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32 LUNDI 2 AOÛT 201024 HEURESLE PORTRAITÉTÉ 2010 LUNDI 02 AOÛT 2010

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Emil Steinberger salue le couragede Marie-Thérèse Porchet, qui selance, en sens inverse, dans la mêmeaventure que lui dans les années70 en se produisant outre-Sarine.

«C’est quand même mieux qu’une statue deFranz Weber, non?» Alain Parisod a del’humour, et il n’hésite pas à mentionner le

célèbre défenseur de l’environnement qui veut «sau-ver Lavaux». Mais le syndic de Grandvaux estsurtout très fier de la statue de Corto Maltese,célèbre marin de bandes dessinées, qui scrute levignoble depuis la place au cœur du village. Uneplace qui porte d’ailleurs le nom du créateur deCorto: Hugo Pratt.

Car s’il est né en Italie, est passé par l’Abyssinie,Londres, l’Argentine ou la Laponie, le Vénitien estfinalement tombé amoureux de Lavaux. Et s’estinstallé en 1984 à Grandvaux, dans une villa àl’architecture moderne qui surplombe le lac. Durantdix ans, il continuera à voyager, assoiffé qu’il était denouveaux horizons, avant qu’il ne s’éteigne, undimanche d’août. Alain Parisod l’a rencontré àquelques reprises. «Je crois qu’il aimait l’endroit, il abeaucoup écrit et dessiné depuis chez lui, avec cettevue magnifique devant les yeux.»

Et Hugo Pratt n’a pas vraiment quitté Grandvaux,puisqu’il repose au cimetière du village. Sur sa

tombe, des inconnus, des amis, des fans de sonœuvre viennent depuis lors déposer crayons decouleur et stylos, en guise de gerbes de fleurs. Alors,pour lui rendre hommage, les autorités du village, àl’occasion du remaniement du centre de la localitéen 2007, ont eu l’idée d’ériger une statue de soncélèbre personnage à béret, fils d’un Anglais et d’unegitane juive de Séville.

Au départ, on imagine un Corto Maltese assis surun banc, une mouette à ses côtés. Mais quand lafondation Cong, qui gère les droits d’Hugo Pratt,apprend l’initiative, elle saute sur l’occasion: il existedéjà une grande statue de Corto Maltese, en bronze,qui aurait tout à fait sa place ici.

Œuvre de Livio Benedetti, elle avait déjà pu êtreadmirée par le dessinateur lui-même. Ni une nideux, voilà donc un Corto plus grand que nature quiprend ses quartiers au cœur du vignoble classé aupatrimoine mondial de l’Unesco. Sous ses pieds, lecaveau lui aussi porte son nom. Normal: le marinmaltais, plus que le rhum, appréciait siroter un verrede vin d’ici. Un fin connaisseur, ce monsieur.

JULIEN PIDOUX

Mains dans le dos, Corto Maltese scrute Lavaux

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Hugo, le père de Corto1927 Hugo Prattnaît à Rimini,le 15 juin. Passeses dix premièresannées à Venise.

1941 Avec sa mère,rejoint son père,militaire de car-rière, dans l’Abyssi-nie colonisée. Son père mourradans un camp de prisonniers.

1967 Naissance de Corto Maltesedans La ballade de la mer salée.

1984 Il s’installe à Grandvaux.

1995 Le 20 août, Hugo Prattmeurt des suites d’un cancer.Depuis, plusieurs fans viennentdéposer stylos et crayonssur sa tombe, au cimetièrede Grandvaux.

LES STATUES DE NOS RÉGIONS 1/6

jouer en Suisse romande. Queltrac!»

Craintes infondées. Peu aprèsavoir répondu au téléphone, etlancé le fameux «Poste de po-lice, garde de nuit, caporalSchnyder, trois heures moinsquart», le comédien s’étonne devoir la caméra rouler et tan-guer. «J’ai réalisé que le techni-cien n’en pouvait plus de rire!Une année plus tard, je faisaisla tournée du Cirque Knie. Dèsla première, à La Chaux-de-Fonds, le courant est passé avecle public romand. Le vendeurde glaces incapable de pronon-cer «caramel» a cartonné.»L’ancien buraliste postal, le sou-rire radieux, ajoute: «Ça vaut lapeine de faire le pas. Se com-

prendre est une question devolonté.»

Mais pourquoi les Romandsont-ils peur de se lancer en Ho-chdeutsch (allemand standard)?

Sont-ils plus flemmards que lesAlémaniques, comme le dit lalégende? «Je ne le crois pas. J’aiplutôt l’impression qu’il y a unsentiment d’infériorité qui expli-

que ce manque de culot. C’estcomparable à ce que ressententles Alémaniques quand ils doi-vent s’exprimer en Hochdeutschavec des Allemands. Pourtant,

les gens apprécient si vous faitesl’effort, et l’accent français a ducharme. Je trouve courageuxque Marie-Thérèse Porchet selance, en sens inverse, dans la

même aventure que moi dansles années 70.»

Pour la cohésion nationale, lacompréhension entre les ré-gions, ne serait-il pas plus sim-ple que les Alémaniques parlenttout simplement Hochdeutsch?Le Schwyzerdütsch n’est-il pas lalangue du repli? «Il y a tropd’arrière-pensées politiques danscette discussion, déplore Emil.Nous grandissons avec le dia-lecte dès la naissance, et nousnous exprimons de manière plusprécise quand nous le parlons.Cela n’a rien à voir avec unequelconque volonté de nous iso-ler ou d’utiliser une langue se-crète.»

Les gens seraient donc finale-ment les mêmes des deux côtés

de la Sarine, selon le faiseur deSuisses le plus célèbre. «Pastout à fait, glisse-t-il malicieuse-ment. Il y a tout de même leRöstigraben. Disons que l’orga-nisation n’est pas votre fort, àvous Romands. Et que certaineschoses sont prises ici avec plusde légèreté. Par exemple, cettesatanée sonnerie d’immeublequi ne marche plus.» Les li-vreurs ayant de la peine à trou-ver son bureau, Emil a exposéce problème au propriétaire.«Au lieu de la réparer, il m’asimplement dit que les livreursavaient des téléphones porta-bles pour être atteints», gri-mace l’éternel caporal Schny-der, guère convaincu par l’argu-ment… £

MON DIALECTE À MOI Emil Steinberger 1/6

«On m’avait déconseilléde jouer en Suisse romande»

Pour Emil, la langue ne doit pas setransformeren barrière.ROMAIN CLIVAZ TEXTECHANTAL DERVEY PHOTOS

«Il faut oser. Sejeter à l’eau.»Ce n’est pas letoujours en-thousiaste

Adolf Ogi qui le dit, mais notreautre Suisse alémanique de ser-vice: Emil Steinberger (77 ans),alias Emil. Ce conseil, il ledonne aux Romands qui ontpeur de s’exprimer dans la lan-gue de Goethe. Dans son bu-reau situé à Montreux, le Lucer-nois se désole de ne pas avoird’autre recette pour rapprocherles deux côtés de la Sarine.«J’imagine bien la difficultépour ces pauvres Romands,glisse-t-il avec son accent uni-que. Après dix ans d’étude de lalangue allemande, ils prennentle train, descendent 90 kilomè-tres plus loin à Berne, et necomprennent plus rien!»

Pour le résident de la Rivieradepuis 1999, arrivé après unséjour de six ans à New York,parler la langue de l’autre estpourtant essentiel: «Faire desfautes importe peu. L’impor-tant est que l’on se com-prenne.» Emil se souvient. En1976, Lova Golovtchiner le con-vainc d’enregistrer en françaisle sketch du poste de police.«On m’avait pourtant décon-seillé de prendre ce risque et de

«Nous grandissons avec le dialecte, et nous nousexprimons de manière plus précise quand nous leparlons. Cela n’a rien à voir avec une volonté de

nous isoler ou d’utiliser une langue secrète»EMIL STEINBERGER

» EN BALADE

GÉRALD BOSSHARD

FrançaisItalien

Bilingues

RomancheAllemandCettesemaine,24 heures traverse laSarinepourvousfairedécouvrirl’extraordinairediversitélinguistiquedelaSuissealémanique.DeBerneàlavalléeduRhin,enpassantparBâle,ZermattetCoire,sportifs,artistesoupoliticiensnousracontent leur langue, leurrégion.Atoutseigneurtouthonneur,c’estnotreEmilnationalquiouvre lesfeux.Uncomédienqui fait riredeSanktMargrethenàPlan-les-Ouates.UnLucernoisquihabiteaubordduLéman.

Mais au fait, combien y a-t-il dedialectes? «Il n’y a pas de réponseexacte, analyse Elvira Glaser. Toutdépend des critères declassification. C’est d’autant plusdifficile à compter qu’il y ararement une frontière claire entredeux idiomes.» La chercheuseparticipe à la rédaction du KleinerSprachatlas der DeutschenSchweiz. Cet ouvrage, qui sortiracet automne, contiendra des cartesillustrant les différences deprononciation d’un même mot.

De nombreux sites internet sontconsacrés à ce thème. Très ludique:www.dialekt.ch. Après avoir choisiun lieu sur une carte, il est possibled’écouter un enregistrement dudialecte local.