Editeur responsable : Patrick Colpé
Journal réalisé par l’équipe de l’Action culturelle du Centre culturel régional/Théâtre de Namur avec la participation des membres du groupe d’Action régionale.
Espèces d’amateurs
Numéro #3
Une publication semestrielle du Centre culturel régional/Théâtre de Namur
EspècEs d’amatEurs…
C’est un regard en éventail sur les multiples réalités, expériences et questions
que posent cette appellation que ce troisième numéro d’Avis à la Population
vous propose. Le décret sur les Centres d’expression et de créativité et les
pratiques artistiques en amateur distingue deux aspects : d’une part des
ateliers et projets menés par des artistes professionnels et axés sur le déve-
loppement de la créativité et d’autre part des fédérations de pratiques
artistiques en amateur axées sur l’apprentissage technique et la dynamique
sociale.
Ce numéro témoigne de ces multiples facettes : des fanfares engagées dans
une rencontre artistique avec un musicien pop/jazz, l’expérience exception-
nelle d’un comédien - facteur, des écoles de musique, des portraits d’artistes
amateurs, des textes autour de l’art brut, un article sur la collection RTBF, des
expériences d’ateliers ou de projets socioartistiques, des questionnements
enfin sur la différence entre amateurs et professionnels….
Ces articles révèlent l’importance particulière que prennent aujourd’hui les
enjeux de la créativité et des pratiques artistiques pour tous. En effet, ce qui
vient éclairer d’un jour nouveau cette question, c’est l’enjeu économique que
représente le capital culturel et le formidable développement des nouvelles
technologies qui incitent chacun à devenir créatif.
Finalement, en soutenant les pratiques artistiques en amateur, est-ce que les
politiques culturelles ne font que répondre aux enjeux du marché ou est-ce
que soutenir la créativité c’est aussi construire avec les populations des
moyens d’expression symbolique qui permettent de résister et de déployer
les imaginaires au-delà d’une culture préfabriquée à un niveau mondial ?
Le débat est réel mais il ne se résout sans doute pas dans une seule exclusive.
Un coup d’œil sur le net dévoile la diversité de ce qui peut être produit au
départ de la même technologie, un prêt-à-penser formaté et des résistances
créatives et esthétiques étonnantes !
Par Patrick Colpé, Directeur général et Marylène Toussaint, Directrice de l’Action culturelle
© JEaN-FraNçois FlamEy
aVis à la populatioNBillEt dE mauVaisE HumEur
Je suis d’une époque où le mot “ professionnel ”
dans le champ de l’art a commencé à prendre de
la place ; être artiste, c’était être un “ professionnel ”.
Au début, lorsque les premiers collègues parmi nous
se comportaient comme des professionnels, nous
étions mort de rire ; l’ambition de ceux qui habitaient
notre petit panthéon ne nous paraissait pas cadrer
avec le mot. La radicalité, l’investissement, l’inten-
sité, les destins de ceux qui nous avaient inspirés ne
nous paraissaient pas entrer dans le mot amidonné
de “ professionnel ” ; pour nous, il s’agissait plutôt
d’aventuriers, de chercheurs, de pionniers, d’éclai-
reurs, d’artistes.
Et puis, c’est l’usage du mot qui a gagné, nous
sommes devenus des “ professionnels ”.
Indépendamment de tout ce qu’il fallait apprendre,
de la longue période d’initiation qui prévaut au
métier d’artiste, il fallait apprendre le métier de
professionnel. Cela voulait dire que, petit à petit,
il fallait intégrer les règles, les comportements, le
langage, le rythme, la tendance.
Il y avait la profession et la profession de foi. Être
artiste sans se soucier des contingences profes-
sionnelles, c’était, pas à pas, se voir reléguer à la
marge et la marge n’était plus un lieu suffisamment
fréquentable, elle devenait un no man’s land de
looser.
Indépendamment de son œuvre, un artiste doit
intégrer les critères de sa profession et ces critères
sont imposés par un système.
Pour le mot “amateur”, j’ai l’impression que nous
nous dirigeons vers la même chose. Tout le monde
vous le dira la bouche en cœur, “amateur” étymo-
logiquement : “celui qui aime”. Il ne fait pas ça pour
l’argent, simplement par amour. Quelle différence y
a-t-il entre une œuvre d’amateur et une œuvre de
professionnel ? Aucune, à part celle que vous instal-
lerez à partir de votre propre subjectivité. Qui peut,
dans nos sociétés contemporaines, face à vous, au
sentiment qui se dégage de vous face à une œuvre,
dire que votre sentiment est faux, vulgaire, “ peu
professionnel ” ? Ces critères, ces affirmations sont
d’une autre époque.
Ce qui me paraît être un critère d’évaluation, c’est
la nécessité intime et impérieuse avec laquelle
quelqu’un a produit une œuvre et la subtilité du
lien que cette œuvre entretient avec un amateur
de celle-ci. Et ces rôles peuvent d’ailleurs être
interchangeables.
Ce qui peut-être n’est pas de l’art – et cela tout aussi
bien dans le champ professionnel qu’amateur – c’est
ce qui obéit à une convention qui ne nous ressemble
pas et qui entraîne que l’on désobéisse à nos intui-
tions, nos sensations les plus inavouables, les plus
antisociales. J’ai l’impression que nous faisons de
l’art parce que nous voulons une autre société.
Evoquons-la dans notre travail, quelle que soit la
forme que cela prend et l’étiquette qu’on y collera.
Werner Moron, artiste
Je connais pas mal de professionnels qui sont des travailleurs pauvres et des amateurs qui vivent confortablement en vendant le fruit de leur travail artistique pour arrondir leurs fins de mois. Si nous ne faisons pas attention, les mots “ amateur ”, “ médiation ”, “ action culturelle ”, etc. peuvent à la manière du mot “ professionnel ”, venir ajouter au défraîchissement, à l’envie de tout ranger, de tout comprendre a priori, d’avoir réponse à tout.
amatEurs proFEssioNNEls
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éditioN #3
aVis à la populatioN
Un projet collectif de la Fédération Musicale Royale de la Province de Namur, l’asbl Un Kiosque à Namur, le Festival des Arts Forains et le Centre culturel régional / Théâtre de Namur.
la marcHE dEs souFFlEurs ou l’éNErgiE VitalE dEs musiciENs amatEurs !
* asbl
Un Kiosque à
Namur asbl :
unkiosqueanamur.
jimbo.com
Le contexte et la genèse du projetPar Marylène Toussaint – Directrice de l’Action culturelle au CCR/Théâtre de Namur
Depuis de longs mois, avec l’artiste Werner Moron,
nous cogitions sur la mise en œuvre d’un projet
socioartistique : Les Voisins sont des Indiens. Après
les expériences de De quoi voulez-vous vous débar-
rasser ? et l’Oie du silence, nous savions que nous
devions aller plus loin et inventer un projet fédéra-
teur qui mobilise les habitants. Dans les prémices
des Voisins sont des Indiens, nous avons multiplié
les rencontres et les contacts. Et des rencontres
naissent des expériences inoubliables…
Lors d’une réunion de l’asbl Un Kiosque à Namur*,
dont le projet est de défendre, comme son nom l’in-
dique, l’installation d’un kiosque à Namur comme
enjeu de convivialité et de rencontres artistiques
multiples, j’ai rencontré Pierre Ernoux, le Président
de la Fédération des Fanfares et Harmonies de la
Province de Namur. La réunion portait sur la mise
sur pied d’un projet dans le cadre de l’édition de
2012 du Festival des Arts Forains/ Namur en Mai.
C’est là qu’a surgi l’idée de créer une véritable
rencontre improbable entre des fanfares et un
musicien et compositeur de musique actuelle : La
Marche des Souffleurs.
Le projet final comportait trois volets : le Bain des
Fanfares animé par Philippe Noël et la fanfare
Sainte-Cécile de Florennes (une initiation en live aux
instruments de musique pour les enfants) ; les pres-
tations du Bagad de Plougastel et des cinq fanfares
en différents lieux du festival et le final de La Marche
des Souffleurs place d’Armes. Quatre partenaires
ont décidé de porter le projet : l’asbl Un Kiosque à
Namur, le Festival des Arts Forains, la Fédération
Musicale Royale de la Province de Namur et le
Centre culturel régional / Théâtre de Namur.
Les liens avec le projet Les Voisins sont des Indiens
se sont faits naturellement puisque ces rencontrent
improbables constituent le cœur même du projet.
Werner Moron collabore régulièrement avec Manu
Louis, alias “ Louis Louis ”, au sein du collectif les
Paracommand’art. C’est donc Manu Louis que
nous avons choisi comme musicien et composi-
teur. Manu Louis et Werner Moron ont travaillé
ensemble sur la mise en forme du final. Werner
Moron et les Paracommand’art ont réalisé un film
qui est actuellement en production.
La création et le final
Le 19 mai 2012, au cœur du Festival Namur en Mai
sur une place d’Armes noire de monde, 200 musi-
ciens de toutes générations issus de cinq fanfares
et Louis Louis ont interprété trois extraits de la
Suite pour Fanfares en plein air, Julien Gilbert et les
Soufflets dont l’hymne des Voisins sont des Indiens.
Ils furent rejoints en fin de prestation par le Bagad
de Plougastel et ses bombardes. Une sorte d’ovni
musical, une rencontre du troisième type avec un
martien et des terriens ou peut-être l’inverse. Cinq
fanfares, un chanteur et guitariste au mégaphone,
une énergie folle devant une foule agglutinée. Un
son, hélas un peu étouffé – c’est le risque du plein
air – mais un moment magique où la vue importait
autant que l’écoute. Saisir les regards, l’attention,
l’investissement !
L’expérience et la rencontre
Réussir en quelques mois, de janvier à mai 2012,
à faire les liens entre les partenaires du projet,
composer la musique, rencontrer les fanfares,
répéter et assurer le final, c’était un fameux défi
que tous les partenaires se sont lancé.
C’est aussi le résultat d’une rencontre entre deux
hommes, deux musiciens issus de mondes diffé-
rents : Pierre Ernoux, Président de la Fédération
des Fanfares de la Province de Namur et clari-
nettiste (il fut musicien professionnel durant une
dizaine d’années) et Manu Louis, compositeur
et musicien pop/jazz, notamment ex-leader du
groupe Funk Sinatra.
Sans leur volonté d’aboutir, de créer les liens, sans
éditioN #3
les talents de passeur de Pierre pour introduire
Manu auprès des musiciens des fanfares, sans le
sens de l’observation de Manu et le respect des
deux hommes, rien sans doute n’aurait été possible.
Car c’est à travers l’alliance qu’ils ont nouée que
chacun a pu franchir les barrières des mondes, des
musiques, des mots, et des images.
Mais, c’est aussi la réussite de tous les partenaires
et de chaque musicien qui ont été jusqu’au bout
convaincus de l’enjeu. Et c’était fragile néenmoins,
lors de la répétition générale dans la cour de l’Ilon,
chacun retenait un peu son souffle. Pourtant à 17 h,
place d’Armes, l’instant était là ! Fort et émouvant.
Le sens et le plaisir
Les fanfares, c’est une forme musicale pleine
d’énergie mais aussi une dynamique sociale impor-
tante. C’est à la fois un patrimoine et de la musique
actuelle. En effet, de nouvelles fanfares voient le
jour dites les “ néo-fanfares ”. L’Union des Sociétés
Musicales (USM) représente six fédérations et
plus de 470 sociétés musicales affiliées, soit plus
de 20.000 musiciens et/ou chanteurs issus de
tous les milieux sociaux et de tous les âges. Parmi
ces musiciens, la plupart sont des amateurs qui
jouent pour le plaisir mais il y a aussi des musiciens
professionnels qui continuent à y investir du temps
par choix et par désir. C’est un fameux potentiel
humain et créatif sans doute trop peu reconnu et
valorisé. Bien qu’un nouveau décret sur les Centres
d’expression et de créativité et les pratiques artis-
tiques en amateur ait été voté en 2009, les moyens
ne suivent pas, vu la situation financière de la
Fédération Wallonie-Bruxelles.
Certains portent un regard peu valorisant sur ces
pratiques populaires qu’ils considèrent comme
passéistes. Cette image est fausse. La réalité des
fanfares est multiple et l’expérience de La Marche
des Souffleurs et d’autres projets démontrent au
contraire la vitalité de ces groupes, mais aussi
l’ouverture dont certains font preuve pour enrichir
leurs pratiques. Certaines fédérations, en particu-
lier celle de Namur, grâce à quelques convaincus,
impulsent des projets qui permettent d’inscrire
les fanfares au cœur des pratiques artistiques
contemporaines. C’est un engagement volontaire
au sein des politiques culturelles.
Mais au-delà de la musique et des débats, ce qui
frappe c’est l’expérience humaine et sociale d’un
tel brassage au sein des fanfares, la fanfare étant
une forme particulière de convivialité où l’intergé-
nérationnel n’est pas un concept.
La Marche des Souffleurs est aussi pour l’asbl Un
Kiosque à Namur la preuve, par l’action de la dyna-
mique de rencontre entre patrimoine et pratiques
artistiques contemporaines, qu’un kiosque pourrait
impulser.
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Le Festival Namur en Mai a su mobiliser son
nombreux public pour assister à l’expérience, ce
qui a ajouté une plus-value indéniable au projet.
Cette rencontre entre artistes professionnels et
amateurs s’inscrit pleinement dans le projet de
développement culturel de notre Centre culturel
régional parce que nous avons la conviction que
l’enjeu primordial aujourd’hui est de défendre pour
chacun la créativité et la rencontre avec l’acte créa-
teur. Sans espace singulier de création et d’accès
au symbolique, c’est l’imaginaire qu’on cadenasse,
c’est la pauvreté culturelle qu’on laisse s’installer.
Nous avons choisi la diversité, l’éclectisme et les
rencontres improbables.
La Marche des Souffleurs vécue de l’intérieurPar Pierre ERNOUX – Président de la Fédération Musicale Royale de la Province de Namur
Au départ, ce devait être simplement l’axe 3 du
projet global lancé suite à l’appel 2011 pour le
Secteur des Pratiques artistiques en amateur.
Il s’agissait, ni plus ni moins, de proposer de la
musique urbaine de masse interprétée par des
harmonies et fanfares. Réunis autour de la table,
j’ai vite constaté que les partenaires possédaient
toutes les ressources “pour faire un gros truc” : le
CCR/Théâtre de Namur proposait un directeur
artistique en résidence et un compositeur-inter-
prète coutumier de l’exercice ainsi que la coordina-
tion générale. La Fédération Musicale Royale de la
Province de Namur apportait la matière première,
soit cinq sociétés musicales, harmonies et fanfares
totalisant 200 musiciens environ en ce compris
la direction musicale et le travail de préparation.
L’association Un Kiosque à Namur se chargeait,
quant à elle, de tout l’aspect de l’encadrement.
Fin avril, le fichier “pdf ” contenant les parti-
tions arrivait just in time dans les boîtes mails. Il
s’agissait de trois extraits de Julien Gilbert et les
Soufflets, Suite pour fanfare(s) en plein air, racon-
tant parfois certaines aventures qui arrivent à un
type nommé Julien Gilbert, du compositeur belge
Louis Louis. Honnêtement, je dois avouer qu’une
première lecture de la grande partition d’orchestre
me laissa perplexe : les musiciens des sociétés,
peu aguerris au style et à la forme de l’écriture
allaient-ils accrocher, la démarche serait-elle bien
perçue et comprise, les chefs de musique allaient-
ils relayer positivement l’expérience ? Toutes ces
craintes furent balayées. Au fur et à mesure du
travail de déchiffrage et des répétitions sur place,
l’enthousiasme remplaça le scepticisme lié à la
peur de l’inconnu. C’est qu’après les réglages et
les indications de Manu, alias Louis Louis, la Suite
commençait à sonner et le swing de la guitare
électrique sur les “ha ha ” des musiciens “ arrachait
bien ”. Restait encore à savoir quel effet donnerait
l’ajout des bombardes et cornemuses du Bagad
de Plougastel.
La réponse arriva le 19 mai 2012. Déjà lors de la
répétition générale sur le parvis du Perron de l’Ilon,
les sensations étaient bonnes : chant-mégaphone
bien réglé, musiciens appliqués, correctement
groupés par section, et indications et gestique
claires de la direction musicale. Sur le coup de
18h30, la magie s’installa à la place d’Armes pour
durer une vingtaine de minutes : Julien Gilbert et
les Soufflets avaient tenu toutes leurs promesses
en enchantant l’énorme public présent.
Parmi les évaluations communiquées par les
harmonies et fanfares participantes, j’ai relevé les
expressions suivantes : “expérience enrichissante ”
et “ concept génial ”. Effectivement, les sociétés ont
eu l’occasion de se produire de manière insolite
dans le centre piétonnier de la capitale wallonne
et d’y interpréter de la musique urbaine de masse.
Associer guitare électrique solo, ring modulator,
chant-mégaphone, bombardes et cornemuses
n’est pas courant dans les prestations habituelles
d’ensemble, je pense même qu’il s’agit d’une
première. Alors, au nom des fanfares et unanime-
ment : à quand la deuxième ?
Par Manu Louis, alias “ Louis Louis ” - Musicien,
compositeur et membre du collectif les
Paracommand’art
La composition pour fanfare
Après un certain temps passé à regarder des
vidéos et écouter les fanfares avec qui nous allions
travailler, j'ai fait un rêve (ou alors je romance légè-
rement mon récit, de cette façon on m'accusera
moins facilement d'être dangereux pour la santé
des fanfares belges).
Dans mon rêve donc, il y avait des centaines de
gens réunis pour célébrer la commémoration d'un
événement dont personne ne se souvenait vrai-
ment ce qu'il commémorait. On pouvait sentir
que le moment était important et qu'une victoire
s'annonçait.© J
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éditioN #3
Plus tard (toujours dans le rêve), je voyais ces
mêmes gens prendre le chemin de la cité adminis-
trative afin d'en finir pour de bon avec les aliéna-
tions dont ils se disaient victimes.
La prise d'assaut de la cité administrative se termi-
nait dans un relatif chaos ou des révolutionnaires
remplissaient des formulaires pour retoucher des
intérêts sur les revenus cadastraux.
Je me suis réveillé en sueur (il est possible que
certaines informations comme cette dernière,
soient inventées) et ai directement commencé à
écrire sous forme de mini suite pour fanfare ce que
je venais de vivre durant la nuit.
Le travail avec les fanfares
Merveilleux parcours dans de très beaux coins
wallons dont j'ignorais l'existence pour finalement
me retrouver face à face tous les trois jours avec
des professionnels différents de la musique victo-
rieuse. C'était les répétitions.
Pierre a été impeccable dans la gestion de l'évé-
nement (organiser des répétitions, introduire un
gringalet de citadin face à ces féroces malabars
de la campagne et qu'on le laisse rentrer chez lui
vivant...) et la direction des pièces.
Le jour du concert, notre mystérieux renfort breton,
le Bagad de Plougastel s'est révélé environ cent
fois plus sonore que 783 camions de pompiers.
J'ai compris que nous avions trouvé l'allié idéal. La
performance m'a semblé très courte, très joyeuse.
Pierre et les fanfares ont été à nouveau remar-
quables et victorieux.
© J
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© aNdré duBuissoN 2012
Lorsqu’on explique à Vincent Pagé que notre prochaine publication portera sur les pratiques artistiques amateur, il bondit de sa chaise en disant que cela fait quinze ans qu’il tente de se défaire de cette étiquette. Ce qu’il retient du mot amateur, son étymologie, du lat. amator “ Celui qui aime ” de amare : aimer. Pour Vincent Pagé, on est considéré comme professionnel lorsque l’on vit de son art. Il reste que beaucoup d’amateurs sont selon lui bien plus performants.
ViNcENt pagé, comédiEN Et FactEur
Le parcours de Vincent Pagé a commencé à l’âge
de huit ans. Il accompagnait son père pour l’apéro
du dimanche au bistrot de Nassogne, on le juchait
sur une table, il racontait des blagues en cascade,
l’assemblée l’écoutait et riait…
A 16 ans, avec sa première mobylette, il trace de
nouveaux horizons… Elle l’emmène vers la radio
libre de Marche-en-Famenne et prend au passage
Philippe Vauchel avec qui il crée un spectacle de
clown qui sera le début d’une longue et belle
complicité…
Le veto parental ne lui permettra pas de
suivre Philippe au Conservatoire de Bruxelles.
Parallèlement, au cours de Jean Gillard à l’Acadé-
mie de Jambes, il suit une formation d’éducateur
spécialisé, sert sous les drapeaux et entre ensuite
à la Poste où il travaille encore aujourd’hui comme
facteur. Il enchaînera les rôles au Théâtre du Défi,
à la Ruelle aux Baladins, au Théâtre des Marquises
et ne cessera néanmoins de distribuer le courrier.
En 2001, le comédien accompagné d’un musicien
monte un seul en scène et arrive en finale du
Festival du rire de Rochefort. Suite à un contrôle
fiscal, Vincent doit réajuster sont statut. Il devient
alors indépendant en activité complémentaire, ce
qui le pousse à créer davantage.
En 2005, il confie à Marcel Linsmeau l’écriture d’un
spectacle qui parle de son rapport aux femmes :
Elles s’en vont.
En 2007, son trajet prend un nouveau tournant
quand la pharmacienne de Wépion à qui il va
déposer le courrier recommande au metteur en
scène Jacques Neefs, le “ facteur comédien ” pour
les spectacles de l’été à la Citadelle de Namur.
Vincent Pagé précise qu’il y a une différence entre
le théâtre amateur et le théâtre d’amateurs car il
s’agit impérativement d’être passionné, toujours
en recherche et de respecter le public. Et en
ce qui le concerne, quel que soit son statut, il a
toujours joué avec la même rage, le même empor-
tement et la même force.
Cette année, il a été élu Namurois de l’année et sa
dernière création est programmée dans la saison
du Théâtre de Namur. Ce spectacle sur la Poste,
écrit et mis en scène par Jacques Neefs, nous dit
son métier de facteur “ Facteur le matin pour jeter
des mots dans les boîtes aux lettres… Acteur le
soir pour les laisser s’envoler sur la scène… ” Le
choix de réaliser un tel spectacle vient de l’envie
de traiter une certaine réalité, proche des gens
où chacun peut se reconnaître.
Vincent Pagé reconnaît avoir été longtemps
complexé de n’avoir pas fait de “ véritable ” école
de théâtre et que c’est les mots de Philippe
Vauchel “ Avec l’expérience que tu as, ton conser-
vatoire, tu l’as déjà fait cinq ou six fois… ” qui lui ont
faire prendre conscience des richesses engran-
gées au tout au long de son parcours d’apprenti
comédien. Le théâtre de rue a également été très
formateur dans la manière de sentir un public et
d’anticiper ses réactions.
Il y a dix ans, le comédien n’imaginait pas que les
portes du Théâtre de Namur s’ouvriraient pour lui.
Il va goûter à des conditions de jeu idéales avec
une équipe de techniciens, un accueil, des loges,
un public d’abonnés…
Le fait qu’une institution importante reconnaisse
son talent a donné l’impulsion et la confiance
nécessaires à d’autres centres culturels qui ont
également programmé le spectacle.
Arielle Harcq et Sophie Pirson pour l’équipe de l’Action culturelle
aVis à la populatioNFacE à FacE
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aVis à la populatioN
uNE autrE FaçoN dE FairE écolE…
Rock et pop s’apprennent désormais dans des écoles qui leur sont directement dédiées. Plus besoin de passage obligé par le conservatoire. Qu’est-ce qui explique le boom de ce qu’on appelle écoles de musique “extra-académiques” ? Nous sommes partis à la rencontre des responsables de quatre de ces écoles.
Depuis plus de 20 ans, sur Namur, il est possible
d’apprendre à jouer de la guitare électrique ou de
la batterie dans une véritable école, là où aupara-
vant, il fallait apprendre soit en autodidacte (en
suivant la devise punk “do it yourself”, qui exclut
que le rock s’apprenne dans une école...), soit
en suivant la voie “classique” en passant par un
conservatoire ou une académie. La fréquentation
de ces écoles “extra-académiques” est d’ailleurs
impressionnante. Chaque semaine, ce sont des
centaines d’élèves qui viennent dans ces établis-
sement pour jouer d’un instrument. Ils ont princi-
palement entre 12 et 25 ans, mais pas seulement,
puisque toutes les écoles comptent également de
nombreux adultes parmi leurs inscrits.
De quoi s’agit-il ?
De l’envie de jouer de la musique sans passer par
la théorie ? Peut-être, mais même si toutes ces
écoles axent en premier lieu leur enseignement sur
la pratique de l’instrument, elles offrent aussi en
général une base théorique, plus ou moins pous-
sée suivant les cas, que l’on pourra de toute façon
approfondir ensuite en s’orientant vers un conser-
vatoire ou une académie. La principale différence
avec le cursus académique est sans doute qu’il
n’y pas de programme général, applicable à tous.
“Les cycles d’apprentissage se font au rythme
de chaque élève, au cas par cas”, nous explique
Gregory Gueli (1234 asbl). Il s’agit donc d’un ensei-
gnement “hors cadre”, où les envies et le rythme
de chaque élève guideront le professeur au cours
de l’année.
Parfois, on va aussi vers ces écoles pour des
raisons très pratiques, ainsi que le souligne Brigitte
Duchêne (Les Ateliers Musicaux) :“Je pense que
les attentes du public sont différentes d’avant. A
l’heure actuelle, les jeunes ont beaucoup d’occu-
pations réparties sur la semaine (activités sportives,
cours de dessin...). Le fait de devoir fréquenter les
conservatoires et académies au moins 2 fois par
semaine (2 périodes de solfège + 1 cour d’instru-
ment) alourdit leur emploi du temps.” Il y a aussi
des facteurs liés au coût des instruments, qui a
fortement baissé depuis les années nonante et
l’accès plus facile aux techniques d’enregistre-
ment, rendues plus accessibles suite aux progrès
de l’informatique. Le rôle des écoles de ce type
est avant tout d’apprendre à vivre en groupe, tout
en développant une personnalité propre. Selon
Michael Mathieu (Rock’s Cool), “La musique, en
particulier le rock dans son acception la plus large,
est ainsi proposée comme facteur de socialisation,
d’affirmation de soi en relation avec les autres.
Et la carrière dans tout cela ? Vient-on dans une école de ce type pour faire de la musique son métier ?
La question semble peu intéresser ceux que nous
avons interrogés. Au- delà du fait que la distinction
amateur/professionnel leur semble peu adaptée
à leur type d’aprentissage (puisque par exemple
ils ne délivrent pas de diplôme qui serait “quali-
fiant” ou “professionnalisant”), on sent que l’on a
surtout affaire à des passionnés dont la seule envie
est de partager leur passion; peu importe que cela
débouche ou non sur un métier. Apparemment,
rares sont les élèves qui sortent de ces écoles
avec l’intention de faire de leur activité musicale
une activité professionnelle. Autrefois, l’apprentis-
sage du solfège et d’un instrument faisaient partie
de la culture générale. Les parents encourageaient
leur enfant à avoir une activité sportive et une
activité artistique. De nos jours, la demande vient
plus spontanément des jeunes, mais la proportion
d’entre eux qui apprennent la musique pour en
faire un métier est très faible. Ils envisagent plus la
musique comme un vecteur de leurs émotions. Elle
leur permet également de se construire dans un
groupe. C’est une activité à la fois créative et sociale,
nous dit Patricia Santoro (RKM asbl). Gagne-pain
ou plan de carrière, simple hobby régulier ou acti-
vité passagère, la musique est donc avant tout une
manière de développer sa sensibilité et de mieux
se connaître, ce qui est sans doute sa fonction la
plus fondamentale.
Loïc Bodson pour l’équipe de l’Action culturelle
Les quatre écoles que nous avons rencontrées :
- 123 asbl :
Une école d’un an à peine, lancée par deux
passionnés de musique qui ont fait le choix de
l’installer dans l’École communale de Lustin,
leur village d’origine, et qui dépasse quatre-
vingts inscrits malgré sa courte existence. Au
programme : piano, guitare, batterie, basse,
chant et éveil musical, individuellement ou en
groupe. Possibilité de stage, résidentiel ou non.
http://www.1234asbl.be
- Les Ateliers Musicaux :
Lancée dans les années 70, mais stucturée en
asbl depuis quinze ans, cette école propose
également une section “classique” en plus de
la filière rock. Basée à Namur dans les locaux de
l’ESND, elle compte quasi deux cents élèves et
offre des cours particuliers pour de nombreux
instruments (de la clarinette à la basse en
passant par le saxophone ou la batterie), mais
également des ateliers collectifs (éveil musical,
chorale) et des cours d’ensemble plus orientés
“musiques actuelles” (sous le nom de “projet
rock”), suivis de concerts intra et extra- muros.
http://lesateliersmusicaux.net
- RKM:
Lancée en 2006, RKM dépasse à présent les
deux cents inscriptions par an pour des cours
de guitare, basse, batterie et chant. Ses locaux
sont situés rue Rogier, à l’endroit du magasin
de musique Rockamusic, lieu incontournable
pour tout qui joue d’un instrument à Namur.
RKM offre des cours particuliers (ou par deux
élèves), des cours d’ensemble, des stages lors
des congés scolaires, et grâce aux liens privi-
légiés avec le Belvédère, des concerts et jam-
sessions sont régulièrement organisés dans
cette salle. http://rkmasbl.be
- La Rock’s Cool :
2012 est une année toute particulière pour la
Rock’s Cool puisqu’elle célèbre ses vingt années
d’existence. Elle totalise quasi sept cents élèves
répartis en quatre implantations : Namur, Ciney,
Sambreville et Dinant. À l’heure actuelle, elle
est la seule à bénéficier de subsides, principa-
lement de la Province. Des cours de guitare,
batterie, chant, basse et claviers sont proposés
en ateliers semi-individuels, ainsi qu’en cours
d’ensemble. Parmi les activités de la Rock’s
Cool, il faut également mentionner la créa-
tion de groupes (“Top Bands”), l’organisation
de concerts (les “Open Mic” qui ont lieu à la
Maison de la Culture de Namur, les spectacles
de fin d’année, jam-sessions, collaboration à
des festivals) et autres évènements (master
class notamment) et l’initiation aux techniques
d’enregistrement en studio.
www.rockscool.be
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plaNcHE coNtact(s)
Prénom, Nom ou Pseudo : Marie
Profession : Chargée de communication
Geste artistique :Marie crée des bijoux “faits main” inspirés
de formes et de couleurs glanées au fil de ses
rencontres ou de ses voyages.
lovelyfactory.tumblr.com
Prénom, Nom ou Pseudo : Audile
Profession : Vendeuse
Geste artistique :Une envie de donner une seconde vie à
d'anciens vêtements et tissus pour créer un
doudou ou un sac personnalisé.
bisouille.blogspot.be
aVis à la populatioNplaNcHE coNtact
© oliViEr calicis
© oliViEr calicis
Pour ce troisième numéro d'Avis à la Population, le collectif Phase B est parti à la rencontre de personnes qui ne se définissent pas forcément comme ''artistes'' mais qui pourtant, sont manifestement habitées par une fibre créative. Phase B www.phaseb.be
Prénom, Nom ou Pseudo :Valie*
Profession : Employée
Geste artistique :Valie crée des textiles pour bébés et enfants.
Les pièces sont réalisées à la main, avec amour,
dans de jolis tissus. Les pièces sont uniques ou
réalisées en très petites séries.
byvalie.blogspot.belovelyfactory.tumblr.com
Prénom, Nom ou Pseudo :Virginie Goncette
Profession : Prothésiste dentaire
Geste artistique :Virginie donne une nouvelle vie aux mannequins
qui attirent son œil dans les vitrines, en les
customisant à l'aide de matériaux de récupération
(tissus, dentelles, plumes, etc.).
Prénom, Nom ou Pseudo : Lo Blanco
Profession : Costumière
Geste artistique :Habituée à travailler le textile, c'est vers la matière
plastique que Lo Blanco s'est tournée pour créer
une série de poufs entièrement réalisés à partir
de bâches et de sacs récupérés de-ci de là.
éditioN #3
© JEaN-FraNçois FlamEy
© JEaN-FraNçois FlamEy
© oliViEr calicis
aVis à la populatioNaVis à la populatioN
L’acte artistique est une manière d’exister, d’être
au monde, d’être acteur et d’être Sujet. Depuis
la nuit des temps, les arts ont par nature un rôle
social, et ont dans bien des communautés un rôle
thérapeutique.
Dans l’abord pluridisciplinaire et les différentes
approches de soins qu’offre notre hôpital, ces
ateliers trouvent place et sens dans les soins, dans
les projets de vie et dans les projets thérapeutiques.
Dans cette approche, l’important n’est pas l’appren-
tissage d’une technique mais que la technique utili-
sée devienne le support de l’expression de quelque
chose de soi, à ce moment-là.
Chaque service, à sa manière, à son rythme, avec
ses couleurs et son approche, ses désirs et ses
besoins, offre un florilège d’ateliers d’expression
artistique. Ergos, kinés, infirmiers, éducateurs,
aides-soignants, logopèdes et psychologues
en sont les animateurs et les accompagnateurs.
Chaque atelier est une aventure. Ces ateliers sont
des espaces-temps cadrés, singuliers et privilé-
giés dans lesquels soignants et soignés cheminent
ensemble sur les surprenants sentiers de l’art… Ce
sont des lieux d’ébranlement et d’émerveillement
où patient(e)s et professionnels se cherchent et
se découvrent. Il se crée une rencontre de Sujet à
Sujet. Ces ateliers exigent apprentissages, prépara-
tion, supervision et évaluation d’où est née, au sein
de l’hôpital, une sphère de formation et de déve-
loppement personnel “ À l’Autre Soi ”. C’est égale-
ment le lieu où artistes, animateurs et thérapeutes
se partagent leurs pratiques et leurs questionne-
ments, autour des médias artistiques. Ces moments
dynamisent, ressourcent, oxygènent, donnent
couleurs et saveurs à nos ateliers d’expression... Par
l’art se crée du lien avec l’extérieur; ainsi les patients
ont la possibilité de participer à des évènements
artistiques.
À la rentrée d’automne, plus de cinquante
patient(e)s participent à l’exposition Renc’Art qui
est accueillie au SPW, boulevard du Nord à Namur.
Renc’Art offre au public une palette d’œuvres et
de travaux d’ateliers qui pourrait s’appeler “ art
différencié, art brut, art outsider, art du quoti-
dien… ”. Une démarche parfois difficile dans le oser
exposer pour certains ; “ exposer c’est s’exposer ”,
quelque chose de l’ordre de l’intime qu’on lâche
au regard de l’autre.
En juin, à l’occasion de la fête de la musique, plus de
soixante participants soignants - soignés (accom-
pagnés et guidés par des artistes professionnels)
proposent une création collective dans laquelle
viennent se glisser et se rencontrer écriture, chant,
musique, rythme, pataphonie, ombre, lumière,
masque, clown, danse et peinture (concert de pata-
phonie en 2010, le Val en Phonie en 2011). Il s’agit de
créer un spectacle à partir de ce qui se dit, se fait,
se vit au sein des divers ateliers pour le bonheur de
créer et de jouer ensemble.
L’art est ce qui rend la Vie plus intéressante que l’art
nous souffle le philosophe Robert Filliou.
Poupée Borreman, Psychologue Formation et Supervision en Art-thérapie
dEs atEliErs d’ExprEssioN artistiquE à l’Hôpital psycHiatriquE du BEau ValloN
L’art ne guérit pas, il humanise. Il permet d’exister pour soi et dans le regard de l’autre au-delà du symptôme. L’homme crée et laisse trace par ses créations. Peindre, écrire, improviser, mode-ler, chanter, raconter, sculpter, jouer sont des formes de langage. Les ateliers du Beau Vallon, cadrés, où se déclinent tant les arts plastiques que les arts de la scène, créent un espace de liberté permettant aux choses de se dire, de se nommer, de se signifier. Il se dit quelque chose autrement qu’avec des mots. Pour les soignants, c’est une manière spécifique et magnifique d’être à l’écoute des patient(e)s, de les voir et les sentir en tant que Sujet vivant, vibrant et pensant tel un “ sujet acteur ” dans son “ faire œuvre ”. Pour les patient(e)s, ces langages artis-tiques véhiculent le plaisir de créer, le besoin de structurer, la découverte de la connaissance de soi et de l’autre. Ils sont vecteurs de communication et parfois des leviers thérapeutiques.
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dEs atEliErs d’ExprEssioN artistiquE à l’Hôpital psycHiatriquE du BEau ValloN
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La structure de l’Hôpital psychia-
trique du Beau Vallon accueille
toutes les pathologies et comprend
11 services. La prise en charge
quotidienne est de plus de 600
patient(e)s.
www.beauvallon.be
Le Créahm de Liège est une association qui œuvre depuis 30 ans à développer les talents artistiques des personnes handicapées mentales en arts plastiques et en arts de la scène et à les promouvoir par des expositions, des spectacles et des concerts.
Expliquez-nous d’abord quels sont les publics qui
fréquentent le CREAHM?
Les participants qui fréquentent les ateliers du
CREAHM sont des personnes adultes handica-
pées mentales modérées ou sévères manifes-
tant le désir d'utiliser le mode artistique comme
moyen d'expression.
Ce sont les assistants sociaux, les familles,
les écoles spéciales et les institutions qui
connaissent l’existence du CREAHM, qui orien-
tent les personnes vers nos ateliers artistiques.
Quotidiennement, les ateliers accueillent entre
vingt-cinq et trente-cinq personnes.
Comment définissez-vous vos objectifs ?
L’association a pour objectif de donner à la
personne handicapée mentale la possibilité de
s’exprimer librement par la création artistique et
de valoriser les productions en les présentant au
grand public.
Est-ce que les personnes qui arrivent au CREAHM
ont déjà des pratiques artistiques ?
Pas nécessairement, certaines en ont, d'autres pas.
Toutes les personnes accueillies proviennent de
leur famille ou d’autres institutions de type centre
de jour. Elles ont, dans un premier temps, testé
leurs capacités dans l’atelier et si les résultats sont
prometteurs et que la personne témoigne d’une
motivation, elle participe de un à quatre jours par
semaine aux activités de l’atelier.
Les artistes qui fréquentent en outre notre centre
de jour quotidiennement ont évidemment une
pratique très régulière et pour la plupart de longue
date, sans limitation dans le temps. C'est ainsi que
l'on a pu découvrir des talents qui n’auraient sans
doute pu éclore hors de ce contexte.
Quelles sont les méthodes utilisées dans les
ateliers ? Qui sont les personnes qui y sont
employées et quels sont leurs titres ?
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Chaque personne bénéficie d’un accompagnement
individuel. L’animateur qui est lui-même artiste,
aide la personne à trouver son moyen d’expression
et, par l’observation, la découverte, la rencontre,
les essais, il propose des outils, des techniques et
un espace qui lui seront le plus appropriés. C’est
à partir des compétences du participant que l’ac-
compagnement individuel prend forme. Le proces-
sus de soutien et de développement est perma-
nent, c’est un cheminement à long terme.
Trois facteurs importants interviennent dans ce
processus d’aide à la création :
L’observation : l’animateur-artiste prend en compte
les motivations de la personne, est à son écoute. Il
cherche à déceler les compétences et l'expression
spécifique de chacun.
Le temps : L’animateur se donne le temps, il est
attentif à ce qu’il voit naître, il encourage à persé-
vérer, il respecte le rythme de chacun.
La personnalité de cet animateur-artiste : elle est
fondamentale. L’animateur-artiste, tout en respec-
tant et en n’intervenant jamais dans l’œuvre, a une
influence puisqu’il guide le candidat, il apporte
les influences. Il met son savoir, son expérience
au service de la personne, il se substitue à elle
en anticipant, en suscitant son intérêt par divers
stimulus. Il est aussi mémoire du travail de l’artiste.
Il gère, sélectionne et défend les productions pour
les rendre accessibles au public. Il a le souci de
l’authenticité de l’œuvre.
L’accompagnement individuel s’opère par projets
personnels spécifiques et par projets collectifs :
formations, travaux sur thématiques, interventions
dans des lieux, commandes privées. Il est réalisé
également par des collaborations ponctuelles avec
des artistes extérieurs pour des projets particuliers.
Il est fréquent et récurrent que des interactions
se produisent entre les ateliers (arts plastiques/
arts de la scène) et également entre projets. Les
animateurs-artistes sont diplômés d’écoles artis-
tiques ou sont autodidactes. Ils apportent chacun
des approches artistiques différentes et sont
complémentaires. Quatre animateurs gèrent l’ate-
lier et chacun y apporte sa technique de prédi-
lection : peinture, dessin, gravure, sculpture ou
met en place ponctuellement d’autres techniques
au service d’une création en cours. Un animateur
s’occupe plus particulièrement de la coordination
et de la diffusion.
Comment définissez-vous cette expression
artistique ?
La dénomination de ce type d'art a soulevé
beaucoup de débats. Depuis un certain temps, et
du fait de nos relations internationales, on s'ac-
commode du terme d'Art Outsider, sans oublier
toutefois le contexte de création, sans lequel cette
forme d'art n'existerait peut-être pas.
Quelle est l’importance accordée aux expositions
et à la vente des œuvres ?
Il est important que l’artiste expose pour la recon-
naissance de l’œuvre auprès du public et pour sa
propre valorisation. La vente n’est pas prioritaire
mais contribue grandement à cette reconnaissance.
Nous profitons d’une renommée et réagissons
aux demandes multiples et diverses d’expositions
auxquelles nous répondons en fonction de la perti-
nence. Nous ne subissons pas de pression ni de
la part des familles ni de l’institution par rapport
à la vente. Aussi, nous privilégions la qualité des
expositions et des lieux qui les accueillent : musées,
galeries, collections… Notre choix se porte sur des
critères artistiques, culturels ou éthiques, plutôt
que commerciaux.
Propos recueillis par Magali Company auprès de Gentiane Angeli et Patrick Marczewski
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tous pour l’art ?
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En décembre 2011, la RTBF diffuse à la radio et à la télévision des appels à participation à “ La Collection RTBF - 2012 ”, réédition de l’opération menée pour la première fois en 2010, en collaboration avec la VRT. Deux ans plus tôt, la chaîne flamande avait déjà organisé en solo “ De Canvas Collectie ”. Il s’agit d’une grosse action “ arts plastiques ” destinée au tout public, une forme de concours avec, en point d’orgue pour les heureux élus, la possibilité d’exposer leurs réalisations au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles voire, mieux, de rempor-ter un des quelques prix non négligeables : € 10.000 pour le 1er prix, € 5 000 pour le prix du public et l’organisation de deux résidences de quatre semaines à Berlin suivies d’une exposition en Belgique pour deux artistes de moins de 35 ans. Toutes les œuvres exposées au PBA seront également reprises dans un catalogue.
Quelques mots sur l’organisation : les candidats, 18
ans minimum, s’inscrivent en ligne. Ils choisissent
le lieu d’art où ils défendront un maximum de trois
œuvres. Aucune formation ni expérience n’est
exigée. À la date choisie, un rendez-vous de dix
minutes est fixé devant un jury de trois personnes :
le temps de présenter son travail et de le défendre.
Le résultat de l’entrevue est immédiat : le jury
retient une, deux ou trois pièces ou estime que les
travaux présentés ne sont pas de qualité suffisante
ou encore qu’ils n’entrent pas dans le champ de
l’art contemporain.
Chaque lieu de sélection retient ainsi un certain
nombre d’œuvres qui seront soumises le lende-
main à un jury national pour un nouvel écrémage.
Ainsi, parmi plus de quatre cents candidats et
environ un millier d’œuvres présentées à Namur,
seules dix-huit réalisations rejoindront finalement
le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles pour parti-
ciper à la sélection finale et à une exposition de
quatre semaines.
Toutes ces étapes seront filmées par des équipes
de télévision, avec interviews de candidats, depuis
leur atelier jusqu’à leur (non) sélection ; images
d’ambiance, le tout diffusé (pour la partie fran-
cophone du pays) dans l’émission “ Cinquante
degrés nord ” animée par le toujours très effer-
vescent Éric Russon.
À la lecture de ce qui précède, on aura compris
combien “ Canvas Collectie-La Collection RTBF ”
est une grosse machine. L’envergure de l’opéra-
tion nécessite de très gros moyens humains, logis-
tiques et financiers. Se pose donc la question de
la pertinence/de l’efficience de cette opération
coûteuse, au regard de son objectif déclaré, à
savoir “ révéler la richesse de l’art contemporain
dans notre pays ”. Cette interrogation est d’autant
plus intéressante lorsqu’on connaît les incertitudes
quant à l’avenir de nombreuses associations de
terrain qui œuvrent au quotidien et parfois depuis
longtemps à développer la créativité de tous les
publics, avec des moyens réduits, du personnel
parfois sans réel statut, et un déficit de visibilité…
“ De Canvas Collectie-La Collection RTBF ” ouvre
ses portes à tous les artistes sans sélection prélimi-
naire ; une intention respectable qui permet à tout
créateur de rencontrer un jury de spécialistes et
de lui donner à voir sa production artistique. À ce
niveau, on assiste parfois à de très belles surprises,
de fortes rencontres où des autodidactes présen-
tent, avec leurs doutes et leurs incertitudes, des
pièces de belle facture, pleines de sensibilité, de
force et/ou de pertinence et inscrites dans l’ex-
pression artistique actuelle. Il est assez enthou-
siasmant de retrouver un candidat primé en 2010
avec un travail qui a pris une nouvelle dimension
mais dont la production première, révélée par “ La
Collection ” a été exposée entre-temps par une
galerie professionnelle. Il faut cependant éviter de
crier au génie, ce type d’exemple étant assez rare.
Se présentent aussi des candidats ayant un peu
d’expérience, quelques références, issus d’écoles
ou d’ateliers et souhaitant un autre regard que
celui de leur professeur ; ou encore des artistes
en recherche et intéressés par un dialogue et des
conseils pour avancer, améliorer leur travail. À
ce niveau également, on a l’impression de faire
avancer des choses, d’ouvrir des portes. On
trouve aussi, évidemment, des artistes pétris de
certitudes se présentant avec une certaine arro-
gance, voire une part de mauvaise foi. Par contre,
cette édition a vu moins d’artistes professionnels
se présenter devant le jury namurois. L’expérience
de 2010 ayant peut-être généré quelques décep-
tions. Leur refus de participer serait-il peut-être
dicté par une forme de snobisme, voire de mépris
à l’égard de ce concours trop populaire en rapport
avec l’élitisme souvent affiché par le milieu de
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l’art contemporain? Ou encore, l’enjeu média-
tique prenant le pas sur l’enjeu artistique, leur
participation perdrait-elle de l’intérêt au niveau
professionnel ?
Là se pose sans doute un problème : nous sommes
clairement dans un processus médiatique, une
espèce de “ Star Ac ” des arts plastiques où tout
le monde imagine avoir sa chance puisqu’aucune
exigence préliminaire n’est posée. Le battage
médiatique dès l’ouverture des candidatures,
les émissions télévisées, la présence durant les
étapes de sélection, le choix des artistes suivis
participent très clairement de l’opération télévi-
sée. Or, si tout le monde peut avoir une pratique
créative, une fibre créatrice, tout le monde n’est
pas artiste pour autant.
Une autre difficulté est de définir des critères de
sélection pour le jury, ou plutôt les jurys puisque
nous sommes devant un nombre important de
trios chargés de la première sélection. Il est clair
que selon le jury ou selon le lieu de sélection, les
choix opérés pourraient être tout autres. Des
pièces passables se sont retrouvées au PBA pour
l’expo finale alors que certains bons travaux ont
été refusés tout simplement parce que l’objecti-
vité complète n’existe pas en art et que certaines
productions sont tendance à certains moments.
Le choix final de cette édition 2012 semble d’ail-
leurs être plus un choix par défaut qu’une réelle
adhésion de l’ensemble du jury national à une
œuvre forte.
Enfin, s’il s’agit de “ révéler la richesse de l’art
contemporain en Belgique ”, il faudrait se mettre
d’accord sur la signification des mots : de
nombreux participants imaginent encore qu’une
œuvre créée aujourd’hui est forcément contem-
poraine. Ce qui est loin d’être le cas. En ce sens,
et au regard d’une mission de service public, les
chaînes de télévision qui portent “ De Canvas
Collectie-La Collection RTBF ” oublient quelque
part leur mission éducative pour privilégier un
show médiatique séduisant. Et là, c’est l’audimat
qui, in fine, jugera de la nécessité de poursuivre
et de, peut-être, renouveler l’expérience en 2014.
Philippe Luyten, artiste plasticien, animateur arts plastiques au Service de la Culture de la Province de Namur.
Nous sommEs tous dEs amatEurs
À l’automne 2005, lors de l’exposition “ Objets passeurs de mémoire ” présentée au Grand Manège à l’initiative du CCR/Théâtre de Namur, j’ai découvert le travail d’Anne Mortiaux. En parallèle à l’exposition “ officielle ”, avec la belle idée de partir d’objets, d’usages et d’his-toires qui se transmettent entre des personnes de générations différentes, Anne Mortiaux avait mené différents ateliers avec plus de deux cents enfants : on pouvait éprouver la force et la créativité de l’ensemble grâce aux “ socles ” présentés aux publics1. Enthousiasmée, j’imaginais un atelier ouvert à un public adulte dans le cadre des projets d’éducation perma-nente développés par le Centre d’Action Laïque de la Province de Namur.
Une première collaboration eut lieu en décembre 2009, à l’occasion d’un programme d’activités Résistances au féminin du Nord au Sud – avec un atelier intitulé Résister c’est créer – Mes mains parlent d’ici, maintenant, ailleurs... Puis une deuxième en mars 2012 : Nos mains racontent, transforment – portraits / autoportraits. A chaque atelier, je suis étonnée par la diversité des participants – à tous niveaux –, par leur engagement dans l’activité. Face à ce type de projets, des questions se soulèvent pour l’institution qui en passe commande. Cet entretien est l’occasion d’en aborder certaines avec Anne Mortiaux, qui a proposé à Jean-François Pirson de nous rejoindre. F. Bianchi, coordinatrice au Centre d’Action Laïque de la Province de Namur
Frédérique : Anne, lorsque tu prépares un works-
hop2, prends-tu en compte la spécificité du public
auquel tu vas t’adresser ?
Anne : Pour le dernier workshop “ couleur ”, j’ai été
confrontée à la question. La question s'est posée,
mais cela change-t-il quelque chose ? Finalement
cela n’interfère pas sur la manière de préparer
l’atelier. Mais c'est différent de l'espace scolaire ;
dans les cours donnés en milieu scolaire, le cadre
est plus strict et plus exigeant me semble-t-il, au
niveau des références et de la gestion du temps.
Dans les stages/workshops, je me sens plus libre
de développer une proposition personnelle, une
approche plus “ laboratoire ”, plus expérimentale.
Frédérique : Tu fais donc une différence entre
les cours ou les ateliers pour des étudiants et les
workshops ouverts à tous publics ?
Anne : Je pense qu’avant tout, c’est se centrer
sur ce qu’on a envie de transmettre, la spécifi-
cité que l’on pense pouvoir transmettre. Y a-t-il
une pensée particulière ? Tu le dis dans tes écrits,
Jean-François.
J.F. : J’établis aussi une différence entre les cours
ou ateliers qui se déroulent dans une durée et un
cadre bien défini telle une école et les workshops
ponctuels. Et, dans ces derniers, je distingue des
publics spécifiques : étudiants, artistes, personnes
diverses. J’ai beaucoup travaillé avec des étudiants,
rarement avec des groupes d’artistes, exepté au
Québec, invité par les Ateliers convertibles qui
désiraient secouer leurs pratiques individuelles à
travers un travail d’ensemble. Quand je travaille
avec des étudiants, je souhaite qu’ils soient inscrits
dans des formations pratiques ou théoriques diffé-
rentes. Avec un groupe hétérogène, étudiants,
artistes, personnes avec ou sans pratique, la
question ne se pose plus et je ne demande aux
participants ni leurs attentes, ni leurs parcours. Je
propose un travail sur l’espace, dans un lieu et un
temps définis, pour des personnes qui ont envie de
donner des réponses plastiques à des questions
que j’introduis, puis d’autres qu’elles soulèvent. Les
formations et les parcours de vie divers créent un
frottement dynamique. Peu importe le “ niveau ”.
Chacun est là pour former, déformer, construire,
déconstruire – moi aussi. Nous sommes là, sans
enjeu, dans cet espace et dans ce temps, pour
le plaisir, cultivant notre propre jardin, cherchant
des morceaux de réponses, avec d’autres. Nous
sommes tous des amateurs. Le travail en atteste :
les réponses attendues, celles qui s’effondrent, la
plus grande liberté ou une belle charge ne signent
aVis à la populatioN
éditioN #3
pas d’où elles sourdrent. C’est la richesse d’un
ensemble divers : une personne, une réponse, une
chose se nourrit d’une autre.
Anne : J’ai parfois besoin de demander en début
de stage les attentes de chaque participant ; cela
me met à l’aise et met en évidence la question de
la singularité et des chemins multiples. D'entendre
que chacun a des attentes très différentes permet
d'introduire la dimension personnelle des expé-
riences. D'autant que je viens aussi avec une
proposition spécifique et cela donne de la liberté
au sein de l’atelier. Je trouve intéressant de collec-
tiviser la diversité.
Le fait d’un public varié, comme dit Jean-François,
engendre de la liberté, de la simplicité, du plai-
sir (de la découverte, de la rencontre), une parole
plus franche, plus directe. La liberté de l’amateur.
Parfois je développe des stratégies pour limiter
le trop-plein de références artistiques, de mots,
pour désamorcer les peurs et renvoyer toujours à
la matière, à la pratique, à l'espace et au dispositif
de travail.
Parfois à la question de ce qui a motivé l’inscrip-
tion, la participation à l’atelier, des personnes
répondent “ c’est personne ”, et c’est très bien.
Frédérique : Avant de s’inscrire, des personnes
mettent en avant leur “ non savoir ”, leurs “ manques ”,
expriment leur hésitation, voire leur peur de travail-
ler à côté d’autres qui auraient de l’expérience.
Certaines d’entre elles confirment pourtant leur
inscription.
J.F. : Tu as invité Anne à deux reprises pour donner
des workshops au Centre d’Action Laïque. Dans
quelle perspective envisages-tu ce type d’activité ?
Frédérique : Il s’agit pour nous d’activités ponc-
tuelles, qui sont moins développées que les débats
et les échanges autour d’une question de société,
d’une question éthique... Par contre, nous visons
à donner une grande place à la culture prise dans
un sens large. La dimension plastique, l’expérience
par le faire entrent dans ce cadre. Donner l’occa-
sion à des personnes d’expérimenter l’espace, la
matière, de se confronter à d’autres perceptions
et expressions.
Anne : Ouvrir au langage des arts plastiques, de
la matière, de sa transformation, avec un groupe
“ mélangé “, cela va à l’encontre du concept du
spécialiste, contre le principe (répandu) qui sépare,
qui compartimente : les enfants d'un côté, les
vieux ailleurs, les quartiers défavorisés par ci, les
étudiants des écoles d'art par là, les artistes, les,...
Je travaille avec un public diversifié à travers une
proposition spécifique : proposer ces dispositifs
de travail, travailler avec et vers la diversité, le
décloisonnage, la désacralisation de ce langage
artistique...
Un autre aspect que nous n’avons pas abordé
est le critère du coût, qui ne doit pas constituer
un frein. L’espace de l’atelier doit pouvoir rester
accessible à tous ; l’institution qui le propose,
fonctionnant avec de l’argent public.
Frédérique : Dans le cadre du workshop ouvert à
tous publics, Comment envisagez-vous la ques-
tion de l’exigence ?
J.F. : La question se pose quels que soient les
participants. Dans les workshops ouverts à tous
publics, je tente de la résoudre en déposant l’exi-
gence comme un préalable non exprimé – sachant
que c’est dans l’expérience que les réponses s’af-
finent. Il y a d’abord ma propre exigence d’artiste-
pédagogue, puis celle du workshop longuement
mûri. Donnant une direction de travail, j’essaie
que chacun puisse avancer dans la sienne. Dans
ce sens, la première exigence est l’engagement
de faire et donc d’être présent. Ainsi le début
du workshop exige la présence de tous pour
qu’il puisse être considéré comme un véritable
commencement. C’est à ce moment, et à ce seul
moment, que je donne des consignes très précises
pour mettre l’ensemble en mouvement et établir
une base commune au travail personnel qui suivra.
Ensuite, il s’agit de favoriser la concentration, veil-
ler à ce que chacun puisse prendre son espace
en regard de l’ensemble, laisser aller, interroger
la cohérence des réponses plastiques par rapport
à un propos, permettre l’étonnement. L’exigence
est donc là, d’abord induite par celui qui donne
le workshop, qui crée le cadre. Ce degré d’exi-
gence n’est pas toujours lisible, car il concerne un
processus plus qu’une finalité de résultat.
Frédérique : Une autre question est celle de la
trace, de ce que l’on donne à voir, de ce que l’on
présente du workshop – ce qui est souvent perçu
comme une exposition, même si ça n’en est pas
une.
Anne : Mon côté prof…, comme j’aime bien propo-
ser des échauffements collectifs, expérimenter
1. Des enfants parlent de la mémoire. Des objets anciens
se mettent à table. Livret édité par le CCR/Théâtre de
Namur en 2005.
2. Nous choisissons ce terme pour différencier les ateliers
ouverts à un public divers, des cours et ateliers donnés
dans des écoles ou des stages qui portent sur des tech-
niques spécifiques.
ensemble les grands formats par exemple, j’ai tout
de suite beaucoup de traces... Dans ton travail, par
rapport à l’espace, il n’y a pas toujours de traces
directes. Je suis sensible à travailler la matière ;
il y a multitude de traces, des matières brassées,
travaillées qui sont autant de cheminements...
Je trouve très précieux de mettre en valeur le
cheminement, le processus par des notes, croquis,
collages dans un carnet personnel, collectif.
J.F. : Si les workshops se terminent par un moment
ouvert au public pour montrer ce qui a lieu et
permettre un échange plus large, les traces sont
rarement des éléments autonomes, lisibles hors
contexte. Ce moment crée une suspension, une
prise de recul. Ce n’est pas une exposition comme
pourrait l’être la clôture d’une action amenée et
menée par un artiste pour un groupe d’amateurs
qui concourent à la concrétiser dans un résul-
tat attendu. Bien qu’inscrit dans un ensemble,
le processus de création individuel qui chemine
entre construction et déconstruction reste une
expérience aux résultats aléatoires.
Anne : L’ouverture de l’atelier, c’est dynamisant ;
ça enrichit le processus que de livrer à un moment
son travail à ‘ciel ouvert’. Ça marque la durée de
l’atelier et donc un moment d'arrêt, de distance,
de partage, ça permet de ponctuer une chrono-
logie, de faire un tri,...
J.F. : Je considère le tour de table qui clôt habi-
tuellement un workshop d’une importance relative,
alors que j’en accorde beaucoup au nettoyage du
lieu. Il finalise la durée qui nous a été donnée –
un commencement, une fin. Partant d’un espace
vide, on y travaille ensemble, on le bouscule, le
remplit, l’habite. Il s’agit ensuite d’enlever, de jeter,
d’emporter, peu importe, mais de retrouver le lieu
vide, l’espace chargé de ce qui a été vécu après
un dernier coup de balai.
Anne : Ça donne une mesure, le dernier jour, il y a
un potentiel pour la suite. Ce qu’on garde, qu’on
ne garde pas. Le moment public donne de la
distance avant le nettoyage. On prend le temps
de partager avant, la vie continue.
Anne Mortiaux, artiste, animatrice, enseignante,
pratique une pédagogie des arts plastiques, et
“ transforme ” des lieux par des installations, des
chantiers collectifs et réalise (parfois) des scéno-
graphies pour le théâtre, aime beaucoup sortir de
l'atelier...
Jean-François Pirson, artiste-pédagogue, exprime
son rapport à l’espace dans des pratiques plas-
tiques et pédagogiques diverses.
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aVis à la populatioN
lEs atEliErs tHéâtrE du cENtrE culturEl dE FossEs-la-VillE
L'art du théâtre ne prend toute sa signification que lorsqu'il parvient à assembler et à unir. — J. Vilar Des ateliers théâtre pour les enfants de 9 à 12 ans à la compagnie indépendante pour les adultes, en passant par la troupe des ados, le théâtre amateur à Fosses-la-Ville dit l’exal-tation de la vie et donne la possibilité aux participants d’exprimer devant un public les secrets les plus intimes du coeur humain. Et pour enrichir ce travail, le Centre culturel a dès le début misé sur la collaboration de professionnels comme le Théâtre des Zygomars pour encadrer les ateliers enfants, l’Isolat asbl pour les adolescents, ou encore un metteur en scène professionnel pour les adultes. Le public est conquis, de plus en plus nombreux et toujours époustouflé par le fruit de ce travail.
Cette belle histoire vient de fêter ses 10 ans. En
2002, le Centre culturel, en partenariat avec le
Théâtre des Zygomars, propose aux enfants de 9
à 12 ans un atelier théâtre. Dix ans de mercredis
après-midi plus tard : 1000 heures d’ateliers, 340
pages de textes, 278 personnages, 44 représenta-
tions, plus de 70 enfants et 5000 places occupées
par le public.
Depuis l’origine, la volonté du Centre culturel est
que l’atelier aboutisse à un spectacle à l’encadre-
ment professionnel, tant sur le plan pédagogique
qu’artistique ou technique. Si tout ne s’est pas fait
en un jour, l’engouement généré par le fait que
les enfants de l’atelier jouent devant leur classe
a amené en 2007 le dédoublement de l’atelier –
Michaël Meurant rejoignant le tandem d’anima-
teurs Brigitte Romain / Matthieu Collard 1.
Voici comment s’organisent les 25 ateliers pour
aboutir au spectacle original : apprentissage des
techniques théâtrales, discussion autour d’une
envie, invention de l’histoire, écriture des scènes,
correction avec les enfants, étude du texte et
enfin mise en scène. Le lien entre les deux groupes
d’enfants est assuré “ en dehors ” par l’équipe
d’animation.
En 2006, les enfants ayant participé au début de
l’atelier souhaitent continuer à faire du théâtre, ce
qui amène le Centre culturel à créer, en collabora-
tion avec l’Isolat asbl, le TTAF : la Troupe de Théâtre
des Ados de Fosses. Deux ans plus tard, c’est au
tour des adultes de fonder une troupe réservée aux
plus de 18 ans et baptisée “ Faut s’bouger ”. Là aussi,
comme pour le TTAF, la troupe passe du répertoire
aux adaptations ou produit ses propres créations.
En quoi se distingue l’amateur du professionnel ?
Un amateur participe à un projet théâtral dans le
cadre de ses loisirs ; un professionnel développe
son activité pour en vivre. C’est là, pour Matthieu
Collard, la principale distinction. Quant à la qualité,
si le théâtre amateur est parfois très mauvais, qui
peut dire qu’il ne s’est jamais endormi devant un
spectacle professionnel ?
Depuis une dizaine d’années, les deux mondes
s’interpénètrent beaucoup plus, tant au sein de
créations professionnelles auxquelles sont asso-
ciés des comédiens amateurs que dans la mixité
de plusieurs métiers dont celui d’artiste de scène.
Les nouveaux médias et le clivage de plus en plus
net entre la faiblesse des moyens financiers du
secteur public et la puissance des productions
privées vont, à l’avenir, modifier encore davantage
le monde du spectacle. Cette inéluctable mutation
met le théâtre professionnel au défi et touchera
très certainement les amateurs.
Comment le théâtre amateur gère-t-il la question
de l’exigence artistique ? La recherche de l’excel-
lence est inhérente au théâtre professionnel ; avec
les amateurs, elle réside dans le fait de tout donner
sur scène, quelles que soient les compétences du
comédien. En tant qu’artiste, Matthieu Collard
estime que la confiance et le confort de travail
offerts par le Centre culturel tout au long de ces
éditioN #3
dix années permettent aux participants de s’ins-
crire dans une histoire : ainsi, des balbutiements
de Félix tête de veau en 2002 à D’oze en 2012, le
public a suivi l’évolution d’une démarche d’artiste
qui tend elle aussi vers l’excellence.
Quelle place les pratiques amateurs occupent-
elles dans le champ de l’art ? Pour le secteur théâ-
tral, la Wallonie compte probablement plus de
troupes amateurs que de professionnelles 2. Le
théâtre amateur draine-t-il alors un public plus
nombreux ? Le public fossois quant à lui privilé-
gie les nombreux spectacles amateurs qu’il voit
chaque année et hésite à se déplacer pour certains
spectacles professionnels de grande qualité.
L’essence du théâtre serait-elle donc dans les
pratiques amateurs ? Dans notre époque de
marchandisation de l’art, précise Matthieu Collard,
le travail avec les amateurs est sans doute le lieu
où le metteur en scène est le moins lié aux contin-
gences économiques. Il en résulte une grande
liberté de forme et de ton, bien loin des effets
de mode ou pressions du secteur. Par ailleurs, ce
travail par lequel un groupe s’exprime au bénéfice
d’un public dans une sphère locale et à un moment
précis retrouve un des sens premiers du théâtre :
celui de manifestation politique de la vie d’une
communauté. C’est ce qui fait son originalité, son
intérêt, sa nécessité.
Propos recueillis par Brigitte Castin pour l’équipe de l’Action culturelle
aVis à la populatioNcartE BlaNcHE EN régioN
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1. Matthieu Collard, metteur en scène / concepteur
Brigitte Romain et Michaël Meurant sont animateurs
au Centre culturel de Fosses-la-Ville.
2. Selon le site internet de l’ABCD théâtre, Association
Bruxelloise et Brabançonne du Théâtre Amateur, le seul
Brabant Wallon compte 45 000 spectateurs, 1 700 comé-
diens et techniciens, 500 représentations, 100 œuvres
jouées, 75 compagnies affiliées.
Le théâtre d'amateurs dans le Namurois
J'aime le "d" apostrophe dans "théâtre d'ama-
teurs". Il signifie "théâtre de ceux qui aiment...
et s'oppose au "théâtre amateur" des éternels
potaches débutants. Mais au fond, pourquoi
aiment-ils cela, ces "d'amateurs" ? Par défi, par
envie de se mettre en scène, de quitter le quoti-
dien et de jouer la vie tragique, comique, déses-
pérante, fantastique, d'autrui... Pour moi, c'est
"un peu de tout", comme dans la pub !
Comme bon nombre de comédiens amateurs,
j'ai dépassé le cadre étriqué de mes envies pour
aborder le théâtre avec un minimum de tech-
nique et réveiller les talents enfouis sous des
heures d'éducation normative et castratrice.
J'ai dépassé l'envie de briller sous les feux de
la rampe pour mon seul plaisir et j’ai réveillé le
goût du juste jeu.
Des outils, des formations, du matériel
permettent de transformer des amateurs
mal dégrossis en amateurs éclairés au propre
comme au figuré. Merci le TAP'S, un service
provincial doté d'une sacrée boîte à outils qui
permet aux troupes de résister à l'épreuve du
temps et de surmonter les 1001 pièges de la
scénographie qui fatiguent.
Le "Namurois" est un joyeux vivier de troupes
qui proposent des pièces classiques, divertis-
santes, sérieuses, joyeuses, avec un rayonne-
ment local ou régional.
Certaines se stimulent entre elles, se lancent des
défis grâce aux trophées et concours qui, sous
des dehors bon enfant, font appel au meilleur
de chacun.
Certains comédiens et comédiennes profitent
de ce vivier et voyagent d'une troupe à l'autre,
en offrant leurs talents aux troupes qui ont
bonne presse, promettent plus de cakes aux
pommes, de bons moments, de cachets...
d'aspirine, de tickets boissons et surtout de
bons rôles.
Chaque année, des troupes se posent la ques-
tion du répertoire ! Et l'an prochain, une drôle ?
Une avec ou sans fond ? Une classique ? Une
grosse distribution ? Une petite ? Avec les habi-
tués ? De nouvelles recrues ? Aux mêmes dates ?
Certaines choisissent un répertoire qui assure
les entrées, d'autres alternent bons coups et
coups d'audace, au risque de décevoir et avec
la certitude d'avoir à reconquérir, chaque année,
un public qui aime.
Le vrai drame des compagnies de théâtres
d'amateurs se joue lors du dernier tomber de
rideau, le soir de la dernière, quand tout est fin
prêt et rôdé. Les entrées et sorties de scène
deviennent automatiques et le brigadier choi-
sit ce moment pour frapper la fin du parcours
et déclencher la dramaturgie de la dernière
scène. Ultimes complicités entre personnages
bien investis, derniers trous inénarrables entre
protagonistes qui se voyaient, juste ce soir,
au sommet de l'affiche. Finies les colères du
metteur en scène, les ratés de la technique, les
mauvais positionnements "sous la douche"...
retour, dès lundi matin, à la banalité du quoti-
dien au théâtre de la vraie vie..., sans applaudis-
sement, sans dernier pour la route, avec l'envie
de remettre le couvert l'an prochain et l'inten-
tion de donner le meilleur, d'éviter le pire qui est,
malheureusement, parfois au rendez-vous, sur
scène comme en coulisses. Longue vie à ceux
qui aiment...
Marcel Linsmeau, ex-membre du Théâtre du Défi et de l'ANTA (Association namuroise de théâtre d'amateurs)
© oliViEr calicis
éditioN #3
En amateur ou en professionnel, toutes les démarches artistiques se valent-elles ? C'est l'éter-nel débat. Autant dire que les points de vue divergent quelquefois, mais convergent heureuse-ment la plupart du temps pour les responsables des centres culturels sur la place réservée à l'art amateur. Puis quels sont les critères qui définissent la distinction entre un artiste amateur et un professionnel ? La question est difficile et la réponse n'est pas toujours évidente.
Pour Marylène Toussaint, la frontière la plus claire
entre un professionnel et un amateur est simple :
le premier vit de son art, l'autre n'en vit pas. Mais
vu le nombre d'artistes qui vivent de leur art, il
n'y a pas beaucoup de professionnels , tient-elle
tout de suite à préciser. Il est clair qu’un certain
nombre d’artistes professionnels doivent accepter
un travail dans un autre champ pour répondre à
leurs besoins économiques. Sont-ils dès lors clas-
sés parmi les artistes amateurs ? Toujours selon
Marylène Toussaint, dans certains domaines
comme en musique par exemple, la frontière est
parfois très ténue entre musiciens profession-
nels et amateurs. Difficile donc de distinguer le
travail de chacun. Ce qui peut faire la différence,
c'est un apprentissage technique qui peut être
plus élaboré chez les professionnels que chez les
amateurs. Il y a aussi la question de la reconnais-
sance qui est souvent plus prégnante chez les
professionnels que chez les amateurs, où ce qui
compte d'abord et surtout, c'est le plaisir de l'ex-
pression. Un professionnel est soumis à l’exigence
du regard aiguisé de la critique et du public sur la
qualité artistique de ce qu’il produit. C’est aussi le
cas pour des amateurs, mais souvent les critères
d’appréciation varient et ne sont pas uniquement
esthétiques et artistiques ; ils peuvent relever
davantage de l’expérience vécue ensemble et de
la dynamique sociale. Dans une pratique artistique
professionnelle, la qualité artistique est l’exigence
primordiale, c’est indéniable et indispensable. Cela
ne dénigre en rien l’artiste amateur, simplement la
position et les enjeux sont différents. Le public qui
vient voir les réalisations est parfois aussi différent.
Pour Luc Logist, il faut insister : l'artiste amateur,
ce n'est pas monsieur Tout le Monde. Un amateur
peut avoir et a souvent une base de formation
artistique, même s'il ne vit pas directement de
son art et ne cherche pas toujours à en vivre. Puis,
il y a surtout chez l'artiste amateur de la passion
à créer, à développer des projets culturels et à
partager ses envies artistiques avec un public. En
cela, il n'est pas vraiment différent d'un artiste
professionnel.
Justement, en parlant du public, quel peut être
son rôle dans la reconnaissance des pratiques
artistiques en amateur ? Pour beaucoup de
responsables de centres culturels, la rencontre
avec le public est quelque chose attendue par
les artistes amateurs. Ils sont très demandeurs de
présenter leur création au public, explique Bernard
Michel. Le fait d'aller à la rencontre du public, cela
permet d'apporter une réelle reconnaissance aux
projets de ces artistes plus qu'un directeur de
centre culturel. C'est au public de dire s'il aime
ou pas ce qu'il voit, pas à nous. Souvent les gens
sont étonnés, et à juste titre, par le travail présenté
par les amateurs. Car il y a chez ces derniers, une
vraie exigence professionnelle, une même rigueur
aussi, et la qualité est très souvent au rendez-vous.
Il s'agit aussi d'une vraie prise de risque pour eux à
venir exposer leurs œuvres ou à monter sur scène
face au public. Mais tout cela crée une réelle moti-
vation. ” Toujours selon Bernard Michel, il faut lais-
ser des espaces de création, des lieux d'exposition
des productions d'artistes amateurs qui facilitent
les contacts entre le public et ces artistes. Ce
travail avec un public et des artistes amateurs
locaux, permet de créer du lien social et de rendre
nos centres culturels comme de véritables espaces
d'expression citoyenne. Car on y retrouve, dans
les différentes productions artistiques amateur
que l'on met en avant, la base même de toute
démarche artistique, à savoir le désir de partager
ce que l'on fait, ce que l'on aime.
Pour Patricia Santoro, cette rencontre entre les
artistes amateurs et leur public doit se faire coûte
que coûte, malgré parfois un manque de moyens
financiers ou de locaux pour accueillir les artistes.
aVis à la populatioNparolEs croisEEs dEs actEurs du groupE dE coNcErtatioN rEgioNalE
“lEs pr atiquEs artistiquEs EN amatEur , pléoNasmE ou oxymorE ? ”
éditioN #3
D'où un travail en amont des centres culturels et
l'implication sans faille sur le terrain pour forcer
le destin et faciliter les rencontres des artistes
amateurs avec le public sous forme d'exposition,
d'ateliers, de concerts ou de créations théâtrales.
Pour nous, à chaque fois, passer par des artistes
amateurs, c'est un appel à la sensibilisation du
public autour de projets socioculturels, de projets
rassembleurs. C'est notre rôle de centre culturel
comme espace citoyen de faciliter ces espaces de
partage entre des artistes et le public. Cela peut
passer par un stage, un atelier, comme cela se
fait beaucoup. Cela peut aussi se faire autour de
l'exploitation d'une thématique et il y a toute une
dynamique qui se crée autour d'un projet commun
entre des artistes, professionnels ou non. Puis, c'est
aussi l'opportunité de laisser l'accès à la culture et
à l'art à un public qui ne l'a pas forcément.
Passer par la production artistique en amateur,
c'est aussi ouvrir les portes des centres cultu-
rels à un nouveau public. C'est ce que confirme
Luc Logist, En ouvrant notre centre aux artistes
amateurs de notre région, il y a un réel intérêt pour
nous, responsables de centres culturels, d'atti-
rer des gens vers notre centre, nos activités, nos
productions. Ensuite, on peut développer des
projets et des partenariats, amener du monde au
bénéfice d'une association, par exemple. On peut
mettre ainsi en avant un projet citoyen, faire le lien
entre ce qui se passe chez nous avec des artistes
de chez nous.
Pour Benoît Raoult, l'art amateur est d'abord et
surtout une sensibilisation à l'art, à la culture, mais
elle doit commencer dès le plus jeune âge. C'est
à travers des démarches artistiques amateurs que
la passion peut naître chez un jeune. C'est très
important d'avoir accès à cela, en étant jeune, via
les centres culturels. Et à côté de ces jeunes, parmi
tous les artistes amateurs, il y a toute une série de
gens qui ont un métier, qui ont toujours eu une
attirance pour les planches et qui ont besoin de
se montrer, avec le désir d'être sur scène. On est
plus alors dans l'accomplissement de soi, dans
l'expression de tas de sentiments qu'on garde en
soi. Devenir amateur, cela apporte un plus pour la
vie personnelle.
Sinon, à côté de cette reconnaissance du public,
quel est le rôle des circuits de diffusion comme
les centres culturels dans la reconnaissance d’un
artiste amateur ? Tout d'abord, c'est une mission,
insiste Stéphanie Croissant. Si nous ne le faisons
pas, qui le fera ? Bref, les centres culturels sont pour
de nombreux artistes amateurs un lieu de passage
pour être présentés et défendus. Reconnaître
la pratique artistique amateur, c'est essayer de
promouvoir les artistes locaux et de développer
la sensibilité artistique auprès de la population,
explique Géraldine Gogniaux. C'est donc l'essence
même de notre travail. D'ailleurs, une place relati-
vement ouverte est laissée aux artistes amateurs
dans les centres culturels et dans leur program-
mation. Le rôle essentiel d'un centre culturel pour
l'art amateur, c'est d'abord et surtout un apport
d'une aide pour des artistes qui n'ont pas toujours
les moyens financiers, techniques et humains. Si
nous n'étions pas là, ces artistes auraient beaucoup
plus de difficultés à pouvoir exercer leur pratique,
ajoute Benoît Raoult.
D'ailleurs, selon Géraldine Gogniaux, c'est un vrai
travail de terrain que cette reconnaissance du
travail des artistes amateurs. Que ce soit en soute-
nant une troupe de théâtre, un groupe de musique,
ou en développant des ateliers et des stages pour
enfants, tout cela favorise évidemment l'essor
des pratiques artistiques en amateur dans une
région. Notre objectif aussi, c'est de développer les
démarches qui existent, et d'être à l’écoute pour
mettre le travail des artistes amateurs en valeur.
C'est une priorité de démocratiser la culture et
sensibiliser une population à l'art. La question n'est
donc pas de savoir ce que l'art amateur peut nous
apporter ; la question est plutôt ce qu'un centre
culturel doit apporter aux artistes de notre région.
Dans ce cadre, l'un des rôles des centres culturels
sera aussi et surtout de faciliter les rencontres et les
échanges entre artistes amateurs et professionnels.
Même s'il est vrai que ce n'est pas toujours facile
à mettre en place. Parce que ce sont des secteurs
différents, admet Marylène Toussaint. Ce sont des
mondes qui ne se parlent et ne se connaissent pas
toujours. C'est à nous, en tant qu'institution, à faire
des traductions pour faciliter ces rencontres entre
professionnels et amateurs. Pour attirer l'attention
aussi sur la pratique amateur auprès des profes-
sionnels, mais aussi du public. La plupart du temps,
les choses se passent très bien, et une fois que le
travail se met en place, les gens se comprennent
aVis à la populatioNparolEs croiséEs dEs actEurs du groupE dE coNcErtatioN régioNalE
assez vite. Très souvent, grâce à ces rencontres, on
assiste même à une ouverture d'un milieu comme
de l'autre à une nouvelle représentation du monde,
à un échange très productif d'expériences, et on
peut dire qu'en matière d'énergie, cette rencontre
entre professionnels et amateurs fait surgir une
réelle dynamique et un effet d'émulation.
Selon Bernard Michel, l'art amateur et l’art
professionnel ne sont donc pas opposés. Bien
au contraire, ils se complètent totalement. On
retrouve souvent dans cette rencontre la base
même de toute démarche artistique. D'où l'im-
plication essentielle des centres culturels. C'est
à nous de créer des passerelles entre les deux
mondes, de faire se rencontrer les gens, de faci-
liter les rencontres, et à chaque fois, cela donne
des résultats étonnants. Être artiste, au final, c'est
plus un état d'esprit, qu'un statut ou un métier.
Ces rencontres entre amateurs et professionnels
sont donc très productives pour chacune des
démarches artistiques. Tout simplement parce
que chacun a quelque chose à apporter de sa
propre expérience, chacun peut se nourrir de ces
rencontres pour alimenter sa propre créativité,
ajoute Stéphanie Croissant.
Quant à la question de l’exigence artistique, elle
est souvent très prégnante pour les artistes
amateurs. Pour beaucoup, la démarche est réel-
lement professionnelle, même s'ils n'en vivent pas,
explique Géraldine Gogniaux. On retrouve chaque
fois cette volonté et cette énergie de montrer un
travail original et de qualité au public. Les tech-
niques, les formations peuvent être différentes
entre amateurs et professionnels, mais l'exigence
est la même et l'envie identique, poursuit-elle. La
démarche amateur ne serait donc pas très diffé-
rente de celle d'un professionnel : chez chacun,
on retrouve la même exigence. Il y a beaucoup
de spectacles amateurs auxquels on peut donner
l'étiquette de professionnels, ajoute Stéphanie
Croissant. Tout simplement parce que la qualité
est au rendez-vous. Pour Bernard Michel, la condi-
tion du succès d'une démarche artistique amateur,
c'est de trouver un bon équilibre en faisant travail-
ler des amateurs dans des conditions profession-
nelles. Dès qu'on veut aller plus loin, présenter ou
exposer une création au public, il faut une dimen-
sion professionnelle. Même si les artistes restent
amateurs, il y a tout de même cette exigence
professionnelle, un critère de qualité qui vient de
cette mise en commun des deux univers.
Alors arts amateurs, pléonasme ou oxymore ?
Tous les responsables de centres culturels sont
affirmatifs : ni l'un ni l'autre. La démarche artis-
tique n'est ni réservée aux professionnels ni aux
amateurs. Ce sont deux démarches différentes,
même si l'envie est très souvent la même d'un côté
comme de l'autre ”, explique Patricia Santoro. Ce
n'est pas un pléonasme parce que ce serait refu-
ser aux artistes tout statut professionnel comme si
l’art ne pouvait être pratiqué qu’en amateur, ajoute
Marylène Toussaint. Ni un oxymore. Ce serait dire
qu'on ne peut produire de l'art que si on est profes-
sionnel, poursuit-elle. Tout cela demande donc des
nuances. On peut aller très loin en amateur dans
la création et la production artistiques, et mettre
“ artiste amateur ” et “ travail de qualité ”, ce n'est pas
du tout une contradiction, loin de là, conclut Luc
Logist. Bref, la place des artistes amateurs dans
nos centres culturels, loin d'être un artifice, est au
contraire et heureusement une réalité.
Pierre Jassogne
Texte issu des propos recueillis par Pierre Jassogne
auprès des membres de la concertation régionale locaux :
Stéphanie Croissant (CCL d’Andenne), Bernard Michel
(CCL de Fosses-la-Ville), Géraldine Gogniaux, (CCL de
Floreffe), Luc Logiste (CCL de Gembloux), Benoît Raoult
(CCL d’Eghezée), Patricia Santoro (CCL de Sambreville)
et Marylène Toussaint (CCR / Théâtre de Namur)
éditioN #3
guy alloucHEriE Et la ciE HENdrick VaN dEr ZEE à la rENcoNtrE dEs HaBitaNts…
Guy Alloucherie est metteur en scène de la compagnie Hendrick Van Der Zee (HVDZ) qu’il a créée en 1997. Cette compagnie est associée à la Scène nationale du bassin minier du Pas-de-Calais, “ Culture Commune ” à Loos en Gohelle. www.hvdz.org
Avec sa compagnie, il a notamment créé le concept des “ Veillées ”.
Une Veillée, c’est créer à partir de ce que les gens nous racontent et à partir de ce qu’on a besoin de dire sur le monde. (...) Le fil de l’œuvre qui se fabrique au long des entrevues, des errances et des performances, c’est la ville ou les quartiers en question. Non contents de fabriquer nos spectacles pour dire notre désir de justice sociale et d’égalité sur les plateaux de théâtre, nous descendons dans la rue, à la sortie des supermarchés, sur les places publiques, nous allons dans les cages d’escalier pour discuter et développer en direct le processus de création avec les acteurs vrais des quartiers. C’est faire du spectacle vivant ! Et on y mêle danse, théâtre, vidéo, cirque et paroles d’habitants. (...)
Entretien avec Guy Alloucherie réalisé par Rémi
Giachetti dans le cadre d'un mémoire de Master
1 sur les Arts Partagés à l’Université Charles de
Gaulle de Lille 3
Rémi Giachetti : Comment fonctionnent les prin-
cipes de vos spectacles participatifs, comme les
Veillées ou les Portraits de village ?
Guy Alloucherie : Le but du jeu est d’aller à la
rencontre des gens. À un moment donné, je ne
savais plus très bien le sens de ce qu’on faisait. On
faisait des spectacles sur des scènes de théâtre
et j’avais l’impression qu’ils s’adressaient toujours
aux mêmes gens, alors qu’il y avait tout un public
que je ne voyais jamais au théâtre. Comment se
faisait-il que tous ces gens-là ne venaient pas
? J’ai donc pensé qu’il devait y avoir de bonnes
raisons, que ce n’était pas uniquement parce
qu’ils n’étaient pas informés. Apparemment, ils
n’étaient pas sensibles à la forme de théâtre que
nous proposions. L’idée de départ était d’aller voir
les gens, les uns après les autres, avec comme
point de départ de parler de culture. D’aller les
rencontrer en se disant que de toute façon, tout le
monde a une définition de la culture. Et je ne sais
pas plus que les autres ce qu’est la culture. Il serait
donc intéressant d’avoir l’avis de tout le monde,
puisqu’il n’y a pas de vérité en ce qui concerne
l’art et la culture. En plus, comme on est situé
sur un ancien site minier, on est entouré de cités
ouvrières et les ouvriers n’ont pas vraiment dans
leurs pratiques habituelles d’aller au théâtre ou
d’aller voir de la danse. On s’est demandé : “ Mais
que doit-on faire, pour trouver le lien, pour créer
une œuvre qui intéresse, dans laquelle les gens
se sentent concernés par ce qui se dit et ce qui
se fait ? ” On est donc allé à la rencontre des gens
dans les quartiers, dans un premier temps ici, tout
autour. Après, on est parti un peu partout, en
France, au Brésil, et on va sans doute le faire au
Canada l’année prochaine. Mais l’idée de départ
était celle-là : puisque les gens ne viennent pas,
allons vers eux. De plus, on ne sait vraiment pas
ce qu’est la culture. Personne ne détient de vérité
sur le sujet. Peut-être que la meilleure façon de
faire, c’est de l’inventer avec les gens. Parce que
là, on se rend compte qu’il y a une culture qui est
légitimée par les experts, par les gens cultivés et
qu’au-delà de cette culture légitimée, il n’y a pas
de salut… Alors que, quand on va à la rencontre
des gens, on voit plein de choses en termes de
culture ouvrière, de culture populaire, qui sont
passionnantes. À mes yeux, c’est tout aussi légi-
time que le reste. En étant ici, il était impossible
de continuer à faire un théâtre qui soit complè-
tement en-dehors des réalités du quartier. Cela
aurait été du cynisme de ma part. C’est pourquoi
on est allé à la rencontre de tout le monde. Les
Veillées sont des spectacles faits pour rencontrer
les gens, discuter avec eux et pour parler de la
mémoire ouvrière et de la culture ouvrière. Mais,
pas que de la mémoire : les gens nous racontent
aVis à la populatioNVu d'aillEurs
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aussi le présent, comment on vit dans le quartier,
comment on vit ensemble. Après une résidence,
on monte un petit spectacle, avec des acteurs et
des acrobates, dont les gens et le quartier sont
les acteurs principaux. Le but est de tout mettre
au service de l’idée que l’œuvre d’art se construit
ensemble.
R. G. : Concrètement, que se passe-t-il ?
G. A. : Ils racontent. Mais les gens dansent aussi.
Il y a des associations sportives, des associations
culturelles… Cela dépend des endroits. Ici, par
exemple, il existe la colombophilie, la passion
des pigeons ; les harmonies par exemple, c’est
très particulier dans le coin ; il y a des groupes de
hip-hop, des gens qui font du football… On prend
toutes ces choses-là, qui font partie de la culture
populaire et qui sont, pour moi, des instants de
culture. On vit aussi des moments de rencontre
et avec tout ça, on fait un portrait, on décrit une
vie de quartier. Cela dure 15 jours, ce n’est jamais
exhaustif. On est avec des caméras, on n’est pas
sociologues, on n’est pas scientifique, on n’est
pas journaliste, on est que des artistes. À notre
manière, on présente une façon de voir le quartier,
avec l’idée de le mettre en valeur et de valoriser
les cultures ouvrières et populaires. La volonté
est d’aller vers les gens pour créer quelque chose
ensemble. Au fond, on abolit les barrières, les
frontières qui voudraient que l’artiste soit dans
sa tour d’ivoire et qu’il ne communique pas avec
le réel. Voilà en quoi consistent les Veillées et
les Portraits de village et on passe beaucoup de
temps à en faire.
R. G. : Et les Instantanés ?
G. A. : C’est une déclinaison des Veillées mais
dans les lycées. On passe quatre, cinq jours
dans un lycée, on essaie de rencontrer le plus de
classes possible et après on fait un portrait du
lycée. On est cinq veilleurs quasiment permanents
et on peut être une dizaine d’intervenants dans
tous les domaines.
R. G. : Que cela vous apporte-t-il à vous, en tant
qu’artiste ?
G. A. : Une chance : l’impression de servir à
quelque chose. Je ne dis pas que l’art ne doit
pas être gratuit, mais, pour moi, cela tient à mon
parcours. Je viens du monde ouvrier et j’ai prati-
qué une forme d’art qui trop longtemps n’inté-
ressait pas ce monde-là. Quelque part, c’était
paradoxal de faire un métier public qui n’intéres-
serait pas le monde d’où je viens. Il y avait quelque
chose d’insupportable pour moi. Depuis que je
fais des Veillées, j’ai retrouvé le chemin vers les
gens. Le soir de la représentation est l’occasion
de rencontrer d’autres personnes, de créer un
rassemblement convivial. Cela participe d’une
sorte de fête, mais on fait en sorte que l’œuvre
soit autant dans la salle que sur le plateau. Je fais
des choses qu’on ne considère pas forcément
comme étant légitimes, mais, pour moi, cela
devient plus important que tout l’or du monde et
poétiquement cela donne du sens à mon travail.
R. G. : Avez-vous l’impression ou l’envie de leur
apporter quelque chose ?
G. A. : Je leur dois tout, puisqu’on construit tout
avec eux. Si je leur apporte quelque chose ? C’est
à eux qu’il faudrait demander ; il faudrait aller voir
à Maisnil-lès-Ruitz où on a fait le dernier Portrait
de village. Vous pouvez consulter notre blog où
l’on montre un peu les réactions des gens. Les
gens ne viendraient pas si nombreux à chaque
fois si on ne leur apportait rien, mais c’est difficile
de parler à leur place.
R. G. : Est-ce une envie de votre part d’aider les
gens ?
G. A. : Non. L’envie est de travailler ensemble.
Le but est de dire : “ On fait une œuvre d’art
ensemble. ” Ils m’apportent tout autant que je
leur apporte. L’envie est de faire quelque chose
ensemble et de se demander ensuite : “ Est-ce que
c’est ça ? Est-ce qu’on se trompe ? ” C’est-à-dire
de se questionner sur la pertinence de l’œuvre.
Ce qui m’intéresse est de travailler ensemble dans
le domaine artistique, qui paraît être réservé à
quelques-uns. Être artiste est la chose la mieux
partagée qui soit au monde et quand on fait une
Veillée, il faut que la porte soit ouverte à toutes
les participations. Dans une Veillée, on rencontre
le plus de gens possible, parce que chaque vie
est une œuvre d’art. D’ailleurs, c’est très bizarre
qu’au fil du temps l’art soit devenu la propriété
de quelques-uns, ce qui me semble une impos-
ture totale. C’est peut-être une posture un peu
politique ou philosophique, mais je pense que ça
changera peut-être. C’est une certaine vision du
travail qui a voulu cette situation. Ces dernières
années, cela s’est particulièrement accentué avec
le marché de l’art, particulièrement dans l’art
contemporain mais également au théâtre. J’ai
horreur de l’idée du talent. Sartre disait que le
talent était un crime contre soi-même et contre
les autres. Pourquoi certains auraient-ils plus de
talent que d’autres ? Qu’est-ce que c’est que cette
histoire ? C’est vraiment une pure invention. Je
m’inscris en faux contre tout ça, avec cette envie
de faire bouger le monde et de changer la vie.
R. G. : Ce type de projet remonte-t-il à votre
venue ici, ou cette idée-là existait-elle déjà dans
vos anciens projets ?
G. A. : C’est surtout ici que ça m’a sauté aux yeux,
au fur et à mesure, depuis treize ans que nous
sommes ici.
éditioN #3
R. G. : C’est donc le territoire qui a permis cette
prise de conscience ?
G. A. : Absolument. Un jour, Chantal Lamarre,
qui dirige la scène de Culture Commune, m’a dit :
“ Est-ce que tu ne voudrais pas faire un travail avec
les anciens mineurs ? Recueillir leurs paroles et
créer quelque chose à partir de ça ? ” Je précise
que déjà à l’époque, Culture Commune était une
scène nationale un peu particulière car il y avait
une historienne qui travaillait sur la collecte de
témoignages et sur la mémoire ouvrière. Je ne
voyais pas quoi faire, mais on s’est réuni avec
d’anciens mineurs et une dame qui tenait le café
d’à côté, un café de mineurs qui à l’époque exis-
tait encore. On s’est mis à parler et on a pris des
notes. Comme je venais d’une famille de mineurs,
j’étais d’abord très impressionné. Pour moi, il y
avait un tel écart entre le monde du théâtre et le
monde de la mine que je me suis dit : “ Je ne vais
pas être pris au sérieux. ” On a des représentations
mentales qui sont parfois complètement fausses,
surtout quand il s’agit des autres. Cela s’est super
bien passé ; ils ont raconté des histoires sur la mine.
On a pris des notes et on s’est dit : “ Pourquoi ne
pas en faire une petite représentation ? ” Ils ont bien
voulu jouer le jeu, car ce n’était que pour un soir
ou deux. Lorsqu’on a fait la représentation, c’était
bourré à craquer parce que les gens se sentaient
concernés. On l’a refait pour la fête de la Sainte-
Barbe, la patronne des mineurs et des pompiers,
et on a dû mettre en place plusieurs représenta-
tions pour pouvoir accueillir tout le monde dans
la grande salle. Antoine Vitez avait raison : tout
fait théâtre. C’était encore nos premières années
ici et j’en étais encore à me demander si la parole
ouvrière pouvait faire théâtre. Quel imbécile j’étais !
Il a fallu du temps. Il a fallu que plein de choses
se passent à Culture Commune comme le travail
de Bruno Lajara avec des ouvrières de chez Levi’s.
Elles avaient été licenciées et il y a eu un projet
d’écriture : 501 Blues. Quand j’ai vu ce spectacle,
je me suis dit : “ C’est fantastique ! Ça fait théâtre.
Voilà, la raison d’être d’une compagnie présente
ici à long terme, c’est de travailler sur un lien fort
avec le territoire. Sinon cela n’a pas de sens, il faut
aller ailleurs, en centre-ville de Lille.” On peut aussi
réaliser ce travail-là, mais c’est plus anonyme. Ici,
il y a quand même un contexte, c’est impossible
de faire comme partout ailleurs, sinon on est
cynique, ou indifférent. Cynique c’est peut-être un
peu fort. En tout cas pour nous, cela s’est imposé
comme une leçon de politique, une leçon de vie.
Maintenant, quand on va dans le quartier, les gens
nous demandent quand a lieu la prochaine Veillée
et pour moi, cela veut dire beaucoup de choses.
R. G. : Y-a-t-il une volonté politique dans le fait de
travailler avec les gens ?
G. A. : Il y a une volonté d’arriver à une véritable
démocratie culturelle. Est-ce que c’est une volonté
politique ? Oui. Le monde ne tourne pas rond et
nous, à notre petite échelle d’artiste, on peut faire
quelque chose. De cette façon-là, on se sent un
peu utile. La volonté politique, c’est aussi de se
poser la question : “ Qu’est-ce qui fait que le monde
ne tourne pas rond, que des gens ne sont pas pris
en compte, qu’il y en a qu’on appelait exploités,
dont on dit maintenant qu’ils sont défavorisés ? ”
Ça permet de ne plus cibler l’exploiteur et donc
de dire que c’est la fatalité et qu’on ne peut rien y
faire. Aller discuter avec les gens, c’est éminem-
ment subversif. Mais j’aimerais que ce le soit encore
davantage. On ne peut pas aller vers les gens sans
être politique, sans avoir un point de vue sur le
monde. Le mien, c’est qu’il faut que cela change
vite. Avec tout ce qui se passe en Espagne et dans
les pays arabes… Dans les quartiers et dans les
banlieues où on a eu l’occasion d’intervenir, on s’est
rendu compte, humainement et sociologiquement,
qu’il y a une force de vie, d’initiatives, de proposi-
tions, aussi bien en termes artistique, que sportifs,
culturels, politiques, scientifiques… Plein de propo-
sitions en termes d’éducation populaire existent,
mais elles ne sont pas entendues. “ On ” préfère
rester dans un état de statu quo où on continue à
faire croire aux gens qu’il n’y a rien à faire contre
la crise. Mais je suis persuadé qu’un autre système
est possible, qui soit moins basé sur l’argent et où
l’humain serait davantage au centre des choses.
C’est pour ça qu’on crée de petits rassemblements,
à notre échelle d’artiste. De temps en temps, on se
dit qu’on pourrait en faire plus, mais ça voudrait
dire militer dans un parti. Je pense qu’on peut
s’investir en politique en-dehors d’un parti, notam-
ment avec l’éducation populaire.
aVis à la populatioNVu d'aillEurs
éditioN #3
il Faut quE lEs JulEs ii d'auJourd'Hui soiENt touJours oBligés dE sE dépêcHEr à s'assEoir
Des frontières floues, des hiérarchies contestables
Puisque désormais le cadre légal de la Fédération
Wallonie-Bruxelles institue une différenciation
entre artistes professionnels et pratiques artis-
tiques en amateurs, on peut (on doit ?) s'interro-
ger sur cette catégorisation.
Le plus souvent, on aborde la question en termes
de légitimité et de seuil : les artistes profession-
nels se donneraient par exemple un niveau d'exi-
gence tout autre, ils habiteraient un “ monde à
part”, ils se différencieraient du “ commun des
mortels ” avec qui ils seraient dès lors exemptés
de “ faire du commun ”, des clercs multiples se
chargeant d'interpréter pour une foule réputée
ignare le “ langage des dieux ”.
Des frontières peuvent ainsi être dressées entre
les deux catégories : les professionnels seraient
d'office des inventeurs, les amateurs se contente-
raient de “ reproduire ” les langages connus (défi-
nis comme des langages éculés par les premiers).
La catégorie du “ kitsch ” et son usage social
constituent un bon analyseur de cette logique de
cloisonnement hiérarchisé.
Dans un premier temps, on peut soutenir que
les articles de cette livraison montrent que ces
frontières ne sont ni si établies ni surtout si
évidentes en termes de légitimité. Donnons-en
trois exemples.
Le fait, pour l'artiste dit professionnel, de “ vivre
de son art ” peut le faire dépendre excessivement
de ses commanditaires, qui peuvent être très
ignorants du langage artistique (on se souvient
que Marcel Proust considérait que les milieux les
plus aristocratiques, bien plus que les gens du
peuple, étaient très ignorants des codes artis-
tiques, qu'ils n'approchaient que par snobisme).
En ce sens, la pratique artistique en amateur,
remarque Matthieu Collard, est souvent le théâtre
d'une liberté de forme et de ton bien plus grande.
Deuxième exemple : les techniques (par exemple
d'impression numérique) donnent souvent un
accès bien plus facile qu'auparavant à “ l'édition ”
(à la “ publication ”, au fait de rendre public) :
pensons au phénomène d'auto-édition des livres
photos. Cette multiplication peut jouer un rôle
d'engorgement et compromettre la viabilité des
éditeurs des “ photographes professionnels ” en
saturant le marché : le professionnel devient celui
“ qui ne peut plus en vivre ”...
Troisième exemple : on connaît la critique adres-
sée par Lévi-Strauss à l'art dit contemporain : il
a complètement perdu la dimension collective
de la pratique artistique ; l'art n'est plus vécu par
une communauté comme un élément constitutif
d'elle-même. Bien des témoignages de ce numéro
montrent que cette dimension collective, socia-
lement vivante, culturellement créative, est par
contre très présente dans les pratiques hybrides
et les “ rencontres improbables ” entre les mondes
“ professionnel ” et “ amateur ”.
Repenser la culture en d'autres termes qu'institués
Nous nous sommes peu à peu habitués à penser
la culture en termes de produits (et non de rela-
tion), de succès de diffusion et de hiérarchies ; en
ce sens, la culture c'est ce qui se diffuse (c'est-
à-dire se vend) dans les institutions culturelles
(c'est-à-dire ce qui est institué par elles comme
“ culturel ”) : les plus légitimes de ces institutions
seraient celles qui “ rayonnent ”, c'est-à-dire celles
qui ont réussi à constituer un marché étendu,
justifié toutefois (plus ou moins sincèrement)
dans d'autres grilles que marchandes (comme
celles de la création).
Ce numéro d'Avis à la population montre de façon
éclatante que cette conception n'est pas opéra-
toire par rapport à la réalité des pratiques.
Comme le rappelle Guy Alloucherie “ personne ne
détient de vérité sur le sujet ”, “ on ne sait vraiment
aVis à la populatioNrEgard oBliquE
pas ce qu'est la culture ”.
Quatre caractéristiques traversent cependant de
façon très claire les expériences culturelles qui
sont relatées dans ce numéro.
— L'expérience artistique est le résultat d'une
passion pour la forme, vécue selon un souci
d'excellence. Bien souvent, ce souci consistera
à se détourner d'une stratégie d'accumulation,
de reconnaissance, d'expression (de ce dont on
serait rempli à titre individuel), au profit d'un
travail d'évidement, de déplacement, d'ascèse :
“ J'ai dépassé l'envie de briller sous les feux de la
rampe pour mon seul plaisir et ai réveillé le goût
du juste jeu”, témoigne, par exemple, Marcel
Linsmeau.
— L'expérience artistique est le résultat d'une
autonomie critique exercée vis-à-vis des autres
champs (comme le champ économique, politique
ou religieux). Elle est en cela exercice de liberté
et rêve de libération (cfr ce qui a guidé la compo-
sition de Manu Louis : “ la prise d'assaut de la cité
administrative se terminait dans un relatif chaos
où des révolutionnaires remplissaient des formu-
laires pour retoucher des intérêts sur les revenus
cadastraux ”).
— La pratique artistique veut “ doubler la réalité ”, la
“ virtualiser 1 ” (lui rendre une puissance, la remettre
“ en puissance ” de se transformer) ; elle est notam-
ment un travail du temps, où l'instant artistique
“ met en suspens ” le cours du temps et l'arrache
ainsi à son évanescence.
— La pratique artistique bouleverse aussi “ l'ordre
des langages ” (pour reprendre cette expression
de Roland Barthes) et, ce faisant, bouscule les
préséances (y compris, bien sûr, celles que l'on
voudrait dresser entre amateurs et profession-
nels). Pierre Bourdieu rappelait à ce sujet cette
anecdote emblématique :
“ On raconte que Michel-Ange mettait si peu de
formes protocolaires dans ses rapports avec le
pape Jules II, son commanditaire, que celui-ci
était obligé de s'asseoir très vite pour éviter que
Michel-Ange ne soit assis avant lui. ” Le socio-
logue en appelle à perpétuer cette tradition “ de
distance à l'égard des pouvoirs, et tout spéciale-
ment de ces nouveaux pouvoirs que sont les puis-
sances conjuguées de l'argent et des médias. ” 2
Il ne nous semble pas excessif d'affirmer que
ces quatre composantes ne sont jamais mieux
présentes que dans les expériences d'hybridation
entre artistes réputés professionnels et prétendus
amateurs.
Les avantages de l'hybridation
Les expériences relatées dans cette livraison vont
plus loin : elles indiquent en filigrane que nous
pouvons être, en matière d'hybridation “ profes-
sionnels ”/ “ amateurs ” en situation de réciproci-
té : chacun des deux “ pôles ” peut constituer une
“ solution ” au “ problème ” de l'autre et inversement.
Ce sont les sociologues de l'innovation, Michel
Callon et Bruno Latour, de l'École Supérieure des
Mines de Paris, qui ont mis en lumière cette rela-
tion particulière de réciprocité, souvent moteur de
constitution de réseaux réunissant des acteurs à
intérêts potentiellement divergents.
Nous avons vu qu'amateurs et professionnels
pouvaient de fait se trouver dans une telle situa-
tion où leurs intérêts respectifs divergent (lutte
pour la légitimité, saturation du “ marché de l'art ”,
etc.).
Or les pratiques d'hybridation ici évoquées
montrent de fait que chacun des pôles peut aussi
constituer une solution forte au problème de
l'autre.
Ainsi, de la tendance au confinement de l'art
“ professionnel ” contemporain : son autonomie
peut aller jusqu'à la fermeture sur soi-même ; on
crée ainsi par rapport aux créateurs et exclusive-
ment par rapport à eux, dans un souci de “ distinc-
tion ”. L'hybridation avec des pratiques “ amateurs ”
est aussi une hybridation avec les populations qui
protège du confinement ou le prévient.
De même, les pratiques “ amateurs ” peuvent
échapper, grâce à l'hybridation avec des créateurs
authentiques, à un ajustement sur les conventions
(les langages reconnus, voire formatés), voire à
l'auto-castration : les “ amateurs ” se vivent parfois
comme uniquement légitimés à être consomma-
teurs du “ mainstream ” et se coupent des poten-
tialités d'excellence qui sont en eux.
Un autre rôle pour les institutions culturelles
Les centres culturels locaux qui témoignent dans
cette revue sont porteurs d'une orientation insti-
tutionnelle qui mériterait d'être davantage investi-
guée (notamment par ceux qui sont responsables
des politiques culturelles).
Pour l'indiquer aussi simplement que possible,
nous pourrions dire qu'il s'agit d'une triple
intermédiation.
Ce terme est souvent employé pour désigner des
pratiques permettant d'appréhender, la spécifi-
cité des codes culturels ; c'est, par exemple, la
logique de bien des “ ateliers ” où l'on s'essaie,
par la pratique, à une “ discipline ” ou “ technique ”
artistique.
Or, ici, nous avons affaire à deux autres aspects
de l'intermédiation :
— la mise en contact de “ professionnels ” et
d'“ amateurs ”, invités à nouer des relations fruc-
tueuses (dont nous avons vu qu'elles pouvaient
être de réciprocité) ;
— la mise en contact d' “ amateurs ” avec un “ acteur
non humain ” professionnel ; le terme d' “ acteur
non humain ” a été produit par les sociologues de
l'innovation pour désigner le rôle très actif que
pouvaient jouer, par exemple, des dispositifs tech-
niques. Il est manifeste, au vu des expériences
rapportées, que la mise à disposition d'un dispo-
sitif technique d'excellence est un élément-clé des
hybridations pratiquées .
On peut penser que cette mission d'une triple
intermédiation devrait être le fait de toutes les
institutions culturelles, et pas seulement de celles
qui ont affaire aux pratiques artistiques “ en
amateurs ”. Ne sommes-nous pas à ce sujet très
loin du compte ?
Il y aurait pourtant un intérêt bien compris à
raisonner de la sorte.
Pour les expériences “ en amateurs ”, la “ publi-
cation ” - le fait de rendre public – ne joue pas
d'office ou prioritairement, selon nous, un rôle
de reconnaissance : la “ publication ”, dans une
logique de partage décloisonné (pas seulement
entre soi, entre familiers), rend obsolète (“ brûle ”)
ce qui a permis la création, soit l'univers de sens
construit. Elle invite dès lors à poursuivre l'acte
créateur, à le réentamer. Publier, c'est détruire
(consumer) pour pouvoir recommencer mieux,
ailleurs, autrement.
Pour les “ professionnels ”, l'obligation de sortir de
la création seulement individuelle, tendancielle-
ment confinée “ inter pares ”, est une condition de
légitimité sociétale.
L'hybridation “ amateurs ”/“ professionnels ” est
ainsi un des points-clés du maintien de ces univers
sociaux particuliers qui peuvent seuls “ créer des
créateurs ”, selon l'expression de Bourdieu, et qui
sont aujourd'hui menacés d'involution.
“ De même, pour avoir un cinéma d'auteurs, il faut
avoir tout un univers social, des petites salles et
des cinémathèques projetant des films classiques
et fréquentées par des étudiants, des ciné-clubs
animés par des professeurs de philosophie
cinéphiles formés par la fréquentation desdites
salles, des critiques avertis qui écrivent dans les
Cahiers du cinéma, des cinéastes qui ont appris
leur métier en voyant des films dont ils rendaient
compte dans ces Cahiers, bref tout un milieu
social dans lequel un certain cinéma a de la valeur,
est reconnu.
Ce sont ces univers sociaux qui sont aujourd'hui
menacés (...) : aboutissement d'une longue évolu-
tion, ils sont entrés aujourd'hui dans un processus
d'involution ; ils sont le lieu d'un retour en arrière,
de l'œuvre au produit, de l'auteur à l'ingénieur ou
au technicien utilisant des ressources techniques,
les fameux effets spéciaux, et des vedettes, les
uns et les autres extrêmement coûteux, pour
manipuler ou satisfaire les pulsions primaires
du spectateur (souvent anticipées grâce aux
recherches d'autres techniciens, les spécialistes
en marketing). ”3
Cette hybridation devrait dès lors selon nous
être au coeur de toutes les institutions culturelles,
et particulièrement les plus en vue ; ce serait
probablement une manière de favoriser un véri-
table développement culturel territorial, loin des
versions qui font équivaloir celui-ci prioritaire-
ment à un développement de produits par des
opérateurs “ phares ”.
Jean Blairon et Jacqueline Fastrès, asbl RTA
1. L'étymologie de “ virtualiser ” est liée au terme “ in virtu ”,
qui veut dire “ en puissance ”.
2. P. Bourdieu, “ Questions aux vrais maîtres du monde ”,
in Interventions, Science sociale et action politique,
Marseille, Agone, 2002, p. 424.
3. Idem, ibidem, pp. 421-422.
éditioN #3
géNéralités, étudEs sociologiquEs
L'enjeu des pratiques artistiques et culturelles amateurs : courants d'art, par la Confédération nationale des foyers ruraux, Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire, Paris, 2004
Analyse des pratiques culturelles et artistiques
amateurs : leur sens, leurs dimensions sociale,
individuelle et collective. Examine également
les conditions nécessaires à l'accompagnement
et au développement de ces pratiques (compé-
tences, cadre pédagogique, types de profession-
nels...) et le rôle des pouvoirs publics.
Le sacre de l'amateur : sociologie des passions ordinaires à l'ère numérique, par Patrice Flichy, Editeur Seuil, Collection La République des idées, Paris 2010
Une étude sur ces amateurs qui ont acquis des
savoir-faire, grâce aux instruments fournis par
l’informatique et le web participatif, leur permet-
tant non seulement de rivaliser avec les experts,
mais de se réapproprier tous les aspects de la
culture contemporaine. Un nouveau règne s’an-
nonce, qui brouille toutes les frontières : celui du
professionnel-amateur, citoyen-acteur, artiste en
puissance...
Les arts moyens aujourd'hui : Albi 2006, actes du colloque international d'Albi, 30-31 mars, 1er avril 2006, volumes 1 et 2, sous la direction de Florent Gaudez, Collection Logiques sociales. Sociologie des arts, L'Harmattan, Paris 2008
Il y a 40 ans, Pierre Bourdieu, Luc Boltanski,
Robert Castel et Jean-Claude Chamboredon
publiaient : Un art moyen. Essai sur les usages
sociaux de la photographie (Editions de Minuit,
Paris, 1965), fruit d'une grande enquête socio-
logique où ils étudiaient les usages sociaux de
la photographie. Ils en montraient d'abord le
caractère normatif et la prégnance des confor-
mités. Ils montraient aussi combien pesait sur
les pratiques le poids des hiérarchies sociales
et de leurs représentations. Peut-on aujourd'hui
re-convoquer à nouveaux frais la problématique
des “arts moyens” ? L'idée d'une monosémie
culturelle battue en brèche par les enquêtes
contemporaines, l'hypothèse de la diversité
des pratiques et du sens donné aux pratiques
peuvent aujourd'hui être réexaminées. N'y a-t-il
vraiment qu'un seul “peintre du dimanche”,
simplement modalisé par les statuts sociaux,
un seul vidéaste amateur se conformant aux
règles de l'espace social ? À une époque où
les frontières entre amateurs et professionnels
sont devenues de plus en plus floues dans de
nombreuses pratiques artistiques justifiant qu'on
s'interroge sur la définition de ce terme, et après
40 ans d'avancées technologiques fulgurantes,
cet ouvrage est aussi l'occasion de réexaminer
la modernité d'un concept à l'aune des NTIC
(Nouvelles Technologies de l'Information et de la
Communication) et d'un ensemble d'instruments
technologiques qui n'existaient pas à l'époque :
Vidéo, téléphones portables, appareils photo et
caméras numériques, photo et caméra numé-
riques intégrées dans les téléphones portables,
Internet, Web, Net Art, Cyber-pratiques, etc. Les
auteurs envisagent la diversité des pratiques des
amateurs, au double sens du terme, et la diversité
des pesanteurs sociales s'exerçant sur elles.
Considérer la multi-détermination des pratiques
des arts moyens permet à ce travail collectif
d'explorer un espace aux dimensions multiples
et croisées, de calculer des degrés d'autonomie,
d'entrevoir aussi le fardeau de certaines stéréo-
typies. Cet ouvrage vise ainsi à esquisser la figure
contemporaine des “arts moyens”.
tHéâtrE amatEur
Le théâtre des amateurs et l'expérience de l'art : accompagnement et autonomie, textes réunis et présentés par Marie-Christine Bordeaux, Jean Caune et Marie-Madeleine Mervant-Roux, l'Entretemps, Vic-la-Gardiole, 2011
Dues à des animateurs de compagnies, d'asso-
ciations et de fédérations d'amateurs ainsi qu'à
des chercheurs, ces contributions présentent
une approche originale du monde du théâtre
amateur, lui-même peu étudié, et réfléchissent
sur la dimension de l'art de points de vue anthro-
pologiques et esthétiques.
cHEmiN dE lEcturE
aVis à la populatioN
Le théâtre des amateurs, Le Grand T, Editeur Joca seria, Nantes 2007
Anthologie de textes (J. Gracq, P. Coutant, J.-C.
Grimberg...) consacrés au théâtre amateur et
visant à le valoriser, l'interroger et le développer.
Le théâtre des amateurs : un jeu sur plusieurs scènes, par Thomas Morinière Ed. du Croquant, Bellecombe-en-Bauges, 2007
Enquête sur la “séance de variétés”, succes-
sion de sketches réalisés par des habitants de
La Séguinière, petite commune pavillonnaire,
un spectacle qui constitue un véritable défi à la
théorie de la domination culturelle : l'autodéri-
sion et la décontraction des comédiens amateurs
témoignent d'une indifférence aux représenta-
tions autorisées du spectacle artistique.
littérature
Aux frontières du champ littéraire : sociologie des écrivains amateurs, par Claude F. Poliak, Collection Etudes sociologiques, Economica, Paris, 2006
A partir d'une enquête empirique, l'auteur décrit
les aspirations, les pratiques et les rêves de ceux
qui s'adonnent à l'écriture dans l'espoir d'être
édités un jour. Il présente ainsi ce secteur de la
littérature comme un espace social particulier,
un"simili" champ littéraire qui permet de satis-
faire les besoins de reconnaissance des écrivains
amateurs.
art Brut
L'art brut : l'art sans le savoir, par Céline Delavaux, Collection L'art & la manière, Ed. Palette, Paris,2009
Présente les circonstances de l'invention du
concept d'art brut par Dubuffet et les différentes
facettes de cet art créé par des artistes solitaires,
marginaux, médiums, etc., sans connaissance
des techniques et de l'histoire de l'art.
La Fabuloserie : art hors-les-normes, art brut,
préface Michel Ragon, Albin Michel, Paris, 2009
La Fabuloserie a été ouverte en 1983 par Alain
Bourbonnais dans les granges de sa maison de
campagne, à Dicy, dans l'Yonne, pour abriter sa
collection. C'est une sorte de cabinet de curio-
sités, un lieu de l'imaginaire, de l'enfance retrou-
vée, où sont réunies des œuvres d'art “hors les
normes”. Leurs créateurs ont transcendé leur
quotidien en réutilisant des objets cassés, des
bouts de fil de fer.
Art brut : l'instinct créateur, par Laurent Danchin, Collection Découvertes Arts, n° 500, Gallimard, Paris, 2006
Présentation de l'art brut, inventé en France
par le peintre Jean Dubuffet, devenu tendance
aujourd'hui. Dès les années 1850, en Europe,
des psychiatres commencent à étudier l'activité
plastique de certains malades. Des collections
se constituent et des articles sont publiés sur
le rapport du génie et de la création. Dubuffet
fonde alors la Compagnie de l'Art.
L'art brut, par Lucienne Peiry, Collection Tout l'art. Histoire, Flammarion, Paris, 2006
Retrace l'historique de la notion d'art brut, mêlée
à l'histoire de son initiateur, Jean Dubuffet,
depuis sa prise de conscience de cet art lié pour
lui au concept d'anti-culture, jusqu'à la constitu-
tion systématique de sa collection, à l'origine du
Musée de l'art brut de Lausanne.
Par la librairie Point Virgule, rue Lelièvre, 1, 5000 - Namur www.librairiepointvirgule.be
éditioN #3
Ce journal est publié avec le soutien de la Fédération
Wallonie-Bruxelles.
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