Lempire est dabord un espace plus vaste que les constructions
politiques qui lont prcd, et aux dpens desquels il se construit; il
a tendance stendre indfiniment; consistant le plus souvent dans un
rassemblement de terres, dont lempire dAlexandre le Grand est le
prototype, il peut aussi englober des mers et des ocans. Cette
amplitude despace explique la diversit des peuples quil
runit.
Lempire sinscrit aussi dans un temps, qui est dure; son origine est
souvent mythique, ou se construit comme telle, parfois travers une
gnalogie (celle, par exemple, qui va des Romains aux Habsbourg en
passant par Charlemagne, Othon le Grand et Charles-Quint).De mme
quil a tendance luniversalit, il a tendance lternit: il ne peut que
grandir sil ne veut pas prir.
Les empires sdifient le plus souvent par la guerre, grce un outil
militaire suprieur, qui donne des gnraux particulirement dous
loccasion de dployer toutes leurs capacits. lorigine de chaque
empire, il y a un grand conqurant, un Alexandre, un Csar, un Gengis
khan, un Pierre le Grand, un Napolon, mais il y a aussi un
instrument militaire. Certains empires, il est vrai, ont profit
pour sagrandir des alliances matrimoniales, comme lAutriche(Bellum
gerant alii; tu, felix Austria, nube). Dautres ont bti leur
expansion sur leur dynamisme commercial, plus tard industriel,
comme la Grande-Bretagne, qui est lexemple dun empire garanti
surtout par sa marine.
Qui dit empire dit naturellement un pouvoir centralis. Ce pouvoir
fut le plus souvent incarn dans un monarque, avec trs souvent une
tendance au despotisme. Mais il a pu tre aussi exerc par des
Rpubliques, Athnes, Rome ou Rpublique franaise, tats-Unis. Il faut
observer que la pratique impriale ramne le plus souvent la
monarchie dans la cit ou dans la nation.
Divers, les empires nimpliquent pas lgalit entre les peuples qui
les composent. Ils favorisent un peuple, une nation, une caste, une
langue, une religion, do ils tirent leur dnomination. Dans le cas
dune rpublique impriale, les institutions dmocratiques ne stendent
pas au-del des limites de la Cit qui fait figure de mtropole.
Lempire suppose presque toujours une administration, une
bureaucratie, et beaucoup de papier (ce qui est prcieux pour les
historiens). Lempire est aussi un tat desprit. Il sappuie sur une
idologie, dont le centre est le monarque, le peuple ou le parti qui
le dirige. Il suscite des dvouements, ou quand il disparat,
dinlassables nostalgies. Il peut tre un systme conomique, voire,
comme diraient les marxistes, un systme de production.
Les empires subsistent par la force, sans doute, mais pas
seulement, comme le prouve amplement la modicit des appareils
militaires destins maintenir lordre ( lexception peut-tre de
lempire sovitique). Les empires semploient avec plus ou moins de
succs mener une politique qui revient faire vivre ensemble des
peuples diffrents (gouverneur franais Robert Delavignette). Ils
sefforcent dtablir un quilibreentre les peuples: celui du clbre
divide ut imperes. Ils nimposent (en tout cas directement) ni
langue, ni religion, ni culture. Ils se contentent dexiger la
soumission, qui passe essentiellement par limpt. Ils possdent la
capacit dintgrer au groupe dirigeant dorigine des nouveaux venus,
gagns par conversion religieuse, ou par assimilation culturelle.
Mais ils savent aussi abandonner des pouvoirs plus ou moins
importants aux dirigeants des peuples priphriques.
Lempire constitue aussi, on loublie souvent, un espace protecteur,
mme lorsquil est oppressif. LEmpire, cest dabord la conqute, mais
cest ensuite la paix, mme si cest trop souvent la paix qui dcoule
du glaive mani par un peuple de matres. La possibilit pour les
paysans de semer et de rcolter sans craindre les pillages, celle
pour les commerants de circuler et dtablir des contrats en toute
scurit caractrisent la Pax romana comme la Pax gallica.
Comment prissent les Empires? Meurent-ils de vieillesse ou sont-ils
assassins? Cest la question qui hante leurs historiens depuis
Edward Gibbon. Bien des ralits, en fait, contribuent leur
disparition: le choc avec un autre empire plus dynamique ou mieux
arm; les invasions ou les migrations, qui modifient leurs
quilibresinternes; les patriotismes locaux, voire les
nationalismes, qui remettent en cause leurs prtentions
luniversalit; la dissolution de leurs institutions, et notamment
celles de larme, trop lourdes, trop exigeantes ou trop
coteuses.Jacques Frmeaux,
Professeur luniversit Paris-Sorbonne,
membre de lInstitut universitaire de France,
membre de lAcadmie des Sciences dOutre-Mer
membre du conseil scientifique des Rendez-vous de lhistoire
2015
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