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Quatorze heures de vol à me débattre avec les formulaires vert et blanc, le petit sachet de poivre du Western Meal et le début de cernes du décalage horaire qui surpique mes pommettes d'un maquillage de panda. Je déboule sur le tarmac du Terminal Tom Bradley comme une asphyxiée découvre l’oxygène. Une bulle douce, chaude, entêtante… Délicieuse ! J'ai presque envie de hurler. Attirail de baroudeuse et sourire éclatant ? Check ! L’élégance arquée de LAX se dissipe à la vitesse du Shuttle blanc qui se fond dans la ville. Des panneaux partout, des structures géantes et un accent mouillé à tous les lacs de la Terre… Le dépaysement est total ! Los Angeles est bouillonnante, multicolore, cosmopolite, éblouissante ! L'allée aux palmiers, éclose à Beverly Hills, découpe sur le dallage étoilé d’Hollywood de petits carrés de soleil. Bugs Bunny, Bette Davis et Britney se disputent les ‘B’ du Boulevard tandis que l'American Dream déchire, de ses lettres immenses, l'indigo du ciel.

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Le Robinson Crusoé qui a foulé du pied la plus célèbre de ses terres inconnues hier, se réveille sous mes boucles et casquette, saisissant et goûtant tout des beautés végétales qui s'offrent à sa vue. Paradise Road est un pont aisément franchi entre le luxe tranquille de la Corona del Mar et la nature frémissante du Los Padres National Forest… Mille crayonnés s'éparpillent déjà dans mes poches, dans mon sac et sous les sièges de la Hudson… -Note perso : Epargne de gribouillages la carte de la Côte Ouest et la serviette du Juicy Burger de LA que tu conserves en souvenir de ton premier hamburger US, please !- La brise paisible de l’après-midi souffle sur les terrains désertés des volleyball teams de l'été un sable encore chaud qui glisse entre les orteils. Les étendues sauvages d’East Beach ne ressemblent à rien que j'aie vu ailleurs. Le paysage à la tombée du jour, à la fois dépouillé et gigantesque, est magnifique… L’avertissement ‘Enjoy the Eye-Candy !’ me creuse les fossettes :)

J'avale les miles qui me séparent des maisons bleues de San Francisco. Je souris, les mains fermement agrippées au long flirt que me réserve la Côte Pacifique. En revers des pistachiers

et des vignes qui se posent en grappes sur son versant continental, la Highway One révèle, au creux de ses courbes, un lacet de criques ensablées par l'océan. Louvoyant entre les trucks, je fais escale à Monterey et Santa Cruz. J'ignore si mes 32gb suffiront à rendre les millions d'instantanés qui s'impriment, à chaque seconde, sur mon iris chocolat… 9,75 $ pour pénétrer Pebble Beach et découvrir 17-mile Drive sous toutes les coutures. Timing parfait, carburant ok ! Halte méritée devant The Lone Cypress, symbole prisonnier d'un rocher taillé par les salins du large. En longeant le plus profond canyon sous-marin américain, j’ai brûlé d'apercevoir le sillon de l’une des Reines de Monterey Bay, entre le dos brillant des dauphins et la majesté nonchalante de lions de mer léchant la fraîcheur des vagues.

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Un ‘Bakery Tray’ dégusté au Cafe Venue (un assortiment de muffins aux abricots, Slrps !), je délaisse The 5th Street pour un cable car à proximité. Le mécanisme de traction, séculaire, a été mis en place pour gravir des montagnes russes urbaines. Les rues colorées rivalisent de hauteur, de parfums épicés et de ces petites portes en bois craquelées de peinture qui font le charme des villes côtières du Sud. Il règne, au cœur de la mégalopole d’acier, une poésie portuaire que je ne peux retranscrire. La torpeur glacée d'Alcatraz reste imperceptible jusqu’au Golden Gate Bridge. The Rock se rejoint uniquement par bateau, sous les yeux calcaires de son svelte gardien. Rien ne figure le chahut interne qui résonne en moi dès le pied posé sur l'île. Bruissante de valses fantômes, humide et mortelle, elle murmure… Dans le décor fondu au noir, le pont légendaire, étincelant de mille perles de lumière, étend son tracé grandiose au-delà du possible. San Francisco ronronne dans la nuit…

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Ce matin, c’est la panique totale ! Le réveil m’a snobée jusqu’à l'heure fatidique de libération des chambres et, tout en oubliant mes objectifs à la réception du Pickwick Hotel, j’ai piétiné pour trouver la Highway 49 ! Les treize kilomètres du Bay Bridge, à peine embrassés, ne m'ont pas porté chance ! Relativisons, ça pourrait être pire… Une panne de bus durant les 82 heures de trajet de la ligne San Francisco/Miami, par exemple (Dingue, non ?). A Columbia State Park, ravitaillement en Reese's butter peanut cups et Coca. Plus Yosemite approche, plus les paysages embellissent et charment. Il faudrait dix personnes bout à bout pour faire le tour des séquoias géants que j'observe à l'arrivée. La végétation se montre plus tendre et gourmande qu'à San Francisco… L'horizon écharpé se couvre d'un manteau calme, écho d'une nature qui dépasse tout. Devant des dômes granitiques spectaculaires et les chutes les plus hautes d'Amérique, je me sens minuscule… Minuscule et conquise.

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95.7, 106.1, 89.5FM… Alors que toutes les stations sifflotent sur le plus long tronçon du Road Trip (même KissCountry 93.7FM !), une lave florale incandescente se déverse aux abords de Fresno. En laissant courir sur les champs fauchés le feu des Poppies, la flagrance et la force de l’été indien l’illustrent dans toute sa saveur… L’irisée abricot des flammèches ondule. On dirait des coquelicots. Aux portes du désert de Mojave, l’air sèche et les reliefs durcissent. Les cactus ont remplacé l’intégralité de la flore lorsqu’on touche Sin City par le South Strip. La ville aux hôtels-casinos de plus de 7000 chambres révèle ses titres d’artisane et courtisane de l’Extravagance. Le ballet de pluie du Bellagio, les Sirènes de Treasure Island et le Tout Venise métamorphosent, d’un coup de black-jack surprise, le manège des shows à plumes et des tours de magie que l’on s’imagine. Coups de cœur absolus pour le chic insolite des fontaines romaines et l’immense aquarium marbré des oasis du Mirage !

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Walking on the sea jusqu’au Pacific Park de Santa Monica Pier ! En arrivant par la colline d’Ocean Avenue, la descente bordée de palmiers et de balcons en pierre blanche est somptueuse. Depuis la double jetée surpeuplée du ponton, je me plais à penser que quelque part au bout de la mythique sixty-six qui s’éteint à mes pieds, il y a le Lac Michigan. A quelques centaines de mètres des maillots rouges des poupées de Baywatch serpente un plancher des sables qui rappelle les sillons et dunes du photographe W. A. Garnett, actuellement exposé au Getty Center. Au paroxysme de la détente après les miles vaincus du matin : la voix lumineuse et les yeux papillonnants de Jodi Benson au Walt Disney Concert Hall Downtown, puis un petit parasol vert de Starbucks au 1356, Third Street Promenade. Je rejoins Ventura Boulevard avec un souvenir sucré du Dunkin’Donuts tandis que les moutons blancs du ciel figurent des barbes-à-papa. Pas de resto ce soir, promis !

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Debout à l’aube ! Kit de survie au Ralphs face à la piscine du Sportmen’s Lodge et balade dans Sherman Oaks qui s’éveille. Il y a quelque chose d’irréel à partager ici les paysages quotidiens de tant de superstars des petit et grand écrans. Des citadins pressés préparent le «Good Morning Sherman Oaks!» Breakfast mensuel. Il est trop tôt pour apercevoir qui que ce soit, mais ça me suffit d’être simplement là. Tour farouche des vitrines après le Rodeo Drive Shopping d’hier (hum…) et Free Shuttle jusqu’à la planète chromée d’Universal dès les premiers rayons du midi. La file du Jurassic Park Ride est hallucinante sans un Sésame à 150$, mais c’est trop tard : je trépigne déjà comme au Soir de Noël ! Le hors-saison lui a tout permis et la fillette qui écrit ces lignes a des paillettes qui lui débordent des yeux ! Mes mots s’entrechoquent et Superman-le-carnet vole bientôt sur l’imprimé rouge de mon lit. Super-excited, je compose quatorze chiffres pour toucher l’Europe et diffuser ma magie !

J’ouvre les yeux avec le rappel insistant des réacteurs aériens et une jolie voix qui ramène sur Terre. Je m’étonne de n’avoir pas vu passer les trente derniers miles jusqu’à l’aéroport, du moins jusqu’à ce que ma vue s’affine et se pose sur ma pile de cours. Les boissons fluos, le tracé bleu du Pacifique, les figures de mode et le fromage en tube… Tout cela n’est-il qu’un rêve ? J’ai voulu croquer l’Amérique comme un fruit délicieux, et j’en reviens amoureuse. Mon pincement au cœur m’y fait poser les doigts. Je n’y étais pas… Nous sommes le 4 juillet 2012 et dans quelques dizaines d’heures l’Ouest ouvrira dans le cœur de quelqu’un sa liberté sauvage et ses horizons… Je croise les doigts à m’en faire blanchir les jointures. Je veux mordre dans ce fruit et savourer ses quartiers. Dans un coin de chambre, il y a un flacon vide pour accueillir le sable blanc de Malibu. Et un peu plus loin, un carnet Terre de Sienne sur lequel j’appose les lettres ‘Superman’ en me mordant les lèvres.