CANTON DE VAUD
TRIBUNAL D'ARRONDISSEMENT
PP04.015592
J U G E M E N T
rendu par le
P R E S I D E N T D U T R I B U N A L C I V I L
le
dans la cause
CANTON Richard, avenue de l'Avant-Poste 6, 1005 Lausanne,
CANTON Raymonde, Domaine de la Gottaz Seniors SA, Verger de la Gottaz 1, 1110
Morges,
THERIN-CANTON Rolande, Le Castelet 5, Domaine de Coudrée, 74140 Sciez (France)
et
MUHEIM-CANTON Régine, avenue de l'Avant-Poste 6, 1005 Lausanne,
dont le conseil commun est Me Bernard de Chedid, avocat à Lausanne,
contre
ROUGE Marc-Etienne, chemin de Condamine, 1267 Coinsins,
dont le conseil est Me Bernard Katz, avocat à Lausanne.
* * *
Audience du 9 décembre 2005
Président : M. P. Bruttin, président
Greffier : G. Vionnet, greffier substitut
-2-
23980
EN FAIT
1. Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande Therin-Canton et Régine
Muheim-Canton, demandeurs, forment l'hoirie Roger Canton.
Marc-Etienne Rouge, défendeur, est propriétaire d'un immeuble locatif
sis chemin du Rossignol 1 à Morges, parcelle n° 1342.
2. a) A la recherche d'un "placement sûr", les demandeurs se sont
intéressés à faire l'acquisition d'un immeuble.
b) Au cours de l'année 2004, le défendeur a souhaité vendre son
immeuble. Le 29 avril 2004, il a passé un contrat dénommé "Contrat de courtage immobilier
non-exclusif SwissRéseau" avec la société de Rham SA. Il a également passé un contrat de
courtage avec la société Bernard Nicod SA. Sous la rubrique "Exclusivité", ce contrat
mentionnait:
"Le vendeur accorde au courtier
l'exclusivité pendant une période de 6 mois,
soit du …15 avril au 15 octobre 2004 …
L'exclusivité sera tacitement reconduite
pour une même durée, sauf dénonciation
donnée par écrit un mois à l'avance.
Pendant la durée de l'exclusivité, le
vendeur doit conclure par l'entremise du
courtier."
Sous la rubrique "Conditions particulières" figurait ce qui suit, écrit à la
main:
"Sans exclusivité pour les prospectus
actuels"
c) L'immeuble du défendeur a été mis en vente pour un prix de fr.
2'900'000.-. La notice de vente indiquait notamment:
-3-
23980
"Pour tous renseignements complémentaires,
visiter et traiter, s'adresser à:
ROCHAT & CIE SA
REGIE IMMOBILIERE
RUE ST-PIERRE 3 – 1002 LAUSANNE
[…]"
Entendu en qualité de témoin lors de l'audience du 9 décembre 2005,
Patrice Rochat, administrateur de la société Rochat & Cie SA, a confirmé qu'il était le
mandataire du défendeur. Il a au surplus expliqué avoir conçu ladite notice de vente, et ce
sans connaître les demandeurs, et a encore précisé que sa commission devait être payée
par le vendeur à un taux de 3% du prix de vente, sans compter la TVA.
3. a) Par courrier électronique du 6 mai 2004, Patrice Rochat a informé le
défendeur de ce qui suit:
"Cher Monsieur,
J'ai un amateur très intéressé par votre
immeuble.
Il propose un prix d'acquisition de l'ordre
de Fr. 2'500'000,--. Mais je pense qu'il
doit être possible de pouvoir augmenter
quelque peu ce chiffre.
Toutefois il souhaite disposer d'un relevé
du compte d'exploitation des 2 dernières
années afin de se décider plus précisément.
Pouvez-vous nous procurer ces documents en
urgence par fax. SVP
[…]"
Le défendeur ne conteste pas que les demandeurs sont "l'amateur"
auquel fait allusion Patrice Rochat. Interrogé sur ce point, ce dernier a expliqué que
l'immeuble était en vente depuis environ un an lorsque les demandeurs s'y sont intéressés.
b) Le 12 mai 2004, Patrice Rochat s'est adressé ainsi au défendeur:
"Monsieur,
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23980
Notre client accepte pour finir de vous
rejoindre et de se porter acquéreur de votre
immeuble à Fr. 2'750'000,-- valeur dès que
possible.
Merci de nous bloquer l'affaire.
Nous commandons un acte de vente au plus
vite auprès du Notaire Martin Habs à
Lausanne.
Merci de nous tenir au courant dès que
possible.
[…]"
Par courrier électronique du 18 mai 2004, Patrice Rochat a ensuite informé
le défendeur qu'il commandait un acte de vente immédiate au notaire Antoine Rochat, à
Lausanne, au prix convenu de fr. 2'750'000.-. Il l'a en outre invité à lui donner ses
coordonnées personnelles (nom, prénoms, filiation, date de naissance, prénoms de son
père, origines, état civil, adresse personnelle) afin de les faire suivre au notaire. En sa
qualité de témoin, Patrice Rochat a exposé qu'un acte de vente n'est commandé qu'une fois
que l'accord sur le prix est intervenu, mais qu'il est toujours possible que la négociation sur
le prix se poursuive avant la signature de l'acte.
4. a) Les demandeurs ont dans un premier temps pris contact avec la
Banque Cantonale Vaudoise (ci-après: BCV) pour connaître les conditions de financement
de cet établissement pour la vente de l'immeuble sis chemin du Rossignol 1 à Morges. Ils
n'ont cependant signé aucun contrat d'emprunt hypothécaire avec la BCV sur la base de la
proposition de cette banque, ce dont le défendeur a été informé.
b) Par courrier électronique du 25 mai 2004, le défendeur a fait part à
Patrice Rochat de ce qui suit:
"Cher Monsieur,
Je vous remercie de votre téléphone de ce
jour, le 25 mai 2004. Je comprends qu'il
n'est pas possible à ce jour de me faire
tenir une offre complète qui tienne compte
de tous les points essentiels qui restent
aujourd'hui en suspens, notamment celui
-5-
23980
relatif au crédit hypothécaire.
Dès que ces points essentiels seront réglés,
je vous remercie de me faire tenir votre
offre.
[…]"
Le témoin Rochat a confirmé les explications des parties selon
lesquelles les "points essentiels" du message qui précède concernaient notamment la prise
en charge par les acquéreurs, en sus du prix de vente convenu (2'750'000.-) de la dédite
due par le défendeur pour la dénonciation anticipée de son prêt hypothécaire auprès de la
BCV.
c) Les négociations avec la BCV en vue de la conclusion d'un crédit
hypothécaire ayant échoué, les demandeurs se sont tournés vers le Crédit suisse, dont les
conditions étaient plus favorables. Le témoin Rochat a précisé que le défendeur était
informé des contacts entre les demandeurs et le Crédit suisse. Les 8 et 9 juin 2004, les
demandeurs ont signé avec cette société un "contrat-cadre de crédit hypothécaire" pour la
somme de fr. 2'000'000.-. Aux dires du témoin Pascal Irani, employé du Crédit suisse à
Pully, le crédit hypothécaire n'était pas un crédit ouvert, mais s'attachait à une opération
immobilière donnée. Le contrat prévoyait comme garantie un gage immobilier grevant
l'immeuble sis chemin du Rossignol 1 à Morges. En outre, il était notamment stipulé que:
"En cas de dénonciation anticipée d'un
contrat de crédit ensuite de transfert de
l'immeuble, d'exécution forcée, de
résiliation extraordinaire de la part de la
banque ou pour d'autres motifs, l'emprunteur
doit verser, outre le capital, les intérêts
échus et courus, une indemnité forfaitaire
correspondant à 1 %o du montant en capital,
mais ne pouvant être inférieure à CHF
1'000.00, au titre des frais et démarches
engagés par la banque.
Par ailleurs, la banque décomptera à
l'emprunteur le gain ou la perte éventuels
d'intérêts attribuable à la dénonciation,
-6-
23980
respectivement au remboursement anticipé. Ce
montant s'obtient en calculant la différence
entre le taux d'intérêt appliqué au contrat
de crédit au moment de la dénonciation/du
remboursement, et le taux pouvant être
obtenu, compte tenu du temps restant, avec
un placement sur le marché monétaire ou des
capitaux au moment de la dénonciation/du
remboursement, différence qu'il convient
ensuite de multiplier par le solde du
montant du crédit et la durée restante. Tout
excédent en faveur du client est compensé
avec l'indemnité pour frais et démarches."
d) Le 8 juin 2004, Patrice Rochat a communiqué ce qui suit au
défendeur:
"Cher Monsieur,
C'est bon nous avons reçu la réponse du
Crédit suisse qui finance l'immeuble.
Je commande donc ce jour un acte auprès du
notaire de la famille Canton à Fr.
2'750'000,--.
M. Canton confirme qu'il paie la dédite de
la BCV.
[…]"
5. Le 8 juin 2004, Patrice Rochat a envoyé un courrier électronique au
notaire Antoine Rochat, courrier dont la teneur est notamment la suivante:
"Monsieur,
Au nom de M. Richard Canton et ses sœurs,
j'ai le plaisir de vous demander de nous
préparer un acte de vente immédiate pour
l'objet ci-après désigné:
[…]
Objet : Immeuble locatif en nom, parcelle No
1342 de la commune de Morges, chemin du
Rossignol 1.
-7-
23980
Prix : Fr. 2'750'000,-- payé chez vous le
jour de la signature.
Remarque : il y a lieu de mettre une clause
quelque part dans l'acte, mais non dans le
prix de vente pour des raisons fiscales pour
les 2 parties, que la dédite sur la
dénonciation du prêt hypothécaire auprès de
la BCV Lausanne, sera payée par les
acquéreurs. Elle se monte à la somme
d'environ Fr. 55'000,--. Je demande à M.
Rouge de me donner les coordonnées de son
contact à la BCV pour que vous puissiez
obtenir les modalités de remboursement.
Financement : Le Crédit suisse de Pully, M.
Pascal IRANI (021- 721 73 50), finance
l'acquisition par un prêt de Fr.
2'000'000,--. Il y aura lieu d'augmenter la
cédule à ce montant si ce n'est pas déjà
fait.
[…]"
6. Par courrier électronique du 9 juin 2004, Patrice Rochat s'est adressé
de la façon suivante au défendeur:
"Monsieur,
Je viens vous proposer 3 dates pour la
signature de l'acte de vente chez le notaire
Antoine Rochat à Lausanne :
Vendredi 18 juin 2004 à 16 h.
Lundi 21 juin 2004 à 9 h
Mardi 22 juin 2004 à 14 h 30.
Durée : entre 1 h et 1 h 30
D'ici là vous aurez bien évidemment reçu un
projet de Me Rochat.
Seront présents, Vous-même, le notaire
Rochat représentera la succession en tant
-8-
23980
qu'exécuteur testamentaire, le notaire Emery
pour le District de Morges et moi.
[…]"
Le défendeur a répondu à Patrice Rochat en ces termes par courrier
électronique du même jour:
"Cher Monsieur,
Suivant votre demande je vous prie de
trouver les éléments d'informations ci-
dessous que vous avez sollicités, destinés à
vous permettre d'établir, par la confection
de l'acte notarié à intervenir, une offre
complète et définitive :
Marc-Etienne fils de René Rouge, né le dix-
sept février mil neuf cent cinquante-sept,
originaire de Lausanne, domicilié à
Coinsins, chemin de Condamine, divorcé.
Concernant le notaire, j'ai un voyage à
l'étranger, planifié depuis longtemps, dès
le 18 juin 12h00 y compris la semaine
suivante, j'aimerai par conséquent que nous
puissions nous voir avant le 18, toutefois
si ce n'est pas possible, je donnerai
procuration à mon avocat Maître von Gunten
pour me représenter.
Concernant les cédules, la principale est
avec la BCV Lausanne, contact : Monsieur
Fernand Gavin, je dispose également, en
main, à mon nom, d'une cédule supplémentaire
de chf 400'000.--
Pour mémoire, votre commission de courtage
sera calculée sur le prix de chf
2'750'000.--
-9-
23980
Finalement, je vous faxe à l'instant l'état
locatif du Rossignol 1 à ce jour.
[…]"
Par courrier électronique du 9 juin 2004, Patrice Rochat a transmis au
notaire Antoine Rochat les informations fournies ci-dessus par le défendeur.
Finalement, la date de la signature de l'acte de vente a été fixée au
lundi 21 juin 2004.
7. Par courrier du 14 juin 2004, le Crédit suisse a fait part aux
demandeurs de ce qui suit:
"Confirmation de notre convention relative
au produit du 14.06.2004
Montant du crédit CHF 2'000'000.00
Utilisation Hypothèque Fix
Compte N° 0273-
659227-61
Immeuble d'habitation,
Chemin du Rossignol 1,
1110 Morges
Durée et paiement 21.06.2004 –
des intérêts 20.06.2014
Taux d'intérêt 3.6% annuellement net,
fixe pour toute la
durée
Paiement des Les intérêts seront
intérêts débités
automatiquement à
chaque échéance sur le
compte N° 0273-
-10-
23980
659227-60.
Le "contrat-cadre de crédit hypothécaire" du
08.06.2004 et ses annexes font partie
intégrante de la convention.
[…]"
Par courrier du 15 juin 2004, le notaire Antoine Rochat a remis un
projet d'acte de vente au défendeur, aux demandeurs, à Me Pierre-Alain Givel, notaire du for
à Morges, ainsi qu'à Patrice Rochat. Il a en outre confirmé que la signature de l'acte aurait
lieu le lundi 21 juin 2004 à 9h00 en son étude à Lausanne.
En son article I/5, le projet d'acte de vente avait la teneur suivante:
"Les cédules hypothécaires numéros 220'052
et 220'053 désignées ci-dessus sont cédées
gratuitement aux acheteurs, libérées
d'engagement. Les acheteurs deviennent
propriétaires des titres et en répondent dès
lors solidairement, à l'entière décharge et
libération du vendeur. Les acheteurs
prennent à leur charge les frais de
dénonciation de l'emprunt hypothécaire du
vendeur auprès de la Banque Cantonale
Vaudoise."
8. Le 15 juin 2004, les demandeurs ont réalisé un portefeuille de titres à
hauteur de fr. 938'174.70. Les frais relatifs à cette vente se sont élevés à fr. 7'781.70, la
banque chargée de la transaction ayant précisé que les frais d'un éventuel rachat ultérieur
des titres en question seraient d'un niveau comparable aux frais initiaux. Interrogés en
qualité de témoins, le notaire Antoine Rochat et Pascal Irani ont expliqué que cette opération
était intervenue afin de réunir les fonds propres nécessaires à l'achat de l'immeuble sis
chemin du Rossignol 1 à Morges.
9. Par courrier électronique du 16 juin 2004, Patrice Rochat a fait part au
notaire Antoine Rochat de ce qui suit:
"Cher Monsieur,
-11-
23980
J'ai bien reçu votre projet d'acte de vente.
Je n'ai pas dû vous faire suivre l'accord
intervenu avec M. Rouge, ou plutôt son
avocat, à savoir que le prix de vente
englobe la pénalité due à la BCV de Fr.
55'000,--. Donc le prix de vente est
augmenté à Fr. 2'805'000,-- et la clause 5,
2ème partie est sans objet.
Je suggère que ce point soit corrigé le jour
de la signature et qu'il n'y ait pas besoin
de refaire un projet puisque M. Rouge me lit
en copie.
Par la présente, je demande à M. Rouge de me
faire parvenir avant la signature,
l'ensemble des contrats d'assurance et des
contrats d'entretien afin que nous soyons au
clair conformément au point 12 de votre acte
de vente.
[…]"
Le décompte BCV reçu par le notaire Antoine Rochat indiquait que le
montant de la dédite due à cette banque s'élevait à fr. 25'000.-. Par courrier électronique du
17 juin 2004, il a alors répondu à Patrice Rochat en ces termes:
"Cher Monsieur,
J'a bien reçu votre message ci-dessous et je
vous en remercie.
J'ai reçu le décompte de remboursement de la
BCV. La pénalité en raison du remboursement
anticipé du prêt n'est finalement pas de fr.
55'000.--, mais de fr. 25'000.--.
J'indiquerai donc dans l'acte un prix de
vente de l'immeuble de fr. 2'775'000.--, si
-12-
23980
M. Rouge, qui me lit en copie, n'y voit pas
d'inconvénient.
[…]"
Par courrier électronique du même jour, Patrice Rochat a répondu en
ces termes à Antoine Rochat:
"Parfait- Merci
[…]"
10. Le 18 juin 2004, le défendeur a, par acte authentique, conclu une
vente à terme avec droit d'emption sur l'immeuble litigieux en faveur de Bernard Nicod. Ce
dernier a établi une procuration datée du 16 juin 2004 en faveur de Jean-Daniel Pauchard
aux fins de conclure ce contrat. Le prix de vente stipulé s'élevait à fr. 2'730'000.-. Le droit
d'emption a été inscrit le 23 juin 2004 au registre foncier de Morges. Le témoin Rochat a
précisé que ni lui, ni les demandeurs n'avaient été informés de cette transaction.
11. Par courrier électronique du vendredi 18 juin 2004, à 18h57, Me von
Gunten, alors conseil du défendeur, s'est adressé ainsi à Patrice Rochat:
"Monsieur,
Mon client, M. Marc Etienne Rouge, me fait
part, ce jour, de l'e-mail que vous lui
adressiez en copie, jeudi 17 juin 2004.
Vos Clients se croient en droit de tirer
avantage de la négociation que M. Marc-
Etienne Rouge a entreprise, relative au
contrat hypothécaire qu'il a conclu avec la
BCV et de retrancher du prix de vente le
montant de CHF 25'000.00. M. Marc-Etienne
Rouge ne peut les suivre sur cette voie.
Le 25 mai dernier, M. Marc-Etienne Rouge
expliquait clairement qu'il était dans
l'attente d'une offre complète lui
permettant de se déterminer. Aujourd'hui, il
-13-
23980
entend ne plus aller de l'avant et me prie
de vous en informer.
M. Marc-Etienne Rouge m'invite à vous prier
d'annuler la réunion du 21 juin prochain,
dès lors sans objet, et réserve tous ses
droits.
Vous souhaitant bonne réception de la
présente, je vous prie de recevoir,
Monsieur, l'expression de mes respectueuses
salutations.
[…]"
Par courrier électronique du dimanche 20 juin 2004, Patrice Rochat a
alors communiqué ce qui suit au défendeur:
"Monsieur,
Je prend connaissance du mail de votre
avocat, reçu ce vendredi 18 juin à 18 h 57.
En tout état de cause, nos clients sont
acheteurs aux prix de Fr. 2'805'000,-- tant
mieux si vous avez pu négocier une meilleure
sortie avec la BCV.
Le notaire pensait bien faire, étant donné
qu'il a reçu le montant à rembourser à la
banque. Il s'est trompé et je vous prie de
m'en excuser.
Je ne me souvenais pas que vous m'aviez dit
vouloir ou pouvoir encore négocier cette
libération de la BCV, tant mieux et bravo.
Je rappelle que je défend vos intérêts et
que j'ai fait monter le prix de vente. Donc
je persiste à dire qu'ils achèteront à Fr.
2'805'000,--.
Je compte donc vivement sur vous pour
toujours signer ce lundi à 09 00.
[…]"
-14-
23980
Le défendeur n'a pas donné de suite écrite à ce courrier. En sa qualité
de témoin, Patrice Rochat a confirmé n'avoir pas non plus été oralement interpellé par le
défendeur quant à cette correspondance. Il a en outre expliqué que le défendeur ne lui avait
pas fait part d'un désaccord sur un point de l'acte de vente dont il avait reçu le projet, d'où il
en a déduit qu'il avait accepté la teneur de cet acte.
12. Le défendeur ne s'est pas présenté à la séance d'instrumentation de la
vente prévue le lundi 21 juin 2004 à 9h00. Le témoin Rochat a expliqué avoir appris
l'annulation le jour même à 8h30 par l'intermédiaire de Patrice Rochat, soit trente minutes
avant l'heure convenue. Ce dernier en a attesté lors de son audition. Le témoin Rochat a
encore précisé que le notaire Pierre-Alain Givel s'était déplacé de Morges à Lausanne en
vue de la signature de l'acte de vente.
Conformément à une note détaillée du notaire Antoine Rochat aux
demandeurs, ses frais en vue de l'instrumentation de l'acte de vente, ainsi que ceux du
notaire Pierre-Alain Givel, s'élèvent à fr. 3'535.80.
Par courrier électronique du 21 juin 2004, Patrice Rochat s'est adressé
au défendeur en ces termes:
"Monsieur,
Je ne comprends pas bien pourquoi vous ne
voulez pas me répondre.
Je ne suis pas personnellement responsable
de cette situation et suis prêt à vous
écouter.
Je confirme que les Canton sont toujours
acquéreurs au prix de Fr. 2'805'000,--
Je vous informe aussi que je suis prêt à
réduire ma commission de 50%.
Je crois là que vous ne devriez avoir aucune
crainte à revenir à la table du notaire.
Vous pouvez m'appeler sur mon natel 079 332
03 00.
Merci de votre compréhension et je compte
sur vous, s'il vous plaît.
[…]"
-15-
23980
Par courrier du 24 juin 2004, le notaire Antoine Rochat s'est adressé
de la sorte à Me von Gunten:
"Maître,
Je me réfère à votre courrier informatique
du 18 juin 2004 à M. Patrice Rochat.
Je regrette que vous n'ayez pas jugé bon de
me transmettre une copie de ce courrier.
Je n'ai appris l'annulation de la séance
prévue pour l'acte lundi 21 juin 2004 à 9
h.00 à mon étude que le jour même à 8 h.30
et mon confrère Givel s'est déplacé de
Morges à Lausanne pour rien. En outre, j'ai
tenté en vain de vous atteindre par
téléphone au début de cette semaine, dans le
but de dissiper les malentendus.
Par ailleurs, je réfute formellement les
termes du deuxième paragraphe de votre
lettre.
Selon les indications qui m'ont été
fournies, le prix de vente convenu était de
fr. 2'750'000.--, auquel s'ajoutait les
frais de dénonciation de l'emprunt
hypothécaire du vendeur à la BCV.
J'en veux pour preuve un courrier
informatique du 9 juin 2004 de M. Rouge à M.
Rochat, précisant que la commission de
courtage sera calculée sur le prix de fr.
2'750'000.--. Je n'ai nullement voulu "tirer
avantage" de la négociation de M. Rouge avec
la BCV.
Cela étant, je vous informe que les membres
de l'hoirie Canton sont toujours disposés à
acheter la parcelle 1342 de Morges, et ils
-16-
23980
sont prêts à payer le prix de fr.
2'805'000.--, puisque c'est semble-t-il le
montant demandé par votre client.
Dès lors, je vous serais obligé de bien
vouloir m'indiquer, par écrit et dans les
meilleurs délais, si M. Rouge est prêt à
revoir sa position, telle qu'exprimée dans
votre courrier précité. Je vous en remercie
d'avance.
J'envoie copie de la présente à M. Rochat,
pour son information.
[…]"
13. a) Par lettre du 24 juin 2004, expédiée par téléfax et par pli simple, Me
Bernard de Chedid, conseil des demandeurs, a notamment fait part à Me von Gunten qu'il
considérait que les parties étaient tombées d'accord sur un prix de vente fixé à fr.
2'750'000.-, augmenté des frais réclamés par la BCV pour la dénonciation anticipée du
crédit hypothécaire du défendeur. Il a précisé qu'en dépit du fait que ces frais s'élevaient à
fr. 25'000.-, le défendeur a néanmoins exigé fr. 55'000.-, ce que les demandeurs ont
accepté. Me de Chedid a en outre informé Me von Gunten qu'il se tenait à sa disposition
jusqu'à la fin du mois de juin 2004 afin de trouver une issue amiable au différend opposant
les parties. Il était précisé que le crédit hypothécaire demeurait jusque-là en suspens auprès
de la banque et que la perte pour les demandeurs ne serait donc pas irréversible.
Le 29 juin 2004, Me von Gunten a répondu à Me de Chedid que le
défendeur contestait formellement qu'un accord soit intervenu tant sur le prix que sur toutes
autres modalités qui caractérisent la réalisation d'un contrat de vente.
b) Interrogé sur la question de l'accord des parties, le notaire Rochat a
précisé qu'elles s'étaient entendues dans un premier temps, mais que la vente avait été
annulée pour une raison qu'il ignore. Il a appris ultérieurement qu'un élément du prix avait
posé problème. Il estime en outre que les demandeurs étaient prêts à ajouter au prix de
vente les frais relatifs à la dédite de la BCV, quel qu'en ait été le montant. Quant au témoin
Rochat, il a déclaré que les parties ont toujours été d'accord sur tous les points essentiels de
la vente, le défendeur n'ayant apporté aucun élément permettant d'admettre que tel n'était
-17-
23980
pas le cas.
14. Par courrier du 19 juillet 2004, le Crédit suisse à communiqué ce qui
suit à Me de Chedid:
"Maître,
Nous nous référons à votre demande par
téléphone du 15 juillet 2004 et vous
communiquons ci-après pour information le
décompte de remboursement de l'engagement
hypothécaire, valeur 19.07.2004 :
Hypothèque No 0273-659227-61
Capital CHF 2'000'000.--
Intérêts du 22.06.04
au 19.07.04 CHF 5'600.--
Intérêts de pénalité
pour remboursement
anticipé CHF 129'500.90
Frais contractuels CHF 1'000.—
Total à nous
rembourser CHF 2'136'100.90 s.e.& o.
[…]"
15. Aux dires des témoins Irani et Rochat, les demandeurs se sont alors
efforcés de réemployer le crédit hypothécaire évoqué ci-dessus, ainsi que le produit de la
vente des titres du 15 juin 2004.
Le 11 août 2004, ils ont ainsi acquis un immeuble sis chemin
Benjamin-Dumur 6-8 à Lausanne, au prix de fr. 2'600'000.-. Ce montant a en partie été réglé
le 19 août 2004 au moyen du crédit de fr. 2'000'000.- que le Crédit suisse avait accordé aux
demandeurs. Ces derniers ont ainsi exposé ne pas devoir s'acquitter des intérêts de pénalité
pour remboursement anticipé. Par courrier du 25 février 2005, le Crédit suisse a fait parvenir
aux demandeurs un décompte des intérêts hypothécaires du 21 juin 2004 au 19 août 2004.
Avec la précision que le versement effectif du crédit hypothécaire avait été effectué à cette
dernière date, il était mentionné que les intérêts pour la période considérée se montaient à
-18-
23980
fr. 12'000.-.
Pour le reste, l'acquisition de l'immeuble a été financée par le produit
de la vente des titres effectuée le 15 juin 2004, de sorte que de nouveaux frais de courtage
ont pu être évités.
16 . Par demande du 23 juillet 2004, reçue le 27 juillet 2004 au greffe du
Tribunal de céans, Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande Therin-Canton et Régine
Muheim-Canton ont pris, avec suite de frais et dépens, la conclusion suivante:
"I. Marc-Etienne Rouge est le débiteur de
Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande
Therin-Canton et Régine Muheim-Canton de la
somme de 100'000 fr. (cent mille francs)
plus intérêt à 5% l'an dès 21 juin 2004 et
leur en doit immédiat paiement."
Par réponse du 30 novembre 2004, Marc-Etienne Rouge a conclu, avec
suite de frais et dépens, au rejet de la conclusion de la demande.
L'achat de l'immeuble sus chemin Benjamin-Dumur 6-8 à Lausanne leur
ayant permis d'éviter de payer la pénalité relative au crédit hypothécaire ainsi que de
nouveaux frais de courtage sur les titres vendus, les demandeurs ont, dans leurs
déterminations du 1er mars 2005, réduit, toujours avec dépens, la conclusion de leur
demande comme suit:
"M. Marc-Etienne Rouge est leur débiteur de
fr. 15'535.80 + intérêts à 5% l'an dès le 21
juin 2004 et leur en doit immédiat paiement"
EN DROIT:
I. A l'appui de leur prétention, les demandeurs allèguent en substance que le
défendeur a violé son devoir de négocier sérieusement. Il ne les aurait pas informés de la
conduite de pourparlers parallèles et aurait dû les avertir plus tôt de son intention de ne pas
-19-
23980
aboutir à la vente, au lieu de poursuivre les négociations jusqu'à finalement tirer argument
d'un prétendu désaccord quant aux conditions de la vente pour ne pas la conclure. Le
comportement du défendeur aurait éveillé en eux une confiance légitime en la poursuite de
pourparlers devant aboutir à la conclusion du contrat. Le dommage serait constitué d'une
part des intérêts hypothécaires dus au Crédit suisse, ayant couru du 21 juin au 19 août
2004, et d'autre part des frais relatifs à l'acte notarié dont l'instrumentation était prévue le 21
juin 2004. Il en découlerait une responsabilité du défendeur au titre de la culpa in
contrahendo.
Le défendeur oppose à cela que la confiance que les demandeurs
prétendent avoir fondée en son intention de mener à terme les négociations n'est pas
légitime. Les demandeurs ne pouvaient ignorer les pratiques du marché immobilier,
notamment la conduite de négociations parallèles et la constante possibilité de rupture des
négociations avant la conclusion formelle du contrat. Le défendeur expose en outre que les
demandeurs ont tenté de tirer avantage d'une réduction qu'il aurait obtenue sur le montant
de la dédite de son crédit hypothécaire, afin d'imposer unilatéralement une réduction du prix
de vente au dernier moment, ce qui l'aurait conduit à se tourner vers un autre acheteur.
II. Le principe général de la responsabilité précontractuelle ou culpa in
contrahendo repose sur l'idée que l'ouverture des pourparlers crée déjà une relation
juridique entre les parties, ce qui implique de se comporter conformément aux règles de la
bonne foi (art. 2 CC; ATF 121 III 350 consid. 6c p. 354). Certes, les interlocuteurs ne sont
pas tenus de poursuivre les pourparlers qu'ils ont entamés; chacun a le droit de les rompre
sans être obligé - en principe - d'en donner les raisons (P. Engel, Traité des obligations en
droit suisse, Berne 1997, p. 188, avec réf.). Néanmoins, la conduite de pourparlers
contractuels impose naturellement des devoirs d'égards réciproques aux parties.
En particulier, chaque partie doit négocier conformément à ses véritables
intentions (ATF 116 II 695, c. 3, p. 698; 105 II 75, c. 2a) et renseigner l'autre, dans une
certaine mesure, sur les circonstances propres à influencer sa décision de conclure le
contrat ou de le conclure à certaines conditions (ATF 105 II 75, JT 1980 I 66; ATF 102 II 81,
JT 1977 I 210; ATF 92 II 328, c. 3b, JT 1968 I 34; ATF 90 II 449, c. 4, JT 1965 I 275). Le
devoir de se comporter sérieusement suppose de ne pas engager, ni de poursuivre des
négociations en ayant l'intention de ne pas conclure le contrat; il implique également de ne
pas mener des pourparlers de manière à faire croire que sa volonté de conclure est plus
forte qu'en réalité (ATF 4c.381/2002 et références citées).
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23980
Une partie ne peut pas, par une attitude contraire à ses véritables
intentions, éveiller chez l'autre l'espoir illusoire qu'une affaire sera conclue et l'amener ainsi à
faire des dépenses dans cette vue (ou au contraire à s'abstenir de prendre d'autres
dispositions). Celui qui engage de la sorte des pourparlers dans le dessein, même éventuel,
de les rompre doit réparation pour le préjudice causé à son partenaire. Dans le même ordre
d'idées, il peut exister un devoir de rompre: dès que l'un des partenaires se rend compte que
les négociations sont vouées à l'échec, il doit mettre fin aux tractations pour éviter une perte
de temps, des démarches, des frais inutiles à son partenaire (Engel, op. cit., pp. 188-189,
avec réf.). Ainsi, lorsqu'une partie doit savoir qu'un fait, ignoré de l'autre et qu'elle doit lui
révéler selon les règles de la bonne foi, peut faire échouer les pourparlers, elle doit l'en
informer sans attendre (P. Piotet, Culpa in contrahendo et responsabilité précontractuelle en
droit privé suisse, Berne 1963, p. 127).
La culpa in contrahendo sanctionne ainsi les devoirs de diligence que les
règles de la bonne foi ou de l'équité imposent aux parties dans la passation d'un acte
juridique ou dans les pourparlers en vue d'un tel acte. La violation fautive de ces devoirs de
diligence et de loyauté dans les pourparlers oblige à réparer le dommage que la partie lésée
n'aurait pas subi en l'absence de la faute. (Piotet, op. cit., pp. 126 et 127 ; Engel, op. cit., pp.
748 et 754). La culpa in contrahendo ne suppose toutefois pas une faute intentionnelle. Si
une partie ouvre et poursuit des pourparlers sans rendre son interlocuteur attentif à des
circonstances qu'il ne peut ni ne doit connaître lui-même, elle engage sa responsabilité
même si elle n'a manqué que par négligence à son devoir de renseigner (Engel, op. cit., pp.
185ss; Piotet, op. cit., p. 127; ATF 105 II 75, précité; ATF 92 II 328, précité; ATF 90 II 449,
précité).
III. En résumé, pour que la responsabilité de l'une des parties soit engagée au
titre de la culpa in contrahendo, il faut qu'elle ait agi de manière contraire aux règles de la
bonne foi, que l'autre partie ait subi un dommage et qu'il existe un lieu de causalité entre ce
dommage et le comportement incriminé (comparer de manière générale Engel, op. cit. pp.
185-189 et pp. 754-755).
a) S'agissant en premier lieu de la violation des règles de la bonne foi, il
s'agit de déterminer, au vu des circonstances particulières, notamment de la nature du
contrat, du déroulement des pourparlers, de ce que voulaient et savaient les intéressés, si la
confiance que les demandeurs ont fondé dans l'avancement des pourparlers était légitime et
-21-
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si cette confiance a été trompée de manière contraire aux règles de la bonne foi par le
défendeur.
En l'espèce, il faut relever que le contrat envisagé par les parties devait
revêtir la forme authentique. Or, lorsque le contrat en vue est soumis à une forme légale,
une culpa in contrahendo pour rupture des pourparlers sera admise d'autant moins
facilement que les prescriptions de forme ont précisément pour but de préserver les parties
d'un engagement irréfléchi. Demeure réservée l'hypothèse d'un refus injustifié de dernière
minute. Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de donner sans réserve son
accord de principe à la conclusion d'un contrat formel et de refuser in extremis, sans raison,
de le traduire dans la forme requise (SJ 2002 I p. 168). Le Tribunal fédéral a ainsi admis
qu'une banque engageait sa responsabilité précontractuelle pour avoir laissé une succursale
négocier un contrat jusqu'au texte définitif pendant des mois comme si ladite entité était
compétente pour conclure, - ce qui n'était pas le cas -, la convention n'étant finalement pas
signée sur refus du siège principal (ATF 105 II 75). Dans les cas de ce genre, le
comportement contraire aux règles de la bonne foi ne consiste pas tant à avoir rompu les
pourparlers qu'à avoir maintenu l'autre partie dans l'idée que le contrat sera certainement
conclu ou à n'avoir pas dissipé cette illusion à temps.
Dans la présente cause, les pourparlers menés entre les parties ont été
interrompus à un stade très avancé, puisque la date de la passation de l'acte authentique
avait été arrêtée d'entente entre les parties. Cette circonstance démontre que le défendeur
avait donné son accord de principe sur la conclusion formelle du contrat. Il ressort
notamment du courrier électronique du 16 juin 2004 de Patrice Rochat au notaire Antoine
Rochat que les parties s'étaient entendues sur un prix de vente de fr. 2'750'000.-, auquel
devaient être ajoutés fr. 55'000.- correspondant à la dédite due à la BCV par le défendeur.
Certes, après avoir constaté que le montant effectif de cette dédite n'était finalement pas de
fr. 55'000.-, mais de fr. 25'000.-, le notaire Antoine Rochat, mandaté par les demandeurs, a
fait part de son intention de modifier le projet d'acte en conséquence. Il l'a cependant fait
sous réserve expresse du consentement du défendeur. De son côté, ce dernier n'a pas
réagi à la communication du notaire. Quant à Patrice Rochat, mandataire du défendeur, il a
simplement répondu: "Parfait- Merci".
Dans ces conditions, les demandeurs ne devaient pas s'attendre à une
acceptation expresse de la modification proposée. Au contraire, la réponse lapidaire donnée
par le mandataire du défendeur peut de bonne foi être interprétée comme une acceptation
de la proposition du mandataire des demandeurs. De la sorte, une renonciation expresse de
-22-
23980
la part du défendeur aurait été de mise. Les demandeurs étaient dès lors toujours fondés à
placer leur confiance en l'aboutissement de la vente, le défendeur ne leur ayant aucunement
fait part de son revirement suite à la modification proposée du montant correspondant à la
dédite. Quand bien même les demandeurs devaient savoir que des négociations parallèles
étaient en cours, il faut relever que le défendeur a convenu d'une date à court terme pour la
conclusion formelle de la vente. De même, il a transmis tous les renseignements
nécessaires à l'établissement de l'acte de vente, sur lequel il n'a jamais manifesté son
désaccord. Une tel comportement est de nature à éveiller chez tout partenaire une confiance
légitime en ce que la vente se conclura à la date convenue, quelle que soit l'avancée des
négociations parallèles. A bien considérer les circonstances d'espèce, il apparaît même que
le défendeur n'a pas, à proprement parler, rompu de pourparlers. En effet, du point de vue
des demandeurs, le projet de vente ne comportait plus de point de discussion après que
Patrice Rochat ait manifesté son accord quant à l'intention du notaire de réduire le montant
indiqué dans la clause correspondant à la dédite. Plus particulièrement, l'instruction n'a pas
établi que le défendeur ait averti les demandeurs de son intention de ne pas se présenter
chez le notaire le lundi matin 21 juin 2004, comme les parties l'avaient convenu. Le
défendeur s'est contenté au dernier moment, soit vendredi soir 18 juin 2004, de prier son
propre mandataire, Patrice Rochat, d'annuler la réunion.
Il ressort en outre du témoignage du notaire Rochat ainsi que de la
correspondance du 20 juin 2004 de Patrice Rochat au défendeur que les demandeurs
étaient prêts à assumer les frais relatifs à la dédite, quel qu'en ait été le montant. La
réduction litigieuse n'a nullement été imposée, comme le soutient le défendeur, mais a été
au contraire proposée sur la base d'un décompte fourni par le défendeur lui-même. Ce
document pouvait naturellement laisser penser au notaire qu'il devait adapter le projet d'acte
de vente en conséquence, ce qu'il a pris la précaution de faire sous réserve du
consentement du défendeur. Le défendeur pouvait dès lors en inférer que les demandeurs,
par l'intermédiaire de leur mandataire, n'avaient pas l'intention de remettre en jeu les
discussions relatives au montant de la dédite, mais simplement d'adapter l'acte formel aux
précisions fournies par le défendeur. Ainsi, quand bien même ce dernier aurait manifesté
son désaccord quant à la réduction de cet élément du prix de vente, cela n'aurait pu suffire à
écarter la confiance des demandeurs en l'aboutissement de la vente.
Il apparaît ainsi que le comportement du défendeur a trompé d'une
manière contraire à la bonne foi les attentes légitimes qu'avaient fondé les demandeurs en
la conclusion formelle du contrat de vente. Il n'est cependant pas reproché au défendeur
d'avoir mené des pourparlers parallèles et d'avoir vendu son immeuble à un tiers peu avant
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23980
la vente prévue avec les demandeurs. Le comportement du défendeur apparaissant
contraire aux règles de la bonne foi consiste en ce qu'il a conforté les demandeurs dans leur
confiance en l'aboutissement de la vente puis a refusé in extremis de venir passer l'acte
authentique. Partant la première condition nécessaire à l'admission d'une responsabilité au
titre de la culpa in contrahendo est réalisée.
b) A titre de dommage, les demandeurs font valoir les frais de l'acte notarié
qui n'a pas abouti, pour un montant de fr. 3'535.80, ainsi que les intérêts hypothécaires
ayant couru du 21 juin au 19 août 2004, pour une somme totale de fr. 12'000.-. Le premier
montant se fonde sur un décompte détaillé fourni par le notaire Antoine Rochat. Quant au
second, il ressort d'une lettre adressée par le Crédit suisse aux demandeurs, qui précise que
le montant du crédit hypothécaire n'a été effectivement versé qu'en date du 19 août 2004.
Dans la mesure où le crédit en question était lié à l'acquisition d'un immeuble déterminé, les
demandeurs n'ont pas été en mesure d'amortir les d'intérêts courant jusqu'alors par l'emploi
de la somme prêtée.
La violation fautive des devoirs précontractuels de diligence - culpa in
contrahendo -, que sont les devoirs de loyauté dans la préparation et la passation d'actes
juridiques ou analogues, et notamment dans les pourparlers en vue d'un contrat, permet
uniquement d'obtenir la réparation du dommage, soit la diminution involontaire du
patrimoine, que la personne lésée n'aurait pas subi en l'absence de faute
(Gauch/Schluep/Tercier, Partie générale du droit des obligations, tome I, 2ème éd., p. 129,
n. 684; Tercier, op. cit., n. 1100, p. 219; Engel, op. cit., p. 754).
C'est le lieu de rappeler qu'en vertu du principe selon lequel des
négociations contractuelles peuvent être librement interrompues à tout moment, chaque
partie doit s'attendre à devoir supporter elle-même ses propres frais relatifs à des
investissements ou autres actes de disposition qui s'avèrent vains en raison de l'échec des
pourparlers. Cela vaut même si l'autre partie avait de bonne foi déclaré ou fait comprendre
qu'elle avait réellement l'intention de conclure le contrat. Il n'en va différemment que dans
l'hypothèse où une partie poursuit les négociations et renforce l'autre partie dans la
confiance en leur aboutissement, alors qu'elle sait que les négociations n'aboutiront pas ou
couve des doutes sérieux à ce sujet (E. A. Kramer, Commentaire bernois ad art. 22 CO N
13-14, avec réf.).
S'agissant en premier lieu du paiement des intérêts hypothécaires ayant
couru du 21 juin au 19 août 2004, il faut relever que la conclusion du contrat en question
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entre les demandeurs et le Crédit suisse a précédé le moment où le défendeur a pu donner
son accord de principe quant à l'aboutissement du contrat de vente. En effet, dans son
courrier du 25 mai 2004 à Patrice Rochat, le défendeur a expressément réservé l'accord sur
certains points essentiels nécessaires à "l'offre complète" qu'il a alors évoquée. C'est ainsi
une fois seulement que le crédit hypothécaire a été effectivement ouvert en faveur des
demandeurs et que ces derniers ont confirmé qu'ils supporteraient la dédite due par le
défendeur, que Patrice Rochat a pu, le 8 juin 2004, communiquer ces éléments au
défendeur et lui annoncer qu'il commandait un acte de vente auprès du notaire Rochat. Il en
résulte qu'au moment de la conclusion du crédit hypothécaire entre les demandeurs et le
Crédit suisse, le défendeur n'avait pas encore exprimé son accord de principe quant à la
conclusion de la vente. Par ailleurs, aucun élément ne permet de penser qu'il avait à ce
moment là l'intention de rompre les pourparlers. Le désistement fautif reproché au
défendeur n'a pu intervenir que postérieurement au moment de la conclusion du prêt
hypothécaire sur lequel les demandeurs fondent une partie de leur prétention. Il apparaît
ainsi qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la violation des devoirs de bonne foi par le
défendeur et le dommage des demandeurs quant aux intérêts hypothécaires.
En revanche, les frais de notaire échus pour l'acte authentique qui n'a
finalement pas été instrumenté ont directement été causés par le fait que le défendeur a
maintenu jusqu'au dernier moment les demandeurs dans l'assurance erronée que la
conclusion formelle du contrat de vente aurait lieu. En l'absence de faute, à savoir si le
défendeur n'avait pas donné son accord sur l'établissement d'un acte de vente et la fixation
d'une date d'instrumentation alors qu'il n'avait pas l'intention de s'y tenir, les frais en question
auraient aisément pu être évités. De même, si le défendeur a effectivement, comme il le
soutient, décidé d'abandonner les négociations avec les demandeurs à la suite de la
proposition du 17 juin 2004 de réduire de fr. 30'000.- le prix figurant dans l'acte, il aurait dû
immédiatement en faire part aux demandeurs, afin d'éviter les frais liés à la séance
d'instrumentation. La dernière condition posée à une responsabilité précontractuelle est ainsi
réalisée en ce qui concerne les frais de notaire assumés par les demandeurs. Le défendeur
est dès lors tenu d'indemniser les demandeurs à concurrence de fr. 3'535.80.
IV. La demanderesse réclame l’intérêt moratoire dès le 21 juin 2004, au taux
de 5% l’an, conformément à sa conclusion du 1er mars 2005.
a) Aux termes de l’article 104 alinéa 1er CO, le débiteur qui est en demeure
pour le paiement d’une somme d’argent doit l’intérêt moratoire à 5 pour cent, même si un
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23980
taux inférieur avait été fixé pour l’intérêt conventionnel.
La question de savoir à partir de quel moment l'auteur d'une culpa in
contrahendo est en demeure dépend du rattachement délictuel ou contractuel de ce chef de
responsabilité. En effet, alors que l’article 102 alinéa 1er CO dispose que le débiteur d’une
obligation exigible est mis en demeure par l’interpellation du créancier, l'intérêt résultant d'un
acte illicite est dû à compter du jour de la commission de l'acte (Engel, op. cit., p. 689, avec
réf.).
Il est généralement admis que les articles 97 et suivants CO s'appliquent
par analogie à la responsabilité fondée sur la confiance, car la relation personnelle étroite
des parties est plus proche d'un rapport contractuel que de la rencontre de pur hasard visée
par l'article 41 CO (voir A. Morin, Les caractéristiques de la responsabilité fondée sur la
confiance. Note à propos des ATF 128 III 324 et 130 III 345, in: JT 2005 I, pp. 58ss, avec
réf.)
b) En l’occurrence, la première interpellation, c'est-à-dire la sommation de
payer la somme réclamée, résulte de la demande du 23 juillet 2004, reçue selon le cours
normal des choses le 2 août 2004 par le défendeur, de sorte que les intérêts moratoires sont
dus dès cette date.
V. Obtenant partiellement gain de cause, les demandeurs ont droit à des
dépens réduits (art. 92 al. 2 CPC), qu'il convient d'arrêter comme suit:
- fr. 2'210.- en remboursement de ses frais de justice;
- fr. 1'700.- à titre de participation aux honoraires de son conseil;
- fr. 300.- pour les débours de son conseil.
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23980
Par ces motifs,
le Président
I.- ADMET partiellement l'action formée le 23 juillet 2004 par les demandeurs
Richard Canton, Raymonde Canton, Rolande Therin-Canton et Régine Muheim-Canton
contre le défendeur Marc-Etienne Rouge;
II.- DIT que Marc-Etienne Rouge est le débiteur des demandeurs d'une somme de
fr. 3'535.80 (trois mille cinq cent trente-cinq francs et huitante centimes), avec intérêts à 5%
l'an dès le 2 août 2004;
III.- ARRÊTE les frais de procédure à fr. 2'210.- (deux mille deux cent dix francs)
pour les demandeurs, solidairement entre eux, et à fr. 2'000.- (deux mille francs) pour Marc-
Etienne Rouge;
IV.- DIT que Marc-Etienne Rouge est le débiteur des demandeurs d'un montant de
fr. 4'210.- (quatre mille deux cent dix francs) à titre de dépens réduits;
V.- REJETTE toutes autres ou plus amples conclusions.
Le Président : Le greffier :
P. Bruttin G. Vionnet, sbt
Du
Les motifs du jugement rendu le 11 janvier 2006 sont notifiés aux conseils des
parties.
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Les parties peuvent recourir auprès du tribunal Cantonal dans les dix jours
dès la notification de la présente motivation en déposant au greffe du tribunal
d'arrondissement un acte de recours désignant le jugement attaqué et contenant leurs
conclusions, ou à ce défaut, indiquant sur quels points le jugement est attaqué et quelles
sont les modifications demandées.
Si vous avez déjà recouru dans le délai de demande de motivation sans
prendre de conclusions conformes aux exigences susmentionnées, votre recours pourra
être déclaré irrecevable, à moins que vous ne formuliez des conclusions régulières dans le
délai fixé ci-dessus.
Le greffier : G. Vionnet, sbt.
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