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Département de Droit
Année universitaire 2016/2017
Droit administratif – Les principes et le juge
Cours de M. Tourbe
Travaux dirigés de Mme Brejon
Séances n° 8 et 9 :
La responsabilité administrative
DOCUMENTS1
I. Généralités
Document 1 : Danièle Lochak, « Réflexions sur les fonctions sociales de la
responsabilité administrative », in Le droit administratif en mutation, PUF, 1993, pp.
275 et suiv.
II. La responsabilité pour faute
Document 2 : CE, Ass., 12 avril 2002, Papon (GAJA)
Document 3 : CE, 6 octobre 2000, Ministre de l’Intérieur c/ Commune de Saint-
Florent
Document 4 : CE, Ass., 28 juin 2002, Ministre de la justice c/ Magiera
Document 5 : CAA Nantes, 14 novembre 2014, n° 13NT01496, commentaire T.
Giraud
Document 6 : CE, 6 juillet 2016, n° 398234
1 À l’approche de la fin du semestre, il n’est pas inutile de rappeler que les documents reproduits visent à offrir,
d’une part un éclairage sur certaines des grandes questions liées au thème, d’autre part une aide à la réalisation
des exercices demandés. Ils n’ont rien d’exhaustif et ne sauraient donc se substituer au cours et aux manuels,
dont ils ne sont que des compléments, en vue de la préparation de l’examen du mois de janvier.
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III. La responsabilité sans faute
Document 7 : CE, sect., 5 juin 1992, M. et Mme Cala
Document 8a : CE, 30 novembre 1923, Couitéas (GAJA)
Document 8b : CE, 30 juin 2010, M. et Mme Ben Amour
Document 9 : CE, 12 octobre 2016, n° 383423
TRAVAIL DEMANDÉ :
Pour la séance 8
À partir du document 6, répondez aux questions suivantes :
- Expliquez la nature du document
- Quel type de contrôle est attribué au juge en cas de perquisition ? Quels sont les vices
d’illegalité envisageables dans le cadre de ce contrôle ?
- Pour quelles raisons le juge administratif est-il compétent ? Les perquisitions dans le cadre
de l’etat d’urgence ne sont-elles pas des actes de gouvernement ?
- Pour quelles raisons la responsabilité sans faute est en l’espèce fondée sur l’égalité devant
les charges publiques ?
Pour la séance 9
Cas pratique
Optimus Peat, fils d’un célèbre professeur de droit, est heureux. Pour son entrée en première
année de droit, son père lui a offert le dernier modèle d’Iphone afin qu’il n’ait plus qu’à payer
ses manuels de cours (« comme ça, tu ne te plaindras pas à ta chargée de td que les livres de
droit administratif sont trop chers »). Optimus s’est empressé de télécharger le dernier jeu à la
mode : Pokémon Go. Etant surveillé de près par son père, il n’a pas pu jouer depuis le début
du semestre. Ayant eu de bonnes notes à ses galops d’essai, son père l’autorise à se promener
pendant la semaine de révision afin d’attraper quelques pokémons. Optimus jubile, la mairie
de sa ville, Quincampoix les trois canetons, se trouve être une arène Pokemon. Il rentre dans
la mairie et commence à se battre férocement toute la journée pour garder le titre de champion
d’arêne. La mairie fermant à 17h00, Optimus pense qu’il aura tout le temps nécessaire pour
asseoir sa suprematie sur les autres dresseurs du coin. Un des adjoints au maire, Alphonse
Person, remarque le manège du jeune homme et s’en agace. Il décide donc de virer ce petit
voyou manu militari de la mairie à 16h50. « Allez ouste la racaille, c’est à nettoyer au karcher
tout ça » lui dit-il en le poussant vers la porte. Optimus, surpris par le geste de l’adjoint au
maire, trébuche et en sortant se casse la figure sur la magnifique crèche de Noel de la mairie.
Alphonse Person fulmine et appelle le père du jeune homme, inconscient, pour qu’il constate
les dégats provoqués par son fils. Auguste Peat arrive à la mairie et voit son fils en larmes
pendant qu’Alphonse Person lui hurle dessus. Le professeur Peat, à peine remis de ses
aventures précédentes, décide d’emmener son fils aux urgences qui sont à deux stations de
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métro de la mairie. Après un examen approfondi, Optimus sera déclaré inapte à se servir de
son index droit et dans l’incapacité d’écrire pendant 6 mois. Auguste Peat est fou de rage.
Trois semaines après, alors que dans l’impossibilité de passer ses examens, Optimus
commence à sombrer dans une déprime totale, les ennuis continuent. Optimus reçoit une
amende pour non présentation de titre de transport, le jour de l’incident, dans une station
différente. L’amende est au nom de Optimus Pat, avec une date et lieu de naissance erronés.
Optimus téléphone à la RATP qui lui demande de prouver qu’il n’est pas cet individu.
Etonné, il se plie aux exigences de la charmante dame qui vient de lui aboyer dessus. Il
demande tout de même à avoir accès au procès verbal pour un éventuel dépôt de plainte pour
usurpation d’identité. La RATP s’exécute mais prévient le jeune homme que l’envoi de sa
carte d’identité et de son pass Navigo ne prouve rien et qu’il doit justifier qu’il n’était pas sur
place au moment des faits reprochés.
Excédé par ses diverses mésaventures, Optimus, sur les conseils de son père, vous demande
conseil sur les différentes actions à mener et comment engager les diverses responsabilités
afin d’obtenir un dédommagement. Il se demande notamment si cette crêche de Noël avait
bien sa place dans une mairie. N’oubliez pas qu’Auguste Peat sait que vous avez fini votre
premier semestre de droit administratif et qu’il a envoyé Optimus vers vous car ce cas
nécessite de faire appel à l’intégralité de vos séances de travaux dirigés. Par ailleurs, Auguste
Peat vous indique qu’il souhaite que, dans le cadre du problème que son fils rencontre avec la
RATP, vous envisagiez la légalité du procès verbal dressé par les agents de la RATP à
l’encontre de son fils au regard des droits de la défense prévus par la CESDH. Pour vous
aider, il vous conseille de consulter la loi n° 2016-339 du 22 mars 2016.
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Document 1 : Danièle Lochak, « Réflexions sur les fonctions sociales de la
responsabilité administrative », in Le droit administratif en mutation, PUF, 1993, pp.
275 et suiv.
Le droit de la responsabilité administrative - et plus généralement de la responsabilité de l'État - a
connu au cours des dernières années une série d'évolutions importantes. Or les mécanismes de mise en
jeu de la responsabilité ne relèvent pas de la simple technique juridique : ils renvoient à une certaine
conception du lien social, à une certaine façon de penser et d'organiser les rayports sociaux, comme l'a
bien montré François Ewald dans son analyse de l'Etat providence comme avènement d'une "société
assurancielIe".
C'est dans cette perspective, qui conduit à s'interroger sur les fonc!ions sociales des règles gouvernant
la mise en jeu de de la responsabilité de l'Etat, que l'on se propose d'examiner ici les développements
récents de la jurisprudence mais aussi de la législation en la matière.
[...]
Marie-Joëlle Redor fait remonter à 1895 le moment où la responsabilité de l'Etat commence à faire
l'objet d'études systématiques en doctrine, après qu'ait cédé le principe d'irresponsabilité de l'Etat, lié à
l'idée de souveraineté. La responsabilité, aisément admise pour les actes de gestion, par opposition aux
actes d'autorité, va s'étendre progressivement par le biais d'un élargissement de la notion d'acte de
gestion, dans laquelle on inclut des actes jusque là considérés comme actes de puissance publique ;
mais elle s'arrête encore au seuil des "actes de souveraineté" : c'est ce dernier verrou que fera sauter
l'arrêt Tomaso Grecco en 1905.
La doctrine s'interroge logiquement sur le fondement de la responsabilité administrative. Tout en
récusant l'application du code civil en dehors des hypothèses où l'Etat fait un acte de gestion, les
auteurs ont du mal au départ à s'écarter des conceptions civilistes, et font volontiers référence au même
principe de justice ou d'équité qui inspire selon eux la législation civile. Progressivement, cependant,
la doctrine va s'efforcer de trouver à la responsabilité de l'État un fondement spécifique. Pour Hauriou,
c'est le principe d'égalité devant les charges publiques qui explique que l'État doive garantir les
administrés contre les risques des accidents administratifs. Il reprend sur ce point l'idée développée par
Larnaude une année auparavant, qui, évoquant la théorie du risque professionnel consacrée par l'arrêt
Cames et invitant à la généraliser, déclarait: "lorsque cette grande machine qui s'appelle l'État, cent
fois plus puissante et cent fois plus dangereuse aussi que les machines de l'industrie a blessé
quelqu'un, il faut que tous ceux dans l'intérêt de qui elle fonctionnait en causant le préjudice viennent
le réparer".
Duguit, qui récuse au demeurant tout système de la responsabilité pour faute subjective dans le cas des
collectivités dans la mesure où la personnalité des collectivités est une fiction, ne peut qu'adhérer lui
aussi à cette idée qui cadre parfaitement avec les thèses qu'il défend par ailleurs. "On ne peut édifier la
responsabilité de l'État, écrit-il, que sur l'idée d'une assurance sociale, supportée par la caisse
collective, au profit de ceux qui subissent un préjudice provenant du fonctionnement des services
publics, lequel a lieu en faveur de tous. Cette conception se rattache elle-même à une idée qui a
profondément pénétré la conscience juridique des peuples modernes, celle de l'égalité de tous devant
les charges publiques. L'activité de l'État s'exerce dans l'intérêt de la collectivité tout entière ; les
charges qu'il entraîne ne doivent pas peser plus lourdement sur les uns que sur les autres. Si donc il
résulte de l'intervention étatique un préjudice spécial pour quelques-uns, la collectivité doit le réparer,
soit qu'il y ait une faute des agents publics, soit qu'il n'y en ait pas. L'État est en quelque sorte
assureur de ce qu'on appelle souvent le risque social, c'est à dire le risque provenant de l'activité
sociale, se traduisant dans l'intervention de l'État... Si l'État est responsable, ce n'est point parce qu'il
aurait commis lui-même une faute par l'organe de ses agents; c'est encore et uniquement parce qu'il
assure les administrés contre tout le risque social".
Si, comme le relève M.-J. Redor ces thèses rencontrent, en pleine période solidariste, un succès
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d'autant plus vif qu'elles sont susceptibles de satisfaire à la fois les libéraux - en augmentant les
garanties des administrés contre l'État - et les interventionnistes - puisqu'elles se justifient par les
risques croissants engendrés par l'activité de l'Etat, la théorie du risque a néanmoins l'inconvénient
d'être potentiellement très onéreuse pour l'administration puisqu'elle élargit considérablement les
possibilités d'indemnisation. Ce qui explique qu'après avoir plaidé pour l'abandon de la théorie
traditionnelle de la faute certains auteurs y reviennent, tandis que d'autres subordonnent le droit à
réparation à la preuve d'un préjudice spécial et anormal.
On remarquera que ces hésitations trouvent encore un écho aujourd'hui : en dépit du développement
des hypothèses de responsabilité sans faute, rares sont ceux qui plaident pour un abandon de la
responsabilité pour faute, à laquelle on trouve encore toute une série d'avantages. Alors même que
l'idée de socialisation a imprégné les mentalités parallèlement au développement de l'État providence,
la faute résiste, en effet, comme le relève Françoise Llorens-Fraysse. Elle continue à tenir la place
principale, à la fois quantitativement et qualitativement, dans la mise en jeu de la responsabilité
administrative, la responsabilité sans faute n'étant admise qu'à titre subisidiaire et restant cantonnée
dans des domaines qui, si l'on met à part les dommages de travaux publics, ne concernent guère les
aspects quotidiens des relations de l'administration avec les particuliers.
Cet examen parallèle de l'évolution du droit de la responsabilité en droit public et en droit privé fait
apparaître une problématique similaire : d'un côté l'impossibilité d'abandonner totalement la faute; de
l'autre l'impossiblité de fonder tout le droit de la responsabilité sur la faute, qui se traduit par la
découverte incessante de nouveaux cas de responsabilité sans faute et par le recours de plus en plus
fréquent à des mécanismes d'indemnisation collective mis en place par le législateur. On relève à cet
égard que, de façon significative, beaucoup de ces mécanismes peuvent jouer aussi bien pour réparer
des dommages causés par des personnes publiques que par des personnes privées, phénomène qui
contribue à la remise en cause de la scission traditionnelle entre responsabilité publique et
responsabilité privée en même temps qu'il en est une manifestation supplémentaire.
La question essentielle, désormais, est donc moins de savoir qui est responsable du dommage mais qui
doit assumer la charge financière du risque. Et à cette question on ne peut apporter de réponse qu'en se
référant aux fonctions de la responsabilité.
[...]
Lesfonctions de la responsabilité administrative
La responsabilité est susceptible de remplir une pluralité de fonctions. Si l'on suit là encore
Eisenmann, dans le cas le plus classique, la responsabilité constitue une sanction : la sanction, c'est la
mesure qui doit inciter les destinataires d'une règle à s'y conformer, de sorte que l'obligation de réparer
ses fautes est envisagée par le législateur comme un moyen d'éviter ces infractions (la responsabilité-
sanction ne concerne cependant, aux yeux de l'auteur, que les personnes physiques puisque, comme on
l'a rappelé plus haut, les personnes morales ne sauraient selon lui être responsables pour faute). Dans
d'autres cas, la responsabilité joue le rôle d'une assurance: l'obligation de réparer est une obligation
d'assurance imposée à des personnes qu'elle constitue assureurs de risques ou de dommages. Enfin,
l'obligation d'indemniser apparaît parfois comme le prix à payer par celui qui se livre à une activité
licite pour avoir le droit de l'exercer bien qu'elle cause à autrui un dommage: tel l'industriel qui
exploite régulièrement un établissement incommode ou insalubre mais doit indemniser les tiers en
contrepartie.
Au regard des observations faites au départ, l'idée de raisonner non plus en termes de fondement mais
de fonctions de la responsabilité administrative paraît féconde. En prenant comme point de départ les
trois catégories dégagées par Eisenmann, on peut alors tenter de systématiser l'état actuel du droit
positif par rapport à ces fonctions. Cette présentation conduit à rassembler des hypothèses
généralement présentées de façon dissociée car appartenant les unes au registre de la faute, les autres
au registre de la responsabilité sans faute, et à dissocier au contraire des hypothèses relevant de la
responsabilité sans faute.
La responsabilité remplit d'abord une fonction sanctionnatrice, en ce qu'elle oblige l'administration à
réparer les fautes qu'elle a commises et l'incite à ne pas en commettre d'identiques à l'avenir. Elle
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remplit ensuite une fonction d'assurance, que l'on retrouve sous trois formes: l'administration assure
les administrés contre les fautes personnelles commises par ses agents en l'absence de faute de service,
elle assure ses collaborateurs contre les accidents qui peuvent leur arriver en cours de service, elle
garantit enfin les administrés contre les risques résultant de ses activités dangèreuses. La responsabilité
apparaît en troisième lieu comme l'équivalent du prix à payer par l'administration en contrepartie
d'actes accomplis légalement mais qui causent à ses destinataires ou à des tiers un préjudice grave et
spécial. Enfm, au-delà de ces trois hypothèses, il est des cas où l'indemnisation n'est plus justifiée par
la responsabilité propre de l'administration mais par la fonction de l'État comme garant des risques
sociaux, qu'ils soient engendrés par l'activité des particuliers ou des collectivités publiques, sur le
fondement de la solidarité nationale.
Document 2 : CE, Ass., 12 avril 2002, Papon
Vu l'ordonnance, enregistrée le 3 octobre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par
laquelle le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de
l'article R. 351-2 du Code de justice administrative, la demande présentée à ce tribunal par M. Papon ;
Vu la demande, enregistrée le 25 septembre 1998 au greffe du tribunal administratif de Paris,
présentée pour M. Maurice Papon et tendant à la condamnation de l'Etat à le garantir et à le relever de
la somme de 4 720 000 francs (719 559 €) mise à sa charge au titre des condamnations civiles
pécuniaires prononcées à son encontre, le 3 avril 1998, par la cour d'assises de la Gironde ;
.....................................
Considérant que M. Papon, qui a occupé de juin 1942 à août 1944 les fonctions de secrétaire général
de la préfecture de la Gironde, a été condamné le 2 avril 1998 par la cour d'assises de ce département à
la peine de dix ans de réclusion criminelle pour complicité de crimes contre l'humanité assortie d'une
interdiction pendant dix ans des droits civiques, civils et de famille ; que cette condamnation est
intervenue en raison du concours actif apporté par l'intéressé à l'arrestation et à l'internement de
plusieurs dizaines de personnes d'origine juive, dont de nombreux enfants, qui, le plus souvent après
un regroupement au camp de Mérignac, ont été acheminées au cours des mois de juillet, août et
octobre 1942 et janvier 1944 en quatre convois de Bordeaux à Drancy avant d'être déportées au camp
d'Auschwitz où elles ont trouvé la mort ; que la cour d'assises de la Gironde, statuant le 3 avril 1998
sur les intérêts civils, a condamné M. Papon à payer aux parties civiles, d'une part, les dommages et
intérêts demandés par elles, d'autre part, les frais exposés par elles au cours du procès et non compris
dans les dépens ; que M. Papon demande, après le refus du ministre de l'Intérieur de faire droit à la
démarche qu'il a engagée auprès de lui, que l'Etat soit condamné à le garantir et à le relever de la
somme de 4 720 000 francs (719 559 €) mise à sa charge au titre de ces condamnations ;
Sur le fondement de l'action engagée :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits
et obligations des fonctionnaires : « Lorsqu'un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de
service et que le conflit d'attribution n'a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où
une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions n'est pas imputable à ce fonctionnaire,
le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui » ; que, pour l'application de ces
dispositions, il y a lieu - quel que soit par ailleurs le fondement sur lequel la responsabilité du
fonctionnaire a été engagée vis-à-vis de la victime du dommage - de distinguer trois cas ; que, dans le
premier, où le dommage pour lequel l'agent a été condamné civilement trouve son origine exclusive
dans une faute de service, l'administration est tenue de couvrir intégralement l'intéressé des
condamnations civiles prononcées contre lui ; que, dans le deuxième, où le dommage provient
exclusivement d'une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions, l'agent qui l'a commise
ne peut au contraire, quel que soit le lien entre cette faute et le service, obtenir la garantie de
l'administration ; que, dans le troisième, où une faute personnelle a, dans la réalisation du dommage,
conjugué ses effets avec ceux d'une faute de service distincte, l'administration n'est tenue de couvrir
l'agent que pour la part imputable à cette faute de service ; qu'il appartient dans cette dernière
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hypothèse au juge administratif, saisi d'un contentieux opposant le fonctionnaire à son administration,
de régler la contribution finale de l'un et de l'autre à la charge des réparations compte tenu de
l'existence et de la gravité des fautes respectives ;
Sur l'existence d'une faute personnelle :
Considérant que l'appréciation portée par la cour d'assises de la Gironde sur le caractère personnel de
la faute commise par M. Papon, dans un litige opposant M. Papon aux parties civiles et portant sur une
cause distincte, ne s'impose pas au juge administratif statuant dans le cadre, rappelé ci-dessus, des
rapports entre l'agent et le service ;
Considérant qu'il ressort des faits constatés par le juge pénal, dont la décision est au contraire revêtue
sur ce point de l'autorité de la chose jugée, que M. Papon, alors qu'il était secrétaire général de la
préfecture de la Gironde entre 1942 et 1944, a prêté son concours actif à l'arrestation et à l'internement
de 76 personnes d'origine juive qui ont été ensuite déportées à Auschwitz où elles ont trouvé la mort ;
que si l'intéressé soutient qu'il a obéi à des ordres reçus de ses supérieurs hiérarchiques ou agi sous la
contrainte des forces d'occupation allemandes, il résulte de l'instruction que M. Papon a accepté, en
premier lieu, que soit placé sous son autorité directe le service des questions juives de la préfecture de
la Gironde alors que ce rattachement ne découlait pas de la nature des fonctions occupées par le
secrétaire général ; qu'il a veillé, en deuxième lieu, de sa propre initiative et en devançant les
instructions venues de ses supérieurs, à mettre en oeuvre avec le maximum d'efficacité et de rapidité
les opérations nécessaires à la recherche, à l'arrestation et à l'internement des personnes en cause ; qu'il
s'est enfin attaché personnellement à donner l'ampleur la plus grande possible aux quatre convois qui
ont été retenus à sa charge par la cour d'assises de la Gironde, sur les 11 qui sont partis de ce
département entre juillet 1942 et juin 1944, en faisant notamment en sorte que les enfants placés dans
des familles d'accueil à la suite de la déportation de leurs parents ne puissent en être exclus ; qu'un tel
comportement, qui ne peut s'expliquer par la seule pression exercée sur l'intéressé par l'occupant
allemand, revêt, eu égard à la gravité exceptionnelle des faits et de leurs conséquences, un caractère
inexcusable et constitue par là même une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions ; que
la circonstance, invoquée par M. Papon, que les faits reprochés ont été commis dans le cadre du
service ou ne sont pas dépourvus de tout lien avec le service est sans influence sur leur caractère de
faute personnelle pour l'application des dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983
;
Sur l'existence d'une faute de service :
Considérant que si la déportation entre 1942 et 1944 des personnes d'origine juive arrêtées puis
internées en Gironde dans les conditions rappelées ci-dessus a été organisée à la demande et sous
l'autorité des forces d'occupation allemandes, la mise en place du camp d'internement de Mérignac et
le pouvoir donné au préfet, dès octobre 1940, d'y interner les ressortissants étrangers « de race juive »,
l'existence même d'un service des questions juives au sein de la préfecture, chargé notamment d'établir
et de tenir à jour un fichier recensant les personnes « de race juive » ou de confession israélite, l'ordre
donné aux forces de police de prêter leur concours aux opérations d'arrestation et d'internement des
personnes figurant dans ce fichier et aux responsables administratifs d'apporter leur assistance à
l'organisation des convois vers Drancy - tous actes ou agissements de l'administration française qui ne
résultaient pas directement d'une contrainte de l'occupant - ont permis et facilité, indépendamment de
l'action de M. Papon, les opérations qui ont été le prélude à la déportation ;
Considérant que si l'article 3 de l'ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité
républicaine sur le territoire continental constate expressément la nullité de tous les actes de l'autorité
de fait se disant « gouvernement de l'Etat français » qui « établissent ou appliquent une discrimination
quelconque fondée sur la qualité de juif », ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de créer un
régime d'irresponsabilité de la puissance publique à raison des faits ou agissements commis par
l'administration française dans l'application de ces actes, entre le 16 juin 1940 et le rétablissement de la
légalité républicaine sur le territoire continental ; que, tout au contraire, les dispositions précitées de
l'ordonnance ont, en sanctionnant par la nullité l'illégalité manifeste des actes établissant ou appliquant
cette discrimination, nécessairement admis que les agissements auxquels ces actes ont donné lieu
pouvaient revêtir un caractère fautif ;
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Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la faute de service analysée ci-dessus engage,
contrairement à ce que soutient le ministre de l'Intérieur, la responsabilité de l'Etat ; qu'il incombe par
suite à ce dernier de prendre à sa charge, en application du deuxième alinéa de l'article 11 de la loi du
13 juillet 1983, une partie des condamnations prononcées, appréciée en fonction de la mesure qu'a
prise la faute de service dans la réalisation du dommage réparé par la cour d'assises de la Gironde ;
Sur la répartition finale de la charge :
Considérant qu'il sera fait une juste appréciation, dans les circonstances de l'espèce, des parts
respectives qui peuvent être attribuées aux fautes analysées ci-dessus en condamnant l'Etat à prendre à
sa charge la moitié du montant total des condamnations civiles prononcées à l'encontre du requérant le
3 avril 1998 par la cour d'assises de la Gironde ;
Décide :
Art. 1er : L'Etat est condamné à prendre à sa charge la moitié du montant total des condamnations
civiles prononcées à l'encontre de M. Papon le 3 avril1998 par la cour d'assises de la Gironde.
Document 3 : CE, 6 octobre 2000, Ministre de l’Intérieur c/ Commune de Saint-Florent
Considérant que par un jugement du 3 juillet 1997 le tribunal administratif de Bastia a condamné l'Etat
à payer aux communes de Saint-Florent, Barbaggio, Farinole, Murato, Oletta, Poggio-d'Oletta, Rapale,
Rutali, Sorio, Larna, Pietralba et Santo-Pietro-di-Tenda une indemnité égale au tiers des sommes
mises à leur charge à la suite de la dissolution du syndicat intercommunal à vocation multiple du
Nebbio dont elles étaient membres ; que par un arrêt du 21 janvier 1999 la cour administrative d'appel
de Marseille a rejeté l'appel formé par le ministre de l'Intérieur contre ce jugement ainsi que l'appel
incident formé par les communes susmentionnées ; que le ministre de l'Intérieur se pourvoit en
cassation contre cet arrêt, contre lequel les communes susmentionnées forment, pour leur part, un
pourvoi incident ;
Sur le recours du ministre de l'Intérieur :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du recours :
Considérant qu'aux termes de l'article 72 de la Constitution : « Les collectivités territoriales de la
République [...] s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi.
Dans les départements et les territoires, le délégué du gouvernement a la charge des intérêts nationaux,
du contrôle administratif et du respect des lois » ; qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 2 mars 1982
susvisée, dans sa rédaction issue de la loi du 22 juillet 1982 : « Le représentant de l'Etat dans le
département défère au tribunal administratif les actes mentionnés au paragraphe II de l'article
précédent qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission », que
l'article L. 163-11 du Code des communes alors en vigueur dispose que « les lois et règlements qui
concernent le contrôle administratif et financier des communes sont applicables aux syndicats des
communes » ;
Considérant que les carences de l'Etat dans l'exercice du contrôle de légalité des actes des collectivités
locales prévu par les dispositions précitées de la loi du 2 mars 1982 ne sont susceptibles d'engager la
responsabilité de l'Etat que si elles constituent une faute lourde ; que, dès lors, en jugeant que
l'abstention prolongée du préfet de la Haute-Corse de ne pas déférer au tribunal administratif plusieurs
délibérations du bureau du syndicat intercommunal à vocation multiple du Nebbio constituait une
faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, sans rechercher si cette faute devait être regardée
comme une faute lourde, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite, le ministre de
l'Intérieur est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ; qu'il y a lieu, par voie de conséquence
de rejeter le pourvoi incident formé par les communes de Saint-Florent et autres contre le même arrêt ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la loi susvisée du 31 décembre 1987 le Conseil d'Etat, s'il
prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut «
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régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie » ; que, dans les
circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond ;
Au fond :
[...]
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 7 de la loi du 2 mars 1982 susvisée, dans ses
dispositions alors en vigueur : « Si le budget n'est pas adopté avant le 31 mars de l'exercice auquel il
s'applique [...], le représentant de l'Etat dans le département saisit sans délai la chambre régionale des
comptes qui, dans le mois et par un avis public, formule des propositions pour le règlement du budget.
Le représentant de l'Etat règle le budget et le rend exécutoire. Si le représentant de l'Etat dans le
département s'écarte des propositions de la chambre régionale des comptes, il assortit sa décision d'une
motivation explicite » ; qu'il résulte de l'instruction que devant le défaut de vote du budget du syndicat
pour les exercices 1988, 1989, 1990, 1991 et 1992, le préfet de la Haute-Corse qui avait, d'ailleurs,
saisi la chambre régionale des comptes a fait usage des dispositions précitées en réglant et en rendant
exécutoires ces budgets selon la procédure prévue par la loi ; que les communes de Saint-Florent et
autres ne font pas état, par ailleurs, de manquements aux obligations de l'Etat en matière de contrôle
budgétaire ; que, par suite, les conditions dans lesquelles ce contrôle a été exercé par le préfet de la
Haute-Corse ne sauraient davantage être regardées comme révélant l'existence d'une faute lourde des
services de l'Etat ;
Considérant, en revanche, qu'il résulte de l'instruction que le bureau du syndicat intercommunal à
vocation multiple du Nebbio bénéficiait, à l'époque des faits, d'une délégation de compétence accordée
par une délibération du 7 mai 1983 du comité syndical excluant expressément « les réalisations ou
projets de réalisation concernant et engageant l'ensemble des communes » ; que, compte tenu de
l'ampleur et des conséquences financières du projet de création d'une foire-exposition et d'un parc
touristique au col de San Stefano, pour lequel les dépenses exposées ont dépassé 10 millions de francs,
un tel projet, bien que présenté comme intervenant à l'initiative de la seule commune d'Olmeta di Tuda
et appelé à une mise en oeuvre sur le seul territoire de celle-ci, excédait manifestement l'intérêt et les
possibilités de financement de cette commune qui comptait 247 habitants à l'époque des faits ; que, dès
lors, les délibérations concernant ce projet en date des 9 février 1985, 16 février 1985, 2 mars 1985, 13
mai 1985, 9 avril 1986, 28 avril 1986, 28 mars 1987, 3 août 1987 et 30 janvier 1988, qui ont été prises
non par le comité syndical comme elles auraient dû l'être compte tenu des termes de la délibération
statutaire précitée, mais par le bureau, sont entachées d'incompétence ; que le préfet de la Haute-Corse,
en s'abstenant pendant trois années consécutives de déférer au tribunal administratif neuf délibérations
dont l'illégalité ressortait avec évidence des pièces qui lui étaient transmises et dont les conséquences
financières étaient graves pour les communes concernées, a commis, compte tenu des circonstances
particulières de l'espèce dans l'exercice du contrôle de légalité qui lui incombait, une faute lourde de
nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
Considérant toutefois que le préjudice dont les communes demandent réparation trouve principalement
son origine dans les délibérations susmentionnées adoptées illégalement par le bureau du syndicat
intercommunal ; qu'il résulte de l'instruction que les communes membres ont laissé le bureau engager
les dépenses excessives impliquées par ces délibérations sans faire preuve de la vigilance qui leur
incombait, que leurs délégués au comité syndical n'ont pas exercé sur les membres du bureau les
pouvoirs de contrôle que leur conféraient les articles L. 163-13 et L. 163-14 du Code des communes et
que les conseils municipaux concernés ont approuvé chaque année les inscriptions budgétaires
importantes qu'impliquaient les délibérations du bureau ; qu'ainsi les fautes du syndicat et des
communes adhérentes sont de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat ; qu'il sera fait une juste
appréciation de cette responsabilité en limitant la condamnation de l'Etat à la réparation du préjudice
subi par ces communes, qui s'élève à 13 698 810 francs, au cinquième de ce préjudice ; qu'il y a lieu de
réformer, dans cette mesure, le jugement attaqué du tribunal administratif de Bastia et de rejeter l'appel
incident formé par les communes de Saint- Florent et autres contre ce jugement ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la
présente instance, soit condamné à payer aux communes de Saint-Florent et autres les sommes qu'elles
10
demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
Décide :
Art. 1er : L'arrêt du 21 janvier 1999 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Art. 2 : Le pourvoi incident des communes de Saint-Florent, Barbaggio, Farinole, Murato, Oletta,
Poggio-d'Oletta, Rapale, Rutali, Sorio, Laina, Pietralba et Santo-Pietro-di-Tenda est rejeté.
Art. 3 : L'appel incident des communes de Saint-Florent, Barbaggio, Farinole, Murato, Oletta, Poggio-
d'Oletta, Rapale, Rutali, Sorio, Lama, Pietralba et Santo-Pietro-di-Tenda dirigé contre le jugement du
3 juillet 1997 du tribunal administratif de Bastia est rejeté.
Art. 4 : L'Etat est condamné à payer aux communes de Saint-Florent, Barbaggio, Farinole, Murato,
Oletta, Poggio-d'Oletta, Rapale, Rutali, Sorio, Lama, Pietralba et Santo-Pietro-di-Tenda un cinquième
des sommes inscrites d'office à leurs budgets en règlement du passif du syndicat intercommunal à
vocation multiple du Nebbio.
Art. 5 : Le jugement du 3 juillet 1997 du tribunal administratif de Bastia est réformé en ce qu'il a de
contraire à la présente décision.
Art. 6 : Le surplus des conclusions d'appel du ministre de l'Intérieur est rejeté.
Art. 7 : Les conclusions des communes de Saint-Florent, Barbaggio, Farinole, Murato, Oletta, Poggio-
d'Oletta, Rapale, Rutali, Sorio, Lama, Pietralba et Santo-Pietro-di-Tenda tendant à l'application des
dispositions de l'article 75-1 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Document 4 : CE, Ass., 28 juin 2002, Ministre de la justice c/ Magiera
Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Paris, après avoir constaté que la
procédure que M. Magiera avait précédemment engagée à l'encontre de l'Etat et de la société La
Limousine et qui avait abouti à la condamnation de ces défendeurs à lui verser une indemnité de 78
264 francs, avait eu une durée excessive au regard des exigences de l'article 6, paragraphe 1, de la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a
condamné l'Etat à verser à M. Magiera une indemnité de 30 000 francs pour la réparation des troubles
de toute nature subis par lui du fait de la longueur de la procédure ;
[...]
Sur la légalité de l'arrêt attaqué :
Sur le moyen relatif aux conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat :
Considérant que le garde des Sceaux, ministre de la Justice, soutient, d'une part, que la cour a commis
une erreur de droit en estimant la responsabilité de l'Etat automatiquement engagée dans le cas où la
durée d'une procédure aurait été excessive, d'autre part, qu'elle a commis une autre erreur de droit ainsi
qu'une dénaturation des pièces du dossier en ce qui concerne les critères qu'elle a retenus pour juger
anormalement longue la durée de la procédure en cause ;
Considérant qu'aux termes de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit
entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal [...] qui décidera
[...] des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil » ; qu'aux termes de l'article 13 de
la même Convention : « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente
convention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors
même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions
officielles » ;
Considérant qu'il résulte de ces stipulations, lorsque le litige entre dans leur champ d'application, ainsi
que, dans tous les cas, des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions
11
administratives, que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai
raisonnable ;
Considérant que si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la
décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en
faire assurer le respect ; qu'ainsi lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de
jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le
fonctionnement défectueux du service public de la justice ;
Considérant qu'après avoir énoncé que la durée de la procédure avait été excessive, la cour
administrative d'appel en a déduit que la responsabilité de l'Etat était engagée vis-à-vis de M. Magiera
; que, ce faisant, loin de violer les textes et les principes susrappelés, elle en a fait une exacte
application ;
Considérant que le caractère raisonnable du délai de jugement d'une affaire doit s'apprécier de manière
à la fois globale - compte tenu, notamment, de l'exercice des voies de recours - et concrète, en prenant
en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le
comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a
connaissance de tels éléments, l'intérêt qu'il peut y avoir, pour l'une ou l'autre, compte tenu de sa
situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce
qu'il soit tranché rapidement ;
Considérant que pour regarder comme excessif le délai de jugement du recours de M. Magiera, la cour
administrative d'appel de Paris énonce que la durée d'examen de l'affaire devant le tribunal
administratif de Versailles a été de sept ans et six mois pour « une requête qui ne présentait pas de
difficulté particulière » ; qu'en statuant ainsi, la cour, contrairement à ce que soutient le ministre, a fait
une exacte application des principes rappelés ci-dessus ;
Sur le moyen relatif aux conditions d'appréciation de l'existence d'un préjudice :
Considérant que le garde des Sceaux, ministre de la Justice, soutient que la cour ne pouvait se borner à
constater « une inquiétude et des troubles dans les conditions d'existence », mais devait rechercher si
un préjudice pouvait être caractérisé compte tenu de la nature et de l'enjeu du litige ainsi que de l'issue
qui lui avait été donnée ;
Considérant que l'action en responsabilité engagée par le justiciable dont la requête n'a pas été jugée
dans un délai raisonnable doit permettre la réparation de l'ensemble des dommages tant matériels que
moraux, directs et certains, qui ont pu lui être causés et dont la réparation ne se trouve pas assurée par
la décision rendue sur le litige principal ; que peut ainsi, notamment, trouver réparation le préjudice
causé par la perte d'un avantage ou d'une chance ou encore par la reconnaissance tardive d'un droit ;
que peuvent aussi donner lieu à réparation les désagréments provoqués par la durée abusivement
longue d'une procédure lorsque ceux-ci ont un caractère réel et vont au-delà des préoccupations
habituellement causées par un procès, compte tenu notamment de la situation personnelle de l'intéressé
;
Considérant que la cour administrative d'appel de Paris a estimé, par une appréciation souveraine, que
M. Magiera avait subi, du fait de l'allongement de la procédure, « une inquiétude et des troubles dans
les conditions d'existence » dont elle a chiffré la somme destinée à en assurer la réparation à 30 000
francs ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que, contrairement à ce que soutient le ministre, la
cour administrative d'appel de Paris n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le garde des Sceaux, ministre de la Justice, n'est
pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 11
juillet 2001 ;
Décide :
Art. 1er : Le recours du garde des Sceaux, ministre de la Justice, est rejeté.
12
Document 5 : CAA Nantes, 14 novembre 2014, n° 13NT01496
1) Extrait de la décision
Sur la responsabilité de l'Etat :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code de l'éducation dans sa rédaction issue de la
la loi susvisée du 31 mars 2006 : « L'éducation est la première priorité nationale. Le service public de
l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des
chances [...] Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa
personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue, de s'insérer dans la vie sociale et
professionnelle, d'exercer sa citoyenneté [...] » ; qu'aux termes de l'article L. 112-1 de ce code : « Pour
satisfaire aux obligations qui lui incombent en application des articles, le service public de l'éducation
assure une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants, aux adolescents et aux
adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses domaines de compétence,
l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire
des enfants, adolescents ou adultes handicapés [...] » ; qu'aux termes de l'article L. 131-1 du même
code : « L'instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six
ans et seize ans [...] » ;
3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le droit à l'éducation est garanti à chacun quelles
que soient les différences de situation et qu'il incombe au service public de l'éducation d'assurer
notamment une formation aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant ;
que, pour satisfaire à cette obligation, il revient à l'Etat, dans ses domaines de compétence, de mettre
en place les moyens financiers et humains nécessaires à la réalisation de cet objectif afin que ce droit
ait, pour les personnes handicapées qui entendent poursuivre leur scolarisation, un caractère effectif ;
que lorsqu'elle est avérée, la carence de l'Etat est constitutive d'une faute de nature à engager sa
responsabilité ;
2) Commentaire – Thomas Giraud, Premier conseiller à la cour administrative d’appel de Nantes
M. A., qui est né le 18 juin 1981, est atteint de surdité profonde. En dépit des difficultés liées à son
handicap, il a suivi une scolarité qui lui a permis d'obtenir son baccalauréat dans la série S, en 2001, et
il a préparé, entre 2004 et 2006, un brevet de technicien supérieur (BTS) de géomètre topographe au
lycée Livet de Nantes. Il a échoué à cet examen. Après une année d'interruption, il a réintégré le même
établissement scolaire en 2007/2008 pour redoubler sa seconde année de BTS puis s'est inscrit en
candidat libre en février 2009 pour repasser cet examen. Le jury l'a toutefois déclaré « éliminé » à
cette dernière session en raison de ses absences à certaines épreuves et des notes éliminatoires
auxquelles elles ont donné lieu. M. A. et ses parents, considérant que le lycée Livet n'avait pas mis tout
en oeuvre pour permettre à l'intéressé de suivre normalement son BTS, ont saisi le tribunal
administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat. Les requérants ont relevé
appel devant la cour administrative d'appel de Nantes du jugement du tribunal administratif qui a
rejeté leurs conclusions.
Le présent arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes, s'il ne fait pas droit aux conclusions
indemnitaires des demandeurs, a toutefois affirmé le principe d'une obligation de résultat, pesant sur
l'Etat, dans la mise en oeuvre du droit à l'éducation des adultes handicapés. Ce faisant, la cour a
prolongé la jurisprudence traditionnelle du Conseil d'Etat sur les droits des handicapés, en particulier
la décision Laruelle (8 avr. 2009, n° 311434, Lebon ; AJDA 2009. 1262, concl. R. Keller ; D.
2009. 1508, obs. C. de Gaudemont, note P. Raimbault ; RDSS 2009. 556, note H. Rihal), laquelle avait
affirmé l'obligation d'éducation pesant sur l'Etat à l'égard des enfants handicapés. La cour a pratiqué
une double extension de la décision Laruelle, à la fois sur le droit garanti - le droit à l'éducation au
13
sens de droit à la formation - et sur le public protégé - les adultes handicapés.
Le Conseil d'Etat a toujours montré son souci d'assurer l'effectivité des dispositions particulières en
faveur des personnes handicapées (25 juill. 1952, Loubeyre, Lebon 397 ; 6 avr. 1979, n° 09510, Picot,
Lebon T. 767, ou encore 30 avr. 2004, n° 254106, Monnier, Lebon T. 572 ; AJDA 2004. 1718, note E.
Aubin ; RDSS 2004. 977, note R. Fontier) et des décisions récentes sont venues réaffirmer les
obligations à la charge de l'Etat. Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé que l'Etat devait prévoir des modalités
adaptées pour l'accès des personnes handicapées à l'emploi de professeur d'éducation physique, alors
même que ces personnes ne pourraient pas satisfaire aux obligations de qualification en matière de
secourisme et de sauvetage aquatique exigées pour l'accès à cet emploi (14 nov. 2008, n° 311312,
Fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale et de la recherche publique, Lebon T. ;
AJDA 2009. 380, concl. R. Keller ; AJFP 2009. 76 ; RDSS 2009. 195, obs. A. Boujeka). Plus
récemment, dans une décision Beaufils (CE 16 mai 2011, n° 318501, Lebon ; AJDA 2011. 1749, note
H. Belrhali-Bernard ; RDSS 2011. 745, note H. Rihal), il a jugé que l'article L. 246-1 du code de
l'action sociale et des familles exige une prise en charge pluridisciplinaire de toute personne atteinte du
handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés, qui va au-delà d'une
simple obligation de moyens. Ou encore, dans la décision d'assemblée Bleitrach (22 oct. 2010, n°
301572, Lebon avec les concl. ; AJDA 2010. 2020 et 2207, chron. D. Botteghi et A. Lallet ; D.
2011. 1299, chron. A. Boujeka ; RFDA 2011. 141, concl. C. Roger-Lacan ; RDSS 2011. 151, note H.
Rihal ; RTD eur. 2011. 483, obs. D. Ritleng), il a réaffirmé la nécessité de l'accessibilité des locaux du
service public, en particulier ceux du service public de la justice, aux personnes handicapées.
Dans la décision Laruelle, le Conseil d'Etat a jugé que le droit à l'éducation étant garanti à chacun
quelles que soient les différences de situation et l'obligation scolaire s'appliquant à tous, les difficultés
particulières que rencontrent les enfants handicapés ne sauraient avoir pour effet ni de les priver de ce
droit ni de faire obstacle au respect de cette obligation. Le Conseil d'Etat en a déduit qu'il incombe par
suite à l'Etat, au titre de sa mission d'organisation générale du servicepublic de l'éducation, de prendre
les mesures nécessaires pour que ce droit et cette obligation aient, pour les enfants handicapés, un
caractère effectif. L'affaire dont était saisie la cour présentait un certain nombre de différences. Le
droit garanti était moins le droit à l'éducation, dont on peut raisonnablement penser qu'il concerne
l'école primaire, le collège et le lycée, que le droit à la formation supérieure, l'obtention d'un diplôme
post-baccalauréat, en l'occurrence un brevet de technicien supérieur. De plus, l'usager du service
public visé était aussi différent puisqu'il s'agissait d'un jeune adulte et non plus d'un enfant.
La transposition de la jurisprudence Laruelle n'allait pas de soi. On peut notamment penser que
l'obligation de scolariser les enfants jusqu'à l'âge de 16 ans a pu influencer en partie la décision
Laruelle. Ainsi, la cour administrative d'appel de Versailles a considéré que l'obligation affirmée dans
cette décision ne trouvait pas à s'appliquer pour un enfant de moins de 6 ans, handicapé, que ses
parents n'avaient pas réussi à scolariser en classes enfantines ou en école maternelle, dès lors que
celles-ci, en application de l'article L. 113-1 du code de l'éducation, « accueillent les enfants avant
l'âge de la scolarité obligatoire » (4 juin 2010, n° 09VE01323, Ministre du travail, des relations
sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, AJDA 2010. 2004, concl. S. Davesne). Ensuite, il
existe des dispositions particulières et précises pour la scolarisation des enfants et des adolescents
handicapés. D'abord, à l'article L. 112-1 du code de l'éducation qui prévoit que les enfants ou
adolescents handicapés sont soumis à l'obligation éducative et qu'ils satisfont à cette obligation en
recevant soit une éducation ordinaire, soit, à défaut, une éducation spéciale, déterminée en fonction
des besoins particuliers de chacun d'eux. Ensuite, à l'article L. 351-1 du même code qui prévoit que
l'Etat prend en charge les dépenses d'enseignement et de première formation professionnelle des
enfants et adolescents handicapés.
Si on ne trouve pas de textes aussi précis en ce qui concerne la formation des adultes handicapés, le
droit à l'éducation, au sens large, est affirmé de manière générale mais régulière par différentes
sources. Le Préambule de la Constitution de 1946 prévoit que « la nation garantit l'égal accès de
l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L'organisation de
l'enseignement public, gratuit et laïc à tous les degrés est un devoir de l'Etat ». Ensuite, un principe
équivalent est proclamé par l'article 2 du premier protocole additionnel à la convention européenne de
sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales aux termes duquel « nul ne peut se
14
voir refuser le droit à l'instruction ». Egalement, la formation des personnes handicapées est présentée
comme une obligation nationale par l'article 1er de la loi du 30 juin 1975. Ce même droit est encore
affirmé par l'article L. 112-1 du code de l'éducation qui met à la charge du service public de
l'éducation l'obligation d'assurer « une formation scolaire, professionnelle ou supérieure aux enfants,
aux adolescents et aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la santé invalidant. Dans ses
domaines de compétence, l'Etat met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la
scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés ». Ces textes, on le
voit, ont essentiellement un caractère programmatique. Et si l'article L. 112-1 prévoit une obligation à
la charge de l'Etat, celle-ci n'aurait pu être qu'une simple obligation de moyens.
La cour a cependant fait siens les principes qui inspirent l'évolution actuelle qui, comme le relevait
Rémi Keller dans ses conclusions sur la décision Laruelle, « tend non seulement à renforcer le
principe de l'insertion des personnes handicapées, mais également à assurer l'effectivité des
dispositions qui ont pour objet de le mettre en oeuvre ». Et elle a affirmé « que le droit à l'éducation est
garanti à chacun quelles que soient les différences de situation et qu'il incombe au service public de
l'éducation d'assurer notamment une formation aux adultes présentant un handicap ou un trouble de la
santé invalidant ; que, pour satisfaire à cette obligation, il revient à l'Etat, dans ses domaines de
compétence, de mettre en place les moyens financiers et humains nécessaires à la réalisation de cet
objectif afin que ce droit ait, pour les personnes handicapées qui entendent poursuivre leur
scolarisation, un caractère effectif ; que lorsqu'elle est avérée, la carence de l'Etat est constitutive d'une
faute de nature à engager sa responsabilité ».
Une fois ce principe affirmé, la cour a estimé que celui-ci n'avait pas été méconnu par le lycée Livet.
D'abord, M. A. a bien été inscrit au lycée Livet en classe de BTS en vue de préparer le diplôme de
géomètre topographe au titre des années scolaires 2004/2005, 2005/2006 et 2007/2008. Et s'il s'est
présenté en candidat libre pour passer les mêmes épreuves en juin 2009, il n'est pas établi qu'il aurait
sollicité en vain sa réinscription dans cet établissement. Ensuite, il a pu bénéficier d'un dispositif d'aide
par le biais d'un soutien hebdomadaire de 5 heures apporté par un auxiliaire de vie scolaire individuel
et de 7 heures dispensées par l'Union régionale des associations de parents d'enfants déficients auditifs
(URAPEDA) des Pays de la Loire. Enfin, aucune disposition alors en vigueur n'obligeait
l'établissement à garantir des cours en langue des signes française.
Cet arrêt permet ainsi d'étendre l'obligation d'éducation, qui pesait déjà sur l'Etat à l'égard des enfants
handicapés, aux adultes handicapés.
Document 6 : CE, 6 juillet 2016, n° 398234
Conseil d'État
N° 398234 Publié au recueil Lebon
Assemblée Lecture du mercredi 6 juillet 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
Vu les procédures suivantes : I. Sous le numéro 398234, par un jugement n°s 1600399, 1600405 et 1600681 du 24 mars
2016, enregistré le 25 mars 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal
administratif de Cergy-Pontoise, avant de statuer sur les demandes de MM. A...E..., D...M...et
P...C..., tendant à l'annulation des décisions prises les 16 novembre, 17 novembre et 24
novembre 2015 par les préfets du Val-d'Oise et des Hauts-de-Seine sur le fondement de la loi
du 3 avril 1955, ordonnant de perquisitionner les lieux d'habitation qu'ils occupaient, ainsi
15
qu'à la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité en réparation du préjudice résultant
de ces perquisitions, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de
justice administrative, de transmettre le dossier de ces demandes au Conseil d'Etat, en
soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) La loi du 3 avril 1955 ne prévoit pas de régime spécifique de motivation applicable aux
mesures prises dans le cadre de l'état d'urgence. Si la loi du 11 juillet 1979 prévoit l'obligation
de motiver les décisions administratives individuelles défavorables, notamment les mesures
de police, l'article 4 de cette loi précise qu'en cas d'urgence absolue, le défaut de motivation
n'entache pas d'illégalité les décisions prises dans ce cadre. Toutefois, la décision n° 2016-536
QPC du 19 février 2016 du Conseil constitutionnel précise que les décisions ordonnant une
perquisition doivent être motivées. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, les décisions
ordonnant une perquisition, prises sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955,
entrent-elles dans le champ des exceptions à l'obligation de motivation prévues par l'article 4
de la loi du 11 juillet 1979, devenu l'article L. 211-6 du code des relations entre le public et
l'administration ? 2°) Quelle est l'intensité du contrôle qu'exerce le juge administratif sur les motifs qui ont
justifié le prononcé d'un ordre de perquisition ? 3°) En cas d'illégalité de l'ordre de perquisition, la responsabilité pour faute de l'Etat tenant à
l'édiction de cette mesure peut-elle être engagée sur le fondement de la faute lourde ou de la
faute simple ? 4°) L'édiction des mesures de perquisition peut-elle être de nature à engager la responsabilité
sans faute de l'Etat pour risque ou pour rupture d'égalité devant les charges publiques ?
5°) Dans quelle mesure le juge administratif contrôle-t-il les conditions matérielles dans
lesquelles s'est déroulée la perquisition ? Les conditions d'exécution de la décision ordonnant
une perquisition sont-elles susceptibles, par elles-mêmes, d'engager la responsabilité pour
faute de l'Etat ' Les résultats de cette perquisition ont-ils une incidence sur l'engagement de
cette responsabilité ' Le régime de responsabilité repose-t-il sur la faute lourde ou sur la faute
simple ?
6°) La responsabilité sans faute de l'Etat pour risque ou pour rupture d'égalité devant les
charges publiques peut-elle être engagée devant le juge administratif en raison des conditions
d'exécution de l'ordre de perquisition ? Des observations, enregistrées le 28 juin 2016, ont été présentées par le ministre de l'intérieur.
II. Sous le numéro 399135, par un jugement n°s 1600664, 1600678 et 1600960 du 22 avril
2016, enregistré le 26 avril 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal
administratif de Melun, avant de statuer sur les demandes de MM. G...H..., I...O..., K...B...,
N...J...et F...L..., tendant à l'annulation des décisions prises les 25 novembre et 3 décembre
2015 par les préfets du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne sur le fondement de la loi du 3
avril 1955, ordonnant de perquisitionner les lieux qu'ils habitaient, ainsi que, s'agissant de
M.J..., à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice
résultant de la perquisition, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du
16
code de justice administrative, de transmettre le dossier de ces demandes au Conseil d'Etat, en
soumettant à son examen les questions suivantes : 1°) L'existence reconnue par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du
19 février 2016 de l'exercice d'un recours effectif par le biais d'une action indemnitaire a
posteriori est-elle exclusive d'une action en excès de pouvoir dirigée contre l'ordre de
perquisition édicté par le préfet ?
2°) En cas de responsabilité pour faute, dans quelle mesure le juge administratif doit-il
prendre en compte les moyens tirés de l'illégalité de l'ordre de perquisition pour apprécier
l'existence d'une responsabilité de l'administration ' Y a-t-il lieu de distinguer entre les vices
propres de cet ordre de perquisition et son bien-fondé ?
3°) Dans quelle mesure le juge administratif, s'il demeure compétent, doit-il tenir compte des
résultats de la perquisition et des renseignements recueillis sur la personne visée pour
déterminer le régime de responsabilité applicable et l'étendue de la responsabilité de
l'administration ? Des observations, enregistrées le 28 juin 2016, ont été présentées par le ministre de l'intérieur. Des observations, enregistrées le 30 juin 2016, ont été présentées par MM. H..., O...etB....
Vu les autres pièces des dossiers ; Vu : - la Constitution, notamment son Préambule et son article 62 ; - le code des relations entre le public et l'administration ; - la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ; - la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ; - la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-536 QPC du 19 février 2016 ; - le code de justice administrative, notamment son article L.113-1 ;
REND L'AVIS SUIVANT
Les jugements des tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise et de Melun visés ci-dessus
soumettent au Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice
administrative, des questions analogues. Il y a lieu de les joindre pour qu'ils fassent l'objet
d'un même avis. 1. En vertu de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence peut être déclaré sur tout
ou partie du territoire de la République " soit en cas de péril imminent résultant d'atteintes
graves à l'ordre public, soit en cas d'événements présentant, par leur nature et leur gravité, le
caractère de calamité publique ". Selon l'article 2 de la même loi, l'état d'urgence est déclaré
par décret en conseil des ministres ; sa prorogation au-delà de douze jours ne peut être
autorisée que par la loi.
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L'article 11 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état
d'urgence peut, par une disposition expresse, conférer au ministre de l'intérieur et aux préfets
le pouvoir d'ordonner des perquisitions administratives de jour et de nuit. Dans sa rédaction
issue de la loi du 20 novembre 2015, cet article 11 précise que les perquisitions en cause
peuvent être ordonnées " en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un
lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats,
des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu
est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et
l'ordre publics. / La décision ordonnant une perquisition précise le lieu et le moment de la
perquisition. Le procureur de la République territorialement compétent est informé sans délai
de cette décision. La perquisition est conduite en présence d'un officier de police judiciaire
territorialement compétent. Elle ne peut se dérouler qu'en présence de l'occupant ou, à défaut,
de son représentant ou de deux témoins. (...) Lorsqu'une infraction est constatée, l'officier de
police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai
le procureur de la République (...) ". Ces dispositions de la loi du 3 avril 1955 habilitent le ministre de l'intérieur et les préfets,
lorsque le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence l'a expressément prévu, à
ordonner des perquisitions qui, visant à préserver l'ordre public et à prévenir des infractions,
relèvent de la police administrative, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa
décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, et sont placées sous le contrôle du juge
administratif.
Sur les questions relatives au contrôle de la légalité des ordres de perquisition : 2. Les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3
avril 1955 sont susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. La
circonstance qu'elles ont produit leurs effets avant la saisine du juge n'est pas de nature à
priver d'objet le recours. L'introduction d'un tel recours ne saurait cependant constituer un
préalable nécessaire à l'engagement d'une action indemnitaire recherchant la responsabilité de
l'Etat à raison des conditions dans lesquelles les perquisitions ont été ordonnées et mises à
exécution. 3. Les décisions qui ordonnent des perquisitions sur le fondement de l'article 11 de la loi du 3
avril 1955 présentent le caractère de décisions administratives individuelles défavorables qui
constituent des mesures de police. Comme telles, et ainsi que l'a jugé le Conseil
constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, elles doivent être
motivées en application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des
actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public,
désormais codifié à l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.
La motivation exigée par ces dispositions doit être écrite et comporter l'énoncé des
considérations de droit ainsi que des motifs de fait faisant apparaître les raisons sérieuses qui
ont conduit l'autorité administrative à penser que le lieu visé par la perquisition est fréquenté
par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre
publics. Dès lors que la perquisition est effectuée dans un cadre de police administrative, il
n'est pas nécessaire que la motivation de la décision qui l'ordonne fasse état d'indices
d'infraction pénale. Le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié en tenant compte des conditions
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d'urgence dans lesquelles la perquisition a été ordonnée, dans les circonstances
exceptionnelles ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence. Si les dispositions de
l'article 4 de la loi du 11 juillet 1979, codifié à l'article L. 211-6 du code des relations entre le
public et l'administration, prévoient qu'une absence complète de motivation n'entache pas
d'illégalité une décision lorsque l'urgence absolue a empêché qu'elle soit motivée, il appartient
au juge administratif d'apprécier au cas par cas, en fonction des circonstances particulières de
chaque espèce, si une urgence absolue a fait obstacle à ce que la décision comporte une
motivation même succincte. 4. Outre l'énoncé de ses motifs, la décision qui ordonne une perquisition doit, en vertu des
dispositions expresses de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction résultant de la
loi du 20 novembre 2015, porter mention du lieu et du moment de la perquisition. L'indication
du lieu a pour objet de circonscrire les locaux devant être perquisitionnés de façon à permettre
de les identifier de façon raisonnable. Le moment indiqué dans la décision est celui à compter
duquel la perquisition peut être mise à exécution, en fonction des contraintes opérationnelles.
Si la loi prévoit que doit être indiqué le moment de la perquisition, elle n'impose pas que la
décision, par une motivation spéciale, fasse apparaître les raisons qui ont conduit à retenir ce
moment. 5. L'article 11 de la loi du 3 avril 1955 permet aux autorités administratives compétentes
d'ordonner des perquisitions dans les lieux qu'il mentionne lorsqu'il existe des raisons
sérieuses de penser que ces lieux sont fréquentés par au moins une personne dont le
comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Il appartient au juge administratif d'exercer un entier contrôle sur le respect de cette condition,
afin de s'assurer, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536
QPC du 19 février 2016, que la mesure ordonnée était adaptée, nécessaire et proportionnée à
sa finalité, dans les circonstances particulières qui ont conduit à la déclaration de l'état
d'urgence. Ce contrôle est exercé au regard de la situation de fait prévalant à la date à laquelle
la mesure a été prise, compte tenu des informations dont disposait alors l'autorité
administrative sans que des faits intervenus postérieurement, notamment les résultats de la
perquisition, n'aient d'incidence à cet égard. Sur les questions relatives aux conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat :
6. Toute illégalité affectant la décision qui ordonne une perquisition est constitutive d'une
faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
Saisi d'une demande indemnitaire, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des
préjudices de toute nature, directs et certains, qui résultent de l'illégalité fautive entachant
l'ordre de perquisition. Le caractère direct du lien de causalité entre l'illégalité commise et le
préjudice allégué ne peut notamment être retenu dans le cas où la décision ordonnant la
perquisition est seulement entachée d'une irrégularité formelle ou procédurale et que le juge
considère, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties devant lui, que la décision
ordonnant la perquisition aurait pu être légalement prise par l'autorité administrative, au vu
des éléments dont elle disposait à la date à laquelle la perquisition a été ordonnée.
7. En outre, les conditions matérielles d'exécution des perquisitions sont susceptibles
d'engager la responsabilité de l'Etat à l'égard des personnes concernées par les perquisitions.
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Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-536 QPC du 19 février
2016, les conditions de mise en oeuvre des perquisitions ordonnées sur le fondement de
l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 doivent être justifiées et proportionnées aux raisons ayant
motivé la mesure, dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l'état
d'urgence. En particulier, la perquisition d'un domicile de nuit doit être justifiée par l'urgence ou
l'impossibilité de l'effectuer de jour. Sauf s'il existe des raisons sérieuses de penser que le ou
les occupants du lieu sont susceptibles de réagir à la perquisition par un comportement
dangereux ou de détruire ou dissimuler des éléments matériels, l'ouverture volontaire du lieu
faisant l'objet de la perquisition doit être recherchée et il ne peut être fait usage de la force
pour pénétrer dans le lieu qu'à défaut d'autre possibilité. Lors de la perquisition, il importe de
veiller au respect de la dignité des personnes et de prêter une attention toute particulière à la
situation des enfants mineurs qui seraient présents. L'usage de la force ou de la contrainte doit
être strictement limité à ce qui est nécessaire au déroulement de l'opération et à la protection
des personnes. Lors de la perquisition, les atteintes aux biens doivent être strictement
proportionnées à la finalité de l'opération ; aucune dégradation ne doit être commise qui ne
serait justifiée par la recherche d'éléments en rapport avec l'objet de la perquisition.
Toute faute commise dans l'exécution des perquisitions ordonnées sur le fondement de la loi
du 3 avril 1955 est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat. Il appartient au juge
administratif, saisi d'une demande en ce sens, d'apprécier si une faute a été commise dans
l'exécution d'une perquisition, au vu de l'ensemble des éléments débattus devant lui, en tenant
compte du comportement des personnes présentes au moment de la perquisition et des
difficultés de l'action administrative dans les circonstances particulières ayant conduit à la
déclaration de l'état d'urgence. Les résultats de la perquisition sont par eux-mêmes dépourvus
d'incidence sur la caractérisation d'une faute.
En cas de faute, il appartient au juge administratif d'accorder réparation des préjudices de
toute nature, directs et certains, qui en résultent. 8. Si la responsabilité de l'Etat pour faute est seule susceptible d'être recherchée par les
personnes concernées par une perquisition, la responsabilité de l'Etat à l'égard des tiers est
engagée sans faute, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en
cas de dommages directement causés par des perquisitions ordonnées en application de
l'article 11 de la loi du 3 avril 1955. Doivent être regardés comme des tiers par rapport à la perquisition les personnes autres que la
personne dont le comportement a justifié la perquisition ou que les personnes qui lui sont liées
et qui étaient présentes dans le lieu visé par l'ordre de perquisition ou ont un rapport avec ce
lieu. Doivent notamment être regardés comme des tiers les occupants ou propriétaires d'un
local distinct de celui visé par l'ordre de perquisition mais perquisitionné par erreur ainsi que
le propriétaire du lieu visé par l'ordre de perquisition, dans le cas où ce propriétaire n'a pas
d'autre lien avec la personne dont le comportement a justifié la perquisition que le bail
concernant le lieu perquisitionné. 9. Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, au tribunal
administratif de Melun, à MM. A...E..., D...M...et P...C..., G...H..., I...O..., K...B..., N...J...,
F...L...et au ministre de l'intérieur. Il sera publié au Journal officiel de la République française.
20
Document 7 : CE, sect., 5 juin 1992, M. et Mme Cala
Considérant qu'une collectivité publique peut en principe s'exonérer de la responsabilité qu'elle
encourt à l'égard des usagers d'un ouvrage public victimes d'un dommage causé par l'ouvrage si elle
apporte la preuve que ledit ouvrage a été normalement aménagé et entretenu ; que sa responsabilité ne
peut être engagée à l'égard des usagers, même en l'absence de tout défaut d'aménagement ou
d'entretien normal, que lorsque l'ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels
sont exposés les usagers du fait de sa conception même, doit être regardé comme présentant par lui-
même le caractère d'un ouvrage exceptionnellement dangereux ;
Considérant que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Lyon, annulant un jugement du
tribunal administratif de Nice, a condamné l'Etat à indemniser M. et Mme X... du préjudice résultant
de l'accident dont ils ont été victimes le 28 août 1982, alors qu'ils circulaient en voiture sur la route
nationale 204, entre Breil-sur-Roya et Fontan ; que l'accident a été provoqué par le heurt du véhicule
avec des rochers qui se sont détachés de la paroi rocheuse surplombant la route ;
Considérant que la cour administrative d'appel de Lyon a relevé que "l'état de fissuration du massif
rocheux, aggravé par la végétation poussant à flanc de falaise et le facteur climatique, est tel qu'il ya
un risque élevé de chute de blocs de pierres dans l'ensemble des gorges de Saorge" ; qu'il ne résulte
pas des constatations de fait souverainement opérées par la cour que les risques auxquels sont exposés
les usagers du tronçon dont il s'agit de la route nationale 204, comparés avec ceux auxquels sont
exposés les usagers de nombreuses routes de montagne, présentent un caractère exceptionnel de
gravité ; que, par suite, la cour n'a pu légalement décider, au vu de ces constatations, que ledit tronçon
de route présentait le caractère d'un ouvrage exceptionnellement dangereux et que la responsabilité de
l'Etat se trouve de ce fait engagée vis-à-vis des consorts X... même en l'absence de tout défaut
d'aménagement ou d'entretien normal de l'ouvrage ; que, dès lors, l'arrêt attaqué, qui a condamné l'Etat
sur ce fondement, doit être annulé ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer
l'affaire devant la cour administrative d'appel de Lyon ;
Article 1er : L'arrêt en date du 18 janvier 1990 de la cour administrative d'appel de Lyon est annulé.
[...]
Document 8a: CE, 30 novembre 1923, Couitéas
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par jugements en date du 13 février 1908, le tribunal civil
de Sousse a ordonné "le maintien en possession du sieur X... des parcelles de terrain du domaine de
Tabia et Houbira dont la possession lui avait été reconnue par l'Etat" et lui a conféré "le droit d'en faire
expulser tous occupants" ; que le requérant a demandé, à plusieurs reprises, aux autorités compétentes,
l'exécution de ces décisions ; mais que, le gouvernement français s'est toujours refusé à autoriser le
concours de la force militaire d'occupation reconnu indispensable pour réaliser cette opération de
justice, à raison des troubles graves que susciterait l'expulsion de nombreux indigènes de territoires
dont ils s'estimaient légitimes occupants, depuis un temps immémorial ;
Considérant qu'en prenant, pour les motifs et dans les circonstances ci-dessus rappelées, la décision
dont se plaint le sieur X..., ledit gouvernement n'a fait qu'user des pouvoirs qui lui sont conférés en vue
du maintien de l'ordre et de la sécurité publique dans un pays de protectorat ;
Mais considérant que le justiciable nanti d'une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule
exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui
lui a été ainsi délivré ; que si, comme il a été dit ci-dessus, le gouvernement a le devoir d'apprécier les
conditions de cette exécution et le droit de refuser le concours de la force armée, tant qu'il estime qu'il
y a danger pour l'ordre et la sécurité, le préjudice qui peut résulter de ce refus ne saurait, s'il excède
une certaine durée, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressé, et qu'il
appartient au juge de déterminer la limite à partir de laquelle il doit être supporté par la collectivité ;
21
Considérant que la privation de jouissance totale et sans limitation de durée résultant, pour le
requérant, de la mesure prise à son égard, lui a imposé, dans l'intérêt général, un préjudice pour lequel
il est fondé à demander une réparation pécuniaire ; que, dès lors, c'est à tort que le ministre des
Affaires étrangères lui a dénié tout droit à indemnité ; qu'il y a lieu de le renvoyer devant ledit ministre
pour y être procédé, à défaut d'accord amiable et en tenant compte de toutes les circonstances de droit
et de fait, à la fixation des dommages-intérêts qui lui sont dus ;
Document 8b : CE, 30 juin 2010, M. et Mme Ben Amour, n° 332259
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant que toute décision de justice ayant force exécutoire peut donner lieu à une exécution
forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main forte à cette exécution ; que, toutefois,
des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l'ordre public ou à la survenance de
circonstances postérieures à la décision judiciaire d'expulsion telles que l'exécution de celle-ci serait
susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu'il soit
porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force
publique ; qu'en cas d'octroi de la force publique il appartient au juge de rechercher si l'appréciation à
laquelle s'est livrée l'administration sur la nature et l'ampleur des troubles à l'ordre public susceptibles
d'être engendrés par sa décision ou sur les conséquences de l'expulsion des occupants compte tenu de
la survenance de circonstances postérieures à la décision de justice l'ayant ordonné, n'est pas entachée
d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant que pour ordonner la suspension de l'exécution de la décision du préfet des Bouches-du-
Rhône du 9 juillet 2009 informant M. A de l'autorisation qu'il avait donnée à l'officier de police
territorialement compétent de prêter le concours de la force publique pour l'expulsion de son logement
à compter du 12 août 2009, en exécution du jugement du tribunal d'instance de Marseille du 5 février
2009, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a retenu comme de nature à faire naître
un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen tiré du risque de troubles à l'ordre
public susceptible de résulter de la mise en oeuvre du concours de la force publique eu égard à la
situation sociale des occupants et aux démarches qu'ils avaient effectuées en vain pour trouver un
nouveau logement ; qu'en estimant que le seul fait que les personnes expulsées n'aient pas de solution
de relogement était susceptible d'entraîner un trouble à l'ordre public justifiant que l'autorité
administrative, puisse, sans erreur manifeste d'appréciation, ne pas prêter son concours à l'exécution
d'une décision juridictionnelle, le juge des référés a commis une erreur de droit ; que son ordonnance
doit, par suite, être annulée ; [...]
Document 9 : CE, 11 février 2015, n° 372359
Vu l'arrêt n° 12PA02732 du 17 septembre 2013, enregistré le 24 septembre 2013 au secrétariat du
contentieux du Conseil d'Etat, par lequel le président de la cour administrative d'appel de Paris a
transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative, le
pourvoi présenté à cette cour par le garde des sceaux, ministre de la Justice ;
Vu le pourvoi, enregistré le 25 juin 2012 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris présenté
par le garde des sceaux, ministre de la justice demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement n° 1105088/5-1 du 3 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Paris,
d'une part, a annulé sa décision du 10 janvier 2011 par laquelle il a refusé d'accorder à M. C. le
bénéfice de la protection fonctionnelle, d'autre part, a mis à la charge de l'Etat une somme de 200 € au
titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la demande de M. C. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son article 64 ;
22
Vu l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Samuel Gillis, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 10
janvier 2011, le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'accorder à M. C., magistrat de
l'ordre judiciaire, vice-président au tribunal de grande instance de Reims, le bénéfice de la protection
fonctionnelle prévue par l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique
relative au statut de la magistrature, alors que celui-ci faisait l'objet de poursuites pénales pour des
faits de faux en écriture publique ; que, par un jugement du 3 mai 2012, contre lequel le garde des
sceaux, ministre de la justice se pourvoit en cassation, le tribunal administratif de Paris a annulé cette
décision ;
2. Considérant que s'il résulte des dispositions de l'article 11 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 que
les magistrats de l'ordre judiciaire sont protégés contre les menaces et attaques de quelque nature que
ce soit, dont ils peuvent être l'objet dans l'exercice ou à l'occasion de leurs fonctions, ces dispositions
n'étendent pas le bénéfice de la protection fonctionnelle au cas où le magistrat fait l'objet de poursuites
pénales ; que, toutefois, en vertu d'un principe général du droit qui s'applique à tous les agents publics,
lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la
collectivité publique dont il dépend de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de
poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle ; que les principes généraux qui régissent
le droit de la fonction publique sont applicables aux magistrats, sauf dispositions particulières de leur
statut ; qu'ainsi le principe mentionné ci-dessus est, dans le silence, sur ce point, de leur statut et en
l'absence de tout principe y faisant obstacle, applicable aux magistrats de l'ordre judiciaire ;
3. Considérant qu'une faute d'un agent de l'Etat qui, eu égard à sa nature, aux conditions dans
lesquelles elle a été commise, aux objectifs poursuivis par son auteur et aux fonctions exercées par
celui-ci est d'une particulière gravité doit être regardée comme une faute personnelle justifiant que la
protection fonctionnelle soit refusée à l'agent, alors même que,commise à l'occasion de l'exercice des
fonctions, elle n'est pas dépourvue de tout lien avec le service et qu'un tiers qui estime qu'elle lui a
causé un préjudice peut poursuivre aussi bien la responsabilité de l'Etat devant la juridiction
administrative que celle de son auteur devant la juridiction judiciaire et obtenir ainsi, dans la limite du
préjudice subi, réparation ;
4. Considérant que le tribunal administratif de Paris a relevé qu'à l'issue de l'audience correctionnelle
collégiale du tribunal de grande instance de Reims du 9 février 2010 au cours de laquelle étaient
examinées plusieurs citations directes pour des faits de diffamation publique, M. C. a fait modifier par
le greffier la note d'audience pour y faire figurer des citations directes qui n'avaient pas été enregistrées
ni régulièrement appelées à l'audience et qu'il a rédigé quatre jugements fixant des consignations alors
qu'il n'en avait prononcé que deux sur le siège ; qu'en jugeant que de tels agissements ne constituaient
pas, de la part d'un magistrat, une faute d'une gravité telle qu'elle devait être regardée comme une faute
personnelle justifiant le refus du garde des sceaux, ministre de la justice d'accorder à l'intéressé la
protection fonctionnelle, le tribunal administratif a donné aux faits qu'il a relevés une qualification
juridique inexacte ; qu'ainsi, le garde des sceaux, ministre de la justice est fondé à demander
l'annulation du jugement attaqué ;
Décide :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 3 mai 2012 est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée au tribunal administratif de Paris. [...]
Document 9 : CE, 12 octobre 2016, n° 383423
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Conseil d'État
N° 383423
6ème - 1ère chambres réunies
Lecture du mercredi 12 octobre 2016
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Le Fonds départemental d'indemnisation des dégâts de sangliers du Bas-Rhin (FIDS 67) a
demandé au tribunal administratif de Strasbourg de condamner l'Etat à lui verser une
indemnité de 87 389 euros, majorée des intérêts légaux à compter de sa demande préalable du
17 novembre 2010, en réparation du préjudice financier qu'il a subi du fait de l'important
accroissement, au cours des années 2007 à 2009, des dégâts causés aux cultures agricoles par
les sangliers provenant de la réserve naturelle du Delta de la Sauer, où la chasse était interdite.
Par un jugement n° 1102059 du 6 février 2013, le tribunal administratif a rejeté cette
demande.
Par un arrêt n° 13NC00631 du 2 juin 2014, la cour administrative d'appel de Nancy a rejeté
l'appel formé par le FIDS 67 contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 août et 4 novembre
2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le FIDS 67 demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du
code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'environnement ;
- la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 ;
- le décret n° 97-816 du 2 septembre 1997 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Françoise Guilhemsans, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public.
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La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Didier, Pinet, avocat du
Fonds départemental d'indemnisation des dégâts de sangliers du Bas-Rhin (FIDS 67).
1. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 429-27 du code de l'environnement : "
Il est constitué, dans chacun des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, un
fonds départemental d'indemnisation des dégâts de sanglier, doté de la personnalité morale. /
Les fonds départementaux d'indemnisation des dégâts de sanglier ont pour objet d'indemniser
les exploitants agricoles des dégâts causés aux cultures par les sangliers. Ils peuvent mener et
imposer des actions de prévention. / Chaque fonds départemental est composé des titulaires
du droit de chasse (...) " ; qu'en vertu de l'article L. 429-29 du même code, l'adhésion au fonds
des intéressés est obligatoire ; que les articles L. 429-30 et L. 429-31 du même code prévoient
que les fonds sont alimentés par des contributions de leurs membres et des contributions
complémentaires si les ressources prévues s'avèrent insuffisantes ;
2. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 7 du décret du 2 septembre 1997 portant
création de la réserve naturelle du delta de la Sauer, pris sur le fondement des dispositions du
chapitre II du titre IV du livre II du code rural, désormais codifiées au chapitre II du titre III
du livre III du code de l'environnement : " Le préfet peut prendre, après avis du comité
consultatif, toutes mesures en vue d'assurer la conservation d'espèces animales ou végétales
ou la maîtrise des végétaux surabondants dans la réserve. De même, la régulation des animaux
surabondants est assurée, sous l'autorité du préfet, selon des modalités déterminées après avis
du comité consultatif. " ; qu'aux termes de l'article 8 du même décret : " A l'échéance des baux
de chasse en cours et sous réserve des dispositions de l'article 7, l'exercice de la chasse est
interdit. " ;
3. Considérant qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que le Fonds départemental
d'indemnisation des dégâts de sangliers du Bas-Rhin (FIDS 67) a demandé la condamnation
de l'État à l'indemniser, sur le double terrain de la faute et de la rupture d'égalité devant les
charges publiques, du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'interdiction de la chasse
dans la réserve naturelle du delta de la Sauer et de l'accroissement corrélatif de la charge
d'indemnisation des agriculteurs qui lui incombe ; que, par un jugement du 6 février 2003, le
tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; que, par un arrêt du 2 juin 2014,
contre lequel le FIDS 67 se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Nancy a
rejeté ses conclusions présentées, en appel, sur le seul terrain de la responsabilité sans faute de
l'Etat ;
4. Considérant que les dispositions rappelées au point 1 instituent un dispositif de
mutualisation entre les titulaires du droit de chasse de la charge de l'indemnisation des dégâts
causés par les sangliers aux cultures, dont ils ont la responsabilité collective de réguler la
population à travers notamment des actions de chasse et de prévention ; qu'il ne résulte
toutefois ni de ces dispositions, telles qu'éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 23
février 2005 relative au développement des territoires ruraux dont elles sont issues, ni de
celles sur le fondement desquelles le décret du 2 septembre 1997, précité, a été pris, ni
d'aucune autre disposition législative, que le législateur aurait entendu exclure que les fonds
départementaux d'indemnisation des dégâts de sangliers puissent rechercher la responsabilité
de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, au titre d'un
préjudice financier grave et spécial causé par des décisions légales de l'administration, telles
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que celles ayant pour objet d'interdire l'exercice de la chasse dans une réserve naturelle ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que la création par le législateur
d'un organisme ayant pour principal objet d'indemniser les exploitants agricoles des dégâts
causés aux cultures par les sangliers faisait par principe obstacle à l'introduction par celui-ci à
l'encontre de l'État d'une action en réparation de ces dommages sur le fondement de la
responsabilité sans faute, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que le FIDS 67 est
fondé, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque ;
6. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat
la somme de 3 000 euros qui sera versée au FIDS 67 au titre des dispositions de l'article L.
761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 2 juin 2014 de la cour administrative d'appel de Nancy est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à cette cour.
Article 3 : L'Etat versera au FIDS 67 la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au Fonds départemental d'indemnisation des
dégâts des sangliers du Bas-Rhin (FIDS 67) et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et
de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
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