Download - Couture - Le Syncrétisme Des Chrétiens Réincarnationnistes, Religiologiques (1993)

Transcript
  • LE SYNCRTISME DES CHRTIENSRINCARNATIONNISTES:

    ANALYSE D'UN DISCOURS THOLOGIQUE

    Andr Couture1 ___________________________________________________

    Plutarque (c.46-120) est le premier auteur utiliser le motsyncrtisme dans un passage d'un trait sur l'amour fraternelo il donne l'exemple des Crtois qui se rconciliaient et secoalisaient quand un ennemi de l'extrieur les attaquait2 . Leterme fut adopt par l'Europe l'poque de la Renaissance quandrasme (?1466-1536) lui consacra un paragraphe de ses Adages(introduit probablement en 1517/18). Dans une lettre Melanchton date du 22 avril 1519, le mme auteurrecommandait aux gens de lettres en butte la haine desyncrtiser comme les anciens Crtois, car, disait-il, laconcorde est un puissant rempart3 . Le mot sera ensuitemaintes fois repris, et le plus souvent pour dsigner un accordfragile fond sur l'opportunisme (Zwingli, en 1525; Butzer, en

    1 Andr Couture est professeur la facult de thologie et au

    programme de sciences humaines de la religion de l'UniversitLaval.

    2 De l'amour fraternel, trait 31, no 19, dans Plutarque. uvresmorales. Tome VII. Premire partie: Traits de morale (27-36),texte tabli et traduit par Jean Dumontier, 1975, pp. 168-169. Ceparagraphe doit beaucoup aux recherches de P.-H. Poirier dans lecadre d'un sminaire portant sur la notion de syncrtisme que nousavons donn ensemble l'hiver 1988 la Facult de thologie del'Universit Laval.

    3 Collected Works of Erasmus, Tome xxx: Adages, translated byMargaret Mann Philipps, annotated by R.A.B. Mynors, I i 11,pp. 60-61.

  • Andr Couture

    2

    1531; etc.).4 Les protestants discutrent pendant tout le XVIIe

    sicle d'ventuels compromis avec l'glise romaine. Tandisqu'un luthrien comme G. Calisen dit Calixte (1586-1656) semontait ouvert au syncrtisme au sens o il favorisait unrapprochement doctrinal entre les catholiques et les protestants,A. Calov dit Calovius (1612-1685) ridiculisait le syncrtisme etl'effort d'harmonisation qu'il reprsentait. l'unionisme ou l'irnisme des uns s'opposait le strict rigorisme thologique desautres.5 Plutt que d'insister sur l'ide d'alliance que recelait levocable grec de Plutarque, on prfrait une explication de ceterme par un verbe grec de consonnance similaire mais signifiantmlanger, mler.

    Quoi qu'il en soit de ces querelles souvent byzantines, ilreste que l'utilisation thologique moderne du mot syncrtismene se comprend que sur ce fond historique. Dans les articlesclectisme et Syncrtistes, Hnotiques, ou Conciliateursqu'il a rdigs pour l'Encyclopdie, Diderot (1713-1784)prconisait l'clectisme comme la seule vritable dmarchephilosophique; il peignait par contraste le syncrtisme comme unhabile pacificateur cherchant faire concorder les vrits les pluscontraires, se contentant d'-peu-prs et d'emprunts multiplesmal tays. La notion de syncrtisme s'est introduite au XIXe

    sicle dans le champ des sciences religieuses, et il semble quel'influence d'Ernest Renan (1823-1892) ait t cet gard

    4 Un certain Windeck proposait en 1604 aux catholiques soucieux de

    favoriser l'essor du peuple chrtien de cultiver le syncrtisme. Et en1615, D. Pareus de Heidelberg exhortait les protestants un pieuxsyncrtisme contre cet ennemi commun qu'est l'Antichrist [cf. JohnHenry Blunt, Dictionary of Sects, Heresies, Ecclesiastical Parties,and Schools of Religious Thought , Ann Arbor, Gryphon Books,1971, p. 585 (1re d.: Londres, 1874)].

    5 Voir R. Pillorget, Le problme du syncrtisme, dbat majeur ausein du protestantisme allemand du XVIIe sicle, dansL'Information historique 32, 1970, pp. 210-215.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    3

    importante6 . Persuad du progrs ncessaire et continu de l'trehumain, Renan pensait que le syncrtisme caractrisait l'tatenfantin et irrflchi de l'humanit, qu'il prcdait la phased'analyse laquelle les sciences historiques de son tempscontribuaient de toutes leurs forces, et que se prparait peu peuune synthse venir ncessairement fonde sur un sainclectisme. Les livres religieux, les sectes orientales, les gnoseslui fournissaient alors autant d'exemples de confusionssyncrtiques, de conglomrats tranges qu'il fallait dpasser pourarriver au but vis.

    Ces quelques repres historiques montrent le caractrequivoque du terme syncrtisme. Il renvoie un effort deconciliation, parfois pour l'encourager, surtout pour lecondamner. En fait, la catgorie de syncrtisme a longtempsrelev (et relve souvent encore) non pas de l'analyse historiqueou anthropologique, mais plutt de la rhtorique. Renan et sespigones peroivent le syncrtisme comme une premire tapepar laquelle passent ncessairement les humains de toute culture.Il est certes possible d'enregistrer des manifestationssyncrtiques, ventuellement de tirer parti de ces conglomratstranges pour y dcouvrir des bribes d'histoire. Qu'ilsappartiennent au state puril pr-analytique ou tmoignent d'unedgnrescence ultrieure, ils dfient toute analyse rigoureuse.Pour que ce concept de syncrtisme puisse devenir vritablementopratoire en sciences des religions, il faut prendre consciencequ'il a longtemps t utilis comme un jugement premptoire7 plutt que comme un instrument destin analyser desphnomnes religieux ou culturels.

    Je voudrais donc poser nouveau la question de lapertinence de cette notion de syncrtisme partir d'un dossier

    6 C'est du moins ce que je suggre dans un article rcent: A. Couture,

    Le recours la notion de syncrtisme chez Renan, dans MichelDespland (dir.), La tradition franaise en sciences religieuses.Pages d'histoire , Les Cahiers de recherche en sciences de lareligion (Universit Laval), vol. 10, 1991, pp. 57-84.

    7 Couture, loc. cit., p. 83.

  • Andr Couture

    4

    qui me semble typique des ambiguts qui l'entourent. En effet,depuis une quinzaine d'annes, des thologiens et pasteurschrtiens, catholiques ou protestants, taxent volontiers desyncrtistes les chrtiens qui sont tents d'accepter larincarnation8 . Convaincus que la rincarnation est trangreaux intuitions les plus fondamentales du christianisme, ceschrtiens brandissent le syncrtisme comme une arme pourdfendre leur propre puret doctrinale. Les rflexions quisuivent veulent faire tat de ce dossier, prsenter quelquesrflexions sur la faon dont les sciences des religions abordentaujourd'hui la question du syncrtisme, et finalement procder une analyse des arguments qui sous-tendent l'utilisation de ceterme.

    Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    Pour bien marquer l'impossibilit d'introduire larincarnation l'intrieur du christianisme, certains thologiensou vulgarisateurs chrtiens parlent volontiers de la rincarnationcomme d'une doctrine floue, indcise, confuse, et dnoncent

    8 J'utilise ici le mot rincarnation la faon des rincarnationnistes

    actuels et de leurs opposants chrtiens, i.e. en gnralisant sonemploi toutes les situations historiques particulires. En fait, lemot rincarnation s'est impos vers 1860, vraisemblablement sousl'influence d'Allen Kardec. C'tait le nologisme dont on avaitbesoin pour bien marquer l'opposition entre la mtempsycose desGrecs et des Orientaux, considre comme une croyance dgnre,et une mtempsycose ascendante, lie l'ide d'une me quiprogresse, et cense tre le vritable enseignement des vraiesspiritualits. Les textes grecs parlent de palingnsie(renaissance), galement de mtempsycose (litt. animation ensuccession); les textes hindous sanskrits, de punarjanman (re-naissance), de punarbhava (r-apparition), de punarvritti (re-tour), de samsra (circuit, transmigration), de patisamdhi (r-union, re-jonction), etc., et avec dans chaque cas des nuancesparticulires.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    5

    l'alliage rincarnation-rsurrection comme une sorte debricolage, une forme de syncrtisme.

    Le thme de la rincarnation est un thme diffus, noteLaurent Schlumberger. J'entends ce mot dans un double sens.Ce thme est diffus d'abord parce qu'il est prsent dans denombreuses sphres culturelles et religieuses, qui n'ont parfoisrien voir les unes avec les autres. () Mais ce thme estdiffus galement dans un second sens: il n'est pas dveloppdans un corpus de textes admis par tous ceux qui adhrent l'ide de la rincarnation. Il n'y a donc pas de recueil detmoignages ou encore d'laboration thorique qui fasseautorit.9 Cette croyance trs souple peut en effet s'adapter toutes sortes de systmes culturels et religieux trs diffrents(religions archaques, orientales, monothismes). Larincarnation, poursuit Schlumberger, est en Occident presquetoujours vue positivement alors qu'elle est en Orient une fatalittragique dont on espre tre libr.10 Pourtant cette souplesseest moins perue comme une qualit que comme une caused'ambigut. La souplesse, conclut-il, est ici devenue distorsionou encore, selon l'expression d'un auteur, "du syncrtisme et dubricolage".11

    Joseph Thomas: Rincarnation transmigration desmes existences plurielles, le vocabulaire est vari. Lessources d'inspiration sont aussi diverses. L'Orient, l'Indespcialement, est pour beaucoup la rfrence premire. () Onoublie toutefois que pour l'hindouisme la rincarnation est unmalheur. () Nous sommes donc en prsence d'une croyanceaux contours indcis.12 Mme si une telle croyance, diffuse,

    9 Laurent Schlumberger, La rincarnation. Essai d'analyse et de

    critique d'une croyance populaire occidentale, dans Aujourd'huicredo, mai 1991, p. 9.

    10 Ibid.11 Louis-Vincent Thomas, dans Rincarnation, immortalit,

    rsurrection, Bruxelles, p. 20.12 Joseph Thomas, Rsurrection ou rincarnation?, dans tudes, fv.

    1991, pp. 236-237.

  • Andr Couture

    6

    confuse mme, est de mode13 , il faut la dnoncer et montrerqu'elle est absolument incompatible avec la foi chrtienne.

    Aprs avoir rpondu des questions destines manifesterles divergences entre la doctrine de la rsurrection et lathorie de la rincarnation, Pierre Bougie conclut: Larincarnation est une thorie errone et nbuleuse, mme si elle ades partisans de bonne foi.14

    Dans Menus propos sur la rincarnation, RichardBergeron qualifie la croyance en la doctrine de la rincarnationde salade fort dplaisante par son manque de srieux et derigueur intellectuelle.15 Il est donc important, note-t-il, dedistinguer rsurrection et rincarnation. Beaucoup d'adeptes dela rincarnation confondent allgrement les deux notions et enfont un alliage qui sonne creux. Il faut distinguer pour unir. Ce quoi il faut tendre, ce n'est ni la fusion, ni l'unit descroyances, c'est l'union dans la diffrence. L'union qui nie ladiffrence est pige et oppressive. Et l'unit qui jaillit de lafusion n'est que confusion.16 Le mme auteur conclut ailleurs l'impossibilit thorique d'intgrer la doctrine de larincarnation dans l'difice doctrinal de la foi chrtienne.Certains chrtiens pensent que cette impossibilit thorique neprjuge en rien de la possibilit pratique d'une coexistenceconcrte de la croyance en la rincarnation et de la foichrtienne. Et ils prtendent vivre cette coexistence avec profit.Toutefois, notre avis, cette inclusion concrte de larincarnation dans la pratique de la foi chrtienne ne peut se faire plus ou moins long terme qu'au dtriment de la puret, de laspcificit et de la qualit de la foi. Puisque la rincarnation estun lment tranger au christianisme, son incorporation dans la

    13 Ibid., p. 238.14 Pierre Bougie, Questions sur la Bible et la foi , Charlesbourg

    (Qubec), Les d. Le Renouveau, 1987, p. 47.15 Richard Bergeron, Menus propos sur la rincarnation, dans

    Relations, vol. 42, n 480, mai 1982, p. 136.16 Ibid., p. 138.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    7

    vie chrtienne risque d'apporter, la longue, plus de confusionque de lumire.17 Le Cortge des fous de Dieu illustraitd'ailleurs justement le syncrtisme douteux propre la gnosepar l'exemple de la fusion entre la rincarnation orientale et larsurrection chrtienne18 .

    Jean Vernette utilise un vocabulaire similaire. L'adhsion la rincarnation telle qu'elle est vcue aujourd'hui en nos pays estl'une de ces croyances floues caractrisant la nouvelle religiositdiffuse de la fin du sicle.19 Ici encore, le jugement port surl'essai de rapprochement entre rincarnation et rsurrectionapparat comme un cas particulier du syncrtisme qui seraittypique de l'occultisme et du spiritisme20 .

    Syncrtisme et science des religions

    Inutile de multiplier les citations. Elles ne feraient querpter que la rincarnation est un enseignement confus et quecette confusion trahit son origine gnostique. La gnose est parnature vague, mallable, sans ossature. Elle se plat combinerles doctrines les plus disparates. Le systme gnostique,affirmait Edmond Robillard, est le plus camlon qui soit: il n'apas de couleurs propres; il ne se prsente qu'en pousant celle dumilieu o il diffuse sa propagande.21 La rincarnation, comme

    17 Richard Bergeron, Un chrtien face la rincarnation , Ottawa,

    d. Novalis, 1985, p. 60.18 Richard Bergeron, Le cortge des fous de Dieu , Montral,

    d. Paulines, 1982, p. 427.19 Jean Vernette, La rincarnation dans la nouvelle religiosit, dans

    Lumire et vie , vol. 38, n 195, dc. 1989, p. 5.20 Ibid., p. 6; voir Jean Vernette, Rincarnation, rsurrection.

    Communiquer avec l'au-del. Les mystres de la vie aprs la vie ,Mulhouse, Salvator, 1989, p. 32, 58.

    21 Edmond Robillard, La libration du cycle des naissances: gnose oursurrection chrtienne, dans Nouveau dialogue 35 (mai 1980), p.29.

  • Andr Couture

    8

    la gnose dont elle serait issue, apparat donc comme une doctrinevague, confuse, indcise, indtermine, fantaisiste.

    On croirait reconnatre les propos de Renan au sujet desgnoses hellnistiques. Pour des raisons qui sont certesdiffrentes, mais qui ne sont pas plus explicites dans un cas quedans l'autre, rincarnation et gnoses se trouvent stigmatisesdans des termes peu prs semblables. Renan ne pouvaitanalyser les crits gnostiques qui, juges l'aune de son schmevolutionniste, apparaissaient comme une rgression l'tatenfantin et son fatras de purilits. Les chrtiens quidnoncent les amalgames gnostiques le font le plus souvent aunom d'un attachement inconditionnel leur foi en la rsurrectionet sans tre capable de se poser la question du sens que pourraitavoir un christianisme qui intgrerait la rincarnation. Unchristianisme diffrent ne peut tre pour eux qu'un mlangeconfus. Notons cependant qu'un jugement si catgorique n'estpas le fait de tous les chrtiens. Dans un effort remarquable pourcomprendre le discours des adeptes de la rincarnation, le groupede rflexion chrtienne qui signe Pascal Thomas ne craint pasd'affirmer que ni la rincarnation, ni la rsurrection ne sont descroyances monolithiques. L'une et l'autre peuvent se prter desinterprtations diverses. Tantt la rincarnation met l'accent surles faits exprimentaux; tantt elle est d'abord spirituelle.Tantt elle implique le retour d'une me ou d'une ralitspirituelle humaine dans un corps; tantt, comme en Afrique,elle se contente d'indiquer une relation privilgie entre teldfunt et tel vivant. Tantt elle permet de rattraper un chec;tantt elle dfinit une volution positive. Mais la croyance en larsurrection apparat galement sous de multiples visages. Ellepeut se prsenter comme l'essentiel de la foi chrtienne; elle peutattester la divinit de Jsus ou bien marquer l'achvement de lacration; elle peut insister sur le corps ressuscit ou se formuleren termes plus spirituels, etc.22 L'ide de rsurrection peut donctre envisage de diverses faons l'intrieur mme du

    22 Pascal Thomas, La rincarnation, oui ou non? , Paris, Le

    Centurion, 1987, pp. 121-123, presque textuel.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    9

    christianisme. Mais il faudrait ajouter qu'elle possde desharmoniques encore plus spcifiques dans le judasme, dansl'islam ou dans le mazdisme.23 Le mot rsurrection n'estpeut-tre pas si univoque qu'il ne semble. Comme larincarnation, il peut aussi apparatre comme un terme gnralsusceptible de recevoir des sens diffrents selon l'ensemblereligieux l'intrieur duquel on l'envisage.

    Les mots de mlange ou de syncrtisme utiliss dans notredbat renvoient d'abord au caractre composite de mouvementsspirituels comme la Socit thosophique de Mme Blavatsky,l'occultisme de Papus, ou tant d'autres nouvelles religionscontemporaines. Doit-on conclure que ces nouvelles religionsseraient des entits polymorphes uniquement capables deparasiter les grandes religions? Il me semble plus raliste depenser que tout ensemble religieux ou spirituel se construit partir de matriaux recueillis dans les cultures environnantes.On connat la fameuse distinction de W.C. Smith entre traditionreligieuse et personne religieuse. Une telle distinction permet depenser la question du syncrtisme d'une faon qui respecte lafois la foi du croyant et les sciences historiques. La traditionreligieuse est l'expression spatio-temporelle de la foi depersonnes religieuses. Elle est la cristallisation un momentdonn des multiples interventions de personnes croyantes et deleurs interactions avec un milieu qui leur est souvent hostile.

    A religious tradition, then, is the historicalconstruct, in continuous and continuingconstruction, of those who participate in it.These are in interaction, also, and this can behighly significant, with those who do notparticipate. They are in interaction also, andthis too can prove highly relevant, with a totalenvironment that may include earthquakes or

    23 Voir l'article Resurrection de Helmer Ringgren dans Mircea

    Eliade, The Encyclopedia of Religion , New York, MacmillanPublishing Company, 1987, tome 12, pp. 344-350.

  • Andr Couture

    10

    modern medecines, moonlit lakes or tyrannousgovernments.24

    Cette tradition que W.C. Smith appelle justement latradition cumulative est prcisment celle qu'analyse l'histoiredes religions et qui lui parat en osmose constante avec une oudes cultures. Le christianisme n'chappe videmment pas cettetradition cumulative. Il s'est lui aussi form par emprunts, parassimilations, par cumuls, ou si l'on veut par syncrtisme.25 Oncomprend alors que Dario Sabbatucci26 , qui se situeexclusivement d'un point de vue positif et qui refuse auxreligions toute ralit autre que socio-historique, en arrivegalement nier que le syncrtisme corresponde unphnomne spcifique objectivement reprable.

    L'anthropologue Marc Aug explique la ralit sous-jacenteau syncrtisme par la logique du cumul. Il affirme que toutereligion est syncrtique en ce qu'elle a affaire sa proprehistoire, appele par l mme, d'une part, rpondre denouvelles demandes et de nouvelles situations, d'autre part, se situer incessamment par rapport ses fondements ou sesarrire-plans mythiques.27 Les religions s'ajustent la

    24 Wilfred Cantwell Smith, The Meaning and End of Religion ,

    Fortress Press Ed., 1991 (1re d. 1991), pp. 165-166.25 W.C. Smith pose explicitement la question du syncrtisme en

    traitant de la tradition cumulative, voir op. cit., p. 158, note 4 etp. 316. Pour une analyse du christianisme en tant que traditioncumulative, on pourra se reporter la synthse de Jean Ppin,Survivances mythiques dans le christianisme ancien, dans YvesBonnefoy (dir.), Dictionnaire des mythologies , Paris, Flammarion,1981, tome 2, pp. 469-475.

    26 Dario Sabbatucci, Syncrtisme, dans Encyclopdia Universalis ,tome 15, Paris, Encyclopdia Universalis France S.A., 1973,pp. 655-656.

    27 Marc Aug, Les "syncrtismes", dans Le grand atlas desreligions, Paris, Encyclopdia Universalis France S.A., 1988,

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    11

    nouveaut qui les environnent en ajoutant ce qu'elles sont;mais elles ne peuvent rester fidles elles-mmes sans repensergalement leurs fondements et sans justifier ces additions auniveau le plus fondamental.28 Toutes les religions ne ragissentcependant pas de mme faon la nouveaut, et Aug en arrive distinguer les polythismes paens qui conoivent sans effortl'addition des dieux aux dieux des religions comme lechristianisme ou l'islam qui sont davantage conscientes depossder une identit particulire et une cohrence propre. Cesdernires religions ragissent aux provocations extrieures et setransforment comme tout phnomne historique, mais elles ontaussi dvelopp une conscience d'tre originales en matire dedoctrines, de rites et d'institutions qu'elles dfendent parfois defaon agressive.

    Alors que les polythismes se satisfont d'une logique decumul ou d'additon, ces autres religions rsistent chacune leurfaon aux interfrences avec d'autres organismes semblables etconcurrents et peuvent donc en arriver plus facilement dfendre leur identit en dveloppant une argumentation faisantintervenir la notion de syncrtisme. On pourrait dire qu'il sepasse dans ces religions la mme chose que dans les langues.29 Toute langue est le fruit la fois d'une volution interne et leproduit de l'assimilation d'lments extrieurs la suite decontacts, d'emprunts, etc. La linguistique structurale prfreconsidrer les langues comme des systmes clos et autonomes decommunication rgis par des lois phonologiques prcises.

    p. 130; voir galement Marc Aug, Gnie du paganisme , Paris,Gallimard, 1982.

    28 Ce langage sociologique n'est pas sans rapport avec la distinction deW.C. Smith entre tradition cumulative et foi personnelle.

    29 Stanislav Segert suggre d'tudier les questions de syncrtismereligieux en utilisant des concepts labors par exemple par lalinguistique, mais sans dvelopper ses intuitions (cf. SomeRemarks Concerning Syncretism, Birger A. Pearson, ReligiousSyncretism in Antiquity. Essays in Conversation With GeoWidengren, Missoula (Ma), Scholars Press, 1975, p. 66).

  • Andr Couture

    12

    D'autres linguistes sont d'avis qu'il faut aussi tudier lesinterfrences des langues entre elles et la faon dont cessystmes se modifiaient dans des conditions de bilinguisme, deplurilinguisme, de contacts varis. De mme, les spcialistestudient les religions soit comme des systmes ferms possdantune cohrence propre, soit comme des ralits socio-historiquesen contact les unes avec les autres et pouvant changer entreelles. Les deux approches se compltent plus qu'elles nes'opposent; elles sont toutes deux ncessaires pour comprendreune religion dans toutes ses dimensions. Beaucoup despcialistes pensent que le concept de syncrtisme, conditiond'tre affin, constitue un instrument utile pour analyser leschanges complexes d'une religion une autre et reprer lesmcanismes complexes qui y jouent.30 Il est normal pour unhistorien de considrer chaque religion un moment donncomme le rsultat prcaire d'une srie de transformations, unesorte d'quilibre rsultant de processus compliqus. Mais certaines priodes de l'histoire ou en certains lieux, il peut aussiarriver que les contacts entre les religions soient si nombreux etimportants qu'il apparaisse absolument ncessaire de considrerles religions du point de vue de la diversit des influences quiont contribu les former. C'est prcisment ce qui s'est pass

    30 Voir Carsten Colpe, Syncretism, dans Mircea Eliade (d.), The

    Encyclopedia of Religion , t. 14, New York, Macmillan Publ.,1987, pp. 218-227; Pierre Lvque, Essai de typologie dessyncrtismes, dans Les syncrtismes dans les religions grecque etromaine. Colloque de Strasbourg (9-11 juin 1971, Paris, P.U.F. ,1973, pp. 179-187; Ulrich Berner, Untersuchungen zurVerwendung des Synkretismus-Begriffes , Wiesbaden,Harrassowitz, 1982. galement les travaux de V. Lanternari, enparticulier Syncrtismes, messianismes, no-traditionalismes(Archives de sociologie des religions , 21, 1965, pp. 99-116) quidistingue les mouvements a-syncrtiques des mouvementssyncrtiques; et ceux de Roger Bastide, en particulier Le sacrsauvage (Paris, Payot, 1975), qui distingue le syncrtisme spontand'un syncrtisme rflchi (pp. 186-200).

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    13

    entre autres dans l'Europe du XIXe sicle et ce qui se passe dansle contexte pluraliste des grandes villes modernes.

    Si l'on accepte de se situer du point de vue socio-historique,il est donc normal que les diffrents spiritualismes des XIXe etXXe sicles soient analyss comme n'importe quelle autrephnomne religieux. R. Bergeron affirme de la rincarnationqu'elle est une construction philosophico-mystique, labore endehors des donnes positives de la foi biblique et [qui] luidemeure totalement trangre.31 On a dit de la thosophie deMme Blavatsky qu'elle tait une reconstruction du modlehindou introduite dans des syncrtismes souvent trangers sonesprit et mixe avec des traditions sotro-occultistes.32 Et detelles affirmations se justifient parfaitement d'un point de vuehistorique. Ces spiritualismes donnent certainement plus que lesgrandes religions l'impression d'tre des constructionsclectiques et artificielles. Mais l'historien se demandera aussi sice n'est pas le fait de tout vnement culturel que de pouvoir treanalys comme une construction originale. Les humains secrent sans cesse de nouveaux difices partir des pierrestailles par d'autres cultures. Ils rutilisent des symboles et desmythes connus et peuvent tenter de se justifier en invoquant unetradition antrieure trs haute malheureusement tombe dansl'oubli. Le christianisme s'est bti sur la bible juive; il a reprisles textes des prophtes, les hymnes du psautier et leur a confrun nouveau sens. D'un point de vue pistmologique, toutethologie implique galement une construction de sens.Envisag sous l'angle des sciences humaines, l'sotrisme estune composition originale; il est le fruit de transactions diverses,de compromis de toutes sortes avec les religions et les sciencesexistantes. Les thologies chrtiennes sont donc des discoursconstruits, au mme titre que les sotrismes modernes, mme siles unes paraissent plus homognes et que les seconds peuvent

    31 Richard Bergeron, Faites vos jeux: rincarnation et rsurrection ,

    Montral, Socit catholique de la Bible/Ottawa, d. Novalis, 1979,p. 15.

    32 Vernette, Rincarnation, rsurrection , p. 32.

  • Andr Couture

    14

    parfois sembler avoir t plus explicitement bricols avec despierres empruntes au hasard des difices existants. Et de cepoint de vue, les uns et les autres sont susceptibles d'treanalyss en tant que syncrtismes.

    En fait, la difficult que l'on ressent percevoir les religionsou les langues comme le produit d'influences varies vient peut-tre de ce qu'on les a d'abord penses comme des touts parfaits etinaltrables. Soumises des lois de nature, religions et languesne pouvaient donc en se mlant que se corrompre et s'abtardir.En considrant les langues comme les religions partir de leurfonction sociale plutt que dans leur puret naturelle, lessciences humaines obligent un total changement deperspective. Les religions comme les langues (en tant que lies une culture et relatives un espace et un temps particuliers)n'ont plus tre parfaites d'une perfection qui corresponde leurtat originel, mais seulement permettre une communicationefficace leur niveau.33 Il n'est plus important qu'elles sortenttoutes armes du cerveau de la divinit; il suffit qu'elles soientdes instruments efficaces au service d'une communaut, desinstruments que la communaut a contribu faonner et qu'ellecontinue amliorer. travers l'accusation de syncrtisme, unecertaine thologie revendique, son insu peut-tre, une religionpure de la puret des origines. Le christianisme apparat commeun pur-sang qui ne doit s'unir rien d'impur. Les prophtesjuifs fustigaient de mme Isral qui se prostituait aux dieuxpaens. Ils sont aussi coupables que ceux qui mlent larincarnation des doctrines chrtiennes censment pures.34 En

    33 On pourra se reporter l'article suggestif de Carl-A. Keller,

    Religions as System of Communication. A Reappraisal of anAnthropological approach, dans Witold Tyloch (d.), CurrentProgress in the Methodology of the Science of Religions , Warsaw,Polish Scientific Publishers, 1984, pp. 119-123.

    34 La croyance l'origine naturelle des langues a t un des principauxfreins l'tude des pidgins et des croles perus ds lors comme deslangues mles, hybrides, et donc dnatures ou abtardies. Voir ce sujet les articles suivants: Andre Tabouret-Keller, Origine et

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    15

    utilisant le mot syncrtisme, la thologie moderne prolonge enfait la polmique anti-catholique des dbuts du protestantismequi a ressuscit ce mot de Plutarque pour bannir de la religioncatholique les mlanges indus et provoquer un retour la puretdes origines bibliques. On risque d'assister alors unesurenchre d'arguments qui dpassent le terrain proprementlogique pour glisser vers une rhtorique facile.

    Analyse de la qualification de syncrtisme dansl'argumentation thologique

    Du point de vue de la science des religions, ce qu'on appellesyncrtisme peut donc s'analyser de deux points de vue. Toutereligion peut tre perue un moment donn comme unensemble plus ou moins complexe de doctrines ou de croyances,de rites ou de pratiques ayant des origines varies, ou issued'horizons culturels diffrents et tre analyse par l'historien entant que syncrtisme. Mais une religion peut tre aussiconsidre sous l'angle du croyant qui s'y est engag et quicherche se situer par rapport des religions ou des positionsreligieuses qui lui semblent inacceptables. Le second emploi dumot syncrtisme intresse davantage l'hermneutique qui veutcerner le fonctionnement d'une argumentation. Qualifier unereligion de syncrtisme, c'est alors la juger incohrente; et, en cesecond sens, le mot comporte souvent une charge affectivedestine discrditer la religion ou la spiritualit ainsi tiquete.Cette utilisation du mot syncrtisme reflte d'abord lesconvictions des croyants qui l'utilisent. Elle se comprend l'intrieur d'une communaut de croyants qui devient plusconsciente de sa spcificit et qui cherche justifier ses positions

    simplicit: des langues croles au langage des enfants, dansEnfance 1979, no 3-4, p. 269-292; et l'inverse de la clart,l'obscurit des langues hybrides, dans Revue de l'Institut deSociologie (Universit Libre de Bruxelles), 1989, 1-2, pp. 19-29. Lemaniement malais de la notion de syncrtisme en histoire desreligions tient sans doute des ambiguts semblables celles quedcrit A. Tabouret-Keller propos des langues.

  • Andr Couture

    16

    doctrinales. Mais cela peut galement vouloir dire que cettecommunaut est incapable d'apprcier l'autre croyant autrementque comme un marginal ou un distant.35 Les argumentsutiliss par les thologiens chrtiens pour condamner chez leschrtiens rincarnationnistes ce qu'ils appellent du syncrtisme,ou par les adeptes de la rincarnation pour dmontrer le caractrechrtien de cette doctrine, sont en fait des tentatives de ces deuxensembles religieux pour se dfinir l'un par rapport l'autre etdmontrer ainsi leur propre cohrence doctrinale. Ce sont leursinteractions en situation de pluralisme qui amnent les religionset les spiritualits affirmer leur identit et dcouvrir ce qui lesdistingue les unes des autres.

    tudier des religions qui s'affirment en contexte pluriel, c'estdonc s'efforcer de dmler les argumentations qu'elles utilisentpour fonder l'originalit et la cohrence de leurs croyances. Jeme contenterai de quelques exemples puiss au corpus des critsrincarnationnistes des dernires dcennies et des texteschrtiens qui ont pris position par rapport la rincarnationpendant cette mme priode. Il me semble que cetteargumentation se prsente sous cinq modalits principales qui sereconnaissent tant chez ceux qui dfendent la rsurrection quechez ceux qui prnent la rincarnation. Chacune de ces formesd'argumentation ne doit pas non plus tre considre commeexclusive d'un auteur: elles se combinent subtilement chez tousceux qui ont particip ce dbat.36

    35 Voir ce sujet les rflexions runies dans Marginalit, distance et

    altrit, dans Nouveau Dialogue, 95, sept.-oct. 1993.36 On pourra consulter l'introduction de A. Couture (avec la coll. de

    M. Saindon), La rincarnation: thorie, science ou croyance? ,Montral, ditions Paulines, 1992; on trouvera un reprage pluscomplet des arguments utiliss par les dfenseurs de la rincarnationet par les chrtiens rincarnationnistes dans Andr Couture, Larincarnation, Ottawa, d. Novalis, 1992, en part.pp. 75-111.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    17

    A. Une argumentation de type traditionnel. L'ide derevenir la tradition authentique ou l'unique tradition est unpremier argument utilis autant par les rincarnationnistes quepar les chrtiens qui s'opposent la rincarnation. Pensant par ldmolir les prtentions des diffrents christianismes (catholique,protestant, orthodoxe), l'sotrisme affirme que la traditionchrtienne vritable a t occulte par un clerg jaloux de sesprrogatives et de son pouvoir. S'il ne reste de la rincarnationdans la Bible que certaines bribes peine perceptibles, c'est toutsimplement qu'on l'en a supprime.37 Il faut donc de toutevidence revenir la doctrine authentique qui doit concider avecl'antique tradition sotrique et arrter de prter foi auxinventions postrieures d'une tradition chrtienne frelate.

    Cette intransigeance peut tonner, mais il est tout aussisurprenant de constater que, pour refuser la rincarnation l'intrieur du dogme chrtien, certains chrtiens font valoir desarguments de mme nature. Il suffit pour cela d'utiliser desparoles bibliques comme des arguments premptoires et sansqu'il soit besoin de situer ces textes dans leur contexte ou des'enqurir plus avant de leur signification. Autrement dit, on saitd'avance la signification que doivent avoir ces textes, parce quel'on connat la direction de la tradition qui doit servir lesinterprter. Je choisirai comme exemple Hbreux 9, 27 qui estun des textes les plus souvent invoqus pour refuser larincarnation et qui se lit comme suit dans la Bible de Jrusalem:Et comme les hommes ne meurent qu'une fois, aprs quoi il y aun jugement, ainsi le Christ, aprs s'tre offert une seule foispour enlever les pchs d'un grand nombre, apparatra uneseconde fois hors du pch, ceux qui l'attendent pourleur donner le salut. examiner cette phrase mme horscontexte, le lecteur attentif comprend que l'affirmation ported'abord sur l'unique sacrifice du Christ, puis sur sa secondeapparition la fin des temps, et non pas sur le fait comme tel dela mort des humains. C'est ce sacrifice unique que l'auteur veut

    37 Noel Langley, Edgar Cayce et la rincarnation , Paris, J'ai Lu,

    1989, chap. 10 et 11.

  • Andr Couture

    18

    clairer en le comparant la mort unique des humains qui paratici comme une vidence assez communment accepte deslecteurs de l'ptre. Mais sous la plume d'apologtes presss decontredire la rincarnation en raffirmant la tradition chrtienne,il suffit de retenir l'lment de comparaison et de le prsentercomme une affirmation de l'auteur biblique. J.M. Nicole ledclare avec nettet: Il est rserv tous les hommes de mourirune seule fois (en note: Hb. 9, 27. C'est ce texte qui contredit leplus formellement, mon sens, la possibilit d'une rincarnation)et de ressusciter une fois la fin des temps (en note: Jn. 5, 28-29).38 Ou encore Jean-Paul Berney: L'ide de la rincarnationn'est-elle pas en trange contraste avec le christianisme? La Bibleenseigne que l'homme n'a qu'une existence passer ici-bas: Ilest rserv aux hommes de mourir une seule fois, aprs quoivient le jugement (Hbreux 9, 27). Cette affirmation del'criture est catgorique.39 L'appel la tradition devienttellement impratif que l'on n'hsite pas dformer le texteinvoqu pour la fonder.

    B. Une dmarche de type spirituel. Au dire de certainsinterprtes qui font partie de l'immense postrit de Joachim deFlore, nous venons d'entrer dans une re nouvelle, dans undernier ge du christianisme o rgne dsormais un Esprit quirelgue la personne de Jsus dans un pass rvolu et quirevendique une perfection qui abolit toutes les figures anciennes.D'aussi hautes vrits ne pouvaient tre comprises par deshumains matrialistes. L'autorit ecclsiastique, soutient ShirleyMacLaine par l'intermdiaire d'une entit du nom de Jean, auraitvoulu "prserver" le genre humain d'une vrit que l'homme

    38 J.-M. Nicole, Que penser de la Rincarnation? , 2e dition revue,

    Nogent-sur-Marne (France), ditions de l'Institut Biblique, 1986, p.11.

    39 Jean-Paul Berney, Faut-il croire la rincarnation? , ditionsVeritas, St-David (P.Q.), s.d. (feuillet de trois colonnes).Cf. galement Florent Varak, La rincarnation. Examen desarguments et perspective biblique , Villeurbanne (France), ditionsCl, 1992, p. 115.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    19

    n'tait pas prt recevoir.40 Au contraire, l'ge nouveaupermet de dbloquer les limites de l'esprit41 , de pratiquer lestechniques spirituelles grce auxquelles chacun peut prendreconscience de sa propre divinit et accepter la rincarnationcomme le fondement de toute volution. Convaincue que larincarnation est la cl de l'aventure humaine, Marie-Pia Stanleypense que son occultation est providentielle. Son acceptationpar toute l'glise supposera un vaste et profond mouvementd'largissement de la conscience et de l'vidence de l'Esprit.42

    Il arrive que des thologiens chrtiens qui s'opposent larincarnation se rclament de l'Esprit, mais dans un contexte ola renaissance spirituelle signifie une fidlit exclusive la Bibleet foi totale en un Christ qui seul peut sauver43 . Rares sont eneffet les thologiens chrtiens qui prennent position en faveur dela croyance en la rincarnation. Mais quand ils le font, c'est aunom d'une thologie qui mise presque unilatralement surl'Esprit, redonne la premire place l'exprience spirituelle etvalorise la dimension symbolique de l'exprience chrtienne.C'est dans un tel contexte que la mthode des correspondancesou des consonantia est rige au rang de mthode thologiquepar excellence et qu'il devient alors ais de reconnatre en larincarnation un symbole d'esprance parmi d'autres pouvantrpondre un certain type d'aspiration chrtienne. L'effortthologique d'un thosophe comme MacGregor s'appuieexplicitement sur Joachim de Flore pour tenter de dcouvrir desconsonnances entre la rincarnation et l'exprience

    40 Shirley MacLaine, L'amour foudre , Paris, Sand /Montral,

    Primeur, 1987, p. 233.41 Shirley MacLaine, Danser dans la lumire , Paris, Sand /Montral,

    Primeur, 1986, p. 106.42 Marie-Pia Stanley, Christianisme et rincarnation, vers la

    rconciliation , Saint-Martin-leVinoux (France), L'Or du Temps,1989, pp. 69-70, 281.

    43 Cf. Florent Varak, p. 95, 104-107.

  • Andr Couture

    20

    chrtienne.44 Prenant pour acquis qu'il existe des harmoniquesnaturelles entre les croyances, l'auteur ne s'inquite pasdavantage d'approfondir l'anthropologie qui sous-tend cettethmatisation, ni ne cherche cerner les contextes socio-historiques qui la permettent. Au fond, la rincarnation n'estqu'une nouvelle faon actuelle d'interprter des chosesanciennes.45 Laurent Gagnon prche au Lac-Trois-Saumons unvangile de l'Esprit qui devrait faire comprendre aux humainsles vrits caches de la rincarnation. Vous avez besoin del'Esprit de vrit pour illuminer davantage la vrit qui est envous, fait-il dire un Christ qui s'adresse tous les prtresd'aujourd'hui.46 Cet Esprit fera dcouvrir aux pasteurs quel'volution de leurs fidles est variable et qu'il y a ncessairementde nombreuses demeures dans la maison du Pre.

    C. Une dmarche de type concordiste. Nous venons deconstater qu'une argumentation uniquement spirituelleconduisait postuler un monde fait d'harmonies naturelles nedemandant qu' tre entendues et comprises. Mais il peut aussiarriver que cette recherche de concordances se manifeste sansqu'il y ait d'appel explicite une thologie de l'Esprit. Larincarnation sera alors perue uniquement comme une thoriescientifique, ou mme comme un fait dmontr, ne pouvant pasne pas tre en accord avec le sens vritable des grands textesreligieux. Tablant sur une psychologie renouvele et conformeaux proccupations de notre ge nouveau, Gina Cerminarasouhaite dmontrer l'accord profond qui existe entre lesprincipes de la rincarnation et les enseignements du Christ.47 Il faut seulement se rendre compte, affirme-t-elle, que l'glise a

    44 Giddes MacGregor, Reincarnation as a Christian Hope , Totowa,

    N.J., Barnes & Noble, 1982, p. 29-30. Cf. Henri de Lubac, Lapostrit spirituelle de Joachim de Flore , Paris, Lethielleux, 1979.

    45 Ibid., p. 127.46 Laurent Gagnon, L'unit de l'glise vue par le Christ , St-Jean-

    Port-Joli (Qubec), Les Penseurs du XXe sicle, 1973, p. 34.47 Gina Cerminara, De nombreuses vies, de nombreuses amours ,

    Paris, Adyar, 1984, p. 102.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    21

    fait du Christ un principe extrieur, alors que la consciencechristique est proprement parler un principe intrieur chacundes humains, une Identit ternelle qui demande de nombreusesvies pour tre vraiment dcouverte. bien rflchir, il devientclair que la rincarnation est prsente dans le christianisme, maissous des noms et des formes diffrentes. Il y a beaucoup dedemeures dans la maison du Pre, a dit Jsus selon Jean 14, 2.Spencer Lewis interprte ce texte comme une rfrence auxdouze demeures du royaume cosmique o attendent les mesjusqu'au moment de leur rincarnation.48 Cette parole duChrist rend galement compte, selon H.-H. Vdrine, de laralit de ces univers spirituels fonctionnant sur un nombre infinide dimensions, etc.49 et confirme que la rincarnation faitpartie des croyances chrtiennes. MacGregor considre aussicomme une vidence que la rsurrection n'est qu'une forme derincarnation. Il assimile alors le corps glorifi dont parlel'aptre Paul une sorte de corps subtil cens transporter lestraces d'actions des vies passes. Ce thologien presbytrienpropose aussi de retraduire les images des fins dernires que l'ontrouve dans la Bible la lumire de la loi de l'volution et arriveainsi redonner au purgatoire catholique un sens acceptable enmontrant qu'il correspond au cheminement des mesrincarnes.50

    48 Harvey Spencer Lewis, Les Demeures de l'me. La conception

    cosmique, Villeneuve-Saint-Georges, ditions Rosicruciennes,8e d., 1986, p. 15, 151-152.

    49 Hettie-Henriette Vdrine, L'glise et la rincarnation , Paris,ditions de Vecchi s.a., 1990, p. 122.

    50 Geddes MacGregor, Reincarnation in Christianity. A New Visionof the Role of Rebirth in Christian Thought , Wheaton, Ill, TheTheosophical Publishing House, 1978, pp. 8-9, 38-39, 100;Reincarnation as a Christian Hope , p. 39, 148; The Christening ofKarma, Wheaton, Ill, The Theosophical Publishing House, 1984,pp. 74-77. Voir aussi J.-L. Htu, Rincarnation et foi chrtienne.Une rflexion sur le srieux de l'aventure humaine , Montral,ditions du Mridien, 1984, pp. 95-130.

  • Andr Couture

    22

    On trouve aussi, chez des auteurs chrtiens qui s'opposentfermement la rincarnation, un effort similaire pour faireconcorder le langage biblique avec les situations modernes quel'on dnonce. Il s'agit d'un concordisme inverse qui passe par lamise en vidence d'une force du mal dj identifie comme telledans la Bible et susceptible d'expliquer l'apparition d'unedoctrine aussi malfique que la rincarnation. Selon FlorentVarak, les esprits qui s'adressent les mdiums et qui tanttaffirment, tantt dnient l'existence de la rincarnation,pourraient ne pas tre les esprits des dfunts, mais les esprits,anges ou dmons, dont parle la Bible. Ces tres qui ne meurentpas sont capables de communiquer aux hommes tous lesrenseignements qu'ils demandent des mdiums sous hypnose.Il ne faudrait cependant pas en dduire que les dmons veulentcorrompre les humains. Satan ne gagnera pas des mes pourl'enfer; selon la conception biblique, les hommes en un sens,sont dj en enfer. Le salut est le sauvetage gratuit que Jsus-Christ a accompli par sa mort et sa rsurrection, et qu'il donne quiconque croit. La seule motivation que l'on puisse supposer setrouve dans la nature mme des puissances des tnbres. Satanest mauvais, totalement corrompu. Il n'existe en lui aucunetincelle d'amour et de compassion. Il est le pre du mensonge,toujours dsireux de sduire et de tromper.51 Cet argumentassez trange n'est qu'un lment parmi d'autres destin convaincre que la rincarnation contredit l'enseignementbiblique. Varak sait bien que Satan n'a le pouvoir de condamnerpersonne, mais il se contente de suggrer que cette doctrinemensongre est sans doute celle qui manifesterait le mieux samchancet et son dsir de corrompre les humains. En oprantce rapprochement entre Satan et la rincarnation, Varak insinuele doute chez ses lecteurs et cela suffira peut-tre loigner de larincarnation certains indcis.

    D. Une dmarche de type esthtique. La beaut de larincarnation, affirme Vdrine, c'est l'esprance dont elle estporteuse, le fait de pouvoir retrouver ceux qu'on a aims, renouer

    51 Varak, op. cit., p. 65, 68, 70.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    23

    un lien d'amour dont la continuit et la fusion de deux mes,poursuivre un idal, dvelopper un don, un talent, rparer desinjustices, effacer des remords, apprendre, enseigner, participerde la grandeur de l'univers dans son ternit, suivant la promessebiblique: "J'avais dit: Vous tes des dieux. Vous tes toujoursfils du Trs-Haut" (Psaumes, LXXXII, 6.)52 La croyance en larincarnation ncessite un nettoyage en rgle, il faut balayer lesscories qui l'encombrent. Mais bien comprise, elle ne peut quese marier aux valeurs chrtiennes.53 Ou encore, contre unchristianisme qui a parfois pactis avec la violence au cours deson histoire, il faut exalter la tolrance vhicule par la croyanceen la rincarnation.

    On voit donc que la croyance en larincarnation, si elle tait rpandue, enseigne,comprise dans sa noblesse, sa justice et sonquit, rsoudrait avec sagesse la diversit desreligions, et aussi celles des ethnies qui tententd'imposer leur croyance dans un intgrismefanatique qui fait couler et fera encore coulerdes flots de sang. La rincarnation ne fait pasde proslytisme. Sa propagation estentirement pacifique. Elle accueille sansdistinction tous ceux qui veulent y adhrer.Elle ne brandit aucun anathme, n'rige aucunbcher, ne stigmatise personne. Avec elle, nuln'est suprieur ou infrieur. Chacun est ce qu'il"est" intrinsquement. Chacun garde sa valeuret tout le monde a ses chances. () Lagrandeur et la profondeur spirituelle de larincarnation, religion cosmique, c'est qu'elleest conciliable avec toutes les religions de laTerre, sans empchement pour les pratiquerdans leurs rites particuliers.54

    52 Ibid., p. 117.53 Ibid., p. 23.54 Vdrine, op. cit., p. 149.

  • Andr Couture

    24

    Gina Cerminara et Marie-Pia Stanley ont fait des remarquesanalogues. Autant la rincarnation peut faire peur quand elleconduit toutes sortes d'explications extravagantes, autant ellese rapproche de la plus haute vrit quand on la rduit aux loissimples qui assurent son quilibre.

    Dans plusieurs des citations qui introduisent cet article, lechristianisme est oppos la rincarnation cause du caractrenbuleux de celle-ci, cause de sa confusion. Il arrive encoreque des chrtiens s'opposent aussi la rincarnation parce qu'elleserait une doctrine monstrueuse. Florent Varak suppose quel'Inde est voue la pauvret, la famine et au chaos justementparce qu'elle croit la rincarnation. Comme nous le voyons,la foi dans le karma est source d'immobilisme: tout est fatal, ilfaut survivre avec la meilleure attitude possible. Et la culturehindoue vit dans cette crainte de ce que les dieux vont accomplird'inluctable, pour rgler la dette de chacun.55 Ces argumentssont moins des dmonstrations rationnelles que desconsidrations esthtiques. la limite, ce ne sont que desparalogismes, c'est--dire de faux raisonnements faits de bonnefoi. Suivant que l'on est pour ou contre une doctrine, ondcouvre ses beauts ou ses horreurs. De tels panchements desentiments sont frquents dans ce dbat, mais n'ont rien voiravec l'existence ou l'inexistence de la rincarnation.

    E. Une dmarche de type hermneutique. Reste unedernire dmarche qui ne cherche pas a priori discrditer descroyances mais percevoir leur sens, leur cohrence, et surtout dgager les prsupposs anthropologiques sur lesquels elless'appuient. Cette forme d'argumentation laquelle je rserve lenom d'hermneutique n'est pas non plus l'apanage d'un seulparti. En effet, un certain nombre d'auteurs dfendantl'hypothse de la rincarnation mettent noir sur blanc leursprsupposs et cherchent faire valoir les avantages de leurposition. Jean-Louis Simons se prsente comme un adepte dela thosophie de Mme Blavatsky qui lui parat fournir le meilleur

    55 Ibid., pp. 79-80.

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    25

    modle spirituel. Cela ne l'empche pas d'analyser la loupe lesarguments dits scientifiques prsents par de nombreux auteurset conclure qu'ils sont insuffisants prouver le fait de larincarnation, mais qu'ils n'infirment pas non plus cettehypothse.56 Des auteurs comme Howe ou MacGregor vitentles affirmations historiques tout fait gratuites comme celles quiconsistent dire que Jsus et toute l'glise ancienne croyaient la rincarnation. Ils insistent plutt sur les prsuppossphilosophiques de cette option. Selon eux, un christianismerinterprt dans la ligne de Platon et qui inclurait larincarnation serait plus valable parce qu'il mettrait l'accent surl'exprience personnelle, sur le symbolisme, sur l'ide d'une Loiinitiale (celle du karma) laquelle toute la cration devrait seconformer. Ces auteurs prennent consciemment le risque d'unenouvelle interprtation et on ne peut le leur reprocher.57

    Il existe galement des chrtiens qui s'efforcent decomprendre la tradition rincarnationniste, sa logique, sesprsupposs, et qui insistent sur les implications philosophiqueset anthropologiques de cette croyance. J'ai dj cit le petit livrede Pascal Thomas, La rincarnation, oui ou non?, qui mesemble un excellent exemple d'un effort loyal pour comprendreles raisons pour lesquelles la rincarnation sduit tantaujourd'hui et pour situer en regard les rticences duchristianisme. Mais il faudrait citer de nombreuses pages deRichard Bergeron ou de Jean Vernette dont il m'est arrriv plushaut de critiquer certaines expressions. C'est galement avec unevise proprement hermneutique que j'ai moi-mme essay derefaire l'histoire de cette croyance et que j'ai suggr dans despublications rcentes de dissocier la croyance en la rincarnationdes arguments utiliss pour justifier cette croyance.

    56 Voir les livres rpertoris dans A. Couture (avec la coll. de

    M. Saindon), La rincarnation: thorie, science ou croyance? ,Fiches 39-40-41, en particulier Revivre nos vies antrieures .

    57 Voir ce sujet A. Couture, La rincarnation , Ottawa, Novalis,1992, p. 132 s.

  • Andr Couture

    26

    *

    De ces considrations, on peut conclure que l'accusation desyncrtisme porte contre les chrtiens qui acceptent larincarnation peut se lire diffrents niveaux. Elle peut certesconstituer un effort interprtatif pour dbrouiller au planhistorique l'cheveau des religions et des spiritualits donts'inspirent l'sotrisme occidental ou la thosophie de MmeBlavatsky. Il peut tre clairant d'tudier l'origine desinterfrences qui permettent des chrtiens d'intgrer leur foila croyance en la rincarnation. Mais il ne faudrait pas oublierque le christianisme a aussi subi des influences multiples tout aulong de son histoire et qu'il peut tre galement en bonnemthode analys comme un syncrtisme.

    Derrire le reproche de syncrtisme se cache parfois l'ideque la rincarnation viendrait fausser une tradition qui paraissaitjusque-l assure (argumentation de type traditionnel). On peutgalement laisser entendre qu'un christianisme syncrtique trahitl'esprit de ses origines et qu'il devrait plutt se laisser guider parl'Esprit de vrit (dmarche de type spirituel). L'cart entre lavrit traditionnelle et l'innovation rprhensible peut aussi setraduire par la dcouverte d'indices de prsence diabolique etengendrer une dmarche de type concordiste. Mais le plussouvent, on conviendra que l'accusation de syncrtisme relved'une apprciation gnrale de cette croyance qui se situedavantage au plan esthtique qu'au plan rationnel. Rincarnationet christianisme forment un couple mal assorti, un amalgamebizarre, un bricolage doctrinal, une figure aux contours indcis,une salade indigeste ou un alliage qui sonne creux. Ce n'estplus une question d'incohrence, c'est l'affreuse laideur de cecouple qui le condamne.

    Mais on peut aussi se demander si cet argument esthtiquene s'allie pas parfois inconsciemment un schme volutifapparu au sicle dernier sous la plume d'Ernest Renan.Caractristique de la pense primitive et du psychisme oriental,le syncrtisme est cette sorte de confusion, de chaos informe, de

  • Le syncrtisme des chrtiens rincarnationnistes

    27

    jeu puril, d'-peu-prs, qui prcde dans l'volution humainel'apparition de l'analyse et d'une synthse ultrieure, et danslequel menace de retourner tout esprit qui se laisse sduire parles images de la mythologie et les croyances paennes. Peruesous cet angle, il ne fait pas de doute que la rincarnation doittre elle aussi une doctrine nbuleuse; elle l'est parce qu'elle estorientale et que les Orientaux ne seraient pas encore parvenus exprimer avec clart et cohrence des vrits qu'ils ne fontqu'entrevoir.58 J'ai montr ailleurs59 que la rincarnation quis'impose en Occident est beaucoup plus grecque qu'hindoue oubouddhique, et que le recours l'Orient fait partie des argumentsdont on se sert pour rendre cette croyance plus attrayante. Larincarnation devient orientale quand on veut mettre l'accent surses origines traditionnelles; elle devient galement orientale pourceux qui la considrent comme une croyance floue et enfantine.En fait, cachs sous les plus hautes considrations sotriques ouscientifiques, il y a des prjugs qui viennent d'un autre sicle etqui ont la vie trs dure. Il ne faudrait pas en minimiser le poidsquand l'esthtisme vient trop facilement au secours d'unehermneutique dfaillante.

    58 Voir Andr Couture, Le recours la notion de syncrtisme chez

    Renan. galement Edward Sad, L'orientalisme. L'Orient cr parl'Occident, Paris, Seuil, 1980.

    59 Voir en part. La rincarnation , Ottawa, Novalis, 1992.