DanielleSTEEL
Disparu
Roman
Traduitdel’anglais(États-Unis)VassoulaGalangau
eBookRevisedByJekBook
PressesdelaCité
RésuméMarielleaura-t-elledroit,unjour,àsapartdebonheursurcetteterre?Épousefrustréeetprisonnièred’unlourdpassé,ellepartagesansjoielaviede
Malcolm Patterson, milliardaire autoritaire et insensible qui la trompeouvertement. Mais soudain, dans la pénombre complice de la cathédrale SaintPatrick, elle se trouve face à face avec Charles, son premiermari, son premieramour, écrivain en exil revenu àNew York au chevet de son pèremourant. Unregardetquelquesmotséchangésontsuffipourfairerenaîtreleurssentiments.C’est alors que le drame éclate. Teddy, l’enfant du couple Patterson, est
kidnappé.Charlesleproscritestsuspecté.Despreuvesformelleslefontinculperettraduireenjustice.Manifestement,Malcolmetl’establishmentveulentsapeau.Etpendant le procès à sensation qui s’engage, au fil des audiences dramatiques, lavérité,l’invraisemblablevérité,s’imposepeuàpeu.«Disparu»estletrenteetunièmebest-sellerdeDanielleSteel,laromancièrela
plus lueaumonde,dont lefan-clubfrançaisnecomptepasmoinsdequatremillemembres.ÉgalementchezPocket:«Coupdecœur»,«Joyaux»,«Naissances»,«Unsigrandamour».
Chapitre1Entraînantunpeulajambe,CharlesDelauneygravitlentementlesmarchesde
lacathédraleSaint-Patrick.Unventâpreetsournoiss’insinuaitdanslecoldesonmanteau.Noël était dans deux semaines,mais il avait oublié combiendécembrepouvaitêtreglacialàNewYork.Ilyavaitdesannéesqu’iln’étaitplusrevenu…desannéesqu’iln’avaitplusrevusonpère.Celui-ciavaitmaintenantquatre-vingtsans.Samèreétaitmortedepuislongtemps.Charles, qui avait à peine treize ans à l’époque, en avait conservé le vague
souvenird’unefemmedouceetravissante.Sonpère,devenusénileetinfirme,avaitaujourd’hui besoin de lui… Du moins, c’était ce que ses hommes de loi avaientprétendu,afind’attirerlefilsprodigueneserait-cequepourquelquesmoisàNewYork.Enl’absenced’autresparents,lelourdfardeaudel’empireDelauneyreposaità présent sur ses épaules. Des terres à perte de vue, l’immense propriété deNewburgh, les raffineries de pétrole et les mines de charbon, l’usine demétallurgie,sansparlerdesbiensimmobiliersenpleinquartierdeDowntown,aucœurdeManhattan.Unefortunecolossalequin’avaitpasétéamasséeparCharles,bien sûr, nimêmepar sonpère,mais par ses deuxgrands-pères.Unpatrimoinefabuleuxdontiln’avaitquefaire.Des rides d’expression creusées par les chagrins et les efforts passés avaient
marquésonvisagepourtantencore jeune. Il s’étaitbattuenEspagne,auserviced’unenoblecausequin’étaitpaslasiennemaisàlaquelleils’étaitvouécorpsetâme. Près de deux ans s’étaient écoulés depuis février 1937, date à laquelle ils’étaitjointàlaBrigadeLincoln,afindecombattrelaPhalangefranquiste,etavaitguerroyésansrépitàtraverslapéninsulejusqu’enaoûtoù,lorsd’unaffrontementparticulièrementsanglantsurlesrivesdel’Èbre,ilavaitétégrièvementblessé.Cen’était pas la première fois. À quinze ans, déjà, durant la dernière année de laGrandeGuerre, il s’était enfui de chez lui pour rejoindre l’armée et avait eu lajambecribléedeballesprèsduMont-Saint-Michel. Ilavaitalorssubi lesfoudrespaternelles.Or, le vieuxM.Delauneynepouvaitplusexprimerni assentimentnicolère.Àsesyeux,lemonden’étaitplusqu’unenotionfloueetl’oubliavaitensevelisesdernières réminiscences. Ilne se souvenaitplusde laguerred’Espagne,pasplus que de son propre fils… Et c’était tant mieux, avait songé amèrement cedernierencontemplantlegrabatairesomnolantaumilieuduvastelitmoelleux.Silevieillardavaiteutoutesatête,ilsseseraienttrèscertainementdisputés,unefoisdeplus.M.Delauneyn’auraitpashésitéàfustigerCharles,sesgrandesidéesdeliberté,sahainedu fascisme. Iln’avait,dureste, jamaisapprouvé laviedissipéequeson filsmenaità l’étranger.Devenupère tardivement,M.Delauneyavaitdumalàcomprendrelespassionsd’unejeunesseturbulente.Reparti en Europe en 1921, à l’âge de dix-huit ans, Charles s’y était établi
pendant près d’une vingtaine d’années. Longtemps, il avait végété en travaillant
ponctuellementpourdesamisouenvendantunedesesnouvellesàunmagazine.Aprèsquoi,grâceauxplacementsfamiliaux,l’argentavaitafflué.L’énormitédesesrentesavaittoujoursirritélejeunerebelle.— Aucun homme normalement constitué n’a besoin de sommes aussi élevées,
avait-ilconfiéàunami.Pendant plusieurs années, il avait distribué une partie de ses revenus à des
œuvresdecharité.L’accumulationdebiensmatérielsnel’intéressaitpas.Il tiraitsonseulplaisirdel’écriture,deses«histoirescourtes»quiluirapportaientjustedequoisubsister.IlavaitfaitsesétudesàOxford,puisàlaSorbonne,pours’accorder,plustard,un
séjouràFlorence.Sesprochesletenaientpourunnoceur.Lejeuneécrivainbrûlaitlachandelleparlesdeuxbouts.Ilingurgitaitd’incroyablesquantitésdebordeaux,saboissonpréférée,àlaquelles’ajoutaientparfoisunoudeuxgodetsd’eau-de-vie,etsesconquêtesamoureusesnesecomptaientplus.Àvingtetunans,aprèstroisannées de débauches européennes, il se considérait comme un « citoyen dumonde». Il avait rencontrédes célébrités, vécudesaventureshorsdu commun,séduitdescréaturesderêveréputéesinaccessiblespourlecommundesmortels.Etpuis…ilyavaiteuMarielle,maisça,c’étaituneautrehistoire.Unépisodedesavie qu’il s’efforçait d’oublier. Un souvenir douloureux qui, aujourd’hui encore, lebrûlait.Combiende foisn’avait-ellepashanté ses rêves ?Certainesnuits, alorsqu’un
imminentdangerlemenaçait,quand,épuisé,ilavaitcédéausommeildansunsacdecouchageau fondd’une tranchée,bercépar lecrépitementde lamitraille, samémoire avait fidèlement reproduit les traits de la jeune femme… ces yeuxinoubliables…ses lèvres…et la tristesse infiniede l’avoirperdueà jamais. Ilnel’avaitpasvuedepuisseptans…Septanssans la toucher,sanspouvoir laserrercontre son cœur, sans même savoir où elle se trouvait. Bah, se disait-il, quelleimportance!Unefois, lorsque,gravementblessésur lechampd’honneur, ilavaitpensé mourir, il s’était laissé emporter par le tourbillon des souvenirs. LesinfirmiersdelaCroix-Rougel’avaientdécouvertinconscientdansunemaredesangmais,unefoisréveillé,ilauraitpujurerqu’ill’avaitaperçueparmisessauveteurs.Elleavaittoutjustedix-huitansquandilss’étaientrencontréspourlapremière
foisàParis.Sonvisage semblait sipur, siparfait,qu’il évoquaitquelqueportraitexécutéparunmaître.Luiavaitvingt-troisans.Ill’avaitremarquée,tandisqu’ellebavardaitàlaterrassed’uncaféavecdesamis.Frappé par sa radieuse beauté, il l’avait longuement regardée. Se sentant
observée,elleavaitalors levésur luiun regardpétillantdemalice.Ensuite,elleavait couru semettreà l’abridans sonhôtel,mais ledestinavait vouluqu’ils serevoient lors d’un dîner à l’ambassade américaine. Ils avaient été officiellementprésentés. Comme cette soirée aurait été assommante si les yeux rieurs deMariellenel’avaientilluminéed’unboutàl’autre!Or,silajeunefillesemontraitsensible au charmedeCharles, ses parents semblaient nettementmoins conquisparlebouillantécrivain.Sonpère,unmonsieurposé,bienplusâgéquesonépouse
–appartenantprobablementàlagénérationdeM.Delauneysenior–,avaiteuventdelamauvaiseréputationdujeunesoupirant.Samère,unepetitefemmesècheàmoitié française, n’en pensait pas moins. Ayant astreint Marielle à un budgetétriqué, en dépit d’une fortune considérable, ils semblaient veiller farouchementsurleurprogéniture.Évidemment, ils ignoraienttoutducaractèreenjouédeleurfille,desonsensdel’humour,desasoifdevivre.Pourtant,c’étaitsoncôté«jeunefillesérieuse»quiavaitattiréCharles.Ilsavaientparlédemillechoses.Marielle avait eu l’air amusée de retrouver son admirateur du café à
l’ambassade,bienqu’ellenevoulûtpasadmettrequ’ellel’avaitreconnu–ellen’enconvint,d’ailleurs,quebienplustard…Maisàlafindelasoirée,ilétaitfascinéparelle,etelleparlui.AuxyeuxdeMarielle,Charlesétaitunêtreimmensémentplusintéressant que tous les jeunes gens qu’elle avait pu connaître jusqu’alors. Elleavaitvoulutoutsavoirsurlui,l’avaitassaillidequestions:d’oùvenait-il?Commentavait-il appris à s’exprimer aussi aisément en français ? Quelles étaient sesambitions ?D’emblée, ses dons d’écrivain l’avaient subjuguée.Quant à elle, elleavouatimidementavoirpeintquelquestableaux.Plustard,elleluiavaitmontrédesdessinsqui laissaientdevineruncertain talent.Maiscettepremièrenuit, lorsdeleursdiscussionspassionnéessurl’artetlalittérature,leursâmess’étaientsentiesirrésistiblement attirées l’une par l’autre. Les parents de Marielle, inquiets decette affinité trop évidente, s’étaient immédiatement efforcés de soustraire leurfilleà cette relationpeuorthodoxe.Samère l’avait aussitôtpriseà l’écart, sousprétextedeluiprésenterunjeunedandydesaconnaissance.MaisCharlesn’avaitpashésitéàlasuivrepartout,commesonombre.Ilsserevirentdèslelendemainaprès-midiauxDeuxMagots, firentune longue
promenade sur lesquaisde laSeine,pareils àdeuxcollégiensespiègles.Elle luicontasavie,sesrêves,sonsouhaitdedevenirun jouruneartistederenom,sondésir d’épouser un homme qu’elle aimerait et qui lui donnerait une ribambelled’enfants,aumoinsunedizaine.Cetteconfidenceavaitunpeurefroidil’ardeurdeCharlesmaisl’envoûtementfutleplusfort.Ilémanaitdecettejeunefillequelquechosededélicat,d’éthérémême,quelquechoseàlafoisdemerveilleux,d’animéetdevibrant.Ellefaisaitpenseràunvoilededentellerecouvrantunblocdemarbreblancdivinementsculpté.Sapeautranslucidepossédaitlaluminositédesstatuesdemarbrequi l’avaienttant fasciné lorsdesonpremierséjouràFlorence,sesyeuxbrillaientcommedessaphirsdelapluspureeau,cependantqueCharlesexposait,àsontour,sesprojets:ilespéraitpublierprochainementunrecueildenouvelles.Mariellebuvaitsesparoles.Ellesemblaitsicompréhensive,siattentiveàtoutce
quileconcernait.Sesparentsl’emmenèrentensuiteàDeauvilleoùCharleslessuivit,toutcommeà
Rome,Pompéi,Capri,Londrespuis,denouveau,àParis.Danschaquevilleoùellese rendait, il avait des amis. Soudainement, il surgissait toujours fortopportunémentpourl’inviteràunepromenade,l’escorteràunbal,oupasserunesoiréefastidieuseencompagniedesesparents.Marielleétaitdevenuepeuàpeucomme une drogue. L’attrait qu’elle exerçait sur lui, plus puissant que celui del’absinthe, l’enchaînait. Il fallait qu’elle lui appartienne.Et vers lemoisd’août, à
Rome,lesyeuxdelajeunefillesemirentàexprimerunepassiondébridée,égaleàlasienne.Lesparentsavaientperdulecontrôledelasituation.Biensûr,ilsconnaissaientla
familleDelauneyet il étaitdifficiled’oublierqueCharles,parailleurs intelligent,cultivé et bien élevé, était l’unique héritier d’une grosse fortune. En revanche,l’argentn’entraitguèredanslespréoccupationsdeMarielle.Celle-cisecontentaitde l’existencedouillettequesesparents luiprocuraient.Ellenepensaitqu’àsonamourpourCharles.Àlaforcedesesmains,desesbras,desesépaules,àsesyeuxenfiévrés quand il l’avait embrassée pour la première fois, à ses traits ciseléscommeunemédaillegrecque,àladouceurdesescaresses.Pour lui,retournerauxÉtats-Unisétaithorsdequestion.Dès ledébut, ilavait
été parfaitement clair sur ce sujet. Il n’avait pas donné signe de vie à son pèredepuis la finde laGrandeGuerre.UnbrefséjouràNewYorkavaitviteprisdesalluresdecauchemar.Ils’étaitalorssentiétrangeràsavillenatale,prisonnierd’unmilieutropfermé,terneetennuyeux.Lesobligationssociales, lesresponsabilitésfamiliales,lesmondanitésluirépugnaient.Iln’avaitaucuneenviedeconsacreruntempsprécieuxàressasserdeschiffresàproposdeholdings,d’investissementsetd’entreprises dont il allait pourtant hériter un jour. Il attendait autre chose del’existence, avait-il expliqué à Marielle, tandis que, d’une main indolente, ilcaressaitlalonguechevelurecannellequidégringolaitsursesépaules.C’étaitunefille grande et élancée,mais auprès de lui elle se sentaitminuscule, commeunepoupéefragile.Lorsqu’ilss’étaientrencontrés,ilvivaitàParisdepuiscinqanset,visiblement,il
n’avaitpasl’intentiondechangerseshabitudes.Savie,sesamis,sesécrits,toutcequiluiimportaitsetrouvaitici,c’étaiticiqu’ilpuisaitsoninspiration.Ilsesentaitparisiendans l’âme…MaisseptembrevintetMarielles’apprêtaà
regagner l’AmériqueàbordduParis.Elleallaitretrouversoncocondoré,revoirsesamis, recommencer ledouxetmonotone train-trainquotidiendans l’élégantepetitedemeuredebriquesbrunesdela62eRue,aucœurd’EastSide.L’immeublene possédait pas le clinquant de la résidence Delauney, située à une dizaine depâtés demaisons seulement, vers le nord. Il n’avait rien à voir nonplus avec lamansardedelarueduBacqu’unearistocrateruinéelouaitàCharles,audernierétagedesonhôtelparticulier.Lejeunehommel’yconduisitunjouretilsfaillirentse donner l’un à l’autre. Au dernier moment, Charles se ressaisit. Il quittahâtivementlapièce,pouryrevenirpeuaprès,levisagegrave,etselaissertombersurlelitoùMariellemettaitdel’ordredanssesvêtements.—Jesuisdésolé…Sescheveuxsombres,sonregardvertetbrûlantluidonnaientunairdramatique,
une expression tourmentée qui le rendait encore plus attachant aux yeux deMarielle.Ellen’avait jamaisconnuquelqu’uncommelui.Il luiavaitfaitperdrelatête.Ellenemaîtrisaitpluslessentiments,lapassionqu’illuiinspirait.—Marielle,reprit-ild’unevoixdouce,çanepeutplusdurer.Tumerendsfou.C’étaitpareilpourelle.Ilsn’avaientjamaiséprouvéunteldésirauparavant.
Elle lui dédia un sourire de vieille femme pleine de sagesse, tandis qu’il sepenchaitpourl’embrasser.Saproximitélerendaitcommeivre.Toutcequ’ilsavait,c’étaitqu’ilnevoulaitpaslaperdre.Nimaintenantniplustard.Maisiln’iraitpasàNewYorkquémandersamain.Ilnes’abaisseraitpasànégociersonaveniraveclepèredeMarielle.Ilnevoulaitplusattendre,pasuneminutedeplus.Il lavoulaitmaintenant.Danscettechambre.Danscettemaison.ÀParis.Àjamais.—Marielle?fit-ild’unevoixsolennelle,etilvitsesyeuxs’assombrir.—Oui?Seigneur,elleétaitsijeune,siamoureuse,sidéterminée…—Veux-tum’épouser?Elleavalasasaliveavantd’éclaterderire.—Tuparlessérieusement?—Dieuseulsaitcombien!Ehbien?La terreursoudain leparalysa.Savieentièredépendaitd’uneréponse.Sielle
disaitnon…si,aprèstout,ellepréféraitregagnerl’Amériqueavecsesparents…sileuramourn’avaitétéqu’unflirtsansimportance,unjeu,unmirage…Il lutdanssonregardquesesinquiétudesn’étaientpasfondées.—Quand?demanda-t-elledansunnouveaurire.—Toutdesuite.Desavieiln’avaitétéplussincère.—Cen’estpassérieux.—Çal’est.Ilsedressad’unbond,semitàarpenterlasoupentecommeunfélin,passantet
repassantlesdoigtsdanssescheveuxnoirs.—Jesuistrèssérieux,Marielle,laissa-t-iltomberd’unevoixtendue.Maistun’as
pasréponduàmaquestion.De nouveau, il se précipita à son côté pour la serrer contre son cœur, lui
arrachantunsoupir.—Tuesfou.—Jelesuis.Ettoiaussi.Alors,tum’épouseras?Ilresserrasonétreinte,étouffantsescriseffarouchéssoussesbaisersfougueux.—Oui…oui…oui…murmura-t-elle,lesoufflecourt.Quandvas-tudemanderma
mainàmonpère?Ellel’enveloppaitd’unregardempreintd’unespoirardent,quiamenaunnuage
sombresurlevisagedeCharles.—Ils’opposeraàcetteunion.Ets’ilaccepte,ilvoudraquejeretourneauxÉtats-
Unis,afinqu’ilpuissenousavoirsouslamain.Autantquetulesachestoutdesuite,jen’enaipasl’intention.
Ils’étaitremisàfairelescentpas,pareilàunfauveencage.— Tu n’as pas l’intention de voir mon père ni d’aller vivre à New York ?
interrogea-t-elle, alarmée, en allongeant ses longues jambes fuselées, qu’il fitsemblantdenepasremarquer.—VivreàNewYork…C’estexclu…–Ilseretourna,lescheveuxébouriffés,les
yeuxétincelants.–Etsinousprenionslafuiteensemble?—Lafuite?s’écria-t-elle,affolée.MonDieu,ilsmetueront.—Jeneleslaisseraipasfaire.Écoute,chérie,tuparsdansdeuxsemaines.Ilfaut
agirvite.Mariellehochalatête,l’airderéfléchir,maissachantdéjàqu’ellen’avaitpasle
choix.Ellel’auraitsuiviauboutdumonde.Etlorsqu’ilseremitàl’embrasser,ellesutqu’elleétaitperdue.—Vont-ilsjamaisnouslepardonner?Ellen’osaitencoreycroire.Enfantunique,commeCharles,ellerechignaitàfaire
delapeineàsesparents.Sonpèreétaitdéjàâgé,etilsavaientfondétoutesleursespérancessurelle.Surtoutsamère.L’hiverprécédent,ilsl’avaientprésentéeàlabonne société new-yorkaise avant de l’emmener en voyage. Ils aspiraient à luitrouverun«mariconvenable».D’unecertainemanière,Charlescorrespondaitàleurs critères, bien sûr, compte tenu de son appartenance à une grande famille.Toutefois, sonstyledevie leschoquaitparsonexcentricité.LepèredeMariellepensaitque le jeunehommefiniraitparseranger. Il le luiavaitditunsoir,alorsqu’elletentaitdésespérémentd’aborderlaquestion.—Attends jusqu’à ce qu’il revienne s’installer au pays,ma chérie. Alors, nous
pourronsen juger.Enattendant,cen’estpas lesprétendantsquimanqueront là-bas.Inutiledejetertondévolusurcelui-là.Desprétendantsilyenavait,eneffet,etdumeilleurmonde.Auprintemps,unfils
Vanderbiltl’avaitcourtiséeavecassiduité,etellecomptaitparmisessoupirantsunjeune et séduisant Astor que sa mère semblait apprécier tout particulièrement.Mais cela n’avait plus aucune importance. Charles était l’homme de sa vie. Luiimposer de rentrer à New York relevait de l’absurde. Il ne céderait jamais auxexigencesdupèredeMarielle,celle-cienavaitacquislacertitude.Parisexerçaitsur luiune fascinationà laquelle il n’étaitpasprêtde s’arracher.C’était àParisqu’ils’étaitépanoui,àParisqu’ilsesentaitheureux,àParisqu’ilvoulaitvivre.Lesdeuxamoureuxs’enallèrenttroisjoursavantladateconvenuedudépartde
Marielle avec ses parents, laissant à leur intention un mot d’excuse auCrillon.L’espoirque,aufond,cesderniersseraientfinalementravisdelavoirmariéeàunDelauney, tempérait le sentimentde culpabilitédeMarielle.Elle se trompait.LamauvaiseréputationdeCharlesportaitombrageàsesqualités.Danssalettre,elleavait incitésesparentsàs’embarquerpourNewYorkoùellepromettaitde leurrendrevisiteàNoëlencompagniedeCharles.Ils ne voulurent rien entendre. Furieux, ils attendirent le retour du couple
indocileaveclafermeintentiond’obtenirl’annulationdumariagetoutenétouffant
le scandale, seul l’ambassadeur américain fut mis au courant de l’escapade. Ilacceptademeneruneenquêtediscrète sur les fugitifs. Peuaprès, il informa lesparentsinquietsquel’unionavaitétécélébréedanslaplusstricteintimitéàNice,puisquelesjeunesmariésavaientfranchilafrontièreitalienne.Leur lune de miel se déroula comme dans un rêve. Ils visitèrent l’Ombrie, la
Toscane,Rome,Venise,Florence,lelacdeCôme,poussèrentjusqu’enSuisse,puis,alors que le mois d’octobre teintait les paysages d’un camaïeu fauve, ilsregagnèrent nonchalamment la capitale française… Les parents de Marielle,toujoursinstallésdansleurluxueusesuiteduCrillon,avaientsignaléleurprésenceparunmotassezsec,expédiéàl’adressedeCharles.Marielleavaitparcouru le feuillet, incrédule.Ainsi, ilsétaient toujours là !Les
deux mois écoulés n’avaient pas apaisé leur ressentiment. Lorsque les jeunesmariésfirentleurapparitionàl’hôtel,cefutpoursubirdesremontrancesamères.LepèredeMarielle intimaàCharlesdesortir,avantd’annoncerquelademanded’annulationavaitétépostéelematinmême.—Jeneferaispasçasij’étaisàvotreplace,jetaMarielle.Charles sourit malgré lui. La timide colombe s’était transformée en lionne
intrépide,résolueàdéfendresonterritoire.—Nemedispascequejedoisfaire!rugitsonpère,horsdelui.Samèrepritlerelais,l’accusantd’ingratitude,énumérantlespérilsauxquelselle
s’exposaitenunissantsadestinéeàcelledeCharles.Sesparentsnedésiraientqueson bonheur, dit-elle, et maintenant tous leurs espoirs étaient réduits à néant.Devantceslamentationsdignesd’unchœurdetragédiegrecque,Mariellerestademarbre.Dansl’œilducyclone,elleréussitàconserveruncalmeolympien.Àdix-huit ans, elle était subitement devenue adulte, ne put s’empêcher de se direCharles.Ilsutqu’ill’aimeraitjusqu’àlafindesesjours.— Vous ne devriez plus songer à une annulation, papa, reprit-elle d’une voix
sereine.J’attendsunbébé.Charles considéra sa jeune épouse, franchement amusé.Cemensonge – car il
devaitsûrements’agird’uneinventiondedernièreheure–constituaitunargumentirréfutable.Àpeineprononcés,cesmotsfatidiqueseurentunformidableeffetsurl’adversaire. La mère fondit en larmes, tandis que le père s’effondrait, horsd’haleine,seplaignantd’unefulgurantedouleurdanslapoitrine.—Tuvastuertonpère!accusalamèredeMarielle.Quand le vieuxmonsieur, chancelant, sortit de la pièce au bras de sa femme,
CharlessuggéraderetournerrueduBac.Alorsqu’ilsmarchaientd’unpas légerdansl’airmoirédel’automneparisien,ilattiraMariellecontreluipourl’embrasser.—Quellebrillanteidée!J’auraisdûypensermoi-même.—Cen’estpasuneidée,répondit-elle,amuséeelleaussi.C’estlavérité.Lapetitefilled’hierallaitbientôtdevenirmère.Illaregarda,stupéfait.—Lavérité?
Ellesecontentadehocherlatête.—Quandest-cearrivé?— Je ne sais pas. À Rome… ou à Venise… Je n’en étais pas sûre jusqu’à la
semainedernière.—Petitehypocrite!soupira-t-ilenl’entourantdesesbras.Pourquandl’héritier
est-ilattendu?—Enjuin,jecrois.Quelquechosecommeça.Iltenaittropàsalibertépoursongeràlapaternité.Celaauraitdûl’effrayer.Àsagrandesurprise,ilsesentittoutexcité.Ilhélauntaxiquilesramenaruedu
Bac.Sur labanquettearrière, ilss’embrassèrentcommedeuxenfantsplutôtquecommedefutursparents.Lepèreet lamèredeMariellesemblaientaussiaccablés le lendemain. Il leur
fallut près d’une quinzaine de jours pour se résigner. La mère de Mariellel’accompagnachezunobstétricienaméricainsurlesChamps-Élysées.Lepremierdiagnosticfutconfirmé…Enceinte!L’annulationétaithorsdequestion.LapenséequeleurfillepourraitaprèstouttrouversonbonheurauprèsdeCharlesDelauneygermapeuàpeudans l’espritdesparents.Cemariage représentait la réalité, ilfallaitbienserendreàl’évidence.Charlespromitàsesbeaux-parentsdechercherunappartementplusdécent,d’engagerunedomestiqueetunegouvernantepourlebébé,brefdedevenir«unhomme respectable», selon lespropresmotsde sonbeau-père. Mais respectable ou pas, le jeune couple semblait nager dans unefélicitésanslimites.LesparentsdeMarielles’embarquèrentquelquesjoursplustardsurleFrance.
Aprèsmaintesdiscussions,ilsavaientfiniparaccepterqueleurfilleetleurgendreneviendraientpaslesvoiràNoël.Ceux-cis’étaientdéclarésparfaitementheureuxdans leurmansarde de la Rive gauche. Leurs journées s’écoulaient dans un purenchantement,ilss’entouraientd’amispassionnants.Charless’étaitremisàécrire.Sonstylen’avaitjamaisétéaussichâtié.ÀParis,
cetteannée-là,pendantunbrefetmerveilleux instant, leurvieavaitconfinéà laperfection.Charles poussa les lourds battants sculptés de la porte de la cathédrale. Il se
sentait glacé, sa jambe le faisait souffrir plus qu’à l’accoutumée. Ici, l’hiverparaissaitplusâprequ’enEurope.Ilyavaitsilongtempsqu’iln’avaitpasdéambulédanslesruesdeNewYork,silongtempsqu’iln’étaitpasentrédansuneéglise…Ils’avança sous la voûtemonumentale, regrettant soudain d’être revenu. L’état desonpèreétaitunesourceconstantedesoucis.LevoirainsidiminuémettaitCharlesausupplice.L’espaced’uneseconde,levieillardavaiteul’airdereconnaîtresonfils,pourretomberlourdementdanssatorpeur.Chaquefoisqu’ils’asseyaitauchevetdumalade,Charleséprouvaitunesensation
d’insondablesolitude.Commesilevieuxmonsieurétaitdéjàmort…Après lui, il ne resterait plus personne. Ils avaient tous disparu. Même ses
compagnonsdelutteenEspagne.Alors,prier…Pourquoi?Pourqui?
Ilcroisaunprêtreensoutane,sedirigealentementverslefonddel’édifice,ets’arrêta devant un petit autel où deux religieuses priaient avec ferveur. La plusjeuneluidédiaungentilsourire,alorsqu’ils’agenouillaitdansunmouvementrigide.Desfilsd’argentstriaientsescheveuxnoirs,maisaufonddesesprunellesbrûlaitlaflammeinvincibledelajeunesse.Charlesdégageaitunesorted’énergievitale,unrayonnement,une forcequemêmela jeunenonneputressentir.Maisuneombrehantaitsonregard,alorsqu’ilinclinaitlatête,perdudanslesouvenirdetousceuxqu’il avait approchés, aimés, accompagnés sur les champs de bataille espagnols.Oh ! ce n’était pas pour eux qu’il était venu prier aujourd’hui ! Il était là pourcommémorerl’anniversaireleplusatrocedesavie…deuxsemainesavantNoël…neufansplustôt…Unjourquis’étaitgravéauferrougedanssamémoire.Lejouroùilavaitfaillilatuer.Ladouleur,larage,lafoliel’avaientaveuglé.Ilauraitvoulul’anéantir, mettre fin à ce cauchemar… Il aurait voulu stopper les aiguilles deshorloges,remonterletemps,prévenirl’horreur.Fairequecenesoitjamaisarrivé.Ill’aimaittant,pourtant…illesaimaittanttouslesdeux.Ilyavaitdeslimitesauseuildeladouleuretceseuilill’avaitfranchidepuislongtemps.Aucuneprièreneputsortirdeseslèvrescloses,nidesoncerveauvidedetoutepensée.Iln’aspiraitqu’àunechose:nepluspenser,neplusressasserlemalheur.Il resta un long moment à genoux, tête baissée, sous le regard de la jeune
religieuse,sourdetaveugleaumondeextérieur.Etsoudain,commeàtraversunepercéevertigineuse,lessouvenirsaffluèrent:ilserevitavecelle…aveceux…aucoursd’instantséblouissantsque,depuislongtemps,ilserefusaitd’évoquer.Maisaujourd’huiilpouvait.Ilétaitd’ailleursvenudanscebut.Poursesentirplusprèsd’eux.L’approchedeNoëlconféraità ladatefatidique
quelquechosedepluspoignantencore.EnEspagne,ilseseraitréfugiédansuneéglisequelconque,unepetitechapelle,
unecabane,etlesmêmesréminiscencesl’auraientobsédé.Maislà-bas,ilauraitpupuiserunpeuderéconfort,alorsqu’iciiln’entrouvaitaucun.Iln’étaitentouréqued’étrangersdanscettevastecathédraledepierregriseetfroide,sisemblableaumanoirqu’ilpartageaitàprésentavecsonpèremourant.Il se redressaenfinsous leshautesvoûtesgothiquessachantqu’ilne resterait
pasplus longtempsdanscettevillequ’iln’étaitnécessaire. Il regagneraitbientôtl’Espagne où, là, aumoins, il se sentait utile. Ici, personnen’avait besoin de lui,hormis quelques avocats et banquiers, ce qui, à ses yeux, n’avait aucuneimportance. Pas plus avant, d’ailleurs, que maintenant. Il n’était jamais devenul’«hommerespectable»dontrêvaitsonbeau-père.Cettepenséefitécloresurseslèvresunpâlesourire.Sesbeaux-parentsétaientdécédés,depuis.D’ailleurstoutlemonde étaitmort. À trente-cinq ans, CharlesDelauney avait déjà vécu plusieursvies.IljetaunultimeregardverslastatuedelaViergeàl’Enfant,avantderebrousser
chemin, lecœur lourd.Sonpèlerinagen’avaitenrienallégésonchagrin. Ilavaitsouhaité faire revivre un instant André, éprouver l’exquise chaleur de son petitcorpssouple,ladouceurdesajoue,desapetitemaindanslasienne.
Deslarmesjaillirentdesesyeux,alorsqu’ilsedirigeaitverslaporteprincipalede l’édifice.Sa jambe lui faisaitmal, il entendait le sifflementduventau-dehors,puisl’apparitionfamilièresurvint:combiendefoissonimaginationneluiavait-ellepasjouerdesmauvaistours?Il la vit devant lui, floue, enveloppée de fourrures vaporeuses, se déplaçant
commeunfantômeversunedestinationinconnue,sanslevoir.Illasuivitduregard,lagorgenouée, lecœurbrisé.Cen’étaitpasun fantôme, s’aperçut-ilpeuaprès,maisbienune femmeenchairetenos,qui ressemblaitétrangementàMarielle.Grande,mince,belle.Vêtued’uneéléganterobenoiresousunsomptueuxmanteaudezibelinedontl’ourletbalayaitpresquelesoldepierre.Leborddesonchapeaujetaituneombresursestraitset,cependant,sadémarche,sonallure,lafaçondontelleretiradoucementungantdecuirnoiravantdes’agenouillersurunprie-Dieu…Siélancée,sigracieuse,encoreplusmincequ’auparavant…Elleavaitmasquésafiguredeseslonguesmainsfinesets’abîmaitdanslaprière.Ilsutalorspourquoi.Tousdeuxs’étaientrendusencelieusaintpourlamêmeraison.C’étaitMarielle,réalisa-t-il,incrédule.Uneéternités’écoulaavantqu’ellenelèvelesyeuxmaisellenelevitpas.Illa
regardaallumerquatrecierges,glisserquelquespiècesdemonnaiedansletronc,lesyeuxembués.Latête inclinée,ellereleva lecoldesa fourrure,puissemitàremonterl’alléecentrale,d’unpaslentetmesuré,commesisoncorpsvibraitd’unedouleur lancinanteet secrète.Elleétaitpresqueàsahauteur,quand il luimit lamain sur le bras. L’étonnement se peignit sur ses traits, comme si elle avait étébrutalementréveilléeaumilieud’unrêve.Leursyeuxsecroisèrentetill’entenditdéglutirpéniblement.Samaingantées’envolaalorsverssaboucheetun flotdelarmesfestonnaseslongscilsrecourbés.—Oh,monDieu…Celanesepouvait.Pourtant,c’étaitbienlui.Ellenel’avaitpasvupendantprès
deseptans.Elleavaitdumalàycroire.Illuieffleuralamainsansunmot;dansunélanspontané,ellesependitàsoncouetilrefermalesbrasautourdesesépaules.Oneûtditqu’ilss’étaientdonnérendez-vous,afindepasserensemblecettejournéedédiéeausouvenir. Ils restèrent longtempsenlacés sous lacoupolemajestueuse,accrochésl’unàl’autrecommedeuxrescapésd’unnaufrage.Auboutd’unmomentinterminable,ellesedégageadesonétreinte,puisserecula,demanièreàpouvoirle contempler. Il avait vieilli et affichait un air plus tourmenté, plus anxieux quejamais.Deminusculescicatricesluicriblaientlevisage;ilenavaitune,plusvilaine,surlebrasqu’ellenepouvaitapercevoir,pluslablessureàlajambe,biensûr.Dugrissemêlaitaujaisdesescheveuxmaisenleregardant,ellesesentitrajeunir.Soncœurbattait lachamade,comme lorsque, jeune fille,elle l’avait rencontréàParis.Elleavaittoujourssuqu’unepartied’elle-mêmeresteraitattachéeàCharles.Celafaisaitpartiedeschosesirréversibles,desblessurescachéesquel’onnepeutrenierniguérir.Etelleavaitapprisàvivreenleurcompagnie.— Je ne sais quoi dire, fit-elle avec un sourire mélancolique, en essuyant ses
larmes.
Aprèstantd’annéesdemander«commentvas-tu»semblaitd’unridiculeachevé.Maisquedire,eneffet?Audébutelleavaiteudesesnouvellespardestiers,puisellen’enavaitplusentenduparler.Elleavait appris lamaladiede sonpère.Sespropres parents étaient morts à quelques mois d’intervalle avant son retourd’Europe.Maiscela,Charleslesavait.—Tuessibelle.À bientôt trente ans, sa beauté s’était épanouie. Il la trouvait plus séduisante
qu’àdix-huit, quand ils s’étaientmariés.Commesi la vie l’avait comblée, encorequesesyeuxfussentsitristes.—Tuvasbien?s’enquit-il.Unesimplequestionquiencachaitunmillier.Mais ilyavait toujourseuentre
euxuneintelligencequisepassaitdemots.Ilsseconnaissaientsibien.Comme deuxmoitiés d’une seule et même personne… Enfin, plus maintenant,
songea-t-iltoutenl’observantdeplusprès.Elleportaitdesvêtementscoûteux,unefourruresomptueuse,unchapeaucoquinconçuparLilyDaché.Lafemmesophistiquéequisetenaitdevantluiavaitpeudechosesàvoiravecla
jeunefilletoutesimplequ’ilavaitconnuejadis.Ileutunsourireensedisantqu’unetelleélégancel’auraitsansdouteeffrayéquelquepeuàl’époque.Maisaujourd’huiencore,elleavaitconservécettecandeurquil’avaitbouleversé.Bon sang ! Pourquoi s’était-elle montrée aussi entêtée la dernière fois qu’ils
s’étaientvus?—Tuasl’airtriste,Marielle.Il la sondait d’un regard si intense qu’elle détourna la tête en s’efforçant de
sourire,sansyparvenirtoutàfait.—Aujourd’huiestunjourpénible…pourtouslesdeux…Sinon,ilsn’auraientpasvisitécelieusaint,aprèstantd’années.—Es-turevenupourdebon?interrogea-t-elleavecunecuriositénondissimulée.Ilsemblaitplusgrand,plusfortquedanssonsouvenir,plusintransigeantaussi.
Etinfinimentplusamer.—Non.Jenecroispasquejeresterai.Jesuisrentrépourtroissemaineset,déjà,
j’aihâtederetournerenEspagne.—EnEspagne?Elle haussa un sourcil, étonnée. Il lui était difficile de l’imaginer ailleurs qu’à
Paris.—Ilyalaguerre,là-bas.J’yaipassédeuxans.— Jem’en suis doutée,murmura-t-elle. –C’était sa façonde sebattre, elle le
savait.–J’aieulesentimentquetuirais.Ellenes’étaitpas trompée. Iln’avait rienàperdre.Rienàgagner.Rienne le
retenaitenAmérique.
—Ettoi?Illascrutaitàprésent,conscientdelasituationinsolite.Ilssefaisaientfaceet
chacundemandaitdesnouvellesàl’autre,commes’ilss’étaientquittéslaveille.Ellemitunbonmomentavantderépondred’unevoixdouce,presqueinaudible:—Jesuismariée.Ilacquiesça,s’efforçantdefairebonnecontenancepournepaslaisserparaître
sondésarroi.Sanss’enrendrecompte,elleavaitretournélecouteaudanslaplaie.Uneplaiequinecicatrisaitpas.—Avecquelqu’unquejeconnais?Rien de moins sûr, compte tenu de son absence prolongée, mais il devait
certainements’agird’unAstor,s’ilenjugeaitparlarecherchedesamise.—Jenesaispas…–Sonmari,sonaînédevingt-cinqans,avaitcomptéparmiles
relationsdupèredeCharles.–MalcolmPatterson.L’ombreduchapeauvoilait l’expressiondesonvisage,maisdanssavoixon ne
décelaitnijoienifierté.Ildevaits’agird’unmariagederaisonAinsi,voilàcequ’elleavaitfaitpendantcesseptdernièresannées…Iln’eutpasl’airimpressionné.Justecontrarié.—Jeleconnaisdenom…Etes-tuheureuse?Non, sûrement pas, se dit-il en même temps. Rien ne pouvait l’inciter à le
rejetter, il en fut soudain convaincu. Elle ne sut que répondre. Par plusieursaspects, son union avec Malcolm la rassurait. Malcolm lui avait accordé saprotectionaumomentoùelleenavaitdésespérémentbesoin. Ilne l’avait jamaislaisséetomber.Sagentillesselatouchait.Audébut,ellen’avaitpasréalisécombienilpouvaitêtrefroid,réservé,éternellementaccaparéparsesaffaires.Parlasuite,elles’yétaithabituée.Enquelquesorte,Malcolmreprésentaitlemariidéal.Poli,courtois,intelligent,pleindecharme…Biensûr,iln’étaitpasCharles…Biensûr,iln’avaitpassuéveillerenellelaflammed’unamourdejeunesse.Cen’étaitpassonvisagequ’elleavaitcruvoirlorsqu’elles’étaitretrouvéesuspendueentrelavieetlamort,nisonnomqu’elleavaitappelédurantsamaladie,mais tousdeux,dansunaccordtacite,n’enparlaientjamais.—Jesuisenpaix,Charles.C’estimportant.Cettepaixde l’esprit,ellene l’avaitpasconnueauprèsdeCharles.Leurunion
n’avait été qu’exaltation, amour, que passion… et désespoir. Le chagrin avaitremplacélajoie,définitivement.— J’ai rêvé de toi quand j’ai été blessé en Espagne, chuchota-t-il d’une voix
rêveuse.Etmoide toi, des annéesdurant, aurait-elle voulu répondre,mais ellen’en fit
rien.Unpâlesouriresejouasurseslèvres.—Nousavonstousnosfantômes,Charles.Certainsplusinsistantsqued’autres.
—Vraiment?Sommes-nousdoncdesfantômes?Riendeplus?—Peut-être.Elleavaitpasséplusdedeuxansdansunsanatorium,avantdetireruntraitsur
lepassé.Avantdesesentirapteàrevivre.Ilétaithorsdequestionquetouscesefforts soient gâchés par une impulsion subite. Pour rien au monde elle nesacrifieraitsonéquilibre,sichèrementpayé.SurtoutpaspourCharles.Elle luitouchalamainduboutdesdoigts,puis la joue.Ilsepencha, labouche
tendue vers la sienne,mais elle se détourna, lui offrant sa joue. Il effleura d’unbaiser la commissure de ses lèvres, et elle ferma les paupières, tandis qu’il laserraitdanssesbras.—Jet’aime…Jen’aijamaiscessédet’aimer,machérie.Lapassion faisaitbriller sesprunelles…Pas lapassion illusoirenéed’undésir
passager,non.C’étaitunsentimentbienplusprofond,bienplusvasteetpresqueinsoutenable.UnesortedepassionfanatiquedontCharlesfaisaitmontrepourtoutcequ’ilentreprenait,uneflammedévorantequi,unjour,leconsumerait.Marielle,quiavaitsurvécuàcebrasier,n’étaitpasprêteàrecommencer.Lerisqueétaittropgrand.Ilavaitsescicatrices,elleavait lessiennes,car,elleaussi,elleavait livrébataille.—Moiaussijet’aime,dit-elle,regrettantaussitôtsesparoles.Maisellesavaient jaillidupassé,commeunhommageà toutcequiavaitvécu
avantdemouriravecAndré.—Nousreverrons-nousavantmondépart?Iln’avaitpasperdul’habitudedelaharceler,delaforceràs’intéresseràlui,à
sesaspirations,àsescombats.Elleluisouritmaissecoualatête.—Jenepeuxpas,Charles.Jesuisunefemmemariée.—Ilsait…pourmoi?—Non,répondit-elled’unevoixoppressée,aprèsunsilence.Ilpensesimplement
que j’ai un peu perdu la tête lors d’un voyage en Europe en compagnie demesparents.C’estainsiquemonpèreadécritnotrehistoireàsonentourage…Commeune« idyllesansconséquence».Malcolmn’ensaitpasplus. Il ignoremêmequenousavonsétémariés.Ça ressemblait bien à son père, cette manie de détourner la vérité. Trop
soucieuxduqu’en-dira-t-onetdesapparences,ilavaitracontéàsesrelationsquesafilleétaitrestéeenEuropeafind’ypoursuivredesétudes.Ils’étaitfaitundevoirde«sauverlaface»,d’estomperla«terribleerreur»quesafilleavaitcommiseenépousantCharlesDelauney.Évidemment,lesecondmarideMarielleavaitcruàcemensongeparcequ’ellen’avaitjamaisprislapeinedeledétromper.Ainsi,ellen’avaitjamaisdévoilélavéritéàsonmari!Charlesn’encrutpasses
oreilles.Aveclui,ellen’avaitpaseudesecrets.Ilssedisaienttout,s’avouaienttout,jusqu’à leurspensées lesplus intimes.Maisàdix-huitans, iln’yavaitpasgrand-choseàcacher.Alorsqu’àtrente…
—Ilnesaitrien.Riendutout.Àquoibonluidire?Oui,àquoicelaaurait-ilserviqueMalcolmsachequ’elleavaitpassédeuxanset
demientrelesmursd’unhôpitalpsychiatrique,nevoulantplusvivre,qu’elleavaittentédes’ouvrirlesveines,qu’elleavaitavaléplusieurstubesdesomnifèresavantd’essayerdesenoyerdanssabaignoire?Charles,lui,étaitaucourant,ilavaitpayél’addition…Elleavaittouchélefondmaiselleavaitrefaitsurface.—Luidiras-tuquetum’asvuaujourd’hui?Quel genre de mariage était-ce, s’ils ne se disaient rien ? S’aimaient-ils, au
moins?Elleluiavaitsispontanémentdit«jet’aime»,aprèstoutescesannées!—Commentveux-tuquejeluirapportenotrerencontrepuisqu’ilignore jusqu’à
tonexistence?Sesyeuxrestaientlimpides,sonvisagecalme.«Jesuisenpaix»,avait-elledit,et
celailvoulaitbienlecroire.—Tul’aimes?Iln’encroyaitrienmaisavaitbesoind’uneréponse.—Biensûr.Jesuissafemme.Ellelerespectait,ellel’admirait,elleéprouvaitdelagratitudeàsonégard.Maisellenel’avaitjamaisaimécommeelleavaitaiméCharles,ellenelepourrait
pas.Pis,ellene levoulaitpas.L’amourne luiavaitapportéquede lapeine,ellen’avaitguère lecouragederenouveler l’expérience.Sonregardsebaissasursamontre-bracelet,avantdeseleverdenouveauversCharles.—Jedoisyaller.—Pourquoi?Quesepasserait-ilsi,aulieuderentrercheztoi,tumesuivais?—Tun’aspas changé.Tu es toujours l’hommequim’apersuadéedem’enfuir
avecluiàParis,fit-elledansunsourire.Ilsouritégalement.—Tuétais,alors,plusfacileàconvaincre.—Toutestplusfacilequandonestjeune.—Tuestoujoursjeune,affirma-t-il,maisellehaussalesépaules.Parfois,ellesesentaitsivieille.Elleavaitréenfilésongantetilsavaientprislentementladirectiondelasortie.—Jetiensàterevoiravantmondépart,répéta-t-il.—Oh,Charles,soupira-t-elle,comment?—Siturefuses,jeviendraisonneràtaporte.—Tuenseraisbiencapable,rit-elle,endépitdeladétressequel’anniversairede
lamortd’Andréavaitéveilléedanssoncœur.—Tuaurasdumalàexpliquermaprésencesurtonpalier.Ellehochalatête.Cetteseulepenséeluidonnaitlamigraine.
—Tusaisoùmetrouver,reprit-il.J’habitechezmonpère.Appelle-moi.Fautedequoi…Ilsétaientséparésdepuisseptans,etillamenaçaitcommeunjeuneetfougueux
amant… Un amant dangereusement séduisant, Marielle fut bien obligée d’enconvenir.—Fautedequoi?—Jetetrouverai.—Jeneveuxpas!Elleparaissaitdéterminée,àprésent.— Jene te crois pas.Écoute,Marielle, onnepeutpas sequitter commeça…
Aprèstantd’années…Jen’aipasl’intentiondeteperdreunenouvellefois.Savoixsefêla.—Jesais.ElleglissalamainsouslebrasdeCharles.Ensemble,ilsfranchirentleseuildela
portemonumentale.LechauffeurpersonneldeMalcolmpassaaumêmemomentlatête à travers l’entrebâillementde la portière. Il ne connaissait pas sapatronnesouscetaspect.Or,cequ’ilvitnel’étonnapasoutremesure.M.Pattersonmenaitsaviedesoncôté,etmadameétaitsijeuneetsijolie.Belleet
effrayéecommeunebiche. Intimidéepar tout etpar tous, surtoutpar sonmari.Durant un bref instant, il se demanda lequel des deux lui offrirait le plus pourachetersonsilence.MmePatterson?ouMonsieur?Au bras de Charles,Marielle descendit la volée demarches. Sur le parvis, il
l’attiracontrelui.—Jedétestetebrusquer,maisilfautquejeterevoieavantmondépart.—Pourquoi?—Jet’aimeencore.Deslarmesavivèrentl’éclatdesyeuxbleusaphir.Lajeunefemmedétournason
regard humide. Ce déchirement, cette douleur, cette agonie, elle n’avait pas laforcedelesrevivre.Nicetamourdestructeur.—Jenepeuxpast’appeler.—Si,tulepeux.J’attendrai.Jesaisquec’estdur…Sonregarddérivaverslamasseimposantedelacathédrale.Ilrepensaau jour
oùillesavaitemmenésici,touslesdeux.Denouveau,illaconsidéra,enlarmesluiaussi.—Oui,c’estdur,dit-elle.Çaneguéritpas.Çaneguériraitjamais.Elledevaitvivreavec,commeons’habitueàunedouleur
constante.—Jesuisdésolée.Cette phrase, elle aurait dû la prononcer des années plus tôt. Et maintenant
qu’elleavaitjaillideseslèvres,rienn’avaitchangé.Illapressacontresapoitrine,puislarelâcha.Sansunmotd’adieu,sansunregardenarrière,ilsemitàlongerlaCinquièmeAvenue.Ellelesuivitduregardunlongmoment,avantdeseglisserdanslavoituredeMalcolm.Lechauffeurdémarra,etellesesurpritàpenseràCharles,àleurviegâchée,àleurbonheurperdu.EtàAndré.
Chapitre2Patrick, le chauffeur, remonta la Cinquième Avenue mais Charles avait déjà
disparu.Lalimousinepritladirectiondela62eRue,verslademeurequeMariellepartageaitavecMalcolmdepuissixans,entreMadisonetlaCinquième,aucoindeCentral Park. Il s’agissait d’un édifice imposant dans lequel la jeune femme nes’était jamaissentieà l’aise.C’était lamaisondeMalcolm,pas lasienne,elleenavaiteuconsciencedèslepremierjour.Malcolmenavaitfaitunesortedemuséedédiéàlamémoiredesesparents,se
contentant d’ajouter aux précieuses collections de famille quelques objets degrande valeur, acquis au hasard de ses voyages. Souvent, Marielle avaitl’impressionden’êtrequ’unobjetparmi lesautres,unrarebibelotdeporcelainerangé surun rayonnage.Unepoupéeque l’onpouvait admirerà conditiondenejamais la toucher. Les domestiques la traitaient avec certains égards, sans plus,commes’ilstenaientàpréciserqu’ilstravaillaientpoursonmarietnonpourelle.Cedernierl’avaitincitéedèsledébutàgardersesdistances,etilsenavaientfaitautant. Leurs rapports manquaient singulièrement de chaleur. Tout fonctionnaitsuivantlebonplaisirdumaîtredecéans,selonunordreimmuableétabliparluiunefoispourtoutes.Aufildutemps,elleavaitrenoncéàprendredesinitiatives,carlamoindreinstructionvenantdesapartétaittoutsimplementignoréeavecunesortedepolitesseglaciale,puisonn’enparlaitplus.C’étaitMalcolmquiembauchait lepersonnel. La plupart des employés de maison, Anglais, Irlandais ou Allemands,servaientlesPattersondepuisdesannées.L’épouxdeMariellevouaitunepassionsanslimitesàtoutcequiétaitgermanique.Ilavaiteffectuésesétudesàl’universitédeHeidelbergetparlaitl’allemandàlaperfection.Trèsvite,Marielleavaitdéceléunesecrèteanimositéàsonencontreetenavait
souventcherchélaraison.Elleenavaitconcluquelesdomestiquesluienvoulaientparcequ’elleavaitété lasecrétairedeMalcolmavantdedevenirsafemme.Elleavait vainement cherché un emploi lors de son retour d’Europe en 1932. LaDépressionbattaitsonplein.Deshommesbardésdediplômesallaientchaquejourgrossir les rangs des chômeurs. Elle ignorait tout du monde du travail et sesparents l’avaient laissée sans un sou. Son père avait été ruiné lors duKrach de1929,cequiavaitfiniparletuer.Ilétaittropâgépourrecommenceràzéro.Sonespritavaitvacillé,soncœurmaladeavaitensuitecédé.Quandsafemmelesuivitdanslatombesixmoisplustard,ilnerestaitquequelquescentainesdedollarssurun compte bancaire. À l’époque,Marielle vivait à Paris la fin de sa désastreuseunion avec Charles. Trop abattue pour s’occuper d’elle-même, elle avait chargéCharles de liquider les biens immobiliers de ses parents décédés, afin que leséchéancessoienthonorées.L’élégantemaisondebriquesbrunesavaitétébradée.DeretouràNewYork,elleseretrouvasanstoit.Elleavaitlouéunechambredansunhôteld’EastSideavantdesemettreàlarecherched’unemploi.Sonpéculese
résumaitentoutetpourtoutàdeuxmilledollars,empruntésàCharles.Elleavaitdéclinésonoffred’uneaidefinancièreplussubstantielle.Elleétaitcomplètementseule…D’unecertainefaçon,Malcolmavaitétésonsauveur.Elleétaitentréedanssonbureau,unjourventeuxdefévrier.Ill’avaitaccueillie
parunsourirequiluiavaitfaitl’effetd’unrayondesoleilautermed’unrudehiver.Marielles’étaitadresséeàluisachantqu’ilcomptaitparmilesamisdesondéfuntpère.Danslevasteréseaudesesrelations,ildevaitbienconnaîtrequelqu’unquiavaitbesoind’uneemployéeoud’unedamedecompagnieparlantfrançais!Àpartpeindre et dessiner, elle n’avait aucune qualification et, de plus, elle n’avait pastouché à un pinceau depuis des lustres. Contre toute attente, après une heured’entretien, il l’embaucha. Elle commença comme assistante auprès de sasecrétaire particulière, une vieille Anglaise qui vit son arrivée d’unmauvaisœilsanstoutefoistransgresserlesrèglesdelacourtoisie.Mariellenefutpaslongueàapprendre. Au bout de quelquesmois, elle était devenue unmodèle d’efficacité.Personnenefutsurprisquandlepatronsemitàl’inviter,d’abordàdéjeunerdansdespetitsrestaurantsfeutrésduquartier,puisàdînerdansdesétablissementsplushuppés.Par la suite, il luidemandade l’accompagneràune réceptionmondaine,puisàuneautre.Chaquefois,illuiavaitsuggérédiscrètementdeseprocurerunetenue adéquate dans une boutique de luxe, à ses frais. Au début, elle en futtroublée.Ilétaithorsdequestionqu’elleprofitâtdelasituation,ouqu’ellesemettedans une position délicate…Malcolm ne manquait pas de séduction. Intelligent,compréhensif,amusant,illuiépargnalegenredequestionsquil’auraientmisedansl’embarras. Jamais il ne lui demandaquelle vie elle avaitmenéeàParispendantplus de six ans, ni même pourquoi elle en était finalement revenue. En sacompagnie,ellecommençaàsesentiràl’aise.Prévenant,courtois,chevaleresque,ilnel’importunajamaisdesesavances.Ilsemblaitsecontenterdesemontrerenpublic au bras d’une jeune et jolie femme, parée des superbes toilettes qu’il luioffrait. Il feignait d’ignorer la timidité presque maladive de sa compagne,s’efforçanttoujoursdecréeruneatmosphèredétendue.Peuàpeu,Mariellerepritconfiance.Uneétrangetransformations’opéraitaufildeleurssorties.Auboutd’unmoment, elle comprit qu’un chapitre de sa vie s’était achevé. Elle n’était plusl’ancienne Marielle. Et la nouvelle Marielle lui paraissait plus audacieuse, plusforte,plusapteàsurvivre.Lorsqu’elle était en compagnie de Malcolm, personne n’osait lui poser de
questions.Biensûr,lesgensavaientenviedesavoirquielleétait,maisunefoislesprésentations faites, les choses en restaient là. On la remarquait à cause de sabeauté, de ses vêtements élégants, de son expression triste, parfois, et celal’amusait.AuprèsdeMalcolm,ellesesentaitenparfaitesécurité.Illuiservaitdeboucliercontreunmondehostilequ’elleredoutait.Lorsqu’il demanda samain, aux alentours de Thanksgiving, il ne lui fit pas de
grandes déclarations d’amour – pourtant, son constant souci de lui faire plaisirlaissait penserqu’il lui était profondément attaché.Compte tenude leur énormedifférenced’âge,ilsebornaàluioffrirlaprotectiondontelleavaittantbesoin.Ellen’envoulaitpasplus.Danssonesprit, lapassionétaitassociéeàtout jamaisà la
douleur.LesouvenirdeCharlesn’avaitcessédelatourmenteretquantaureste,c’étaittroppéniblepourqu’elleosel’aborder,mêmeavecMalcolm.Sonhonnêteténaturelle l’avait une fois poussée à des confidences qu’il s’était empresséd’interrompre.—Nousavonstousunpassé,machère,avait-ilditavecungentilsourire,alors
qu’ilsdînaientauPlaza.Mais jesubodorequelevôtre,àvingt-cinqans,doitêtreplutôtsain.Ilsavaitsemontrersitolérant,siattentifetdélicat!Etill’acceptaittellequ’elle
était,avecsesblessurescachées,sestourments,seschagrins.Lasécuritéqu’illuiproposaitsuffisaitamplementàMarielle.LamagnifiquedemeuredesPatterson,lesmeublesrares, lesbijoux inestimablesn’entraientpasen lignedecompte.Mariédeux fois,Malcolm passait pour un hommed’une générosité légendaire. Elle sutqu’elleavaitenfintrouvéleportdesalutaprèslatempête,lehavredepaixoùellepourraitsoufflerenfin,lapaisibleretraitedontelleavaittantrêvé.Elleleluidit,etilpromitdeveillersurelle.Ilavaittoutdesuiteperçusasensibilitéexacerbée.Ilne lui demanda qu’une chose : lui donner des enfants. Ses épouses précédentesn’avaientpasexaucécevœu.Àl’approchedelacinquantaine,ildésiraitunhéritier.Ses ancêtres avaient bâti leur fortune en investissant dans la sidérurgie. À lanaissance de Malcolm, les Patterson figuraient en tête de liste des magnats del’industrieaméricaineetilavaitconsacrésavieàagrandirsonempire.SapropositiondemariagelaissaMariellesansvoix.L’espaced’uneseconde,elle
crut qu’il plaisantait. Leurs sorties, si fréquentes fussent-elles, n’avaient jamaisdépassélecadred’unetendreamitié.Certes,elleluidevaitunesomptueusegarde-robemaisdelààsongerqu’ilspourraientunirleursdestinées…Ilnel’avaitmêmepasembrassée.—Je…Jenesaisquevousdire.Êtes-voussérieux?Il luiprit lamain,plutôtamuséparsasurpriseetparsonairvulnérable.Tout
doucement,ilportalamaindelajeunefemmeàseslèvrespourydéposerunlégerbaiser.—Biensûrquejesuissérieux,Marielle.Leurs yeux se rencontrèrent. Il avait adopté ce tonpaternelqu’elle appréciait
tant.DepuissonretourauxÉtats-Unis,unanplustôt,ellen’avaitpluspersonneaumonde,àpartMalcolm.—Soyezmafemme.Jem’engageàprendresoindevous,machérie,jevousen
faislapromesse.Etsi,avecunpeudechance,vousmedonniezdesenfants,jevousseraisreconnaissantjusqu’àlafindemesjours.Étrange proposition ! songea-t-elle. Cela ressemblait davantage à un
arrangementcommercialqu’àunedemandeenmariage.Ilvoulaitdesenfants,elleavaitbesoind’êtreprotégée,ilnerestaitplusqu’àfixerlestermesducontrat.Ilneluiavaitpasditqu’ill’aimait,nel’avaitpascouvéederegardsénamourés,etelle,de son côté, n’était pas à proprement parler folle de lui. Cela la changeaittotalementdecequ’elleavaitvécuavecCharles.Etçaluiconvenaitparfaitement.
Seulel’idéed’êtremèrel’effrayait.Ellen’étaitpassûred’êtreprêteàprendrecerisque,maisellen’osariendire.— Et si nous n’avons pas d’enfants ? s’enquit-elle avec anxiété, se rendant
soudaincompteque,aufond,ilssavaientpeudechosesl’undel’autre.—Nousresteronsbonsamis.Saréplique, formuléed’un toncalme,eut ledonde l’apaiser,maisaussitôt,un
nouveau doute surgit. Pourquoi l’avait-il choisie ? Il y avait autour de lui unepléthoredefemmesquiauraientdonnédixansdeleurviepourl’épouser.—Pourquoimoi?Ilya…dansvotreentourage…ungrandnombredepersonnes
plus…plusconvenables,bredouilla-t-elle,etunflotincarnatluiembrasalesjoues.Elle n’avait plus d’argent, plus de statut social. Rien. Elle était, certes, issue
d’une famille respectable,mais lesrelationsdeMalcolmnemanqueraientpasdechuchoter le mot de mésalliance. Bizarrement, le fait qu’elle fût sans attachesconstituait son principal atout pourMalcolm. Si elle acceptait de l’épouser, elleseraittoutàlui.Cetteidéelecomblaitd’aise.MalcolmPattersonétaitunhommesoucieuxdesesmaisons,desesvoitures,desestableaux,desacollectionFabergé,bref,deses«choses».SiMarielleluidonnaituneprogéniture,elledeviendraitlapluschèredesespossessions.Deplus,illatenaitpourunepersonnedésintéressée,cequinegâchaitrien.Oui,Marielleferaituneépousedignedelui,unecompagneattrayanteet,siDieulevoulait,uneexcellentemère.—Peut-êtredevrais-jevousdéclarermaflamme,reprit-ildoucement.Maisjene
pense pas que cela soit important, n’est-ce pas ? Pas pour le moment. Avec letemps, nous apprendrons à mieux nous connaître… Eh bien, quelle est votreréponse?Pendantuninstant,ellehésita.—Malcolm,enêtes-voussûr?Elleavaitpeurde ledécevoir.Denepasêtreà lahauteur.Oudesombrerde
nouveaudansladépression.L’annéeprécédenten’avaitpasétéfacile.L’enlèvementdupetitLindberghavaitéclatécommeunebombedeuxsemaines
aprèssonretouràNewYork.Elleenavaitétéhorrifiéeet,enmai,quandlapresseavaitannoncéquel’enfantétaitmort,elleavaitressentiunedouleursingulièrequiluiétaitalléedroitaucœur.Lecalvairedesparentsdupetitmartyrl’avaittouchéeau plus profond d’elle-même. Elle avait gardé la chambre des jours durant,prétextant unemauvaise grippe. En vérité, sa dépression latente avait repris ledessus.Ellesesentaitincapabledeselever,desortir,debouger.Finalement,dansunmouvementdepurepanique, elle avait téléphonéà sonmédecin enSuisse. Ilavaitpularameneràlaraison,maislerisqued’unerechuteperdurait.Etsicelaarrivaitunefoisdeplus?EtsiMalcolmapprenait…—Jenesuispascertained’êtrelafemmeidéalepourvous.Elleavaitbaissélesyeux,deslarmesmiroitaiententresescils.Illaregarda,pris
parunsoudaindésirdelaprendredanssesbrasetdeluifairel’amour.
C’était la première fois qu’elle lui inspirait une telle attirance et, pendant uninstant,ilsedemandas’iln’allaitpasfinirparentomberamoureux.—Chérie… je vous en supplie… épousez-moi… Je ferai tout pour vous rendre
heureuse.Desmotsd’amour,iln’enconnaissaitpasd’autres.Ellelevaleregard,secouala
têteavecunpetitsouriretriste.—Vousn’êtespasobligé.Soyezsimplementaussigentilquevousl’avezété.Trop
gentil,d’ailleurs.Jenevousméritepas.—Balivernes!Vousméritezplusquejenepuisvousoffrir:unmaridevotreâge,
fou de vous, qui vous emmène danser tous les soirs. Pas un vieillard que vouspousserezdansunechaiseroulantequandvousaurezquaranteans.Elle eut un rire involontaire. Elle avait dumal à imaginerMalcolm autrement
qu’enbonnesanté.C’étaitunhommevigoureux,enpleineforcedel’âge.Endépitd’unemassedecheveuxblancs,ilparaissaitencorejeune.— Eh bien, reprit-il, maintenant que vous savez ce que l’avenir vous réserve,
allez-vousacceptermonoffre?Leursregardssecroisèrentetellefitouidelatête,dansunmouvementàpeine
esquissé,presque imperceptible.Lorsqu’il l’attiracontre lui,à l’abridesesbras,deslarmesemplirentsesyeux.Ellesejurad’êtretoujoursloyaleàsonégard.Denejamaisledécevoir.Unediscrètecérémonielesunitl’unàl’autre.Lemariagefutcélébrélejourde
l’anparunjuge–unerelationdeMalcolm–enprésenced’unedouzained’invités,tousdesamisàlui.Marielleneconnaissaitpersonne,àpartlesemployéesqu’elleavaitrencontréesquandelletravaillaitàl’entreprisePatterson.Àprésent,ellesladétestaient. Cendrillon épousant le Prince Charmant excitait leur jalousie. Elleavaiteucedontellesavaienttoutessecrètementrêvé:lenomdupatron.Etsonargent.Mariellenevoulaitrienquesaprotection,maiscela,ellesétaient loindel’imaginer.Lamariée portait un ensemble de chezMainbocher, et un chapeau assorti de
Sally Victor. Avec ses longs cheveux cannelle aux reflets acajou ramassés en unchignon volumineux sur la nuque, et ses immenses yeux saphir emplis d’émotion,elleresplendissait.Elleversauntorrentdelarmesquandlejugelesdéclaramarietfemme,puis,durantlaréceptionquisuivit,ellerestatoutprèsdelui,commesiellecraignaitquequelquemauvaisgéniepûtseglisserentreeuxsielles’éloignait.Ils passèrent leur voyage de noces dans les Caraïbes, sur une île privée près
d’Antigua,miseà leurdispositionparunamideMalcolm.Unefabuleusevilla,unyacht,unearméededomestiquesbritanniques,efficacesetdiscrets…Un décor parfait pour une lune de miel parfaite. À mesure que les jours
s’écoulaient, l’affectiondeMariellepourMalcolmnefitquecroître. Il l’entouraitd’attentionstouchanteset,lorsdeleursébats,ilsemontraitd’unepatienceinfinie.C’était un amant expérimenté, plein de ressources. Loin de le rendre brutal oupressé,sondésirdepaternitélepoussaitàunerechercheméticuleusedesfacettes
duplaisir.Mais,bienqu’elleappréciâtsessavantescaresses,Marielleressentaitcommeunmanque,unvidequeriennepouvaitcombler…IlsrevinrentàNewYorktroissemainesplustard,aubrasl’undel’autre,commeuncoupleharmonieux.Lajeune femmepénétradans lademeuredesPattersond’unedémarcheassurée, lecœurconfiant.Et,presqueaussitôt,laréalitéluisautaauxyeux.IlsvivaientdanslamaisondeMalcolm,voyaientsesamis,s’entouraientdesesdomestiques.Mariellen’avait plus qu’à obéir, à se plier aux quatre volontés du maître de céans. Lesserviteurs latenaientpourunecoureusededot, latraitaientcommeuneintruse.Sachant qu’elle avait été son employée, ils s’étaient empressés de lui collerl’étiquettede«parvenue».Sesordres,quandelleendonnait,étaientignorés,sesrequêtes tournées en dérision et certaines de ses affaires personnellesdisparaissaient mystérieusement. Lorsqu’elle se plaignit auprès de Malcolm, ill’écoutaavecunecondescendancequiachevadel’exaspérer.—Donnezàmesgensletempsdes’habitueràlanouvellesituation,machère,et
ilsenviendrontàs’attacheràvous.La lune demiel était terminée.Malcolmpassait ses journées au bureau et sa
jeuneépousenetardapasàéprouverleseffetsnéfastesd’unesolitudeforcée.Bien sûr, il se montrait toujours aimable, toujours attentionné, sans toutefois
modifierseshabitudes.Visiblement,iln’avaitpasl’intentiondefairepartagersonexistence,nimêmesachambre,àMarielle.Ilveillaittarddanslanuit,expliqua-t-il,afind’étudierdesdossiersoudedonnerdescoupsdefilàl’étranger.Iltenaitpar-dessustoutàsauvegardersonintimitéet,parailleurs,avaitscrupuleàdérangersafemmeàdesheurestardives.Audébut,ellecherchaàl’endissuader,luisuggérantd’installerunbureaudansunepièceattenanteà leursappartements. Ilnevoulutriensavoir.Àlafin,elles’inclina.Leur mariage n’avait pas changé grand-chose, en définitive, hormis qu’ils se
montraientenpublicensembleunpeuplussouvent.Plusd’unefois,endépitdelaconstantegentillessedesonmari,Mariellesesentitcommeunepiècerapportée.Il luiavaitconstituéunerente,unesommerondelettequ’il faisaitvirersurson
comptepersonnelchaquedébutdemois.Ill’encourageaitàs’acheterdesrobesdeplusenpluscoûteuses.Auboutd’unmoment,ellesemitàdépensersanscompter…Or, la maison était toujours son royaume à lui, tout comme le personnel, lesdomestiques, l’entourage. Malcolm partait seul en voyages d’affaires. En fait,Marielle ne l’avait accompagné qu’une fois, du temps où elle n’était que sasecrétaire. Elle aurait pu concevoir quelque jalousie vis-à-vis de sa nouvelleassistante,siellenel’avaitpastrouvéecharmante.Brigitte,unejolieBerlinoise,faisaitpreuveenversl’épousedesonpatrond’une
grande déférence. Son attitude parfaite l’avait, d’emblée, rendue sympathique àMarielle.Elleavaitdescheveuxblondpâleetsepeignaitlesonglesenrougevif.Àsaredoutableefficacités’ajoutaitunediscrètegentillesse.Évidemment,lesautresemployéesladétestaient,commeellesavaienthaïMarielle.Or,trèsvite,Brigittes’avéra une collaboratrice précieuse, compétente et serviable. Pendant lagrossessedeMarielle,elle luienvoyaplusieurspetitscadeauxpour lebébé.Elle
tricotamêmeuneadorablepetitecouvertureetdeminusculesbrassières,cequisemblatoucherMalcolm.Le restedu temps, il s’apercevait tout justede saprésence.Endehorsde ses
affaires,iln’avaitqu’uneseulechoseentête:lefilsqu’ildésiraitpar-dessustout.Marielle s’attendait à tomber enceinte facilement. C’est ainsi que les choses
s’étaientpasséeslapremièrefois…Ellefutdoncsurprisequecelan’arrivepastoutde suite, après les premiersmois demariage.Or, rien ne se produisit. Sixmoiss’écoulèrentetMalcolminsistapourqu’elleailleconsulterunspécialisteàBoston.Il l’avait lui-mêmeconduiteà l’hôpitalenvoiture, l’yavait laisséeentre lesmainsd’une équipe médicale tout un après-midi. N’ayant découvert aucune faille, lespraticiensavaientencouragélecoupleàmultipliersesefforts.Seloneux,cen’étaitplusqu’unequestionde temps.Marielleavait trouvécertaines suggestionsassezembarrassantes,tandisqueMalcolms’étaitempressédelesappliqueràlalettre.Sixautresmoiss’écoulèrentettoujoursrien.Désemparée,Marielles’étaitrenduesecrètement chez son propre gynécologue. La procréation obéissait à desmécanismes mystérieux, avait déclaré celui-ci avec prudence. On n’arrivait pastoujoursàenpercerlesecret.Ilavaitdéjàvu,parlepassé,certainesfemmesenpleinesantéincapablespourtantdeconcevoir.Cen’étaitlafautedepersonne.—Parfois,acheva-t-ilpaisiblement,Dieusembles’yopposer.L’attente constante d’une grossesse sans cesse déçue avait exacerbé la
sensibilitédeMarielle.Soninquiétudeavaitravivésesanciennesmigraines.— Pourtant, cela m’est déjà arrivé, dit-elle doucement, sans oser regarder le
praticienenface.Elle n’en avait jamais parlé àMalcolm, encoremoins depuis qu’elle avait subi
tantdecruellesdésillusions.—Vousavezdéjàétéenceinte?demandaledocteur,intrigué.Il s’en était douté, quand il l’avait examinée pour la première foismais ne lui
avaitposéaucunequestion.Elle-mêmen’avaitjamaisévoquécesujet.ÀBoston,lesmédecinsl’avaientsoumiseàunquestionnaireexhaustifauquelelleavaitrépondunégativement. Elle éprouvait une méfiance instinctive vis-à-vis de tous ceux quiavaientprêtésermentd’allégeanceàsonmari.Or,cedocteurnefaisaitpaspartiedel’entouragedeMalcolm,et,defait,luiinspiraitconfiance.—Oui,souffla-t-elle.—Vousavezavorté?Il savaitparexpériencequ’une interruptiondegrossessepouvaitengendrer la
stérilité. Combien de ses patientes n’avaient-elles pas été victimes d’un obscur«boucher»oud’une«faiseused’anges»?—Non.Pasdutout.—Ah…Unefaussecouche,alors?—Non,fit-elleentressaillantcommesousl’effetd’uneviolentedouleur…J’aimis
aumondecetenfant.Ilestmort…plustard.
—Oh,jesuisdésolé.Les mots, si longtemps enfouis, fusèrent alors de sa bouche et elle se mit à
sangloter sans fin en racontant l’épisode le plus atroce de sa vie. Quand, deuxheuresplustard,ellerepartit,lelourdfardeaupesaitmoinssursesépaules.Lepraticienavaitsularassurer.Puisqu’elleavaitdéjàenfanté,iln’yavaitaucune
raisonquecelanesereproduisepas.Absolumentaucune.Ilavaitvujuste.Deuxmoisplustard,elleétaitenceinte.Elleavaitcommencéà
penser que jamais elle n’y arriverait, songeait même à proposer le divorce àMalcolm.Etsoudain,lalumièreavaitéclatécommeunfeud’artificedanslanuit.La joie deMalcolm faisait plaisir à voir. Éperdu de gratitude, il la couvrit de
bijouxetdeprésents.Maintenant, ilpassaitdesheuresauprèsd’elle,àélaborerdesprojetspourlebébé.Ilsouhaitaitungarçon,biensûr,maisl’éventualitéquecefûtunefillenesemblaitpasledérangeroutremesure.—Ilfaudrasimplementquejegagneencoreplusd’argentsic’estunedemoiselle,
exulta-t-il,etsoncommentairearrachaunrireamuséàlafuturemaman.Le moment vint où, à cause de son ventre rebondi, elle ne put plus voir ses
chaussures.Elledormaitmaletsouffraitdetempsàautredemauxdetête,maisjamaissabeauténefutplusrayonnante.Lanouvelleviequigrandissaitenelleavaitestompélesombresdupassé.Desheuresdurant,tranquillementassise,ellesuivaitlesmouvementsdubébéquigrandissaitensonsein, impatientede le tenirentresesbras…EllenecessaitdeserépéterquecetenfantneseraitpasAndré…queriennepourraitlefairerevivre,etpourtantellel’aimaitdéjàdetoutesonâme.Malcolm,quantàlui,étaitcommefoudebonheur.Ilavaitintiméauxdomestiques
deveillersursafemme,delanourrirpratiquementtouteslesheures,deprévenirtoussesdésirs. Ilne futpasentendu.L’heureuxévénementn’avait faitqu’attiserleuranimositéenversMarielle. Ilsn’endevinrentqueplusdésagréables, surtoutl’économe,unevieillematroneaigriequidirigeaitd’unepoignedeferlamaisonnée.Elleavaitdéjàsupportélesdeuxpremièresépousesetcen’étaitpascettepetiteintrigantequiallaitfairelaloi!Au début, ils avaient tous conclu que lemariage ne durerait pas. L’arrivée du
bébé contrariait leurs espérances. Leur malveillance se changea en véritablehaine.L’économe, les femmesdechambre,Patrick, lechauffeur,un IrlandaisqueMarielleavaittrouvéantipathiquedèslepremierjour,lacuisinière,tousmettaientuneévidentemauvaisevolontéàlaservir.Sesmigrainesétaientperçuescommeunsignededébilitéphysique,quinetarderaitpasànuireaupetitêtrequ’elleportait.Même la nurse que Malcolm avait embauchée pour le bébé se comportait enennemie.C’étaitunedecesAnglaisesauxmanièrescassantesetaucœurdepierreque l’on voit parfois dans les films, dans des rôles de cerbère. Malcolm l’avaitengagéelorsd’undesesvoyagesenEurope.Il était difficile de l’imaginer se penchant tendrement sur le berceau d’un
nourrisson.Ellearrivaunmoisavantlanaissancedubébé.Àsavue,Marielleavaiteulachairdepoule.
—Chéri,parpitié!Elleal’airaussiaimablequ’uneportedeprison.Commentveux-tuqu’elles’occuped’unnouveau-né?Laquestionseposait,âpre,obsédante:àquoiservait-elleaujuste?Elleavait
élevéAndrésansaucuneaideextérieure,l’avaitdorloté,gâté,cajolé,et…oh,non…ellenevoulaitpassesouvenir,pasmaintenant.—Jepeuxm’occupertouteseuledemonbébé,gémit-elle.Ilémitunrire,enlatraitantd’idiote.—Tu seras épuisée après ton accouchement. Tu auras besoin de repos.Miss
Griffinestparfaite.Elleestinfirmièreetpossèded’excellentesréférences.Elleestexactementcequ’iltefaut.Lesbébéssontépuisants,parfois,tusais.Elleeutenviedecrier«c’estplutôttoiquinesaisrien»maissecontint.Àdix-
neufans,elleavaitprissoind’Andrésansaucuneassistance…Arbitrairement,missGriffindéclaraquelesmigrainesdelamèrerisquaientde
serévélernéfastespourl’enfant.Àl’entendre,Mariellen’étaitbonnequ’àresterétenduedansl’obscurité,aucalme,loindetout.Bientôt,lasituationsedétériora.L’hostilitédupersonnelàlaquelles’ajoutaientlesremarquesacerbesdel’infirmièreanglaiseétaientunetorture.Lesjourssuivants,ellesecrutobligéedesejustifier,commesi sesmauxde têtedénotaientungravedésordremental, ainsi quemissGriffinl’avaitsuggéré.Seul Haverford, le majordome britannique, lui témoignait de l’amitié. En lui,
Marielledevinaitunallié.C’étaitunhommebienélevé, toujoursd’humeurégale,d’un commerce agréable. Contrairement à la gouvernante qui se rangea toutnaturellementdans lecampennemi,considérant la futuremamancommelebiaisdéplaisantmaisnécessairepar lequel lemaîtreétaitobligédepasser s’il voulaitavoirdesenfants.Lapeurs’insinuaprogressivementdansl’âmedeMarielle.Elleavaitbesoind’affection,decompréhension.Les joursheureuxqu’elleavait vécusavecCharlesquandelleattendaitAndréluirevinrentenmémoireetellecommençaàs’isolerdanssachambre,fondantenlarmesàtoutboutdechamp.Malcolmfinitpars’eninquiéter.—Tuestropsensible,machérie.Tuprendstouttropàcœur.Il lepensait sincèrementetmissGriffinn’avaitpas raté l’occasionde jeterde
l’huilesurlefeu.D’aprèselle,Mariellepassaitsavieàpleurnicher.Cettedernièresemblait ne plus supporter personne, pas même Brigitte. Elle n’allait plus aubureau, se sentant trop grosse, trop laide, en comparaison avec la séduisantesecrétaire.Pendantplusieursjours,ellerefusadesortiravecMalcolm.Ilconservasonsang-froid.Àsesyeux,cescaprices–carilnepouvaits’agirquedecapricesdefemme enceinte – s’arrêteraient avec la délivrance. Au dire de miss Griffin,certaines femmes avaient si peur des douleurs de l’enfantement qu’elles endevenaientimpossibles…EtMarielle,toujoursselonlagouvernante,appartenaitàcettecatégorie.Elleauraitsouhaitéavoirl’enfantàlamaison,maisMalcolms’yétaitrésolument
opposé.Lanaissanceaurait lieuauDoctor’sHospitaloù il avaitdéjà retenuune
chambre.Là-bas,ondisposaitdetouslesmoyensmodernes,encasdeproblèmes,avait-iltranché.Elleavaitessayédeluifairechangerd’avis,invoquantsaterreurirraisonnée d’un éventuel enlèvement. Bruno Richard Hauptmann, l’ignobleravisseurdupetitLindberghavaitétéarrêtéenseptembre.Lesjournauxavaientremis l’affaire à l’ordre du jour, et, de nouveau, l’obsession du kidnapping vinthanterlesommeildelajeunefemme.Malcolmmitsafrayeursurlecomptedelanervositéliéeàsonétat.Elleétait
alorsenceintedesixmoisetdemi.Seulsonmédecinavaitcomprisquelleépreuveelleétaitentraindetraverseret,chaquefoisqu’illavit,ils’appliquaàlarassurer.Lanuitoùlebébévintaumonde,ilsétaientàlamaison.Mariellelisaitdanssa
chambre, tandis queMalcolm étudiait un dossier. Les premières contractions lalaissèrentpantelante,puiselleallaavertirsonmari.Àlavuedesonvisagepâleetdéfait,ilbondit.Patricklesconduisitàl’hôpital,où
tout se déroula très vite. Malcolm resta auprès d’elle aussi longtemps que lemédecinleluipermit,aprèsquoi,lesinfirmiersemmenèrentlaparturientesurunchariot.Onluiavaitadministréunsédatifquil’avaitplongéedansundemi-sommeil,etellemurmuraitquelquechoseàproposd’unévénementquiavaitdûsepasseràParis. Le docteur lui sourit, puis les deux hommes échangèrent un regard deconnivence.Elledevaitêtredansunmondederêves.—Ça ira,dit lepraticien,quand lecharioteutdisparu. Jereviendraivousvoir
trèsvite.Malcolmattenditdanslavastesuitequ’ilavaitréservéepoursafemme.Ilétait
prèsdeminuit…ThéodoreWhitemanPattersonvit le jouràquatreheuresvingt-troisdumatin.Marielle l’aperçut comme à travers une nappe de brouillard, tandis que
l’obstétricien le lui présentait, enveloppé dans une couverture duveteuse. Unepetite figure rondeet rose, surmontéed’une touffe soyeusede cheveuxblonds…Desyeuxétonnés,quilafixaientd’unairincrédule,commes’ilss’attendaientàvoirquelqu’und’autre…Unlongvagissementfitsourirelesmédecins,toutenarrachantun flotde larmesbrûlantesàMarielle…Elle l’avaitcruparti,disparuà jamais…Elles’ensouvenaitavecprécision,commesiç’avaitétéhier… lesmêmespetitesjoues rondes… les mêmes petits yeux surpris… sauf que l’autre bébé avait lescheveux sombres de Charles, des cheveux brillants d’un noir de jais… Celui-cin’étaitpaslemême,biensûr,bienqu’illuiressemblâtpresquetraitpourtrait.Elleposasajouemouilléecontrelasienne,éprouvantunesortedesouffranceinfinieetenmêmetempsunejoiesansfond,unetendresseincommensurable.Unesensationd’absolueplénitude.Lesaides-soignantesl’emportèrentensuiteloind’ellepourluidonnersonbain,puisleprésenteràsonpère.Ilfaisaitjourquandellefutramenéedanslaspacieusechambreblanche.Malcolmsomnolaitdansunfauteuiletilyavaitunebouteilledevodkadansun
seau à glace en argent sur la table de chevet. Il se réveilla en sursaut pourl’accueillir. Un sentiment de fierté submergea Marielle. Elle avait honoré leurcontrat,exaucélerêvelepluscherdeMalcolm.
—Tul’asvu?demanda-t-elle,alorsqu’ill’embrassaitsurlefront.—Oui,dit-il,émuauxlarmes.Ilestsibeau.Ilteressemble.—Oh,non…IlressembleàAndré,songea-t-elleetellesemorditleslèvresafindecontenirles
motsinterdits.—Ilestmignontoutplein.Oùest-il?Soudain assaillie par une terreur sans nom, elle regarda l’infirmière. Et s’il
n’étaitpluslà?Sionleluiavaitpris?—Ilseralàdansuneminute,madame.Ilestàlanursery.—Jeleveuxici,dansmachambre.Alarmée,elles’étaittournéeversMalcolm,quiluiavaitsaisilamain.—Ilvabien,machérie.Ildort.—Jeveuxlevoir.Jeveuxvoirmonbébé.Elleneleperdraitjamaisdevue,pasuneseconde.Ellenepermettraitplusque
celaarrive,plusjamais.Sonregardaffolébalayaitlapièce.Undébutdemigrainelui serrait les tempes. Tout semblait calme, pourtant. Malcolm servait leChampagnedansdes flûtesdecristal. Il luien tendituneetelle fit semblant d’ytremperleslèvres.Une aide-soignante apporta le bébé peu après. Elle le tint dans ses bras, le
regardantdormir.Ilseréveillaalors,etelledéfitlesboutonsdesachemisedenuitpourluidonnerlesein.Lesgestesluirevenaient,simples,naturels,commesiriennes’étaitproduitentre-temps,niperte,nideuil,nidrame…Lamaternitééternelletriomphaitdesombrestragiques.Ellesesentitdéfaillird’amourpourceminusculebébéqu’elletenaitentresesbras.Malcolm contemplait, fasciné, lamère et l’enfant. Il prit ensuite son fils, pour
l’admirer en silence. Plus tard, il partit faire la sieste chez lui, dans sesappartementsprivés.Ildormitprofondément,paisiblement,sachantquesavieétaitàprésentcomplèteetpresquetropparfaite.Lesquelquesdoutesqu’ilavaitconçusausujetdeMarielledurantcesdeuxdernièresannéess’étaientévanouis.Ilavaiteuraisondel’épouser.L’enfantenétaitlapreuve.Le lourdvantail de chêne roula sur sesgondsbienhuilés, etMariellepénétra
sansbruitdanslademeure,encoresecouéeparsarencontrefortuiteavecCharles.—Bonsoir,madame.Lemajordome prit sonmanteau pour le passer à une femme de chambre qui
attendaitàsoncôté.UnsoupiréchappaàMarielle.Quellerudejournée,pensa-t-elle.Elleétaitencoretoutetransiedefroid.Decefroidintensequi régnaitdansl’église.—Bonsoir,Haverford, répondit-elle toutenretirantsesgantseten les posant
prèsdesonsacdedaimnoir.Monsieurest-illà?—Non,madame,jenecroispas.
Marielle gravit les marches de l’escalier. Comme toujours, elle s’efforça deréprimersonenviedemonterau troisième,au lieudese retirer immédiatementdans sa chambre… Contre toute attente, elle s’était découvert des sentimentscomplexesvis-à-visdel’enfantqu’elleavaiteuavecMalcolm:uneadorationsanslimites,plusvasteencorequecellequesoncœuravaitétécapabledeconteniràdix-huitans,plusprofondequetoutcequ’onpouvaitéprouverpourunautreêtrehumain.Et, enmême temps, lebesoinderefréner, commemue par une sombreappréhension, l’élan irrésistible qui la poussait vers l’enfant. C’était dangereuxd’aimerquelqu’unàcepoint,ellelesavait.Siquelquechosearrivait,cettefois-ci,elle en mourrait. Alors, souvent, elle essayait de dissimuler ses sentiments,d’afficher même une certaine indifférence. Évidemment, ses feintes échouaientpresque toujours et, chaque nuit, elle grimpait lesmarches pieds nus pour allercontempler son fils dans son sommeil. Il était le plus bel enfant du monde, unadorablepetitgarçon,sitendre,sidoux,siparfait.Ilétaittoutpourelle…saseulejoie, sonrayondesoleil, sa récompenseaprès tantdesouffrances,uncadeaudeDieupourremplacercequ’undestincruelluiavaitdérobé.Malcolm, qui l’adorait également, vantait son intelligence et ses bonnes
manières. Il ne partageait pas la crainte permanente deMarielle au sujet de lasécuritédeTeddy.Dans l’année qui avait suivi la naissance du bébé,Malcolm avait déployé une
énergie considérable à faire un deuxième enfant à sa femme. Ses effortsn’aboutirent pas. Se contentant de son unique héritier, Malcolm abandonna lapartie et les deux époux recommencèrent à faire chambre à part. Tous deuxs’estimaientsatisfaitsdeleursort.Elleparcequ’elleavaitunenfantqu’elleadorait,luiparcequ’ilavaitassurélapérennitédunomdesPatterson.LanervositédontMarielleavaitsouffertdurantsagrossesseavaitcédélaplace
à l’apaisement.Mais la sécuritédeTeddydemeurait sapréoccupation première.L’assassindupetitLindberghavaitétéexécutédepuisplusdedeuxans,maiscelanel’empêchaitpasderestersursesgardes,commesichaquecoinderueabritaitunmalfaiteur.Malcolm appréciait la façon dont Marielle élevait leur enfant. C’était une
excellentemère,unebonneépouse,etelleluiavaitdonnéunsuperbebébéblond.Iln’endemandaitpasplus.Mariellepoursuivitl’ascensiondel’escalier,selivrantàundébatintérieur.Ellenesesentaitpasd’humeuràsupporterlesremarquesdelanurseanglaise.
ElleétaitsurlepointdegagnersesappartementsquandelleentenditTeddy.Sonrirelimpidequis’égrenaitquelquepartàl’étagedudessuslafitsourire.Ellel’avaitvulematinmême,biensûr,maisl’enviedelereprendredanssesbraslabrûlait.D’habitude, elle essayaitde rationner lebonheurd’êtreavec l’enfant,de crainted’êtreconsuméeparlaflammedesapassionmaternelle.C’étaitunjeuqu’ellenecessaitdejoueravecelle-même.Unjeuabsurde,évidemment,carriennepouvaitrompreleursliens.Teddypassaitpresquetoutsontempssouslaféruledel’irasciblemissGriffin.
Malcolml’avaitgardéeàleurservice,contrel’avisdesafemme.Lesquatreansqui s’étaient écoulés n’avaient pas atténué l’antipathie que Marielle ressentaitenvers la gouvernante. Cette dernière continuait à la considérer comme unedéséquilibrée, une pauvre créature désorientée, atteinte de quelque gravedéficiencementale.Sesmigraines,saphobiedesenlèvements,sonattachementàson enfant – un attachement que miss Griffin n’hésitait pas à qualifier de«pathologique»–plaidaientenfaveurdesonpremierdiagnostic.Lamaîtressedemaisonn’étaitqu’unecaractérielledontilfallaitseméfier.Lanurses’étaitingéniéeà répandre le bruit parmi les autres domestiques. En revanche, elle affichait unimmense respect à l’égard de Malcolm, qu’elle idolâtrait. En fait, elle rêvaitsecrètementdegagneruneplacedanssoncœur.SilaProvidenceavaitétémoinsinjuste, ce serait elle, miss Griffin, qui aurait tenu le rôle de cette « pauvrenévropathe », comme elle appelait parfois Marielle. Oui, seule une dangereusenévrosée pouvait faire une fixation sur le kidnapping du petit Lindbergh, quiremontaitmaintenantà sixbonnesannées.Sanscompterque lesLindbergheux-mêmesavaientdûoublierleurcauchemardepuisbellelurette,puisqu’ilsavaienteudeuxautresfils.Pendantunlongmoment,Marielledemeurasurlepalieràécouterlebabillage
de son fils. Enfin, souriante, commemue par une force invisible, ellemonta lesmarchesdemarbreblancjusqu’autroisièmeétage.Sesélégantsescarpinsdedaimnoirrésonnèrentdanslelongcouloirquimenaitàlanurseryoùlesgloussementsdel’enfants’entendaientderrièrelaportefermée.Marielletournalapoignéeetlebattants’ouvrit.Elleauraitdûfrapper,neserait-
cequepournepaschoquermissGriffin,trèsattachéeaucodedusavoir-vivre,maistantpis.Ellepréféraitluifairelasurprise.Tandisquelevantails’écartait,lepetitgarçonseretourna.Ilavaitdesbouclesdorées,d’immensesyeuxbleus.Unsourireradieuxilluminasafrimoussequandillavit.—Maman!Ils’envolaàtraverslapièceetsejetadanslesbrasdel’arrivante,quilesouleva
enriant.Ilnichasonpetitnezdanslecoudesamère,respirantàfondsonparfumcapiteux.—Cequetusensbon,maman!Elle était belle, sa maman, songea-t-il avec fierté, la plus belle de toutes les
femmesqu’ilavaitvuesjusqu’alors.Brigitte,lasecrétairedesonpapa,étaitjolie,elleaussi.Teddyl’aimaitbien.Parfois,elleluirendaitvisite,sansjamaisoublierdelui apporter des bonbons et des illustrés allemands. Elle prétendait qu’enAllemagnetoutétaitplusbeauqu’ici,maismissGriffinaffirmaitquec’étaitfaux…Selonelle,toutétaitmeilleurenAngleterre.—Commentseportemonpetitprincechéri?Marielle embrassa Teddy sur la joue, puis le remit sur ses jambes, sous l’œil
torvedelagouvernante.—Théodorevabien,madame.Nousallionsprendre le théaumomentoùvous
avezfaitirruption.Marielle aurait préféré que le goûter de son fils soit composé de lait et de
cookies. Le thé appartenait à un rituel que miss Griffin avait institué avec labénédictiondeMalcolm.Et,commed’habitude,Mariellen’avaitpasétéconsultée.—Ah,bonsoir,Nanny,murmura-t-elleendédiantunsouriretimideàl’Anglaise.Chaquefoisqu’elles’étaitévertuéeàexpliquerleurmésententeàMalcolm,elle
s’étaitheurtéeàunmur.D’aprèslui,Teddyavaitbesoind’unegouvernante.Édith vint servir le thé. C’était une Irlandaise qui, dès le début, avait
souverainement déplu àMarielle. Elle avait été recrutée par l’économe etmissGriffin lui témoignait une grande amitié. Elle arborait une chevelure teinte enrouge flamboyant, couvait d’unœil jaloux la garde-robe deMarielle et avait sugagner les faveurs du chauffeur de Malcolm. Au dire de la gouvernante, ellerepassaitàmerveille.—Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? demandaMarielle à son fils, d’un air
conspirateur.—J’ai jouéavecAlexandreWilson,répondit-ild’unevoixsérieuse.Ilaun train
électrique.Ilselançadansunedescriptiondétailléedesvoiesferréessurmontéesdeponts
etbordéesdevillagesagrémentésdejoliesgarescolorées.—J’auraisvouluenavoirunmoiaussi,àmonanniversaire.Ilavaitfêtésesquatreansdeuxsemainesplustôt–décembreétaitdécidément
unmoisétrange,mélangedejoieetdedeuil.—LepèreNoëlt’apporterasûrementuntrain,monchéri.Malcolm avait déjà acheté un jouet magnifique et, depuis des semaines, une
équiped’ouvriers travaillait sans répitausous-sol,afind’y installer lesvoies, lescollines,leslacsetlesmêmesvillagesqueTeddyavaitadmiréschezlesWilson.—Jel’espère,fit-il,songeur,puisilserapprochadesamère.Il prenait un immense plaisir à respirer son parfum, à sentir la soie de ses
cheveux,àrecevoirsesdouxbaisers.Elleétaitlapersonnelapluspassionnantedumondeetill’aimaitpar-dessustout…plusencorequelestrainsélectriques.—Ettoi,qu’est-cequetuasfaitdebeauaujourd’hui?s’enquit-ilavecunintérêt
degrandepersonne.Il lui demandait toujours comment elle avait passé sa journée, comme il
demandaitàsonpèreetàBrigittesi«toutallaitbienaubureau»,cequifaisaitsourireMalcolm. Il trouvait Brigitte jolie, presque aussi belle que samaman, etcelasemblaitenchanterlajeuneBerlinoise.LasecrétairedeMalcolmnetarissaitpas d’éloges au sujet de Teddy.Quelquefois, avec l’autorisation deMarielle, ellel’avait emmené au zoo. Un après-midi, elle lui avait fait visiter l’Empire StateBuilding.Teddyenétaitrevenuenthousiaste.De retour à la maison, il avait même dit à Brigitte qu’il l’aimait, avec une
emphasequiavaitfaitriretoutlemondeauxéclats.—Jesuisalléeà l’église, réponditMariellecalmement, sous l’œilhostilede la
gouvernante.—Àl’église?s’étonnaTeddy.Sommes-nousdimanche?—Non,monchéri,fit-elledansunsourire,ensedemandantsiunjour,quandil
seraitgrand,elleluidiraitqu’ilavaiteuunfrère.Maisj’ysuisalléequandmême.—Ettut’esbienamusée?Elle eut un vague hochement de tête. « Amusée » n’était pas le terme qui
convenait,biensûr.Elleavaitpleuré.EtelleavaitrencontréCharles…Ellen’avaitpaseulecouragedeluiapprendrel’existencedeTeddy.Charlesrepartiraitbientôtvers son destin, dans une Espagne déchirée par la guerre civile, où peut-êtreespérait-il trouver lamort comme, jadis, elle-même avait souhaitémourir… Plusmaintenant.Maintenant, cet enfant, ce petit garçon, avait apporté la lumière etdissipélesténèbres…Maiscommentaurait-ellepudévoileràCharlessajoied’êtremèredenouveau,alorsqueluisemblaitavoirperdutoutespoir?Ellesutsoudainqu’elle ne l’appellerait pas ; que Charles Delauney faisait partie d’une vieantérieure.—J’étaisàlacathédraleSaint-Patrick,Teddy.Tusais,latrèsgrandeéglise.Nous
ysommesallésàPâques,t’ensouviens-tu?—Oh,oui,fit-il,sérieuxcommeunpape.J’aimeraisbienyretourner.Ilavaitlonguementobservélespatineurssurglace,del’autrecôtédelarue,à
l’ombredesgratte-cieldeRockefellerCenter.Ellerestaauprèsdeluiuntrèslongmoment;lecouvritdebaisers;luilutunde
ses contes préférés. Lorsquemiss Griffin annonça qu’il était l’heure du bain, legarçonnetlevadesyeuximplorantssursamère.—Dis,tupeuxrester?S’ilteplaît…Ellel’auraitvouluplusquetoutaumonde.Maisdetellesinitiativesrisquaientde
déclencher les foudres de la gouvernante. Celle-ci détestait que l’on vienneperturberuneroutineàlaquelleelletenaitpar-dessustout.—Jepourraisluidonnersonbain,proposa-t-elled’unevoixincertaine,devinant
paravancelaréactiondelanurse.— Cela ne sera pas utile, merci, madame. Embrasse ta mère, Théodore, et
souhaite-luibonnenuit,s’ilteplaît.Tulaverrasdemainmatin.—Maisjeneveuxpaslavoirdemainmatin.Jeveuxlavoirlà,toutdesuite.Marielleregardasonfils.Ellemouraitd’enviedelebaigner,deluipréparerson
dîner, de le tenir dans ses bras jusqu’à ce qu’il s’endorme, tout en couvrant debaisers sa petite figure rose. Évidemment, c’était hors de question. Elle devaits’astreindreaurèglementmisaupointparsonmarietlagouvernante.RendrevisiteàTeddy,prendre lethéavec lui, lequitterdesheuresavantqu’il
n’ailleaulit.
—Nousironsauparcdemain,monchéri.Nousnouspromèneronsprèsdulacoùl’onfaitducanotage.—Demainaprès-midi,ThéodoreestinvitéàunanniversairechezlesOldenfield,
madame, coupa miss Griffin, l’air de dire que les obligations sociales passaientavantlesdivertissements.—Encecas,jel’emmèneraiauparclematin.Lesdeuxfemmessedéfièrentduregard,maiscefutlamaîtressedemaisonqui,
lapremière,baissalesyeux.FaceàmissGriffin,soutenueparMalcolm,elleseraittoujours perdante. Elle se tourna vers l’enfant, accablée par un sentimentd’impuissance.—Nousironsauparcdemainmatin,affirma-t-elleens’efforçantd’adopterunton
ferme.Des larmes mouillèrent les joues rondes du petit garçon. Demain, c’était une
notiontropfloue.Troplointaine.—Tunerestespas,alors?Elle secoua tristement la tête, se pencha pour l’embrasser, puis se redressa
affichantdesonmieuxunairinsouciant,tandisquelagouvernantetraînaitparlamainunTeddyinconsolableverslasalledebains.Mariellesortitdelanursery,lecœurserré.Laportereferméederrièreelle,elle
s’adossa un instant contre le battant, les yeux clos. C’était si dur, si cruel de lelaisser entre des mains étrangères. Hélas, elle ne pouvait agir autrement. Ellen’avait pas la force de s’opposer à son mari. Elle avait été admise dans cettemaison dans l’unique but de procurer un héritier aux Patterson. Le reste luiéchappait.Pourtant,ellevouaitàMalcolmuneprofondereconnaissance.Grâceàlui,elleavaiteuTeddy…Teddyétaittoutcequ’elleavaitaumonde.Sontrésor,sonseuletuniqueamour,sajoiedevivre.Elleseréfugiadanssondressing-room,troquasastrictetenuenoirecontreune
chatoyante toilette de satin rose. Lemiroir lui renvoyaune image flatteuse. Sesdeuxgrossessesn’avaientpasépaissisataillemenue.Lesannéesavaientaffinélescontoursdesonvisagesansenaltérerlabeauté.Seulssesyeuxtrahissaientsonâge.LesouvenirdeCharlesrevintsoudainàson
espritet,l’espaced’uneminute,ellefutpossédéeparl’enviedel’appeler.L’instantsuivant,lebonsenstriomphadecettefaiblessemomentanée.Detoute
façon, elle n’avait pas grand-chose à lui dire, hormis lui faire des excuses et luiexprimerdesregrets.Iln’yavaitguèrederéponsesàleursquestions,tousdeuxlesavaient.Malcolm passa à la maison en coup de vent. Il devait se rendre à un dîner
d’affairesdedernièreheureet s’excusaitdenepouvoirpasser la soiréeavecsafemme. Il lui effleura le front d’un chaste baiser avant de s’éclipser dans sesquartiers.Mariellefitmonterunplateaudanssachambre;restalongtempsdevantlapremièrepaged’unroman,sanscomprendrelesensdesphrasesqu’ellelisaitetrelisait.Sonespritvagabondait.Deslambeauxd’imagestraversaientsamémoire,
comme les instantanés d’un bonheur révolu. Charles à Paris, jeune, beau, et sifougueux…ElleetCharlesàVenise,àRome,àFlorencedurantleurlunedemiel…Charlesriant…lataquinant…nageantàlargesbrasséesvigoureusesdansleseauxtranslucidesd’unlac…traversantàlonguesenjambéesunpréverdoyant…Charlesladernièrefois,enSuisse…puisaujourd’hui…Têtebaissée,ellelaissalibrecoursàseslarmes.Etplustard,danslanuit,ellegravitdenouveaul’escaliersurlapointedespieds,
àtraverslademeuresilencieuse,afinderegarderl’enfantendormi.Elles’agenouillaprèsdupetitliteteffleurad’untendrebaiserlajoueveloutéede
Teddy. Après quoi elle regagna sa chambre solitaire… De nouveau, l’impérieuxdésirdetéléphoneràCharles…Maisnon.Elleresteraitloyale.ElledevaittoutàMalcolm.Non,ilnefallaitcomposerlenumérodeCharlessous
aucunprétexte.Peuimportaientsessentimentspourlui.Oucequ’illuiavaitdit…LechapitredesavieintituléCharlesDelauneyétaitdéfinitivementclos.
Chapitre3Lelendemainmatin,Mariellefituneapparitiondanslasalleàmanger.D’habitude, elle prenait son petit déjeuner au lit, mais ce matin, elle s’était
réveilléeauxaurores.Malcolmvenaitdefinirsoncaféaccompagnéœufsbrouillésetparcourait le journal.En Italie,Mussolini exigeaitque laFrance renonceà laCorseetàlaTunisie.—Bonjour,chérie,dit-ilavecsacourtoisiecoutumière,l’airsurprisdelavoirsi
matinale.As-tubiendormi?—Pastrèsbien…Biensûr,elleauraitpu luidonner,commetoujours, la réponsequ’ilattendait :
«oui, trèsbien,merci»…ou«merveilleusement, je te remercie»,mais sanuitavaitétépeupléedecauchemars.—Encoreunedetesmigraines?Il baissa le journal, afin de l’observer, puis décida qu’elle n’avait pas trop
mauvaisemine.—Non…Uneinsomnie.J’aibutropdecaféaprèsdîner.—Tuauraisdûplutôtt’accorderunecoupedeChampagneouunverredevin.
Riendetelpourbiendormir.Ilsouritetellel’imita.—Tuseraslà,cesoir,Malcolm?— Probablement. Nous passerons une soirée tranquille au coin du feu. – Il
projetaitdepasserunesemainecalme,avantlafrénésiedesfêtesdeNoël.–Ettoi,quelesttonprogramme?—J’iraiauparcavecTeddy.Il laregarda.Ellemenaituneviesicasanière,sedit-il.Ellenesortaitpresque
jamais, n’allait jamais déjeuner en ville avec des amies. Pourtant, il l’avaitprésentéeàtoutessesrelations.Apparemment,à l’agitationdesmondanités,ellepréférait laquiétudedesamaison…Plusd’unefois, il l’avaitencouragéeàsortirdavantage.Ceàquoiellerétorquaitinvariablementqu’ellen’avaitpasletemps.Enfait, elle manquait de courage… Dieu seul savait quel obscur complexe deculpabilitélatourmentait.—Jevoudraisaussil’emmenervoirBlanche-Neige.Tucroisqu’ilestencoretrop
jeune?Sortiunanplustôt,lefilmfiguraitentêtedubox-office.—Pasdu tout. Ilaimeraça,sansaucundoute.Àpropos, jevais jeterun coup
d’œilsurl’installationdutrainélectriqueausous-sol.
—Penses-tuqueceseraprêtàtemps?Oui, trèscertainement. Ilrestaitunedouzainede joursavantNoëletMalcolm
n’étaitpasdugenreàtolérerlemoindreretard.—Entoutcas,jel’espère.Lasemaineprochaine,jeparsàWashington.Veux-tu
m’yaccompagner?—Tuvasencorevoirtesamis?IlavaitdesamishautplacésauministèredelaGuerre.— Oui, au sujet d’une affaire importante. J’ai également rendez-vous avec
l’ambassadeurallemand,pourunprojetàBerlin.—Turisquesd’êtretrèsoccupé.—Sansdoute,maistuseraslabienvenuesicelatedit.Iln’auraitpasuneminuteàluiconsacrer,elleenétaitconvaincue.Elleseraitun
poidssielleyallaitet,d’ailleurs,elleavaittellementdechosesàfaireavantNoël.—Jepréfèreresterici,afindem’organiserpourlesfêtes.Tun’espasfâché?—Bien sûr que non,ma chère. C’est toi qui décides. Par ailleurs, je serai de
retourtrèsvite.—Peut-êtreaprèsleNouvelAn,suggéra-t-elle,d’unevoixhésitante.Où fallait-elle qu’elle soit ? se demanda-t-elle enmême temps, en proie à une
indicibleanxiété.ÀWashingtonavecMalcolm?IciauprèsdeTeddy?Marielle n’aurait pas su le dire. L’alternative s’avérait impossible. Depuis
maintenantprèsdeneufans,prendreunedécisionsupposaitdetelsatermoiementsqu’elleavaitpréféréyrenoncerpurementetsimplement.Onnesavaitjamaissionfaisait le bon choix et ça pouvait parfois vous coûter très cher. Elle avaitsuffisammentpayépourlesavoir.—Celateconvient-il?questionna-t-elle,deplusenplusmalàl’aise.—Oui,biensûr,répondit-il,rassurant.Ill’embrassaetsortit.Mariellemontas’habiller.Peuaprès,elledescendaitl’escalierdemarbresuivie
deTeddy.MissGriffinavaitoffertdelesaccompagnermais,pourunefois,Marielleavaittenutête.Non,pasquestion,avait-ellerétorqué,Teddyetelleavaientenvied’être un peu seuls. L’expression outragée de la gouvernante avait arraché ungloussement amusé au petit garçon et, tandis qu’ils dévalaient les marches, leclaquementfurieuxdelaportedelanurseryébranlalamaisondefondencomble.Dans le vestibule, ils croisèrent Brigitte : la secrétaire s’apprêtait à monter aupremieroùsonpatronl’attendait.—Ehbien,ondiraitque tusors,cematin,Théodore?dit-elledansunanglais
parfait,teintéd’untrèslégeraccentallemand,enlançantunchaleureuxregardàMarielle.En d’autres circonstances, les deux femmes auraient cherché à mieux se
connaître,maisMalcolmn’auraitjamaistoléréquesonépouseselied’amitiéavec
unesimpleemployée.—Nous allons au parc, déclara Teddy d’un ton fier, puis comme s’il venait de
remarquer le tailleurbleu roi de la secrétairede sonpère : vous avezune jolierobe,Briggy.Jevoustrouveravissante.LajeuneAllemandeéclataderire.— Espérons que vousme ferez lesmêmes compliments dans vingt ans, jeune
homme ! – Et comme Teddy la considérait, dérouté, elle lui sourit. – Mercibeaucoup,entoutcas.Jetetrouvetrèsséduisant,aussi.C’estunnouveaumanteau,ça?IlportaitunpardessusbleumarineàcapuchonquemissGriffinavaitchoisipour
luietqu’ildétestait.—Non,fit-ilensecouantsesbouclesdorées.C’estunvieux.—Es-tuprêt?ditsamère,quivenaitd’enfilersafourrure.—Oui.Il se hissa sur la pointe de ses petits pieds bottés, afin de planter un baiser
sonore sur la joue de Brigitte, notant au passage la senteur musquée de sonparfum.—Amuse-toibien,Théodore.Dehors régnait un froidpolaire.Marielle avait priéPatrickde les conduireau
parc en voiture. Teddy babilla tout le long du trajet, et, lorsqu’ils quittèrent lalimousinepourpénétrerdansCentralParkpar laCinquièmeAvenue,MariellesesurpritàluiracontersavieàParis…Aprèstout,MalcolmparlaitsanscessedesesvoyagesàBerlin,etellesavaitquemissGriffinnemanquaitpasuneoccasionpourévoquersachèreGrande-Bretagne.— Un jour, nous ferons la traversée de l’Atlantique à bord du Normandie,
affirma-t-elle joyeusement au garçonnet qui buvait ses paroles, les yeuxémerveillés.— Papa viendra aussi ? demanda-t-il, tout excité à la perspective d’un voyage
avecsesparents.—Naturellement.Nousironstouslestrois.Jamaiselleneseraitpartieenlaissantsonfilsderrièreelle.C’étaitlaprincipale
raisonpourlaquelleelleavaitrefuséd’accompagnerMalcolm,lesraresfoisoùilleluiavaitdemandé…Ilscontinuèrentàlongerunealléerecouvertedegivre,lamaindanslamain,contreleventglacé.LepetitnezdeTeddyavaitviréaurosevif,leventâprefaisaitlarmoyerlesyeuxdeMarielle,maisleurslourdsmanteaux,leursécharpesetleursgantsfourréslesprotégeaientdufroid.—Sansdoutequepapaseratropoccupépourvenir,fitremarquerauboutd’un
momentTeddy,d’unevoixempreintederegrets.Elletentadelerassurer.—Ilnerefuserapasuntelvoyage,dumoinsjenelepensepas.
Elleavaitadoptéuntonléger,sachantpourtantqueTeddyavaitvujuste.Malcolmdonnaittoujoursprioritéàsesaffaires,surtoutcesdernierstemps.—Peut-êtrepourrions-nouslerejoindreàBerlin,proposaTeddydesonairgrave
degrandepersonne.Ilétaitsiintelligent,sedit-elle,dansunélandefierté.Ilremarquaittout.Mêmelefaitquesonpèreavaitbeaucoupdepartenairesallemandsneluiavait
paséchappé…Surcepointprécis,grâceàsesoriginesetsacompétence,Brigittes’étaitavéréeuneprécieusecollaboratrice.Depuisquelquesannées, lescontratsentrelesentreprisesPattersonetl’Allemagnen’avaientcessédesemultiplier.— On pourrait aussi visiter Londres, reprit Teddy, par égard pour sa
gouvernante.OnyverraitBigBen,laTourdeLondres,BuckinghamPalace…etleroi!SonbavardagefitécloreunsouriresurleslèvresdeMarielle.Ilsétaientarrivés
prèsdulacoùl’onfaitducanotage.Àlavuedelamincecouchedeglacequis’étaitforméesur lasurfacede l’eau,un frisson laparcourut toutentière,etelleattiral’enfantcontreelle,commesiundangerimminentlesmenaçait.— Il n’y a personne ici. Allons plutôt voir le manège, dit-elle, soudain
mortellementpâle.Ladéceptionsepeignitsurlestraitsfinsdugarçonnet.—Maisjeveuxvoirlescanots…—Iln’yenapas!souffla-t-elle,oppressée.Viensvite,allons-nous-end’ici.—Jepeuxmarchersurlaglace?interrogea-t-il,fascinéparlacroûteiridescente
quis’étiraitàpertedevue.Affolée,elleletiraparlamainavecvéhémence.—Nefaisjamaisça,Teddy.Jamais,m’entends-tu?Ilhochasatêteencapuchonnée,surprisdevantl’emportementdesamère.Cefut
alors que, en regardant l’étendue gelée, elle crut l’apercevoir… Seigneur, sonimagination lui jouait encore unmauvais tour ! Sans doute que, finalement,missGriffinavaitraison.Elledevenait folle.Peut-êtrequ’elleavaiteutortdevenir iciaujourd’hui.Lelacenfouisouslemincelinceuldeglacel’impressionnait.Ellefermauninstantlespaupières,commepourchasserlemauvaisrêve,puislesrouvrittrèsvite.—Nousrentronsàlamaison!intima-t-elled’unevoixquel’appréhensionrendait
affreusementrauque,discordante.Ses yeux allaient de Teddy à l’hommequ’elle avait cru voir par-delà l’étendue
blancheetbrillante.—Maintenant?soupiraTeddy,auborddeslarmes.Nousvenonsjusted’arriver.
AllonsauCarrousel,aumoins.—Jesuisdésolée,monchéri…Nousironsplustardfaireunebellepromenadeen
voiture…auzoo…Puisjet’emmèneraivoirlespatineurs,d’accord?
Partir. Partir vite. Ne plus rester en ce lieu. Plus une seconde. Son corpstremblait comme une feuille. Alors qu’elle attirait l’enfant vers l’allée, l’hommequ’elleavaitaperçudans le lointaincontourna le lacencourantàtoutes jambes,venantdansleurdirection.Labiseébouriffaitsescheveuxnoirs,unéclatsauvageilluminaitsesyeux,etellesutqu’ellenes’étaitpastrompée.Teddy semblait effrayé, lui aussi. Sa mère lui avait inculqué sa méfiance des
étrangersetcelui-ciparaissaitparticulièrementinquiétant.Grand,échevelé,pâle,ilfondaitsureuxcommeunprédateur.Arrivéàleurhauteur,ilagrippalesépaulesdeMariellesansménagement,aprèsquoisonregards’abaissasurTeddy.Lajeunefemmeretintuncri.Aumoins,ellen’avaitpasrêvé.Ellen’étaitpasfolle.C’étaitbien Charles. Elle se rappela tout à coup que l’hôtel particulier des Delauneyjouxtaitleparcducôtédulac.Leursregardssecroisèrent.Ilavaitunairhalluciné.Ilavaitbutoutelanuitetavaitvoulufaireuntour,afindes’éclaircirlesidéesavantd’assisteràuneréunionaveclesavocatsdesonpère.—Qu’est-cequetufaislà?–Sesyeuxsereportaientdelajeunefemmeaupetit
garçon.–Quiest-ce?CepetitavaitunevagueressemblanceavecAndré…Unvisaged’angequel’on
avaitenvied’embrasser,degrandsyeuxrieurs.—C’estTeddy,répondit-elle,d’unevoixencoretremblante.—Teddyqui?croassa-t-il,l’œilaccusateur,l’espritembruméparlesvapeursde
l’alcool.—TeddyPatterson,dit-elle,lementonhaut.Monfils.Elle avait soutenu vaillamment le regard aux lueurs fauves. Elle ne lui
permettrait plus de l’accabler. Ni de la rendre responsable du drame qui avaitravagéleurvie.Danssamain,ellesentaitfrissonnerlamenottedesonfils.—Tunel’aspasmentionnéhier.Tun’asévoquéqueMalcolm.Mariellenebronchapas.ElleétaitpluscourageusequeMalcolmnelepensait.Charles,lui,lesavaitdepuistoujours.—Cen’étaitnilemomentnil’endroitpourteledire.— Pourquoi pas ? Pourquoi me le cacher ? hurla-t-il, en proie à une fureur
singulière,lamêmequi,jadis,avaitfaillicoûterlavieàMarielle.—Celan’auraitpasétéjuste.Pashier.—Etaujourd’hui?C’estjuste,aujourd’hui?vociféra-t-ild’unevoixd’ivrogne,les
lèvresblanches.Teddylefixait,terrifié,maisMarielleparvintàconservertoutsoncalme.Teddyétaitlà,soussonaileprotectrice,etellenelaisseraitpersonne,Charlesy
compris,luifairedumal.Elleattiral’enfantsoussonbrasetluieffleuralajouedubout des doigts, dans un geste apaisant qui eut le don d’exacerber la colère deCharles.—Jenecroispasquecesoitlemomentd’abordercettequestion,déclara-t-elle.
Ilétaittrèsséduisant,bienque,visiblement,horsdelui.—Pourquoias-tuunenfant?ragea-t-il.Qu’est-cequej’ai,moi?Elle s’efforça de ne pas flancher, afin de ne pas effrayer Teddy, et regarda
Charlesdroitdanslesyeux.—Jenesaispas…Tuastaguerred’Espagne…tesconvictions…tesamis…ton
écriture…Situn’asriend’autre,peut-êtres’agit-ild’unchoixquetuasfait.Samainserraitétroitementcelledesonpetitgarçon,commepour lui insuffler
soncourage.—Cechoix,c’esttoiquil’asfaitquandtum’asquitté!ripostaCharles.C’était
tonchoix.Nousaurionspuavoird’autresenfants.—Jet’enprie.Nousdevonsnousenallermaintenant…Oh,Charles,quelgenre
devieaurions-nouseue?Tumedétestaiset jemedétestais…Dureste, jem’envoudraistoujours.Jen’auraispassupportédepasseruneminutedeplusavectoi.Nideteregarderenface,sachantcequetuéprouvaispourmoi.Ellerépétaitpresquemotpourmotcequ’elleluiavaitdéjàditdesannéesplus
tôt,avantdequitterl’Europe.—Tusavaisquejevoulaisqueturestes.—Hélas,c’étaittroptard.Nousnenoussupportionsplus.Savoixsefêla,etelleessuyaseslarmes.L’espaced’uninstant,elleavaitoubliéla
présencedeTeddy.ElleavaitpassionnémentaiméCharles,d’unecertainemanièreellel’aimaitencore,maisilétaithorsdequestiondereprendrelaviecommune.Pasaprèscequiétaitarrivé.CharlesconsidéraTeddyd’unairhagard,commes’ilavaitdelapeineàcroireà
son existence.C’était un garçonnet adorable, plus beau encore que sonAndré…Ses yeux se fixèrent ensuite sur le visage blême de Marielle, cherchantdésespérémentàluifairemal.—Tuneleméritespas!glapit-il,enréprimantunefolleenviedelafrapper.Pourquois’était-ellemariée?Pourquoiavait-elleeucepetitgarçon?Aunomdu
ciel,pourquoil’avait-elleabandonnéàsontristesort?— Non, tu ne le mérites pas, répéta-t-il, avec une cruauté dont elle ne se
souvenaitquetropbien.Lereversdelamédaille…Levoletnégatifd’unepassiondestructrice…L’enversdugrandamour,quil’avaitpousséeàprendrelafuite.—Peut-êtrepas…—Tun’auraispasdûmequitter.—Jen’avaispaslechoix.Sijen’étaispaspartie,jeseraismorte.Illesavait.Ilsavaientatteintlefond.Elleavecsestentativesdesuicide,luiavec
sesenviesdemeurtre.Lejouroùc’étaitarrivé,tousdeuxavaientétésiatteints,simortellementblessés…
—Oui,nousserionscertainementmorts,etcelaseraitbienainsi,murmura-t-il,enlarmesluiaussi,tandisqueTeddyseserraitcontresamère.—Quellechoseaffreuseàdire!—Pourtoi,peut-être.Tuasunenouvellevie.Unmari.Unfils.Tun’auraispas
dû.Bonsang,non,tun’auraispasdû!Alorsquechaquejourquipasseestpourmoiuncauchemaretque jamais jenepeuxm’endormirsans lepleurer,sansmedirequej’auraisvouluêtremortàsaplace…Est-cequetuypenses,parfois,ouas-tutoutoublié?UnéclaircourroucétraversalesprunellesdeMarielle.Desannéesdedeuiletde
révolterefirentsoudainsurface.—Commentoses-tu?Iln’yapasunjouroùsonsouvenirnemehante.Pasune
nuitoùjenerevoissonvisage…etletien.(Hiersoirencore,ilsavaientpeuplésesrêves.) Mais rien ne le fera revivre, Charles. On peut se détruire, ça ne leramènerapasà lavie. Ilestenpaixmaintenant. Ilesttempsquenous lesoyonsaussi.—Jeneseraijamaisenpaixsanstoi.Ilavaitunemouepuérilequi la fitsouriremalgréelle.Lesannéesne l’avaient
pas mûri, se dit-elle, Charles se comporterait toujours comme un éterneladolescent, jouant les expatriés et épousant des causes étrangères, comme s’ils’obstinaitànepasdeveniradulte.—Nedisdoncpasdesottises,reprit-elle.Tuignoresquijesuismaintenant.Je
medemandemêmesitul’asjamaissu.Sansdouteaurions-nouspuvivreensemblesi leschosesavaientétédifférentes. –Ellese tournaversson fils. –Teddy, je teprésenteCharles.C’estunvieilami.Ilaparfoisl’airbizarre,maisilestgentil,aufond.Veux-tuluidirebonjour?Lepetitgarçonsecouavigoureusementlatête,lafigureenfouiedanslesplisdu
manteaudesamère. Ilétait trop jeunepouravoirsaisi lesensde leursparoles,néanmoins,ilenavaitperçulaviolence.—Jeluiaifaitpeur.J’ensuisdésolé.Un regret fugace vibrait dans sa voix, tandis que son regard demeurait froid
comme la pierre. La barbe naissante qui bleuissait ses joues et son mentondurcissait davantage ses traits et, pour la première fois depuis longtemps, ellesentitlesgriffesacéréesdelapeurluiétreindrelecœur.— Oui, dit-elle, tu devrais avoir honte. Sois honnête, Charles. Tu n’as aucun
reprocheàmefaire.Ilfixaunregardhallucinésurlepetitgarçonàmoitiécachésouslemanteaude
Marielle.—Ilauraitdûêtreàmoi!lâcha-t-ild’unevoixrude.—Maisiln’estpasàtoi,Charles.—Tun’avaispasledroitd’avoirunenfantsansmoi!
—J’avaistouslesdroits,àpartirdumomentoùtuasacceptéledivorce.—Tuasditquesinousnedivorcionspas,tuenmourrais.—Etj’aibienfailli!—Ehbien,j’auraispréférétevoirmorte,plutôtquemèred’unenfantdontjene
suispaslepère.Sesyeuxlapoignardaient,tranchantscommedeslames,et,réprimantunfrisson,
elle se demanda si elle l’avait jamais vraiment aimé. Les mauvais souvenirss’étaient estompés, elle avait presque oublié combien il pouvait être inique,irrationnel.—Çasuffit,maintenant!cria-t-elle,alorsqu’illuiagrippaitlebras,arrachantun
crid’oiseauapeuréàTeddy.Cessedeterrorisercetenfant!C’estinjuste.—Jem’enfiche!S’ilyavaiteuunejustice,ilauraitétéàmoi.—Arrête,maintenant ! Il n’est pas à toi, etmoi nonplus.Andrén’était pas à
nous.Personnen’appartientàpersonne.NousappartenonstousàDieu.Dieunous«prête»vie,n’est-cepascequ’ondit?Alors,quandle«prêt»luiestrendu,çafaithorriblement mal-Mais personne n’est à personne… Je ne t’appartiens pas. EtTeddynem’appartientpas.—Tul’aimes,pourtant.—Biensûrqueoui.—Ilt’aime,luiaussi.—Oui.—Pourquoituastoutetmoirien?—Peut-êtreparcequej’aieudelachance.OuparcequeMalcolmaeupitiéde
moi…Ouencoreparcequej’aiacceptédepayerletributdubien-être.—Queltributas-tupayé,hein?Quelaétéleprixdetonmariage,mabelle?Mariellebaissalespaupières.Elleavaitcontractéunmariagesansamour.Un prix que Charles n’aurait même pas voulu considérer… Il la scrutait
intensément.—Àquoias-turenoncépourl’épouser?assena-t-il.Àl’espoir.Àl’amour.Àlatendresse.Àlapassionqu’ilsavaientjadispartagée.—Ilfauttoujoursrenonceràunechosepourengagneruneautre,répondit-elle.
Jecroisquej’airenoncéaupassé.Parloyautéàl’égarddeMalcolm,ellen’auraitjamaisavouélavéritéàCharles.—Jesuisimpressionnépartonsacrifice,ricanacelui-ci.—Etmoipartonattitude.Tuesplusignoblequejamais…Sansraison,d’ailleurs.
Oh,àquoirimetoutcela?Denouveau,illaissaitfiltreràtraverssespaupièresplisséesunregardvenimeux
versTeddy.Marielleentourad’unbrasprotecteurlesmincesépaulesdesonenfant.
Charles devenait brutal quand il avait bu. Il était capable de s’enivrer jusqu’audélire.Unefois,ilavaittoutcassédansunbar.Uneautrefois,ilavaitblessédeuxhommesdansunrestaurant.Etils’étaitaussi
attaquéàelle…—Excuse-moi,articula-t-il.Jeteprésenteégalementmesexcuses,jeunehomme.
Jemesuismontréd’uneparfaiteincorrectionàtonendroitetàceluidetamère.C’est une mauvaise habitude, j’en conviens, mais je la connais depuis denombreusesannées,presquedepuisl’enfance…Ilsn’avaientalorsquedix-huitetvingt-troisans.Seigneur,ilsétaientsijeunes!—Unjour,j’aimeraisbienapprendreàteconnaître,d’accord?Teddyhochalatêtepoliment,maislecœurn’yétaitpas.—J’aieuunpetitgarçon,moiaussi…Ils’appelaitAndré,poursuivitCharles,les
yeuxbrillantsdelarmes.Jesuisnavré…Lajournéed’hieraétédifficile,puisquandjet’aivu…Ildétournalatête,commes’ilcherchaitàéclaircirsesidées.—Pourquoiest-cesidur?Pourquoicettesouffrancepermanente?C’estpareil
pourtoi,n’est-cepas?Ils’étaitadresséàMarielle,quiacquiesçasansunmot.Elleleluiavaitdéjàditla
veille,maisill’avaitoublié.Ils’étaitmisàboiresitôtqu’ilavaitquittél’église.—Nousallonsrentrermaintenant,dit-elle.Ilsefaittard.MissGriffinavaitdûpréparerledéjeunerdeTeddy,aprèsquoielleleconduirait
àl’anniversaired’undesesamis.Lamatinéeavaitétéunpurdésastre,parlafautede Charles. Marielle lui en voulut terriblement. Son temps avec Teddy lui étaitprécieux,etmaintenanttoutétaitirrémédiablementgâché.—Jesuisdésoléedecetterencontre,murmura-t-elle.La veille, il s’étaitmontréplus conciliant, avantqu’il ne sachepour son fils.À
présent,ilsemblaitenproieàunimmenseressentiment.Toutelanuit,ilavaitnoyésonchagrindansl’alcool.Lavuedel’enfantavaitattisésajalousieetsafureur.—Jeparslasemaineprochaine.Jel’aidécidéhier.Va-t-onserevoir?Ellefitnondelatête,toutenserrantfermementlamenottedeTeddy.—Pourquoipas?—Tulesais.Nousrevoirneserviraitàrien.Cessonsdoncdenoustorturer.—Qui de nous deux se torture,Marielle ? Tu n’es pas heureuse, cela se voit
commelenezaumilieudelafigure.Tuesnerveuse,tendue.Lebonheur,ilfautlecueillirquandilestlà…Ilsuffitd’avoirunpeudecourage…Sonexpressionmenaçantenelatroublapas.—Jenetefélicitepaspourtesvaleursmorales,Charles.—Jefaiscequimeplaît.—Tantmieuxpourtoi.
—Etilmeplaîtdetereconquérir.—Assez!s’écria-t-elle,excédée,lefusillantduregard.Oùcomptes-tulaisserta
nouvelleconquête,quandturepartiraspourl’Espagne?Iln’étaitpasfacilederaisonnerunhommeivre.—Entoutcas,jelalaisseraisûrementpluscombléequ’ellenel’estaujourd’hui.À
moinsquetunepréfèresmesuivre…LanaïvetédesapropositionfitroulerunriremoqueurdanslagorgedeMarielle.
Ainsi, voilà ce qu’il attendait d’elle, après plus de six ans de séparation. Toutsimplementquittersonmarietsonenfant,commesirienn’était,pourretournerenEuropeaveclui.Décidément,ilavaitperdulatête.—Tupourraisemmenerlepetitaussi.—Tonsensde l’hospitalitémesubjugue.EtMalcolm?Qu’est-il censé devenir
danstonscénario?—Onjoue,ongagne,onperd…C’estlavie.—Cecynisme tedéshonore,Charles.Tumeconnais suffisammentpour savoir
quejesuisunefemmefidèle.Illuisaisitlepoignetd’unemainpuissante.—Lescirconstancesviennentparfoisàboutdelafidélité.—Charles, je t’enprie.NousnesommespasenEspagneet tune tebatspas
pourmelibérer.C’estridicule,àlafin.Peur…Surtoutnepaslelaisserdevinersafrayeur.—Ahoui?Maissijetedérobaisquelquechose…unobjetauqueltutienscomme
à la prunelle de tes yeux, alors tu serais bien forcée de… disons… venir merejoindre?—Maisqu’est-cequeturacontes?Peuàpeu,lafrayeursemuaitenterreur.—Jecroisquenousnoussommescompris,Marielle.—Tuneferaispasunechosepareille!Qu’avait-ilvouludireaujuste?KidnapperTeddy?ObligerMarielleàlesuivre
par unmoyen aussi abject ? Était-il capable de commettre un tel crime ? Leurhistoiredisaitquenon.Maissesyeux,eux,disaientoui.—Toutdépendradelaprofondeurdemondésespoir,machère.Illuilâchalepoignetavecunriresarcastiquequilaglaça.Quelsoulagementce
seraitdelesavoirauloin!Elleregrettasoudainleurrencontredelaveille.Visiblement, la disparition d’André avait transforméCharles enun inconnu, un
êtreaigri,malveillant,qu’ellen’avaitplusenviederevoir.—Si jamais tu t’avisaisde toucheràmon fils,necomptepassurmoipourme
plieràtonchantage.Jetetuerai.Etmonmariagirademême.
—Tuessaiesdemefairepeur,ouquoi?Denouveau,cerired’ivrogne.—Tumedégoûtes!Tuviensdedétruirecequirestaitdemessouvenirs.J’avais
gardél’imaged’unêtreintègreetpur,quejechérissaisdufondducœur.Maisjenete laisserai pas empoisonnerma vie, ni répandre lemalheur autour de toi, sousprétextequetuestoi-mêmemalheureux.—Oui,j’aichangé,vois-tu.Le drame, pensa-t-il, c’était qu’il n’avait pas changé, au fond. Marielle lui
manquait, tout comme leur enfant. Il désirait ardemment retrouver avec elle letempsperdu,revivreunpassérévolu,qu’ilneparvenaitpasàchasserdesonesprit.—Aurevoir,dit-elle,entirantgentimentTeddyparlamain.Nousallonsrentrerà
lamaison.Elle n’avait plus rien à dire àCharles.Celui-ci les suivit d’un regard fiévreux,
tandisqu’ilss’éloignaient,n’osantlarappeler.Lacolèregrondaitaufonddelui,plusimpétueusequejamais.UnesensationdefroidintenseenveloppaMarielle,maisellecontinuad’avancer
d’unpaségalendirectiondelavoiture.Teddytrottinaitàsoncôté,silencieux.—Jenel’aimepas,déclara-t-il,lorsquePatrickrefermasureuxlaportièredela
rutilantePierce-Arrow.Fidèleauxconsignesdesonpatron,lechauffeurlesavaitsuivisdansleparc.IlavaitvuCharlesetl’avaitreconnucommel’individuqu’ilavaitaperçulaveilleà
la cathédrale Saint-Patrick en compagnie de Mme Patterson. Un rendez-vous ?s’était-il demandé.De saplace, il nepouvait entendre leurspropos.Et pourquoiaurait-elleemmenéTeddyavecelle?Pourleprésenteràcethomme?— Il n’est pas vraimentméchant, réponditMarielle avec tristesse. Seulement
trèsmalheureux.Nousétionsbonsamisautrefois.Teddylaregarda.—QuiestAndré?LecœurdeMariellecessadebattre.—Andréétaitsonpetitgarçon,fit-elleaprèsunsilence.Ilestmort…voilàdes
années.Depuis,Charlesn’estpluslemême.Teddyhochalatête,commesitouts’expliquait.—Ettul’asconnuaussi,André?Lajeunefemmerefoulaseslarmes.Sesdoigtsserefermèrentautourdelapetite
maindel’enfant.Unjour,elleluidiraitlavérité.Quandilseraitplusgrand,plusàmêmedecomprendre.—Oui,jel’aiconnu.—Ilétaitgentil,André?Elleétouffaunsanglot.
—Ilétaittrèsgentil,oui.Ettropjeunepourmourir.Leslarmestraçaientmaintenantdessillonsnacréssursesjoues,et,pendantun
longmoment,ellegardalesilence.LesparoleshaineusesdeCharlesluirevinrenten mémoire, et elle frissonna. Allait-il mettre ses menaces à exécution ? Celasemblait peu probable. Il avait dit n’importe quoi, sous l’emprise de l’alcool.CharlesneferaitjamaisdemalàTeddy.—Dommagequenousl’ayonsrencontré,murmura-t-elle.Ilnousagâchénotre
promenade.—Cen’estpasgrave,souritTeddy.J’aimebeaucouppasserunmomentavectoi,
maman.Ilavaittoujoursdesréponsesquil’attendrissaient.—EtsinousallionsvoirBlanche-Neigedemain?Oui, demain, elle se rattraperait. Comme tous les dimanches, Malcolm allait
s’enfermerunepartiedel’après-mididanssonbureau.Mieuxencore,c’étaitlejourdecongédemissGriffin.MariellepourraitavoirTeddytoutàelle.—Chouette!Tumelepromets,maman?—Biensûr,monchéri.Dès que la limousine s’immobilisa, Teddy jaillit hors de la voiture. Haverford
ouvritlaported’entréeetlepetitgarçonseruaàl’intérieur.Ilfaillitseheurteràsonpère.L’espaced’uneseconde,Mariellesedemandas’iln’allaitpasrapporteràMalcolm leur entrevue avec Charles, mais Teddy était trop excité par laperspectived’alleraucinémapourserappelerl’individubizarredeCentralPark.Letempsqu’elleôtesafourrure,etl’enfants’étaitdéjàenvoléverslesétages.—Oùétiez-vous?s’enquitMalcolmd’untonbadin.Lui-mêmeavaitfaitunsautaubureauetserendaitmaintenantàsonclub,oùil
auraitleplaisirdedéjeuneravecunvieilamideCalifornie.—Noussommesallésjusqu’aulac,maisilétaitgelé.—Tudoisêtreglacée.—Pastrop.Tusors?—Oui,dit-ilensepenchantpourluieffleurerlajoued’unbaiserrapide.N’oublie
pasquecesoirnousallonsàlaréceptiondesWhyte.ElleporteraitunmagnifiquemodèledechezGrèsqueMalcolmluiavaitrapporté
deParis.Unesomptueusetoilettedesatinplissé-soleil,qu’elleagrémenteraitd’unerivièredediamantsetdebouclesd’oreillesassorties.Elleenfileraitdesescarpinsargentéset,biensûr,s’envelopperaitdesalongueetamplefourrured’hermine–uncadeaudesonmaripoursonanniversaire.—Allons-noussortirégalementdemainsoir? interrogea-t-elle, incapabledese
souvenirsurlemomentdeleuremploidutemps.—Non,jeparsàWashingtonunjourplustôtqueprévu.J’yseraidemainaprès-
midi.Demainsoir,jedîneavecleministreduCommerce,demanièreàconsacrer
monlundiàl’ambassadeur…Ilsemblaitaccorderuneénormeimportanceàcevoyage,carilavaitdemandéà
sesdeuxsecrétairesdel’accompagner.— J’espère que tu n’y vois pas d’inconvénient, ajouta-t-il à l’adresse de son
épouse.Ilssavaienttousdeuxqu’ils’agissaitd’unequestiondepurepolitesse.Laréponse
importait peu à Malcolm, bien qu’il tînt toujours à obtenir l’assentiment deMarielle.—Celameconvientparfaitement.Demainaprès-midij’emmèneTeddyaucinéma,
aprèsquoinouspasseronsunesoiréeauchaud.Elle lui sourit. La courtoisie de Malcolm la changeait agréablement des
mauvaisesmanièresdeCharles.—Tuessûrequetuneveuxpasveniravecmoi?—Jeseraibienici.Malcolml’embrassasurlefront.—Àplustard,machérie.Passeunbonaprès-midi…Repose-toi,surtout.Cen’est
paslemomentd’attraperunemigraine.Elle le regardapasser le lourdpardessus sombre,puis coiffer le chapeaumou
queHaverfordluitendait.Parfois,elleavaitl’impressionqu’illatraitaitcommeuneinfirme.Pourunefois,
ellen’enfutpasoffusquée.Aprèslepénibleentretienqu’elleavaiteuavecCharles,ellenepouvaitqu’apprécierlagentillessedeMalcolm.Ellemonta à la nursery où Teddy s’habillait pour sortir, et revint l’embrasser
avant de se rendre à sa soirée, ce qui arracha un gémissement désolé à missGriffin.Mais les coupsd’œil et les soupirs excédésde la gouvernantenepurententamerlarésolutiondeMarielle.Ellenesecontenteraitplusdescourtesvisitesfixéesparlerigideprotocoleétabliparlanurse.Elleiraitvoirsonfilsquandbonluisemblerait,ettantpissionconsidéraitsesincursionscommeuneexagérationdesonamourmaternel.Parailleurs,elleaimaitbienmontrersestenuesdesoiréeàTeddy.L’enfantl’accueillitenpoussantdes«oh!»etdes«ah!»deravissement.Sesmanchesvoltigeaientcommedesailesd’ange,larobedechezGrèsdrapait
samincesilhouettesijolimentqueMalcolmluitrouvauneallurededéesse.Durantle dîner dans le somptueux hôtel particulier des Whyte, tous les regardsconvergeaientsanscesseversMarielle.Laplupartdeshommesfirentsavoiràmi-voixàMalcolmqu’ilavaitunesacréechance.Sur le chemin du retour, elle garda le silence. Une fois de plus, son mari la
complimentasurcequ’ilappelaitsa«classefolle»,maiscefutàpeinesiunsouriresedessinasurleslèvresdelajeunefemme.EllesongeaitàCharlesetauxmenacesqu’il avait proférées. Et chaque fois qu’elle revoyait ses yeux implacables, lesmêmes questions lui traversaient l’esprit : capable ? pas capable ?… « Pascapable»,décida-t-elle.Frustrépar son refusde le revoir, il avaitprononcédes
parolesenl’air,danslebutévidentdeladéstabiliser.Ellesutqu’elleavaitprislabonne décision. À quoi bon remuer les cendres du passé ? Pourquoi trahir laconfiancedeMalcolm?CedernierignoraittoutdeCharles,deleurmariageraté,delamortd’André,duressentimentdeCharlesàl’égarddeTeddy.—Tusemblespréoccupée,fitremarquerMalcolm.L’inquiétude lui donnait un air rêveur qui exaltait sa beauté éthérée. Il eut
soudainenvied’elle,cequilesurprit.—Oh,jeréfléchissais…—Àquoidonc?—Àriendespécial.—Maistuestrèsspécialeàmesyeux,machérie.Elle esquissa un sourire distrait, qui refroidit l’ardeur de Malcolm… Ils se
séparèrent devant les appartements deMarielle. L’une des femmes de chambrel’aidaàsedéshabiller.Elleôtasesbijoux,semitau lit, resta longtempsétenduedans l’obscurité en pensant à Charles et aux horreurs qu’il avait criées dans leparc. Lorsque, enfin épuisée, elle finit par s’endormir, ce ne fut pas pour rêverd’André…maisdeTeddy.
Chapitre4Le lendemain,MarielleaccompagnacommeconvenuTeddyàRadioCityMusic
Hall, laplusgrandesalledecinémadumonde,pourvoirBlanche-Neige.Puis, ilss’accordèrent le luxed’unchocolatchauddansunsalondethé.C’étaitunaprès-midiclair,froid,merveilleux,presqueparfait.TeddyappréciaittoutautantquesamèrelejourdecongédemissGriffin.L’épineusequestionde lagouvernantecontinuaitàdiviser lesépoux Patterson.
Mariellen’avaitdecessequedesedébarrasserducerbère;audiredeMalcolm,seuleunenursebritanniquepouvaitinculqueràsonfilslecodedusavoir-vivre.Or,encebelaprès-midihivernal,niMarielleniTeddynesongeaientàl’acariâtremissGriffin.Deretouràlamaison,Mariellefitprendreunbainàsonfils,danssavastesalle de bains personnelle, tapissée d’azulejos[1]. Ils s’en donnèrent à cœur joie,seuls au monde, usant une belle quantité de bain moussant, éclaboussant lecarrelage…À la vuedesmaresd’eau sur lemarbre,Edith, la rousse Irlandaise,contintuncridefureur.ElleétaitsupposéeremplacermissGriffinauprèsdeTeddycesoir-là,maiss’étaitdéjàarrangéepourconfiercettetâcheingrateàBetty,unedesfillesdecuisine.Lecoûtde l’opérations’élevaittoutdemêmeàcinqdollars,maislalibertén’avaitpasdeprix.L’amusementnonplus…Plutôtquedes’ennuyerà périr entre quatre murs, l’intrépide Irlandaise avait décidé de se divertir, encompagniedePatrick,lechauffeur.Cedernierl’avaitconviéeàunesurprise-partiedansleBronx.Àleurretour,tarddanslanuit,Édithiraitreprendresaplacedansl’unedeschambresdelanurseryetletourseraitjoué…Madamen’yverraitquedufeu.Elle jetaunregardcirculaireà travers la salledebainsenmaugréant.Sielle
nettoyait les lieux, elle semettrait en retard. Il le fallait bien,pourtant, àmoinsqu’elle ne parvienne à convaincre l’une des femmes de chambre de récurer lagrandebaignoiredemarbre…Pendantcetemps,MarielledînaitentêteàtêteavecTeddydanslasalleàmangerdelanursery.Elleluilutunedeseshistoiresfavoritesavantdelemettreaulit,luichantauneberceusetoutenluicaressantlescheveux.Il finit par sombrerdans le sommeil, et elle tira la couverture sur lepetit corpsemmitouflé dans un pyjama cerise. Enfin, elle se glissa hors de la pièce, sur lapointedespieds.Jelegâtetrop,sedit-elleenregagnantsesquartiers.Oui,peut-êtremissGriffin
avait-elle raison, elle prêtait trop d’attention à l’enfant. Mais après tout quelleimportance?Cesdernierstemps,ellen’avaitpus’empêcherd’allerlevoiràchaqueinstant, depasserdesheures entières en sa compagnie.Deplus enplus, elle selaissait aller à des démonstrations d’affection, sans se soucier des remarquesaciduléesdelagouvernante.Maisquelmalyavait-ilàchérirsonenfant?Pourquoidevrait-ellejouerl’indifférence,alorsqu’ellebrûlaitdeledorloter?Commesison
amourpour luipouvaitattirer lamalchance ! Jesuis ridicule, songea-t-elleenserappelant combien de foisMalcolm l’avait exhortée à ne plus ruminer des idéesnoires.Elle se mit au lit, décidée à lire quelques pages deRebecca. Vers vingt-deux
heures, Malcolm l’appela de Washington. Il avait passé une plaisante soirée,annonça-t-il. Le dîner avec Harry Hopkins, l’homme qui allait remplacer DanielRoper comme ministre du Commerce, s’était avéré fort utile pour ses affaires.LouisHowe,lebrasdroitduprésidentdesÉtats-Unisyétaitprésent.Ils avaient évoqué les sentiments de Franklin D. Roosevelt pour l’Europe. La
guerre semblait imminentemais on espérait encore enhaut lieu qu’elle pourraitêtreévitée.L’ambassadeur allemand, quant à lui, s’étaitmontré rassurant. D’après lui, les
investissementsdeMalcolmenAllemagnenetarderaientpasàporterleursfruits.Certes, la nuit de Cristal, provoquée par des éléments incontrôlables, était uneaffaireregrettable.Maisd’unautrecôté,Hitlerétaitdécidéàfairedesonpayslapremièrepuissanceindustrielledumonde.LesprogrèstechniquesannoncésparlenouveauchancelieravaientlittéralementsubjuguéMalcolm.—L’avenirestducôtéduIIIeReichetdesesalliés,Marielle.Ellesesentittouchéedesaconfiance.MalcolmprojetaitdeserendreàBerlin
bientôt.—Commenta-t-iltrouvéledessinanimé?luidemandasonépoux.Aprèsl’Allemagne,sonfilsconstituaitsaplusgrandepassion.—Ill’aadoré.—J’enétaissûr.J’enaientendudireleplusgrandbien.Nousyretourneronstous
ensemble.Il prenait un réel plaisir à sortir sa petite famille, quand ses affaires ne
l’appelaientpasauloin.IléprouvaituneimmensetendressepourMarielle.Delagratitudeaussi.Elleétaitsidouceavecl’enfant…Unetrèsbonnemèreen
définitive,malgrésesinquiétudesexcessives.Malcolmétouffaunbâillement,etMariellesourit.Ilavaiteuunerude journée,
alorsqu’elleseprélassaitauprèsdeleurfils.Laconversationtéléphoniquetouchaitàsafin,maisunbruitinsolitedanslehall–oneûtditquequelqu’unavaitheurtéunmeuble– lui fitdresser l’oreille.Unpasfeutréchuintasur lesmarches,puisplusrien.—Repose-toi,dit-elleàMalcolm.Tuaurasune longue journéedemainencore.
Est-cequeturentresdemainsoir?— Mardi, plutôt. Je vois l’ambassadeur demain après-midi. S’il est libre, je
comptel’inviteràdîner…Jeterappelledemainsoir.—Alors,àdemain…Etbonnechancepourtesaffaires,monchéri,ajouta-t-elle,
submergéetoutàcoupparunevaguedereconnaissance.
Illuiavaittantdonné.Etildemandaitsipeuenéchange.—Prendssoindetoi,Marielle.Nousauronsdebellessoiréesquandjerentrerai.BientôtNoël,sedit-elle.GrâceàTeddy,leréveillonévoquaitunrituelmagique.
Elle savait que Malcolm avait hâte de montrer à l’enfant l’installation du trainélectriqueausous-solet,denouveau,unsourireilluminasestraits.Elleéteignitlalampedechevetdèsqu’elleeutraccroché,restalongtempsdans
le noir à penser àMalcolm. À sa gentillesse. À ses innombrables qualités…Sespaupières s’alourdirentmais le sommeil ne vint pas. Deux heures plus tard, elleétait encore éveillée. À sa paisible rêverie se mêlaient les images violentes del’après-midiàCentralPark.LesmenacesdeCharlesretentirentàsesoreillesetelleportalesdoigtsàsestempes,commepourestomperundébutdemigraine.Enfin,elleseredressa.Untendresourireluiétiraleslèvres.Unultimeregard
sur l’enfant endormi lui rendrait certainement la paix de l’esprit. Pieds nus, ellemontal’escalierquimenaitautroisièmeétage.Justeuneminute,sepromit-elle…Justeunbaisersursapetitejouerose,unefurtivecaressesursescheveuxblondset soyeux… Tiens, une flaque sombre sur la blancheur des marches ! Elle sepencha:uneserviettedebain.Unedesfemmesdechambreavaitfaitpreuvedenégligence. Cela devait correspondre au bruit étouffé qu’elle avait perçu tout àl’heure.Cesfillesétaienttoujourssipressées!Celle-ciavaitdûdévaler lesmarches,en sortantde labuanderie.Elle se sera
cognéecontreunmeubleetaura laissé tomber laserviette.Marielleramassa letissu-épongeetpoursuivitsonascension.Lanurserysecomposaitd’unvestibuleetd’un living-room s’ouvrant sur une enfilade de trois chambres : l’antre de missGriffin,unepiècedestinéeaudeuxièmeenfantqu’ilsn’avaientjamaiseuet,aufond,lachambredeTeddy,laplusspacieusedestrois.Tandisqu’elletraversaitlelivingplongé dans les ténèbres, un bruissement la fit sursauter. Sans doute Edith, quiremuaitdanslapiècedumilieu.Soudain,alorsqu’elleserapprochaitdelaportedel’enfant, son pied buta contre un obstacle inattendu. Elle se fit violence pourréprimer un cri, dans le souci constant de ne pas réveiller le petit garçon.L’obstacle,largeetmou,bougeafaiblement.QuelquechosetouchalachevillenuedeMarielle,quibondit,effrayée.Soudain,unesortedegrognementd’animalblesséfusadans l’obscurité.Affolée, la jeune femmesemit à tâtonnerà l’aveuglette lelongdumur.Samain rencontra le contour familierd’une tabled’angle.Marielleappuyasurun interrupteur, lecœurbattant.Siun intruss’était introduitdans lademeure,ilnefallaitpasqu’ilcomptesurellepourlaissersonenfantàsamerci.Leplafonnierjetaunfaisceaudelumièreroséesurunspectacleextravagant:Betty,laseconde fille de cuisine, était roulée en boule par terre, poings et pieds liés, labouchebâillonnéed’untorchon.Sonvisagerouge,luisantdelarmes,setenditversl’arrivante,tandisqu’unnouveaugémissementtraversaitletissu.—Oh,monDieu…monDieu…ques’est-ilpassé?Marielles’étaitagenouilléeprèsdelaformeligotée.Dans son affolement, elle avait oublié de parler à voix basse, au risque de
réveillerTeddy.Sonesprit enébullition cherchaitdésespérément la raisonde ce
désordre.Quiavaitpufaireça?Uncambrioleur?Etquefaisaitcettefilleici?Elletravaillaità lacuisine…Mariellecommençaparretirer lebâillon,puissesdoigtss’attaquèrent frénétiquementaux liens,cependantqu’ellebombardait l’infortunéedemillequestions.Maislesnœudsrésistaient.Lescordessemblaientsolides.Peut-être fallait-il les trancher, songea-t-elle, alors que Betty poussait des crishystériques.Enfin,Marielleparvintàlalibérer.—Qu’est-ilarrivé?interrogea-t-elle.OùestEdith?Et où était passée miss Griffin ? Trop effrayée pour donner une réponse
cohérente,lafilledecuisinesanglotaitdeplusbelleenbattantl’airdesesmains…UneterreursansnomfonditsurMarielle.EllebonditsursesjambesetseruaverslachambredeTeddy.Laportes’ouvritd’unepoussée.Elledemeurasur le seuil,figée,pantelante.Sonpirecauchemarétaitdevenuréalité.Lepetitlitétaitvide.DeTeddy, il n’y avait plus la moindre trace. Rien entre les draps défaits, rien surl’oreiller,pasunmot,paslemoindreindice.Ilavaitdisparu…Lematelasconservaitencoresachaleur.Mariellesemitàtremblerdetoussesmembres.Dansunmouvementdésespéré,ellerevintversBetty,quireniflaitbruyamment
ensefrottantlespoignets.Ellel’attrapaparlesépaulesetsemitàlasecouer.—Ques’est-ilpassé?Vousdevezmeledire!— Jenesaispas…Il faisait sinoir…Jedormaissur lecanapéquand ilsm’ont
attrapée…J’aientendudesvoixd’hommes…Jenesaisriendeplus…EtTeddy?Qu’était-iladvenudeTeddy?—Quefaites-vousici?hurla-t-elle,alorsqueBettyfondaitdenouveauenlarmes.—Edithestsortie…elleestalléeàunbal…ellem’ademandédegarderTeddy
jusqu’àsonretour…J’ignorecequiestarrivé.Ilyenavaitplusieurs.Ilsontmisunoreiller sur mon visage, il y a eu une odeur infecte, je crois que je me suisévanouie…Quandj’aireprisconscience,j’étaisattachée,ilsétaienttouspartis,etjesuisrestéelàjusqu’àvotrearrivée.—OùestmissGriffin?Faisait-ellepartiede labande?Follede terreur,Marielle seprécipita vers la
chambrede lanurse.Sonbébéavaitdisparu.Quelqu’un le luiavaitpris.Ellenesavaitpasqui,nioùonl’avaitemmenémais,aufonddesoninconscient,unepetitevoixaffoléemurmuraitlenomdeCharles…Lesmotshaineuxqu’ilavaitprononcésdansleparcrejaillirent…S’était-ildoncvengé?Elle se jeta sur la porte de miss Griffin. Le battant céda, dévoilant un autre
théâtredeviolences.L’Anglaisegisaitsursonlit,ligotée,bâillonnée,unoreillersurlafigure.Uneécœuranteodeurdechloroformesaturaitl’atmosphère.Marielleôtal’oreiller.Pendantuninstant,elleeutl’impressionquelavieillefille
étaitmorte,maiselleremuafaiblement.Ellelalaissa,revintcommeunbolideversleliving,saisitlecombinétéléphonique.Unevoixquineressemblaitplusàlasienneprial’opératricedeluipasserlapolice.Vite!C’étaiturgent.
—Quelestvotreproblème,madame?Unevaguecraintedelapresseàsensationlafithésiteruneseconde.Lesmots
affreuxseformèrentaufonddesagorge,refusantdesortir.Elleavaitdéjàperduunenfant,ellenesurvivraitpasàundeuxièmedeuil.—Jevousenprie…envoyezlapoliceimmédiatement…réussit-elleàarticuler,je
suismadamePatterson.Monfilsvientd’êtrekidnappé.Un silence de pierre flotta au bout de la ligne. Remise de son émotion,
l’opératriceluidemandasonadresse,puisMariellereposalerécepteur,lesmainstremblantes.Prostréesurletapis,Bettyfixaitsursamaîtressedesyeuxterrifiés,commesielles’attendaitàêtreaccuséedel’enlèvement.MaisMarielledemeuraimmobile. Sur l’écran pourpre de ses paupières closes défilaient des images deTeddy.Sonpetitvisage.Sesbouclesdoréesqu’elleavaitcaresséesencorequelquesheuresplustôt.Etmaintenantilétaitparti,enpleinenuit.UngémissementenprovenancedelachambredemissGriffinlafitbondir.Aidée par Betty, elle ôta le bâillon, défit les cordelettes qui entravaient les
chevillesetlespoignetsdelagouvernante.Celle-cinesavaitriendeplusqueBettyausujetdesravisseurs.Ilsl’avaientattaquéependantsonsommeil.Miss Griffin avait entendu des voix d’hommes, au moins deux sinon plus. Le
chloroformeavaiteuraisond’elle,avantqu’ellepuisseréagir.Marielleécoutaitsonrécit,frappéedestupeur.Commesionluirapportaitune
histoirequiseraitarrivéeàquelqu’und’autre.Lasonnettedelaported’entréelatirabrutalementdesa torpeur.Elleseprécipitavers l’escalierdemarbre,piedsnus,danssachemisedenuitfluide,commeunpâlefantômedanslanuit.Danslevestibule,Haverford,enrobedechambre,l’airéberlué,avaitentrepris
d’expliquerauxpoliciersqu’ildevaittrèscertainements’agird’uneerreur.—Non,onnevousapasappelés…C’estunemauvaiseplaisanterie,messieurs.Ellesurgitalorsaubasdel’escalier,lescheveuxdéfaits,lafigureblême,devant
les yeux ahuris du majordome et des trois gendarmes dont les silhouettes sedécoupaientdanslechambranle.— Ce n’est pas une erreur ! cria-t-elle, tremblant de tous ses membres,
cependant que Haverford lui jetait un manteau sur les épaules. Mon fils a étékidnappé.Elle les conduisit rapidementà lanurseryoù lesdeux femmes répétèrent leur
histoire. Il n’y avait pas d’erreur possible. L’enfant s’était volatilisé. L’un despolicierspritdesnotes,tandisquelesdeuxautrestenaientunesortedeconférenceàvoixbasse.L’und’euxsaisitletéléphone.—Lekidnappingéchappeàlajuridictiondel’ÉtatdeNewYork,déclara-t-il.C’est
un délit fédéral. Seul le FBI est habilité à mener l’enquête. En attendant, netouchezàrien,vousrisqueriezd’effacerlesempreintesdigitaless’ilyena.Bettycontinuaitàsangloter.MissGriffinavaitl’airsimaladequeMariellepria
Haverfordd’appelerlemédecin.
—Pasdedemandederançon?Aucunmessage?repritl’officierdepolice.C’étaitunsolide Irlandaisd’unecinquantained’années.Pèredecinqenfants, il
pouvaitparfaitementimaginerlesaffresdeMarielle.Celle-ciarboraituneattitudefigée.Glacée. Comme engourdie. Seuls les tremblements de sesmains brisaientsonimmobilité.Elleétaittoujourspiedsnus,lescheveuxdécoiffés,avec,danslesyeux, une lueur de démence. Il avait déjà vu cette lueur-là dans le regard devictimes d’incendie, de tremblement de terre, lors d’une guerre ou après uneagression sanglante…Elle est en état de choc, pensa-t-il. Pourtant, le pire, il lesavait,restaitàvenir.Il n’y apas eudedemandede rançon, expliqua-t-elle, ni demessaged’aucune
sorte.Elleavaittrouvélesdeuxemployéesdemaisonligotéesetlelitdesonpetitgarçonvide…L’officierdepolicegriffonnaquelquesnotes,tandisquesescollèguesappelaientdesrenforts.Unedemi-heureplustardlademeurepullulaitd’uniformesbleus. Deux douzaines de gendarmes passèrent les pièces au peigne fin, à larecherche d’une trace, d’un indice. Mais l’enfant avait disparu purement etsimplement,commes’ilavaitétéenlevépardesêtresinvisibles.Lesdomestiques,tousréveillésàprésent,s’alignaientdanslecouloir.Lesergent
O’Connor leurposa lesquestionsd’usage.Aucund’euxn’avait rienentendu, riendécelédesuspect.Soudain, Marielle se ranima. Elle venait de remarquer que Patrick et Édith
manquaientà l’appel.Ellesignala leurabsenceauxpoliciers.LeurdescriptionetcelledeTeddyfurentaussitôtcommuniquéesparradioàtouslespostesdepolice.—Plusviteonleretrouvera,mieuxcesera,ditO’Connor.Commentdireàcettemèrequeletempspressait?Quelesravisseurs,effrayés
parlesconséquencesdeleuracte,pouvaientblesserl’enfantou,pis,letuer?C’était inutile : elle ne se souvenait trop bien que le petit Lindbergh avait
probablement été assassiné lanuitmêmede sonenlèvement.Commeelle savaitque le bulletin d’informations diffusé par tous les postes de radio allaitimmanquablementattirerlacuriositéavidedesjournalistes…Commeellepensaitqu’ilétaitgrandtempsd’avertirMalcolmavantqu’ilneprenneconnaissancedelanouvelleparleséditionsdumatin.LesagentsduFBIarrivèrentavantqu’ellepuissejoindresonmari.Ellesecrut
dansuneséquencedefilmdesérieBoùl’onvoitdespolicierspartout,mettanttoutsensdessusdessous, passant le jardin au crible, interrogeant lesdomestiques etarrêtant des passants. Une sensation d’irréalité l’assaillit alors. Elle vivait uncauchemar.Unde cesmauvais rêvesqui sediluent dans les premiers rayonsdumatin.—MadamePatterson?LavoixdusergentO’Connorlaramenabrutalementàlaréalité.Ilétaitentouré
d’unedemi-douzained’hommesencostumesombre.Tousportaientdeschapeaux,saufun,visiblementleurchef.Laquarantaineenviron,grand,minceetnerveux,ilavaitdescheveuxbrunsetdesyeuxbleuacierdont leregardperçant lasondait
avecintensité.— Voici l’agent spécial Taylor, poursuivit O’Connor. Il a été chargé de votre
affaireparleBureaufédérald’investigation.Son affaire ? Quelle affaire ? Que s’était-il passé ? Où était-elle ? Où était
Malcolm…etleurbébé?—Enchantée…Elleserramachinalementlamainqu’illuitendait,etquiluiparutaussifroideque
le restede sapersonne.Sonvisagene trahissait aucuneémotion,mais il écoutaattentivementsadéposition.Ilavaitétéégalementsaisidel’affaireLindbergh,troptard cependant ; les pistes étaient terriblement embrouillées et il avait perdu lapartie.Etmaintenant,entantquespécialistedeskidnappings,ilsavaitqu’iln’avaitpresqueaucunatoutenmain.Dans le jeumortelquiallaits’engager, ilmanquaitsingulièrementd’indices.Àpartl’absenceduchauffeuretdelafemmedechambre,il n’avait pas grand-chose à semettre sous la dent. Pas de demande de rançonécrite,pasdetraces,pasd’empreintesdigitales,pasdedescriptiondesravisseurs.Rien, endehorsdu chloroforme,des« voixmasculines» entenduespar lesdeuxvictimes,etdufaitquelegosseavaitdisparu.Lamèredel’enfantl’intriguait.Elleaffichaituncalmequ’ellen’éprouvaitpas,biensûr,s’ilsefiaitauxtremblementsdesesmains et à ses yeux emplis d’un effroimuet. Elle continuait à répondre auxquestionsavecunepolitesselaborieuse,d’unevoixblanche.L’espaced’uninstant,ilavaiteupeurqu’ellenesombredansladémence.Pourtant,malgrésaterreur,sescheveuxdéfaitsetsespiedsnus,elleavaitl’aird’uneimpératrice,distante,presquehautaine,etbelleàcouperlesouffle.—Ya-t-ilunepièceoùnouspourrionsdiscuterplus tranquillement ?demanda
Taylor, tout en jetant un regard vers les gendarmes qui poursuivaient lesrecherches.—Oui,biensûr.Elle le devança jusqu’à la bibliothèque, une vaste pièce aux lambris de bois
sombre,tapisséederayonnagescroulantsousleslivresrares,meubléedecanapésetdefauteuilsdecuirentourantunmassifbureaud’acajou,oùMalcolms’étaitassispasplustardquecematin.Lavuedudécorrappelaaupolicierqu’iln’avaitpasencorerencontrélemari.—Iln’estpaslà…IlestàWashington,ditMarielleenréponseàsesquestions.Je
luiaiparléilyaenvirondeuxheures…justeavantdemonteràlanursery.Ellen’arrivaitplusàprononcerlemot«enlèvement».—L’avez-vousappelé?—Non,jen’aipaseuletemps,murmura-t-elledoucement,latêtebaisséecomme
siellesesentaitfautive.Taylorlaregarda.Iléprouvaituneétrangeattiranceenverselle…ouétait-cede
lacuriosité?Ileutl’impressiondevenird’uneplanètedifférente.Iln’avaitjamaisrencontréunepersonnecommeelle.Sidistinguée, sipolie,etenmêmetempssi
humaine.IlavaitgrandiàQueens,auseind’unefamillepauvre.PendantlaGrandeGuerre,
ilavaitservidanslesmarines.Aprèsladémobilisation,ilavaitétérecrutéparleFBI.Voilàplusdevingtansqu’iltraquaitlecrimesoustoutessesformes–ilavaiteu quarante-deux ans quelques semaines plus tôt. – Il était marié, vouait uneprofonde affection à sa femme et à leurs deux enfants et, pourtant, il devaitadmettrequeMmePattersonavaitproduitsurluiuneffetsingulier.Elleavaitprisplacesurl’undesmoelleuxcanapésdecuiret,mêmeenchemisedenuit,elleavaitl’aird’unegrandedame.Une reineauvisaged’unepuretéabsolueet au regarddouloureux,quiluidonnaitenviedelaprendredanssesbraspourlaconsoler.— Madame Patterson, reprit-il en toussotant, s’efforçant de mobiliser son
attention,racontez-moiunenouvellefoiscequis’estpasséexactement.Elle s’exécuta. Il l’écouta en fermant les yeux de temps en temps, puis en les
rouvrant, à la recherchedequelque faille. Son flair légendaire lui permettait dedétecter lamoindrehésitation, leplus infimemensonge.Mais ilne trouva rienàredire.Levisagedesoninterlocutricedemeuraitpuretlisse.Ilnedécelariendanssontémoignage,àpartuneindicibleterreur.—N’ya-t-ilriend’autre?Undétailquevousauriezoublié,quelquechoseque
vous auriez vu ou entendu ce soir ou ces derniers jours, une observation quipourraitéclairciruntantsoitpeucemystère?Ellesecoualatête,commesiellerefusaitdepartagersestourmentspersonnels
avecunétranger.—Ya-t-ilquelquechosequevousaimeriezmeconfier?Jevousprometsdene
riendivulgueràmescollègues…pasmêmeàvotremari.Combiendefois,lorsd’autresenquêtes,n’avait-ilpasextorquéàdesfemmesle
nomdeleuramioudeleuramant!Aveccelle-ci,ilprenaitdesgants.C’étaitunepersonne digne, limpide, le genre de femme pour laquelle on n’hésiterait pas àmourir.—Ya-t-ilquelqu’undansvotrevie…dansvotrepassé,quipourraitchercheràse
venger?Unlongsilencesuivit,puis,denouveau,ellesecoualatête,lestraitsconvulsés
parunesouffrancesecrète.—Non…Dumoins,jel’espère.—Madame Patterson, réfléchissez. La vie de votre enfant pourrait dépendre
d’unetelleinformation.LecœurdeMariellesenoua.Jusqu’àquandallait-elleprotégerCharles?Était-celuilecoupable?Sepourrait-il…Avantqu’ellepuisseprononcerunmot,il
yeutuncoupdiscretcontrelebattant,puisO’Connorfitirruptiondanslapièce.—Lechauffeuretlafemmedechambreviennentd’arriver,annonça-t-il.L’enfant
n’estpasaveceux,John.—Oùsont-ils?s’enquitl’agentduFBI.
—Ausalon.Complètement ivresmorts.La filleporteunetoilettedu tonnerre.Unedesrobesdemadame, j’enmettraismamainaufeu,ajouta-t-il,en jetantunregardd’excuseendirectiondeMarielle.Celle-ci ne cilla pas.Quelle importance ? Seul son petit garçon comptait…Où
pouvait-ilbienêtre?Quileluiavaitpris?—Emmène-les à la cuisine et fais-leur boire une bonne quantité de café noir.
J’irailesvoirdèsqu’ilsaurontrecouvréleursesprits,ditJohnTaylor.LesergentsetournaversMarielle.—MadamePatterson,nousavonstéléphonéàvotremari.Ellenesuts’ilfallaitleremercieroupas.C’étaitellequiauraitdûapprendreà
Malcolm lamauvaise nouvelle, se dit-elle, écrasée par un immense sentiment defaute.—Qu’est-cequ’iladit?murmura-t-elle.—Ilaétébouleversé.O’Connor jeta un coup d’œil à John. Il omit de signaler queM. Patterson, qui
avaitéclatéensanglotsauboutdufil,n’avaitpasdemandéàparleràsonépouse.Lesergentavaittrouvécelaétrange,puiss’étaitditqu’aveclesgensdelahautesociété on ne savait jamais. Au cours de sa longue carrière, il avait déjà puobserverdesréactionsidentiques.—Iladitqu’ilseraitderetourdanslamatinée.—Merci.Lesergentsorti,l’agentduFBIreportatoutesonattentionsurlamaîtressede
maison.Ellene lui avait pas toutdit, il en fut soudain convaincu. Il décidade labousculerunpeu,aurisquededéclencherunecrisedenerfs.Il lasentaittenduemaisattentive.Ellelescrutait,elleaussi,insensibleàsoncharmeviril.—Onn’apastoujoursenvied’avouercertaineschoses,madamePatterson.Parfoismêmeonselescache.Or,danslecasprésent,ilestinutiledesouligner
l’importanced’unedissimulationdecegenre.Vouslesavezmieuxquenoustous.Ilquittalapiècesansluidonnerletempsderépondre,enpromettantderevenir
lorsqu’ilenauraitfiniavecPatricketÉdith.Mariellenebougeapas.Ellerestaassise,trèsdroite.Ilfallaitbienserendreà
l’évidence.Ellenepouvaitpaspassersoussilencel’existencedeCharles.Confusément,elleseditquel’hommequivenaitdesortirméritaitsaconfiance.PatricketÉdithétaientattablésàlacuisine.Lecaféqu’ilsavaientingurgitéavait
plusoumoinsdissipé lesvapeursde l’alcool. Ilspurentbrosseruntableauassezcohérentde leur soirée.O’Connornota scrupuleusement leurdépositionpendantqueTaylorlesinterrogeait.—C’étaitbienlapeinededonnermonsignalementparradio!ragealechauffeur.
Vousvoulezruinermaréputation,maparole!De sa réputation, O’Connor et Taylor se souciaient comme de leur dernière
chemise.L’agentduFBIsetournaversÉdith.Celle-ciavaitcroisélesjambes,l’airaguichant,très«sexy»danslatenuechicqu’elleavaitdérobée.C’étaitlemodèledechezGrèsqueMarielleavaitportél’avant-veillechezlesWhyte.ElleavaitpriéEdithdel’envoyeraunettoyage,maislafemmedechambrel’avait
d’abord«emprunté»,commeelleavaitl’habitudedelefaire.Auderniermoment,ellen’avaitpasoséenfilerlesomptueuxmanteaud’hermine.—Pourquoivousêtes-vousabsentée?voulutsavoirTaylor.Vousétiezsupposée
êtredegardecesoir.—Etalors? intervintPatrick.Quelleest ladifférence?Elleauraitété ficelée
comme un poulet à la place de cette pauvre Betty. Tout ça pour un salaire demisère!Ilétaitencoretropivrepoursecontenir.Édith,quiavaitrécupéréplusviteque
sonami,remuanerveusementsursachaise.—Euh…jen’auraispasdû,j’enconviens,maiscommentpouvais-jesavoir?—Oùavez-vouseucetterobe?—Elleestàmoi…C’estmasœurquil’afaite.Taylor s’assit en face d’elle, les sourcils levés, l’air de dire qu’il n’avait pas
l’intentiondegobercettehistoire.—UneconfrontationavecMmePattersonnousledira.La femmedechambre fonditen larmes,alorsque lechauffeurserebiffaitune
foisdeplus.—Oh,laferme,espècedegourde.Bon,tul’asprise,cettefichuerobe,labelle
affaire!Tuallaislarendrecommetuasrendulesautres,non?Bonsang,ondiraitquenoussommesauservicedelaVierge…explosa-t-il,enagitantundoigtfurieuxsouslenezdeTaylor.Méfiez-vousdecettesainte-nitouche,monvieux!Deuxfois,jel’aivueavecsonpetitcopain,cettesemaine.Lasecondefois,elleavaitemmenélegosseavecelle,alorscessezd’insinuerquec’estnousquiavonsmontélecoup.Demandez-lui plutôt qui était le lascar qu’elle a embrassé à l’église vendredidernieretavecquiellediscutaitauparc,enprésencedeTeddy.Riennefrémitsurlevisaged’O’Connor,dontlestylonoircissaitlebloc-notes.Taylorsecontentadefixerlechauffeursansunmot.Ilsavaitparexpérienceque
lesilencesuscitaittoujoursdesconfidencessupplémentaires.— Le gars avait l’air dingue ! reprit Patrick, après un bref instant. Il hurlait
commeunmalade,commes’illamenaçait,aprèsquoiilaessayédel’embrasser.LepauvreTeddyaeuune froussebleue…Ce typeest complètement cinglé, si vousvoulezmonavis.— Qu’est-ce qui vous autorise à dire qu’il est son « petit copain » ? s’enquit
Taylor.–Ilavaitadoptéuntonbadin,maissesyeuxrestaientdeglace.–L’avez-vousdéjàvuencompagniedeMmePatterson,avant?—Non,dit lechauffeur,aprèsréflexion.Seulementl’autrejouràlacathédrale
Saint-Patrick,ethieràCentralPark.Maisilsdevaientserencontrerensecret,ilsemblaitvraimentbienlaconnaître.Ellenesefaitpastoujoursconduireparmoi.—Prend-ellesouventseulelavoiture?—Detempsàautre…Pastrèssouvent,non.Ellenesortpasbeaucoup,àcause
desesmigraines,jecrois.Voilà un portrait intéressant, se dit John Taylor. Il avait deviné une force
extraordinaire,sousl’apparentefragilitédelajeunefemme.—L’avez-vousdéjàaperçueavecd’autreshommes?Patrick fitnonde la tête,àcontrecœur.Non ilne l’avaitvueavecpersonne,à
partcelui-là.—Etavecdesfemmes?Avez-vousvuMmePattersonavecd’autresfemmes?Unsilencepesantsuivit,briséseulementparlessanglotsd’Edith.Elleétaitsûre
qu’elleallaitperdresaplaceàcausedelarobevolée.Lefaitquelepetitgarçonqu’elleétaitcenséesurveilleraitdisparunesemblaitpasladérangeroutremesure.—Ehbien?répétaTaylor.Avez-vousvumadameavecuneautrefemme?—Non…jen’enaiaucunsouvenir…Pasquejesache,endehorsdessecrétaires
desonmari.Donc, il ne restait que la piste de cet amanthypothétique…Taylor n’y croyait
qu’à moitié. La moralité de Mme Patterson paraissait être au-dessus de toutsoupçon,maissait-onjamais?Ilallaitdevoirluiposerlaquestion.Ildétestacetteidée.Enseredressant,iljetaunderniercoupd’œilaucouplededomestiques.Joliepaire, songea-t-il. Son instinct l’avertissait, toutefois, qu’ils étaient incapables decombinerunepareillemiseenscène.Toutauplus,onavaitpu lessoudoyer,afinqu’ils laissent une porte ouverte quelque part, ce dont il doutait. D’après leurdéposition, ils s’étaient rendus à unbal dans une voiture de location. Ils avaientsimplementnégligéleursdevoirsvis-à-visdeleursemployeursetdel’enfant…Sansplus.Unechancepoureux,carilauraitététropcontentdelesépingler.IlintimaàO’Connordelesrelaxer,leurdemandaderesteràladispositiondela
police, après quoi il fit rapidement le bilan de la situation. Le fameux « petitcopain»deMarielleconstituaitleseulélémentnouveau.—Qu’est-cequetudisdeça?s’enquitlesergentàmi-voix.—Ils’agitprobablementd’unecalomnie,maisjevaisvérifier.—Ellen’apourtantpasmauvaisgenre,marmonnaO’Connor.L’amantaurait-ilprislegosse?C’étaitunepossibilité,biensûr,siMmePatterson
avait une liaison extraconjugale. On ne sait jamais, songea le sergent. On setrompaitsisouventsurlesfemmes…—Non,ellen’apasmauvaisgenre,convintTaylord’unevoixmaussade.Il fallait absolument qu’il l’interroge, avant le retour du mari. Il regagna la
bibliothèque. Elle était toujours là, immobile. Ses mains tremblaient plus quejamais.Lechauffagemarchaitàfondmaiselleavaitl’airtransiedefroid.
—Désirez-vousunetassedethé?—Non,merci,murmura-t-elle. Est-ce qu’ils ont dit quelque chose ?… Pensez-
vousqu’ilsontpul’emmeneraveceuxetlelaisserquelquepartavantderevenir?La lueur d’espoir qui, un instant, avait éclairé les prunelles saphir s’éteignit
quandellelevitsecouerlatête.—Ilsneseraientpasrevenuss’ilsavaientenlevél’enfant.Non,jecroisqu’ilsont
simplementfaitlafête.—Ilsn’ontpasbeaucoupdesympathiepourmoi,voussavez.Dureste,aucundesdomestiquesnelaportaitdanssoncœur,pensa-t-elle,sans
oserleformuler.IlstenaientMalcolmpourleurseulemployeuretnesegênaientpaspourleluifairesentirpartouslesmoyens.Sousdesapparenceslissesetpaisibles,sonunionavecMalcolmneluiavaitpas
apportélebonheur.Voilàdesannéesqu’ellepassaitdesnuitssolitaires.Pourtant,elleluiétaitrestéefidèleets’étaitconsacréecorpsetâmeàTeddy…Maisdecela,personnenesemblaittenircompte,pasmêmeMalcolm.—Qu’est-cequivousfaitpenserqu’ilsnevousaimentpas?demandaTaylor,sans
laquitterdesyeux.IlavaitvulahainedansleregarddePatricketdansceluid’Edith,quandilavait
étéquestiondesrobesqu’elleempruntait.—Ilssontjaloux,jecrois.Laplupartd’entreeuxétaientlàavantnotremariage.
Àleursyeux,jesuisuneintruse.Ilss’entendaientbienavecmonmari.Maprésencea dû déranger leurs habitudes. Je suis une sorte de migraine pour eux, et ilsn’aimentpasça.Paruneétrangeassociationd’idées,ilserappelasesmigrainesàelle.D’aprèsle
témoignageduchauffeur,ellenedevaitpasêtreheureuseenménage.—Vousavezsansdouteraison.Ehbien,avez-vousréfléchiàlaquestionque je
vousaiposéeavantdequitterlapièce?—Oui,maisjen’airienremarquéd’inhabituel.ElleavaitscrupuleàdénoncerCharles.Celanepouvaitpasêtrelui.Iln’aurait
pascommisunacteaussiignoble,malgrésesmenaces.—Enêtes-voussûre?Deux policiers en uniforme entrebâillèrent la porte. Taylor en profita pour
demanderdu thépourelleetune tassedecafépour lui. Il était troisheuresdumatin,ilavaitbesoind’unremontant.—Est-cequ’ilsonteudesnouvelles?fit-elle,enrefoulantseslarmes.Ilfitsignequenon.Marielleinclinalatête.Ellen’arrivaitpasàcroirequeTeddy
ne se trouvait plus dans sa chambre. L’espace d’une seconde, elle eut envie demontermaisellenebougeapas.Aufonddesoncœur,ellesavaitqu’iln’yétaitpas.Taylorselevapourrefermerlebattantquelespoliciersavaientlaisséentrouvert.
— Madame Patterson, dit-il lentement en reprenant sa place, je vais vousrapporterlesproposdevotrechauffeur.Jevoudraisendiscuteravecvous.Si lesjournalistesavaientventdecesallégations,ilsnemanqueraientpasdelesmonterenépingle.Ellesutcequ’ilallaitluidévoileretenéprouvaunsinguliersoulagement.—D’aprèsPatrickReilly,vousauriezunpetitami.L’ombred’unsouriretremblotasurleslèvrespâlesdelajeunefemme.—Voilàuntermeintéressant.—Est-ceexact?Ellesoutintsonregard.—Non,répondit-elledansunsoupir.Cen’estpasexact.–C’étaitpresquedrôle
deconsidérerCharles commeun«petit ami». – Il s’agitdemonex-mari. Jenel’avaispasvudepuispresqueseptans,jusqu’àilyadeuxjours.NousnoussommesrencontrésàlacathédraleSaint-Patrick.—Unerencontrepréméditée?Uneombrepassadansleregardbleusaphir.—Non.Unepurecoïncidence.IlavécudenombreusesannéesenEspagneoùil
s’estbattucontreFranco.Taylors’accordaunegorgéedecafé.—Ah…jevois…Uncommuniste?Ilfallaitqu’iltirecettehistoireauclair,avantleretourdePatterson.Saquestion
fit sourireMarielle. Encore un terme curieux en ce qui concernaitCharles. Sonsourires’effaçaaussitôt.MaintenantqueTeddyn’étaitpluslà,rienneseraitplusdrôle…Niamusant…Riennevalaitlapeinequ’ellerestâtenvie.—Non…non… il est apolitique.Une sorte de poète doublé d’un idéaliste.Un
rêveur. Ilparticipeàdescoursesde taureauxàPampeluneet seveutprochedeHemingway, c’est un défenseur des causes perdues… En fait, je n’en sais rien.Notreséparationremonteà1929…Jenel’aiplusrevudepuis1932,dateàlaquellejesuisretournéeauxÉtats-Unisoùj’aiépouséMalcolm.—Alorspourquoimaintenant?Pourquoiest-ilrentréluiaussi,toutàcoup?—Desobligationsfamiliales.Sonpèreestvieuxetmalade.Mourantpeut-être.—Est-cequ’ilvousaappeléeenarrivant?Ouécrit?—Non.—Vousa-t-ilsuivie?Était-ilfâchédevoussavoirremariée?—J’ignores’ilm’asuivie,soupira-t-elle,enleregardantdroitdanslesyeux.Jene
croispas. Il nem’apas téléphoné.Mais, oui, il a été furieuxd’apprendreque jem’étaisremariée…SurtoutquandilasupourTeddy…Vendredi,jeneluiairienditàproposdeTeddy,ethier,quandill’avu…—Hier?
—Oui.ÀCentralPark.Noussommesallésaulacoùl’onfaitducanotage,maisc’étaitgelé.—Vousétiez-vousdonnérendez-vous?—Oh,non!Cefutencoreunecoïncidence.Ilhabiteprèsduparc,auniveaudu
lac.—Vousespériezdonclerencontrerlà-bas?—Non.Absolumentpas.—Songiez-vousàlui,cestemps-ci?Elle fit lentement oui de la tête. En effet, depuis qu’elle l’avait revu à Saint-
Patrick,ellen’avaitpluspenséqu’àlui.— Deux rencontres fortuites en l’espace de deux jours, après sept ans de
séparation, sont plutôt difficiles à croire, vous ne croyez pas ? Est-ce qu’il necherchaitpasdélibérémentàvousrevoir,plutôt?—Peut-être.Elles’étaitposélesmêmesquestions.—Voulait-ilobtenirquelquechosedevous,madamePatterson?Elleparutsetroublerunpeusousleregardd’acierquilasondait.—Oui.Ilvoulaitmerevoir.—Pourquoi?— Je n’en suis pas sûre. Sans doute pour discuter de choses qui n’ont plus
d’importance.C’estfinimaintenant.JesuislafemmedeMalcolmdepuissixans.Savoixsebrisa,alorsqu’unepeineintenseluiravageaitlevisage.Lesouvenirde
Teddybalayatoutlereste.—Quandvousêtes-vousmariéepourlapremièrefois?—En1926.J’avaisdix-huitans…Monmarin’estpasaucourant, inspecteur.Il
pensequej’aieuunflirtenEurope.Monpèreestàl’originedecettehistoire.Ilaraconté à ses relations que j’avais euunepetite aventure avec un jeunehommeinconvenant.Mesparentssavaient,biensûr,quej’aiétémariéependantcinqans.J’aiessayédeledireàMalcolm,lorsqu’ilademandémamain,maisiln’arienvouluentendre… Alors je me suis tue. Il n’a jamais su que j’ai vécu en France avecCharles,niquenousavonsété…–sesyeuxsefirentlointains–…trèsheureux.—Qu’est-cequin’apasmarché?demanda-t-ild’unevoixenrouée,ens’efforçant
defaireabstractiondelabeautédesoninterlocutrice.—Uncertainnombredechoses…fit-elle,évasive.Unechoseavaitàjamaisbriséleurrêve.Uneseule.Parunaffreuxaprès-midiquis’étaitgravéauferrougedansleurmémoire.—Lesquelles?MadamePatterson,pourl’amourduciel,ilfautquejesachece
quis’estpassé.IlyvadelaviedeTeddy.
Lenomde sonenfant la fit sursauter.Des larmes jaillirent toutà coupde sesyeux.—Jenepeuxpasenparler.Jen’aijamaisrienditàpersonne.Saufàsonmédecin,àlaclinique.—Illefaut.—Jenepeuxpas.Elle s’était levée et regardait par la fenêtre. L’obscurité collait aux vitres. Et
quelquepart,danslenoir,ilyavaitTeddy.Elleseretournaversl’inspecteur.—Désolé,murmura-t-il,jedétestel’idéedevousbrusquer.Il n’avait jamais eu de tels égards pour personne. Or, quelque chose l’attirait
irrésistiblementchezcettefemme.Sapureté,unesortedegentillesse,etenmêmetempsunefragilitéquiluifaisaitpeur.— Marielle, dit-il, utilisant son prénom délibérément, afin de la mettre en
confiance.Vousdevezmeledire.—Monmarin’estpasaucourant…Si…s’ilavaitsu…Iln’yauraitpaseuTeddy.
Peut-êtremêmepasdemariage.—Jevousenprie,dites-le,Marielle.—Etaprès?Vousalleztoutraconteràlapresse?—Non.Jevousendonnemaparole.Cequevousmeconfiereznesortirapasde
cettepièce,saufpourlesbesoinsdel’enquête.Celavousconvient-il?Elleacquiesçadelatête,leregarddenouveauperduverslafenêtre.—Nousavonseuunfils,Charlesetmoi…Unpetitgarçonquenousavonsappelé
André…commença-t-elle,lagorgenouée.Ilestnéonzemoisaprèsquenousnoussommesmariés.Ilavaitdescheveuxbruns,degrandsyeuxbleus.C’étaitunpetitange,unchérubinquenousaimionsdetoutenotreâme.Nousl’emmenionspartoutavecnous.Elle se tourna pour fixer l’inspecteur, soudain prête à rejeter le fardeau qui
pesaitsilourdementsursesépaules.—Charlesl’adorait.Etmoiaussi.Etuneannée,noussommesalléspasserNoël
en Suisse. André avait deux ans et nous nous sommes amusés comme des fous.Nousavonsmêmefabriquéunbonhommedeneige.Des larmes se mirent à couler sur ses joues, mais il se garda bien de
l’interrompre.— Un après-midi, Charles a décidé d’aller faire du ski. J’ai préféré rester à
Genève. J’ai emmenéAndré sepromenerauborddu lac…L’eauétait gelée. Il yavaittoutungroupedefemmesavecleursenfants.Nousavonsfaitconnaissance,puis…Lesmotsfranchissaientlaborieusementseslèvresdecire.Elleparaissaitàbout
deforcesmaisellepoursuivit:
—Lesgaminsontcommencéàjouer.Jemesuismiseàbavarderavecl’unedesmamans…Voussavezcommentsontlesfemmes!Ellesadorentévoquerlesbêtisesde leurs cherspetitsdiables…Etpendantquenousparlions…pendantquenousparlions…Elleportaunemaintremblanteàsesyeux,sesjambessedérobèrent.Johntendit
machinalementlebrasetelles’yaccrocha,lesoufflecourt.—…Pendantquenousparlions,Andrés’estélancésurlamincecouchedeglace,
àlasuitededeuxgaminesdesonâge…soudain,ilyaeuceterrible…cetaffreux…Johnluipressaitlesmains,l’incitantàcontinuer.—…craquement,reprit-elle,àpeineconscientedelaprésencede l’inspecteur.
La glace s’est fendue. Trois des enfants sont tombés à l’eau. André était parmieux…Jemesuisprécipitée,aveclesautresfemmes.Alentour,desgenscriaientausecours…Jefuslapremièreàatteindreletrou…J’aitirélesdeuxpetitesfillesàl’extérieur… J’ai pu les attraper, comprenez-vous, oui, j’ai pu les sortir de l’eau,maispaslui…non…paslui…J’aiplongé,affolée,maisilavaitglissésouslaglace…etpuisjel’aitrouvé.Sous l’effetd’uneviolentedouleur, sa voix s’était brisée.Ellene se renditpas
comptequ’unelarmeavaitroulésurlajouemincedeTaylor.—Ilétaittoutbleu,sipetitdansmesbras,siglacéetimmobile.J’aitoutessayé…
pourlefairerespirer…pourleréchauffer.Uneambulanceestarrivée,desgensenblancl’ontemmenéàl’hôpitalmais…Elleregardal’inspecteur,égarée,versantdenouvelleslarmessurlepetitgarçon
mortsouslaglaceàGenève.—…ilsn’ontpaspulesauver.Ilsm’ontditqu’ilétaitmortdansmesbras,quand
je l’avaisretirédu lac,que,déjà, ilnerespiraitplus,maisqu’ensavaient-ils?Etquelleimportance?C’étaitmafaute.J’auraisdûlesurveilleretjenel’aipasfait.Jebavardais…Jeriais…ilasuffid’uninstantd’inattention.Jel’aitué,enfait.—EtCharles?Lefinvisagesecrispa.—Ilm’enavoulu,naturellement…Ilsm’ontgardéeàl’hôpital.Detoutefaçon,je
nevoulaispaspartir.Jevoulaisresterlà,avecAndré.Jeletenaisdansmesbrasetleserrais très fort,commesi j’allais lui insufflerunenouvellevie…Envain,biensûr…envain…—CommentaréagiCharlesquandilestallévousrejoindreàl’hôpital?Ilavaitposélaquestiond’unevoixdouce,etelleleregardasansvraimentlevoir.— Ilm’a frappée… Ilm’a donné plusieurs coups…Lesmédecins ont dit que…
quandj’avaisplongédansl’eauglacée…oh,celan’aplusd’importance.—Qu’est-cequ’ilvousafait,Marielle?—Ilm’afrappée,jevousl’aidit,endisantquej’avaistuéAndré.Jen’aieuquece
quejeméritaiset…et…
Elles’interrompit,avecunsanglotsuivid’ungémissementd’animalblessé,unedrôledeplaintequin’avaitriend’humain,avantdereprendre:—…etj’aiperdumonbébé.Illaconsidéra,puissoudain,ilcomprit.Sansréfléchir,ill’attiradanssesbras.—MonDieu…Vousétiezenceinte…—Decinqmois.Unepetitefille.Morte,elleaussi,lemêmejourqu’André.Elle pleura longuement, amèrement, tandis que John Taylor la berçait
doucement.—Jesuisdésoléd’avoirréveillétouscesaffreuxsouvenirs,murmura-t-il.Jevous
demandepardon.Marielleessuyaseslarmes.L’espaced’uninstant,elles’étaitsentiepluslégère.
L’instantsuivantlaramenaàlatristeréalité,plushideusequetouteslesimagesdupassé. Teddy avait disparu. Et cet homme, cet étranger auquel elle s’était ainsiconfiée,étaitJohnTaylor,l’agentduFBIchargéderetrouversonfils.— J’ai eu une dépression nerveuse, continua-t-elle péniblement, et quant à
Charles,ilétaitcommefoudedouleur.Silesinfirmiersn’étaientpasintervenus,ilm’aurait tuée. J’ai su qu’il s’était évanoui aux obsèques… Je ne sais pas, lesmédecins nem’ont pas laissée y aller. Je suis restée dans une clinique privée àVillarspendantplusdedeuxans.Charlesaréglétouslesfrais,maisjenel’aijamaisvu.Finalement,ilaétéautoriséàmerendrevisite.Ilm’ademandédereprendrelavie commune. J’ai refusé… C’était plus fort que moi. Nous savions tous deuxqu’Andréétaitmortparmafauteetquej’avaisperdulebébéensautantdansl’eauglacée.—Quefallait-ilfaire?Laisservotrefilssenoyersansbougerlepetitdoigt?—Oui,jesais.Maisc’estduràadmettre.Ilm’afalludeuxanspourréaliser la
mortd’André.Etencoresixpourapprendreàvivreavecça.–Elleseremitsoudainàpleurer.–QuandTeddyestné,j’aipenséqueDieum’avaitpardonné.Pendantmagrossesse,j’aiconstammentvécudansl’appréhensiond’unenouvellepunition.—Vousavezsuffisammentpayé,vousnecroyezpas?Vousn’avezcommisaucun
crime.—Jemelesuislongtempsdemandé.Illuiversaundoigtdecognacdanssatassedethé,puisseservitunerasade.—Etlarencontreàl’église?fit-ilnégligemment.Maisilavaitdevinélasuite.—C’était ladateanniversairede lamortd’André.Jevaistoujoursallumerdes
ciergesàsamémoireetàlamémoiredemesparents.Toutàcoup,Charlesasurgidevantmoi,commeuneapparition.Taylorlaregarda,subjuguéparlaforced’âmequ’elledissimulaitsoussesairsde
poupéefragile.— Êtes-vous encore amoureuse de lui ? demanda-t-il avec une curiosité qui
dépassaitl’intérêtprofessionnel.—Jesupposequ’unepartiedemoileseratoujours,dit-elle,avecfranchise.Par
ailleurs,cechapitredemavieestdéfinitivementclos.Taylorsentittoutsonêtresehérisserenrepensantauxvulgairesaccusationsdu
chauffeur.—Quevoulait-il?Quevousretourniezauprèsdelui?— Je ne sais pas. À Saint-Patrick, il paraissait bouleversé et, d’une certaine
manière,jel’étaiségalement.Iln’avaitpascesséderépéterqueparmafaute,monimpardonnablenégligence,notrefilsétaitmort.Quejel’avaisassassiné…Lepire,c’estquej’aicrulamêmechosependantlongtemps.J’aiétésurprisequandiladitqu’ilm’avaittoutpardonné.—A-t-ilditlavérité,àvotreavis?Ellehaussalesépaules.— Je l’ai pensé un instant, après notre entretien à l’église, vendredi. Je lui ai
apprismonremariage.Ilaeul’airstupéfait,contrariémême,maisill’aaccepté.Etlelendemain,quandjel’airevuauparc,ilaeuunaccèsdecolèreàcausedeTeddy.Ilétaitfurieux,parcequej’avaisunenfantetpaslui.«Tuneleméritespas!»a-t-ilhurlé,etj’aieupeur…Aprèsquoi,ilamenacédeprendrel’enfant,afindem’obligeràlesuivre.John Taylor avala sa salive. Il avait obtenu ce qu’il voulait. Le récit de
MmePattersondésignaitledénomméCharlescommelecoupableidéal.Ilnerestaitplusqu’àledénicher.S’ilavaitenlevélegosse,cequiétaitfortprobable,ilseraitécrouéetonn’enparleraitplus.L’agentduFBIétaitloindepartagerl’indulgencede Marielle vis-à-vis de Charles. Ce salaud l’avait battue alors qu’elle étaitenceinte. Au lieu de la consoler, il n’avait pas trouvémieux que de l’accuser demeurtre. Il l’avait abandonnée deux ans durant entre les murs d’un hôpitalpsychiatrique,avec le fardeaudesaculpabilité,puis ilavaitresurgicommesiderien n’était, sûr de la récupérer. S’il ne tenait qu’à John Taylor, il l’aurait laissépourriraucachotjusqu’àlafindesesjours.—Lecroyez-vouscapabledemettresesmenacesàexécution?—Jen’ensuispassûre.Jen’arrivepasàl’imaginerfaisantdumalàquiconque,
encoremoinsàunenfant.J’ignores’ilesttoujoursfurieuxaprèsmoi,c’estpourquoijenevousairienditaudébut.La pendule sur la cheminée indiquait six heures du matin. John nota
soigneusement le nom et l’adresse du suspect. Il allait avoir une discrèteconversation avec lui dans une couple d’heures. Si Charles Delauney était enmesuredeprésenterunalibisatisfaisant,l’enquêterepartiraitàzéro.Taylorrêvaitsecrètement de lui mettre la main au collet. Delauney constituait la seule pistevalable. Il avaitproférédesmenaceset avaitun solidemotifpsychologique sansoublier soncomportementdémentiel.Restait à savoir s’il avait enlevéTeddyparpurespritdevengeanceoudanslebutd’attirerMarielleverslui.L’agentduFBIs’engagea à ne souffler mot de l’histoire à la presse, pas plus qu’à Malcolm
Patterson,avantd’avoirinterrogéCharlesDelauney,etMarielleluiensutgré.Ilétaitpresqueseptheuresdumatinquandilssortirentdelabibliothèque.Imperceptiblement,lanuitpâlissait.Elleleraccompagnajusqu’àlaporteet,dans
lehall,ilsparlèrentencoreunlongmoment.TaylorsejuraderetrouverTeddy.Neserait-cequeparcequecettefemmeméritaitlebonheur.SonunionavecPattersonnel’avaitpascomblée,sedit-il.Ellen’avaitqueTeddyaumonde.EtTeddyn’étaitplus là.Tayloravaitsenticombienelle tenaitàsonenfant,combienelle l’aimait.Marielleluifîtl’effetd’unêtreaffreusementseul.Personnenepouvaitl’aider.Saufpeut-êtrelui,JohnTaylor,agentduFBI.Il avait dumal à comprendre comment le petit garçon avait pu disparaître en
pleinenuit, sansune trace, sansunbruit. Ilavaitétéenlevédeson lit,danssonpyjamarougecerise,et…ils’étaitlittéralementvolatilisé.
Chapitre5Après son long entretien avec John Taylor, Marielle se mit à errer dans
l’interminable enfilade des pièces comme un fantôme. Elle se rendit dans sesappartements,d’oùelleressortitpresqueaussitôt,folled’angoisse,croyantquelesmurs allaient se refermer sur elle, que l’air devenait irrespirable. Sans mêmesavoir comment, elle se retrouva dans la chambre de Teddy, le seul coin de lamaisonoùellepouvaitencoredécelersaprésence,sachaleur,ledouxparfumdesescheveux…C’étaitimpossibleàcomprendre.Inconcevable.Quiavaitcommisceméfait?Pourquoi?Larondeinfernaledesquestions,toujourslesmêmes,l’assaillit.Une première supposition vint à son esprit : était-ce pour de l’argent ? Lesravisseurs ne tarderaient pas à faire valoir leurs exigences. Une demande derançon pouvait arriver d’un moment à l’autre. Les experts avaient truffé lademeure de postes téléphoniques supplémentaires. La police avait demandé auxéditions dumatin de prévoir un emplacement en vue d’un éventuelmessage desravisseurs. La panoplie habituelle pour ce genre de délit avait été déployée. Ausalon,deshommesduFBImontaientlagarde,enattendantMalcolm.Mariellesesentitinutile,soudain.Ellenepouvaitplusrien,àpartprierpourson
fils.Elles’agenouillaprèsdupetitlitvide,latêteinclinée,tentantdeseremémorerla texture soyeuse de la peau de Teddy, la douceur de sa joue qu’elle avaitembrasséequelquesheuresplustôt,quandellel’avaitmisaulit,danssonpyjamacerise, orné d’un col brodé bleu pâle. L’infernale farandole des questions repritpossessiondesonesprit.Oùétaitsonbébé?Avait-ilfroid?Peur?Avait-ilmangé?Était-ongentilaveclui?Denouveau,l’airluimanqua.Ellesemitàsuffoquer.Un bruit de pas la fit se retourner.Miss Griffin entra dans la pièce, les yeux
rouges. Pour la première fois depuis des années, elle jeta un regard amène àMarielle.— Je… euh… bredouillèrent ses lèvres livides. – L’innommable angoisse de la
maîtressedemaisonn’étaitqu’unmiroirquireflétaitsespropressentiments.–Jesuisdésolée.J’auraisdûêtrelà…J’auraisdûentendre…J’auraisdûlesempêcherdeperpétrerce…ce…Ellefonditenlarmes.— Vous ne pouviez pas savoir. Et d’après ce que j’ai compris, ils étaient
nombreux…munisdecordes,dechloroforme,peut-êtredepistolets,bienéquipéspourcequ’ilsétaientvenusfaire.Ilnefautpasjeterleblâmesurvous,missGriffin.Elleserelevalentement,avecunedignitéetunegentillesseextraordinaires.Sansunmotdeplus, elleentouramissGriffinde sesbras.Lanurseeneut le
soufflecoupé.Àsesmesquineriespassées,Mariellerépondaitparungested’unegénérositéabsolue.MissGriffinsemitàpleurer,tandisqueMariellelaberçaittoutdoucement.Ellesrestèrentenlacéesunbonmoment,àsangloter,chacunetirantsa
forcede l’autre.Enfin,Marielle la laissa et redescendit.Une agitation fiévreuserégnait au rez-de-chaussée. Des éclats de voix parvenaient de l’extérieur où unessaimdereportersessayaitdeforcerlebarragedepolice.—Ilestlà,ditl’undespoliciers.Laportes’entrouvrit,livrantpassageàl’arrivant.Malcolm.Ensepenchantpar-
dessus la rampe d’escalier, Marielle le vit qui traversait le vestibule, longuesilhouettearistocratiqueetfunèbre,danssonpardessusnoir,avecsesgantsetsonchapeau.Ilcommençaàmonterl’escalier.Lesdeuxépouxserencontrèrentàmi-chemin,luidanssoncostumedevoyage,ellepiedsnus,enchemisedenuitlégère.Ilouvritsesbraset,pendantunlongmoment,latintenlacée.Finalement,il l’attirasurlepalier.—Commentunechosepareillea-t-ellepuseproduire,Marielle?dit-il,sitôtqu’ils
furent dans la chambre de la jeune femme. Comment des étrangers ont-ils pus’introduirechezmoietsefrayeruncheminjusquelà-haut?OùétaitHaverford?Lesfemmesdechambre?MissGriffin?Sous le regard empreint de reproches, Marielle frissonna, terrassée par
l’immensité de sa faute. Malcolm se sentait très certainement trahi et il avaitraison. Ses yeux emplis de peine, son visage blême, son air hagard, tout en luil’accusait. Elle n’avait pas d’excuse, était incapable de fournir la moindreexplication.Elleneputquebalbutier:—Jenesaispas…Jenecomprendspas…J’aientenduunbruitpendantquenous
nous parlions au téléphone… J’ai pensé que c’était les domestiques… Je n’ai pasimaginé,sur lemoment,quequelqu’uns’était introduit…Jeveuxdire…J’ignoraismêmequ’Edithétaitsortie…La robe lui avait été rendue, tachée de rouge à lèvres, tout imprégnée d’une
odeur infecte de tabac froid et de whisky bon marché, mais elle s’en moquaitéperdument.Ellenepensaitqu’àsonbébé.—J’auraismieuxfaitd’engagerdesgardesducorps,murmuraMalcolm,accablé.
Prendre au sérieux tes craintes à propos du cas Lindbergh au lieu de te traitergentiment de folle. Qui aurait pu deviner que tes pressentiments se seraientavérés?Illaregarda,commeunhommebrisé,privésoudaindetouteespérance.Ilavait
soudainementvieilli, remarqua-t-elle, lecœurserré.Parsanégligence,elleavaitdétruitlaviedeMalcolm…cen’étaitpourtantpassafaute…oul’était-ce?Danssaconfusion, elle se revit, des années en arrière, se posant exactement lesmêmesquestions.Àquilafaute?Andrés’était-ilnoyéparcequ’ilavaitvoulucourirsurlaglace?Parcequesamèreavaitété incapablede lesecourirà temps?Pourquoiavait-ellepusauverlesdeuxpetitesfillesinconnuesetpassonpropreenfant?Etpourquoilebébéqu’elleportaitétait-ilmort?Parcequ’elleavaitplongédansl’eauglacée ou parce que Charles l’avait frappée ? Et maintenant Teddy… Teddy…disparu par sa faute à elle, ou par la faute de quelqu’un d’autre. Elle passa lesdoigtsdanssescheveuxdéfaits,l’airhalluciné.
—Vat’habiller,suggéraMalcolmenselaissanttombersurunfauteuil.Ilyadespolicierspartoutetlesjournalistesfontlesiègedenotreporte…D’aprèslapolice,iln’yapasencoreeudedemandederançon.J’aiappelémonbanquier,afinqu’ilréunisseunesommeimportanteenbilletsusagés,desortequenouspuissionspayertoutdesuite,dèsquenousauronsreçuuncoupdefilouunelettre.Marielle le regarda, rassérénée. Avec Malcolm à la maison, les choses
avanceraient plus vite. Il prendrait tout en charge, forcerait les ravisseurs àramenerTeddy.Sapropretrahisonneluiapparutqueplusécrasante.Malcolm,lui,nel’avaitjamaistrahie.Nel’avaitjamaislaissétomber.Jamais.Pasunefoisaucoursdeleurmariage.Alorsqu’elle…—Jesuisdésolée,Malcolm…Désolée…Ilhochalatêtesansunmot.Ilauraitpuluirépondre:«tun’yespourrien,ma
chérie»maisilnelefitpas.Donc,illarendaitresponsabledudrame.Illuienvoulaitdenepasavoirsurveillé
suffisamment Teddy. Dès lors, la phrase consolatrice qu’elle s’apprêtait àmurmurer, perdit tout son sens. Elle resta plantée là, à le regarder, muette etimpuissante.L’étaudelamigraineluiserraitlestempes.—Tuessipâle,Marielle.As-tumalàlatête?—Non,non,mentit-elle.–Ellenemontreraitpassafaiblesse,savulnérabilité,sa
frayeur.ElleallaitsemontrerfortepourMalcolm,pourl’enfant,pourtous.–Jevaisbien,ajouta-t-elleencombattantunevaguedenausée.Jevaism’habiller.—Pendantcetemps,jevaisavoirunediscussionavecleshommesduFBI.ÀWashington,ilavaitappelésesrelationsàlarescousseetonluiavaitpromisde
saisirleministère.Ilavaitobtenuuneescortedemotards,afinderegagnerNewYorkaussivitequesaFranklinTwelveleluipermettait.L’ambassadeurallemandl’avaitassurédetoutesasympathie.—Ilsonttousététrèsgentils,ditMarielled’unevoixétranglée,ensedemandant
comment l’agent Taylor s’y prendrait pour annoncer à Malcolm l’existence deCharles.Elleétaitprêteàtoutsubir,toutendurer,toutavouer,àconditionderetrouver
Teddy.Taylor luiavaitpromisdegarder sonsecret,àmoinsqu’ilpuisse serviràl’enquête,etelleluiavaitdonnéimmédiatementsonaccord.Elleauraitsacrifiésonbien-être,sonmariage,saviemêmepoursauverTeddy.—…pasvoulu teblâmer,Marielle,disaitMalcolm. Jesaisquecen’estpas ta
faute.Seulement,jen’arrivepasàcomprendrecommentc’estarrivé.Ilarborait, commeunmasquemortuaire, l’expressioneffaréedesgensquiont
toutperduenuninstant.—Moinonplus,murmura-t-ellesimplement.Ellegagnaledressing-room,passaunerobedecachemiregrisperle,desbasde
soiefumée.Ellesebrossalescheveux,selavalevisageàgrandeeau,enfilades
chaussuresencrocodilenoires.Comme une somnambule,Marielle descendit à la cuisine, afin d’organiser une
collationpourlespoliciers.Haverfordyavaitpourvu.Sandwichs,biscuits,ettassesdecaféfumants’alignaientsurdesplateaux.Danslasalleàmanger,unbuffetavaitété dressé, mais on y avait à peine touché. Les gendarmes et les fédérauxs’activaientunpeupartout.—Que puis-je faire ? demanda-t-elle au sergent qui avait remplacé O’Connor,
partisereposerchezlui.L’équipedejouravaitprislaplacedel’équipedenuit.Desinconnusrépandaient
une fine poudre blanche sur lesmeubles, à la recherche d’empreintes digitales.D’autres,postésderrièrelescombinéstéléphoniques,guettaientunéventuelcoupde fil des ravisseurs. Elle réalisa soudain qu’elle n’avait pas pris uneminute derepos.Àtraverslaporteentrebâilléedelabibliothèque,elleaperçutMalcolm,engrandeconversationavecdeuxpoliciersencivil.Elles’éloigna,commepoursuivie,avecl’impressiondésagréablequ’ilsparlaientd’elle.Leregardinquisiteurqu’ilsluiavaientlancéneluiavaitpaséchappé…Ilsdevaient,euxaussi,penserqueTeddyavait disparu par sa faute…Que lui reprochaient-ils ? D’avoir revu Charles parhasard?Enavaient-ilsparléàMalcolm?Marielleseremitàerrersansbut…Lecouloirauxboiseriessombres…Legrand
vestibuledevantl’entrée.Soudain,lesremousd’unebousculade.Deséclatsdevoix.La porte sculptée s’était entrouverte pour livrer passage à une douzained’inconnus,caméraaupoing,quelesgendarmess’efforçaientenvainderefouler.Une petite femme rousse se détacha du lot. Étrangement vêtue, coiffée d’unridiculebibinoir,elleseruaversMarielle,commesiellel’avaitreconnue.—Commentvoussentez-vous,madamePatterson?Avez-vouseudesnouvelles
devotrepetitTeddy?Avez-vouspeur?Craignez-vouspoursavie?De toutes parts, des appareils photo crépitaient. Les lueurs crues des flashes
l’éblouirent,etquandellevoulutbattreenretraite,elleperditpresquel’équilibre.Unepoignedeferlasoutintparlebras,tandisqu’unevoixpuissantevociférait:—Sortezcettefemmed’ici!Laroussefutrepousséeversl’entrée,toutcommelesautresreporters,laporte
serefermaetiln’yeutplusqu’unlointainbrouhahadevoix,étoufféparl’épaisseurduboisouvragé.JohnTaylorlapilotaendirectiond’unfauteuilsurlequelelles’effondra.—Les journalistesmontaient lagardesurvotreperron. Ilsontprofitédemon
arrivéepour se frayerunpassage.Laprochaine fois jepasseraipar laportedeservice.Ilavaitlestraitstirésetl’observaitavecinquiétude.—Vousavezl’airépuisée.Ellel’était.Lamigraine,lacolèrerentréedeMalcolm,l’attenteconstanted’une
mauvaisenouvelle l’avaient vidéede ses forces. «Craignez-vouspour sa vie ? »
avaitcriélafemmeauxcheveuxrouges…Oh,non.Était-ilmort?L’avait-ontué?Oui,biensûr,qu’elleavaitpeur!Unepeuratroce.Sonregard,
désespéré,accrochaceluideJohnTaylor.—Jesuisdésolée.— Pourquoi ? Parce que vous êtes humaine ? Ces colporteurs de ragots me
rendentmalade.Il baissa la voix sans la quitter des yeux. Il venait d’avoir un entretien avec
CharlesDelauney.—Puis-jevousparlerentêteàtête?Danslabibliothèque?—Monmariyestdéjà,ainsiquedeuxdevoshommes.Venez.Elleleconduisitdansunpetitsalondemusiquedanslequelellen’allaitpresque
jamais.C’étaitunepiècesombrequicroulaitsousdevieuxlivresetdesdossiers,etque parfois Brigitte utilisait comme bureau. Une table de travail surchargée debrochures faisait face à deux fauteuils et un petit canapé. Taylor s’installa,reportantimmédiatementtoutesonattentionsurMarielle.Illaconnaissaitdepuisla veille et, déjà, elle occupait une place capitale dans sa vie. Il n’avait jamaisrencontréquelqu’und’aussiélégant,d’aussitendreetdigneenmêmetemps.Elleévoquaitunedeceshéroïnesderomanquin’existentpasdanslavieréelle,sedit-il,frappé une fois de plus par sa beauté aristocratique.Une princesse de légende,déchirée entre deux hommes qui ne la méritaient pas. Delauney lui avait faitl’impressiond’unfilsdefamille,richeetgâté,d’unégoïsmeforcené,impliquédansdes idéauxpolitiques nébuleux.Un éternel adolescent qui continuait à s’apitoyersurlui-même,unséducteursulfureux,quiprétendaitrécupérerlafemmedesavieaprès avoir failli la tuer. Quant à Malcolm Patterson, Taylor n’avait pas eul’opportunité de s’en faire une opinion.Mais au travers des articles de journauxqu’ilavaitlussurlui,ilapparaissaitcommeunêtrefroid,arrogantetpompeux.—Quesepasse-t-il?Avez-vousapprisquelquechose?demanda-t-elle,enfixant
lepolicierdesesimmensesyeuxapeurés.—Non,rien…Laveille,elleluiavaitouvertsoncœur,etcetteconfiance,ilnevoulaitpourrien
aumondelatrahir.Ilbrûlaitdeluirendresonenfantsainetsauf.Pourtant,lesortdecederniercommençaitàl’inquiéter.—J’aipassétroisheuresencompagniedeM.Delauney.—Sait-ilquejevousaitoutdit?—Oui.Ilsembleregrettersesparoles.Selonlui,quandilvousaaperçueauparc
avecTeddy,ilétaitivre…Ilprétendneplusserappelertrèsbiencequ’ilvousaditexactementquoiqu’ilaitlavagueréminiscenced’unescènedontiln’apasl’airfier.Maisilaffirmequ’iln’auraitjamaistouchéàuncheveudeTeddy.—L’avez-vouscru?Lesyeuxsaphircherchaientdésespérémentlessiens,affolésmaisconfiants.
Quelque chose de rassurant émanait de cet homme, et elle n’avait pas oubliécommentill’avaitgentimentbercéedanssesbras,alorsqu’ellepleuraitAndré.—Làrésideleproblème,répondit-ilavecfranchise,ens’adossantaufauteuil.Je
n’ai pas été convaincude sa sincérité. Je nepensepasqu’il aurait fait dumal àl’enfant,commedansl’affaireLindbergh,non.Toutefois,comptetenuducaractèreimmaturedevotreex-mari,jelecroisparfaitementcapabled’unenlèvement,dansle but de vous contraindre à revivre avec lui. Voyez-vous, il appartient à cettecatégoriedegensquifontdespiedsetdesmainspourobtenircequ’ilsdésirent.Ilsne reculent devant rien :menaces, harcèlement etDieu sait quoi encore…Sansdoutesecroit-ildanssonbondroit.Pourmapart,jedoutequ’ilm’aitditlavérité.Les explications de Charles n’avaient guère convaincu John Taylor. Il l’avait
longuementobservé.Lachevelurenoircorbeauauxtempesgrisonnantes,labarbedequelquesjours,l’âcreparfumdel’alcool,rienneluiavaitéchappé.Pasplusquel’étrangelueuraufonddesyeux,alorsqueDelauneyserépandaiten
excuses.Son sensde la justice laissait àdésirer.Bien sûr, il n’avait pasmanquéd’évoquer ses combats hispaniques, au nom d’une noble cause, certes,mais queTaylor ne comprenait pas… Comme il ne comprenait pas qu’un homme puisseassenerdescoupsàsafemmeenceinte,alorsqu’ilsviennentdeperdreleurpetitgarçon.—NousallonsprendreM.Delauneyenfilature.Parailleurs,j’essaieraid’obtenir
unmandatdeperquisitioncontrelui.Celaveutdirequejenepourraipaspassersous silence votre premier mariage… Je tenais à vous en avertir. Peut-êtrepréféreriez-vousenparlervous-mêmeàM.Patterson,avantqu’ilnel’apprennepardestiers.Elle hocha la tête. Au moins, il lui donnait la chance de mettre Malcolm au
courant.EllefituneffortsurhumainpouradresseràTaylorunsouriredegratitude,mais sonmal de tête l’en empêcha. Il la vit tressaillir, comme sous l’effet d’unefulgurantedouleur,ets’enquit:—Vousvoussentezmal?—Non…celaira…—Vousavezintérêtàdormirunpeu,sivousvoulezêtred’attaquequandnous
auronsbesoindevous.Marielle acquiesça sans conviction. Elle ne dormirait plus jamais, pensa-t-elle,
pasavantqueTeddynesoitderetour.Commentparviendrait-elleàvivresanslui?Sans le toucher, sans même savoir où il se trouvait, s’il était en sécurité, siquelqu’unprenaitsoindelui…L’envieimpérieusederespirerlafragrancepoudréedesoncougracileetdesescheveux,d’entendresonrire,desentirsespetitsbrasautourdesanuque laconsuma.Seigneur,commentallait-elle survivre jusqu’àceque l’enfant fût retrouvé ?Elle se sentit défaillir.Unemain chaleureuse seposaaussitôtsursonavant-bras,commepourdissipersesterreurs.—Marielle,ilfauttenirlecoup.Nousleretrouverons.Lajeunefemmeseredressa.
—Qu’allez-vousdireàmonmariausujetdeCharles?Elleparaissait inquiètemaisrésignée.S’ilfallaittoutavoueràMalcolm,elle le
ferait.Pourvuqu’onluirendeTeddy.—JeluidiraisimplementqueCharlesDelauneyestunsuspectpossible.J’ignore
s’il est réellementcoupable,maisautantquevous le sachiez toutde suite, ilmedéplaît. Je n’apprécie pas ses menaces, ni l’idée qu’il est devenu furieux sousprétextequevousavezeuunenfantalorsqu’iln’enapas…Àsamanière,ilvousaime.Ilaffirmequ’ilveutquevousretourniezaveclui.Àsesyeux,c’estuneraisonsuffisantepourquevousarriviezencourant.Ilomitde lui révélercequeCharlesavaitdéclaréàproposdesonunionavec
MalcolmPatterson.—Unehonte!s’était-ilexclamé,uneescroquerie!À l’entendre, la ville entière cancanait sur le couple : le mari avait des
maîtresses, et la femme vivait comme une recluse, ce dont Malcolm se fichaitéperdument.CharlesDelauneysemblaitpersuadéqueMarielleétaitmalheureuse.Selon lui, elle avait contracté un mariage de raison, parce qu’elle était à larecherched’unefigurepaternelle.Elleavaitététrèsfortementébranléeaprèslamortd’André,etsonséjouràl’hôpitalpsychiatriquen’avaitrienarrangé.—C’estmoiqu’elleaime,qu’elleatoujoursaimé,avait-ilaffirmé.Taylorn’enétaitpassisûr.LesécurisantPattersonnemanquaitpasdecharme.
L’agentduFBIcomprenaitparailleurscequiavaitattiréunejeunefillededix-huitans chez Charles Delauney. Sauf que les beaux ténébreux de son genreconstituaient des dangers ambulants… Les bouillants séducteurs de son espècecommettaientparfoisdesactesirraisonnés,commetapersurleurfemme,l’accuserinjustement, la menacer… Allaient-ils jusqu’à kidnapper des enfants ? Cela, iln’auraitpassuledire.Unechoseétaitcertaine:siCharlesavaitenlevéTeddy,ilnel’avait pas fait pour l’argent. D’où peut-être l’absence de demande de rançon.Delauneyavaitlargementlesmoyensdepayerdessbirespouraccompliràsaplacelasalebesogne.Maisquelseraitsonprochainpas?—Lecroyez-vousvraimentcapabled’unechosepareille?questionnaMarielle.Ladétestait-ildoncautant?Elleavaitpeineàl’imaginer.—Jen’ensaisrien.Jepaieraischerpourlesavoir.Ils retournèrent ensemble vers le grand salon plein de désordre, où se tenait
Malcolm, le visage décomposé, flanqué des inspecteurs du FBI. Marielle fit lesprésentations.—Jevousattendais,Taylor,ditlemaîtredecéansd’unevoixtraînante.—J’aidûm’absenter,afindevérifiercertainstémoignages.Sansenavoir l’air, l’œild’acierjaugeal’épouxdeMarielle.Delauneynes’était
pasbeaucouptrompépourunefois.Aucunechaleurhumainenesedégageaitdecethomme.Visiblement, iln’apportaitaucunréconfortmoralàMarielle,uniquementpréoccupéparsespropresinquiétudes,sapropreaffliction.
—Trouvez-le,Taylor!Ilnesavaitpasdemander.— Nous sommes pour l’instant à l’affût d’une éventuelle demande de rançon,
monsieur, répondit l’agent spécial du FBI, feignant un respect qu’il n’éprouvaitguère.— Moi aussi, dit Malcolm. Le ministère des Finances m’envoie de petites
coupuresdontonarelevélesnuméros,cematin.—Il fautmaniercegenredestratagèmeavecuneextrêmeprudence,répondit
Johnenserappelantquedansl’affaireLindberghcelaavaittournéaudésastre…Puis-jeavoirunentretienavecvouscetaprès-midi,monsieurPatterson?—Pourquoipastoutdesuite?Ilavaitfaitunsommedanslavoiture,surlecheminduretour,etsesentaitplus
reposéqueMarielleouJohnTaylor.—Jedoisréglerenprioritédeuxoutroisautresquestions.IlvoulaitsurtoutoffriràMariellel’opportunitédeluiparler.Pendantcetemps,il
passeraitàsonbureau,seraserait,etessaieraitderéfléchiràcecasse-têtechinoistoutensirotantsaénièmetassedecafénoiretcorsé…Enfait,lapolicemanquaitsingulièrement d’indices. Il n’y avait pratiquement aucune piste, à part celle deCharlesDelauney.L’enquêten’avaitpasavancéd’unpouce.SeulletémoignageduchauffeurdesPattersonprésentaitquelqueintérêt.PatrickReillyétaitrevenusursadéposition.Autermed’unlonginterrogatoire,ils’étaitsoudainremémorél’appeltéléphonique.Unevoixluiavaitpromiscentdollarss’ilsortaitavecEdithlefameuxsoirdel’enlèvement.Au début, il avait cru à une plaisanterie. De toute façon, la sortie avait été
arrangéedelonguedate.Pourtant,unesemaineplustôt,uneenveloppeàsonnomcontenant les cent dollars était arrivée dans la boîte aux lettres réservée aupersonnel.Ilavaitjetél’enveloppe,dépensél’argentetn’yavaitplussongé…Non,iln’avaitpasreconnulavoixautéléphone.Toutcequ’ilpouvaitdire,c’étaitquesoncorrespondant anonyme avait un léger accent… britannique ? allemand ? Il nesavaitpas.Mais si le kidnapping avait été projeté une semaine auparavant, cela mettait
Delauneyhorsdecause.Caralors,ilignoraitquesonex-femmeavaitunenfant.Àmoins qu’il ne lui ait joué la comédie, bien sûr, ce dont Taylor le croyaitparfaitementcapable.CharlesavaitpusuivreMarielledepuisdessemaines,voiredes mois. Il avait même pu apprendre ses secondes noces par des relationscommunes, pendant qu’il se trouvait encore en Europe… En ce cas, les deuxrencontres soi-disant fortuites n’auraient été que les volets d’unehabilemise enscène;d’unevengeanceconçuepatiemment,peut-êtredepuisdesannées.Maisilétaitencoretroptôtpourtirerunetelleconclusion.Malcolmconsidéraitl’agentduFBI.Unepetiteflammedecontrariétédansaitau
fondde sesprunelles. Il n’avait pas l’habitudedenepas êtreobéi audoigt et àl’œil.Denouveau,ilmentionnaleministère,tâchantderendresonmessageclair.
JohnTaylorleperçutparfaitement.Ildisait:«L’enquêteseramenéeàmafaçon,sinongareàtacarrière,monpetitgars.»L’ennui,c’étaitquecegenredemenacen’impressionnaitguèrel’inspecteur.—Àcetaprès-midi,monsieurPatterson.Disonsversseizeheures?—Seizeheures.Jeprésumequevoshommessaventoùvousjoindresiquelque
chosesurvenaitentre-temps?s’enquitMalcolmd’untondereproche.—Naturellement.— Très bien. Pourriez-vous nous débarrasser de ces vautours qui ont pris
d’assautlejardin?—Non,j’enaipeur.Ilscroientdéfendreleslibertésdelapresse.Meshommes
veillerontcependantàlesteniràl’écart.—Ehbien,donnez-leurdesinstructionsenconséquence,jetaMalcolmaulieude
dire«merci».Taylorpritcongéetillesuivitd’unregarddur.—Quelindividudéplaisant!marmonna-t-ilàl’intentiondesafemme.—Ils’estmontrétrèsprévenantàmonégard,hiersoir.—Maisiln’apasretrouvétonfils.Gardedonccetteidéebienentête,Marielle.Commesiellepouvaitl’oublier!EllescrutauninstantMalcolm,blesséeparsa
cruellerepartie.Denouveau,lesentimentd’unefauteimmenselaterrassa.C’étaitbiencequ’elleavaitcraintdèsledébut.Malcolmlarendaitresponsable
deladisparitiondeTeddy.Deslarmesaffluèrentàsesyeux,qu’ellerefoulaàgrand-peine.Elles’étaitsentiesicoupablequandelleavaitperduAndréetlapetitefillequ’elleportait…Etvoilàquelecauchemarrecommençait,horribleetfamilier.Sesdoigtsseportèrentàsestempesdouloureuses.Neplusruminerdesidéesnoires…Surtout s’empêcher de penser qu’il pourrait arriver malheur à Teddy. « Pourl’amourduciel,soisforte.»Il fallaitqu’elleparledeCharlesàMalcolmavantleretourdeTaylor.— Pourrions-nous monter un moment ? interrogea-t-elle. J’ai quelque chose
d’importantàtedire.—Jen’aipasletemps.D’uninstantàl’autre,l’ambassadeurallemandlerappelleraitetilvoulaitàtout
prixrépondrepersonnellementautéléphone.—Jet’enprie,Malcolm.—Çanepeutpasattendre?Il laconsidéra,surprisparsoninsistance.Ehbien,pourunefaiblefemme,elle
tenaitdrôlementbienlecoup,songea-t-il.Certes,sapâleurmortelleetsestraitstirés témoignaient d’une angoisse sans fond, mais elle semblait parfaitementmaîtresse d’elle-même. Pas de crise d’hystérie. Pas de larmes inconsidérées. Ilignoraitque,pasplustardquecematinmême,elleavaitlonguementsanglotédanslachambredeTeddy,enfrottantunoursonenpeluchecontresajoue.
—Non,çanepeutpasattendre.—D’accord,d’accord.Jeterejoinsdansuneminute.Ellel’attenditenarpentantsonboudoir.Ellenesavaitencorecommentaborder
laquestion.Lesmotssedérobaient.Elleauraitdûlemettreaucourantavantleurmariage.Seulement, iln’avaitpasvoulu l’écouter…Ilmontaunedemi-heureplustardetselaissatomberdansunfauteuil,avecuneirritationnondissimulée.—Ehbien,mevoilà.J’espèrequetesconfidencesontunrapportavecTeddy,au
moins.—Peut-être…J’espèrequenon,répondit-elled’unevoixétrangementcalme,en
prenantplacesurunpouf,faceàlui.J’aidéjàessayéd’évoquercesujetilyadesannées,quandnousavonsprisladécisiondenousmarier.Tum’avaisalorsditquechacunavaitsonpassé…T’ensouviens-tu?Il la fixait, les sourcils froncés. Était-elle devenue folle ? Parfois, quand la
souffranceatteintdessommetsinsurmontables,l’esprithumainsemetàdivaguer,illesavait.—Jem’ensouviens,oui.Maisquelrapportaveclasituationprésente?Illuiavaitlancéunregardsombredontellenetintpascompte.—Jenesaispas…Jen’ensuispassûre…Cependant,ilfautquetusaches,dit-elle
dansunsoupir.Àsonretourdecroisière,monpèreavaitracontéàsonentourageque j’avaiseuun flirtplusoumoins innocentenEurope,où j’étaisrestéeafindepoursuivre des études. La vérité est tout autre. En fait, j’avais épousé CharlesDelauney.Tudoisconnaîtresonpère.—Parouïe-dire.Unvieuxgrincheux,immensémentriche,dotéd’uninfailliblesensdesaffaires.Il
n’avaitpasconnulefils.Lescomméragesdépeignaientunindividufantasque,poèteouécrivain, un renégatde la pire espèce, qui avait fui lamaisonpaternelle trèsjeunepours’établirDieusaitoùsurlevieuxcontinent.—J’avaisàpeinedix-huitans,continuaMarielle,souslesyeuxintriguésdeson
mari. Quand Charles et moi sommes revenus de notre voyage de noces, mesparents s’apprêtaientàannuler lemariage.Or, j’étaisenceinteet leurprojet futabandonné. Ils sont retournés à New York. Je suis restée à Paris… J’ai mis aumondeunpetitgarçon.André.IlressemblaitàTeddy,saufqu’ilavaitdescheveuxbrunsetpasblondscommelestiens…Unvoiledelarmesluibrouillasoudainlavue,maiselles’obligeaàpoursuivre.
Faceàelle,Malcolmobservaitunsilencehostile.—Ilestmortàl’âgededeuxansenSuisse.J’attendaisundeuxièmeenfant,qui
estmortégalement.L’espaced’uninstant,Malcolmparutsurlepointd’avoirunmalaise.—Andrés’estnoyé…Elle avait fermé les yeux, au bord de l’évanouissement,mais contrairement à
John Taylor, la veille, Malcolm Patterson n’ébaucha pas le moindre geste desympathie.—Ilacourusurlelac,quiétaitgelé.Ilesttombédansuntrou,avecdeuxpetites
fillesquej’aipusauver…IlfallaitfaireabstractionduvisageglacialdeMalcolm,siellevoulaitarriverau
bout de son récit. Comme il fallait balayer les lambeaux d’images funestes quijaillissaient sans répit dans sa mémoire, ses vains efforts pour ranimer le petitcorps inerte, la sensation de sa peau douce, si semblable à celle de Teddy…Seigneur,siTeddymourait,luiaussi…—Jenepouvaispasl’attraper.Ilétaitsouslaglace.Ellerespiraàfond,lesoufflecourt,commeautermed’unelongueetlaborieuse
ascensionversunecimeinaccessible.—Charlesarejetésurmoilaresponsabilitédel’accident,reprit-elled’unevoix
blanche.Ilm’aaccuséedenégligence.Enfait,jeparlaisavecquelqu’unaulieudegarderunœilsurAndré…lamèredesdeuxfillettes,justement…Parlasuite,ellem’aditquecen’étaitpasmafaute,maisjesupposequeoui.Dumoins,Charleslepensait. Ce jour-là, il était parti skier. À son retour, il a tenté deme tuer… Lechagrin luiavait faitperdre la tête…Entoutcas, j’aiperduaussi lebébéque jeportais. Probablement à cause de l’eau glacée. J’avais plongé dans le lac poursauverAndré.Charlesm’enavoulu,pourcelaaussi…Marielle inclina la tête, accablée par le poids des souvenirs. Au bout d’un
moment,ellelevaunregardéteintsurlafigurepâledeMalcolm.—Ensuite,j’aieuunedépressionnerveuse.J’aipasséplusdedeuxansdansun
hôpital…uneclinique…unsanatoriumcommedisent certains. J’avais vingtetunansquandc’estarrivé.J’aifaitplusieurstentativesdesuicide…Ellemarquaunecourtepause,afindereprendresonsouffle.Plusriennepouvait
l’arrêter à présent. Elle avait décidé de tout raconter à Malcolm, de tout luidévoiler.—SansCharlesetmesbébéslavien’avaitplusdesens.Jen’aipasréussiàme
tuer ;chaque foisonm’aranimée.Àcetteépoque, jenevoyaisplusCharles.Ouseulement une fois. Il est venum’annoncer quemon père était décédé, sixmoisaprèslamortd’André.Onm’acachépendantunanquemamèreavaitmisfinàsesjours. Enfin, je suis sortie de clinique. Les médecins avaient conclu que j’étaisguérie…Elleprituneprofondeaspiration,lesyeuxtournésverslafenêtre.—J’aiprisladécisionderentrerauxÉtats-Unis.Peuavantmondépart,Charles
estvenumevoir.Ilsouhaitaitquenousreprenionslaviecommune.J’airefusé,bienquejel’aimaisencore.Ilest impossibledevivreprèsdequelqu’unquipensequevousavezassassinésesenfants.Sij’étaisrestée,jemeseraiséternellementsentiecoupable…Jesuisdoncrentrée,etjet’airencontré.Sonregardcroisaceluidesonmari.
— Je te dois tout, Malcolm. Tu m’as recueillie, tu m’as donné du travail, tonamitié,tagentillesse,puistonnom.Jen’avaispasl’intentiondemeremarier,j’avaisuntelpoidssurlaconscience.Onnepeutéchapperauxremords…Maisd’unautrecôté,tuétaisleseulêtrequej’avaisaumonde,comprends-tu?Auprèsdetoi,jemesentaisensécurité…J’aivraimentessayédeterendreheureux…–Sespaupièresfrissonnèrent,denouvelleslarmesourlèrentseslongscils.–EtquandTeddyestné,jemesuissentiecombléedebonheur.— Moi aussi ! jeta-t-il d’un ton acerbe. Je ne vis que pour lui. J’ai toujours
subodoréqu’ilyavaitunmystèredanstonpassé,Marielle.Jen’aijamaissoupçonnéqueçapouvaitêtreaussisordide.LahontecoloralespommettesdeMarielle.—J’aiessayédet’enavertiravantnotremariage.Tun’asrienvouluentendre…
Toujoursest-ilquejen’aiplusjamaisentenduparlerdeCharles.Jenel’aiplusrevu.Jusqu’à vendredi dernier. Nous sommes tombés l’un sur l’autre à la cathédraleSaint-Patrickoùjem’étaisrendueafind’allumerunciergeàlamémoired’Andréetdemesparents…Charlesm’aditqu’ilétaitrevenuvoirsonpère.—Etquoid’autre?—Qu’ilsouhaitaitmerevoir.J’airefusé.—Pourquoi?Elleleregarda,offusquéeparsaquestion.—Parcequejet’aime.Parcequejesuistafemme.EtaussiàcausedeTeddy.—A-t-ilétéfurieux?—Non,pasàcemoment-là.C’étaitl’anniversairedelamortdenotrefilsetnous
étionstousdeuxbouleversés.—Plustardalors?A-t-ilcherchéàtejoindre?— Non. Je l’ai rencontré par hasard le lendemain près du lac. J’étais avec
Teddy…Charlesavaitpasmalbu.Quandilaréaliséquej’avaisunenfant,unpetitgarçon,ilestentrédansuneragefolle.Elleétaitenfinarrivéeaupointculminantdudrame.—Qu’a-t-ilfait?S’enest-ilprisàl’enfant?—Non.Jel’encroisincapableet,parailleurs,jenel’auraispaslaisséfaire.Mais
ilétaitfurieux.Ilm’amenacée,Malcolm.«Tuneméritaispasd’avoirunesecondechance»,a-t-ilcrié.Aprèsquoi ilamarmonnéqu’ilallaitmeprendreTeddypourm’obligeràluirevenir…Ilnelepensaitpas,j’ensuissûre.Néanmoins,jetenaisàcequetulesaches.Jel’aiégalementmentionnéàlapolice.—Comment?Tuasracontéauxflicscettehistoire?—Ilsm’ontdemandésij’avaisreçudesmenaces.J’airéponduàleursquestions.—Ah,bravo!Leschroniqueursdefeuillesdechouserégaleront.—M.Taylornedivulguerapasmadéposition. Ilmel’apromis. Iladéjàrendu
visiteàCharles.
—Tusemblesbienrenseignéesurlesprogrèsdel’enquête.Ellefeignitdenepasserendrecomptedesonsarcasme.—Jetenaisàtemettreaucourantmoi-même,Malcolm.Ilseredressad’unbond,levisageconvulsé.— L’idée que ces rencontres, soi-disant fortuites, avec Delauney mettaient en
périlnotreenfantnet’adoncpaseffleurée?Coupable…Condamnable…Encoreettoujours.Commesi,parsanégligenceet
sastupidité,elledéclenchaitdescatastrophes.Pourtant,elletentadesedéfendre.—Jenel’aipasfaitexprès.Jen’aijamaiseul’intentiondelerevoir.C’estarrivé,
voilàtout.— Comment peux-tu affirmer que Delauney ne t’avait pas suivie ? Qu’il ne
t’attendaitpasàl’intérieurdel’église?—Ilaeul’airaussisurprisquemoi.Etlelacestàdeuxpasdelamaisondeson
père.—Oncroitrêver!explosaMalcolm,lafusillantd’unregardnoir.C’estuneraison
depluspournepasyaller…D’ailleurs,comptetenudetonhistoire, jem’étonnequetuaiesemmenéTeddyaulac,surtoutparcetempsépouvantable.Sonteintdevintlivide,commesouslechocd’unegifle.Illuiavaitfalludesannées
pourarriveràsurmontersaterreurdel’eauet,dureste,elleavaitinterditàTeddydes’enapprocher.—Commentpeux-tudirecela?murmura-t-elle.Malcolms’étaitmisàfairelescentpas.—Bonsang,Marielle,àquoit’attendais-tuenmeracontantceshorreurs?Que
jetepardonne?Tuasétélafemmedecefarfeluqui,selontespropresaveux,atenté de te supprimer et a peut-être causé lamort de ton bébé. Tu l’asmis encontact avec mon fils et tu viens d’admettre qu’il a proféré des menaces à sonendroit…Maintenantqueveux-tuquejefasse,Marielle?Quej’aiepitiédequi?Detoi?Detesenfantsmorts?Oudemonenfantquiaétékidnappé?Cetypeafichulapagailledansmaviepar tasottise, il amêmepeut-être forcémaporteetmamaison,tuasoséemmenermonfilsauparcoùturisquaisdelerencontrer,tuasattirél’animositédecetteespècedelunatiquesurTeddy,tul’aspousséàbout,ettuosesquémandermonpardon?La rage faisait vibrer la voix deMalcolm, des larmes luisaient dans ses yeux,
tandisqueMariellepleuraitsansretenue.—Onnesaitpass’ilestlecoupable,fit-elledansunmurmureindistinct.Onne
saitrienencore.—Tesancienneserreurscoûtentaujourd’huilavieàmonuniqueenfant!—Malcolm!Nedispasunechosepareille…—C’est la vérité ! vitupéra-t-il. À cette heure-ci Teddy est peut-êtremort, au
fondd’unesépulturedefortuned’oùpersonneneletireraplusjamais…Peut-être
ne verras-tu plus jamais ton petit ange,Marielle…Mais dis-toi bien que rien neseraitarrivésitun’avaispasrepriscontactavecCharlesDelauney…situnel’avaispasprovoqué.C’esttoi,Marielle,l’instigatricedececrime.La jeune femmes’étaitmiseà suffoquer.Elleouvrit labouchemaisaucunson
n’ensortit.Livide,glacée,elles’effondrasurunechaise.L’étaud’acierseresserraitautourdesonfront,sifortqu’ellesesentitaspiréeparunabîme.LesaccusationsdeMalcolml’avaienttranspercéeaveclaviolenced’unglaive…
Oh,ilavaitsûrementraison…Toutétaitarrivéparsafaute…Unenouvellefois,elleétaitfautive…affreusementcoupable…Laporteclaquaderrièresonmari,avecunbruitqui lui rappela le fracasde l’eaurugissantesous lamincecouchedeglace,puislesténèbresserefermèrentsurelle.Desheuress’étaientécouléesquandunbruitdiscret latiradesatorpeur.Elle
redressalatête.Bettyentra,lesbraschargésd’unepiledelinge.M.Patterson,dit-elle, avait renvoyé le personnel à ses occupations, à l’exception d’Edith et dePatrick, qui, de nouveau, avaient été convoqués au poste de police. Le FBIaccordaituneimportancecapitaleàleurtémoignage.—Madame, ça ne va pas ? s’enquit la petite servante en se rapprochant de
Marielle.Celle-cigisaitsurunechaisedudressing-room,pluspâlequ’unemorte.Lavoix
deBettyluifitbattrelespaupières.Elletournaverselledesyeuxquelamigraineavait rendusnébuleux.Aussitôt, lesparolesdeMalcolm refirent surface. «C’esttoi,Mariellel’instigatricedececrime.»Unelarmecoulasursonvisageblafard…« Tout est arrivé parma faute… parma faute… » Si seulement elle n’avait pascroiséunenouvellefoislechemindeCharles.Siseulementiln’avaitpasvuTeddy…Maisl’avait-ilenlevé?Pourquelleraison?Lahaïssait-ilàcepoint?Ladétestaient-ilsdonctous?Duresten’avaient-ilspasraisondelamépriser?Oh,Dieu,pourquoin’était-ellepasmortesouslaglaceseptansauparavant,avecAndréetlebébé?—Madame…—Cen’estrien…Marielleseredressaenprenantappuisurlacoiffeuseenboisderose,passad’un
gestemachinallesdoigtsdanssescheveux.Sesjambessedérobèrent.— Je neme sens pas très bien, convint-elle.Un terriblemal de tête. Rien de
grave.Ellegagnasachambred’unpaslentetincertain,Bettysursestalons.Celle-ci,
longuementinterrogéeparlespoliciers,avaitétéfinalementlavéedetoutsoupçon,etn’éprouvaitplusaucunremordsd’avoirremplacéÉdith.—Désirez-vousunecompressefroide,madame?—Non,non,merci.Jevaism’étendreuninstant.Elles’allongeasurlacourtepointeensoie.Leplafondsemitàtournoyer,etelle
sentitsonestomacsesoulever.—Riendenouveau?
Bettysecontentadesecouerlatête,avantdebaisserlestore.Mariellefermalesyeux,épuisée,etpourtantl’espritenébullition.Elleentenditlajeunefillesortir,puisrefermerdoucementlaporte.En bas de l’escalier, Betty tomba sur John Taylor, qui s’enquit aussitôt de
MmePatterson.Elleluiditqu’elledormait.—Tantmieux,fit-il.Elleabesoinderepos.Ensonforintérieur,ilpriaitpourqu’elleaiteuletempsdeparlerdeCharlesà
son mari. Il sut qu’elle l’avait fait, dès l’instant où il eut franchi le seuil de labibliothèqueoùMalcolmPattersonl’attendait,laminecrispée.— Ma femme m’a tout raconté au sujet de Charles Delauney, déclara-t-il,
épargnantaudétective lapeined’unpréambule.Unehistoire sansqueueni têtequi,jel’avoue,m’aterriblementchoqué.Àvotreavis,est-ilnotrehomme?Ilnereculeraitdevantrien,pasmêmedevantlescandale.—Celasepourrait.Nousmanquonsdepreuves,cependant.Ilaunalibiquise
tient,pourlanuitdernière.Nousavonsvérifiésesallégations,biensûr,etiln’apasmenti. Il s’estenivrédansunbarde laTroisièmeAvenue.Etavant, il avaitdînéavecdesamisau21.Naturellement,ilestpeut-êtrel’auteurdel’enlèvementsansyavoirparticipé.— Si la vengeance est lemotif du kidnapping, il n’y aura pas de demande de
rançon,j’imagine.— Absolument.Mais il est encore trop tôt pour en juger. Votre fils est porté
disparu depuismoins de vingt-quatre heures. Les prochaines heures s’avérerontdécisives.—Vous vous figurez que je vais attendre les « prochaines heures » ?Arrêtez
Delauney,toutdesuite!glapitMalcolm.Toutdesuite.Avez-vouscompris?— Oui, monsieur, bien sûr. Malheureusement, on n’arrête pas les gens sans
preuves.Iln’yaabsolumentaucunindicecontrecethomme,àpartqu’ilboittrop,qu’ilaformuléquelquesmenacessousl’emprisedelaboissonetqu’ilaétémariéàMmePatterson.UnrictusdemécontentementtorditlabouchefinedeMalcolm.— Alors qu’attendez-vous pour découvrir ces fameuses preuves, monsieur
Taylor?—Êtes-vousparhasard en trainde suggérerque je pourrais les fabriquer de
toutespièces?L’espaced’unefractiondeseconde, lesprunellesdePattersonavaient lancéun
éclairdangereux.L’instantsuivant,ilserecomposasonmasquedegentleman.— Je n’ai rien suggéré de la sorte. Je vous incitais seulement à chercher des
indices,aulieudeperdrevotretempsici.—S’ilsexistent,jelestrouverai.—Parfait.
Ilseredressa,mettantfinàl’entretien.SonattitudehautaineauraitfranchementamuséTaylorsil’hommeneluidéplaisaitpassouverainement.Ilsedemandasisaproprehostiliténecachaitpasenfaitdessentimentsmoins
nobles. La jalousie, par exemple. Patterson avait tout. L’argent, le pouvoir, unefemmepourlaquelleTaylorseseraitcoupéunbras.Sonflairluifitsoupçonnerque,de toutes ses possessions, Patterson considérait Marielle comme la moinsprécieuse.— Je voudrais vous poser quelques questions, si vous n’y voyez pas
d’inconvénient.—Maiscertainement.Le maître de céans se rassit. À présent, il se cantonnait dans une sorte de
politesseglaciale.Aufond,ilsesentaitprêtàtouteslesconcessionspourrécupérersonpetitgarçon.—Avez-vousdesennemispersonnels,monsieurPatterson?Avez-vousreçudes
menaces,mêmeanodines,cesdernierstemps?—Non… J’ai longuement réfléchi cettenuit, sur la route,mais jenecrois pas
avoird’ennemi.Entoutcaspersonnequivoudraitmefairedumal.— Pas de concurrents en affaires, d’adversaires politiques ou d’employés
mécontents?—Non.— Aucune ancienne maîtresse éconduite ? Ou une liaison récente ? Je vous
prometsderesterdiscretàcesujet,maisçapourraitavoirsonimportance.Malcolmpritunairdemajestéoutragée.—J’apprécieénormémentvotretact,maiscelaneserapasnécessaire.Jen’aieu
aucuneliaisonextraconjugale.—Pasd’ex-épousesoffenséesparvotrederniermariage?—J’endoute.Mapremièrefemme,quivitactuellementàPalmBeach,aépousé
uncélèbrepianiste.LadeuxièmeestmariéeauPDGd’unebanquedeChicago…Contrairementàmonactuellefemme,mesépousesprécédentesnefréquententpasdesgangsters,neput-ils’empêcherd’ajouterd’unevoixhargneuse.—M.Delauneyn’estpasàproprementparlerungangster,ditJohn.IlnesupportaitpasqueMariellesoitremiseencause.— Jememoquede cequ’il est, inspecteur. Je veux simplement retrouvermon
enfant.IlrestaitonzejoursavantNoël…— Je comprends bien, monsieur Patterson. Nous le souhaitons tous. Et nous
allonsfairel’impossiblepourvousleramener.—RetournezvoirDelauney.Taylorn’avaitguèrel’habitudederecevoirdesordresdecivils.Néanmoins,ilse
contint.Enseredressant,ilremerciaMalcolmdesacoopérationetdesapatience.Ilnotaquelestraitsdumagnatdelasidérurgieaccusaientuneimmensefatigue.Maismalgrésonâge,ilétaitsolidementbâti,faitpourtraverserdesépreuves.OnnepouvaitpasendireautantdeMarielle.Lapetitebonnequ’ilavaitinterrogéeàson arrivée, lui avait appris que « Madame était couchée avec une de sesmigraines».Du fond de son lit, à l’étage du dessus,Marielle entendit la porte d’entrée se
refermer, quand John Taylor quitta la demeure. Pendant un instant, les cris desjournalistesavaientretentidansl’entrée.Peuaprès,uncordondepoliceseformadevantlafaçadedepierresdetaille,afindeteniràdistancelesreprésentantsdelapresse et la foule des badauds. Le brouhaha des voix s’estompa, tandis queMarielle,étenduedanslenoir,commeunepoupéedisloquée,priaitsilencieusementpourTeddy.
Chapitre6Le lendemain, les ravisseurs ne s’étaient toujours pas signalés. Aucun appel
téléphoniquen’avaitétéreçu,paslamoindrelettreet,biensûr,pasdedemandederançon. En revanche, des portraits anciens de Malcolm et de Marielleagrémentaient les journaux du matin. Patrick, le chauffeur, interviewé par unjournaliste,avaitlaisséplanerledoutesurlafidélitédeMmePatterson.Unephotode lui et d’Edith dans la splendide toilette blanche qu’elle avait dérobée à lamaîtressedemaisons’étalaitenpremièrepage.Unclichéreproduisant levisagedéfait de Marielle, pris au moment où journalistes et photographes avaient faitirruptionchezelle,ornaituneéditiondel’après-mididatantdelaveille.Uneautrephoto, prise à son insu à travers la fenêtre de la bibliothèque, la montrait enchemise de nuit, les cheveux épars. En dépit des allusions malveillantes duchauffeur,lenomdeCharlesDelauneyn’apparaissaitnullepart.—Plaisantelecture!grommelaMalcolm,lenezdanslejournal.S’ilfautlirela
pressemaintenantpourapprendrequevotrefemmefréquented’autreshommes…Les deux époux étaient assis devant un petit déjeuner auquel ils n’avaient
presquepastouché.Ilsnes’étaientpasparlédepuislaveille.— Je t’ai pourtant expliqué ce qui s’était passé,murmuraMarielle d’une voix
hachée.—MaispasàPatrick.Elle leva vivement le menton pour le dévisager, et ce simple mouvement fit
exploserdesétincellesdedouleurdanssatête.—Tuaccordestropdefoiauxrapportsdetesespions.Illuirenditfroidementsonregard.—Queveux-tudire?—Tuastrèsbiencompris.Aucundetesdomestiquesnem’atémoignélemoindre
respectdepuislejouroùj’aimislespiedsdanscettemaison.—Sans doute parce que tumanques d’autorité,ma chère.Ou alors ils savent
quelquechosequej’ignore.—Commentoses-tu!Untremblementincoerciblelasecouatoutentière.Elleavaitétéd’unefidélitéet
d’une loyautéscrupuleuses.Et ilavaitsuffid’une insinuationvenimeusepourqueMalcolm lui retire sa confiance… Si toutefois il la lui avait jamais accordée. Cen’étaitpluslemêmehomme.Enunenuit,lecompagnonagréableetcourtoisqu’ilavait été s’était transformé en une sorte d’ennemi dont chaque parole semblaitétudiéepourlamortifier…D’unbondellesedressa,puisquittalasalleàmangeràtoutesjambes.Ensortant,elletombasurJohnTaylor.
—Bonjour,madamePatterson.Sapâleurmortellelefrappaaussitôt.Latensioncontractaitsestraitsciselés.Ledétective eneut le cœur serré. Il revenait de chezDelauney, àqui il avait
interditdequitterlaville,etdontl’alibineprésentaittoujoursaucunefaille.Lesprétendussbiresdontilauraitlouélesservicesdemeuraientintrouvables.LesagentsduFBIavaientfrénétiquementcherchéunepistesansrésultat.D’après certains collèguesdeTaylor, les ravisseurs avaient conduit leurpetite
victime hors de l’État de New-York, peut-être à New Jersey. Charles Delauneyrestaitleseulsuspect.LemystérieuxcorrespondantquiavaitfaitparvenirlebilletdecentdollarsàPatricks’étaitlittéralementvolatilisédanslanature,commetouslesautres.—Voussentez-vousunpeumieuxaujourd’hui?Mariellehochalatête…Commentpouvait-ellesesentirmieux,sansTeddy?—Avez-vouseudesnouvelles,inspecteur?—Pasencore. Il fautpatienter.Lademandede rançonnedevraitplus tarder.
Alors, nous pourrons agir. Je vais interroger de nouveau les domestiques enessayantdeleurrafraîchirlamémoire.Dansl’affolementilsontpuoublierundétailimportant.Elleneputquehocherlatêteavantdegravirleslargesmarchesdemarbre.Sespaslamenèrentàlanurseryoù,àsasurprise,Malcolml’avaitprécédée.IlsetenaitdevantlelitsurlequelTeddys’étaitcouchépourladernièrefoisdeux
jours plus tôt, dans son joli pyjama cerise au col orné deminuscules trains bleupâle, brodés au petit point par miss Griffin… Des larmes piquèrent les yeux deMarielleàlavuedelahautesilhouettevoûtéeparlechagrin.Malcolmlaissaerrersesdoigtssurlesjouetséparpilléssurlacourtepointe,puis
surl’oreillerbordédedentelles.—Onadumalàcroirequ’unenfantpuisses’évanouircommeça,danslesairs,
dit-ild’unevoixlugubre.Marielleacquiesça.Enseposantsurelle,leregarddeMalcolms’étaitradouci.
Dans cette pièce, il n’y avait guère de place pour la colère. Seulement pour latristesseetlesregrets.Ilselaissatombersurlefauteuilàbascule,lesyeuxrivéssurlepetitlitvide.—Etsontrainqui l’attendausous-sol…murmura-t-il, lesyeuxembués.Jesuis
désolé d’avoir été aussi brutal ce matin, Marielle, mais je suis à bout. Quelcauchemar!MonDieu,allons-nousjamaisnousensortir?Satêtes’inclinadansunpesantmouvementdedésespoir,quiémutauxlarmesla
jeunefemme.—Jepriejouretnuitpourqu’ilnoussoitrendusainetsauf,chuchota-t-elle,enlui
pressantlamain.Ilyeutuncoupdiscretsurlebattantdelaporte,puisHaverfordannonçaque
« mademoiselle Brigitte » était dans la bibliothèque. Malcolm se redressa sanshâte.Commepourconjurerlesort,ilavaitcontinuéàtravaillerd’arrache-pied,etsa secrétaire l’avait admirablement secondé. Elle avait éclaté en sanglots,lorsqu’elleavaitapprislanouvelledeladisparitiondeTeddy.Marielle suivit son mari au rez-de-chaussée. En la voyant, Brigitte fondit à
nouveauenlarmes,puislesdeuxfemmess’enlacèrentbrièvementsansunmot.L’après-miditouchaitàsafinquandJohnTayloreutfinid’auditionnerlepersonnel
pour la deuxième fois. Le sombre portrait de la maîtresse de maison que lesdomestiquesavaientdéjàbrosséavaitprisun relief encoreplus sinistre.Brisantunetrêvetropfugace,missGriffinn’avaitpashésitéàdépeindreMariellecommeunecréatureveule.—MmePattersonatoujoursétéd’unenervositéexcessive,plutôtmalsainepour
le petit. Parfois, elle ne voulait même pas voir son enfant. Au début, je m’ensouviens, c’était à peine si elle lui montrait quelque intérêt. Plus tard, elle acommencéàluiconsacrerunpeudetemps,entredeuxmigraines.Edith s’était évertuée à donner de Marielle l’image d’une « gosse gâtée-
pourrie»,selonsesproprestermes,quin’avaitapparemmentd’autrebutdanslaviequedetransformerenrobesruineuses«lessousdesonmari»…—Àpartça,ellepassaitsesjournéesàsereposerdesessiestes,sanssedonner
lapeinedediriger ladomesticité,cequiétaitplutôtunebonnechose,vuquedetoute façon personne n’aurait voulu recevoir des ordres d’elle. Ils étaient toutdévouésàM.Patterson,précisa-t-elle.La vieille économe avait fait chorus avec les autres. Elle ne savait rien, ou
presque, des habitudes de Mme Patterson. D’ailleurs, ça lui était complètementégal. SeulM. Patterson comptait…Betty se démarqua du lot par quelquesmotsgentilsà l’égarddeMarielle.Celle-ci semblaitavoirégalement trouvégrâceauxyeux de Haverford, le majordome. Le chauffeur, lui, ne cherchait même pas àdissimulersonanimosité.Ilcontinuad’évoquer«lepetitcopain»ou«lejulesdemadame»,jusqu’àcequeTaylorluiaitconseillésèchementd’arrêter.Au termedeces longsentretiens, ledétectiveacquit lacertitudequeMarielle
Pattersonétaitdétestéeunanimementparsesemployésdemaison. Ilnemanquapas de le signaler à Malcolm, alors que Haverford leur servait le café dans labibliothèque.—Àvotreavis,monsieur,pourquoivotrefemmeest-ellel’objetdel’animositédes
domestiques?Malcolmexhalaunsoupirdésolé.—Mafemmeestunepersonne…commentdire…pastrèsforte,fit-ilenscrutant
lejardinparlafenêtre.Visiblement,ellemanquedepoigne…Lepersonnelsentsafaiblesse et en profite. Voyez-vous, ajouta-t-il après une hésitation,ma femme asouffert de…disons… troublesmentauxpar lepassé et souffre encored’atrocesmauxdetête.—Cen’estpasuneraisonpourladétester.
Il pensait, au fond, queMalcolm Patterson n’était pas homme à déléguer sespouvoirs.Qu’ilétaità l’originedecefameuxmanqued’autoritédont ilnecessaitd’accabler Marielle. Cette dernière n’exerçait aucune sorte de contrôle surpersonne,pasmêmesursonenfant,etcertainementpassursonmari.MêmemissGriffinavaitadmissanssefaireprierqu’ellen’avait jamaissuivi lesdirectivesdeMmePatterson…—Je reçoisdesordresdupèrede l’enfantetde lui seul, inspecteur,avait-elle
proclaméhautetfort.Naturellement, Taylor s’était empressé de demander pourquoi, mais la
gouvernanten’avaitpassuclarifiersesdéclarations,secontentantderépéterqueMarielleétaitunêtreeffacé,indécis,falot,etdoncindignederespect.À lui, elle ne lui avait pas fait l’effet d’un personnage sans envergure, au
contraire.Ill’avaittrouvésensée,intelligente,bienélevée,pleined’unedignitéquelesautresprenaientsûrementpourdelafaiblesse.—Maispersonneneladéteste!s’offusquaMalcolmensetournantversl’agent
duFBI…Simplement,ellen’arrivepasàs’imposer.Elleaeud’énormesproblèmespsychologiqueset jedoutequ’elleparvienneà supporter le chocde l’enlèvementplus longtemps…Des événements commecelui-ci peuvent facilementdésorienterlesespritsfaibles.JohnTaylorledévisageatranquillement.—Qu’entendez-vouspar«espritfaible»?QueMmePattersonestfolle?— Bien sûr que non ! s’exclama Malcolm, offensé. J’ai seulement voulu dire
qu’elleétaitfragile.—Untermeplusélégantpourqualifierledésordrementalauquelvousavezfait
allusion il y a uneminute. Jeme demande, cependant, si vos gens ont deviné la«fragilité»deMmePattersond’eux-mêmesousic’estvousquileuravezmiscetteidéeentête.— Je leur ai dit de s’adresser directement à moi, afin de ne pas ennuyer
Marielle!vociféraMalcolm,excédé.Dureste,jenevoispaslerapportentrevosquestionsetl’enlèvementdemonfils.—Parfois,ledécorestaussiimportantquelapiècequisejoue.—Combiende fois devrai-je vous le répéter ?Marielle est unepersonne trop
émotive, sujette àdes crisesdenerfsduesà sa terriblehistoireque je viensdedécouvrir.Deuxansdansunhôpitalpsychiatriquesuivisdeseptansdemigrainesimaginaires.Johnpritunelargegouléed’air.Oneûtditquechacunicis’ingéniaitàajouterune
touche sournoise et sombre au portrait de la jeune femme… Sauf peut-êtreHaverford.—Êtes-vousentraind’insinuerquesesmigrainesnesontpasréelles?—Non.J’essaiedevousexpliquerquec’estunenévrosée.
Malcolm se tut. Il en avait dit plus qu’il n’aurait voulu, et cela n’avait faitqu’augmentersonirritation.—Névroséeaupointd’êtreimpliquéeavecCharlesDelauneydanslekidnapping
desonpropreenfant?Unlongsilencesuivit,pendantlequellemagnateutl’airdésemparé.—Jen’yavaispaspensé, répondit-ilenfinavec lassitude. Jesupposeque c’est
possible.Toutestpossible.Jenesaispas.Luiavez-vousposélaquestion?—Jevouslaposeàvous.Lacroyez-vouscapabledefaireunechosepareille?
Pensez-vousqu’elleestencoreamoureusedecethomme?Allait-ilcontinueràenfoncersafemme?—Jen’enaipaslamoindreidée,inspecteur.Ilvafalloirquevousledécouvriez
parvous-même.—Trèsbien,monsieurPatterson.Etvous?Êtes-vousamoureuxdeMlleBrigitte
Sanders?—Pardon?fitcelui-ci,outré.MlleSandersestmonassistantedepuisplusdesix
ans.Jen’aipasl’habitudedemêlertravailetplaisir.—Vousavezpourtantépousévotresecrétaireprécédente,quejesache.LeteintpâledeMalcolmviraaurougebrique.—MlleSandersestd’unemoralitéirréprochable.— Je ne demande qu’à vous croire, répliqua Taylor, secrètement amusé.
Toutefois,vousvoyagezsouventensacompagnie,mêmeenEurope.D’aprèsmesrenseignements,vousréserveztoujoursdeuxcabinesadjacentespourlatraversée.—Quoideplusnormal?Jetiensàl’avoirsouslamain,aucasoùj’auraisbesoin
deluidicterunelettre.Maispuisquevoussemblezsibienrenseigné,vousdevriezsavoirqueMmeHiggins,monautresecrétaire,m’accompagneaussi,parfois,lorsdemesdéplacements.C’est unedamed’une cinquantained’années, et je doute fortqu’elleapprécievosallusionsdéplaisantes.Taylor le savait.Mais la terneMme Higgins ne présentait aucun intérêt pour
l’enquête,comparéeàlarayonnanteBrigitteSanders.—Jevouspried’excusercesquestionsindiscrètes.J’aifouillédanslavieprivée
devotreépouse, j’agisdemêmeàvotreégard.Unemaîtressedélaisséecommetparfoisdesactesirraisonnés.—Mlle Sanders n’est pasmamaîtresse, je vous en donnema parole, soupira
Malcolm,lafaceencoreempourpréeparl’indignation.Laconversationroulamollementsurd’autressujets.LesaffairesqueMalcolm
avaitrécemmentconcluesavecl’Allemagne.Deséventuelsconcurrents, jalouxdeses contrats… Au terme de l’entretien, Taylor tira la seule conclusion quis’imposait:Teddyavaitétéenlevésoitpourdel’argent,soitparvengeance.Danslepremiercas,lademandederançonn’étaitplusqu’unequestiondetemps.Danslesecond, il ne restait plusqu’àprier le ciel pourqueDelauneyn’ait pas touchéà
l’enfant.Ils évoquèrent tout naturellement cette dernière hypothèse. Certes, l’homme
avaitdébitéuntasdesottisesàMarielle,maisonnepouvaitlejeterenprisonsousprétextequ’ilavaitétéstupide.Sonalibitenaittoujours.D’unautrecôté,ilétaitleseulàavoirunemotivation.— Je continue à penser qu’il est coupable ! déclara Malcolm, tandis qu’il
raccompagnaitl’agentduFBIjusqu’àlaporte.—Moiaussi.L’ennui,c’estquenousmanquonsdepreuves.MaissiDelauneya
manipulélesravisseurs,jemefaisfortdeluimettrelamaindessus.La porte se referma sur lui, puis Taylor se fraya un passage parmi les
représentants de la presse toujours agglutinés devant le perron.Et deuxheuresplustard,alorsqueMalcolmetMariellevenaientdeprendreplacedanslavastesalleàmanger,l’appeltéléphoniquetantattenduarriva.Lepolicierqui répondit se fit passerpourundomestique.Enattendantque le
maître de céans soit en ligne, lemagnétophone fut branché à la hâte, alors quequatreenquêteurs,plusMarielle,s’emparaientdepostesintérieurs.LemystérieuxcorrespondantavaitdemandéàparleràPatterson,d’unevoixéraillée,affubléedel’accentrâpeuxdeSouthBronx,àmoinsquecenefûtd’EastJersey.—Oui,iciM.Patterson.Quiestàl’appareil?—J’aiungentilcopainprèsdemoi,grinçalavoix.Unpetitbonhommeenpyjama
rouge.Malcolmfermalesyeux.IlsavaientprisTeddyilyavaitexactementquarante-six
heures.Lamaincrispéesurlerécepteur,Mariellepleuraitensilence.—Commentva-t-il?demandalepèredel’enfant.—Aupoil.Saufqu’ilaattrapéunrhume.Onabesoind’argent,histoirede lui
acheterunechouettepetitecouverture.—Puis-jeluiparler?interrogeaMalcolmd’unevoixcalme.Seulesamaintremblantetrahissaituneémotioninsoutenable.—Non…lepetitchoudortàpoingsfermés.Parlonsfric,plutôt.—Combienvousfaut-il?—Deuxcentsbâtonsdevraientsuffirepourl’achatdelacouverture,hein?—C’étaitquatrefoisleprixréclaméauxLindbergh.–Enpetitescoupuresdont
lesnumérosn’ontpasétérelevés,t’entends,grosmalin?TumetsletoutdanslaconsignedeGrandCentralStation.Turepars,pénard.Pasdeflics,pasdebilletstronqués,pasd’entourloupe,sinon,pasderejeton!—Qu’est-cequimeprouvequ’ilvabienmaintenant?—Rien!ricanalavoix.Net’avisepasàmejouerunsaletour,ouàmemettreles
pandoressurledos,sinon,tupeuxdéjàappelerlespompesfunèbres,monvieux.Lacommunicationfutcoupéebrutalement.Marielles’accrochaàunetable.
Degrossesgouttesdetranspirationperlaientsur le frontdeMalcolm, lorsqu’ilraccrocha.Ilavaitnotélesinstructions.Detoutefaçon,laconversationavaitétéenregistrée.JohnTaylorrevintàpeineunedemi-heureplustard.Pattersonavaituneminede
papiermâché,Marielletremblaitcommeunefeuille.Onignoraitencoresil’appelémanait de véritables ravisseurs, expliqua-t-il, ou s’il s’agissait d’un mauvaisplaisant, chose qui arrivait fréquemment dans ce genre d’affaire. Or, c’était unespoir–leseuletunique–auquellesparentsdeTeddys’accrochaientcommeàunebouéedesauvetage.Lorsqueledétectiverepartit,Malcolmsecouvritlevisagedesesmains,réprimantunsanglot.Lasommefutrassembléelesoirmême.LeministèredesFinancesavaitviréun
demi-milliondedollarsencoupuresusagéessurlecomptedel’industriel.Lesnumérosdesbilletsavaientétérelevés.Ledirecteurdelabanque,alertépar
sonclient,fitunretraitdedeuxcentmilledollars,quel’onplaçadansunattaché-case de cuir noir. Le tout fut déposé, comme convenu, à la consigne de GrandCentralStation.Suivantleplandictéparleravisseur,unepetiteannoncedansleDaily Mirror signala l’exécution de l’opération. Il ne restait plus qu’à attendre.L’immensegarepullulaitdepoliciersencivil, feignantdefeuilleterdesrevues,seprélassant sur des bancs, avalant des hot-dogs, et parcourant inlassablement lesquais,l’œilàl’affût…Troisjourss’écoulèrent.La rançon dormait toujours au fond du box de métal. Il fallait se rendre à
l’évidence. Personne ne viendrait la chercher. Le coup de fil représentait uneplaisanteriedemauvaisgoût,uncruelcanular.Alorsque,d’heureenheure,l’espoirs’amenuisait, Marielle sombrait dans le désespoir. Au troisième jour de vaineattente,ellerestaaulit,incapabledeselever.Malcolmavaitperdusonassurance.Sesépauless’étaientvoûtéesetsapâleurfaisaitpeineàvoir.L’insoutenable tension qui s’était installée dans la demeure rendait l’air
irrespirable.IlrestaitsixjoursavantNoël.LaperspectivedepasserlesfêtessansTeddyajoutaitàleuraffliction.Ilsaccomplissaientlesgestesquotidienscommedessomnambules.Cesoir-là,ils
s’assirentcommeàl’ordinairedevantundînerquenil’unnil’autrenepritlapeinedegoûter.—Pourquoi,monDieu,pourquoi?Pourquoinesont-ilspasvenus?hoquetapour
lacentièmefoisMarielle.Obnubiléeparl’appeltéléphonique,ellesongeaitsansrépitauxconséquences.Etsi lesravisseurss’étaientrenducomptede laprésencedespolicierssur les
lieux?Avaient-ilsrenoncéàtoucherlarançon?Etqu’allait-iladvenirdeTeddy?Sepourrait-ilque,dansunmomentdepanique,ilsl’aientsupprimé?— D’après Taylor, c’était une blague, répondit Malcolm, gagné lui aussi par
l’affreuse angoisse de sa femme. La piste de Delauney est la seule valable, jepersisteàlepenser.—Alorspourquoin’a-t-onpasréussiàleconfondre?Pourl’amourduciel,qu’est-
cequ’onattend?Ellequittalapiècepourseprécipiterdanssachambre.LavuefamilièredeJohn
Taylornesuffisaitplusàlarassurer.Lelendemain,MalcolmsupplialesenquêteursdetenterunenouvelleperquisitionchezDelauney.Cefutledimancheaprès-midisuivant,presqueunesemainejourpourjouraprès
lekidnapping,quelapolicefitl’inquiétantedécouverte.C’étaitdanslacavedelarésidenceDelauney,enfouientredeuxcaissesdebouteillesdevin.Un policier mit au jour ce qu’il prit d’abord pour un torchon coloré, puis, en
l’examinantàlalumière,ilenrestabouchebée.Sesdoigtstenaientunpetitpyjamarouge,agrémentéd’uncolauxbroderiesbleupâle.L’hommeseprécipitaaurez-dechaussée,afindemontreràl’inspecteurTaylorsatrouvaille.Cedernierregardaunlongmomentlepyjama.Unequestionseposait,fatale,obsédante.Oùétaitpassélepetitgarçon?Qu’est-cequeCharlesDelauneyavaitfaitdelui?Ilpénétrad’unpasrésoludanslesalonoùlesuspectattendait,brandissantl’étoffecerise.Charlessecouvritlevisagedeseslonguesmainsfrémissantes.—Cen’estpasmoi,jevouslejure.Monproprefilsestmort,ilyadesannées…
Je sais combien on souffre de perdre un enfant, pourquoi aurais-je fait subir cemalheuràquelqu’und’autre?Sesaccentsdesincéritén’émurentguèreJohn.Lerestesedéroulatrèsvite.Des menottes d’acier emprisonnèrent les poignets de Charles. Le pyjama,
soigneusement rangé dans une enveloppe de plastique, prit le chemin dulaboratoire.CharlesDelauneyfutinculpépourkidnapping.Des sanglots secouèrent les épaules de Marielle quand elle sut qu’on avait
retrouvélevêtementdeTeddy.—Maisoùest-il?s’écria-t-elle,affolée.—Nousnesavonspasencore,réponditTaylorauboutdelaligne.Nousallons
procéder à un nouvel interrogatoire du suspect. Celui-ci va être transféréimmédiatement au dépôt où nous pourrons le questionner d’une manière plusefficace.Jevoustiendraiaucourant.Il reposa le récepteur sur le combiné, le front songeur. Les pièces du puzzle
hallucinantsurlequeliltravaillaitdepuisdesjourscommençaientàs’emboîterlesunesdanslesautres.ToutaccusaitCharles.Lepetitpyjama,cachédanssacave,etl’absencededemandederançon.L’ex-marideMarielleavaitagisousl’effetdelacolère,afindesevenger,oud’attirerlajeunefemmedansunpiège,peuimportait.Et,denouveau,laterriblequestionlehanta.Qu’avait-ilfaitdeTeddy?Pireencore,legarçonnetétait-iltoujoursvivant?Dansl’imposanteetsilencieusedemeuredesPatterson,Marielleavaitraccroché,
l’œilhagard.Paralyséepar la terreur, elle se tournaversMalcolm,mais celui-ciavaitquittélapiècesansuneparole.
Chapitre7Lanouvelledel’arrestationdeCharlesDelauneyserépanditdanslesagencesde
presse comme une traînée de poudre. Dès le lendemain matin, une foule dereporters fit le siège de la demeure des Patterson, et Malcolm dut sortir sousescortepolicière.Lesjournalistesenquêted’informationspoursuivaientsansrépitles protagonistes du drame, y compris John Taylor et le chef de la police new-yorkaise.Ilsvoulaienttoutsavoir,jusqu’aumoindredétail.Largementexposéedansles quotidiens, l’affaire fit doubler les tirages, tandis que le public, avide desensations,suivaitreligieusementlesrebondissementsdel’histoire.Onavaithâtede connaître la suite du feuilleton. Le fait que l’héritier d’une des plus grossesfortunesducomtéfûtaccusédekidnappingavaitenflammélesimaginations.Etcen’étaitpastout!Onsavaitàprésentquel’inculpéavaitépouséenpremièresnoceslafemmequ’iltenaitpourresponsabledelamortdeleurenfant,etqui,parlasuite,s’étaitmariéeaumagnatdel’industriedontDelauneyavaitenlevélefils…Unvrairoman,àceciprèsquelaréalitédépassaitlafiction.Endépitdetoussesefforts,Johnn’avaitpasréussiàenrayerlesracontarset,
aux approches de Noël, New York bourdonnait du scandale… Pour Charles, lagardeàvueauquartiergénéralduFBIs’étaitprolongéecinqjoursdurant,maisonrestaitsansnouvellesdeTeddy.L’inculpén’avaitcessédeproclamersoninnocenceavecunevéhémenceetunentêtementquilaissèrentsupposerauxenquêteursqu’ilavaitdéjàéliminél’enfant.LanuitdeNoël,JohnTaylordévoilaauxparentsdupetitdisparulescraintesdelapolice.—Oh,monDieu!gémitMalcolm,lecorpstétaniséparl’horreur.Contre toute attente, Marielle ne s’effondra pas. Depuis plusieurs jours, elle
n’avait pas eu de migraine, comme si toute son énergie s’était canalisée dansl’attented’unedécouverte.—Jenepeuxpasycroire,dit-elleàTaylord’unevoixétrangementcalme.Jene
peuxpascroirequejenelereverraiplus…niqueCharlesatuémonenfant.—Reprendsdonctesesprits!hurlaPatterson,insensibleàlaprésencedel’agent
duFBI.Quandcomprendras-tuenfinquecedéments’estvengédelamortdesonenfant?Sonfilsestmortetlemienaussi,maintenant.LuiaussirejetaitleblâmesurMarielle.Johnauraitvoululuimurmurer«soyez
forte»,maisilgardalesilence,secontentantd’unfugaceserrementdemain,avantdelalaisserencompagniedeMalcolm.Noëlavaitperdusonsens. Iln’yeutni repas,ni sapin illuminé,ni échangede
cadeaux. Au sous-sol, le merveilleux train électrique demeura immobile sur sesrails. Les deux époux montaient régulièrement dans la chambre de leur petitgarçon, comme pour puiser l’énergie nécessaire à leur survie. Marielles’agenouillait près du petit lit déserté, une fervente prière sur les lèvres… La
pensée qu’elle ne tiendrait plus son « petit prince chéri » entre ses bras nel’effleurait même pas. Une sorte de confiance aveugle, irraisonnée, avaitsoudainement remplacé les affreux doutes. Teddy reviendrait bientôt. Charlesn’avaitpaspuluifairedemal.Lescirconstancesavaienttisséunmauvaisrêvedontellene tarderaitpasà se réveiller.Et alors, les ombresmortelles sedilueraientdansleséclatantsrayonsdusoleil,pareillesaubrouillardquedissipentlesardenteslueursdel’aube.La nuit de Noël ne fut qu’une morne succession d’heures sans sommeil. Le
lendemain, lorsque Malcolm fut sorti, elle demanda à l’un des policiers de laconduire en ville. Il commença par s’étonner, finit par s’incliner devant soninsistance. Peu après, vêtue d’une simple robe de lainage noir sous une vieillefourrureetcoifféed’unchapeaunoirdontlesbordsrendaientsestraitsindistincts,Mariellequittalarésidenceparlaportedeservice,escortéeparquatrepoliciers.Unevoituredepolicebanaliséese frayaensuiteuncheminparmi lesgrappesdereporters amassées sur le devant. Installée sur la banquette arrière entre deuxsergents,Mariellesesentaitglacéejusqu’auplusprofondd’elle-même.Ellen’avaitpasmislenezdehorsdepuislanuitdel’enlèvement.LevéhiculepritladirectiondeDowntown,àtraversdesruesenneigées,quifirentàlapassagèrel’effetd’unevilleétrangère. Elle, qui avait scrupule à prendre des initiatives, paraissait, soudain,animéed’uneforcesingulière.Autermed’unenuitblanche,soncœurluiavaitdictésaconduite.Elleiraitlevoir,illefallait…IlsetrouvaittoujoursauquartiergénéralduFBI.
Depuissixjours,sestourmenteursn’avaientcessédeleharcelerdequestionsdansl’espoirdeluiextorquerdesaveux,maisilavaittenubon.Ungroupedejournalistesavaitprisd’assautlesmarchesdel’immeuble.Àlavue
deMarielle,uneonded’hystérieparcourutl’attroupement,maissonescorteforçaunpassageaumilieudeséclairsblafardsdesflashes.Lesoufflecourt,tremblante,elleseretrouvaàl’intérieur,oùelledemandaàvoirledétenu,cequisuscitaunefoule d’objections. Mais, contrairement à ses habitudes, elle insista, encore etencore.Enfin,ungardienl’accompagnadansunepetitepiècenueoùil la laissa.Etdix
minutesaprès,onfitentrerCharles.Ilportaitunpantalonenfoncédansdesbottes,unevieillechemised’unepropretédouteuse.Unebarbedeplusieursjoursémaciaitsesjoues,etilclignaitdespaupièressouslalumièrejaunequedéversaitl’ampouleuniquefixéeauplafond.Enl’apercevant,ilfonditenlarmeset,quandsesgeôliersquittèrentlacellule,ill’attiradanssesbrasetlatintserréecontrelui.—Marielle,jen’airienfait.Jelejure.J’étaissousl’emprisedel’alcool,cejour-
là.Jenesavaispascequejedisais…Tonpetitgarçonm’arappeléAndré…—Jesais…Jesais…Chut…Ilfautquejeteparle.Ensedégageantdesonétreinte,ellesereculademanièreàmieuxleconsidérer.
Elleavaitbesoind’entendrelerécitdesévénementsdesabouche.Ils’assitpesamment,etellepritplaceenfacedelui,del’autrecôtédelatable
exiguë.Leursregardssesoudèrent,empreintsd’unmêmechagrinquineguérissait
pas.—Charles,ques’est-ilpassé?—Jenesaispas.IlsprétendentavoirtrouvélepyjamadeTeddydansmacave.
Marielle,dis-moiquetunelesaspascrus!—Commentcepyjamaest-ilarrivélà?— Je l’ignore. Je le jure devant Dieu, je n’en ai pas la moindre idée. J’ai été
stupide.Cruel.Affreusementégoïste.Maisjen’aijamaisfaitdemalàpersonne.J’aicombattu aux côtés de mes amis, prêt à mourir pour leur cause, parce que jen’avaisaucuneraisondevivre.Rienàperdre…Alorspourquoiaurais-jevouluôterlavied’unpetitgarçon?Jet’aidéjàsuffisammentfaitsouffrir.Et…oh,monDieu…Jet’aimeencore.Savoixs’étaitéteintedansunesourdeplainte.Unsanglotlesecoua.— Je sais, murmura-t-elle. – Elle l’aimait tout autant, mais elle aimait Teddy
davantage.–Oùest-il?—Jenelesaispas.Jetelejure.Jen’airienàvoirdanscekidnapping,Marielle.
Même sous la torture je le nierai toujours. J’espère du fond du cœur que tu leretrouveras.Tulemérites…Jenepensaispascequej’aidit.Ellesondasonregardembué,sidroit,silimpide,etellelecrut.—Merci,fit-elleàmi-voix.Le gardien reparut, mettant fin à la visite. Marielle se leva. Charles
l’accompagnad’unultimeregard,long,intense,implorant.—Ilfautmecroire,Marielle.Cefurentsesderniersmotsavantquelegardiennel’entraînehorsdelapièce.L’entretien s’achevait là. Marielle reboutonna son manteau de fourrure. Il lui
avaitparusincère.Charlesavaitcertainementdit lavérité.Maisalors,quiavaitenlevéTeddy?Etpourquelleobscureraison?En quittant la pièce exiguë, elle marqua une pause. John Taylor s’avançait à
grandspasdanssadirection,l’airmorose.—Quefaites-vousici?s’enquit-il,furieux,d’untonpleindehargnequiluirappela
Malcolm.—JesuisvenuevoirCharles.—Vousêtesfolle!—Iladitn’êtrepourriendansl’affaire.Jesuissûrequ’iln’apasmenti.—Quevouliez-vousqu’ilvousdise?Qu’ilatuévotrefils?Cetypeestprêtàtout
poursauversapeau.Elleeutuntressaillement,maisilétaittropirritépours’enrendrecompte.—Pourquoim’aurait-ilmenti?—Pourquoivousaurait-ilditlavérité?Écoutez,Marielle,restezàl’écartdetout
cela.Nevousapprochezplusdecethomme.Noussommeslesseulsàpouvoirvous
ramenerTeddy.Luinepeutplusrienpourvous…Ilnevousarienapporté,rienquedesennuis.Laissez-leàsonsort.Jusqu’àquandCharlesDelauneyréussirait-ilàladuper?sedit-il,enproieàune
déconcertante rage froide. À présent, il en savait long sur le premier mari deMarielle. Ses expéditions en Espagne, ses crises de fureur, ses beuveries, sonéternelle révolte… et le fait qu’il avait osé lever lamain sur elle, qu’il avait eul’audace, aujourd’hui encore, d’affirmer qu’il l’aimait. Visiblement, il n’avait plustoutesaraison.JohnTaylors’étaitjurédetenterl’impossiblepourl’empêcherdenuiredavantageàMarielle.— Venez. Je vous raccompagne chez vous. La prochaine fois que l’envie de
commettreunebêtisevousprendra,parlez-m’end’abord.—Pourm’entendredirequoi?Ils étaient sortis de l’immeuble de brique rouge sombre et s’avançaient
rapidementversunevoituredont lechauffeuravaitmisenmarche lemoteur,aumilieuducrépitementincessantdesappareilsphoto.— Quem’auriez-vous répondu si je vous avais demandé deme conduire ici ?
demanda-t-elle,lorsqu’ilssefurentinstallésàl’arrièreduvéhicule.—J’auraisrefusé.—C’estpourquoijenevousairiendit.Oui, elle avait cru chaquemot queCharles avait prononcé. Peut-être que tout
celan’étaitpasarrivéparsafaute…Danslesilencequisuivit,Taylorcrutdécelerun sourire sur les lèvres décolorées de la jeune femme. Il la regarda, réalisantsoudainàquelpointelleluiplaisait.Sonintérêtpourelledépassaitlargementleslimitesdesonenquête.—Laprochainefoisquevousaurezunegrandeidéecommecelle-ci,gareàvous.—C’estbiencequejecraignais.Durant le trajet du retour, ils n’échangèrentplusunmot. John l’observait à la
dérobée. Elle était digne de compassion. Il imaginait parfaitement dans quellesaffres elle vivait. Plus que jamais, Marielle comptait sur lui pour retrouver sonenfant,aumomentoùlui-mêmecommençaitàsesentirlaproiedudoute.Ilavaitéprouvélamêmechoselorsdel’affaireLindberghetavaitespérésetromper.Maisilavaitvujuste,malheureusement.Ilsgagnèrentlacuisinedelademeureparlaportedeserviceetelleleremercia
de l’avoir ramenée. Le lendemain matin Malcolm se montra nettement moinsreconnaissant.PresquetouslesjournauxrelataientlavisitedeMarielleàCharles,sursonlieudedétention.Ilyavaitdesphotosd’ellepartout.Suruncliché,onlavoyaitprèsdeJohn,quil’enlaçaitparlesépaulesd’unbrasrobuste,tandisqu’elles’apprêtaitàmonterenvoiture.Malcolmrentraàlamaison,lafacedécomposée.—De quoi s’agit-il,Marielle ? voulut-il savoir en tapotant d’un doigt agacé la
photorévélatrice.
—M.Tayloressayaitdemeprotégerdelapresse.—Ilal’aird’enretirerunegrandejoie.LavisiteàDelauney,c’étaituneidéeà
lui?—Non.Àmoi.Jesuistombéesurl’inspecteurTaylordansleslocauxdelapolice.
Jesuisdésolée,Malcolm,maisilfallaitquejevoieCharles.Jevoulaisentendresesexplications.—Est-cequ’ilt’aditcommentilatuéTeddy?Iltel’adit?Oua-t-ilpréférégémir
surlamortdesonproprefils?—Malcolm,s’ilteplaît…—Quoi,«s’ilteplaît»?Tonamantoutonex-mari,quisais-jeencore,akidnappé
monfilsettuvoudraisquejeleplaigne?Libreàtoid’avoirpitiédelui,Marielle.Moi aussi j’ai pitié, mais de Teddy… de notre petit garçon, probablement mortd’unefaçonatroce,étranglé,poignardé,abattud’uncoupdefusil…—Arrête !Arrête !Arrête ! hurla-t-elle, les paumesplaquées sur les oreilles,
commepourendiguerceflotdeparolesinsoutenables.Ellesortitdusalonencourant,allaseréfugierdanssachambre,haletante.C’enétaittrop.Ellenepouvaitenendurerdavantage.Àladouleurd’avoirperdu
Teddy s’ajoutait le blâmegénéral.Car, nul doute, on la tenait pour responsable.C’était elle lamère indigne, ellequi, naguère, avait été incapablede sauver sonpremierenfantdelanoyade,ellequiavaitlaissédesinconnusenleversondeuxièmepetit.CharlesluienavaitvouluàmortpourAndré.Etmaintenant,MalcolmluienvoulaitpourTeddy.Celanechangeraitdoncjamais?L’après-midi, JohnTaylor passa la voir. Il eut la gentillesse de lui épargner les
furieuxcancansdelapresseàsensation.DeTeddy,toujoursaucunenouvelle…Ilsallaient perquisitionner une fois de plus chez les Delauney. Et cette fois-ci, ilsdécouvrirent un nouvel indice, unminuscule ourson qui avait appartenu à Teddy,soigneusementcachédanslachambredeCharles.Plusaucundouten’étaitpermis,etMariellefutobligéedeserendreàl’évidence.
Chapitre8C’était la mi-janvier. Les préparatifs du procès se poursuivaient, et on était
toujourssansnouvellesdeTeddy,quiavaitdisparudepuistroissemainesetdemiemaintenant…Malcolm reprit la routedeWashington, afind’assister à la réuniond’unecommissionsénatorialesurdessujetsmilitaires,oùilrencontraHughWilson,l’ambassadeuraméricainàBerlin,depassageauxÉtats-Unis.Seuledans lavastedemeureenvahiedepoliciers,Marielles’étaitrabattuesur
d’inutilesrangementsdepapiers:unesériedegestesmécaniquessansautrebutqueceluid’occupersonesprit.Etdeladétournerdelapetitechambreduhautoù,irrésistiblement,sespaslaconduisaient.Depuisquelquetemps,ellenepouvaitpluslire les journaux, ni écouter la radio.Mué en instrument diabolique, le poste nefaisaitqu’émettrediversesconsidérationssurleprocès,quandilnediffusaitpaslesprogrammes préférés de Teddy, comme The Lone Ranger, ce qui la plongeaitaussitôtdansunmorneabattement.ElleenétaitvenueàdétesterShirleyTemple,parcequ’elleluirappelaitTeddy.C’étaitpareilavecmissGriffin.Laseulevuedelagouvernantelarévulsait.Finalement,Malcolml’envoyachezsasœurdansleNewJerseypendantquelque
tempsetcetteabsence futcommeunbaumesur lecœurblessédeMarielle.Aumoins,ellepouvaitmonteràlanurserysanstomberinvariablementsurlecerbère.Elle s’y rendait chaque fois qu’elle ressentait le besoin de se trouver dans lachambre de son fils, de toucher ses jouets, ses vêtements, sa brosse à cheveux,c’est-à-diresouvent…Parfois,ellerestaitdesheuresdurantprostréesurlepetitlitousurlerocking-chair,lesyeuxvides.Cejour-là,HaverfordentradanslabibliothèqueoùMarielletriaitdespapiers.—Vousavezdelavisite,madame,dit-ild’unevoixgentille.–Ilavaitdelapeine
pour elle, bien qu’il n’ait jamais rien exprimé. – Une certaine Mlle Ritter, quiprétendavoirrendez-vous.—Jeneconnaispersonnedecenom.—Maissi,voyons!claironnaunevoixpointuedansledosdumajordome.Une jeune femme avait jailli sous le chambranle. Petite, les cheveux roux, de
l’âgedeMarielle.Unvisagefuté,quisansêtrefamilier,neluiparutpastoutàfaitinconnu. L’espace d’une seconde, la frayeur l’assaillit.Dans quel but venait-on ladéranger chez elle ? Pour la menacer ? Pour lui extorquer de l’argent en luipromettantdeluirendreTeddy?Chaquejour, l’espoirderevoirsonpetitgarçons’amenuisait…Larançon,intacte,dormaittoujoursaufonddelaconsignedeGrandCentralStation.—Quiêtes-vous?Haverford ébaucha un pas en direction de l’intruse, mais, soudain, Marielle
reconnutenelle la journalistequiavaitpresque forcé saporte,au lendemaindel’enlèvement.—Puis-jevousparlerseule?demandal’arrivante,avecunregardobliqueducôté
dumajordome.—Non.Jesuisdésolée.—S’ilvousplaît…C’estimportant.Lajournalistefixaitsurelledesyeuxsuppliants.—Commentêtes-vousentrée?—Nousavionsrendez-vouscetaprès-midi,non?Elleavaittentévainementd’accrocherleregarddeMarielle.—Non.Jesuisnavrée,mademoiselle…—Ritter.BéatriceRitter.Béa.Le large sourire engageant qui illumina sa petite figure semée de taches de
rousseurn’eutpasd’effetsursoninterlocutrice.—Ehbien,mademoiselleRitter,vousdevriezvousenallermaintenant.LesouriredeBéatrices’effaça,cédantlaplaceàunecruelledésillusion.—Jevois.JevoulaisjustevousparlerdeCharles.Ausondecenom,l’airsechargead’électricité.—Pourquoi?s’écriaMarielleenlafixant.—Parcequ’ilabesoindevous.—Madame?Lemaîtred’hôtell’interrogeaitduregard,maisellelecongédiad’ungeste,etil
quittalapièce,commeàregret.—Jenecomprendspaslaraisondevotrevisite.Est-ceCharlesquivousenvoie?Depuisleurbrèveentrevue,ellen’avaitpluseudesesnouvelleset,dureste,la
découverte de la peluche ayant appartenu à Teddy l’avait convaincue de saculpabilité.—Non.J’aisuivil’affairedèsledébut.JenepensepasqueCharlesDelauneyait
enlevévotrefils,madamePatterson.Aidez-moiàtrouverlevraicoupable.—Levraicoupableestenprison,mademoiselleRitter.Moiaussijecroyaisàson
innocence, jusqu’àceque lapolicedécouvrechez luideux indicesaccablants.LepyjamadeTeddy,puisundesesjouetsfavoris.Iln’yapasd’autrepiste.Personnenenousacontactésàcesujet.—Peut-être lesvéritablesravisseursont-ilsprispeur…Entoutcas ils doivent
avoirunebonneraisonpourseterrer.Àsesyeux,l’innocencedeCharlesnefaisaitaucundoute.Ellel’avaitinterviewé
longuementet lecroyait incapabledecommettrepareilcrime…Cen’étaitpas lecasdeMarielle.
—Jenepuisvousaider,j’enaipeur,murmura-t-elle,lesyeuxemplisd’unepeineimmense,lecœurlourd.Peu lui importait que cette fille plaidât la cause de Charles. Tout ce qu’elle
voulait,c’étaitrevoirTeddy.—Letenez-vousvraimentpouruncriminel,madamePatterson?—Oui…Iln’yapasd’autreexplication,malheureusement.Ilamissesmenacesà
exécutionetvoilàtout.—Iladitn’importequoiparcequ’ilétaitivre.SoninsistancearrachaunsoupirirritéàMarielle,quilaconsidéra longuement,
passanten revue ses cheveuxcourts, sonmanteaubleumarinebonmarché, sonpetitchapeauornéd’uneextravagantefleurécarlate.—L’ivressen’estpasuneexcuse.Jesuisdésolée.Elle avait amorcé unmouvement en direction de la porte,mais BéaRitter ne
bougeapas.—Ilvousaime,madamePatterson.Marielleseretourna,furieuse.—Ilvousl’adit?—C’estl’évidencemême.—Lesévidencesnesontjamaisquedespointsdevuepersonnels,mademoiselle.
Allez-vous-en!Jerefused’enentendreplus.—Ilestinnocent!Un frissonparcourutMarielle.Elleavait suffisammentétébernéeparCharles
Delauney.Ilétaithorsdequestiond’accorderuncréditquelconqueauxallégationsdel’hommequiluiavaitprissonbébé.— Comment osez-vous prétendre qu’il est innocent ! En ce cas où est mon
enfant?— Il l’ignore. Il me l’a juré, affirma Béa, sans quitter Marielle du regard. Si
Charleslesavait,ilnousl’auraitdit.—Vousneleconnaissezpas.Lapetitejournalistehochalatête.Àsonavis,elleleconnaissaitmieuxquetous,
mieux que Marielle elle-même. Elle avait passé des heures avec lui, en prison,aprèsavoirsoudoyédeuxdesesgeôliers.Audébut,elleavaitsimplementétéàlarecherche d’un scoop, mais au fur et à mesure que l’interview progressait, laconvictionquecethommedisaitlavérités’étaitimposéeàelle.Elleluiavaitpromisdel’aider.Enfait,elleavaitcontactédesapartTomArmour,l’implorantd’assurerladéfensedeCharles.Celui-ciavaitdéjàenvoyéuncourriervolumineuxaujeuneetcélèbreavocat–uneancienneconnaissance–maisseslettresétaientdemeuréessansréponse…QuandBéal’avaitsollicité,lebrillantplaideuravaitcommencéparrefuser.Àla
longue, il avait cédé. Béa avait su le persuader que, sans son intervention, un
homme innocent encourait la peine de mort, victime d’une terrible erreurjudiciaire.Ce futgrâceàBéaRitterqueTomArmour s’était finalement résoluàprendreladéfensedeCharlesDelauney.—Allez-vousm’aider?Ses yeux suppliaientMarielle, qui détourna la tête, désemparée. Tout comme
TomArmour,ellen’avaitrienvouluentendremais,toutcomptefait,elleavaitprêtéuneoreilleattentiveauxargumentsdelapersévéranteBéaRitter.—Trouvezmonfilsetjevouscroirai.—J’essaierai.Puis-jevoustéléphonersiquelquechosedenouveausurvient?Aprèsunehésitation,Marielleébauchaunsigneaffirmatifdelatête.—Merci.Lesdeuxfemmeséchangèrentunlongregard,aprèsquoilajournalistetournales
talons.Laporteserefermasurelledansunclaquementmat,etMariellerestaunbonmomentàcontemplerlebattantclos.Haverfordvintluiannoncerunenouvellevisite. John Taylor et le procureur général. Ce dernier, grand, mince, la mineaustère, commença par déclarer tout de go que Charles Delauney avait sanscontestekidnappél’enfant.Puis,prisdepanique,qu’ill’avaitprobablementtué.Àcesmots,levisagedeMariellesecontractadouloureusement,tandisqueTaylorlaregardait,impuissant,lagorgeserrée.Imperturbable,leprocureurajoutaquel’affairepasseraitdevantlacourd’assise
en mars. Il allait requérir la peine de mort pour le prévenu et avait toutes leschances de l’obtenir. Par ailleurs, il espérait que Marielle et son mari luifaciliteraientlatâcheparunetotalecoopération.—Qu’entendez-vousparlà,monsieurPalmer?—Que je compte sur vous pour assister au procès,madame Patterson. Il est
importantquelesjuréspuissent,envousvoyant,serendrecompteàquelpointlapertedevotreenfantvousaaffectée,demanièreàleurinsufflerleverdictleplussévèrepourDelauney.Avecunpeudechance,ceseralachaiseélectrique,riendemoins!Ils’exprimaitavecuneassurancequifitfrissonnerMarielle.Ainsileréquisitoire
du procureur reposerait sur les émotions du jury plutôt que sur des preuvestangibles de la culpabilité de Charles ! L’idée qu’elle servirait d’appât durant laprocédure lui répugnait Cela déplaisait tout autant à Taylor qui, néanmoins,comprenaitmieuxlanécessitédecestratagème.Considérécommeunmagistrathorspair,WilliamPalmern’étaitpasréputépour
sonhumanité.—Si, d’aventure, l’enfant réapparaissait d’ici là, je souhaiterais, également, le
voirautribunal,trèsbrièvementtoutefois.SiseulementTeddyrevenait!songea-t-elleenessayantdecontenirseslarmes.—C’est tout ? s’enquit-elle, fuyant le regardaigudePalmer,horrifiéepar ses
proposcrus,implacables,sansnuance.
—Jevoustiendraiaucourant.Ils’étaitredresséenrajustantseslunettessursonlongnez,etl’avaitscrutéeà
travers les verres épais, comme pour mieux évaluer la portée de son futurtémoignage.—Jeverraiégalementvotremari,dèssonretourdeWashington,ajouta-t-il, la
mainsurlapoignéedesonattaché-case.—Jeleluidirai.Palmers’enfut,lalaissantencompagniedeTaylor.Exténuée,Marielleselaissa
tombersurlecanapéenexhalantunlourdsoupir.Lemoisquis’étaitécoulé,aveclalenteurd’uncauchemarinterminable,n’avaitrienapportédenouveau.—Quelhommecharmant!CetadjectifappliquéauprocureurfitrireTaylor.— Il fait meilleure impression dans un tribunal que dans un salon, dit-il en
allumantunecigarette.—Tantmieuxpourlui…MonDieu,ceprocès…Sa phrase resta en suspens, mais John en saisit parfaitement le sens. D’une
certaine façon, ils étaient devenus amis. Parfois,Marielle avait l’impression quel’agentduFBIconstituaitsonseulallié.—Ceseradur,répondit-ilentirantsursacigaretteetenrejetantlafumée.La
défensenemanquerapasdedéterrerdevieilleshistoirespourvousdéstabiliser…Votre séjour à l’hôpital psychiatrique, par exemple. Des choses comme ça. Ilstenteronttoutpourjeterlediscréditsurvous.—Pourquoi?Jen’accusepasCharles.Encoreque,maintenant,ellelecroyaitcoupable.EllemitJohnaucourantdela
visitedeBéaRitter.— Restez à l’écart. Vous risqueriez de vous faire du mal. Méfiez-vous de la
presse.Lesjournalistesontlamaniedetoutdéformer.Elleétaitd’accord.Pourtant,lafilleaudrôledechapeauavaitréussiàébranler
sesfragilescertitudes.Béaavaitl’airsiintelligente,pertinenteethonnête.—Jenesaisplusquepenser,soupira-t-elle.Oh,etpuis,quelleestladifférence?
Teddyn’estpluslà,leresten’aaucuneimportance.Sesyeuxs’étaientassombris.Durantsacourteexistence,elleavaitperdutrois
enfants.—ÇaenapourCharles.Iljouesavie,nel’oubliezpas.—Quiestsonavocat?—TomArmour.Un jeuneetbrillant juriste, réputépoursesplaidoiriesparfois
brutalesmais qui ont leur succès. Si quelqu’un peut sauver la tête deDelauney,c’estbienlui.—Jenesaissijedoism’enréjouirounon.Jenesaisplusquepenser,répéta-t-
elled’unevoixtriste.Malcolm,lui,estsûr.Etquandilsont…–cedisant,elleclignades yeux pour en chasser les larmes – quand ils ont trouvé l’ourson, jeme suisrangéeàl’opiniongénérale.Pourtant,lorsdemonuniquevisiteàCharles,jel’aicruinnocent.Maiss’iln’apasprisTeddy,alorsoùest-il?Oùestmonbébé,monsieurTaylor?Il n’y avait pas de réponse à cette question brûlante. Personne ne pouvait en
donner une. Taylor se contenta d’observer Marielle. Son attirance pour elle lerendaitquasiment inapteàsaisir lesensdesespropos. Jamaisaucunefemmenel’avaitenvoûtéàcepoint.Desavieiln’avaitéprouvépourquelqu’ununsentimentaussiimpétueux,pasmêmepoursonépouse.Aucoursdesalonguecarrière,illuiétaitarrivéderessentirunélandesympathieenversuntémoindusexefaible,maisjamais un tel engouement. Il se contint pour garder ses mains loin de la jeunefemme.—J’auraisaimépouvoirvousrépondre.Sonregardl’effleuracommeunecaresse,tandisquetousdeuxdemeuraientassis
côteàcôtesurlecanapé,dansl’éclatmordorédelanuittombante.Encore une nuit interminable et glacée qu’elle passerait toute seule, comme
d’habitude.Malcolmn’étaitpaslàet,endépitdelaprésencedesdomestiquesetdes policiers, l’immense demeure évoquait un mausolée. John aurait voulul’emmenerdînerquelquepart,dansunendroitcrépitantdesbruitsjoyeuxdelavie:brouhahadevoix,tintementargentindecouvertssurdesplatsdeporcelaine,éclatsderire,musique.S’ilavaitpu,ill’auraitemmenéeloin,leplusloinpossibledetouscesgensquiprofitaientégoïstementdesagrandeurd’âme…decesdeuxhommesquinesongeaientqu’àrecevoirsansjamaisriendonnerenretour.—J’auraisaimévousvoirheureuse,Marielle.—Merci,c’esttrèsgentilàvous,fit-elle,touchée.J’ailongtempspenséque les
épreuvesdelavieavaientunsens.Jenelecroisplus…J’aitropsouffert…Ce n’était qu’un doux euphémisme, se dit-il, pensant aux trois enfants qu’elle
avaitperdusdansdescirconstancestragiques.—Avez-vousdesenfants?demanda-t-elle.—Deux.Unefilledequatorzeansetungarçondeonze.Ilsemorditleslèvres,craignantd’avoirravivésesblessures,maisaucuneombre
n’altérasonvisagepaisible.—Andréauraiteuonzeansaujourd’hui.Etsapetitefillequin’avaitpasvulejourenauraiteuhuit.—Commentseprénomment-ils?—JenniferetMatthew.—Est-cequ’ilsvousressemblent?Unsourireavaituninstantéclairésestraitsfins,lumineuxmaisfugace.Pourla
premièrefoislaconversationneroulaitpassurdeskidnappingsoudesmeurtres.
— Je ne sais pas. Les amis disent quemon filsme ressemble, oui…Et vous ?Qu’aimez-vousfaireentempsnormal?Unautresourire,aussibrefqueleprécédent,commeunsoleilfugitifsurunciel
d’orage.— Nager, marcher, monter à cheval. J’adore la musique. Et la peinture. Je
peignais, avant. Je n’ai plus approché un chevalet depuis des années. (Trèsprécisément depuis son hospitalisation, mais elle omit de le préciser). Et puis,j’aimais bien jouer avec Teddy, sortir avec lui.Nous sommes allés voirBlanche-Neigelejour…lejouroù…—Jesais.Il s’en rappelait parfaitement.Le visagede la jeune femmes’était denouveau
assombri, et il posa samain sur la sienne. Les yeux saphir sondèrent les siens,tandisqu’ellesedemandaitpourquoiilfaisaitmontred’unetellegentillesse.—Marielle…Ilavaitmurmurétoutdoucementsonnom,dansl’airimmobile,puis,sansunmot
deplus, il sepenchaverselleet l’embrassa.Elleeut l’impressiondese liquéfierdanslesbrasquil’étreignaientavecforceettendresse.Enfin,quandillarelâcha,ilseurenttousdeuxl’airsurprisdecequileurétaitarrivé.—Jenesaisquoidire,John…Saufquejesuiscontentedevousavoirprèsdemoi
encesmomentsdifficiles.Sansvous,jen’auraispassurvécu.—Jeseraitoujourslàquandvousaurezbesoindemoi.Il s’était calé contre le dossier du canapé, stupéfait de sa propre audace. Il
ignoraitpourquoi ilavaitcédéà l’enviede l’embrassermaissavaitd’oresetdéjàqu’iln’yrésisteraitplus.Iln’avaitpaslesmoyensdeluioffrirletraindeviedontelleavait l’habitude.En revanche, il pouvait luidonner cedontelle avait leplusbesoin:l’amour.Pattersonnelaméritepas,pensa-t-il,alorsqu’elleledévisageait,l’airserein,avantd’embrasserlamainqu’ilavançaitverssajoue.—Est-cequevousaimezvotrefemme?Aprèsunehésitation,ilfitouidelatête.—Elleadelachance.Parlerdesafemme,c’étaitcedontilavaitlemoinsenvieaumonde.—Marielle,jen’aicessédepenseràvousdèsl’instantoùjevousaivue.Ils échangèrent un regard, intense et long. Leurs sentiments se passaient de
mots.Ilsavaientbesoinl’undel’autre.Johnsavaitpertinemmentquecettepassionpourraitluicoûtersonemploi,satranquillité,sonmariage,maisàvraidireiln’enavaitcure.Toutesavolontésetendaitverscettefemmequ’ilbrûlaitdedorloter,d’aimeretdeprotéger,commepersonnene l’avait jamaisencore fait. Ilsétaienttous deux mariés, bien sûr, or, bizarrement, cet obstacle ne revêtait qu’uneimportancerelativeàsesyeux.—Queva-t-ondevenir?interrogea-t-elled’unevoixdouce.
—Celadépenddevous,Marielle.—Jen’ensuispassûre,s’alarma-t-elle.Ellenedésiraitblesserpersonne.NiJohn,nisafemme,pasmêmeMalcolm.LesdoigtsdeJohnfrôlèrentl’opulentechevelurecannelle.Aufond,ilétaitprêtà
quitter Debbie pour elle, mais il se garda bien de le lui dire, de crainte del’effaroucher. Elle se sentait si vite coupable…Aucune promesse ne sortit de sabouche,etilsebornaàlaconsidérer,animéd’undésireffréné…Illavoulaittoutàlui,corpsetâme.—Ondiraitquevotrevien’apasétéunesuccessiondefêtes,l’amie,plaisanta-t-
il,avecunsouriremalicieux,lesyeuxpleinsdetendresse.— Je crois qu’on peut le dire… J’ai eu des moments heureux, pourtant. Avec
Teddy…avec vousaussi…Peut-être faut-il se contenterde ces rares instantsdebonheur.ElleavaiteuAndrépendantdeuxbrèvesannées…Charlespendanttroisans,puis
Teddypendantquatre.Oui,sansdoutequelebonheurn’avaitriend’immuable.—Vousn’êtespastrèsexigeante.—Jen’aipaseulechoix.Denouveau,elleledévisagea.Ils’inclinaverselleetleurslèvress’unirentune
foisdeplusenunbaiserquileslaissasansforce.—Jevoudraisvousrendreheureuse,chuchota-t-ilobstinément,maisellesecoua
tristementlatête.Ellenedemandaitplusrien…RienqueretrouverTeddy.—MonDieu,John,j’aisipeur.—Jesais,répondit-ilenluipressantlamainentrelessiennes.S’iln’avaittenuqu’àlui,ilauraitrésolutoussesproblèmes.Peut-êtreplustard…
QuandilluiauraitramenéTeddy…ousoncorps.— Vous devez vous armer de courage, Marielle. Je suis là pour vous aider…
Cessezdoncdedemandersipeuauxautres.D’êtreaussiconvenable.Ilcompritsoudainlaraisonpourlaquellesonentourageladétestait.Àcausede
sa générosité. Marielle n’attendait rien de personne. Elle donnait sans riendemanderenéchange.Elleétaittropcharitable,troppure,tropgentille,toujoursprêteàendurerlessouffrancesqu’onluifaisaitsubir.—Nesoyezpasaussibonne,pasmêmeavecmoi,Marielle,jevousensupplie.Illuirepritleslèvres,etcettefois-cielleréponditàsonbaiseravecuneardeur
quilelaissaabasourdi.Cefutellequi,lapremière,sedégageadel’étreinte,pourluidédieruncharmantpetitsourire.—Si nous n’arrêtons pas, nous risquonsd’avoir unproblème, fit-elle observer
d’unairentendu.—Un problème que je ne suis pas sûr de vouloir éviter, haleta-t-il d’une voix
rauque.Marielleeutunsoupir.Ellen’avaitpasfait l’amourdepuisplusdetroisans,et
avait senti, à travers l’étoffede lachemise,despectoraux toutà fait attrayants.Seulementunecomplicationdecegenreétaitmalvenueencemoment,tousdeuxlesavaient.—Quand tout sera terminé,nousauronsunediscussion sérieuse, vousetmoi,
madamePatterson.J’ignorecequel’avenirnousréservemaisjen’aipasl’intentiondevouslâcherd’unesemelle.De sa vie, il n’avait ressenti une passion d’une telle intensité, pasmême pour
Debbie. Sitôt qu’il avait posé le regard sur Marielle, le pressentiment d’unbouleversementvertigineuxl’avaitassailli.Ilsavaitàprésentqu’ildevaitretrouverTeddy.Coûtequecoûte.Etqu’il luifaudraitattendrel’issueduprocès, jusqu’àcequeCharlesDelauneysoitconfondu.—Voulez-vousgrignoterquelquechoseavantdepartir?—Non,merci,jevaisfaireunsautaubureau,répondit-ilàcontrecœur.Ilrentraitrarementavantdixheuresdusoirchezlui.Iln’avaitpasmentiquandil
avait dit à Marielle qu’il aimait sa femme. Entre lui et Debbie il y avait de latendresse,delacomplicité,unelonguehabitude…etlesenfants,biensûr,queJohnadorait.—Jevousappelleraidemain.Regrettait-elleleursbaisers?Sesentait-elledésemparée?—Jedevraisployersouslepoidsdelaculpabilité,etpourtantjemesensenpaix
avecmaconscience,déclara-t-ellecommesielleavaitdevinésespensées.Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,elleavaitlecœurléger.Quelquechose
despécialluiétaitarrivé.Quelquechosedontellen’avaitpashonte.Perplexe,ellesesurpritàseposerunequestionincongrue:seraient-ilsheureux,
unjour?Maisilétaittroptôtpouryrépondre.—Bonnenuit,madamePatterson.Il lui frôla les lèvres d’un léger baiser avant de quitter la pièce. Elle le
raccompagna jusqu’au vestibule, sous le regard scrutateur des policiers quimontaientlagarde.—Bonnenuit,Marielle.Quand la porte d’entrée se referma sur lui, elle gagna sa chambre d’un pas
tranquille.Pourlapremièrefoisdepuisunmois,elleavaitsouri…Quelsentimentmerveilleux de se sentir de nouveau aimée et désirée, ne serait-ce que pour uninstantseulement,songea-t-elle.
Chapitre9Pendantqu’ilpréparaitledossierde«l’Affaire»,leprocureurBillPalmerdevint
unvisiteurassidudelarésidencePatterson.Laplupartdutemps,calfeutrésdanslabibliothèque,luietMalcolmdiscutaientpendantdesheures.Leprocureurinterrogeapersonnellementchaquedomestique,ycomprisPatrick
etÉdith,que,entre-temps,Malcolmavaitcongédiés.Débutmars, ilvoulutparleravecMarielle,entêteàtête.—Jevoudraism’assurer,madamePatterson,quevousnevousécarterezpasde
votreversiondesfaitsautribunal,comprenez-vous?Ils’exprimaittoujoursd’unevoixcompassée,commes’ilsétaientdansunesalle
d’audience.RiennelerendaitsympathiqueauxyeuxdeMarielle,nisonteintgrisnisescheveuxraidescommedesbaguettes.Ildevaitavoirunequarantained’années,lemêmeâgeque JohnTaylor,mais là s’arrêtait la ressemblance.Vêtude strictscomplets-veston sombres à fines rayures blanches, il affectionnait les cravatesfoncéesetleslunettescercléesd’écaillé.Palmerportaitauxnues lemaîtredemaison,alorsqu’il affichaitune prudente
réserveàl’égarddeMarielle.—Jecomprends,réponditcelle-ci.Aufond,saversiondesfaitsserésumaitàpeudechoses.Lebruitqu’elleavait
entendu cettenuit-là, puis, versminuit, son incursion à l’étagedudessus où elleavaitconstatéladisparitiondeTeddy.Pourlacentièmefois,elleenfitlerécitauprocureur, qui l’écouta, impassible. Une seule chose l’intéressait : confondreCharlesDelauney. Ilvouaitunehaineviscéraleaux individusdesonespèce–cessoi-disantmilitantssocialistes,cesfauxartistesetautresplay-boysquivivaientauxcrochetsdeleursfamilles.—… trouvéBetty etmissGriffin ligotées et bâillonnées.De plus,missGriffin
avaitunoreillersurlevisageetavaitétéendormieauchloroforme…Teddyn’étaitpluslà.Commes’ils’étaitévaporé,ouic’estbiencela,évaporé.Depuis, aucun élément nouveau n’était survenu, à part la fausse alerte de la
rançon,quiétaittoujoursdéposéedansuneconsignedelagarecentrale.Personnenes’étaitjamaisprésentépourretirerl’attaché-casebourrédebillets
verts, aucun appel téléphonique n’était venu relancer les Patterson, ce quiconfirmaitl’hypothèseducanular.—LevêtementdécouvertdanslacavedeDelauneyest-ilceluidevotrefils?Il s’étaitmisàarpenter lapièce,pareilàunmetteurenscène faisant répéter
l’actriceprincipaledudrameàlaveilled’unegénérale,etMarielleeutl’impressiondesetrouverdéjààlabarredestémoins.
—Oui,jecrois…Leprocureurs’arrêtanetpourlascruteràtraverslesverresmiroitantsdeses
lunettes.—Vouscroyez!Vousn’enêtespassûre?—Si,mais…—Maisquoi,madamePatterson?Malcolml’avaitbienprévenuqu’onnepouvaitpascomptersurletémoignagede
cettefemme,qu’elleétaittrophésitante,tropincertaineetdéséquilibrée.Etavecça, elle n’avait pas assez de cran pour émettre un avis personnel ou avoir lecouragedesesopinions.—Jenesaispascommentlepyjamaaatterrilà-bas.Oui,onnepouvaitpas lui faireconfiance,sedit leprocureur,alarmé,Malcolm
avaitraison…C’étaitunecréaturetropémotive,tropimpressionnable,changeantecommelerefletdesnuagessurl’eau.— Parce que Delauney l’y a entreposé, voyons ! Comment voulez-vous que le
pyjama se soit trouvé chez lui, tout comme l’ourson en peluche, d’ailleurs, si cen’estpasluiquilesyamis?Pensez-vousqueCharlesDelauneyakidnappévotrefils,ouiounon,madamePatterson?Lorsdusilencequisuivit,elleeutl’airdepeserindéfinimentlepouretlecontre.
Durant ces deuxmois et demi, elle s’était posémille fois lamêmequestion.Quiavait enlevé Teddy ? Pas le Charles qu’elle avait connu autrefois, bien que toutl’accusât…Sesmenaces,lepyjama,l’ourson…—Oui,jecrois,réussit-elleenfinàarticuler.—Maisvousn’enêtespasconvaincue!éructa-t-il,commesicetteseuleidéelui
causaitunevivedouleur.Àvotreavisquelqu’und’autreapukidnappervotrefils?—Jenesaispas.Personnenesaitvraiment,sinonnousl’aurionsretrouvé.WilliamPalmerlaregarda,sincèrementchoqué.—Quevoulez-vousàlafin,madamePatterson?Votremaridésirequel’homme
quiaprisvotreenfantsoitpuni.Pasvous?Il avait presque l’air de l’accuser de sentiments antiaméricains, sous prétexte
qu’elleneréclamaitpasàcoretàcrilatêtedeCharlessurunplateau.—Jeveuxquemonfilsrevienneàlamaison.—SaufsiDelauneyl’atué.Avez-vousenvisagécettepossibilité?Ellefermauninstantlesyeux,puislesrouvritenhochantlatête.Commentallait-
elle survivre au procès ? Ces deux derniers mois s’étaient écoulés comme uncauchemar.Entrelesjournalistesquilapersécutaientsansrépit,lesphotosd’elle-même,deMalcolm,deTeddyetdeCharlesquelapressepubliaitrégulièrement,etles furieux ragots dont les journaux et la radio émaillaient leurs bulletinsd’informations, ellene savaitplusoùdonnerde la tête.Chaque jour, le scandaleenflait davantage, alimentépardes rumeurs absurdes : on l’aurait surprisedans
uneboîtedenuitentraindes’amuser,Malcolmauraitdemandéledivorce,Charlesseseraitévadé,destémoinsauraientaperçuTeddy…WilliamPalmerfaisaitpartiedececauchemarsansfin.— Cet homme a peut-être assassiné votre fils et vous doutez encore de sa
culpabilité,est-ceexact?—Oui,s’écria-t-ellefinalement,oui,c’estexact.Non!Disonsquejenesuispas
entièrement certaine queCharlesDelauney soit le ravisseur deTeddy… Je croisquec’estpossible,àcausedupyjamaetdel’oursonenpeluche.Illuidédiaunpetitsourirecontrit.—Ça,c’estmonaffaire,madamePatterson.Faites-moiconfianceetlaissez-vous
convaincre.Votremari,lui,estpersuadéqueDelauneyestcoupable,voussavez?Oh,ellesavaitbiencequeMalcolmpensait…Ilpensaitaussiquetoutétaitdesa
fauteàelle,cequinecorrespondaitpasdavantageàlavérité.—IlneconnaîtpasCharlesaussibienquemoi.—Certes,madamePatterson.Iln’empêchequeDelauneyvousarouéedecoups,
alorsquevousétiezenceinte,n’est-cepas?Marielleavaitdétournélatêteetregardaitfixementlejardinparlafenêtre.—Rouéedecoupsn’estpasletermeapproprié.Ilm’afrappée,biensûr,maisil
n’étaitpasdanssonétatnormal.—Résultat,ilaprovoquélamortdubébéquevousattendiez.—Jenesaispas.Ilneserapasjugépourça.—Non.Ilserajugépourl’enlèvementetpeut-êtrelemeurtredevotrefilsTeddy.
S’il s’est montré si violent une fois, il doit être parfaitement capable derecommencer.—C’estridicule.Lesdeuxcassontentièrementdifférents.— Êtes-vous en train de le défendre, madame Patterson ? Allez-vous prendre
aussisadéfenseauprocès?Cela, il tenait à le savoir avant de l’appeler à la barre des témoins. C’était
capital,songea-t-il,rongéparl’anxiété.—Jeneprendrailadéfensedepersonne,monsieurPalmer.Seullesortdemon
enfantm’intéresse.—Etmoi,seulelajusticem’intéresse,madamePatterson.—Encecas,jepensequelajusticeserabienservie.Ilséchangèrentun long regardemplid’une secrètehostilité,puis leprocureur
pivotasurses talonsetsortitde lapièce, l’airulcéré. Imprévisible,émotive,peufiable,conclut-il,furieux.Ilcommençaitàsedemandersi,aprèstout,lechauffeurde Patterson n’avait pas eu raison de la taxer d’infidélité. Peut-être était-elletoujoursamoureusedeCharlesDelauney…Sicelasetrouvait,ilsentretenaientuneliaison…Leurprétenduerencontrefortuiteauraitalorsétéunrendez-vousgalant.Or,d’aprèsl’enquêtequ’ilavaitfaitmenersurelle,MariellePattersonapparaissait
commeunepersonned’unemoralitéexemplaire.Sonseulpointfaibleconsistaitendépenses inconsidérées qu’elle effectuait pour sa garde-robe, ce dont son marisemblaitseficheréperdument.JohnTaylorarrivaquelquesminutesplustard.C’étaitdevenuunehabitude.Ilvenaitdans l’après-midi,afinderecevoir lerapport journalierde l’équipede
garde, puis dégustait une tasse de café en compagnie de Marielle. Quand, parhasard, elle était à l’étage, l’inspecteur traînait au rez-de-chaussée sous desprétextes fallacieux, jusqu’à ce qu’elle redescende. Un regard, un sourire,l’échange de quelques propos anodins, une fugitive pression de la main leursuffisaient.Parfois,ilavaitlachancedepouvoirluivolerunbaiser.Sonparfum,ladouceurdesapeauetdesescheveuxl’enivraient.Ilmouraitd’enviedesortiravecelle,de l’emmeneraucinéma,de faireune longuepromenaden’importeoù,dansl’airprintanier.Maisilsnepouvaientallernullepart.Dèsl’instantoùellemettaitlenezhorsdesamaison,lesreportersfondaientsurellecommedesvautours.Quantà Malcolm, il brillait presque toujours par son absence, ce qui arrangeaitmerveilleusementTaylor.—CommentçavaavecPalmer?s’enquit-iltoutenôtantsonpardessus.Johnavaitaperçuleprocureurdansunelimousinequiavaitdémarréaumoment
oùilarrivait.— Il sembledéçudemonmanqued’enthousiasmeàvoirCharles sur la chaise
électrique.—Celam’inquièteégalement,ditTaylor,tandisqu’ilsempruntaientpaisiblement
lechemindelabibliothèque.Quepuis-jevousdiredepluspourvousconvaincre?—Apportez-moidespreuves.Montrez-moimonenfant.—J’aimeraisbien.Pensez-vousvraimentqu’ilestinnocent?—Non.Sans,toutefois, lecroireàcentpourcentcoupable.Jenesuissûrede
rien,John.— Pourtant, les indices que nous possédons sont accablants pour Charles
Delauney,vouslesavez.SonacharnementànierlaculpabilitédeCharlesdevaitcorrespondreàl’espoir
derevoirTeddyvivant,supposa-t-il.Affronterlavérités’avéraitcertainementau-dessusdesesforces.D’ailleursallaient-ilsjamaisretrouverTeddy?Souvent,ilseposait la question. La macabre découverte du corps du petit Lindbergh l’avaitbouleversé.Ilavaitalorsdétestésonmétierquil’obligeaitàprévenirlesparents.Àprésent,lacraintededevoirunjourannoncerlamêmechoseàMariellel’obsédait.— Ce procès sera effrayant, murmura-t-elle, les yeux fixés sur la tasse de
porcelaineivoirequeHaverfordvenaitd’emplirdecafénoiretfumant.Levieuxmaîtred’hôtelaccueillaittoujoursavecsoulagementl’agentduFBI.LaprésencedecedernierauprèsdeMarielle lerassurait.Seulsdeuxoutrois
policiersavaientsubodoréque l’amitiéque leurchef témoignaitàMmePattersondépassaitl’intérêtprofessionnel,maisilsavaienteuletactden’ensoufflermotà
personne.Leursecretrestaitbiengardé,maisleurattiranceréciproquen’avaitfaitque croître au fil des jours et des semaines. Ils évitaient d’en parler, préférantévoquerleprocèsouTeddymaistousdeuxsavaientqu’ilsallaientdevoiraffronterunjourlaréalité.— Oui, dit-il, ce sera un mauvais moment à passer. Ils vont sûrement faire
resurgiruntasdevieilleshistoiresplutôtpéniblespourvous,Marielle.—J’enaipeur.Elleavaitcomprisàquoiilfaisaitallusion,commeelleavaitcomprisqueMalcolm
latenaitinconsciemmentpourlacomplicedukidnapping.Leursrapportsn’avaientcessédesedétériorer,surtoutdepuisl’arrestationdeCharles.Elleavaitvainementtentédebriserlecercledesolitudedanslequelsonmaril’avaitconfinée.—Avez-vouseudesnouvellesdeBéaRitter,dernièrement?interrogea-t-il.Lajeuneetbouillanterouquine,quiavaitentreprisunecampagnedepresseen
faveur de Charles, bombardait d’incessants coups de fil le FBI, l’avocat de ladéfense, et même le bureau du procureur. Marielle avait reçu plusieurs appelsauxquelselleavaitrefuséderépondre.—Jecroisqu’elleaessayédemejoindrehier…Àmonavis,elleestamoureuse
delui.Elleestjolie,etsidéterminéeàtirerCharlesdecemauvaispas,songea-t-elleen
mêmetemps.Johnhochalatête.Poursapart,iltrouvaitladénomméeBéaRitterépuisante.— Pourquoi pas ? Les beaux ténébreux accusés de crimes crapuleux ont un
succèsdéconcertantauprèsdecertainesfemmes,quis’acharnentalorsàprouverleurinnocence.MlleRitteratoutd’uneégériedecausesperdues,àmoinsqu’ellenesoitsimplementàlarecherched’unbonsujetd’articles.—Ellea l’airde s’intéresser sincèrementà lui.Chaque foisque je l’ai eueau
téléphone,ellem’asemblépleinedebonnevolonté.—Faitesattention,Marielle.Nevouslaissezpasentraîneràvotreinsudansles
piègesdeladéfense.Peuimportentvosintimesconvictions,ilnefautpasaiderlecampadverse.Ilavaitreposésatassevideets’étaitredressé.Elleeutenviedeluidemander:
«pourquoipas?LavéritéetlesortdeTeddynecomptent-ilspasplusqueleverdictdemortcontreCharles?»maispréféragarderlesilence.Peuaprès,quandTaylorfutparti,ellemontaautroisièmeétage.Ilnesepassaitpasuneseulejournéesansqu’elleailleserecueillirdanslachambredeTeddy.Laporterefermée,ellerangeaitles affaires du petit garçon, caressait ses jouets, ou changeait de place sespeluches,surlelit.Riennepouvaitlaretenirloindecetteclairechambred’enfantmuéeensanctuaire,alorsqueMalcolmn’yétaitplusmontédepuislongtemps.CefutlelendemainqueThomasArmour,l’avocatdeladéfense,arriva,endébut
d’après-midi. Il avait appelé dans la matinée pour solliciter un rendez-vous.Marielleavait téléphonéà John,afind’avoirunaviséclairéavantdedonnerune
réponse.Selonl’agentduFBI,recevoirl’avocatdelapartieadverse«n’étaitpastrès sagemais n’avait rien d’illégal ». Curieuse de connaître les dispositions del’ennemiavantdelerencontrerautribunal,elleavaitacceptéderecevoirl’hommedeloi.Haverford le conduisit à la bibliothèque oùMarielle l’attendait.Malcolm était
partiàBostonpourquelquesjours,etellereçutseulesonvisiteur…Vêtuedenoir,commesielleanticipaitledeuilqu’elleredoutaittant!Luiportaituncostumebleusombre,quiformaituncontrasteplaisantavecsescheveuxdecouleurblondfoncé,etelle seditmachinalementqu’ilsavaientdûêtrebeaucoupplusclairsdanssonenfance.Sesyeuxbrunsdégageaientuneprofondegentillessequedémentaitletonpolimaisfermedesavoix.Aprèslescivilitésd’usage,illaregardadroitdanslesyeuxetdemandaàbrûle-
pourpoint:—Jevoudraismefaireuneopiniondecequevouscomptezdiresurmonclientau
procès,madamePatterson.—Qu’entendez-vouspar là,monsieurArmour?Elleavait ludans les journaux
qu’ilavaitfaitdesétudesàHarvard,etqu’ilétait,àtrente-huitans,leplusjeuneassociéd’uncélèbrecabinetdejuristesnew-yorkais.Uneforcetranquilledoubléed’uncharme irrésistiblesedégageaientdetoutesapersonne,maisce furentsonintelligenceetsadéterminationquifrappèrentd’embléeMarielle.—M.Delauneym’aracontécequis’estpasséilyaquelquesannées.Vousvoyez
cequejeveuxdire.Ilfaisaitallusionàlamortd’André;elleluisutgrédecettepériphrase.—M.Delauneyaadmiss’êtrecomportéd’unefaçonabominable.Ilcraintquesa
mauvaise conduite d’alors ne lui porte préjudice aujourd’hui. Vous êtes la seulepersonnequipeutapporteruntémoignageexactsursongestedecetteépoque.— Nous étions tous deux fous de chagrin, et nous avons commis des actes
insensés,chacundesoncôté.Ilyasilongtemps.Illaregarda.Elleétaitravissante,bienquesesyeuxfussentlesplustristesdu
monde.Autermed’unelongueséried’entretiensavecsonclient,Tomavaitacquislacertitudequecedernierétaittoujoursamoureuxdesonex-femme.L’avocats’étaitdemandésicesentimentn’étaitpaspartagéparMarielle,mais
Charles avait farouchement nié l’hypothèse d’une liaison qui aurait précédé lekidnapping.Ilavaitpréciséquelajeunefemmeavaitrefusécatégoriquementdelerevoir,àcausedeMalcolm.—Considérez-vousmonclientcommeunhommedangereux?Ellemarquaunsilence,s’abîmantdansuneréflexionsansfin.—Non…répondit-elle. Il est fou. Impétueux.Parfois stupide.Mais dangereux,
non,jenelecroispas.—Pensez-vousqu’ilaenlevévotrepetitgarçon?—Jenesaispas,dit-elleaprèsunnouveausilence.
Ses yeux sondèrent le visage de l’avocat. Il paraissait honnête, digne deconfiance. L’eût-elle rencontré dans d’autres circonstances, qu’elle lui auraitaccordé son amitié sans hésiter. Charles avait de la chance de l’avoir commedéfenseur.—Jenesaispas,répéta-t-elle.Probablement,ill’afait,comptetenudesindices
quelespoliciersdétiennent.Pourtant,quandjepenseàlui…quandjelerevoistelqu’ilaété,telquejel’aiconnu,j’aidelapeineàycroire.—Maissimalgrétoutilavaitprisvotreenfant,croyez-vousqu’illuiauraitfaitdu
mal?—D’unecertainemanière…–elleparutdébattreintérieurementdelaquestion–
…d’unecertainemanière,jem’interdisdelecroire.Sinon,elleenseraitmorte,ellelesavait.— À votre avis, pour quelle raisonM. Delauney aurait-il enlevé Teddy ? Pour
venger le fils que vous avezperdu ?Sous le coupd’une colère irraisonnée ?Ouparcequ’ilvousaimetoujours?—Jenesaispas.—Sepourrait-ilquecesoituncoupmontécontrelui?Charlesn’avaitcesséderépéterqu’ilavaitétémanipuléetTomavaitfiniparse
rangeràsonopinion.—Peut-être.Maisparqui?EtcommentlesaffairesdeTeddyauraient-ellesété
déposéeschezlui?Armourhaussalesépaules.Ils’étaitlui-mêmelonguementinterrogésurcesujet,
quiconstituaitlepointleplussombredeladéfense.Lathéorieducoupmonténetenaitdeboutqu’à lacondition,difficile,qu’ilréussisseà l’étayerpardespreuvestangibles. Et à moins que le ou les ravisseurs connussent Charles… Maiscomment ? Son seul espoir se fondait sur les incertitudes de la propremère del’enfant.Or,cettedernièrepouvaitsubitementbasculerdansl’autrecamp,cequiseraitextrêmementdangereuxpourCharles.Quelquesquestionsencore,quelquesnotesgriffonnéesàlahâtedansuncarnet,
etilrefermasonattaché-case.—Onm’aconseilléderefuservotrevisiteaujourd’hui,dit-elleenseredressant.
Cen’étaitpas«trèssage»,bienquecelan’ait«riend’illégal».Elle avait cité John Taylor, sachant que Malcolm ou le procureur se seraient
résolumentopposésàcetteentrevue.—Alors,pourquoil’avez-vousfait?Quelquechoseenellelefascinait,probablementsonapparencelisseetcalme.Cettefemmen’avaitrienàvoiraveclapauvredéséquilibréequiavaitplusieurs
foistentédemettrefinàsesjoursdansunhôpitalpsychiatrique…Toutefois,ondevinaitquelefeucouvaitsouslacendre.Quelemasquesereindu
visagedissimulaitunespritvif.Ilavaiteuplaisiràdiscuteravecelle.
—Monsieur Armour, je veux la vérité et rien de plus. La vérité, plus que lajustice.SiTeddyestmort,jevoudraislesavoircommej’aimeraissavoirquiestsonassassinetpourquoi il l’a tué.Maiss’ilestvivant, jedésire leretrouver. Jeveuxsavoiroùilestetquandonmelerendra.Tom Armour acquiesça. Il comprenait. Et il souhaitait exactement la même
chose.—Espéronsquenousseronsàmêmedeledécouvrir,madamePatterson.Pourle
biendeTeddy,levôtre…etceluideM.Delauney.—Jevousremercie.Haverford escorta l’avocat jusqu’à la porte. Embusquée derrière le rideau,
Marielle le regarda traverser le jardin.Elle lui envia son assurance.Or, sous larigidecarapaced’hommedeloi,elleavaitdéceléquelquechosed’autre.Quelque chose de chaleureux, de généreux et de profondément humain. Oui,
Charlesavaitdelachancedel’avoircommeavocat,sedit-elleunenouvellefoisens’éloignantdelafenêtre.
Chapitre10L’ouvertureduprocèseutlieuparuntristeaprès-mididemars.Unventglacial
déchiquetait le rideau fin de la pluie, alors qu’une foule bigarrée s’écoulait sansrépitdans lasalled’audience.Quelques joursplus tôt, les troupesnaziesavaientoccupé Prague, Hitler proclamait à la face du monde que la totalité de laTchécoslovaquie lui appartenait, mais Marielle et même Malcolm, d’habitude siattentifàl’actualité,nesongeaientqu’àleurdramepersonnel.Leprocèssedérouleraitdevantlacourdedistrictàtreizeheuresprécises.Les
deux époux arrivèrent dans la rutilante Pierce-Arrow, conduite par un policier.Quatre agents du FBI, dont John Taylor, les accompagnaient. La présence de cedernier rassérénait Marielle, comme s’il avait le don de lui insuffler force etcourage.Depuisqu’ilsavaientquitté lamaison,Malcolmn’avaitpasdesserré lesdents…D’ailleurs,voilàdesmoisqu’ilneluiavaitplusadressélaparole.Desmoisqu’ilavaitérigé,entreeux,unimpénétrablemurdesilence.Sesreprochesmuetsn’en étaient queplus cruellement ressentis par la jeune femme.Elle s’avança etgravit lesquelquesmarchesdupalaisde justice,mortellementpâledanssarobegrisperleet sonmanteauassorti.Une rafaledevent faillit emporter sa toqueàvoilette,griseégalement,cependantqu’unemeutedereportersarmésd’appareilsphotos’élançaitverseuxencourant.LeshommesduFBIparvinrentà frayeruncheminàleursprotégés,aumilieudutohu-bohu,endirectiondelasalled’audiencenoiredemonde.LorsqueMarielleypénétra,elleeutunmouvementderecul,viteréprimé.Comme tout cela était inutile, se dit-elle soudain, les yeux humides. Aucune
procédure ne lui ramènerait Teddy… Teddy qui avait disparu depuis trois moismaintenant…Teddyqu’ellen’avaitplusgrandespoirderevoirjamais…Etaulieudepoursuivrelesrecherches,depasseraucriblechaquequartierdela
ville tentaculaire, on intentait un procès… Un exercice de style en matière deplaidoiries,neput-elles’empêcherdepenser,assaillieparunesensationd’irréalité.LesPattersonprirentplaceaupremier rang, justederrière leprocureur. John
Taylors’assitàcôtédeMarielle.Undesescoéquipierss’installaprèsdeMalcolm.Ilyavaituntandemd’agentsduFBIdansleurdos,deuxpoliciersenuniformedanschaque travée. Brigitte, qui se trouvait sur place lorsqu’ils étaient arrivés, avaitagitéamicalementsamaingantéedecuiràl’adressedeMarielle,saluésonpatrond’unsignedetêtepoli.Quelquesminutesplustard,unhuissierprialepublicdeselever,puislejuge,danssonamplerobenoire,fituneimposanteentréeàlatribune.Grand, les épaules carrées, il avait une figure burinée sous un halo de cheveuxpresque aussi blancs que ceux de Malcolm. Les deux hommes se connaissaientvaguement,d’ailleurs.Lejugepassaitpourunhommedepoigne,un«dur-à-cuire»disait-onàmi-voixdans lesmilieuxdubarreau,etMalcolms’étaitréjouiquand il
avaitsuqu’ilavaitétéchoisi.Lemagistratréclamalesilenced’unénergiquecoupdemarteau.Sonregardaigu
passaenrevue les représentantsde lapresse,avantdeglisser sur les jurés, lesPatterson,l’accusé,lesavocats.— Jem’appelleAbrahamMorrison, déclara-t-il d’une voixde stentor, et aucun
écartdeconduiteneseratolérédanscetteenceinte.Jeferaiexpulserdelasallequiconque s’avisera de perturber la bonnemarche de la procédure. L’outrage àmagistratestpassibledeprison,etquantàcesdamesetmessieursdelapresse,ilsserontégalementexpulsésaumoindrefauxpas…Aucunetentatived’exercerunequelconqueinfluencesur le juryn’estautorisée,et jeprécisequej’engageraidespoursuitescontreceuxquipasseraientoutreàmonavertissement.Est-ceclair?Unerumeuraffirmatives’élevadelasalle.—Noussommesicipourjugeruneaffairedifficile,reprit-il.Lavied’unhomme
en dépend, il y a peut-être eu meurtre d’enfant, vous comprendrez aisément lagravité de la situation. – Ses yeux dérivèrent vers les bancs réservés auxjournalistes.–Nevousavisezpasd’importunerquiquecesoit,lesjurés,l’accuséoulestémoins,sivoustenezàresterdanscettesalle.J’espèrequetoutlemondeabiensaisilerèglement.Etcommeseullesilenceluirépondait:—Est-cequetoutlemondeacompris?Unnouveauremousparcourutlafoule,puisunchœurdevoixmurmuraunsonore
« oui, monsieur le juge », qui fit naître un frémissement de satisfaction sur leslèvresdumagistrat.—Parfait.Nouspouvonscommencer.Encoreunefois,c’estuntribunal,ici,pas
uncirque.Ilavaitchausséseslunettesetbaissélenezsurundocument.Mariellerisquaun
coupd’œilobliquevers l’accusé.Charlesavaitmaigri,sonvisageavaitperdusescouleurs, ses tempes grisonnaient plus qu’auparavant. Dans son costume bleusombre, sa chemise neigeuse ornée d’une cravate foncée, il paraissait bien plusrespectable que la plupart des gens qui l’entouraient, mais là n’était pas leproblème.Àsoncôté,TomArmour,trèsélégantdansuncomplet-vestonanthraciteàfinesrayuresbleupâle,s’abîmaitdansl’étuded’undossier.Marielleavaitcachéàsonmarilavisitedel’avocat.— Vous connaissez tous le délit qui nous réunit ici aujourd’hui, reprit le juge
Morrison. ThéodoreWhite-man Patterson, un petit garçon de quatre ans, a étéenlevé.Sesparentssontprésents,ajouta-t-ilenébauchantungesteendirectionducouple.LecœurdeMariellebattaitlachamade.Ilétaitdifficiled’imaginerqu’ilpouvaity
avoiruneseulepersonnedanslasallequinesavaitpasquiilsétaient.OrMorrisonsemblait vouloir, par ces présentations, apporter une touche personnelle à laséancequ’ilprésidait.—L’accuséestCharlesDelauney. Jevous rappelle,mesdamesetmessieurs les
futursmembresdu jury,queM.Delauneyestprésuméinnocent jusqu’àceque lapreuve de sa culpabilité soit faite. Cette lourde tâche incombe au procureurgénéral… M. William Palmer devra vous convaincre, sans qu’aucun doute nesubsiste,queM.Delauneyestcoupable…Sivousn’enêtespaspersuadés,sivousnecroyezpasàcentpourcentqueM.Delauneyestleravisseurdel’enfant,alorsvousdevrez l’acquitter.Enconséquence, il vous faudra suivre lesdébatsavec laplusextrêmeattention.Aussiai-je l’intentiondemettre les jurés sous séquestre.Vousireztoushabiterunhôtel,auxfraisdugouvernement,pendanttouteladuréede ce procès. Vous ne serez autorisés à parler à personne, exception faite desautresmembresdujury.Lesappelstéléphoniquesserontinterdits,mêmeceuxdevosenfants,de vos conjointsouamis, tout comme les visiteset les sorties.Vousallezdevoirresterrigoureusementisolésjusqu’àcequevousayezaccomplivotredevoir,sanshainenipassion.Lapresseécriteetoralejetterasouventlaconfusiondansvotreesprit,mais il faudravoustenirà l’écartdutumultemédiatique,etcejusqu’à la fin de la procédure. Si l’un de vous, pour des raisons de santé ou deresponsabilitésfamiliales,estdansl’impossibilitédesubirlamisesousséquestre,qu’illefassesavoirquandsonnomseracitédanslalistedesession.Mesdamesetmessieurs,letribunalvousremercieparavancedevotrecollaboration.Ilse tournavers l’huissieret lepriadeconvier les futurs jurésàgagner leurs
sièges.Lapremière femmedont lenom futprononcé faillit trébucherd’émotion,tandisqu’ellesefrayaitunpassageverssaplace.Ladeuxième,uneNoiretrèsâgéeetpratiquementimpotente,euttouteslespeinesdumondeàdescendrelatravée.L’huissierpoursuivaitl’appel,longueetmonotonelitaniedenomsetprénoms.Deuxhommesseprésentèrent,tousdeuxd’âgemoyen.Puis, un homme d’une quarantaine d’années, unijambiste. Une petite Chinoise
avecdestressesincroyablementlongues.UnjeuneNoir,grand,séduisant.Deuxjoliesfilles.Unefemmed’uncertainâge,quicouvaitduregardMalcolmet
Marielle.Deuxautreshommes.Encoredeuxfemmesd’ungenreindéfinissable,enguisedesuppléantes.Dès qu’ils se furent installés, le juge Morrison présenta à l’assistance le
procureur, qui se retourna demanière à être vu de la salle, avant de dédier unsourirepersuasifaujury.—Bonjour,monnomestWilliamPalmer.Jesuisprocureurgénéraletj’aireçudu
gouvernement lamissionde représenter lepeupledanscetteaffaire.Ainsi, c’estvous, oui, vous que je représente, et j’espère, avec votre concours, obtenir lacondamnationdecethomme–d’ungesteprécisildésignaCharles–lequel,avons-noustoutlieudecroire,akidnappéTeddyPatterson,unpetitgarçondequatreans,douzejoursavantleréveillondeNoël.Ilmarquaunepauseimperceptible,commepoursavourerl’effetdesadernière
phrase,étudiéepourfaireplaindredavantagelesparentsdugarçonnet.— Si l’un de vous connaît cet homme ou son avocat, le juge ou moi-même,
n’hésitez pas à le signaler et vous serez dispensé. Vous n’aurez qu’à le dire aumomentoùlejugevousdemanderavosnomsetprofession.
Il se rassit pesamment, cédant le pas à Tom Armour, et Marielle vitimmédiatement que le jeune avocat possédait uneméthode d’approche des jurésbienmoins rigide que celle de son adversaire. Les circonstances seules avaientconduitsonclientaubancdesaccusés,expliqua-t-ild’untonuni,presquegentil.Lesdeux indicesque l’accusation agitait commedes épouvantails ne constituaient enaucuncaslapreuveflagrantequeM.Delauneyavaitréellementkidnappél’enfant…Alorsqu’ilparlait,Marielleremarquaquedeuxoutroisjurésavaienthochélatête.Tomterminasondiscoursavecuncharmantsourirequifitglousserlesdeuxjoliesfillesdujury.Lejugesévitaussitôt.—Mesdemoiselles,vousn’êtespasdansunesalledebal,maisdevantuntribunal,
dit-il sèchement.Maintenant, que ceux d’entre vous qui sont dans l’impossibilitéd’êtremis sous séquestre se fassent connaître…Oui ?Votrenom, s’il vousplaît,madame?LavieilleNoireimpotenteavaitlevélamain.—RubyFreeman.—Jevousécoute,madameFreeman.— Ce sont mes jambes, monsieur le juge. Je souffre d’arthrite inflammatoire
depuisdesannées.Ilfitunsignedetête.—Jevois.—Certainesnuits,jen’arrivemêmeplusàbouger.Mafilleprendsoindemoi.En
échange,jegardesonbébéquandellevatravailler.Alors…chevrota-t-elle,tandisquedeslarmestraçaientdessillonsluisantssurlebronzepatinédesesjoues,sijene suisplus à lamaison, ellenepourrapas se rendreà son travail…monDieu,qu’allons-nousdevenir?Sonmariestmortdansunaccidentdetravail,àl’usine,etnous…nous…—Jecomprends,coupalejuge,mettantfinàsondiscoursdésespéré.Votrefille
pourrait peut-être trouver une aide pendant votre absence. Vos douleurs vousempêchent-ellesdeservirlajustice,madameFreeman?—Jepensequeoui,votrehonneur.Iln’yapaspirequel’arthrite,etjesaisde
quoijeparle.J’aiquatre-vingt-deuxans,voilàvingtansquecettefichuemaladiemetorture,jen’enpeuxplus.— Je suis désolé. Vous êtes dispensée,madame Freeman.Merci d’être venue
aujourd’hui,conclut-ilcourtoisement.Uneautrefemmes’excusaauprèsdujuge.Ellesouffraitdecalculsbiliaires,etne
pouvait laisser seul sonmari, gravementmalade. De plus, son anglais laissait àdésirer.Elleetsonmari,tousdeuxd’origineallemande,avaientobtenurécemmentlanationalitéaméricaine.Aussireçut-elleladispensedeMorrison.LaChinoiseauxlonguestressesparlaitàpeinel’anglais.Dispenséeégalement.
Lesdeuxjoliesfillescontinuèrentdeglousserdansleurcoindeplusbelleetlejuge
les admonesta une nouvelle fois. Bill Palmer posa quelques questions aux jurés,aprèsquoiTomArmourpritlerelais.Lesdeuxhommesd’âgemoyen,tousdeuxbusinessmen,optèrentpourrester.Pèresdefamille,ilsavaientdepetits-enfantsàpeuprèsdel’âgedeTeddy.L’unijambisteavaitperdusa jambependant laGrandeGuerre,dit-il,et vendait
aujourd’hui des polices d’assurance pour le compte de Travelers Insurance. LejeuneNoir,facteurlejour,jouaitdutromboneauSmall’sParadiselanuit.— Je n’aimême pas le temps dememarier, conclut-il, et cela fit rire tout le
monde.Lesdeuxjeunesfillesquin’arrêtaientpasdepoufferfurentrécuséesparlejuge.
La femme d’un certain âge, qui n’avait cessé de fixer les Patterson, exerçait laprofessiondesecrétaireetn’avaitjamaisétémariée.EllevivaitàQueens.Ilétaitimpossible de deviner ses véritables sentiments vis-à-vis de Charles. Mais soninsistanceànepasquitterdesyeuxMarielleetsonmari luivalutd’êtrerécuséeparl’avocatdeladéfense,demêmequelesdeuxhommesquiavaientétéappelésaprès elle. Les deux parties adverses tombèrent d’accord, en revanche, sur lesdeuxsuppléantes. Il restaitmaintenanthuitsiègesàpourvoir,etcelapritquatrejours.Lejury,enfinconstitué,n’avaitriend’homogène.Lesdeuxbusinessmend’âgemoyen,tousdeuxgrands-pères,furentacceptés,malgréledésirdeTomArmourdes’en débarrasser, de crainte qu’ils prêtent une oreille trop complaisante auxarguments de l’accusation, songea Marielle. (Elle n’avait pas perdu un mot del’interrogatoire auquel les deux hommes de loi soumettaient chaque juré.)L’unijambiste et le musicien allaient rester également, ainsi qu’un professeur desciences économiques à Columbia, d’origine chinoise. En dehors de ces troishommes, les autres membres du jury, y compris les suppléantes, étaient desfemmes.Laplusjeuneavaittroisenfants,tousplusâgésqueTeddy.Uneautre,ancienne
religieuse,avaitrenoncéàsesvœuxauboutdetrenteans,pouraccourirauchevetdesamèremalade.Lorsquelavieilledameétaitmorte,safilleavaitdécidédeneplus retourner au couvent. Les deux suivantes, toutes deux institutrices etcélibataires,étaientamiesdelonguedate.Leursnomsavaientététirésausortparhasard expliquèrent-elles. Restaient trois mères de famille, toutes dactylos ouemployéesdebureau.L’uned’ellesavait travaillépendantquelquesmoispourunjuriste,maisnepossédaitaucuneconnaissancespécialeducodepénal.Aucunedesdeux parties n’émit d’objection à son sujet… Les membres du jury formaient àprésentcequisemblaitêtreungrouped’honnêtescitoyensprêtsàrendrejusticedeleurmieux.C’étaitunvendredi,peuavantmidi.Lejugeintimaauxjurésd’aller rassembler
leurs affaires, en leur souhaitantunagréableweek-end ; lamise sous séquestredevaitprendreeffetlelundisuivant…Illeurconseilladenepasliredejournaux,denepasécouterlaradio,demanièreànesubiraucuneinfluenceextérieure,aprèsquoiilsignifialasuspensiondel’audienced’unretentissantcoupdemarteau.Mariellesesentaitexténuée.Ilavaitfalluprèsdecinqjourspourrassemblerles
membresdujury.Cinqjoursinterminables,pendantlesquelselleavaitdûécouterl’histoirede chacun, tandis que l’avocat de la défense et celui de l’accusation seprononçaient pour ou contre leur acceptation. La jeune femme se redressa,Malcolm fit demême, les gardes ramenèrentCharles en prison, et TomArmourpassadevantMariellesansunsignedereconnaissance.LesagentsduFBI reconduisirent le coupleà lamaisonoùBillPalmervint les
rejoindredans lecourantde l’après-midi.Malcolmet leprocureurs’enfermèrentdanslabibliothèque,excluantd’uncommunaccordMarielledeleurdiscussion.Elletrouvarefugedanslesalon,autourdedeuxtassesdecafé,encompagniedeJohnTaylor. Dieu, quelle semaine épuisante !… Chaque fois queMarielle avait voulumettreunpiedhorsdelasalled’audience,elleavaitétéharponnéeparBéaRitter.Lajournalisteavaitessayédelajoindreunpeuplustôt,maisMarielleavaitrefusédelaprendreautéléphone.Ellesesentaittropéreintéepourprêterl’oreilleàsarequête.—Quelpotdecolle!soupiraTaylor.ElledoitêtrefolleamoureusedeDelauney.—Ontombefacilementsoussoncharme,souritMarielle.J’aibienétésavictime
consentanteautrefois.Àmadécharge,jen’avaisquedix-huitans.—Etmaintenant?demanda-t-il,inquiet,etpasseulementàcauseduprocès.—Maintenant,j’aimûri.Lesannéesontaffinémonsenscritique.Maispasaupointderéclamerlasentencedemortcontrelui,surtouts’ilnela
méritaitpas.Aucunelumièresupplémentairen’avaitétéapportéeparl’enquête.Untémoignageanonyme, signalant laprésencedeTeddydans leConnecticut, s’étaitavéréaussifallacieuxquelademandederançon.—Vousavezl’airépuisée,fitremarquerTaylorenluiservantunedeuxièmetasse
decafé.—J’aipasséunesemainedifficile.— Les semaines suivantes seront malheureusement encore plus pénibles,
Marielle.Il pouvait parfaitement s’imaginer ce qui l’attendait. L’inflexible procureur
n’auraitdecessederéclamerlatêtedel’accusé,aveclaténacitéd’uncharognard.L’Amériquetoutentièreexigeaitl’expiation,sousl’influencedubattagemédiatique.Sachantqueduplusmodestedescitoyensjusqu’auprésident,tousavaientlesyeuxfixéssurlui,Palmerneselaisseraitpasarracherlavictoireparladéfense.EnfacedeluisetenaitTomArmour,déterminéàn’épargneraucuncoupàl’adversaire.Unhommeambitieux,luiaussi,quoiquemoinsimplacablequeleprocureur.Uncombatmortelsepréparait,uncombatdont,quellequ’ensoitl’issue,lavictimenepouvaitêtrequelafragile,latendreMarielle.Johnsefaisaitdusoucipourelle.Iln’avaitguèreoubliésonvisagepathétique,niseslarmes,lanuitoùelleluiavaitdévoilésonpassé,lamerveilleusefélicitéavecCharles,puisl’horreurdelamortd’André.Elleavaittenubon,alors,parcequ’ellecroyaitlaviedeTeddyendanger.Lestroismoisécouléssansnouvellesavaient,biensûr,brisésoncouragedudébut.—Quoiqu’ilarrive,Marielle,neleslaissezpasvousintimider,vousfairepeurou
vous coller sur le dos Dieu sait quelle faute. Vous n’êtes pour rien dans cetenlèvementcriminel,dites-le-vousunefoispourtoutes.Il savait contre quels hideux fantômes elle s’était battue des années durant,
commeilsavaitqu’ilsreviendraientfatalementlahanter.—Rienn’estarrivéparvotrefaute,insista-t-il.—Hélas,Malcolmn’estpasdecetavis.Ilal’airdemeblâmerpourtout.Pour
avoirramenéCharlesdansnotrevie,cequinousacoûtéTeddy.—Maisvousn’avezrienvouludetoutcela,rienprémédité.Quel crétin, ce type ! ragea-t-il mentalement. Son antipathie à rencontre de
Pattersonn’avait cesséd’augmenter et, peuaprès,unnouveau ressentiment vints’ajouteràl’interminablelistedesesgriefs.Sortidelabibliothèque,Palmersursestalons,MalcolmaperçutTaylorengrandeconversationavecseshommesdans levestibule.Pourattirersonattention, ilclaquadesdoigts,commepourappelerunchien.—Leprocureurabesoindevos lumières,monvieux.Certainsrenseignements
arrangeraientbiennosaffaires.—AusujetdeDelauney?Palmerpritl’agentduFBIàpart.—Onpeutparleruninstant?Ledétectivelesuivitdanslabibliothèque.Leprocureursemitàpérorer,maisil
nefallaitpasêtreparticulièrementfutépourdevineraussitôtsesintentions.Etcequ’ilavaitentêtedéplaisaittoutparticulièrementàTaylor.—…informationssurMarielleetCharles,disaitlemagistrat.Fouillezlepasséet
ramenezàlasurfacetoutcequevouspourrezpêcherdansvosfilets.Çaneserapastrèsbeauàentendremaistantpis…Tantpispourqui?seditamèrementledétective.—Çan’arienàvoiravecleprocèsDelauney.—Nomd’unchien,Taylor,cessezdoncceschichis.Cequicompte,c’estgagner,
non?—Gagnerquoi?Parvenirà fairecondamnerun innocentouàépingler le vrai
coupable?SiDelauneyestleravisseurvouspourrezvouspasserfacilementdecesignoblesprocédés,Palmer.—Sivousn’acceptezpasdecoopérer,quelqu’und’autreleferaàvotreplace.—C’estdoncça,unprocès,pourvous!Avoirlapeaudel’autrecoûtequecoûte…
Etelle?L’idéequ’elleensouffriraterriblementnevousapaseffleuré?La pensée qu’il allait devoir fureter dans les misérables années queMarielle
avaitpasséesàl’hôpitalpsychiatriqueaprèslamortd’Andrélerévulsait…Taylor savait, tout comme Palmer d’ailleurs, que si la culpabilité de Charles
s’avérait,leresteneserviraitqu’àporterlecoupdegrâceàMarielle.
—MmePattersonn’estpasvraimentmonproblème.Sonpropremari souhaitepousser à fond les investigations.Écoutez,Taylor, si ces renseignementsne sontd’aucuneutilitépour ledossier, commevousavez l’airde leprétendre, jene lesutiliseraipas,jevouslepromets.—Oh,quellegrandeurd’âme ! s’exclamaTaylor,dégoûté,d’unevoixpleine de
sarcasme.Toutcomptefait, ilpréféraitTomArmour.Celui-ciétaitplusloyal.Pluspropre,
surtout. Alors que Palmer n’hésiterait pas à sacrifier Marielle, pour expédierDelauneysur lachaiseélectrique. Il acceptadecoopérer,dansunbut tactique :prendreconnaissancedes informations,afind’enavertirMarielle. Il ignoraitqueMalcolml’avaitdevancé.Enfermédanssonbureau,ils’étaitmisàpasserdescoupsdefilàdroiteetàgauche.Ilnesesentaitaucunscrupuleàabattresafemme,afind’obtenirlapunitiondeceluiquiavaitenlevésonenfant.Le week-end passa à une vitesse hallucinante. Avantmême queMarielle s’en
rendîtcompte,lundiarriva,etleprocèscommençapourdebon.
Chapitre11Le procureur général et l’avocat de la défense avaient passé le week-end à
affinerleursarguments;dèslelundimatin,ilsengagèrentleshostilitésavecuneardeurégale.Danssonpréambuledevantlesjurésetunesallecomble,leprocureurbrossaun
portrait diabolique de l’accusé. Charles y était dépeint comme un sanguinairepromptàs’enprendreauxfaiblesfemmes,unviolentassoiffédesang,rescapédelaguerred’Espagne,uncommunistedontl’existencemêmeconstituaitunpérilpourchaqueAméricainbien-pensant,enfin–aboutissementcohérentd’unparcoursdemarginal–unravisseuret,trèscertainement,unassassind’enfant.—…lepetitTeddyPattersonaétéarrachéauseindesafamilleenpleinenuit,
dans le noir et le froid, alors que des personnes qui l’aimaient tendrement ets’occupaientdeluiontétéretrouvésligotées,bâillonnées,chloroformées,presquemortes…Afindemettrel’accentsurledestintragiquedupetitgarçon,destinpersonnifié
parsonbourreauinfâme,ilajoutasansl’ombred’uneréticencequelesenquêteursne tarderaient pas à découvrir le corps du petit martyr au fond de quelquesépulture de fortune, fossé, puits ou champ, pour la plus grande désolation dessiens.Lesdoigtscrispéssurlesaccoudoirsdesonsiège,Marielleselaissaitimprégner
par les mots, un flot de mots effroyables décrivant un monstre nommé CharlesDelauney, et un petit ange sacrifié à l’autel d’une cause inepte, au nom d’unerevancheabsurde.EtpourlapremièrefoisdepuisladisparitiondeTeddy,samèresedemandasielleallaitlerevoir.TomArmourpritlerelaispourfaçonneruntableaudifférent.Lemonstredécrit
par Palmer céda le pas à un homme au cœur généreux, un être profondémenthonnête dont tous les rêves avaient été réduits à néant d’un seul coup, le jourfatidiqueoùilavaitperdusonfilsunique,neufansplustôt,ainsiquesapetitefillequin’étaitpasencorenée.Commentcepèreblessé,désespéré,désolé,aurait-ilpufaire du mal à un enfant ? Kidnapper l’enfant de quelqu’un d’autre ? CharlesDelauneyavaithonorélescouleursaméricainesdurantlaGrandeGuerre,combattulefascismeenEspagne.Cen’étaitpasuncommunistemaissimplementunhommeépris de liberté.Un esprit cultivé, noble et décent dont les espérances s’étaientécrouléesenuninstant,commeunchâteaudecartes.Toms’adressaittouràtouràchacundesjurés.Iln’yavaitriendecondescendant
dansletondesavoix,pleined’assurance.IlrappelaaupassagequeM.Delauneyn’étaitpaslàpourêtrejugédemeurtremaisdekidnapping,àconditiontoutefoisquel’accusationparvienneàleprouver…—Onmanquesingulièrementd’évidencesdanscetteaffaire.Aussi,jemeréserve
ledroitdeprocéderaucontre-interrogatoiredetouslestémoinsàcharge.Ce disant, il remit habilement l’accent sur le rôle de l’accusateur public.
M.Palmerétaitcenséapporterlapreuveabsolueetau-delàdumoindredoutedelaculpabilitédel’accusé,fautedequoi,lejurysedevaitdeprononcerunnon-lieu.LejugeMorrisonbrisalesilencepesantquisuivitendemandantauprocureurde
faireveniràlabarresonpremiertémoin,etMarielleeutunsursautquandsonnomrésonnadansl’espace…Elleseleva,cherchantd’unregardanxieuxJohnTaylor,quil’encouragea d’un signe de tête. La jeune femme monta ensuite sur l’estraderéservéeauxtémoins,pritplacesur lachaiseen lissant l’étoffenoiredesa jupe,croisaetdécroisalesjambes.Pendantcetemps,BillPalmersepavanaitàtraverslasalled’audience,sans la
quitterdesyeux.Ilyavaitdanssonregardquelquechosed’ostensibleetd’étrange,unesorted’obscuresuspicionet,àplusieursreprises,l’œilduprocureurallaversl’accusé pour se reporter aussitôt sur Marielle, comme s’il s’efforçait d’établirentreeuxunliendéplaisantetsecret.CepetitmanègemitlesnerfsdeMarielleàvif,etellejetaunregardaffoléaujuge,puisàsonmari,quiavaitdétournélatête,enfinàJohnquisemblaitsuspenduauxlèvresdePalmer.Lapremièrequestionfusadansunsilencereligieux.—Citezvosnomsetprénoms.—MariellePatterson.—Votrenomenentier,s’ilvousplaît.—Marielle JohnsonPatterson…MarielleAnneJohnsonPatterson…murmura-t-
elle,avecunsourired’excuseauquelleprocureurneréponditpas.—C’esttout?—Oui,monsieur.Deuxfemmesdujuryavaientvaguementsouri,cequiremontaunpeulemoralde
Marielle.Sesmains,qu’elleavaitposéessursesgenoux, frissonnaientcommedepetitsanimauxeffarouchés.—N’avez-vouspasportéunautrenom,madamePatterson?Ellecompritsoudainoùilvoulaitenvenir.—Oui,mais…Qu’est-cequecelapouvaitfaire?—Dites-le-nous,jevousprie.Uncoupd’œilaffoléendirectiondeMalcolm,quiregardaitailleurs,puiselledit:—Delauney.—Parlezplusfort,desortequelesjuréspuissentvousentendre.Unflotincarnatinondasespommettespâles,tandisqu’ellerépétaitlenomàvoix
haute:—Delauney.Charles refoula un haut-le-corps, submergé par une vague de compassion. Il
s’inquiétait pour elle, plus encore que John Taylor, car il subodorait ce qui allaitsuivre. Cette ordure de Palmer comptait jeter le discrédit surMarielle, afin deréduire au minimum la portée de son témoignage. Alors, son opinion sur laculpabilitédel’accusén’auraitquepeud’importanceauxyeuxdesmembresdujury.—Êtes-vousapparentéeàl’accusé,madamePatterson?—Nousavonsétémariés.—Quand?—En1926,àParis.J’avaisdix-huitans.— Quel genre d’union était-ce ? demanda le procureur, mine de rien, en
ébauchant un sourire qui se voulait amical,mais dontMarielle ne fut pas dupe.Avez-vousfaitunbeaumariage?—Nous…enfait,nousnoussommesenfuisensemble.— Je vois, ponctua Palmer, l’air désapprobateur. Combien de temps êtes-vous
restéemariéeàcethomme?—Cinqans.Jusqu’en1931.—Cemariages’estterminéparundivorce,n’est-cepas?—C’estexact.Unefinepelliculedesueurluilaqualefront,etellesentitsonestomacsetordre
sous l’effet d’unenausée violente. Pourvuque je nem’évanouisse pas, pria-t-ellementalement.—Pourriez-vousnousexpliquerlacausedecedivorce,madameDelauney…oh,
pardon!madamePatterson?Lelapsus,bienévidemmentvolontaire,illustraitparfaitementlesarrière-pensées
del’accusateur.— Nous… euh… nous avons perdu notre fils. Nous ne nous sommes jamais
vraiment remis de ce choc, réussit-elle à articuler d’une voix calme, presquesereine,sansserendrecomptequeJohnetCharlesladévisageaient,lecœurserré.Onpeutdirequecedeuilaétélafindenotremariage.—N’yavait-ilpasd’autreraisonàcedivorce?—Non.Avantcela,nousétionsheureux.—Jevois,dit-ilaveccettefaussesympathiequ’elleenétaitvenueàdétester.Où
étiez-vousquandledivorceaétéprononcé?Ellesemépritsurlesensdelaquestion,maispasTaylor.—EnSuisse.—Maisoù,exactement?Soudain,commeàtraversunvoilequisedéchire,elleserenditàl’évidence.Le procureur allait s’acharner contre elle, afin de la déprécier complètement
dans l’esprit des jurés et du public. Mais si perdre trois enfants ne l’avait pasdétruite,alorsriennelepouvait,etencoremoinsceperroquetdéguiséenhomme
deloi.Latêtehaute,elleplongeasesyeuxlimpidesdansceuxdePalmer.—Dansunhôpital.—Étiez-vousmalade?—J’aiétésoignéepourunedépressionnerveuseconsécutiveàlamortdemon
fils.—Parcequesamortaétéparticulièrementatroce,jeprésume.Unelongueet
péniblemaladie?—Ils’estnoyé.Elle se refusait à endireplus.C’était inscrit sur le certificat dedécès.André
Delauney,deuxans,mortparsuited’unenoyade.—Étiez-vousresponsabledece…cetaccident?Ilavaitménagéunsuspensequiallaitbientôtservirsesdesseinspernicieux.Charlessepenchaverssonavocat,quibonditsursesjambes.—Objection,votrehonneur.Leprocureurestentraind’influencerletémoinen
insinuantquelamortdesonenfantluiincombe.—Objectionretenue,grommelalejugeMorrison.Unpeumoinsdezèle,s’ilvous
plaît,maîtrePalmer.— Excusez-moi, votre honneur. Je vais reformuler ma question. Madame
Patterson,vousêtes-voussentieresponsabledelamortdevotreenfant?C’étaitpire.Maintenant,iln’yavaitplusmoyendepersuadertouscesgens,dont
lesregardspesaientsurelle,qu’ellen’avaitétépourriendanslanoyade.—Oui.—C’estpourquoivousavezeuunedépressionnerveuse?—Jelepense.—Àlasuitedelaquellevousavezétéhospitaliséeenpsychiatrie?—Oui.Savoixn’étaitplusqu’unchuchotement.Charlesenétaitmaladepourelle,tout
comme John Taylor. Malcolm Patterson, lui, continuait à fixer le vide, le visageimpassible.—Voussouffriezdetroublesmentaux,n’est-cepas?—Oui.J’étaisbouleversée.—Êtes-vousrestéelongtempsdanscethôpital?—Oui.—Combiendetemps?—Deuxans.—Unpeuplusdedeuxans?—Oui,unpeuplus,convint-elle.
TomArmouravaitdenouveaubondisursesjambes.— Puis-je rappeler à la cour que ce procès n’est pas intenté contre
MmePatterson?—Objectionretenue.MaîtrePalmer,dutrainoùvousallez,ilvousfaudraplusde
sixmoispourauditionnerchaquetémoin.—J’yviens,votrehonneur,unpeudepatience.—Trèsbien,maître,maisdépêchez-vous.PalmersetournaversMarielle.—Enrésumé,madamePatterson,vousêtesrestéedansunhôpitalpsychiatrique
pendantplusdedeuxans,d’accord?—Oui.Pourlapremièrefois,uneespècedesombresatisfactionsepeignitsurlestraits
dePalmer.—Avez-vousessayédevoussupprimer,pendantcetemps?—Oui.—Combiendetentativesdesuicideavez-vousfaites?Machinalement,elleregardasespoignetsoù lachirurgieplastiqueavaiteffacé
leslonguescicatricesrougeâtres.—Septouhuittentatives,répondit-elle,lesyeuxbaissés.— Pourquoi ? Parce que vous vous sentiez responsable de la mort de votre
enfant?—Oui!Elleavaitpresquecrié.—OùsetrouvaitM.Delauneypendantcetemps?—Jenesaispas.Jenelevoyaispasàcetteépoque.—Était-ilaussibouleverséquevous?Unenouvellefois,TomArmourseleva.—Objection!Ondemandeautémoinsonopinionsurl’étatd’espritdemonclient.—Retenue.Maître,faitesattentionjevousprie.Palmerseconfonditennouvellesexcuses.—M.Delauneyétait-ilprèsdevousquandl’enfants’estnoyé?—Non,j’étaisseule.Charlesétaitpartiskier.—Vousa-t-ilreprochélamortdel’enfant?—Objection!hurlaTom.Lapartieadverseémetdeshypothèsesirrecevablessur
l’attitudedemonclient.—Objectionrejetée!grondaMorrison.Çapourraitavoirsonimportance.—Jerépète,madamePatterson.Est-cequel’accusévousarendueresponsable
delamortdevotrefils?—Ill’acruàl’époque.Lechagrinluiavaitfaitperdrelatête.—Était-ilfurieux?—Oui.—Trèsfurieux?Aupointdevousrouerdecoups?Vousa-t-ilbattue?—Je…—MadamePatterson,vousêtessousserment,nel’oubliezpas.Répondezàma
question.Vousa-t-ilbattue?—Jecroisqu’ilm’agiflée.—Votrehonneur!s’exclamaWilliamPalmerenbrandissantuntélégrammesous
lenezdujuge,avantdelepasseràTom.Voilàcequej’aireçudel’hôpitalSainte-ViergedeGenève.Selon lesarchivesde l’administration,MmeMarielleDelauneyavait reçu plusieurs coups de sonmari, aumoment du décès de leur fils. Il eststipuléqu’elleportaitlesmarquesdegravescontusions,cequiapuentraînerunefaussecoucheplustard,danslanuit…Une rumeur consternée fit vibrer la salle, tandis que Palmer s’adressait de
nouveauàMarielle.—Est-ceexact,madamePatterson?—Oui.Ellepouvaitàpeinearticuler, sa respirationétait saccadéeet sonvisageétait
devenud’unepâleurcireuse.—Est-cequeM.Delauneyvousafrappéedansd’autrescirconstances?—Non,jamais.—Aviez-voussouffertdedépressionavantcetincident?—Non.—Vousestimez-vouscomplètementguérieàprésent?—Oui.Palmermarquaunepause,feignantdeconsultersesnotes.—Ilsemblequevousayezdesmigrainesassezsévères,madamePatterson?—C’estvrai.—Quandont-ellescommencé?—Après…durantmonséjourenSuisse.—Maisvouscontinuezd’ensouffrir.—Oui.—Récemment?—Oui.—Quandavez-vouseumalàlatêtepourladernièrefois?
—Ceweek-end,fit-elleavecunsourirecrispé.—Combiendemigrainesavez-vouseueslemoisdernier?—Peut-êtrequatreoucinqparsemaine.—Tantqueça?s’étonna-t-il,d’unevoixcompatissante.Etavantl’enlèvementde
Teddy?—Deuxoutroisparsemaine.—Est-cequevousavezconservéd’autres séquelles,madamePatterson?Une
timidité maladive, par exemple ? Les gens vous font-ils peur ? Ou lesresponsabilités?Enfaitvivez-vousdanslacraintepermanented’êtreblâméepourquelquechose?Debout, Tom Armour entama une nouvelle tentative pour arrêter ce qu’il
considéraitàprésentcommeunmassacre.—Mon collègue n’est pas psychiatre…Et s’il sent le besoin de recourir à un
expert,pourquoinel’a-t-ilpasfait?— Votre honneur ! lança Palmer en s’approchant du juge, un nouveau feuillet
entre les doigts. J’ai ici un télégramme signé par le docteur qui a suiviMmePattersonàlacliniqueVerbeufàVillarsoùelleadûêtreincarcérée…—Objection!fulminaTom.MmePattersonn’étaitpasenprison.—MaîtrePalmer,surveillezvotrelangage.— Veuillez m’excuser, monsieur le juge. Je voulais dire hospitalisée.
MmePattersonaplusieurs fois tentéde se supprimer.Ellea suiviun traitement,pendantdeuxansetdeuxmois.«Dépressionetmauxdetête», fut lediagnosticofficiel.D’aprèsleDrVerbeuf,comptetenuquelesmigrainesontperduré,lasantémentale de son ancienne patiente demeure d’une extrême fragilité, surtout danscertainessituationsstressantes.Sans l’avoir fait exprès, le bon docteur avait envoyé son ancienne patiente à
l’abattoir. Le procureur avait réussi à donner d’elle l’image d’une pauvredéséquilibréedont ilconvenaitd’embléedeseméfier.Onauraitpucroireque lesuppliceétaitterminé,maisPalmern’avaitpasencoreatteintsonbut.Lorsque le télégramme du Dr Verbeuf fut versé au dossier de l’accusation, il
repritsanspitiél’interrogatoire.—Avez-vouseuuneliaisonavecl’accuséaprèsvotredivorce?—Non.—L’avez-vousvucesdernierstemps,avantlekidnappingdevotrefilsTeddy?—Jel’airencontréparhasardàl’égliselejouranniversairedelamortd’André.
Etlelendemain,nousnoussommesrevusauparc,égalementparhasard.—Teddyétaitavecvous,alors?—Ladeuxièmefois,oui.— Quelle fut la réaction de M. Delauney ? A-t-il été enchanté de faire sa
connaissance?—Non…fit-elle,enévitantderegarderCharles.Ilaététroublé.—Furieux,plutôt,non?Ellehésitaunesecondeavantd’acquiescer.—Oui.—A-t-ilproférédesmenacesàvotreencontre?—Oui,maisjenesaispass’ilpensaitvraimentcequ’ildisait.—Quandvotrefilsa-t-ilétéenlevé,madamePatterson?demandaleprocureur
endétachantchaquesyllabe,commes’ilavaitaffaireàuneattardéementale.—Lelendemain.— À votre avis, y a-t-il un rapport entre les menaces de M. Delauney et
l’enlèvement?—Jenesaispas.—Vousnesavezpas…Avez-vousembrasséM.Delauneydepuisvotredivorce,
madamePatterson?Répondezàmaquestion,s’ilvousplaît.—Oui.—Quand?—Lorsdenotrepremièrerencontreàl’église.Jenel’avaispasrevudepuisprès
deseptans.Ilm’adonnéunbaiser.—Unbécotsurlajoueouunbaisersurleslèvres,commeaucinéma?Quelques gloussements étouffés percèrent dans l’audience, mais Marielle ne
souritpas.Ilaparléaveclechauffeur,seditJohnTaylor.—Unbaisersurleslèvres.—Luiavez-vousrenduvisiteenprison?—Oui.Unefois.—Êtes-voustoujoursamoureusedeM.Delauney,madamePatterson?—Non,jenelecroispas,répondit-elleaprèsunelégèrehésitationensecouantla
tête.—Pensez-vousqu’ilaenlevévotreenfant?—Jenesaispas.Peut-être.Jen’ensuispassûre.—Voussentez-vousresponsabledecequiestarrivéàTeddy?—Jene…saispas…Savoix se fêla,et chacundans la salle se rappela lecommentairedumédecin
suisse. L’habile Palmer avait réussi à la tourner en dérision. Ses incertitudes àproposdelaculpabilitédeCharlesDelauneycorroboraientparfaitementl’opinionquelesjuréss’étaientfaited’elle:unepersonnalité«fragile»,une«suicidaire»sujette à des migraines et des crises de nerfs, une « dépressive chronique »probablementresponsabledelanoyadedesonpremierenfant.
Du même coup, Palmer ôtait à la défense la possibilité de se servir de sontémoignage…Taylorserralesdents.Leprocureurpouvaitêtrecontentdelui.—Merci,madame Patterson, jeta froidement Bill Palmer, avant de se tourner
versTomArmour.Letémoinestàvous,chercollègue.— La défense se réserve le droit d’appeler à la barre Mme Patterson
ultérieurement,votrehonneur.Marielleseredressa,glacéeetlivide.Unvigoureuxcoupdemarteaumarquala
suspension de l’audience. Le tribunal reprendrait ses travaux à deux heures del’après-midi.Lasallecommençaàsevider.AumomentoùMarielle,accompagnéeparMalcolmetleurescortepolicière,voulutfranchirleseuildelasalle,unessaimdereportersl’assaillit.Flanquédesesgardiens,Charlestentaenvaind’accrochersonregard,alorsqu’ellesedébattaitdanslesremousdelafoule.— Parlez-nous de l’hôpital… de vos suicides… de votre petit garçon… allez,
Marielle,videzvotresac…Leurs voix lui transperçaient encore les tympans, alors que la Pierce-Arrow
l’emportait vers Manhattan. Calé dans son coin, John regardait fixement par lafenêtre.Unsilencedeplombs’étaitabattusurlesoccupantsdelalimousine,mais,auboutd’unmoment,Malcolmmurmura:—C’étaitvraimentdégoûtant.Elleleregardaalors,croyantqu’ilfaisaitallusionàlamanièredontleprocureur
général l’avait traitée, mais l’expression glaciale de sa figure la détrompa. Deslarmes luipiquèrent lesyeux.Malcolmneditplusunmotetplus tard,quand ilsfurentseulsdanslabibliothèque,ill’enveloppad’unregarddédaigneux.—Bonsang,Marielle,commentas-tupudébitertoutesceshorreursdevanttous
cesgens?—Jen’aiditquelavérité.Jen’avaispasd’autrechoix.Detoutefaçon,ilétaitau
courantdetout.Ilavaitensapossessionleslettresdesmédecins.— Seigneur… les suicides… les maux de tête… deux ans dans un hôpital
psychiatrique…— Je t’ai tout raconté en décembre. Le lendemain de l’enlèvement, très
exactement.—Cen’estpasuneraisonpourdéballertonlingesaleenpublic.Elle le considéra, en proie à un profond désarroi. Finalement, elle avait vécu
pendantsixanssouslemêmetoitquecethommedontellenesavaitpresquerien.Enlarmes,elleseruahorsdelapièce,montalesmarchesquatreàquatre,etseréfugia dans sa chambre. Peu après, un morceau de papier blanc glissa sousl’intersticedesaporte.Ilnecontenaitqu’uneligne:«Appelez,votremédecin».Elle fronça les sourcils, tandis que le feuillet lui échappait des mains. Que luivoulait-on encore ? Pourquoi ne lui laissait-on pas une minute de répit ? Elleramassa de nouveau le papier, reconnut l’écriture large de Taylor. Pourquoil’incitait-ilàappelersonmédecin?Quelquepartaufonddesonsubconscient,elle
savait qu’il avait raison. Elle se précipita sur son carnet d’adresses, saisit lecombiné.IldevaitêtreneufheuresdumatinàVillars.—Quesepasse-t-il?futlapremièrequestiondupraticien.Sitôtqu’ellementionnalekidnapping,ilditqu’ilétaitaucourant,qu’ilavaitdéjà
répondu à un tas de questions. Elle omit de lui signaler que son télégramme luiavaitfaitdutort:aprèstoutelleluidevaitpratiquementlavie.—Vousallezbien?s’enquit-il,avecunetouchantesollicitude.—Oui,plusoumoins.—Lesmigraines?—Celadépend,docteur,voussavez,ladisparitiondeTeddyn’apasarrangéles
choses. Et Malcolm, mon mari… J’ai été obligée de tout lui dire, à propos deCharles, d’André, et de la clinique. J’ai bien essayé de lui en parler avant notremariagemaisiln’arienvouluentendre.—Comment ? s’étonna le Dr Verbeuf à l’autre bout de la ligne.M. Patterson
savaittout.Ilm’aappeléavantvotremariage,en…attendezdonc…en1932,c’estça?Oui, jem’ensouviensmaintenant.C’était l’annéedevotredépartd’ici.Vousêtespartieenfévrieretj’aireçuunappeldeM.Pattersonenoctobre.Etilss’étaientmariéstroismoisplustard,enjanvier,lejourdel’an.—Ilvousatéléphoné?fit-elle,interloquée.Maispourquoi?—Ilvoulaitsavoirs’ilpouvaitfairequelquechosepourvous,pourvosmigraines,
pourrendrevotrevieplusagréable.Jeluiaiditquevousétiezfaitepouravoiruneribambelledebambins.Ils’interrompituninstant.Quelletragédiequel’existencedecettefemme,pensa-
t-iltristement.Décidément,ellen’avaitpasdechance.—PasdenouvellesdeTeddy?—Non,docteur,pasencore.—Tenez-moiaucourant.—Jen’ymanqueraipas.Ellereposalecombinésursafourche,lefrontsoucieux.Ainsi,Malcolmsavait.Ilavaitsu,durant toutescesannées,et iln’avait riendit.Pis, ilavaitautorisé
Palmeràseservirdecesinformations.Ellen’avaitpasletempsdeluidemanderdes explications. Bientôt ils retourneraient au tribunal. Marielle reprit sa placedans la voiture, sans un mot. En vain Taylor l’interrogeait du regard… Elle nepouvait que se taire. Se taire et se poser mille questions qui restaient sansréponses.Durant l’après-midi, le procureur général appela Patrick Reilly à la barre. Le
chauffeur ne se fit pas prier pour décrire la scène qu’il avait surprise dans lacathédrale,puis,lelendemain,auparc.—Delauneyétaithorsdelui.IlavaitattrapéMmePattersonparlesépaulesetla
secouait.Uneéternités’écoulaavantlafindesdébats.Ilsrentrèrentàlamaison,dansun
silenceoppressant.Marielleguettaitl’instantoùelleresteraitseuleavecMalcolm.Ellelesuivitjusqu’àsondressing-roomoùilsemitàs’habillerpourundîneràsonclub.Ilavaitbesoindesechangerlesidées,prétexta-t-il.—Tum’asmenti!—Àquelsujet?fit-ild’unevoixindifférente.—Tum’as laissée croire que tu ignoraismon passé, alors que tu savais tout.
Absolument tout. Mon mariage avec Charles, la mort d’André, la clinique…Pourquoinem’as-tujamaisriendit?— Tu crois que je me serais marié sans savoir qui j’épousais ? Ma pauvre
Marielle!Illuijetaunregardméprisant.Elleétaitindignedelui.Enavouantqu’elleavait
embrasséCharlesDelauneyàl’église,elles’étaitrendueridiculeenpublic.Cela,ilneleluipardonneraitjamais.—Tum’asmenti!répéta-t-elle.—Ettoi,tuasmismonfilsendanger.Tuaspermisàcesalauddedétruirenotre
vie.Ill’apris,àcausedetoi…assena-t-il,sansplussesoucierdelafragilitédesesnerfs.Quantàcequejesavaisoupasavantdet’épouser,celaneteregardepas.—Pourquoias-tumisPalmeraucourant?—Parceques’ilnetedénigraitpas,tuseraiscapabledesoutenircecingléquetu
asépousé…cefumier…cetassassin.Quandjepenseque,malgrétoncœurbrisé,tuosesprétendrequ’iln’estpeut-êtrepascoupable!—C’étaitdoncça,murmura-t-elle,incrédule.Tuasfaitensortequejenepuisse
pasluivenirenaide.— Exactement. Je ne trouverai la paix que quand il aura grillé sur la chaise
électrique.—Qu’est-cequecela,Malcolm?Unjeudevengeanceentrevousdeux?Ilprend
Teddy et tu l’envoies à la mort ? Mais qu’avez-vous, tous ? s’écria-t-elle avecdégoût.—Sorsdemachambre,Marielle.Nousn’avonsplusrienànousdire.Elle lui lança un regard médusé. Ainsi, Malcolm avait délibérément ruiné sa
réputation,dansl’uniquebutdedétruireCharles.—Jemedemandequitues,souffla-t-elle.—Oh,celan’aplusaucuneimportance.—Qu’est-cequetuinsinues?hurla-t-elle,àboutdenerfs,tremblantdetousses
membres.—Jecroisquetum’astrèsbiencompris.—Toutestfinientrenous,n’est-cepas?Sitoutefoisquelquechoseavaitexisté,
endehorsdeTeddy.—Touts’estterminé,encequimeconcerne,lanuitoùDelauneym’aprismon
enfant.Libreàtoideteremettreavecluipourte lamentersurvosagissements.Maissacheunechose.Jamaisjenetepardonnerai.Ellesutqu’ilnechangeraitpasd’avis.—Veux-tuquejeparteimmédiatement,Malcolm?—Es-tu donc si pressée, si avide de scandale ? Tu pourrais avoir la décence
d’attendrelafinduprocès.Elleacquiesçadelatête,avantderegagnersachambresilencieuse.Plusrienne
lasurprenaitàprésent.Elleavaitépouséunétranger,unhommequi ladétestaitcommesileurenfantavaitdisparuparsafaute.Encoreun…Lavieavaitétéinjusteetcruelleavecelle…QueTeddyfûtretrouvéoupas,sonmariagen’avaitplusderaisond’être.
Chapitre12Lelendemain,ellefitmonterunplateaudepetitdéjeunerdanssachambre–une
tassedethé,untoastdepaingrillé–ainsiquelesgazettesdumatin.C’étaitlà…Toutel’horreurdel’audience,étaléeenlong,enlargeetentravers.L’humiliation que le procureur lui avait infligée publiquement, reprise par les
reporters, commentée, amplifiée. Certains la présentaient comme une maladementalechronique,d’autresprétendaientqu’unecrised’hystérieenpleineauditionavait obligé le juge à la faire transporter par ses huissiers hors du tribunal.Marielle essuya ses larmes. Et Malcolm qui avait aidé Palmer à fomenter cecomplot!Ellen’encroyaitpasencoresesyeux.Samainsaisitunautrejournal.Elleétaitsurlepointdelejeter,quandsonregardtombasurunarticledontlapremièrephrasecaptasonattention.«L’éléganteetaristocratiqueMariellePattersonfutappeléehierà labarreoù
elle a subi des heures durant un véritable harcèlement de la part de WilliamPalmer,leprocureurgénéral.«Cedernier,visiblementdésireuxdejeterlediscréditsurMmePatterson,nelui
aépargnéaucuncoupbas.Envain,d’ailleurs,caràaucunmomentellen’aperducontenance.Cette femme, qui a déjà perdu deux enfants dans des circonstancestragiques,asuffoquélasalleparsadignité.Pourtant,c’estavecunemauvaisefoiévidente que le procureur a poussé Mme Patterson à décrire longuement sesépreuvespassées,tellesquesonséjourdansunsanatoriumsuisse…»L’articlesepoursuivaitsurdeuxcolonnesavantdeconclure:«Quandonavu,neserait-cequ’unefois,lamèredupetitTeddy,unechoseest
certaine.Onestfaceàunegrandedame.Elleaquittélasalledutribunallatêtehaute,semblableàunereinedontonseseraitacharnéàternirl’imagesansjamaisyparvenir.»C’étaitsignéBéaRitter.Marielleessuyaleslarmesquin’avaientcessédecoulersursesjoues.Laprobité
de la jeune journaliste ne lui serait d’aucun secours, elle en avait conscience.Commeellesavaitqueleprocureurgénéral,assistéparsonpropremari,avaitjurésaperte,dans l’uniquebutde l’empêcherde témoigneren faveurdeCharles,cedont elle n’avait pas l’intention. Oh, c’était trop tard, se dit-elle alors qu’elles’habillaitaveclesgestesducondamnéquis’apprêteàmonteràl’échafaud.John Taylor l’attendait avec ses hommes au rez-de-chaussée. La farce sinistre
allaitcontinuerjusqu’aubout,iln’yavaitplusaucunmoyendel’arrêter.Elleavaitpasséunesimplerobenoiresousunamplemanteaudefourrurefoncée,etellepritplacesansunmotdanslalonguePierce-Arrow.Letrajets’effectuadansunmalaisepesant. Malcolm, obstinément tourné vers la fenêtre, feignait de contempler le
paysagedeverreetdebéton,et John,dont lamainavaitbrièvementeffleuré lasienne,setaisaitégalement,n’osantluifairepartdesonémotion.Le procès reprit dans une ambiance fiévreuse. Le juge Morrison rappela à
l’assistancequechacundevaitseconduirecorrectement.Sespetitsyeuxsombresfusillèrentlesreprésentantsdelapresse,qu’ilsermonnad’unevoixsévère.—Des irresponsables ont rapporté des scènes qui n’ont jamais eu lieu devant
cettecour,gronda-t-il.Il n’avait guère apprécié les comptes rendus selon lesquelsMarielle aurait eu
une crise de nerfs.Mais il était difficile d’enrayer les rumeurs qui, chaque jour,s’enflaientdavantage,jusqu’àladémesure.Ensuite, lemassacrerepritdeplusbelle.Visiblement,BillPalmernes’estimait
pasencore satisfaitde sonœuvredestructrice. Il fallait coûtequecoûte réduireMarielleausilence,unefoispourtoutes.Uneseulevoixdevaitrésonnerdanscetribunal, celle de Malcolm. Et Malcolm n’avait jamais douté que Delauney fûtcoupable.Rappelé à la barre, Patrick Reilly déversa un torrent d’insanités, puis le
procureurfitcomparaîtreEdithetmêmemissGriffin.Cenefutplusqu’unabjecttissu de mensonges, dépeignantMarielle comme une créature sans consistance,nerveuse,hystérique, instable, incapablededirigersapropremaison,deprendresoindesonenfantoudesonmari.— Diriez-vous que Mme Patterson est une personne responsable ? demanda
Palmer à la nurse, alors que pour la énième fois Tom Armour bondissait poursignifiersonobjection.— L’avis de cette femme est irrecevable en matière psychiatrique, votre
honneur!Pourl’amourduciel,procureur,citez-nousunexpert,pasunenounou!—Jevousfaisarrêterpouroutrageàlacoursivousleprenezsurceton,maître
Armour,rugitMorrison.—Jevousdemandepardon.—Objectionrejetée.Et l’entreprise de démolition se poursuivit allègrement, orchestrée par
l’accusationetce,demaindemaître.JohnTayloretCharlesDelauney,lesseulsquiavaientunebonneopiniondeMarielle,n’étaientd’aucuneutilité.SeulMalcolmauraitpurétablirlavéritémais,biensûr,ilnefallaitpascompter
surlui.—Àvotresens,missGriffin,MmePattersonest-elleunebonnemère?Lanurseanglaisen’hésitapasplusd’uneseconde.—Pasvraiment.Des exclamations stupéfaites s’échappèrent des rangs du public. Marielle se
sentitaubordde l’évanouissement.C’était trophorrible.Après l’avoirdépouilléedesadignitéhumaine,ons’enprenaitàsonamourmaternel.Sonbustes’inclinaen
avant,dansunmouvement involontairededésespoir,et lamain fermede John laramenaaussitôtenarrière,avantquelesjournalistess’ensoientaperçus.—Pouvez-vousnousexpliquerpourquoi,missGriffin?—Elle était toujoursmalade.Beaucoup tropnerveuse.Lesenfants ont besoin
d’équilibre,destabilité,depersonnesfortesetsécurisantes.CommeM.Patterson.La gouvernante avait décoché sa dernière flèche d’un air fier, et Marielle,
horrifiée, se demanda une fois de plus pour quelle raison tous ces gens-làdétestaientautant.—Votrehonneur,intervintTomArmour,nousnesommespasicipouraccorderla
garded’unenfantàl’unoul’autredesparents.LescompétencesdeMmePattersonentantquemèren’ontrienàvoiravecl’objetduprocès.Ils’agitd’uneaffairedekidnapping,etpersonnenes’estencoredonnélapeinedementionnermonclient.—Nousyviendrons,chercollègue,sifflaleprocureur.Ilnerestaitplusqu’àporterlecoupdegrâceàMariellePatterson.Quiprendrait
en considération les élucubrations d’une ancienne pensionnaire des hôpitauxpsychiatriques, que ses propres domestiques considéraient comme unemauvaisemère?Leprocureurcomptaitcompléterletableaul’après-midimême.MalcolmPattersonmontaàlabarredèsl’ouverturedeladeuxièmeséance.—Étiez-vousaucourantdel’histoiredevotreépouse,monsieurPatterson.—Absolumentpas.Malcolmavaitfixél’émailcéruléendesesprunellessurlevisageduprocureur,
demanièreàexclureMarielledesonchampdevision.—Vousignoriezdoncqu’elleavaitétéhospitaliséeenpsychiatrie…—Biensûr.Sinon,jenel’auraispasépousée.Marielleécarquilla lesyeux.Malcolmmentaitavecuneaisancedéconcertante.
Maintenant,plusriennepourraitlasauverdudéshonneur.Elle s’efforça de faire abstraction du présent, se remémorant les instants
insouciantsqu’elleavaitvécusauprèsdesonpetitTeddyadoré.—Saviez-vousqu’elleavaitétélafemmedeCharlesDelauney?—Nonplus.Ellenemel’ajamaisavoué.Jemesuislaissédirequ’elleavaiteu
une idylleàParis,mais j’étais loindemedouterde lavérité.Ellem’acachésonpremiermariage.—Avez-vousconnuM.Delauney,monsieur?—Parouï-dire.Ilavaitmauvaiseréputation,àtelpointquesonproprepèrel’a
envoyéàl’étrangerpendantdesannées.— Objection ! cria Tom, de nouveau debout. Devons-nous citer le vieux
M.Delauneypourvousconvaincrequelafamilledemonclientafait l’impossible,aucontraire,pourlepersuaderderevenirauxÉtats-Unis?— Objection retenue. Le jury est prié de ne pas tenir compte de la dernière
déclarationdeM.Patterson.MonsieurPalmer,veuillezpoursuivre.—Avez-vousdéjàrencontréM.Delauney?—Non,pasavantceprocès.— Vous a-t-il jamais appelé, menacé, harcelé, vous personnellement ou un
membredevotrefamille?—Objection!—Rejetée!— Il amenacéma femmeetmon fils. Il a dit qu’il allait kidnapperTeddy, afin
d’obligermafemmeàretournerauprèsdelui.—Quanda-t-ilproférécesmenaces?Malcolmbaissalatêtependantunbrefinstant,avantdelaissersonregarderrer
danslasallebondée.—Laveilledel’enlèvement.—Avez-vousrevuvotrefilsdepuiscejour-là?Malcolmsecoualatête,incapabledeparler.—Répondez,s’ilvousplaît,ditPalmerd’unevoixattendrie.—Jesuisdésolé…Non,jenel’aiplusrevu.—Depuisquand,exactement?— Presque troismois, jour pour jour.Mon petit garçon a été kidnappé le 11
décembre,quelquesjoursaprèssonquatrièmeanniversaire.—Ya-t-ileudesdemandesderançon?—Uneseule,quis’estrévéléefausse.Personnenes’estdérangépourtoucherla
somme.L’allusionétaitclaire.Delauneyn’avaitpasformulédedemandederançon,parce
qu’il avait agi sous lapulsionde la vengeanceetque,d’autrepart, il n’avait pasbesoind’argent.—MonsieurPatterson,pensez-vousquevotrefilsesttoujoursvivant?Malcolmparutdéployeruneffortsurhumainpourrépondre.—Non,jenelecroispas.SiTeddyétaitenvie,ilnousauraitétérendu.LeFBI
l’a recherché à travers presque tous les États. S’il était vivant, ils l’auraientretrouvé.—Et,d’aprèsvous,leravisseurestM.Delauneyiciprésent?—Ilaorganisél’enlèvementenlouantlesservicesdemalfaiteurs,quiontpriset
sansdoutetuéTeddy.—Qu’est-cequivousfaitpensercela?—Lepyjamade…demonpetitgarçonaétédécouvertchezDelauney,ainsique
sonoursonpréféré.Il avait fondu en larmes. Le public retenait son souffle. Le procureur attendit
poliment que Malcolm recouvre ses esprits. Sur son siège, au quatrième rang,Brigittesetamponnaitlesyeuxàl’aided’unmouchoir»garnidedentelle.— Est-ce que, selon vous, votre femme est toujours amoureuse de Charles
Delauney?Ilavaitdû,àsoncorpsdéfendant,censurerlemot«liaison»,qu’iln’avaitpaspu
prouver,endépitdesauditionsrépétéesdupersonnel.— Oui, sans aucun doute. J’ai su par mon chauffeur que, deux jours avant
l’enlèvement, elle l’a rencontré dans une église et qu’ils se sont embrassés àplusieurs reprises. Je suppose qu’elle n’a jamais cessé de l’aimer durant notremariage.C’estpourquoielleaétésimalade,jeprésume.Oneûtditqu’ilparlaitd’uneinvalide.—Rendez-vousvotrefemmeresponsabledel’enlèvement?Unsilencesefit.Danslasallecomble,onauraitpuentendrevolerunemouche.
Leverdictfusa,implacable,delabouchedeMalcolm.—C’estentièrementdesa faute,siCharlesDelauneyakidnappéTeddy.Desa
fautes’ilavoulusevengerdelamortdesonproprefilsens’emparantdumien.Desafaute,enfin,sicetindividuafaitirruptiondansnotrevie.IllançaunregardcinglantàMariellemaiselleavaitdétournélesyeux.—MonsieurPatterson,endépitdelaresponsabilitédevotreépousedanscette
tragédie,auriez-vousétécapabledevousvengerd’elle?Parexempleenfaisantdumalàquelqu’unauquelelleestattachée?Ouenlapunissantd’uneautremanière?C’était déjà fait, Marielle ne le savait que trop bien. Il l’avait privée de sa
confiance,desonaffection,duplusinfimeréconfort,detoutcequ’unefemmeestendroitd’attendredesonmarilorsd’uneépreuvecommune.Etill’avait,desurcroît,traînéepubliquementdanslaboue.—Ehbien,vousseriez-vousvengéd’elle?répétaPalmer.Malcolmeutungravehochementdetêtedictéparlamiséricorde.—Non,jamais!—Merci,monsieurPatterson…MonsieurArmour,letémoinestàvous.Tomselevalentement.Pendantuninstantquiparutaussilongqu’uneéternité,
aucunmotnefranchitseslèvres.Ensuite,ilesquissaquelquespasverslebancdesjurés, un sourire sur les lèvres, comme pour alléger l’insupportable tension quirégnaitdanslapièce.Lorsque,enfin,ilallaseplanterdevantMalcolm,sonsourires’étaiteffacé.—Bonsoir,monsieurPatterson.—Bonsoir,monsieurArmour.Lesdeuxhommessefaisaientface.Letémoinàcharge,lecorpsrigide,dansune
attitude solennelle, et l’avocat de la défense, l’air détendu, sous les regardsintriguésdel’assistance.
—VotreunionavecMmePattersona-t-elleétéheureuse?—Onpourraitdirecela,oui.—Malgrésamaladie,sonincompétence,sesmauxdetête?Désarçonné l’espace d’une seconde,Malcolm recomposa très vite sonmasque
impassible.—Malgrécela,oui,nousavonsétéheureuxensemble.—Trèsheureux?—Assezheureux,oui,dit-il,ensedemandantoùl’autrevoulaitenvenir.—Avez-vousdéjàétémarié,monsieurPatterson?—Deuxfois.Cen’estunsecretpourpersonne.—MmePattersonlesavait-elle,donc?—Naturellement.—Est-cequevotrederniermariageasouffertdesdeuxprécédents?—Biensûrquenon.—Auriez-vousétéennuyésivousaviezeuconnaissanceduprécédentmariagede
MmePatterson?— Non… Pas du tout, articula Malcolm après une infime hésitation. J’aurais
préféréqu’ellesoithonnêteavecmoi.—Biensûr,convintTomrapidement.Avez-vouseudesenfants,lorsdevosdeux
premiersmariages,monsieur?—Non.Théodoreétaitmonseulenfant.—Vousavezditétait.Vousnelecroyezdoncplusenvie?questionnaTom,les
sourcilslevés,commepoursoulignersasurprise.—JecroisqueDelauneyl’atué.Contretouteattente,Tomconservauncalmeolympien.—Oui,jecomprends.Maiss’ilestmort–bienquenousespérionstousquecene
soitpaslecas–commentdéfiniriez-vouscetévénement?—Excusez-moi,jen’aipascomprisvotrequestion.TomArmourserapprochadavantageetlefixadroitdanslesyeux.—Sivotreenfantétaitmort,commentvoussentiriez-vous,monsieurPatterson?—Commeunhommefini.Unhommedontlavien’aplusdesens.—Ensomme,votrevieseraitalorsdétruite?Malcolmbattitdespaupières,deplusenplusdécontenancé.—Oui,biensûr,ilestmonfilsunique.L’avocatluiadressaunhochementdetêtecompatissant.—Danscecas,enquoilefaitquelaviedeMmePattersonaitétéravagéeparla
pertedesesenfantsvouschoque-t-il?Vousattendiez-vousàuneautreréactiondesapart?—Non,je…J’imaginecombiencedeuiladûêtredouloureuxpourelle.— En effet,monsieur Patterson. À l’époque elle avait vingt et un ans et était
enceintedecinqmois.Sonpetitgarçonsenoie,elleperdsonbébé,sonpèremeurtpeuaprès,samèresesuicidesixmoisplustard,sonmari,l’espritobnubiléparsaproprepeine,seretournecontreelleetvousvoulezquecettefemmesorteindemnede ces drames répétés ? Dans quel état seriez-vous à sa place, monsieurPatterson?—Je…Illaissasaphraseensuspens,tandisquelesjurésretenaientleursouffle.—Est-cequeMmePattersonsetrouvedanscettesalle,monsieurPatterson?—Oui,biensûr.—Voulez-vousavoirl’obligeancedenouslamontrer?—Votrehonneur!serebiffaWilliamPalmer,quiavaitbondisursespiedscomme
unressort.Cesdevinettessont-ellesnécessaires?— Monsieur Armour, soyez plus clair dans vos démonstrations. Nous avons
encorenombredetémoignagesàexamineretnosamislesjurésenontassezd’êtreséquestrésdansunhôtel…auxfraisdel’État,nel’oubliezpas.Un rire feutré parcourut l’assistance, et le jeune avocat sourit. Sous son air
décontracté,ilcachaitparfaitementunetensionquiluinouaitl’estomac.—Voulez-vousnousmontrervotrefemme,monsieurPatterson?Malcolms’exécuta.—Oui,elleestlà,repritTom.Aujourd’huicommehier.Àévoquerlamortdeses
enfants,l’enlèvementdeTeddy,sonséjourdansunecliniquesuisse,ousonmariagedésastreux avecM.Delauney.Mais elle est là. Et elle paraît bien tenir le coup,pourquelqu’undontlesnerfssontmalades…UneétincelledecolèrejaillitdespupillesdeMalcolm,maisl’avocatn’entintpas
compte.—Êtes-vousd’accordavecmoi,monsieurPatterson?Ellea l’air parfaitement
normale,n’est-cepas?IlregardaMarielle,assiseprèsdeJohnTaylor,levisagepâlemaislisse.—Oui,elleal’air,concédaPattersonàcontrecœur.—Ilsemblequesesfameuxtroublesmentauxaientdisparupourdebon,non?—Jenesaispas.Jenesuispasmédecin.—Combiendetempsavez-vousétémariés?—Plusdesixans.—A-t-elleétésoignéepourcegenredeproblème,durantcessixannées?
—Non.—A-t-ellefaitquelquechose,pendantcetemps,quiaitmisendangervotrefils?—Oui!hurlaMalcolm.—Quoidonc,monsieurPatterson?s’enquitTom,surprisparlavéhémencedela
réponse.—Elles’estassociéeavecDelauney.ElleaemmenéTeddyauparcpourl’exposer
à la colèrede ce criminel.Elle l’a poussé àbout et c’est pourquoi il a prismonenfant.Ilagitait lesbras,horsde lui,etTomrefoulaunsoupirdesoulagement.Enfin,
unebrècheétaitouvertedanslacarapaceglacéedePatterson.—D’aprèsvotrefemme,ils’agissaitd’unerencontrefortuite.—Jenelacroispas.—Vousa-t-elledéjàmenti?—Oui.ÀproposdesonséjouràlacliniqueetdesonmariageavecDelauney.Tom savait que c’était inexact mais il préféra ne pas défier Malcolm sur ce
terrain.—Sicelaestvrai,vousa-t-ellementisurd’autressujets,àunautremoment?—Jenesaispas.—Trèsbien.Àpartcetterencontreauparc,a-t-elleprisd’autresrisquesavec
Teddy?L’a-t-ellelaisséquelquepartsanslesurveiller,mêmedanssabaignoire?—Jenesaispas.—Maisvousvousrappelleriez,sielleavaitmisendangerlaviedevotreenfant.—Biensûr!Malcolm Patterson s’enlisait lentement mais sûrement dans ses propres
contradictions,etcelafitnaîtreunsouriresatisfaitsurleslèvresdeJohnTaylor,quin’avaitpasperduunmotdel’interrogatoire.—Pensez-vousquevotrefemmevousétaitfidèle,monsieur?—Jen’ensaisrien.—L’avez-vous,pouruneraisonouuneautre,soupçonnéed’infidélité?—Pasvraiment.—Vousvoyagezbeaucoup,jecrois.—Oui.Pourmesaffaires.—Certainement…EtquefaitMmePattersonenvotreabsence?—Elleresteàlamaison.Engénéralclouéeaulitavecunedesesmigraines.Quelquespersonness’esclaffèrentdanslasalle,alorsquelesjurésdemeuraient
silencieux.—Ellenevousajamaisaccompagné,lorsdevosdéplacements?
—Trèsrarement.—Pourquoi?Vousnevouliezpasdesacompagnie?—Ellepréféraitresteràlamaisonavecnotrefils.Leportraitdelamauvaisemères’effritaitpetitàpetitsouslesassautsingénieux
deTom.—Jevois,ditcelui-ci.Mais,alors,vousvoyagezseul?—Naturellement.—Vousn’emmenezpersonneavecvous?—Biensûrquenon,grommelaMalcolm,irritéparl’impertinencedel’avocat.—Pasmêmeunesecrétaire?—Ah,si.Jenepeuxpasfairetoutletravailseul.—Jecomprendsbien.Etvousemmeneztoujourslamêmepersonneavecvous?—Parfois,mesdeuxsecrétairesm’accompagnent.—Maislaquellevientavecvousleplussouvent?—MlleSanders.Elleestmonemployéedepuisdenombreusesannées.Autondesavoix,onauraitpucroirequeladénomméeMlleSandersavaitcent
ansetdespoussières,maisTomArmour,quiavaitmenésonenquête,savaitàquois’entenir.—Combiend’années,monsieur?—Sixansetdemi.—Avez-vousuneliaisonavecelle,monsieurPatterson?—Absolumentpas!Jenemêlejamaisletravailauplaisir.—QuiétaitvotresecrétaireavantMlleSanders?—Mafemme.—MmePattersonaétévotreemployée?interrogeaTom,l’œilarrondiparune
surprisefeinte.Quelques-uns pouffèrent discrètement dans la salle, et même le juge parut
amusé.—Oui,pendantquelquesmois,jusqu’ànotremariage.—Est-ceainsiquevousl’avezrencontrée?—Oui,encorequejeconnaissaisvaguementsonpère.—Connaissez-vousaussilepèredeMlleSanders,monsieurPatterson?—Non,guère…IlestboulangeràFrancfort,ditMalcolmenscrutant l’avocat
avecunesuspicioncroissante.—Jevois.OùhabiteMlleSanders,lesavez-vous?—Jen’enaiaucuneidée.
On eût dit une scène de théâtre où chaque réplique rendait plus intense lesuspense. Un silence impressionnant enveloppait l’audience et même Mariellesuivaitl’échangedeproposavecuneattentionsoutenue.—Vraiment?Vousn’êtesjamaisalléchezelle?—Toutauplusdeuxoutroisfois,pourluidicterducourrier.—Etvousnevousrappelezpassonadresse?—D’accord,d’accord,jem’ensouviens.54eetParkAvenue.—Unbeauquartier…L’appartementest-ilplaisant?—Trèsagréable.—Est-ilspacieux?—Plutôt,oui.—Unhuit-pièces,avecsalleàmanger,unbureaupourvous,deuxchambresà
coucher, deux dressing-rooms, deux salles de bains, un immense living et uneterrasse?—Peut-être.Jenesaispas.Sonteintnaturellementpâleavaitviréaurougebrique.Ilsemblaitaubordde
l’attaqued’apoplexie,maisl’imperturbableTomArmourn’avaitaucuneintentiondelâchersaproie.—QuipaieleloyerdeMlleSanders,monsieurPatterson?Vous?Dans lesilencequi suivit,Marielleconsidérasonmari, incrédule.Stupide !Ce
quej’aipuêtrestupide!sedit-elleamèrement.Ellen’avaitjamaisriensoupçonné.Brigitteavaittoujoursmontrédesmarquesdedéférenceàsonégard,sansparlerdesagentillesseenversTeddy.—Non, ce n’est pasmoi qui paie le loyer deMlle Sanders, réponditMalcolm
d’unevoixrude.—QuelestlesalairedeMlleSanders?—Quarantedollarsparsemaine.—C’estunesommeraisonnable.Maisguèresuffisantepourréglerunloyerde
sixcentsdollarsparmois,vousnecroyezpas?—Cen’estpasmonaffaire.—VousavezditquelepèredeMlleSandersestboulanger.— Votre honneur ! intervint William Palmer, simulant un ennui sans fond. On
s’égare.— Monsieur Patterson s’égare, très certainement, ponctua Tom, ravi de sa
trouvaille.Car,malgrésapertedemémoire,soncomptebancaire,sescarnetsdechèques et ses livres de comptabilité prouvent qu’il paie le loyer de cetappartement.—Admettons,etaprès?lâchaPalmer.
—SeamusO’Flannerty, le portier de l’immeuble, a accepté d’être cité commetémoin de la défense. Il vous dira que M. Patterson passe tous les jours chezMlleSandersaprèssontravailetque,souvent,ilyrestetoutelanuit.Parailleurs,quandilsvoyagent,ilspartagentlamêmechambre.MlleSandersporteunsuperbemanteaudevisonaubureauetàNoël,deuxsemainesaprèslekidnappingdesonfils, son patron lui a offert un collier de diamants de chez Cartier. De touteévidence,M.Pattersonamenti,votrehonneur.—Objectionrejetée,monsieurPalmer,coupalejugeàl’adresseduprocureur,qui
se rassit. Vous êtes sous serment, monsieur Patterson, dit-il presque gentiment,conscientdustatutsocialdutémoin.Peut-êtreM.Armourvoudrait-ilreformulersaquestion?—Certainement,votrehonneur.MonsieurPatterson,avez-vous,ouiounon,une
liaisonavecBrigitteSanders?Leprocureurbonditunefoisdeplus.—Cettequestionn’aaucunrapportavecl’affaireDelauney,votrehonneur!—Jenesuispasdevotreavis,ripostaTom.L’accusationatoutfaitpourlaminer
laréputationdeMmePattersonenproclamantqu’elleentretenaitdesrelationsavecmonclient–cequiestfaux–,afindeladéprécierentantquetémoin.Monclientavécuà l’étrangerdurant lesdix-huitdernièresannées.Laprésomptionqu’il apuagir comme un amant rejeté ou un ex-mari jaloux, soigneusement façonnée parl’accusation,vautaujourd’huipourMlle Sanders…Unemaîtressepeut égalementchercheràsevengerducoupledontl’unions’opposeàsonbonheur.—Sevenger,alorsqu’ellevenaitderecevoiruneparuredediamants?fitPalmer,
etlasallecroulasouslesrires.—Répondezàlaquestion,monsieurPatterson,ditlejuge,commeàregret.Êtes-
vousl’amantdeMlleSanders?—Peut-être,marmonnaMalcolm.—Parlezplusfort,suggéraTompoliment.—Oui,oui,noussommesamants.Maiscen’estpasellequiakidnappémonfils.MarielleseretournapourregarderBrigitte,quisetenaitdroiteetblêmesurson
siège.—Commentlesavez-vous?demandal’avocatdeladéfense.—Elleestincapabledefaireunechosepareille.—Monclientaussi.Allez-vousépouserMlleSanders,monsieurPatterson?—Non.Biensûrquenon.Tomhaussaunsourcil,faussementétonné.—Offrez-vousdesdiamantsetdesfourruresàtoutesvosemployées?—Certainementpas.—Etelle?Voudrait-elledevenirMmePattersonàsontour?
—Jen’ensaisrien.Iln’enajamaisétéquestion.—Merci,monsieurPatterson.Vouspouvezregagnervotreplace.Palmerinsistapourposerencoreunequestionàsontémoinàchargenuméroun.—Est-cequeMlleSandersa jamaisproférédesmenacescontrevousouvotre
famille,monsieurPatterson?—Non,jamais!MlleSandersestunejeunefemmepolieetbienélevée.AvecdesjambesfabuleusesetdestalentscachésdontMariellen’avaitmêmepas
idée!—Merci,pasd’autresquestions.Malcolm retourna à sa place et, quelquesminutes plus tard, Brigitte Sanders
quittalasalled’audience.Ellefutassailliedanslecouloirparlesreportersavidesderagots.Sonmascaraavaitdessinédestraînéesnoirâtressurses jouesquand,enfin,elleréussitàseglisserdansuntaxi.L’accusationprésentaensuiteuncertainnombred’expertsassermentésqui,tous,
affirmèrentquelepyjamarougeceriseetlepetitoursenpeluchedécouvertschezl’accusé avaient bien appartenu à Teddy. Le dernier témoin de la journée se ditancien camarade de lycée deCharlesDelauney : il déclara que ce dernier avaitmenacéde lui casser la figure, quand ils avaient quatorze ans. Juriste àBoston,maigreetnerveux,letémoins’étaitproposéspontanément.Delauneyavaittoujoursété«unpeucinglé»,conclut-il.Tomfitobjection,lejugel’accepta,etl’intérêtdesjuréscommençaàlanguir.Lorsque,finalement,Morrisonsignalalafindelaséance,toutlemondepoussa
intérieurement un ouf de soulagement. Cela avait été encore une journéeaffreusementdurepourMarielle.Ellemontaenvoiture,suivieparMalcolm,JohnetleurhabituelleescorteduFBI,sousuneavalanchedequestionsenprovenancedes journalistes, tandis que les appareils photo crépitaient. Pas un mot ne futéchangé entre les occupants de la limousine durant le trajet du retour. Rendu àdestination,Malcolmcouruts’enfermerdans labibliothèqueoù ilpassaplusieurscoupsdefil.Unedemi-heureaprès,ilrepartitenclaquantlaporte.John retrouva Marielle au salon. Il alla s’asseoir en face d’elle, contempla
longuementlevisagesoucieuxdelajeunefemme.—Déçue?demanda-t-ildoucement.Exténuée,elleexhalaunsoupir.—Sansdoutesuis-jeterriblementnaïve,maisBrigittem’atoujoursplu.Elleétait
sigentilleavecmoi.EtavecTeddy.Touscescadeaux,songea-t-elle,lessourcilsfroncés,toutescespetitesattentions
vis-à-vis de l’enfant, ces jouets, ces sweaters tricotés de ses propresmains, ceslivres,cesbonbons…c’étaitdonccela!Elleréalisasoudainquela liaisondesonmari avec sa secrétaire devait durer depuis longtemps, probablement depuis ledébut,etn’enfutqueplusaccablée.—Elle semontrait amicale avec Teddy pour faire bonne impression sur votre
mari.—Oh,çan’apasd’importance.MalcolmetMariellen’avaientpasfaitl’amourdepuisdesannées.Connaissant ses besoins physiques, elle s’était bien posé des questions, sans
jamaissoupçonnerBrigitte.Biensûr,lesattraitsdelajeuneAllemandenepassaientpas inaperçus.Une ou deux fois, elle avait éprouvé lamorsure de la jalousie, lasachant en voyage en compagnie de Malcolm, puis elle n’y avait plus pensé. Àprésent, elle voyait plus clair. Malcolm passait des nuits entières auprès de saravissantesecrétaire,dontilpayaitleloyeretqu’ilcomblaitdeprésents.Lesliensqui l’attachaientàBrigitteparaissaientplussolides,pluspuissantsquesonunionavecMarielle…Celle-cinepossédaitplusaucunmoyenpourleretenir,pasmêmeTeddy.Sespenséespassaientcommedesombressursestraitsfinementciselés,tandis
que John Taylor l’observait. Il songeait à Debbie, son épouse, et à ce qui sepasserait quand le procès serait terminé. Malgré leur attirance réciproque,Marielle et lui n’avaient jamais évoqué l’avenir. Pour le moment, le présent etl’angoissederetrouverTeddyvivantlesaccaparaienttotalement.— Pauvre Malcolm… souffla-t-elle plus tard, alors qu’elle raccompagnait John
verslevestibule.Ilahorreurduscandale.Ladéfensenel’apasménagé.—L’accusationvousaencoremoinsménagée,vous,Marielle.Votremariamenti
surpresquetouslespoints.C’était décidément une femme étonnante. On avait tenté de la discréditer en
public,etelle trouvait lemoyendeplaindresonbourreau.Ondiraitqu’elle luiadéjà pardonné ses mensonges à propos de leur mariage et de l’hôpitalpsychiatrique,pensa-t-ilrageusement.—LegrandPattersonn’aeuquecequ’ilméritait,bougonna-t-il.Surtoutaprèsce
qu’ilvousafait.Iln’avaitpasbesoind’aiderPalmeràvousdémolir.— Ils ont eu peur que je témoigne en faveur deCharles, alors ils ont pris les
devants.Oh,commeelleavaithâtequececauchemarsoitterminé!—Éprouvez-voustoujoursdelasympathiepourlui,Marielle?Quedire?Ilyavaitdesmoisqu’elleessayaitdes’expliquer l’ambiguïtédeses
sentiments.— Jen’en saisplus trop rien…Tous les indices sont là.Pourtant, jepersisteà
penserquejen’aipaspumetromperàcepointsurlui,aprèstoutescesannées.Peu importe cequ’il a dit dans le parc…etmême si Teddy a disparu…Oh,monDieu!LaseulepenséedeTeddy luiétaitdevenue insupportable.Lepetit litvide,qui
avaitconservélachaleurdel’enfant,lesoirfatidiquedel’enlèvement,semblaitlanargueràprésent.Voilà troismoismaintenantqu’ellen’avaitpasserrédanssesbrassonpetitgarçonchéri…sonpetitgarçonqu’ellen’avaitpassuprotéger,au
diredesonentourage.—SiCharlesétaitinnocent…sinousretrouvionsTeddy…chuchota-t-elle,perdue
dansletumultedesesinterrogationsobsédantes.—Seriez-vousprêteàrevivreavecvotreex-mari?Ilyavaitdesjoursetdesjoursqu’ilavaitenviedeleluidemander.Desjourset
desjoursqu’ilredoutaitlaréponse.—Jenesaispas,répondit-elleavecsafranchisehabituelle.Jenecroispas.Non,
jenelepourraispas.Ilyaeutropdepeine,tropdedouleurentrenous.Ilnousseraitimpossibledenousregarderenface.Maiss’ilestinnocent,siTeddyrevient,Charlesnemepardonnerajamaisceprocès.Illaregardauninstant,interloqué.Aufildessemainesetdesmois,ilavaitperdu
l’espoirderetrouverl’enfant.Partropd’aspects,l’affaireluirappelaitcelledupetitLindbergh,etiln’aimaitpasça.—Pourl’amourduciel,cessezdoncdeculpabiliser.Arrêtezdeporterlefardeau
detoutelamisèredumondesurvosépaules!explosasoudainJohn.Cen’estpasvousqui l’avezmenacédanscefichuparc,bonsang!C’estbien lui toutseulquis’estmisdanslepétrin.Vousn’yêtespourrien,Marielle.Nidanslekidnapping,nidansleprocès…Ilestgrandtempsd’effacercetteimagedevous-même,quetouscescrétinsvousontenfoncéedanslecrâne.Ilsetut,craignantd’êtreallétroploin,maisellesourit.SansJohn,ellen’aurait
passurvécuàcenouveaudrame.Ilétaitleseulêtreaumondequisemblaitcroireenelle,qui luiavaitaccordésaconfiance. Je l’aimeparcequ’ilveutmeprotégerpartouslesmoyensetparcequ’ilfaittoutpourmeramenerTeddy,sedit-elle,maisl’instantsuivantsonsourires’estompa.Qu’adviendrait-ildecetamourquandtoutseraitfini?Pasgrand-chose…Non,pasgrand-chose. Ilsresteraientamis. Ilss’étaientrencontrésaumauvais
moment, conclut-elle avec une étrange lassitude. John la couvait d’un regardinquiet. Il se faisait du souci pour elle. Il savait maintenant ce que Pattersondissimulaitsoussonrutilantvernisd’hommedumonde.Untricheuretunmenteur.SiTeddyétaitretrouvé, il feraitdespiedsetdesmainspourenobtenir lagarde.PourdéposséderMarielledesesdroitsparentaux…Ilconservaunsilenceprudent,afindenepas la troublerdavantage.Peut-être
celan’arriverait-iljamais.Peut-êtreTeddyneréapparaîtrait-ilplus.—Prenez soin de vous,murmura-t-il devant la porte d’entrée, tout brûlant de
l’impérieuxdésirdel’embrasser.Ilsseséparèrentlà,sousl’œilvigilantdupolicierdegarde.MalcolmdevaitêtreavecBrigitte,avaitprésuméTaylorenprenantcongé.Ilne
s’était pas trompé. L’infidèle ne daigna pas rentrer de la nuit. La représentationétaitterminée.Étenduesurlevastelitsolitaire,Marielledonnalibrecoursàseslarmes.Combiendefoissonmaril’avait-ilappeléedechezBrigitte,pourl’avertirqu’ilpasseraitlasoiréeenville?Ellesavaitsipeudechosesdelui,presquerien,
en fait. Celui qu’elle tenait pour un homme respectable, compréhensif, courtois,s’étaitmuéenunêtreinsensible,traîtreetsanscœur.Undissimulateur,quiavaitfeintdetoutignorerdesonpassétragique,etquil’avaitodieusementtrompée.Lasonneriedutéléphonelatiradesesréflexionsamères.Sapremièreréaction
futdenepasdécrocher.Finalement,ellesaisitl’appareil,dansl’espoird’avoirdesnouvelles de Teddy, puis entendit la voix de Béa Ritter suppliant le policier deservice, qui avait pris la communication sur un autre poste, de lui passerMmePatterson.—Raccrochez,Jack.Jelaprends.Allô?—MadamePatterson?—C’estmoi-même.—IciBéa,fitl’autre,pleined’énergie.Mariellelaremerciapoursesarticles.Aprèstoutelleluidevaitaumoinsça.—Derien.Ilsvousontvraimentcausédutort.J’enétaismalade.— En tout cas vous avez rétabli la vérité en disant que je n’ai pas régalé
l’audienceavecunecrisedenerfs,commevoscollèguesl’ontprétendu.—Quellebandederigolos!soupiralajournalisteauboutdelaligne.Ilsadorent
vendredusensationnel.Il était dix heures du soir, et les deux femmes bavardaient comme de vieilles
amies.—Désoléedevousappelersitard,maisilfallaitabsolumentquej’arriveàvous
joindre.Acceptez-vousdem’accorderunebrèveentrevue,madamePatterson?—Pourquoi?—J’aiàvousparler.Jenepeuxpasvousledireautéléphone.—Ya-t-ilunrapportavecmonfils?Unechance…uneminusculelueurd’espoir…lecœurdeMarielles’emballa.—Pasdirectement.Ils’agitdeCharlesDelauney.—Jevousenprie,non.Vousavezvucommentj’aiététraitéehier.Jenepeuxrien
pourlui.—S’ilvousplaît,écoutez-moi.Jevoudraisvousaideràdécouvrirleravisseurde
votrefils.Charlesestinnocent.—C’estluiquivousaditdem’appeler?—Non…non… je vous assure, bredouilla la jeune femmeaubout de la ligne.
Charlesmeconnaîtàpeine. Jene l’aipasvuplusdedeuxoutrois fois…Mais jecroisensoninnocenceetj’aidécidédel’aideràs’ensortir.—EtmoijeveuxseulementretrouverTeddy,murmuraMarielled’unevoixsans
timbre.—Jelesais.Moiaussi…Jevousensupplie,accordez-moiquelquesminutes.
—Mais…quand?Unesimple rencontre risquaitd’alimenter lescandalequiavaitéclatéaprès la
révélationdelaliaisonentreMalcolmetBrigitte.—Maintenant?suggéraBéa.—Non.Jene…—S’ilvousplaît…Ilyavaitdeslarmesdanssavoix,etMariellecéda.—Bon,d’accord.Venez.—Toutdesuite?—Disonsdansunedemi-heure?Elleraccrocha.Quandsavisiteusesemontra,elleétaithabilléeetl’attendaitau
rez-de-chaussée. Béa Ritter pénétra dans l’imposante demeure silencieuse enarborantuneexpressionanxieuseetpresqueeffrayée,commesisabelleassuranceavait soudain fondu comme neige au soleil. À vingt-huit ans, elle paraissait plusjeune, presque une adolescente, avec sa taille menue drapée dans un ampleimperméable,souslequelelleavaitenfiléunsweateretunpantalon.—Mercid’avoiracceptédemevoir,murmura-t-elle,alorsque lamaîtressede
maisonlaconduisaitdanslabibliothèquedontellerefermalaporte.Enpantalonetpull-overde cachemirenoir,Marielle avait tiré ses cheveuxen
arrièreetl’absencedemaquillageconféraitàsonvisageunepuretéjuvénile.—Qu’attendez-vousdemoi?s’enquit-elle,aprèsqu’ellessefurentinstallées.Je
vousl’aidéjàditautéléphone:jenepeuxpasvousaider.—Jenesuispasvenuesollicitervotreaide,madamePatterson.Elleséchangèrentunlongregard.Toutesdeuxvoulaientlamêmechosepourdes
raisonsdifférentes.L’unesouhaitaitquel’onretrouveTeddy,afinquel’innocencedeCharleséclateaugrandjour,l’autredésiraitardemmentrevoirsonenfant.— J’aimerais simplement connaître votre opinion sur l’affaire, reprit la
journaliste.Vousnecroyezpasqu’ilestcoupable,n’est-cepas?—J’aiétésincèrehierdevantlacour,soupiraMarielle.Elle regrettaitmaintenantde l’avoir reçue.L’inflexibledétermination, l’énergie
vibrante, la volonté farouche qui émanaient de Béa Ritter ranimaient sa proprefatigue.—Allez-vousrapporternotreentretiendansvotrejournal?—Non.C’est justepourmoi. Il fautque jesache.Parceque jene lecroispas
coupablenonplus…Elles’exprimaitcommesiellescroyaientlamêmechose,maisMariellen’eutpas
lecouragedeladétromper.—Pourquoi?—Jesuispeut-êtreunpeufofolle,maisjeluifaisconfiance.C’estunidéaliste,un
rêveur,unartiste…ilesttoutcequevousvoulezsaufuncriminel.Iln’auraitjamaisprisl’enfant,malgrésesmenaces.— Je l’ai cruégalement, jusqu’à ceque lapolicedécouvre les affairesdemon
bébéchezlui…Son bébé…Elle l’appelait toujours son bébé, en dépit de ses quatre ans. Son
bébé,qu’ellenetiendraitpeut-êtreplusjamaisentresesbras.Unsanglotplaintifroulaaufonddesagorge.—Commentcesobjetsont-ilsatterrilà-bas,demanda-t-elle,lesyeuxembués.— Madame Patterson… Marielle… me permettez-vous de vous appeler
Marielle?Elleacquiesça.Ellesétaientassiseslà,aumilieudelanuit,deuxfemmesissues
dedeuxmondesdifférents,prêtesàlivrerbataillepourunbutcommun.— Selon Charles, le pyjama et la peluche ont été cachés chez lui, afin de
l’incriminer,poursuivitBéa.Ilpensequ’unintermédiaireaétépayépourexécutercettebesogne.Peut-êtremêmequelqu’undevotremaison.—Maisc’étaitbienlepyjamaqueTeddyportaitlesoirdel’enlèvement.Jel’aivu.
Ils’agissaitdumêmevêtement,rougeavecuncolbrodédeminusculestrainsbleus.—N’aurait-ilpasunpyjamaidentique?—Non,non,pasvraiment.Lajeunejournalisteinclinalatêtedansunmouvementdedésespoir.—Béa,est-cel’affairequivousintéressetantouCharles?—C’estCharles, répliqua l’autre sans baisser les yeux. Vous l’aimez toujours,
n’est-cepas?—Je l’aiaimé. Je supposeque je l’aimeencore.Mais il faitpartiedupassé,à
présent.Unsilencesuivit,pendantlequelMarielleeutl’impressiondevoirplusclairdans
sespropressentiments.—Charles a dit lamême chose en parlant de vous. Il vous aime aussi. D’une
manièremoinspassionnéequ’auparavant.Cetteaventure luiaremis les idéesenplace.—Unpeutardivement,murmuraMarielle,levisageéclairéd’unpâlesourire.— Il pense que le petit garçon est vivant, quelque part, déclara Béa, voulant
insuffleràsoninterlocutriceunpeud’espoir,àdéfautdeluifournirdesréponses.—LesagentsduFBInesontpasdecetavis.Letempsapassé…Ilsontpeur…Sa phrase resta en suspens comme si elle s’interdisait de prononcer lesmots
terrifiants,puiselledétournasesyeuxétincelantsdelarmes.Toutcelan’avaitplusdesens.ÀquoiserviraitdecondamnerCharles,puisquepersonnen’étaitcapabledeluiramenersonbébé?EllesentitlamaindeBéasurlasienne.—Ayezconfiance,Marielle.Jemebattraijusqu’auboutpourretrouvervotrefils.
J’useraidetouslesmoyensdontjedispose.Au cours de sa carrière, expliqua-t-elle, elle s’était fait des relations dans le
«milieu».Grâceàuneséried’articles,elles’étaitattirélasympathied’unfameuxtruand,dontelleavaitfaitunesortedehérosdesbas-fondsnew-yorkais.Celui-ciluiavaitpromissonassistance«encasdecoupdur»–cefurentsespropresparoles.—J’ail’intentiondecontactercegarçon,conclutBéa.—Que voulez-vousdemoi ? s’enquitMarielle d’une voix lasse. Pourquoi êtes-
vousvenueici?— Pour vous sonder. Et, j’en conclus que vous n’êtes pas convaincue de
l’innocencedeCharles.Pasplusquedesaculpabilité,d’ailleurs.—C’estexact.—Jevouscomprends.Àvotreplace,j’auraishésitéaussi.Ils’estmalcomportéà
votreégard,àl’époque,hein?—Ilavaitdesexcuses.Lechagrinl’avaitrendufou.Peut-êtrel’est-ilencore.— Un peu, oui, sourit Béa. Il serait mieux sur un de ses champs de bataille
hispaniques.Ses combats guerriers d’autrefois l’avaient conquise. Et ses écrits également,
qu’elleavaitdévorésd’uneseuletraite.Elleavait longuementinterviewéCharlesenprison. Ilavaitpleuréenproclamantson innocenceetelle l’avaitcru.Elle luiavaitfait lapromessedel’aider,sachantqueMarielleconstituaituneclécapitaledel’énigme.Sanstropsavoircomment,BéaavaitacquislacertitudequeMarielleétaitleurseulealliée.—Désoléepourvotremari,ajouta-t-elleprudemment.—Lapressevas’endonneràcœurjoie.—Jelecrains…–Elleavaitdéjàeuconnaissancedesmanchettesdulendemain.–
Celavousattireralasympathiedupublic.Lesallégationsduprocureurcontrevous,l’autrejour,m’ontindignée.C’estpourquoij’aiécritcepapier.Avecsamaniededéfendrelaveuveetl’orphelin,Béafaisaitpenseràunesorte
deRobindesBoisenjupons,conclutMarielle,attendrie.—Pourquoivousacharnez-vousàblanchirCharles?—Parcequejerefusedelevoirexécuterpourrien.Jen’aijamaistoutàfaitcru
à la culpabilité de BrunoHauptmann non plus. La plupart des preuves qui l’ontcondamné n’étaient dues qu’aux circonstances. Il a été la victime de l’hystériecollective fomentée par la presse. J’avais vingt ans, à l’époque, et c’était mapremièreenquêteentantquejournaliste.Jen’aipaspulesauver.Maiscettefois-ci,jeremueraicieletterre.Un temps s’écoula, pendant lequelMarielle scruta le petit visage buté de son
interlocutrice.—Êtes-vousamoureusedeCharles,Béa?Iln’yavaitpasuneombredejalousiedansletondesavoix.Riendepossessif.
Simplementunesorted’amicalecomplicité.—Jen’ensuispascertaine.Jenedevraispas.Cen’estpasunesolution.Marielleluisourit.Lesenscachédecesproposneluiavaitpaséchappé.—Lesait-il,aumoins,ouest-ilaussiinconscientqu’ill’atoujoursété?Béaémitunrire.—Inconscientn’estpastoutàfaitlemotadéquat.Disonsqu’ilad’autreschatsà
fouetter…Allez-vous jamais retourner auprès de lui,Marielle ? interrogea-t-ellesoudain,l’œilinquisiteur.Sanshésiter,Mariellefitnondelatête.Cechapitredesavieétaitclosdepuis
longtemps.LaroussejournalistereprésentaitlafemmeidéalepourCharles,sedit-elle. Ils avaient un tas de points communs. La même flamme, le mêmeenthousiasme,lamêmepassionpourlescausesperdues.—Qu’allez-vousfairemaintenant,Béa?— Passer quelques coups de fil, mener ma propre enquête à l’aide de mes
indicateurs.EtavoirunediscussionavecTomArmour,sijamaiselleavaitbesoindegraisser
lapattedecertainsvoyous.—Tenez-moiaucourant,d’accord?—Sansfaute.Surcesmots,Béaseleva,etMariellel’accompagnajusqu’àlaporte.Ellesavait
qu’ellesneseraientjamaisvraimentamies,bienqu’elleeûtdelasympathiepourlajournaliste.C’étaitune fillehorsducommun,uncœurvaillantqueCharles,danssonmalheur,avaiteulachancederencontrer.Quand Béa Ritter eut disparu dans la nuit, Marielle regagna sa chambre
solitaire. Il était minuit passé… Elle resta longtemps étendue, toutes lumièreséteintes.Sespenséesvoguèrentun instantversMalcolm,quidevaitseprélasserdansunappartementdeParkAvenue…avantdes’envolerverssonpetitgarçon,endormiquelquepart,loind’elle,aumilieud’étrangers.
Chapitre13Lessemainess’écoulaientet leprocèssepoursuivait.EnEurope,Hitlers’était
emparédeMemel[2],surlaBaltique,maisdanslesgrandsquotidiensnew-yorkais,«l’Affaire»avaitsupplantél’actualitémondiale.LaGrande-BretagneetlaFranceavaientannoncéleurintentiondesoutenirlaPologneetlaguerrecivileespagnoles’était achevée par la capitulation des républicains devant les forces du généralFranco.En troisans,plusd’unmilliondemortsavaientversé leursangdans lesplaines arides, les gorgesdéchiquetées et les rives sablonneusesde la péninsuleibérique,unepopulationentière.Dufonddesacellule,Charlespleuraamèrementsursesamisdisparus.Labatailleétaitfinie,laguerreperdue,etCharlesDelauneycontinuaitàlutterpoursasurvie.Après leur entrevue, Béa Ritter ne donna plus signe de vie à Marielle, mais
continuasacampagneenfaveurdeCharles.L’idylledeMalcolmavecBrigitte fit launedes journauxpendantdeuxou trois
semaines avant de tomber endésuétude.Marielle s’était tenue soigneusement àl’écart du tumulte, se refusant à tout commentaire. C’était à peine si elle avaitéchangé quelques mots avec Malcolm depuis des semaines et elle n’avait revuBrigitte qu’une seule fois. Elles ne s’étaient pas saluées. Accrochée au bras deMalcolm,lasecrétaireaffichaitunairtriomphalauquelMarielleréponditparuneattitude pleine de dignité. Elle se sentait trahie,manipulée, dupée.Un jour, elleavaittentéderamenerlaquestionsurlesujetetMalcolml’avaitéconduitesanslemoindrescrupule.AprèssespropresintriguesavecCharles,ilneluidevaitaucuneexplication, déclara-t-il. Elle lui rappela froidement que ses fréquentes visites àBrigittene faisaientqu’alimenter la rubriquedespotins. Il se remità rentreraudomicileconjugaltardlesoirsansplus jamaisadresser laparoleàsafemme.Latensionentreeuxavaitatteintsonparoxysme,àlamaisoncommeautribunal,oùl’interminableballetdestémoinsàcharge–détectives,médecinsetautresexpertsentousgenres–sepoursuivait.Il fallut attendre trois semainespourque ladéfenseprenne laparole.Comme
premier témoin,TomArmourcitaMarielle,etelle revintà labarrepourrebâtirpeuàpeu,grâceàl’habilequestionnairedel’avocat,cequePalmeravaitdémoli.Lestragédiespasséesfurentréexaminéessousunéclairagedifférent.Leportraitque Palmer avait composé acquit une dimension nouvelle, plus profonde, plushumaine,plusvraie.Lamaladementale,ladétraquéeinapteaurôled’épouseetdemère,complaisammentdépeinteparl’accusation,semuapeuàpeusouslesyeuxattentifsdesjurésetdupublicenunefigured’unetoutautreenvergure.Etcefutune femme courageuse, une écorchée vive, un noble cœur blessé par lesinnombrablescoupsdusortqui,bientôt,remplaçal’anciennenévrosée.Lorsque,surlesinstancesdel’avocat,ellecontacommentlamortluiavait ravi
André,sousl’implacablecouchedeglace,alorsqu’elleétaitparvenueàsauverlesdeuxpetitesfillesdelanoyade,touslesauditeurseneurentleslarmesauxyeux.Aucours de son récit, elle dut s’arrêter à plusieurs reprises pour reprendre sonsouffle,tandisquesedéroulaientdanssonespritlesscènestragiquesdel’hôpital,la nuit fatale oùd’un seul coup elle avait tout perdu : son fils aîné, le petit êtrequ’elleportait,etl’amourdesonmari…—Oh, j’auraispréféréêtremorte, avecmesbébés,neput-elle s’empêcherde
sangloter.— Et maintenant ? demanda Tom, cependant que deux ou trois jurés se
mouchaientdiscrètementdansleurmouchoir.—Jenesaisplus…—Est-ceque,d’aprèsvous,Teddyestvivant?—Jel’espère!s’écria-t-elle,lesyeuxmouillés,jel’espèretellement.Siquelqu’un
saitoù ilest,ajouta-t-elle, fouillant lasalled’unregardscrutateur,s’ilvousplaît,ramenez-le-moi.Neluifaitespasmal,jevousensupplie.Unphotographebraquasonappareilphotosurlevisageravagéparles larmes,
unelueurblafardetraversalasalled’audience,puislejugefitsortirl’importun.— Le prochain qui aura l’idée de prendre une photo sera expédié en prison,
vociféra-t-ilavantdes’excuserauprèsdeMarielle.—Selonvous,madamePatterson,CharlesDelauneyest-il leravisseurdevotre
fils?repritTom,aprèsunsilence.C’étaitunequestiondangereusemaisinévitable.—Jen’ensuispassûre.—Vousconnaissezl’accusémieuxquenoustous.Ilvousaaimée,déçueetmême
frappée. Ensemble, vous avez vécu un grand bonheur qui s’est soldé par undrame…Lecroyez-vouscapabled’untelacte?Elleparuthésiterpendantunmomentinterminable,puisenfouitsonvisageentre
sesmainsensecouantlatête.—Êtes-vousencoreamoureusedecethomme,madamePatterson?—Non, répondit-elle d’une voix indistincte, accablée par les réminiscences du
passé.Jel’aiaimé.Ilaétélepèredemesenfants.J’aiétéamoureusedelui,oui,quand j’étais jeune. Plus maintenant. Je suis simplement triste pour lui. S’il acommiscecrime,j’espèrequ’ilserachèteraenmerendantmonbébé.Non,jenesuisplusamoureusede lui.Nousnoussommes tropdéchirés,nousnoussommesfaittropdemall’unl’autre.Tom Armour la dévisagea sans chercher à cacher son admiration. C’était une
femmeextraordinaire,pensa-t-il.Lafatalitél’avaitdéjàprivéededeuxenfants,lesorts’étaitacharnésurelleunetroisièmefoisetelleavaitendurélesinsinuationsvenimeusesdel’accusation,sansjamaisperdrecontenance.— Avez-vous eu une liaison avec M. Delauney depuis votre mariage avec
M.Patterson?—Non,répondit-ellecalmement.—Avez-vousjamaistrompévotremariavecunautrehomme?Ellesoutintsonregardsansbroncher.—Non,jamais.C’étaitlapurevérité.Lesbaisersqu’elleavaitéchangésavecTaylorneprêtaient
pasàconséquenceet,detoutefaçon,sonmariagen’existaitplus.—Merci,madamePatterson.Votrehonneur,jen’aipasd’autresquestions.Marielle regagna sa place où elle se laissa tomber, vidéede toute énergie et,
pourtant,rassérénée.Commesil’avocatdeladéfenseluiavaitrenduunpeudeladignitéqueleprocureurluiavaitdérobée.HaverfordfutledeuxièmetémoincitéparTomArmour.Levieuxmaîtred’hôtel
desPattersonnetaritpasd’élogesàsonégard,cequilatouchaprofondément.Àsesdires,Marielleétaitunegrandedame,uneépouseexemplaireetuneexcellentemère. Les domestiques la traitaient avec une désinvolture inadmissible etM.Pattersonneluiavait jamaisapportésonsoutien.Il laconsidéraitcommeunesimpleinvitée,plutôtquecommelamaîtressedemaison.—Soncomportementapportaitdel’eauaumoulindemissGriffinetdesautres:
l’économe,Edith,lesfemmesdechambre,lechauffeur.Ilslahaïssaienttousetnerataientpasuneoccasiondeleluifairesentir.— Vous voulez dire que Mme Patterson n’était pas respectée dans sa propre
maison?insistaTom,voulants’assurerquelesjurésavaientbiensaisilasituation.— Oui, monsieur, absolument, rétorqua Haverford, très britannique dans son
costumesombre,impeccablementtailléparuncouturierlondonien.—Maisl’attitudedeMmePattersonneluiaurait-ellepasattiréleméprisdeson
entourage?Onnousl’adécritecommeunepersonnefaible,voireirresponsable.Levieuxmajordomeadoptaunairoutré.—Nevousméprenezpas surmesparoles,monsieur.MmePattersonest, je le
répète, un être supérieur. Généreuse, pondérée, d’une gentillesse extrême. Etaprèstoutcequiluiestarrivé,onpeutdifficilementlaqualifierdefaible.— Alors comment expliquez-vous l’insolence des autres domestiques à son
égard?BillPalmerouvritlabouchepourprotesterpuis,deguerrelasse,abandonna.—C’estM.Patterson,monsieur,dit lemajordome.Nonseulementiln’a jamais
exigéquesafemmesoitrespectée,maisilalaisséentendrequ’elleignoraittoutdesesdevoirsdemaîtressedemaisonetdemère.Marielle baissa la tête. Pourquoi ? songea-t-elle pour la énième fois. Pourquoi
Malcolmavait-ilfaitd’elleunobjetdedérision?Pourquoi,dèsledébut,luiavait-ildéniétoutessesqualités,l’affublantuniquementdedéfauts?Quelleplaceavait-elleoccupée,envérité,danssamaisonetdanssoncœur?
—Étiez-vousaucourantdelaliaisondeM.PattersonavecMlleSanders?— Je m’en suis douté, dit Haverford d’une voix où vibrait une vive
désapprobation.—Avez-vousrapportévossoupçonsàMmePatterson?—Certainementpas,monsieur!—Merci,monsieurHaverford.BillPalmerannonçad’untonindifférentqu’iln’avaitaucunequestionàposerau
témoin, aprèsquoi le vieuxmaîtred’hôtelquitta labarre.Marielle le suivit d’unregard humide. Elle se sentait vengée,mais à quoi bon ? Sans cesse son espritreproduisait lesmêmes interrogations. PourquoiMalcolm l’avait-il ainsi dénigréeauxyeuxdetous?Ildevaityavoiruneraisonlogique,maislaquelle?Avait-ilétéamoureuxdeBrigittedèsledébut?Essayait-ild’éloignerdeluisafemmelégitime,dansl’espoirqu’elleprennelafuite,renonçantàTeddy?Elleauraitpréférémourirquepartirsanssonbébé…Alors,pourquoiceshumiliations,cescachotteries,cescalomnies?Et,d’ailleurs,
pourquoi l’avait-il épousée ? S’agissait-il d’un immense, d’un odieux mensonge ?D’unemystification?Illuiavaitparusiattentif,sidoux,siprévenantlorsdeleurlunedemiel…Oh,commetoutcelasemblaitlointain…—J’appelleMlleBrigitteSandersàlabarre.Un remous fiévreux agita la foule, tandis que la secrétaire particulière de
Malcolmsefrayaitunpassageàtraverslasalle.Indéniablementséduisante,d’unebeauté tapageuse, elle dégageait une sorte d’aura sensuelle dont Marielle pritconsciencepourlapremièrefois.Peut-êtreparcequ’ellen’avaitplusrienàcacher,elleaffichaitlibrementsavéritablenature.Sonsecretavaitéclatéaugrandjouretelle en était fière.Elle s’avançad’unpas chaloupé, lementonhaut, l’air dedire«oui,jesuislamaîtressedePatterson,etalors?».Elle portait une robenoire etmoulantequi, pourmanquerdedistinction, n’en
avait pasmoins coûtéune fortune, avait les cheveux impeccablement coiffés, leslèvresetlesonglespeintsenvermillon,commeàl’accoutumée.Àsonpassage,leshommestendirentlecouafindemieuxladétailler,etMariellesesentittoutàcoupaffreusement terne comparée à sa rivale. Tom Armour, quant à lui, attendaitl’Allemandedepied ferme.Celle-ci réponditàsesquestionssurun tonarrogant.Oui, Malcolm Patterson passait presque toutes ses soirées avec elle, et mêmecertainesnuits.Non,iln’aimaitguèresafemme,qu’ilavaitépouséedansleseulbutdeprocréer.—Etmêmeça,ellen’apasétécapablede le fairecorrectement,ajouta-t-elle
d’unevoixvibrantedesarcasme.— Auriez-vous l’obligeance d’éclaircir votre dernière remarque, mademoiselle
Sanders?—Elleaeudesdifficultésàconcevoir.Peut-êtreparcequesonmarivousaccordaittoutsontemps,seditl’avocat,mais
ils’abstintdetoutcommentaire.—Ilenavaitassezd’attendre,repritBrigitte.Enfait,siellen’étaitpastombée
enceinte,ilauraitdemandéledivorce.Unerumeurfitvibrerlasalle,lejugeréclamalesilenceparunviolentcoupde
marteau,etMariellebaissalatêtepourdissimulersesjouesembrasées.— Aviez-vous déjà des relations avec M. Patterson à cette époque ? Dois-je
répétermaquestion?Vousêtessousserment,mademoiselleSanders.—Euh…oui,fit-elle,unpeudécontenancée.—Àquelmomentvotreliaisona-t-elledébutéexactement?—Deuxmoisaprèsleurmariage.Enfévrier.La date correspondait au premier voyage d’affaires de Malcolm. Eh bien, il
n’avaitpasattendulongtempspourlatromper,pensaMarielleavecdégoût.—LefaitqueM.Pattersonsoitmariénevousapasgênée?— Non, répliqua Brigitte, de plus en plus déconfite. Je savais qu’il voulait un
enfant.Malcolm…M.Patterson…s’esttoujoursmontrétrèsgénéreux.On finira par le savoir, songea Tom, écœuré. Il ne demanda pas pourquoi
MalcolmdésiraitunenfantavecMarielleetpasavecBrigitte.—Vousa-t-ilpromisdevousépouser,quandilauraitdivorcédesafemme?—Nousn’avonsjamaisparléd’unetelleéventualité,éludalasecrétaire.Or,leregardqu’elleavaitjetéàMalcolmavantderépondren’échappaguèreà
l’œilavertidel’avocat.L’auditioncontinua…Oui,ilsvoyageaientpartoutensemble,expliqua-t-elle,surtoutenAllemagneoùM.Pattersoncomptaitungrandnombredeclients… Oh, pas du tout, ça ne la dérangeait pas le moins dumonde d’être samaîtresse, déclara-t-elle d’un ton de défi… Elle ajouta qu’elle avait beaucoupd’affectionpourTeddy,queMalcolmadoraitsonfilsetquelekidnappingavaitfailliletuer.Etelleprétenditn’avoiraperçuMariellequetrèsrarementencompagniedel’enfant.— La plupart du temps, elle était clouée au lit avec une de ses fameuses
migraines…Sans le vouloir, elle avait adopté la déplaisante tournure de phrase des
domestiques,toutcommeleursairsgoguenards.Enfin,elledescenditdel’estradedansuneffetdejambesdegrandestar,etsedirigeaverssonsiègeenondulantdeshanches.Laprocéduresepoursuivitpendantprèsd’unesemaineavecledéfilémonotone
des témoinsqui sesuccédèrentà labarre :policiers,enquêteurs,experts.Seloneux, aucuneempreintedigitalen’avaitmarqué le lieududrame, aucunepisteneconduisait,enfait,àDelauney,exceptéecelledupyjamarougeetdujouetquelesagentsduFBIavaientdécouvertschez lui…« fortopportunément»,déclarasonavocat.Pourl’accusation,riendeplusfacilequecespreuvesfabriquéesdetoutespièces, ces indices subrepticement introduitsdans la résidenceDelauney,dans le
butmanifested’incriminerlemaîtredemaison.Cenefutqu’autermedelaquatrièmesemainequecederniers’avançaversle
boxdestémoins,dansunsilenceabsolu.Lamainlevée,iljuradedire«lavérité,toute la vérité et rien que la vérité », tandis que du regard il épiait les visagesfermésdes jurés.Sondéfenseur l’avaitprévenu.Lemoindre fauxpaspouvait luicoûtercher,trèscher.Quand Tom lui demanda où il avait passé les derniers dix-huit ans, il déclara
qu’après avoir vécu des années durant en France, il avait rejoint les forcesrépublicainesespagnolesenrébellioncontreFranco.—MaisvousavezaussifaitlaGrandeGuerre,monsieurDelauney.—Oui…Quatremoisdedétentionavaientcreusésesjouespâles,ajoutédesfilsd’argent
danslejaisdesescheveux,attisél’éclatfiévreuxdesesprunelles.Ilavaitcommevieilli depuis leur rencontre à Saint-Patrick, notaMarielle, la gorge nouée,maisn’enétaitpasmoinsséduisant…Lui-mêmeavaitunpeuperdulanotiondutemps.Les jours succédaientauxnuits.Sesgardiens le conduisaientau tribunal,puis leramenaient dans sa cellule et pendant ce temps son père, avait-il appris, n’avaitcessédedécliner.—Quelâgeaviez-vouslorsquevousvousêtesportévolontaire?—Quinzeans.—Etvousavezétéblesséenservantvotrepays.—Oui,auMont-Saint-Michel.JesuisensuiterevenuauxÉtats-Unispourallerà
l’école pendant trois ans. En 1921, je suis reparti pour l’Europe. J’ai fréquentéOxford,puis,aprèsunbrefséjourenItalie,jemesuisétabliàParis.—Etlà,vousavezrencontrévotrefemme,l’actuelleMmePatterson.Ses yeux se tournèrent involontairement versMarielle et l’ombred’un sourire
tremblota l’espaced’une seconde sur ses lèvres.La jeune femme l’écoutait, l’airanxieux.Quejusticesoitfaite,priait-ellementalement.LajusticepourCharles.Etpoursonpetitgarçon.—Exact.Nousnoussommesconnusen1926.Elleavaitdix-huitansetnousnous
sommesmariésàlafindel’été.—Étiez-vousamoureux,monsieurDelauney? fitTomd’unevoixgrave,comme
s’ilaccordaituneimportancecapitaleàcefait.Aimiez-vousvotrefemme?—Oh,oui, énormément.Elleétait si jeune, si belle, radieusecommeun ange.
Nousavonsététrèsheureux.—Etvousavezeuunpetitgarçon.—Oui.André.Nousétionsmariésdepuispresqueunanquandilestné.C’était
quelqu’unde…despécial.Teddyaussi,pensaMarielle,etdeslarmesinvolontairesluibrûlèrentlesyeux.—Étiez-voustrèsattachéàcetenfant?
—Oui.—D’unemanièreexagérée?— Peut-être. Nous étions tout le temps ensemble. Nous ne voyagions pas
beaucoup car je préférais écrire à la maison. Marielle s’occupait de luimerveilleusementbien.—Sansgouvernante?—Ellenevoulaitsurtoutpasêtreaidée.Marielleeutunsourireintérieuràcesouvenir.Lavieétaitplussimplesansune
missGriffin.—Vousluiétiezdonctrèsattaché.Trop,peut-être.—Onpeutdireça,oui.—Lechocdeleperdren’enaétéqueplusterrible,n’est-cepas?—Sansdoute.Nousétionssijeunes…Tousdeux,nousavonsététerrassésparle
chagrin.Jeluienaivouluetellem’enavoulu…—Ellevousenavoulu?—Oui,àcausedubébé.Envérité,Marielles’enestvouluàelle-même.Il faut
direquej’yétaispourquelquechose,ajouta-t-il,lavoixaltérée,presquepoignante.Jemetrompais,biensûr,maisjenel’aisuqu’après.Malheureusement,jen’avaispasledroitdeluirendrevisiteàlaclinique.Lesmédecinsm’avaientinterditl’accèsdesachambre.Il était arrivé à un tournant abrupt du récit, et Tom s’apprêta à empoigner le
taureauparlescornes.—Monsieur Delauney, avez-vous frappé votre femme la nuit où votre fils est
mort?—Oui,marmonnaCharles,lesépaulessubitementvoûtées.Jenesavaisplusce
que je faisais. Je n’arrivais pas à croire quemonAndré avait péri… Il n’est pastoujoursfaciled’admettrelamortdesêtreschers…Jevoulaismourir,alorsjel’aifrappée,oui,monsieur…Onsentaitbienquecesouvenirlehanteraitjusqu’àlafindesavie.—A-t-elleperdulebébéqu’elleportaitàcausedevous?—Non,non, fit-ilensecouant latête, lafacesombre.D’après lesmédecins, le
fœtusavaitcessédevivreavantqu’elleneserendeàl’hôpital.L’eauglacéel’avaittué,maisilsavaientdécidédenepasledireàMarielle.Celle-ci se raidit, étouffant un sanglot. N’y aurait-il donc jamais de fin à ces
horreurs?àcesvisionsdecauchemarqu’elleavaitpensés’atténueravecletempsetquipourtantresurgissaientsanscesse,plustenacesquejamais?—Luiavez-vousreprochélapertedevosdeuxenfants?Danslasalle,BéaRitterréprimauntressaillement.Armourn’avaitpasmontré
une once de complaisance vis-à-vis de son client qu’il avait harcelé sans répit,
semblableàquelquechirurgienquin’adecessequedeviderl’abcès.—Oui,formulèrentleslèvresblanchesdeCharles.Oui,etlàaussij’aieutort.Ce
n’étaitpassafaute.Etquandjel’aienfincompris,c’étaittroptard.—Auriez-vousétécapabledelatuer,cettenuit-là?—Non!s’écria l’accusé,horrifié.Biensûrquenon ! Jecroisquec’estàmoi-
mêmequejevoulaisfairedumal.—Avez-vousarrêtétoutseuldetaperoua-t-ilfalluuneinterventionextérieure?—J’aiarrêtétoutseul.Jel’ailaisséelà,àterre,etjesuispartim’enivrer.Quand
jesuisrevenulelendemain,résoluàluidemanderpardon,onl’avaitemmenéeaublocopératoire.Elleavaitperdulebébé.Ellenes’enestjamaisvraimentremise.Etjen’aipaseul’occasiondelarevoir,deluiparler,del’approchermême.Des larmescoulaient lentement sur ses joues, etMarielle semordit les lèvres
pourfairerefluerlessiennes.—Avez-vousassistéauxobsèquesdevotrefils?—Oui.—Etvotrefemme?Ilsecoualatête,incapablependantunmomentd’allerplusloin.—Non…Ellen’apaspu.Elleétaittropmaladeetsetrouvaitencoreàl’hôpitalà
Genève.Celan’avaitrienàvoiraveclacliniqueVerbeufàVillars,c’étaitàprésentclair
pourtoutlemonde.—Vousn’avezjamaisvoulud’autresenfants?—Non,jamais.Jenemesuisjamaisremarié,dureste.Ledeuildemonfilsapesé
troplourddanslabalance.Jemesuisconsacréàd’autresbuts,àl’écriture,àdescauses politiques auxquelles je m’étais attaché, parce que je n’avais plus rien àperdre. Si j’avais trouvé la mort sur le champ d’honneur, personne ne m’auraitpleuré.Avecunefemmeetdesenfants,jen’auraispaspumenerlibrementmaviedecombattant.—Éprouvez-vousduressentimentvis-à-visdeceuxquiontfondéunefamille?—Aucun.Chacunaledroitdechoisirsonavenir.—Maisvousavez,àunmomentdonné,voulurécupérervotrefemme.—Oui.Avantsasortied’hôpital,jeluiaidemandéderevenir.Ellearefusé.Ellesesentaitresponsabledecequiétaitarrivéetcraignaitquejeluienfasse
éternellementlereproche.—Étiez-vousencoreamoureuxd’elle,àl’époque?—Oui,réponditCharles,sansfaussehonte.—Etelle?Àvotreavisvousaimait-elleencore?—Jelecrois.
—Êtes-vousamoureuxd’elle,aujourd’hui?— Oui. Peut-être le serai-je toujours. Toutefois, nous avons pris des chemins
différents,quiontpeudechancesdesecroiserànouveau…Jelavoismalcamperenpleinenature,pendantquesonmarisillonneleschampsdebataille.Unsourireflottasurlestraitsdesjurés.Danslasalle,laplupartdesfemmesse
sentirentprêtes à escaladerdesmontagnes et à traverser à lanage les océans,pourl’amourdecetirréductibleguerrier.— Depuis quand vous n’aviez pas revu votre ex épouse, lorsque vous l’avez
rencontréeparhasardàlacathédraleSaint-Patrick?—Presqueseptans.—Avez-vousétéémudelarevoir?—Bouleversé.C’étaitl’anniversairedelamortdenotrefils,etcelaconféraitune
significationparticulièreànotrerencontre.—Vousa-t-elleparucontentedevousvoir?—Plutôt,oui.—Vousa-t-elledonnél’impressiond’êtreprêteàvousrevoir?—Non. Ellem’a dit au contraire que cela était impossible parce qu’elle était
mariée.Elleaététrèsfermeàcesujet.Il y avait un contraste étonnant entre ce témoignage et celui de Malcolm à
proposdesonnidd’amouravecBrigitte.—Commentavez-vousréagiàcerefus?Parlacolère?— La tristesse… J’avais vraiment envie de revivre nos anciens instants de
bonheur.—Vousa-t-elleparlédesonfils?—Non,etc’estpourquoij’aiétésisurprisdel’apercevoirlelendemain.J’avais
ingurgitédegrossesquantitésd’alcoolpendant lanuit,sibienque j’avais l’espritembrumé. J’enrageaisà l’idéeque, laveille,ellem’avaitcaché l’existencedecetenfant…unpetitgarçonmagnifique… Jemesuis comportéalorscomme tous lesivrognes:j’aidébitéuntasdesottises…—L’avez-vousmenacée?—Ilsemblequeoui,bienquejen’aieconservéqu’unsouvenirassezfloude la
scène.—Pensiez-vouscequevousdisiez?—Non.—L’avez-vousrecontactée,avez-vousrépétécesmenaces?—Non.—Avez-vousmenacéd’autrespersonnesparlepassé?—Jamais.
—Alors pourquoi l’avoir fait cette fois-là,monsieurDelauney ?Comptiez-vousmettreàexécutionvosmenaces?questionnaTomd’unevoixclaireetforte.—Jen’auraisjamaistouchéàuncheveudel’enfantdeMarielle.— Avez-vous kidnappé Théodore Whiteman Patterson dans la maison de ses
parents dans la nuit du 11 décembre de l’année dernière, ou avez-vous confié àquelqu’und’autrecettetâche?—Non,monsieur.—Savez-vousoùsetrouvel’enfant?—Non.Jesuisdésolémaisjenelesaispas.—Cependant,unesemaineplustard,lesenquêteursontdécouvertchezvousle
pyjamaetunjouetdupetitgarçon,est-ceexact?—Oui.—Selonvous,commentcesobjetssont-ilsarrivéschezvous?—Jen’ensaisrien.Jepensequequelqu’unlesamislà.—Pourquelleraison?—Pourmefairepayeruncrimequejen’aipascommis.Jenevoispasd’autre
explication.—Quiapumontercettemiseenscène?—Jel’ignore.—Avez-vous des ennemis,monsieurDelauney, des gens qui désireraient votre
perte?—Jen’enconnaisaucun…saufpeut-êtrelegénéralFranco.Desriresfeutréssaluèrentcetteréplique.—Êtes-vouscommuniste?—Jesuisrépublicain.—Êtes-vousinscritauParticommuniste?—Non.— Avez-vous tenu rigueur à l’ex-Mme Delauney, ou à M. Patterson, de ce
mariage?L’œil deCharles dériva versMalcolm, à travers la salle, et il dut se contrôler
pournepasl’insulter.—D’aprèscequej’aientenduici-même,cethommeneméritepasMarielle;mais
non,jeneleurentienspasrigueur.Elleadéjàassezsouffert.Dureste,aucundenousdeuxn’estdigned’elle,etelleméritederetrouversonpetitgarçon.Desaplace,Marielleleconsidéraàtraverslevoileéclatantdeseslarmes.C’était un homme décent, il l’avait toujours été. Plus que jamais, elle eut la
conviction qu’il n’avait pas pris Teddy. TomArmour se tourna vers les jurés, quisemblaientsuivreattentivementledéroulementdel’interrogatoire.
— Êtes-vous coupable du crime dont on vous accuse, monsieur Delauney ?Réfléchissezavantderépondreetn’oubliezpasquevousêtessousserment.Êtes-vousimpliquédanscekidnappingdequelquefaçonquecesoit?Charlesleregardadroitdanslesyeuxensecouantlentementlatête.—Jen’airienàvoirlà-dedans,jelejure.L’avocatdeladéfensecédaalorslaplaceàl’accusateurpublic.—Letémoinestàvous,monsieurPalmer.Le procureur se redressa, dans un silence pesant.Mais ses attaques n’eurent
pratiquement aucun effet sur l’accusé. Ses tentatives de dénaturer ses proposprécédentstombèrentàplat.Charless’entintàsonalibi,sansselaissertroublerparlesperfidesinsinuationsdesonadversaire.Àl’acharnementdel’accusationàleconfondre, il opposaunmurde sérénité.Non, il n’avait paskidnappéTeddy.Lesaffaires découvertes dans sa cave et dans sa chambre constituaient, en fait, demaigres indices.Le laboratoiren’avaitpaspuétablir lapreuve irréfutabledesaculpabilité…Onn’avaittrouvéchezluiaucuneempreintedigitaledel’enfant,pasuncheveu,pasunboutd’ongle,aucunautrevêtement.Deux jours plus tard, l’accusation avait épuisé tous ses arguments. L’énigme
demeuraitentière,maisCharlesn’avaitpasfaibli.Jusqu’aubout,ilavaitconservéson sang-froid. « Je suis innocent », n’avait-il cessé de répéter. Mais avait-ilconvainculesjurés?Niluinisonavocatn’auraientsuledire.Cejour-là,Malcolmquitta lasalled’audiencesansattendreMarielle,et,sur le
chemin,ellevoulutfaireunehalteàl’église.Effondréesurunprie-Dieu,levisageentre lesmains, elle semit à prier avec ferveur. Elle souhaitait la clémence dutribunal pourCharles,mais bientôt l’image de son petit garçon se superposa auvisagepathétiquedesonex-époux.Deslarmesjaillirentdesesyeux.LesfêtesdePâquesétaientvenues,puispassées,d’autresenfantsavaientdégustélesdélicieuxœufsauchocolat,puisavaiententendusonnerlescloches,etlanurserynichéeautroisièmeétagedelademeuredésoléerestaitvide.Lajeunefemmemontaitdanslachambredesonfilstouslesjours,sousdifférentsprétextes:rangerlesplacards,plierlespetitspull-overs,épousseterlesjouets…MissGriffinétaitrepartiechezsasœuràNewJersey.Quelquesjoursplustôt,lavieilleéconomeluiavaitannoncéquelagouvernanteanglaiseavaittrouvédutravailàPalmBeachoùelleiraits’occuperd’unbébé,etunepointeacéréeavaitégratignélecœurdeMarielle.Elle avait de la chance, miss Griffin, de pouvoir se pencher sur un berceau,
guettantlarespirationtranquilled’unnourrisson…Alorsquepourelle,c’étaitfini.Un irrépressiblebesoinphysiquede toucherTeddy,depasser lesdoigtsdanssescheveuxfinsetsoyeux,derespirersonodeur,desentirsesdouceslèvrescontresajoue,labouleversa…Teddyavaitdisparu,probablementpourtoujours.Toujours !Unenotionqu’elleneparvenaitpasàconcevoir,nimêmeàaccepter,unmotauprèsduquellatrahisondeMalcolmn’avaitquepeudesens.Elledemeura longtempsprostréedevant l’autel,dans lapetiteéglisede Saint-
Vincent-Ferrerjusqu’àcequelaprésencedeJohnTayloràsoncôtéluifîtleverles
yeux.Ill’avaitaccompagnéechaquejourautribunal,l’avaitsoutenuedesonmieux.L’enquête piétinait lamentablement. Rien n’était venu éclaircir lemystère depuisl’arrestationdeCharlesDelauney.Laclôtureduprocès, fixéeau lendemain,nechangerait rienà l’affaireetbien
qu’ilcontinuâtdecroireàlaculpabilitédeDelauney,l’agentduFBIsedésolaitdesa propre impuissance. Samain frôla gentiment l’avant-bras de la jeune femme.Elle avait minci, le rose de ses joues s’était fané, mais ses migraines s’étaientespacées.—Êtes-vousprêteàrentrer?Elleréponditparunsoupir.S’iln’avaittenuqu’àelle,elleseraitrestéeici,dans
ladoucequiétude,loindel’agitationdumonde…Cefutàpeinesiunoudeuxmotsfranchirent ses lèvres durant le trajet du retour. Des grappes de journalistess’agglutinaientdevantlaporteprincipaleetillafitpasserparl’entréedeserviceencontournantlademeure.Leprocèsallaitseterminerdemain,pensa-t-elleensesentanttoutedrôle.Unautrechapitredeclos,ettoujourspasdeTeddy!Dureste,plus personnene s’attendait à le voir réapparaître. Les policiers s’apprêtaient àquitter leurs postes d’observation à l’intérieur de la maison. Certes, ilsrepasseraientdetempsàautre.Poureuxaussi,l’affaireétaitclassée.Iln’yavaitpaseud’autrescoupdefil,pasmêmedesappelsanonymes.Rien.Ilnerestaitplusque le verdict que les jurés se préparaient à énoncer, une simple sentence dontdépendaitlaviedeCharles…Taylorlaregarda.Illuitrouvaunairpréoccupé.—Préférez-vousresterseule?Marielle fit oui de la tête. Après tout, la solitude serait désormais sa seule
compagne. Malcolm demanderait le divorce, Teddy n’était plus là, et si la courprononçaitlapeinecapitalepourCharles,ilneresteraitpluspersonnedetousceuxqu’elleavaitchérisdanslepassé.Taylorlaconsidéraitcommes’ilavaitdevinésessombrespensées.Unenouvellefois,samaintouchalasienneavantdeluieffleurerlajoue.—Reposez-vous,vousenavezbesoin.Illasuivitd’unregardinquiet,tandisqu’ellegravissaitlesmarchesdel’escalier,
la tête baissée, les yeux vides. Soudain, une angoisse sans nom fondit sur lui.Pourvuqu’ellen’aillepascommettreunebêtise!Pourvuqu’ellenerecommencepassestentativesdesuicide!Ilfaillits’élanceràsasuite.UndeseshommesluiappritqueMalcolmsetrouvaitenhaut.— Gardez unœil sur elle, murmura l’agent du FBI avant de retourner à son
bureau.Marielle poursuivit son ascension jusqu’au dernier étage. Dans la chambre
silencieuse de Teddy, elle s’effondra sur le rocking-chair, les yeux clos. Le soirtombait sur New York, quelques rares étoiles clignotaient dans le firmamentcouleur de cendre. Les paroles d’une ronde enfantine, lemême refrain qui avaitbercéTeddylorsdecetteultimenuitdebonheurluirevintenmémoireetunflotde
larmes lui inonda les joues. Un bruit de pas la fit se retourner, puis son mariapparutsurleseuil.—Qu’est-cequetufaislà?s’enquit-ilfroidement.—Danscettepièce,jemesensplusprèsdeTeddy.— Ça ne t’avancera pas beaucoup, répondit-il méchamment. Teddy est mort.
Grâceàtonex-mari.—Pourquoies-tusicruel?s’écria-t-elle,tremblante.Commentpeux-tuêtreaussi
sûrdetoi?Commentsais-tuquesesravisseursnenouslerendrontpasunjour?MalcolmPattersonl’enveloppad’unregardglacial.Depuisledébutduprocès,il
avaitabandonnésonmasquedébonnaire.Ilavaitl’intentiondedivorceretnefaisaitrienpourlecacher.—Sicelaétaitlecas,ceseraitàmoiqueTeddyseraitremis,Marielle.Tun’es
pasdigned’êtresamère.Ilcomptaitsebattrepourobtenirlagardedel’enfant,exactementcommeTom
Armour l’avait prévu. Les témoignages de la nurse anglaise et des femmes dechambre, letélégrammedel’hôpitalpsychiatriquedevraientsuffirepouranéantirtouteprétentiondeMarielle…sitoutefoislegarçonnetréapparaissait.—Pourquoidis-tuunechosepareille?Qu’ai-jedoncfaitpourm’attirertahaine?—Jenetedétestepas.Jeteméprise.Jeméprisetafaiblesse.Tuasétéassez
stupidepourpermettreàcecommunistedevolernotrefilsetdelesupprimer.—Tusaisbienquecen’estpasvrai!Ellen’avaitpasbougédurocking-chair,etilallaseplanterdevantelle.—Tun’esqu’uneidiote!Uneidioteetunementeuse!Sesyeuxlançaientdeséclairs,maisMariellenebaissapaslessiens.—EtBrigitte?fit-elle.Représente-t-ellevraimenttonidéalféminin?L’affront qu’elle avait subi publiquement lui enflamma les pommettes. Son
amertume fit surface. Cet homme l’avait dupée des années durant. Il l’avaithumiliée,sous-estimée,rabaissée.Pourquoilahaïssait-ilautant?sedemanda-t-ellefrénétiquementpourlacentièmefois,pourquoi?pourquoi?—LaisseBrigitteendehorsdetoutça.Nousn’aurionsjamaisdûnousmarier.—Alorspourquoil’avons-nousfait?—Sij’avaisrencontréBrigitteavanttoi,cemariagen’auraitjamaiseulieu.Mais
jet’airencontréeenpremier.Etjevoulaisdésespérémentavoirdesenfants.Aprèsdeuxunionsstériles,Marielleavaitreprésentélaréponseàsesprières.Jeune,seuleaumonde,égaréedanslajunglehumaine,ellel’avaitséduitparsa
naïveté. Par ailleurs, son séjour à l’hôpital psychiatrique ne contribuait qu’à larendreencoreplusdépendantedelui,plusdocileetsoumise.—Ah,murmura-t-elle,mortifiée.Tum’asdoncépouséeuniquementpouravoirun
fils?
—Peut-être…Manipulée.Utilisée.Trompée.Elleavaitétél’instrumentparlequelilfallaitbien
passerpourprocréer.Riendeplus.Pourtant,autoutdébut,Malcolmavaiteudel’attachementpourelle,Mariellelesavait.Après,ilyavaiteuBrigitte…—Quecomptes-tufaire?Épousertasecrétaireetavoird’autresenfants?Il préféra taire le fait que Brigitte ne pouvait pas devenir mère, que leurs
rapportsreposaientsurlapassionphysique.—Celaneteregardepas.— Je déménagerai quand le procès sera terminé, déclara-t-elle d’une voix
étrangementcalme…EtelleallaitemporterlesaffairesdeTeddy.Oui,toutessesaffaires.Demanière
qu’ilpuisselesretrouveràsonretour…Pour lapremièrefoisdepuisdesannées,ellesesentit laproied’uneconfusionsingulière… lemêmedésarroiqu’elleavaitéprouvé à Villars… la même douleur lancinante qui lui brouillait l’esprit,l’empêchantdeprendreunedécision,deréfléchir,des’organiser.Ellenepensaitplusàrien…àriensaufàTeddy.—Oùiras-tu?voulut-ilsavoir.—Qu’importe?JelaisseraimonadresseauFBI,afinqu’ilspuissentmecontacter
quandilsaurontdécouvertTeddy.UnelueurmoqueuseéclairalesprunellesfroidesdeMalcolm.Lapauvrefemme
divaguait.L’idéequ’ill’avaitconduiteàlafolienel’effleurapasunseulinstant.—Ilsneledécouvrirontpas,Marielle.Jamais.Mets-toibiençadanslatête.— Je resterai à l’hôtel, murmura-t-elle, les yeux détournés, ignorant ses
affirmations.Ilhochalatête.Ils’étaitdéjàentenduavecsonavocatsurlapensionalimentaire.
Du train où allaient les choses, celle-ci servirait très certainement à payer uneinstitution. Une fois Charles exécuté, quand elle se rendrait compte qu’elle nereverrait plus jamais son enfant, elle sombrerait dans la démence qui l’avaittoujoursguettée.—Jepartiraibientôtenvoyage.Profites-enpourdéménager.—Où…vas-tualler?balbutia-t-elle,commesichaquemot luicoûtaituneffort
surhumain.—Cen’estpastonproblème.Elle le regarda, paralysée par une terreur indicible. Mais s’il s’en allait, qui
l’aideraitàprendresoindeTeddy?Et,toutàcoup,ellesutqu’ellen’avaitbesoindepersonne.Queletempssechargeraitderefermersesblessures…Elledécidasoudaindecombattredetoutessesforcessesdémonsintérieurs,puis
se redressa, mue par une énergie nouvelle. Tranquillement, elle descendit lesmarches et se réfugia dans sa chambre. Malcolm pouvait faire ce que bon luisemblait.Ilnepossédaitpaslesmoyensdeluiretirersessouvenirs,nil’amoursans
limitesqu’elleavaitpourTeddy.Ellesutalorsqu’ellesurvivrait.JohnTaylorl’appelaplustarddanslanuit.—Commentvoussentez-vous?s’enquit-ild’unevoixvibranted’inquiétude.—Jevaisbien.Cefutunerudejournée.EtMalcolms’étaitdébrouillépourl’achever.—Ceserapirelesprochainsjours.Lesplaidoyerssuivisduverdictrisquentde
vousaffecter.Armez-vousdecourage.Ilseraitlà,detoutefaçon,àcôtéd’elle.—J’essaierai.John,iln’yapasdenouvelles?Jeveuxdire,deTeddy?—Non,dit-ilprudemment, iln’yenapas.–Aprèsquatremoisd’absence,plus
aucunespoirnesubsistait.–Jenemanqueraipasdevousappelersiquelquechosesurvient.—Jesaisquevousleferez.—Marielle…Il savait que les conversations téléphoniques étaient enregistrées, sinon il lui
auraitdéclarésonamour.— Je sais… je vais bien… chuchota-t-elle d’une toute petite voix qui lui donna
envied’accourirauprèsd’elle.Marielle s’assit. Deux larmes jumelles perlèrent au bord de ses longs cils
recourbés.LavoixchaleureusedeTaylorluiparvintàtraversl’écouteur.— Soyez forte. Dans quelques jours, tout sera terminé. Alors, nous pourrons
passerunmomentensemblesivousvoulez…Il n’osait imaginer une suite au calvaire de Marielle. Ni mettre un nom sur
l’affreusecertitudequi,peuàpeu,s’étaitimposéeàsonesprit.—Àdemain,ajouta-t-il.—Bonnenuit,fit-elledansunsouffle,avantderaccrocher.Aumêmemoment,BéaRittersongeaitsérieusementàappelerTomArmour.
Chapitre14Tom Armour venait de relire sa plaidoirie. Il y avait travaillé d’arrache-pied,
pesant ses arguments, perfectionnant chaque phrase. S’estimant satisfait del’ensemble, il s’étiradansunbâillementde fauve, parcourut fébrilement le texteunefoisdeplustoutengriffonnantuneremarquededernièreheuredanslamarge,puis décida de se préparer un sandwich… Le jeune avocat traversa sonappartement, dont le désordre évoquait le passage de quelque cyclone, mais,devant la porte du réfrigérateur, son geste se figea. Si ses souvenirs ne letrompaientpas,sesprovisionsseréduisaientàpresquerien.Ilcontemplaitlatristeréalitéd’unœilaffaméquandlasonneriedutéléphonecoupacourtàsesfantasmesculinaires…Çadevaitêtreencorecessatanésreporters,sedit-il,résoluàfairelasourde oreille, mais il alla quand même décrocher en soupirant. On ne savaitjamais,ilpouvaits’agird’unenouvelleimportante.—Oui?fit-il,enproieàuncrueldilemme:descendreaurestaurantducoinouse
coucherimmédiatement.Son estomac émit un gargouillis indigné, comme pour lui rappeler qu’il avait
sautéégalementledéjeuner.Ilportamachinalementl’appareilàsonoreille.Quipouvaitl’appeleràuneheureaussitardive?Sûrementpaslafemmedesa
vie!Celle-ciavaitdécrétéqueTométaitmariéaucodepénal,etluiavaitannoncéfroidement ses fiançaillesunpeuavantNoël…Bah, ellen’avait sûrementpaseutort. À trente-six ans, Tom Armour avait réussi à se hisser au zénith de saprofessionàlaforcedupoignet.— Monsieur Armour ? fit dans l’appareil une plaisante voix féminine qu’il ne
reconnutpas.—Quivoulez-vousquecesoitàcetteheure-ci?Lemajordome?Sesyeuxs’étaientplissés.L’espaced’uninstant,ils’attenditàundecesinjurieux
appelsanonymesl’accusantd’êtrel’avocatd’unmonstre–ilenavaitreçuplusieursdepuisqu’ilavaitacceptéd’assurerladéfensedeDelauney.—Quiêtes-vous?s’enquit-il,lessourcilsfroncés.—BéatriceRitter.C’estvous,Tom?—Moi-même.Il l’avait trouvée sympathique à partir du jour où, faisant irruption dans son
bureau,ellel’avaitimplorédeprendreenmainl’affaireDelauney,etlesarticlesquijaillissaient de sa plume corrosive l’amusaient. Durant le procès, il avait eul’occasiond’apprécierlesprisesdepositionfermesdelajeunejournaliste.—Ilfautquejevousparle,dit-elled’unevoixsurexcitée.—Vousm’avezauboutdelaligne.Profitez-en,soupira-t-il,l’espritobnubilépar
sonréfrigérateurvide.—Pourriez-vousmerejoindrequelquepart?Unrapidecoupd’œilàsamontrelefittressaillir.Sortirvoulaitdiresechanger.
Lemiroir lui renvoyait le refletd’unhommeséduisantmaismal rasé, vêtud’unechemiseblanchedontl’éclatcommençaitàseternir,d’unpantalonanthraciteetdefixe-chaussettes.Ilsetrouvamauvaisemine,cequin’étaitguèreétonnantcomptetenudeslitresdecafénoirqu’ilavaitingurgités.—Écoutez,Béa, il estonzeheuresdusoiret je suisépuisé.Celanepeutpas
attendre?—Non!lança-t-elleavecl’énergiedudésespoir.—Qu’est-cequinevapas?—Ilfautquejevousvoie.—Avez-vousassassinéquelqu’un?—Jesuissérieuse,Tom.S’ilvousplaît,faites-moiconfiance.Demain,ilserapeut-
êtretroptard.—Jeprésumequevotreinformationconcernemonclient.Elle était devenue la championne de la cause de Charles Delauney pour des
raisonsqueTomn’avaitpasbiensaisies,maisdontilcomptaittirerprofit.—Oui,absolument.—Etvousditesqueçanepeutpasattendre?—Eneffet.Elleparaissaitsûred’elle.—Voulez-vousmerejoindreàmonappartement?Laplupartdesfillesdesonentourageauraienteuquelquescrupuleàserendre
chezuncélibataire,maiscegenredepréjugén’avaitpasprisesurBéa.Cen’étaitpasn’importequellefille.Elleétaitavanttoutjournaliste…Unefemme
detête,intelligenteetcourageuse.—J’arrive.NemeditespasquevousvivezàNewJersey.—59eRue,entreLexingtonetlaTroisièmeAvenue,celavousconvient-il?Ilhabitaitunélégantpetithôtelparticulierdebriquesbrunes.—Unechance!Jesuisà la47eRue,noussommesquasimentvoisins. Jesaute
dansuntaxietjesonneàvotreportedanscinqminutes.—Voulez-vousmerendreunservice?—Avecplaisir.— Apportez-moi un sandwich au rosbif. Je vis sur une réserve de cinquante
caloriesdepuiscematin.—Moutardeoumayo?
—Lesdeux.Jesuiscapabled’avalerlesacenpapier.Jemeursdefaim.—C’estparti!Lasonnettedel’entréecarillonnaunevingtainedeminutesplustard,etBéafit
sonapparitiondansunsweaterbleupétrolesurunpantalonassorti,unrubandeveloursbleupâledanslescheveux.Elleluitenditunsacdepapierbruncontenantunebière,unbocaldepicklesetlesandwich.—Vousêtesunange.Voulez-vouspartagermabière?—Non,merci,répondit-elleenselaissanttombersurunechaise,danslacuisine.Tomlaregarda.Ilsavaitqu’elleavaitsuivileprocèsdepuisledébut.—Àvotreavis,avons-nousunechancedegagner?—Jen’ensuispassûre.Parfois,j’ail’impressionqueleshommesdujuryseraient
plusfavorablesàunacquittementquelesfemmes,etencore!Entoutcas,grâceàvous,MariellePattersonaétéréhabilitéeàleursyeux…Quelsalaud,cePatterson!s’emporta-t-elle,tandisqueTom,labouchepleine,hochaitlatêteenseméfiantdeBéa, comme de tous les reporters. Vous avez fait du beau travail pour CharlesDelauney.—Merci.Ilaeul’airplusdécontractéàlabarre,aujourd’hui.Dumoins,c’estce
quej’airessenti.—Moiaussi,murmura-t-elle.ElleavaitréussiàcapterleregarddeCharlesaumomentoùilquittaitleboxdes
témoinset il luiavaitadresséunsourirefugitif.Lafoiabsoluedont la journalistefaisaitmontreàsonégardavait finipar l’émouvoir.L’ardeurque la jeune femmemettaitàledéfendreconstituaitpourluiunréconfort…AuxyeuxdeBéa,l’amitiéqui la liait au détenu était un prélude à une affection plus profonde, mais celadépendaitdujury,puisdeTomArmour.—Ehbien,fitcelui-ci,quesepasse-t-il?Qu’est-cequivousamèneiciaumilieu
delanuit?Carvousn’êtescertainementpasvenuepourmedirequevousadmirezlestyledemesplaidoiries.—Non,bienquevoussoyezl’undesmeilleursavocatsqu’ilm’aitétédonnéde
suivredansl’exercicedemesfonctions.Unsourirefugaceavaitilluminésestraitsfinsmais,uninstantplustard,sesyeux
redevinrentgraves…Lelendemain,ledestindeCharlesseraitscellé.L’accusation,commeladéfense,déclameraitsondiscoursfinal,ensuitelesjurés
seretireraientpourdélibérer.—J’aiprisuneinitiativeplutôtétrange,reprit-elleenmordillantunpicklequ’elle
avait péchéau fonddubocal. J’ai contactéun individuquim’avait servi de sujetdansuneséried’articlesilyaunan.Caproni.Cenomvousditsûrementquelquechose.—LechefdesvoyousdeQueens?s’exclamaTom,interloqué.Vousfréquentezde
drôlesd’oiseaux,mademoiselleRitter!
—Commemonpapierluiavaitplu,ilm’avaitditquejepouvaisl’appelersij’avaisbesoind’unservice.C’estcequej’aifait.— Vous avez appelé ce gangster ? s’étonna-t-il, stupéfait de son audace.
Pourquoi?TonyCapronitenaitlehautdupavédelapègrenew-yorkaise.—Pourluidemanders’ilavaiteuventdequelquechoseausujetdukidnapping…—Ah!Ah! Iladûsecomportercommetous les indicateurs interrogéspar le
FBI:motusetbouchecousue.—Audébut,oui.Cesoir,ilm’arappelée,Tom.Ilm’asimplementdonnélenomet
letéléphoned’ungars.Tomavaitcessédemastiquer.—Etvousl’avezcontacté?Savait-ilquelquechose?—Quelqu’un,dontilignorel’identité,l’apayécinquantemilledollarspourcacher
lepyjamaetlepetitoursenpeluchechezDelauney.Ilrefusedetémoigner,àmoinsqu’onluiassurel’impunité.Malgréunefroussebleue,unesortedesensinnédelajusticelepousseàsauveruninnocentdelachaiseélectrique.D’aprèslui,legosseestvivant,etilaimeraitsemettreàtableavantqu’ilnesoittroptard.—Nomd’unchien!Donnez-moivitesonnumérodetéléphone!Ilattrapaleboutdepapierqu’elleextirpadesonsac,sesaisitducombiné,puis
lascrutad’unœilsuspicieux.—Vousn’êtespasen traindeconcocterun scoop,n’est-cepas ?Si vousvous
servezdemoipourunedevosfichueschroniques,jevousétrangle.—C’estlavérité,Tom.Jevouslejure.Elleavaitl’airsincèreet,pouruneobscureraison,illacrut.
Chapitre15LejugeAbrahamMorrisonouvritlaséanced’unretentissantcoupdemarteaule
lendemain matin à dix heures et quart, très précisément. Tom Armourresplendissait littéralement dans un élégant complet-veston bleu sombre,agrémenté d’une chemise immaculée et d’une cravate flambant neuve. Il s’étaitlevéunebonnequinzainedeminutesplustôtqu’àl’accoutumée,rienquepourcirerses chaussures. À l’approche de la fin du procès, il tenait à donner l’image d’unhomme sûr de ses moyens. Assis à côté de son défenseur, Charles arborait uncostumegrisardoise.—Aujourd’hui,nousentendronslesplaidoiries,expliqualejugeauxjurés.Mis sous séquestre depuis près d’un mois au Chelsea Hôtel, ceux-ci avaient
commencéàmontrerdessignesdelassitude…Toutenpoursuivantsondiscours,lemagistrat vit du coin de l’œil l’avocat de la défense, talonné par le procureur,s’avancerdanssadirection.—Qu’ya-t-il,maître?s’enquit-ilàmi-voix,enfronçantsessourcilsbroussailleux.—Unenouvellepreuve,votrehonneur.Peut-onseretireruninstantdansvotre
cabinet?La figure du juge s’allongea. Rien ne l’irritait davantage que les évidences de
dernièreminute.Quediablecelapouvait-ilbienvouloirdire?—Trèsbien,marmonna-t-il,trèsbien…Les trois hommes se retirèrent. Leur délibération se prolongea jusqu’à onze
heuresetdemie.Morrisonvoulaitbienautoriserlenouveautémoindeladéfenseàseprésenter,maiss’opposaitfarouchementàtouteidéed’impunité.Si,commeilleprétendait,ilavaitvraimentdissimulélepetitpyjamarougedans
lacavedeDelauney,iltombaitbeletbiensouslecoupdelaloifédérale.Deplus,ilrisquaitd’êtreaccusédecomplicitédekidnapping.—Alors,arrêtezcetype!suggéraPalmer,lesbrasballants.—Jen’aipasledroitdeviolerlesecretprofessionnel,rétorquaArmour.—Ets’ilment?—Ets’ilnementpas?S’ilaétésoudoyépourcacherlesobjetsdudélitchezmon
client,celui-cin’estpascoupable.—Pourl’amourduciel!s’écriaPalmer,enhurlantpresque.Quelestlenomde
cetindividu?—Jen’aipasl’intentiondeledévoiler,avantd’arriveràunarrangement.Laminemorose,lejuges’accordauntempsderéflexion.—Écoutez-moibien,Armour,grommela-t-il finalement. Jen’aiaucuneenviede
promettrequoi que ce soit à ce voyou. Je vousdonnequarante-huit heurespourdécouvrir s’il dit la vérité ou s’il s’agit d’un vaste canular. Utilisez le FBI, lesmarinesoul’armée,peum’importe.Maissidansquarante-huitheuresvousn’êtespasderetourdevantlacouravecdespreuvesàl’appui,jevousfaisbouclerpouroutrageàmagistrat,est-ceclair?—Oui,monsieur.Merci,exultal’avocat.Deux jourspourélaborerunmiracle ! sedit-il enmême temps.Pourvuque le
copaindeBéanousvienneenaide.—Êtes-vousd’accord,monsieurPalmer?—Ai-jelechoix?fitleprocureurd’unevoixgeignarde.Laveille,ilavaitpassésontempsàaffûterlesflèchesqu’ilcomptaitdécocherà
Delauney.—Pasvraiment,bougonnalejuge.—Nousavonscertainementaffaireàuneescroqueriemaistantpis!Jeveuxbien
attendre deux jours avant d’avoir la joie d’expédier ce sale communiste dans lecouloirdelamort.—Jevousinterdisd’insultermonclient!—Alorsn’acceptezpasdeclientscommecetteordure,monvieux.Deretouràsonposte,Morrisondéclaraquedenouvellesinvestigations,envue
depreuves supplémentaires,nécessitaient la suspensionde la séance.Le jury seréunirait de nouveau dans deux jours, conclut-il, alors que Tom se penchait àl’oreilledeCharles,etque lasallecommençaitàseviderdansun longmurmureinterrogateur.L’avocatébauchaunsignedelamainendirectiondeJohnTaylor.—Puis-jevousparleruninstant?Nousavonsbesoind’aide.—Biensûr.Officiellement,l’agentduFBIétaitattachéauservicedel’accusation,maisilse
sentaitprêtàtoutpourretrouverTeddy.—Par ici,ditTom,entraînant ledétectivedansunbureauvide,cependantque
despoliciersenuniformesepréparaientàramenerCharlesenprison.—Ehbien,quesepasse-t-il?—Dunouveau.Etj’espèrenepasmetromper.Enquelquesphrasesprécises,ilmitJohnaucourantdelasituation.—Voilà,voussaveztout.Mon informateurapeurdesonombre, jedoutequ’il
acceptedetémoignerenfaveurdeDelauney.Toutauplus,onpeutlecoffrerpour«obstructionàlajustice»maisàquoicelaservira-t-il?C’estundétenulibérésurparole,cequiexpliquesonappréhensionàvendrelamèche.—Quiest-ce?Peut-êtrequejeleconnais.—Cen’estpasimpossible,eneffet.Maisilfautd’abordmegarantirl’amnistie.—Vous pouvez courir, Armour ! Je ne garantis rien du tout. Le FBI n’est pas
censéseulementassurerlaprotectiondevotreclient.Nousrecherchonsdepuisdesmoisungamindequatreans,quicourtungravedanger,s’iln’estpasdéjàmort.—Jelesais,bonsang!Cependant,jen’oseprendrelerisquedegrillermaseule
source d’informations. L’homme prétend que le petit garçon est encore vivant.Promettez-moiaumoinsdenepasvousprécipiterpourluipasserlesmenottes.—Okay,Armour, personnen’épinglera votre chouchou. Je veux simplement lui
diredeuxmots.Vouspouvezveniravecmoi,sivouslesouhaitez.Alors?Quiest-ce?Tomhésitait.Ilavaitscrupuleàtrahirlaconfiancedesoninformateur.—LouiePolanski,articula-t-ilenfin,sûrdecommettreunimpair.—Louie?LouieJoli-cœur?Jel’aiconnuilyaunequinzained’années– j’étais
presqueungosseàl’époque–etjeluiaisauvélavie.Lechefdesaproprebandeavaitdécrétésonéliminationetilavaitsesproprescopainsauxtrousses.Nousluiavonstrouvéunebonneplanqueetilestrestésousnotreprotectionpendantcinqans…Ilm’adore.Effaré,Tomconsidéralelargesouriredesoninterlocuteur.—Vousparlezsérieusement?—Jevouslejure.Ilneferaaucunedifficultépourmeparler.L’avocatrappelaletruandqui,eneffet,acceptaderencontrerJohnTaylor.Les troishommesseretrouvèrentdansunetrattoriaau fin fonddeGreenwich
Village. L’établissement, qui appartenait à un souteneur notoire, et que Taylorconnaissaitbien,servaitdepuisdesannéesdelieuderendez-vousàlapègre.Petit,trapu et obèse, Louie ne correspondait pas précisément à son sobriquet. Il pritplace à table, le front inondé d’une sueur glacée, le bas du visage agité de ticsnerveux,lespaumesmoites.—Me voilà dans de beaux draps,m’sieur Taylor ! gémit-il. Je n’aurais pas dû
fairecettebêtise,jesaisbien.Maislescinquantemilledollarspromism’ontalléchéetlejobavaitl’airsimplecommebonjour.Saufque,maintenant,ilallaitpayerchersacupidité.— Qui diable a pu avancer une somme pareille, rien que pour incriminer
Delauney?demandaJohnpensivement.—J’aimeraisbienlesavoir,jetal’avocatd’untonacerbe.—D’aprèslespotes,legosseestenvie,maispersonnenesaitoùilest,niquise
cachederrièrel’enlèvement,soufflaLouie.—Qu’est-cequileurfaitpenserça?Peux-tuterenseigner?—Jedemanderai.Note,çam’étonneraitqu’onarriveàbriser la loidusilence,
achetéàprixd’or.Personnenevoudraparler.JohnsesurpritàadresseruneferventeprièreauTout-Puissant.MonDieu,aidez-
moiàretrouverTeddy.—As-tuuneidéeoùestpassélepetit?Unsoupçon?
—Bah,ilsontdûlesortirdupays.Lespoliciersyavaientpensé,biensûr.Desmoisdurant,ilsavaientgardéunœil
vigilantsurlesports,l’aéroport,lesfrontièresduCanadaetduMexique…Récemment,lasurveillancetoutefoiss’étaitrelâchée,carl’hypothèsequeTeddy
nevivaitplusl’avaitemportésurl’espoird’unheureuxdénouement.JohnfixasurLouieunregardencourageant.—Aunomdenotreancienneamitié,donne-moiuneidée.— J’aurais quoi en échange ? Écoute, vieux, je rendrai l’argent. Je n’ai pas
dépenséplusdedixsacs,tupeuxrécupérerlesquarantequirestent.Remets-lesauFBI…ouaujuge.Nomd’unepipe,cesbilletsmebrûlentlesmains!—Comptesurmoi,Louie.Mets-noussurunepisteetjemefaisfortdepersuader
lejugequenousavonsretrouvélegossegrâceàtoi.Évidemment,s’ilestmort,tuesmalparti.Detoutefaçon,j’essaieraidetetirerdelà…Jet’appellerai.—Ouais!Tiens-moiaucourant…JohnpartittéléphoneretLouieJoli-cœurlançaàTomuncoupd’œilanxieux.— Merci de votre aide, dit l’avocat. Votre témoignage est le seul moyen de
sauvermonclient.Unegrimacetorditlabouchelippuedutruandrepenti.—Oui,enmesubstituantauboucémissaire…Entoutcas,jeneleregrettepas.
Les salopards qui s’en prennent aux gosses me dégoûtent. J’ai suivi l’affaireLindberghdupénitencieroù jepurgeaisunepeinedequelquesannéesà la suited’uneattaqueàmainarméedansunebanque…Voulez-vousquejevousdise?Desfumierscapablesd’assassinerlâchementungaminneméritentpasdevivre.—Vouscroyezqu’ilsonttuéTeddy?demandaTom.Cetteseulesuppositionluisoulevait l’estomacetpasseulementàcausedeson
client.Aufildessemaines,ilenétaitvenuàvoueràMarielleuneadmirationetunrespectsanslimites…SurtoutaprèslesrévélationsdePatterson.—Difficileàsavoir,bougonnal’autre.Unechoseestsûre:derrièrec’tehistoire,
ilyadufricàlapelle…Lemanitouquiaorganisél’enlèvementnedoitpasvivredanslamisère,sivousvoyezcequejeveuxdire.—Jepaieraischerpourconnaîtresonvisage,murmural’avocat.Àsesyeux,CharlesDelauneyétaitdéfinitivementmishorsdecause.Lesrares
soupçons qu’il avait conservés à son égard avaient fait place à une certitudeabsolue… Le vrai coupable demeurait en liberté, quelque part dans la villetentaculaire. Mais allait-on jamais lui mettre le grappin dessus ? Ou mêmeretrouverl’infortunépetitTeddy?Taylorreparut,l’airsoucieux.—Dunouveau?s’enquitl’avocat.—Pasencore.J’aidonnédesinstructions.Nousallonsrepasserleportaupeigne
fin. On ne sait jamais… Une dizaine de cargos et six paquebots de croisière
lèverontl’ancrelesprochainsjours.Iln’yapasuneminuteàperdre.Louie,tâched’ensavoirplus,etreprendscontactavecmoi.Tusaisoùmejoindre.Demoncôté,jem’engageàtefournirlaprotectiondelapolicefédérale.Son regard bleu acier sondait celui du bandit. Si seulement il parvenait à lui
extorquer des aveux à propos du pyjama rouge, les accusations contre CharlesDelauneys’effondreraient.—Mercipourlerepas,murmuraLouie.Ilneregrettaitpasd’êtrevenu.Pourlapremièrefoisdesavie,ils’étaitmême
sentiutile.Surlecheminduretour,Johnseglissadansunecabinetéléphoniqueetdictaà
l’opératricelenumérodeMarielle.Saligneaubureauétaitsurtabled’écouteetiln’avaitguèreenviequesescollèguesprennentconnaissancedesonappel.— Hello, fit-il, c’est moi. Venez me rejoindre à l’église où nous nous sommes
arrêtéshier.Disons,dansvingtminutes?Iln’avaitpasditsonnommaissavaitqu’elleavaitreconnusavoix.—Oui,biensûr,fit-elle,sansdissimulersasurprise.Elle arriva à l’endroit convenu, seule. Ayant réussi à tromper la vigilance des
domestiquesetdespoliciers,elles’étaitglisséehorsdelamaisonparlaportedeservice et avait longé la rue, sans se faire remarquer. Elle avait recouvert sescheveux d’une écharpe sombre, portait une ample veste de laine et des lunettesnoires.—Qu’est-cequinevapas?s’inquiéta-t-elle.Illuidédiasonsourireleplusrassurant.—Rien…Lesdeuxprochainsjoursjeseraitrèsoccupé.Vousnemeverrezpas.
Jevoulaisvousenavertir.Elle le regarda, décontenancée. Ils s’étaient vus pratiquement tous les jours
depuislanuitdel’enlèvement.Johnreprésentaitsonseulréconfort.—Ya-t-ilunrapportentrevotreabsenceetlesnouvellespreuvesdontlejugea
faitmentioncematin?—Exact.—Est-ceque…celaveutdirequeTeddy…Savoixsebrisa,tandisqu’unemainglacéeserefermaitsursoncœur.L’avait-onretrouvé?Ou,pis,avait-ondécouvertsoncorps?— Nous n’en savons rien encore. Ne vous inquiétez pas. Je vous préviendrai
aussitôtquelamoindrepisteseprésentera,répondit-ild’untonuni,soucieuxdenepasluidonnerdefauxespoirs…Jevoudraisavanttoutvousposerunequestionàproposd’uneinformationquim’aétédonnéeincidemment…UnephrasedeLouieJoli-cœur luiavaitmis lapuceà l’oreille.C’estalorsqu’il
avaiteul’idéedefaireconsulterleslistesdespassagersdesbateauxenpartance.Lesdeuxélémentscombinésavaientdéclenchéunsignald’alarme,quin’avaitpas
cessédesonnerdanssatête.Jusqu’alors,Marielleneluiavaitriencaché,ildevaittrèscertainements’agird’unmalentendu,maisilfallaitquecelui-cisoitdissipéauplusvite.—Allez-vouspartirenvoyageavecvotremari?—Malcolm?Voilàdessemainesqu’ilnem’aplusadressélaparole.Ladernière
fois qu’il a daigné me parler, c’était pour m’informer qu’il allait demander ledivorce.Ellen’avaitpasl’aird’ensouffrir.—Charmantpersonnage.Ainsi,ilnevousemmènepasencroisière?—Non,pourquoi?—Jemesuisdemandés’ilneprojetaitpasunenouvellelunedemiel,afindese
réconcilieravecvous.—Oh,non,sûrementpas.Ilm’aditquesonavocatmeconvoqueraitbientôt.—Quandcetteconversationa-t-elleeulieu?—Hiersoir,aprèsl’église…–Soudain,lamémoiredesmotsluirevint.–Maisoui,
iladitqu’ilpartaitenvoyage…John,àquoirimetoutcela?—Simplepetitevérification…Uneerreur,sansdoute.Ilomitdeluisignalerqu’unM.etuneMmeMalcolmPattersonavaientréservé
une cabine de luxe à bord de L’Europa. Il conclut que Malcolm voyagerait encompagniedeBrigitteetqu’il avaitpréféré la fairepasserpour sa femme…Lesdeux tourtereaux sillonneraient l’Atlantique cependant que l’épouse délaisséeattendraitdesnouvellesdel’avocatdumari.Belleordure,cePatterson!neputs’empêcherdepenserTaylor.—Vousm’avezsoupçonnéedevouloirquittersecrètementNewYork?demanda
Marielle.Mêmequandellesouriait,sesyeuxrestaient tristes. Johndutse faireviolence
pournepaslaprendredanssesbras.— Ne vous avisez pas de vous éloigner sans le FBI sur vos talons, madame
Patterson.— Voilà une perspective qui ne me déplaît pas… Quand vous reverrai-je ?
interrogea-t-ellesurleparvisdel’église.—Dèsquepossible. Jepasseraichezvousou jevousappellerai.Auplus tard,
nousnousverronsvendredimatinautribunal…Enattendant,prenezsoindevous.Il lui avait passé un bras protecteur autour des épaules. Ensemble, ils
remontèrentlarue,puisillaregardas’éloignerdansl’arrière-courdelarésidencePatterson.Lorsqu’elleeutdisparuàl’intérieurdelademeure,ilhélauntaxi.PourMarielle,lesdeuxjourssuivantss’écoulèrentdansunemornesolitude.PasdenouvellesdeJohn,pasplusquedeMalcolm,repartichez l’ambassadeur
allemandàWashingtonavecBrigitte.TomArmour,lui,passadesheuresàpeaufiner
saplaidoirie,toutens’efforçantdecalmerCharles.Dieu merci, l’avocat ne lui avait dévoilé qu’une partie de son entretien avec
Louie, sans oublier de le prévenir que le bandit refuserait probablement detémoignersilajusticenel’exemptaitpasdepoursuites.—Maisçaprouvequejesuisinnocent!avaithurléCharles.—Jesais.Ilfaut,cependant,quenotreamiaccepted’êtreauditionnéautribunal.—Comments’appelle-t-il?voulutsavoirCharles,commesicenomsignifiaitlafin
desestourments.—LouiePolanskiditJoli-cœur.—Parfait!Exactementlegenredegarsquiachèveradem’enfoncerdansl’esprit
desjurés.—Aucontraire,si jamaisildéclaraitdevantlejugequec’estluiquiacaché le
pyjamaetl’oursondeTeddychezvous,nousn’aurionspasdemalàobtenirunnon-lieu.—Commentdiablel’avez-vousdéniché?Unelueurd’espoirs’étaitmiseàtrembloterdanslesténèbres,unelueurvague
etténuequi,àtoutinstant,risquaitdes’éteindreàtoutjamais…LaviedeCharlesnetenaitqu’àunfil,etcefilsetrouvaitdanslamaind’unbanditinconnu.—Grâceàunedevosadmiratrices,souritl’avocat.—Quiest-ce?—BéatriceRitter.—Vraiment?Béaestunefilleépatante…Parfois,ellemefaitpenseràMarielle
aumême âge.Même esprit vif,même enthousiasme,même joie de vivre. La vies’estchargéedeluisupprimercesélans…Oupeut-êtremoi…Tomhochalatête,pensif.L’imaged’uneMariellesérieuse,pleinededistinctionet
de noblesse lui traversa l’esprit. Pourtant, sous son apparente gravité, il avaitdécelé une fraîcheur inaltérable, un intense rayonnement, une ardeurinsoupçonnée.Unepartiedelajeunefemme,bienenfouieetsecrète,nedemandaitqu’àrire,às’amuser,àaccéderdenouveauaubonheur.—…medemande si elle se remettra jamaisde cettenouvelle tragédie, disait
Charles.Qu’enpensez-vous?Ilavaitdéjàremarquéquesonavocatpossédaitunflairinfailliblesurlesgens.— Je pense que oui. Elle ne sera plus jamais l’insouciante jeune fille de votre
jeunesse,mais peu de femmes le sont à trente ans…Mais elle s’en sortira, oui,parcequ’elleestforte.—Êtes-voustoujoursaussioptimiste?letaquinaCharles.Ils s’étaient liés d’amitié durant ces quatre mois où ils avaient dû affronter
ensemblel’adversité.—J’essaie,murmuraTom.
Ledestinl’avaitcruellementfrappé,luiaussi,Charleslesavait.Dixansplustôt,Tomavaitperdusafemmeetsapetitefilledansunaccidentdelaroute.Bizarrement,lamêmeannéeoùCharlesavaitperduAndré…L’avocatnes’était
pas remarié non plus. Il s’était consacré corps et âme à son travail. Or,contrairementàsonclient,iln’avaitpasperdul’espoirderetomberamoureuxunjour…Chaque choseen son temps, sedisait-il,mais ce tempsn’était pas encorevenu.Durantdeuxjours,Charlesnecessadedemanderàsonavocatdesnouvellesde
John Taylor. À la fin, poussé à bout, Tom téléphona au FBI. Il eut la chance detrouverledétectiveàsonbureau.Cedernierparaissaitépuisé.—Passeraucribleseizenaviresn’estpasunjobdetoutrepos,bougonna-t-il.On
amisleportsensdessusdessous.Alorsnemeditespasdemedépêcher,jerisquedemalleprendre.LesautoritésportuairesdeNewJerseyavaientaccordésansdifficultéunmandat
deperquisition–iln’yavaitqu’unedemi-douzainedepétroliersenrade.OrleportdeManhattangrouillaitdebateauxétrangersdont lescapitaines, furieuxdevoirfouiller leur bâtiment, s’étaient d’abord rebiffés, puis avaient coopéré àcontrecœur.Lekidnappingremontaitàplusieursmois.Endépitduprocès,l’intérêtgénéralsetournaitversd’autresévénements.Lesfédérauxavaientétéaccueillisfraîchementpar leséquipagesdespaquebotsdecroisièremais ilsavaient furetépartout,envain…L’EuropaàbordduquelMalcolmPattersonallaitappareillerdansquelquetempsavaitsubilemêmesort,sansplusderésultats,sousl’œilmécontentdesmarinsallemands.—Jevouspasseraiuncoupdefilsiunélémentnouveausurvient,jevousl’aidit…
Lesrecherchescontinuent.Jesuisrepasséaubureaupourprendreunedoucheetjetiensàpeinesurmesjambes…Pasd’autresréclamations,maîtreArmour?—Non.Justeunclientàboutdenerfs.—Dites-luidetenirbon.Nousfaisonsdenotremieux.Puis-jevousdemanderun
service?ajouta-t-ilaprèsunebrèvehésitation.—Biensûr.Faut-ilquejecontacteJoli-cœur?—Non. AppelezMarielle Patterson. Elle doit être terriblement inquiète. Elle
ignorequeLouiePolanskiest responsabledes indicesdécouvertschezDelauney.Ellesaitseulementquenoussommessurunenouvellepisteetjenevoudraispasqu’ellesemorfonde.—D’accord…Qu’est-cequejeluidis?—Cequevousvoulez.Assurez-vousqu’ellevabien.Pattersonnelaménagepas.
Ilveutdivorcer,paraît-il.—Quelchictype!grognaTom,écœurémaisnullementsurpris.—Ilneconnaîtpassachance.Entoutcas,iln’auraquecequ’ilmériteavecson
Allemande.Soussabelletignassedorée,ondevineunevraiepeaudevache.—Minute,agentspécialTaylor!
—Oui,chermaître?—Moi,jel’aitrouvéebienappétissante,sonAllemande,àlabarredestémoins,
l’autrejour.Tousdeuxs’esclaffèrent,aprèsquoiJohnseremitautravailavecseshommes.Ils avaient fouillé une douzaine de vaisseaux, il en restait quatre avant le
lendemainmatin.Fidèleàsapromesse,TomréussitàjoindreMarielle.—Quesepasse-t-il,monsieurArmour?Quelquechosedeparticulier?s’enquit-
elleaussitôt. –Une insoutenable tension rendait savoixméconnaissable. – Jenepuism’empêcherderessassercettehistoiredenouveauxindices.J’aipeurquelapolice ait découvert le corps de Teddy… Mon Dieu ! Le doute est mille foispréférableàunepareillecertitude.Ni l’un ni l’autre, pensa l’avocat. Cette agonie, cette douloureuse attente, ce
déchirementaffreux,illesavaitconnusjadis,lorsdel’accidentquiavaitemportésafemmeetsonenfant.MaislesupplicedeMariellen’avaitquetropduré…Peut-êtrevalait-ilmieuxsavoirTeddymort,plutôtquedeseposerunekyrielledequestionsplus terrifiantes les unes que les autres à son sujet, sans jamais trouver deréponse… Il avait fallu deuxmois avant d’être fixé sur le sort horrible du petitLindbergh.—J’espèrequevousaurezdebonnesnouvellesbientôt.—Maisoùensont-ilsaujuste?Ilomitdélibérémentdeluiexpliquerquelapolicerecherchaitactivementsonfils.—Ilsemblequ’ilssoientsurunenouvellepisteetilsonthâtedel’exploreravant
la clôture du procès, demain, éluda-t-il, reprenant presque mot pour mot lesargumentsdeTaylor.—CommentCharlesa-t-ilréagi?Tomsecaladanssonfauteuil,latêteposéesurledossier,unvaguesouriresur
leslèvres.Elleavaitunagréabletimbredevoix,sesurprit-ilàpenser.Jusqu’alors,Mariellen’avaitétépourluiquel’ex-femmedesonclient.—Àvraidire,ilestdanstoussesétats.—Celaluiressemblebien.N’est-ilpastropaffolé?—Oh,si!Cettepreuvededernièreheurepourraitlesortird’affaire.Dumoins,
nousl’espérons.LeFBIestentraindeprocéderàuneultimevérification…Jevoustiendraiaucourant.—Merci.Elleétaitsupposéeapparteniraucampadverse,àceciprèsqu’iln’yavaitplus
qu’unseulcamp.Celuidelavérité.Marielle s’était cantonnée dans une nouvelle attente, plus pénible, plus
effrayanteencorequelaprécédente.
Jamais la vaste demeure ne lui avait paru aussi vide. Les ombres de la nuitchassaient l’ultime clarté du crépuscule, le téléphone restaitmuet et, là-haut, lapetite chambre d’enfant s’emplissait lentement de ténèbres. Aucune nouvelle deTaylor.NideMalcolm,biensûr,maisdecela,ellen’enavaitcure.Il n’avait fallu qu’une fraction de seconde pour que leurs liens, qu’elle avait
pourtantcrusindestructibles,sedélitent…Ellen’avaitplusdefamille,pasd’amis,personne vers qui se tourner. Malcolm l’avait rejetée, lui aussi. Mais,paradoxalement,celaluiétaitdevenuindifférent.BéaRitterl’avaitappeléeunefois,aprèsl’ajournementduprocès,justepourlui
direbonjour.Elleavaitdemandés’ilyavaiteudesnouvellesdeTeddy.—Non,rien…rienencore.Avez-vousrevuCharles?—Oui,avant-hier.Àl’approcheduverdict,ilestterriblementtendu,vouspouvez
vousendouter!Pendantcetemps,lesinvestigationsbattaientleurpleindansleport.Versminuit,
lasituationdemeurait inchangée.Ilnerestaitplusquedeuxbateauxàpasseraucribleetlecapitainedupremier,campésurlapasserelle,refoulaitrésolumentlespoliciers.C’étaitunpaquebotallemand,etlapoliceaméricainen’avaitaucundroitdevisite,déclara-t-il.IlfallutprèsdehuitheuresàTaylorpourobtenirunlaissez-passerspécial.À dix heures du matin, alors que le juge Morrison s’apprêtait à décréter
l’ouverturede la séance, leFBImontaitàbordduderniernavire,avec lagardecôtière et les représentants des autorités portuaires. Taylor savait qu’il netrouverait rien…Ilavait tenuàaller jusqu’auboutpourMarielle. IlavaitappeléTom Armour d’une cabine téléphonique sur le quai, juste avant que l’avocat neprennelechemindutribunal.—Alors?—Rien.Nousavons faitchoublanc.PasdeTeddy,pas lamoindre information,
personne ne veut parler, personne ne sait rien. Nous avons alerté tous nosindicateurs.Envain.LouieJoli-cœurnerépondplusautéléphone.Safrousseaprisledessus…Ilaréussiàpasseràtraverslesmaillesdenosfilets.—Etmerde!Qu’est-cequejevaisfairemaintenant?—Plaider,commevousl’auriezfaitilyadeuxjours.—Bonsang,Taylor,Delauneyestinnocentetvouslesavez.Vousavezentendu
vous-mêmecepetittruandavouerqu’ilatouchécinquantemilledollarspourcacherlesaffairesdeTeddychezmonclient.—Etquivaentémoigner?Vousoumoi?Onnousrétorqueraquecesontdes
racontars.—Jevousenprie!Vousn’avezpasledroitdenouslaissertomber!s’écriaTomà
boutdenerfs,maisl’agentduFBIétaittropéreintépouryêtresensible.—Écoutez,monvieux,jen’aipasfermél’œildepuisquarante-huitheures,jene
tiensplusdebout,etjenesuispasdebonnehumeur!Votreclientestprobablement
innocent,seulementjen’aipasl’ombred’unepreuve,etjen’aipastrouvél’enfant.—J’iraiencassation!lâchal’avocat,horsdelui.—Surquoiappuierez-vousvotredemande?fitTaylord’untonlas.Seshommesvenaientdes’engagersurlapasserelledudernierbateau,maisle
cœurn’yétaitpas.Ilsavaientcomprisdepuisunmomentquelepetitgarçonn’étaitnullepart.Vivant,ildevaitêtretropbiencaché,peut-êtrehorsdupaysdéjà.Mort,ilreposaittrèscertainementdansunefosse,qu’onnerisquaitpasdelocaliseravantdesannées.—Essayonsdegagnerdutemps,imploraTomauboutdelaligne.Trouvonsune
bonneraisonpourréclameruneautreremiseduprocès.—Iln’yenaaucune.EtsiledénomméLouienerefaitpassurface,jenedonne
pascherdevotrepeau,nidelamienne.—J’aicompris…—Jevousenverraiunmessageparundemeshommesquandnousauronsfinila
fouilledudernierbateau,maissachezquejen’espèreplusgrand-chose.L’avocatnesutquerépondre.Sesespérancess’étaienteffondréesd’unseulcoup
et il redoutait lemoment où il apprendrait à l’accusé que leur seul témoin avaitdisparu.—Ila…quoi?glapitCharles,dèsqu’ilfutaucourantdesderniersévénements.—Ils’estvolatilisé,tranchaTom,alorsqu’ilspénétraientcôteàcôtedanslasalle
d’audiencenoiredemonde.— L’ordure ! Et vous l’avez laissé filer ? Décidément, vous êtes tous des
incapables.—Baissezleton,voulez-vous?Louiebénéficiaitd’unemiseenlibertéprovisoire
surparole,avecunelistededélitslonguedetroiskilomètres…Ilaeupeurd’êtrearrêtépourcomplicités’ilpassaitauxaveux,ilfautlecomprendre.—Jepenseraiàluilejourdemonexécution.Unebouleseformaaucreuxdel’estomacdeTom.—Jeneleslaisseraipasvouscondamner,murmura-t-il,avecuneassurancequ’il
n’éprouvaitpasréellement.Déjà,lejugeluifaisaitsignedes’approcherdelatribune.Ilobtempéra,suivide
BillPalmer.—Ehbien?fitMorrison,l’œilsuspicieux.Oùsontcesfameusespreuves?Avez-
vousmislamainsurvotretémoin?—Non,votrehonneur…LeFBIamenéuneenquêtescrupuleusedurantcesdeux
derniersjours.Touteslespistesontétéexaminées,maisellesnenousontmenésnullepart.Uneimmensesatisfactionsepeignitsurlestraitsduprocureur.— Et votre informateur ? demanda le juge, avec un mécontentement non
dissimulé.—Disparu,votrehonneur.Pourlemoment.— Vous avez fait perdre deux jours à la cour, sans compter l’argent des
contribuables,monsieurArmour.J’espèrequevousvousenrendezcompte.Lacolèreavaitremplacélemécontentementsurlafaceburinéedumagistrat.— J’étais obligé de procéder à certaines vérifications,monsieur le juge. Et si
j’avaislachanced’obtenirunenouvelleremiseduprocès,je…—N’ycomptezpas,maître!coupaMorrison.D’ungesteimpatientdelamain,ilrenvoyalesdeuxhommesdeloiàleurplace.
Un furieux coup de marteau signala l’ouverture de l’audience, après quoi leprocureurfutinvitéàprononcersonréquisitoire.Tom Armour s’était assis pesamment, ne croyant pas à la cruelle réalité. Ils
avaienteulaclefduproblèmeentrelesmainsetilsl’avaientperdue.L’avocatserralespoings,écrasé,révoltéparunsentimentd’impuissance.SonregardseposasurCharles,quiparaissaitauborddeslarmes,puissurlesvisagesdeMalcolmetdeMarielle, assis côte à côte comme deux étrangers. Et, plus loin, la petite figureanxieusedeBéaRitter,quidevaitessayerfrénétiquementdedevinercequis’étaitpassé.BillPalmerse redressaetécarta lesbras, semblableàunoiseaudeproiequi
déploie ses ailes noires.Chaquephrase de son discours avait été façonnée pouratteindre,telleuneflècheempoisonnée,sacibleenpleincœur.Ilrappelaauxjurésles agissements passés de l’accusé, sans rien omettre, énumérant ses beuveries,ses erreurs de jeunesse, ses faiblesses. Sa brutalité vis-à-vis de Marielle, sonagressivité gratuite, à dix-neuf ans, lors d’une bagarre dans un bar, toute sonadolescencerebellesetransforma,danslaboucheduprocureur,enuneinéluctablesuccessiondesignesavant-coureursquinepouvaientaboutirqu’àl’immondegestefinal, le kidnappinget, probablement, lamise àmort dupetit Teddy…D’ailleurs,l’ardeuraveclaquelleCharlesavaitparticipéàlaGrandeGuerreavantd’épouserlacausedescommunistesespagnols,toutcommesasoifmeurtrièresurleschampsdebataille,révélaitau-delàdetoutecontroversesanatureviolente.Dèslors,riend’étonnantquecemonstresanguinaireaitmisàexécutionlesmenacesqu’ilavaitproférées.—Lepetitpyjamarougedesajeunevictimesuffitàledésignercommecoupable
dupiredescrimes:l’enlèvement,puislemeurtred’unbébéinnocent,incapabledesedéfendre,déclama-t-il,faceaujury,avantdelancerunregardéloquentverslasalle.Un silence de plomb s’abattit sur le tribunal, brisé soudain par une sorte de
bruissementsuivid’unbruitmat…MariellePattersons’affaissaàterre,évanouie.
Chapitre16Unbourdonnementlointain,puisdeplusenplusproche,deslumièresbrumeuses,
là-haut, le contact de quelque chose de froid et de trempé sur le front… LespaupièresdeMariellefrémirent.Elleétaitétenduesuruncanapé…danslecabinetdujuge,réalisa-t-elle.Lesecrétairedumagistratsepenchaitsurelle,unepiècedelingehumideentrelesdoigts,unmédecinappeléd’urgencesetenaitàsonchevet.—Jevaisbien,murmura-t-elled’unevoixexsangue.Ellevoulutseredressersursonséant,maisleplafondsemitàtournoyeretelle
dutserallonger.Lapiècesemblaitrempliedemonde:lesdeuxavocats,sonmari,le juge. Quelqu’un pressait des compresses glacées sur la face interne de sespoignets, une autre personne lui tendait un verre d’eau… Béa Ritter. La jeunejournaliste avait réussi à se frayer un passage parmi l’attroupement desphotographes. C’est elle qui avait appelé au secours, elle qui s’était agenouilléeauprès deMarielle, et nonMalcolm, dont le visage n’exprimait rien, hormis unvagueennui.—Voulez-vousqu’onvousraccompagnechezvous,madamePatterson?C’était la voix du juge.Une lancinantedouleur lui vrillait les tempesmais elle
secoua la tête.Obscurément,ellesentaitquesaplaceétait ici, commesiellesedevaitderesterpoursoutenirquelqu’un,Charlespeut-êtreouMalcolm…Peut-êtreaussivoulait-elleprouveraumondequ’ellen’avaitpasfléchi.—Jemesensmieux…Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient,jevoudraisseulement
mereposerquelquesminutes.—Avez-vousterminévotreréquisitoire,monsieurPalmer?—Oui,votrehonneur.Envérité, leprocureurn’étaitpasparvenu toutà faità la findesondiscours,
mais lemalaisede lamèrede lapetite victimeavait singulièrementamplifié sesdernierspropos,etils’enétaitsecrètementfélicité.—Encecas,nouspourrionssuspendrelaséancepourledéjeuner.M.Armour
fera sa plaidoirie en début d’après-midi, ce qui permettra à Mme Patterson derentreruneoudeuxheureschezelle.— Merci, monsieur le juge, murmura-t-elle, alors que Béa lui tapotait
amicalementlamainetqueTomluilançaitunregarddésolé.Malcolm fit semblant de l’aider à monter en voiture. Une fois rendus à
destination, il la laissaseule,sansunmot.Étenduesurson lit,dans lapénombregriseménagéeparlesrideauxfermés,unlingehumidesurlefront,elleseforçaàavalerquelquesgorgéesde thé.Mais c’était trop tard.Lamigraineenserrait satêtetelunétauimpitoyable.Ladouleurl’aveuglait.Elledemeuralà,inerte,comme
unepoupéedisloquée,anéantie.Ilallaitfalloirregagnerletribunalàtreizeheurestrente…Pourquoifaire?s’interrogea-t-elle,briséepar lasouffrance.Sonattenteavait été vaine. Une nouvelle fois, elle eut la sensation d’être la victime d’unecruellefarce.Unefarcecruellequireprendraitl’après-midi.Jusqu’alors,elleavaitattendulatombéedurideausurlapiècequisejouaitàsoninsu,malgréelle…Ildevaityavoirunefin logique,sedisait-elle.Unprixpour l’immensepeinequ’elleavait endurée, mais non ! Il n’y aurait rien, rien que des paroles absurdes, desdiscoursdépourvusdesens,desgestes inutiles…Unspectacle jouéàsesdépenspardesmenteurs…desacteursquiauraientrépétéaupréalablechacunedeleursrépliques.Oh,lemotdelafinserésumeraitàpeudechose.Quelqu’un dirait : innocent ou coupable, Charles serait remis en liberté ou
envoyé à la mort, mais personne ne lui ramènerait Teddy. Jamais. L’invisiblecréateurdel’intriguen’avaitpasprévuderôlepourlui…LavoixsèchedeMalcolmlatiradesessombrespensées.—Es-tuprête?Ils’étaitavancédequelquespasdanslachambreobscure,unelueursarcastique
au fond des prunelles. Marielle ne bougea pas. Elle se sentait trop faible, tropmalade,tropaccabléepourébaucherlemoindremouvement.—Jenepeuxpasyaller…J’arriveàpeineàouvrirlesyeux.— Balivernes ! trancha-t-il. Lève-toi, tu le dois. Veux-tu donner à la cour
l’impressionquetuaspeur?Ilavaitprisletonquel’onadoptepourdénoncerunpéchécapital.Lapeur.Le
secondpéchécapital.Lepremierétantlafaiblesse.Etl’amour?Était-ceunpéchéaussi?Avait-ellecommisunefauteimpardonnableparcequ’elleavaittendrementchériCharles…etAndré…etsapetitefillemortesansavoirvulejour…etTeddy?D’ailleurs,lemot«amour»faisait-ilseulementpartieduvocabulairedeMalcolm?Non, sûrement pas. Aux yeux de Malcolm, seuls comptaient la responsabilité,l’obligation,ledevoir.Àmoinsqu’ilneréservâtsonaffectionàBrigitte…Ellecrutquesatêteallaitexploser.—Situn’yvaspas,lesgensvontconclurequetunesupportespasd’assisteràla
condamnationdeDelauney…C’estçaquetuveuxliredemaindanslapresse?Pasmoi!Allons,lève-toi,bonsang!etregardeleschosesenfacepourunefois.Ilhurlaitàtraverslachambreenténébrée.Unfrissonmortelparcourutlecorps
de Marielle. Elle parvint à s’asseoir, mue par une force inconnue, retira lacompresse froide de son front brûlant. Ses yeux, immenses, défièrent la grandesilhouettedesonmaridontelledistinguaitlescontoursdanslasemi-obscurité.— Au cours de ma vie, j’ai regardé un tas de choses en face, Malcolm. J’ai
affrontédes situationsdont tun’asmêmepas idée.Alorscessedemedictermaconduite.Les phrases avaient jailli spontanément avec une véhémence inattendue. Elle
n’avaitjamaisoséluiparlersurceton.Maisdepuisl’enlèvementdeTeddy,ils’étaitmontrésiinjuste,sivindicatifetméchantàsonendroit,qu’elleenétaitvenueàle
détester… À présent, elle pensait que l’enlèvement ne pouvait être que l’œuvred’undément.Cen’étaitnisafautenimêmecelledeCharleset,detoutfaçon,ellenereverraitplussonenfant.Alorspourquoicontinuait-ilàluijeterleblâme?— Tu as une mine épouvantable, remarqua-t-il, alors qu’elle se peignait les
cheveux.Elleneréponditpas,allaselaverlevisage,semitdurougeàlèvres,chaussade
nouveau ses lunettes noires. Très pâle et très droite, elle prit place dans lalimousine, flanquée des inévitables gardes du corps. Le trajet s’effectua sansencombre.Les scèneshabituelles sedéroulèrentdevant le tribunaloù ilsdurentjouerdescoudesparmilafoulecompacteencachantleurvisageauxphotographes.Marielleneretiraseslunettesteintéesquelorsqu’elleeutgagnésaplace.Pourlapremièrefoisdepuisl’ouvertureduprocès,lejugeavaitdixminutesde
retard.Tométaitpenchésursesnotes,Charles,lesyeuxclos,montraitunefigurelivide.Malgréletalentdesonavocat,iln’avaitplusd’espoir.Sansletémoignagedumystérieuxtruand,lesjurésnemanqueraientpasdeledéclarercoupable.Lejugearrivaenfin.IlincitaTomàcommencersaplaidoirie.Celui-civenaitdese
mettredebout,quandJohnTaylorpénétradanslasalled’audience.Tous les regards se tournèrent vers lui. D’habitude élégant, l’agent du FBI
présentaituncurieuxspectacle.Hirsute,malrasé,ilétaitvêtud’unvieuxpantalonet d’un épais sweater criblés de taches huileuses et couverts de poussière. Ildescendit latravéedansunsilenceimpressionnant,sepenchaversMariellepourluimurmurerquelquechoseàl’oreille,aprèsquoielleselevaetlesuivit,sansunregardàMalcolm.Unerumeurparcourutl’assistance,tandisquetouteslestêtesseretournaientpourlessuivreduregard,jusqu’àcequ’ilseussentdisparuparlagrandeporte…Letoc-tocdumarteaucontreleboismassifbrisasoudainlelourdsilence.— Puis-je vous rappeler, mesdames et messieurs, que maître Armour va
prononcersaplaidoirie?Tomaspiraprofondément.Mieuxvalaitnepluschercheràcomprendrelaraison
pourlaquelleledétectiveavaitemmenélamèredel’enfantdisparu…Àsavue,unefunesteprémonitionavaitassaillil’avocat.Ilsonttrouvélecorps!Il s’efforça de concentrer toute son attention sur les jurés… l’invalide de
guerre… l’ex-religieuse… le jeune musicien noir… puis les autres, dont il tentad’accrocher le regard, commepour lire leurspensées. Injustementaccusé,dit-il,sonclientn’avaitriendel’assassinassoiffédesangdécritparleprocureur.C’étaitaucontraireunhonorablecitoyen,undéfenseurdesdroitsdel’homme,unidéaliste.L’accusationn’avaitpassuapporterlespreuvesflagrantesdesaculpabilité…— Allez-vous, en votre âme et conscience, envoyer un homme à la chaise
électriquepourdesparolesqu’iladitessousl’emprisedel’alcool?Sondiscoursronronnaitàsespropresoreilles,tandisqu’ilcontinuaitdeseposer
sans répit la même question angoissante. Pourquoi Taylor avait-il demandé àMarielle de quitter la salle ? Du reste, chacun semblait rongé par la même
interrogationmuette.SeulMalcolmPattersonconservaituncalmeetunsang-froidremarquables.Assise près de John dans la voiture,Marielle leva sur lui un regard empreint
d’effroi.—Quesepasse-t-il?Oùallons-nous?—Ayezconfiance.Jevaisvousconduirequelquepart.Vousallezbien?—Oui…soufflèrentseslèvrescrayeuses,justeunemigraine.—Désolédevousavoirbrusquée.Maisj’avaisbesoindevous.Celaneserapas
long,jevouslepromets.Ilfittournerlemoteur,puislevéhiculesemitàroulerendirectiondeWestSide.—Vous…allezm’arrêter?demanda-t-elle,terrifiée.Était-cepossible?Étaient-ils tousdevenusfous?Ouest-cequeMalcolmavait
réussi à persuader la police qu’elle était la complice de Charles ? Cela luiressemblaitbien,desevengerpartouslesmoyens.—Non,biensûrquenon.Pourquoivoudrais-jevousarrêter?—Jen’ensaisrien…J’ignoreoùnousallons.PourquoiMalcolmn’est-ilpasvenu
avecnous?Soudain, la pensée qu’il lui demanderait d’identifier le corps de Teddy la
transperça.Non,ellenelesupporteraitpas.Ellen’ysurvivraitpas.— Laissez Malcolm où il est. Vous n’êtes pas bien avec moi ? Faites-moi
confiance,Marielle.Toutvabiensepasser.Illuijetaunregardattendri,dévoréparl’enviedelacouvrirdebaisers.—Vousnepouvezpasm’endireplus?implora-t-elle,lesyeuxvoilésdelarmes.Au tribunal, tout ce qu’il avait dit, c’était : « Veuillez me suivre, madame
Patterson»et,interloqué,Malcolmavaitsursauté.— Il s’agitd’unedémarcheofficielle,Marielle. Jenepeuxpasvousen révéler
l’objet,répondit-ilenluitapotantlamainoùillaissaunetraînéenoirâtre.Elle eut un hochement de tête résigné. Le véhiculemit le cap sur le port. La
passagère observait un silence oppressé mais Taylor était trop soucieux, troppréoccupépours’enrendrecompte.Peuaprès, ilsdébouchèrentsur lesquaisoùs’alignait unedemi-douzainede voituresduFBI.QuandMarielle émergeapar laportière, elle sentit tous les regards peser sur elle… ou était-ce une simpleimpression?Lesdoigtsdudétectivepressèrentuninstantlessiens.—Oh,excusez-moi.Jesuissisale,murmura-t-ilenretirantsamain.Illuisouriait;ellelesuivitlelongduquai,lecœurbattantàserompre.Commedansun rêvequi sedérouleraitau ralenti, ilsgravirentunepasserelle
pourdébouchersurlepontd’unpetitcargoallemand.Leseffluvesdechoubouilliqui stagnaient dans la coursive avivèrent le mal de tête de la jeune femme. Lebateau transportait un nombre restreint de passagers, expliqua John, tout en la
pilotant vers une salle à manger étriquée où le commandant de bord attendait,entouréd’undétachementd’agentsduFBI…Pourquoiétaient-ilslà?sedemanda-t-elle confusément… Pour protéger qui ? À moins que ce ne fût pour une autreraison… Oh, mon Dieu, elle ne voulait pas y penser. À peine Taylor fit-il lesprésentationsquelecapitaineseportaitverselled’unpasrigide:— Frau Patterson…Che suis dézolé…Zette triste affaire bortera bréjudice à
monpays…Ils’étaitinclinésursamainavecunclaquementdetalonsmartial,maisMarielle
s’était raidie.Oh,Seigneur,non !Cesparolesnepouvaient cacherqu’unevéritéhorrible:lecorpsdeTeddy.Lescloisonsparurentserefermersurellecommeunpiègemonstrueux.Affolée,elles’agrippaaubrasdeTaylor,chancelante, lesyeuxécarquillés.Illaguidaversunechaise,réclamaunverred’eaufraîcheetlaforçaàen avaler quelques gorgées… Elle le fit, les paupières closes, hantée parl’impétueuxdésir demourir sur-le-champ, afin de s’épargner le spectacle de sonbébémort.—Toutirabien,Marielle.Voussentez-vousmieux?Ellebattitdespaupières,incapablederépondre.—Encoreuneminute.Jevoudraisquevousregardiezquelquespersonnes.C’est
tout.Vouslesobserverez,puisvousmedirezsivouslesconnaissez.—Ellessont…m…mortes?bredouilla-t-elle.— Elles sont vivantes, répondit-il en lui effleurant les cheveux d’une main
rassurante. Tout ira bien. Vous n’aurez qu’à me dire si, oui ou non, vous lesconnaissez.—D’accord.Elle claquait des dents, son souffle était court et elle avait la sensationd’être
aspiréeparlebas.Parchance,ellepouvaitsecramponneràlachaise.Uninstantplus tard, un homme entra dans la pièce, escorté par deux agents du FBI. Trèsgrand, très mince, très blond. Un visage anguleux, plein de fureur. Il voulut sedétournermaissesgardesleforcèrentàfairefaceàMarielle.— Connaissez-vous cet homme ? L’avez-vous jamais aperçu quelque part ?
Regardez-le.Regardez-leattentivement.Elle fixa la figure inconnueen secouant la tête.Non, ellene l’avait jamais vu,
commeellenesavaitpaspourquoion l’avaitconduite ici,etn’osait ledemander.Toutcelaavaitunrapportavecsonfils,sonpetitprincechéri,dontlecorpsgisaitsansviequelquepart,peut-êtreici-même?Ilsfirentsortirlepremierhommeetamenèrentlesecond.Unbruncettefois,au
teintbasané,lafacebalafréedepartenpartd’unevilainecicatriceluisante,etquiscrutaMarielled’unairsauvage,commes’ilallaitl’étrangler.Il lui jetaunephraseenallemand,d’unevoixgrinçanteetgutturale,etelle se
serracontreJohn,folledeterreur.—Personnenevoustouchera,Marielle.Jeneleslaisseraipas.
Elle fitouide la tête,commeuneenfantdocile,puis leshommesduFBI firentvenir la femme.Une blonde d’une trentaine d’années aux formes épanouies, quidéversa un flot de paroles fébriles en allemand, fixant un regard suppliant surMarielle.—Quedit-elle?—Qu’ellen’afaitdemalàpersonne,traduisitlecapitaine.—Quisontcesgens?— J’aurais voulu que vousme le disiez, répondit John. Vous ne les connaissez
pas?Enêtes-voussûre?—Oui.Jenelesaijamaisvusauparavant.—Ilsn’ontjamaistravaillépourvous,mêmebrièvement,oupourvotremari?—Jenesaispas.Jenelesaijamaisvus,répéta-t-elle.John fit signe à ses hommes d’emmener l’Allemande avant de se pencher sur
Marielle.—Jevousdemanded’êtreforte…trèsforte…Prenezmamain.Nousallonsvoir
quelqu’unetvousmedirezsivouslereconnaissez.La terreur familière fondit sur elle. Non, jamais elle n’aurait le courage de
contempler sonbébémort.Elleavait vuAndréquand il s’étaitnoyé, l’avait tenudanssesbras,serrécontresoncœur,maisellen’avaitpas laforcederevivre lemêmesuppliceunesecondefois.Ellevoulutbondircommeunebêteauxabois,maisJohnlaretint.Alors,unesourceinépuisabledelarmesjaillitdesesyeuxetellesemitàsedébattrepourselibérer.— Je ne peuxpas ! hurla-t-elle, les joues ruisselantes.C’est au-dessus demes
forces.Jevousensupplie,laissez-moim’enaller.—Cen’estpeut-êtrepaslui.Aidez-nous,Marielle.S’ilvousplaît,calmez-vous,s’il
vousplaît…Lui-mêmeétaitauborddeslarmes.Ildétestasoudainsonmétierdeflic,maisle
gosse qu’ils avaient trouvé l’avait intrigué. Il devait être sourd-muet car il neréagissaitpasausondelavoix.Ilsignoraients’ilétaitdrogué,ouenétatdechoc,ousitoutsimplementilnecomprenaitpasl’anglais.Entoutcaslecapitaineneserappelaitpasl’avoirvu,bienquelegroupefûtmontéàborddepuisdesjours.Legaminn’avaitqu’unetrèsvagueressemblanceaveclepetitPatterson–lacouleurdescheveuxnecorrespondaitpas,ilétaitbeaucoupplusmaigrequeTeddysurlesphotos,etcertainementplusâgé.Pourtant, quelque chose au niveau des yeux… la forme en amande… le bleu
limpidedesiris…Johnn’avaitpasvouluprendrelerisquedelaisserappareillerlebateau sans demander à Marielle de voir le garçonnet. Son sixième sensl’avertissaitquequelquechosenetournaitpasrond,ilfallaitenavoirlecœurnet.Surunsignedesamain,unpolicieravaitfaitentrerl’enfantmais,accrochéeà
Johncommeàunebouéedesauvetage,Marielledétournaitfarouchementlatête.
—Regardez-le,Marielle.Jevousensupplie.Faites-lepourTeddy.Lentementelleseretournaalorspourregarderl’enfant.Pendantunefractionde
seconde,laterrecessadetournersursonaxe.Elleseredressa,stupéfaite,commesielleavaitdumalàencroiresesyeux.Lepetitgarçonavaitlescheveuxrasetbruns mais un examen attentif révélait l’éclat blond des racines… Lui aussi ladévisageait,incrédule.Lajeunefemmelaissaéchapperuncriperçant,uneclameurpresque inhumaine,avantdes’élancervers luipour leserrerconvulsivementsursonsein.Dix, vingt, trentesecondes, ils restèrentenlacés,et soudain, commeseremémorantunsoninconnu,lepetitgarçonémitunesourdeplaintequisemuapeuàpeuensanglots,toutensecramponnantdesdeuxmainsàsamèrequ’ilavaitcruneplusjamaisrevoir.Le capitaine s’était mis à pleurer silencieusement, et John Taylor sentit les
larmes lui couler le long des joues. Pendant un temps infini,Marielle ne bougeaplus.Elle ne voyait plus, ne sentait plus, ne savait plus qu’une chose : elle avaitenfinretrouvésontendrepetitpoussin,sonbébéadoréqu’elleavaitcruperdupourtoujours.—Oh,monchéri…monamour…Elle le serrait étroitement, avec une farouche détermination, comme si elle
n’allait plus jamais le lâcher. Le reste se déroula très vite. Le capitaine lesraccompagnaàlapasserelleoùilserépanditennouvellesexcuses.Johnl’informaqueledépartdesonnavireétaitannulé.Undétachementd’hommesduFBIrestaàbord.Danslavoiture,ledétectivejetauncoupd’œilàl’enfantassissurlesgenouxde
samère…SapetitemainétreignaitdetoutessesforceslesdoigtsdeMarielle.—Ehbien,monpetitbonhomme,fit-il.Noustecherchonsdepuisunbonboutde
temps,tusais.Teddylefixad’unaircraintif,puissonregardobliquaverssamère.— Ils ont dit que tu étais morte, murmura-t-il d’une voix hachée, presque
inaudible. Ilsm’ontenfermédansuneboîteavecdes trouset ilsm’ontdonnédecrackersàmanger.—Jen’aijamaispusentircesgens-là!grommelaTaylor.Lestroissuspectsnes’étaientpasfaitprierpourpasserauxaveux.Ilsavaient
étéembauchésparlepèredugarçon,afinqu’ilsleconduisentenAllemagne,enlieusûr.Audébut,ilss’étaientrefuséàrévélerlenomdeleuremployeur,sebornantàdéclarerquelesparentsdeleurpetitprisonnierétaientallemands.Or,l’und’euxavaitensapossessionunecartedevisitedeMalcolmsurlaquelleil
avaitinscritunnumérodetéléphonequicorrespondaitàl’appartementdeBrigitteSanders…Marielle n’en savait rien encore. Quant àMalcolm, il ne perdait rienpourattendre,seditledétective,gagnéparunesombresatisfaction.—Jenesaisquepenser,ditdoucementMarielleen tenantTeddyserrécontre
elle.J’aicruquejamaisnousneleretrouverions.J’aieusipeur…Peurquevousmedemandiezdereconnaître…
Elles’interrompitbrusquementpournepaseffrayerTeddydavantage,serendantsoudain compte que sa migraine avait disparu. Toutes ses anciennes terreurss’etaientenvoléesdanslajoiedetenirsonenfantdanssesbras,prèsdel’hommequil’avaitretrouvé,alorsquelavoituresedirigeaitàviveallureversletribunal.—Jesaiscequevousavezpensé,répondit-il.Siç’avaitété lecas, j’aurais fait
appelàMalcolm.Jevoulaisquevoussoyezlapremièreàlevoir…Ilsprétendentavoirétéengagésparlesparentsdel’enfant.MaisMariellesouriaitauxanges.—C’estMalcolmquiseracontent.ElleseréjouissaitpourPatterson!rageaintérieurementTaylorenoptantpour
uneréservestratégique.Devantlebâtimentdutribunal,unevingtained’agentsduFBIlesentourèrent,sitôtqu’ilsmirentpiedàterre.Teddybondit,apeuré,maissamèrelesoulevadanssesbras.—Là,monchéri,n’aiepaspeur.Nousallonsvoirpapa.Lorsqu’ilspénétrèrentdanslasalled’audience,unbrusquesilences’abattit sur
l’assemblée.Duhautdesachaire,lejugeconsidérad’unœilsurprislesintrus.TomArmour s’interrompit aumilieu d’une phrase. Chacun suivit du regard le groupeinsolite, mené par John Taylor, qui descendait lentement la travée. Arrivés à lahauteurdelatribune,leshommesduFBIs’écartèrent,etl’onvitMarielleavecunpetitgarçonauxcheveuxsombresdanssesbras.Interloqué,lejugeseleva.—Est-ceque…SonregardalladeMarielle,quiluisouriaitàtraversseslarmes,àJohnTaylor,
puisauxspectateursquiavaientbondisurleursjambes.Unmouvementdésordonnés’étaitamorcéparmilesreprésentantsdelapresse,vitemaîtriséparuncordondepolice.—MonDieu,criaquelqu’un,c’estlui.Teddy!Ilestvivant…vivant…vivant!LejugeMorrisons’étaitrassisettapaitfrénétiquementdumarteauenintimantà
lapolicedefaireévacuerlasalle.Debout,Malcolmrestaitfigé,commepétrifié.Onauraitpumettresapâleurmortellesurlecomptedel’émotion,bienqu’iln’eûtpasesquissé lemoindre geste en direction de son enfant. L’œil exercé de Taylor nel’avaitpasquitté.Sonattitudemanquaitsingulièrementdenaturel.RienàvoiraveclaréactionpoignantedeMarielle,soncrid’animalblessé,sonélanspontanéverssonenfant.Àlavuedesonfils,MalcolmPattersonavaitlesyeuxétrangementsecs.Charles,lui,pleuraitàchaudeslarmes,hantéparlesterriblessouvenirsd’unautretemps.—Dieumerci,ilestenvie,murmura-t-ilàsonavocat,etcelui-cihochalatête,en
proieàuneviveémotion.Lui aussi connaissait l’insoutenable douleur de la perte d’un enfant… Enfin,
commes’ils’étaitremisdesasurprise,Malcolms’approchadeMarielleetTeddy.—Mercidel’avoirretrouvé,fit-ilàl’adressedeTaylor.
Sesyeuxétaienttoujourssecs,etquelquechosequiressemblaitàunéclairdecolèreanimait le fonddesespupilles. Il tendit lesbrasversTeddymais,apeuré,celui-cisecramponnaplusfortementencoreàsamère.—Ilsontditquemamanétaitmorte,marmonna-t-il.—Oh,cesontdeméchantespersonnes,ditMalcolm,avecunedrôled’expression
surlevisage.—Veuillezmesuivre,monsieurPatterson,intervintJohn.La salle avait été évacuée. Seuls restaient à l’intérieur du tribunal les deux
avocats,l’accusé,Marielleetl’enfant,lesjurés,lespoliciers.Lejuge,accompagnéparTayloretMalcolm,s’étaitretirédanssoncabinet.Marielleignoraitcequisetramait,maisunsentimentdepaixineffables’étaitglissédanssonâme.Commesil’effroyabletensionavaitétédrainéehorsdesoncorps,elles’assittranquillementsur un siège au premier rang, et semit à bavarder avec Tom et Charles. Deuxpoliciers avaient apporté à Teddy un cornet de glace et le petit garçon s’endélectait, sanspourautant lâcher lamainde samère.Marielle entouraitde sesbras le petit corps frêle. Elle ressentait une sensation de bien-être absolu. Lescauchemars des derniers mois s’étaient dissipés magiquement, à l’instar desombres terrifiantes d’une longue et froide nuit d’hiver qui se diluent dansl’éclatante lumière d’une aube printanière. Teddy était de retour. Teddy ne s’eniraitplusjamais.Ellenelepermettraitpas.Lorsque,autermed’uneabsenceprolongée,MorrisonreparutflanquédeTaylor
etMalcolm, labouchede cedernierne formait plusqu’unemince ligne crispée.DeuxcoupsdefilenprovenancedubureauduFBIétaientvenusinterrompresonentretienaveclejugeetledétective.Selonlesravisseurs–dumoinslestroisquiavaient été arrêtés sur le bateau et conduits au dépôt – l’enlèvement avait étéorchestré par le propre père de l’enfant. Plus aucun doute ne subsistait… Lesinculpés se trouvaient en possession de documents révélateurs, dont un fauxpasseportpourl’enfant,aunomdeThéodoreSandersque,àleursdires,Malcolmleuravaitprocuré.— Tout cela est parfaitement grotesque ! avait tonné le magnat. Ces gens
essaientdemecollersurledosundélitdontjen’aijamaiseuconnaissance.Ilavaitarborésonexpressiondemajestéoutragéeetn’avaitpashésitéàfaire
allusionàsesinnombrablesrelationshautplacées,maisledétectiveétaitrestédemarbre.—Ilsontutilisévotrenom,monsieurPatterson.Uniquementlevôtre.Vousserez
bientôt confronté à eux et aurez certainement l’occasion de vous défendre. Enattendant,jesuisobligédevousemmener…Tropd’argentachangédemain,ilyaeu de nombreuses personnes impliquées dans ce crime. Je vous arrête sousl’inculpation d’extorsion et de conspiration, sans parler de la diffamation dontM.Delauneyaétél’objet.Malcolmsetournaverslejuge,quis’étaitreculé,atterré.Ilavaitdumalàcroire
qu’un père pût organiser l’enlèvement de son propre enfant par l’intermédiaire
d’unebandedecriminels.Pourquelmotif ?LeFBIavaitdupain sur laplanche,songeaMorrison.Aumoins,l’enfantavaitétérendusainetsaufàsamère.Et,selontouteslesapparences,Delauneyn’avaitpastrempédanslekidnapping.—Mesdames et messieurs, dit-il aux membres du jury stupéfaits, nous avons
frôlé l’erreur judiciaire. L’enquête vient d’apporter les preuves irréfutables del’innocencedeM.CharlesDelauney.Enconséquence,jesuisdansl’obligationdelelibérer et de vous renvoyer à vos foyers… La cour se réserve le droit de prierM. Delauney de ne pas s’éloigner de la ville jusqu’à ce que cette affaire soitdéfinitivementélucidéecequi,jepense,nesauraittarder.Letribunaltientàvousremercierdevotreponctualitéetdevotrepatience.Lesjuréss’étaientlevéslesunsaprèslesautressedispersèrentdanslasalle.Quelques-uns sourirent à Marielle, d’autres souhaitèrent à Charles bonne
chance,l’unedesfemmesallaembrasserTeddy.— Monsieur Delauney, j’ai le plaisir de vous relaxer sans délai, fit la voix
tonitruantedu juge.Néanmoins, jevousdemanderaidenepasquitterNewYorkavantlafindel’enquête,est-ceclair?—Oui,monsieurlejuge,réponditCharles.Ilsetenaitdroit,commesiunemain invisibleavaitôté le lourdfardeauqui lui
écrasaitlesépaules.—J’attendsdevosnouvelles,monsieurTaylor,grondaMorrison.DeuxpoliciersavaientpassélesmenottesàMalcolmPatterson,quisortitde la
piècesansunmot,sansmêmeunregardversMarielleouTeddy.Johnseproposaderamenerlamèreetl’enfantàlamaison,tandisqueTomsouriaitàsonclient.—Vousvoilàunhommelibre.Puis-jevousraccompagnerchezvousenvoiture?—Excellente idée ! approuvaCharles, puis, s’approchant deMarielle : je suis
contentqu’ilsoitrevenu.Tul’asbienmérité.Ilsepenchapourdéposerungentilbaisersurlajouedelajeunefemme,sousle
regardscrutateurdeTeddy.—Jet’aimeraitoujours,ajouta-t-il.Marielle acquiesça, émue aux larmes. Charles occuperait toujours une place
privilégiéedanssoncœur.—Venez,jevousramène,suggéraJohn.Charleslessuivitd’unregardembuéavantdesuivresonavocat.BéaRitter les
attendaitsurleperrondutribunal.Lorsqu’elleavaitvuMariellereveniravecsonescorted’agentsduFBI,elleavaitpenséquel’inévitables’étaitproduit.Lajeunejournalistes’étaiteffondréesurlesmarchesetavaitattenduenpleurant.—Jevousdoisunefièrechandelle,Béa,murmuraCharles.VousetTomavezété
lesseulespersonnesàcroireenversetcontretousàmoninnocence.Illaserraavecforcedanssesbras,etilss’engouffrèrentenriantdanslavoiture
deTom,qui semêlaau trafic, sous lepâlecielnew-yorkais.Leséditionsdenuit
régalèrent leurs lecteurs de l’effroyable aventure de Teddy Patterson, enfindénouée,inextremis,àbordd’uncargoallemand,etémailléedephotosdupetithéros et des agents du FBI armés jusqu’aux dents…Une fois de plus, la réalitédépassaitlafiction.Dès le lendemainmatin, l’Amérique sutqueCharles était innocent.Plus aucun
soupçonnepesaitsurluietlejugeMorrisonavaitclassél’affaireDelauney.En revanche, dans la nuitmêmequi suivit la découvertedupetit garçon, John
TayloretsescoéquipiersavaientrassemblésuffisammentdepreuvespourtraînerMalcolm Patterson devant la justice. À l’immense joie de la presse un nouveaufeuilleton à suspense voyait le jour, plus compliqué, plus incroyable, plussensationnelencorequeleprécédent…«Unpèreorganisel’enlèvementdesonfilsmoyennant plus d’unmillion de dollars ! »Malcolm avait soudoyé une bande decriminels pour exécuter l’opération et pour garder ensuite Teddy dans unepropriétédésaffectéeduNewJersey,enattendantquelasurveillancedesportsserelâche.Uneéquiped’Allemands,triéssurlevoletetparfaitemententraînés,avaitpris lerelaisdestruandsaméricains,dans lebutdeconduire l’enfantaupaysoùMalcolmavaitdécidédes’établiravecBrigitte.Leprojetavaitgermédansl’espritdeMalcolmquelquesannéesplustôt,presque
àlanaissancedesonfils.Àcemoment-là,ilsavaitdéjàqu’enépousantMarielleetpasBrigitte,ilavaitcommisunegraveerreur.Lesdeuxfemmesétaientlejouretlanuit. La décente et distinguéeMarielle n’avait pas su ranimer la flamme de sonépouxvieillissant.Alorsque,d’emblée,Brigitteavaitfaitrenaîtreenluiunepassioneffrénée.C’est elle qu’il désirait au point d’en perdre la raison, elle qu’il voulaitpourcompagne,ellequicomblaitsessens…SaufqueBrigittenepouvaitpasavoird’enfants.L’idéeavaitpeuàpeuprisforme.Audébut,ilavaitsongéaudivorce.Mariellelui
faisait l’effet d’une colombe effarouchée, cruellement marquée par le passé,perpétuellement sur le qui-vive. Le fait qu’elle soit sans attaches l’avait d’abordattiré,puisilenétaitvenuàluireprochersatropgrandedépendance.Brigitte,enrevanche, illustrait à la perfection l’idéal féminin de Malcolm. Intelligente,implacable,totalementindépendante.Sesexigencesleterrorisaient,surtoutquandellemenaçaitde lequitter. Iln’envisageaitpas laviesanselle.Or, ilyavaituneombreautableaududivorce:Teddy.Ilétaithorsdequestiondesepriverdesonfils. Certes, il comptait se battre pour en obtenir la garde mais ses conseillersjuridiquesneluiavaientpaslaissébeaucoupd’espoir.Ils’avéraitdifficile,presqueimpossible,depriverunemèredesonenfant,sousleseulprétextequ’elleavaitlesnerfsfragiles.Finalement,Brigitteavaitsuggéréàsonamantd’allers’installerenAllemagneen
emmenantaveceuxlepetitgarçon.Leplanseprécisait.L’imagination diabolique de Malcolm conçut le reste. Si l’enfant passait pour
mort, on cesserait de s’en occuper et le tour serait joué…Et si, par la suite, ilépousaitsasecrétaireetadoptaitsonfilsàelleenAllemagne,quis’ensoucierait?Quiseposeraitdesquestions?Personne.Pasmêmelavraiemèredel’enfant.Quoi
de plus naturel que de compenser une perte cruelle en fondant une nouvellefamille?QuisuspecteraitquelefilsadoptifdeMalcolmetTeddynefaisaientqu’uneseule et même personne ? Après un an ou deux passés en Allemagne, rien nepourraitdifférencier legarçond’unpetitAllemand.C’étaitunplan ingénieux,quil’auraitdébarrassédeMarielleunefoispourtoutes.Une kyrielle de personnes s’étaient trouvées impliquées dans le processus,
Charles, Marielle, l’enfant, les ravisseurs, les comparses qui avaient maintenuTeddy prisonnier au fin fond duNew Jersey, puis sur le bateau… Àmesure ques’effeuillaientlespagesdurécit,lejuged’instructionn’encroyaitpassesoreillesetJohn Taylor se contenait pour ne pas casser la figure du froid instigateur de cecrime.Le plan avait fonctionné à la perfection. Le magnat de la sidérurgie avait
commencé à déplacer subrepticement des fonds vers l’Allemagne… Là encore,personnenes’enaperçut.Sesinvestissementsàl’étrangernesecomptaientplus,depuis longtemps. Or, il se préparait à partir en Allemagne dans l’année, encompagniedeBrigitte.Lasecrétaireavaitmonnayéchersacomplicité.Unvirementd’undemi-millionde
dollars sur son compte bancaire à Berlin récompensa son silence. Les autresprotagonistes de l’implacable machination avaient touché suffisamment d’argentpourgarder,euxaussi,lesilence.L’opérationavaitcoûtéàMalcolmunevéritablefortune…Unefortunedépenséeàbonescient,selonlui.ÉcarterMarielledesonchemin,afind’avoirsonfilstoutà luipourenfaireun
Allemand,constituaitsonbutsuprême.L’Amériquedécadenten’avaitplusd’attraitspourunespritéprisd’absolucommelesien.Au-delàdel’Atlantique,unenouvellepuissance venait de naître, pure, altière, triomphante. Hitler, auquel Malcolmvouait une admiration sans limites, allait bientôt s’emparer des rênesdumonde.Hitler écraserait les vieilles nations dégénérées et Malcolm n’aspirait qu’àapportersamodestecontributionàl’édificegrandiosedecenouvelempire…Sonfils promis au rigorisme de l’éducation germanique représentait une offrandepersonnelleauFlihrer…L’homme d’affaires était passé aux aveux sans une ombre de repentir. Au
contraire,ilparaissaitassezfierdesamiseenscène.EndehorsdeLouieJoli-cœur–maisn’yavait-ilpas toujoursunrenégatauseindesplusnoblescauses? – lesnombreux mercenaires s’étaient tus. Et sans le battage médiatique autour del’affaire,ilsauraientcontinuéàgarderlesilence.Or,lechâteaudecartesétantsurlepointdes’écrouler, lesanciensalliésdeMalcolmnetardèrentpasàretournerleur veste. Il leur importait avant tout de sauver leurs intérêts, quitte àmettretotalementencauseleurpatron…Aprèstout,cederniernerisquaitpasd’endosserlekidnapping,comptetenuqueTeddyétaitsonproprefils.C’estainsiqueMalcolmfutinculpédeconspiration,d’obstructionàlajusticeetd’associationdemalfaiteurs,un chef d’accusation bien court par rapport au crime commis et à l’abîme desouffrancesquienavaitdécoulé.L’entrée de Charles Delauney en scène seyait parfaitement aux manœuvres
machiavéliquesdePatterson.L’ex-marideMariellereprésentaitleboucémissaireidéal.Eneffet, ilétaitapparuaubonmoment,alorsque lekidnappingétaitdéjàorganiséetqueMalcolms’apprêtaitàs’assurerunalibisansfailleenserendantpour affaires àWashington. Faire accuser Delauney allait conférer à son projetinitiallatouchedegéniequiluimanquait.Alors,danssonesprituneidéediaboliquegerma : pour la modique somme de cinquante mille dollars le pyjama rouge etl’oursonenpelucheavaientétédissimuléschezCharles, faisantde lui le suspectnuméroun.Pendantcetemps,seshommesdemainretenaientTeddydansleNewJersey, en attendant que l’enfant puisse embarquer, quatre mois plus tard, àdestination de l’Allemagne. Lui-même et Brigitte devaient prendre la mêmedirection, en mai, à bord de L’Europa. Aux yeux du monde entier, le blâmeincomberaitàMarielle,tandisqueMalcolmjoueraitlerôledelavictime.Dèslors,qui lui en voudrait d’avoir cherché la consolation entre les bras de la dévouéeMlleSanders?Legraindesablequiavaitbloquél’engrenagedelamachinationsipatiemment
montée par Malcolm avait pour nom John Taylor. Si l’agent du FBI n’avait pasfouillé de fond en comble le petit cargo allemand, ce dernier aurait levé l’ancredeuxjoursplustard…Cetteseulepenséefaisaitfrémirledétective.PasMalcolm.Ilavait joué, puis perdu la partie, mais ne se sentait en rien coupable. Teddy luiappartenait.Ilavaitparfaitementledroitd’éleversonfilscommebonluisemblaitenl’arrachantàl’influenced’unemèretropmièvre,tropabusive.CelarevenaitàdirequeMalcolmpasseraitlerestantdesesjoursàBerlin,cedontilseréjouissait,carilpréféraitl’Allemagneàsonproprepays.Pourlemoment,iln’iraitnullepart.Ilattendraitsonprocès,fixéfinjuillet,dans
la cellule d’un pénitencier d’État. Inculpée de complicité, Brigitte avait pris lechemin d’une prison de femmes.Elle risquait quelques années de réclusion, plusl’expulsiondesÉtats-Unis.Marielle n’avait plus qu’une hâte : quitter la froide résidence Patterson avec
Teddy.Elle redoutait lenouveauprocès, auquel elle allait devoir assister commetémoinàcharge.Entre-temps,ellesereposeraitaucœurduverdoyantVermontoùelle avait loué une villa. Et, à son retour, elle se mettrait à la recherche d’unappartement.Aussiavait-ellesignéunedemandededivorce.Taylor passa lui rendre visite un après-midi. Les policiers avaient déserté
l’immensedemeure.Laplupartdesdomestiquesaussi.Marielleluifitpartdesesprojetsd’avenir,etillaregardalonguement.—Jecroyaisquenousallionsavoirunediscussionsérieuse,avantquevousne
preniezunequelconquedécision…PourquoiceséjourdansleVermont?Elle ne l’avait pas vu depuis quelques jours et elle lui trouva une mine
épouvantable. Iln’avaitpascesséd’êtresur labrèche. Ils’étaitpersonnellementoccupé de l’audition deMalcolm et de Brigitte, sans compter de celles de leursacolytes:vingt-deuxpersonnesinculpéesdechargesdiversesetvariées.—Teddyetmoiavonsbesoinderespirerunpeud’airpur.Elleavaitsurtoutbesoindesereposeravantderevivreletourmentd’unnouveau
procès.Ellesavaitqu’ellel’assumeraitmieuxcettefois-ci,biensûr.EllesavaitaussiqueJohnseraitàsoncôté…Elleavaituntasdechosesàluidire
maisletempsdesconfidencesn’étaitpasencorevenu.—Allez-vousvraimentdéménager?demanda-t-ild’unevoixpleined’espoir.Un
espoirteintéd’inquiétude.Àprésent,elleavaitretrouvésonfilsets’étaitlibéréedeMalcolm.Maisquelledécisionallait-elleprendreàl’avenir?Leursregardssecroisèrentetillavithocherlentementlatête.Ellenepouvait
plusresterici,pasuneminutedeplus.—LamaisonappartientàMalcolm.UnpetitappartementsuffirapourTeddyet
moi.—Etquoid’autre?Qu’attendez-vousdemoi,maintenant?Ilredoutaitsaréponse,maisilfallaitqu’ilsache.Luin’avaitaucundoutesurses
propressentiments.Illavoulait.Illavoulaitpar-dessustout.Etpourtoujours.Vous…votreamour…votrevie,songea-t-elle,maiselledit:—Votreamitié.—C’esttout?Sesprunellesd’aciers’étaientassombries.Voilàdesmoisetdessemainesqu’il
avaitremisauxcalendesgrecquescetteentrevue.Ilss’étaientpromisd’attendrelafinduprocèsavantd’envisagerunesuiteàleurhistoire…Ensondantlesyeuxbleusaphir,ilsutqu’elleavaitprissadécision.EllenevoulaitpasbriserlemariagedeTaylor.—Oh,Marielle,gémit-il.Jesouhaitevousoffrirtantdechoses…—Jemecontenteraid’unpeudetemps.Letempsdemeguérirdemesanciennes
blessures…Letempsderecommenceràvivreavecmonenfant…Jen’oubliepascequejevousdois,John…Jevousdoistout.Elleluidédiaunsourirelumineux.—Jevousdoiségalementdevouslaisservivreenpaixdansvotrefoyer.Avecvotrefemmeetvosenfants.Quevousresterait-ilsivouslesabandonniez?Ses yeux limpides l’interrogeaient. Il y avait une ombre de tristesse dans son
regard,maisilcompritqu’elleétaitplussagequelui.—IlmeresteravousetTeddy,murmura-t-il.—Etlesremords,etlesregrets.Unjourvousm’auriezhaïesijevousenlevaisà
votrefamille.—Riennepourraitmepousseràvoushaïr.Le sourire de Marielle s’estompa. Malcolm l’avait détestée et, pendant un
moment,Charlesaussi.Elleestimait trop JohnTaylorpourcourir le risquede leperdre.Ellelechérissaitbienplusqu’ilnepouvaitl’imaginer,bienplusqu’elleneleluiavaitlaisséentendre.—Vousnevoulezpasdemoi,n’est-cepas?s’efforça-t-ildeplaisanter,n’aspirant
qu’àuneseulechose:lacouvrirdebaisers.John constituait la principale raison de sa fuite à la campagne. Elle souhaitait
échapperàunattachementdontlaprofondeurl’effrayait.C’estcela,l’amour,sedit-elle obscurément, tandisqu’il l’attirait dans sesbras etqu’elle s’yblottissait. Levéritableamourcomportaitunepartd’abnégation,unrenoncementàlapossessionégoïsted’unautreêtre.— Vous avez besoin d’eux, chuchota-t-elle, le visage enfoui au creux de son
épaule.Ilsseraientmalheureuxsivouslesquittiez.—J’aiaussibesoindevous,machérie.Il l’étreignitpassionnémentet, lasentantdéfaillir, ilsepritàrêverunefoisde
plusd’unavenirauprèsd’elle.—Jeneveuxpasvousperdre,Marielle.—Mais vous neme perdrez pas. Je serai toujours là, répondit-elle d’une voix
raisonnable.— Et quand vous ne serez plus là ? Quand vous appartiendrez à quelqu’un
d’autre?Une femme comme elle ne resterait pas seule longtemps, il en avait le
pressentiment.—Nousresteronsamis…Jevouslerépète,vousnemeperdrezjamais.Àmoins
quevousnefassieztoutpour…Ellesehissasurlapointedespieds,luifrôlaleslèvresd’unbaiserléger,etilla
tintenlacée,déchiréentrel’ineffablebonheurdesentirsoncorpssouplecontrelesien,etledésespoirdelalaisserpartir.Enfin,ils’arrachaàcettedouceétreinteetsedirigeaverslasortie.Lalourdeportedechêneserefermaavecunbruitsecsurses rêves les plus ardents. Mais peut-être avait-elle raison. Peut-être avait-elleadoptélabonnesolution.Desannées s’écouleraientavantde le savoir. Ilsappartenaientàdeuxmondes
différents, il en avait eu conscience dès le début. Et maintenant, chacun allaitretournerdanssonunivers.Lasolitudeletaraudadesjoursdurant,cependantquelesauditionsdesinculpés
se poursuivaient. Peu à peu, les éléments de l’affaire Patterson s’assemblaient,pareilsauxpiècesd’unpuzzle.IlignoraitcombienilmanquaitàMarielle.Celle-ciavaitétémillefoistentéedel’appeler,millefoiselles’étaitapprochéedutéléphone,millefoiselleavaitreposélecombinésanscomposerlenuméroduFBI.Bientôt,elleserendraitdanslavilladuVermont,loindel’agitationdelaville.EtloindeJohn.C’était,luiavait-onassuré,unlieuenchanteur,avecdespouleset
descoqs,desvaches,unchien…Teddysefaisaitunejoiedepartir.Ils’étaitpeuàpeuremisdesapénibleexpérience.Ilavaitreprisdupoids,lateinturebruneavaitdisparu,révélantsablondeurnaturelle.Seulsd’atrocescauchemars,chaquenuit,rappelaientledramequ’ilavaitvécu.Ildormaitdanslachambredesamère,quiprenait soin de lui. Haverford les avait aidés à boucler leurs bagages. Dans
quelquesjours,levieuxmajordomequitteraitleservicedeMarielledéfinitivement.IlétaitentraindeprésenterunboldeglacecrémeuseàTeddyquandCharlessemontra.IlétaitvenudireaurevoiràMarielleavantd’embarquerpourl’Europe.— L’Espagne ? s’enquit-elle, alors qu’il la suivait dans la vaste cuisine de la
résidencePatterson.—Pastoutdesuite.Ilavaitd’abordpensésefaireenrôlerdansl’arméedesalliésenAngleterre,mais
avaitfinalementoptépourunbrefséjouràParisavantderepartiràlaguerre.—Nouspasseronsl’étédanslemididelaFrance.Teddy lui offrit généreusement une part de glace onctueuse au chocolat, qu’il
acceptadeboncœur.—Nous?fitMarielleenhaussantunsourcil.Tuemmènesuneamie?Ilsseregardèrentuninstantavantd’éclaterd’unmêmerire.—D’accord,d’accord,ditCharles.Il savaitqu’elleavaitdéjàdeviné.L’intuition faisaitpartiedeses innombrables
qualités.Leplusétrange,c’étaitqu’ill’aimaittoujoursprofondément.—Quelqu’unquejeconnais?letaquina-t-elle.Desannéesdecomplicitéamoureuses’étaientmuéesenunetendreamitié.Charlestoussota.—J’aipromisàBéaRitterdeluimontrerParis.—C’estlamoindredeschosesaprèstoutcequ’elleafaitpourtoi.—Oui,sourit-il.Ellem’abeaucoupsoutenupendantceprocès.Ils bavardèrent gentiment pendant quelquesminutes. Il prit congé etMarielle
l’embrassasur la joue.Peuaprès,à travers la fenêtrede labibliothèque,elle leregardadévalerl’alléeduparc.Lorsquelalonguesilhouettedégingandéedisparutau tournant, la jeune femme laissa retomber le rideau de dentelle, avec unsentiment de délivrance.Comme siCharles venait de sortir définitivement de savie.RestaitMalcolmPatterson…L’hommedontelleportaitencorelenom.Ellel’avait
aimésanspassion,etaujourd’huielleéprouvaitàsonendroitunimmenseméprismêlédecrainte.Avecsesrelationsenhautlieu,Malcolmpouvaitencores’avérercapabledeluinuire.Certes,JohnluiavaitpromislaprotectionillimitéeduFBImaisellenepouvaits’empêcher,àl’avance,d’éprouverdel’effroiàl’idéequeMalcolm,après avoir purgé sa peine, serait à nouveau libre.Marielle ne pourrait l’éviterindéfiniment.Safuiteéperdueprendraitfinunjouretalorselleseraitbienobligéedelui faireface…D’aprèsJohn, iln’avaitpas l’ombred’unechancederécupérerTeddy, mais sait-on jamais ? En tout cas, il tenterait l’impossible pour le luiarracher,ellelesavait.Parfois,Mariellesedemandaitsielleparviendraitjamaisàchériretàrespecter
quelqu’un, en dehors de Teddy… Teddy qui constituait sa seule espérance, son
uniquejoiedevivre.La veille de leur départ pour le Vermont,Marielle inspecta une dernière fois
leurs bagages. Elle avait hâte de s’en aller de l’immensemausolée froid où elleavait été simalheureuse. Assistée par le fidèleHaverford, elle avait empaquetétoutessesaffaires,ainsiquecellesdeTeddy.ElleavaitfaitsavoiràMalcolmqueleslieux seraient disponibles quand il reviendrait avec Brigitte. De retour de lacampagne,elleavaitdécidéderesteràl’hôtel.LarésidencePattersonrecelaittropdemauvaissouvenirspourqu’ellesongeàyretourner,neserait-cequ’unseuljour.ElleavaiteudumalàpersuaderTeddydequitterlamaisonquil’avaitvunaître.
Lepetitgarçonignoraitquesonpèreavaitorchestrésonkidnapping.D’instinct,ilavaitsaisiquequelquechosen’allaitplusentresesparentsetilavait
remarquéquelesdomestiquess’arrêtaientdeparlerdèsqu’ilapparaissait.Maisilétait trop jeune encore pour comprendre. Marielle s’était contentée de luiexpliquer que son père était parti en voyage et qu’il ne le reverrait pas avantlongtemps.L’enfantn’avaitpasdissimulésasurprise,bienqu’ilparûts’accommoderdelasituation.Lanuitétaittombée.Lesmallesetlespaquetss’alignaientdanslevestibule.Lecarillondel’entréegrelotta,puisHaverfordvintannoncerTomArmour.Elle n’avait pas eu l’occasion de le rencontrer après le procès et s’étonna de
cettevisite.L’avocatavaitapprissondépartparJohnTaylor.Elledescenditlentementl’escalier,allantàsarencontre.Ilsetenaitenbasdes
marches,trèsélégantdanssoncostumeimpeccablementcoupéet,unefoisdeplus,elle fut frappée par l’extrême jeunesse de son expression. Elle le salua avec sachaleurhabituellecommesiellel’avaitattendu.— J’ai appris au tribunal que vous partiez, dit-il en lui tendant une main
maladroite.Haverfordavaitdisparupourpréparerlecafé,etTomsuivitlajeunefemmeàla
bibliothèque.Ilavaittenuàluidireaurevoirdevivevoix…Dureste,celafaisaitunmomentqu’ilavaitenviedelarevoir,surtoutaprèslafinduprocès.Ses innombrables occupations l’avaient empêché de mettre son projet à
exécution.—Allez-vousdansleVermont?C’était tout ce qu’il avait pu tirer de Taylor, dont les yeux tristes et la mine
morose l’avaient intrigué… Elle fit oui de la tête. Ils avaient pris place dans labibliothèqueoù tant d’événements pénibles s’étaient déroulés ces derniersmois.Mariellesouritàsonvisiteur.ElleappréciaitlafaçondontilavaitdéfenduCharleset, bien qu’elle comptât parmi les témoins à charge, il l’avait traitée avec uneexquisedéférence.—Oui,Teddyetmoiavonsbesoindecalme,répondit-elle,alorsqueHaverford
servaitlecaféavantdes’éclipser.—Commentva-t-il?
Ilsedemandaenmêmetempssielleneregrettaitpasdequittercettesplendidedemeure, et elle sourit de nouveau, comme si elle avait deviné ses pensées.Oh,non,aucunregretnevenaitentacherlajoieéclatantedepartir.— Beaucoup mieux. Il fait toujours des cauchemars et refuse obstinément
d’évoquercequis’estpassé.—Uneréactionaussisainequecompréhensible.Lekidnappingallaitlemarquertoutesavie,tousdeuxlesavaient.Etsijamaisil
apprenait que son propre père avait été l’instigateur de l’enlèvement…Marielleespéraitqu’ellepourraitluicachercedétaillepluslongtempspossible.Tompensaqu’elleauraitputernir,àjamais,l’imagedeMalcolmdansl’espritdesonfils.Maisnon,elleétaittropdécente,trophonnêteetfièrepourtirerprofitdelasituation.—Etvous?Commentallez-vous?s’enquit-il.Pasdemigraines?Ellen’enavaitpluseuuneseuledepuislafinduprocès.Pourlapremièrefoisde
savie,ellesesentaitguérie.Commesi,au termedecette terribleépreuve,elleétaitsortievictorieusedesfantômesdupassé.—Jevaisbien,merci.Jusqu’alors, elle n’avait guère été sensible au charme de l’avocat. Pour la
premièrefois,elleletrouvaséduisant.Ilétaitindéniablementbelhomme,danssonpantalon blanc et son blazer marine, se dit-elle en détournant la tête pourdissimulersesjouesenflammées.—Marielle…Jevoustéléphoneraiquandvousserezàlacampagne.Elleseretourna,lesyeuxétonnés.Àquoirimaitcettephraseincongrue?Est-ce que par hasard, il avait accepté de défendre Malcolm ? La main
rassurantedeTomeffleuralasienne.—Jemesuismalexprimé…jevousdemandepardon…Bonsang!ilsecomportaitcommeuncollégien!Cettefemmel’intimidaitetpas
uniquementparcequ’elle lui rappelait sonancienneépouse.Àsesyeux,Marielleincarnait l’intégrité, la loyauté, lagrandeurd’âme.Labeautéabsolue.C’étaitunêtreexceptionnel,unêtrequ’onnerencontrequ’unefoisdanssavie.Pendantlesdixdernièresannées,ellen’avaitpaseudechance.Tomespéraitquecelachangerait,quandMariellereviendraitàNewYork.—Avez-vousletéléphonedansleVermont?s’inquiéta-t-il.Marielleétouffaunrire,n’osantcroirequeTomArmourluifaisaitlacour.Mais, sous son air de businessman éternellement accaparé par son travail,
vibraitl’ondepuissanted’uneémotionsingulière.—Jecroisquejepartagerailalignedemesvoisins,dit-elle,incertaineencorede
l’attraitqu’elleexerçaitsurlui.—Parfait.Vosvoisinsprofiterontdetouslespotinsquejevousraconterai.Elleréponditparunsourire.Ellen’aspiraitqu’àunepaisibleretraite,justement,
àl’abridelafièvredel’immenseville,expliqua-t-elle.Oh,elleneresterait là-bas
quequelquesmois,jusqu’àl’ouvertureduprocèsdeMalcolm.Àsonretour,ellechercheraitunappartementpourelleetpourTeddy…Certes,elles’entoureraitd’unconfortmodeste,maisellepouvaitparfaitementse
passerdedomestiques.—Serait-cetroptôtsi…si…murmura-t-il,lespommettesenfeu,siquandvous
reviendrez,je…vous…Sa phrase se perdit dans un gémissement. Il avait pensé à elle pendant des
semaines, avait patiemment pesé chaque mot de son discours, et le voilà quibredouillaitlamentablement,privésoudaindesacélèbreéloquencedeplaideur.Ilinspiraprofondémentavantdeprendredélicatementlapetitemaintransparentedesonhôtesse.— Marielle, vous êtes une femme extraordinaire. J’aimerais mieux vous
connaître.Ouf!Ill’avaitdit.Ilenéprouvaungrandsoulagement.Maintenant,sonbien-être,sonavenir,savieentièredépendaientdecequeces
lèvresciseléesluirépondraient.—Jevousaiadmiréeaussitôtquejevousaivue,acheva-t-il,lesoufflecourt.Ellerougitdenouveau,confusecommeunejeunefillelorsdesonpremierbal,et
ilcrutdécelerunetendrelueuraufonddesonregardsaphir.— Comment est-ce possible que d’une malédiction jaillissent tant de bonnes
choses?murmura-t-elle.Un sentiment ineffable de gratitude l’envahissait peu à peu. Elle avait enfin
traverséledésert,bravélatempête,vainculesdémonsdupassé.Etlaprovidencel’avaitenfindédommagéedetoutesseslarmes.Ilyeutuntoc-tocàlaporte,puissaplusbellerécompensefitirruption,enpyjamableulavande.—Teddy,qu’est-cequetufaislà?sourit-elle.—Jenepouvaispasdormirsanstoi,répliqualepetitgarçon.Ilgrimpasurlesgenouxdesamère,àl’abridesesbras,etsesyeuxmalicieuxse
fixèrentsurTomavecintérêt.—Maissi,tupeuxdormir.Tudormaisprofondément,quandjesuisdescendue.—Pasdutout.Jefaisaissemblant,déclaraTeddyenétouffantunbâillement.Mariellefitlesprésentations,etTomdit:—Ilparaîtquevouspartezdemainàlacampagne.—Oh, oui, rétorqua Teddy, fier commeArtaban.Nous aurons des poules, des
vachesetdeschevaux.Mamanaditquejemonteraiunponey.—Moiaussijepassaismesvacancesd’étédansleVermontquandj’avaistonâge,
souritTom.SonregardcroisaceluideMarielle,par-dessuslatêteblondedupetitgarçon.Ilenavaitsuffisammentdit.Etelleavaittrèsbiensaisisesintentions,auxquelles
elleavaitréservéunaccueilfavorable.—Vousavezeuunponeyaussi?s’enquitTeddy.Cet hommeétait bien plus sympathique que l’autre, celui deCentral Park, qui
était venu voir sa mère dans l’après-midi, pensa-t-il. Bien sûr, son papa luimanquait,parfois…D’aprèsmaman,ilétaitpartifaireunlong,untrèslongvoyage,dansunpayslointain,l’Afriquepeut-être…Entoutcasquelquepartoùiln’yavaitrien,pasmêmeletéléphone.—Oui,j’enaieuun,déclaraTom.J’avaisunevache,également,etj’avaisappris
àlatraire.Jetemontreraicommentonfait,sijeviensvousvoirlà-bas.— Vous viendrez nous voir ? voulut savoir le petit garçon, de plus en plus
intéressé.— Je viens juste d’y penser… – Il avait pourtant, précédemment, décidé
d’attendre le retour deMarielle àNewYork –.Cen’est pasunemauvaise idée,n’est-cepas?LesouriredeMariellelerassura.Ehbien,ilavaiteuraisondeluirendrevisite
aujourd’hui.S’ilavaitcédéàsesréticences,ilauraitpassélesprochainsmoisdanslapluscruelledesincertitudes.—…peut-êtreviendrai-jepourunweek-end.Ilconnaissaitunexquispetithôteldanslesenvirons.LavisiondeMarielle,Teddy
etlui-mêmesepromenantdanslaforêtl’enchanta.—Voussavezmonteràcheval?demandaTeddyd’unevoixsérieuse.—Oui,jecroisquejesaisencore,ritTom.—Sivousavezoublié,jevousmontrerai,offritgénéreusementlepetitgarçon,et
toustroissemirentàrire.Peuaprès,ilsallèrentexplorerlacuisineàlarecherchedecookies.Haverford
s’étaitretirédanssesquartiers.Levieuxmajordomedevaitfairesesvalises,pensaMariellenonsansémotion.Luiaussiétaittristedelesquitter.MaisilavaitrefuséderesterauservicedeMalcolmet,desoncôté,Mariellen’avaitguèrelesmoyensd’assurersonsalaire.Elleavaitacceptéunemodestepensionalimentaireetn’envoulaitpasplus.QuandTeddyseraitplusgrand,ilhériteraitdelafortunecolossaledesonpère.Tomtenditunverredelaitaugarçonnet,tandisqueMariellesortaitlesderniers
cookiesauchocolat.Toustroissemirentàbavarder,passantducoqàl’âne,etilétaitprèsdeonzeheuresdu soirquandTomprit congé. Il avait aidéMarielleàcoucherTeddyetmaintenant,aumilieuduvestibuleencombrédemallesdevoyage,illadévisageapendantunelongueminute.—Mercidem’avoirreçu,murmura-t-il.J’aipasséunmerveilleuxmoment.L’enviede toucher lapeausatinéedesoncouetdeses joues lebrûlaitmais il
commandaàsesmainsderestersages.—Jesuisraviequevoussoyezvenu.
Elle était sincère…Etdéconcertée…Lavie vous réserveparfoisdedrôlesdesurprises. Une simple visite et, soudain, s’ouvraient des horizons nouveaux,insoupçonnés.JohnTaylorluimanquait.Sansdouteluimanquerait-iltoujours.Maiselleavaitprislabonnedécisionetellelesavait.Ettoutàcoup,alorsqu’ellevenaitd’opterpourunesolituderéparatrice,l’arrivéedeTomavaittoutremisenquestion.— Je n’ai pas encore eu l’occasion de vous féliciter, dit-elle. Vous avez été un
défenseurpleindetalentpourCharles.Il la regarda intensément, cherchant à déceler dans le miroir bleu de ses
prunelles leséblouissantes visionsd’unbonheurà venir…Marielle etTeddyà lacampagne,souslesarbresruisselantsdesoleil…Lesmêmesplustard,àNewYork,où Tom les attendrait, prêt à les chérir et à les protéger pour toujours… Sansréfléchir davantage, il avança lamain, ses doigts se refermèrent sur le bras deMariellepuisill’attiracontrelui.— Ne pensez plus au procès. Ne pensez plus aux mauvais jours. Pensez
seulementàTeddysursonponey.Lepasséétait révolu.CeluideMariellecomme le sien.Finis, la souffrance, la
peuretledésespoir.Leursregardsserencontrèrent.—Vousmemanquerezquandvousserezàlacampagne,chuchota-t-il.Lepire,c’étaitqu’ildisaitvrai.Oneûtditqu’ilsseconnaissaientdepuistoujours.
Tom avait l’impression étrange d’avoir déjà vécu avec Marielle, de tout savoird’elle,jusqu’aumoindredétail.— Vous me manquerez aussi, sourit-elle, décontractée pour la première fois,
depuisdesannéespeut-être.Nousvousappellerons.—Jevousappellerailepremier.–Soigneusementnoté,lenumérode téléphone
dormaitdanssoncarnetd’adresses,contresoncœur.–Soyezprudenteauvolant.Sansvraiments’enrendrecompte,commeàsoninsu,ill’étreignit,etelleferma
lesyeuxquandellesentitseslèvressurlessiennes.—Bonnenuit,Marielle.Àbientôt.Encore un regard. Un long regard empli d’une douce promesse. La porte se
refermasurTom,sonpass’éloignadansl’alléeenfaisantcrisserlesgraviers.Unevoituredémarra.Lajeunefemmen’avaitpasbougé.Oui,lavievous jouait
dedrôlesdetours.C’étaitbizarre.Onnesavaitjamaiscequiallaitvousarriver.Onnepouvait présager de rien…N’avait-elle pas cru finir ses jours avecCharles ?Puis,quandelleavaitaccordésamainàMalcolm,n’avait-ellepasespéréquecelui-ci laprotégerait jusqu’à la findes temps?Pourtant,riennes’étaitpassécommeellel’avaitprévu.Etaprèsl’enlèvementdeTeddy,lorsqu’elleavaitcruqu’ellenelereverraitplus,ilavaitreparu.Marielles’étaittrompéesurtoutelaligne,surtout.Dieumerci,pourtoutcequiconcernaitTeddy…Sonpetitgarçonétaitdenouveaulà,leresteimportaitpeu.Teddyreprésentaitlamiroitanteétoiled’espoirquiavaitguidéMarielleàtraverslesténèbres…PourTeddyelleavaitcontinuéàvivre.Lesautresn’étaientpluslà.
Les cauchemars, les fantômes, les mauvais rêves s’étaient dissipés comme lebrouillardsouslesoleilardent.Iln’yavaitplusqueTeddyetelle.Leschagrinslesavaient fortifiés. Et leur séjour dans le Vermont, elle le savait, serait commeunintermède enchanteur avant le début d’une nouvelle vie. Car Tom Armour lesattendrait,avecsatendresse,sonaffection,sagentillesse…Unenouvellehistoire.Leursrêvesseréaliseraient,oupeut-êtrepas.Elleespéraitqueoui,detoutessesforces.Commeelleespéraitque,plusjamais,aucuncauchemarneviendraithanterleursnuits.Ilspartirentlelendemain.LevieilHaverford,depuisleperron,suivitduregard
l’antiqueBuickquiavaitappartenuàMalcolmetquiemportaitMarielleetTeddyverslacampagne.Lemaîtred’hôtelavaitconnuMmePattersonduranttoutescesannées où elle avait été mariée à M. Patterson. Il avait vu naître le jeuneM.ThéodorePatterson.Etmaintenant,ilsétaientpartis,partisversuneautrevie.Il tourna laclédans laserrure,puis la fitglisserdansuneenveloppeadressée
auxavocats.Lademeureétait vide, la familledisséminée. Ildescendit lentementl’allée,sonbagageàboutdebras,afindehéleruntaxi.Enrefermantlesgrilles,ilsouhaitamentalementbonnechanceàMarielleetàsonfils…Aumêmemoment,lajeunefemmeengageaitlaBuicksurlepontdeBrooklyn.Etsurlechemindutribunal,TomArmourlaissaitsespenséesvoguerverselle…
etversTeddy.
DUMÊMEAUTEUR
CHEZLEMÊMEÉDITEUR
AlbumdefamilleLaFindel’étéIlétaitunefoisl’amourAunomducœurSecretsUneautrevieLaMaisondesjoursheureuxLaRondedessouvenirsTraverséesLesPromessesdelapassionLaVagabondeLovingLaBelleVieUnparfaitinconnuKaléidoscopeZoyaStarCherDaddySouvenirsduVietnamCoupsdecœurUnsigrandamourJoyauxNaissancesLeCadeauAccidentPleinCielL’AnneaudeCassandraCinqJoursàParisPalomino
LaFoudreMalveillanceSouvenirsd’amourHonneuretCourageLeRanchRenaissanceLeFantômeUnrayondelumièreUnmondederêveLeKloneetmoiUnsilongcheminUnesaisondepassionDoubleRefletDouce-AmèreMaintenantetpourtoujoursForcesirrésistiblesLeMariageMamieDanVoyageLeBaiserRuedel’EspoirL’AiglesolitaireLeCottageCourageVœuxsecretsCoucherdesoleilàSaint-TropezRendez-vousAbonportL’AngegardienRançonLesEchosdupasséSecondeChanceImpossibleEternelsCélibatairesLaClédubonheur
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[1]Carreauxdefaïenceémailléedecouleurbleue.
[2]NomallemanddeKlaipeda.
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