écritene venant qu’en fin de démarche.

Cette démarche peut-elle s'appliquerà tous les objets mathématiques ?La géométrie s'y prête bien, mais cettedémarche peut s'appliquer à l'ensembledes objets mathématiques. Du côté nu-mérique et du calcul, les élèves manipu-lent aussi des représentations que l'élèveva manipuler. Le travail mathématiqueconsiste à mobiliser la représentationadaptée pour résoudre le problème. Ondéveloppe des environnements informa-tiques qui permettent de manipuler desobjets mathématiques.

Propos recueillis parAline Becker

La maîtrise des TIC à l'écoleest désormais l'une des septcomposantes du « socle

commun de connaissances et compé-tences », afin d'amener les élèves au ni-veau du brevet informatique et internet(B2i). Les programmes de 2007 préco-nisent l'utilisation régulière des outilsinformatiques dans les différentschamps disciplinaires. La géométrieest un domaine qui se prête particuliè-rement bien à cette articulation avecl'outil informatique. Si l'accent est missur la résolution de problème, les en-seignants n'osent pas s'aventurer troploin dans des pratiques inhabituelles.L'organisation des enseignements àl'école donne la priorité à la maîtrise depropriétés géométriques alors que lesfigures géométriques sont perçus dansdes représentations spatiales. La géo-métrie dynamique permet un chan-gement de regard sur les figures.

« Cabri géomètre » est un logiciel degéométrie en milieu scolaire. Il est lefruit d'une collaboration entre informati-ciens et didacticiens. C'est en 1985 qu'aété crée le premier cahier de brouillon in-teractif (CABRI). Il a été mis à la dispo-sition des enseignants en 1989 avec lesoutien du ministère de l'éducation natio-nale. Cet outil permettait d'obtenir des re-présentations d'objet mathématiques endeux dimensions sur lesquels l'élève pou-vait interagir directement. Des versionssuccessives ont progressivement été éla-borées pour s'étendre à des objets ma-

thématiques au delà de la géométrie, puispour manipuler des objets en trois di-mensions. La dernière évolution est touterécente. Elle est le résultat d'un parte-nariat entre la société Cabrilog et l’équipeErmel de l’INRP, dans le cadre de la re-cherche INRP « Ressources en mathéma-tiques à l'école et au collège », pour développer une technologie spécifiqueà l'école élémentaire. Les enseignantsdu primaire qui ne sont pas nécessaire-ment spécialistes des mathématiques,peuvent désormais bénéficier d'un outilpermettant de créer très facilement des

activités. « Cabri élém » crée un pont en-tre le monde réel et celui des mathéma-tiques en offrant des représentations d'ob-jets réels manipulables. Evidemment, cetoutil ne remplace pas la manipulationconcrète mais permet d'aller plus loin.C'est ce qu'on compris les enseignants quil'utilisent dans le cadre du plan numé-rique rural, en particulier pour le sou-tien aux élèves en difficultés ou en col-lectif pour ceux qui bénéficient d'untableau blanc interactif.

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Un logiciel pour le primaire

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ls sont tous fous ces enseignants ?A écouter les intervenants aux ate-

liers de l’université d’automne, la questionn’est peut-être pas si provocante que cela.Schématisons : l’enseignant seul dans saclasse est tenu de faire réussir ses élèves,tous ses élèves. Mais l’échec scolaire, quitouche 15% d’entre eux, vient perturber laconduite à bon port de cette mission pro-fessionnelle. L’enseignant reste seul danssa classe, fermant une boucle schizophrènequi produit souffrance et échec pour l’élèveet l’enseignant.L’institution a le don d’en rajouter. Lamultiplication « d’injonctions paradoxales» brouillent les repères du métier. Commele dit Françoise Lantheaume (voir page42), on demande aujourd’hui aux ensei-gnants du primaire, tout et son contraire :« les enseignants sont pris en tenaille en-tre d’un côté la nécessité de s’occuperdes groupes, d’assurer le projet de massi-fication, et d’un autre côté de s’occuper dechaque élève de répondre à ses besoinsparticuliers ». Et la sociologue conclut : «C’est ce décalage entre l’engagement et lesrésultats qui nourrit le sentiment d’inuti-lité et d’impuissance des enseignants ».

LA FORMATION MISE À MAL

Le pilotage du système éducatif par lesrésultats, initié par la loi d’orientation de2005, décliné par Xavier Darcos avec la ré-organisation du temps scolaire, les nou-veaux programmes, les évaluations etl’aide personnalisée, a surtout réussi à ac-croître encore ce décalage. D’abord parceque l’objectif gouvernemental de réductionpar trois en cinq ans de l’échec scolaire estresté sans effet. Ensuite parce que le nom-bre de prescriptions a encore augmenté.Formulées hors de toutes concertations

ENSEIGNANT,UN MÉTIER

« EMPÊCHÉ »

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Les enseignants sont pris entenaille entre l’engagement defaire réussir tous les élèves etl’échec scolaire. Un décalage

renforcé par les injonctionsministérielles qui se lit dans la

pratique du métier.

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avec les professionnels que sont les ensei-gnants, elles ont été « mises en place se-lon un agenda politique qui ne tient pascompte des réalités de l’école, insisteFrançoise Lantheaume, or le métier d’en-seignant ne se transforme pas par bascule,mais par ajustements successifs ».Se pose également la question du rôleque joue la formation initiale et continuedes enseignants dans la construction del’identité professionnelle que la réforme dela formation a mise à mal.Comment réagit l’enseignant ? « Lesélèves en difficulté mettent l'enseignant endifficulté jusqu'à parvenir parfois à des si-tuations professionnelles qui lui échappent», analyse Frédéric Saujat (voir page 46).Le travail enseignant doit se faire avecet pour les élèves, « mais dans la difficultéil peut se faire contre ou sans eux ». « Ceparadoxe, poursuit le chercheur, seconcrétise dans les moindres gestes pro-fessionnels, « dans une contradiction en-tre bien faire et faire le bien », entre faireson métier et réaliser les objectifs de réus-site. Un trop grand désordre scolaire peutainsi conduire l’enseignant à minimiserles exigences scolaires. Dans ces « zonesde turbulence » comme dit Frédéric Sau-jat, chacun se débrouille en mettant labarre où il peut.»

INTERROGER LE MÉTIER

Il y a donc nécessité à interroger le métier,face à ce décalage entre « investissementprofessionnel et résultat », face à l’impactsans doute sous-évalué de la réorganisa-

tion du temps scolaire, mais aussi face àce que Françoise Lantheaume appelle la «souffrance ordinaire » d’un métier, c’est-à-dire la culpabilité, le sentiment d’impuis-sance et d’inutilité. D’autant que les mo-difications organisationnelles de l’écoleont réduit à une peau de chagrin les es-paces de paroles des enseignants. De nom-breux chercheurs, dont ceux invités àl’université d’automne, ont lancé desétudes sur le sujet, comme DominiqueBucheton, professeur d’université à l’Iufmde Montpellier (voir page 44), qui étudiel’ajustement des gestes professionnels,ces centaines de micro-décisions queprend un enseignant au cours d’uneséance. Fenêtres sur cours a publié deuxdossiers sur le thème (n°338 et 343). LeSNUipp, qui a pour projet la transforma-tion du métier pour la réussite de tous, asigné une convention avec le Conserva-toire national des arts et métiers (CNAM)dont l’objet est « un chantier pluriannueld’étude des conditions de reprise en mainpar les professionnels de la conduite deleur travail, des ressources de leur métieret de leur développement ». Car il y aégalement urgence à donner aux ensei-gnants les moyens de se réapproprier leurmétier, localement. Et en équipe. « Cardans le collectif, explique Françoise Lan-theaume, la façon de faire de chacun estreconnue à la fois dans sa compatibilitéavec les règles du métier, et dans sa sin-gularité ».

Aline BeckerJacques Mucchielli

Une convention pluriannuelle a étésignée entre le SNUipp et leConservatoire national des arts etmétiers (CNAM) avec pour objectif« l’élaboration et la mise en œuvred’intervention visant à constituerdes collectifs d’enseignants sur letravail et le métier d’enseignement;et sur le soutien apporté par leCNAM « en termes d’informations,de conseils, de participation à desréunions internes ou des initiativespubliques au chantier « travail etmétier » du métier. ». La premièreétape consiste à favoriser les ren-contres entre enseignants pour fairele point sur les obstacles rencontréspour bien faire son travail, et sur lesréussites professionnelles existantes.Les échanges avec des chercheurssur la question du travail sont pré-vus dans de nombreux départe-ments pour comprendre commentils analysent cette situation. Le 19 mai, un colloque sur le travailenseignant devrait réunir à Paris :Yves Clot, Françoise Lantheaume,et Frédéric Saujat.

Sous le titre 2 temps, 3 mouvements, la plasticienne Joëlle Gonthier a rythmé

l’université d’automne de ses installations. Ici 100 balles.

Un «chantier travail» du SNUippUn «chantier travail» du SNUipp

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Comment circonscrire la souffrance autravail ?Il y a d'abord un problème de légitimité :socialement les enseignants ne sont pasperçus comme légitimes à avoir une souf-france au travail (stabilité de l'emploi,temps libre...). Après il y a la questionde la preuve : Comment prouver le lien en-tre les manifestations pathologiques et unétat du travail ? L'institution a tendance àconsidérer que la souffrance au travail estun problème d'individu : Il y aurait des in-dividus plus fragiles, qui seraient plussensibles au stress, qui auraient des anté-cédents... Or, travailler c'est interagir avecdes individus dans un environnement detravail. En prenant ce point de vue on re-lie la souffrance au travail à cet ensembled'interactions entre les individus et un mi-lieu en évolution permanente.

Comment se manifeste cette souffrance ?Les sociologues ont constaté qu'il y a dessignes manifestes qui passent par de lamédicalisation et d'autres qui se traduisentpar un désengagement, par des crises delarme, par du dégoût... Paradoxalement, onse rend compte que des enseignants quisont énormément investis dans leur travail

en arrivent à dire "moi je fais leminimum, je suis dégoûté, j'ar-rive plus à tenir..." Et quand onle retrouve à « x » exemplaires,on est bien obligé de se direqu'il ne s'agit pas seulementd'une question d'individu.

D'où vient cette tension entrela motivation des enseignantset leur souffrance ?

Les enseignants, traditionnellement, sontporteurs d'un « manda t». Un mandat,c'est quand la société, à travers certainesinstances, comme le MEN, donne autoritéaux enseignants pour effectuer un certain

DES DIFFICULTÉS ÀENSEIGNER A LA

SOUFFRANCE

« L’entréedans laculture n’estpas del’ordre dumesurable. »

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appuyant sur une enquête qua-litative de terrain auprès de 120

enseignants et d’une quarantaine d’« experts de la difficulté enseignante »(directeurs d’établissement, person-nels rectoraux…), la sociologue Fran-çoise Lantheaume (Lyon 2-INRP) sepenche sur la « crise du métier d’ensei-gnant ». S'ils parviennent la plupartdu temps à surmonter les difficultésqu'ils rencontrent dans le cadre de leurmétier, les enseignants les plus motivéspeuvent basculer du côté de la souf-france au travail. Les conditionsd’exercice actuelles aggravent les pro-blèmes rencontrés et l’état du métiersemble rendre difficile la création desolutions pertinentes. Tout en reve-nant sur les mécanismes générant uneperte de repères professionnels, la cher-cheuse fait le pari que le collectif estune ressource pour parvenir à bien tra-vaillerFrançoise Lantheaume a par ailleurspublié avec Christophe Hélou un ou-vrage intitulé La souffrance des en-seignants - Une sociologie pragma-tique du travail enseignant, (PUF,2008).

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nombre de missions. Le mandat histo-rique des enseignants est de faire entrer lesenfants dans la culture et de les rendremembres de la société. C'est d'une part latransmission d'un patrimoine culturel,mais aussi de normes sociales qui véhicu-lent des valeurs. Mais en même temps ily a d'autres choses qui rentrent en conflit,de manière plus ou moins forte, avec cettelogique du mandat, qui peuvent générerdes tensions et parfois faire basculer ducôté de la souffrance. La logique de ser-vice, de plus en plus prescrite, dans la-quelle qui déplace la légitimité (c’estl’usager-client qui est légitime à expri-mer ses besoins) et modifie le travail àfaire (contractualiser et co-construire leservice).

Comment se caractérisent ces tensions ?On demande aux enseignants de faire en-trer les enfants dans la culture mais on leurdemande aussi de faire du chiffre, d'êtreefficaces : or l'entrée dans la culture cen'est pas que de l'ordre du mesurable.Dans une logique de service, il faut être auplus prêt des besoins de celui auquel onapporte ce service. Par exemple actuelle-ment on dit aux enseignants qu'il faut « in-dividualiser la formation » qu'il faut fairede « l'aide personnalisée ». Les ensei-gnants sont pris en tenaille entre la néces-sité de s'occuper de groupes, d'assurer leprojet de massification, de performances

Quelle organisation du travail peut per-mettre de répondre à cette probléma-tique ?Travailler c'est répondre à des injonctions,mais c'est aussi inventer des solutions parrapport à l'imprévu. Cette manifestation deson pouvoir d'agir permet le développe-ment personnel, la satisfaction et le bien-être au travail. Ce qui est atteint actuelle-ment c'est ce pouvoir d'agir. Il est atteintpar l'extérieur – quand les réformes sontdécidées systématiquement sans l'avis desenseignants – mais aussi par l'intérieur

parce que les enseignants nese saisissent pas collective-ment des transformations dumétier. Pour sortir de l’isole-ment, les enseignants ont be-soin de collectifs de travail,informels mais facilités parune organisation du travailqui leur permette d’exister.

Ils ont aussi besoin de collégialité dans lesprises de décision et d’être moteurs dansle débat sur les critères de qualité de leurtravail. Ces trois éléments leurs permet-traient de développer un pouvoir d'agiret de reprendre l’initiative sur l’évolutionglobale du métier, de transformerl’épreuve de la crise du métier en grandis-sement (symbolique et social) du groupeprofessionnel.

Propos recueillis parVincent Martinez

pour l'ensemble, et puis d'un autre côtés'occuper de chaque élève, de répondre àses besoins particuliers... Ces tensions ac-croissent le décalage entre l'engagement etles résultats et nourrissent le sentimentd'inutilité et d'impuissance des ensei-gnants.

Pourtant le ministère a mis en placedes cellules d'écoute...Actuellement on sort un peu du déni.L'idée du Ministère est de lutter contre lesrisques psycho-sociaux. Cette approche,centrée sur l'individu, fait l'impasse sur ceque nous appelons la "souf-france ordinaire" et qui nese traduit pas toujours sousune forme médicale mais parune remise en cause du rap-port au métier. Cette souf-france ordinaire atteint lapersonne dans son estime desoi et dans le sentimentqu'elle a de pouvoir peser sur les choses.Et puis souvent les enseignants eux-mêmes ont tendance à tenter de rendreinvisible leurs problèmes, qu’ils viventcomme une défaillance personnelle. Etquand ils les identifient ils ne font pasappel à un dispositif institutionnel parcequ'ils savent très bien que ce sont des «marqueurs » à long terme et qu'une foisqu'on a été étiqueté comme « enseignanten difficulté » on le traîne très longtemps.

FrançoiseLantheaume

« Le décalage entrel'engagement et lesrésultats nourrit lesentiment d'inutilitéet d'impuissancedes enseignants. »

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Sociologue à Institut des sciences et pratiquesd’éducation et de formation (ISPEF – Lyon 2),ses objets d’étude sont le travail et la profes-sionnalité des enseignants ; l’enseignementde questions « chaudes » (colonisation, faitreligieux, etc.) et la prise en compte de ladiversité par l’école.

Bibliographie :Les enseignants face aux difficultés du travail : untravail de (re)construction de la grandeur profession-nelle, Sociétés contemporaines (à paraître). 2010La souffrance des enseignants. Une sociologiepragmatique du travail enseignant. Lantheaume F.et Helou C. Paris : PUF.2008Coordination du n°57 de Recherche et formation surLe travail enseignant. 2008

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CONTEXTE DE LARECHERCHE

Cette étude comparative de deux stagiairesPE2 s'est déroulée sur plusieurs mois au coursdu stage en responsabilité filé, une journée parsemaine. L'étude s'est appuyée sur la didac-tique du « lire, écrire » pour décrire et analy-ser les processus de développement profes-sionnel en jeu dans les premières expériencesde classe des stagiaires. Les stagiaires, volon-taires pour participer à cette expérience, béné-ficiaient d'un dispositif expérimental de for-mation baptisé « atelier dirigé d'écriture ».L'enseignant stagiaire pilotait chaque semaine,le temps d'une séance, un petit groupe de cinqà six élèves en CP , dans le cadre d'un atelierd'écriture. Ce dispositif ne correspondait certespas aux conditions habituelles de classe, maisl'objectif était de repérer l'évolution desconduites des stagiaires observés, dans un dis-positif stabilisé.

ophie Baconnet est docto-rante dans l’équipe deDominique Bucheton. Son

travail a consisté à étudier le langageutilisé dans les interactions en classeet au cours des entretiens d’analysede pratiques par deux enseignantsstagiaires pendant cinq mois.

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Deux stagiaires étudiés

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Sophie Baconnet est partie des travaux deBruner qui « révèlent une certaine simili-tude entre l'étayage du maître au cours des« interactions de tutelle » et l'étayage de lamère première auprès de l’enfant en basâge ». Pour elle, les interactions entre lemaître et l’élève fonctionnent sur un « for-mat » assez voisin de celui que la mèreétablit avec son enfant. Le hasard de la recherche a fait que lesdeux situations se sont avérées extrême-ment différentes. Dans la première situa-tion, l'enseignante stagiaire, Isabelle, étaiten reconversion professionnelle, dans unedémarche très éloignée de son ancienmétier. Son stage s'est déroulé en ZEP,sans réel accompagnement de proximitéavec l'enseignant titulaire de la classe etavec des élèves en grandes difficultés sco-laires. Elle s'est sentie peu à l'aise dans cepremier contact avec le métier. Enrevanche, le second stagiaire, Alain, avaitsuivi un cursus plus classique en formationinitiale, avec des études en psycho-socio-logie. Il semblait avoir une plus grandeproximité avec les apprentissages visés àl'école. De plus, il bénéficiait d'uncontexte très favorable de stage, dans unepetite école avec un accompagnement dequalité de la part de l’enseignante titulaire.Cet environnement porteur et son parcoursont été propices au développement de l'ex-périence de la classe. Ils ont joué un rôled'accélérateur du développement profes-

sionnel, alors qu'à l'inverse les conditionsdifficiles vécues par Isabelle ont freiné sondéveloppement professionnel.

REJOUER LA SITUATION

Sophie Baconnet a conclu de cette étudeque l’évolution de la parole du stagiaire,que ce soit dans ou hors de la classe, est unindicateur de son développement profes-sionnel. Elle a tenté de mesurer cette évo-lution à l’aide d’un outil mis en place parl’équipe de Dominique Bucheton, lemulti-agenda (voir ci-contre). Cette grilledes postures professionnelles, que la cher-cheuse nomme « une grammaire desgestes » permet ensuite d’étudier l’évolu-tion des pratiques des stagiaires. Le faitqu’Isabelle et Alain aient vécu deux par-cours différents et une évolution profes-sionnelle tout aussi différente, a permis devalider le schéma mis en place. Cela estd’une grande utilité pour le stagiaire et lemaître formateur, car les difficultés profes-sionnelles sont immédiatement repérées.On peut donc ajuster les pratiques dèsl’entrée dans le métier.Le fait que le stagiaire commence à expli-quer verbalement qu'en partant des obsta-cles didactiques rencontrés par les élèves,il peut amener un étayage, est un indica-teur de développement. En effet, l'ensei-gnant qui perçoit les obstacles didactiquespeut les prendre en charge en proposant

des accompagnements ajustés, de proxi-mité, c'est-à-dire au plus près des besoinsde l'élève, tout en continuant à s'adresserau groupe. Il prend ainsi en compte l'hété-rogénéité en assurant le lien entre pédago-gie et didactique. C'est ce lien qui demeureau cœur de la problématique du dévelop-pement professionnel.« Au terme de cette expérience, j'ai pumesurer l'effet développement à la clartédidactique et pédagogique qui a été capi-talisée. La parole de l'enseignant est doncun indicateur fort du développement. Lalocalisation de cet indicateur se situe dansla nature des postures énonciatives del'enseignant en direction d'élèves singu-liers et du collectif classe » conclut SophieBraconnet.

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Professeure en Sciences du langage etsciences de l'éducation, laboratoire LIRDEF etdirectrice adjointe de l'IUFM de Montpellier.

Qu’est-ce qui se joue dans la pratiquede classe et les interactions maître-élèves ?« Tout », mais d’abord et avant tout dulangage ou plutôt des langages multiplesavec lesquels maîtres et élèves construi-sent des relations humaines, chargéesd’émotion, d’inquiétude, de sérénité, dedésirs de partager ou de se cacher. Laclasse est un microcosme social, scolaire,une communauté installée dans la duréed’une année pour travailler individuelle-ment et collectivement à laconstruction d’objets de sa-voir multiples, en émergence,souvent difficiles à dire et àstabiliser et encore plus à éva-luer. La tâche du maître c’estd’accompagner cette appro-priation de savoirs, qui est laconstruction d’une identitéscolaire et disciplinaire, heureuse ou in-quiète, « Les maths c’est pas pour moi ouj’aime bien écrire mais pas les rédactions», et ceci dans un groupe qui lui aussiévolue, agit et se transforme collective-ment. La classe c’est aussi un espace où l’élèverejoue en permanence son histoire sco-laire, l’histoire de ses réussites, de seséchecs voire l’histoire de sa famille : «nous, dans la famille on fait pas de bonnesphrases », dit en entretien une mère de fa-mille. Un « re-jeu » qui chaque nouvelleannée ouvre une marge incertaine entreruptures et déterminismes socio-scolairesinscrits sur le registre des évaluations.

Qu’est-ce que ce modèle du multi-agenda de l’agir enseignant ?Enseigner est un métier, non un don, unearchitecture très complexe de gestes pro-fessionnels qui permettent une grande di-versité d’ajustements : à l’hétérogénéitédes élèves, à la diversité des objets de sa-voir, à la diversité des contextes scolaire,des outils disponibles, bref à la vie de laclasse. Le modèle du multi-agenda rendainsi compte d’une sorte de grammaireélémentaire des gestes professionnelscombinant en permanence et diversementcinq préoccupations centrales : ouvrir unespace de parole et de pensée (l’atmo-sphère), faire avancer dans le temps et

avec divers dispositifs et ins-truments de travail les appren-tissages (le pilotage), faire du

lien avec ce qui est déjà appris, ce qui vasuivre, ce qui a été appris ailleurs (le tis-sage), faire travailler et formuler les objetsde savoirs , faire faire, accompagner, lâ-cher prise , contrôler, enseigner (l'étayage).Le modèle décrit donc le sens de chaquegeste adressé aux élèves. La diversité despostures d’étayage des enseignants évo-luent en fonction de l’avancée de la leçon,mais aussi du milieu scolaire ou du déve-loppement professionnel. Ainsi on ob-serve qu’un enseignant débutant est pourl’essentiel dans deux postures : contrôle etenseignement magistral, alors qu’avecl'expérience, il circule dans des formesd’accompagnement plus souples.

En quoi ce modèle du multi-agendapermet–il de mieux appréhender le mé-tier d'enseignant ? Je dirais d’abord qu’il est un outil d’ana-lyse précis qui permet aux stagiaires et for-mateurs et plus largement aux acteurs dumétier, d’identifier dans un langage acces-sible des gestes et postures descriptibles.Ensuite il est un outil d’accompagnementpour l’invention de nouvelles pratiques,plus réfléchies. Enfin il permet de mieuxcomprendre le développement profession-nel des enseignants débutants, par exem-ple leur difficulté, à tisser avec ce que lesélèves savent déjà, à mettre en place uneatmosphère collaborative entre les élèves,

ou encore à identifier les problèmes didac-tiques que posent les tâches données auxélèves.

Comment faire évoluer la formationdes enseignants autour de cette problé-matique des gestes professionnels et despostures des enseignants ? La formation des enseignants doit évoluerdans le sens indiqué par tous les travauxen didactique professionnelle, à savoirdévelopper des formes d’accompagne-ment proches de cette pratique avec desoutils théoriques maniables. Il faut déve-lopper les formes de réflexion collectivesur l’expérience, avec plus d’échanges etde controverses professionnelles, maisaussi avec plus d’appui sur la recherche.Enseigner est un métier d'ajustement dece qui se passe dans la classe. Le modèledu multi-agenda ne peut être efficientpour la formation que s’il est présentéavec son arrière plan théorique : théoriesde l’étayage, théories de l’éthos commu-nicationnel, théories sociologiques du rap-port au savoir et à l’école, théories et mo-dèles didactiques des disciplinesenseignées. Une théorisation qui seconstruit en synergie, en écho avec le tâ-tonnement pratique. Elle nécessite d’êtreaccompagné par des équipes de cher-cheurs, de praticiens, de formateurs et decadres de l'institution dans des lieux de tra-vail et de formation.

Propos recueillis parAline Becker

JOUER LA PARTITION DES GESTES DU MÉTIER

DominiqueBucheton

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« Le multi-agendarend compte d’unesorte degrammaire desgestesprofessionnels. »

BibliographieL’agir enseignant : des gestes professionnels ajus-tés, Toulouse. Octares. 2009L’atelier dirigé d’écriture au CP : une réponse à l’hé-térogénéité des élèves. Delagrave : Paris. Co-écritavec SOULE Y. 2009 Les gestes professionnels et le jeu des postures del’enseignant dans la classe : un multi-agenda depréoccupations enchâssées, Education et Didac-tiques Vol 3, n°3. Co-écrit avec SOULE Y. 2009

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à être reconnu par leurs pairs ou par la hié-rarchie. Autrement dit, un sentiment de pertede métier face à des élèves qui poussent deplus en plus l'enseignant dans ses retran-chements. L'accroissement à la fois qualita-tif et quantitatif des prescriptions et des in-jonctions accentue cette difficulté et créeun brouillage des significations sociales del'école. Poser la question des prescriptionsc'est s'interroger sur ce qu'on me demandede faire et ce que ça me coûte de faire cequ'on me demande. Historique-ment s'est opérée une bascule de lalogique de restitution à la logiquede compréhension. L'entrée dansles programmes par les compé-tences nécessite en effet de re-noncer à la restitution, ce qui aconduit à mettre en difficulté lesélèves et les enseignants en accroissant lesambigüités.

Que faut-il questionner dans la difficultédes élèves ?Réinvestir les dimensions collectives del'apprentissage est l'un des principes fortsque l'on retrouve dans de nombreux tra-vaux sur la difficulté scolaire. L'apprentis-sage est un processus « tribal », or les lo-giques d'individualisation conduisent àpenser qu'il faut faire du sur mesure pourchaque élève, ce qui prive aussi bien lesélèves que l'enseignant de ce collectif. Ladeuxième piste est de repenser la place de larestitution dans la compréhension. L'ap-prentissage de techniques, le temps longforcément nécessaire aux élèves en diffi-culté pour s’approprier les apprentissages,ont été malmenés par des injonctions non

Vous évoquez la souffrance au travail desenseignants, quels en sont les germes ?L'effet du travail enseignant sur la réussitedes élèves, relève de compromis, d'arbi-trages parfois contradictoires plus ou moinsefficaces et coûteux. Le travail de l'ensei-gnant se fait avec et pour les élèves, maisparfois aussi contre ou sans eux. L'une dessources de la difficulté est le sentiment d'im-puissance dans lequel peuvent se trouvercertains enseignants par rapport à des élèvesrésistant aux apprentissages. Ces élèves endifficulté mettent l'enseignant en difficultéjusqu'à parvenir parfois à des situations pro-fessionnelles qui échappent à l'enseignant.Ce qui fait peut-être souffrir le plus les en-seignants aujourd'hui est la difficulté à se re-connaître dans ce qu'ils font et pas seulement

pas de l'institution mais par ce que RolandGoigoux appelle des prescriptions secon-daires dont les IUFM se sont fait le relais.Prescriptions qui négligent le fait qu'ap-prendre ce n'est pas que résoudre des pro-blèmes.

Quels sont les blocages à la transforma-tion des pratiques professionnelles ?L'institution ne s'attache pas à repartir des di-lemmes constitutifs du travail avec les

élèves, en particulier avecles élèves en difficulté. Ellene donne pas aux ensei-gnants les moyens de repen-ser les gestes professionnelsqui permettraient de dépasserces difficultés. Par ailleurs, lesentiment de perte de la maî-

trise des situations conduit à des méca-nismes de défense pour pouvoir tenir dansla durée. Ce contrecoup personnel et subjec-tif interdit de reprendre la main sur les dif-ficultés des élèves. L'enjeu est donc deconvertir ces mécanismes de défense en ri-postes par lesquelles de nouvelles normesprofessionnelles, de nouvelles règles de mé-tier seront produites.

D'où faut-il partir pour produire ces nou-velles normes ?Il est nécessaire de relancer la dynamiquecollective, en replaçant le métier au centredes préoccupations. C'est en revisitant l'his-toire du métier, non pour revenir en arrière,mais pour affronter des situations nou-velles, que le pouvoir d'agir des enseignantspourra s'accroître.La possibilité de remettre en discussion lescompromis que chacun se voit contraintd'opérer pour faire tenir à la fois l'efficacitéqu'il recherche pour les élèves et sa propreefficacité en terme de réalisation de son tra-vail, est la source du développement profes-sionnel. Les connaissances produites par larecherche sont des ressources indispensablespour éclairer et nourrir le développement dumétier mais ne peuvent suffire à entrainerune modification des pratiques.

Propos recueillis parAline Becker

« Riposter enproduisant denouvelles normesprofessionnelles. »

Maître de conférencesà l’Université d’Aix-Marseille

FrédericSaujatFrédericSaujat

BibliographieEnseigner : un travail. In V. Dupriez et G. Cha-pelle (Eds.). Enseigner (pp. 179-188). Paris :PUF. 2007Les compétences professionnelles commeressources et produits de l’activité enseignante.Former des maîtres, n° 560, 9-11. 2007

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« LE POUVOIR D’AGIRDE L’ENSEIGNANT »

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Comment en finir avec ce malaise ?Le sentiment de malaise ne pourra être dé-passé qu’en permettant aux enseignants dereprendre la main sur l'organisation de leurtravail. Peut-on répondre seul à toutes lesinjonctions et attentes ? Ne faut-il pas envi-sager des fonctionnement plus collectifs, dutravail en équipe, pour trouver des réponsesaux attentes de la société qui sont légitimes? Face à ces interrogations, la situation dela formation est préoccupante avec un netdéficit par rapport aux besoins. Elle l'estd’autant plus que la réforme prépare lamise en responsabilité de PE non formésface aux élèves. Le futur PE risque fort dese retrouver seul, de construire des pra-tiques qui risquent de n’être efficaces nipour lui ni pour les élèves, alors que sa for-mation devrait constituer le premier pal-lier où se construit la professionnalité desenseignants.

Que peuvent faire les enseignants pourredonner du sens à leur métier ?Pour retrouver plus de sérénité, sortir d'unexercice trop solitaire qui ne répond plus àla complexité, notamment de la prise encharge plus collective de la difficulté sco-laire, il faut transformer le métier. Les en-seignants doivent pouvoir construire dessolutions en équipe, penser de manière col-lective. Retrouver du pouvoir d’agir ne sefera pas sans accompagnement, sans temps,sans moyens en formation, sans rechercheet sans les enseignants eux-mêmes.

Propos recueillis parPierre Magnetto

« REDONNER DU SENS AU MÉTIER »

Changement de programmes, diminu-tion du nombre d’heures devant élèves...quels effets ces mesures ont-elles eu surle travail enseignant ? Il est difficile pour l’instant de savoir ce quel’accumulation de réformes entraîne commemutation du métier, mais on constate unedéstabilisation du corps enseignant qui in-cite à se pencher sur la question. Des pro-grammes alourdis, le temps qui file, lesdispositifs imposés et non accompagnéssont vécus aujourd'hui comme autant d'obs-tacles qui placent les enseignants dans unesituation de travail empêché. On leur de-mande de plus en plus, dans des conditionsde plus en plus compliquées, dans des tempsde plus en plus contraints et dans des direc-tions qui leur semblent parfois erronées.Ces situations tendues impactent le travaildes enseignants.

Pourquoi un tel constat ? Le métier d'enseignant est aujourd'hui enquête de sens. Les enseignants sont écarte-lés entre une demande sociale en augmen-tation et le manque d’éléments précis, d’aideou de formation pour y répondre. Ils sontpris en tenaille entre le besoin d’individua-liser le travail pour faire réussir tous lesélèves et celui de répondre à l'objectif de lamassification scolaire. De fait, ils se trouventconfrontés à une vraie difficulté ayant àplacer le curseur de leurs pratiques entre cesobjectifs contradictoires.

Est-ce pour cela que vous parlez de « travail empêché » ? Oui. Nous faisons le constat que les ensei-gnants sont empêchés de faire du travail dela qualité qu’ils souhaitent. Travailler, c'esttoujours régler des difficultés entre le pres-crit, ce qu'on nous demande de faire et leréel, ce que nous sommes en capacité defaire. C'est propre à chaque métier et c'estce qui fait que dans le travail ordinaire, lesenseignants procèdent en continu par réajus-tements, astuces pour faire face aux situa-tions de la classe. Le problème est qu'au-jourd'hui, les enseignants n’y arrivent plus.Ils ont de plus en plus de difficultés à répon-dre à toutes les injonctions, sans doute parmanque de ressources pour faire face. Por-ter à bout de bras un travail qui devientparfois « intenable », c’est source de fa-tigues, de remises en question, voire desouffrance au travail.

DEUX CASD’ÉTUDES

Véra Jurnjak, enseignante maîtreformatrice exerce dans une classede CM1 en ZEP à Marseille. Sonparcours professionnel l'a conduiteà se questionner sur ses proprespratiques et à collaborer au travailsur l'analyse des pratiquesprofessionnelles menées parFrédéric Saujat. Au cours de la séance qu'ellepropose sur la biographie de JulesCésar, tous les élèves semblentinvestis dans la tâche. « Pour aiderles élèves à mobiliser les savoirs,je transmets un certain nombre deconnaissances, mais j'installe aussides rituels, des situations àl'identique dans lesquelles lesélèves vont pouvoir réinvestir desconnaissances. Ce sont dessituations qui les sécurisent. Ilssavent par quelles procédures ilsvont pouvoir passer même si leurpropre mise en jeu n'arrive pasnécessairement dès la premièreséance ». La répétition de la situation évolued'une séance à l'autre et permet àl'élève de s'inscrire dans unprocessus d'automatisation tout enamenant une constructionprogressive des compétences. Il estnécessaire d'expliciter lesprocédures et les savoirs afin defavoriser la clarté cognitive desélèves et leur permettre demobiliser leurs connaissances aubon moment. « Le problème pourles élèves est qu'ils ont l'impressionde passer d'un domaine à l'autresans lien entre eux alors qu'ilsutilisent des procédures communespour traiter des savoirs. »Son collègue Alain Quartinoégalement maître formateur danscette école participe lui aussi à larecherche sur l'analyse des gestesprofessionnels. Dans sa classe deCP, il a fait le choix de placer lesélèves dans une situation derestitution d'écrit, dès le débutd'année, pour les mettre « ensituation de réel plaisir à travailler,par la confrontation à une situationcomplexe ». Mais cette complexitéest assumée par un étayage répétéet forcené. Donner à voir cesdémarches d'enseignants permet desusciter un questionnement sur lespratiques, d'aller au coeur dumétier pour le développer.

Secrétaire générale adjointe

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Marianne Baby

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La Bibliothèque nationale de France amis en ligne une Bibliothèque numé-rique destinée aux enfants. Commentest-elle construite ? Au départ, sur un jeu de l'oie des livres.Nous avions voulu proposer aux enfants,de façon ludique, une forme de parcoursinitiatique au sein de la littérature dejeunesse en nous appuyant sur la symbo-lique véhiculée par ce jeu très ancien.L'enfant jette le dé et, à travers une séried'épreuves, franchit les étapes qui leconduisent au château de l'oie, lieu para-disiaque et enchanteur. Mais le jeu neconstitue pas un parcours fermé que l'en-fant doit suivre pour atteindre le but auplus vite. Les activités proposées àchaque case sont tantôt des modules fer-més qui se jouent à l'ordinateur, tantôtdes espaces ouverts qui invitent à l'écri-ture, au récit, au dessin et supposentd'abandonner la souris pour se consa-crer à une activité hors le jeu.Plus globalement, notre site se veut uneintroduction multiforme à l'univers del'écrit et de l'image. Tous les types de li-vres sont présents dans nos « rayon-nages » numériques: abécédaireset imagiers, encyclopédies, ré-cits animaliers et de fiction enpassant par la poésie, les conteset les légendes. Cette richesse etcette diversité ont été renduespossibles par l'engagement deséditeurs, qui nous ont autorisé àpublier des extraits des livres deleurs catalogues. L'internaute enherbe peut ainsi à loisirs, déam-buler dans des salles de lecturevirtuelles, des cabinets de curio-sité, des auditoriums et des magasins desecrets... Dans chacun de ces espaces, iltrouvera des ressources et des outils pourdécouvrir, s'étonner, fabriquer des ob-

jets et communiquer.

Quelles sont les manières pour les en-seignants des écoles et leurs élèves,d'entrer dans votre bibliothèque ?Pour les enfants, l'accueil fonctionne par

mots-clés qu'ils choisissent oupeuvent attraper au vol, dansun nuage de tags, à partir deleurs centres d'intérêt. Ils sontalors dirigés vers des types delivres, d'activités et de parcoursqui correspondent à leurs goûts.Pour ce qui est des enseignants,un espace spécifique leur estdestiné, qui permet d'utiliserl'outil dans un cadre scolaireprenant en compte les disci-plines et les niveaux d'ensei-

gnement. On peut bien sûr consulter labase de données qui est construite defaçon classique et accessible par auteur,par thème, éditeur ou types d'activités

souhaités. Il est aussi possible d'élaborerdes parcours d'activités et de les enchaî-ner les uns aux autres sur une théma-tique désirée. Depuis la salle de lecture,composée de plusieurs centaines de livre,on construit ces activités à partir d'unequinzaine de modules techniques. Li-vres à feuilleter, textes à trous, imageszoomées ou éclairées, quizz...autant deformes d'activités possibles pour se plon-ger dans la richesse de la littérature dejeunesse.La bibliothèque intègre aussi une ré-serve des livres rares, accessible en unclic. On peut y consulter par exemple, unfac-similé numérique du Roman de Re-nart ou du livre des merveilles de MarcoPolo, tourner les pages de ces livres ex-ceptionnels, écouter récits et commen-taires.

Cette bibliothèque va-t-elle connaîtredes développements ?De nouveaux espaces seront très bientôtouverts. Une chambre des histoires don-nera accès à des contenus sonores et au-diovisuels. On y trouvera des témoi-gnages de générations passées, des récitsde fiction, des contes et légendes. Unegalerie des images proposera un ensem-ble iconographique à découvrir et à s'ap-proprier pour créer des expositions vir-tuelles, son propre musée imaginaire oumême des cartes postales. Enfin, un la-boratoire, véritable lieu de création, pro-posera des ateliers de mise en page, deconception d'albums et des outils pourcommuniquer ses livres ou images pré-férées à ses amis.

En quoi l'outil multimédias favorise-t-il l'accès à la culture de l'écrit et del'image ? Pour beaucoup d'enfants, le livre reste un

« Déambulerdans des sallesde lecturevirtuelles, descabinets decuriosité, desmagasins dessecrets. »

LE NUMÉRIQUE AUSERVICE DU LIVRE

n 2008, une nouvelle enquêtesur les « Pratiques culturelles

des français » a été réalisée par le mi-nistère de la culture, 10 ans après cellesortie en 1997. Elle a permis d'obser-ver les mutations qu'ont connues lesconditions d'accès à la culture avecl'essor du numérique et d'internet. Pource qui est de la lecture, les françaisreconnaissent que « leurs relationsavec le monde du livre se sont disten-dues, 53% d'entre eux déclarent spon-tanément lire peu ou pas de livres ».Dans le même temps, plus de la moi-tié des Français utilisent internet dansle cadre du temps libre et plus de deuxinternautes sur trois (67%) se connec-tent tous les jours. La bibliothèque numérique ne serait-elle pas le moyen de réconcilier lesjeunes avec la lecture ? C'est le pari dela Bibliothèque nationale de France.

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Françoise Juhel

Chef du service des éditions multimédias àla Bibliothèque nationale de France, encharge notamment des expositions virtuelleset des dossiers pédagogiques.

Françoise Juhel

Un concours qui rassembleDe l'abécédaire du roi Arthur à lacarte au trésor, de bestiaire etmaximonstres aux héros d'Achilleà Zidane, cela fait maintenant huitans que la BnF collabore avec leSNUipp pour son concours annuel.Car il y a au moins un objectif encommun, entre bibliothèques etenseignants, c'est la transmissiond'un patrimoine. Le thème duconcours 2010, lamalle aux écri-tures, est d'ailleursparticulièrementsignificatif decette proximité.En effet, si lesenseignants trans-mettent l'écritureaux enfants, ils lesfont aussi entrerdans une aventurehumaine quic o n c e r n el'Humanité touteentière depuis5000 ans. « Dans notre esprit, ceconcours n'est bien évidemmentpas une mise en concurrence desenseignants et de leurs classes!C'est surtout un projet partagé,autour duquel on renoue avecl'épaisseur du patrimoine. », pré-cise, pour la Bnf, Françoise Juhel,

la responsable du concours. Elle sedit toujours étonnée par la richessedes productions, l'inventivité, lacréativité et en même temps laréflexion qu'implique la conduitede ces projets qui rassemblent lesenfants et où chacun peut trouversa place. Par ailleurs, apparaît cetteannée la notion d'échange. Chaqueclasse offrira sa malle aux écri-

tures à une autre.On pourra ainsidécouvrir d'autresmanières d'abor-der l'écriture et,pourquoi pas,engager une cor-respondance dansla durée. En touscas, comme àchaque fois, « établir le pal-marès sera unvéritable crève-cœur » se désoleFrançoise même

si « on essaie de multiplier lesprix, parce qu'on a envie de dire àchacun à quel point son travail estriche... »Rendez-vous est déjà pris pourl'année prochaine, avec peut-êtreun thème autour des couleurs et deleur symbolique.

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objet étranger, que les adultes ne mani-pulent pas naturellement dans leur envi-ronnement immédiat, l'image restant uneimage télévisée ou publicitaire. Ils sesentent exclus du musée ou de la biblio-thèque, peu concernés par un universdont ils n'ont pas les clés. Par contre,tous se sentent concernés par l'ordinateuret ils sont prêts à des efforts considéra-bles pour s'approprier le multimédia.Pour peu que les programmes mis à leurdisposition ménagent des cheminementsdiversifiés, ils peuvent servir de passe-relle vers des univers moins familiers.L'audiovisuel pouvait déjà, en familia-risant l'enfant avec un héros, un thèmeou un univers graphique, conduire lesenfants au livre ou au musée. Le multi-média a ce pouvoir fascinant de l'audio-visuel mais en plus, il autorise la diver-sité des parcours et l'interactivité. Il offreà l'enseignant une palette de ressourceset de démarches qui peuvent enrichir sapratique du métier.

Propos recueillis parFrancis Barbe

Le site de la BnF :http://www.bnf.fr/fr/acc/x.accueil.htmlLe site de la bibliothèque numérique des en-fants :http://enfants.bnf.fr/

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Professeur de Psycho-pathologie à l'universitéParis-Descartes. Dans le cadre du Master II

professionnalisant «Ingénierie de l'aidespécialisée à la personne» (SCFC de l'université

Paris-Descartes), ses travaux portent actuelle-ment sur la «parentalité troublée».

Jean-JacquesGuillarmé

e ministère, une partie descorps d'inspection n'ont eu de

cesse de décrédibiliser les réseauxd'aides spécialisés, leur reprochantd'être inefficaces. Or la question deleur évaluation est toujours restée ensuspens depuis leur création en 1989.Hormis le rapport Mingat (IREDU,1993) sur les GAPP et différents rap-ports des inspections, aucune évalua-tion à caractère scientifique n'est venueconfirmer ou infirmer leur efficacité.Une recherche intitulée « Etude com-parative et évaluations des résultats del'aide personnalisée à l'élève et desaides spécialisées à l'enfant » a étémenée depuis janvier 2009 dans le ca-dre du « Groupe d'études et de re-cherche sur l'aide spécialisée » (GE-DRAS) à l'université Paris-Descartes.Cette recherche, initiée après la créa-tion de l'aide personnalisée et la re-mise en cause des RASED par XavierDarcos, est donc une première.

Sur quels critères les enseignants s'ap-puient-ils pour désigner les élèves en dif-ficulté ? Les acquisitions scolaires, biensûr, et en second le comportement del'élève. Mais ils ne savent pas déterminerle type d'aides nécessaire selon Jean-jacques Guillarmé : « les élèves sont si-gnalés par la symptomologie et c'est nor-mal ». Le problème est qu'on « oriente laplupart du temps par l'échec de l'aide ».C'est d'autant plus dramatique que, dit-il,« les outils d'évaluation existent et qu'ilfaudrait former les gens ». Les RASED manquent aussi d'enseignants

spécialisés et peinent à répondre à toutesles demandes : « on est submergé de de-mandes dans tous les sens » déplore unerééducatrice qui regrette de ne plus avoirde temps pour la prévention. « Les RASEDne sont pas en dehors de l'école », rappelleJean-Jacques Guillarmé. Le travail enéquipe est nécessaire et une équipe, c'estdes professionnels différents avec des ou-tils propres à chacun, des outils en com-mun et des processus partagés. Dernier constat : les enseignants sontconfrontés aujourd'hui à des populationsnouvelles d'élèves dont personne ne sait

que faire. Les enseignants n'ont pas lesmoyens d'y répondre, les Rased non plus,ni d'ailleurs les centres psychothérapeu-tiques. Or on a des pistes pour concevoird'autres dispositifs et travailler sur l'impli-cation familiale. « En 20 ans, la donne so-ciale a changé et face à cela, les aides spé-cialisées doivent évoluer pour s'adapter »,précise-t-il en proposant de réfléchir àdes pôles de prévention et d'aides à l'inclu-sion et à la réussite scolaire.

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Pas seuls...

Bibliographie :Ecouter l'enfant, aider l'élève T.II Les outils de la réussite

Editions Erès. Novembre 2009.L'école, l'aide spécialisée et les vicissitudes de la norme in

Envie d'école Novembre 2009. Revue de la FNAREN.Hatier 1982 (épuisé).

Ecouter l'enfant, aider l'élève : T.I Les métamorphoses de l'échec - EAP-ECPA - Paris 2004

Prévenir et éduquer - EAP-ECPA - Paris 2000

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Quel fut l'élément déclencheur de votrerecherche sur l'étude comparative del'efficacité des aides* ?Quand on observe les différentes réponsesdonnées au problème de l'échec à l'école,on perçoit deux conceptions très diffé-rentes de l'aide à l'élève en difficulté. D'uncôté on tente de réparer les défaillances decet élève : c'est le principe de l' « aide per-sonnalisée ». De l'autre il s'agit de modi-fier, voire de faire advenir cet élève en par-tant de sa situation d'enfant : ces méthodessont celles des aides spécialisées. Eva-luer les résultats de ces deux formes d'aidepeut donc servir aux décideurs. Pourconduire cette étude comparative, nousavons étudié dans chaque cas la transfor-mation des compétences des enfants.

Quelle méthode avez-vous utilisé pourévaluer l'efficacité des aides ? L'outil utilisé est un référentiel global decompétences, le « Profil 125 ». Il permetd'explorer cinq champs de compétencesdifférenciées au plan scolaire, cognitif,relationnel et social auxquelles s'ajoutentl'implication familiale. Chacun de ceschamps comprend cinq dimensions d'ana-lyse évaluées par l'enseignant depuis leplus élaboré jusqu'au plus archaïque (5degré). Soit 125 variables regroupées dansdes tableaux graphiques afin de visualiserl'organisation et le niveau des compé-tences de chaque sujet. L'étude a porté

sur trois échantillons représentatifs d'unecentaine d'élèves en difficulté dans laclasse ou l'école, de la MS au CM2 :élèves adressés par les enseignants auRASED pour des aides à dominante péda-gogique, élèves pris en charge dans l'aidepersonnalisée, élèves adressés au RASEDdirectement ou après l'échec d'autres inter-ventions pour des aides à dominante ré-éducative. Ces élèves ont été évalués parleurs enseignants après 24 heures de priseen charge.

Quels sont les constats les plus frap-pants de cette étude ? Nous avons trouvé des choses assez sur-prenantes. Ainsi les enseignants ont si-gnalé les mêmes populations d'élèvesquelle que soit l'aide apportée. Ils n'ont pasfait de différence notable entre les diffé-rents types d'aides, ce qui pose le pro-blème du diagnostic préalable.Au niveau de la transformationdes compétences, nous avonsobservé, dans le groupe del'aide personnalisée, un aligne-ment des compétences scolairessur les compétences cognitives estimées,mais aucune influence notable sur les au-tres paramètres. L'effet bénéfique a puêtre ainsi mesuré pour un élève sur cinq.En fait cette aide tend vers le rattrapagescolaire, mais ne change rien ou presqueà l'hétérogénéité des compétences. C'estaussi ce que semble relever une étude surl'aide personnalisée menée par l'inspectionacadémique de Perpignan : tous les ensei-gnants questionnés ont les mêmes conclu-sions que nous. Ils y ajoutent le fait nonnégligeable que cela leur permet de voirautrement les élèves.

Et au niveau des aides spécialisées ? Dans le premier groupe, le niveau detoutes les compétences est globalementhaussé, même si dans certains cas, celas'est fait au prix d'une hausse moins rapidede l'alignement des compétences scolairessur les compétences cognitives. Dans ledeuxième groupe – celui dont les élèvesprésentent des difficultés de l'ordre de laconstruction d'une singularité autonome

séparée de l'imaginaire parental, les résul-tats sont excellents. Dans le troisièmegroupe par contre, même les aides spécia-lisées semblent peu satisfaisantes : cegroupe correspond aux enfants à l'identitéincertaine, avec des troubles de la pensée,qui ne sont pas élèves, parfois même trèsdifficilement écoliers. Et troisième constatdécevant, c'est l'absence de modificationde l'implication familiale : il faudrait donccréer un dispositif nouveau en directiondes parents qui enrichirait les RASED.

Justement cette recherche permet-ellede faire des propositions nouvelles ? Le groupe de recherche sur l'aide à la pa-rentalité dans lequel je travaille nousconduit à proposer un « grand pôle d'aideet de prévention ». Il regrouperait les pro-fessions complémentaires à l'enseigne-ment ordinaire et aurait en charge toutes

les problématiques (handicap,comportement...). Surtout ildevrait répondre aux urgencespour aider les enseignants. Lastructure de prévention asso-cierait les parents. Mais il faut

aussi modifier l'ingénierie de l'école élé-mentaire, qui oscille aujourd'hui entredeux modèles. Le premier considère que,chaque enfant étant responsable de lui-même, il suffit de corriger ses fautes et sil'on n'y parvient pas, de le laisser enquelque sorte seul responsable de sesmaux. Le second, issu de la troisièmeRépublique, suppose, en vertu du prin-cipe d'égalité, que les élèves sont homo-gènes. Il faudrait imaginer un nouveaumodèle qui s'appuie dans la classe surune pédagogie de l'hétérogénéité solidaire: un individu ne se fait pas seulementavec des savoirs, mais aussi avec des in-terrelations.

Propos recueillis parMichelle Frémont

*« Etude comparative et évaluation des résul-tats de l'aide personnalisée à l'élève et des aidesspécialisées à l'enfant » http://www.editions-eres.com/pdf/Guillarme_La_querelle_des_aides_a_l'ecole.pdf

« Un grand pôled’aide et de prévention. »

ÉTUDE COMPARATIVE DE L’EFFICACITÉ DES AIDES

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igne de l’époque, école et justiceont souvent à voir l’une avec l’au-

tre. Le nombre de questions quitrouve une traduction judiciaire estcroissant. C’est ce que chacun perçoit.Et c’est précisément ce que quanti-fient les statistiques de la protectionjuridique professionnelle.Mais pourquoi cela ?Le phénomène n’est sans doute paspropre à l’école, et l’intrusion de laquestion judiciaire dans l’enceintescolaire en dit long sur l’état des rap-ports humains et la difficulté à réglerles différents.Il faut aussi interroger la place del’institution et des autorités. L’ensei-gnant n’est plus investi depuis long-temps d’une « autorité naturelle ».Lui aussi doit faire ses preuves, doitconquérir « l’autorité ».De son côté, la justice fait de plus enplus appel à l’école. Mais sa demandeest souvent mal perçue par l’ensei-gnant, pris dans une relation forteavec ses élèves.Peut-être faut-il envisager d’autresrelations entre l’école et la justice,des relations de formation. Forma-tion des maîtres, éducation des en-fants, prise en compte par la justiceaussi de cette dimension de partageavec l’école. La présence d’Eric deMontgolfier procureur de Nice à cetteuniversité d’automne, le dialogueamorcé témoigne de cette volonté. « Nul n’est censé ignorer la loi »,certes. Encore faudrait-il peut êtrecommencer par l’enseigner au ci-toyen en formation.

Gérard Pla

ECOLE ET JUSTICE :INTÉRÊTS

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Quels sont les liens entre l'école etla justice ?Les enseignants pensent d'abord à la façondont la justice traite les agressions qu'ilspeuvent subir. Ils sont parfois étonnés de sonaction, pas toujours celle qu'ils attendaient.Or la justice doit d'abord vérifier s'il y amatière pour elle à intervenir, elle a besoinde recueillir des témoignages, de lever deséquivoques, de constater des preuves. Laparole de l'enseignant ne peut suffire. En casd'agression d'un professeur, par exemple,elle va rechercher toutes ses causes, mêmed'éventuels comportements « provocateurs» ou des traitements discriminatoires de sapart à l'égard des élèves. Cette démarcheest souvent mal vécue par l'institution sco-laire, ce qui n'est pas extraordinaire.

Qu'est ce qui caractérise le milieu scolaireconfronté à la justice ?On observe une défiance certaine des ensei-gnants dûe à une grande méconnaissance del'institution judiciaire et de son fonctionne-ment. Personne n'ayant envie de mettre sondoigt dans un engrenage qu'il ne maîtrisepas, cette ignorance a des conséquences né-gatives : ainsi, le milieu scolaire n'est pas ce-lui où l'on trouve le plus facilement des té-moignages. Pourtant, il en va de l'intérêtgénéral de ne pas détourner le regard quandune main s'égare dans le sac à main de vo-tre voisine. Paradoxalement, l'éducation na-tionale n'échappe pas à la judiciarisationcroissante de notre société. Elle sollicite lajustice de manière parfois surprenante. Ainsicette saisine du parquet au motif qu'un élèveavait « esquissé un pas de danse pendant le

cours », ce qui a laissé le magistrat quelquepeu interloqué, s'interrogeant moins sur lefait que sur l'enseignant.

Comment lever ces incompréhensions?L 'école n'assure pas le minimum en matièred'information sur l'institution judiciaire. Sicertaines classes de collèges assistent à desprocès, il faudrait en amont un travail defond pour en comprendre les mécanismes.Le fonctionnement des institutions doit de-venir une véritable rubrique d'enseignementet un volet de la formation des enseignants.Pour lutter contre le sentiment de désarroiqui envahit la plupart des citoyens confron-tés à la justice.

Les problèmes de violence et d' insécurité

à l'école font la une des médias. Quelle estvotre analyse?L'ordre fait partie des besoins de l'école,comme de toute institution. La particula-rité de l'éducation nationale est de s'êtrecomportée en citadelle, s'installant dans l'au-tosuffisance, réglant ses problèmes en in-terne. Mais elle ne s'est pas adaptée auxévolutions sociales qui ont modifié considé-rablement les règles du jeu. L'ampleur desdifficultés qui la touchent la contraigne à setourner vers d'autres acteurs sociaux, la po-lice et la justice... Dans une société quifonctionne, les missions de l'éducation na-tionale sont en partie assurées à l'extérieurde l'école par les parents, le corps social.Face à la réalité des élèves accueillis au-jourd'hui, souvent l'enseignant doit être aussi …

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un éducateur, ce qui n'est pas évident. De cefait, il est dos au mur, souvent seul à résou-dre les difficultés auxquelles il est désormaisconfronté.

Vous faites le rapprochement avec la si-tuation de la justiceNotre rôle nous assignait le fond de l'im-passe sociale, pour intervenir quand toutavait échoué. Des évolutions pernicieuses etla disparition des modes habituels de rè-glement des conflits nous font désormaisoccuper l'entrée de cette impasse. Justiceet éducation nationale, en première ligne, de-meurent sans doute des refuges institution-nels en lesquels la plupart des citoyens pla-cent leur confiance. Vécues comme unenécessité absolue, elles font en même tempsl'objet d'une remise en cause permanente,d'exigences nouvelles. Elles ont en com-mun d'avoir à traiter des maux qui ne sontpas de leur ressort. Cette ambivalence en-gendre souffrance et frustration pour tous,les usagers mais aussi ceux et celles qui lesfont exister. A cet égard, on peut dire que lesroutes des enseignants et des magistrats secroisent.

Responsabilité accrue des parents, sanc-tions contre l'absentéisme, présence poli-cière dans les établissements... Que pen-sez vous de ces mesures ?Ce type de réponse évoque l'arbre qui cachela forêt dans une société dont les institutionsn'arrivent plus à jouer leur rôle. Il s'agitavant tout d'un constat d'échec. La premièreresponsabilité est interne à l'institution. Lesétablissements scolaires mettent en avantles problèmes de sécurité en se laissant do-miner par la peur. Les règlements et les

Prenant en charge la protection deses adhérents contre les risquesinhérents à leur vie profession-nelle, la fédération des auto-nomes de solidarité a recueilli desdonnées significatives puisque sabase statistique représente la moi-tié du public des enseignants. En2008-2009, sur les 3151 dossiersqui ont donné lieu à une suitejuridique, 72% concernaient desenseignants le plus souvent àl'école élémentaire (38% contre28% au collège,15% à l'écolematernelle). Dans la grandemajorité des cas, les assurés sontassistés en tant que victimes(91%). Les tiers impliqués dansles affaires sont le plus souventdes membres de la famille del'élève (47 %) ou des élèves eux-mêmes (27%). On note une pré-dominance de dossiers de typeincivilités : 38% pour insultes etmenaces, 23% pour diffama-tions. Les agressions physiquesrestent minoritaires : 12 % dont lamoitié ont un caractère de gra-vité*.Roger Crucq, président de laFASL, analyse ces chiffres enévoquant la recrudescence de cequ'il appelle les dysfonctionne-

ments sociaux : « Ce qu'on décritcomme violences scolaires recou-vre une hétérogénéité de situa-tions : insultes, menaces, proposcalomnieux, dégradations devéhicules... mais les situationsgraves restent extrêmement rares.L'incompréhension est grandis-sante entre les enseignants, lesparents, les élèves et débouchesur un désir croissant d'en décou-dre en faisant appel à la justice.»Il s'efforce de fournir une alterna-tive à cette judiciarisation exces-sive : « Souvent les dépôts deplainte sont classés sans suite etlaissent les enseignants insatis-faits. L'appel trop fréquent à lajustice provient d'une impossibi-lité de se retrouver , de dialoguerdans les établissements pour trou-ver des solutions collectives. »Assistance de collègues experts,formations, expertise technique,la fédération aide les enseignantssur les questions juridiques pourpallier les carences de l'éducationnationale dans ce domaine.

*statistiques des dossiers protectionjuridique professionnelle FAS&USUdu 1er septembre 2008 au 31 août 2009

La judiciarisation en augmentation

« NOS ECHECSS’AJOUTENT »

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sanctions ont incontestablement leur utilité,mais on devrait avant tout parler d'appren-tissages et d'enseignement. Il est vrai quel'autorité a changé de visage. Quand elleétait naturellement acquise aux enseignants,comme aux magistrats, elle est désormais àconquérir. Le recrutement et la formation desenseignants doivent intégrer cette dimen-sion nouvelle.

Propos recueillis par Philippe Miquel

À qui s’adresser

Incompréhension entre école et justice, manque de formation des ensei-gnants, méconnaissance du fonctionnement du système judiciaire par lescitoyens : un constat partagé par les magistrats, les autonomes de solida-rité et les acteurs de l'école confrontés à l'institution judiciaire. Conscientesdu problème, deux associations se sont impliquées en proposant des in-terventions dans les établissements et des outils pédagogiques. Initiadroit (www.initiadroit.com) est une association d'avocats béné-voles créée en 2005 dont la mission est d'ouvrir le droit aux jeunes. Si-gnataire d'une convention avec les ministères de la justice et de l'éduca-tion nationale, elle peut intervenir dans tous les établissements scolairespour mener des actions en matière d'enseignement de l'éducation juridique,civique et sociale mais elle peut aussi intervenir à l'IUFM, dans des ac-tions de formation continue et fournir assistance et conseils aux person-nels de l'Education nationaleL'association pour la promotion de la citoyenneté et des jeunes (APCEJwww.apcej.com ) créée par le juge pour enfants de Bobigny Jean-PierreRosenczveig est orientée sur l'accès au droit des jeunes citoyens autourde deux axes : la formation des jeunes à la citoyenneté et la promotion desdroits des enfants dans la société. Elle propose des actions pédagogiquesen milieu scolaire comme des simulations de procès mais aussi des ex-positions pédagogiques et même un jeu « Place de la justice » destiné auxenfants à partir de huit ans qui permet de découvrir les notions de droitet le rôle de la justice.A signaler aussi le site d'Adress'RLR (ww.adressrlr.cndp.fr) qui rassem-ble tous les textes de droit de l'éducation nationale.

Procureur de la Républiqueà Nice

Eric deMontgolfierEric deMontgolfier

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« Nous ne sommes pas antagonistes, voséchecs peuvent devenir les miens ». Enévoquant la complémentarité entre ensei-gnants et magistrats, Eric de Montgolfiera jeté des ponts entre l'école et la justice,deux institutions qui ont pour lui souventdu mal à se comprendre et à travailler en-semble. Un discours bien perçu par l'au-ditoire comme lorsque le procureur deNice a fait part de son encouragement etde sa compréhension pour les enseignantsqui, aux frontières de la légalité, s'enga-gent pour la scolarisation des enfants sanspapiers au sein de RESF. Mais le proposn'a pas toujours été aussi consensuel. PourEric de Montgolfier, la responsabilité del'individu est centrale et chacun doit trou-ver personnellement les ressources pourremplir sa mission dignement, résisterquand il le faut, combattre la peur.

RENFORCER LES INSTITUTIONS ?

Pour le procureur, « hélas, elles suiventplus souvent qu’elles ne conduisent » etelles ne doivent pas « pallier les défail-lances individuelles ». Des positions quifont réagir la salle. Un militant associatifdéfend l'intérêt des échanges et le travailcollectif , rappelant que « l'union fait la

Lors de sa conférence le procureurde la République a insisté sur lacomplémentarité entre enseignantset magistrats. En mettant l'accentsur la responsabilité individuelle, ila ouvert un débat animé.

force ». « La collégialité permet de soute-nir les personnes qui n'ont pas tout seul lescapacités à résister » avance une autre intervenante. Un enseignant de Vitrolles fait part de ladifficulté à prendre en charge des enfantsdifficiles, parfois violents et d'assumertout seul les risques d'une sortie scolairepar exemple. « Si l'on refuse d'accueillirtous les élèves, il va falloir créer des pou-belles à enfants ». La réponse du procu-reur, un brin provocatrice a le mérite d'ou-vrir un débat nécessaire.

LA JUSTICE INÉGALITAIRE

Un débat qui ne va pas aussi sans un ques-tionnement de la justice. Que penser d'uneinstitution qui n'accorde pas les mêmes

chances à tous ? La présence de l'avocatpendant la garde à vue ? Mais cela coûtecher. Et tout le monde n'aura pas lesmoyens. Lorsqu'un enseignant fait remarquer qu'ilest peut être moins risqué de « détournerdes millions que de voler une mobylette »« qui vole une mobylette va au violon, quivole des millions va au palais Bourbon » le procureur répond sans détour « il estplus facile de condamner un pauvre qu'unriche ».Injustices, inégalités comment répondrepour les uns et les autres? « Vos réussitesse voient pas les miennes » dit le magis-trat. Et sans doute les volontés indivi-duelles « les résistances » des uns et desautres sont elles nécessaires,mais pas for-cément suffisantes.

Un pont entreécole et justice

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A LA MATERNELLEON ENSEIGNE

lus de 2 500 000 enfants ont été sco-larisés dans l'enseignement pré-élé-mentaire à la rentrée dernière, un

chiffre stable qui masque pourtant uneforte baisse de la scolarisation des en-fants de 2 ans. Cette dernière est tombéeà 15% alors qu'elle était de 35% en 2000,elle semble n’être vue que comme un ré-servoir de postes à supprimer. Après letollé provoqué par les déclarations du mi-nistre précédent, les nouveaux pro-grammes, les fusions d'école, la promotiondes jardins d'éveil, le ministère avait sem-blé donner quelques gages en diffusant un« Guide à l’usage des parents de l’Écolematernelle » élaboré par l'AGEEM, l'As-sociation générale des enseignants desécoles et classes maternelles publiques,mais aussi en multipliant les déclarationssur sa bonne foi quant au maintien d'uneécole maternelle de qualité, sans douteparce que, sondage après sondage, lesFrançais montrent très massivement leurattachement à cette école..

Le ministère publie en cette rentrée une sé-rie d'outils « Prévention de l'illettrisme àl'école, Ressources pour enseigner le vo-cabulaire ». C'est en effet une bonne idéede vouloir combattre très tôt l'illettrisme,et tout le monde sera d'accord pour admet-tre que les difficultés langagières pré-coces peuvent être prédictrices de difficul-tés scolaires ultérieures. Comme le ditMireille Brigaudiot, c'est bien « à l'écolede compenser cette injustice de vie »,quand tous n'ont pas eu les mêmes ri-

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A la maternelle,les enfants

apprennent etles enseignantsenseignent. Une

évidence qu’iln’exclut pas laréflexion sur le

métier.

chesses d'expériences parlées. Mais onne peut pas concevoir l'école maternellecomme une « petite école élémentaire »,et les apprentissages n'obéissent pas for-cément à une succession pseudo-logiqueoù l'expression suit la compréhension et laréception. Des listes de mots, des thèmes,des collections, sans doute, mais il ne fau-drait surtout pas oublier les interactions,les situations-jeux, les apprentissages enacte et le rôle de l'enseignant, l'accom-pagnement du travail intellectuel sur lalangue par la reprise, la reformulation,l'explicitation, la « pose du sens » sur lesgestes et sur les mots.

Le SNUipp, attaché à la défense de l'écolematernelle, à sa spécificité, a pris l'initia-tive de produire en 2009 le film « A la ma-ternelle on apprend » pour mieux faireconnaître l'école maternelle et le travaildes enseignants aux parents et à l'ensem-ble de la société. Conçu comme un sup-port de débat plutôt que comme une imagefidèle de tout ce qui se fait à la maternelle,il défend la spécificité de l'école mater-nelle. Ce qu'il faut à tout prix préserver,c'est le temps donné aux enfants pourjouer, multiplier les expériences, appren-dre qu'on apprend en essayant et en re-commençant. Mais la maternelle, c'estaussi une école qui accueille tous les en-fants, quel qu'ils soient, et qui veille àleur bien-être et développe leur estime desoi. Ce qui est en jeu, c'est la réussite detous les élèves.

Daniel Labaquère

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Expliciter le travail intellec-tuel qui s'effectue est complè-tement différent de la mise en

mots des actions ». La mise en mots, lareprise et la reformulation, le fait derendre visible le travail implicite et in-visible sont des opérations indispensa-bles que l'enseignant doit effectuer,mais pas n'importe quand ! Les tra-vaux de Wallon, Vigotsky, ainsi que lesplus récents issus de la psychologiecognitive, montrent que les phasesd'activités collectives, de vécu par-tagé, précèdent la phase d'individuali-sation. Durant ces activités de décou-verte ou de modélisation, les gestes etles interactions sont supports de sens,les mots les accompagnent. Pour Ca-therine Ledrapier, l'intervention del'adulte durant certains temps de cesstades peut « déranger » l'enfant etperturber son activité intellectuelle.

C'est devant une salle concentrée que Ca-therine Ledrapier a déroulé sa conférence,car chacun de ses propos – et de ses cita-tions- était prétexte à s'interroger sur sapratique de classe. « Découvrir est laseule manière active d'apprendre, fairedécouvrir est la seule manière active d'en-seigner », a dit Bachelard. La conférencière a particulièrement in-sisté sur les finalités de l'enseignementdes sciences. « Ce qui est difficile c'est deconstruire et de poser le problème, pas dele résoudre ». Pour cela, il est obligatoirede partir de l'intérêt des enfants car« l'étonnement est la chatouille de l'âme »,mais aussi, même si on a prévu plusieurspistes dans sa préparation, « il faut laisserles enfants aiguiller la séance à partir de

ce qui les intéresse et des voies qu'ils vontemprunter ». En maternelle on a la chance d'avoir letemps de cette découverte corporelle car« découvrir un phénomène avec son corpset librement permet de l'appréhender in-tellectuellement ensuite. Un grand nombrede concepts scientifiques étudiés au lycéepar exemple prendraient sens si une telleapproche était respectée ».Mettre des mots trop rapidement ne sert àrien et d'ailleurs point n'est besoin de tropparler : « Il n'y a que les idiots qui mettentdes mots sur tout ce qu'ils font ». Il ne sertà rien non plus de brûler les étapes, carcomme l'a dit Claparède, « Ce n'est pas entirant sur la queue d'un têtard qu'on le faitdevenir plus vite grenouille ».

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Laisser le tempsde la découverte

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CatherineLedrapierPr ofesseure de sciences physiques, elle a ensei-gné en IUFM. Elle est chercheure, docteure ensciences de l’éducation au laboratoire STEF EcoleNormale supérieure de Cachan et à l'INRP.

BibliographieApprendre à l’école. Bautier E. (dir.). 2006. Lyon : Chronique sociale.Découvrir le monde des sciences à l’école mater-nelle : quels rapports avec les sciences ?Lyon INRP. 2010Ouvrage en cours proposant des pratiques pour l’école maternelle, sous ladirection de Christine Passerieux. A paraître fin 2010 chez Chroniquesociale.

Une véritable éducation scientifiqueest-elle possible à la maternelle ?Je réponds oui. Les rares didacticiens qui sesont penchés sur les activités scientifiquesà la maternelle ont pensé qu'une simple fa-miliarisation suffisait : on trouve dans lesprogrammes une découverte du monde,non pas un apprentissage ni un enseigne-ment. Or, on sait que les apprentissages effectués à cet âge sont très importants pourla réussite scolaire ultérieure et les recherches en psychologie cognitive mon-trent que les enfants, même beaucoup plusjeunes, ont des compétences que l'on nesoupçonnait pas. La France est restée trèsmarquée par Piaget, sa théorie des stadeset celle de l’apprentissage par l’action. Ilfaut reconsidérer, didactiquement par-lant, ce que signifie apprendre ensciences à cet âge.

La maîtrise du langage n'est-elle pas unobstacle à cet âge ?On pensait qu'il fallait que les enfantssoient capables de dire ce qu'ils faisaient.Or, sans être totalement conceptualisésau sens strict puisque non formalisés,beaucoup de concepts peuvent être travail-lés. Dans un premier temps, il y a ap-prentissage au niveau corporel, grâce auvécu collectif et aux échanges, il y a acqui-sition de « concepts en actes ». Placer lesmots sans références suffi-santes n’avance à rien : celareste alors des mots creux,vides de signification. Lesactivités langagières per-mettent de se décoller del’action mais aussi d’y reve-nir. Inutile d’attendre unemaîtrise du langage : l’éla-boration est conjointe et ré-ciproque. L’articulation en-tre pratiques langagières etvécu collectif est nécessaire pour l’élabo-ration conceptuelle.

Quelle est votre démarche ?Il ne s’agit pas de projeter ce qui se fait àl’école élémentaire en le réduisant, ni defaire une « leçon de sciences » de type -observation-question- hypothèse- expé-rience- conclusion, caricaturale d’unescience par ailleurs révolue. J’ai adaptéles différentes caractéristiques de ce quesignifie apprendre en sciences au XXIèmesiècle, en proposant des « activités scien-

tifiques » pour des élèves de 3 et 5 ans.Mes recherches montrent qu’une éduca-tion scientifique est tout à fait faisable enmaternelle, mais qu'elle nécessite unetoute autre formation des enseignants.

Que proposez-vous ?Je propose un travail sur cinq axes, etj’en ai vérifié la faisabilité. Les trois pre-

miers concernent les différentes dé-marches de découvertes : découverted'un phénomène ; découverte queles effets sont variables et qu'il y ades facteurs de variation ; découvertedes relations. Le quatrième axe concerne la modé-lisation. Pour des enfants de 3 à 5 anscela signifie essayer de participer à laconstruction d'une explication (etnon comprendre l’explication del’enseignant), prédire des évènements

(en s’appuyant sur le modèle élaboré), etenfin être capable de changer consciem-ment d'avis quand cette prédication nemarche pas ! C'est très difficile, maisquand ils sont pris dans une activité col-lective ils sont capables de se dépasser. Le cinquième axe est la problématisation.Bachelard a dit que l'important c'était desavoir poser des questions, beaucoup plusque les résoudre. Or à l'école c'est tou-jours l'enseignant qui pose les questions.Qu’est-ce que problématiser à l'école ma-ternelle ? Les problèmes pratiques, comme

par exemple vouloir faire couler un objetqui ne veut que flotter, ne sont pas des pro-blèmes scientifiques mais la réussite dé-bouche sur des « concepts en acte » dephysique et la démarche part des défisque se donnent les enfants. Il y a donc déjàune prise en charge du problème, mêmes’il reste concret. Ensuite on peut allerplus loin et passer à une réelle probléma-tisation, d'un problème concret à un pro-blème « théorique » avec justification et/ou argumentation.

Pouvez-vous donner un exemple ?On choisit 10 balles à faire rouler sur unplan incliné et on demande quelles sont les3 qui vont arriver les premières. Les résul-tats et les dispositifs diffèrent selon lesgroupes d’enfants et la problématisationintervient quand on leur demande de jus-tifier leur réponse. Quelques mots et desgestes attestent du processus de justifi-cation des élèves, de l'activité intellec-tuelle mise en œuvre. Tout ceci demandeune réelle formation pour éviter les expli-cations de phénomènes par l'adulte et évi-ter une pseudo démarche scientifique.L'éducation scientifique à cet âge n'estpas de faire acquérir certains savoirs nid’appliquer une méthode inflexible, maisde les faire entrer dans un type d’activitéintellectuelle caractéristique des sciences.

Propos recueillis parDaniel Labaquère

« Si ce n'estpas à l'écolequ'on apprendà argumenter,seuls ceux àqui on ledemande à lamaison saurontle faire »

LES SCIENCES DÈS LA MATERNELLE

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ver le lien entre recherche et enseignement.

Vous avez choisi de parler de la grandesection de maternelle, quel est le pro-blème ?En ce moment, on perd un peu le nord sur-tout à ce niveau de la maternelle. Les troiscas de figure qui me soucient sont : les CPen miniature, les classes où l’on pense queles enfants de cet âge sont grands et on lessoumet à des réflexions adultes, etenfin les classes où l’on passe énor-mément de temps dans des séancesqui permettent de mettre des croixsur les livrets d’évaluation. Pen-dant ce temps, les enfants ne fontpas ce qui les intéresse et qui les faitprogresser.

Alors, qu’est-ce qui est si impor-tant en grande section ?Les enfants qui arrivent dans cette classe onttrois ou quatre ans d’école maternelle à leuractif. Ils ont appris beaucoup de choses etdurant l’année précédente, ils ont fait degrandes découvertes. Par exemple, ils ont dé-couvert qu’ils pouvaient agir sur quelqu’un

Vous portez sur l'évolution de l'école ma-ternelle un regard inquiet. Pour quellesraisons ?A l'occasion de mes dernières visites enmaternelle, j'ai rencontré de nombreux col-lègues désorientés, particulièrement engrande section. Ils sont soumis à des in-jonctions institutionnelles qui leur deman-dent de viser des savoirs ponctuels, descontenus applicables à la lettre, par exempleen matière d'apprentissage phonologiqueou en vocabulaire. Ils en arrivent parfois àperdre ce qui fait l'intérêt et la richesse dumétier : l'observation du comportement desélèves et l'adaptation permanente aux diffi-cultés et aux progrès de chacun. A cet égard,je suis catastrophée par la fin de la formationdans les IUFM . Comment peut-on laisser decôté une formation en didactique, là où on« tricote » les contenus et les manières d’ap-prendre spécifiques aux jeunes enfants ?D’ailleurs, quand on cible bien certains ap-prentissages, les enseignants n’ont pas peurdes éléments théoriques. Contrairement à cequ'on entend souvent, les enseignants neveulent pas du concret mais de l'intelligent.C'est pourquoi il est fondamental de préser-

en lui écrivant, ils ont compris que lesadultes et eux-mêmes pensent, réfléchis-sent, reviennent sur des idées. Cette année,ils font des récits organisés, dialoguent, seposent des questions. On manque quelquechose de décisif à ne pas les encourager surcette voie.

Pour vous, la grande section est une étaped’un cycle d'apprentissage à part entière ?

C'est la loi de 1989 qui définit lecycle des apprentissages premiersde la petite à la grande section, cequi donne un cadre pour pouvoirtravailler sereinement. Mais à par-tir de 2004, le rapport Thélotévoque un cycle « des apprentis-sages de base » avec GS-CP-CE1et la loi Fillon, avec le socle com-mun, fait basculer la grande sectiondu côté de la lecture. Les Pro-

grammes 2008 présentent d’ailleurs lagrande section comme une préparation auCP. Pourquoi pas, à condition de la conce-voir intelligemment, à partir de ce que peu-vent / veulent apprendre les 5 – 7 ans etqui sont des atouts, pour la scolarité ulté-

« Lesenseignantsne veulentpas duconcret mais del'intelligent. »

MireilleBrigaudiot

Maître de conférences ensciences du langage,

elle a exercé en IUFM

LE DÉFI INTELLECTUEL DE LA GRANDE SECTION

a Grande Section est une classecharnière entre maternelle et CP.Un défi que Mireille Brigaudiot

appelle à relever « en transformant laGS qui sont trop souvent des classes derépondeurs en classe de question-neurs ».

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À l’école des Grésillons à Gennevilliers,l’enseignante de GS met les enfants enréflexion, à partir de quelque chose qui lesintéresse particulièrement.Ils ont inventé une « grande histoire » : denombreuses séances successives leur ontpermis de choisir l’événement-clé et lespersonnages, d’établir un « schéma »d’histoire avec l’aide de la maîtresse et,par groupes, ils ont commencé à dicterl’histoire. Le but est d’obtenir un livre, leleur, dont ils seront fiers de le commen-ter auprès des familles.Ce jour-là, la maîtresse, devant le groupe-classe, lit le texte là où il en est :« Il était une fois un chasseur avec sonenfant et sa femme. Ils habitaient dansune maison à côté de la mer. Le chasseur

sort de sa maison et voit une baleine. Il prend son bateau et il tire sur la baleineavec son harpon. La baleine, elle estmorte! Il attache la baleine derrière le ba-teau avec une corde et il revient sur le sa-ble. Il décroche la baleine.Il va chercher son enfant et sa femme. Ildit : « Venez voir, j’ai tué une baleine. Aidez-moi à la sortir de l’eau. » Le chas-seur, sa femme et son enfant, ils tirent labaleine sur le sable. Ils vont chercherdes grands couteaux, pour couper la ba-leine. Après, ils lavent les morceaux debaleine avec l’eau de la mer et des grandsseaux. Et ils mangent la baleine. Ils sonttrès contents. »M – votre histoire est vraiment belle,mais il faut que je vous dise qu’il y a

Une maîtresse explique et fait réfléchir

quelque chose qui pourrait vous intéres-ser. C’est qu’un monsieur, sa femme etson enfant ne peuvent pas manger unebaleine ! C’est un très gros animal ! Cequ’on va faire, c’est qu’on va chercherpartout, à la bibliothèque et sur internet,la taille des baleines. Pour savoir commec’est grand et si on peut les manger.Une longue recherche va suivre, les en-fants iront jusqu’à dessiner la baleine surla longueur du couloir de l’école parceque les autres endroits sont trop petits…Deux semaines plus tard, la suite de l’his-toire sera :« Et ils mettent les sacs dans le frigo etdans le congélateur. Ils sont fatiguésparce qu’ils ont beaucoup travaillé. Ilsse reposent. »

rieure et pour la vie. On transforme alors lesclasses en ruche, on cherche, on essaie, ondiscute, on demande au maître comment ilfait, lui l’expert. Dans cette atmosphère onest à l’opposé d’empilements d'apprentis-sages mécaniques et d'activités d'entraîne-ment.

Et comment faire pour s'attaquer auxdifficultés qui touchent les enfants desmilieux défavorisés ?Certains enfants ont déjà « l'école à la mai-son », ils bénéficient d’expériences de vietrès variées accompagnées de langage pré-cis : leurs adultes décrivent, nomment, com-parent, font des rappels de souvenirs, bref,donnent en permanence des appuis cognitifs.Pour d'autres enfants, seule l'école peutjouer ce rôle. Pour bien travailler avec eux,j’ai choisi dans mes recherches de me basersur les manières de faire des mamans et deséducateurs de jeunes enfants : ils font tout ceque j’ai dit des familles dites favorisées etensuite, une fois les explications données, ilsmontrent à l’enfant que ça les intéresse desavoir ce qu’il a compris. Ils lui posent despetits problèmes. Ils ne le font jamais répé-ter. Les maîtresses savent faire la mêmechose. Si elles doivent lire une histoire danslaquelle il y un puits, elles ne commencent

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pas par demander « qui sait ce que c’est unpuits ? », car ce serait toujours le mêmeenfant qui répondrait. Elles commencentpar expliquer, par montrer, par démontrer. Etensuite, elles diront « vous allez chercherdans ces livres les dessins de puits, il y en a,et vous me direz comment vous savez quec’est un puits ». Elles ne vont pas « vérifier» qu’ils disent le mot, comme il l’est suggérédans les préconisations récentes sur l’en-seignement du vocabulaire. Il faut transfor-mer les grandes sections qui sont trop sou-vent des classes de répondeurs en classes dequestionneurs. En résumé, l'enseignant nedoit pas se priver d'expliquer, d'apporterdes connaissances, de mettre les choses enrelation ; un questionnement – réflexion

(pas des questions fermées) viendra dansun deuxième temps.

Une telle démarche ne risque-t-elle pasd'être ennuyeuse pour ceux qui saventdéjà ?C'est un argument classique mais tellementfaux ! Ceux qui savent déjà sont valoriséspar la même occasion. D’ailleurs, de nom-breuses recherches montrent que si l'école nepeut pas supprimer les écarts entre lesélèves, en revanche, elle peut tout à fait lesempêcher de s’aggraver en faisant progres-ser tout le monde.

Propos recueillis parPhilippe Miquel

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équipe escol de l'Universitéde Paris 8 s'efforce depuis desannées de comprendre com-

ment se construisent les inégalités de-vant la réussite scolaire. L'école échouesouvent à réduire l'écart entre les élèvesdes milieux favorisés et les autres et,d'après les chercheurs, elle contribuemême parfois à les accroître par lebiais de malentendus ou d'implicites.Elisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex,Stéphane Bovéry ont décrit ces mé-canismes à l'école élémentaire. Maisqu'en est-il à la maternelle ? C'est laquestion que s'est posé Christophe Joi-gneaux.

L’

Maître de conférences , il a été undes membres de l'équipe ESCOL

(Paris 8) de 1998 à 2010 et a rejoint l'équipe RECIFES

(Université d'Artois et IUFM du Nord-Pas de Calais)

Bibliographie : La construction de l'inégalité scolaire

dès l'école maternelle, Revue Françaisede Pédagogie, n°169.

Petite enfance et scolarisation, octobre-novembre-décembre 2009, pp. 17-28.

L’école maternelle, une école à part ouune école à part entière ? in PasserieuxC. (dir.), 2009 : La maternelle. Première

école, premiers apprentissages, Lyon,Chronique sociale, pp. 75-80.

L’ambiguïté de certains grands mythesfondateurs de l’école maternelle in Éli-

sabeth Bautier (dir.), 2006, Apprendre àl’école, Des risques de constructionsd’inégalités dès la maternelle, Lyon,

Chronique sociale, pp. 33-55.

Vous reconnaissez la maternelle commeune « véritable » école. Qu’entendez-vous par là ?Je fais référence, pas tant à l'évolution descontenus, qu'aux supports pédagogiques,qui nécessitent en eux-mêmes, une cer-taine posture de la part des élèves. Jepense en particulier à la diffusion desfiches, qui d'après ce que j'ai pu consta-ter, remonte aux années 80. En fait, jeme suis longtemps interrogé sur la placede l'écrit sous toutes ses formes à l'écolematernelle, fiches, affiches, usages du ta-bleau. De ce point de vue, on peut direque les attentes de l'école maternelle serapprochent de celles des segments ulté-rieurs du cursus scolaire. Il y a en parti-culier, une attente conjointe de plusgrande réflexivité de la part des élèves.

En quoi cette « primarisation » consti-tue-t-elle pour vous un levier dans laconstruction des inégalités scolaires ?Si beaucoup plus d'écrits doivent êtrepratiqués par les élèves en maternelle,on retrouve le même type de difficultésque celles qu'on voit à l'école élémen-taire. Les enfants des milieux populairesen particulier, ont des difficultés avec laposture réflexive que nécessite les sup-ports écrits.

Vous questionnez le travail en atelier,qu'est ce qui fait problème, dans cettemodalité de mise en activité des enfants ?Ce n'est pas tant le travail en atelier en soi,c'est le couple fiche-atelier, qui d'aprèsmoi est à l'origine d'une certaine inégalitédevant la tâche. Qui dit atelier, dit travail

spécifique dans chacun des groupes. Et onlaisse les élèves, au moins un certaintemps,en autonomie. On les laisse seuls,face aux nécessités intellectuelles exi-gées, en particulier par les supports écrits.

Il y a pourtant toujours une spécifi-cité de la maternelle ?Dans l'élémentaire, on propose du tra-vail de groupe et à la maternelle, il s'agitd'activités différentes menées simultané-ment. Mais à côté des spécificités, il y aune certaine continuité, en particulier entermes d'exigences intellectuelles, sim-plement par la nature identique des sup-ports proposés. Les contenus didactiquessont bien sûr adaptés à l'âge et au déve-loppement des enfants, mais à côté deça, les supports engagent, en eux-mêmes,un certain type de posture intellectuelle.On propose des contenus adaptés à l'âgede l'enfant, mais sur des supports qui

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MATERNELLE : MÈRE D'INÉGALITÉS ?

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Anne, qui enseigne en maternelle à Vénis-sieux, a assisté à la conférence de Chris-tophe Joigneaux. Elle en a notamment re-tenu la nécessité d'un questionnementpermanent des pratiques. Pour elle, lechercheur fait entrevoir que ce ne sontpas les dispositifs qui doivent déterminerles contenus qu'on veut faire acquérir auxélèves. Il y a sans doute à questionner lesobjectifs qu'on se fixe, et à partir de cequestionnement, définir les dispositifs quiseront les mieux appropriés aux apprentis-sages. Cela la renvoie d'ailleurs à une re-marque d'Yves Soulé, qui, au cours de sa

conférence, disposait que la non variabi-lité des dispositifs entraînait de la défi-cience. Et que quand on est dans uneforme d'habitude, de routine, on ne sequestionne plus sur ce qui se joue.Sur le fonctionnement en atelier, elle re-marque aussi qu'on doit pouvoir concevoiret organiser ces moments d'autonomie,pour des apprentissages qui ne font pasforcément appel à ces fameuses fichesqui font tant débat. Car selon elle, plus onmet d'écrit, plus on peut mettre certains en-fants en difficulté, par exemple ceux chezqui les codes ne sont pas naturellement

installés dans l'environnement familial.Et puis sur cette fameuse constructionprécoce des inégalités scolaires, elle sesouvient d'un ouvrage de Jean Foucam-bert, où celui ci, replaçant l'école dansson contexte historique, avance que sesobjectifs fondamentaux sont doubles. À lafois un objectif de normalisation maisaussi, allant de pair, un objectif d'émanci-pation. Et que peut être se joue, dès lamaternelle et au travers des pratiques, unaccent mis sur un des aspects plutôt quesur l'autre.

Continuer à se questionner

« résistent » et demandent de l''anticipa-tion. Par ailleurs, ces fiches se complexi-fient avec le temps. On propose de plus enplus d'éléments à comparer, selon descritères de plus en plus diversifiés.

Est-ce lié à une volonté d'anticiper surdes apprentissages normalement desti-nés à des niveaux ultérieurs, ou y a t-ild'autres ressorts à ce phénomène ?L'évolution des programmes depuis 1977,quand on les compare, montre un chemi-nement des orientations vers cette exi-gence d'une plus grande réflexivité danstous les domaines d'activité. Ça, ce sontles évolutions du curriculum « formel ».Mais en fait, la part la plus importante, decette évolution est liée à ce que j'appellele curriculum caché. Et ça, c'est lié àl'évolution des supports alors même quel'organisation pédagogique est restée àpeu près inchangée. C'est ce couplagequi représente le plus grand facteur d'évo-lution des exigences, même si cela n'apas été pensé comme tel. Les enseignantsn'en ont pas conscience et pensent plutôtle couplage atelier-fiches, en terme d'ef-ficacité, de gestion de la classe, d'autantque même si on ne peut pas être avectous les élèves en même temps, il estpossible de revenir sur les productionsen grand groupe. Mais même ici, au mo-ment de ces regroupements, que ce soitpour présenter l'activité ou pour le bilancollectif de celle-ci, des difficultés peu-

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vent apparaître. Au moment de la pré-sentation de l'atelier, on demande déjàaux enfants d'anticiper et d'être conscientsque tout ce qui est dit là, devra être réuti-lisé de façon autonome ensuite. Et pour lemoment de synthèse, on convoque aussiun retour réflexif sur ce qui a été fait.

Est ce que votre analyse ne contreditpas l'idée que la scolarisation précoce,notamment des enfants des milieux lesmoins favorisés, est un levier pour lut-ter contre l'échec scolaire ? La plupart des statistiques montrent que

les effets positifs d'une scolarisation pré-coce se retrouvent tout au long des annéesd'école jusqu'au CM2, mais qu'ils profi-tent à tous. Et s'il est vrai qu'elle préparemieux à la suite de la scolarité, elle ne ré-duit pas les inégalités, sauf, peut-être,pour les enfants des milieux immigrésoù là, elles montrent qu'il peut y avoir uneréduction des écarts initiaux.

Propos recueillis parFrancis Barbe

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Les évaluations PISA ont mis à jourl'inégalité du système éducatif françaismais aussi belge et suisse. Sur quelscritères ce constat repose-t-il ? Pour qualifier un système éducatif d' « inégalitaire », nous disposons de plu-sieurs indicateurs. Le premier est l'am-pleur des différences de performances en-tre élèves. Les évaluations PISA montrentque ces différences sont plus ou moinsgrandes selon les pays. Mais ilfaut combiner cet indicateur àd'autres dont le lien entre cesdifférences et le statut social desenfants. De ce point de vue, laFrance, la Belgique et la Suissese situent en mauvaise positionsur l'échelle internationale : dansces trois pays, l’écart de perfor-mance en lecture entre l’élève moyen issud’un milieu « favorisé » sur le plan socio-économique et l’élève moyen issu d’unmilieu « défavorisé » est supérieur à 100points dans ces pays contre 40 en Fin-lande. Quant au troisième indicateur d’iné-

quité, c’est la variation des performancesmoyennes par établissements. En Fin-lande, les performances des élèves va-rient assez peu en fonction de l'établisse-ment fréquenté contrairement à la Franceoù vos chances de succès fluctuent selonl'établissement fréquenté.

Quelles sont les raisons de cet état de fait ?Ces mauvaises performances de la France,la Belgique et la Suisse ont des explica-tions diverses. En Belgique la liberté dechoix de l'école laissée aux parents estun facteur d'iniquité car les élèves d’ori-gines sociales proches s'en trouvent re-groupées. En France, la sectorisation étaitpratiquée et limitait ce phénomène ditd’agrégation. Hélas, ce dispositif est en dé-liquescence. De toute façon, selon diffé-rentes études, les familles aisées sont de-venues expertes pour contourner cesystème soit par des dérogations, soit pardes jeux d'adresse, soit en inscrivant leursenfants dans l'enseignement privé. Parailleurs, les recherches ont montré qu'ilexiste d'autres facteurs d'iniquité. Le re-doublement par exemple. A ce propos,on sait que le redoublement est inefficaceet inéquitable, car il concerne principale-ment les enfants de familles modestes.

On sait par ailleurs que les pa-rents aisés, cultivés, résistentaux propositions de redouble-ment faites à l’encontre deleurs enfants, quitte à leur offrirdes cours particuliers. Les sys-tèmes les plus égalitairescomme la Finlande, la Corée,le Japon ont abandonné le re-

doublement et, autre caractéristique impor-tante, n'orientent pas avant le lycée. Pluslargement, il existe des traditions éduca-tives culturelles dans chaque pays. Lessystèmes français, allemand sont très py-ramidaux. La Finlande a fait une sorte de

« LES SYSTÈMES LESPLUS EFFICACES SONT

LES PLUS EGALITAIRES »

Les évaluationsinternationales

ont mis à jour les critères des

systèmes lesplus efficaces.Marcel Crahay

les décryptepour nous.

« Les systèmesles pluségalitaires ontabandonné leredoublement. »

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révolution pour changer cela se dotantd'une école de base de neuf ans, intégrantl’école élémentaire et le collège, sans re-doublement, puis d'une école de la spécia-lisation qui, à partir de 16 ans, offre unelarge gamme de spécialisation. Apparem-ment, la révolution pédagogique finlan-daise (qui s’est également opérée en Suèdeet dans les pays avoisinants) s’avère judi-cieuse.

Quelles sont les caractéristiques dessystèmes efficaces ?Les recherches menées sur ces questionsmontrent que les systèmes les plus effi-caces sont les plus égalitaires. Les sys-tèmes éducatifs des pays scandinaves sontorganisés de sorte que les élèves de 7 à 16ans restent dans un système scolaire uni-fié, le primaire et le secondaire inférieurétant fusionnés. Les enfants suivent lesmêmes programmes. Le système alle-mand se situe à l'opposé. Dans les Lan-ders, les enfants sont orientés dès 10 ansdans une filière plus ou moins « nobles ».Or, comme l'a montré le sociologue Ray-mond Bourdon, à chaque fois que le sys-tème éducatif comprend un carrefour dé-cisionnel (orientation, examen), il créeun moment critique qui est source d'iné-galités car certains les traversent aisémentquand d'autres trébuchent. Dans le sys-tème français, le cursus scolaire s’appa-rente à une course d'obstacles avec évalua-tions régulières ; de surcroît, dès lecollège, il y a des filières. Les systèmes égalitaires sont le résultatd'une volonté politique, en adéquationavec les aspirations des citoyens, volontéqui affirme clairement l'obligation de fairede l'école une communauté intégrative.Dans ces pays, il va de soi que tous les en-fants doivent rester dans la communautéavec leurs différences, même s’ils souf-frent d’un handicap important. L’écoleest pensée comme un lieu de vie regrou-pant des individus différents. Il y a doncun positionnement très ouvert à l’hétéro-généité. Ceci m’amène à la délicate ques-tion de la composition des classes. EnFrance, Belgique, Suisse, Luxembourg,Allemagne, les enseignants souhaitentavoir des classes les plus homogènes pos-sibles. Or, les classes hétérogènes en ma-tière d’efficacité et d’équité ont fait leurspreuves. On sait qu'un élève faible qui seretrouve dans une classe de forts va béné-ficier de cette émulation. Les forts eux, nepâtissent pas de la présence des faibles

quand est en place une belle mixité deniveau. Il est difficile de faire entendrecette donnée aux enseignants même sielle est très claire.

Dans les pratiques de la classe, com-ment ces logiques se traduisent-elles ?Au niveau de la classe, on sait que certainsmécanismes sont néfastes. Les évalua-tions régulières qui enregistrent les résul-tats des élèves à chaque test sont préjudi-ciables aux élèves faibles. Au contraire des

évaluations formatives qui ont pour objec-tif de repérer les difficultés, d'ajuster l’en-seignement en conséquences et d'infor-mer les élèves, sont un facteur positif.Dans le premier cas, le message envoyéaux élèves est « toute erreur se paie cash ».Dans le second, le droit à l'erreur est reconnue. Concernant les programmes, la Finlandea mis l'accent au primaire sur l'apprentis-sage de la lecture et la compréhension detextes. Dans les classes de France, Bel-gique, Suisse, l’orthographe et la gram-maire prennent une place excessive demon point de vue et ceci au détriment dela compréhension de textes Enfin, on ob-serve des différences de timing dans lesapprentissages avec des pays comme laFrance, la Suisse, la Belgique qui introdui-sent tôt des notions complexes et quiconsidèrent qu'un bon enseignant est sé-vère et exigeant.

Comment les enseignants pourraient-ilscontrer ces logiques ?Il me paraît impératif qu'ils connaissent lesrecherches pour ne plus être les jouets decertains mécanismes. Or, ils ne disposentpas des outils conceptuels pour faire la cri-tique de ce qui se passe. Cela pose laquestion de la formation. La Finlandeforme tous les enseignants à l'Universitéavec une formation pédagogique. Il existedes techniques de différenciation de l'en-seignement, de repérage et d'analyse desdifficultés auxquelles on peut sensibiliserles enseignants. Si on prend l'exemple duCP, les connaissances des enseignants surla lecture experte et sur l'importance de laconscience phonologique restent som-maires chez bon nombre d’enseignants.On n'accepterait pas qu'un vétérinaire quisoigne un canari ne connaisse pas les der-nières recherches sur la physiologie ani-male, mais pour la lecture tout se passecomme si le sens commun est suffisant.

Y a-t-il des liens entre système effi-cace et budget ?Oui et non. La Finlande n'accorde pas àl'éducation un budget supérieur à laFrance. L'idée qui prévaut est plutôt quec'est l'utilisation qu'on en fait de l’argentqui compte. Prenons de nouveau l'exem-ple du redoublement. Ce dispositif a uncoût. Ce que je propose avec d'autresc'est de réduire drastiquement le redou-blement pour allouer l'argent récupéréà autre chose, comme par exemple le

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Professeur de pédagogiethéorique et expérimentale àl’Université de Liège où il a succédé au professeur G. De Landsheere. Professeur de Développement, apprentissages et interventionsen situation scolairesà l’Université de Genève

Bibliographie :Peut-on lutter contre l'échecscolaire ? (3e éd.). Bruxelles: DeBoeck, 2007Réussir à apprendre avec G.Chapelle, Paris, PressesUniversitaires de France, 2009Psychologie des apprentissages scolaires avec M. Dutrevis,Bruxelles, De Boeck, 2010

Marcel Crahay

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répartition des notes selonune courbe quasi immuablemême dans une classe ho-mogène. Si on augmente lesbudgets sans travailler sur les dysfonc-tionnements (comme ici les pratiquesd'évaluation), on peut comprendre queles politiques disent non. Il faut une po-litique ambitieuse de rénovation du sys-tème éducatif qui utilise la technique dela tenaille : attaquer le problème par plu-sieurs bouts. Peut-être qu'au départ, uneréforme en profondeur coûterait de l'ar-gent - notamment pour investir dans laformation des enseignants, mais je fais lepari que très vite on retrouverait la ligne

suivi des élèves en difficultés.

Et entre efficacité et taille des classes ? Dans les années 80, à Genève, la tailledes classes a été réduite. Or, cela s'est ac-compagné par une hausse du nombredes redoublements. En effet, les ensei-gnants ont gardé leur habitude de faireredoubler 1 à 2 élèves par classe. Aulieu d'avoir 2 redoublants sur 20, la ré-duction de la taille des classes a abouti àqu’il y ait 2 redoublants sur 16 ; sur l’en-semble du système, cela fait une aug-mentation des redoublants. Ce phéno-mène est à rapprocher de ce quePosthumus avait observé dès 1942 sur la

budgétaire de base.

Ne pensez-vous pas que le portrait quevous faites du système est dur à admet-tre pour les enseignants ?Les difficultés des enseignants sontgrandes. Le consensus social concer-nant l’école n'est plus ce qu'il a été dansle passé. Je comprends leur désarroi. Ily a eu dans les années 80/90 une massi-fication brutale qui a bouleversé l'acti-vité enseignante. A cette période, lesresponsables n'ont pas mis en place de

formation à la hauteur des en-jeux. Certains enseignants sontdéboussolés car le quotidienest difficile et les discourscomme le mien les perturbent.C'est pourquoi j'insiste sur lefait que mon analyse impute laresponsabilité aux décideurs

du système. Je trouve rude de demanderaux enseignants de partir en croisades'ils ne perçoivent pas une volonté poli-tique ferme d'aller dans le sens del’équité et de les soutenir dans ce sens.Il importe que les responsables poli-tiques optent résolument pour une écolejuste et efficace.

Propos recueillis parLydie Buguet

Les travaux de Marcel Crahay portent sur l'échecscolaire, les difficultés d'apprentissage en situa-tion scolaire ainsi que sur les croyances des en-seignants eu égard au développement, à l'intelli-gence, à l'apprentissage, au redoublement et auxpratiques d'enseignement. C'est l’un des plusfins connaisseurs des systèmes d’éducation etdes paramètres qui jouent dans la réussite desélèves. Ses ouvrages («L’Ecole peut elle êtrejuste et efficace », « Peut-on lutter contre l'échecscolaire ?») décortiquent ce qui peut rendrel’école inégalitaire, malgré les déclarations debonnes intentions.

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« Il y a donc unpositionnementtrès ouvert surl'hétérogénéité. »

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un consensus, notamment de la commu-nauté éducative. Car il en va aussi dubien-être des enfants et des conditions deleur réussite. En effet toutes les conclusions deschrono-biologistes sont avérées depuislongtemps : régularité et périodicité sontdeux termes qui devraient définir l'or-ganisation du temps de l'enfant. Et cequi se passe au niveau du sommeil (doncen dehors de l'école) a des répercussionsà l'école, mais la désynchronisation per-manente des temps dans et hors l'écoleprovoque « fatigue et mal-être ». PourClaire Leconte, chronopsychologue (voirpage 72), c'est la globalité qu'il faut inter-roger en « imaginant des périodes régu-

lières pour les différents rythmes entreeux ». Pour elle, cette approche ne dé-douanne cependant pas l'école d'une ré-flexion sur sa propre organisation et sespratiques : elle remet même en cause lefait de « penser en demi-journées declasse ». Il est vrai que la France tient un recordavec la journée de classe la plus longueet l'année la plus courte des pays del'OCDE (voir page 74). Petite histoire : sila durée annuelle est passée de 1338heures de classe en 1894 à 864 heures en2008, la journée de 6 heures est restée in-changée depuis Jules Ferrry. La réductions'est appliquée au nombre de jours de lasemaine (suppression du samedi après-

LES RYTHMES SCOLAIRES

Difficile de parler uniquement de rythmes« scolaires », tant cette notion s'inscritdans le cadre plus large de l'organisa-tion de la société et de la préoccupationd'un aménagement du temps de l'enfantqui tienne compte de son bien-être et luioffre les meilleures conditions de déve-loppement. Une multitude d'enjeux s'en-trecroisent, mais aussi évoluent aurythme des changements de la société.Aussi quand Xavier Darcos a tranché en2008 pour une semaine à 4 jours en ré-duisant le temps scolaire, il a répondupeut-être à certaines attentes sociales,mais il bougé seulement une des piècesdu puzzle et réveillé les oppositions desintérêts particuliers sans s'appuyer sur

Une table ronde,organisée avec la Ligue del’enseignement, a abordéla question épineuse desrythmes scolaires.

e ministère de l'éducation natio-nale a relancé le débat sur les

rythmes scolaires avec la mise enplace en juin dernier d'une « Confé-rence nationale sur le rythmes sco-laires » qui rendra ses conclusionsau printemps 2011. Des intervenantsdu monde associatif, des collectivitésterritoriales et de la recherche scien-tifique ont débattu avec les ensei-gnants sur ce thème épineux.

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midi en 1969 et du samedi matin en2008) et aux périodes de vacances. Etce au bénéfice du développement touris-tique (900 000 salariés aujourd'hui), maisaussi comme compensation à la non re-valorisation des enseignants.

TEMPS SCOLAIREET TEMPS SOCIAL

« Dans notre pays le temps scolairerythme le temps social », souligne ArnoldBac, de la Ligue de l'enseignement etresponsable de la mission « aménage-ment des rythmes de vie l'enfant et dujeune » au ministère de la jeunesse etdes sports (page 74). Concernant les ac-tivités périscolaires, il met en gardecontre une tentation de privilégier d'au-tres aspects comme l'emploi « au risquede l'occupationnel » et contre une tropgrande diversité si on laisse « chaqueterritoire faire et inventer à sa guise ».Pour lui les projets éducatifs territoriauxdoivent s'inscrire dans des orientationsdéfinies par l'Etat. Bernard Meyrand, di-recteur territorial en charge de la mise enoeuvre du projet éducatif local à la villede Lyon (page 73), témoigne d'un fonc-tionnement de semaine à 4 jours à grandeéchelle puisqu'elle concerne quelque 200écoles et ce depuis les années 90. Il re-vendique un fort partenariat entre écoleet collectivités territoriales. Pour lui lesproblèmes d'inégalités doivent être ar-bitrés au niveau national. Il souligneaussi le peu d'enthousiasme qu'a soulevéla proposition de la ville d'une révisiondes rythmes : seule une école de quartierdéfavorisé s'est engagée. Ce refus des écoles de s'engager dansde nouveaux changements illustre certai-nement la conscience qu'ont les ensei-gnants et les parents, de la complexité dece débat, surtout si rien ne vient quelquepart porter quelque chose d'un intérêtgénéral qui viendrait transcender les in-térêts économiques et particuliers. Il illus-tre aussi la méfiance des acteurs del'école confrontés à des changementspermanents, à des fonctionnements peupérennes (exemple de la suppression desEVS) et à une diminution constante desmoyens de l'école. L'intérêt des élèves etla qualité des apprentissages sont un en-jeu tout comme les questions d'éduca-tion à la santé en y associant les parents.Il est grand temps que les enseignantss'invitent dans ce débat car c'est aussi,comme le dit Claire Leconte « la qualitéde vie et de travail qui est en jeu ».

Michèle Frémont

Jean-JacquesHazan

La FCPE préconise la prise en compte dela globalité des temps de l’enfant, maiscomment concilier ces temps ?Les temps de l’enfant recouvrent aussi biencelui passé en classe que celui qu'on lui de-mande de faire après la classe, que le reste deson temps et de ses activités extérieures.L’important, dans l’intérêt de l’enfant, est deregarder les choses dans leur globalité. On lesconcilie à partir du moment où l’on a une ré-flexion globale et des objectifs globaux. Cesderniers doivent viser la réussite scolaire del’enfant, son bien-être aussi bien à l’écolequ’à l’extérieur, le respect de ses rythmes devie. Cette démarche nécessite une concerta-tion la plus avancée possible, ce qui signifiequ’elle doit rentrer dans le cadre d’un projetéducatif global, territorial, nécessitant uneconcertation car on ne peut pas changer lestemps d’une activité sans que cela ait une in-fluence sur celles d’à côté.

Quels rythmes préconisez-vous aussi bienpour la journée que pour la semaine etl’année scolairesIl faut d’abord qu’il n'y ait pas plus de 5h declasse par jour. A partir de ce moment là, onpeut considérer qu’on respecte un tempsd’apprentissage dans lequel les élèves vontpouvoir suivre. Ensuite, que la semaine soitde 4,5 ou de 5 jours, c’est à voir. Certains es-timent qu’on doit revenir sur le samedi maisbeaucoup de gens y sont opposés même sicertaines villes y sont favorables. En toutcas, tout le monde le dit et tout le monde lereconnaît, la semaine scolaire doit être étaléesur plus de 4 jours. Si on estime commenous que le temps scolaire tel qu’il a été ré-duit par Xavier Darcos est devenu insuffisantet qu’il n’y a pas de raison pour que la situa-tion s’améliore en l’absence de transforma-tions pédagogiques, la seule conclusion estque les enfants ont besoin de plus de jours declasse par semaine avec moins d’heures declasse par jour.

Et pour ce qui concerne l’organisationannuelle de l’école ?Quand les zones ont été créées c’était unique-

ment pour servir l’économie du tourisme.Personne ne s’intéressait vraiment à ce queça pouvait représenter en termes d’alter-nance entre semaines de classe et semainesde vacances. Aujourd’hui les choses ontévolué. Si on veut avancer, ou bien il fautsupprimer les zones ou bien il faut mettredes zones sur toute l’année. Si on ne lefait pas, on se retrouve avec un calendrierbancal où certains bénéficient d’un rythmeen 7-2 et d’autres non.

Vous étiez demandeur de la créationd’une conférence nationale sur lesrythmes scolaires. Qu’en attendez-vousaujourd’hui ?Nous souhaitions la création de cette confé-rence afin de permettre une constructioncommune qui prenne en compte la globa-lité des temps de l’enfant aussi bien auprimaire qu’au secondaire et que cetteconstruction ne soit pas non plus pénali-sante pour les autres catégories de popu-lation. Maintenant que nous avons obtenucette conférence nous allons continuer demanière permanente à l’alimenter, à l’inter-roger et à soulever des questions de fonds.Il ne s’agit pas d’avoir des discussions sur4 jours ou 4 jours et demi par semaine,cette discussion est tranchée. Toutes lesorganisations jusqu’à l’Académie de méde-cine se sont prononcées, reste à savoircomment on construit la chose. En re-vanche, la question de l’organisation del’année est plus compliquée, elle demandeplus de temps car il n’y a pas de solutiontoute faite. Il faut avoir une réflexion sur lezonage, en faut-il un ou pas et, s’il en faut,de combien de zones ? L’enjeu pour nousétait de mettre le débat sur la table, d’avoirune conférence qui soit aussi bien un lieude consensus qu’un lieu où l’on débrous-saille, où l’on réfléchisse à la cohérence en-tre le 1er et le 2nd degré. Cette conférenceest en soi un nouvel enjeu car tout ce qui sera acquis le sera pour la prochaine législature.

Propos recueillis par Pierre Magnetto

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Président de la FCPE.La principale fédération de parents d’élèves, pourqui la prise en compte de la globalité des temps del’enfant est une priorité, préconise une durée quoti-dienne de classe n’excédant pas 5 heures et unallongement de la semaine à plus de 4 jours.

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Page 64: Fenêtres sur Cours

Claire Leconte

a réforme des rythmes scolairesengagée par Xavier Darcos en2008 n'est jamais « passée »

dans l'ensemble de la communautééducative. Depuis le nouveau ministreLuc Chatel, dans sa circulaire de ren-trée 2010 a « encouragé l'organisa-tion de la semaine en neuf demi-jour-nées » [avec le mercredi matin].Faisant suite aux critiques dans plu-sieurs rapports, dont celui de l'acadé-mie de médecine en janvier 2010, il ainstallé en juin la « Conférence natio-nale sur les rythmes scolaires » et soncomité de pilotage est composé de re-présentants du secteur privé, de chro-nobiologistes, d'institutionnels et demembres des « think tank ». Mais lesjeunes, les enseignants et les parents ensont exclus. Un rapport devrait êtrerendu au printemps 2011 pour unemise en oeuvre s'amorçant dès la ren-trée 2012. Une consultation nationale,lancée le 14 septembre dernier via in-ternethttp://www.rythmesscolaires.frwww.rythmes-scolaires.fr) durera jusqu'au 15 décembre.

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chrono-psychologue, professeur desuniversités en psychologie de

l'éducation à Lille 3

Quels ont les grands axes des rythmesbiologiques ?Grâce aux recherches et expé-riences depuis les années 60, onsait d'une part que chacun pos-sède des horloges biologiquesendogènes et propres à chacun,avec de vraies variances indivi-duelles. On sait d'autre part quecette multitude d'horloges fonc-tionne pour tous avec des pério-dicités différentes, classées en 3 grandescatégories. Dans les rythmes circadiens

Rythmes scolaires et rythmes biolo-giques peuvent -ils se définir de la mêmemanière ?On dit d'un événement qu'il est rythméquand il se reproduit à l'identique selonune certaine périodicité. D'après cette dé-finition, on voit tout de suite que l'on nepeut pas parler de « rythmes » scolaires,car aucun de ces éléments ne correspond.Il est préférable de parler d'organisationtemporelle des enfants. De surcroît le faitqu'un événement soit rythmé, lui confèreun caractère prédictif.

(environ 24 heures), l'horloge de l'alter-nance veille/sommeil doit correspondreà celle de la température centrale. La tem-pérature corporelle varie dans la journéeet est un marqueur important du sommeil.Ainsi la température qui baisse en fin dejournée (frissons) est le signal d'un besoinde sommeil. Et elle augmente 1h 30 à 2havant le réveil spontané. Dans les rythmesinfradiens, supérieurs à 28 heures, le phé-nomène de la dépression saisonnière s'ins-crit dans une périodicité saisonnière(baisse de luminosité, organismes plusfragiles) : il n'y a aucune raison que les en-fants ne la subissent pas aussi. Enfin lesrythmes ultradiens, inférieurs à 20 heures,scandent de manière inconsciente les mou-vements respiratoires et cardiaques, ainsique la succession des cycles de sommeil.L'architecture de ces cycles varie dans lanuit. Au début la part du sommeil profond– celui qui permet la récupération phy-sique et produit l'hormone de croissancechez les enfants – est très importante. Enfin de nuit, les proportions s'inversent, lesommeil paradoxal – celui qui joue unrôle important dans la mémorisation àlong terme - voit progressivement sa du-rée augmenter. Le problème est que cetajustement se fait à rebours du moment del'éveil spontané qui, lui, ne varie pas. En

cas de coucher tardif, c'est la duréede sommeil profond qui est lésée.

Quelles sont les conséquencespour les enfants ? Un mauvais sommeil fatigue etsurtout empêche aussi une bonnecroissance du fait des couchers tar-difs (on parle d'ailleurs de « na-

nisme social » dans de mauvaises condi-tions de vie). De même les leçons

« Lesenseignantsdoivents'engagerdans cedébat. »

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TENIR COMPTE DESDONNÉES SCIENTIFIQUES

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En quoi consiste le projet éducatif localmis en place à Lyon ?C'est un projet important puisqu'il concerne200 écoles, 3400 enfants, 1300 classes et1500 agents territoriaux. A Lyon, le budgetde l'éducation est le premier de la ville. De-puis 1990 , Michel Noir a imposé la se-maine de quatre jours et déterminé lestemps sociaux sur l'agglomération. Le pro-jet éducatif local a été élaboré en 2002 au-tour de trois axes. Le premier est l'articula-tion des temps de l'enfant : temps scolaire,temps péri-scolaire, temps libre. Le seconden découle directement, c'est la co-éduca-tion qui implique tous ceux qui interviennentauprès des enfants : enseignants, parents,personnels municipaux, acteurs associatifsassociés autour d'un élément fédérateur : lesocle commun . Même si celui-ci ne faitpas l'unanimité, il fournit un cadre concretqui structure nos actions. Le troisième estla réussite scolaire et éducative car la luttecontre les inégalités sociales est une de nospriorités. La spécificité lyonnaise est d'inter-venir sur le temps scolaire en appui des ap-prentissages fondamentaux. Dans le do-maine artistique et culturel nous organisonsdes résidences d'artistes, nous accompa-gnons les classes transplantées, fournissonsdes agents de bibliothèque . Des actionstoujours menées dans le cadre de projetsd'école définis par les équipes.

Après 20 ans d'expérience, vous remettezen cause la semaine de quatre jours.Pourquoi ?Les travaux des chrono-biologistes, lesconclusions de différents rapports, les prisesde position de nombreuses organisationsvont toutes dans le même sens. Avec lamise en place des mesures Darcos de 2009,les enseignants sont unanimes à dénoncer

des journées troplongues , pénali-sant les enfantsen difficulté.C'est pourquoinous avons lancé un appel à projet en garan-tissant un accompagnement de la ville pourles écoles souhaitant s'engager sur quatrejours et demi. Seulement deux réponses po-sitives mais au final une seule, située dansun secteur plutôt défavorisé, a modifié sonorganisation depuis la rentrée. Des difficul-tés qui montrent le chemin qui reste à par-courir pour faire évoluer les mentalités desparents, des enseignants.

Comment la politique de la ville s'arti-cule-t-elle avec celle de l'Éducation natio-nale ?Je tiens déjà à préciser que cette question desrythmes ne peut pas être dissociée de celleplus vaste de la réussite de tous, même si lesrythmes constituent une entrée intéressantepour s'attaquer au problème des enfants endifficulté. En matière de cadrage national, jecrois que l'école primaire a besoin d'uneautre organisation et qu'il ne faut plus avoirpeur de développer le partenariat entre lesétablissements publics et les collectivitésterritoriales.

Au risque d'accentuer les inégalités ?C'est une réelle difficulté à contourner maisle débat national doit s'emparer de la ques-tion. En introduisant des standards nationauxà travers le Code de l'éducation par exemple.Il en va de la cohérence du système éducatif.

Propos recueillis parPhilippe Miquel

Directeur territorial, responsable duPôle Educatif Famille, en charge dela mise en œuvre du Projet Éducatif

Local à la Ville de Lyon.

BernardMeyran

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apprises le soir s'inscriront mieux dans lamémoire à long terme, le réveil spon-tané marquant la fin du sommeil para-doxal. Le souvenir des leçons apprises lematin n'aura pas une durée de vie de plusde 8 jours. Il faut aussi induire une régularité. Quandon décale des horaires, toutes les hor-loges ne s'adaptent pas au même rythme.Ainsi celle de l'alternance sommeil/éveilse modifie en 48 heures, mais celle de latempérature corporelle en 8 à 10 jours.Cette désynchronisation provoque de lafatigue, voire du mal-être : avec les pe-tites vacances, ce risque est important sion n'y prend pas garde.

Finalement est-il possible d'harmoni-ser les rythmes biologiques et rythmesscolaires ?Répondre uniquement en interrogeant laquestion de savoir s'il faut 4 jours ou 4jours et demi n'a pas de sens. C'est letemps de vie des enfants qui est en jeu.Imaginons donc des périodes régulièrespour les différents rythmes entre eux.Pourquoi continuer de penser en demi-journées de classe ? Biologiquement celan'a pas de sens. Une semaine de 5 joursréguliers qui se reproduisent au mêmerythme serait plus adapté. Avec un bonsommeil on pourrait allonger la matinée(8h 45 – 12h 45) avec deux coupures, etavoir une courte après-midi.

Quel rôle des enseignants dans le débatsur les rythmes ?Les enseignants doivent s'engager dansce débat. C'est la qualité de vie et de tra-vail qui est en jeu. Les pratiques aussipour mieux penser les alternances à fortset moindres contenus cognitifs, les al-ternances de travail individuel, en petitset grand groupes. Il faut aussi réfléchiraux temps de récréation pour en fairedes moments de récupération et non pasd'explosion, aux temps de midi, à la pos-sibilité de repos dans la journée pour lesgrands à l'élémentaire. Les enseignantsdoivent aussi pouvoir décrypter l'étatphysiologique de leurs élèves (certainscomportements agressifs sont liés à lafatigue) et leurs comportements : baille-ments, balancement de jambes (utilespour se concentrer)... Enfin il faut ap-prendre aux enfants à repérer leurs pro-pres besoins de repos et de sommeil (fris-sons comme signal pour aller se coucher,question de l'éveil spontané).

Propos recueillis parMichelle Frémont

UNE PROFESSIONÀ PART ENTIERE

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La question des rythmes scolairesrevient régulièrement au premier plan de l'actualité éducative. Est-ce-si primordial ?Il en va du bien-être et de la réussite desjeunes . Je parlerais plutôt de rythmes del'enfant car l'école n'est pas la seuleconcernée. La question n'est pas nouvelle: en 1962, le rapport Debré pointe la fa-tigue des écoliers français et les travauxmenés par les chronobiologistes datentdes années 1970, confortés par des élus lo-caux, des associations, des fédérations deparents d’élèves, des syndicats. Les po-litiques publiques nationales se sont déjàsaisies de la question il y a 25 ans en ins-tituant l'alternance 7 semaines de classe 2semaines de congé et l’aménagement desrythmes de vie de l’enfant. Elles n’ontpas vraiment perduré. Depuis, on ne peutpas dire que les choses aient beaucoupévolué, au contraire.

Pourquoi est-il difficile d'avancer sur lesujet?La première responsabilité est celle dupouvoir politique mais il n'est pas seul

en cause. La volonté des décideurs seheurte à la question de la faisabilité etaux intérêts particuliers. Il faudrait avan-cer vers un compromis acceptable partoutes les acteurs concernés, ce que lesquébécois appellent « un accommode-ment raisonnable ». Dans notre pays, letemps scolaire rythme le temps social ettout le monde doit être consulté : parents,enseignants, collectivités locales, asso-ciations, professionnels du tourisme et dutransport, entreprises. Chaque partie doits'inscrire dans une démarche positive etdire ce qu'elle est prête à faire. Ensuite, aupolitique de trancher.

Dans quelle direction doit-on travailler ?La question du respect du rythme de l'en-fant et du jeune doit demeurer centrale. Ilne faut pas tomber dans l'occupationnel,par exemple pour privilégier un objectif decréation d'emploi. Actuellement, beau-coup d’enfants sont sur-occupés et dés-orientés quand exceptionnellement ilsn'ont rien à faire Il faut leur apprendre àgérer leurs temps, y compris celui deplages de désœuvrement. Au plan local,

Enseignant retraité, responsable de la mission « Aménagementdes rythmes de vie de l'enfant et du jeune » au ministère de lajeunesse et des sports. Chargé de mission « éducation » à la

délégation interministérielle à la ville, ancien responsable dusecteur Education à la Ligue de l'enseignement.

Arnold Bac

l'ensemble des acteurs doit se mettre d'ac-cord sur la gestion des temps et espaces.Donnez-vous crédit à la consultationmise en place par le Ministère ?J'aimerais y croire car l'enjeu est impor-tant. Ce serait dommage que la montagneaccouche d'une souris et qu'on soit déçupar des mesures insignifiantes. Le dangerest de tomber dans la caricature ou dansune posture médiatique

La question des rythmes doit-elle êtrelaissée à l'initiative des collectivités ter-ritoriales ou doit-elle faire l'objet d'uncadrage national ?L'État doit déterminer un certain nombred'orientations précises centrées autour del'intérêt des enfants et des jeunes. On nepeut laisser chaque territoire faire et inven-ter à sa guise comme s'il n'avait pas besoinde repères. Je suis favorable à la mise enplace de projets éducatifs territoriaux et decontrats d'objectifs signés entre l'État et lesacteurs territoriaux sur la base de diagnos-tics et de stratégies d'évaluation partagés.

Enfants de 7 à 8 ans

Enfants de 9 à 11 ansEnfants de 12 à 14 ans

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UNE PROFESSIONÀ PART ENTIERE

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RYTH

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La France, avec ses 6 heures de classe par jour et ses 864 heures annuelles sur 142 jours est le pays de l’OCDE ou l’année scolaire est la plus courte, et la journée de classe la plus longue.

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Nombre annuel moyen d’heures d’instruction obligatoire dans les pays de l’OCDE

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a place de l'enfant a considérable-ment évolué ces dernières années,

dans la classe, dans la famille... de façonconcomitante à celle de la société. L'enfantest placé « au centre du système éducatif »et — dans une certaine mesure — cer-taines questions « délicates » peuvent êtreabordées avec eux sans tabou.En somme, l'enfant est plus appréhendécomme un individu en devenir qui participepleinement de la construction de la culturecommune que comme un être sans qualitéqu'il faudrait laisser grandir avant d'abor-der avec lui les choses « sérieuses ». Biensûr il s'agit de pouvoir lui offrir des sup-ports adaptés à sa capacité d'abstraction etsitués dans les limites de ses représenta-tions. Mais s'il est nécessaire de les proté-ger d'une certaine violence du monde, lesenfants étonnent souvent par leur capa-cité à envisager les questions bien au-delàde ce que les adultes auraient pu imaginer.Si on entend bien par culture l'ensembledes codes symboliques élaborés par leshommes pour donner du sens au monde, laproblématique de ces questions renvoiedonc aux moyens qu'on déploie, dansl'école et dans la société, pour permettre àl'enfant de s'approprier cette culture et del'appréhender dans sa complexité.

Yvanne Chenouf, autour de la question dela lecture, défend l'idée qu'il faut affronterla complexité du monde plutôt que d'es-sayer d'en morceler ses expressions. Danssa dénonciation des programmes de 2008elle revient sur ce qu'il considère commela mission émancipatrice de l'école : un lieud'interprétation du savoir, de création etd'invention et non pas de répétition, de ré-citation ou de mémorisation de fragmentsde ce savoir. La richesse de la littérature enl'occurrence, c'est que le lecteur construitl'ouvrage par son interprétation.Aborder dès le plus jeune âge avec les en-fants des questions qu'ils seront, de toutefaçon, amenés à rencontrer, est une manièrenon seulement de les faire entrer dans laculture héritée mais aussi de leur permet-tre de dessiner les contours de la culture dedemain en agissant en citoyens. Ainsi, enallant dans une école où se généralise l'in-tégration des enfants porteurs de handi-cap, ces futurs adultes se préparent à vivredans une société qui s'exempte de discrimi-nations qui demain paraîtront sans douteabsurdes. Mais l'accélération des logiquesde performance, autour des évaluationsnotamment, semble freiner une intégra-tion qui peine à s'ancrer faute d'allocationde moyens suffisants pour financer despersonnels formés.De même, la possibilité offerte aux en-fants de visionner un film comme Le Bai-ser de la Lune leur permet d'entrer dans desquestionnements sur l'amour, l'homosexua-lité, le respect de la différence et de créerde la distanciation par rapport à l'immédiatdu vécu et aux représentations convenues.Pourtant ce film a fait polémique au motifqu'il risquait d'institutionnaliser l'homo-sexualité. Alors que les récents rapports surles discriminations à l'école (racisme,sexisme, homophobies...) semblent dé-montrer qu'il y a urgence à prendre cesquestions à bras-le-corps, le ministère anettement tergiversé avant de laisser les en-seignants utiliser librement le film dans

ÉLÈVES, ENFANT ET SOCIETE

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Impossible deparler d’élève

sans parlerd’enfant.

Et de parlerd’enfant sans

parler de société

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se forger une pensée, pour conceptualiserles choses. Les enseignants ont un rôle essentiel : il ne s'agit pas uniquement de dispenser des savoirs mais également de forger des citoyens libres.

L’école peut-elle corriger les inégalitésgrandissantes dans la société ?Les recherches mettent bien en évidenceque les inégalités de réussite des élèvessont fortement liées aux inégalités sociales.Aujourd'hui notre école renforce plusqu'elle n'atténue ces inégalités et c'est unvrai problème. Mais en même temps l'écolen'est pas isolée du monde. Et ce qui sepasse dans la société a des répercussions.Ainsi la logique d'individualisation des ap-prentissages où chacun serait responsablede ses échecs et de ses réussites en fonctionde ses « mérites » ou des ses « talents » estune logique qui se retrouve dans toute la so-ciété. La politique actuelle qui fait sauterune à une toutes les protections et les soli-darités va à l'encontre de ce que pourraitêtre une école de la culture commune et quidonnerait à chacun les moyens de réussir. Heureusement des solutions existent, au-delà des réponses institutionnelles. On peutregarder du côtéa des mouvements pédago-giques et des valeurs de coopération, de so-lidarités qu'ils développent et qui vont fairereculer les inégalités.L'école a besoin d'un avenir, de permettrede se projeter. Or, les inégalités sociales au-jourd'hui ferment l'horizon.

Propos recueillis par Gérard Pla

Judith Fouillard

Les inégalités, les injustices sont au cœurdes mouvements d’aujourd’hui. En quoil’école est-elle traversée par cela ?En refusant le projet sur les retraites, lemouvement social actuel pose les ques-tions de qualité de vie et de justice : avoirde bonnes conditions de vie, de travail et deretraite, cela semble normal. La mobilisa-tion qui perdure et prend de l'ampleur, nousprouve que ces questions touchent l'en-semble de la société, y compris à un niveauintergénérationnel. D'ailleurs c'est la première fois que desjeunes s’approprient ces revendications.Et ce n'est pas parce qu'ils se projettentforcément dans un avenir éloigné ! Ils sontaussi percutés par les problèmes d'entréedans la vie active et de pérennité des em-plois, d'autant plus quand ils sont issus demilieux défavorisés ou de l'immigration. Au niveau des enseignants, c’est un para-doxe total de les faire travailler plus longue-ment alors que l’on retarde d’autant l’entréedes jeunes dans le monde du travail, avecune moyenne d'âge de 27/28 ans pour cequi concerne nos jeunes collègues. Par ail-leurs, la pénibilité du métier est bien réellemême si on a tendance à l'évoquer plutôtpour d'autres professions. Les enseignantsn'imaginent pas poursuivre ce métier dé-cemment au-delà de 60 ans. Qui peut seprojeter en face d'élèves de maternelle oud'élémentaire à l'âge de 62, 65, 67 ans ? Au-tre dilemme pour eux : l'école n'arrive pasà contrecarrer les inégalités sociales.

Des chercheurs, des intervenants del’université d’automne avancent despistes de réflexion, de travail. Quels sontleurs enseignements ?Les inégalités sociales sont aussi renforcéespar les discriminations dont peuvent êtrevictimes nos élèves : racisme, sexisme,homophobie, exclusions diverses... Le droità l'éducation, par exemple, est plus queremis en cause par les politiques publiquesen matière d'immigration ou à l'endroit desenfants roms pour être dans l'actualité. Leschercheurs font état d'une société quichange, et d'enfants en capacité de com-prendre ces changements. Mais à conditionqu'on leur donne les outils, les clefs, pour

Secrétaire générale adjointe du SNUipp

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leur classe. Mais que nous sommes loind'une démarche volontariste de lutte contrel'homophobie!Construire sa pensée, c'est l'enjeu existen-tiel majeur défendu par Sylvain Connac,qui fait le pari de développer les discus-sions à visée philosophique dès le plusjeune âge. En travaillant à partir d'une or-ganisation démocratique de la classe, enplaçant les enfants dans des postures res-ponsabilisantes, en favorisant des méca-nismes d'écoute et de réflexion, le cher-cheur parvient à aborder avec ses élèvesles questions qu'ils se posent sans tou-jours savoir où et à qui les poser. Sonconstat est que par la pratique philoso-phique les enfants se modifient au regardde leur propre considération : ils ont unevaleur qu'ils peuvent entretenir pour ne pasaccepter de faire ou dire ce pour quoi ilssemblaient être au préalable destinés.Mais rien ne serait envisageable sans ladémarche des chercheurs qui élaguent cesquestions pour en clarifier la lecture, nisans les praticiens de l'éducation, garantsd'un mandat anthropologique consistant àélever le petit d'homme à la culture. C'estle sens de ce dossier intitulé « Enfance etsociété », que d'envisager quelques problé-matiques contemporaines et surtoutquelques pistes de réflexion pour une miseen œuvre pratique dans les classes...

Vincent Martinez

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« FORGER DESCITOYENS LIBRES »

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Membre de l’Association française dela lecture créée par Jean Foucambertavec lequel elle a travaillé l’INRP. Elle

enseigne le Français à l’IUFM deLivry-Gargan-Créteil.

Elle dirige avec l’AFL des écriturescollectives (Aux petits enfants les

grands livres, Hauts les doc des col-lections (Lectures expertes,

Observatoire des écrits)Bibliographie:

Lire Claude Ponti encore et encore

Vous vous intéressez à des auteurs delittérature jeunesse qui, dans leurs pro-ductions, combinent diverses formesd’écriture, poétique, scientifique, do-cumentaire, avec d’autres formes d’ex-pression graphique que le texte. Qu’est-ce qui vous intéresse dans leur travail ?Certains ouvrages de littérature jeunessese situent entre le documentaire, le fiction-nel et l'artistique. Ces ouvrages qui com-binent plusieurs langages en même tempsposent aux enseignants une question depratique pédagogique tout en interpellantl’organisation générale de l’école. Cettedernière envisage l’enseignement de façontrop disciplinaire et cette séparation deschoses est moins évidente qu’il n’y paraît: le prof de bio va isoler dans l'album labiologie, le prof de français va isoler la lit-térature, le prof d'arts plastiques va es-sayer de montrer comment plastiquementles choses ont été faites alors que des ar-tistes se sont évertués à présenter la réalitédans sa complexité.

En quoi cela pose-t-il aux enseignantsune question de pratique pédagogique ?L’école morcelle et découpe tout en élé-ments simples en espérant que ce morcel-lement permettra à l’élève, plus tard, de re-constituer une complexité. Cette façond’aborder l’enseignement des savoirs estencore plus marquée dans les programmesde 2008 qu’elle ne l’était auparavant et laréforme de la formation fait égalementque l’on conduit les futurs enseignants àconsidérer que les savoirs s’abordent dis-tinctement, comme s’ils étaient neutres,traversés par aucune contradiction, sépa-rables des situations d’enseignement. Dèslors que la production littéraire pour lesenfants offre de la complexité, que peut-on en faire sinon aider les enfants en trainde résoudre des problèmes de sens ? Etcela devrait nous pousser à changer nosméthodes de travail.

Par rapport à cette démarche, com-ment analysez-vous les programmes de2008 ?Il y a dans ces programmes des mots quien disent long. On ne dit plus « reformu-ler » mais « répéter », ce qui signifiequ’on convoque d'autres opérations men-tales. Celui qui répète ne fait qu’appli-quer, alors que celui qui reformule crée,interprète, invente. On ne dit plus « pro-duire de l’écrit », on dit « rédiger » et cen’est pas du tout la même chose. La rédac-tion suppose qu’il ne reste qu’à rédiger untexte que l’on a déjà en tête alors que la

DES LANGAGES POUR TRANSFORMER

LE RÉEL

« Entrer dans lesœuvres pour se

former auquestionnement, au

goût, à l’invention et au

doute ». Tel était lethème de

la conférencepréparée par Yvanne

Chenouf pourl’Université

d’automne. Lesdifficultés de

déplacements duesau mouvement

social ne lui ont paspermis de participer

à la manifestation.Ce n’est que partie

remise.

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YvanneChenouf

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Des princes et princesses de MontreuilComment l’école peut-elle participer àun salon du livre ? Le travail réalisé parl’AFL avec des enseignants pour releverce défi sera au centre du second ouvragepublié par l’Observatoire de la lecturede l’AFL. Le précédent avait été consa-cré aux « premiers écrits ». Le secondvolet en cours de préparation s’appuiesur un travail réalisé avec trois centsenfants, de la moyenne section au CM2,sur le thème des princesses. En début d’année, des enseignantsimpliqués dans cette expérience ontdemandé à leurs élèves de se constituerun « capital » de livres parlant des prin-cesses. Ce capital a été constitué égale-ment à partir de lectures, de narrationsde contes.

ÉCLATER LA PRINCESSE

Tandis que les enfants travaillaient surleurs représentations de la princesse,une recherche sur l’origine des prin-cesses a été faite par deux historiens,soulignant notamment leur rôle dans lasociété médiévale qui était d’assurer ladescendance et l’hérédité des seigneurs,

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production d’écrit oblige à se confronterà des composantes diverses, à un magmad'émotions qu’on ne sait pas à priori com-ment organiser. La « récitation » est mé-canique, loin des instructions qui propo-saient de se « constituer une anthologiepersonnelle de poèmes » parmi un corpusproposé en classe. Réciter est simplementun acte mécanique. Les programmes 2008sont à mille lieues de ce que les mouve-ments pédagogiques et les équipes de re-cherche ont établi sur la manière dont seconstruisent les savoirs.

Quelles en sont les conséquences selonvous ?On va toujours vers la simplification alorsque l'école a toujours su qu'il y a des lan-gages complexes et que ces langages ten-dent à donner à comprendre une réalitécomplexe. Tous les langages sont com-plexes, la science, la peinture, la phy-sique, la littérature... Scolariser les en-fants afin qu’ils rencontrent ces langagesdans leurs éléments les plus simplifiéscela revient seulement à « alphabétiser »ceux des classes populaires, à leur donnerjuste des bribes du savoir. Cela conduit àreproduire les inégalités car la classe so-ciale la plus aisée, elle, utilise toute lacomplexité de ces langages.

L’Association française de la lecture ajusqu’ici centré son travail sur l’écrit.Qu’est-ce qui fait aujourd’hui que vousvous intéressez à d’autres formes d’ex-pression ?C'est peut-être parce que dans la diffi-culté qu’elle a à se faire entendre, l’AFLa élargi son point de vue. Réinsérer l’écritparmi les autres langages est aussi unefaçon d'en faire comprendre toute la puis-sance active comme outil de transforma-tion du réel, ce qui a toujours été sa dé-marche. L’AFL a fait sienne cette phrasede Brecht « on ne comprend que ce quel'on transforme » car elle porte cette idéeque pour transformer le réel, on a besoinde le comprendre, de lui trouver des cohé-rences et que les langages ont été crééspour ça. Restituer la lecture et l'écriture ausein des autres langages c’est affirmerque toute formation implique une actiondans le social et que cette pratique a besoind’être théorisée par l’usage simultané dedivers langages nécessaires à l’élaborationde concepts, d’outils d’analyse et de démarches intellectuelles en constanteévolution de par leur confrontation à laglobalité du réel.

Propos recueillis par Francis Barbe et Pierre Magnetto

de garder le « sang pur ». Puis, lesenfants ont été confrontés à l’affiche duprochain salon du livre de Montreuil (du1er au 6 décembre) qui montre un per-sonnage tout noir, une couronne sur latête, un masque sur les yeux, les che-veux ébouriffés, qui s’apprête à croquer,à moins que ce ne soit à embrasser, unepetite grenouille verte. « Les enfants ont très rapidement com-pris que ce personnage était un mélangede Fantômette, d’un voleur, d’on nesavait pas trop quoi exactement »,explique Yvanne Chenouf. « A traversla lecture de l’affiche, les enfants ontfait éclaté le modèle de la princesse enmille facettes, notamment sur le thèmedu baiser : le baiser de l’amour, celui dela trahison, celui du chantage : « si jet’embrasse c’est pour que tu sois princeet qu’à mon tour je devienne prin-cesse ». Travaillant via Internet, les classes ontconstitué une critique des livres de prin-cesses. Ils en auront lu « à fond » unedizaine avant d’arriver au Salon Deslivres et moi de Montreuil où leur pro-duction sera présentée.

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n film sur l'enseignement de laphilo à la maternelle Ce n'est

qu'un début sort en salles le 17 no-vembre. Phénomène de mode, commeles « cafés philo »? Sûrement pas, vule faible nombre de praticiens dans lesclasses. Désintéressement ? Manquede temps ? Méconnaissance ? Peur dela discipline ? Il n'y a vraisemblable-ment pas, comme en philosophie, deréponse définitive, mais ce qui est sûr,c'est que la formation en ce domainecomme en d'autres est peau de cha-grin. Reste que les programmes per-mettent la mise en oeuvre de cette pra-tique. Les piliers 6 et 7 du soclecommun sur l'autonomie et l'initiativepar exemple sont explicites : « prendrepart à un dialogue : prendre la paroledevant les autres, écouter autrui, for-muler et justifier un point de vue ».Zoom sur une discipline qui autorise lacuriosité et permet aux enfants deconstruire leur pensée propre.

Les enfants de CP-CM2 de l'école de laPaillade à Montpellier sont coutumiersde la discussion à visée philosophique(DVP). Installés en cercle dans la classe,ils explicitent les rôles. Yassine, CM2, est président de séance etprécise d'emblée les règles de communi-cation (on ne se moque pas, on ne coupepas la parole, on écoute ce que disent lesautres). Celui qui ne respectera pas lesrègles trois fois sera exclu. Le « refor-mulateur » rappelle les trois règles de lade la discussion : répondre à la questionposée, justifier ses arguments et ne pas ré-péter ce qui a déjà été dit. Il sera chargéensuite de souligner les idées déjà for-mulées afin qu'elles soient bien compriseset puissent être réutilisées collectivement.Ce jour-là le maître jour le rôle d'anima-teur et de synthétiseur. La DVP commence par un tour de tablequi fait émerger les premières représenta-tions : pour Karim « les gros mots c'est nul

et ça provoque des bagarres » et Nou-rhane d'ajouter « des fois on insulte sansle faire exprès ». Le synthétiseur précisequ'on n'a pas encore défini le terme « in-sulte ». Mouad et Sohayla notammentvont apporter des éléments : « une insulteça fait du mal au cœur de quelqu'un », « une insulte c'est quand on est méchant ».Le reformulateur intervient : « la défini-tion d'une insulte c'est un mot méchant,qui fait du mal au cœur, qui peut énerveret faire des histoires ».La séance se poursuit ainsi pendant uneheure. Le maître va aider les enfants àconstruire leur pensée en les aidant à po-ser les bonnes questions : « Il y a pleind'enfants qui disent que les insultes serventà rien. Pourtant on insulte. Qu'est-ce quinous pousse à insulter ? » Pour finir, lesynthétiseur reformule à la fois la défini-tion dégagée et les réponses aux ques-tions posées.

UQu’est-ce qu’une insulte ?

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Sous le titre 2 temps, 3 mouvements, la plasticienne Joëlle Gonthier a rythmé l’université d’automne

de ses installations. Ici Étiqueté.

Sous le titre 2 temps, 3 mouvements, la plasticienne Joëlle Gonthier a rythmé l’université d’automne

de ses installations. Ici Étiqueté. ©M

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Responsable de formations d’enseignants. Ses tra-vaux de recherche l’on amené à travailler les conceptsde coopération scolaire et d’apprentissage. Bibliographie :Apprendre avec les pédagogies coopératives –Démarches et outils pour l’école, ESF Editeur, 2009Débattre à partir des mythes, à l’école et ailleurs, avecM. TOZZI, Chronique Sociale, 2006

En quoi la pédagogie coopérative pré-sente-t-elle quelque chose de nouveauaujourd'hui ?Il y a quelque chose de nouveau par rap-port à la conjoncture actuelle de l'état dela société et à la notion de solidarité. Dèsle plus jeune âge, en permettant aux en-fants de travailler de manière coopérative,on leur propose de se préparer à d'autresformes d'engagement social que dans dessituations où l'on pense d'abord à soi... Ily a aussi une autre dimension autour dufonctionnement par compétences quidonne la possibilité, parce que le maîtretravaille par petits groupes debesoins, de travailler de manièrecoopérative. Ça ne veut pas dire« tous ensemble autour du mêmeprojet » mais permettre auxélèves qui sont déjà titulairesd'une compétence, de mettre auservice de leurs copains leur pro-pre maîtrise de cette compé-tence.

L'approche par compétences est aussimise en avant par les libéraux...Ce n'est pas parce que le projet par com-pétences est à la base libéral qu'on nepeut pas en faire quelque chose d'intéres-sant du point de vue démocratique dansles classes. L'approche coopérative estun dispositif qui complète l'approchecomplètement sauvage et libérale descompétences telles qu'on essaie de nousles faire gober. Ces situations responsabi-lisantes pour les enfants sont aussi deslieux d'éducation à l'humanité.

Quelle mise en œuvre concrète dans laclasse ?Il n'y a pas de recette type. Dans ma pra-tique, je m'appuie beaucoup sur la no-tion de démocratie. Avant de rentrer dansune discussion philosophique on a be-soin d'une assise démocratique assez fortepour que chacun – et pas seulement leplus à l'aise dans la parole ou le plus cha-rismatique – ait accès de manière équita-ble à la parole. Il y a un enfant qui a laresponsabilité de la présidence de séance,un autre qui reformule les propos quisont tenus, un autre qui synthétise, d'au-tres qui sont en position d'observation...

Cette organisation démocratique permetà chacun de participer aux échanges. Ils'agit d'apprendre la citoyenneté en la vi-vant et non pas simplement par de l'ins-truction civique.

Y-a-t-il des exigences propres à l'acti-vité philosophique ?Le but est que l'enfant puisse se construireune pensée personnelle. Pour entrer vrai-ment dans une pensée philosophique et nepas se limiter à une discussion à bâtonrompu, il y a des exigences propres quisont introduites par l'enseignant. Ce n'est

pas parce qu'on parle qu'on pense.Ce n'est pas parce qu'on se taitqu'on ne pense pas. Je m'appuieessentiellement sur les travaux deMichel Tozzi qui propose une ma-trice articulant 3 processus : l'ar-gumentation ; la conceptualisa-tion ; la problématisation. Enmaternelle, les enfants ont pleind'exemples pour établir une diffé-rence entre « copain » et « ami »

qui permettent de définir chaque concept.Bien-sûr ces activités ne sont pas natu-relles. Il s'agit de compétences à acquériret seul l'intermédiaire d'un adulte quiguide et soutient permet d'avoir recours àces exigences.

Les questionnements émanent des si-tuations de classes?Il y a un danger à partir de la vie de classecar on risque d'introduire une confusionsur la finalité de l'objectif. Par exemple,si on part des problèmes de violencesdans la cour de récréation pour « pacifier» les rapports, on ne philosophe pas, lesélèves n'apprennent pas précisément àpenser... Les sujets de vie de classe, pour-quoi pas, mais à condition qu'ils ne soientpas à trop forte teneur affective au risqued'en rester aux faits et d'empêcher de dé-passer les antagonismes entre individusdu groupe. La littérature de jeunesse foi-sonne de supports suscitant le débat d'in-terprétation et s'intéressant de manièreformelle à des concepts. Je pense à Ya-kouba de Thierry Dedieu notamment maisil y en a d'autres... Pour déclencher desdiscussions on peut aussi mettre une boîtedans l'école, dans la classe, et laisser les

enfants y déposer toutes les questionsqu'ils se posent, en leur expliquant qu'onne pourra pas forcément y répondre...mais qu'on s'y intéressera.

Etes-vous confronté à des questionsdifficiles, voire tabou ?J'ai rencontré des questions difficiles, no-tamment autour de la mort, d'un animal decompagnie ou d'un proche, des questionsautour de la sexualité et puis des questionsautour de la religion : quelle est la religionla plus vraie ? Dieu existe-t-il ? Ce sontdes questions que certains enfants ne peu-vent pas s'autoriser à poser à la maison.Un des objectifs sur la question de la re-ligion en philosophie avec des enfantsest de les amener par exemple à distinguer « croire » de « savoir » : ils ne repartentpas chez eux en disant « le maître il a ditque... » mais en disant « j'ai appris quej'avais le droit d'avoir ma religion, maispar contre personne chez les humainsn'a de preuve... » C'est la force de l'acti-vité philosophique de permettre de poserces questions difficiles.

Propos recueillis parVincent Martinez

« Ce n'est pasparce qu'onparle qu'onpense. Cen'est pasparce qu'on setait qu'on nepense pas.»

PHILOSOPHIE : UNE PRATIQUEDEMOCRATIQUE

Sylvain Connac

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lus personne ne conteste lanécessité de stabiliser le dis-

positif d'accompagnement des élèvesen situation de handicap. Or, pour lacommunauté éducative, cela passe parla professionnalisation des auxiliairesde vie scolaire (AVS). Aujourd'hui,leurs contrats restent précaires, dequelques mois à trois ans, renouvela-bles sous certaines conditions seule-ment. Il s'ensuit un gâchis humain et fi-nancier, une perte de compétences etdes ruptures dans l'accompagnementque personnels et parents d'enfants ensituation de handicap ne cessent dedénoncer. Alors que les premiers dé-parts d'AVS, en fin de contrat, s'an-nonçaient, le gouvernement a adoptédans l'urgence un dispositif de « re-prise » des personnels concernés, pardes associations ayant conclu uneconvention avec l'éducation nationale.C'est le cas de la Fédération Nationaledes Associations au Service des ÉlèvesPrésentant une Situation de Handicap(FNASEPH).

Amandine Arthaud vient d'enseigner pen-dant deux ans à titre provisoire dans uneclasse d'intégration scolaire à Saint-Etienne. Elle effectue seule sa premièrerentrée en CLIS et obtient la nominationd'une auxiliaire de vie scolaire au mois denovembre : « J'attendais ce soutien avecimpatience dans cette classe particulièreque je découvrais, mais les choses ontd'emblée été difficiles. La personne, en-voyée par l' ANPE dans le cadre d'uncontrat d'accès à l'emploi, avait acceptéla mission uniquement pour échapper auchômage. Pour elle, c'était une souffrancede revenir dans une école qui la renvoyaità son échec personnel. De ce fait, elleétait souvent dans l'incapacité d'aider ef-ficacement les enfants, même pour destâches très simples comme une dictée àl'adulte par exemple. J'ai fini par ressen-tir sa présence comme un poids qui affec-tait mes relations avec les enfants. Monexpérience montre qu'il faut recourir àdes personnels formés et motivés par cettemission particulière en milieu scolaire. »

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Accompagner le handicap,pas si simple

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Ancienne enseignante, présidente de la FNASEPH :

Fédération Nationale pourl’Accompagnement Scolaire desElèves Présentant un Handicap

Votre association est née en 1996,quelles évolutions avez-vous constatéen matière de scolarisation des élèves ensituation de handicap ? Le bilan est indéniablement positif.L'école scolarise de plus en plus d'enfantshandicapés et les mentalités ont considé-rablement évolué. Les parents d'enfantshandicapés estiment que la place de leurenfant se trouve à l'école. Du côté desenseignants, plus de refus d'embléecomme ça pouvait être le cas auparavant.La loi de 2005 a constitué un accélérateurdans cette évolution en fournissant desnouveaux outils et un cadre réglemen-taire à une scolarisation en milieu ordi-naire en priorité.

Ce constat est-il valable pour tous les ni-veaux d'enseignement ?Oui, même si au niveau primaire l'évolu-tion a été plus rapide en raison de la naturedes établissements et des pratiques exis-tantes. Au collège, puis au lycée, leschoses n'avaient pas été assez anticipéeset on a dû faire face à quelques rupturesliées au morcellement des emplois dutemps et à la multiplicité desintervenants. Paradoxalementaujourd'hui, le développementà l'école primaire d'un ensei-gnement privilégiant « lesperformances » constitue unfrein à l’accueil. On constatepar exemple un recul de la scolarisationdes enfants trisomiques en maternelle enraison de leurs « compétences » scolairesinsuffisantes, l’AVS étant requis systé-matiquement.

D'autres motifs d'inquiétude?Notre association demande que le minis-tère porte un regard qualitatif sur lesconditions de la scolarisation. Les 185000 enfants en situation de handicap ac-tuellement scolarisés constituent un indi-cateur intéressant mais il faut aller au delàde l'affichage. Dans quelles conditionssont scolarisés les élèves ? Est-ce que lesenseignants qui accueillent les élèves dis-posent des ressources et de la formation

nécessaires? Comment est traitée la ques-tion du transport, du péri-scolaire ?

Venons en à l'accompagnement, ce dossier vous tient à cœur.La FNASEPH est à l'origine de la concep-tualisation de la mission d’accompagne-ment. En 1996, dans une dizaine de dépar-tements, des associations de parents ontcréé les emplois destinés à aider la scola-risation de leur enfant en recrutant despersonnels sous différents types decontrats. Cette idée a été développée un anplus tard grâce à la loi sur les emploisjeunes. Le dispositif d'accompagnement

géré par les associations dans63 départements en 2002, achangé de nature en janvier2003 sous l'impulsion de LucFerry. En créant les auxiliairesde vie scolaire sous statutd'assistant d'éducation, il fait

passer les personnels sous la tutelle del'éducation nationale et porte à six ans ladurée du contrat. A cette époque, nousenregistrons positivement cette décisionmais en reconnaissant très vite que le dis-positif présente de nombreuses lacunes. Ils'agit d'un simple affichage qui associeun adulte à un enfant sans aucun projet nimoyen consacré à la formation ni au suivi.Les personnels se forment sur le tas faceà des élèves considérés comme des ter-rains d'expérience professionnelle. La vo-lonté de ne pas de créer d'emploi de fonc-tionnaire interdisant de prolonger lescontrats au delà de six ans, bloque lacontinuité des compétences. Dès 2009,des AVS compétents, investis dans leur

fonction sont contraints de quitter leurposte. C'est la raison qui a motivé notredemande de rebasculer ces personnelsdans le secteur associatif, tout en conser-vant le financement public des salaires.

Pourquoi cette reprise a-t-elle échoué ?L’enjeu était de trouver une solution tran-sitoire à la reconnaissance du métier. L'im-portant travail que nous avons mené pourle définir et donner les moyens de le pé-renniser n'a pas été repris par le gouverne-ment. La convention de 2009 n'a permisde reprendre qu’environ 70 AVS pour1440 départs. Celle de 2010, un peu plusavantageuse et souple dans ses condi-tions, concernant 698 départs supplémen-taires, porterait sur un maximum de 150personnes à ce jour. Pourtant des notifica-tions d'accompagnement ne sont pas ho-norées, d'autres réduites de moitié faute depersonnel suffisant.

Difficile dans ce contexte de terminersur une note positive.Oui car la question des moyens est cen-trale dans ce dossier. Ils sont nécessairespour accompagner les élèves par des per-sonnels AVS qualifiés, correctement payéset dotés d'un emploi pérenne mais aussipour former les enseignants. La loi de2005 avance des principes forts et fournitdes outils efficaces mais le sillon doit êtreapprofondi. L'élan qui est né autour de lascolarisation, l'évolution des consciencesne doivent pas être stoppés. Alors, nebaissons pas les bras !

Propos recueillis parPhilippe Miquel

« Privilégier lesperformancesconstitue un frein à l'accueil ».

INTEGRATION, ACCOMPAGNEMENT SCOLAIRE,POURSUIVRE L’ÉLAN !

Marie-ChristinePhilbert

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ébut février 2010, la presse s'en-flamme. A Rennes l'éducation na-

tionale projetterait de soutenir un filmdestiné aux CM1 et CM2, un film quiparlerait d'homosexualité ! ChristineBoutin et plusieurs associations commeLe Collectif pour l'Enfant montent aucréneau contre la promotion de l'homo-sexualité qui serait ainsi institutionna-lisée. Luc Chatel, ministre de l'éducationnationale qui vient de signer plusieurscirculaires de rentrée déclarant prioritairela lutte contre l'homophobie, s'empressepourtant de déclarer « qu'il est prématuréde parler de ces questions à l'école pri-maire... » avant d'être obligé de convenirque les enseignants qui voudront utiliserle film dans leur classe pourront le faire.Tout ça pour ça, serait-on tenté de dire! Sébastien Watel, le réalisateur du film,et la Ligue de l'enseignement, qui le sou-tient depuis le début, revendiquent lanécessité de lutter contre les discrimi-nations le plus tôt possible. Pour eux,le film promeut les valeurs du « vivreensemble », le respect de l'autre, « quiest même et différent ». Au contraire deleurs détracteurs, ils estiment, avec l'ex-périence du travail avec les jeunes pourSébastien Watel et avec l'expérience del'éducation populaire pour la Ligue, quede très jeunes enfants peuvent discuterde l'amour entre deux personnes demême sexe. Le film, par le biais du

D

Un film sur les amours où lagrand-mère pleure son prince et

le petit-fils affirme sonhomosexualité. C’est assez pour

avoir mis le feu aux poudresdans les institutions. Le Baiserde la Lune, film d’animation de

Sébastien Watel a été présenté àl’université d’automne.

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LE BAISER DE LA LUNEEN

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Sébastien Watel réalise des filmsd'animation qui lui permettent

d'aborder, à l'aide d'une approcheludique, les questions les plussensibles, comme la violence,

l’alcoolisme, la relation entre lessexes, le handicap ou encore la

frontière. Il a créé en 2004 la société

L’espace du mouton à plumesavec laquelle plus de cinquante

projets ont été menés à bien.A voir sur le site :

www.mouton-a-plumes.fr

Que raconte Le baiser de la lune ?Ce film raconte l’évolution du regardd’une grand-mère sur les relationsamoureuses. Elle est persuadée quel’on ne peut s’aimer que comme lesprinces et princesses, mais cette vi-sion étroite de l’amour est bouleversée parFélix, qui tombe amoureux de Léon, un pois-son-lune, comme par la lune, amoureuse dusoleil. En voyant ces couples s’aimer, le re-gard de la grand-mère-chatte change et s’ou-vre à celui des autres. Dans le film, la relationhomosexuelle n'est pas vécue comme un pro-blème, la problématique est le regard quel’on porte sur ces relations. Le baiser de la lune est écrit à la manièred’un conte et s’adresse aux enfants. Commeles contes, le cinéma d’animation peut abor-

SébastienWatel

der des problématiques fortes ou graves, demanière simple et poétique. A travers dessymboles, un univers onirique, les enfantsvont pouvoir s’interroger sur des questionsfortes tout en prenant de la distance grâce àdes personnages non humains à la foisproches et loin d’eux.

D'où est venue l'idée de réaliser ce courtmétrage ?Je suis avant tout réalisateur de films d'ani-mation, je travaille également depuis long-temps avec les enfants : je connais donc trèsbien le public de ce film. J'ai eu envie deparler de mon ressenti et de mon vécu surles relations amoureuses. L’intérêt pédago-gique et de lutte contre l’homophobie s’estrévélé ensuite : la plupart des films et deshistoires ne présentent qu'une seule visionde l'amour, très stéréotypée. Il m’a paru im-portant de raconter une histoire d'amour d'unemanière différente de celle des contes deprinces et de princesses. Si l’éducation desenfants est portée par leur famille ou l’école,les histoires y ont un rôle important.

Comment travaillez-vous avec les enfants ?Cela fait une dizaine d'années que je tra-vaille avec les enfants pour leur apprendreà réaliser des films d'animation et j’ai créé,il y a quatre ans, la société de productionL’espace du mouton à plumes pour pour-suivre cette activité. En plus de cette di-mension artistique, nous essayons de lesfaire réfléchir à des sujets qui les concernent(la relation garçon-fille, les différences,etc). Avec l’université de Rennes 2, nousavons réalisé deux films d'animation avec

des enfants mexicains et améri-cains, sur la frontière et la visionqu'ils ont les uns desautres*.

Et Le baiser de la lune ?Egalement produit par L’espace dumouton à plumes, ce film est entiè-rement réalisé par des professionnelsdu cinéma d’animation. Afin d’éva-luer la pertinence de l’exploitationpédagogique du film sur ces ques-

tions d’homophobie, nous avons constituéun petit comité de pilotage avec des conseillerspédagogiques, des enseignants et un inspec-teur d’Ille-et-Vilaine. Il est apparu que les questions d’homophobieétaient pertinentes à cet âge et que ce projets’inscrivait bien dans les attributions del’école, répondant d’ailleurs à des circulairesministérielles. La démarche a donc a été va-lidée par ce comité pédagogique sur le terrain,mais il n'y a pas eu de partenariat officiel auniveau de l'éducation nationale.

« La plupartdes films etdes histoiresne présententqu'une visionde l'amourtrèsstéréotypée »

conte, est un excellent moyen de susciterce débat. C'est exactement ce qu'ontpensé les enseignants qui ont assisté àla première lors de l'université d'au-tomne, certains regrettant même queLéon et Félix, les deux poissons amou-reux, ne soient pas des êtres humains. Susciter le débat, c'est finalement laconséquence positive que Sébastien Wa-tel veut retenir de la polémique. Les sou-tiens se sont révélés plus nombreux queles critiques, preuve que les mentalitéscontinuent d'évoluer. C'est cette évolutionde la société que l'école ne peut pas re-garder passer de loin qu'a rappelée leSNUipp dans un communiqué. Il a de-mandé au ministre de l'éducation de « faire confiance aux enseignants desécoles » et regretté « une attitude frileuseet passéiste », car tous les acteurs de lacommunauté éducative en sont convain-cus, « l'école peut contribuer à faire re-culer stéréotypes et discriminations ».

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Les premières critiques disaient « Ce n'estpas bien, ce n'est pas opportun de parlerde ces choses-là à l'école primaire ».Je ne suis pas un spécialiste du développe-ment de l'enfant mais j'ai une expérience pé-dagogique auprès des enfants. Or, les enfantsde cet âge sont déjà très mûrs, ils réfléchissentbeaucoup et ont déjà beaucoup de préjugés.De plus, ils ont accès à des informations surl’homosexualité qui sont en général incom-plètes ou fausses. Les enfants deCM1-CM2 parlent plus spontané-ment et disent ce qu'ils pensent,contrairement aux collégiens rai-sonnant plus en groupe, de façonplus consensuelle. En CM1 CM2,les enfants sont encore dans la ré-flexion sur les relations amou-reuses. Elles les questionnent sansêtre « trop dedans » lorsque les émotionspourront plus tard submerger leur réflexions.

Deuxième accusation, celle du « prosély-tisme homosexuel ».Mon intention première, et je m'y suis tenu,était de ne pas écrire une histoire trop ferméesur les relations amoureuses homosexuelles.Dans Le baiser de la lune, il y a trois histoiresd'amour : une hétérosexuelle entre la luneet le soleil, une autre homosexuelle entre Fé-lix et Léon et une dernière entre la grand-mère et son prince charmant. Je voulais mon-trer la diversité des histoires d'amour possiblespour donner une vision plus ouverte et moinsstéréotypée des relations amoureuses. Il nes'agit pas de militer pour l’homosexualité,cela n'a pas de sens. Il s’agit juste de montrerune réalité souvent masquée.

Comment avez-vous vécu l'emballementmédiatique ?Cela a commencé par des pétitions de per-sonnes réactionnaires. Je m'y attendais unpeu mais pas à ce point. Je savais bien qu'ily avait un tabou pour parler d’amour homo-sexuel à l'école primaire mais j'ai eu l'im-pression de revenir cinquante ans en arrière,

Le milieu associatif a pu, un temps, regretter que les organisations syndicales restent en retraitdes revendications issues des mouvements de lutte contre les discriminations. Ce temps estrévolu et, depuis plusieurs années, les syndicats ont intégré ces préoccupations dans leurstextes, leurs actions internes et leur communication... et y ont intégré la lutte contre l'homophobie.Mieux, depuis 2004, les principales organisations syndicales du monde enseignant, des parentsd'élèves, des étudiants et des lycéens se sont réunies en collectif pour intervenir et proposerdes pistes de réflexion. Malgré la succession de ministres, la fin de non-recevoir concernantl'importance d'aborder l'homophobie et l'homosexualité à l'école primaire est une constante.Combien a-t-il fallu de discussions pour qu'une simple affiche puisse être envoyée dans lescollèges ! Tous les acteurs le disent. Il est lamentable que chez les adolescents se soient installésstéréotypes et comportements violents et discriminatoires sans que l'institution se soit engagéeen amont. Or cet « impossible à dire » de l'institution a des conséquences graves sur la vie desadolescents, sur leurs comportements, sur la violence, sur leur conception du respect de l'autre. Il est possible d'agir dès l'école primaire, de travailler sur le langage et de ne jamais laisserpasser une insulte, quand on sait qu'elle meurtrit même celui à qui elle n'est pas adressée. Ilest possible de travailler sur les familles telles qu'elles sont, sur les relations amoureuses. Ilest possible de travailler en réponse aux questions des enfants, si elles s'expriment. Il estpossible de travailler sur les stéréotypes en général, sur toutes les discriminations. Il estpossible de travailler sur les comportements en cour de récréation. Il est possible de travaillerà partir d'albums jeunesse, avec la presse, sur des extraits de films. Il est possible de travaillerà partir des séances obligatoires d'éducation à la sexualité. Les programmes d'instructioncivique, le 6ème pilier du socle commun, les circulaires de rentrée permettent tout cela.

A l’école primairec’est possible !

« Il ne s’agit pasde militer pourl’homosexualité. Il s’agit juste demontrer uneréalité. »

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avec des visions du couple et de l'école trèsarchaïques. Dans un second temps j'ai eu lesoutien de beaucoup de personnes, d’insti-tutions et la plupart des médias étaient demon côté, ce qui montre que la société aquand même avancé. Il y a eu un vrai débatsur cette discrimination qui est le plus souventcachée. Tout le monde a dû se positionner,y compris le ministre de l’éducation : dansce sens, l’emballement médiatique est devenutrès positif pour le film comme pour le mes-sage qu’il exprime.

Quelle exploitation prévoyez-vous pourvotre film ?Le film suivra un circuit de cinéma classique,télévision, festival, salle, DVD au niveau na-tional et international. Parallèlement noustravaillons avec la Ligue de l’Enseignement-35 et au niveau national pour que le filmsoit diffusé dans les réseaux éducatifs (école,médiathèque, MJC…) Il sera également dif-fusé dans les réseaux LGBT. Le baiser dela lune est, à ma connaissance, le premierfilm pour enfant abordant l’homophobie.

Pensez-vous que les enseignants vont s'enemparer facilement ?Oui, le film d’animation est une bonne entréepour débattre, à la fois simple, riche et lu-dique. L’homophobie est un sujet délicat au-près des enfants mais le film a été écrit pourpouvoir aborder ce sujet simplement et demanière adaptée aux enfants. Le film pourraêtre étudié simplement comme une oeuvrecinématographique suscitant des questionset débats autour du cinéma. Mais les enfantset leur enseignants pourront aller plus loinen se questionnant sur les motivations de telou tel personnage. Le film permet d’aborderdes questions de fond à travers les person-nages avec l'avantage de ne pas poser leschoses de front. Les enfants vont pouvoirdonner leur avis sur la grand-mère, sur l'at-titude de Félix, sans forcément parler d'eux.Mais ces débats peuvent ensuite s’ouvrir surdes expressions et des réflexions propres àleur vécu. Ce qui est intéressant dans cetteapproche est qu’elle peut se faire par palierset permet de débattre à différents degrés sui-vant les questions des enfants. De plus, lesenseignants vont pouvoir s'appuyer sur le li-vret pédagogique réalisé par la Ligue de l'en-seignement qui leur servira de guide autantsur des questions cinématographiques quesur des questions liées à la discrimination.

Propos recueillis par Daniel Labaquère

Mouton à plumes : www.mouton-a-plumes.fr*www.frontiere.delautrecote.fr/

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Un précédent qui a fait du bruit Jean a deux mamans

Jean Delas est le directeur général des éditions L’école des loisirs. Il raconte lacampagne qu'a affrontée L’école des loisirs en 2005. Dans la collection Les petites familles, les titres ont vocation à apporter un éclairagesur des situations inhabituelles vécues par des enfants vivant chez leur grand-mère,ou adoptés, ou orphelins, ou ayant deux familles... C'est dans ce cadre qu'a été publiéle livre d'Ophélie Texier Jean a deux mamans sur une famille homoparentale. Il ne sepasse rien à la sortie du livre en 2003. Mais deux ans plus tard la pédiatre EdwigeAntier, dans Le Figaro Magazine, juge totalement inapproprié d'aborder ce sujet avecde jeunes enfants et demande le retrait du livre des bibliothèques. C'est le point de départ de manifestations d'associations comme Femina Europa ou laFondation de service politique qui crient au scandale et inondent de plusieurs milliersde mails L’école des loisirs mais aussi les ministères de l'éducation nationale et de lafamille. Ces actions vont se multiplier, allant de la proposition de boycott de la maisond'éditions à l'empêchement d'entrer dans des crèches ou des écoles pour certains col-laborateurs de L’école des loisirs ! Pour Jean Delas, cette violence et cette bêtise sontassociées à l'examen, au même moment, par le parlement européen, d'un projet de loisur la possibilité d'adoption par les couples de même sexe et ce n'est qu'au bout deplusieurs mois que la situation s'est enfin calmée. Malgré les soutiens (dont celui duSNUipp) cette expérience a été ressentie durement par l'équipe de L’école des loisirs.Pour autant la maison d'éditions reste fidèle à sa démarche de qualité et à sa volontéd'aborder tous les sujets, même s'ils dérangent !

Le conte est, par essence, unlieu d’affrontement avec les ta-bous de nos sociétés. La psy-chanalyse, de Freud à Jung,s’est interrogée sur ces « ar-chétypes » que sont les person-nages de contes. Bruno Bettel-heim, dans son fameux ouvrage Psychanalysedes contes de fées énumère les caractéris-tiques du genre : il doit mettre en scène unhéros, enfant ou adolescent, soumis à desépreuves qui constituent l’intrigue. De cetteintrigue naît une mise en danger du person-nage principal : « Pour qu’il y ait conte de fée, il faut qu’il yait menace — une menace dirigée contrel’existence physique du héros, ou contre sonexistence morale », souligne le psychanalysteen prenant l’exemple du Petit chaperon rougemenacé par le loup, du Petit poucet par l’ogreou de Peau-d’Âne soumise au problème del’inceste.On retrouve dans le film de Sébastien Watel,les ingrédients des contes : tout commencepar une séparation. Cendrillon perd sa mère,Blanche-neige son père, Félix, le héros duBaiser de la Lune, quitte sa grand-mère chattequi a elle-même perdu, au cours d’une tem-pête, ses maîtres qu’elle adorait. La séparation

de Félix avec sa grand-mère correspond àce que Bettelheim appelle la « nécessitéde devenir soi-même ».L’épreuve de l’humiliation, qui a pour vo-cation d’établir la distance avec le mondeidéalisé de l’enfance, est très atténuée dansLe baiser de la Lune, puisque le conte ignorele drame. Suit l’épreuve de la tentation, lafameuse pomme que la sorcière tend àBlanche-neige, renouvelant ainsi le mythefondateur judéo-chrétien. Mais à la diffé-rence des contes traditionnels ou de ceuxdes frères Grimm, Le baiser de la Lune di-verge ici, excluant l’un des deux moteursde l’action des héros : la peur de la mort.Reste la recherche de l’amour. Noussommes dans le monde contemporain oùl’amour n’est plus si difficile à réaliser,semble dire le film de Watel, pourvu quel’on respecte les différences. Là encore, larécompense traditionnelle du héros de conteest respectée.

J.M.

Les ingrédients du « conte de fées »

Page 79: Fenêtres sur Cours

ON NE NAÎT PASRACISTE,

ON LE DEVIENT

Les noirs courent vite etont la musique dans le

sang, les jaunes sontforts en maths et en

ping-pong, les blancssont bons en tout… Il y a

des évidences qui n’ensont pas et qui collent à

la couleur de la peau.Lilian Thuram avec safondation d’éducation

contre le racisme essayede les déconstruire parce

que les comportementsracistes et

discriminatoires ne sontpas inscrits dans lesgènes mais résultent

d’une constructionculturelle qui façonne les

individus.

a société souffre encore du racisme commele montre chaque année le rapport réalisé par

la Commission nationale consultative des droitsde l’homme. Dans sa dernière livraison, elle rappelleson « inquiétude face à la montée des manifesta-tions racistes et xénophobes en France ». La CNCDH estime que « seule une mobilisationforte de tous permettra de faire reculer le racismedans les esprits et dans les actes ». Une récenteétude de l’Insee montre également que l’accès àl’emploi reste plus difficile dès lors qu’on est un en-fant d’immigrés. Cette situation interpelle l’école,lieu d’éducation et d’enseignement, qui n’a pas demission clairement définie en matière d’éducationcontre le racisme mais une vocation identifiée dansle pilier 6 du socle commun, à éduquer contre lesdiscriminations, ainsi que dans les programmesconcernant l’instruction civique et morale qui se ré-férent aussi au respect d’autrui.Cet impératif éducatif n’est pas sans poser desquestions professionnelles aux enseignants. Enpremier lieu, l’école qui ne vit pas en dehors duchamp social peut être aussi un lieu de reproductiondes préjugés discriminatoires et racistes. D’où cetteidée que le vivre ensemble qui s’apprend et se tra-vaille mérite une réflexion permanente pour quel’école puisse jouer un rôle efficace en faveur del’éducation contre le racisme. Cette réflexion estd’autant plus indispensable que l’institution prendtrès peu en compte cette question et que les outilsdisponibles pour les enseignants en termes de for-mation, d’étayage et de ressources restent quasimentinexistants. Les ressources proposées par les mouvementsd’éducation populaire, par la Fondation LilianThuram qui vient d’éditer avec la MGEN et laCASDEN un double DVD sont donc primordiales.Souvent les enseignants sont en difficulté ou enquestionnement pour aborder la question du ra-cisme dans leur classe. La leçon de morale ou l’in-terdit peuvent apparaître comme bien dérisoiresface à des représentations et un imaginaire qu’il fautfaire émerger et construire à travers tout un travailtransversal sur le long terme avec les élèves.

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Président de la Fondation Lilian Thuram d'éducation contre le racisme

Ancien joueur de football professionnel champion du monde 1998 avec l'équipe de France

tions. Je leur demandais par exemple com-bien de races ils connaissaient. En géné-ral ils me répondaient qu’il y a la racenoire, la jaune, la rouge, la blanche. Je leurdemandais les qualités de chaque race etils me répondaient que les noirs courentvite, qu’ils chantent bien, qu’ils dansent

bien, que les jaunes sont bonsen mathématiques et au ping-pong. Pour les rouges, laclasse était toujours diviséeentre ceux qui pensaient qu’ilsexistaient et ceux qui pen-saient qu’ils n’existaient pas.Je me suis aperçu qu’il y avaitcette dualité dans la classeparce qu’il n’y avait plus defilms de cow-boys à la téléalors qu’à mon époque lesrouges existaient parce que latélé diffusait ces films. Quandje les questionnais sur les qua-lités des blancs ils répondaientqu’ils avaient toutes les quali-tés des autres. Y avait-il pourautant une notion raciste dans

leurs réponses ? Je ne le pense pas, c’estsimplement que les enfants réfléchissentavec leur imaginaire. Est-ce que j’ai déjàvu quelqu’un de blanc qui court vite ?Oui. Quelqu’un de blanc qui chante bien? Oui. Qui danse bien, qui soit bon enmathématiques. Oui. Leurs réponses rele-vaient de leur imaginaire et de la manièredont il a été construit par l’imaginairecollectif.

Pourquoi avez-vous choisi de vous enga-ger contre le racisme par le biais de l’édu-cation ?L’éducation me paraît essentielle parcequ’on ne naît pas raciste, on le devient, c’estnotre éducation qui conduit à avoir ce pré-jugé. Quand je jouais au foot en Italie, il yavait des spectateurs qui poussaient des crisde singe. Au point presse d’après match, ilarrivait qu’on me demande ce que j’en pen-

Vous avez créé en 2008, alors que vousétiez encore en activité en tant que foot-balleur professionnel à Barcelone, laFondation Lilian Thuram dédiée àl’éducation contre le racisme. Qu’estce qui vous a poussé à vouloir vous en-gager sur cette voie ? En fait c’est l’histoire d’unevie. Né aux Antilles je suis ar-rivé à l’âge de 9 ans à Bois-Colombes dans les Hauts-de-Seine où j’ai rapidementcompris que la couleur de mapeau pouvait parfois créer desproblèmes sans que je com-prenne le pourquoi. Al’époque, il y avait un dessinanimé qui passait à la télé danslequel un des personnages étaitune vache noire qui s’appelait« La Noiraude » et donc lesenfants m’appelaient « La Noi-raude ». Bien sûr cela m’at-tristait, ça m’interpellait un pe-tit peu surtout que lorsque jeposais la question à ma ma-man, elle ne savait pas me répondre. Elleme disait, « mais c’est comme ça, ne t’in-quiète pas ». Par la suite, nous avons dé-ménagé à Avon en Seine-et-Marne où j’aieu la chance de grandir avec des enfantsde toutes origines et où j’ai bien vécu.Vers l’adolescence, j’ai compris cepen-dant qu’il se créait parfois des différencesentre les personnes du fait de leurs ori-gines et qu’il y avait des idées préconçues.En grandissant, ces questionnements sontrestés très présents jusqu’au jour où j’aicompris que ces préjugés étaient ancrésdans notre propre culture, qu’on n’échap-pait pas à son histoire et que par mécon-naissance on pouvait porter des jugementsnégatifs. Plus tard, quand j’ai été joueur defoot en Italie ou en Espagne, on m’invitaitsouvent dans les écoles pour parler du ra-cisme. Ce que je faisais consistait à joueravec les enfants, à leur poser des ques-

sais. Et moi je disais que ces gens n’étaientpas nés comme ça, qu’ils l’étaient devenus.Et si on me demandait ce que ça me faisait,je faisais remarquer qu’a priori je ne suis pasun singe et que si des gens poussaient descris de singe, alors je devais plutôt avoirde la compassion pour eux parce que c’estleur éducation qui les avait amenés là. C’estpour cela que je pense qu’il faut aborder laquestion du racisme sur le plan éducatif enfaisant comprendre aux enfants pourquoion devient raciste. Je suis persuadé que sion leur explique les choses ça devient plusfacile de les faire changer d’attitude. Le racisme le plus dangereux, c’est le ra-cisme inconscient, c’est quand on ne faitpas exprès de dire certaines choses. Parexemple, mon fils de 13 ans discutait derniè-rement avec un de ses copains de classe surles mathématiques, et son copain lui dit : « c’est normal que tu ne comprennes pas lesmaths, tu es noir ». C’est un préjugé qui n’apas de sens, mais le gamin a été capable dele sortir et la seule réponse qu’on puisselui faire est d’expliquer, de faire passer lemessage tout simple que la couleur de lapeau ne détermine en rien les cerveaux despersonnes. La fondation a réalisé un sondagepour demander aux gens quelle est la premièrefois qu’ils ont entendu parler de personnes decouleur dans leur cursus scolaire. La première fois, c’est par le biais de l’esclavage.

" ChristopheColomb n’a pasdécouvertl’Amérique, il aatteintl’Amérique.Imagine quequelqu’un arrive àla maison, là, etqu’il disequ’il nousdécouvre! Nousétions déjà làavant qu’il arrive,non ! »

Lilian Thuram

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Dès lors que dans l’imaginaire collectif il ya ce point de départ, comment ne pas com-prendre que certaines personnes puissentpercevoir les noirs comme des gens infé-rieurs à elles ? Notre imaginaire se construitpetit à petit par l’histoire qu’on nous ra-conte.

Il vous arrive d’intervenir dans desécoles, comment cela se passe-t-il avecles élèves et avec les enseignants ? J’aime bien parler avec les enfants, cequi est important c’est de recueillir leur pa-role en discutant tranquillement avec eux.En plus, du fait que j’ai été joueur defoot, qu’on a gagné la coupe du mondeavec l’équipe de France, ils me recon-naissent et ils sont — je dirais malheu-reusement — beaucoup plus attentifs dèslors qu’ils ont en face d’eux quelqu’un deconnu, joueur de foot qui plus est. Pour letravail avec les enseignants, ça dépenddes classes. Selon l’âge, je préfère queles enfants ne soient pas préparés. C’estbeaucoup mieux pour recueillir leur pa-role. Quand ils sont un peu plus grands, ily a une réflexion qui est faite en amontavec les professeurs pour parler du vivreensemble, du racisme, du travail de l’ima-ginaire. Comme en général j’ai un boncontact avec les enfants, ça se passe bienet surtout, encore une fois, quand j’arrivedans la classe, ils sont déjà conquis. L’ob-jectif, c’est simplement que les enfantsréfléchissent par eux-mêmes.

La Fondation Lilian Thuram proposegratuitement aux enseignants avec laMGEN et la CASDEN un double DVDcontenant un programme éducatif,comment a-t-il été élaboré ?Nous avons beaucoup travaillé avec leconseil scientifique sur les contenus etsur les vidéos. Le premier DVD destiné àl’éducateur contient beaucoup de res-sources, des vidéos, des animations. Leprojet est de donner à l’enseignant desdocuments, des éléments d’analyse pourréaliser sa propre démarche, la conforterà partir de la base documentaire. Le se-cond DVD propose des séquences pourtravailler avec la classe mais en fonctionde ce que l’enseignant voudra faire, dutemps qu’il voudra y consacrer, de laforme avec laquelle il voudra aborder laquestion, de la discipline dans laquelle ilvoudra intervenir.

Votre fondation réunit un comité scien-tifique d’une quinzaine de chercheursquelle caution apporte-t-il à votre dé-marche ? Comment a-t-il été élaboré ?Si on parle d’éducation, il faut le faireavec des scientifiques. Avoir des scienti-fiques autour de soi, quelqu’un comme lepaléoanthropologue Yves Coppens parexemple, c’est très important dès lors qu’ils’agit de donner des informations quisoient les plus précises possible.

Comment combattre les idées reçues àl’école ?Par sa capacité à se décentrer, à penser dif-féremment. Les gens qui voyagent beau-coup le font de façon inconsciente. Ils fi-nissent par comprendre qu’il y a desfaçons de faire et de dire différentes et ilssont capables de voir les choses d’un au-tre point de vue. Un jour, ma fille de 8 ansrentre de l’école et je lis dans son cahierque Christophe Colomb a découvertl’Amérique en 1492. Je lui dis « ma ché-

rie, ce n’est pas possible que la maîtresseait dit ça, c’est faux, Christophe Colombn’a pas découvert l’Amérique, il a atteintl’Amérique. Imagine que quelqu’un arriveà la maison, là, et qu’il dise qu’il nous dé-couvre ! Nous étions déjà là avant qu’ilarrive, non ! ».Dans le DVD il y a une partie très impor-tante qui est consacrée à la connaissancede nous-mêmes, c’est-à-dire de l’espècehumaine. Discuter du racisme, c’est ap-prendre à se connaître, c’est comprendrecomment on fonctionne. Quand je de-mande aux enfants de quelle religion ilsont, en règle générale ils indiquent la re-ligion de leurs parents et c’est normal.Mais la question qui est posée est celle duconditionnement, on devient ce que l’onest parce que quelqu’un d’autre nous aappris à le faire. On peut avoir le même conditionnementsur les différences entre hommes etfemmes. J’ai un fils de 13 ans, il pense queles filles sont beaucoup moins fortes queles garçons, parce que c’est comme ça. Unjour, dans un jeu, une fille a gagné contreun des garçons, et tous les garçons se sontretournés vers le perdant en lui disant « tuas vu, c’est n’importe quoi, tu as perdu ».J’ai dit à mon fils, « pourquoi tu n’as pasfélicité la fille ? Elle a gagné, tu devraislui dire bravo » et il m’a répondu « bienoui, tu as raison papa ».

Comment abordez vous la question dela couleur de la peau avec les enfants ?C’est très difficile de sortir de cette ques-tion des couleurs parce qu’en réalité iln’y en a qu’une, c’est le marron plus oumoins pigmenté. Une fois, j’ai demandé àmon fils qui avait 5 ans s’il était le seul en-fant noir de sa classe et il me dit « maispapa, je ne suis pas noir, je suis marron ».Etonné, je lui demande de quelle couleursont les autres enfants de sa classe et il merépond : « ils sont pinks ». En fait il était

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DES ÉTOILES NOIRES POUR LES TROUSBLANCS DES MANUELS SCOLAIRES

« Imaginez un jeune Blanc qui, durant sa scolarité, n’aurait jamais entenduparler de scientifique blanc, ni de souverain, ni de révolutionnaire, ni dephilosophe, ni d’artiste, ni d’écrivain(e) de sa couleur ! Un univers où toutce qui est beau, profond, délicat, sensible, original, pur, bon, subtil et intel-ligent serait uniformément noir, et où Dieu, l’Etre suprême, serait aussi unnoir. Imaginez la tempête qui se soulèverait en lui. L’enfant se demande-rait si, une fois dans l’univers, un Blanc a fait quelque chose de bien.Jusqu’à ce qu’un jour, programme scolaire oblige, on lui délivre enfin uneinformation sur lui-même : « tes ancêtres étaient esclaves ». Cette seuleinformation, l’histoire présentée ainsi, ne pourrait que l’inférioriser. Quelmodèle pour son avenir, quel regard sur lui-même ».

Ce paragraphe est extrait de Mes étoiles noires, un livre publié auxEditions Philippe Rey par Lilian Thuram en début d’année. Près de 400 pages et 45courts portraits de personnalités à la peau noire qui, de Lucy, ancêtre de l’espècehumaine ayant vécu il y a plus de 3 millions d’années, découverte en Afrique parYves Coppens, à Barack Obama, actuel président des Etats-Unis d’Amérique, tentede boucher les trous blancs laissés par les manuels scolaires d’histoire à propos desnoirs. Dans ces quelques lignes venant en introduction du livre, le champion dumonde de football 1998 qui compta longtemps le plus grand nombre de sélections enéquipe de France dévoile l’architecture de sa démarche. L’éducation contre leracisme, comme toute éducation bien sûr, ça commence dès l’enfance, à l’école.Cette éducation s’appuie sur des enseignements étayés par des scientifiques : histo-riens, paléontologues, anthropologues, biologistes, généticiens, sociologues… Leurstravaux, le résultat de leurs recherches aident à déconstruire les préjugés, les a priori. « Le jour où il y aura aux murs des écoles et, dans les livres, des scientifiques, desinventeurs de toutes les couleurs, le jour où l’histoire des grandes civilisations afri-caines, asiatiques ou amérindiennes, telles celles du Mali, de l’Inde ou du Mexique,sera enseignée, les mentalités évolueron […] Seul le changement de nos imaginairespeut nous rapprocher et faire tomber nos barrières culturelles ».

dans une école de couleur rose. Quandles jeunes enfants sont entre eux ils ne sedécrivent pas par la couleur, en fait cesont les adultes qui le font, mais si onn’arrête pas de dire à un enfant qu’il estnoir alors ça finira par s’ancrer en lui. Unjour, j’entre dans un restaurant où j’ail’habitude d’aller et un monsieur vientme dire qu’un « homme de couleur » estpassé pour me voir. Je lui demande, «mais de quelle couleur était-il ? ». Je croisqu’il n’a toujours pas compris, mais maréaction c’était juste pour l’interpeller.Est-ce que blanc c’est une couleur ? Nousavons des façons de dire ou de faire quifont que, forcément, un homme de couleurest un noir. Mais d’où est-ce que ça vient? Tout simplement du fait que c’est lepoint de vue qui veut que l’homme de

couleur soit nécessairement celui qui n’estpas blanc. Et ça peut aller loin. Je suis alléen Haïti il n’y a pas longtemps. Il fautsavoir qu’en Haïti il y avait une classifi-cation de toutes les couleurs. Moi-mêmeje suis antillais. Aux Antilles, on a desnoms pour toutes les couleurs : il y a leschabins, les noir-solex, etc, moi je suis unpeu noir-solex. Face à cela, je pense qu’ilfaut simplement apporter de la compré-hension pour pouvoir changer les choses.

Vous venez d’évoquer votre voyage enHaïti, en fait vous avez récemment éténommé ambassadeur de l’Unicef et cevoyage constituait votre première am-bassade. A quoi sert un ambassadeur del’Unicef et quelle est votre conception decette mission ?

Ma missionconsiste à essayer de mettre en lumièrecertaines problématiques qui existent dansle monde. Bien évidemment l’Unicef estvenue me voir parce que, comme je l’ai dittout à l’heure, l’objectif est de faire pas-ser ce message à travers une personne quiest connue. Nous sommes allés en Haïtipour voir la situation de l’éducatif. Il fautessayer de tendre la main à ces gens car ilsont besoin de se relever pour repartir, sa-chant que là-bas seulement 50% des en-fants ont accès à l’école. Il est très diffi-cile pour moi de décrire la réalité de ce quise passe en Haïti parce que c’est telle-ment prenant et tellement fort. Vous tra-versez la ville et vous voyez que la majo-rité des gens vivent sous des abris, voussavez que 80% des femmes accouchentchez elles quand elles ont un abri ou alorsça se passe dehors. Mais j’ai rencontrédes personnes qui sont merveilleuses, quiont envie d’aller de l’avant. Si demain ilnous arrivait la même chose en France, ehbien je pense que nous aurions envie d’al-ler de l’avant et que nous aurions besoinde quelqu’un qui, a un moment donné,nous aiderait à aller encore plus vite et ànous relever.

L’actualité en France est marquée parl’expulsion des étrangers sans papierset notamment des Roms. Quelle est vo-tre réaction ?Je connais des gens qui sont très précaireset expulsables. Ma réaction est de leurapporter un soutien et de dénoncer cette si-tuation. C’est la première des choses àfaire car en fait, derrière ces pratiques, ily a l’idée de stigmatiser une populationpour faire croire que les difficultés de no-

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Nous autres, le DVD d’éducation contre le racisme proposé parla Fondation Lilian Thuram, la MGEN et la CASDEN, est dés-ormais disponible. Ce programme qui s’adresse aux enseignantsde CM1 et de CM2 a été enregistré sur un double DVD. L’un estdestiné aux enseignants et comprend notamment des fichespédagogiques et des documents ressources multimédias, l’autreest destiné aux élèves pour le travail en classe. Nous autres a étéconçu grâce à l’expertise d’un comité scientifique. Ce derniercomprend une quinzaine de personnes issues de diverses disci-plines comme Yves Coppens, paléoanthropologue, ElisabethCaillet, docteur en sciences de l’éducation, Ninian Hubert VanBluyenburgh, anthropologue et initiateur de l’exposition Tousparents, tous différents ou encore la professeure de psychiatriede l’enfant et de l’adolescent Marie-Rose Moro. Le programmeest distribué gratuitement aux enseignants qui en font lademande, les commandes étant effectuées en ligne sur le site dela MGEN ou de la CASDEN. « Depuis un peu plus d’une douzaine d’années, nous avonsune expérience de production de programmes utiles pour lacommunauté éducative, » explique Sif Ourhaba, directeur de lacommunication de la MGEN. La mutuelle a en effet déjà misen circulation des supports sur l’éducation à la santé, l’éduca-tion à la citoyenneté, la gestion de la violence à l’école ouencore la prévention de la maltraitance ou du surpoids chezl’enfant. Philippe Miclot, directeur délégué de la CASDEN et instituteuren disponibilité a été le premier contact de Lilian Thuram etest à l’origine de la rencontre entre les trois institutions parte-naires. « En tant qu’acteurs de l’éducation engagés sur desvaleurs et ayant réalisé depuis plusieurs années des choses endirection des enseignants, des supports pédagogiques aumoment du passage à l’euro par exemple, nous avons écoutéattentivement ce que Lilian Thuram avait à nous dire ». Lasuite on la connaît, c’est Nous autres. Le support sera édité à50 000 exemplaires.

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tre pays viennent de ces personnes-là

En 2006, lors d’un match France-Italieauquel vous participiez, vous avez invitédes personnes sans papiers hébergéesdans un gymnase à Cachan. Cette invi-tation avait suscité une vive polémique.Quel sens aviez-vous voulu donner àce geste ?Je dois dire que ce soir-là en rentrant chezmoi je n’étais pas très bien. En fait, à tousles matches, j’invitais des gens mais ça nese savait pas. Là, j’avais invité ces per-sonnes parce qu’un ami m’avait appelépour me parler de cette situation en me di-sant que ce serait bien de prendre desplaces pour elles, qu’elles allaient pouvoirvenir passer un peu de temps, oublier unmoment leur situation. J’avais donné monaccord et je voulais que les enfants vien-nent avec les parents parce que chacun denous doit faire des choses avec ses enfants

le plus souvent possible. Les gens viennentau match tranquillement — on gagne lematch d’ailleurs — et à la fin j’arrive aupoint presse. Tout à coup les journalistescommencent à me poser des questionssur les sans papiers et je me dis « maiscomment savent-ils ? » J’apprends alorsque certains politiques avaient dit deschoses. Je suis rentré chez moi en me de-mandant ce que j’avais pu faire encore. Etpuis, la nuit portant conseil, je me suis ré-veillé le matin en me demandant : est-ceque les gens ont le droit de venir au matchet de profiter d’une heure de plaisir ? Est-ce qu’on n’a pas le droit de s’amuser avecses enfants si on n’a pas de papiers ? Etdonc je me suis remis en accord avecmoi-même et j’ai compris que c’était euxqui avaient des problèmes et qu’effective-ment les gens ont le droit d’aller à unmatch, qu’ils aient des papiers ou qu’ils

n’en aient pas.

En 1998 quand vous avez gagné lacoupe du monde avec l’équipe deFrance, on a vanté les mérites d’uneFrance Black-blanc-beur. En 2010 enAfrique du Sud on a parlé d’une équipede France reflétant une société en proieaux communautarismes. Ces parallèlesvous semblent-il pertinents et que di-sent-ils de l’évolution du racisme enFrance ?Quand j’avais vu ce concept black-blanc-beur je n’étais pas très d’accord. Je pensecependant qu’il y a un avant et un aprèscoupe du monde 1998 parce que ça adonné une nouvelle image de l’équipe deFrance et que certaines personnes se sontsenties plus facilement acceptées en tantque Français. Après, qu’on dise en 2010que l’équipe de France sort des banlieues,cela relève de la communication, de larécupération. Au contraire, je suis per-suadé que le vivre ensemble progresse enFrance. Pour moi c’est une évidence. J’aijoué au foot en Italie et en Espagne et çan’a rien à voir. La situation est meilleureen France, mais souvent on ne parle quedes choses négatives. Il est très intéressantde se poser la question de ce qu’a donné,en France le débat sur l’identité natio-nale. C’était fait pour stigmatiser une po-pulation, mais ça n’a pas réussi par cequ’il n’y a pas eu vraiment d’emprise.Pourquoi ? Parce que la société française

NOUS AUTRES, UNE HISTOIRE DE PARTENAIRES

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« On ne devient humain quepar la présencedes autres »

En quoi peut-on dire que les scientifiquesont contribué à une culture raciste ?La peur de l’autre et de la différence estquelque chose d’ordinaire qu’on peut ali-menter par certains types de discours. Cesdiscours peuvent être purement idéolo-giques, mais ils peuvent aussi revêtir un ha-bit plus scientifique. C’est précisément cequi s’est passé au XIXème siècle puisqu’ona cherché à démontrer scientifiquementqu’il existe des différences fondamentalesentre ce qu’on continue d’appeler des raceshumaines.

A contrario, quel apport peut avoir lascience aujourd’hui pour déconstruireles idées de racisme ?Elle peut dire très clairement que les argu-ments sur lesquels on s’appuyait au XIXème

ne tiennent pas. Par exemple, le concept dela transmission héréditaire des caractèresacquis selon lequel les habitudes ou la ma-nière de vivre étaient déterminées par le pa-trimoine génétique était très répandu. Evi-demment, à cette époque tous lesmécanismes de la génétique étaient mé-connus. Aujourd’hui nos connaissancessur l’hérédité génétique sont plus préciseset certaines idées de l’époque paraissentcomplètement absurdes, du moins aux yeuxde ceux qui maîtrisent ces savoirs. Toutl’enjeu consiste à faire passer ces connais-sances au niveau du grand public.

Ces points de vue hérités du XIXème sontcependant encore assez répandus. Com-ment expliquer la méconnaissance qu’ena une partie de la population ? Noussommes confrontés à un problème de trans-fert des savoirs qui mérite une réflexion trèsapprofondie sur les concepts fondamen-taux à transmettre lors de la scolarisationobligatoire car après cette période de lavie des individus, la société n’est plus ca-pable d’attraper tout le monde. Chacundoit pouvoir construire une conception del’être humain, de la diversité humaine et dece qui fait son unité, en accord avec celleconstruite par l’ensemble du monde scien-tifique. Il s’agit d’une conception humanisteselon laquelle la vie en société des hu-

m a i n sn ’ e s tpas dé-t e r m i -née def a ç o nb i o l o -g i q u em a i spar lesê t r e shumains eux-mêmes. L’enjeu est de donnerà tout un chacun la boîte à outils concep-tuelle nécessaire pour comprendre ce quiconstitue la spécificité et la diversité del’humain.

Où se situent les différences entre lesgroupes d’individus et à quoi sont-ellesdues ?Il y a des différences de type physiquecomme la couleur de la peau, l’aspect du vi-sage, la stature, la corpulence, la couleurdes cheveux ou des yeux… qui sont d’ori-gine biologique. Les populations se sontadaptées à leur environnement au coursde leur histoire. La couleur de la peau, parexemple, est le fruit d’une adaptation trèsimportante à l’ensoleillement ou plutôt à laquantité d’ultraviolets présents dans lesrayonnements du soleil. On sait depuis aumoins un siècle que le pigment noir protègecontre ces rayonnements et qu’il témoigned’une adaptation. Les caractères culturelssont eux transmis par l’apprentissage, parl’imitation, par l’éducation consciente, parla pression sociale. C’est le cas de la langue,du langage non verbal, des règles de com-portement en société, des organisations fa-miliales, des organisations économiquesou politiques. Ils ne prennent évidemmentpas leurs racines dans des déterminismes detype biologique. Mais cette idée demeurelargement incomprise.

L’éducation est donc pour vous un outilfondamental pour lutter contre le ra-cisme ?Oui. Car pour lutter contre le racisme il nesuffit pas de dire aux gens « aimez-vous lesuns les autres ». Il n’y a d’ailleurs pas de

Ninian Hubert Van Blyenburgh

raison que les individus aiment tout lemonde. En revanche, on peut les amenerà comprendre d’où viennent les diffé-rences et qu’il n’y a pas de lien entre labiologie et la culture que l’on porte. Cetteidée n’est pas facilement acceptée car elleva à l’encontre de nos intuitions premièresselon lesquelles si un individu est commeci ou comme ça, c’est parce qu’il en ahérité de ses parents, que c’est dans la fa-mille, la race, l’ethnie ou les racines. C’est

comme ça que se sont construits les stéréo-types qui veulent que les noirs soient trèssportifs ou aient la musique dans le sang,que les asiatiques soient très studieux et queles européens, curieusement, seraient capa-bles de faire tout ça en même temps etbeaucoup mieux que les autres...

Comment construire un enseignementen faveur de l’éducation contre le racisme ?L’idéal serait de pouvoir mener une ré-flexion approfondie sur une didactique del’anthropologie et de l’enseignement del’humain. Une approche qui permettraitd’identifier un certain nombre de conceptsqu’il est indispensable de transmettre àtous de manière à ce que chacun ait uneimage en accord avec la connaissance quenous avons de l’humain. Il s’agit d’unedémarche qui correspond au « connais toitoi même » de Socrate consistant à com-prendre comment on fonctionne, d’où vien-nent les idées auxquelles on croit, pourquoion adopte un certain type de posture dansl’existence. Or, on a beaucoup de mal à per-cevoir que ce que nous sommes ce sont lesautres qui l’ont construit en nous. « On nenaît pas humain, on le devient » disaitConfucius, on ne le devient que par la pré-sence des autres alors que nous pensons in-tuitivement que notre humanité est inscriteen nous. On touche là à des considérationsphilosophiques fondamentales. Il est pour-tant essentiel de comprendre que tout êtrehumain est une construction, qu’il ne peutexister et être ce qu’il est en-dehors des au-tres humains.

Propos recueillis parPierre Magnetto

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Anthropologue et didacticien,chargé de la diversité à la ville deGenève et enseignant àl’Université de cette même ville.

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a dépassé ce problème. Ce n’est pas un hasard si, après cet épi-sode, nous sommes allés sur les Roms.C’était encore l’idée de diviser pour ré-gner. Nous sommes dans une dynamiquequi avance de génération en génération.On ne verra peut-être pas la fin de ce quel’on met en place pour éduquer les gens auvivre ensemble et chaque génération auraà lutter contre les injustices parce que desinjustices il y en aura toujours. Je suistoutefois persuadé que, petit à petit, lesgens vivront mieux ensemble. En fait çafait très longtemps que les gens viventensemble, mais comme on stigmatise tou-jours les côtés négatifs, qu’on montre cer-taines personnes du doigt, il y a des em-prises qui se créent culturellement dansnotre inconscient. Nous sommes incons-ciemment imprégnés d’une certaine his-toire.

Le football est marqué par des imagestrès négatives, la violence des groupesde supporters, les injures raciales, xéno-phobes ou homophobes dans les stades.Ces comportements, qui sont à l’op-posé des valeurs que vous défendez,vous semblent-ils inhérents à ce sport ?Le foot fait partie de la société et il la re-

Le SNUipp a conçu une brochure qui propose des éléments de réflexion, des res-sources pédagogiques et des témoignages déclinant ce qu'il est possible de faireen classe, pour lutter contre toutes les formes de discriminations et faire avancerle « vivre ensemble ». En effet, les discriminations, de toutes natures, qui peuventêtre perçues ou subies par les enfants sont autant d'atteintes portées à leurs droits.L'école qui n’est pas en dehors du champ social, peut produire ou reproduire cesphénomènes. L'institution commence à en prendre conscience, mais elle laisseencore trop souvent les personnels démunis face à ces questions difficiles.Pourtant, les traiter est pour chaque enseignant un impératif éducatif et aussi, unevraie problématique professionnelle. Cette publication, sans prétendre à l'exhaus-tivité, se veut une réponse à des préoccupations d’actualité, à l’heure où un rap-port ministériel pointe une persistance préoccupante des phénomènes de discrimi-nations à l’école. « Vivre ensemble » est disponible sur le site Internet du SNUipp(snuipp.fr).

POUR APPRENDRE À VIVREENSEMBLE À L'ÉCOLEPOUR APPRENDRE À VIVREENSEMBLE À L'ÉCOLE

flète. Ce qui fait la différence c’est la pré-sence de nombreux journalistes et télés.Tout ce qu’il s’y passe est grossi. Il y a despropos racistes, mais je pense que ça vientd’une minorité. Dans la société, la grandemajorité des gens veulent vivre ensemble,ça me paraît une évidence. Mais si onvous répète à longueur de journée que lesdifficultés surviennent de la faute de cer-tains, vous finissez par croire que c’estvrai. Pour moi, en règle générale, ce sontles Etats qui mettent en place des sys-tèmes racistes, ce ne sont pas les individus.Par exemple au XVIIIe les Etats ne consi-

déraient pas les noirs comme les blancs,sachant qu’il y avait l’esclavage. Les loisde ségrégation aux Etats-Unis, l’apartheiden Afrique du Sud, les lois de Nurem-berg en Allemagne, ce sont bien des Etatsqui les ont prises. Il y a certes des indivi-dus qui mettent en place ces Etats maisc’est la communication qui va avec qui at-tise les haines. Si on vous répète 10 000fois la même chose, vous finissez par lecroire et quand c’est une loi qui le dit,c’est encore pire.

Propos recueillis parPierre Magnetto

Suite interview Lilian Thuram p 92

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Vous avez lancé il y a une dizaine d’an-nées Jouons la carte de la fraternité*,comment cela fonctionne-t-il ? Il s’agissait à l’époque d’imaginer un ou-tillage destiné aux écoles et aux struc-tures de loisirs, qui s’inscrive dansle cadre des semaines d’éduca-tion contre le racisme. Nous avonsimaginé de travailler avec desphotographes qui mettent desimages à disposition, nous enavons huit cette année. Ce sontdes images qui suggèrent que lasociété est organisée avec descomposantes différentes, en fonction desorigines, des gens, des cultures, des habi-tats... A partir de ces images, les enfantssont amenés à s’exprimer puis à réaliser untravail d’écriture sur ce qu’elles leur sug-gèrent en termes de représentation,d’image de l’autre, de rapport avec la dif-férence et de souci de vivre ensemblequelles que soient ces différences. Puis ilsécrivent un texte au dos des photos, choi-sissent dans l’annuaire de leur départementdes adresses de manière aléatoire et adres-sent ces cartes postales aux personnes sé-lectionnées.

Quelle est la réaction des destinatairesde ces cartes ?La plupart du temps les gens répondent et

envoient des messages extrêmement po-sitifs. De temps en temps malheureuse-ment dans une société qui est aussi travail-lée par des accès de rejet de l’autre, deracisme, de discriminations, certains se

laissent aller à dévoiler leur pen-chant raciste. Mais c’est très rare,les enfants reçoivent le plus sou-vent des messages de générosité,d’encouragement. Les gens leursuggèrent de continuer avec despropos qui disent en gros « vousn’avez pas encore été traverséspar nos mauvais penchants, soyez

attentifs aux autres, respectueux des dif-férences et trouvez le moyen de vivre en-semble ».

L’opération a évolué et n’est plus seu-lement dédiée au racisme mais plus à lafraternité en général. Pourquoi cetteévolution ?Nous avons fait le constat, comme d’au-tres acteurs dans la société dans le mondede l’éducation et de l’action culturelle,que la seule dénonciation morale ne suf-fisait pas pour faire reculer les préjugés etle racisme. Il fallait donc plutôt valoriserdes messages positifs et mettre en valeurle fait qu’une société qui fonctionne sur leregistre de l’égalité est une société plus co-hérente, où l’on vit mieux, où les affron-

Eric Favey

Depuis 10 ans, la Ligue del’enseignement organisel’opération La carte de la

fraternité. Initiée dans le cadrede l’éduction contre le racisme

l’initiative s’est ouverte àtoutes les formes de

discrimination. Explicationsavec Eric Favey, secrétaire

général adjoint de la Ligue del’enseignement.

tements sont moins fréquents. La questionde l’égalité ne se pose pas simplementpar rapport aux origines, aux cultures ouaux ethnies, elle se pose aussi par ce quifait nos différences dans des sociétés quimettent en valeur très rapidement les dif-férences de genre, de couleur, d’origine, deculture. C’est donc sur le registre des dis-criminations que nous nous inscrivonsaujourd’hui. Il s’agit, en insistant sur le ca-ractère positif de l’égalité, de déjouer lepiège des discriminations et d’apprendreaux enfants à se méfier des préjugés en gé-néral.

Propos recueillis parFabienne Berthet

*Pour retrouver l’opération Jouons la carte dela fraternité : http://www.laligue.org/jouons-la-carte-de-la-fraternite/#

« Apprendreaux enfants àse méfier despréjugés »

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Secrétaire général adjoint de laLigue de l'enseignement délégué à la culture et à l'éducation

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Les discriminations en milieu scolaire ne reculent pas et, souscertains aspects, se banalisent. C'est une des conclusions durapport Discriminations à l’école coordonné par la DGESCOet remis à Luc Chatel en septembre dernier. Qu'elles soientliées au handicap, au genre, à l'orientation sexuelle ou à l'ori-gine, ces différentes formes de discriminations sont caractéri-sées et analysées dans leur présence et leurs conséquences enmilieu scolaire. Le constat est préoccupant et pointe l’impor-tance de la lutte contre les préjugés, les stéréotypes et le dan-ger des replis communautaires. Plus de trente propositions desrapporteurs viennent conclure ce rapport. Quel que soit le typede discrimination envisagé, la question de la formation, enparticulier pour les nouveaux enseignants, semble première.Ils préconisent aussi de mieux identifier les formes que peu-vent prendre les discriminations, en chargeant la DEPP deconduire des études et d’introduire des approches systéma-tiques sur ces questions. La création de ressources pédago-giques et une meilleure exploitation de celles existant déjàsont aussi suggérées. Enfin, une diversification de l’orienta-tion scolaire et professionnelle et l'organisation de temps fortstout au long de l’année scolaire sont encouragés.

L'intégralité du rapport est consultable sur le site du ministère.http://www.education.gouv.fr/cid53260/discriminations-a-l-ecole.html

LES DISCRIMINATIONS NERECULENT PAS À L’ÉCOLELES DISCRIMINATIONS NERECULENT PAS À L’ÉCOLE Chaque année, autour du 21 mars, est organisée la semaine d'édu-

cation contre le racisme. 26 organisations, associations, syndicatsd'enseignants, mouvements d'éducation populaire, proposent auxpersonnels d'éducation un matériel pédagogique à destination desenfants et des jeunes. Affiches, journaux, guides et plaquettes d'in-formation permettent de nombreuses activités de sensibilisation etde réflexion. On peut se procurer ce matériel auprès des organisa-tions membres du collectif.Voir aussi: www.semainescontreleracisme.org

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UNE SEMAINE CONTRE LE RACISMEUNE SEMAINE CONTRE LE RACISME

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Le Crédit Mutuel Enseignant est une banque coopérative. Ce que ça change ? C’est une banque qui appartient à ses clients-sociétaires, tous issus de l’Education nationale, de la Recherche, de la Culture, et de la Jeunesse et des Sports : ceux-ci peuvent participer au fonctionnement de leur CME en votant aux Assemblées générales. Ils élisent leurs représentants au Conseil d’administration suivant le principe : “une personne, une voix”. C’est donc à ses clients que le Crédit Mutuel Enseignant rend des comptes, et non à des actionnaires.

UNE BANQUE CRÉÉE PAR SES COLLÈGUES, ÇA CHANGE TOUT.

MA BANQUE EST DIFFÉRENTE, CEUX QUI LA GÈRENT SONT COMME MOI.

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