Henk Meert,Lars Benjaminsen, Pedro Cabrera, Iskra Dandolova, Elena Fernández, Maša Filipović, Ilja Hradecky,Inger Koch-Nielsen, Roland Maas, María José Rubio et Dalila Zidi
novembre 2005
L’ensemble “face au sans-abrisme en Europe” est le résultat dutravail des trois groupes thématiques de recherche de l’Observatoireeuropéen sur le sans-abrisme de la FEANTSA qui ont été créés afinde couvrir les thèmes suivants:
■ L’évolution du rôle de l’Etat■ L’évolution du profil des sans-abri■ L’évolution du rôle des services
L’évolution du profil des sans-abri: Une dépendance persistante àl’égard des services d’urgence en Europe se base sur sept articlesproduits par les correspondants nationaux de l’Observatoire euro-péen sur le sans-abrisme. Les articles peuvent être téléchargés dansleur intégralité à partir du site Internet de la FEANTSA www.feantsa.org.
La FEANTSA est soutenue financièrement par la Commissioneuropéenne. Les points de vue exprimés dans cette publication sontceux des auteurs et la Commission n’est pas responsable del’utilisation de ces informations.
ISBN: 907552952X
Fédération Européenne d'Associations Nationales Travaillant avec les Sans-Abri AISBL
European Federation of National Associations Working with the Homeless AISBL
194, Chaussée de Louvain ■ 1210 Brussels ■ Belgium ■ Tel.: + 32 2 538 66 69 ■ Fax: +32 2 539 41 74 ■ [email protected] ■ www.feantsa.org
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2005L’évolution des profils des sans-abri:Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
FR_2005WG2_Profile 28/04/06 13:47 Page 1
Henk Meert,Lars Benjaminsen, Pedro Cabrera, Iskra Dandolova, Elena Fernández, Maša Filipović, Ilja Hradecky,Inger Koch-Nielsen, Roland Maas, María José Rubio et Dalila Zidi
novembre 2005
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■ L’évolution du rôle de l’Etat■ L’évolution du profil des sans-abri■ L’évolution du rôle des services
L’évolution du profil des sans-abri: Une dépendance persistante àl’égard des services d’urgence en Europe se base sur sept articlesproduits par les correspondants nationaux de l’Observatoire euro-péen sur le sans-abrisme. Les articles peuvent être téléchargés dansleur intégralité à partir du site Internet de la FEANTSA www.feantsa.org.
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O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
Par
Henk Meert,Lars Benjaminsen, Pedro Cabrera, Iskra Dandolova, Elena Fernández, Maša Filipović, Ilja Hradecky, Inger Koch-Nielsen, Roland Maas, María José Rubio et Dalila Zidi
novembre 2005
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L’évolution des profils des sans-abri:Une dépendance persistante à l’égard des servicesd’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
2
Ta b l e d e s m a t i è r e s
1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1 Deux questions clés pour la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2 Définition des utilisateurs des services d’urgence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
2. Méthodologie de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2.1 Le kaléidoscope des services d’urgence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2.2 La nécessaire collecte des données primaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.3 Traitement des données . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
3. Description des utilisateurs des services d'urgence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
3.1 Données disponibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
3.2 Répartition par âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
3.3 Analyse selon le sexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
3.4 La nationalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
3.5 Description des utilisateurs des services d’urgence: conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
4. Pourquoi certaines personnes continuent de dormir dans la rue en Europe. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
4.1 Une approche multidimensionnelle avec des domaines qui se recoupent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
4.2 La Dimension structurelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
4.3 La dimension institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
4.4 La dimension personnelle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
5. Conclusions et leçons sur les politiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Annexe Correspondants de l’Observatoire européen sur le sans-abrisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
1. I n t r o d u c t i o n
1.1 Deux questions clés pour la recherche
Ce rapport se base sur un travail de terrain mené dans six
pays de l’Union européenne ainsi qu’un pays candidat. Il
aborde les conditions de vie difficiles des sans-abri relégués
dans les espaces publics et contraints d’y passer la majeure
partie de la journée. Les pays membres participants sont la
République tchèque, le Danemark, la France, le Luxembourg,
la Slovénie et l’Espagne, et le pays candidat la Bulgarie.
Malgré la diversité des régimes sociaux nationaux d’Europe
et la politique de l’Union européenne pour combattre l’exclu-
sion sociale, la plupart des grandes villes des pays membres
continue d’avoir une proportion importante de personnes
dépendantes des services d’urgence, des services qui leur
garantissent un contact minimum avec la société.
Dans ce rapport, nous allons développer deux questions cen-
trales concernant l’utilisation de services d’urgence par une
large majorité de sans-abri: Qui sont-ils et pourquoi sont-ils
dépendants de ces services? La première question traite des
caractéristiques mêmes des individus en question. Par
exemple, existe-il un profil clair en fonction du sexe pour qua-
lifier les utilisateurs des services d’urgence? Les immigrants
sont-ils sur-représentés? Que peut-on dire sur les popula-
tions jeunes et celles plus âgées? Ces groupes - l’un ou/et
l’autre - qui se trouvent généralement en dehors du marché
de l’emploi officiel, sont-ils plus dépendants des services
d’urgence que les autres catégories d’âge?
La réponse à la seconde question devrait donner une idée
de l’impact des processus structurels, tels que l’accroisse-
ment du chômage et la restructuration du marché du loge-
ment, sur la dépendance de certains sans-abri à des services
comme les abris de nuit ou les soins spécifiques. Les fac-
teurs structurels ne sont pas les seuls à expliquer l’existence
actuelle et à venir de ces catégories de sans-abri. Il nous faut
aussi examiner les récents changements dans l’organisation
des services pour sans-abri. Ainsi, dans quelle mesure la
spécialisation des services contribue-t-elle à installer une
dépendance à l’égard des services d’urgence? Il existe un
troisième niveau d’explication par rapport à l’existence
aujourd’hui encore des refuges d’urgence et de leurs utilisa-
teurs: il concerne les individus, leurs motivations person-
nelles, leurs aspirations ainsi que les réseaux sociaux de cha-
cun. Dans quelle mesure, par exemple, les ruptures au sein
de ces réseaux contribuent-elles à maintenir des situations
de sans-abrisme où les gens passent la nuit dans les espaces
publics?
Avant de traiter ces questions, il importe de donner une défi-
nition claire des personnes sans-abri dont il est question. On
utilisera la Typologie Européenne du Sans-abrisme et de l’Ex-
clusion du Logement (ETHOS), selon l’analyse de l’Observa-
toire Européen pour le Sans-abrisme et de la Feantsa (voir
Edgar & Meert 2005).
1.2 Définition des utilisateursdes services d’urgence
Ce rapport se concentre sur une population spécifique et
concerne les personnes privées de toit pour vivre, celles qui
fréquentent les abris de nuit ou bien qui dorment à la rue et
utilisent des services de proximité. Les sans-abri souffrent de
trois types d’exclusion: physique, juridique et sociale.
D’abord, ils sont physiquement exclus en raison de l’impos-
sibilité d’accéder à un logement. Puis, ils n’ont pas le droit,
juridiquement, d’occuper un hébergement. Troisièmement,
ils ne jouissent pas d’un espace privé qui leur permettrait de
s’intégrer dans des relations sociales. Ces populations sont
parmi les plus pauvres des sans-abri puisqu’elles sont exclues
des trois champs qui définissent un habitat (voir Figure 1).
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
3
ETHOS a regroupé ce groupe de sans-abri sous la catégo-
rie conceptuelle des sans-abri (Edgar et al. 2004, Meert et
al. 2004). On distingue deux autres sous-catégories (voir
tableau 1). Il y a d’abord les personnes qui vivent de manière
permanente dans les espaces publics, qui dorment dans la
rue et que l’on ne connaît que par les services de la rue.
La deuxième sous-catégorie concerne ceux qui se rendent
de temps en temps dans les abris de nuit mais qui restent
contraints de passer plusieurs heures par jour dans les
espaces de publics (comme les bibliothèques publiques pen-
dant l’hiver pour se réchauffer).
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
4
Figure 1 Définition des utilisateurs des services d’urgence
Exclusion sur le plan physique
Exclusion sur le plan socialExclusion sur le plan juridique
•
Pas de logement sûr.Pas de toit pour vivre.
Pas de droit d’occupation pour
le logement
Pas d’espace privépour avoir des
relations sociales
Tableau 1 Catégories opérationnelles de sans-abrisme
CATÉGORIE CATÉGORIE OPÉRATIONNELLE sous DESCRIPTIONCONCEPTUELLE cat.
ROOFLESS 1 Ils vivent dans les espaces publics 1.1 Dorment à la rue (pas de demeure) 1.2 Contactés par des services de proximité
2 Ils trouvent refuge dans les abris de nuit 2.1 Seuil bas / accès direct à un abriet/ou sont contraints de passer 2.2 Facilités (par ex. faibles prix en hôtel)plusieurs heures par jour dans un lieu public 2.3 Court séjour en hôtel
Ce rapport est structuré de la manière suivante: la section II pré-
sente la méthodologie utilisée pour mener l’étude. Le manque
de données statistiques sur les populations qui vivent dans la
rue a nécessité de gros efforts pour appliquer les méthodolo-
gies quantitatives. Cette section fait également une description
des 22 services d’urgence pris en référence et qui serviront à
tirer les conclusions de l’enquête. Seront développés dans
la section III les caractéristiques intrinsèques des sans-abri.
Les conclusions ayant trait à l’âge, au sexe et à la nationalité y
sont présentées en détail. Concernant les autres variables de
base telles que l’emploi et le niveau d’éducation, nous avons
eu des difficultés à les identifier au cours de l’enquête. La sec-
tion IV présente les causes - structurelles, institutionnelles et
individuelles - qui expliquent que certaines personnes se retrou-
vent à la rue. La dernière section couvre les questions relatives
aux politiques mises en oeuvre et suggère des solutions.
2.1 Le kaléidoscope des services d’urgence
Tout en prenant en compte d’un côté le changement du rôle
de l’Etat providence, et de l’autre, le rôle croissant des orga-
nisations non gouvernementales dans l’offre de services de
plus en plus spécialisés pour les sans-abri, nous avons sélec-
tionné et examiné les services sous deux aspects: l’initiative
publique versus l’initiative privée, et l’offre d’un hébergement
(nuit en abri) versus l’absence d’offre d’hébergement (au pro-
fit de services de proximité).
Au total, 22 services ont subi une évaluation. Comme le montre
la figure 2, ce rapport de recherche présente l’ensemble des
combinaisons possibles des deux dimensions mentionnées.
En Bulgarie (Sofia), nous avons trouvé deux initiatives
publiques visant à fournir un logement. En revanche, au
Luxembourg, nous n’avons pu mené une analyse que sur deux
services d’urgence privés, lesquels proposaient tous deux un
hébergement. En France, en plus du “115” - numéro de télé-
phone gratuit (une initiative publique, voir ci-dessous), l’en-
semble du travail a été mené en collaboration avec les services
d’urgence parisiens mis en place par une initiative privée (avec
une distinction claire entre les services offrant un hébergement
- abris de nuit - et les services n’offrant pas de logement).
Dans le cas de l’Espagne et plus précisément de Madrid,
nous avons concentré notre attention sur les services d’ur-
gence qui n’offrent pas d’hébergement de nuit, dans la
sphère publique comme privée. C’est en République
tchèque, Danemark (Copenhague) et en Slovénie (Ljubljana)
que nous avons trouvé les plus gros écarts. En République
tchèque, nous avons choisi de mener le travail à Prague, dans
le plus petit village de Hav řov, qui se trouve en banlieue de
Ostrava, une ville à l’Est du pays à la frontière avec la
Pologne. Là-bas, la restructuration des activités d’extraction
de charbon et de l’industrie de l’acier a engendré un taux de
chômage très élevé (14,3%).
Au Danemark et en Slovénie, nous avons étudié le cas d’un
service public proposant un hébergement et d’un service
privé qui n’en proposait pas.
Afin de comprendre la variété des services d’urgence au sein
de l’Union européenne, les paragraphes suivants présentent
une analyse plus approfondie des services étudiés. Notre
approche reprend chacun des quatre quadrants de la figure 2.
2. M é t h o d o l o g i e d e l a r e c h e r c h e
2.1.1 LES SERVICES D’URGENCE PUBLICS
QUI PROPOSENT UN LOGEMENT
A Sofia, capitale de la Bulgarie, il existe uniquement des ser-
vices publics de logement temporaire destinés aux sans-abri.
Ces services jouent aussi le rôle d’abris de court terme pour
héberger des personnes privées de toit. Nous nous concen-
trerons essentiellement sur cette catégorie d’utilisateurs.
Ces services publics appartiennent et sont gérés par l’Etat
ou la municipalité, ce qui donne à la municipalité la possibi-
lité de jouer un rôle majeur dans l’offre de soins aux sans-
abri. Les locaux sont eux-mêmes la propriété de la munici-
palité et les services sociaux des différents quartiers de la
ville sont responsables de l’hébergement des sans-abri au
sein de ces foyers spécialisés ainsi que de leurs papiers. Pour
réaliser notre enquête en Bulgarie, nous avons sélectionné
deux auberges de Sofia. La première auberge pour sans-abri
se trouve dans l’espace résidentiel de “Lyulin”. Il s’agit d’un
service pour des hébergements temporaires “St. Dimiter”
dont l’objectif principal est d’offrir un refuge aux plus jeunes,
garçons et filles, qui se soustraient aux soins des services
sociaux ou quittent l’école et leur lieu de travail. D’autres
catégories d’occupants utilisent également ces services
d’hébergement. Le deuxième service d’hébergement auquel
nous nous sommes intéressés se situe dans le quartier de
‘Zaharna Fabrika’ et s’adresse principalement aux enfants
vagabonds. Il n’existe pas d’institution privée à Sofia pour
accueillir les sans-abri, mais uniquement des services privés
garantissant des soins aux personnes âgées et malades. Il
n’y a pas non plus à Sofia de centre de soins quotidiens spé-
cialisés dans l’assistance aux sans-abri. Si un sans-abri n’est
pas inscrit et ne possède pas de dossier personnel pour son
logement, il ne peut pas bénéficier d’un soutien.
Jusque 1999, Sundholm a été la plus importante institution
de Copenhague (Danemark) pour les personnes sans-abri.
C’est l’exemple même de l’institution polyvalente et de l’an-
cienne “mode” époque où toutes les activités adressées aux
sans-abri étaient supposées se tenir dans les murs de l’éta-
blissement. En 1999, Sundholm a été divisée en deux insti-
tutions. L’une, devenue le Centre d’Activité, est celle que
nous avons choisie pour cette étude, dans la mesure où elle
dispose d’un abri de nuit d’urgence avec 30 lits (le café du
soir), un abri de jour d’urgence (le café de jour), qui se trouve
dans la même pièce que l’abri de nuit et plusieurs ateliers
ouverts aux anciens et actuels utilisateurs de l’auberge ainsi
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
5
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
6
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qu’aux utilisateurs des autres auberges. Le Centre d’Activité
est le seul abri de jour public à Copenhague. Autrement, leur
activité est prise en charge par des organisations privées,
dont une travaille en collaboration avec les autorités locales.
Il s’agit également de l’unique abri de nuit d’urgence public.
Le quatrième abri public que nous avons vu se situe dans la
ville de Ljubljana (Slovénie). Ce “Centre pour Sans-abri” four-
nit une aide sociale, des services d’hygiène, de quoi manger
et se loger. Les frais s’élèvent à 80% du montant de l’aide
sociale. Ce service d’urgence revêt une importance particu-
lière puisqu’il est le premier centre en la matière en Slovénie.
2.1.2 LES SERVICES D’URGENCE PUBLICS
NE PROPOSANT PAS DE LOGEMENT
A Prague, nous avons choisi le Centre de Conseil pour les
Sans-abri - Poradna MCSSP - un service accessible fondé
par la ville de Prague. Ce petit centre (2 salariés), localisé
dans le centre ville près du théâtre national, est ouvert les
jours ouvrés.
En Espagne, le Samur Social de Madrid revêt un intérêt par-
ticulier. Le Conseil Municipal de Madrid a crée ce service en
2004, et lancé à travers lui une nouvelle culture de l’urgence,
ainsi qu’une planification novatrice de l’intervention sociale
dans les situations d’urgence sociale. Ce Service Social
Municipal appartient au domaine de l’emploi et des Services
aux Citoyens du Gouvernement espagnol (Direction Géné-
rale des Services Sociaux). Il organise l’intervention sociale
auprès des sans-abri qui vivent dans les rues de Madrid et
apporte une assistance aux individus et familles dans les cas
d’urgence sociale (tel que l’abandon des personnes âgées,
familles et enfants menacés de mauvais traitement...). Il four-
nit également une intervention coordonnée avec d’autres ser-
vices d’urgence de la ville de Madrid (pompiers, police,
défense civile) dès lors que des urgences majeures survien-
nent (incendies, actions terroristes, inondations, etc.). Le
Samur social est structuré en quatre unités mobiles et huit
équipes de terrain qui sont composées de professionnels de
l’intervention sociale formés pour répondre aux cas d’ur-
gences et porter assistance aux sans-abri.
Le 115 est un numéro de téléphone gratuit mis en place dans
chaque département français (correspondant à un périmètre
administratif) sous la responsabilité de la DDASS (Direc-
tions Départementales des Affaires Sanitaires et Sociales).
N’importe qui peut appeler ce numéro, que ce soit pour lui-
même ou pour le compte de quelqu’un en situation d’urgence
ou de détresse. Il existe un service d’assistance de personnes
qui opère 24h sur 24: il répond à toutes les demandes qui lui
parviennent et dirige le demandeur vers les services appro-
priés tels que les abris de nuit, centres de jour, services de
santé, services sociaux, points de distribution de nourriture,
etc. Néanmoins, ce numéro est avant tout et clairement uti-
lisé pour trouver un endroit où dormir.
2.1.3 LES SERVICES D’URGENCE PRIVÉS
PROPOSANT UN HÉBERGEMENT
La figure 2 montre très nettement que la majorité des ser-
vices que nous avons contactés pour notre enquête sont
issus d’initiatives privées.
Dans le cas du Grand Duché du Luxembourg, les deux ser-
vices d’urgence disponibles, situés tous deux dans la ville de
Luxembourg, proviennent d’initiatives privées et proposent
des logements pour la nuit: “Caritas Accueil et Solidarité” et
“Nuetseil”. Le centre Caritas, Caritas Accueil et Solidarité
(CASn fondé en 1991) est financé par le ministère des Affaires
Familiales et de l’Intégration. Le CAS regroupe toutes les
structures mises en place par Caritas avant 1991 qui étaient
destinées à aider les personnes en situations d’extrême pau-
vreté (y compris les sans-abri). Le CAS offre des services
allant de l’assistance d’urgence au logement de long-durée.
Le CAS assure le service d’urgence sous la forme d’un héber-
gement dans un abri et par l’intermédiaire de services comme
“Streetwork”, l’abri “Ulysse” et le “Téistuff”. Le Streetwork,
ou travail social dans la rue, vise à établir un contact avec les
personnes de la rue dans le but de créer, dans la mesure du
possible, un lien avec la société. L’abri de nuit Ulysse dis-
pose d’une capacité de 64 lits, dont deux couchages d’ur-
gence. Pendant la journée, les gens ont la possibilité de se
rendre au Téistuff (salon de thé), un centre d’intégration de
jour qui fait partie du CAS. Ce service est en fait un café où
chacun se voit offrir gratuitement des boissons non alcooli-
sées (café, thé).
Le deuxième abri de nuit d’urgence que nous avons visité, le
Nuetseil, est un centre pour les personnes qui souffrent de
problèmes de drogues. Il est dirigé par le service “ABRIGADO
Szene-Kontakt” du Comité National de Défense Sociale. Ce
service a ouvert dans la ville de Luxembourg le 22 décembre
2003. Le centre d’hébergement d’urgence dispose de 42 lits
pour hommes et femmes, il est ouvert entre 21h00 et 8h30.
Il offre son aide à toute personne en risque de déviance ou
de marginalisation.
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
7
Concernant le cas de la France, nous avons retenu quatre
services privés qui fournissent un hébergement dans la ville
de Paris (en plus des quatre autres services également sur
Paris qui n’offrent pas d’hébergement - voir section II.4): le
Centre Jacomet (Secours Catholique), le Centre Saint Bon
(Secours Catholique), le Centre Malmaison (Emmaus) et le
Refuge (la Mie de Pain). Selon une étude de l’INSEE menée
en 2001, la ville de Paris, comparée aux autres aggloméra-
tions françaises de plus de 20 000 habitants, est caractérisée
par une surestimation des logements d’urgence disponibles.
Ainsi, 37% des espaces d’urgence disponibles se situent
dans Paris même, ce qui correspond à 39% des personnes
logées dans la totalité des espaces urbains français de taille
supérieure à 20 000 habitants. De plus, les infrastructures
parisiennes dépassent toutes celles des autres aggloméra-
tions. Dans la région parisienne, les personnes hébergées
dans des situations d’urgence trouvent à être logées princi-
palement dans des centres ayant de grosses capacités d’ac-
cueil. 62% d’entre elles sont dans des infrastructures pou-
vant accueillir plus de 50 personnes. Dans les autres régions
françaises, seulement 23% des personnes concernées sont
dans cette situation. En outre, un quart des centres d’héber-
gement d’urgence de la ville de Paris se trouve dans le centre
de Paris, et un grand nombre est concentré dans le 13ème
et le 19ème arrondissements. Ceux-ci fournissent à eux deux
presque la moitié du nombre total de places offertes pour
l’hébergement.
Le troisième pays qui apparaît sur le quadrant de la figure est
la République tchèque. Dans le village de Hav řov, nous
avons travaillé auprès de l’Armée du Salut. Celle-ci assure
l’accès direct à un hébergement d’urgence ainsi qu’un travail
de terrain dans les rues.
2.1.4 LES SERVICES D’URGENCE PRIVÉS
NE PROPOSANT PAS D’HÉBERGEMENT
Huit services d’urgence sur les 22 choisis associent leur sta-
tut privé à l’absence d’hébergement pour la nuit.
En Espagne, nous avons sollicité le personnel de Cedia 24
heures, une ressource privée appartenant à Caritas Madrid.
Il développe son activité depuis 1977. Même s’il n’est pas
précisément destiné à porter assistance en cas d’urgence
sociale liée au sans-abrisme, il a développé une capacité
dans ce sens, puisqu’il possède un service d’urgence sociale
et une équipe de travailleurs sociaux qui interviennent pour
des urgences sociales 24 heures sur 24. Malgré la suppres-
sion de la salle des urgences (couchages), les travailleurs
sociaux peuvent analyser le cas et prendre la décision d’or-
ganiser une hébergement en auberge le jour même.
Au Danemark, “Project Outside” [“projet en extérieur”]
(Copenhague) a été sélectionné pour l’étude en raison de
l’expérience du manager auprès des sans-abri dormant dans
la rue et aussi parce qu’il est l’un des plus grands experts du
Danemark sur le sans-abrisme de rue. Project Outside est
une entité privée indépendante établie en 1997. Actuellement,
elle reçoit des financements du Ministère social et bénéficie
également de cadeaux privés et donations. Project Outside
est basé sur le service aux utilisateurs. Le projet est composé
de plusieurs sous-projets: le café ambulant, le projet des
gens de la rue. Au cours de notre recherche, nous nous
sommes concentrés sur les activités du café ambulant et ses
contacts avec un grand nombre de sans-abri de rue vivant
dans les quartiers où le café fait ses arrêts. Le café ambulant
est un mini van qui circule le soir dans le centre ville de
Copenhague. Il sert des repas chauds à chacun de ses arrêts.
Le projet a pour objectif d’établir un contact humain avec des
sans-abri de rue souffrant de problèmes psychologiques, et
vise également, dans la mesure du possible, à orienter les
gens vers d’autres services, pour le traitement de leur mala-
die par exemple. Le projets des gens de la rue propose un
point de rendez-vous dans un parc public du centre ville tous
les jours. Un travailleur social s’y rend une heure par jour.
En France, nous avons également étudié quatre initiatives
privées n’offrant pas d’hébergement. Bien qu’ils soient appe-
lés de différentes façons - Boutiques de Solidarité, la Maison
de la rue, l’Espace d’Insertion et de Solidarité ou encore la
Halte pour les Amis de la rue - ces centres d’accueil fonc-
tionnent généralement selon le même principe d’anonymat,
de liberté d’entrée et de sortie, de discrétion et de non ségré-
gation. D’après la Direction Générale de l’Action Sociale, il y
a 250 centres d’accueil de jour en France dont 16 se trou-
vent à Paris. Ces centres sont rattachés à des associations
de charité, telles que la Fondation Abbé Pierre en ce qui
concerne les Boutiques de la Solidarité, ou bien à d’autres
grosses associations comme Emmaüs, le Secours Catho-
lique, le Secours Populaire, l’Armée du Salut, etc. Ces asso-
ciations ont conçu ces centres comme des relais de journée
aux abris de nuit d’urgence. En fait, les abris de nuit exigent
de ses visiteurs qu’ils quittent l’hébergement au plus tard à
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
8
9h00 le matin, ou vers 8h00 plus généralement. Se retrou-
vant à nouveau à la rue, les sans-abri peuvent donc aller dans
un des centres de jour, conçus pour être accueillants et offrir
aux visiteurs divers services tels que l’accès à une salle de
bain, douche, des services d’information, une consultation
médicale, des conseils juridiques, et un accompagnement
par des psychologues.
En République tchèque, nous avons contacté le centre de
jour Naděje, une ONG qui ouvre ses portes aux sans-abri
pendant la journée et leur propose des services; elle a eu éga-
lement une équipe de travailleurs sociaux pendant plusieurs
années. Le centre de jour, situé à proximité de la principale
gare de train, offre des repas, des services d’hygiène, des
vêtements, soins médicaux, et conseils pour trouver un
emploi, etc. Le travail de terrain est assuré dans la partie cen-
trale de la ville.
En Slovénie, nous avons contacté l’initiative Karitas. Elle met
à disposition des sans-abri de la nourriture et des vêtements,
quelquefois même une aide financière sous la forme de paie-
ment de factures (d’électricité ou frais d’habitation). Elle s’ef-
force par ce biais de prévenir le développement de situations
de sans-abrisme. Elle ne fournit aucun hébergement et n’est
ouverte qu’une fois par semaine pendant 4 heures.
2.2 La nécessaire collecte des données primaires
Il y a un manque de données tangibles dans les pays parti-
cipant à l’enquête en ce qui concerne les services et leurs
utilisateurs - sauf pour les informations de base telles que les
rapports annuels. D’où un besoin de collecter des données
primaires. A cette fin, nous avons utilisé principalement des
techniques de recherche qualitative: des interviews, menés
auprès du personnel des services d’urgence, des utilisateurs
de ces services, de personnes vivant dans la rue et auprès
de personnes clés comme les fournisseurs de magasines sur
le sans-abrisme. Le tableau 2 donne un aperçu des diffé-
rentes techniques appliquées selon le pays interrogé.
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
9
Table 2 Les méthodologies appliquées
PAYS Méthodologie appliquée
BULGARIE effectuée 3 3 13
RÉPUBLIQUE TCHÈQUE effectuée 8 173
DANEMARK effectuée 3 1 2
FRANCE effectuée 9 4 13 4
LUXEMBOURG effectuée 3 8
SLOVÉNIE effectuée 2 14
ESPAGNE effectuée 3
TOTAL 31 8 173 50 4
Rec
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s)
Inte
rvie
ws
avec
le
s n
on-u
tilis
ateu
rsUtilisateurs
Contrairement aux autres pays et en raison des conditions
de travail locales, nous avons eu une approche plutôt quan-
titative en République tchèque. Deux questionnaires assez
courts ont été élaborés, l’un destiné au personnel des trois
services en évaluation et un autre destiné aux utilisateurs et
devant être complétés avec l’aide du personnel. Les ques-
tions abordées avec le personnel soulevaient les interroga-
tions suivantes: qui sont les sans-abri et pourquoi continuent-
ils de dépendre de tels services. Les questions posées aux
utilisateurs portaient également sur les causes du sans-
abrisme, de leur responsabilité quant à cette situation et de
leurs attentes pour le futur. Au total, nous avons interrogé huit
membres du personnel et 173 utilisateurs ont complété le
questionnaire. Du reste, les statistiques ont été collectées
pour les trois services depuis 2000 globalement.
Tous les chercheurs ont ajouté aux données primaires col-
lectées une documentation et quelques statistiques de base.
Nous avons interrogé les membres du personnel de tous les
pays participant à l’étude. Dans le cas de Lubljana, nous
avions également obtenu des informations intéressantes
grâce à neuf entretiens menés auprès d’utilisateurs des ser-
vices pour les besoins du projet (Trbanc et al. 2003). Les
sans-abri étaient tous utilisateurs des services sociaux
publics (centres pour le travail social), et les entretiens se sont
déroulés à différents endroits, dans les quatre villes de Slo-
vénie sélectionnées (Maribor, Koper, Murska Sobota, Celje).
Dans tous les pays à l’exception de l’Espagne, les entretiens
ont été réalisés auprès des utilisateurs des services. En
France, en plus de ces entretiens, nous avons interrogé des
hauts fonctionnaires. Au Danemark, nous avons interviewé
un éditeur d’un magazine sur le sans-abrisme. En Bulgarie,
des interviews supplémentaires ont été menées auprès du
voisinage résidentiel d’une auberge pour sans-abri. A Paris,
nous avons organisé quatre entretiens supplémentaires avec
des sans-abri vivant et dormant dans la rue et qui refusent
d’utiliser les centres d’aide. Au total, 31 membres du person-
nel ont été interrogés, 50 utilisateurs, 4 non-utilisateurs et 8
autres personnes clés. 173 utilisateurs des services d’ur-
gence ont répondu à l’enquête.
2.3 Traitement des données
Sauf pour la République tchèque, nous n’avons pas trouvé de
données quantitatives de base fiables sur les caractéristiques
des utilisateurs des services d’urgence. Au Danemark,
Luxemburg, France et Bulgarie, nous avons obtenu quelques
éléments fondamentaux concernant l’évolution du profil des
utilisateurs des services d’urgence. Ils sont basés sur d’an-
ciens rapports de recherche ou proches de ces domaines.
Ces éléments seront utilisés dans la section III, dont le but
est de débattre des profils des utilisateurs, sans pour autant
présenter des statistiques représentatives de chaque pays
européen. A cette étape de la recherche, il s’agit de donner
quelques traits du sans-abrisme et de mettre l’accent sur la
nécessité de lancer un programme de recherche plus appro-
fondi axé sur les profils des utilisateurs des services d’urgence.
Du reste, les contraintes de budget et de temps ne nous ont
pas permis d’interroger beaucoup d’utilisateurs; il était donc
difficile de faire une généralisation des profils. Les résultats
débattus dans le présent rapport doivent avant tout être inter-
prétés selon le contexte - et les limites - de la recherche qua-
litative. Cela signifie qu’une attention particulière est accor-
dée au contexte et aux dispositions de la recherche (voir la
Section II.1), afin que nos résultats puissent être transférés
avec justesse à d’autres contextes de recherche (voir Baxter
and Eyles, 1997).
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
10
3.1 Données disponibles
Dans cette partie, nous nous sommes concentrés sur trois
caractéristiques propres aux utilisateurs des services d’ur-
gence: l’âge, le sexe et la nationalité. D’autres caractéris-
tiques - comme l’éducation et l’intégration (antérieure) au
marché du travail - ne sont pas prises en compte en dépits
de leur intérêt, du fait d’un manque de données. Cependant,
le contenu que nous sommes en mesure de développer ici
fait apparaître clairement que des gens de divers horizons
sont utilisateurs (potentiels) d’une gamme très étendue de
services d’urgence. Il n’est donc pas surprenant que l’on
observe des profils d’utilisateurs variables d’un service à
l’autre, si l’on tient compte également de la spécialisation de
nombreuses de ces initiatives.
3.2 Répartition par âge
Les données concernant la répartition par âge existent pour six
des pays. En 2004, deux tiers des utilisateurs du service Nuet-
seil luxembourgeois étaient âgés de 25 à 45 ans. Les mineurs
ne représentaient que 0,1% des utilisateurs, tandis qu’on
comptait 20% d’adultes de moins de 25 ans. Les personnes de
plus de 45 ans ne représentaient que 12% des utilisateurs. Bien
que les classements par âge ne soient pas exactement les
mêmes, à première vue, on trouve des résultats similaires en
République tchèque: la majeure partie des utilisateurs des ser-
vices d’urgence que l’on a étudiés ont un âge compris entre 25
et 60 ans (jusque 90% dans le cas du Centre de Conseil de
Prague qui se base sur une population de 2340 visiteurs, et
79% pour le centre de détection TB/ tuberculose de Hav řov,
population 280). Le recensement des sans-abri indiquait pour
Prague un chiffre de 15% en-dessous de 25 ans. Le Project
Outside danois montre que la répartition par âge dépend for-
tement du type de service rendu. En ce qui concerne le projet
de personne de sac, qui cible les sans-abri psychotiques, nous
disposons de données sur 31 utilisateurs: 21 personnes sur les
31 sont âgées de plus de 50 ans. D’après le responsable du
Café Ambulant, qui attire entre 200 et 300 personnes chaque
année, la principale tranche d’âge concernée correspond aux
30-55 ans. Concernant le Centre d’Activité de Sundholm qui
offre un hébergement de nuit, trois quarts des utilisateurs
appartiennent à la tranche des 31-50 ans. Ces chiffres sont rela-
3. D e s c r i p t i o n d e s u t i l i s a t e u r sd e s s e r v i c e s d ' u r g e n c e
tivement stables, malgré une très légère augmentation obser-
vée pour le groupe des jeunes de 18-30 ans. Celle-ci est attri-
buée à l’augmentation du nombre de Somaliens.
Au moment de notre visite, 281 personnes ont été enregis-
trées par le centre d’hébergement temporaire de St.-Dimiter
à Sofia (avec une capacité officielle de 270 personnes) et 127
personnes séjournaient dans le service d’hébergement tem-
poraire du quartier de Zaharna Fabrika. L’âge des clients est
assez variable et l’on ne peut pas dire qu’une tranche d’âge
soit plus représentée qu’une autre.
En France, l’information est diffusée par deux sources. En
1995, une enquête de l’INED et du CREDES auprès des utili-
sateurs des abris d’urgence ou des centres de distribution de
nourriture de Paris révélait que ce groupe, composé majoritai-
rement d’hommes, avait une moyenne d’âge de 39 ans. Quatre
ans plus tard, en 1999, l’équipe de surveillance du Samu social
rendait compte d’une situation similaire pour les personnes qui
contactaient le “115” avec un âge moyen de 39,7 ans. Une
année après, en 2000, l’âge moyen de ces mêmes personnes
utilisant ces services a diminué de 7 ans pour tomber à 32,8
ans. Selon le Samu social, le nombre de jeunes qui appelaient
le 115 en 2000 avait augmenté de 28,8%, passant de 3.734 en
1999 à 4.800 en 2000. De plus, le nombre de demandes en
provenance de ces jeunes a augmenté de 96%. Cette tranche
d’âge jeune parmi les utilisateurs des centres d’urgence a été
corroborée par une enquête réalisée par la DDASS (Direction
Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales) de la région
Ile-de-France dans la nuit du 8 et du 9 mars 2000. Celle-ci a
montré que les personnes âgées de 18 à 24 ans représentaient
18% de la population hébergée dans les abris, comparé à
14,8% en 1999. Deux raisons sont avancées pour expliquer
l’âge décroissant des utilisateurs des centres d’urgence. Il y a
d’abord le nombre croissant de jeunes de moins de 18 ans
accueillis dont le sort est lié à l’augmentation du nombre de
femmes seules ou de couples avec des enfants et qui bénéfi-
cient des programmes d’urgence. D’après une analyse effec-
tuée par l’observatoire du Samu social de Paris, 55,5% des
jeunes sollicitant une aide auprès des services d’urgence sont
célibataires et 36,5% d’entre eux ont des enfants à charge.
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
11
En France également, les enquêtes réalisées par le départe-
ment de recherche de l’OPSIS et par l’Observatoire du Samu
social, ont montré que les clochards, ou sans-abri “perma-
nents”, cumulaient plusieurs problèmes et se rendaient de
manière irrégulière dans les abris d’urgence. Leur analyse a
révélé, à partir d’un échantillonnage limité, que ce groupe
était essentiellement composé d’hommes âgés en moyenne
de 48 ans, plus grands que la moyenne des sans-abri, et qui
avaient déjà passé au moins trois ans dans la rue.
3.3 Analyse selon le sexe
Les services d’urgence tchèques accueillent tous une large
majorité d’utilisateurs de sexe masculin: 93% des clients du
centre de détection TB/tuberculose de Hav řov - la zone
industrielle à proximité de la frontière polonaise - sont des
hommes, tandis que ce pourcentage s’élève entre 83% et
86% pour Prague. Il en est de même pour le service Nuetseil
du Luxembourg (en 2004, 87% des clients étaient des
hommes), alors qu’à Copenhague, 24 personnes de sac sur
31 sont de sexe masculin et près de 85% des personnes qui
fréquentent le Café ambulant sont des hommes. La propor-
tion des femmes au Centre d’Activité est faible et l’on peut
même observer une diminution de leur nombre entre 2001
(15%) et 2004 (9%). En général, il y a peu de femmes à Sund-
holm, et pour peu que le café de nuit s’en préoccupe, elles
refusent de dormir dans la même pièce que d’autres hommes
et partent donc ailleurs.
Le directeur du centre public pour les sans-abri de Ljubljana
n’a pas listé de groupe spécifique davantage enclin à deve-
nir sans-abri. Hommes et femmes sont vulnérables de la
même manière. Il y a toutefois une prédominance d’hommes
dans les abris, proche des 90%. Mais il attribue cela à des
modèles culturels. Les femmes ont tendance à cacher leurs
problèmes, et même dans des états de vulnérabilité
extrêmes, leur stratégie consiste à trouver un compagnon
afin de ne pas se retrouver dans la rue; elles sont souvent
confrontées à de la violence. Ce sont les cas de sans-abrisme
caché (voir également § IV.4.2.).
En France, on a observé un accroissement significatif du pour-
centage de jeunes femmes âgées de moins de 25 ans parmi
les utilisateurs des services d’urgence. L’Observatoire parisien
du Samu social a enregistré en 2000 que 37% des demandes
émises par des jeunes sans-abri provenaient de jeunes
femmes âgées de moins de 25 ans et avec des enfants.
Néanmoins, les utilisateurs de services d’urgence restent, en
général, principalement des hommes, en dépits de l’augmen-
tation du nombre de femmes ces dernières années comme
l’ont montrée les différentes études sur le sans-abrisme. L’en-
quête intitulée “Une Nuit à part” (la nuit du 8 au 9 mars 2000),
réalisée par la DDASS d’Ile-de-France auprès de 196 abris
d’urgence, indiquait que sur 3 710 personnes accueillies
cette nuit-là, 73% d’entre elles étaient des hommes. Les
chiffres traduisant l’augmentation du nombre de femmes
hébergées dans des abris d’urgence ont été corroborés par
les études du Samu social, lesquels révélaient un nombre
d’appels émis par des femmes en hausse. Il semble cepen-
dant que les femmes bénéficient davantage du soutien des
amis et de la famille lorsqu’elles reçoivent un coup dur, ce qui
n’est pas le cas pour les hommes. Et ce soutien peut les aider
à éviter la rue. De plus, quand elles ont des enfants, les
femmes ont davantage la possibilité de recourir à des pro-
grammes spécifiques destinés à les aider à se maintenir hors
de la rue. Si elles bénéficient des allocations sociales, elles
peuvent notamment avoir accès à un logement au CHRS, et
avoir droit, de ce fait, à un séjour de plus longue durée et à
une aide aux services sociaux.
3.4 La nationalité
Bien qu’aujourd’hui les services d’urgence danois ne soient
pas fréquentés par beaucoup d’étrangers, leur nombre est
croissant. Le pourcentage varie considérablement selon le
service rendu. Il y a très peu d’étrangers parmi les psycho-
tiques contactés par le projet des personnes de sac. Le café
ambulant n’attire aussi que peu d’étrangers - ponctuellement
des Suédois, Norvégiens et Finlandais et quelques personnes
en provenance du sud de l’Europe, mais il est rare de voir des
gens qui ne viennent pas d’Europe. Le responsable du café
attribue ces faits au type de services offerts. Les “non euro-
péennes” n’apprécient probablement pas la nourriture tradi-
tionnelle danoise, et n’ont pas envie d’être les seuls non euro-
péens au milieu des danois. Il est donc impossible d’affirmer
que le fait qu’il y ait peu de clients non européens signifie
qu’ils ne vivent pas dans la rue.
En revanche, on trouve rarement des étrangers, et en parti-
culier des Somaliens, parmi les utilisateurs du café de nuit de
Sundholm. C’est ce qu’illustre la figure 8.
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
12
Sundholm est le lieu où les sans-abri d’origine somalienne se
rencontrent. Ils forment aujourd’hui un groupe important,
constitué presque exclusivement d’hommes mais qui n’ont
aucun problème de dépendance. Ces ce qui est à l’origine de
leur situation de sans-abri: on considère en effet qu’ils ne
souffrent pas de problèmes sociaux qui justifieraient un séjour
dans une auberge (§94-boform). Les autorités sociales les
perçoivent comme des sans domicile fixe et non comme des
sans-abri, des situations qui font souvent suite à une expul-
sion du domicile marital par leur femme. Cela signifie qu’ils
ne bénéficieront d’aucune aide pour trouver un logement de
rechange. Ils sont censés en trouver un par eux-mêmes sur
le marché du logement, et comme ils ne sont pas assez
stables pour y parvenir, ils finissent dans la rue. Néanmoins,
il ne s’agit que de l’opinion du manager du Night café. Ainsi,
selon lui, il faut considérer les Somaliens comme des sans-
abri appartenant au groupe des auberges §94, parce qu’ils
ont peu d’aides du réseau social, sont confrontés à des pro-
blèmes de langue avec le danois, et parce qu’ils ne sont pas
aussi bien intégrés même s’ils connaissent le système
danois. En plus de ces problèmes sociaux, ils souffrent de
problèmes psychiques dus à des traumatismes et des préju-
dices de guerre alors qu’ils n’ont reçu aucun traitement
adapté. S’ils n’ont pas manifesté clairement de troubles men-
taux, des problèmes peuvent surgir si l’on creuse un peu.
D’après le manager, les Suédois et les Norvégiens arrivent au
Danemark et à Sundholm parce qu’ils peuvent se procurer
de la drogue plus facilement et parce que les décisions en
matière de psychiatrie sont moins strictes. Le manager ne
rejettera pas ces catégories de population, mais au Dane-
mark, les soins qu’on leur prescrits ne sont pas de bonne
qualité. Le Centre d’Activité s’efforce de les encourager à
retourner dans leur propre pays pour obtenir les soins dont
ils ont besoin.
Selon une étude réalisée par la DDASS à Paris pendant la nuit
du 21 au 22 novembre 2001, 49% des personnes hébergées
dans des abris d’urgence (celles qui occupaient des auberges
n’ont pas été interrogées) étaient des étrangers, essentielle-
ment composés de demandeurs d’asile et d’immigrants illé-
gaux. Les demandeurs d’asile et les immigrants illégaux repré-
sentaient 29% de la totalité des clients accueillis dans les
abris d’urgence (60% des clients étrangers). Ce groupe, et
particulièrement les demandeurs d’asile, sollicitent les ser-
vices d’urgence en dernier ressort; la plupart d’entre eux sont
des personnes qualifiées et qui n’ont aucun besoin de soutien
social. Par conte, ils ont besoin d’un logement et d’un travail
pour être complètement intégrés dans leur pays d’accueil. On
constate également des changements en ce qui concerne le
nombre et le type de femmes qui ont immigré au cours des
dernières vagues d’immigration. Contrairement aux premières
vagues d’immigration où les femmes immigraient pour se
marier avec des hommes déjà résidents en France, elles immi-
grent aujourd’hui de plus en plus seules pour des motifs éco-
nomiques, politiques ou autres et se retrouvent sans aucune
attache dans le pays qui les accueille. Cela pourrait aussi
expliquer pourquoi, comme on l’a vu plus haut, on observe
une féminisation claire des utilisateurs des services d’urgence.
Fatima1 en est un exemple:
Interrogée dans le centre de Malmaison, une vielle femme
algérienne de 54 ans. Elle était professeur de gestion en Algé-
rie. Immigrante illégale. Elle est arrivée en France en 2003.
Elle a atterri ici suite à des problèmes de santé; elle a été hos-
pitalisée puis hébergée par des amis. Ensuite, elle a appelé
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
13
Danois
Groenlandais
Suédois/Norvégiens
Somaliens
Autres
Source: document interne du Night café 2004 2003 2002 2001
Figure 8 Les clients du Night café de Sundholm selon une répartition par nationalité - Pourcentages
% 0 10 20 30 40 50 60 70 80
1 Tous les noms propres figurant dans le présent rapport et se
référant à des citations concrètes ou à la description de situations
de vie sont fictifs, afin de garantir le respect de la vie privée des
personnes interrogées.
le “115” et est restée une année dans le même centre: l’abri
de l’Armée du Salut où elle occupait une chambre privée
(renouvelable tous les 3 mois). Le problème de l’abri de Mal-
maison est que les clients doivent quitter les lieux tôt, à 8
heures le matin. Elle part la journée au centre Agora, pour
prendre un café et essayer de régler des problèmes adminis-
tratifs. (Extrait des notes prises au cours de l’interview)
Le recours au numéro gratuit 115 montre aussi que le nombre
d’étrangers dépendant des services d’urgence augmente en
France. En effet, le Samu Social de Paris a constaté qu’une
large majorité d’étrangers parmi les jeunes avait composé le
115 en 2000. Ce sont principalement des demandeurs d’asile
âgés de 18 à 24 ans qui arrivent en France seuls ou accom-
pagnés de leur famille.
Au Luxembourg, les mesures hivernales du ministère des
Affaires Familiales permettent au CAS de distribuer un récé-
pissé d’hôtel pour tout lit supplémentaire en plus des 64 cou-
chages de l’abri de nuit Ulysse. Concernant la nationalité, le
rapport révèle un renforcement du nombre d’étrangers en
2004. Ces groupes d’étrangers concernent les immigrants
portugais, venant chercher du travail au Luxembourg, les
demandeurs d’asile, qui n’ont pas pu soumettre leurs
demandes d’asile en raison d’une surcharge de travail au sein
du départent dédié du Ministère de la Justice, et les immi-
grants africains mineurs qui ont été redirigés vers les struc-
tures sociales compétentes. Cependant, le nombre global
d’étrangers (les personnes privées de droits sociaux au
Luxembourg) dans les services d’urgence pour sans-abri a
diminué en réalité. D’après le rapport d’activité du CAS, cette
tendance peut s’expliquer par la rigidité des conditions d’ac-
cès aux services appliquées aux étrangers. C’est ce qu’ont
également observé les services des demandes de résidence.
Aucun des deux services d’urgence auxquels nous nous
sommes adressés à Sofia n’a conservé de données sur les
origines ethniques des sans-abri. Néanmoins, il est évident
que la majeure partie d’ente eux sont d’origine Rom ou sont
des réfugiés issus d’autres pays.
Finalement, il est important de mentionner que le centre de
jour et le travail social mené dans les rues de Prague travaillent
avec 43 personnes issues de la rue, dont 8 ont la nationalité
slovaque mais ne possèdent pas de carte d’identité.
3.5 Description des utilisateursdes services d’urgence: conclusion
On peut émettre un commentaire général sur la grande
variété des profils des sans-abri observée dans les services
des 22 initiatives évaluées. Alors que certains services sou-
tiennent les groupes d’un certain âge, tels que le projet “bag
people” à Copenhague, il existe d’autres services utilisés plus
fréquemment par les jeunes. Cependant, s’il y a une tendance
générale à donner sur l’âge, elle concerne avant tout l’ac-
croissement de la population jeune.
On peut faire la même observation sur le critère du sexe: si l’on
veut donner une tendance, il s’agit de du processus de fémi-
nisation en marche. Il est lié inter alia aux nouveaux motifs
d’immigration. Les femmes n’immigrent plus uniquement dans
le cadre de retrouvailles familiales. De plus en plus de femmes
arrivent aussi en Europe avec des perspectives individualistes,
avec l’espoir de trouver des conditions de vie décentes.
Nous n’avons trouvé que peu d’étrangers parmi les utilisateurs
des services d’urgence, en particulier en Europe de l’Est et
Centrale. Les Roms font sans doute partie des plus nombreux.
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
14
4.1 Une approche multidimensionnelleavec des domaines qui se recoupent
On reconnaît aujourd’hui volontiers que le sans-abrisme ne
peut pas s’expliquer uniquement par les caractéristiques per-
sonnelles des individus concernés. En effet, plusieurs auteurs
(voir par ex. Neale 1997, Clapham 2002, Edgar et al.. 2002) ont
mis l’accent sur la complémentarité des différents domaines à
l’origine des phénomènes sociaux tels que l’exclusion sociale
et plus spécifiquement le sans-abrisme. Ainsi, pour répondre
à la question suivante: pourquoi certaines personnes conti-
nuent (sont forcés de continuer) à vivre dans la rue en Europe,
nous allons utiliser dans ce rapport une triple approche analy-
tique et à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, nous
allons développer les différents facteurs structurels macro
sociaux, comme l’accès restreint au marché du travail. Ensuite,
nous nous concentrerons sur le soi-disant niveau-meso, qui
correspond au domaine des institutions, de leur gestion, ainsi
que des mécanismes qui entretiennent certaines situations de
sans-abrisme de rue. Enfin, il existe un troisième niveau d’ana-
lyse qui concerne l’individu et son réseau de relations sociales.
Le schéma 9 liste, pour chacun des domaines, les différentes
causes du sans-abrisme débattues dans les sept documents
nationaux. Comme le montre le schéma, ces trois domaines
se recoupent entre eux. Par exemple, l’état dépressif d’une
personne peut expliquer pourquoi elle se retrouve à dormir
dans les rues de Hav řov, situé dans l’est de République
tchèque. Mais il se peut que cette maladie soit la consé-
quence de la restructuration de l’industrie, laquelle va de pair
avec l’augmentation du chômage et donc les licenciements
d’anciens employés. Plus généralement, les personnes qui
souffrent d’un manque d’éducation ou qui ne possèdent pas
les qualifications requises pour entrer sur le marché du tra-
vail, ne peuvent pas être accusées automatiquement de cette
situation. Les facteurs structurels (par exemple les pro-
grammes d’enseignement nationaux qui peuvent présenter
un retard majeur par rapport à l’intégration et la mise en place
des nouvelles technologies en entreprises) ainsi que les fac-
teurs institutionnels (par exemple les règles spécifiques d’éli-
gibilité établies en toute liberté par certains instituts d’ensei-
gnement) peuvent également jouer un rôle important dans la
problématique du sans-abrisme.
4. P o u r q u o i c e r t a i n e s p e r s o n n e s c o n t i n u e n td e d o r m i r d a n s l a r u e e n E u r o p e
4.2 La Dimension structurelle
4.2.1 ACCÈS LIMITÉ À UN LOGEMENT DÉCENT
Bien que le sans-abrisme, et plus spécifiquement le phéno-
mène des sans-toît, ne soit pas un problème purement lié au
logement, il va de soi que l’exclusion des systèmes d’alloca-
tion de logements est un des facteurs cruciaux expliquant
pourquoi certaines personnes dépendent des services d’ur-
gence. Nous illustrons cette affirmation à l’aide de cas issus
de Slovénie, de Bulgarie, du Danemark et du Luxembourg.
En Slovénie, les politiques sur le logement ont changé de
façon importante durant la période de transition. Comme le
dit Mandič (2004), il y eut des réductions importantes dans la
majorité des subsides précédents, avec une introduction
lente de nouvelles mesures. La privatisation du logement et
l’achat avantageux de domiciles représente un contexte
important pour l’observation de la vulnérabilité du logement
et de l’exclusion. Ces changements ont mené à la restructu-
ration du marché du logement, passant d’un parc de loge-
ments à prédominance locative (fournis par l’état ou l’em-
ployeur) à une prédominance de la propriété. Les
propriétaires représentent environ 82% des ménages.
Cependant, la structure dominante de propriété du marché
du logement implique plusieurs problèmes. Un de ceux-ci est
le problème émergeant des propriétaires pauvres n’ayant pas
les moyens de payer les frais mensuels de logement, ou les
frais d’entretien plus importants. L’état n’adresse ce pro-
blème qu’en partie avec la mise à disposition de prêts au
logement (par le biais d’un plan national d’épargne au loge-
ment), mais celui-ci ne s’est pas avéré être efficace (faible
nombre de prêts, etc.). Le problème principal se situe au
niveau du secteur locatif sous-développé, l’accent étant sur
la pénurie de logements locatifs publics (l’offre ne répond pas
à la demande). La construction dans ce secteur s’était
presque arrêtée durant la période de transition, empirant l’ex-
clusion du logement des groupes vulnérables.
Le secteur privé du locatif est aussi trop petit, et souffre d’un
manque de réglementation; les baux illégaux sont monnaie
courante, et les loyers élevés ne sont pas réglementés (voir
Filipović 2005). Donc, la tendance vers les désinvestisse-
ments dans le logement a accru l’inaccessibilité du logement
pour les groupes vulnérables.
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
15
Nous avons trouvé dans le service bulgare St. Dimiter pour le
logement temporaire, où étaient logées 281 personnes au
moment de notre visite, au moins sept familles avec enfants
ayant perdu le droit d’habiter des logements municipaux,
étant incapables d’en payer les loyers demandés. Certaines
d’entre-elles ont 4-5 enfants dont l’âge varie entre 1 et 16 ans.
Dans la ville tchèque de Hav řov, où notre questionnaire court
fut rempli par 30 individus vivant dans la rue de manière per-
manente et qui furent contactés par des travailleurs sur le ter-
rain associés à l’asile de nuit, aucun de ces individus n’a cité
l’expulsion ou d’autres problèmes liés à l’accès à un logement
comme étant une des causes de leur situation. A Prague
cependant, où les travailleurs sur le terrain se sont entretenus
avec environ 75 personnes, une personne sur sept (14%) citait
la perte d’un logement comme étant un facteur crucial de
leurs conditions de vie difficiles. La différence des réponses
de Hav řov et de Prague peut être attribuée à des contraintes
liées à la méthodologie (différentes personnes s’occupant des
entretiens mettant l’accent sur différentes facettes des sujets
de l’entretien), bien que des différences géographiques
concernant les systèmes locaux et régionaux d’allocation de
logements aient sans doute un rôle à jouer là dedans.
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
16
L E S R E L A T I O N S
I N S T I T UT
I ON
NE
L
ST
RU
CT U R E L
P E R S O N N E L
• Problèmes de capacité• Décentralisation, spécialisation
et sélectivité• Absence de coordination• Sortie des institutions
• Accès limité à un logement décent• Restructuration du marché du travail• Citoyenneté non reconnue• Discours hégémonique sur le sans-abrisme
• Ruptures du réseau social• Violence
• Maladie (mentale et physique)• Addiction
Figure 9 Les causes multiples du sans-abrisme - des domaines
Il est intéressant de noter que les directeurs des services d’ur-
gence danois avec lesquels nous nous sommes entretenus
n’estimaient pas que la pénurie de logements dans la localité
de Copenhague comme faisant partie des causes faisant que
certaines personnes vivent dans la rue, ceci en dépit du fait
qu’au cours de la dernière décennie les coûts et les loyers
dans le marché du logement privé ont très rapidement aug-
menté et que le secteur du logement public a des très longues
listes d’attente. Cependant, nombreuses personnes vivant
dans la rue sont difficiles à loger dans le secteur normal du
logement et le manque d’installations alternatives de loge-
ment peut servir à expliquer pourquoi certaines personnes
vivent encore dans la rue. La municipalité de Copenhague
oriente les personnes présentant des problèmes sociaux vers
un pourcentage d’appartements du secteur public. Une per-
sonne doit présenter un ou plusieurs indicateurs de problèmes
sociaux/mentaux avant d’être placée sur une liste d’attente
prioritaire. La même condition est d’application avant d’être
admissible pour un séjour dans un foyer public ou financé par
le secteur public (géré par le privé) (foyers §94). Cela signifie
que les personnes sans logement mais ne présentant pas de
condition sociale ou mentale aggravante ne sont pas admis-
sibles pour recevoir des services fournis pour les sans-abri.
Ces personnes sont catégorisée comme étant reprises dans
le §66 et étant donc sans-domicile. Le directeur d’un service
public d’urgence souligne l’augmentation récente du nombre
de personnes d’origine somalienne utilisant le café de nuit
(voir aussi §III.4). La majorité de ce groupe est exclue du mar-
ché du logement, nombreux des hommes ont été divorcés et
l’ex-femme a gardé l’appartement, et la plupart ne présentent
pas de problèmes sociaux et mentaux sévères (ou alors ceux-
ci n’ont pas été repérés) et ne sont donc pas admissibles pour
un hébergement ou un appartement par la liste d’attente prio-
ritaire, et ne sont donc aucunement considérés comme sans-
abri. Ces personnes doivent souvent dormir dans la rue ou
vivre dans des situations de logement précaires avec de la
famille ou des amis car elles n’ont nulle part d’autre où loger.
Le marché du logement du Luxembourg présente ces
mêmes coûts élevés et croissants de logement. Nos entre-
tiens avec les personnes vivant dans la rue et dépendant des
services que nous avons visités soulignaient que la margina-
lisation des systèmes d’allocation de logements allait main
dans la main avec l’exclusion du marché de l’emploi. La cita-
tion suivante explique ce phénomène:
Il est important d’avoir un logement, mais je pense qu’il est
encore plus important d’avoir un emploi. Si j’avais un emploi, je
pourrais continuer à dormir ici le premier mois en attendant ma
fiche de paie - J’ai déjà visité 3 logements, j’ai expliqué ma situa-
tion et je leur ai expliqué qu’il me fallait une adresse afin de pou-
voir toucher le revenu minimum garanti (RMG). Et eux me
disent: essayez d’abord d’avoir votre revenu minimum garanti
(RMG)” (extraits de nos notes, prises pendant l’entretien).
Cette situation nous met face à un autre facteur structurel
important qui explique pourquoi les gens de nos jours dépen-
dent encore des services d’urgence pour les sans-abri: leur
exclusion du marché du travail.
4.2.2 RESTRUCTURATION DU MARCHÉ DU TRAVAIL
ET IMPORTANCE DES SERVICES D’URGENCE
TRAVAILLEURS PAUVRES
D’après la citation précédente, il s’ensuit que certaines per-
sonnes considèrent que l’exclusion du marché de l’emploi a
des conséquences bien plus graves que l’exclusion du mar-
ché du logement. Cependant, certaines personnes que nous
avons rencontrées à l’occasion de notre travail sur le terrain
n’étaient pas exclues du marché de l’emploi, mais devaient
néanmoins compter sur les services d’urgence pour trouver
un hébergement. Une des constatations les plus marquantes
du travail sur le terrain effectué en France concernait les per-
sonnes ayant un emploi régulier, mais qui devaient néanmoins
compter sur les services d’urgence afin de pouvoir survivre.
Bien qu’il soit convenu que l’exclusion du marché de l’emploi
entrave l’accès aux segments décents du marché du loge-
ment, nous trouvons ici un nouveau groupe - qui ne corres-
pond pas au profile type - renversant les idées préconçues
concernant la population fréquentant les foyers d’accueil d’ur-
gence. Ce nouveau groupe est composé essentiellement de
jeunes personnes ayant un emploi, communément appelé “tra-
vailleurs pauvres”. Ce sont de jeunes gens célibataires ou
parents uniques qui, parce qu’ils travaillent à mi-temps, éprou-
vent des difficultés dans leurs recherches d’un logement nor-
mal, plus particulièrement à Paris là où les loyers n’ont cesse
d’augmenter. Ces jeunes travailleurs, provenant souvent de la
France rurale ou des banlieues de Paris, mais ayant un emploi
à Paris, et ayant souvent des horaires antisociaux incompa-
tibles avec les transports en commun, ont souvent recours aux
foyers d’accueil d’urgence. Ils ne nécessitent pas de suivi
social, mais étant donné que l’accès à ces abris est libre et
gratuite, ces jeunes travailleurs pauvres peuvent souvent trou-
ver un hébergement non loin de leur lieu de travail. Nos
recherches sur ce phénomène nous ont indiqué qu’il touche
aussi bien les travailleurs non diplômés dans le secteur public
que les les travailleurs dans le secteur privé. Dans ce dernier
cas, la situation des travailleurs s’empire suite à la flexibilité
accrue dans les heures de travail. Tous les foyers interrogés à
l’occasion de cette étude (Emmaüs, le Centre Jacomet (pré-
cédemment Ney), Mie du Pain, etc...) ont évoqué ce sujet.
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
17
Sur base des résultats de la recherche effectuée à Hav řov
et Prague sur base de questionnaires, la perte d’un emploi
était plus souvent citée que la perte d’un domicile. Nous
avons trouvé que 16% des répondants citaient le chômage
comme facteur expliquant leur situation de sans-toît, tandis
que - après leur avoir demandé ce qu’ils espéraient de l’ave-
nir - un répondant sur trois citaient l’espoir de décrocher un
emploi (34%). A Prague, 20% des personnes interrogées par
les travailleurs de rue ont cité la perte d’un emploi et les pro-
blèmes financiers qui y sont liés comme étant des causes
directes des difficultés qu’elles rencontrent à présent.
En Slovénie, les travailleurs sociaux de Karitas ont également
cité la faillite de plusieurs grandes sociétés et une hausse
soudaine du chômage en conséquence comme étant un fac-
teur clé expliquant le phénomène des sans-toît au cours des
dix dernières années.
Un point plus général est soulevé par un des directeurs d’un
service d’urgence de Copenhague, soulignant le manque d’un
effort de prévention visant à éviter la croissance de problèmes
sociaux et mentaux sur le court terme, et à réduire à long terme
les processus généraux d’exclusion sociale dans la société, dont
l’emploi et l’éducation. La situation des sans-toît ne peut pas
être séparée des processus généraux de stratification et de margi-
nalisation. Il est tout à fait possible de dépendre des services sans
pour autant être sans-abri. Les services ciblent donc les personnes
dans une situation de marginalisation sociale. Il s’avère que les
deux utilisateurs répondants au centre d’activité n’étaient pas
actuellement sans-abri. Une de ces personnes n’avait pas une
expérience récente de sans-abrisme mais se servait quotidienne-
ment des services comme outil principal pour apporter une struc-
ture à sa vie sociale. L’autre utilisateur a obtenu un appartement
après une longue période de sans-abrisme et avait décroché un
emploi dans le département menuiserie du centre d’activité.
4.2.3 UNE CITOYENNETÉ INCOMPLÈTE
ET LE DURCISSEMENT DES RÈGLES RELATIVES
AU DROIT DE SÉJOUR DES ÉTRANGERS
Dans le contexte des services d’urgence du Luxembourg,
les membres du personnel ainsi que les utilisateurs parlent
du renforcement de la réglementation qui s’applique aux
immigrants clandestins et qui restreint l’accès au logement
temporaire ainsi qu’à d’autres services adaptés pour les per-
sonnes sans foyer. Leur citoyenneté incomplète va souvent
de paire avec des réseaux sociaux brisés, l’isolation sociale
et des problèmes de santé annexes (voir plus bas). Ce cas est
particulièrement ressenti par les immigrants provenant de
l’ex-Yougoslavie à Luxembourg-Ville (voir aussi le cas des
immigrants d’origine somalienne au Danemark).
4.2.4 UN DISCOURS HÉGÉMONIQUE SUR LE SANS-
ABRISME LE RETOUR CONTRAINT À LA RUE
Le rapport précédent, publié dans le cadre de cette série sur
les profils du sans-abrisme, s’est attardé sur les discours sur le
sans-abrisme retrouvés dans 8 quotidiens européens (voir
Meert et al. 2004). L’une de nos conclusions, basée sur le tra-
vail sur le terrain effectué à Copenhague, s’accorde avec la
conclusion générale du rapport précédent: les discours domi-
nants sur le sans-abrisme ont le pouvoir d’exclure des per-
sonnes de la société. Dans le contexte de notre travail sur le ter-
rain effectué à Copenhague, un des manager d’un des services
d’urgence indique aussi les problèmes liés au discours hégé-
monique sur le sans-abrisme, excluant de la définition les per-
sonnes ne présentant pas des problèmes sociaux et mentaux
graves. Cela est d’un intérêt important, et peut-être commode,
aux autorités responsables. Le transfert de ce discours vers
des définitions plus étroites du sans-abrisme pourrait servir (que
cela soit intentionnel ou non) comme manière d’exclure les per-
sonnes qui pourraient avoir besoin des services d’aide aux
sans-abri. Le résultat étant que ces personnes sont remises à
la rue, autres espaces publics et foyers d’accueil d’urgence.
4.3 La dimension institutionnelle
4.3.1 INTRODUCTION
Au travers du travail sur le terrain effectué dans les sept pays
étudiés, quatre facteurs institutionnels furent soulignés
comme contributeurs à l’explication multidimensionnelle du
phénomène des personnes vivant dans la rue en Europe:
> Problèmes de capacité (dans un contexte plus large qu’un
simple lien aux services d’urgence)
> décentralisation, spécialisation et sélectivité des services,
liées à la contractualisation des utilisateurs
> absence de coordination entre les services et
> problèmes spécifiques concernant la libération de prison.
4.3.2 PROBLÈMES DE CAPACITÉ
Un premier lien assez trivial entre le fait de vivre dans la rue et
l’opération de services d’urgences concerne la capacité limi-
tée de ces services. C’est un fait documenté et souligné par
les personnes interrogées, tant bien utilisateurs que membres
du personnel des services. A Madrid par exemple, il n’existait
que jusqu’à récemment que deux centres de nuit ouverts
toute l’année durant et n’exigeant pas de critères d’admission
(Open Door et Heat and Coffee de CEDIA 24 heures), qui
comptaient 116 places au total. Etant donné que le nombre
de personnes vivant et dormant dans les rues de Madrid, étant
en dehors du réseau de foyers et de services d’hébergement,
est estimé à environ 500 personnes (Cabrera & Rubio, 2003),
nous pouvons conclure que la capacité actuelle se situe bien
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
18
en deçà de la demande actuelle des utilisateurs potentiels. A
Prague, le nombre total de personnes sans-abri enregistrées
dans le recensement de 2004 s’élevait à 3.096 personnes,
tandis que le nombre total des lits disponibles dans les ser-
vices sociaux de la ville entière ne totalisait que 719.
Cependant, les problèmes de capacité ne sont pas comptabili-
sés uniquement en termes de nombres abstraits de lits ou
d’heures d’ouverture (la dimension quantitative). Dans le cas du
Danemark, par exemple, les directeurs de foyers d’accueil d’ur-
gence interrogés ne citent pas des problèmes de capacité dans
l’offre d’abris comme étant une cause majeure du phénomène
des personnes vivant dans la rue. Néanmoins, nous pouvons
étudier le problème de l’admissibilité comme étant un problème
de capacité (la dimension qualitative) étant donné que le sys-
tème des refuges ne pourrait pas accommoder le groupe de per-
sonnes n’ayant pas d’endroit où loger, mais ne présentant pas de
problèmes sociaux ou mentaux graves les rendant éligibles pour
la prestation de refuge et un logement social prioritaire. Les pro-
blèmes de capacité sont liés aux définitions du sans-abrisme et
les discours annexes (voir IV.2.4.). Les problèmes liés à l’éligibili-
té peuvent prendre plusieurs formes dramatiques. Un directeur d’un
des services interrogé en Slovénie avait évoqué ce dernier point.
Les problèmes liés aux soins de santé prennent une ampleur plus
alarmante du fait du nombre croissant de personnes âgées. Il
n’existait pas d’infrastructure dans le centre concerné leur permet-
tant de venir en aide à ces personnes. Le directeur a cité un cas
où une femme sans-abri fût renvoyée de l’hôpital alors qu’elle
était dans la dernière phase d’un cancer, car les docteurs ne pou-
vaient plus l’aider. Son entrée au centre fût problématique, étant
donné qu’ils ne pouvaient rien faire pour l’aider (bien qu’une infir-
mière soit venue lui rendre visite tous les jours): “avoir une person-
ne mourante dans la salle commune est une source de stress pour
toutes les personnes vivant dans le centre” (dixit le directeur).
D’un point de vue plus général, nous pouvons observer que
l’admissibilité devient une caractéristique centrale de nom-
breux services pour les sans-toît. Cette observation va de pair
avec la spécialisation et la sélectivité des services, un facteur
sur lequel nous nous épancherons dans la section suivante.
Cependant, avant d’aborder ce sujet, nous souhaiterions sou-
ligner que les problèmes de capacité ne sont pas limités au
seul cas des foyers d’accueil d’urgence. Les gens peuvent
aussi se trouver obligés de dormir dans la rue, même entou-
rés de nombreux foyers d’accueil d’urgence. Tant qu’il n’exis-
tera pas de possibilités pour une mobilité ascendante en
termes de logement, ces personnes devront passer la majo-
rité de leur temps dans des espaces publics, malgré l’exis-
tence de services d’urgence qui ne les logeraient que la nuit.
4.3.3 DÉCENTRALISATION, SPÉCIALISATION
ET SÉLECTIVITÉ DES SERVICES, LIÉES
À LA MISE SOUS CONTRACT DES UTILISATEURS
Au Luxembourg, la concentration de personnes sans-abri dans
la capitale et leur visibilité croissante ont mené à une restruc-
turation des services pour sans-abri dans la ville. L’état a
entamé les négociations avec les autorités locales, notamment
dans le sud du pays, afin d’ouvrir des structures d’urgence
pour les personnes en éprouvant le besoin. En conséquence,
un foyer d’accueil d’urgence fût ouvert pendant l’hiver 2003-
2004 à Esch-sur-Alzette, la seconde ville du Luxembourg.
Cette action fut répétée pendant l’hiver 2004-2005 dans l’ob-
jectif d’en faire un foyer d’accueil d’urgence permanent.
Cette tendance vers la décentralisation, illustrée par la situa-
tion au Luxembourg, pourrait renforcer la tendance vers la spé-
cialisation des services. Le débat entourant la spécialisation
des services pourrait mener au remplacement des services
généraux de protection sociale au profit de services spéciali-
sés d’aide aux sans-abri. Julien Damon (2002) dans La ques-
tion SDF: “En orientant les personnes sans-abri vers des ser-
vices spécialisés, les services généraux de protection sociale
(au sens universel) pourraient en arriver à ne plus étudier le trai-
tement d’un problème spécifique, et pourraient à terme esti-
mer que le problème spécifique ne soit plus de leur ressort”.
Cette tendance vers la spécialisation des services conduit à
une situation ou la diversité des interventions par l’Etat et le
secteur privé sont complétées par des pratiques spécifique-
ment locales. Donc, d’après Damon, ces changements impli-
quent que “les interventions publiques ne sont pas prises sur
base d’une législation générale et conceptuelle, mais bien que
l’action s’adapte et évolue en fonction des particularités
locales”. L’action sociale est donc reportée à un niveau bien
plus local où “l’intervention publique n’est plus l’administration
verticale et sectorielle inspirée par une idéologie basée sur l’in-
térêt général héritée des méthodes administratives classiques
développées à la fin du 19ème Siècle. Le processus décision-
nel et la mise en œuvre des mesures sont complétées par des
pratiques de partenariat qui peuvent aboutir en l’adaptation, la
modernisation et efficacité accrue de l’intervention publique”.
Sur base de notre travail auprès d’autres services au Luxem-
bourg, nous pouvons tirer d’autres conclusions vis-à-vis des
critères d’éligibilité pour les foyers d’accueil d’urgence. Un
membre du personnel du foyer d’accueil d’urgence Ulysse
nous a expliqué ce qui suit:
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
19
“Auparavant, les personnes sans-abri bénéficiaient d’une
gamme plus vaste de services de bien-être, tandis qu’actuel-
lement les services sont de plus en plus liés à des plans et
objectifs plus personnalisés pour chaque usage de service
individuel, les encourageant à prévoir pour l’avenir et partici-
per aux activités. Bien que tous les utilisateurs des services
ne soient pas motivés de le faire. Depuis la création du foyer
d’accueil d’urgence, le Ministère a insiste que nous encoura-
gions les gens à participer à de telles initiatives. Mais elle
rajoute Si nous n’étions pas là, je n’ose imaginer où iraient
ces personnes. Bien que le ministère exige une participation
des personnes sans-abri aux projets, et ceci est mon avis qui
n’engage que moi, je pense que notre objectif principal est
d’accueillir et être disponible pour ces personnes qui sont
dans la rue, quel que soit leur problème.” (extraits de nos
notes, prises pendant l’entretien)
La spécialisation des services et les problèmes d’admissibi-
lité font partie des phénomènes récurrents constatés auprès
des services que nous avons évalué à Sofia. Il existe bon
nombre de personnes sans-abri qui ne reçoivent pas d’aide
dans la recherche d’un hébergement car elles ne répondent
pas aux critères utilisés dans la sélection des personnes pour
un logement.
Le travail sur le terrain à Paris a démontré que les pro-
grammes d’urgence ne répondent pas aux besoins de
familles et de couples. Ces derniers éprouvent des difficultés
à obtenir des places dans des établissements d’urgence, qui
sont destinés principalement aux personnes célibataires. La
description suivante illustre cette dernière affirmation:
Un couple s’était rencontré dans une rue du 6ème arrondis-
sement. Ils sont tous deux français. Tous deux souffrent d’un
problème d’alcoolisme. Ils sont sans-abri depuis 14 ans. Ils ne
désirent pas se rendre dans un foyer d’accueil d’urgence car
ils ne souhaitent pas être séparés et il n’existe pas de foyers
pour couples. Ils s’y rendent de temps à autre s’ils sont trop
fatigués ou en cas de grand froid. L’équipe mobile “la
maraude” passe de temps en temps leur parler et passer du
temps avec eux. Tous deux ont perdu de nombreux membres
de leurs familles qui leur étaient proches (extraits de nos
notes, prises pendant l’entretien).
Des observations similaires furent établies à Prague où il
existe peu d’établissements accueillant les couples. S’il y a
des couples vivant dans la rue, qu’ils soient mariés ou non,
ils préfèrent vivre ensemble dans la rue que séparément dans
des logements d’urgence.
Un sujet très spécifique concernant la sélectivité, qui a un
impact assez important sur les personnes qui dorment dans
la rue, concerne l’interdiction des chiens dans les asiles de
nuit. Notre travail sur le terrain à Paris a souligné le cas de ce
que l’on appelle les “fêtards” ou “ravers” qui se déplacent de
ville en ville, souvent accompagnés d’un chien, et qui suivent
souvent des manifestations culturelles. Ces personnes
demandent un abri de courte durée dans les villes où elles
sont de passage avec la possibilité de prendre une douche
et éventuellement l’accès à une consultation médicale dans
un centre de jour. Cependant, comme pour les personnes
sans-toît ayant un chien, seul un nombre restreint de foyers
acceptent les animaux domestiques. Donc, ces personnes
préfèrent rester dans la rue que de renoncer à leur compa-
gnon indispensable, un compagnon qui joue un rôle versatile
tant bien au niveau émotionnel qu’en tant que protection
contre l’agression ou le vol.
Nos entretiens à Prague ont révélé une situation similaire: il
n’existe pas de foyers autorisant des animaux de compagnie
pour les personnes possédant des animaux, et particulièrement
des chiens pour des raisons émotionnelles et de sécurité.
4.3.4 ABSENCE DE COORDINATION
ENTRE LES SERVICES
A Madrid, la ville a récemment entrepris des actions visant la
promotion de la coordination des services pour les sans-toît.
Etant donné que la gamme d’interventions s’étend de ser-
vices d’urgence à l’inclusion sociale, il existe un besoin de
coordonner le réseau de ressources pour les sans-abri afin de
créer des synergies. Le conseil municipal de Madrid a débuté
l’échafaudage d’un Système de Coordination de l’Assistance
aux Sans-abri, impliquant des organisations publiques et pri-
vées. Les services d’urgence sociale tiendront un rôle déci-
sif dans cette coordination.
Le sujet de la coordination fût soulevé par les directeurs des
services d’urgence évalués à Copenhague. Ils ont souligné
le besoin de coordination entre les différents prestataires de
services afin de réduire le nombre de personnes vivant dans
la rue. Les directeurs mettent l’accent sur le fait que dormir
dans la rue est une situation temporaire pour la majorité des
individus. La réussite, ou l’échec, quant à l’aide permettant
à ces personnes de remédier à cette situation dépend d’une
coordination réussie des efforts ciblés des différents acteurs.
Ceci souligne l’importance pour les services d’urgence
d’avoir des contacts avec d’autres services concernant l’uti-
lisateur individuel.
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
20
Le directeur du service d’urgence privé à Copenhague que
nous avons contacté a souligné que les travailleurs sociaux
et autres professionnels ne font pas suivre les informations
qu’ils détiennent au sujet de personnes sans-abri auprès du
prestataire de services, par exemple un asile de nuit, un hôpi-
tal somatique, ou des unités psychiatriques vers lesquels ces
personnes sont orientées. Il souligne aussi le manque de sou-
tien apporté aux utilisateurs au cours de leur interaction avec
le système. Il donne l’exemple d’un utilisateur ayant été
accordé le droit à un appartement et une aide de nettoyage
à domicile par la municipalité. A un moment donné l’appar-
tement est devenu assez désordonné, et le personnel de Pro-
ject Outside reçut un avis provenant du bureau de l’assis-
tance à domicile disant que la personne avait refusé
l’assistance de nettoyage à domicile; le résultat étant que le
bureau de nettoyage à domicile a mis fin au service de net-
toyage. Une approche plus appropriée aurait été de contac-
ter les autres personnes impliquées dans le soutien de cette
personne qui pourraient être en mesure de motiver l’utilisa-
teur à continuer à accepter le service de nettoyage. Un autre
exemple est la permission de quitter l’hôpital psychiatrique et
somatique accordée rapidement si la coordination n’est pas
établie et la personne sans-abri n’est pas soutenue par des
contacts extérieurs au système hospitalier. Le directeur du
service d’urgence privé identifie le besoin de réunions régu-
lières de discussion des dossiers impliquant tous les presta-
taires de services pertinents afin de renforcer la coordination
autour de l’utilisateur individuel. Le directeur affirme qu’il
existe une coordination entre les travailleurs de rue et les
autres prestataires de services, mais souligne le besoin d’an-
crer ces efforts démocratiques dans la structure de la fonc-
tion publique.
De même, le directeur du service d’urgence public de Copen-
hague décrit l’importance de la coordination entre les pres-
tataires de services. Une fonction importante du service d’ur-
gence public est d’orienter ses utilisateurs vers les services
et établissements appropriés. C’est une tâche ardue étant
donné que de nombreux utilisateurs ont précédemment
coupé les liens avec le corps social. Ceci indique le rôle
important qu’ont les travailleurs sociaux dans le rétablisse-
ment de la confiance et du contact avec les autres services
et le corps social. Cependant, le directeur du service d’ur-
gence public met l’accent sur les tentatives de renforcement
de l’effort de coordination. Récemment, un nombre de tra-
vailleurs sur le terrain furent affectés aux centres sociaux
locaux de par la ville et une partie importante de leur charge
de travail consiste à établir et organiser cette fonction de
coordination.
La divergence constatée dans les propos des deux directeurs
concernant le manque d’efforts de coordination soulève la
question de savoir si la coordination est adéquate et plura-
liste. De plus, elle soulève la question de savoir s’il existe des
mécanismes empêchant certains prestataires de services de
venir en aide aux groupes les plus marginalisés de la popu-
lation sans-abri, particulièrement à la gamme complète de
personnes vivant dans la rue. Les équipes de sensibilisation
à la psychose opérant au sein du système psychiatrique en
sont un exemple. Elles ne fournissent des services qu’aux
personnes précédemment orientées vers le système. Elles ne
sont donc pas orientées vers les personnes vivant dans la
rue souffrant de maladies mentales. Le système public crée
peut-être donc, involontairement, des barrières empêchant
certaines personnes vivant dans la rue d’avoir accès au ser-
vice tant bien même qu’elles en auraient le plus besoin.
4.3.5 LA SORTIE DES INSTITUTIONS
La période suivant la sortie d’hôpital, d’orphelinats, et parti-
culièrement de prison est une période difficile pour les per-
sonnes concernées étant donné qu’elles courent un risque
élevé d’exclusion d’un logement décent.
Le questionnaire à Prague et Hav řov démontre le lien évi-
dent entre la sortie des institutions et le fait de vivre dans la
rue. Sept des 30 répondants qui vivent dans les rues de
Hav řov (23%) ont attribué leurs conditions de vie difficiles au
manque de soutien après leur sortie de prison. A Prague, les
pourcentages variaient entre 14% et 6% concernant la mise
en liberté de prison. Ici, une personne sans-toît sur vingt a
également fait mention du manque de logement suite à leur
sortie d’un foyer pour enfants ou d’hôpital.
Exemple: Un homme (âgé de 65 ans) n’avait jamais eu de
domicile. Durant la seconde guerre mondiale, il a passé son
enfance dans un orphelinat et puis dans un foyer pour enfants.
Après il effectua son service militaire et ensuite, jusqu’en 1990,
il vécut dans des foyers de sociétés. Suite à la fermeture de
son dernier foyer, il perdit son emploi et devint sans-abri. Il
prend soin de lui-même, est présentable et s’installe toujours
quelque part pendant quelques mois avant de retourner dans
un foyer (extraits de nos notes, prises pendant l’entretien).
A Copenhague, le Centre d’Activité a participé à des projets
visant à établir un meilleur contact pour les utilisateurs avec
tous les secteurs participants: hôpitaux, prisons, foyers § 94.
Ceci peut être considéré comme une tentative positive de pré-
vention de conditions de vie difficiles pour les personnes libé-
rées d’institutions. Ces projets tentent d’améliorer leur situation
de vie en offrant un travail de sensibilisation dans la rue et en
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
21
établissant un réseau entre travailleurs sociaux, personnes de
contact et de soutien et le personnel des services de santé tra-
vaillant directement avec les personnes sans-abri dans les dif-
férentes localités de Copenhague. Donc, l’objectif principal du
projet est de ramener les clients vers des services médicaux et
sociaux normaux par le biais de la coordination; et de les mettre
en contact avec les autorités sociales responsables de leur
trouver une place dans un foyer (en guise de première étape).
Notre travail sur le terrain au Luxembourg démontre aussi le
ien entre la libération de prison et la dépendance vis-à-vis des
services d’urgence. Ici aussi, par manque d’autres solutions
ou par manque de préparation, certains ex-détenus se retrou-
vent dans des foyers d’accueil d’urgence après leur libération
de prison. Un travailleur social du foyer a expliqué pendant
un entretien: Le problème est que souvent le “Service Central
d’Assistance Sociale” n’est pas mise au courant quand une
personne est libérée de prison. Cela signifie que la libération
est difficile à organiser. Notre personne de contact au SCAS
nous expliquait que certaines personnes devaient rester plus
longtemps en prison, mais lorsque je suis arrivée au travail
lundi il m’a été signalé que les personnes avaient été libérées
par manque de place (extraits de nos notes, prises pendant
l’entretien). De plus, la personne libérée n’introduit pas tou-
jours une demande pour des prestations sociales dans les
bons délais, et quitte donc la prison sans revenus.
Nos entretiens au Luxembourg ont donné les résultats suivants:
Gérard a perdu sa maison et son emploi lorsqu’il fut
condamné. Lorsqu’il fût libéré, il n’avait plus rien. Il dormait
dans la vallée Pétrusse (un petit cours d’eau qui traverse
Luxembourg-Ville), dans des squats et des caves. Répondant
à ma question, il a expliqué qu’il n’avait même pas un sac de
couchage (extrait de nos notes, prises pendant l’entretien).
Jean-Willy a vécu la même situation: Lorsque j’ai quitté la pri-
son, j’avais 60 euros sur moi, je les utilise petit par petit. J’ai
des repas au Stëmm2, où je peux manger pour 50 cents, sinon
je ne mange rien. Ici à l’Abrigado, je reçois de l’eau et je peux
aussi prendre une douche (extraits de nos notes, prises pen-
dant l’entretien). Pour lui, la situation est compliquée par un
autre problème: il refuse d’entrer une demande pour des
prestations sociales puisque ces derniers doivent être rem-
boursés. Ica ne m’intéresse pas, je préfère travailler vu que je
devrais rembourser les prestations de toute façon, donc ça ne
m’avancerait à rien.
La prison peut s’avérer une expérience traumatisante pour
certains, comme le démontre l’entretien avec Marceline: “J’ai
été condamnée, j’ai passé un an en prison. J’ai été violée en
prison, et puis ma peine a été rallongée de 10 mois, donc j’ai
fini par passer 22 mois en prison, dont 10 que je n’avait pas
mérités.” (extraits de nos notes, prises pendant l’entretien).
Ces expériences peuvent renforcer le processus de l’exclu-
sion3, particulièrement lorsque ces personnes se retrouvent
à la rue après leur libération. Les expériences des individus
au sein des institutions ayant un effet considérable sur le pro-
cessus de réhabilitation après la libération.
Cette dernière observation nous mène à une troisième
gamme de facteurs qui aident à expliquer pourquoi certaines
personnes sont obligées de dépendre des services d’urgence
en Europe: ce que l’on appelle les caractéristiques indivi-
duelles/personnelles, impliquant aussi certains aspects des
relations interpersonnelles.
4.4 La dimension personnelle
Comme nous l’avons expliqué dans la partie méthodolo-
gique, nous avons également interviewé un échantillon de
personnes sans domicile fixe qui refusaient d’utiliser les ser-
vices d’urgence. Nous débuterons l’étude par ce groupe, car
leurs expériences concordent étroitement avec les explica-
tions institutionnelles données précédemment. Puis nous
évaluerons de manière plus poussée l’impact des ruptures
dans les réseaux sociaux, les problèmes de santé et les
conséquences des addictions.
4.4.1 REFUS DE L’INDIVIDU DE DÉPENDRE
DES SERVICES D’URGENCE
Les longues listes d’attente, la discipline imposée aux utilisa-
teurs, la sélectivité croissante et les conditions d’éligibilité
sont également des raisons qui poussent certain individus
sans-abri à finalement rejeter les services d’urgence et à pas-
ser la majeure partie de leur temps dans des espaces publics.
A Paris par exemple, certaines personnes interrogées non
utilisatrices de ces services mentionnent le temps d’attente
sur le numéro vert “115” (considéré comme trop long par la
plupart des utilisateurs, par les services sociaux et aussi par
le manager lui-même, d’après les enquêtes). Ce temps d’at-
tente justifierait leur refus de demander un hébergement dans
un abri d’urgence.
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
22
2 The “Stëmm vun der Strooss” is a street paper which also runs
services in a day centre.
3 Vincent de Gaulejac, Isabel Tabadoa Léonetti, “La lutte des
places”, Desclée de Brouwer, Paris, 1994
Dans la ville tchèque de Hav řov, parmi les motifs invoqués
par les 30 sans-abri interrogés sur leur situation, nous avons
retenu le problème du partage des espaces avec plusieurs per-
sonnes et l’absence de gratuité totale des services. Au Centre
d’aide / conseil de Prague, où l’on a interviewé 100 personnes,
trois problèmes majeurs liés aux institutions ont été avancés
pour expliquer le refus d’utiliser les centres d’abri: mauvaises
expériences avec le personnel et les services personnels (86%)
et mauvaises expériences avec les autres clients (12%).
Sur la base des réponses des 51 clients interrogés dans les
rues de Prague, les motifs de rejet des abris sont les suivants
(voir la figure 10):
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
23
Je suis indépendant, la vie de la rue me convient mieux
Les autres clients peuvent être la source de problèmes
C’est cher
Trop de règles, trop d’exigences sur la discipline
Les problèmes d’hygiène
L’attitude du personnel
Autres raisons
Figure 10 Pourquoi certaines personnes refusent de trouver refuge dans un abri et préfèrent dormir dans les rues de Prague
% 0 5 10 15 20 25 30
4.4.2 DES RÉSEAUX SOCIAUX PROBLÉMATIQUES
ET VIOLENCES DES MÉNAGES
Beaucoup des personnes qui dorment dans la rue évoquent
une rupture dans leur réseau social, un tournant quasi fatal
qui les conduit à s’installer pour un temps dans des lieux
publics avec une situation de dépendance vis-à-vis des ser-
vices d’urgence. Les violences familiales constituent la forme
la plus dramatique de rupture sociale. Nous développerons
d’abord les formes les plus courantes de rupture (tels que les
divorces) puis nous reviendrons plus précisément sur le pro-
blème de la violence.
Les enquêtes menées en République tchèque montrent très
clairement l’importance des ruptures au sein des réseaux so-
ciaux comme facteur d’explication clé du sans-abrisme. Parmi
les sans-abri de la ville industrielle de Hav řov, 33% des per-
sonnes interrogées font référence à des problèmes avec leur fa-
mille, leur partenaire ou parents. A Prague, les clients du Centre
d’aide - Poradna MCSSP - parlent également l’importance de
la stabilité des relations; dans 47% des cas (100 personnes in-
terrogées), on décèle des problèmes de famille ou des divorces.
Dans le cadre du travail mené dans les rues de Prague - Nadě-
je, on retrouve des problèmes similaires dans 43% des cas.
L’enquête réalisée auprès des deux services d’urgence de
Luxembourg nous a amenés aux mêmes conclusions. Les
ruptures dans les réseaux sociaux sont des facteurs majeurs
qui expliquent que certaines personnes se retrouvent, sou-
dainement parfois, exposés aux difficultés de la rue et des
lieux publics de Luxembourg. Tandis que les questionnaires
relativement courts utilisés en République tchèque listaient
principalement les facteurs du sans-abrisme (et nous ont per-
mis d’estimer la dimension quantitative du problème), on a
pu évaluer, grâce à des interviews plus approfondies menées
à Luxembourg, les liens que l’on peut établir entre les vies
privées de plusieurs individus au destin dramatique. D’où:
> Le divorce a déclenché une série de problèmes: perte de
travail, perte de domicile, tentatives de suicide, consom-
mation abusive d’alcool, et finalement prison;
> Certains jeunes rejetés par leur famille ont terminé dans la
rue, l’un d’entre eux avec des problèmes psychologiques et
de drogue, un autre au chômage, ce qui signifie qu’il n’avait
aucun revenu et ne pouvait bénéficier de l’allocation de reve-
nu minimum qui est réservée aux jeunes de plus de 25 ans;
> Une expérience au sein d’un centre d’accueil: Christine a
vécu dans un abri depuis la mort de sa mère lorsqu’elle
avait 5 ans - elle a aujourd’hui passé la barre des 18 ans
et se trouve en prison. Son père et ses sœurs ne veulent
rien faire pour elle. Quand elle réfléchit aux 15 dernières
années, elle pense:
“Pourquoi? D’abord, c’est souvent dû à la situation de fa-
mille, surtout lorsque la famille n’est pas très unie, c’est le
fait d’avoir été abandonnée à son propre sort depuis son
plus jeune âge, d’avoir été battue depuis toute petite... mais
c’est aussi parce que personne n’a jamais cherché à la com-
prendre... la mort et le deuil de sa mère. Certains n’auraient
pas pu supporter le stresse émotionnel d’une telle situa-
tion, ils seraient partis seuls pour finir le plus souvent dans
la rue... (extraits de nos notes, prises durant l’interview)”
En Slovénie, l’importance des réseaux familiaux est significa-
tive. Ce constat est conforté par les recherches sur les réseaux
d’aide sociale, où la famille s’avère être la principale source de
soutien, et ce pratiquement à tous les niveaux: le soutien finan-
cier, l’aide matérielle, la socialisation et le soutien émotionnel
(Dremelj 2003, Hlebec 2003). Avec le manque de soutien fami-
lial, la majorité des neuf utilisateurs des services d’urgence
interrogés précédemment souffrait d’un manque concernant
les autres types de soutien (l’amitié par exemple). Ainsi, six des
individus interviewés n’étaient pas dans des relations à long
terme, et étaient pratiquement toujours célibataires (seulement
trois d’entre eux étaient divorcés). Tous ont vécu soit des situa-
tions de conflit dans leur famille et sont partis pour cette rai-
son, soit ils ont eu des conflits avec leur partenaire (par
exemple une femme qui avait forcé son conjoint à quitter l’ap-
partement pour motif de violence).
Bien que la violence dans les ménages soit souvent occultée,
notre travail de terrain auprès des personnes sans domicile
fixe a montré qu’il existait un autre facteur crucial expliquant
pourquoi certaines personnes se retrouvent brusquement à
vivre dans les espaces publics. Tous les cas présentés et
débattus évoquent des femmes battues par un autre membre
du foyer (la plupart du temps leur partenaire).
D’après le personnel des services d’urgence parisiens ainsi
que d’autres personnes interviewées, la féminisation des uti-
lisateurs de ces services (voir aussi la partie III.3) s’explique
de plus en plus par le nombre croissant de femmes maltrai-
tées et fuyant leur domicile. Par conséquent, si les demandes
d’asile en provenance des femmes semblent être un facteur
nouveau et de poids pour les abris d’urgence, la violence à
l’encontre des femmes reste la cause majeure qui les pousse
à se présenter dans ces centres. En effet, selon la “Commis-
sion d’action contre les violences faites aux femmes”, le
nombre de plaintes pour violence a augmenté. Il est passé de
35.000 à 40.600 en l’espace d’un an (55% sont le résultat de
conflits domestiques). On constate également cela à travers
le nombre de femmes recueillies par la police, qui est passé
de 140 en 1999 à 209 en 20004. Ainsi, la “halte aide aux
femmes battues” a enregistré en 2000 que sur 478 femmes
hébergées, 70% d’entre elles avaient souffert de violences et
30% étaient là du fait de leur situation sociale précaire. Les
femmes ayant subi des violences sont essentiellement fran-
çaises, mariées (65%) ou vivant en couple (51%) et ont des
enfants. Elles se trouvent dans la tranche d’âge des 30-40
ans. Celles qui connaissent les plus grosses difficultés ou ont
besoins d’une aide immédiatets sont majoritairement céliba-
taires (66%) et étrangères. Elles sont également caractérisées
par une surreprésentation de femmes très jeunes ou âgées et
se trouvent dans des situations on ne peut plus précaire, en
fin de statut légal, de revenu, et d’allocations sociales.
4.4.3 LES PROBLÈMES DE SANTÉ
COMME CAUSES DU SANS-ABRISME
Les ruptures dans les réseaux sociaux peuvent survenir sou-
dainement ou au contraire elles peuvent être le résultat d’une
série de tensions latentes qui culminent par une rupture. On
peut émettre ce même type d’observation concernant les
problèmes de santé. Les problèmes de santé sont souvent à
l’origine de situations où les gens se retrouvent brusquement
exclus de tout logement décent.
Il est généralement difficile de juger si la dégradation de la
santé des personnes sans-abri est due essentiellement à
leurs conditions de vie difficiles ou si elles souffraient déjà
d’une maladie avant d’être à la rue.
Néanmoins, quand on interroge les gens sur les raisons qui
les ont poussés à la rue, ils évoquent des problèmes de santé
rencontrés alors qu’ils avaient toujours accès à un logement
décent. Les trois enquêtes menées auprès des utilisateurs
des services d’urgence en République tchèque montrent
que 5 à 10% des personnes interrogées considèrent leurs
problèmes de santé comme la cause de leur existence dans
les rues de Prague (5 to 6%) ou de Hav řov (11%, voire plus
à Hav řov en raison de l’environnement industriel).
Parmi les personnes que nous avons interrogées dans les
centres d’urgence parisiens, nous avons trouvé deux
exemples frappants illustrant l’impact des problèmes de
santé sur l’accès au logement:
Bruno, 35 ans: Interviewé au centre Jacomet. Nationalité:
Française, de Marseille. Enfant adopté, il vient à Paris pour
trouver du travail. Problèmes de santé (maladie pulmonaire).
Il a été expulsé de son appartement en raison d’impayés de
loyer. Il travaillait, mais suite à des problèmes de santé, il a
arrêté son activité professionnelle et attend la “AHH” (aide
financière aux handicapés). Il a eu plusieurs rendez-vous à
l’hôpital. Il travaille au noir. Le médecin à prolongé son arrêt
au centre d’urgence pour raison de santé. Il y est resté un
mois (extraits de nos notes prises au cours de l’entretien).
Jean-Pierre: Interviewé à “La Mie du Pain”, centre d’urgence.
Il souffre de sérieux problèmes de santé et fréquente ce
centre depuis 2003. Après la fermeture du centre, le 18 avril,
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
24
4 Schéma d’accueil, d’hébergement et d’insertion de Paris.
Travaux de synthèse. 2004-2005
il trouvera une autre solution, un hôtel. Il est handicapé et a
un cancer de l’estomac. L’hôpital n’a pas voulu le garder hos-
pitalisé. Il a une femme et 4 enfants en Algérie. Il avait travaillé
dans l’industrie textile. Ses problèmes de santé sautaient aux
yeux, il avait l’air malade et avait la bouche noircie (extraits
de nos notes prises au cours de l’entretien).
Les problèmes de santé ne causent pas seulement la perte
d’un toit; ils expliquent également pourquoi certaines per-
sonnes continuent de passer beaucoup de temps dans les
espaces publics et ont recours aux services d’urgence. C’est
ce que les managers des services d’urgence de Copenhague
ont souligné, insistant en particulier sur la situation sociale et
l’état mental des utilisateurs comme facteur majeur de l’exis-
tence persistante des personnes à la rue. Nombre de sans-
abri ont des problèmes de santé mentale sévères. Certains
ont peur de dormir dans un appartement et ne peuvent géné-
ralement pas se prendre en charge pour vivre seul. C’est
pourquoi, pour beaucoup de sans-abri, il est difficile de trou-
ver un hébergement dans un logement classique. Beaucoup
vivaient en appartement auparavant mais ont été expulsés
suite à des plaintes du voisinage, etc.
La citation suivante, inspirée du travail de terrain mené en
République tchèque, illustre l’impact fort des maladies men-
tales sur les conditions de vie:
M. Rudolf, né en 1921: tous les hivers, il dort dans la neige,
enveloppés dans des haillons. On l’a toujours convaincu de
se battre aux côtés de la rébellion slovaque (1944). Il est de
nationalité slovaque mais ne possède pas de papiers d’iden-
tité légaux. Il devait aller chercher ses nouveaux papiers en
Slovaquie, la situation devenait de plus en plus difficile sans
papiers officiels (il a refusé d’aller les chercher). Il passait au
Centre de Jour prendre de quoi manger, se vêtir, une hygiène
et des soins de santé. Il a fini par mourir un jour d’hivers.
(extraits de nos notes prises au cours de l’entretien)
4.4.4 DROGUE, ALCOOL ET DÉPENDANCE
AUX SERVICES D’URGENCE
Le dernier point de l’étude porte sur l’impact des différentes
formes d’addiction sur le sans-abrisme. Encore une fois,
nous constatons qu’une part significative des sans-abri
souffre d’une dépendance à la drogue, à l’alcool ou à d’autres
stimulants. Quant à savoir si c’est une cause ou conséquence
du sans-abrisme, cela dépend de la personne.
Les trois enquêtes menées en République tchèque montrent
que les problèmes d’addiction sont mentionnés spontané-
ment pour faire référence aux sans-abri de Hav řov, où les
problèmes d’alcoolisme représentent 13% des causes iden-
tifiées comme responsables de leurs conditions de vie quo-
tidienne. Au Centre de Jour Naděje de Prague pour les sans-
abri, encore 4% de plus étaient attribués aux problèmes d’al-
coolisme.
Comme dans le cas des problèmes de santé sévères, l’ad-
diction à la drogue, à l’alcool et aux autres stimulants n’est
pas seulement la source du sans-abrisme. Les addictions
participent aussi à maintenir les gens dans de mauvaises
conditions de vie. De plus, les problèmes de dépendance ont
également un impact sur d’autres aspects fondamentaux de
la vie quotidienne, telles que les relations familiales et ami-
cales. Le texte suivant extrait de notre travail dans les rues
de Paris illustre cette tendance:
Deux individus formant un couple se sont rencontrés dans
une rue du 6ème district. Ils sont tous deux français. Et ils
ont tous deux de grave problèmes avec l’alcool. Ils vivent
dans la rue depuis 14 ans maintenant. Ils refusent d’aller dans
des abris d’urgence parce qu’ils ne veulent pas être séparés
et qu’il n’existe pas de centre pour les couples. Ils s’y rendent
de temps en temps lorsqu’ils sont trop fatigués ou bien que
le froid sévit trop fort. L’équipe mobile “la maraude” vient
quelquefois discuter et passer du temps avec eux. Chacun
des deux a perdu beaucoup de proches dans leur famille
(extraits de nos notes prises au cours de l’entretien)
On a constaté les mêmes problèmes pour deux sans-abri slo-
vènes. La description suivante sur leurs conditions de vie
dans les rues de Ljubljana montre bien qu’il existe toujours
un chevauchement complexe de plusieurs facteurs qui
conduisent au sans-abrisme. Et l’abus d’alcool est souvent
un des nombreux problèmes à l’origine d’une dépendance
aux services d’urgence.
Anton: Il a été rejeté par sa famille (sa mère et ses frères) et
mis à la porte. Il n’arrivait pas à conserver un travail du fait de
ses problèmes d’alcool. Le rejet de sa famille est selon lui la
principale raison de sa situation actuelle. “Ce qui m’a le plus
blessé dans le fait d’être rejeté par ma famille... C’est qu’ils
refusaient même de me reconnaître dans la rue. Ils ne réali-
sent pas qu’ils pourraient se retrouver demain dans la même
situation.”
Janez: Il a commencé à boire après le divorce, et a égale-
ment perdu son emploi. Son père l’a autorisé à dormir dans
sa maison, mais il avait de mauvaises relations avec sa famille
(liées à ses problèmes avec l’alcool) (extraits de nos notes
prises au cours de l’entretien).
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
25
Ce troisième rapport de l’Observatoire Européen sur le sans-
abrisme qui porte sur les traits du sans-abrisme se concentre
sur les services d’urgence et leurs utilisateurs. Deux ques-
tions centrales sont posées: qui sont les personnes dépen-
dantes de ces services et pourquoi agissent-elles ainsi?
Le rapport se fonde sur un travail de terrain réalisé dans sept
pays européens (République tchèque, Danemark, France,
Luxembourg, Slovénie, Espagne et Bulgarie). Au total, nous
avons mené un travail empirique auprès de 22 services d’ur-
gence, créés à partir d’initiatives publiques comme privées,
et offrant ou non un hébergement (comme le travail social de
rue). Outre les quelques données quantitatives obtenues
grâce à un travail de recensement des services eux-mêmes,
nous avons concentré notre attention principalement sur les
interviews. Là, nous avons fait la distinction entre les diffé-
rents types de personnes interviewées: le personnel et
l’équipe des services, les utilisateurs des services, les non-
utilisateurs et quelques personnes clés (telles que les ven-
deurs de magasines sur le sans-abrisme).
Nos recherches montrent que les profils des sans-abri qui
utilisent les services d’urgence varient considérablement
selon les différents types de services offerts. Toutefois, on
peut observer certaines tendances générales.
La première tendance observée est la féminisation des
utilisateurs, laquelle est souvent liée à deux processus: le
nombre croissant de femmes immigrées (dans le cadre des
demandes d’asile) et celles qui fuient les violences do-
mestiques. Ensuite, l’évolution des structures d’âge des
utilisateurs dépend fortement du type de service rendu.
Troisièmement, dans les pays d’Europe centrale et orientale,
les sans-abri étrangers sont peu nombreux. Cependant, les
Roms forment probablement la principale minorité non consi-
dérée comme autochtone du pays. De plus, dans les pays
occidentaux que nous avons étudiés, les tendances obser-
vées sont assez ambiguës en ce qui concerne la présence
d’étrangers parmi les utilisateurs de services d’urgence. D’un
côté, les tendances tendent à révéler une diminution de leur
nombre (allant de pair avec un durcissement des lois appli-
quées aux demandeurs d’asile), tandis que d’un autre côté,
certaines nationalités sont en augmentation. Pour com-
prendre cette tendance, nous avons besoin d’une analyse
plus poussée, bien que nous puissions les lier aux mutations
rapides de certaines vagues d’immigration qui n’ont pas été
complètement neutralisées par la rigidité des lois nationales
sur l’immigration.
Notre travail de terrain a révélé par la suite plusieurs raisons
- parfois plutôt générales, parfois très spécifiques - qui expli-
quaient pourquoi certaines personnes se retrouvaient dans
les espaces publics urbains. Ici, nous insistons sur trois
aspects que nous développerons sous un angle politique.
> Pour expliquer pourquoi certains individus sont contraints
de passer la majeure partie de leur temps dans les
espaces publics, les personnes interrogées font souvent
référence implicitement aux problèmes de capacité des
services d’urgence existant et en particulier dans les abris.
Une augmentation de cette capacité est alors envisagée
comme une solution possible. Néanmoins, nous affirmons
que ceci est une fausse solution puisque les problèmes
de capacité ne se limitent pas uniquement aux cas des
centres d’urgence. En effet, les individus peuvent aussi se
trouver contraints de vivre dans la rue tout en ayant plu-
sieurs abris d’urgence disponibles. Tant qu’il n’y aura pas
la possibilité d’une mobilité résidentielle vers le haut,
ils devront passer la majeure partie de leur temps dans
des espaces publics, en dépit de l’existence d’une gamme
importante de services d’urgence. Pour poser le problème
franchement: le défi est de créer une situation où l’on n’au-
rait plus besoin de services d’urgence, plutôt que de se
fixer une ligne politique principale qui vise à améliorer la
qualité des services offerts et leur capacité.
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5. C o n c l u s i o n s e t l e ç o n s s u r l e s p o l i t i q u e s
L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
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> L’autre constat issu de notre réflexion concerne l’utilisation
des services d’urgence par des individus que l’on ne s’at-
tendrait pas à voir, à première vue, parmi les utilisateurs.
Nous avons souligné dans ce rapport le cas des tra-
vailleurs à faibles revenus qui - dans un contexte d’aug-
mentation constante des loyers parisiens - sont dirigés
vers les abris de nuit afin de trouver hébergement abor-
dable. Ce phénomène montre la nécessité de dévelop-
per une politique préventive afin de renverser l’escalade
des problèmes économiques et sociaux et de contrecar-
rer les procédures courantes d’exclusion sociale (qui
incluent le chômage et le manque d’éducation). Là encore,
ceci requiert une approche multidimensionnelle, où une
première action de nature stimulante voire contraignante
serait engagée au niveau européen, puis transposée et
mise en place par la suite à des niveaux politiques infé-
rieurs (principe de subsidiarité).
> Par ailleurs, les résultats de nos recherches révèlent clai-
rement que parmi les sans-abri et en dépit de l’exclusion
sociale dont ils souffrent tous, certains ont davantage de
droits que d’autres. Certaines personnes se voient appli-
quer des règles différentes des autres. Cela signifie que
pour certains, il est presque impossible d’obtenir une quel-
conque forme de soutien de la part des services d’ur-
gence. Avec les tendances à la décentralisation et la spé-
cialisation des services, les fournisseurs disposent de plus
en plus d’autonomie pour définir les critères d’accessibi-
lité et introduire ainsi de nouvelles conditions d’éligibilité.
Nous faisons ici référence au cas des somaliens, un
groupe d’immigrés important au Danemark qui est exclu
des services pour sans-abri parce qu’il n’est pas supposé
avoir de problèmes majeurs de sans-abrisme. Ce que
nous observons ici sont les critères très controversés
d’éligibilité dans les différents domaines: la politique
socio-culturelle à l’égard des immigrés et la politique de
lutte contre le sans-abrisme. Ainsi, la recherche d’un sou-
tien, quel qu’il soit, par les individus concernés signifie
qu’ils doivent recourir à des types d’assistance informels,
avant de tomber dans des rapports de force où ils sont
systématiquement victimes des plus mauvais traitements.
Il s’ensuit un processus de marginalisation de “ceux qui
ne sont jamais éligibles” et qui commence avec leur
exclusion de toute assistance publique, qui se poursuit
avec leur transfert vers le troisième secteur des ONGs où
ils sont également rejetés et finit dans des formes de soli-
darité informelles et souvent explosives. Cette dernière
étape du processus va de pair avec la lourde fréquenta-
tion des lieux publics. Alors, la polarisation sociale et la
marginalisation, la restructuration de tous les types de ser-
vices de solidarité et l’utilisation de l’espace public, les
désordres qui en découlent, tous se retrouvent liés entre
eux. A moins qu’il y ait une intervention structurée dans
les deux premiers processus mentionnés, une large pro-
portion d’individus sera constamment contrainte de
dépendre des espaces publics et des services d’urgence.
O b s e r v a t o i r e E u r o p é e n s u r l e s a n s - a b r i s m e
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L’évolution des profilsdes sans-abri – Une dépendance persistante à l’égard des services d’urgence en Europe: Qui et Pourquoi?
29
Autriche
Heinz Schoibl – Helix Research and Consulting
Belgique
Pascal de Decker – Antwerp University
République tchèque
Ilja Hradecký – Naděje
Danemark
Inger Koch-Neilsen and Lars Benjaminsen
Social Forsknings Institutet
[email protected]; [email protected]
Estonie
Jüri Köre – University of Tartu
Finlande
Sirkka-Liisa Kärkkäinen – Stakes
France
Dalila Zidi – Housing Research Consultant
Allemagne
Volker Busch-Geertsema – GISS.e.v
Grèce
Aristides Sapounakis
Aristidis Sapounakis, KIVOTOS
Hongrie
Péter Györi – HAJZOLT
Irlande
Eoin O’sullivan
Department of Social Studies Trinity College Dublin
Italie
Antonio Tosi – DIAP Politechnico di Milano
Lettonie
Ilze Trapenciere – Institute of Philosophy and Sociology
Lituanie
Vita Karpuskiene – Vilnius University
Luxembourg
Roland Maas
Centre d’Etudes de Populations, de Pauvreté
et de Politiques Socio-Economiques
Pays-Bas
Judith Wolf – Trimbos-institute Utrecht
and Radboud University Nijmegen
Pologne
Julia Wygnanska
Portugal
Isabel Baptista – CESIS, Lisbon
Slovénie
Maša Filipovič
University of Ljubljana, Faculty of Social Sciences
Espagne
Pedro Cabrera – Universidad Pontifica Comillas 3
Suède
Ingrid Sahlin – Department of Sociology Gothenburg University
Royaume-Uni
Isobel Anderson and Stephen Thomson
Housing Policy and Practice Unit University of Stirling
[email protected]; [email protected].
ANNEXE
Correspondants de l’Observatoire européen sur le sans-abrisme
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