Download - Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

Transcript
Page 1: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

Tous droits réservés © Institut d'histoire de l'Amérique française, 1983 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 2 jan. 2021 04:07

Revue d'histoire de l'Amérique française

Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de1710-1711Marc Lafrance

Volume 37, numéro 1, juin 1983

URI : https://id.erudit.org/iderudit/304123arDOI : https://doi.org/10.7202/304123ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Institut d'histoire de l'Amérique française

ISSN0035-2357 (imprimé)1492-1383 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleLafrance, M. (1983). Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de1710-1711. Revue d'histoire de l'Amérique française, 37 (1), 21–49.https://doi.org/10.7202/304123ar

Page 2: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE: LE FORT DE CHAMBLY DE 1710-1711

MARC LAFRANCE Parcs Canada, Québec

Introduction*

En moins de cinquante ans, le fort de Chambly, considéré en 1712 comme «le rempart du Canada du costé d'en haut», devient, à l'époque de la guerre de Sept Ans, «un mauvais fort», une «misérable bicoque»1. Les historiens ont fait la même remarque. Suite et Malchelosse s'excla­ment au sujet de la construction du fort: «Rien de pareil n'existait dans l'Amérique du Nord, pas même à Québec»2, alors que Stanley, éva­luant le fort de l'époque de la guerre de Succession d'Autriche, le qua­lifie de «glorified munitions dump»3.

Par ailleurs, les chercheurs qui ont considéré la typologie d'archi­tecture du fort4, en ont déduit qu'il s'agissait d'une construction mas­sive en pierre aux murs très élevés, s'apparentant aux fortifications érigées avant l'introduction de l'artillerie à longue portée et aucunement à la fortification classique des XVIIe et XVIIIe siècles. On y voit un ouvrage militaire plus caractéristique des fortifications médiévales que de celles de l'époque de Vauban. Quant à Gérard Morisset, il en a fait un objet de dérision. Evoquant l'opinion de Bougainville que le fort ne pouvait résister à l'artillerie, il ajoute que le fort n'a même pas résisté à l'érosion. Morisset conclut:

À la vérité, il ne faut pas être grand clerc pour constater que ce fort est un ouvrage à l'ancienne mode. Trop hauts, les bastions et les courtines n'ont pas suffisamment d'assiette ni d'épaisseur; de

* L'auteur remercie Jacques Mathieu ainsi que ses collègues André Charbonneau et Yvon Desloges pour leurs commentaires judicieux.

1 Ce sont les propos de Vaudreuil en 1712 et de Montcalm et Doreil en 1758. Ces opinions et celles d'autres militaires du Régime français sont reprises dans Pierre Nadon, Fort Chambly A Narrative History, Manuscript report number 17, National Historic Sites Service (Ottawa, 1965), 13 à 28 et dans Cyrille Gélinas, Le rôle du fort de Chambly dans le développement de la Nouvelle-France 1665-1760, travail inédit no 392 (Parcs Canada, Québec, 1977), passim, 192 p.

2 Benjamin Suite et Gérard Malchelosse, «Le fort de Chambly», Mélanges historiques (Ducharme, Montréal, 1922), 9: 28.

3 George F. G. Stanley, New France, The last phase, 1744-1760 (The Canadian Centenary Series, McClelland and Stewart Limited, Toronto, 1968), 25.

4 Pierre Nadon, op. cit., 15; Antonio Jurkovich, «Fort Chambly, 1679-1714», dans Fort Chambly: Interpretation papers, Manuscript Report number 169 (Pares Canada, Ottawa, 1966), 48-49. '

[21] RHAF, vol. 37, no 1, juin 1983

Page 3: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même coup, sa faiblesse: les bastions et les courtines sont, en coupe, ceux que l'on construisait en France sous le règne de Louis XIII; c'est dire que Vauban y est tout à fait étranger. Au reste, tout dans ce fort est la négation même des idées de Vauban: la hauteur désuète des murailles, l'absence de cavalier et de douves, le tracé des bas­tions avec leurs flancs escamotés et leurs fasces (sic) trop fuyantes, l'emplacement même du fort situé trop près de l'eau. En vérité, Chambly retardait de cent ans sur le génie militaire du début du XVIIIe siècle.5

Tous ces jugements reflètent une méconnaissance de l'art militaire des XVIIe et XVIIIe siècles et véhiculent une idée fausse du rôle primordial du fort au début du XVIIIe siècle. La hauteur des murs de Chambly rappelle effectivement la forteresse médiévale. Pourtant l'aménage­ment des bastions de Chambly reflète un trait fondamental de la forti­fication classique, c'est-à-dire, l'excellence du flanquement. Quant au jugement plus particulier de Morisset, il faut dire qu'il n'existe pas de distinction fondamentale entre la coupe d'un rempart type du règne de Louis XIII et celle de l'époque de Vauban. De même, l'existence de cavaliers et de douves ne constituent pas une condition sine qua non de la fortification de Vauban. Dans l'ensemble, le jugement de Morisset au sujet du fort de Chambly est erroné.

Pour apprécier le type de fort érigé à Chambly en 1710-1711, il faut étudier plus à fond les plans et schémas qui ont permis de le conce­voir et de le réaliser. Il faut en arriver à une compréhension des consi­dérations tactiques et stratégiques qui prévalaient au moment de sa construction ajnsi que de la théorie et de la pratique du génie militaire de l'époque. Étudier le fort de Chambly de 1710, c'est donc définir les acquis et les limites d'un savoir scientifique. Cela nous paraît essentiel avant d'évaluer les décisions administratives et l'action des hommes telles qu'elles ressortent à la lecture de la correspondance officielle du Régime français.

La stratégie coloniale et le couloir du Richelieu

La stratégie forme le plan de la guerre, de l'attaque et de la défense6. Elle vise évidemment un résultat, une décision finale et doit ainsi éva­luer tous les facteurs pouvant influer sur la conduite de la guerre. La stratégie s'élabore à partir de l'expérience passée et des connaissances actuelles mais elle se situe aussi au niveau de la conjecture. Notre inten-

5 Gérard Morisset, «Boisberthelot de Beaucours», dans Le Bulletin des Recherches histo­riques, 59 (janvier-mars 1953), 1: 20-21.

6 Le terme stratégie est utilisé ici dans son sens moderne car au début du XVIIIe siècle il ne désigne que les «ruses de guerre». Sur la question du rôle des fortifications dans le cadre d'un plan stratégique voir: Henry Guerlac, «Vauban: The Impact of Science on War» dans Edward Mead Earle, Makers of Modem Strategy, Military Thought from Machiavelli to Hitler (Princeton, Princeton University Press, 1943), 26 à 48.

Page 4: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 23

tion est de scruter de plus près la pensée stratégique des autorités colo­niales au début du XVIIIe siècle et d'analyser les facteurs qu'elles considéraient en fonction du déroulement de la guerre et surtout de la défense dans la vallée du Richelieu. Nous pourrons ainsi cerner le rap­port entre le plan stratégique des autorités et la conception du système de défense de Chambly.

À compter de 1690, la stratégie de défense de la Nouvelle-France fait face à un dilemme: la possibilité d'une attaque sur deux fronts par des forces supérieures en nombre. Soumis à une telle contingence, le gouverneur Vaudreuil, dans la première décennie du XVIIIe siècle, poursuit une politique d'alliances amérindiennes et d'apaisement de la colonie du New York pour pallier son manque de ressources militaires7. Mais à partir de 1708, suite aux raids frontaliers canadiens contre le Massachusetts, l'Angleterre décide de s'engager dans le conflit et y entraîne sa colonie du New York. La voie du Richelieu devient à nou­veau, dans la stratégie anglaise, le corridor d'une invasion de la Nou­velle-France. Le projet d'attaque de 1709 se dissipe du fait que l'An­gleterre ne s'engage pas tel que promis. L'alerte met cependant les stratèges de la Nouvelle-France devant l'évidence d'une faiblesse défensive le long du Richelieu. L'expérience de 1709 influencera consi­dérablement la stratégie de défense subséquente dans laquelle le fort de Chambly de 1710-1711 jouera un rôle important. Elle nous aide ainsi à mieux comprendre le choix du site du fort et son option architecturale.

En 1709, Vaudreuil évalue le rapport de forces à plus de deux contre un en faveur de l'ennemi. Selon ses informateurs (prisonniers, Amérindiens, espions, découvreurs) l'ennemi compte 6 000 hommes dont cinq régiments de troupes «réglées» pour attaquer Québec et entre 2 000 et 2 500 destinés à prendre Montréal8. Les renseignements de Vaudreuil s'avèrent assez justes. Comme le révèle la documentation anglaise, le plan d'invasion de Montréal prévoyait la levée de 1 500 hommes du New York, du New Jersey, du Connecticut et de la Penn­sylvanie, en plus des Amérindiens9. Malgré le désistement des Quakers du New Jersey et de la Pennsylvanie, les commandants Nicholson et Vetch sont confiants à la fin de juin de réunir un contingent de 2 000 hommes, les volontaires et les Amérindiens comblant les contingents des deux colonies récalcitrantes10.

7 Yves-F. Zoltvany, Philippe de Rigaud de Vaudreuil, Governor of New France 1703-1725 (The Carleton Library no 80, McClelland and Stewart, Toronto, 1974), 94.

8 AN, Colonies, C 'A , 30: 39-43, Vaudreuil au Ministre, 1er octobre 1709; 60-62, Vau­dreuil au Ministre, 14 novembre 1709.

9 Calendar of State Papers, Colonial Series, America and West Indies ( 1708-1709) no 387 : 230-232, «H.M. Instructions to Colonel Vetch», 1er mars 1709. ^

10 Ibid., no 604: 405, Nicholson et Vetch à [Sunderland], 28 juin 1709. Brufe T. McCully «Catastrophe in the Wilderness: New light on the Canada Expedition of 1709», dans The William and Mary Quarterly, Third Series, XI (oct. 1954): 442, évalue les effectifs anglais du côté d'Al-bany à 2100 dont 600 Amérindiens.

Page 5: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

24 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

Pour faire face à cette force anglaise, le gouverneur ne dispose au total que de 4 850 hommes (soldats, miliciens, matelots et Amérin­diens). Mais de ces derniers seulement 3 350 sont en état de porter les armes. Vaudreuil répartit alors 2 350 hommes pour assurer la défense de Québec et 1 000, pour Montréal11. À Québec, sa position est plus forte. En plus de la défense naturelle qu'offre le promontoire de la ville, Québec dispose de divers retranchements et ouvrages fortifiés aux endroits les plus exposés. La voie du Richelieu, par contre, demeure ouverte; et Montréal, sans fortifications valables, exposée. En effet, seul le fort en palissades de Chambly s'interpose entre l'ennemi et la ville de Montréal.

Les partis de reconnaissance de Vaudreuil lui assurent aussi une bonne connaissance des moyens de guerre de l'ennemi sur ce front. Le gouverneur connaît les progrès de l'entreprise anglaise: construction de trois forts, de divers entrepôts, d'une centaine de bateaux et de presque autant de canots et de pirogues12. L'information de Vaudreuil est au point. Partant d'Albany, le corps ennemi avait emprunté l'Hudson, dont le parcours supérieur était très difficile et nécessitait plusieurs portages avant d'arriver aux camps d'entreposage et de bivouac nouvellement érigés des forts Ingoldsby et Nicholson. De ce dernier lieu au fort Wood Creek ou «Great Carrying Place», où se poursuivait activement la cons­truction de bateaux et canots, l'ennemi devait effectuer un portage de 16 milles sur un chemin informe, épuisant chevaux et soldats13.

En plus de lui fournir une évaluation des effectifs de l'ennemi et des progrès de son expédition, les reconnaissances apprennent à Vau­dreuil que la campagne anglaise prévoit des vivres et munitions pour six semaines et une artillerie composée de deux mortiers à bombes avec 200 bombes, de seize mortiers à grenade avec 1 000 grenades, et de cinq pièces de canon. La documentation anglaise confirme la pertinence de cette évaluation. Les Anglais ne disposent pas d'un train d'artillerie très important. On ne mentionne que quatre petites pièces de campagne, de petits mortiers «Coehorn», des arquebuses sur pivot et des tromblons ou espingoles («Blunderbuss»)14. D'ailleurs, Nicholson entrevoit des difficultés considérables dans le transport des pièces de campagne et il compte surtout sur l'utilisation des mortiers «Coehorn» et des fusils grenadiers15. Quoi qu'il en soit, les stratèges anglais n'estiment pas

11 AN, Colonies, CnA, 30: 60-64, Vaudreuil au Ministre, 14 novembre 1709. 12 Ces renseignements ainsi que ce qui suivra de la reconnaissance française proviennent

de: AN, Colonies, CnA, 30: 93-96V, Ramezay à Vaudreuil, 19 octobre 1709; 123-124, «Inte-rogatoire du nommée André Nact d'Orange du 10 aoust 1709»; 115-117V, «Interogatoire faite par M. de Ramsay au nommé Queret Toulouse du 1er aoust 1709 à la pointe à la Chevelure»; 355-358 «Parollecg| - Sauvages du party commandés par Monsieur de Ramsay...» 2 août 1709.

13 BrucTr; McCully, op. cit.: 438-456. 14 Calendar of State Papers..., no 604: 402-403, Nicholson et Vetch à [Sunderland], 28

juin 1709. 15 Ibid., no 629: 419-420, Nicholson à [Sunderland], 8 juillet 1709.

Page 6: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 25

'^j/S

RIVIERE RICHELIEU ET

LAC CHAMPLAIN

83-G-DH-2

Page 7: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

26 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE

l'artillerie indispensable à la campagne car les fortifications françaises ne sont que de pieux et «can easily be burned by pitched faggots»16. Quant aux vivres, Samuel Vetch, estime dès 1708, que six semaines de provisions suffisent pour le début de l'expédition. Même si les instruc­tions royales prévoient l'entreposage de vivres pour trois mois dans un entrepôt à Wood Creek, l'armée d'Albany ne dispose jamais de tant de provisions17. Selon Robert Livingston, secrétaire des affaires indiennes du New York, le trajet Albany — Wood Creek s'avère tellement diffi­cile aue quantité de vivres se perdent, s'avarient ou sont volées en route .

La reconnaissance française informe aussi Vaudreuil de la straté­gie de l'ennemi. L'objectif anglais consiste à dépasser le portage de Chambly pour mettre des soldats à terre afin d'attaquer ce fort; après quoi, on descendrait le rapide avec des bateaux et des canots jusqu'à Sorel, pour se diriger ensuite vers Montréal. Au cas où ils seraient repoussés à Montréal, les Anglais se retireraient à Sorel pour y cons­truire un fort, bloquer ainsi la circulation sur le Saint-Laurent et attendre des renforts de leur flotte mouillant devant Québec. La documentation anglaise confirme encore l'exactitude de cette évaluation19.

Dans cet exercice d'évaluation stratégique, il faut surtout retenir la justesse des informations recueillies par la reconnaissance française. Ces renseignements servent aux autorités françaises à élaborer une nou­velle stratégie de défense, à partir de 1710. Cette stratégie commande qu'il faut un avant-poste pour empêcher l'ennemi d'attaquer Montréal. Un tel poste a d'ailleurs une priorité afin de prévenir une attaque sur deux fronts contre Québec. Des considérations stratégiques dictent que cet avant-poste doit être construit à Chambly, de préférence à Saint-Jean, le premier étant situé à l'aboutissement du portage. De même le site de Chambly est préféré à la Pointe à la Chevelure à cause de l'éloi-gnement de ce dernier endroit de Montréal et des problèmes d'appro­visionnement qui en découleraient. En optant pour Chambly, on bloque l'accès à la partie navigable du Richelieu au Saint-Laurent.

Enfin l'analyse en termes de stratégie porte à croire que ce fort doit résister, avec des forces numériquement inférieures, à un assaut d'un «gros partis» de nature coloniale, mais possédant une artillerie légère et pratiquant un type de guerre différent de celui mené par les

16 Ibid., no 196: 147-150, «An explanatory supplement to Capt. Vetchs proposal for an attack upon Quebec and Montreal...», 17 novembre 1708.

17 Ibidem; Ibid, no 387: 230-232, «H.M. Instructions to Colonel Vetch» Ier mars 1709. 18 Bruce T. McCully, op. cit. : 445-447. Le capitaine John Harrison mentionne que le transit

des marchandises d'Albany à Fort Nicholson prenait trois semaines; il évalue les pertes, à cause de vol, à 50%.

19 Calendar of State Papers... 1708-1709, no 60: 41-51, «Canada survey'd...» Samuel Vetch, 27 juillet 1708; Ibid., no 475: 283-285, Sunderland à Lovelace, 28 avril 1709; Ibid., no 604: 405, Nicholson et Vetch à [Sunderland], 28 juin 1709.

Page 8: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 27

Amérindiens. Dans l'esprit du gouverneur et de l'intendant, un fort de pierre est nécessaire pour résister à l'assaut ennemi et mettre le poste de Chambly hors d'insulte des petits canons que les Anglais peuvent transporter sur cette voie. Ces canons, concluent-ils, ne peuvent être que d'un calibre de quatre livres de balles au maximum20.

En 1712, suite à l'alerte d'une nouvelle invasion anglaise, Vau-dreuil et Bégon confirment et expliquent davantage la stratégie de défense pour Chambly.

Le Sr de Vaudreuil peut vous assurer, Monseigneur, que le fort de Chambly est l'ouvrage le plus utile qui se soit encore fait en ce pays cy, puisqu'il couvre entièrement du costé d'en haut, et peut empescher les ennemis de passer soit qu'ils voulussent pénétrer dans le fond de la Colonie de Montréal, ou descendre a Québek en cas quil fust attaqué par en bas, du moins ne pourraient ils le faire sans de grandes difficultés, dès qu'on y fera camper un corps de 7 à 800 hommes, lesquels ayant un lieu de retraitte seraient à portée sans rien risquer de les harceler, on peut placer dans ce fort 40 pièces de Canons et 36 perriers, 500 hommes y peuvent faire le service et 1 000 y peuvent estre a couvert en cas de besoins, on y peut mettre des vivres pour la subce de ce nombre d'hommes pen­dant un an et des munitions de guerre autant quon y en peut avoir besoin et pour autant de tems qu'on voudra, enfin Monseigneur, ce fort doit estre regardé comme le rempart du Canada du costé d'en haut.21

Voilà le discours des autorités coloniales sur l'importance du fort de Chambly et son rôle stratégique. Ce discours demeure le même jus­qu'en 1735, au moment où l'on porte la défense à un endroit plus éloigné aux frontières de la colonie par la construction du fort Saint-Frédéric à la Pointe à la Chevelure.

Le fort de Chambly: aspects topographiques et géométriques

Le fort érigé à Chambly en 1710-1711 selon les plans de l'ingé­nieur Beaucours est un ouvrage «régulier» en ce sens que «tous les angles sont égaux et les lignes de même nature sont égales entre elles»22.

20 AN, Colonies, C1'A, 30: 17V-18 V, Vaudreuil et Raudot au Ministre, 14novembre 1709. Il faut distinguer comme les ingénieurs du XVIIe et XVIIIe siècles entre les diverses techniques d'attaque de places fortes. On dit que le siège est «régulier et dans les formes» lorsqu'il se déroule selon une méthode et des critères définis. La technique du siège implique un ensemble d'opérations successives: encerclement de la place, établissement du camp, bombardement de la garnison, approche par le moyen de tranchées, établissement de batteries, assaut du chemin couvert, des­truction des ouvrages de défense, assaut de la place. La technique du blocus exige aussi l'inves­tissement de la place mais surtout pour y couper les avenues de communication avec l'extérieur. Le blocus réduit souvent une place forte par la famine. L'assaut est essentiellement une attaque rapide à force d'armes d'une place ou d'un camp. La technique d'assaut est souvent précédée de différents stratagèmes dont la surprise.

21 Ibid, 33: 26-27', Vaudreuil et Bégon au Ministre, 12 novembre 1712. 22 Sébastien Le Prestre de Vauban, Traité de la défense des places par le maréchal Vauban

(nouvelle édition F.P. Froissac, Paris, Magimel, an III de la République), 13.

Page 9: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

front de fortification to oo

face droite

bastion

capitale

cote extérieur ligne de defense

place d'armes

aile

flanc gauche courtine

angle flanque

gorge

echauguette

73 m < G m O X oo H O 53 m O m

>

O

> >

1 83 - 166- D2 , F.PHIti

Page 10: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 29

Il s'agit d'un carré de maçonnerie à quatre bastions et aux côtés exté­rieurs de 28 toises de long. Les courtines mesurent 17 toises, les faces des bastions ont 5 toises 3 pieds; et les flancs, 9 pieds de long23. La ligne de défense est rasante, ce qui veut dire que le prolongement de la face du bastion s'aligne sur l'angle du flanc24. Les courtines des fronts sud, est et ouest s'élèvent sur une hauteur de 4 toises, 1 pied, alors que les bastions surplomblent les courtines de 6 pieds. Les murs du fort reposent sur une fondation de 10 pieds de profondeur et de 5 pieds d'épaisseur. Au niveau du sol, ils ont 4 pieds d'épaisseur. Du sol jus­qu'à la hauteur de 8 pieds, ils ont un fruit d'un pouce par pied. Ils conservent ensuite une épaisseur de 3 pieds 4 pouces jusqu'au sommet.

Les murs de courtine sont percés de meurtrières sur deux niveaux alors que les murs des bastions (flancs et faces) sont percés de meur­trières et d'embrasures sur trois niveaux. À l'intérieur, Beaucours incorpore des ailes de logement et d'entreposage aux murs d'enceinte. Il y aménage même une chapelle dans l'aile sud. Ces bâtiments à deux étages longent les courtines est, ouest et sud et s'intègrent en partie aux gorges des bastions. Les bastions abritent aussi deux boulangeries du côté sud et deux poudrières au nord.

La courtine nord, du côté de la rivière, s'avère plus faible que les autres. Il ne s'agit que d'un muret crénelé percé d'une petite porte permettant de communiquer avec la rivière. La porte principale (4' x 9') se situe au centre de la courtine ouest. Beaucours y prévoit la cons­truction d'un pont-levis25. La place d'armes du fort s'avère assez spa­cieuse; n'étant pas obstruée par des bâtiments, elle occupe un peu plus de 300 toises carrées. Tout ce système de défense se complète par l'aménagement d'une banlieue, zone «non aedificandi» de 300 toises de chaque côté du fort et d'une profondeur de 300 toises à partir de la rivière.

L'ingénieur Beaucours n'a malheureusement pas laissé de mémoire détaillant le concept de son projet de fortification, expliquant pourquoi il a opté pour ce type d'ouvrage. À cette époque, l'art européen de la fortification exige le plus souvent «un rempart revêtu, surmonté d'un parapet à l'épreuve du canon, bien flanqué, environné de fossés secs ou plein d'eau, et de plusieurs dehors...»26. La plupart des forts euro-

23 À moins d'indication contraire, nous utilisons les anciennes mesures françaises dans ce texte. 1 toise = 6 pieds français = 1.95 mètres.

24 L'angle du flanc est l'angle formé par la jonction de la courtine au flanc du bastion.

25 Nous avons élaboré cette description du fort à partir de: Pierre Nadon, op. cit., 16-17; Louis Franquet, Voyages et mémoires sur le Canada (Institut Canadien de Québec, réédi­tion Elysée, Montréal, 1974), 86-88 et 168-170; AN, Outre Mer, DFC, no 497 «Plan Coupe et Élévation d'une partie du fort de Chambly 1710...» [Beaucours]; Ibid., no 498, Devis du fort de Chambly, Beaucours, 8 février 1710; Ibid., no 499 «Plan, Profils, Élévations du fort de Chambly en Canada...» Chaussegros de Léry, 18 novembre 1718.

26 Vauban, op. cit., 11-12. C'est la définition d'une «place de guerre».

Page 11: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

30 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

péens doivent correspondre à cette définition bien que même Vauban soit conscient que certains forts n'ont pas de dehors ni de chemins couverts. Il n'en reste pas moins que, contre le canon, un fort doit être bien flanqué et bien protégé de remparts constitués d'une masse de terre revêtue27. Bien sûr, dans les colonies, les conditions de guerre diffèrent de celles présentes en Europe. Vauban en est conscient. En 1699, il écrit à Maurepas au sujet des fortifications du Canada: «...il n'est pas question de bastir des places de guerre dans les règles mais de bons lieux Clos avec des fermetures un peu meilleures que celles de ce pays là [Canada], qui ne sont que de palissades.. .»28 Aussi recommande-t-il pour les colonies des fortifications composées de «simples murailles avec des tours comme celles de nos gros Bourgs et petites villes ou des retranchements de terre pallissadés» 9.

Le grand ingénieur français a raison, les forts de pieux ne suffisent plus dans les colonies. Les coloniaux du New York et de la Nouvelle-Angleterre ne manifestent pas l'aversion des Amérindiens à l'égard d'une attaque contre un fort. De plus, comme l'ont démontré les partis français contre ces colonies, un fort en pieux peut être pris même sans artillerie par le moyen de l'assaut et de l'escalade, par la surprise comme l'utilisation du pétard, ou par le moyen des artifices30. La défense d'un poste sur le Richelieu nécessite donc un fort dont le système de défense tienne compte de la technique d'attaque européenne mais adaptée aux conditions de guerre du continent nord-américain. Sur ce sujet, les traités militaires de défense et de fortification de l'époque sont muets. Ainsi, tout en tenant compte des principes élaborés dans les traités, l'ingénieur chargé de planifier la défense à Chambly, doit s'adapter aux circons­tances locales et avoir recours à des considérations tactiques pour déter­miner le type spécifique de fortification qu'exige la défense du Riche­lieu. À Chambly, la principale considération tactique réside dans le fait que l'ennemi fera l'assaut du fort.

Pour l'ingénieur tacticien, le choix du site et l'adaptation de la fortification à la topographie environnante revêtent une grande impor­tance. L'ingénieur doit non seulement connaître le terrain et y déter­miner les avantages qu'il peut en retirer, mais il doit aussi envisager la tactique de l'ennemi devant le fort et analyser ses possibilités de profiter des accidents du terrain. Les avantages du site de Chambly, au pied du rapide à l'endroit où la rivière forme un bassin, sont connus depuis la construction du premier fort en 1665 par Jacques de Chambly.

27 Ibid., 43. 28 Louise Dechêne (éd.), La correspondance de Vauban relative au Canada (Ministère des

Affaires Culturelles) 38, «Réponse à la lettre de Mr le Comte de Maurepas du 21 janvier 1699». 29 Ibid., 40. 30 Voir, entre autres, le récit de l'attaque du fort Royal au Massachusetts par les Canadiens

et Amérindiens sous le commandement de René Robineau de Portneuf en 1690. AN, Colonies, C 'A , 11: 17, Relation de Monseignat, 1689-1690.

Page 12: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 31

CHAMBLY VERS 1720-1730

BASSIN de CHAMBLY

RECONSTITUTION À PARTIR DE PLANS DE LA FIN DU X V I I I * - FT DU DEBUT DU 2 T X S IECLES

8 3 - G - D H - 3 L.Lavoie

Page 13: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

32 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

On érige donc le nouveau fort au même endroit. Par ailleurs, puisque Chambly se situe à l'aboutissement de tout portage ennemi sur le Richelieu, Beaucours oriente le nouveau fort de façon à défendre, du côté des terres, les approches sud et est, soit les côtés les plus exposés à un assaut. Il ne se préoccupe pas outre mesure du fait que le fort se situe au bas d'une légère dénivellation car celle-ci ne permet pas à l'ennemi de commander le fort. Du côté de l'eau, les fronts nord et est défendent le rapide dont l'action renvoie les bateaux et canots «à la portée du Pistolet de Terre»31. Quant au front ouest, l'accès au fort de ce côté s'avère difficile à cause de la proximité du bassin. Beaucours y aménage la porte du fort et y prévoit un pont-levis et un petit fossé, mesures importantes contre une surprise et particulièrement contre l'utilisation du pétard. Chaussegros de Léry complète les défenses de la porte en 1720 et y construit un machicoulis32.

Les grandes maximes de l'art de la fortification insistent beaucoup sur un flanquement adéquat, vertu inhérente du système bastionné. Pour l'atteindre, maints théoriciens ont proposé des systèmes, chacun cher­chant à atteindre la perfection dans le soutien réciproque des compo­santes de la fortification33. À Chambly, l'ingénieur Beaucours adopte la méthode préconisée par le Comte de Pagan : il trace le flanc perpen­diculaire à la ligne de défense rasante. Le flanc défend alors le plus directement possible la face du bastion opposé. Par ailleurs, à première vue, les flancs du fort paraissent très petits; horizontalement, on ne peut y aménager qu'une seule embrasure. Ils ne font effectivement que Vis du côté extérieur. Or, on peut difficilement appliquer à Chambly toutes les normes recommandées dans les traités de l'époque car celles-ci ont été établies en fonction de fortifications de plus grande envergure, de par leur périmètre et de par leur étendue en profondeur, destinées à résister à un siège35. L'avantage du grand flanc est d'offrir plus de place pour installer un canon. Le fort de Chambly, conçu pour résister à un assaut et non à un siège, compense cette lacune en étageant le tir en flanc. On obtient ainsi un tir de flanquement efficace contre l'assaut, tout en réduisant la longueur du flanc. Somme toute, le fort de Chambly offre un flanquement adéquat en ce que toutes les parties de la fortification peuvent être défendues par la garnison.

31 APC, CNCP, H3/350 «Idée de la Situation du Fort de Chambly, et de ses environs» [1717].

2 AN, Colonies, B, 40: 498, «Mémoire du Conseil de la Marine pour le Sr. Chausse-gros...» 6 juillet 1718.

33 Voir à ce sujet: André Charbonneau, Yvon Desloges et Marc Lafrance, Québec, ville fortifiée du XVIIe au XIXe siècles (Parcs Canada et éditions du Pélican, Québec, 1982), 93-104.

34 Le traité du comte de Pagan est publié en 1645. André Charbonneau et al. op. cit., 99. 35 Voir le tableau de l'abbé Déidier dans Le parfait Ingénieur français (Paris, C.A. Jombert,

1762), 19. Pour les forts de campagne Déidier recommande des côtés extérieurs de 80 à 130 toises; les flancs font de lA à Vu du côté extérieur.

Page 14: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

LIGNES DE CROISEMENT DE TIR

lignes de tir des embrasures

lignes de tir des meurtrières

8 3 - I 6 G - D I , F. Pellerin

Page 15: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

34 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

Des éléments géométriques déterminent aussi la qualité de la défense du terrain devant la fortification. Telles que construites les embrasures des faces ne permettent pas une couverture adéquate du terrain situé dans le prolongement de la bissectrice de l'angle flanqué des bastions. Installé à ces endroits, l'ennemi pourrait tenter de battre en enfilade les flancs des bastions sans être incommodé par le tir du fort. Dès 1720, l'ingénieur Chaussegros de Léry fait dégorger les embrasures des faces vers les capitales des bastions, pour corriger ce défaut36. Pour le reste, l'organisation géométrique du fort est conve­nable. Ainsi la ligne de croisement de tir des meurtrières des courtines se situe à 8 pieds du mur, sur la ligne du côté extérieur du front. Derrière cette ligne le terrain est couvert par les embrasures des flancs. De même les secteurs de terrains non couverts par le feu des embrasures (secteurs situés à une distance de 54 à 74 pieds du centre de chaque front), sont balayés par le tir des meurtrières des courtines37.

Somme toute, l'analyse des éléments topographiques et géomé­triques du fort de Chambly démontre déjà comment Beaucours a su combiner l'art européen de la défense et de la fortification à des consi­dérations tactiques coloniales. Le choix du site, l'orientation du tracé, l'organisation du flanquement et de la géométrie de tir tiennent tous en ligne de compte que la tactique ennemie sera un assaut.

La résistance du fort

Le but même de la fortification est de résister à l'ennemi. Comme l'écrit l'ingénieur français Bélidor, la fortification doit être réalisée de façon à ce que «derrière cette enceinte un petit corps de troupes puisse résister avantageusement à une armée considérable»38. La résistance d'une forteresse se situe évidemment dans la perfection de ses ouvrages mais aussi dans la quantité et la nature de sa garnison. Par ce dernier terme, il ne faut pas seulement entendre le corps de troupes, mais comme le notent les théoriciens militaires du XVIIe et XVIIIe siècles, y inclure l'artillerie, le matériel de guerre, les provisions, bref, tout ce qui est nécessaire pour résister à l'ennemi39.

36 AN, Colonies, B, 40: 498 «Mémoire du Conseil de la Marine pour le Sr Chaussegros...» 6 juillet 1718; AN, Colonies, C"A, 42: 256, Chaussegros au Ministre, 20 octobre 1720. De même pour améliorer la défense au pied du fort il refait toutes les meurtrières «parce que ceux qui y sont ne plongent point et ne sont point creusé».

37 Ces calculs sont établis d'après les plans de 1734, suite aux travaux de Chaussegros de Léry en 1720.

38 B.F. de Bélidor, Le Dictionnaire portatif de iingénieur (Paris, C.A. Jombert, 1755), 135. Le théoricien hollandais Adam Fritach dans son traité UArchitecture militaire ou la Fortifi­cation nouvelle (Leide, Elzeviers, 1635), 65, qualifie la résistance d'une forteresse dans les termes suivants: «...l'on tient qu'un homme dedans une forteresse vaut autant que dix dehors».

39 Adam Fritach, op. cit., 65.

Page 16: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 35

La solidité des murs ou la résistance passive

Le rapport, armement de la force attaquante / moyens de défense, reste valable dans les maximes de la guerre défensive depuis l'Anti­quité. Ce rapport tient également dans les considérations tactiques et stratégiques qui ont déterminé le concept du fort de Chambly, notam­ment au niveau de la typologie de son enceinte et du choix des maté­riaux de construction.

Pour résister à des canons de quatre livres jugés être du calibre le plus élevé qu'un éventuel ennemi pourrait conduire à Chambly, les autorités coloniales évaluent non seulement qu'un fort en maçonnerie est essentiel, mais aussi, suffisant. À première vue, ce jugement étonne, surtout quand on considère que les théoriciens de l'époque énoncent unanimement les mérites du remblai de terre revêtu contre le tir d'artil­lerie. Or ces théoriciens exposent la valeur du remblai de terre et de la fortification en profondeur en fonction d'un tir d'artillerie de siège, c'est-à-dire des pièces de 18 et de 24 livres de calibre, utilisées pour leur puissance de brèche. À Chambly les autorités coloniales n'ont pas à se défendre contre des pièces de ce genre ni à considérer une tactique ennemie de siège. Contre l'assaut, ils jugent préférable une fortification s'élaborant en hauteur plutôt qu'en profondeur. Le remblai de terre devient impraticable. Entre la maçonnerie et la palissade, d'autres fac­teurs priment dans le choix des matériaux. La maçonnerie résiste mieux aux intempéries et exige des réparations moins fréquentes que les pieux. Ces derniers pourrissent très vite et ils peuvent succomber à l'incendie comme aux artifices de l'ennemi. Les autorités coloniales en sont plei­nement conscientes; le fort Chambly a été détruit par un incendie avant

Ces considérations priment dans l'opinion des autorités et dans le concept de Beaucours. Du moins, la réalisation nous porte-t-elle à le croire. Mais comment en arrivent-ils à déterminer l'épaisseur de maçonnerie nécessaire pour au moins résister au type de canon qu'ils jugent que l'ennemi peut opposer au fort? Les traités d'artillerie et de fortification de l'époque sont muets à ce sujet. On se préoccupe surtout de questions de vélocité et de portée et non de puissance de tir ou de force de pénétration des boulets. Les connaissances au sujet de la résis­tance des différents types de murs semblent se limiter plutôt à des obser­vations militaires. Au XIXe siècle les expériences seront plus impor­tantes. On produit des calculs et tableaux permettant de connaître la

Cyrille Gélinas, op. cit., 58.

Page 17: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

36 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

force de pénétration du tir d'artillerie41. Mais en 1710, à Chambly, sans connaissance d'expériences scientifiques, les autorités coloniales ne peuvent compter que sur leurs observations militaires, leur expérience de guerre et la compétence de leurs ingénieurs et artilleurs. Ainsi pré­voient-elles qu'un mur de maçonnerie de 3 pieds 4 pouces à 4 pieds d'épaisseur peut résister à la canonnade de pièces de 4 livres.

L'hypothèse nous paraît valable même en tenant compte de con­naissances postérieures sur la force de pénétration de boulets de canons. En effet, en appliquant les résultats des expériences effectuées à Metz à la fin du XVIIIe siècle, avec un canon de 8 livres42 sur un mur de revêtement en maçonnerie et dans des conditions attribuables au fort de Chambly (un tir à partir de l'extrême limite de la banlieue, 1 800 pieds français, et un tir à partir de la portée de but en blanc, 1 000 pieds français), on arrive à des résultats significatifs. La pénétration moyenne d'un boulet tiré d'un 8 livres sur un revêtement de maçonnerie, à une distance de 923 pieds est de 10.89 pouces; à 1 846 pieds de distance elle est de 7.02 pouces43. Évidemment l'effet des projectiles sur de simples murs de maçonnerie comme à Chambly est plus grand compa­rativement aux murs à revêtement de rempart. Les terrassements de ces derniers absorbent le choc d'impact des boulets. Néanmoins, il faut considérer qu'à Chambly il ne s'agit pas d'un mur de maçonnerie isolé. Les murs du fort sont assis sur une fondation de cinq pieds d'épaisseur. De plus, l'effet de contreventement de l'assemblage de la charpente des bâtiments à l'intérieur sert à stabiliser et renforcer non seulement les murs de façade des bâtiments mais aussi les murs de l'enceinte. N'ayant à résister qu'à des pièces de 4 livres, on peut conclure que les qualités de résistance passive des murs de Chambly étaient adéquates.

La force de tir, ou la résistance active

Quoique l'ingénieur construise un fort dont l'épaisseur des murs offre une protection adéquate contre la petite artillerie que l'ennemi peut acheminer jusqu'à Chambly, cet aspect de la résistance du fort demeure secondaire dans le concept du fort. En effet, à la force poten­tielle de l'ennemi, l'ingénieur français propose d'opposer une force de

41 Jusqu'en 1850 les expériences les plus complètes sur la question de la brèche, de la force de pénétration et de l'effet des projectiles sur les fortifications sont celles conduites par un comité d'artillerie à Metz. Voir à ce sujet, Aide-Mémoire to the Military Sciences, partie P.-R., article «Penetration of Projectiles» John Weale (Londres, 1851). Sur la balistique au XVIIe siècle il faut consulter l'étude de A.R. Hall, Ballistics in the seventeenth century (New York, Harper and Row, 1969), 186 p.

42 Nous n'avons pas trouvé d'expériences semblables pour des canons de 4 livres. 43 Une expérience rapportée par le Aide-Mémoire to the Military Sciences, indique que sur

une distance de 654 verges (600 mètres), environ la distance de la banlieue de Chambly, seulement 7 tirs sur 100 atteignent leur cible de façon à permettre éventuellement une brèche. Ce genre de tir à une grande distance avait plutôt pour effet de faire effriter des parties de mur en petits fragments au lieu de les démolir en masse.

Page 18: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 37

tir imposante visant à nuire à la tactique d'approche de l'ennemi et à empêcher l'assaut du fort. Pour évaluer le concept de résistance active élaboré à Chambly, nous avons développé une hypothèse sur l'arme­ment idéal du fort et sa distribution, qui tient compte de la nature des pièces inventoriées à Chambly et de la possibilité d'obtenir une défense d'égale force de chaque côté du fort.

Il est évident que le fort est conçu pour résister à un assaut d'une force importante. Vaudreuil prévoit placer dans le fort 40 pièces de canons, 36 pierriers et 500 hommes pour y faire le service44. Par contre, le gouverneur ne spécifie pas le type de canon qu'il entend y placer, ni dans quels endroits il propose de placer les canons et pierriers.

Compte tenu des pièces d'artillerie inventoriées au fort, il peut s'agir de pièces d'une, de deux ou de quatre livres45. Par ailleurs, en 1749, lorsque Chaussegros de Léry fils demande un armement pour le fort, il spécifie 16 pièces de quatre livres et 30 pierriers46. Il ne faut pas s'étonner de l'armement léger du fort. Chambly est conçu pour résister à un assaut et non à un siège. Des pièces lourdes pour détruire les ouvrages de siège de l'ennemi sont inutiles. De préférence le fort devait être garni d'une certaine variété de pièces. Comme le mentionne le théoricien hollandais Adam Fritach, une forteresse ainsi munie peut utiliser les boulets tirés par l'ennemi quand ceux de la forteresse vien­nent à manquer47. Avant d'élaborer notre hypothèse sur l'armement idéal du fort et sa distribution, il s'avère important de décrire les carac­téristiques des pièces.

Déterminer précisément les caractéristiques des pièces de petite artillerie (moins de deux livres de calibre) du début du XVIIIe siècle pose un problème. Celles-ci ne sont pas fixées par les différents règle­ments concernant l'artillerie au début du XVIIIe siècle. Selon le théo­ricien français Surirey de Saint-Rémy, on nomme faucons et faucon­neaux, les pièces qui ont entre VA et 2 livres de calibre; elles pèsent entre 150 et 800 livres et ont généralement sept pieds de long48. Antoine de

44 En 1720, Chaussegros de Léry confirme l'évaluation du gouverneur lorsqu'il annonce que le fort peut recevoir 500 hommes pour la mousqueterre et l'artillerie. AN, Marine B1, vol. 55, f. 184, décisions, fortifications, Chaussegros de Léry, 1720.

45 Bulletin des Recherches historiques, 35, 5 (mai 1929): 305-306, «Artillerie qui se trouve à présent dans les places de la Nouvelle-France», 30 juillet 1742; AN, Colonies, C"A, 98: 44v-45, «État des pièces et munitions qui sont dans les différents forts...», 1752.

46 AN, Colonies, C"A, 93: 226, Mémoire de Chaussegros de Léry fils, 23 octobre 1749. 47 Adam Fritach, op. cit., 66. Il est donc vraisemblable que l'armement du fort comporte

aussi des pièces anglaises dont les calibres diffèrent quelque peu de ceux des pièces françaises. D'ailleurs en Nouvelle-France l'approvisionnement en pièces anglaises ne pose pas de problèmes. À Montréal en 1734, la plupart des pièces d'artillerie sont anglaises. AN, Colonies, C"A, 61: 342v, «Extrait d'un journal contenant ce qui s'est passé dans le Gouvernement de Montréal...» 20 septembre 1734.

Pierre Surirey de Saint-Rémy, Mémoires d'Artillerie (Paris, Rollin fils, 3e éd., 1745), 1 : 75.

Page 19: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

38 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE

Ville, dans son traité de fortification, recommande que toute place de guerre soit bien munie de fauconneaux. Il écrit:

Ces petites pièces font plus de dommage aux hommes que les grandes; elles sont encor plus promptement maniées & leur faut moins de munition, portent fort loin & n'y a point d'armes a preuve d'icelles: on les peut tirer lorsqu'on voit deux ou trois ensembles, ce qu'on ne fait pas avec les autres pièces à cause de la grande despense du coup, qu'il seroit fascheux de perdre.49

Les traités et manuscrits nous informent mieux au sujet des pièces de quatre livres. Au début du XVIIIe siècle, la pièce de quatre la plus en usage dans l'Artillerie de Terre se nomme la «Moyenne»; elle pèse 1 300 livres et mesure 10!/2 pieds de long. Il existe une deuxième pièce de bronze, plus courte qui mesure SVi pieds et une pièce de fer qui pèse 1 500 livres et mesure 7 pieds 9 pouces50. Dans la Marine, la pièce de quatre livres est plus courte (6 pieds) et moins lourde (1 000 livres)51. La portée de la quatre livres est de 750 pieds de but en blanc et 7 500 pieds à toute volée52. Toutes ces pièces demeurent néanmoins, par leurs dimensions et leur poids, très encombrantes. La pièce de quatre livres sert surtout dans la «guerre de Batailles». Le théoricien Mallet l'inclut parmi les pièces qui sont le plus en usage «pour la Marche des Armées, des Camps volans, pour les défenses des Murailles des Bastions, des Cavaliers & des autres lieux, où il faut des pièces légères et faciles à être maniées»53.

Le pierrier à boîte se distingue des autres canons du fait qu'on le charge par la culasse avec une boîte, et qu'on le monte sur un «chan­delier» au lieu d'un affût. Le modèle recommandé à la fin du XVIIe

siècle pour la Marine pèse entre 120 et 160 livres et mesure cinq pieds de longueur54. Son projectile peut être de différentes natures: balle de fer ou de pierre de petit calibre, sachets ou cartouches de cailloux, mitraille ou ferrements empaquetés.

Le pierrier à boîte présente plusieurs avantages, notamment sa rapidité d'exécution du fait qu'il dispose de plusieurs boîtes déjà char­gées. Mallet constate qu'on peut tirer cinq fois plus de coups qu'avec les canons qui se chargent par la bouche et sans qu'il s'échauffe car l'air y entre par les deux bouts55. Par ailleurs, il est très maniable, à

49 Antoine de Ville, Les fortifications du Chevalier Antoine de Ville..., (Lyon, Irénée Bar-det, 1628), 394.

50 P. Surirey de Saint-Rémy, op. cit., I: 76 et II: 266. 51 AN, Marine, G, 222, no 14, «Inventaire général de la façon et composition des Ouvrages

servants dans les arcenaux de marine...» (1696). 52 P. Surirey de Saint-Rémy, op. cit., I: 114. 53 Alain Manesson Mallet, Les travaux de Mars ou l'Art de la guerre (Paris, D. Thierry,

1685), 1: 132. 54 AN, Marine, G, 222, no 14, «Inventaire général de la façon et composition des Ouvrages

servants dans les arcenaux de marine...» (1696). 55 A.M. Mallet, op. cit., 132-133.

Page 20: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

PIERRIER A BOITE AVEC CHANDELIER DU XVIIIe SIECLE

\ji^—*

0=

1 pied.

J Plusieurs pièces de ce type ont été retrouvées lors de fouille archéologique notamment à Louisbourg

et à la Pointe-à-la-Chevelure ( Crown Point )

>

3 r

H

H

m n x z o G m o m o a m 7S 7*

I 83 -I6G-D3 , F. Pelleri

Page 21: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

40 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE

cause de son peu de poids et de son chandelier; on peut le transporter aisément et une fois monté, le pointer rapidement en toutes directions56.

Dans la première moitié du XVIIe siècle le pierrier sert toujours à la défense de certaines places de guerre, et surtout dans les châteaux-forts et les petites places où il n'y a pas de plates-formes propres à monter du canon57. De Ville le recommande pour tenir les dehors des places de guerre et pour les sorties58. Il peut aussi servir à défendre des brèches59. Mais à mesure que le XVIIe siècle progresse et que l'art de la guerre se transforme, que les fortifications deviennent plus élaborées, le pierrier perd sa raison d'être. Déidier au milieu du XVIIIe siècle ne lui voit d'utilité qu'en fonction de la défense de places secondaires mal fortifiées où l'effort de défense doit se concentrer sur les portes de crainte de surprise par des «pétardiers»60. Quoiqu'il en soit le pierrier présente toujours des qualités indéniables en tant qu'arme antipersonnel contre une tactique d'assaut.

Avant de faire le rapport entre les bouches à feu et les ouvertures de tir aménagés dans le fort, il s'avère essentiel d'énumérer, de carac­tériser et de situer ces dernières. Beaucours dote le fort de 40 embra­sures, de 24 fenêtres dont 22 peuvent servir d'embrasures61, de 88 gran­des meurtrières et de 40 petites meurtrières. Les travaux effectués par la suite par Chaussegros de Léry à la courtine nord, à la porte et aux capitales des bastions (échauguettes) augmentent le nombre d'embra­sures à 42, celui des grandes meurtrières à 102 et celui des petites à 59. La force de tir du fort se répartit alors ainsi: les fronts est et sud ont chacun six grandes meurtrières, deux petites et trois embrasures par face de bastion, trois embrasures par flanc et 20 grandes meurtrières et dix petites par courtine. Le front ouest est semblable; la porte lui pro­cure une meurtrière supplémentaire. Quant au front nord, il diffère considérablement du fait qu'il défend l'approche du côté du rapide62. Avec les transformations apportées par Chaussegros de Léry, les ouver­tures de tir de ce front se répartissent ainsi: sept fenêtres pouvant servir

56 Son principal inconvénient réside dans le problème de l'étanchéité de la jonction boîte-chambre. Au milieu du XVIIP siècle l'utilisation du pierrier à boîte est très contesté. En 1756 la Galissonière en demande la suppression les jugeant «plus nuisibles à ceux qui les tiraient qu'à ceux contre qui on les employaient». L. Denoix et J.N. Muracciole, Historique de l'artillerie de la Marine de ses origines à 1870, volume 38 du Mémorial de V artillerie française (1964): 349.

57 M. de Guignard, L'école de Mars (Paris, Simart, 1725), 2: 204. 58 ' A. De Ville, op. dr., 394. 59 AN, Marine, D4, 8, fo. 210, «Traité de l'Artillerie de Marine», C. 1690. 60 Abbé Déidier, op. cit., 233. 61 Deux fenêtres sont situées dans les poudrières au niveau du rez-de-chaussée des bastions

du front nord. Ces fenêtres, dotées de «gros contrevent de bon bois de Chesne couvert de Taule» servent à passer des barils de poudre en cas de besoin.

62 Les fenêtres du côté du front nord s'expliquent par le fait qu'une attaque de ce côté était peu probable. Ce front défendait le passage du rapide. Les fenêtres protégeaient aussi la garnison du vent nord.

Page 22: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 41

d'embrasures 3 et trois meurtrières par face de bastion, quatre fenêtres pouvant servir d'embrasures par flanc et six embrasures et 16 meur­trières dans la courtine. À tout cela, s'ajoutent les 16 meurtrières des échauquettes.

L'armement du front nord peut être déduit assez facilement. Les embrasures de la courtine possèdent des plates-formes; il s'agit donc d'emplacements pour six canons, de préférence les pièces les plus lourdes du fort afin de couler les barques et bateaux qui tenteraient de franchir le rapide. Les fenêtres des flancs et des faces du front nord peuvent aussi être munies de canons mais leur aménagement rend le maniement de telles pièces difficile. L'angle de tir est réduit et il faut y aménager des plates-formes. Des pierriers à boîte, par contre, s'instal­lent facilement, au besoin. Les chandeliers montés ne nuisent pas aux fenêtres, même en temps de paix. On peut donc armer le front nord de six canons et de 22 pierriers.

Reste à voir l'armement des embrasures des fronts sud, est et ouest, étagées sur trois niveaux. De par les caractéristiques propres aux pier­riers, ceux-ci doivent être placés dans les embrasures des flancs et des faces au niveau le moins élevé du fort. La portée du pierrier est moins grande que celle du canon de quatre livres, du faucon et du fauconneau. Les embrasures du niveau le moins élevé servent surtout à courte por­tée. Par ailleurs le tir en plongée du pierrier est moins efficace que son tir horizontal car il couvre alors une aire moins grande. Le tir en mitraille du pierrier trouve surtout avantage dans les environs immédiats du fort contre l'assaut en masse. Sa grande maniabilité et sa rapidité de tir peuvent être exploitées au maximum dans les abords du fort64.

Quant aux autres embrasures (24 au total), elles seraient armées de canons: des quatre livres au deuxième étage battraient l'ennemi au loin alors que les galeries ou corridors du troisième étage, plus exiguës comporteraient des pièces de une et de deux livres. Les fauconneaux pourraient même être montés sur chandelier pour battre en plongée les environs immédiats du fort.

Un décompte des pièces maintenant mises en batterie, selon notre hypothèse, donne: 34 pierriers, 18 pièces de quatre livres et 12 faucons et fauconneaux. D'après l'évaluation de Vaudreuil (40 canons et 36 pierriers) il manquerait 12 pièces. On peut concevoir un besoin de pièces de rechange dans le feu de l'action et de pièces pour effectuer des sorties ou pour utiliser lors d'expéditions sans dégarnir le fort. Il n'en demeure

63 Franquet les qualifie effectivement d'embrasures. APC, MG4, C, Comité Technique du Génie, MS210, «Plan du fort de Chambly» (1752).

64 Pour des raisons semblables, Chaussegros de Léry recommande en 1731 un armement consistant en canons pour les embrasures du haut et en pierriers pour celles du bas de la redoute proposée pour la Pointe-à-la-Chevelure. AN, Colonies, C"A, 54: 338-342, Beauharnois et Hoc-quart au Ministre, 14 novembre 1731.

Page 23: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

42 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

pas moins que Vaudreuil surévalue la capacité du fort en terme de puis­sance de tir. L'armement demandé par Chaussegros de Léry fils (16 pièces de quatre livres et 30 pierriers) paraît plus vraisemblable en fonc­tion des besoins réels du fort. Même si le concept de défense de Cham-bly exige un armement imposant, il était peu probable que le fort soit attaqué simultanément sur quatre fronts.

Enfin, le feu des meurtrières appuie celui des embrasures. En 1712, le fort compte 88 grandes meurtrières et 40 petites, situées surtout dans les courtines. Nous avons déjà vu, dans la partie traitant de la géométrie du fort, l'équilibre et la complémentarité recherchés entre le tir de fusil des courtines et le tir de canon des flancs des bastions.

La garnison

Toutes ces ouvertures pour le feu nécessitent évidemment un com­plément d'hommes plus important que celui de la plupart des forts cana­diens de l'époque. Le total de 500 hommes identifiés par Vaudreuil en 1712 et par Chaussegros de Léry en 1720 est vraisemblable, non en tant que garnison habituelle mais en fonction d'un corps de troupes pour défendre le fort lors d'un assaut. Le tir du canon exige au moins un canonnier et son aide-canonnier. Le nombre de «pionniers» nécessaires pour changer le canon de position peut varier selon la pesanteur de la pièce et de son affût. Quoi qu'il en soit les soldats aux meurtrières des bastions peuvent assister au maniement des canons. Idéalement le tir du pierrier demande trois hommes. Les meurtrières peuvent accom­moder, en rotation, deux ou trois soldats; alors qu'un premier fait le feu les autres chargent leurs armes.

Si nous retenons le chiffre de 500 hommes comme une déduction tactique réelle, élaborée en fonction des caractéristiques défensives du fort, la distribution la plus vraisemblable des soldats et artilleurs est la suivante: trois hommes par embrasure ou fenêtre et deux hommes par meurtrière pour un total de 442. Le commandement et la logistique compterait une cinquantaine d'officiers et soldats.

Si un complément de 500 hommes représente une réalité lors d'une attaque, leur logement dans le fort crée un problème. En effet, en 1720, Chaussegros de Léry précise que le fort peut loger de 300 à 400 hommes . L'ingénieur anglais John Marr, en 1773, estime que le fort ne peut loger que 120 hommes et qu'alors les officiers seraient entassés66. Ces chiffres se contredisent et une évaluation du potentiel de logement du fort exige l'utilisation de normes de logement.

65 AN, Colonies, CnA, 42: 92-94, «Mémoire touchant le fort de Chambly» (Chaussegros de Léry), joint à la lettre de Vaudreuil et Bégon du 26 octobre 1720.

Margaret Duffet, «Fort Chambly during the Revolutionary War», dans Fort Chambly: Interpretation Papers, 75.

Page 24: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 43

En France, Vauban est le premier à établir des normes d'espace pour le casernement des troupes. Son plan modèle de casernes, élaboré depuis 1679, est reconnu par les autorités françaises67. La chambre de caserne de Vauban mesure 22 pieds de long sur 18 de profondeur. Elle comporte quatre lits et une cheminée servant à la fois au chauffage et à la cuisson des aliments68. On recommande trois soldats par lit; alors que deux soldats se servent du lit, le troisième fait la garde. La chambre de caserne de Vauban établit ainsi une norme de 33 pieds carrés par soldat, à trois par lit. Les soldats en chambre disposent en réalité de 49.5 pieds carrés d'espace, puisque un soldat sur trois est de garde.

Le fort de Chambly de 1710-1711, comporte au total 7 038 pieds carrés d'espace de logement pour les troupes69. Cet espace de loge­ment, suivant les normes de Vauban, permet de loger 213 hommes. Alors que 142 sont dans les chambres, 71 font la garde. En fonction de ces normes, l'espace de logement du fort paraît nettement insuffisant. Mais les autorités coloniales ne sont pas contraintes à suivre les normes de Vauban. D'ailleurs, une ordonnance française en 1716 précise que dans les bâtiments convenables pour caserner les troupes, on place autant de lits que «la grandeur des chambres en peut contenir avec une table, deux bancs et une cheminée»70. C'était implicitement ce qu'avançait Chaussegros de Léry pour un plan modèle de caserne dans son traité de fortification. En effet, Chaussegros n'accorde que 20 pieds carrés par soldat, à deux par lit71. En appliquant cette dernière norme à Chambly, le fort peut loger 352 soldats, sans compter la garde, qui sur une gar­nison de 500 s'établit à 166 soldats. Par ailleurs, il y avait toujours la possibilité d'utiliser des lits superposés au rez-de-chaussée, ce qui aug-

67 Une analyse du plan de casernes de Vauban et de son application en Nouvelle-France et particulièrement à Québec se trouve dans André Charbonneau et al., op. cit., 377-379 et Yvon Desloges, L'habitat militaire à Québec au XVIIIe siècle, rapport inédit #431 (Parcs Canada, 1981), 97 à 101. Voir aussi P. Truttman, Fortification, architecture et urbanisme aux XVIIe et XVIIIe siècles (Thionville, Service culturel, 1977), 31-35, 73-74.

68 B.F. de Bélidor, La Science des Ingénieurs dans la conduite des travaux de fortification et d'architecture civile (Paris, C.A. Jombert, 1729), 73-75.

69 Ce chiffre a été établi à partir de l'analyse des plans du fort de 1718, 1734, 1738 et 1750. Au rez-de-chaussée les espaces consacrés au logement du commandant, aux poudrières, aux bou­langeries, aux soutes de combustibles, aux latrines, aux vestibules, à la chapelle et à la rampe à canons, n'ont pas été comptés en termes d'espace de logement pour les troupes. Par contre l'espace consacré au corps de garde a été retenu. Au total une surface de 3 186 pieds carrés au rez-de-chaussée peut être consacrée au logement des troupes. À l'étage, une bonne partie de l'espace disponible est occupé par des corridors, la mise en place des plates-formes à canons et le fonc­tionnement de tout l'appareil défensif du fort. Le reste se subdivise en logements, d'ailleurs bien indiqués sur les plans. À noter que tout logement comporte une cheminée. Seule la pièce située au-dessus de la chapelle en est démunie. Cette pièce servait probablement de grenier ou d'entrepôt pour les vivres. Ni les sous-sols ni les galeries du 2e étage des courtines n'ont été inclus dans nos calculs.

70 Pierre de Briquet, Code militaire ou compilation des ordonnances des Roys de France concernant les gens de guerre, I, titre IX: 69.

71 Yvon Desloges, op. cit., 110.

Page 25: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

44 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE

ESPACE DE LOGEMENT

AU REZ-DE-CHAUSSÉE

1738

PLAN DE L' ETAGE AU REZ-DE-CHAUSSEE

ECB « ^

0 D 0

IP D r>— u—

c —I

2

fl-JM

7̂= 7̂= 7̂ e r ^ p

- ^

10 toises

_ l

8 3 - 1 6 6 - 0 5 , F.Peller,

Page 26: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 45

menterait l'espace habitable à ce niveau72. En considérant tous ces fac­teurs, le fort dispose d'un espace de logement suffisant pour accom­moder un contingent de 500 soldats, en période d'alerte. Enfin, quant à l'affirmation de Vaudreuil que «1 000 y peuvent estre a couvert en cas de besoin»73, la place d'armes de 300 toises carrées pourrait en cas de nécessité mettre à couvert 500 soldats de plus.

Un contingent aussi important en hommes exige bien sûr des vivres pour leur subsistance et des munitions de guerre en quantité importante. Vaudreuil et Bégon n'y voient pas de problème. Ils notent que le fort peut en entreproser suffisamment pour ce contingent pendant un an74. Leur propos paraît exagéré même si le fort compte deux poudrières, deux boulangeries, deux soutes à combustibles, des caves pour les légumes et viandes salées. Les rations des soldats en temps de guerre et leurs besoins en munitions pour une période d'attaque soutenue peu­vent être calculés mais nos données sont insuffisantes pour évaluer l'es­pace que ces vivres et munitions occuperaient. D'ailleurs l'exercice serait futile, des assauts se prolongeant sur une période d'un an étant invraisemblables dans les conditions de guerre de la vallée du Riche­lieu. Vaudreuil et Bégon cherchent sans doute à impressionner le Ministre en signalant qu'ils respectent les normes établies pour les places de guerre afin de soutenir un blocus75, même si ce dernier ne fait pas partie de la stratégie anglaise.

Le fort de Chambly et la défense du Richelieu 1711-1744

Le fort Chambly n'est qu'un élément, quoique le plus important, dans le cadre de la stratégie et de la tactique de défense contre une invasion par la voie du Richelieu. Vaudreuil atteste cet état de fait quand il mentionne que le fort doit fonctionner en conjonction avec un corps de 700 à 800 hommes qui harcèlerait l'ennemi et pourrait au besoin retraiter dans le fort76. La stratégie est confirmée par tous: empê­cher l'ennemi de traverser le rapide de Chambly, dernier obstacle pour accéder au Saint-Laurent. La possibilité que l'ennemi fasse un portage et laisse le fort derrière lui est envisagée; le rôle du fort serait alors de couper ses convois d'approvisionnement, de l'incommoder et de le har­celer dans sa retraite. Il en ressort aussi que les autorités coloniales

72 On retrouve des lits superposés dans les casernes de Louisbourg. Blaine Adams, The Construction and Occupation of the Barracks of the King's Bastion at Louisbourg, Canadian Historic Sites no 18 (Ottawa, Parks Canada, 1978): 98-99.

73 AN, Colonies, CnA, 33: 26-21, Vaudreuil et Bégon au Ministre, 12 novembre 1712. 74 Ibidem. 75 Adam Fritach, op. cit., 66, écrit à ce sujet: «Le moins de vivres dont les magasins des

forteresses doivent estre fournies, c'est que l'on s'y puissent entretenir an & jour...» Vauban différencie entre les besoins pour résister à un siège et ceux pour résister à un blocus. Le premier est établi en fonction de sa théorie sur la durée d'un siège (48 jours); le deuxième exige des approvisionnements pour une période d'un an. Traité de la Défense des Places, 71 à 96.

76 AN, Colonies, C 'A , 33: 26-27, Vaudreuil et Bégon au Ministre, 12 nov. 1712. 77 Ibid., 42: 92-94, «Mémoire touchant le fort de Chambly» (1720).

Page 27: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

46 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE

ESPACE DE LOGEMENT SELON =

CHAUSSEGROS DE LERY 1738.

Page 28: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 47

doivent élaborer une tactique visant à empêcher le portage ennemi. Une telle tactique est préconisée pour la défense de Chambly lors de l'alerte de 171178.

On n'aura plus à élaborer une tactique de défense pour le fort de Chambly après cette date. Non que le fort devienne désuet après le traité d'Utrecht; au contraire, il joue toujours un rôle dans la stratégie de défense même après la construction d'un fort à la Pointe-à-la-Chevelure79. Cependant, la situation change du fait que le fort Saint-Frédéric aura dorénavant à subir le premier choc. Si, en 1744, on dému­nit le fort de Chambly de son artillerie en faveur de Saint-Frédéric, c'est que la colonie souffre de nouveau d'une pénurie de pièces d'artillerie. Quoiqu'il en soit, à partir de cette date, on se pose de sérieuses ques­tions sur la validité des ouvrages du Richelieu et du lac Champlain80. La possibilité d'un siège transforme complètement la stratégie et la tactique de défense. Si on appréhende un siège, c'est que les conditions de guerre ont évolué, surtout au niveau des forces en présence et des moyens de guerre. Entre 1755 et 1760, les effectifs de l'armée britan­nique d'invasion sur le front du lac Champlain varient entre 3 000 et 6 000 soldats, sans compter les Amérindiens. Le nombre de soldats réguliers est beaucoup plus élevé qu'à l'époque de la construction de Chambly: en 1760, par exemple, l'armée de Haviland compte 1 500 réguliers81. Quant aux trains d'artillerie, il ne s'agit plus de quelques pièces légères de quatre livres et de petits mortiers Coehorn. Le train de 1755 comporte des canons de 6,12,18 et 32 livres, des mortiers de 7, 8, 10 et 13 pouces et des obusiers82. Ni Chambly ni Saint-Frédéric ne pouvaient résister à de telles forces et à de tels moyens d'attaque. Contre des canons de siège la défense d'une place nécessitait d'épais remparts. La qualité de résistance des masses de terre d'ouvrages clas­siques devait primer sur la puissance de tir d'ouvrages tels que le fort de Chambly et le fort Saint-Frédéric. Chambly capitulera devant l'ar­mée britannique en 1760.

Conclusion

Le fort de Chambly a été conçu pour répondre à un objectif de défense spécifique, suite à une évaluation stratégique et tactique judi­cieuse fondée sur la nature du terrain, les forces en présence, les moyens

Cette tactique élaborée par Claude de Ramezay, gouverneur de Montréal, est décrite dans AN, Colonies, C"A, 32: 113, Ramezay à Vaudreuil, 4 septembre 1711.

79 Ibid., 61: 304v-308, Beauharnois au Ministre, 10 octobre 1736; 65: 138v-139, Beauhar-nois au Ministre, 15 octobre 1736; 73: 328, Beauharnois au Ministre, 31 octobre 1740.

80 Ibid., 81: 142-143, Beauharnois au Ministre, 8 octobre 1744. 81 Guy Frégault, Histoire de la Nouvelle-France, IX, La guerre de la conquête 1754-1760

(Fides, Montréal, 1955), 382; George F.G. Stanley, New France, The last Phase, 1744-1760 (The Canadian Centenary Series, Toronto, McClelland and Stewart 1968), 101 et 234.

82 T.B. Lewis, «The Crown Point campaign 1755, IV, Indians, Artillery and Transporta­tion», dans The Bulletin of the Fort Ticonderoga Museum, XII, 6 (octobre 1970): 400-426.

Page 29: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

48 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMÉRIQUE FRANÇAISE

de guerre et surtout le type d'attaque prévu: l'assaut d'infanterie. Le fort de Chambly ne fut pas conçu pour résister au canon de siège.

L'analyse des caractéristiques défensives du fort démontre la mise en application des principes bien reconnus de l'art de la fortification classique. La géométrie du fort est «régulière» et le flanquement adé­quat selon la méthode proposée par le comte de Pagan, précurseur et inspirateur de Vauban. Le flanc tracé perpendiculairement à la ligne de défense, défend le plus directement possible la face du bastion opposé. Le fort est bien orienté en fonction de la nature du terrain, la présence des rapides est utilisée avec avantage. La porte est bien située; l'exi­guïté de Tespace entre la porte et le bassin sert de façon avantageuse. De plus, l'aménagement d'un petit fossé, d'un pont-lévis et d'un machi­coulis sert de précaution contre la surprise. Au besoin, l'armement du fort peut être concentré sur deux fronts de façon à défendre les approches sud et est, les plus exposées à un assaut.

Par ailleurs, l'adaptation à une situation de guerre coloniale se voit dans l'option architecturale de base. L'ouvrage est essentiellement une fortification verticale, rappelant les hauts murs médiévaux, par oppo­sition à la fortification classique de terre élaborée en profondeur pour résister aux techniques de siège. Cette option est adoptée en fonction de la prémisse stratégique qui veut que l'ennemi ne puisse effectuer un siège car il ne peut transporter sur place l'artillerie lourde de brèche indispensable à cet effet. Il s'agit aussi d'un ouvrage en maçonnerie et non en pieux, pour répondre à la nécessité de résister aux compositions pyrotechniques de l'ennemi et à la petite artillerie qu'il pourrait utiliser contre le fort.

À Chambly, on opte pour un fort compact (petit en comparaison avec les forts européens) mais dont la défense, élaborée en hauteur, permet un étagement de tir quantitativement important. Contre une attaque de vive force d'infanterie, les autorités coloniales préfèrent un feu nourri de canons et de fusils à une artillerie visant la destruction d'ouvrages de siège. Cette option se reflète dans le choix de pièces d'artillerie et particulièrement dans le grand nombre de pierriers à boîte, arme antipersonnel par excellence dont la rapidité de tir, la grande maniabilité et le type de projectile trouvent surtout avantage dans les environs immédiats du fort contre un assaut en masse. Enfin, le fort est conçu pour abriter, pendant une période de temps évidemment moins longue que ne nous l'indique Vaudreuil mais sans doute suffisante en fonction des conditions de guerre locales, un corps de troupes défini (500 hommes) pour y assurer la défense en conjonction avec un corps à l'extérieur du fort qui harcèlerait l'ennemi.

Tout cet armement et ce contingent de troupes ne relèvent évidem­ment que d'un idéal stratégique et tactique. Ils découlent donc d'une hypothèse selon laquelle le fort pourrait être attaqué sur ses quatre fronts

Page 30: Art militaire et technique de guerre : le fort de Chambly de 1710 … · 22 REVUE D'HISTOIRE DE L'AMERIQUE FRANÇAISE plus, le dessin même du fort accuse son archaïsme et, du même

ART MILITAIRE ET TECHNIQUE DE GUERRE... 49

en même temps par une force hétéroclite d'environ 2 000 hommes de troupes, de milices coloniales et d'Amérindiens et dont la tactique de guerre contre le fort serait l'assaut. Mais plus important, cette analyse aide à comprendre le concept du fort dont le principe de la résistance ne se situe pas dans ce que le théoricien français de la fin du XVIIIe

siècle, Montalembert, appelle la «vertu passive» de la fortification clas­sique, élaborée en profondeur83, mais réside surtout dans la puissance potentielle de son feu.

83 Louis Grodecki, «Vauban urbaniste», dans XVIIe siècle, Bulletin de la Société d'Étude du XVIIe siècle (juillet-octobre 1957), 36-37: 331-332.