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Légende.

TEXTES YVES BELAUBRE - PHOTOS MICHEL FAINSILBERAU NOM DE BACCHUS

La beauté naturelle

d’un grand bordeaux

Château le Puy

CIGARE & SENSATIONS - NUMÉRO 12

J’ai commencé à boire et à aimer le vin en buvant des

bordeaux et j’en suis pour toujours reconnaissant à ces terroirs

ainsi qu’à ceux qui les expriment. Mais depuis quelques

années, qui coïncident peut-être avec ce que d’aucuns ont

désigné comme “parkerisation”, j’avais complètement cessé

d’en boire car ces vins ne satisfaisaient plus mon goût pour

l’expression bachique, au point que je me trouvais de plus en

plus incapable de saisir la différence entre un médoc et un

côtes-de-blaye, même sur l’échelle implacable de l’ennui. Or

voici qu’un ami suisse, sortant de Lavinia, m’apporta à dîner

un L’Ô du Puy 2001 (deuxième vente, paraît-il, de cette caverne

d’Ali Boi Boi…). Ce fut un événement : la famille Amoreau,

dont le vignoble chapeaute le “Coteau des Merveilles” qui

domine le Saint-Émilion, me réconciliait avec le bordeaux. Une

fraîcheur, une minéralité et une tendresse de peau pleines de

vie me rappelaient qu’il y avait un pays d’Aquitaine où des

hommes avaient conçu une certaine forme calme, équilibrée

et spirituelle du bonheur, bien avant d’être aspirés par les

calculs d’empire. Je voulus aussitôt aller les remercier. Sans

juger des méthodes, voire des croyances, mais intimement

convaincu par la beauté des vins et l’amitié de ces vignerons,

voici ce qu’avec Michel Fainsilber nous avons vu et bu.

LES ROCS, LES ESTALOTS, LA PITIÉ, LES PEUPLIERS, LE GRAND BARAIL, PISTRE, LES TERRES FORTES, LES NOVES, CAUZE :AU FAÎTE D’UN DES DEUX PLUS HAUTS POINTSGÉODÉSIQUES DE LA GIRONDE,LE DOMAINE DU CHÂTEAU LE PUY COMPREND UNEDIZAINE DE PARCELLES SUR 50 HECTARES DE LA COMMUNEDE SAINT-CIBARD, INSCRITEDANS L’APPELLATION CÔTES DE FRANCS.

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Venant de Bordeaux, il faut traverser les terroirs de

Saint-Émilion vers le nord-est pour atteindre les

coteaux dominant la vallée de la Dordogne, là où la

vigne laisse un peu de place aux bois, aux prairies et

aux fleurs. Le paysage prend un ton plus intime et riant.

Au faîte d’un des deux plus hauts points géodésiques

de la Gironde, le domaine du Château le Puy couvre

50 hectares sur la commune de Saint-Cibard, inscrite

dans l’appellation Côtes de Francs. Nul panneau n’indi-

que le domaine, et le “château”, une sobre et élégante

maison d’allure bourgeoise que cachent les arbres

d’un jardin clos, fut construit en 1832 par Barthélemy

Amoreau. Le trisaïeul donna au vignoble familial sa

configuration actuelle et, depuis quelques années, son

nom à l’extraordinaire cuvée “sans soufre” élaborée

par ses descendants : Jean-Pierre et son fils Pascal.

L’HÉRITAGE SPIRITUEL

“Le Puy signifie sommet, éminence, cela vient du latin

podium…”, indique Jean-Pierre Amoreau, 70 ans, dont

la prestance bourgeoise un peu vieille France (très

bordelaise) ne masque pas la sensibilité et l’ouverture

d’esprit sans âge. On comprend pourquoi Michel de

Montaigne, héraut de l’amitié et de l’intelligence sen-

sible, était de ce pays. “Notre famille est ici depuis

1610. On était peut-être là avant, mais on n’a pas de

papiers… Je suis la treizième génération connue.”

Par son point de vue dominant sur le plateau de Saint-

Émilion, le site du Château le Puy est exceptionnel, et

il dut être considéré comme tel depuis des temps

immémoriaux puisque au cœur du domaine, caché

dans les arbres à quelques mètres de la maison, se

trouve un cromlech encadré par deux dolmens. Des

tribus préhistoriques marquèrent la singularité du

lieu. Le cromlech est un alignement circulaire de pierres

dont le centre, comme ici, est fréquemment occupé

par une pierre “maîtresse”. Du lieu de sépulture au

lieu de culte, les interprétations de ces architectures

“primitives” varient. En tout cas, pour Jean-Pierre et

Pascal (comme pour leurs ancêtres ?), la présence du

cromlech désigne le Puy comme site de

vie et d’énergie immémorial dont la

famille Amoreau, qui en est dépositaire

depuis des générations, respecte, cultive

et transmet le potentiel. Signe destinal,

dispositif tellurique ou mythologie fami-

liale ? Pétition de principe en tout cas

qui symbolise un rapport familial “ultra-

sensible” à la nature et le choix des

techniques agricoles qui en résulte.

“Dès 1918, mon grand-père Jean a

refusé d’utiliser l’engrais chimique. Il faut

se rappeler l’origine de l’utilisation des

molécules de synthèse dans l’agriculture :

pendant la Première Guerre Mondiale,

les industries ont produit de la poudre à

canon en quantité et, la guerre finie, il

fallut recycler les stocks qu’on a trans-

formés en engrais… Rapidement, Jean

a vu les voisins s’adonnant à l’engrais

chimique augmenter leur production.

Avec son beau-frère Armand Rebeyrol

qui était une sorte de yogi, ancien insti-

tuteur devenu militaire puis établi à

Castillon-la-bataille comme constructeur de machines

agricoles, ils se sont dit : « On peut nourrir plus la

vigne en générant naturellement plus de nourriture

dans la terre, en développant champignons et vie

microbienne ! » Ils ont cherché à travailler le sol en

profondeur sans le retourner et sans casser la croûte

du dessus qui le protège et le maintient en vie.

Armand a alors inventé la fouilleuse que l’on utilise

encore aujourd’hui, et ils ont réussi à avoir les mêmes

rendements que les voisins sans recours aux produits

chimiques…”

CULTIVER LA VIE

Des 50 hectares du domaine, seuls 25 hectares sont

consacrés à la vigne, dont 22 sont en exploitation et

3 en friche (pour régénération des sols, la friche

tourne). Prairies, bois et étang occupent le reste de la

surface. “Lorsqu’on fait de la monoculture comme ici

avec la vigne, on appauvrit fatalement la faune. Alors on

manque de prédateurs. Il faut des haies, des bois, des

UN SITE DE VIE ETD’ÉNERGIE QUI DEPUISDES GÉNÉRATIONSORDONNE LE RAPPORT“ULTRA-SENSIBLE” DE LA FAMILLE AMOREAUÀ LA NATURE ET SONCHOIX DES MÉTHODESBIODYNAMIQUES. UN ESPRIT QUIS’EXPRIME DANS LA BEAUTÉ SINGULIÈREDES VINS DU CHÂTEAULE PUY...........................................................

Ci-dessus :

L’entrée discrète

du Château le Puy.

Au-dessus

de gauche à droite :

Le cromlech et ses

dolmens à quelques

mètres de la maison.

Le grand Barail.

La maison de Pascal

qui domine le Saint-

Émilion, en attente

de restauration.

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Ci-dessus :

Pascal Amoreau dans

ses vignes.

Ci-contre :

Trois vaches vivent en

liberté sur le domaine

et assurent la présence

d’insectes d’animaux.

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prés pour avoir la diversité nécessaire d’in-

sectes. C’est pourquoi nous préservons une

sorte d’« insecterie » dans un rapport de un

sur un entre vigne et végétation diverse.

Nous avons trois vaches pour maintenir les

insectes d’animaux, des bois pour les insec-

tes de forêt et une pièce d’eau en bas pour

les insectes d’eau. Aussi, quand il y a une

attaque de nuisibles, nos vignes n’ont pas

besoin de traitements, les prédateurs viennent les

manger…”

Composé à 85 % de merlot, 14 % de cabernet sauvi-

gnon et 1 % de carménère (un ancêtre du cabernet)

pour le rouge et d’un hectare et demi de sémillon pour

le blanc, l’encépagement du Puy est à forte dominante

de merlot comme en pomerol. “Notre terroir est

argilo-calcaire (le sol de prédilection du merlot) sur

socle calcaire. Sous 30 à 50 centimètres de terre, il y

a de grands plateaux de roches calcaires non fissurés

mais poreux. Les racines de la vigne ne pénètrent pas,

mais l’eau remonte par capillarité si bien que les

vignes ne souffrent jamais trop de sécheresse… En

règle générale, le vin est plus fin et élégant sur de

la roche que sur de l’alluvion. Car le caractère du

cépage est déformé par la minéralisation : c’est cela

l’expression du terroir. Mais cela exige d’avoir un sol

vivant. Car la racine ne sait pas entrer dans la roche.

Au bout des racines, il y a des bactéries qui vivent là

et passent un deal avec la vigne : elles prennent le

sucre de la vigne et secrètent une substance acide qui

attaque la roche, la liquéfie, puis la racine la pompe

et l’absorbe. Ainsi le pied de vigne minéralise sa sève

et ses raisins…”

Cette recherche de la minéralité focalise le travail du

vigneron sur la vigne et l’entretien du sol. À cet égard,

Pascal Amoreau, aidé par deux collaborateurs, pratique

des méthodes “bio”, suit les grandes lignes du calen-

drier et des procédures biodynamiques.

BIODYNAMIE : DE LA VIGNE AU CHAI

“J’ai fait peu d’études, nous dit Pascal. J’ai le BEPA,

c’est à peu près tout. J’ai appris la vigne sur le tas avec

mon père. Le principe de la culture bio, c’est le bannis-

sement des engrais et produits chimiques. Ici, nous

n’engraissons pas les sols sinon un « engrais vert » qui

consiste à faire pousser certaines plantes qu’on

enfouit avant la floraison. Mais si le sol est bien vivant,

il n’en a pas besoin.

Sur la vigne, on passe des préparats de plantes : d’orties

qui stimulent les défenses immunitaires de la plante et

des feuilles, de presles contre les cham-

pignons. Et un peu de bouillie bordelaise

(cuivre) quand il pleut trop souvent, car

on est obligés quand la vigne est lavée

par la pluie… La différence entre la

bouillie bordelaise et les pesticides, c’est

que le produit chimique entre dans la

plante et se retrouve dans les raisins,

alors que les molécules du sulfate de

cuivre sont grossières et se déposent

sur la feuille sans y pénétrer. On s’est

demandé si à la longue le cuivre s’accu-

mulait dans le sol. Mais les argiles chez

nous bouffent le cuivre, alors que les

sables ne l’absorbent pas.

Avec la biodynamie, on va plus loin que

le bio et l’on cherche à utiliser l’énergie cosmique.

Cette énergie que les anciens appréhendaient en

cultivant selon la lune. L’ensemble des influences des

planètes est résumé dans les cycles de la lune et tous

les êtres sont influencés par les cycles lunaires : on

sait que les femmes enceintes accouchent plus à tel

moment. Les bactéries elles aussi sont influencées et,

dans certaines phases de la lune, vont se développer

celles qu’on ne veut pas. Le calendrier biodynamique

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Légende.

détermine des jours « plantation », des

jours « racines », « feuilles » ou « fruits »

durant lesquels seraient stimulées ces

différentes phases végétales. C’est un

calendrier très précis qui est parfait

pour un jardin mais n’est pas applicable

strictement sur 20 hectares de vignoble.

Nous essayons de travailler surtout les

jours « fruits » et suivons les cycles

lunaires. Les décoctions d’orties et de

presles, on les prépare dans un dynami-

seur : c’est un cylindre en cuivre dans

lequel tournent deux palets qui créent

un tourbillon avec la tisane. Ce tourbillon

est ce qu’on appelle un vortex considéré

en biodynamie comme un mouvement

concentrant l’énergie. On crée le vortex dans un sens,

on le casse et on le recrée dans l’autre sens, puis on le

recasse et ainsi de suite. L’idée est de charger énergé-

tiquement la décoction, de concentrer l’énergie maximale.

On y croit ou pas. Le but étant d’aider à l’autoprotection

de la plante, nous le faisons car on voit que ça marche.

Et la biodynamie nous permet d’utiliser encore moins

de produits que ceux qui ne pratiquent que le bio.

Par contre, si l’on est fainéant, il ne faut pas se lancer

AVEC SON CALENDRIERDE JOURS FAVORABLESET SES MÉTHODES TRÈS CONTRAIGNANTES,LA BIODYNAMIE EXIGE UNE PRÉSENCEPERMANENTE DANS LA VIGNE. C’EST ELLE QUI DÉCIDE. LE VIGNERONN’EXPLOITE PAS, IL SE MET AU SERVICEDE L’EXPRESSION DU VIGNOBLE ET DE SON TERROIR.

.......................

Ci-contre :

L’épamprage qui

consiste à faire tomber

les tiges qui repoussent

du pied de vigne..........................

Trois hommes et trois

femmes dont Pascal

gèrent la culture des

25 hectares de vignes

du domaine.

.................................................

Ci-dessus :

L’énergiseur

biodynamique :

“On y croit ou on y croit

pas mais ça marche.”

Presle et ortie séchées

pour tout traitement

de la vigne.

En haut :

Pascal et Jean-Pierre

Amoreau, son père,

à l’entrée du chai.

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là-dedans car on ne choisit pas ses jours de repos… Et

cela n’est possible que pour une production limitée et

des rendements plutôt faibles. Ici, nous sommes autour

de 30 hecto/hectare et nous taillons (guyot simple et

double, à la bordelaise) pour avoir ce rendement.

Notre singularité ici consiste à avoir fait entrer la bio-

dynamie dans le chai. Car la biodynamie ne s’intéresse

en général qu’à l’obtention des raisins. Or,

lorsque nous avons voulu faire une cuvée

totalement sans soufre ajouté, nous avons

utilisé ces procédés pour l’élevage du vin.”

VINIFICATION ET ÉLEVAGE

Ici, les vendangeurs trient les raisins sur pied.

Les vendanges sont rapides car on ramasse

des grains très mûrs qui ne peuvent attendre.

Deux équipes d’une vingtaine de vendangeurs

sont nécessaires. La vendange arrive au chai,

passe dans l’égrappoir et vient remplir les

cuves en béton. “Nous avons choisi le béton

car le ciment respire, pas l’inox. On travaille

cuve ouverte, en chapeau immergé, contraire-

ment aux Bordelais qui travaillent par remon-

tage. À raz de la trappe d’ouverture, on met

des clayettes en bois qui maintiennent le cha-

peau de fermentation à l’intérieur. Il n’y a que

le jus qui peut monter au-dessus quand ça

prend du volume à la fermentation. Le jus

chaud monte, déborde dans le bac-réservoir

que forme le dessus de la cuve, se refroidit et

redescend donc pour laisser la place à du jus

chaud : il se crée un mouvement naturel qui

permet de ne pas faire de remontages. On ne

fait qu’un petit remontage avant fermentation

pour homogénéiser la cuve car il faut un jour

et demi pour la remplir et les raisins ne sont

pas tous à la même température. Pour la fer-

mentation, on n’ajoute évidemment ni soufre,

ni levures, et elle dure entre 7 et 30 jours, cela

dépend de la température et de la population

de levures. On veille à maintenir la tempéra-

ture autour de 30 °C pour ne pas risquer de

brûler les levures. Mon père se souvient de

son grand-père qui plongeait des pains de

glace… On n’a rien inventé. Il ne faut pas

oublier que ce sont les techniques d’autrefois

qui ont fait la gloire mondiale du vin français

et du bordeaux.

Quand la fermentation alcoolique est finie, la malolac-

tique démarre aussitôt toute seule. Quand on ne « sou-

fre » pas, ça se passe comme ça. Et, au bout de 5 à

8 jours, on vérifie à l’analyse qu’il n’y a plus d’acide

malique tout en surveillant de très près l’acide acétique

(la volatile) car s’il y a risque, on sépare aussitôt le vin

de goutte (jus) du vin de marc (qui va au pressoir

Depuis 30 ans, l’INAO a imposé des normes de culture

et de goût dans les diverses appellations françaises.

Rien n’assure à présent qu’elles aient généré une bonification

durable du vin français puisque la plupart des vignerons

qui font l’actualité et le bonheur des connaisseurs du

monde entier sont des non-alignés à qui l’INAO a plusieurs

fois refusé l’agrément. Car l’imposture de l’AOC est la

dégustation d’agrément. Des vignerons et œnologues

jugent de l’acceptabilité ou non du vin de leurs confrères

dans l’appellation. Autant dire que dans une rue ayant

quatre boulangers, trois sont chargés de juger la production

du quatrième, ou un seul celle des trois autres… La réforme

en cours de l’INAO n’y changera rien, qui prétend assigner

la dégustation à des organismes indépendants (qu’est-ce

qu’un organisme indépendant ?). C’est le principe qui

est pervers. On juge le produit à partir d’une définition

de la typicité d’une l’appellation, typicité qui n’a de sens

ou de réalité que pour ceux qui l’édictent : les plus puissants

économiquement ou idéologiquement (les œnologues).

Ce sont les territoires et les méthodes culturales

et de vinification qui devraient définir l’AOC puisqu’il s’agit

à l’origine de défendre les “usages loyaux et coutumiers”,

et non la façon dont tel gourou de l’œnologie ou tel gros

opérateur viticole conçoivent le formatage organoleptique

de leurs vins. De nombreux vignerons réunis dans

l’association “Sève” s’opposent à cette réduction du goût

à des standards imposés par la dégustation d’agrément.

En 2006, le millésime 2005 du Château le Puy était refusé

à l’AOC au moment même où ce vin était choisi par

les chefs de cuisine du monde entier réunis à l’occasion

de l’événement gastronomique “Fusion” de Madrid pour

représenter les vins français. L’argument du refus de

l’agrément fut celui du caractère “phénolé” du vin. Il est

troublant que les chefs de cuisine du monde aient aimé cela

si c’est un goût inacceptable… Il faut savoir que l’INAO

promeut plus ou moins directement dans le même temps

des procédés et produits œnologiques pour combattre

les levures à l’origine de cette note de cuir d’écurie

qui trouble les papilles de ces censeurs.

En tout cas, la sanction commerciale qui résulte d’un

tel déni est extrêmement pénalisante pour un petit

producteur comme Château le Puy (l’AOC a encore un sens

à l’étranger), dont le millésime 2005 ne présente aucun

défaut avéré d’hygiène, aucun trucage des normes de

culture et de vinification, ni aucun caractère indigeste.

Son seul péché serait d’avoir ce goût cuiré (y’en a aussi !,

dirait un Tonton flingueur) à peine exacerbé par

le millésime chaud de 2005. Comment ne pas soupçonner

un règlement de comptes à INA-O.K. Corral ?…

Agrément INAO : qui juge qui et quoi ?

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“LE REFUS DEL’AGRÉMENT AOC POUR NOTRE CUVÉE2005 A QUELQUECHOSE DESURRÉALISTE ETD’INJUSTE. SANSCOMPTER QUE CELA A UNE INCIDENCEÉCONOMIQUE TERRIBLE POUR NOUS :ON NE SAIT PAS OÙ ON VA ET ON ESTOBLIGÉ D’ATTENDREAVANT D’INVESTIR, DE REFAIRE LESMAISONS.”JEAN-PIERRE AMOREAU

“L’INAO A FOUTU LE VIN FRANÇAIS ENL’AIR DEPUIS 30 ANS.ILS ONT DIRIGÉ ETIMPOSÉ DES NORMESDE CULTUREERRONÉES. AVEC LES DÉGUSTATIOND'AGRÉMENT, CELA A CONDUIT AU FORMATAGE.” JEAN-PIERRE AMOREAU

Page 5: Cigares et Sensations

mise (le Puy), ils ne sont pas élevés et stockés en cave

mais dans leur chai non climatisé. “Le vin est une

matière vivante et il faut l’habituer à vivre à différen-

tes températures. Ainsi nos vins voyagent très bien.

On en a discuté souvent avec Marcel Lapierre (l’un des

maîtres du vin sans soufre). Quand les gens gardent

ces vins élevés à 14 °C trop longtemps, à 22 °C ils ne

se conservent pas bien. Les nôtres sont habitués, et

s’ils vont au chaud ils trouvent que c’est normal. Là-

dessus, on est en contradiction avec

tous les gens qui font des vins naturels.

Avec notre terroir, notre façon de faire,

nos vignes, notre façon de vinifier et

d’élever, ça fonctionne. À n’importe

quelle température (raisonnable), nos

vins ne bougent pas. On ne veut pas

donner de leçon, on constate, c’est tout.

Dans un cahier de mon arrière-grand-

père Barthélemy, considéré dans la

famille comme un grand vinificateur, j’ai

trouvé cette réflexion : il ne voyait pas

pourquoi on mettait du soufre dans le

vin car selon lui « ça ne sert à rien »…

Les levures dégagent des sulfites. Si on

l’a laissé s’exprimer, le vin sait se défendre.”

PRODUCTEURS DE BONHEUR

La mise en bouteilles se fait en deux temps. Une petite

partie en fin de printemps et la plus importante en

septembre durant la lune vieille et le plus près des

vendanges afin de mettre le vin nouveau dans les bar-

riques vidées. Les bouteilles bouchées sont cirées car

la cire est poreuse (l’oxygène traverse) mais empêche

le passage des bactéries. Si bien que “40 ans après on

a des bouchons sains.”

“Ici, on ne rectifie pas le vin, précise Jean-Pierre. On

assume le millésime et ses particularités. Car l’intéres-

sant ce sont les différences. Si toutes les femmes étaient

identiques, comme des Barbies… quel ennui ! Les pom-

mes d’un même pommier ont un goût différent chaque

année et les gens le comprennent très bien. Pourquoi

le vin ne devrait-il pas avoir cette empreinte naturelle

? C’est l’originalité de chaque année et c’est cela que

signifie notre label « Expression originale du terroir ».

Il ne faut jamais oublier que le vin est un des produits

les plus inutiles du monde. Si l’on boit du vin, c’est

pour trouver quelque chose en plus : le bonheur. Et le

vin, comme le bonheur, est impossible à décortiquer. Il

y a une grande similitude avec l’objet d’amour. On ne

décortique pas une femme… Le vin est un tout.

L’expression du vigneron fait partie de ce tout. On est

en harmonie avec ce tout ou on ne l’est pas. C’est

pourquoi on est toujours un peu plus que des produc-

teurs de vin : des producteurs de bonheur.” ❂

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pneumatique). Les deux vins seront élevés séparément

et réunis qu’au moment des assemblages avant la

mise. La vinification terminée, on écoule et passe en

foudre pour attendre que les plus grosses lies soient

tombées avant de soutirer pour mettre en barriques.

Alors l’élevage est classique avec soutirage une fois par

trimestre environ pour clarifier et aérer progressive-

ment le vin. Sauf pour le vin de la parcelle Les Rocs avec

lequel nous faisons la Cuvée Barthélemy entièrement

sans soufre. C’est un vin élevé par dynamisation : bâton-

nage en vortex cassé pour concentrer l’énergie du vin.

Le bâtonnage s’effectue selon les cycles lunaires et les

barriques sont orientées. Car on a remarqué que dans

une barrique orientée nord-sud le vin se comporte

mieux que dans une barrique est-ouest. On ne sait pas

l’expliquer, mais ça fonctionne.”

LE MYSTÈRE LE PUY

“En matière d’élevage en foudres et en barriques,

continue Jean-Pierre Amoreau, nous recherchons

l’échange air-vin à travers le bois, pas l’aromatisation.

On ne veut pas l’extraction du bois, c’est pourquoi

nous n’utilisons que des barriques usagées et des fou-

dres âgés (certains ont plus 100 ans). Le bois est uti-

lisé aujourd’hui comme aromatisation : c’est une per-

version, un masquage des défauts du vin. Ici, dans le

Bordelais, un marchand de copeaux nous a avoué qu’il

vendait beaucoup de copeaux quelques semaines

avant la remise des vins pour l’agrément INAO. Ça

veut tout dire !… En barrique, on va mettre les vins les

plus structurés car si le vin est faible, il va sécher plus

vite. Il faut savoir qu’en barrique on arrondit le vin,

mais en même temps on le sèche.”

Cette conception de l’élevage et cette méfiance du

bois distingue le Puy. Ici, le vin parle, voire même

chante, sans filtres et sans adjuvants pour le bonheur

des papilles et de la digestion. Et à cela s’ajoute un

mystère qui marque les vins des Amoreau : alors qu’ils

sont sans soufre (Barthélemy) ou à peine soufrés à la

Pascal et Jean-Pierre Amoreau produisent cinq

vins différents qui répondent tous à leur label

“Expression originale du terroir”. Les Amoreau

ont conçu cette dénomination pour souligner

cette qualité des vins naturels d’exprimer sans

standardisation ?nologique le terroir et le

millésime. Il serait bon que ce label devienne

collectif et que les vignerons suivant cette

démarche l’adoptent. Cela ajouterait une

information pour le consommateur et permettrait

de modérer l’importance de l’AOC quand les

dégustateurs de l’agrément refusent des vins

de qualité qui ne leur ressemblent pas assez.

Château le Puy : C’est le vin traditionnel

du domaine. Des vins de grande tradition

bordelaise mais sans la rigidité calibrée

d’aujourd’hui. Une texture vivante, d’une

élégance plus ou moins satinée selon

les millésimes. En général, un équilibre jouissif

de fruit et de minéralité qui devient de l’esprit

pur en vieillissant. Nous avons goûté 2004

(superbe profondeur et velouté qui se boit

avec un intense plaisir dès aujourd’hui).

Puis 2005 qui est dénigré par l’INAO. C’est un

vin signé de flaveurs de cuir appelées “goût

phénolé” par l’?nologie des docteurs au pouvoir

et rapporté à une levure qu’ils se proposent

d’éradiquer pour d’obscures raisons de commerce

chimique. De fait, le climat de 2005 était

favorable au développement de cette levure

indigène, mais nous n’avons pas saisi en quoi

ce caractère beaucoup moins caricatural

que le bois neuf, et susceptible de valoriser

le vieillissement, ôtait à ce vin le droit

à l’appellation Bordeaux. Un seul conseil :

le carafer pour le boire maintenant, sinon lui

donner le temps de vieillir. Car s’il est à mon

goût un peu au-dessous du 2004 aujourd’hui,

il n’est pas sûr qu’il ne parle pas plus haut

dans quelques années. 2006 est tout en

rondeur complexe et soyeuse, et le 2007

tout en sensualité fruitée.

Cuvée Barthélemy : C’est le vin issu

de la seule parcelle des Rocs et élevé par

dynamisation, absolument sans ajout de SO2.

Des vins exceptionnels. Le 2005 est un pur

bonheur de concentration et de chair,

le 2006 une rondeur soyeuse et fraîche,

le 2007 une promesse de complexité.

L’Ô du Puy 2001 : Une cuvée spéciale faite

avec les jeunes vignes et réservée

à un distributeur japonais ainsi qu’à Lavinia.

Un bonheur de vivacité, de fraîcheur, de fruit

et de minéralité dans une espèce de simplicité

sensuelle éclatante.

Cuvée Marie-Cécile : Le blanc de la famille,

goûteux, de belles acidité et longueur en bouche.

Blanc moelleux : Une toute petite cuvée créée

à partir des raisins botrytisés que les Amoreau

encuvent et laissent fermenter. Ce moelleux

du château porte la mention “vin de table”.

Il doit être un des vins de table les plus

complexes gustativement et les plus chers

du monde (150 € la bouteille de 50 cl).

Expression originale du terroir : les vins du Château le Puy

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LE CHÂTEAU LE PUYQUI PORTAIT CE NOMAU XIXE SIÈCLE S’ESTAPPELÉ DURANTQUELQUES DIZAINESD’ANNÉES ”CHÂTEAUDU PUY” À LA SUITED’UNE ERREURD’IMPRESSION DESÉTIQUETTES (DONT LE MILLÉSIME ÉTAIT À L’ÉPOQUE AJOUTÉ À LA MAIN) DUE À UN AMI IMPRIMEURDE LA FAMILLE EN 1934.LES VIEUX MILLÉSIMESNON RÉ-ÉTIQUETÉSPORTENT CE NOM.LE NOUVEAU NOM

AVAIT ÉTÉ ADOPTÉ.MAIS EN 2000, JEAN-PIERRE ETPASCAL DÉCIDAIENT DE RENDRE SON NOMD’ORIGINE AU CHÂTEAULE PUY.

“LA CUVÉEBARTHÉLEMY ESTTOTALEMENT SANSSOUFFRE AJOUTÉ.J’AI FAIT FAIRE DESRECHERCHES POURCONNAÎTRE L’HISTOIREDE L’UTILISATION DU SOUFFRE. IL ESTUTILISÉ COMME ANTI-OXYDANT DEPUIS1830 SEULEMENT.LES ROMAINSL’UTILISAIENT POURDÉCOLORER LE ROUGEET EN FAIRE DU ROSÉ(ON COMPREND LESVOMITORIUM…)”JEAN-PIERRE AMOREAU

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Sandrine Tillet

(ci-dessous) s’occupe

de l’administration

et de l'export.

Bernadette Dumouly

et Viviane Gillet

(ci-contre) cirent les

bouteilles et préparent

les envois.