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Rgulations foncires Politiques publiques Logique des acteurs

Document de travail de lUnit de Recherche 095 N 6

Une lecture sociologique de la loi ivoirienne de 1998 sur le domaine foncier

Jean-Pierre CHAUVEAU Septembre 2002

IRD - UR Rgulations FonciresBP 5045 34032 Montpellier cedex 1 - France Fax : 33 (0)4 67 63 87 78 Directeur : Jean.-Pierre. Chauveau. Tl. 33 (0)4 67 63 69 71, [email protected] Secrtariat : Nathalie Finot. Tl. 33 (0)4 67 63 69 61, [email protected]

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Une lecture sociologique de la loi ivoirienne de 1998 sur le domaine foncier ruralJean-Pierre Chauveau*

La question de la formalisation des droits coutumiers 1. Ce document de travail constitue une version complte et rvise dune Note de travail destine au Comit de pilotage Foncier en Afrique de la direction de la Coopration franaise du 30 mars 20001. Cette note soulignait surtout le risque que, par une application trs stricte de la loi, ltat nen vnt se constituer, loppos de ses objectifs, un domaine foncier immatricul son nom et, de fait, ingrable2. Nous serions alors ramens la situation que la loi prtendait combattre : la non-reconnaissance juridique des droits effectivement mis en uvre par les dtenteurs de droits dorigine coutumire susciterait invitablement une situation de dualisme juridique dans laquelle le droit tatique formel verrait son autorit progressivement dmentie par la persistance des pratiques coutumires locales, tant de la part des agents de ltat que des populations rurales. Loin de promouvoir le renforcement institutionnel du champ foncier, le nouveau dispositif lgislatif contribuerait perptuer une fiction juridique qui ne permet ni ltat ni aux diffrentes catgories sociales locales de clarifier et de stabiliser les rgles du jeu foncier afin daffronter les effets cumuls de quarante ans de changements profonds des socits rurales et dinterventionnisme de ltat et du pouvoir politique3. La question de la formalisation des droits coutumiers, de manire unifier le droit officiel et les pratiques foncires relles, fait en effet partie de lhistoire ancienne. Le lgislateur colonial4 comme le lgislateur ivoirien5 sy sont essays, sans succs. Au-del de ses aspects novateurs, la nouvelle lgislation saffronte au mme problme, dordre sociologique plus que juridique : assurer leffectivit de la loi et matriser les invitables effets non intentionnels de son application. Le prsent document dveloppe surtout les principaux points suivants. Il prcise lesprit de la loi (qui demeure soumis malgr tout des considrations htrognes, voire contradictoires). Il sefforce de donner une vision complte et nuance des diffrents scnarios possibles des effets de lapplication de la loi sur lancien domaine coutumier , reconnu de manire ambigu par les* Socio-anthropologue, UR RFO de l'IRD "Rgulations foncires, politiques publiques et logiques d'acteurs ([email protected]). 1 Chauveau J.-P. La loi sur le domaine foncier rural et les droits coutumiers dans le contexte socio-politique ivoirien actuel, Note de travail, Comit de pilotage Foncier rural en Afrique , 30 mars 2000, MAE/DCT, 6p. Le prsent document (aot 2002) est une reprise de versions antrieures. Nous remercions particulirement Grard Paillat, Hubert Ducroquet et Jean-Philippe Colin pour leurs informations ou observations. Nous sommes seul responsable des interprtations, apprciations et erreurs ventuelles. 2 Que ltat conserve son compte ce domaine priv plthorique, ou quil en rtrocde la proprit des acheteurs dont la lgitimit ne manquerait pas dtre conteste localement. 3 Cf. J.-P. Chauveau, Question foncire et construction nationale en Cte dIvoire. Les enjeux silencieux dun coup dtat, Politique Africaine, n 78 spcial Cte dIvoire, pp. 94-125. 4 En dpit de la tentative non poursuivie dtablir un titre foncier indigne fond sur les droits dtenus par la coutume (dcret du 25 mai 1925) et de reconnatre les droits coutumiers et leur alinabilit sous condition dimmatriculation par lacqureur (dcret du 5 mai 1955). Cf. V. Bonnecase, Les trangers et la terre en Cte dIvoire (1901-1975), document de travail de lUnit RFO, 2, Montpellier, 2001. 5 Notamment la tentative avorte du Code foncier et domanial du 20 mars 1963 de raliser un quilibre entre les dtenteurs coutumiers et ltat (A. Ley, Lexprience ivoirienne , in : E. Le Bris, E. Le Roy et F. Leimdorfer, Enjeux fonciers en Afrique Noire, ORSTOM-Karthala, Paris, pp.135-141).

textes. Il propose une rflexion sur les moyens de limiter les prjudices que les dispositions et lesprit de la loi ne manqueront pas de faire subir aux exploitants non autochtones et surtout non ivoiriens ayant acquis, antrieurement la loi, des droits fonciers selon des procdures coutumires.

2. Ce document vise deux objectifs : Mieux faire connatre les dispositions concrtes de la loi. Il ne sagit pas de discuter du bienfond de la politique foncire choisie par le Gouvernement ivoirien, en relation tant avec sa propre apprciation du contexte et de lintrt du pays, quavec les recommandations manant de ses partenaires internationaux. La loi sur le domaine rural du 23 dcembre 1998 et ses dcrets dapplications publis aux J.O. le 14 janvier 1999 est considrs comme donns. Prendre la mesure des conditions et impacts prvisibles immdiats du nouveau dispositif au regard des ralits socio-politiques concrtes et incontournables qui prvalent en milieu rural ivoirien. Ces ralits, et le contexte particulier cr par le coup dtat relativement pacifique et consensuel de dcembre 1999, puis par les vnements lectoraux tendus qui ont suivi, chappent aux textes juridiques, lesprit universaliste. Il sagit donc dapprcier les chances relles deffectivit de la loi et, tout aussi important, de reprer, pour anticiper sur les risques quils peuvent prsenter, les effets non intentionnels de la loi. Nous nous basons, pour cela, sur les rsultats provisoires dun programme de recherche en socio-anthropologie, en ninsistant pas ici sur les intressants prolongements que cet exercice de socio-anthropologie dune politique publique peut soulever du point de vue de lanalyse et de la thorie.

3. Nous considrerons dans cette note les seuls droits dits coutumiers ou acquis selon des pratiques coutumires6. Dabord, du fait de leur importance quantitative : on estime (trs approximativement) que 98 % des droits actuels qui rgissent de fait les 25 millions dhectares du domaine rural sont fonds sur les pratiques locales, 2 % seulement se trouvant sous le rgime de limmatriculation ou de la concession dfinitive ou provisoire (sous rserve des droits des tiers). Ensuite, parce que les dispositions de la loi lgard des domaine coutumier 7 constituent une vritable rvolution dans les murs et les pratiques. Formaliser les droits coutumiers ne concerne pas seulement laccs la terre et son usage, mais concerne aussi des aspects qui relvent des quilibres socio-politiques locaux ainsi que des rapports entre les pouvoirs publics et les socits locales. Pour mener bien cette rvolution, le dlai prvu apparat en dfinitive extrmement court.

Les textes de la nouvelle loi sur le domaine foncier rural concernant le domaine coutumier 4. Jusqu la nouvelle Loi n 98-750 du 23 dcembre 1998, la lgislation foncire en vigueur en milieu rural tait hrite du droit colonial, encore renforc lindpendance par ltat ivoirien indpendant au nom de sa vocation affecter les ressources foncires selon les impratifs dune mise en valeur rationnelle du territoire national. Le rgime domanial faisait de ltat le propritaire des terres non immatricules, soit la quasi-totalit des terres usage agricole et6 Le terme de pratiques locales serait plus judicieux. Il vite bien des malentendus sur la nature et le caractre volutif des principes et des instances de rgulation qui rgissent localement les coutumes foncires souvent avec laccord tacite des autorits administratives locales.

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pastoral, et le dispensateur de la proprit prive (par immatriculation) et de lusage (par la concession) des terres, selon une procdure complexe, longue et coteuse. Les droits coutumiers taient cependant reconnus titre personnel et non cessible. Mais, non rels , ils maintenaient leurs dtenteurs dans un vide juridique que comblent des conventions, des pratiques et des institutions locales informelles , et dans lesquelles interviennent les agents de ltat euxmmes. Comme dans beaucoup dautres pays africains francophones partageant la mme tradition juridique, la loi tait donc trs peu applique. Pour lessentiel, les droits actuels, avant application de la nouvelle lgislation, trouvent leur origine dans les conceptions et les pratiques locales et demeurent rgis par elles. Ces pratiques locales sont la rsultante, variable selon les rgions, de composantes htrognes, voire contradictoires : des principes gnraux dits coutumiers, amnags et complts au cours du temps par les acteurs locaux sous leffet des contraintes et des volutions sociales, conomiques et politiques ; des pratiques politiques et administratives qui, elles-mmes, nont pas toujours t conformes la loi8 ; en dernier lieu seulement, linfluence lointaine de la loi de ltat, perue localement comme manifestant le pouvoir, ventuellement menaant, du gouvernement de simmiscer dans les affaires foncires locales.

Mais, press de sassurer dabord le difficile contrle des pouvoirs locaux, ce pouvoir ne sest rellement manifest que ponctuellement, loccasion de projets de dveloppement dampleur varie, ou daffectation de lusage de la terre sur une base clientliste. En dpit de la rcurrence des conflits fonciers et de lincapacit des institutions tatiques de les rgler sur la base du Droit, ce mode de rgulation plus politique que lgal sest impos tant que le contexte conomique et politique permettait toutes les parties dy trouver des compensations. La srie de crises conomiques et politiques qui se sont succd partir de la fin des annes 70 et surtout partir de 1990 la rendu inoprant et inacceptable politiquement pour la plupart des catgories sociales impliques dans lenjeu foncier9. Aussi, ds les annes 80, avec le soutien des bailleurs de fonds internationaux et bilatraux, le Gouvernement sest-il proccup de mettre sur pied un dispositif juridique qui, la fois, soit mieux adapt aux ralits du terrain, renforce la scurit des droits par ltablissement de titres fonciers, et facilite lvolution vers des pratiques juridiques modernes , notamment par lactivation dun march des titres.

5. La nouvelle Loi n 98-750 du 23 dcembre 1998 a t vote le 18 dcembre 1998 la quasiunanimit des dputs, PDCI et partis dopposition FPI et RDR confondus, et publie au Journal Officiel du 14 janvier 1999. La prparation de la loi avait inclus une procdure de recueil dinformation auprs des chefs traditionnels , convis par ladministration territoriale informer le Parlement en rpondant un questionnaire sur les rgles traditionnelles qui rgissent les terres et sur leur point de vue concernant le contenu de la nouvelle loi10, puis des missions

Les terres du domaine coutumier sont considres comme une composante, titre transitoire, du domaine foncier rural. En particulier la mise en pratique par les autorits locales de la consigne La terre appartient celui qui la met en valeur partir de lIndpendance, sans tenir compte de lavis des populations autochtones ni des consquences sur la ressource foncire soumise des fronts de colonisation agricole souvent massifs, notamment, mais pas exclusivement, en zone forestire. Aujourdhui, la Cte dIvoire est premier producteur mondial de cacao, parmi les premiers producteurs de caf et tient une bonne place parmi les producteurs africains de coton. 9 Cf. J.-P. Chauveau, Question foncire et construction nationale en Cte dIvoire , op.cit. 10 videmment, les rponses sont alles dans le sens de la reconnaissance des coutumes et du principe de lautochtonie.8

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parlementaires dinformation par les partis de lopposition et mixtes . De manire gnrale, linformation a t trs partielle et peu rpercute sur lensemble des communauts rurales. Les dcrets dapplication de la loi ont t signs le 13 octobre 1999. Ces dcrets concernent : Lorganisation et les attributions des Comits de gestion foncire rurale, visant doter ladministration territoriale de structures paritaires dcentralises au niveau des sousprfectures pour permettre une gestion foncire consensuelle (arbitrage des litiges fonciers, validation des enqutes foncires officiels, avis consultatifs sur les projets de dveloppement) ; les Comits villageois de gestion foncire11 mis en place seront rattachs aux Comits sousprfectoraux (Dcret N 99-593). Les modalits dapplication au domaine foncier rural coutumier de la loi (organisation des enqutes officielles, tablissement des certificats fonciers ouvrant limmatriculation des terres, objet de ces certificats) (Dcret N 99-594). La procdure de consolidation des droits des concessionnaires provisoires des terres du domaine foncier rural en droits de proprit ou en droits bail (Dcret N 99-595). Nous ne considrerons pas ce dcret ici, dans la mesure o il ne concerne pas les droits coutumiers.

Une srie darrts complte la rglementation. Ils prcisent le modle de formulaire de demande denqute et la comptence des sous-prfets (N147/MINAGRA du 9/12/1999), le modle officiel des certificats fonciers individuels et collectifs (N 02/MINAGRA du 8/2/2000), les modalits de ralisation et de prsentation des plans des biens fonciers (N 85 du 15/06/2000), le procs-verbal de recensement des droits coutumiers et les documents annexs (N 111 du 6/09/2000), le formulaire du constat dexistence continue et paisible de droits coutumiers sur un bien foncier du Domaine Foncier Rural (N 112 du 6/09/2000), le formulaire de requte dimmatriculation dun bien foncier rural objet dun Certificat foncier (N 139/MINAGRA du 6/09/2000), le formulaire de demande de bail emphytotique sur un bien foncier rural objet dun certificat foncier (N 140/MINAGRA du 6/09/2000), le formulaire dapprobation et de validation des enqutes foncires rurales officielles (N 30/MINAGRA du 15/05/2001), le formulaire de procs-verbal de clture de publicit des enqutes foncires officielles (N33/MINAGRA du 28/05/2001), la constitution et le fonctionnement des Comits de gestion foncire rurale 12 (N41/MEMID/MINAGRA du 12/06/2001 . Il faut en outre noter que le dispositif lgislatif et rglementaire complet inclut un Cahier des charges, tabli au moment de la dlivrance des certificats fonciers. Contresign par le prfet et le titulaire du certificat, il prcise les clauses et conditions auxquelles la reconnaissance dun droit foncier (sous la forme dun certificat foncier provisoire) est consentie au demandeur, et que celui-ci sengage formellement respecter sous peine de voir son droit retir. Ce document rappelle lobligation de mettre en valeur et lventualit de la reconnaissance de droits aux occupants de bonne foi non admis au bnfice du certificat foncier .

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La loi voque des conseils de villages . Le terme de comits villageois de gestion foncire est utilis dans le dcret N 99-593, postrieur la loi. 12 Cf. la plaquette du MINAGRA Guide du dtenteur de droits fonciers ruraux coutumiers (2002). Nous navons pas pris connaissance de la teneur de ces arrts avant la rdaction de ce document.

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Le contenu de la loi : dune approche pragmatique du domaine coutumier la mise en uvre marche force de la proprit prive individuelle.6. Par contraste avec les orientations affiches par le projet pilote du Plan foncier Rural13, qui recense, au moins en principe14, lensemble des droits dappropriation, dadministration et dusage (comme les contrats de location, trs rpandus), la loi sur le domaine national ne se proccupe, dans sa phase juridique actuelle, que des seuls droits coutumiers dappropriation. Elle se prsente comme un dispositif de conversion volontariste et acclre de ces droits en un systme de droit de proprit prive unique, de prfrence individuel. Lobjectif essentiel affich est dassurer la transition acclre (dix ans aprs la promulgation de la loi) des pratiques locales dappropriation vers un rgime unique de proprit prive moderne , qui puisse assurer la scurit foncire, laccs au crdit et la scurit des investissements, la rduction des conflits et leur rglement selon des procdures claires, la constitution dun vritable march des titres fonciers, ltablissement, enfin, dun systme fiscal incitatif. En bref, il sagit dassurer les conditions optimales dallocation de la ressource foncire et des ressources naturelles renouvelables, du moins selon le schma prvu par la thorie conomique des droits de proprit et dont la mise en uvre est fortement encourage par les institutions internationales et les principaux bailleurs de fonds de la Cte dIvoire15. Cela implique que les propritaires de terres rurales soient passibles de limpt foncier (article 24).

7. Lapplication de la loi implique que le domaine coutumier des terres, reconnu titre transitoire par la prsente loi, disparaisse dans les dlais prescrits par la loi. Ces terres sont affectes dans les autres composantes du Domaine foncier rural reconnues titre permanent : les terres proprit de ltat, les terres proprit des collectivits publiques et des particuliers, mais aussi les terres sans matre, dans les cas o des ayants droits coutumiers perdraient leurs droits en ne respectant pas les procdures requises pour les faire constater (article 6).

8. Les dispositions de la loi diffrent fondamentalement selon que le dtenteur constat de droits dorigine coutumire est de nationalit ivoirienne ou non. Nous examinons successivement ces deux situations.

13 Le PFR mis en uvre partir de 1990 a constitu une sorte de banc dessai denregistrement de tous les droits existants. Cf. P.-M. Bosc, J.-P. Chauveau, Y. S. Affou, A. Fian et P. d'Aquino, valuation de l'opration pilote de Plan Foncier Rural, Abidjan-Montpellier, Ministre de l'Agriculture et des ressources animales - CIRAD/SAR, 1996 ; J.-P. Chauveau, P.-M. Bosc, M. Pescay, Le Plan Foncier Rural en Cte d'Ivoire , in : P. Lavigne Delville (dir.), Quelles politiques foncires en Afrique ? Rconcilier pratiques, lgitimit et lgalit, Paris, Karthala - Coopration Franaise, 1998, pp. 553-582. Le projet devait servir la prparation de la loi. On ne discutera pas ici de la ralisation de ce dernier objectif. 14 Dans la pratique, seuls les droits dappropriation correspondant un usage agricole sont recenss. Cf. P.-M. Bosc, J.P. Chauveau, Y. S. Affou, A. Fian et P. d'Aquino, valuation de l'opration pilote de Plan Foncier Rural, op.cit. 15 On ne discutera pas ici du bien-fond des prvisions de cette thorie. On sait quils donnent lieu des dbats contradictoires au regard des vidences empiriques, y compris parmi les tenants de la thorie no-classique complte par la prise en compte de la dimension institutionnelle des mcanismes conomiques. Cf. entre autres J.-Ph. Platteau, Une analyse des thories volutionnistes des droits sur la terre , in : P. Lavigne Delville (dir.), Quelles politiques foncires en Afrique ? Rconcilier pratiques, lgitimit et lgalit, Paris, Karthala - Coopration Franaise, 1998, pp. 123-130. Les principaux points de dbat concernent la capacit mcanique des seuls titres individuels de proprit de scuriser la tenure foncire, dactiver le march de la terre, de faciliter le recours au crdit et daugmenter la productivit.

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a) Les droits coutumiers relatifs des personnes ou des groupements de personnes ivoiriennes9. Les dtenteurs ivoiriens de droits coutumiers ou acquis selon des pratiques coutumires sur des terres mises en valeur ou non16 doivent faire constater leurs droits dans les dlais prescrits par la loi, cest--dire dix ans aprs la publication de la dite loi (le 14 janvier 1999). Le seul critre tant la nationalit ivoirienne (outre le constat dexistence continue et paisible des droits), la loi ne fait pas de distinction entre les droits issus de lappartenance une communaut autochtone locale, et les droits issus de la cession de droits par des autochtones des trangers 17 la communaut locale si ces derniers sont de nationalit ivoirienne. Nous verrons que lapplication de cette disposition dpendra en ralit du contexte socio-politique local (cf. points 23, 25, 36, 42 et suivants). La demande de constatation se manifeste par une demande denqute auprs du sous-prfet, en sa qualit de Prsident du Comit (sous-prfectoral) de Gestion Foncire Rurale. Aprs validation des rsultats de lenqute mene par une commission assermente appuye par des oprateurs techniques agrs et sous autorit du Comit Villageois de Gestion Foncire Rurale (selon une procdure de publicit prcise dans le dcret N 99-594), des certificats fonciers individuels ou collectifs sont tablis et publis par le Prfet au Journal Officiel. Les certificats confrent leurs titulaires la capacit dester en justice et de cder ces certificats, en tout ou partie, des tiers18 dans le cas des certificats individuels. Il est prcis (article 17 de la loi) que les certificats collectifs ne sont cessibles que un membre de la collectivit ou du groupement ou un membre de la collectivit , ce qui semble restrictif. On peut alors penser que la collectivit dsigne la communaut villageoise autochtone. Mais les dispositions ne sont pas claires, puisque larticle 21 du dcret N 99-594 stipule que le bien foncier objet dun certificat collectif peut tre morcel au profit des membres du groupement ou de tiers , sans autre prcision.

10. Ces certificats fonciers ne sont toutefois dlivrs qu titre transitoire. Ils doivent tre convertis, linitiative des titulaires de certificats et brve chance (trois ans partir de la dlivrance des certificats) en droits individuels de proprit prive par la procdure dimmatriculation. Les titres fonciers de proprit sont dlivrs par le Conservateur foncier et les plans des parcelles sont intgrs dans le Cadastre national. La procdure dimmatriculation diffre selon quil sagit de certificats individuels ou collectifs.

Immatriculation des certificats individuels11. Dans le cas de certificats fonciers individuels, ou dans le cas de certificats fonciers collectifs qui ont t morcels entre temps au profit des membres du groupement ou de tiers (puisque le certificat est cessible), cette transformation se fait par immatriculation au nom du dtenteur du certificat. Dans le cas o le titulaire du certificat serait dcd et o il y a indivision entre les hritiers, limmatriculation est faite, aprs morcellement, au nom des divers membres du groupement ou de lindivision (Dcret N 99-154 du 13 octobre 1999, art. 28). La possibilit accorde aux hritiers dun titulaire dun certificat individuel dimmatriculer au nom de

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Cette clause dcoule logiquement du rapprochement de larticle premier de la loi et de son article 2. Selon le terme utilis localement. Qui sont ncessairement de nationalit ivoirienne.

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lindivision semble cependant contradictoire avec lobligation de morcellement faite aux membres dun groupement titulaire dun certificat collectif aux fins dimmatriculation (point suivant).

Immatriculation des certificats collectifs12. Dans le cas de certificats collectifs (), limmatriculation est faite, aprs morcellement, au nom des divers membres du groupement () . Lesprit qui apparat fortement est bien que la condition de limmatriculation est le dmembrement du droit collectif ; il ne peut y avoir immatriculation pleine et entire quindividuelle19. Il semble que le choix de nimmatriculer les terres faisant lobjet dun certificat collectif quaprs dmembrement (article 28 du dcret N 99594 du 13 octobre 1998) ait t motiv par le souci dviter laccaparement de vastes portions de terres par le gestionnaire coutumier des certificats collectifs (qui apparat curieusement, dans le Cahier des charges joint au certificat foncier collectif, comme le seul dtenteur lgal du certificat foncier ). La loi ne rsout donc pas le problme des groupements qui, pour des raisons de bonne gestion conomique ou sociale de lexploitation, souhaiteraient rester en proprit indivise. Cas possible dimmatriculation au nom de ltat de terres appartenant des personnes ou des groupements de personnes ivoiriens

13. Malgr le principe que toute personne ivoirienne peut accder un titre de proprit, ltat se rserve le droit dimmatriculer la terre son nom en cas de difficult ou de non-respect de la procdure.

14. Limmatriculation est faite au nom de ltat en cas de conflits. Mais l aussi, il nest pas clairement prcis sil sagit de conflits propos des conditions de morcellement entre les membres du groupement titulaire dun certificat collectif avant immatriculation, ou entre hritiers propos du maintien ou non dans lindivision dans le cas du dcs dun gestionnaire de certificat collectif.

15. Limmatriculation est faite au nom de ltat en cas de non-respect des dlais de procdure. Dabord, du dlai de dix ans partir du 14 janvier 1999 pour faire reconnatre les droits coutumiers : limmatriculation est faite au nom de ltat, ce qui correspond une expropriation aux yeux de loccupant coutumier, puisque le droit coutumier antrieur est converti en droit de location, le loueur tant ltat propritaire. Ensuite, du dlai de trois ans imparti pour transformer le certificat foncier et titre de proprit par immatriculation. On peut considrer que le respect de19 Laffirmation du principe impos de limmatriculation individuelle pour les certificats collectifs peut cependant donner lieu une interprtation plus souple. Larticle 21 du dcret 99-594 prvoit en effet que le bien foncier objet dun certificat collectif peut tre morcel au profit des membres du groupement ou de tiers . Larticle 28 du mme dcret prvoit explicitement limmatriculation de certificat collectif ou dindivision entre des hritiers. Mais, est-il ajout, limmatriculation est faite, aprs morcellement, au nom des divers membres du Groupement ou de lindivision ou au nom de ltat en cas de conflits . Les entretiens que nous avons eus avec certains acteurs qui ont particip llaboration de la loi font nanmoins ressortir la volont du lgislateur daboutir limmatriculation individuelle. La plaquette du MINAGRA Guide du dtenteur de droits fonciers ruraux coutumiers (2002), destine tre largement diffuse en vue dinformer les populations, reste trs gnrale. Elle ne mentionne pas les variantes individuelle et collective du certificat foncier et, concernant limmatriculation, mentionne simplement que le conservateur cre un titre foncier. Si vous tes ivoirien, la terre est immatricule votre nom. Dsormais, vous pouvez la vendre ou la louer . Par contre, la plaquette du MINAGRA La mise en uvre de la loi relative au domaine foncier rural (2002), prsentant la Commission foncire Rurale, est beaucoup plus explicite. Dans le schma intitul Transformation des droits fonciers ruraux coutumiers en droit de proprit , limmatriculation au nom du titulaire du Certificat foncier passe par le morcellement des Certificats fonciers collectifs. Il est possible que, devant les difficults dimposer partout le dmembrement individuel, les responsables de la mise en uvre de la loi adoptent une attitude pragmatique.

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ce dlai implique lobligation de sortir de lindivision, sous peine dimmatriculation au nom de ltat. Dans ces deux cas, limmatriculation par ltat, faute de respecter les dlais prvus, renforce encore sa dimension expropriatoire aux yeux de loccupant coutumier, qui se sera vu confirmer auparavant son droit doccupation par un certificat foncier, et qui constatera que ce droit est dsormais converti en droit de simple occupation (de location ?) dune terre immatricule par ltat.

16. Dans tous les cas prcdents dimmatriculation au nom de ltat, pour cause de non-respect par les ayants droits des dlais de procdure, de maintien dans lindivision ou dexistence de conflits entre ayants droits, la loi ne prcise pas toujours la nature du droit location affect au(x) titulaire(s) ivoirien(s) de lancien certificat individuel ou collectif. Il sagira probablement dune location emphytotique, dans la mesure o un tel bail est prvu dans certains cas pour les nonIvoiriens (cf. 19) ; on imagine mal que les Ivoiriens soient soumis un rgime plus dfavorable. Par ailleurs, ce droit de location attribu aux Ivoiriens sur des terres quils occupaient antrieurement lapplication de la loi devrait tre soumis de fortes restrictions quant ses modalits de transfert, conformment larticle 15 de la loi (transfert par ladministration sur demande expresse du cdant ) qui ne distingue pas entre location dune terre immatricule au nom de ltat des Ivoiriens et des non-Ivoiriens. Cette clause paratra particulirement exorbitante aux intresss, sil sagit dautochtones nayant pas respect les conditions prvues de procdure.

b) Le cas des occupants non ivoiriens identifis au terme de lenqute foncire17. Les non-Ivoiriens ne peuvent tre propritaires, ils ne peuvent en aucune manire faire immatriculer une terre en leur nom et donc obtenir un titre de proprit. Les droits de proprit de terres du Domaine Foncier Rural acquis antrieurement la prsente loi (par des non-Ivoiriens) sont maintenus titre personnel (art. 26). Ils sont donc reconnus de manire transitoire (leur cas fait expressment lobjet du chapitre V de la loi : Dispositions transitoires ), sans possibilit de cession (comme, dans lancienne lgislation, lensemble des droits coutumiers, droits reconnus titre personnel et non cessibles). La forme ultrieure de consolidation des droits doccupation des non-Ivoiriens est unique : la promesse dun contrat de location .

18. Cette clause manifeste par consquent le caractre rtroactif de la loi sur les droits acquis coutumirement et antrieurement la nouvelle loi par les non-Ivoiriens, bien que le lgislateur rpugne le reconnatre. Le lgislateur peut en effet exciper de la nullit juridique des transactions foncires dans le domaine rural coutumier antrieurement la nouvelle loi, puisque tout transfert de droit sous seing priv dans ce domaine de la proprit minente de ltat tait explicitement prohib par la loi. Mais, dans la pratique, le lgislateur reconnat que ces transactions avaient des effets bien rels, et il reconnat aussi son souci de les prendre en compte puisquil dispose dans lart. 26 que : Les droits de proprit de terres du Domaine Foncier Rural acquis antrieurement la prsente loi par des personnes physiques ou morales ne remplissant pas les conditions daccs la proprit fixes par larticle 1 ci-dessus [cest--dire par des nonIvoiriens] sont maintenus titre personnel (soulign par nous).

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Malgr son aspect rtroactif, la loi cherche protger ces droits, au moins provisoirement, en instituant une clause conservatoire qui vise viter le retrait pur, simple et immdiat des droits acquis antrieurement par les non-Ivoiriens selon des procdures coutumires. Mais cette protection provisoire ne concerne que les ayants droits non ivoiriens de premire gnration. Une restriction supplmentaire concerne leurs hritiers. Ces derniers sont tenus : soit de cder leurs terres dans un dlai de trois ans, sans autres prcisions (restitution avec ou sans contrepartie aux anciens propritaires coutumiers ? cession onreuse des Ivoiriens, quelle que soit leur origine ?) ; soit de dclarer lautorit administrative le retour de ces terres au domaine de ltat sous rserve den obtenir la location sous forme de bail emphytotique cessible comme les ayants droits non ivoiriens de premire gnration. En outre, les dispositions de la loi ne sont pas trs claires sur la nature du document qui sanctionnera la reconnaissance provisoire du droit acquis par les non-Ivoiriens antrieurement la nouvelle loi, avant sa cession ou sa transformation en droit de location. Il ne peut sagir dun certificat foncier de mme nature que celui dont bnficient les Ivoiriens et qui ouvre droit limmatriculation. Il pourrait sagir dune sorte de certificat provisoire lusage des nonIvoiriens.

19. Il faut noter que la conversion des droits acquis par les non-Ivoiriens selon des procdures coutumires (selon des conventions diverses dont le contenu est dailleurs variable et imprcis : ventes , dons , prts dure indtermine) en droit de location ltat prend le contre-pied des pratiques locales. Cela correspond en effet une purge des droits coutumiers sur ces terres au profit de ltat, puisque les droits acquis par les non-Ivoiriens ont t concds en gnral par des autochtones sur leur patrimoine foncier, qui se mnagent un droit de regard (plus ou moins effectif et plus ou moins reconnu par ltranger ) par linstitution du tutorat . Cette institution, videmment ignore par le droit officiel, lie ltranger bnficiaire de la cession de droits son tuteur (obligation de reconnaissance sociale qui se traduit par une aide financire ponctuelle ou rgulire, selon les situations). Si lon prend la loi au pied de la lettre, elle organise donc la rtrocession des droits fonciers des non Ivoiriens ltat, donc lexpropriation indirecte des ayants droits coutumiers sur ces terres, puisque la loi ne tient pas compte de lorigine de ces droits (cest--dire des droits coutumiers prexistant sur ces terres), ni des relations prsentes entre les occupants trangers et leurs tuteurs autochtones. Il faut toutefois considrer une autre disposition, qui napparat qu propos du Cahier des charges prvu en annexe du certificat foncier (art. 14 du dcret dapplication N 99-594), mais pas dans la loi elle-mme. Cette disposition stipule que le Cahier des charges prcise le cas chant, la liste des occupants de bonne foi, mais non admis au bnfice du certificat foncier (donc les non-Ivoiriens), dont les droits seront confirms par le titulaire du certificat de faon juste et quitable pour les deux parties, aux clauses et conditions du bail emphytotique et conformment aux loyers en vigueur fixs par textes rglementaires . On ne peut exclure que des non-Ivoiriens puissent bnficier de cette clause. Cela suppose la possibilit de formaliser les relations de tutorat, et laisse la plus grande marge de manuvre au titulaire autochtone du certificat foncier, qui sera peu prs seul pouvoir valuer le caractre lgitime et paisible de loccupation de terre par le non-Ivoirien. On peut supposer que dans le cas de certificats collectifs, la gestion du loyer vers par le non-Ivoirien incombera au gestionnaire dsign du groupement.

20. En dfinitive, on doit distinguer les effets de la loi sur la conversion des droits fonciers dtenus antrieurement la loi par des non-Ivoiriens en droit location selon :

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quils aboutissent un droit location auprs de ltat lui-mme ; ou quils aboutissent un droit location auprs de titulaires ivoiriens de certificats fonciers.

On discutera plus loin des ventualits de lun et de lautre cas propos de leffectivit et des effets redistributifs de la loi (29 et suivants)

21. Nature du contrat de location accord des non-Ivoiriens. En tout tat de cause, les droits acquis antrieurement la nouvelle loi par les non-Ivoiriens selon les pratiques coutumires sont destins toujours tre convertis en droit location. Ce droit location (plus prcisment cette promesse dun contrat de location ) semble tre conu comme un droit de bail emphytotique, mais cette clause nest prcise, de manire gnrale et sans mention de la dure, que dans le cas dhritiers dacqureurs de terres non ivoiriens antrieurement la loi (art. 26 de la loi) et dans le cas doccupants non ivoiriens de bonne foi dune parcelle affecte un titulaire de certificat foncier (art. 14 du dcret dapplication N 99-594). Par ailleurs, les conditions de cession du contrat de location par les non-Ivoiriens ne sont pas claires. Dun ct, les dispositions gnrales indiquent que tout transfert de location dune terre immatricule au nom de ltat se fait par lAdministration sur demande expresse du cdant et sans que ce transfert puisse constituer une violation des droits des tiers (art. 15 de la loi, soulign par nous). Dun autre ct, les hritiers dacqureurs de terres non ivoiriens antrieurement la loi peuvent obtenir la location sous forme de bail emphytotique cessible (art. 26 de la loi).

Lesprit de la loi : une combinaison de principes htrognes, un souci dquit dont lissue demeure alatoire22. Sans extrapoler outre mesure, on peut caractriser lesprit de la loi par quelques grands traits qui se dgagent de ses dispositions. Lhtrognit qui en ressort exprime la difficult pour ltat de concilier la fois la reconnaissance des droits coutumiers, considrs comme la principale base de la dotation initiale des droits que lon cherche stabiliser, et la volont de jeter les bases de procdures juridiques modernes visant favoriser laffectation conomiquement efficace de ces droits par linstauration dune circulation marchande des titres de proprit. De ce point de vue, la loi de 1998 nest pas foncirement originale. Elle prsente de fortes analogies avec les tentatives coloniales de 1924 et de 1955 de reconnatre les droits coutumiers, dont la ralit simpose par la force des choses, tout en les prparant se transformer en titres librement cessibles. Aussi, comme dans les tentatives avortes prcdentes, lesprit de la loi peut-il tre nuanc, voire contredit par la procdure prvue. Lesprit de la loi peut tre galement contrecarr par les effets non intentionnels de son application (que nous examinerons dans la partie suivante). Toutefois, linverse des rformes juridiques sans lendemain de lpoque coloniale, il existe une volont politique indubitable dappliquer la loi, pour des raisons elles aussi htrognes mais convergentes20.

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On peut voquer ple-mle : la motivation, autant politique quconomique, de rengocier les droits antrieurement acquis par les migrants non ivoiriens ; linvestissement dans le foncier de catgories sociales urbaines dsireuses daccder des droits plus scuriss ; la pression des institutions internationales et des bailleurs de fonds pour instaurer un rgime foncier compatible avec le renforcement des mcanismes du march.

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23. La loi fait expressment de la coutume, et plus particulirement de lautochtonie, une source du droit, ce qui constitue une novation incontestable par rapport lancienne lgislation. Celle-ci reposait auparavant sur le principe domanial : ltat tait le seul dispensateur de droits, par la procdure dimmatriculation21. Lorigine coutumire du droit devait en quelque sorte tre efface, par la purge des droits coutumiers , pour donner toute sa force au titre issu de limmatriculation. Maintenant, hors du cas de limmatriculation au nom de ltat22, cest bien le certificat foncier, fond sur la reconnaissance des pratiques coutumires, qui est lorigine du droit. La reconnaissance de la prminence de lautochtonie constitue galement un profond changement sur le registre politique. Depuis lIndpendance et jusqu maintenant, les pratiques administratives locales suivaient clairement, par lintermdiaire des sous-prfets, juges et commandants de gendarmerie, les consignes politiques de soutien la colonisation agricole dans les rgions forestires, notamment lendroit des migrants Baoul23. Lesprit de la nouvelle loi prend manifestement le contre-pied de la philosophie de mise en valeur agricole du pays prne par lancien prsident Houphout-Boigny et cristallise dans son slogan la terre appartient celui qui la met en valeur lanc en 1963. Ce revirement a t en partie impos au gouvernement ivoirien de 1998 et au Prsident Bdi par une majorit de dputs issus des rgions de colonisation agricole, contre la volont de ce que certains observateurs appellent le lobby baoul . Toutefois, la force accorde en principe la coutume est attnue par lobligation de sanctionner par limmatriculation lexistence des droits coutumiers reconnus24, ainsi que par la brivet des dlais accords pour la demande de reconnaissance de ces droits et pour la demande dimmatriculation, comme le souligne lobservation suivante.

24. La loi est base sur le volontariat des sujets, qui doivent prendre linitiative de la procdure de reconnaissance des droits. Mais ce volontariat est en ralit trs contraint par les dlais relativement brefs imposs aux demandes de certificat foncier puis dimmatriculation, sous peine de perte du droit de proprit. Certaines contraintes pourront tre allges dans la pratique, par exemple la demande dimmatriculation peut aisment tre engage de manire automatique, ds lobtention du certificat. Mais il sagit bien dobliger les sujets de droit sinsrer marche force dans une lgislation propritariste. On aurait pu imaginer une solution alternative qui conduise la dlivrance de certificat pour tous, en laissant toute libert leur dtenteur daller vers le titre de proprit (puisque le certificat est cessible).

25. La loi fournit un cadre gnral dexercice des droits, elle tend plutt prvoir a minima sans dtailler tous les cas possibles. Elle laisse en dfinitive une grande marge dapprciation aux acteurs eux-mmes, la commission denqute et aux instances de validation (au prix quelquefoisCertains observateurs remarquent quil sagissait dune interprtation maximaliste de la prminence de limmatriculation, certaines nuances du dcret de 1932 ayant t oublies dans la pratique administrative. 22 Limmatriculation au nom de ltat seffectuant dailleurs, dans certains cas, au motif que les droits coutumiers ne sont pas suffisamment clairs. 23 Cf. J.-P. Chauveau, Question foncire et construction nationale en Cte dIvoire , op. cit. 24 La premire mouture de la loi prpare au sein de ministre de lAgriculture nobligeait pas les dtenteurs de certificats fonciers aller jusqu limmatriculation. Daprs des observateurs bien informs, lexigence dimmatriculer se serait impose aux dputs non pour en faire la source du droit de proprit, celle-ci relevant du certificat foncier, donc de lappropriation coutumire, mais pour garantir lunicit, la rigueur et la crdibilit de la gestion des titres par le cadastre. En outre, la procdure dimmatriculation (qui comporte des clauses restrictives sur la superficie immatricule) leur semblait reprsenter un garde-fou contre laccaparement de vastes domaines par des personnalits ou des notables locaux. On peut toutefois penser que lobligation dimmatriculer va aussi dans le sens des intrts des cadres, intellectuels et politiciens citadins ressortissants de villages ruraux, qui auront ainsi la possibilit de mieux scuriser21

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de certaines ambiguts, comme on la not quelques reprises). Cest ainsi que la loi ne prjuge pas de savoir si les occupants migrants ivoiriens seront reconnus comme titulaires de certificat foncier ou nobtiendront quun droit de location. De mme, la loi ne prjuge pas si les migrants ivoiriens qui nobtiennent pas un certificat, ou les non-Ivoiriens (en gnral) auront un contrat de location concd par des titulaires autochtones de certificat ou concd par ltat qui aurait immatricul en son nom. Cest un aspect positif, qui laisse une marge de manuvre aux intresss et aux instances locales de dcision. En contrepartie, elle peut aussi faire la part belle aux rapports de force locaux, voire aux manuvres opportunistes des uns et des autres, en labsence de toute rfrence au principe de prescription dans le cas doccupation continue et paisible (sauf dans le Cahier des charges annex aux certificats fonciers, dont la force dobligation est beaucoup moins forte que la loi elle-mme). cet gard, le lgislateur semble la fois conscient des risques dexcs et dabus quune application stricte de la loi pourrait entraner, et soucieux de limiter ces risques et ces abus. En clair, bien quil rpugne reconnatre les effets rtroactifs de la loi, le souci du lgislateur est dattnuer les effets de la rtroactivit des nouvelles dispositions sur les droits acquis antrieurement la loi par des migrants ivoiriens et par des non-Ivoiriens. Cette proccupation transparat dans les dispositions relatives la reconnaissance des droits doccupation paisible de migrants ivoiriens et de non-Ivoiriens ns des transactions coutumires antrieures la loi, et leur conversion en droit de location (article 14 du dcret dapplication N 99-594). Dans le cas spcifique des non-Ivoiriens, exclus de laccession la proprit, elle transparat dans le souci de leur accorder une reconnaissance de ces droits, dabord sous une forme provisoire, titre personnel, ensuite sous forme de droit location.

26. La loi relative au domaine foncier rural tablit les prmices dun vritable Code foncier national. Cependant, elle laisse de ct pour le moment des aspects juridiques ayant des implications foncires importantes. En premier lieu, elle ne concerne que la seule question des droits de proprit, lexclusion des contrats de faire-valoir indirect (dont la location est la forme la plus frquente) prexistant ltablissement des certificats, des droits dadministration dlgus (par exemple collectivement dlgus auprs de communauts de migrants installs depuis longtemps), et des simples droits dusage reconnus par les pratiques locales (notamment les droits de parcours et de pturage des leveurs). De ce point de vue, la loi se situe en de des ambitions initiales du projet pilote du Plan Foncier Rural qui visaient identifier tous les droits existants, fonds sur le droit officiel comme sur les pratiques locales. En outre, le simple fait de ne transcrire que les droits dappropriation naffaiblit-il pas les autres droits et nautorise-t-il pas le dtenteur rengocier ou mme ne plus reconnatre ces autres droits ? Ce risque est dautant plus grand si lon considre lexprience du Plan Foncier Rural. Bien que le PFR ait eu lambition didentifier tous les droits, on sait bien que lessentiel des droits dlgus dadministration et dusage na t ni dclar ni transcrit dans les enqutes foncires25. Par ailleurs, en ltat, la loi ne se proccupe pas des interfrences entre ses dispositions et les implications foncires dautres dispositions juridiques, comme le Code Civil (par exemple lorsque les pratiques locales autorisent lhritage matrilinaire ou par des collatraux), et le Code de la nationalit (par exemple lorsquun non Ivoirien accde la nationalit ivoirienne postrieurement lenqute foncire donnant lieu ltablissement des certificats fonciers). On peut galement penser quil serait opportun dassocier la mise en uvre de la loi sur le domaine rural uneleurs droits acquis par succession vis--vis de leurs parents villageois, ou dintervenir plus efficacement dans la procdure dimmatriculation leur profit ou celui de leur famille. 25 Cf. P.-M. Bosc, J.-P. Chauveau, Y. S. Affou, A. Fian et P. d'Aquino, valuation de l'opration pilote de Plan Foncier Rural, op. cit. ; J.-P. Chauveau, P.-M. Bosc, M. Pescay, Le Plan Foncier Rural en Cte d'Ivoire , op. cit.

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rflexion sur ses relations avec les dispositions prvues en matire de dcentralisation. Lrection des nouvelles communauts rurales aura par exemple des implications foncires, tant en ce qui concerne les terres usage agricole ou pastoral quen ce qui concerne le foncier pri urbain et le foncier bti (Cf. 67).

27. En dfinitive, la loi apparat comme une combinaison de principes assez htrognes : reconnaissance de la coutume travers les certificats fonciers, mais reconnaissance contrainte par la sanction ultrieure et obligatoire de limmatriculation ; primaut reconnue au volontariat, mais dans un cadre procdural (voire procdurier) trs contraignant en matire de dlai de demande de reconnaissance des droits et dimmatriculation ; volont dadapter la lgislation aux pratiques locales relles, mais en ne prenant en compte que les droits qui peuvent donner lieu des titres de proprit prive, lexclusion des autres droits dadministration et dusage.

28. Les effets prvisibles de la loi savrent par consquent largement alatoires, mme si le lgislateur semble soucieux de limiter les risques et les abus que pourraient entraner la rtroactivit des dispositions nouvelles en termes dquit, notamment lexclusion des nonIvoiriens de la proprit prive et laffirmation de lautochtonie comme source privilgie de droit au dtriment des exploitants non autochtones (cf. 25). Leffectivit de la loi et ses effets redistributifs inhrents dpendront de nombreux facteurs socio-politiques nationaux et locaux ainsi que de la volont et de la capacit de ladministration de faire prvaloir, au-del des textes eux-mmes, les diffrents aspects de lesprit de la loi. Ce point est dvelopp dans la partie suivante.

Effectivit, effets prvisibles et conditions de mise en uvre de la loi au regard des ralits socio-politiques concrtes en milieu rural29. Afin dvaluer les rsultats prvisibles de la loi, au moins court et moyen terme, il convient de distinguer : son effectivit, cest--dire la mesure de son application effective rapporte son rsultat escompt ; elle peut tre mesure ngativement par la frquence attendue des immatriculations au nom de ltat ; ses effets redistributifs , cest--dire les changements dans la rpartition des droits dappropriation imputables la formalisation de ces droits par lapplication de la loi, par rapport la rpartition actuelle des droits selon les catgories significatives dayants droits et doccupants (autochtones, migrants ivoiriens, occupants non ivoiriens ; vieux et jeunes ; hommes et femmes) ; les conditions institutionnelles prsumes par la mise en uvre de la loi, cest--dire les capacits institutionnelles effectives de ltat, des services administratifs et des personnes prives quimplique la mise en uvre de la loi.

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a) Leffectivit prvisible de la loi peut tre mesure a contrario par la frquence prvisible des cas dimmatriculation au nom de ltat.30. Si lobjectif principal de la loi est dassurer la transition acclre (dix ans aprs la promulgation de la loi) des pratiques locales vers un rgime unique de proprit prive, lindicateur de russite de la mise en uvre effective de la loi est la faiblesse de la frquence prvisible de limmatriculation au nom de ltat. En effet, cette procdure sanctionne limpossibilit ou lchec des ayants droits et occupants locaux du domaine coutumier sentendre ou runir les conditions pour obtenir un titre de proprit individuel (et, accessoirement, un contrat de location auprs du titulaire du titre). Plus la partie du domaine rural constitue par les terres proprit de ltat augmentera avec lapplication de la loi, moins lobjectif dassurer la transition de loccupation coutumire des terres vers la proprit prive sera atteint. On peut montrer que, si les dispositions de la loi sont strictement appliques, le simple jeu des dispositions et des sanctions de la loi devrait conduire une partie importante des terres du domaine coutumier tre immatricules au nom de ltat. Il faut toutefois tenir compte, pour chacun des cas de figure qui peuvent conduire cette issue, de la pluralit possible de scnarii, selon les marges de manuvre dont disposent les acteurs locaux et selon le degr de tolrance qui sera appliqu par les autorits. Nous en tiendrons compte par la suite. Pour le moment, retenons lhypothse dcole maximaliste o : les dispositions et les sanctions prvues par la loi seront strictement appliques, notamment en cas de dpassement des dlais lgaux et de conflits avrs ; sont prises en compte toutes les procdures coutumires de cessions par les autochtones de droits dappropriation et dadministration de la terre des non-Ivoiriens antrieurement la loi (par vente , dons , prts dure indtermine et sans condition restreignant la transmission du droit acquis).

Sous ces hypothses, il y a de fortes chances que lapplication de la loi dans les dlais prvus aboutisse la constitution dun domaine foncier de ltat trs important. Il regrouperait des terres dont les occupants antrieurs pourraient tre aussi bien autochtones quallochtones ivoiriens (cf. 13, 14, 15 et 16) ou non ivoiriens (cf. 17 et 18)26.

Les cas possibles dimmatriculation au nom de ltat de terres occupes par des autochtones ivoiriens31. Toutes les terres dont les droits dorigine coutumire y affrents nauront pas t constats par les ayants droits autochtones dix ans aprs la publication de la loi (cest--dire le 13 janvier 2009, soit un dlai maintenant trs bref) (cf. 9, 15 et 16). On peut penser que la brivet du dlai, eu gard ltat de linformation actuelle auprs des populations, eu gard au cot de lopration et sa complexit technique, et surtout eu gard au changement de mentalit que cette dmarche volontaire reprsente vis--vis des reprsentations locales en matire de droits autochtones, laissera hors dlai une partie notable des ayants droits autochtones.

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On peut bien sr penser que ltat ne conservera pas la proprit de ce domaine priv et rtrocdera ultrieurement les terres immatricules son nom des propritaires privs ivoiriens. Mais cela ne rsout pas le problme de fond de la lgitimit de ces acqureurs aux yeux des populations locales, donc de la scurit et de leffectivit de leurs droits. On peut en outre craindre que ces rtrocessions de terre ne donnent lieu des pratiques clientlistes forts effets pervers.

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32. Les terres sur lesquelles les droits dorigine coutumire ont t constats et qui ont donn lieu la dlivrance de certificats fonciers, mais dont les titulaires autochtones nont pas t au bout de la procdure dimmatriculation dans le dlai de trois ans compter de la signature du certificat initial par le prfet (cf. 10, 15 et 16). Un nombre important de titulaires de certificats fonciers peuvent se trouver dans cette situation pour les mmes raisons que prcdemment, dautant que le certificat foncier (et la possibilit de cession de ce certificat que la loi autorise) pourra les avoir faussement rassurs sur la reconnaissance dfinitive de leur droit.

33. Les terres propos desquelles il y a conflit entre des ayants droits autochtones (cf. 14 et 16), ce qui peut reprsenter un nombre de cas important. ct des diffrends fonciers entre villages, entre lignages et mme au sein des lignages et des familles, il faut aussi considrer les diffrends entre autochtones que gnre la cession antrieure de droit des migrants ivoiriens et des non Ivoiriens. Tel tuteur qui a cd une portion de terre un tranger se considrera comme layant droit autochtone prminent sur cette portion, mais cette prminence pourra tre conteste rtrospectivement par dautres ayants droits familiaux.

34. Les terres sur lesquelles les droits dorigine coutumire ont t constats et qui ont donn lieu la dlivrance de certificats fonciers collectifs des autochtones, mais dont les titulaires restent dans lindivision ou sont en conflit entre eux sur la question du dmembrement du droit collectif indispensable pour procder limmatriculation (cf. 12, 15 et 16).

35. La condition de mise en valeur dans un dlai de dix ans aprs tablissement du certificat foncier (expressment notifie dans le Cahier des charges sign par le prfet et le titulaire du certificat) est galement susceptible de conduire une immatriculation au nom de ltat des terres des titulaires dfaillants (articles 18 et 20 de la loi). Une difficult provient du fait que, selon ce dlai de dix ans pour mise en valeur aprs obtention du certificat foncier pour une terre dj mise en valeur ou non (cf. article 2 de la loi et 9), la dfaillance peut fort bien tre constate aprs que limmatriculation, obligatoire trois ans seulement aprs obtention du certificat, soit effective. Cependant, dans la mesure o la notion et le contenu de mise en valeur sont toujours trs discutables dans le domaine des pratiques locales, cette ambigut ne semble pas devoir constituer un cueil dans lapplication de la loi, mme si elle pose un problme en termes strictement juridiques puisque la loi associe limmatriculation lobligation de mise en valeur (article 20). Il peut ds lors y avoir une source de confusion en cas de contestation ultrieure de limmatriculation par dautres ayants droits, ou par ladministration elle-mme si elle prend lobligation de mise en valeur au pied de la lettre.

Les cas possibles dimmatriculation au nom de ltat de terres occupes par des migrants ivoiriens36. Selon la loi, il ny a pas lieu de distinguer entre autochtones et migrants ivoiriens en matire de reconnaissance de droits de proprit acquis antrieurement la loi selon des procdures coutumires. Il est toutefois hautement probable que la reconnaissance, par des autochtones, de droits dappropriation pouvant conduire un titre de proprit prive absolu pour lallogne nira pas de soi. En nous plaant toujours dans lhypothse maximaliste de constitution dun domaine foncier de ltat, un nombre important de cessions coutumires de terres des migrants ivoiriens (en particulier les migrants du Sud-Est, du Centre et du Nord dans lOuest et le SudOuest forestier) pourraient ainsi ne pas tre reconnues par les cdants autochtones, au nom du

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principe dautochtonie (favoris par lesprit de la loi et par le contexte politique actuel) et donner lieu des diffrends qui devraient conduire les commissions denqutes et ladministration enregistrer ces terres comme litigieuses, et donc les immatriculer au nom de ltat. Ltat pourrait alors affecter un droit de location soit au tuteur autochtone, soit lallogne occupant, selon son apprciation des droits respectifs et selon les rapports de force locaux (cf. infra 43, 44, 45).

Les cas possibles dimmatriculation au nom de ltat de terres occupes par des non ivoiriens37. Selon les termes de la loi (article 1, explicit par larticle 26), les non-Ivoiriens qui ont acquis des droits de proprit selon des modalits coutumires antrieurement la loi, et a fortiori, leurs hritiers, ne peuvent tre propritaires. Leurs droits de proprit antrieurement acquis ou hrits sont dans tous les cas convertis en droit de location (aprs un dlai maximal de trois ans pour les hritiers) (cf. 17 et 18). La question est de savoir qui devient le bailleur des non-Ivoiriens. Deux ventualits sont identifiables (cf. 20 et infra 43, 44, 45).

38. Lventualit qui ressort comme la plus systmatique aux termes de la loi est bien limmatriculation au nom de ltat au terme de laquelle les occupants non-Ivoiriens deviennent locataires de ltat. Larticle 26 prvoit que les droits de proprit antrieurs sont maintenus titre personnels ce qui signifie que, en labsence de propritaire ivoirien dclar, la proprit ne peut tre quenregistre au nom de ltat. En outre, dans le cas o, au cours de lenqute administrative, les cdants autochtones des terres acquises par les non-Ivoiriens ne reconnatraient pas la cession antrieure au nom du principe dautochtonie, la situation de conflit devrait conduire lenregistrement de ces terres au nom de ltat. Si lon estime (trs approximativement) au moins un quart des terres du domaine coutumier les terres dtenues actuellement par des nonIvoiriens au terme dune cession coutumire, les terres potentiellement immatriculables au nom de ltat reprsentent par consquent une superficie considrable. Limmatriculation systmatique au nom de ltat des droits de proprit antrieurement acquis par des non-Ivoiriens est tempre par la possibilit pour ceux-ci de cder ces droits des Ivoiriens. Cest vrai en particulier pour les hritiers des premiers acqureurs, qui peuvent soit cder les terres des Ivoiriens (selon des modalits qui restent imprcises : cf. 18), soit dclarer leur retour au domaine de ltat. Les dispositions de la loi sont ambigus au regard de cette possibilit de cession de droits des Ivoiriens par les premiers acqureurs. Dans la mesure o leurs droits sont maintenus titre personnel (donc ncessairement dans le cadre du domaine foncier de ltat : cf. 38), la cession des Ivoiriens doit passer par une opration de transfert du domaine de ltat au domaine des terres proprits des particuliers ivoiriens.

39. La seconde ventualit est que le dtenteur non ivoirien de droits doccupation devienne locataire du dtenteur ivoirien dun certificat foncier, sans que ltat nait immatriculer son nom (cf. 20). Toutefois, cette ventualit nest explicitement avance que dans larticle 14 du dcret dapplication N 99-594 et dans le point 3 du Cahier des charges. En outre, elle suppose la reconnaissance au cours de lenqute administrative de ce droit doccuper par le propritaire coutumier, ce qui autorise quelque supputation. De quelle source, en effet, peut provenir un droit doccupation reconnu un non-Ivoirien dans lesprit des pratiques locales ? Il ne peut provenir que dun prt coutumier, puisque la location dure dtermine, qui est une modalit spcifique reconnue par les pratiques locales, ne ncessite nullement la reconnaissance dun

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droit doccuper . quoi correspond un tel prt coutumier ? Il sagit en gnral dune dlgation de droits dusage et dadministration effectue, pour une dure indtermine, par des autochtones des personnes trangres la communaut locale. Un tel prt coutumier peut recouvrir en ralit des situations extrmement varies, dont le seul point commun est laffirmation dune prrogative ou dun privilge foncier par la partie cdante, gnralement selon le principe de lantriorit doccupation sanctionn pat linstitution du tutorat (cf. 19). Cela peut aller dune simple autorisation individuelle de culture27 ou de pacage de btail, la dlgation quasiment dfinitive de droits de gestion, dexclusion et dadministration accorde un collectif depuis une poque recule (par exemple lorsquun groupe a t accueilli sur les terres ancestrales dun village au terme dune migration historique ou dun dplacement de village pendant la priode coloniale ; il peut galement sagir de communauts dorigines ethniques diffrentes, comme dans le cas danciennes communauts dioula dans le Nord du pays). Mais un tel prt coutumier peut aussi recouvrir des modalits non explicites de transactions foncires, y compris marchandes, lorsque lidologie de lautochtonie ou les rapports de force locaux nautorisent pas de reconnatre explicitement la nature marchande ou quasi-dfinitive de ces transactions28. Dans ce cas, la reconnaissance par un titulaire autochtone dun certificat foncier du droit doccupation dun non-Ivoirien peut correspondre, par la force des choses, la conversion dun droit dappropriation antrieur en droit de location. Dans les cas de contestation par les non-Ivoiriens de cette conversion impose, la situation de conflit pourra conduire ltat immatriculer en son nom les terres objet du diffrend (de la mme manire que dans le cas de contestations entre autochtones et migrants ivoiriens : cf. 36).

40. La condition de mise en valeur dans un dlai de dix ans prvue au moment de ltablissement du certificat foncier (dans le cahier des charges sign par le prfet et le titulaire du certificat) est galement susceptible de conduire une immatriculation au nom de ltat des terres des titulaires dfaillants (logiquement, selon ce dlai de dix ans, la dfaillance ne peut tre constate quaprs que le certificat ait donn lieu immatriculation, obligatoire trois aprs obtention du certificat ; ce point nest pas clair dans les textes). Mais certaines indications laissent penser que les autorits ne semblent pas dsireuses dimposer des contraintes lourdes de mise en valeur (en se contentant par exemple de signe de protection de la proprit), au risque cependant de vider la clause de mise en valeur de son contenu rel et de favoriser laccaparement et la spculation.

Les cas possibles dimmatriculation au nom de ltat des terres sans matre41. Ce cas est mentionn pour mmoire, mais il peut conduire ltat immatriculer une quantit non ngligeable de terres, selon la rigueur qui sera applique par ladministration dans la conception et le contrle de la mise en valeur. En outre, la catgorie des terres sans matre risque dtre continment alimente par les terres dont les droits coutumiers nauront pas t constats avant le 14 janvier 2009 (cf. 9 et 31). Dans une interprtation stricte de la loi, devraient tre galement considres comme terre sans matre les terres dont les titulaires de certificats fonciers nauront pas effectu la procdure dimmatriculation dans le dlai de trois ans (cf. 10 et 32).

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On peut, la limite, inclure dans cette situation le droit de culture dune pouse sur la terre familiale de lpoux. On en voit lillustration dans les enqutes foncires du PFR dans plusieurs rgions du pays, notamment en pays agni. Les problmes qua rencontrs le PFR dans les rgions de Soubr et de Daloa proviennent notamment de la rpugnance croissante des populations autochtones reconnatre la cession dfinitive des terres des trangers , quils soient ivoiriens ou non.

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Les lments correcteurs probables limmatriculation systmatique au nom de ltat42. Nous venons denvisager lhypothse dcole dune stricte application de la loi, dont un premier effet redistributif , au regard de laffectation actuelle des droits fonciers coutumiers, consiste dans le transfert dune partie importante des terres dans le domaine foncier de ltat. Il faut toutefois tenir compte, pour chacun des cas de figure qui peuvent conduire cette issue, dun ensemble dlments qui peuvent limiter les effets mcaniques de la loi dans le sens de limmatriculation des terres au nom de ltat. Une premire srie dlments proviennent de certains aspects de lesprit de la loi, qui manifestent le souci de la loi de reconnatre les droits existants et qui peuvent susciter une plus grande tolrance de la part de ladministration vis--vis des manquements aux procdures : la prminence du principe de lautochtonie comme source de droit ; le principe de laisser une marge dapprciation aux acteurs eux-mmes (cf. 25), notamment en ce qui concerne la reconnaissance par les autochtones des droits acquis par des non-Ivoiriens aux termes dune transaction antrieure (cf. 30) ; le souci dattnuer les effets de la rtroactivit des nouvelles dispositions sur les droits acquis antrieurement la loi par des migrants (cf. 25).

Une autre srie de correctifs limmatriculation systmatique au nom de ltat peut provenir des rapports de force locaux entre les diffrentes catgories sociales dayants droits (cf. 25) : autochtones, migrants ivoiriens et migrants trangers ; notables, simples exploitants et agents locaux de ladministration ; jeunes et vieux ; villageois, ressortissants citadins et cadres ressortissants ; dans une faible mesure hommes et femmes29. Les marges de manuvre des acteurs locaux, que la loi norganise pas mais quelle semble appeler, pourront dessiner une jurisprudence lchelle locale et lchelle nationale qui dterminera les effets redistributifs rels de la loi (cf. 28). Le jeu des processus socio-politiques locaux pourra donc limiter les effets mcaniques de la loi dans le sens de limmatriculation des terres au nom de ltat, que ladministration joue son propre jeu ou quelle laisse faire, au contraire, le jeu des rapports de force locaux. Nous examinons dans la section suivante les scnarios possibles du processus de redistribution des droits dappropriation que pourrait susciter la formalisation de ces droits par lapplication de la loi, vis-vis de la rpartition actuelle des droits selon les catgories significatives dayants droits et doccupants (autochtones, migrants ivoiriens, occupants non ivoiriens). Ces scnarios soulignent la ncessit pour ltat de veiller lquit et la cohrence dune jurisprudence base sur les seuls processus socio-politiques locaux (cf. 28).

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Ces diffrentes catgories dacteurs pouvant sallier selon des coalitions variables en fonction de la nature des enjeux. Pour une analyse du contexte socio-politique rural et de sa dynamique, cf. J.-P. Chauveau, Question foncire et construction nationale , op. cit.

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b) Les effets redistributifs prvisibles de la formalisation par la loi des droits actuels dappropriation : le cas des droits antrieurement acquis par des non-autochtones Laffaiblissement prvisible des droits acquis selon les pratiques coutumires par les non-autochtones43. La loi envisage explicitement la situation o des acquisitions de droits ont t effectues par des non-autochtones, antrieurement la loi, et doivent tre formalises ou prises en compte par les nouvelles dispositions30. cet gard, on a dj not le souci du lgislateur de limiter les prjudices que les nouvelles dispositions sont en mesure de faire subir aux droits antrieurement acquis selon des procdures coutumires (cf. 25). La loi distingue selon que lacqureur est de nationalit ivoirienne ou non. Dans le premier cas, les dispositions de la loi restent vasives. Dun ct, tant ivoiriens, les possesseurs de ces terres semblent devoir bnficier de la procdure commune de constatation des droits puis dimmatriculation. La loi nexclut pas que des occupants allochtones de nationalit ivoirienne accdent aux certificats fonciers puis limmatriculation, ds lors que leurs droits sont reconnus par les cdants autochtones. (cf. 9). Mais, dun autre ct, laffirmation de lautochtonie comme source prminente de droit, dans lesprit de la loi (cf. 23), ne pousse pas la loi imposer des garanties particulires au plein respect des droits de proprit acquis par des migrants ivoiriens. Le lgislateur cherche plutt favoriser des arrangements entre les acqureurs migrants ivoiriens et leurs tuteurs locaux, notamment en prvoyant a minima la reconnaissance de droits d occupation paisible et l ouverture d un droit de location pour l occupant (cf. 25, 28). Dans le cas doccupants non ivoiriens, la seule forme de consolidation des droits acquis antrieurement selon des procdures coutumires est le droit de location (cf. 17 et 18). La aussi, le lgislateur compte sur des arrangements locaux pour que loccupant non ivoirien de bonne foi puisse bnficier a minima, dans un premier temps, dun maintien provisoire de ses droits titre personnel (de manire viter le retrait immdiat de ces droits par le tuteur), et, dans un second temps, dun droit location auprs du tuteur (cf. 18, 25).

44. Toutefois, bien que le lgislateur, conscient des abus que pourrait entraner la seule reconnaissance des droits dautochtonie (cf. 25 et 28), souhaite visiblement encourager la reconnaissance de ces droits acquis antrieurement par transactions coutumires, il est invitable que le niveau de scurisation des droits acquis par les non autochtones soit affaibli, selon les rapports de force entre les tuteurs et les dtenteurs de droits acquis antrieurement la loi que la loi dfinit dsormais comme des occupants de bonne foi . Dans ce cas, laffaiblissement des droits acquis antrieurement par les non-autochtones, ivoiriens ou non, ne provient pas de limmatriculation de la terre au nom de ltat, comme dans lhypothse maximaliste voque prcdemment (cf. 36 40) 31. Laffaiblissement des droitsRappelons que la loi parle bien de droits de proprit de terres du Domaine Foncier Rural acquis antrieurement la prsente loi (art. 26). 31 On considrait dans cette hypothse que les droits de proprit acquis coutumirement par des personnes qui nappartiennent pas aux communauts autochtones sont effectivement reconnus par leurs tuteurs autochtones et leurs familles : si loccupant nest pas ivoirien, la terre est alors immatricule au nom de ltat, loccupant obtenant une promesse de location ; en cas de diffrends entre le tuteur autochtone, ou sa famille, et son tranger , quil soit ou non de nationalit ivoirienne, on considrait galement que limmatriculation se faisait aussi au nom de ltat30

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acquis antrieurs par des non-autochtones provient galement du souci de ltat de promouvoir effectivement limmatriculation la plus large possible de terres des personnes ivoiriennes, en particuliers aux ayants droits autochtones (cf. 42). Lampleur de laffaiblissement des droits des non autochtones va dpendre en ralit de la ractivation et de la rengociation ventuelle de la relation de tutorat (cf. 19) entre ltranger et son tuteur lors de lenqute foncire, qui vise formaliser les droits. En effet, le transfert antrieur de droit doccupation a t gnralement effectu sous forme de vente , de don ou de prt dure indter-mine32. Or on sait que ces diffrents termes, utiliss localement, ne dsignent pas forcment des formes spcifiques de transaction, auxquelles ces termes sont associs dans le droit europen. En zone forestire, o les transactions sont fortement montarises, ils dsignent une cession de droit doccupation, dadministration et de transmission de la terre, redouble par lobligation de reconnaissance au tuteur , obligation tendue aux hritiers ou aux acqureurs de la terre ayant fait lobjet de la premire cession. Mais une vente peut tre qualifie aprs coup de prt par le cdant, gnralement loccasion dinterventions extrieures (par exemple lors des enqutes foncires du PFR), pour insister sur le maintien de la relation de tutorat et du droit dautochtonie. Le droit de transmettre est par ailleurs contest aux migrants dans certaines rgions. En bref, la nature des transferts de droits entre autochtones et trangers est souvent remise en cause dans la priode actuelle, qui correspond une crise socio-politique et identitaire profonde dans le pays. Lannonce de la nouvelle lgislation, favorable aux revendications dautochtonie, dans les campagnes a incontestablement contribu la gnralisation de la remise en cause des transactions foncires passes avec des migrants ivoiriens et des non-Ivoiriens. En zone de savane, o la vente est quasiment inexistante, le don implique le maintien de la relation de reconnaissance envers le donateur. Dans certains cas, des communauts non autochtones bnficient de droits doccupation et dadministration reconnus depuis longtemps, sans quils saccompagnent de manifestations particulires de reconnaissance lgard de la communaut dont la prsence est antrieure, sauf reconnatre une prrogative religieuse (par exemple dans le cas danciens villages dioula en pays snoufo) ou politique (par exemple en pays baoul)33. Mais la mise en uvre du projet pilote PFR a montr quen zone de savane, galement, la formalisation des droits pouvait susciter une rengociation des droits doccupation dans le sens de leur affaiblissement, voire de leur non-enregistrement (en particulier les droits de pacage et de parcours des leveurs). Dans ces conditions, les enqutes foncires diligentes par les Commissions denqute seront immanquablement loccasion de rexaminer et de rengocier les termes du contrat de cession antrieur, du fait notamment des cdants autochtones, soumis de fortes pressions de la part de certaines catgories sociales (jeunes, ressortissants citadins, cadres ressortissants, politiciens locaux) pour rcuprer certains droits cds aux trangers , sinon la terre elle-mme34. Il convient donc dvaluer lampleur des effets prvisibles daffaiblissement des droits antrieurement acquis par des non-autochtones que la formalisation des droits prvue par la loi ne manquera pas dentraner. Pour ce faire : Nous identifierons dabord les principaux paramtres qui interviendront dans la rengociation entre tuteurs et trangers 35 au moment de lenqute foncire de constatation des droits.

On ne considre pas le cas des contrats de location et de mtayage , qui relvent clairement de modes de faire valoir indirects dans lesprit des acteurs locaux eux-mmes. 33 Il peut y avoir aussi des prrogatives foncires anciennes entre des villages de mme origine ethnique dans toutes les rgions de Cte dIvoire. 34 Sur le contexte socio-politique actuel en milieu rural, cf. J. - P. Chauveau, Question foncire et construction nationale , op. cit. 35 Au sens local, indpendamment de la nationalit de loccupant.

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Nous proposerons ensuite divers scnarios possibles et leur probabilit au regard des pratiques concrtes locales. Nous discuterons enfin des conditions pour scuriser dans la mesure du possible les droits acquis par les occupants non autochtones.

Il est naturellement impossible dans le cadre de cette note dexaminer tous les aspects sociopolitiques de ces questions, en particulier en ce qui concerne les variations rgionales dans les modalits et lampleur de la rengociation des droits des non-autochtones, probablement importantes, quentranera lapplication de la loi.

Les principaux paramtres de la rengociation des droits des nonautochtones45. Les principaux paramtres de diversification des scnarios concernant la reconnaissance et la formalisation des droits acquis par les non-autochtones sont les suivants : la force de la reconnaissance, par les acteurs locaux, du droit de tutorat , dont les ayants droits autochtones peuvent se prvaloir ; la force de la reconnaissance, par les acteurs locaux, du droit doccupation fond sur des transactions antrieures ( vente , don , prt ), dont les dtenteurs sont en mesure de faire valoir la ralit ; ltat des relations sociales entre le cdant autochtone et laccdant non ivoirien, ou ltat des rapports de force entre communauts autochtones et de migrants ; le degr de tolrance de ladministration pour appliquer les sanctions de la loi ; la volont de ladministration de faire prvaloir lesprit de la loi, notamment la primaut reconnue lautochtonie comme source de droit, mais aussi le souci de protger les droits doccupation antrieurs exercs de manire paisible. La structure simplifie commune des diffrents scnarios est donc la suivante : Affirmation du droit dautochtonie par le tuteur Forte Confrontation maximale des droits dappropriation et doccupation dont lissue dpend : - de la reconnaissance rciproque ou non du droit de tutorat et de la ralit de la transaction - des rapports de force locaux - de lattitude volontariste de ladministration au regard de la prminence du droit dautochtonie et de la scurisation des droits des occupants Prminence logique du droit dautochtonie, ventuellement nuance par lattitude volontariste de ladministration au regard de la protection des droits de loccupant Faible Prminence logique du droit de loccupant, ventuellement contrebalance par : - les rapports de force locaux ; - lattitude volontariste de ladministration au regard du droit dautochtonie ventuel

Affirmation de la ralit de la transaction par loccupant

Forte

Faible

Prminence logique du droit de ltat sur des terres assimilables des terres sans matre, ventuellement contrebalance par : - les rapports de force locaux - lattitude volontariste de ladministration au regard du droit dautochtonie ventuel

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On fait en outre les hypothses trs simplificatrices suivantes : Chaque scnario correspond une situation gnralisable lensemble des rgions du pays. La procdure de confirmation du certificat foncier par immatriculation est mene son terme aprs constatation des droits par la mission denqute foncire. Le droit de location, lorsquil est reconnu, est appliqu conformment aux dispositions des arrts dapplication en la matire, non encore rdigs (montant, dure, indemnit ventuelle verse au locataire par le nouveau propritaire pour couvrir les investissements antrieurs).

Les tableaux suivants permettent de visualiser les scnarios possibles qui pourront rsulter de la rengociation du contrat antrieur de cession coutumire. Nous examinons les scnarios selon un ordre croissant de probabilit, avec ce que cela implique darbitraire eu gard au niveau de gnralit auquel nous nous situons : un scnario peu probable lchelle nationale peut ltre lchelle dune rgion.

Les diffrents scnarios possibles46. Scnario idal dans lequel : tuteurs et trangers tombent daccord pour reconnatre la prminence du droit dautochtonie sans mconnatre la ralit de la transaction antrieure ; laccord consensuel se fait sur la base des situations prvues par la loi, notamment en matire de droit location ; ladministration na donc pas intervenir pour faire prvaloir un code de bonne conduite ou pour sanctionner par limmatriculation en son nom les situations de conflit. Affirmation du droit de tutorat Affirmation de la ralit de la transaction

Forte et reconnue par loccupant

Faiblement affirme par le tuteur

Fortement affirme par loccupant et reconnue par le tuteur

2a. Reconnaissance de la 1a. Immatriculation au nom du cession aux migrants ivoiriens tuteur, avec reconnaissance du et immatriculation leur nom. droit de location loccupant, 2b. Reconnaissance de la ivoirien ou non ivoirien. cession aux non Ivoiriens. Immatriculation au nom de ltat avec droit de location loccupant non ivoirien. 4a. La terre peut tre considre comme sans matre. Immatriculation au nom de ltat avec garantie de location pour loccupant (autochtone, allogne ivoirien ou non ivoirien).

Faiblement affirme par loccupant

3a. Immatriculation de la terre par le tuteur, droit de location ngociable pour loccupant ivoirien ou non ivoirien.

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Les rsultats seraient les suivants : Limmatriculation par ltat est minimise (terres acquises antrieurement par des nonIvoiriens dont les droits doccupation sont reconnus par les tuteurs ; terres reconnues sans matre) ; Les droits des occupants non-autochtones ivoiriens acquis par transactions sont reconnus, et ils accdent la proprit ; Les occupants non ivoiriens sont assurs dun droit de location ou de la possibilit den ngocier un.

Ce scnario est trs peu probable (cf. 25, 45), ou dans des situations locales assez exceptionnelles de consensus entre autochtones et migrants.

47. Scnario conflictuel gnralis, avec application systmatique des sanctions prvues par la loi, dans lequel : le droit de tutorat et le droit de cession sont rciproquement contests ; les relations entre autochtones et migrants sont hautement conflictuelles ; ladministration nintervient que pour appliquer strictement la loi en cas de conflit reconnu (immatriculation au nom de ltat), et ne donne avantage au droit dautochtonie que pour lattribution du droit de location.

Affirmation du droit de tutorat Affirmation de la ralit de la transaction

Forte mais conteste par loccupant

Faiblement affirm par le tuteur

Forte mais conteste par le tuteur

1b. Si loccupant est ivoirien : Conflit reconnu et immatriculation au nom de ltat. Attribution du droit de location au tuteur autochtone. 1c. Si loccupant nest pas ivoirien : immatriculation probable au nom du tuteur, droit de location peu probable loccupant.

2c. Conflit reconnu entre des droits peu clairs. Immatriculation au nom de ltat, droit de location au tuteur ou loccupant selon lapprciation de ladministration.

Faiblement affirme par loccupant

4a. La terre peut tre 3b. Immatriculation de la terre considre comme sans matre. par le tuteur probable, droit de Immatriculation au nom de location pour loccupant peu ltat sans garantie de location probable. ni pour les ayants droits autochtones ni pour loccupant.

Rsultats de ce scnario : Limmatriculation au nom de ltat est maximale. Il sagit de lhypothse maximaliste dj voque (cf. 30 37) ; Il peut arriver que les occupants autochtones puissent devenir locataires de ltat ; Les occupants non autochtones ont peu de chances de se voir reconnatre un droit de location, quils soient ou non ivoiriens.

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Ce scnario est peu probable (cf. 23, 25, 28). Son acceptabilit politique est faible, particulirement en ce qui concerne la transformation des droits dautochtonie en droit de location (1b, 2c). Par ailleurs, la menace de limmatriculation au nom de ltat pourra pousser tuteurs et occupants ivoiriens trouver un consensus. Enfin, il est peu probable que ltat souhaite se constituer un patrimoine foncier quil aurait le plus grand mal grer supposer quil soit en mesure de contrler lusage de toutes ces terres par leurs anciens propritaires .

48. Scnario conflictuel optimal, entirement contrl par ladministration, dans lequel : le droit de tutorat et le droit de cession sont rciproquement contests ; les rapports entre autochtones et migrants sont fortement conflictuels ; ladministration est en mesure dimposer un compromis qui donne avantage au droit dautochtonie, mais veille au droit acquis par loccupant par souci dquit ; les rapports entre autochtones et migrants sont bons et le compromis suscit par ladministration est accept par les parties et nest pas remis en cause localement par la suite.

Affirmation du droit de tutorat Affirmation de la ralit de la transaction

Forte mais conteste par loccupant

Faiblement affirm par le tuteur

Forte mais conteste par le tuteur

1d. Raffirmation par ltat du Raffirmation par ltat du droit dautochtonie. droit doccupation. Immatriculation de la terre par 2d. Immatriculation au nom de le tuteur, droit de location pour loccupant sil est ivoirien. loccupant, ivoirien ou non. 2e. Immatriculation au nom de ltat avec droit de location loccupant sil nest pas ivoirien. 3c. Raffirmation du droit 4a. La terre peut tre dautochtonie. Immatriculation considre comme sans matre. de la terre par le tuteur, droit de Immatriculation au nom de location ngociable par ltat droit de location loccupant selon le bon vouloir probable aux ayants droits du tuteur. autochtones.

Faiblement affirme par loccupant

Rsultats : La formalisation des droits favorise massivement les tuteurs autochtones. Limmatriculation au nom de ltat est limite une partie des terres occupes par des non-Ivoiriens, dans les situations o les droits dautochtonie sont faiblement revendiqus. Une partie des droits acquis par les migrants ivoiriens sont reconnus par des certificats fonciers, dans les situations o les droits dautochtonie sont faiblement revendiqus. La probabilit de ce scnario est galement faible (cf. 23, 25), surtout dans la dure. Les relations conflictuelles entre autochtones et migrants risquent dtre exacerbes par lintervention de ladministration, et les compromis imposs lors des enqutes foncires risquent dtre remis en cause par la suite. La situation volue alors vers le scnario suivant.

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49. Scnario conflictuel, non entirement contrl par ladministration, dans lequel : le droit de tutorat et le droit de cession sont rciproquement contests ; les rapports entre autochtones et migrants sont fortement conflictuels ; ladministration tente dimposer un compromis qui donne avantage au droit dautochtonie, mais veille au droit acquis par loccupant par souci dquit ; le compromis est impos par ladministration au moment de lenqute foncire, mais les parties (particulirement les autochtones) le remettent en cause localement par la suite.

Affirmation du droit de tutorat Affirmation de la ralit de la transaction

Forte mais conteste par loccupant

Faiblement affirm par le tuteur

Forte mais conteste par le tuteur

Raffirmation par ltat du 1e. Raffirmation du droit droit doccupation. dautochtonie. Immatriculation 2f. Immatriculation au nom de de la terre par le tuteur, loccupant sil est ivoirien. location pour loccupant, mais Mais, manuvres ultrieures de risque dexpulsion ultrieure rcupration de la part des de loccupant sous divers autochtones. prtextes. 2g. Immatriculation au nom de ltat avec droit de location loccupant sil nest pas ivoirien. Mais, manuvres ultrieures de rcupration de la part des autochtones. 4b. La terre peut tre 3d. Raffirmation du droit considre comme sans matre. dautochtonie. Immatriculation Immatriculation au nom de de la terre par le tuteur, sans ltat sans garantie de location garantie de location pour ni pour les ayants droits loccupant. autochtones ni pour loccupant. Mais manuvres ultrieures de rcupration de la part des autochtones.

Faiblement affirme par loccupant

Les rsultats de ce scnario sont les mmes que dans le cas du scnario prcdent, mais ils favorisent encore plus massivement les tuteurs autochtones. La probabilit de ce scnario est plus forte. Dans le meilleur des cas, la remise en cause locale des compromis aprs les enqutes foncires pourrait ne pas tre gnrale, et pourrait donner lieu une certaine stabilisation des droits. Les principaux problmes qui se poseraient alors ladministration concerneraient : la prise en compte des remises en cause des droits aprs leur constatation par la commission denqute, les possibilits de recours des parties pnalises par ces remises en cause, les modalits dappui lmergence de nouveaux compromis et leur validation juridique.

50. Scnario conflictuel gnralis non contrl par ladministration, dans lequel : le droit de tutorat et le droit de cession sont rciproquement contests ; les rapports entre autochtones et migrants sont fortement conflictuels ;

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ladministration laisse cours aux pratiques et rapports de force locaux, soit par souci de non-intervention, soit par manque de capacit institutionnelle ; les autochtones sont conforts par le message du gouvernement et des politiciens locaux en faveur du droit dautochtonie pour imposer des conditions drastiques aux nonautochtones.

Affirmation du droit de tutorat Affirmation de la ralit de la transaction

Forte mais conteste par loccupant

Faible

Forte mais conteste par le tuteur

1f. Conflit ngoci localement. 2h. Immatriculation au nom de Immatriculation au nom du loccupant sil est ivoirien. tuteur et issue trs variable pour Mais manuvres ultrieures de loccupant (location dans des rcupration de la part des conditions non prvues par autochtones. larrt dapplication, retrait du droit doccuper avec ou sans 2i. Immatriculation au nom de contrepartie montaire). ltat et droit de location loccupant sil nest pas 1g. Conflit ouvert dont lissue ivoirien. Mais manuvres sera probablement favorable ultrieures de rcupration de aux autochtones avec retrait du la part des autochtones. droit doccuper et risque dexpulsion des occupants. 3e. Immatriculation au nom du 4c. Immatriculation au nom du tuteur et issue trs variable pour gagnant sil est ivoirien. loccupant (location dans des Mais manuvres ultrieures de conditions non prvues par rcupration de la part des larrt dapp