ANNALES D'HISTOIRE
?CONOMIQUE ET
SOCIALE
Tome 1
1929
R?impression
Schmidt Periodicals GmbH D-83075 Bad Feilnbach / Allemagne
1997
R?impression publi?e avec l'accord de l'Editeur Armand Colin, Paris.
ANNALES
D'HISTOIRE ?CONOMIQUE
ET SOCIALE
ANNALES
D'HISTOIRE ?CONOMIQUE
ET SOCIALE
Revue trimestrielle
Directeurs :
Marc Bloch ? Lucien Febvre
TOME PREMIER
Ann?e 1929
LIBRAIRIE ARMAND COLIN
103, Boulevard Saint=Michel, PARIS
No 1. 15 Janvier 1929.
ANNALES
D'HISTOIRE ?CONOMIQUE
ET SOCIALE
A NOS LECTEURS
Gr?ce ? la largeur de vues d'un grand ?diteur, gr?ce ? un concours de collaborateurs fran?ais et ?trangers, dont Vempressement a ?t? pour nous une joie et un encouragement, nos Annales, dessein depuis long
temps m?ri, peuvent para?tre aujourd'hui et tenter d'?tre utiles. Nous en
remercions les auteurs v?ritables.
Encore un p?riodique, et qui plus est, un p?riodique d'histoire ?cono
mique et sociale ? Certes, nous le savons, notre revue, dans la production
fran?aise, europ?enne ou mondiale, ne vient pas la premi?re. Nous
croyons pourtant que, ? c?t? de ses glorieuses a?n?es, elle aura sa place
marqu?e au soleil. Elle s1 inspire de leurs exemples, mais elle apporte un
esprit qui lui est propre. Historiens Fun et Vautre, ayant fait sensiblement les m?mes exp?
riences et tir? d'elles les m?mes conclusions, nous sommes, depuis long
temps, frapp?s des maux qu'engendre
un divorce devenu traditionnel.
Tandis qu'aux documents du pass? les historiens appliquent leurs bonnes vieilles m?thodes ?prouv?es, des hommes de plus en plus nombreux consa
crent, non sans fi?vre parfois, leur activit? ? V?tude des soci?t?s et des ?conomies contemporaines : deux classes de travailleurs faites pour se
comprendre et qui, ? Vordinaire, se c?toient sans se conna?tre. Ce n'est
pas tout. Parmi les historiens eux-m?mes, comme parmi les enqu?teurs
que pr?occupe le pr?sent, bien d'autres cloisonnements encore : historiens
de l'antiquit?, m?di?vistes et ?modernisants? ; chercheurs vou?s ? la
description des soci?t?s dites ?civilis?es)) (pour user d'un vieux terme dont le sens chaque jour se modifie davantage) ou attir?s au contraire
par celles qu'il faut bien, faute de meilleurs mots, qualifier soit de ? pri mitives?, soit d'exotiques... Rien de mieux, bien entendu, si chacun, pra
ANN. D'HISTOIRE. - 1" ANN?E. 1
2 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
tiquant une sp?cialisation l?gitime, cultivant laborieusement son propre
jardin, s'effor?ait n?anmoins de suivre V uvre du voisin. Mais les murs
sont si hauts que, bien souvent, ils bouchent la vue. Que de suggestions pr?cieuses, cependant, sur la m?thode et sur Vinterpr?tation des faits, quels gains de culture, quels progr?s dans Vintuition na?traient, entre ces
divers groupes, d'?changes intellectuels plus fr?quents ! L'avenir de
l'histoire ?conomique est ? ce prix, et aussi la juste intelligence des
faits qui demain seront Vhistoire. C'est contre ces schismes redoutables que nous entendons nous ?lever.
Non pas ? coup d'articles de m?thode, de dissertations th?oriques. Par
l'exemple et par le fait. R?unis ici, des travailleurs d'origines et de sp?cia lit?s diff?rentes, mais tous anim?s d'un m?me esprit d'exacte impartia lit?, exposeront le r?sultat de leurs recherches sur des sujets de leur com
p?tence et de leur choix. Il nous para?t impossible que d'un tel contact les intelligences averties ne tirent pas rapidement les le?ons n?cessaires.
Notre entreprise est un acte de foi dans la vertu exemplaire du travail
honn?te, consciencieux et solidement arm?.
Les Directeurs.
LE PRIX DU PAPYRUS
DANS L'ANTIQUIT? GRECQUE 1
Les ?rudits se sont souvent demand? quel ?tait dans les pays de
la Gr?ce ancienne le prix du papier en fibres de papyrus2. La ques tion n'est pas seulement d'un grand int?r?t pour l'histoire de la civi lisation ; comme il s'agit d'une fabrication et d'un commerce exclu
sivement ?gyptiens, elle a aussi son importance dans l'histoire ?cono
mique et, comme on verra, dans l'histoire des relations internationales.
Jusqu'en 1912, on ne trouvait sur cette question, dans nos docu
ments tant litt?raires qu'?pigraphiques, que trois indications, d'ail leurs contradictoires. Tout en regrettant la raret? des renseignements, la plupart des auteurs soutenaient que le papyrus a ?t? cher de tout
temps. Seul, Gardthausen ?tait d'avis qu'il a ?t? cher avant et apr?s
la p?riode hell?nistique, mais que pendant quatre si?cles le bon march? de la mati?re premi?re et de la main-d' uvre, ainsi que les facilit?s de la fabrication, permirent ? l'Egypte ptol?ma?que de fournir au monde
m?diterran?en un produit bon march?. Lorsqu'en 1912 Durrbach eut
publi? les comptes des hi?ropes d?liens de 314 ? 250, j'ai fait observer, dans un article Sur le prix des denr?es ? D?los*, que ces comptes
fournissaient un bon nombre d'indications nouvelles sur le prix du
papyrus et donnaient un d?menti ? tous les auteurs qui s'?taient
occup?s de la question. Mais je suis oblig? de constater que cet arti
cle est rest? dans la p?nombre o? sont souvent plong?s les ?crits confi?s aux revues scientifiques : Schubart, dans son excellente Ein
f?hrung in die Papyruskunde, parue en 1918, dit encore (p. 39) : ? Ueber die Preise des Papyrus wissen wir trotz vereinzelten Anga
ben ungef?hr nichts. Billig war er nicht? ; et il donne les raisons de la
chert? qu'il admet pour toute l'antiquit?, sans distinction de temps. Maintenant que Durrbach a publi? une seconde s?rie d'inscriptions
i. Communication faite au Congr?s international des Sciences historiques ? Oslo (ao?t 1928).
2. Voir E m. Egge r, H ist. del?, critiqua chez les Grecs, 1349, p. 85 etss.; La, litt?r. grecque, p. 29 et ss. ; Sur le prix du papier dans l'antiquit? ( M?rn. d'hi3t. anc. et de philol., 1863, p. 135 139) ; Wattenbach, Einleit.zur griech. Paidogr., 3e ?d., 1895, p.il ; Zielinski, Neue Jahrb. f.
Mass. Alt., t. IX, 1906, p. 269 ; Th. Birt, Die Buchrotle in der Kunst, 1907, col. 7-8, 2G-29 ; DziATZKO, art. Archive dans la Realencycl. de Pauly-Wissowa, t. II, col. 553 etss. ; art. Buch et Buchhandel, ib., t. Ill, col. 975, 984 et ss. ; Untersuchungen ?ber ausgew?hlt Kapitel des antiken Buchwesens, p. 39-42 ; W?nsch, art. Charta dans Pauly-Wissowa, t. Ill, col. 2191 ;
WiLH. Schubart, Das Buch bei den Gnechenund R?mern, lre ?d., 1907, p. 27 et ss.; 2e ?d., p. 34 ss. ; Lafaye, art. Liber et Papurus, dans le Diet, des Antiq. ; V. Gardthausen, Griech. Palaeographie, 2e ?d., t. I, Das Buch im Alt. und im byzant. Mittelalter, 1911, p. 65-69.
3. Journ. des Sau., 1913, p. 28-29 ; cf. Alline, Hist, du texte de Piaton, 1915, p. 1-2, 65-66.
4 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
d?liennes (1926) et va en publier une troisi?me dont j'ai eu les
?preuves entre les mains, et qu'ainsi je dispose de donn?es nou
velles pour les ann?es 231-179, je voudrais reprendre la question dans l'ensemble. Il en vaut la peine, puisqu'aux trois indications de
jadis, qui s'appliquent aux ann?es 407, 333 et 322, s'en ajoutent ?
ind?pendamment de celles que fournit la papyrologie ? dix-huit
autres, qui se r?partissent sur treize ann?es comprises entre 296 et
179.
Nous savons que le papyrus ?gyptien ?tait import? en Gr?ce depuis le vie si?cle ; mais il y ?tait rare ? cause du prix. C'est pour cela, nous
dit H?rodote, que les Ioniens ont longtemps employ?, pour ?crire, des
peaux de brebis et de ch?vres (ot???pat), ce que font encore, ajoute t-il, les barbares, ?videmment ceux de l'Asie1. A la fin du ve si?cle, les pr?cieuses feuilles ?taient bien plus r?pandues en Gr?ce, mais restaient ch?res. En 407, les ?pistates pr?pos?s aux travaux de l'?rech theion en ach?tent deux pour y transcrire les copies de leurs comptes
qui doivent ?tre d?pos?s aux archives ; ils les payent 1 drachme 2 oboles la pi?ce2. C'est un prix ?lev? en un temps o? la journ?e de travail vaut une drachme, m?me pour un architecte3.
Il est vrai qu'on oppose ? ce prix, consign? dans un acte officiel, celui qu'on croit pouvoir d?duire d'un texte litt?raire. Platon fait dire ? Socrate qu'on peut trouver sur le carreau de l'agora le Trait? sur la nature d'Anaxagore pour une drachme tout au plus4. Dziatzko
a soutenu que, si le manuscrit valait une drachme, le papier n'en valait
certainement pas plus du tiers et que, le volume se composant de
plusieurs feuillets, le prix du feuillet n'atteignait pas une obole5. Mais les exemplaires dont Socrate parle avec le sourire sont des livres de rebut. Les bouquinistes du march? n'avaient pas le moins du
monde la pr?tention de tirer de bons ? rossignols ? le prix du papier neuf ni, ? plus forte raison, le prix du papier augment? du salaire
pay? jadis au scribe, salaire qui, ? lui seul, repr?sentait plus d'une
journ?e de travail. Platon nous donne donc un renseignement pr?
cieux sur la vente des livres d'occasion, il ne dit rien sur la valeur du
papyrus dans la Gr?ce de son temps. Le prix fort de l'an 407 se maintient encore pendant trois quarts
de si?cle. En effet, ? ?pidaure, d'apr?s les comptes de la Thym?l?,
i. H?r., V, 58, 3 ; cf. Eurip., fr. 629 ; Diod., II, 32. 2. IG, 1.1-, ii? 374, col. IX, 1. 279-281 :
~^?ox(zi Y)?ov?0?aav o?o, yje? | ? xa
?vxtypa<pa y]ev?ypaoaaa|ev f-HII* Cf. Birt, Buchrolle, p. 27.
3. Ib., col. VII, 1. 109-110. 4. Plat., ApoL, p. 26 d
' tcl
'Ava?ayopou ?i6Xia tou KXaCofieviou_
a e?s<rciv Ivio'ts, ?t rc?vu 7coXXou, opa^u.yj? ?x xrj? ?p^rjarcpac 7:ptap.?vot?.
? Sur r?p^7?arpa, voir Ju deich, Topogr. von Ath., p. 305, n. 13 ; Iwan von M?ller, Griech. Privatalt., 2e ?d., p. 253.
5. Dziatzko, Untersuch, p. 40-41 ; Cf. Wilamowitz, Hermesy t. XXI, 1886, p. 603, note ; Gardthausen, op. cit., p. 67-68.
LE PRIX DU PAPYRUS 5
on donne 4 1/2 oboles ?gin?tiques, c'est-?-dire une drachme et une
demi-obole attiques, pour une feuille sur laquelle doit ?tre consign? un cahier de charges1. On voudrait avoir ici une date certaine.
Malheureusement, tout ce qu'on croit savoir, c'est que l'achat en
question a ?t? fait dans la seizi?me au moins et, peut-?tre, dans la
vingt-sixi?me ann?e depuis le commencement des travaux en cours, et
que ces travaux ont commenc? vers 360 : donc vers 344-334 a. Voil?
qui est bien vague. Je crois pourtant qu'on peut pr?ciser. Quatre ans
avant cet achat de papyrus, les comptes mentionnent un achat de
plomb ? un prix double du prix ordinaire 3. Une telle hausse ne peut
s'expliquer que par une cause pareille ? celle qui a produit le m?me
effet dans les derni?res ann?es du ve si?cle, c'est-?-dire par un arr?t
total de l'exploitation mini?re dans le bassin du Laurion4. L'une
de ces crises a ?t? d?termin?e par la pr?sence des Spartiates ? D?c?lie et la d?sertion des esclaves ; l'autre n'a pu l'?tre que par l'arriv?e de
l'arm?e mac?donienne sur la fronti?re de l'Attique, apr?s la bataille de
Ch?ron?e. C'est donc quatre ans apr?s 438/7, en 434/3, que la feuille de papier valait ? ?pidaure plus d'une drachme attique. Ainsi,
pendant trois quarts de si?cle, le prix n'a presque pas vari?, au moins
en temps normal.
Mais tout ? coup, une dizaine d'ann?es apr?s, en 322, le plaidoyer contre Dionysod?ros nous apprend que les grands n?gociants d'Ath?nes
r?digent leurs contrats les plus importants sur des tablettes ? deux
chalques et sur des bouts de papier tout aussi bon march? 5. Est-ce l? une de ces exag?rations dont les avocats sont coutumiers ? Il est
bien possible, ? vrai dire, que le Pseudo-D?mosth?ne donne un prix r?el pour la tablette et un prix seulement approximatif pour le
papyrus. Mais il n'aurait pas os? parler comme il l'a fait, si le papyrus avait encore co?t? trente-deux fois plus, comme en 407, ou m?me
vingt-six fois plus, comme en 333. Pourtant, on pourrait toujours
ergoter l?-dessus, si nous n'avions pas d'autre indication dans le
m?me sens.
Le grand, l'inestimable avantage que pr?sentent les inscriptions de D?los dans l'histoire ?conomique de l'antiquit?, c'est qu'elles nous
donnent des s?ries de prix qui s'?chelonnent sur un si?cle et demi. Les diff?rences sont caract?ristiques, les hausses ou les baisses ont
toujours une signification qu'il importe de d?m?ler. J'ai pu montrer il y a quelques ann?es par un exemple typique6, celui d'une denr?e
1. IG, t. IV, n? 1485, 1. 159 : ̂ apx?ou ei? x?; auvj/fjpo'?ou? 'Avxtxpixcoi ||||C 2. Voir Pomtow, Klio, t. XII, 1912, p. 283 et ss. 3. IG, ?.c.,1. 131-132. Cf. 1.62-63, 109-110 (2 dr. 1 ob. oui ob. 1/2). 4. IG, t. Ia, col. IX, 1. 286-289 (5 dr.). Cf. Dittenberger, Sylloge, 2? ?d., n? 587,
1. 176-177 ; Ps. Arist., ?conom., p. 1353 a, 15. 5. Ps. D?m., C. Dionysod., 1 : ?v ypapLpuxxE coito Suotv -?aXxoiv ?covT)pt.?vto xai ?uSXiocto
puxptT>. Cf. Dziatzko, Untersuch, p. 41-42. 6? Rev. dea Et. gr., t. XXIX, 1916, p. 281-325.
6 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
aussi infime que la poix, comment la mercuriale d?lienne refl?te l'histoire de la Gr?ce pendant un si?cle. On va voir que les variations
de prix subies par le papyrus ne sont pas non plus sans importance.
Les premi?res indications que nous fournissent sur le prix du
papier les hi?ropes de D?los datent de l'an 296. Elles sont pour cette
ann?e au nombre de deux, et toutes deux conformes ? celle que nous
donnait l'orateur de 322. Io Une feuille (ydpz-q?) est pay?e ? un prix qu'une mutilation de la pierre rend incertain, mais qui est peut-?tre d'une obole et en tout cas demeure au-dessous d'une drachme1.
2? Pour une drachme, on a plusieurs rouleaux (?SXla)2, c'est-?
dire au moins deux rouleaux d'au moins deux feuillets et probable ment de plus de deux feuillets : le feuillet vaut donc 1 obole 1 /2 au maximum ; mais il est bien plus vraisemblablement d'un prix inf? rieur et peut m?me ?tre, comme en 322, d'un simple t?tart?morion.
Voil? donc une p?riode de vingt-six ans au moins (322-296) pour
laquelle un prix bas est certifi?. Mais cette p?riode est exceptionnelle. A partir de l'an 279 et jus
qu'en 179, les comptes de D?los nous donnent seize prix pour douze ann?es. Tous ces prix sont sup?rieurs, non pas seulement et de beau
coup ? ceux de la p?riode pr?c?dente, mais m?me ? ceux de 407 et 333.
Deux fois (267, 231) on a pay? la feuille. 1 dr. 3 ob. 3
Cinq fois (274, 250, 200, 179). 1 dr. 4 ob. 4
Une fois (250) . 1 dr. 4 ob. 1 /4 5
Une fois (250). 1 dr. 5 ob. 6
Une fois (218). 1 dr. 5 ob. 1 /2 7
Deux fois (279, 204). 2 dr. 8
Deux et probablement trois fois (269, 258,
224-222). 2 dr. 1 ob. 9
Une fois (267). au moins 10 dr. 10
On a ainsi une s?rie de prix qui comporte sept degr?s, de 9 ?
1. IG, t. XI, ii, n? 154, A, 1. 24 : y?o-zf^ |_. 2. Ib., 1. 34 : [?]iSXc'a. h 3. 75., ii? 205, Bb, l. 7 ; laser, de D?los, n? 316, 1. 70 :
/?pxr,; |? III 4. IG, !. c, n? 199, A, 1. 22 :
yapxia xpta T ; n? 287, A, 1. 50 : y?pxir?; Mill i **>., 1.84 :
y?pxou hllll ; Inscr. de D?los, n? 372, A, 1. 75 : -/apxojv ?|, hhhll ? n? 442,
A, 1. 182 : yapxwv P (s?rement au nombre de 3). 5. IG, l. c, n? 287, C, 1. 1 :
yapxri(?) H MIT 6. Ib., A, 1. 52 :
/apTrj? H II II 7. /nscr. cic i;?tos, n? 354,1. 59 : yaoxcjv j-hH (vraisemblablement au nombre de 2). 8. IG, l. c, n? 161, A, 1. 112 :
"?apxia ?uo. hhhh- ? n? 204, 1. 60 : y?pxac 8?o,
""PI hhhh 9. ib., n? 203, A, 1.56 : yjxp-ia. -e'vxe, ?v? : f? ?? I : y\ t.xgcl xtavj : A|||||:;
n? 224, A, 1. 28 : ^apXTj?. hhh ; Inscr. de iJ?Zos, n? 338, Aa, 1. 19 :
ydpxou ||| (M. Durrbach a bien voulu, ? ma pri?re, v?rifier ce chiffre sur son estampage ; il re conna?t aujourd'hui au moins aussi bien des |- que des | : les lectures hhh ou Ml ne
sont autoris?es par aucun exemple ; la restitution \-\r\ est donc la plus probable). 10. IG, L c, n? 205, Bb, 1. 2 :
y^dpzr\; A.
LE PRIX DU PAPYRUS 7
13 oboles ; apr?s quoi, par un bond ?norme, on arrive au prix unique de 10 drachmes. Il ne faut point croire, d'ailleurs, qu'au cours de ce
si?cle le prix ait vari? selon les temps : il est de 1 drachme 4 oboles aussi bien en 274 qu'en 179, il va dans la m?me ann?e 250 de 1 drachme 4 oboles ? 1 drachme 4 oboles 1 /4 et 1 drachme 5 oboles ; bien mieux, dans la m?me ann?e 267, on trouve le plus bas et le plus ?lev? de tous. Ce dernier prix doit, au reste, ?tre mis ? part : il n'a pu ?tre demand? 10 drachmes ou davantage que pour la qualit? de papyrus qu'une renomm?e s?culaire pla?ait au-dessus de toutes les autres, celle qui avait une largeur de 11 doigts (0 m. 20) et se distinguait par la finesse, la solidit?, la blancheur et le poli1, celle qui ?tait r?serv?e en
Egypte pour les livres sacr?s et les actes de l'autorit? royale, le -/apir^
Upa-cixo? ou f:acr.Xixo?2. Quant aux autres prix, ils ont pu ?tre
demand?s pour le papyrus de bonne qualit? ordinaire, ? la marque de ? l'Amphith??tre ?, qui se fabriquait pr?s de l'amphith??tre d'Alexan
drie et qui avait 9 doigts de large (0 m. 17) 3. Par cons?quent, si le papyrus a ?t? bon march? en Gr?ce depuis
le dernier quart ou le dernier tiers du iv? si?cle, il est redevenu cher dans le premier quart du me, et cette fois pour toujours. Avant de nous demander comment s'explique la p?riode de baisse constat?e dans les ann?es 322 et 296, pr?cisons les dates extr?mes de cette
p?riode. On a vu par les inscriptions qu'elle peut s'allonger de dix ans ab initio et de seize ans a fine. Mais, si rien n'emp?che de la faire commencer d?s 332, il ne para?t pas qu'elle ait dur? jusqu'en 279. Les comptes d?liens de l'an 281 auraient pu, ? cet ?gard, nous donner un renseignement pr?cieux : ils mentionnent un achat de papyrus ; mais ils sont mutil?s juste apr?s le mot y/^^, ? la place du prix4. Au cas o? ils auraient port? un prix bas, ils auraient dat?, ? deux ans
pr?s, l'?v?nement qui modifie si fortement le prix du papyrus. Mais il est plus probable qu'ils portaient d?j? un prix fort. Nous savons,
on effet, que quelques ann?es auparavant le papier n'?tait pas en
Gr?ce un objet de consommation courante pour les petites bourses.
Bon gr? mal gr?, les pauvres gens faisaient comme ? l'?poque loin taine de l'ostracisme, ils ?crivaient sur des morceaux de pots cass?s.
En 283 ou 282, quand Cl?anthe commen?a de suivre les le?ons du
Portique, il n'avait d'autre mati?re ? sa disposition, pour recueillir les pens?es de son ma?tre Zenon, que des tessons de vases et des omo
plates de b ufs : r?duit ? travailler pour vivre, le papyrus ?tait trop cher pour lui5. Cette anecdote pourrait bien r?duire de trois ou
1. Telles sont, d'apr?s Pline (XIII, 78), les qualit?s qu'il faut demander au papyrus. 2. Cf. Lafaye, art. Papyrus, p. 320. 3. Cf. ibid. 4. IG, l. c, n? 159, A, 1. 37. 5. Diog. Lafirce, VII, 174 : tout?v ?aarv s?? oaxpaxa xat ?otov (LaoirX?xa; yp?cstv
arap rjxous tzcl?cl xou Z7)vtovo?, inopia XEpu?xcov coax? tov7?<3aa6at y_apxta.
8 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
quatre ans l'intervalle dans lequel se place le retour aux prix forts. C'est du c?t? de l'Egypte qu'il faut nous tourner pour comprendre
ce qui s'est pass? une premi?re fois dans l'intervalle de 333 ? 332, une seconde fois quarante ou cinquante ans plus tard. Car la fabrica tion et la vente du papier ?taient une industrie et un commerce exclu
sivement ?gyptiens1. Or, tout indique qu'en Egypte le papier pouvait revenir tr?s bon
march?. La culture de la plante ?tait fort r?pandue dans le Delta ; le travail demandait du soin, mais n'?tait pas compliqu? ; la main d' uvre ?tait abondante et ne co?tait gu?re que les frais d'entretien. Le prix de revient n'?tait donc pas ?lev?. C'est m?me cette raison qui a fait croire ? Gardthausen qu'avant d'?tre exploit? par le fisc imp? rial, le papyrus fut d'un prix extr?mement mod?r?. Mais l'hypoth?se
n'est juste, comme on vient de le voir, que pour un temps limit?. Elle ne l'est ni pour les ann?es ant?rieures ? 332-322 ni pour les ann?es
post?rieures ? 296-282. Pourquoi ? C'est que le monopole qui devait rendre le papyrus si cher sous
les empereurs romains existait d?j? sous les pharaons et fut recons titu? sous les Lagides. On voit d?s lors ce qui s'est pass? entre 333 et 322 et a d?termin? une ?norme baisse du papier. Tout simplement ceci : dans l'hiver 332-331, Alexandre a ouvert toutes grandes les
portes de l'Egypte et fait affluer sur le march? grec les marchandises de l'Orient. En rempla?ant les administrations nationales par la domination mac?donienne, il a mis fin aux monopoles qui enrichis saient de temps imm?morial le tr?sor des temples et la cassette royale.
Alors commence pour la fabrication et la vente du papyrus un r?gime de libert? qui dure encore au commencement du ine si?cle. Nous savons par ailleurs et nous constatons dans les comptes de D?los
que Ptol?m?e, fils de Lagos, satrape ind?pendant depuis 311, roi
depuis 305, n'avait pas encore r?organis? les monopoles en 296. Autre
ment, dans une ann?e o? le ma?tre des ?les, Demetrios Poliorc?te, se trouvait en ?tat de guerre avec le ma?tre de l'Egypte, le papyrus, plus cher d?j? qu'en 322, e?t ?t? d'un prix quasiment inabordable.
Tout semble indiquer que Ptol?m?e S?ter ne changea pas de poli tique fiscale jusqu'? son abdication en 285. Son successeur, au con
1. Depuis que cet article a ?t? lu au Congr?s d'Oslo, j'ai trouv? par hasard, dans un texte qui m'avait compl?tement ?chapp?, une ?clatante confirmation des rapports ? ?ta blir entre le prix du papyrus sur le march? grec et la situation de l'Egypte. A la fin d'une lettre, adress?e ? Philippe de Mac?doine dans la seconde moiti? de 343, le philosophe Speusippos d?clare que ? le papier lui manque? pour ?crire tout ce qu'il voudrait, ? tant est grande la disette de papier que le roi ( Artaxerx?s) a cr??e par la conqu?te de l'Egypte i ? (VoirE. Bickermann et Joh. Sykutris, Speusipps Brief an K?nig Philipp, Berichte der
Sachs. Afead, der Wissensch. zu Leipzig, Philol.-hist. Klasse, t. LXXX, 1928, fase. III, p. 12, ? 14 ; pour la date, voir p. 30 et ss.). Ce texte est d'une tr?s grande valeur pour notre recherche. Non seulement il nous laisse deviner que le papyrus pouvait atteindre un prix formidable dans la p?riode ant?rieure au dernier tiers du ive si?cle ; mais c'est le seul document qui nous dise en toutes lettres que nous avons raison, dans la question qui nous occupe, de mettre l'histoire ?conomique en relations avec l'histoire politique.
LE PRIX DU PAPYRUS 9
traire, revint aux traditions pharaoniques. Nous savions par les
Revenue Laws que, la vingt-septi?me ann?e de son r?gne, Ptol?m?e
Philadelphe donna une constitution d?finitive ? certains monopoles. C'?tait une r?forme, non une cr?ation. Le prix pay? pour le papyrus en 279 et l'anecdote de Cl?anthe nous apprennent que le monopole du
papier ?tait d?j? r?tabli la sixi?me, peut-?tre m?me la deuxi?me ann?e du r?gne. En tout cas, il fallait bien une raison de ce genre pour que le prix du papyrus f?t si ?lev? en 279, puisqu'? cette ?poque le com
merce des ?les avec l'Egypte ?tait facilit? par d'excellentes relations, comme le prouvent l'invitation adress?e aux N?siotes et accept?e par eux d'assister officiellement aux f?tes olympiques d'Alexandrie et la fondation des Ptol?maia ? D?los1.
Nous poss?dons assez de renseignements sur le monopole du papy rus au temps des Lagides pour qu'il soit impossible d'en r?voquer l'existence en doute. La mati?re premi?re ?tait achet?e aux particu liers d'apr?s le tarif fix? par l'administration royale ; le travail se fai sait dans les ateliers publics, sauf le privil?ge r?serv? aux pr?tres de
pourvoir par leurs moyens aux besoins des temples ; la vente ?tait assur?e par des d?taillants qui s'approvisionnaient dans les magasins du roi2. Le prix de vente se r?gla donc bien moins sur le prix de revient que sur le b?n?fice r?clam? par le fisc.
Aussi ne pouvait-on se procurer du papier bon march? m?me en
Egypte. On a souvent observ? que, sans la n?cessit? de faire des ?co
nomies, les sujets des Lagides n'auraient pas constamment ?crit sur le verso de leurs feuilles ni surtout recouru ? la mis?rable pratique du palimpseste. Ils auraient encore moins fait un tel usage des
ostraca, s'ils avaient eu ? leur disposition une mati?re plus commode ? un prix mod?r?. Enfin, dans un pays o? le respect des morts fut
toujours pouss? jusqu'au scrupule le plus d?licat, les embaumeurs n'auraient pas envelopp? les momies de vieux papiers mis au rebut,
s'ils avaient pu en avoir de neufs ? bon compte.
Pr?cis?ment, les indications que nous poss?dons sur le prix du
papyrus en Egypte sont bien en rapport avec celles que nous donnent les inscriptions de D?los pour la m?me ?poque. On trouve, entre les unes et les autres, tant?t la diff?rence normale qui repr?sente le droit de sortie, les frais de transport et le b?n?fice de l'interm?diaire, tant?t une diff?rence exceptionnellement forte qu'explique une perturbation des relations commerciales caus?e par les ?v?nements politiques. En
251-250, tandis que les comptes des hi?ropes d?liens donnent deux fois le prix de 1 drachme 4 oboles, une fois celui de 1 drachme 4 oboles 1 /4 et une fois celui de 1 drachme 5 oboles, les comptes de Zenon men
1. Voir Rev. des ?L gr., l. c, p. 308-309. 2. Voir Dziatzko, Untersuch, p. 98 ; Bouch?-Leclercq, Hist, des Lagides, t. III,
p. 267 ; Wiloken, Grundz?ge, 1.1, i, p. 255-256.
10 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
tionnent le prix de 1 drachme 1 obole1. La diff?rence n'est gu?re
plus grande au ne si?cle : tandis qu'on paie ? D?los 1 drachme 4 oboles la feuille, prix de d?tail, une administration ?gyptienne paie 100 drachmes pour 100 feuilles, 1 drachme par feuille, prix de demi
gros2. Il est vrai qu'? certains moments le prix s'abaisse dans le
pays de production au-dessous de 1 drachme. Un compte du Fayoum
indique comme prix de la feuille format ordinaire (ydz-r\?) 4 oboles 3/4 ou 3/8, et comme prix des feuillets petit format (yapx?o-.ov) 1 obole le feuillet et 8 drachmes la main de 48 ou peut-?tre de 50 feuillets 3.
Faute de date pr?cise, nous ne pouvons, dans ce cas, faire de compa
raison. Mais, vers 259-258, nous trouvons un ?cart ?norme. Les
comptes de D?los portent, en 258, le prix consid?rable de 2 drachmes 1 obole, peut-?tre bien parce que l'Egypte est impliqu?e dans les ?v?nements de Cyr?na?que et que les risques de guerre entravent le commerce
gr?co-?gyptien. Vers le m?me temps, les comptes de Zenon
mentionnent un achat de papyrus que l'?diteur croit pouvoir ?valuer,
malgr? les difficult?s de lecture qu'il signale loyalement, ? 40 drachmes les 60 feuilles, donc ? 4 oboles la feuille4. Si le nombre ? ? 60 doit vraiment ?tre conserve pour la quantit?, on
peut songer, pour le
prix, ? remplacer u. par v, ou 40 par 50, ce qui serait plus conforme ?
la mercuriale du temps. Il n'est pas impossible pourtant que le me si?cle avant l'?re chr?tienne ait d?j? connu ce prix de 4 oboles qui est certifi? pour le milieu du ne si?cle apr?s J.-C.5. En tout cas,
depuis le r?gne de Ptol?m?e Philadelphe, le tarif des papyrus en
Egypte ? m?me si, de 1 drachme 1 obole au plus haut, il descend ?
4 oboles au plus bas? reste encore bien au-dessus des prix qu'on payait dans les pays importateurs comme l'Attique et D?los, ? plus forte raison dans le pays producteur, avant le r?tablissement du monopole.
Reste ? examiner un document o? Gardthausen a cru trouver une
confirmation de sa th?orie et qui nous fait, au contraire, mieux con
na?tre le monopole du papier. Sur un papyrus de Tebtynis, un como
grammate mentionne, en l'an 112, la d?pense suivante : -/.arspyov
1. Pap. delta Soc. Uni., t. VI, n? 572, l. 2-3 : ?\_r.]iixcL[X]y.d 101
fApp.iu<j?.v e?pov|T[a]
to?[?] /ctp[r]a? e. \-ijT
(5 feuilles, 5 dr. 5 ob.). 2. W. Schubart-E. K?hn, Papyri und Ostra.hu der Ptolem?erzeit (Mgvptische Urkun
den aus den staall. Museen zu Berlin, Gnech. Ui k., t. VI, 1922, p. 36, n? 1233, 1. 3 :
Xa(pra?) p, p). 3. Sayce, dans Flinders P?trie, Ila-wara, p. 34, n? 245 (Cf. Preisigke, SammcVmch
griech. Urkunden in JEgyptcn, n? 5224, 1. 7 : yjxpTOu j- .. ; 1. 38 :
yaprtoftou, et non
??)v] ?
; 1. 3 : /_apTSto[?t?v]y T)).
4. Edgar, Zenon Papyri, n? 59010, 1. 2 : y?oTuw ?, |-p.. 5. Oxijrh. Pap., t. XIV, n? 1654, 1. 3-4 : vojxoypa(oot?) ypa'-pat u7:oavr];jaTicru.(ouc)?,
(060X01) 15, | y?pTOu s?; ocGtoj; (r?Tpo?6oXov). ? Le m?me document mentionne
(1. 5-6) un achat de papyrus ? ? d?biter? (e?? <juvxotc7?v) pour le prix de 4 dr. (?rspou
y?pTou ?yopacrO?vro; si; auv/.or^v (opayjxal) 0). Si le texte est bon, il s'agit vraisem
blablement d'un cahier de 6 feuilles ; mais peut-?tre faut-il lire : (o6o\qI) 8.
LE PRIX DU PAPYRUS 11
yap-cwv i, ?v(?) p, 'A, c'est-?-dire ? y.?icpyov pour 10 ydpxoii, ? 100 drachmes
(de cuivre) la pi?ce, 1 000 drachmes ?x. Pour Crcnert, qui a examin? ce texte, ydpxr^
ne d?signe pas une feuille de papyrus, mais un rou
leau, une main, un scapus, de vingt feuilles2. Hypoth?se purement
arbitraire. Gardthausen la fait sienne pourtant et, apr?s avoir correc
tement traduit x?xspyov par Lohn, il continue en raisonnant comme
s'il s'agissait, non d'un salaire, mais d'un prix de vente. Et voici sa
conclusion : 10 mains de papyrus valent 1 000 drachmes de cuivre ; donc une main vaut 100 drachmes ; donc une feuille vaut 5 drachmes, ce qui fait, ? une ?poque o? la monnaie de cuivre a fortement baiss?
par rapport ? la monnaie d'argent, moins d'un pfennig*. Revenons
tout simplement ? notre texte et traduisons : ? Salaire pour fabrica
tion de 10 feuilles ? 100 drachmes la pi?ce, 1 000 drachmes?. Il s'agit d'une somme due par l'administration du monopole ? un ouvrier ou ?
un entrepreneur de papeterie appel? plus loin yapTo-oto,-. D'ailleurs,
?tant donn? que le rapport de l'argent monnay? au cuivre ?tait alors de 1 : 475, l'ouvrier recevait 0 fr. 20 argent par feuille, et non pas 0 fr. 01, comme le voudraient Cri-nert et Gardthausen.
Le b?n?fice du tr?sor royal ?tait assez beau, puisque le prix de la feuille ?tait pour les ?gyptiens d'au moins 0 fr. 65 argent (4 oboles) et
atteignait m?me 1 fr. 15 (1 drachme 1 obole). Celui des importateurs et revendeurs grecs n'?tait pas non plus ? d?daigner, puisque le prix de la feuille variait ? D?los entre 1 fr. 50 argent (1 drachme 3 oboles) et 2 fr. 15 (2 drachmes 1 obole).
On jugera par cette ?tude de d?tail combien il peut ?tre utile de recueillir et de classer les chiffres, si rebutants d'apparence, qui h?ris sent les comptes de nos inscriptions et de nos papyrus.
Il peut suffire de rappeler et de confronter une vingtaine de prix ?parpill?s sur deux si?cles pour jeter un peu de lumi?re sur l'histoire
?conomique de l'antiquit?, que les historiens du temps ont totalement
n?glig?e. C'est par une s?rie d'?tudes analogues qu'on aura quelques
notions pr?cises sur le commerce de d?tail et le commerce de gros, sur
les conditions g?n?rales des ?changes internationaux.
J'ai choisi comme exemple une denr?e qui, par surcro?t, renseigne
sur l'histoire politique, voire m?me sur l'histoire intellectuelle des
pays hell?niques. Il n'est pas indiff?rent de constater un des effets
produits subitement sur la situation mat?rielle de l'Egypte par la
conqu?te mac?donienne, une des diff?rences profondes qui distin
gu?rent le r?gne de Ptol?m?e S?ter et celui de Ptol?m?e Philadelphe. Et l'on peut r?fl?chir longuement aux cons?quences d'un syst?me qui
1. Pap. Tebt., t. I, n? 112, 1. 25 ; cf. 1. 61-62, 81-82. 2. Hermes, t. XXXVIII, 1913, p. 403, n. 1. 3. Op. cit., p. 67.
12 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
avait pour premier r?sultat de ne livrer ? la consommation qu'un
papier aussi cher que l'est dans les soci?t?s contemporaines le papier timbr?. Le monopole avait ? peine ?t? supprim? par Alexandre, que l'Ath?nien Lycurgue, administrateur pourtant ?conome, fit faire et
d?poser aux archives une copie officielle des po?tes tragiques, ce qui ?tait un beau d?but pour une Biblioth?que nationale. Mais le mono
pole r?tabli par Philadelphe communiquait la chert? du papier au
livre. Ainsi s'explique l'importance incomparable que prit imm?dia tement et que conserva pendant des si?cles la Biblioth?que d'Ale xandrie : les Ptol?m?es lui fournissaient le papyrus gratuitement ou ? vil prix. En m?me temps, ils ?taient les ma?tres de le vendre ? l'?tranger d'apr?s un tarif fix? par eux seuls et m?me ? c'est ce
que fit Everg?te II1? d'en interdire l'exportation.
Gustave Glotz.
(Paris.) 1. Pline, XIII, 70.
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE
Tout commerce quelque peu d?velopp? suppose n?cessairement, chez ceux qui s'y adonnent, un certain degr? d'instruction : on ne le
con?oit pas sans la pratique tout au moins de la correspondance et
du calcul. Il arrive ?videmment que la passion du gain servie par le
g?nie des affaires suffise, gr?ce ? la faveur des circonstances, ? pousser
?? et l? un illettr? ? la fortune1. Chacun en pourrait citer des exemples. Mais ces exemples ne prouveraient rien. Dans une ?poque de d?velop pement ?conomique avanc?, l'ignorance du parvenu n'est que tr?s
relative. Il suppl?e, par les collaborateurs qu'il emploie et qu'il dirige, aux connaissances qui lui font d?faut.
On peut affirmer que l'instruction des marchands ? une ?poque donn?e est d?termin?e par l'activit? ?conomique de cette ?poque. Elle en est m?me un indice certain. Il est facile de constater qu'elle ?volue au gr? du mouvement commercial. Si jamais elle n'a ?t? aussi
perfectionn?e que de nos jours, c'est que, jamais non plus, le transit et le trafic n'ont atteint l'ampleur o? ils sont arriv?s aujourd'hui. Et ce qui est vrai de notre temps l'a toujours ?t?. Nous savons que les n?gociants de l'Egypte et de la Babylonie furent des gens instruits, et que notre syst?me d'?criture est une invention de ce peuple essen
tiellement commer?ant que furent les Ph?niciens. Jusqu'? la fin de
l'antiquit?, la vie ?conomique du monde m?diterran?en n'a gu?re entretenu moins de scribes et de commis que de matelots. C'est seu
lement lorsque le commerce tombe dans la d?cadence qui caract?rise les premiers si?cles du moyen ?ge, qu'il cesse de requ?rir l'adjuvant, jusqu'alors indispensable, de la plume.
Les transactions mis?rables qui ont remplac? les grandes affaires de jadis se traitent, dans les petits march?s des bourgs du ixe et du xe si?cle, de vive voix et au comptant. De m?me que le capital, l'ins
truction a disparu chez les commer?ants. Elle s'est rar?fi?e plus encore que la circulation mon?taire. On ne vend et on n'ach?te plus
que pour des sommes infimes. Plus de cr?dit. On ne dresse plus de contrats. On ne correspond plus de ville ? ville. Pour se rappeler les
quelques deniers auxquels les dettes se restreignent, il n'est plus besoin de recourir ? l'?criture. Il suffit de b?tons trac?s ? la craie sur
une planche ou au stylet sur des tablettes de cire, ? moins qu'on ne
pr?f?re ?tailler? d'encoches une baguette de bois. Les hommes que les textes du temps appellent mercatores sont de simples paysans por
1. Voir dans Le cur? de campagne, de Balzac, l'histoire des Sauviat. Dans des condi tions tr?s diff?rentes, quantit? d'illettr?s se sont enricnis pendant la guerre.
Vi ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
tant une fois par semaine au march? du bourg voisin quelques ufs,
quelques l?gumes ou quelques volailles, ou bien de ces colporteurs ambulants, charg?s d'une banne dont ils exposent en vente le pauvre contenu h?t?roclite ? la porte des ?glises, aux jours de p?lerinages1. Seuls un petit nombre de Juifs, venus d'Espagne pour la plupart, pratiquent sporadiquement l'importation d'?pices ou d'?toffes pr? cieuses d'origine orientale. Le faible volume de ces produits de luxe
permet de les transporter facilement et leur raret? garantit d'impor tants b?n?fices. Nul doute que les traditions et la culture commerciales ne se soient conserv?es chez ces Isra?lites en rapports constants avec
leurs coreligionnaires des contr?es islamiques ou byzantines. Mais
trop peu nombreux, trop diff?rents de la population, trop d?test?s d'ailleurs par suite de leur religion, ils n'ont exerc? sur le commerce
indig?ne aucune influence. En somme, depuis les d?buts de l'?poque carolingienne, ce qu'il subsiste de celui-ci n'est plus qu'aux mains
d'illettr?s. Il est int?ressant de se demander pendant combien de temps cette
situation s'est prolong?e. Car s'il fallait admettre, comme on l'a pr?
tendu, qu'elle a dur? jusqu'? la fin du moyen ?ge2, il en r?sulterait
que, malgr? les apparences, l'?poque qui a vu se constituer les villes et se d?velopper les premi?res industries de l'Europe, n'aurait point d?pass? en somme, le stade d'une organisation commerciale tout ?
fait rudimentaire. Nous connaissons assez cette organisation pour
pouvoir affirmer qu'elle a ?t? beaucoup plus avanc?e que certaines
th?ories ne veulent le reconna?tre. Cependant on ne s'est gu?re
occup? jusqu'ici de savoir dans quelle mesure les marchands qui l'ont
cr??e ?taient instruits, et quelle ?tait la nature de l'instruction qu'ils avaient re?ue. La question vaut qu'on s'en occupe. Il est trop ?vident
qu'on peut en attendre une appr?ciation plus exacte des progr?s et
des modalit?s de la vie ?conomique m?di?vale.
En lui consacrant les quelques pages qui suivent, je n'ai pr?tendu, faut-il le dire ? qu'y apporter une modeste contribution. Pour la traiter comme elle le m?rite, des recherches beaucoup plus ?tendues que
celles que j'ai pu faire seraient indispensables. Aussi bien, mon but
n'est-il que de signaler l'importance d'un sujet trop n?glig?. Tout coup de sonde dans un terrain vierge ne peut manquer de donner quelques
1. H. PiRENNE, Les villes du moyen ?ge, Bruxelles, 1927, p. 27 et suiv. Rien ne serait
plus instructif qu'une ?tude d?taill?e sur les soi-disant marchands de l'?poque de stagna tion ?conomique du vine au xr* si?cle.
2. W. Sombart, Modernes Kapitalismus, t. I, 4e ?dition, p. 295. ? On trouvera dans
l'ouvrage r?cent de M. Fritz Rurig, Hansische Beitr?ge zur Deutschen Wirtschaftsge schichte, Breslau, 1928, p. 191, 219, 234, d'excellentes remarques sur l'impossibilit? d'ad
mettre que le commerce des villes hans?atiques ait ?t? pratiqu? par des marchands illettr?s. Davidsohn, Geschichte von Florenz, t. I, p. 807, consid?re que, d?s le xie si?cle, le commerce florentin est trop d?velopp? pour ne pas avoir exig? de ceux qui le pratiquaient un certain degr? d'instruction. Cf. encore A. Luschin von Ebengreuth, Wiens M?nz
xvcsen, Handel und Verkehr im sp?teren Mittelalter, Vienne, 1902, p. 106, 107
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 15
pr?visions sur ce que les investigations post?rieures feront d?couvrir.
Je dois ajouter que ce premier coup de sonde n'a gu?re port? que sur l'?poque ant?rieure au milieu du xiii3 si?cle. A partir de cette
date, les renseignements deviennent assez nombreux pour que l'on ne
puisse plus mettre en doute l'instruction des marchands : il ne s'agit
plus que d'en ?tablir le degr?. J'ai donc, de propos d?lib?r?, born? ce
petit travail ? la p?riode des origines. J'ai essay? de montrer quand les marchands ont ?prouv? le besoin de savoir lire, ?crire et calculer, et ? quels moyens ils ont eu recours pour se procurer le b?n?fice de ces connaissances1.
* * *
Il importe tout d'abord de montrer comment et pourquoi a suc
c?d?, au marchand instruit de l'Empire romain, le marchand illettr? du haut moyen ?ge.
Ce serait, ? mon sens, une erreur que de vouloir expliquer ce fait
par les invasions germaniques du ve si?cle et par la d?cadence g?n? rale qu'elles ont provoqu?e dans l'Europe Occidentale. Si profonde qu'on la suppose, cette d?cadence n'a pas sensiblement affect? la vie
?conomique. Celle-ci, ? vrai dire, penchait d?j? vers le d?clin depuis la fin du inc si?cle. A comparer le si?cle des Antonins ? celui de Dio cl?tien et de Constantin, on en rel?ve les traces ?videntes dans tous les domaines. La population diminue, l'industrie se ralentit, la circu lation mon?taire se resserre, les villes s'appauvrissent et l'agriculture elle-m?me voit diminuer son rendement2. Le commerce cependant, et m?me le commerce au long cours, non seulement n'a pas disparu,
mais demeure une condition indispensable de l'existence sociale. La
navigation m?diterran?enne continue ? entretenir entre toutes les
provinces de l'Empire un trafic qui les unit en une solidarit? ?cono
mique tr?s puissante. Les ?changes sont constants entre l'Orient et
l'Occident. Le premier, beaucoup plus d?velopp? et plus actif que le second, le fournit d'objets fabriqu?s et d'?pices qu'il tire de l'Asie ou qu'il produit sur son propre sol, et en retour desquels il exporte des c?r?ales, des bois et des m?taux. Dans tous les ports, dans toutes les
villes d'Italie, de Gaule, d'Espagne et d'Afrique, des marchands, Syriens pour la plupart, ont des ?tablissements en relations d'affaires avec les diverses r?gions des bords de la mer Eg?e, et l'on pourrait assez exactement comparer l'influence qu'ils y exercent ? celle que devaient exercer, bien des si?cles plus tard, les G?nois et les V?ni
i. Sur le peu que l'on sait de l'instruction des marchands avant le xine si?cle, voir A. Schaube, Hand?isgeschichle der Romanischen Volker des Miltelmeergebiets bis zum Ende der Kreuzziige, p. 109.
2. Il suffira de renvoyer pour ceci au beau livre de N. Rostovtzeff, The social and economic history of the Roman Empire.
16 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
tiens dans la M?diterran?e, ou les Hans?ates dans la mer Baltique et dans la mer du Nord1. Par eux, le commerce demeure un facteur essentiel de la vie ?conomique de l'Empire. Il la p?n?tre si intime
ment qu'elle a r?sist? ? la catastrophe des invasions. Si les Germains ont mis fin, en Occident, ? la domination poli
tique de l'Empire, ils n'ont pas pu et surtout ils n'ont pas voulu, on le sait aujourd'hui ? suffisance, substituer ? la civilisation romaine
une pr?tendue civilisation germanique2. De l'Empire, ils ont adopt? aussit?t la religion et la langue et conserv?, dans la mesure du pos sible, le droit et les institutions. Rien d'?tonnant d?s lors si l'or
ganisation ?conomique en vigueur dans les provinces o? ils s'?tablirent n'a subi aucun changement appr?ciable du fait de leur conqu?te. L'unit? m?diterran?enne de P?conomie antique subsiste apr?s eux comme elle existait auparavant. La Gaule m?rovingienne, pour ne
parler que d'elle, ne pr?sente ? cet ?gard aucun contraste avec la
Gaule romaine. Marseille demeure le grand port par o? elle commu
nique avec l'Orient ; des marchands syriens et des marchands juifs sont toujours install?s dans ses villes, le papyrus d'Egypte et les
?pices p?n?trent jusque dans l'extr?me Nord de la monarchie franque, et le mouvement commercial d?pend encore ? ce point de celui de
l'Empire, que les rois francs conservent le solidus d'or comme instru
ment d'?change et ?talon des valeurs. L'activit? des marchands orientaux suscite et entretient autour d'elle celle des marchands indi
g?nes. Dans toutes les villes, ceux-ci sont encore nombreux et l'im
portance de leur n?goce ressort de la richesse ? laquelle nous voyons que plus d'un d'entre eux est parvenu3.
D?s lors, il est impossible de se repr?senter la classe marchande de l'?poque m?rovingienne comme compos?e d'illettr?s. S'il en avait ?t? ainsi, les rapports qu'elle entretenait avec l'Orient seraient incon cevables. Tous les renseignements que nous poss?dons sur les pra
tiques commerciales de l'?poque attestent d'ailleurs qu'elles ne pou vaient se passer de l'?criture. Il suffit pour s'en convaincre, de rele
ver dans les recueils de formules les nombreux contrats qui y sont
ins?r?s. Rien n'?tait plus facile au surplus que d'acqu?rir dans les
1. On trouvera la bibliographie relative ? cette diaspora syrienne, rassembl?e dans F. C?MONT, Les religions orientales dans l'Empire romain , 3e ?dit., en. V, notes 4 et suiv.
2. Cf. A. Dopsch, Wirtschaftliche und soziale Grundlagen der Europ?ischen Kulturent vticklung, Vienne, 2 vol., 1918. Au fond, M. Dopsch. en revient, encore que par un chemin diff?rent, ? la th?se de Fustel de Coulanges en ce qu'elle a d'essentiel. Pas plus que lui, il n'admet que l'invasion germanique ait radicalement chang? l'ordre des choses existant ? la fin de l'Empire romain.
3. Je suis oblig? de renvoyer provisoirement le lecteur aux quelques travaux o? j'ai donn?, en attendant une ?tude plus approfondie, les motifs qui me portent ? consid?rer l'?conomie des royaumes de l'Europe Occidentale avant l'invasion musulmane, comme la continuation de l'?conomie de l'Empire romain. Voir l?-dessus mes articles : Mahomet et Charlemagne (Revue belge de philologie et d'histoire, t. I) et Un contraste ?conomique,
M?rovingiens et Carolingiens (Ibid., t. II), ainsi que mon livre Les villes du moyen ?ge, p. 11 et suiv.
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 17
?coles publiques qui ?taient loin d'avoir disparu, la connaissance non
seulement de la lecture et de l'?criture, mais m?me celle du calcul et
des rudiments du droit. L'extr?me abondance du papyrus employ? en Gaule jusqu'au commencement du vine si?cle, atteste d'une ma
ni?re frappante combien la pratique de l'?criture y ?tait r?pandue, et ce serait faire preuve d'un parti pris vraiment excessif que de se
refuser ? croire que les marchands s'y soient initi?s1. Si l'indigence de nos sources ne nous permet pas d'apporter des preuves d?cisives,
la vraisemblance doit suffire ? notre ?dification. De l'identit? du com merce m?rovingien avec le commerce des temps ant?rieurs, on doit
inf?rer l'identit? de la culture des hommes qui se sont adonn?s ? celui-ci comme ? celui-l?.
Mais il est ?vident que cette culture ne pouvait durer plus long temps que les conjonctures ?conomiques dont elle ?tait la cons?
quence n?cessaire. Lorsque l'Islam, au commencement du vmc si?cle,
eut achev? de soumettre ? sa domination les rives de la M?diterra
n?e, de la Syrie ? l'Espagne, la mer qui, depuis l'aurore de l'histoire, n'avait cess? d'entretenir le contact entre l'Occident et l'Orient de
l'Europe, ne fut plus pour de longs si?cles qu'un vaste foss? les s?pa rant l'un de l'autre. Gr?ce ? sa flotte, l'Empire byzantin parvint ? conserver la ma?trise de la mer Eg?e et de l'Adriatique, mais sa navi
gation ne put plus rayonner jusqu'? la mer Tyrrh?nienne. Celle-ci fut d?sormais un lac musulman, et elle le devint davantage ? mesure que l'Islam s'empara de ses ?les et ?difia sur la c?te d'Afrique et en Sicile de puissantes bases navales2.
Ce renversement complet des conditions qui avaient jusqu'alors d?termin? l'?volution de la civilisation europ?enne eut pour r?sultat de substituer en Occident ? l'?conomie antique, qui avait surv?cu ? l'invasion des Germains, l'?conomie au milieu de laquelle s'ouvre la
p?riode que la tradition de l'?cole continue ? d?signer sous le nom de moyen ?ge. Cette ?conomie n'est pas du tout, comme on le sup
pose parfois, une ?conomie primitive, mais une ?conomie de r?gres sion ou, si l'on veut, de d?cadence. Son caract?re le plus frappant, la
disparition g?n?rale de la circulation et, avec elle, l'extinction du commerce et de l'industrie
? ne s'explique pas par une cause interne, mais par la catastrophe ext?rieure qui
a ferm? la mer. On peut prouver
jusqu'? l'?vidence que l'interruption de la navigation m?diterra n?enne par l'invasion islamique a provoqu? par voie de cons?quence l'extinction de la vie urbaine, la disparition de la classe marchande qui l'entretenait et enfin la substitution ? l'?conomie d'?change, qui avait fonctionn? jusqu'alors, d'une ?conomie uniquement appliqu?e
1. H. PiRENNE, Le commerce du papyrus dans la Gaule m?rovingienne (Comptes rendus de l'Acad?mie des Inscriptions, 1928, p. 178 et suiv.).
2. Cf. plus haut, p. 16, n. 3.
ANN. D'HISTOIRE. ? 1" ANN?E. 2
18 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
? la culture du sol et ? la consommation sur place de ses produits. En m?me temps que le commerce, ce que l'on pourrait appeler la
culture commerciale s'?teint au cours du vnie si?cle. Ceux qui se
m?lent encore de vendre et d'acheter ne constituent plus d?s lors une classe sp?ciale requ?rant un minimum d'instruction. Aussi bien
l'instruction a-t-elle disparu au sein de la soci?t? la?que. Elle ne se
conserve plus que dans l'?glise, instrument et b?n?ficiaire de ce
renouveau des lettres que l'on d?signe un peu abusivement, semble
t-il, sous le nom de renaissance carolingienne. Si remarquable qu'ait
?t? cette renaissance, si sup?rieurs qu'apparaissent les clercs du
ixe si?cle compar?s ? ceux du vne ou du vine, il faut bien reconna?tre
que les progr?s de l'enseignement dans l'?glise ont eu pour contre
partie la disparition d?finitive de cet enseignement la?que que la sur
vivance des ?coles romaines avait laiss? subsister, vaille que vaille,
aux temps m?rovingiens. Sans doute, on ?crit beaucoup mieux le latin
apr?s Charlemagne qu'avant lui, mais le nombre de ceux qui l'?crivent
est devenu bien moindre, puisqu'on ne l'?crit plus que dans le clerg?. La pal?ographie nous en fournit l'irr?cusable d?monstration. A la
cursive romaine, dont l'usage se conserve jusqu'? la fin du vme si?cle dans tous les royaumes fond?s sur le sol de l'Empire en Occident, se
substitue la minuscule d?s le d?but de l'?poque carolingienne. Et cette substitution atteste d'une mani?re frappante combien l'art d'?crire s'est restreint. La cursive est, en effet, caract?ristique des
civilisations o? l'?criture ?tant indispensable ? tous les actes de la
vie sociale, la n?cessit? s'impose d'?crire vite parce que l'on ?crit
beaucoup. La minuscule, au contraire, trac?e ? main pos?e, r?pond
? une soci?t? o? l'art d'?crire est devenu le monopole d'une classe de lettr?s. La premi?re est faite pour l'administration et les affaires, la
seconde pour l'?tude. Dans la diff?rence de leurs caract?res s'exprime le contraste d'un temps o? la pratique de l'?criture est encore large
ment r?pandue chez les la?ques avec un temps o? elle s'est monopo
lis?e aux mains des clercs. L'une s'approprie aussi bien aux n?cessit?s
du commerce que l'autre s'y adapte mal. De m?me d'ailleurs que la
minuscule a remplac? la cursive au moment m?me o? la d?cadence
?conomique cons?cutive ? la conqu?te musulmane faisait du mar
chand un illettr?, on verra repara?tre la cursive dans le courant du xine si?cle, c'est-?-dire ? l'?poque o? la renaissance du commerce
rendra de nouveau l'?criture indispensable au marchand.
Un minimum d'instruction dut s'imposer aux marchands de l'Eu
rope Occidentale lorsque, apr?s la longue stagnation du ixe et du xe si?cle, le trafic commen?a de se ranimer et de susciter la formation
des premi?res agglom?rations urbaines. Alors, sous l'influence de la
circulation renaissante, une classe de mer calores professionnels se
reconstitue. L'?change et la circulation des marchandises deviennent
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 19
ou plut?t redeviennent des moyens d'existence. Des hommes en
nombre de plus en plus grand s'arrachent au travail de la terre pour s'adonner au nouveau genre de vie qui, des c?tes de Flandre et des
environs de Venise o? la navigation l'a ?veill?, p?n?tre peu ? peu dans
l'int?rieur. Des villes se forment aux n uds du transit, attirant de
plus en plus vers elles les vagabonds et les aventuriers qui sont les
anc?tres de la bourgeoisie et les r?novateurs, dans notre histoire, du
capital mobilier. D?s le xie si?cle, des fortunes consid?rables ont d?j? ?t? ?chafaud?es par les plus intelligents d'entre eux. Car l'intelli
gence devient d?sormais un moyen de parvenir ? la richesse. Les
b?n?fices du marchand seront d'autant plus fructueux qu'il combi nera mieux ses achats, choisira plus habilement ses march?s, calcu
lera plus exactement ses chances. Mais pour tout cela, un ensemble
de connaissances est requis dont plusieurs sans doute s'acqui?rent
par la pratique et les voyages, mais que l'instruction compl?tera.
Les affaires des marchands du xie et du xir3 si?cle sont ?videm
ment trop ?tendues pour que l'on puisse les concevoir dirig?es par de
simples illettr?s. La circulation des marchandises et la circulation de
l'argent qu'elles supposent exigent, ? n'en pas douter, la tenue d'une
correspondance et celle d'une comptabilit? sans
lesquelles elles seraient
impossibles. Comment pourrait-on admettre que, d?s cette ?poque, les
marchands de Flandre aient pu acheter et vendre en gros de la laine
et des draps en Angleterre et pr?ter des sommes d'argent consid?
rables ? toutes sortes de nobles clients, s'ils avaient d? se contenter
de se fier ? leur m?moire pour conna?tre l'?tat de leurs dettes et d?
leurs cr?ances ? Incontestablement, le besoin de tenir des comptes
s'imposait ? eux plus fortement encore qu'il ne s'imposait aux grands
propri?taires fonciers, et l'on n'imagine point qu'ils aient pu se passer
de correspondre avec l'ext?rieur. On ne se les repr?sente pas priv?s
de cet ?largissement formidable que la lecture, l'?criture et le calcul
apportent ? l'activit? individuelle.
L'indigence de nos sources est trop grande pour nous permettre
d'apercevoir clairement de quelle mani?re l'enseignement et le com
merce se sont rejoints. Comme il n'y avait d'?coles que dans l'?glise et pour l'?glise, il est permis de supposer que, parmi les premiers
marchands, ont figur? bon nombre de clercs qui, s?duits par la vie
commerciale, l'auront abord?e avec les avantages d'une instruction
acquise en vue d'une carri?re bien diff?rente. On sait d'ailleurs que les degr?s inf?rieurs de la cl?ricature ne constituaient pas un emp?che
ment dirimant aux professions la?ques. Pourquoi les clercs du xie si?cle se seraient-ils abstenus de tenter la chance des affaires d?s les d?buts
de la renaissance commerciale, alors qu'on les voit si nombreux parmi
les marchands dans les si?cles post?rieurs ? En tous cas, il est certain
que de tr?s bonne heure, s'ils n'ont pas pris part directement au
20 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
commerce, ils y ont pris part indirectement. Gr?ce ? leur connais sance du latin et de l'?criture, plusieurs d'entre eux ont indubita blement ?t? employ?s ? tenir les comptes, et ? faire la correspondance des marchands. Ce n'est pas sans de profondes raisons historiques que, dans toutes les langues europ?ennes, le mot ? clerc ? a fini par
d?signer un commis1. D?s le milieu du xie si?cle, les membres de la
gilde marchande de Saint-Omer avaient ? leur service un ?notaire?
que l'on peut consid?rer comme le plus ancien teneur de livres connu.
Car il n'est pas t?m?raire de penser que ses fonctions ne se bornaient
pas ? l'inscription des ? fr?res ? sur le r?le de la soci?t?, mais qu'il accom
pagnait sans doute les membres de la gilde dans leurs exp?ditions commerciales, en qualit? de comptable2.
Ainsi donc, d?s le d?but, les marchands ont eu recours ? l'?cri ture d'hommes que l'?glise avait instruits dans ses ?coles. Mais ils devaient n?cessairement chercher ? acqu?rir pour eux-m?mes la con
naissance d'un art si profitable. L'id?e de s'asseoir sur les bancs des ?coles o? s'instruisait le clerg? s'est pr?sent?e d'elle-m?me ? leur
esprit. Ici, il n'est plus besoin d'hypoth?se. Un texte formel nous
permet d'affirmer qu'il en fut bien ainsi. Les Gesta Sanctorum de
l'abbaye de Villers-en-Brabant, parlant de l'enfance du moine Abun
dus, mort en 1228, nous apprennent que, fils d'un marchand de Huy, il avait ?t? confi? au couvent ?afin de s'y rendre capable d?tenir note des op?rations commerciales et des dettes de son p?re ?. Mais les intentions toutes pratiques de ce p?re ne s'?taient pas r?alis?es.
Dans le milieu monastique l'enfant avait tellement pris go?t ? l'?tude des lettres qu'il s'?tait enti?rement consacr? ? elles, avait renonc? au
n?goce et s'?tait fait moine3. L'anecdote est singuli?rement instruc tive. Elle nous fournit un exemple de la mani?re, sans doute la plus ancienne, ? laquelle les marchands recoururent pour se procurer la
partie, pour eux la plus utile, des connaissances dont l'?glise se r?ser vait le monopole. Ce n'?tait pas seulement de savoir lire et ?crire
qu'il s'agissait. Il importait tout autant de s'initier ? la pratique du
1. Dans les langues slaves, c'est le mot ? diacre ? qui a subi l'?volution. Le vocable est autre, le ph?nom?ne est identique.
2. G. Espinas et H. Pirenne, Les coutumes de la, gilde marchande de Saint-Omer (Le moyen ?ge, 2e s?rie, t. V, 1901, p. 190 et suiv). Le texte de ces coutumes est ant?rieur ? 1033. Le notaire y est mentionn? au ? 24 : ? Si quis gildam emerit, juvenis vel senex, prius
quam in cartula ponatur, 2 denarios notario, decanis vero duos denarios ?. Le ?" 25 montre encore le notaire mangeant avec les doyens, aux frais de la gilde ? in thalarao gildalle ?. Il faut remarquer que le r?glement de la gilde ou charit? de Valenciennes au xne si?cle, parle d'un chancelier dont les attributions sont analogues ? celles du notaire de Saint Omer. Voy. H. Caffiaux ( M?m. de la Soc. des Antiquaires de France, 4? s?rie, t. VIII, p. 25 et suiv). A Venise, o? l'instruction ?tait ?videmment bien plus r?pandue parmi les marchands qu'elle ne l'?tait dans le Nord, on voit, au commencement du xne si?cle, chaque bateau avoir ? bord un notarius. R. Heynen, Zur Entstehung des Kapitalismus in Venedig, Stuttgart, 1905, p. 82.
3. Ex gestis Sanctorum Vill&riensium [Mon Germ. Hist. Script., t. XXV, p. 232) : ? cum litterarum studiis esset traditus, ea de causa ut patris debita sive commercia stylo
disceret annotare, miro modo proficere studuit etc. ?
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 21
latin, puisqu'aussi bien c'est exclusivement en latin que se dressaient les chartes, que se tenaient les comptes, que se r?digeaient les corres
pondances. Lire et ?crire ne signifiait autre chose que lire et ?crire le
latin. Langue de l'?glise, le latin dut ?tre et fut en r?alit? la langue du commerce ? ses d?buts, puisque c'est l'?glise qui dota tout d'abord les
marchands de l'instruction qu'ils ne pouvaient acqu?rir que gr?ce ? elle.
Abundus ?tant mort en 1225, on peut fixer ? plusieurs dizaines d'ann?es auparavant son entr?e au monast?re1. Son cas n'ayant cer
tainement pas ?t? isol?, nous pouvons donc affirmer que, dans le cou
rant du xne si?cle, des abbayes et sans doute diverses ?coles eccl?sias
tiques dispens?rent l'enseignement aux enfants de la classe marchande
en les admettant ? leurs le?ons en qualit? de ce que, faute de mieux,
j'appellerai des auditeurs libres. Mais cet enseignement comportait toutes sortes d'inconv?nients et de dangers. Il ?tait ? craindre, en
effet, et l'anecdote de Villers nous le montre pr?cis?ment, que la vie
monastique n'attir?t vers elle les enfants que leur famille destinait ?
la moins mystique des carri?res. Cela ?tait m?me d'autant plus ?
redouter que, aux yeux des moines, le commerce apparaissait
comme
une cause de perdition. Les plus fervents d'entre eux devaient consi
d?rer comme un devoir d'en d?tourner les jeunes gar?ons qui venaient leur demander les moyens de s'y pr?parer. Quelle ?trange initiation
ne recevaient-ils pas de ma?tres imbus de l'id?e que ? le marchand ne
peut pas, ou ne peut que bien difficilement sauver son ?me?2 ! Sans
doute, la m?saventure du p?re d'Abundus fut celle de bien d'autres.
On risquait fort, en confiant son fils ? un couvent, de ne pas l'en voir
revenir. D'autre part, les ?coles monastiques r?pondaient bien
imparfaitement aux vues des commer?ants qui y envoyaient leurs
enfants. Le programme, demeur? fid?le aux prescriptions du trivium et du quadrivium, comportait quantit? de branches dont ceux-ci
n'avaient nul besoin. La grammaire, la rh?torique, la dialectique, le
chant, etc. Que de temps gaspill? en pure perte au d?triment des
?l?ves qui ne demandaient rien d'autre que d'apprendre au plus vite
? baragouiner un peu de latin et ? tracer des lettres, tant bien que mal, au stylet sur des tablettes de cire ou ? la plume sur le parchemin.
Les plus riches parmi les marchands durent, de bonne heure, pr?f? rer ? un genre d'enseignement, si p?rilleux et si d?fectueux ? la fois,
l'enseignement ? domicile. Un texte d'Ypres parle des bourgeois qui font instruire leurs enfants, ou les personnes de leur famille habitant
sous leur toit, par un clerc ? leurs gages. Ce texte ne date, il est vrai,
que de 1253. Mais il n'est pas croyable que les opulents n?gociants
dont, d?s le milieu du xne si?cle, les maisons fortifi?es et surmont?es
1. Le texte nous apprend qu'il appartint ? l'Ordre de Citeaux pendant vingt-six ans. Mais il ne nous dit pas quand il y fut re?u.
2. Je traduis ainsi le fameux texte bien connu dans l'?cole : ? Homo mercator vix aut nunquam potest Deo placer?. ?
22 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
de tours donnaient aux villes de Flandre leur aspect caract?ristique, aient attendu tr?s longtemps avant de s'aviser d'un moyen qui leur
permettait de diriger et de contr?ler l'instruction de leurs enfants.
Rien n'?tait plus facile que de se procurer ? prix d'argent les services
d'un clerc et de le transformer en pr?cepteur1.
L'?ducation ? domicile, mieux adapt?e tr?s certainement que ne
T?tait l'?ducation monastique aux besoins et aux aspirations de la
bourgeoisie marchande du xne si?cle, n'?tait accessible qu'? ce petit nombre de privil?gi?s de ia fortune que les textes du temps appellent
majores, divites, otiosi, homines hereditarii, et auxquels les historiens
donnent assez inexactement le nom de patriciens. Mais il va de soi
que plus croissait le nombre de ceux qui vivaient du commerce et de
l'industrie, plus aussi se g?n?ralisait la n?cessit? de l'instruction. Les
pouvoirs municipaux ne pouvaient se d?sint?resser d'une question
aussi urgente. Et il est naturel qu'ils s'en soient occup?s tout d'abord
dans les r?gions qui se distinguent par la rapidit? de leur d?veloppe ment ?conomique. De m?me que la Flandre a pris l'avance ? cet
?gard sur le reste de l'Europe au Nord des Alpes, de m?me c'est dans ses villes que l'on voit se poser pour la premi?re fois, ? ma connais
sance, ce que l'on pourrait appeler la question des ?cole?2.
Le hasard nous a conserv? par bonheur un nombre de documents
assez nombreux pour nous permettre de voir comment elle y surgit
et de quelle mani?re elle y fut r?solue. D?s le xe si?cle, les comtes de Flandre avaient fait ?lever en
plusieurs points de leur territoire, des enceintes fortifi?es, burgi ou
castra, destin?es ? servir de lieux de refuge, en cas de guerre, ? la popu lation des alentours et qui, en temps de paix, ?taient les centres de l'administration judiciaire et ?conomique de la ? ch?tellenie ? qui s'?tendait autour de leurs murailles. Le comte, r?sidant p?riodique
ment dans chacune d'elles, les avait am?nag?es en cons?quence. Il
y poss?dait non seulement un donjon affect? ? sa demeure et des
magasins de toute sorte o? venaient s'entasser les produits des
domaines qu'il poss?dait aux environs et qui,, durant ses s?jours, ser
1. ? Quicunque burgensis liberos suos seu alios de familia sua manentes in domo propria per ciericum suum in domo sua erudiri voluerit, hoc ei licebit, dummodo alios disc?pulos sub isto praetextu una cum praedictis ipsi clerico non liceat erudire. ? Warnkoenig Gheldolf, Histoire d'Ypres, Paris, Bruxelles, 1864, p. 370. On voit que le texte fait allusion ? une pratique courante et sans doute d?j? fort ancienne.
2. Peut-?tre cette affirmation est-elle trop cat?gorique. Des recherches ult?rieures lui apporteront, le cas ?ch?ant, les correctifs n?cessaires. Le comt? de Flandre figure en tous cas en bonne place, puisque d?s le xnp si?cle, toutes ses grandes villes sont pourvues d'?coles urbaines, alors que ce n'est gu?re qu'au xine qu'elles apparaissent dans le reste de l'Europe. Il faut naturellement excepter l'Italie. L'instruction des marchands au xin? si?cle y appara?t tellement d?velopp?e et sup?rieure ? ce qu'elle est dans les r?gions du
Nord, qu'on est forc? d'admettre qu'elle s'y appuie sur un long pass? (Cf. A. Sapori, I muiui dei mercanti fiorentini del trecento. Rivista del diritho commerciale, 1928, p. 223). Malheureusement on y aper?oit bien peu de choses des origines. Je signale ? l'attention des ?rudits italiens la mention en 1256 ? Saint-Trond de scriptores de marchands de Sienne.
Voy. H. Pirennb, Le livre de l'abb? Guillaume de Ryckel, Bruxelles, 1896, p. 335.
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 23
vaient ? son entretien et ? celui de sa cour, mais il y avait encore
fond? et dot? des chapitres de chanoines : Saint-Donatien au ch?teau de Bruges, Sainte-Phara?lde ? celui de Gand, Saint-Winnoc ? celui de
Bergues, Saint-Pierre ? celui de Lille, Saint-Am? ? celui de Douai, Saint-Omer ? celui de la ville qui a conserv? son nom1. De chacun de ces chapitres d?pendait une ?cole qui ne dut servir, primitivement, qu'? la formation du clerg? des paroisses de la ch?tellenie avoisinante et ? celle des ? notaires ? que le comte employait ? ses ?critures 2.
Mais quand, au cours du xie si?cle, des agglom?rations de mar
chands et d'artisans (portus) commenc?rent ? se grouper autour de ces
forteresses, et que, du fait m?me de leur profession, les immigrants de
plus en plus nombreux qui affluaient vers elles ?prouv?rent le besoin d'un enseignement indispensable au genre de vie qu'ils menaient,
la situation se compliqua. Faute de renseignements il est impossible de savoir ce qui se passa durant les premiers temps. Il para?t certain
que les ?coles capitulaires fournirent aux commer?ants des bour
geoisies naissantes les premiers scribes qui furent employ?s ? la tenue de leurs livres. Tout au moins, peut-on conjecturer avec grande vrai
semblance que le notarius de la Gilde de Saint-Omer, au milieu du xie si?cle, ?tait un ancien ?l?ve du chapitre castrai.
Des enfants de bourgeois furent-ils admis d?s l'origine de la for mation des villes ? suivre les le?ons qui se faisaient dans l'?cole du
castrum ? L'exemple d'Abundus, que nous avons cit? plus haut, per mettrait de le croire. En tous cas il est absolument certain que, d?s le xne si?cle,, la population urbaine s'efforce de se pourvoir d'?coles
r?pondant ? ses besoins et plac?es sous son contr?le. Son intervention dans le domaine de l'enseignement, qui depuis
si longtemps appartenait au clerg?, n'alla pas sans entra?ner des
froissements et des contestations in?vitables. Si l'?glise n'?levait aucune objection de principe contre l'existence d'une instruction destin?e aux la?ques, elle ne pouvait tol?rer en revanche que cette
instruction f?t soustraite ? son autorit?. C'est en ce point qu'elle devait forc?ment se heurter ? la bourgeoisie. Le conflit qu'elle eut ? soutenir avec elle s'explique par l'incompatibilit? des points de vue.
L'?glise, trop ?trang?re aux tendances toutes pratiques des mar
chands et des artisans, ?tait ?videmment incapable d'y adapter le
programme des ?coles. Ce qu'il fallait ? ceux-ci, c'?tait non pas un
enseignement litt?raire et savant, mais un enseignement tourn? tout
entier vers les n?cessit?s de la vie commerciale. La lecture, l'?criture, le calcul et les rudiments du latin, voil? ce qu'ils exigeaient de l'?cole.
1. H. Pirenne, Les villes flamandes avant le XIIe si?cle (Annales de l'Est et du Nord, 1.1, 1905, p. 18). Il semble que le comte de Hainaut avait introduit une organisation ana logue ? Valenciennes o? Baudouin IV (1120-1171) fonda une ?cole dans le ch?teau. C Duvi
VIER, Actes et documents anciens int?ressant la Belgique, t. II, p. 205. 2. Sur les fonctions de ces notaires, voy. H. Pirenne, La chancellerie et les notaires des
comtes de Flandre avant le XIII* si?cle (M?langes Julien Havet, p. 734 et suiv.).
24 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Tout le reste leur apparaissait un luxe inutile et une perte de temps. Ils ne demandaient qu'? apprendre l'indispensable et ? l'apprendre vite. La culture classique dont l'?glise conservait la tradition depuis
l'?poque carolingienne ne lui permettait pas, ? leurs yeux, d'instruire leurs enfants comme ils le souhaitaient. Au fond, la question qui se
posa d?s lors au sein des premi?res agglom?rations bourgeoises n'?tait
qu'une forme brutale sans doute et rudimentaire, mais une forme tout
de m?me de la question de l'enseignement moderne et professionnel. Ce que nos sources nous apprennent nous permettent d'en saisir,
en Flandre, quelques p?rip?ties assez curieuses.
Vers le milieu du xne si?cle, un incendie avait d?truit ? Gand
l'?glise, l'?cole et les archives du Chapitre de Sainte-Phara?lde. De riches bourgeois s'?taient empress?s de profiter de cette catastrophe
pour ouvrir des ?coles1. De son c?t?, le monast?re de Saint-Pierre,
qui poss?dait le droit de patronage sur les paroisses de la ville, en avait ouvert d'autres et pr?tendait faire fermer celles des bour
geois2. Ainsi, le Chapitre ?tait attaqu? de deux c?t?s. Pendant que les moines de Saint-Pierre s'adressaient au pape et l'exhortaient ?
faire cesser les le?ons que ? l'insolence des la?ques s'?tait enhardie ? organiser?, les chanoines recouraient ? l'aide du comte, le suppliant de confirmer le monopole d'enseignement qu'ils revendiquaient dans la ville comme ils le poss?daient depuis toujours dans le castrum.
L'enqu?te ordonn?e par Alexandre III, entre 1166 et 1179, sur le bien-fond? de la plainte des moines tourna ? leur d?savantage, et fit
appara?tre que le droit d'enseignement appartenait au seul Cha
pitre3. Le comte Philippe d'Alsace le lui ratifia, et obtint, en 1179, de l'archev?que Guillaume de Reims, une charte corroborant sa d?ci sion. Toutefois, on surprend dans celle-ci le d?sir ?vident du comte de satisfaire tout ? la fois les pr?tentions du Chapitre et les d?sirs de la bourgeoisie. Elle ne se borne pas, en effet, ? reconna?tre ? Sainte
Phara?lde le droit de surveiller l'enseignement. Elle conf?re au. cha noine Simon, qui remplissait les fonctions de notaire comtal, la direc tion des ?coles urbaines et statue que, sans son assentiment, personne ne pourra d?sormais en ouvrir soit dans le ch?teau de Gand, soit dans la ville4. Ainsi, en 1179, l'existence des ?coles que les bourgeois
1. Charte de l'archev?que Guillaume de Reims de 1179 dans Miraeus, Opera diplo m?tica, t. II, p. 974.
2. Bulle d'Alexandre III (1166-1179) dans Van Lokeren, Chartes et documents de l'abbaye ds Saint-Pierre de Gand, t. I, p. 153 (avec les dates 1159-1171). Les moines pr? tendaient que depuis toujours (quantum in memoria hominum est), personne ne pouvait ouvrir d'?cole ? Gand sans leur consentement. Or la ? laica violentia? y avait introduit ? quandam libertatem legendi ?. Ces mots montrent clairement qu'il s'agit bien d'?coles
ouvertes par les bourgeois et libres de tout contr?le eccl?siastique. 3. Nous n'avons aucun renseignement ?crit sur la conclusion de l'enqu?te ordonn?e par le pape. Mais le fait que jamais depuis lors les moines de Saint-Pierre ne revendiqu?rent
plus la moindre intervention dans les ?coles de la ville, prouve suffisamment qu'elle tourna contre eux. 4. Il est indispensable de transcrire les passages les plus caract?ristiques de la charte de
l'archev?que Guillaume cit?e plus haut n. 1 : ? Karissimus in Christo filius noster
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 25
avaient fond?es est non seulement tol?r?e, mais garantie par le comte.
Pour en ?tablir une, il suffira d'en obtenir licence du notaire Simon, c'est-?-dire d'un homme qui, m?l? ? l'administration comtale, est
capable de comprendre le genre d'instruction que doivent dispenser des ?coles destin?es aux la?ques. Si les bourgeois ne poss?dent plus l'enti?re libert? scolaire dont ils s'?taient empar?s, du moins la facult?
d'entretenir un enseignement urbain ne leur est-elle pas contest?e.
Quelques ann?es plus tard, ils arrivaient au but. En 1191, ils faisaient inscrire dans la charte extorqu?e par eux ? la comtesse
Mathilde, ? que si quelqu'un de convenable et de capable veut ouvrir une ?cole dans la ville de Gand, personne ne pourra l'en emp?cher?1. La m?me ann?e, le comte Baudouin IX renouvelait cette assurance2.
Le r?gime qui dotait ainsi la bourgeoisie de la libert? scolaire la plus compl?te ne dura pourtant pas tr?s longtemps. En 1235, une organi sation assez diff?rente lui ?tait substitu?e par la comtesse Marguerite.
Cette princesse d?clare formellement que la ma?trise (magisterium) des ?coles d?pendant de Sainte-Phara?lde lui appartient. En cons?
quence, le doyen et les chanoines lui pr?senteront chaque ann?e, avant la f?te de P?ques, une personne choisie par eux pour exercer
la direction de ces ?coles, qui sera tenue ? perp?tuit? d'elle et de ses
successeurs3. La surintendance de l'enseignement urbain repassait
Philippus Flandriae et Viromandiae comes... monstravit quod olim quasi a primo eccle siae S. Pharaildis fundamento, quae est in Gandensi oppido sita et specialis est capella
Flandriae comitis, scolae praedicti oppidi assignatae fuerunt uni canonicorum, ut nullus in eodem oppido sine illius assensu cui a comit? scolae assignatae fuerunt scolas regere et gubernare praesumeret. Postmodum autem infortunio miserabili, praefato oppido penitus igne consumpto, etiam dicta ecclesia in pulverem et in cinerem redacta, cum privi legia ejusdem ecclesiae tarn de scolis praelibatis quam de eleemosynis sibi collatis fuis sent in combustione et cibus ignis, multitudo civium propter arridentem sibi divitiarum abundantiam et arces domorum (cum) turribus aequipollere videbantur, ultimum
modum superbiens, domino suo rebellis, contumax et insolens facta est, ut non solum in regimine scolarum transferendo verum etiam in aliis plerisque jurisdictionem sibi et dominium comitis usurparet. Cum autem ad t?mpora praenominati hujus excellentis comi tis... ventum esset, ...ecclesiam S. Pharaildis scolis atque aliis possessionibus dotavit et ditavit. Nos vero, devotionem ipsius attendentes, ...tibi dilectefili Symon, scolas ab eodem comit? collatas confirmamus, statuentes et sub mcominatione anathematis inhibentes, ne quis sine assensu tuo et licentia, in toto Gandensi oppido vel oppidi suburbio scolas regere praesumat. ? La charte est adress?e ?dilecto filio Simoni, Gandensi notario?. Je dois ajouter que M. 0. Oppermann, Die ?lteren Urkunden der Klosters Blandinium und die Anf?nge der Stadt Gent, Utrecht, 1928, p. 478 et suiv., a rejet? comme un faux fabriqu? au xme si?cle, la charte de l'archev?que. Mais sa d?monstration ne tient pas. Faute d'avoir compris la bulle d'Alexandre III, laquelle se borne ? ordonner une enqu?te sur les pr?ten tions de S. Pierre relativement aux ?coles de Gand, il y voit la preuve que ces ?coles rele vaient de S. Pierre et non de S. Phara?lde. En r?alit?, la charte de 1179 est de tous points authentique, et son contenu est corrobor? par tout ce que nous savons de l'histoire de Gand, dont M. Oppermann n'a qu'une connaissance tr?s d?fectueuse.
1. ? Si quis in Gandavo scolas regere voluerit, sciverit et potuerit, licet ei, nee aliquis poterit contradicere ?. Warnx nig-Gheldolf, Histoire de la Flandre et de ses institutions t. III, p. 229. La charte est attribu?e g?n?ralement ? l'ann?e 1192. En r?alit? elle est d'ao?t-octobre 1191.
2. Ibid., p. 232. 3. Warnk nig, Flandrische Staats-und Rechts geschickte, t. II, Urkunden, I, p. 41.
Cette organisation en rempla?a une autre un peu diff?rente de la m?me ann?e. Voy. Warn k nig-Gheldolf, loc. cit., p. 268. Celle-ci avait pour but d'?tablir la transition entre les droits acquis du directeur des ?coles et le r?gime nouveau de Tannalit? des fonctions
qu'il avait re?ues.
26 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
ainsi au pouvoir du Chapitre. Il lui ?tait impossible toutefois d'en dis
poser ? son gr?, puisque le comte se r?servait d'approuver la nomi
nation du magister scolarum, et que son int?r?t le plus ?vident devait
l'emp?cher de ratifier un choix qui e?t m?content? la bourgeoisie. Ce qui se passa ? Gand illustre d'un exemple particuli?rement
bien connu une situation qui, dans ses traits essentiels, se rencontre
dans les autres villes de Flandre. A Ypres, le Chapitre de Saint-Martin obtenait de C?lestin III, en 1195, la confirmation de son droit de
consentement ? l'ouverture de toute ?cole dans la ville1. On en doit
conclure que ce droit avait donc ?t? contest?. La d?cision du pape ne
mit pas fin aux difficult?s. Elles dur?rent sans doute jusqu'au com
promis conclu en 1253 entre le Chapitre et l'?chevinage2. Cet acte d? cide qu'il y aura d?sormais ? Ypres trois grandes ?coles {scolae majores), dont le Chapitre nommera les ma?tres {rectores). Ceux-ci ne pourront
exiger des ?l?ves une r?tribution sup?rieure ? 10 sous annuellement. Il leur est d?fendu de rien leur demander sous pr?texte de saign?e, d'achat de paille ou de joncs ? ?tendre sur le plancher de la classe ou
de fabrication d'encre. Us s'abstiendront ?galement de faire des collectes parmi eux et d'en recevoir du pain3. En revanche, ces ?coles
n'auront pas ? craindre la concurrence que leur faisait l'enseignement ? domicile. A l'avenir, les bourgeois qui font ?lever leurs enfants par un clerc priv? ne pourront admettre ? ses le?ons des enfants ?trangers ? leur famille. Quant aux petites ?coles {parvee scolae), dont le pro gramme ne va pas au del? de la lecture du Ceton, pourra en ouvrir
qui voudra, sans avoir ? obtenir licence ni du Chapitre, ni des ?chevins. Au milieu du xmc si?cle, l'enseignement urbain est donc large
ment organis? dans les villes flamandes. Toutes, grandes et petites, poss?dent d?sormais des ?coles. L'instruction n'y est plus born?e aux connaissances primaires. Ce n'?tait certainement pas ? Ypres seu
lement que l'on rencontrait des scolae majores et des scolae minores.
Ces derni?res suffisaient aux enfants des n?gociants et des artisans4.
Dans les autres se formaient sans doute les clercs qui, leurs ?tudes
1. Feys et Nelis, Cartulaire de la pr?v?t? de Saint-Martin ? Ypres, t. 1, p. 31. 2. Warnk nig-Gheldolf, Histoire d' Ypres, p. 369. Le compromis est dat? du 6 novem
bre. Il fut certainement provoqu? par la bulle d'Innocent IV, du 9 f?vrier 1253 (Ibid., p. 367) ordonnant, sur la plainte des ?chevins d'Ypres, de faire une enqu?te touchant le droit que s'arrogeait le Chapitre de S. Martin, d'excommunier les ?chevins ? l'occasion de leurs empi? tements sur les pr?rogatives du Chapitre en mati?re d'enseignement.
3. ? Pro pactis autem rectores dictarum scolarum non poterunt exigere ab aliquo scola rium suorum ultra suramam decem solidorum, qua summa erunt contenti, nec poterunt pro minutione, nec pro Stramine, nec pro joncis, nec pro gallis, nec aliqua alia de causa ultra dictam summam aliquid exigere, nec de pane puerorum aliquid accipere nec tallias in dictis scolis facer??.
4. Au xine si?cle, il parait probable que plusieurs de ceux-ci savaient lire et ?crire. Une ? tendeuse aux lices? ? Douai, ? la fin du xiiic si?cle, s'en rapporte ? ses ? escris? pour
revendiquer une dette. Gr. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs ? l'histoire de l'industrie drapiere en Flandre, t. II, p. 190. Un pareur de draps, ? la m?me date, r?cla mant son salaire pour la pr?paration de 400 brunes, dit que ? tant en avoit-il inscrit ?. Ibid., p. 201.
L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 27
finies, s'installaient comme ?crivains publics, comme scribes de l'?che
vinage, comme commis de commerce.
L'abondance de ces derniers ?tait tr?s grande d?s le xme si?cle.
Les marchands les plus riches et les industriels les plus consid?rables en occupaient ? la tenue de leurs livres et de leur correspondance. On en trouvait ? Douai chez Simon Malet1, chez Johan Boinebroke2 et ce que nous savons ? leur sujet nous devons l'appliquer ? leurs pareils
de Gand, de Bruges, d'Ypres, de Lille et d'Arras. Le commerce de
l'argent et celui des marchandises ont d?s lors acquis une ampleur
qui requiert la collaboration continuelle de la plume. Il n'est pas d'homme d'affaires de quelque importance qui ne conserve soigneu
sement dans une ?huge?3 ses livres de commerce, ses chirographes et ses lettres.
Les foires de Champagne, qui, au xine si?cle, sont, pour les mar
chands et les industriels de Flandre, tout ? la fois un march? perma nent et un
?clearing house?, donnent lieu ? une correspondance per
p?tuelle. Durant leur tenue, les ? clercs des foires? vont et viennent
perp?tuellement entre Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube et
les grandes villes du bassin de l'Escaut, la mallette gonfl?e de parche mins o? s'inscrit le mouvement d'affaires le plus important qui soit au Nord des Alpes4.
On voudrait savoir comment l'enseignement se donnait dans les
?coles o? les marchands de Flandre ont acquis leur instruction. Il faut nous r?signer ? n'en conna?tre que bien peu de choses. Au d?but,
certainement, l'enseignement ne se faisait qu'en latin. On a vu plus
haut que le Caton, c'est-?-dire le manuel scolaire si r?pandu au moyen
?ge sous le nom de Distica Catonis, ?tait en usage dans les petites ?coles. Dans les grandes on devait s'appliquer particuli?rement ? la r?daction des lettres missives. Un curieux manuscrit de la Biblio
th?que de l'Universit? de Gand, datant de la fin du xine si?cle, com
prend quantit? de mod?les ?pistolaires que les ma?tres dictaient sans
doute ? leurs ?l?ves. On y rel?ve, ? c?t? de lettres traitant d'affaires
eccl?siastiques et civiles d'une extraordinaire vari?t?, des exemples curieux de correspondance commerciale5. Je citerai dans ce genre la
demande, adress?e par l'abb? de Saint-Pierre de Gand aux pr?pos?s aux tonlieux sur l'Escaut, de laisser passer librement deux bateaux
charg?s de cinquante-quatre f?ts de vin, et la recommandation d'un
bourgeois de Bruges ? un correspondant anglais de n'envoyer aucune
1. H. R. Duthilloeul, Douai et Lille au XIIIe si?cle, Douai, 185?, p. 26, 62. 2. G. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs a l'histoire de l'industrie
drapiere en Flandre, t. II, p. 188. 3. En 1301, Jacques Le Blont de Douai avait ?une huge... o?ilavoit plusieurs Chartres,
pluseurs letres et pluseurs cirographes de detes con lui devoit en Brabant et ailleurs?. O. Espinas, La vie urbaine de Douai au moyen ?ge, t. IV, p. 6.
4. Duthilloeul, op. cit., p. 26, 55, 74, 76, 130. 5. N. de Pauw, La vie intime en Flandre au moyen ?ge d'apr?s des documents in?dits
{Bullet, de la Commission royale d'histoire, t. LXXXII, 1913, p. 1 et suiv.).
28 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
marchandise en Flandre avant d'avoir ?t? inform? par lui que la comtesse de Flandre et le duc de Brabant ont lev? l'embargo qu'ils viennent de lancer sur tous les arrivages provenant d'Angleterre1.
L'?criture du manuscrit en question correspond au caract?re de son contenu. C'est une petite cursive gothique que Ton peut consi d?rer comme le type de l'?criture que l'on apprenait ? tracer dans les ?coles urbaines 2.
A l'?poque o? nous reporte le manuscrit, c'est-?-dire la deuxi?me
moiti? du xiiis si?cle, le latin n'?tait plus la seule langue qui serv?t ? initier les enfants ? la lecture et ? l'?criture. On avait traduit ? leur
usage les distiques de Caton en langue vulgaire. Les ?coles de la bour
geoisie devaient n?cessairement mettre leurs ?l?ves ? m?me d'?crire le langage dont ils se serviraient dans la vie. Elles contribu?rent sans doute efficacement ? en introduire l'emploi dans les actes de l'admi nistration courante et des affaires. On peut supposer ? bon droit que, si la plus ancienne charte en langue vulgaire que l'on poss?de (1204) provient de Douai, c'est parce que le puissant d?veloppement com
mercial du comt? de Flandre y avait plus largement et plus h?tive ment qu'ailleurs r?pandu l'enseignement la?que. Dans une autre ville
flamande, ? Ypres, les innombrables lettres de foire dress?es au cours du xine si?cle ont substitu? le fran?ais au latin3.
En d?pit de leur indigence, ces quelques notes suffisent ? montrer que le commerce du moyen ?ge n'a pas ?t? un commerce
d'illettr?s. L'instruction des marchands est au contraire un ph?no m?ne aussi ancien que le renouveau ?conomique. Et c'est l? un fait d'une tr?s grande port?e. Car il prouve jusqu'? l'?vidence que les
marchands m?di?vaux ne sont pas les continuateurs des mercatores du
ixe et du Xe si?cle. S'ils n'avaient pratiqu?, comme ceux-ci, que le
petit commerce local, ils n'eussent pas plus ?prouv? qu'eux le besoin de s'instruire. C'est l'?tendue de leur trafic qui, leur imposant la n?cessit? de la lecture et de l'?criture, les a contraints ? prendre des clercs ? leur service, ? fr?quenter les ?coles de l'?glise et enfin ? fonder dans les villes un enseignement la?que, qui est le premier que l'Europe ait connu depuis l'extinction, vers le vne si?cle, de celui de l'anti
quit?. H. Pirenne.
(Gand.)
1. Je crois int?ressant d'en donner le texte in extenso, comme sp?cimen de correspon dance commerciale : ? Viro pr?vido et discreto tali, civi talis loci in Angiia, talis opidanus brugensis, salutem in Domino, et suis profectibus tam intenta sagacitate quam debita fide litate per omnia sicut in propriis hanelare. Discretioni vestre significo quod universa bona, tam per aquam quam per terram, de universis Anglie partibus Flandrie adducta, tam a duce Brabantie quam comitissa Flandrie, pertinaciter arrestantur. Idcirco discretioni vestre significo sane consulando, deprecor et exoro, quatinus omnino nulla bona trans
mitiere presumatis versus Flandriam vel Brabantiam, donee supra hiis vobis securitatis litteras transmisero sp?ciales)?. N. de Pauw, op. cit., p. 55.
2. On en trouvera un fac-simil? dans H. Pirenne, Album belge de diplomatique, planche XXXI.
3. G. des Marez, La lettre de foire ? Ypres au XIIIe si?cle, p. 8.
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE
DEPUIS LA DERNI?RE GUERRE
L'Allemagne est-elle menac?e d'une crise industrielle ? La ques tion peut ?tre pos?e devant les difficult?s qui, depuis quelques mois, p?sent lourdement sur l'?conomie g?n?rale du Reich. Il devient diffi cile de fermer les yeux ? l'?vidence : si puissante qu'elle soit, l'indus trie allemande se trouve actuellement dans une situation d?licate, et
Ton a le droit de se demander si sa prosp?rit? touche ? sa fin ou, au
contraire, si elle autorise encore un optimisme d?lib?r?.
Pour d?couvrir les causes des dangers qui s'annoncent, et en mesu
rer l'?tendue, il faut se donner la peine de suivre dans son ensemble l'?volution ?conomique du Reich depuis la guerre. A s'en tenir ? une
p?riode trop limit?e, on risque de mal saisir le sens des faits et d'abou tir ? des conclusions d?form?es par des ?v?nements accessoires et des fluctuations incessantes.
Ce qui peut faire l'int?r?t de cet examen, c'est l'importance essen
tielle qui doit ?tre accord?e ? l'industrie allemande, en dehors m?me de toutes consid?rations d'ordre commercial.
Pour l'?tranger qui aborde F Allemagne, la situation politique et morale du pays, d'o? d?pend, plus que de signatures, la consolida tion de la paix, semble devoir constituer le souci primordial. Mais, ?
mesure que son exp?rience allemande se
prolonge, la conviction gran dit chez lui que, surtout depuis la guerre, les int?r?ts ?conomiques sont au premier plan des pr?occupations, et que les forces ?conomiques commandent. La politique appara?t d?concertante, avec ses combi
naisons multiples, compliqu?es, souvent contradictoires, faites d'ac
tions et de r?actions confuses, qui laissent parfois aux t?moins directs le sentiment lassant d'un pi?tinement chaotique et d?sordonn?, d'une
perp?tuelle impr?visibilit?. Surtout depuis la guerre, pour beau
coup d'Allemands ?la politique n'est rien du tout?, selon la phrase de Proudhon.
? Rien du tout, sinon un sc?nario plus ou moins d?co
ratif qui cache les faits les plus int?ressants : les faits ?conomiques. Elle ne garde qu'une place secondaire, la production absorbant le
meilleur des ?nergies. M?me en repoussant l'?troitesse du mat?rialisme historique, et en
proclamant que le fait politique prime souvent tous les ordres de
faits, on ne peut pas oublier que l'Allemagne, r?nov?e par l'expansion
industrielle, est la patrie de Karl Marx. C'est un ?tat ? ?conomique? beaucoup plus que ?politique?. La r?volution de novembre 1918,
30 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
qui a emport? le prestige imp?rial, a donn? du relief ? cette v?rit?. Si la politique influe sur l'?conomique, l'?conomique la d?termine. Il
fait le fond, la nature m?me du pays ; la vie des partis n'y est ? beau
coup d'?gards que la manifestation de l'action industrielle ; les pro bl?mes du travail y jouent un r?le plus important que les id?ologies
politiques. R?duisant encore la place laiss?e ? l'individu, l'?volution
contemporaine a accentu? la domination des lois mat?rielles, parfois ? l'?cart du ? royaume de l'?me?, dont r?vait Wallher Rathenau, et
que, d'ailleurs, sa pens?e fort pratique ne s?parait pas de la production moderne.
Les autres aspects du Reich peuvent se modifier rapidement selon les ?v?nements ; il y a des chances pour que l'organisation industrielle reste longtemps le trait dominant et essentiel de la vie nationale en
Allemagne. Parmi tant de tendances contradictoires et de pressions hostiles qui se sont exerc?es sur le Reich, c'est l? quelque chose de
stable, de solide, une r?alit? ferme, presque immuable.
I. - DE LA GUERRE A LA STABILISATION
A l'issue de la guerre, le d?nuement ?tait terrible dans le pays, le
manque de marchandises g?n?ral. La population, priv?e de tout
depuis plusieurs ann?es, se rua aux achats. L'appareil industriel,
exploit? pendant quatre ans avec intensit?, par un effort ininter
rompu, devait ?tre renouvel? ou r?par?. La demande ?tait grande, les stocks ?puis?s. L'application stricte de la journ?e de huit heures, proclam?e par la r?volution de novembre 1918, permit d'occuper imm?diatement les soldats d?mobilis?s. Ils trouv?rent facilement du
travail, sauf dans la p?riode de troubles politiques et sociaux, nou veau Sturm und Drang, qui, au d?but de 1919, suit la r?volution.
Puis la baisse du mark assure ? l'industrie les illusions de la pros p?rit?. La d?tresse financi?re seconde l'effort de l'industrie durant la
p?riode d'inflation mon?taire. La puissance d'achat du mark est
sensiblement plus ?lev?e en Allemagne qu'? 1 ?tranger. Cette diff? rence constitue une
prime ? l'exportation, qui favorise de nombreuses
entreprises. Le niveau des prix ? l'int?rieur de l'Allemagne est telle ment inf?rieur aux prix pratiqu?s sur les autres march?s que l'?tranger ne peut faire concurrence ? l'industrie allemande en Allemagne et
que les exportations allemandes surmontent au dehors des obstacles
redoutables. Tirant profit de la mis?re de son change, le Reich r?ussit ? reconstituer son commerce ext?rieur. Peu ? peu les produits alle
mands reconqui?rent m?thodiquement les march?s du monde d'o? la
guerre les avait exclus.
Toutefois, ces possibilit?s d'exportation, qui reposent en fin de
compte sur les difficiles conditions d'existence du peuple allemand,
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 31
s'att?nuent ? mesure que l'?tranger, inquiet, oppose aux exportations allemandes des barri?res, sous la forme de taxes douani?res surtout, ou que les prix allemands se rapprochent des prix du march? mon
dial ; il est vrai qu'une nouvelle chute mon?taire vient tout ? coup rendre ? l'industrie allemande un essor nouveau, qui dure jusqu'au
moment o? les prix allemands s'adaptent presque aux prix ext?rieurs ;
il reprend apr?s un temps de malaise. La d?pr?ciation du mark, qui, par secousses, ranime l'activit? de
l'industrie allemande, exerce ? la longue une action funeste sur la vie
?conomique. Tant qu'elle reste mod?r?e, sans confiner ? la catas
trophe, elle stimule la production allemande, mais imprime ? son
d?veloppement un caract?re malsain et fi?vreux. Elle r?duit consi
d?rablement les b?n?fices que l'Allemagne tire du commerce ext?
rieur : apparences brillantes, mais vides. On vend ? l'?tranger trop
bon march? et on paie trop cher les importations. R?alis?s pour une
bonne part en marks-papier, les b?n?fices repr?sentent
une valeur
beaucoup plus faible que ceux d'avant-guerre, de chiffre nominal
moins ?lev?, mais en marks-or.
L'industrie allemande est jet?e, elle aussi, dans la grande crise financi?re o? se d?bat l'Allemagne. Les entreprises sont expos?es au
danger d'un rapide ?puisement et ? la perte de leur ? substance ?.
L'?l?vation du prix des mati?res premi?res, la hausse des frais g?n? raux absorbent jusqu'? les an?antir les capitaux de nombreuses entre
prises. L'abus des immobilisations accentue encore l'insuffisance des
fonds de roulement. Un immense besoin de cr?dit se fait sentir. Les
banques n'y peuvent faire face avec les fonds dont elles disposent, d'autant plus que l'afflux des capitaux dans leurs caisses diminue.
Elles ne veulent pas d'ailleurs s'exposer ? ne retrouver, du fait de la
d?pr?ciation du mark, qu'une fraction des sommes pr?t?es. La p?nurie de cr?dit est si grande qu'on
ne passe plus de contrat sans demander
des versements pr?alables. Elle paralyse les progr?s techniques, res
treint la production, se traduit par le refus de commandes qui s'offrent et par une certaine parcimonie dans l'achat des mati?res premi?res ou
des produits fabriqu?s. En m?me temps, la chert? de la vie s'accro?t tellement que la puis
sance de consommation d'une grande partie de la nation est fort
r?duite. Elle provoque une fermentation g?n?rale et douloureuse dans le pays. Tandis que l'ordre ?conomique s'?branle de plus en plus, la capacit? d'absorption que repr?sentait le march? allemand se trouve en partie paralys?e. D'ailleurs, loin de r?pondre aux besoins de la
consommation, une bonne part des achats se r?duit ? une forme de
sp?culation : ? la chasse des valeurs r?elles? (Sachwerte)
? une chasse
organis?e par des gens convaincus que le prix, d?j? si ?lev?, des mar
chandises va s'?lever encore avec le dollar et soucieux de se mettre ?
32 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
l'abri des cons?quences d'une banqueroute en se munissant de ? va
leurs-or?, quelles qu'elles soient. L'activit?, qui r?gne dans beaucoup
d'entreprises, ne
s'explique souvent que par cette passion d'achat.
Au point de vue commercial, elle est intense jusqu'en 1923. Le trafic
des grands ports en t?moigne ; de m?me, le nombre insignifiant des
ch?meurs.
Quoique consid?rable, la production n'arrive pas encore au niveau
de 1913. Si le nombre des individus vou?s ? l'activit? ?conomique est
sup?rieur en 1922 ? ce qu'il ?tait en 1913, leur rendement utile est
moindre ; car le travail a diminu? de dur?e et d'intensit? et une acti
vit? improductive d'interm?diaires commerciaux est d?termin?e par la sp?culation que provoque la d?pr?ciation mon?taire.
* *
Du fait de l'?tat du change, l'industrie allemande est livr?e ? des
fatalit?s fantaisistes. L'instabilit? politique et sociale, les luttes des
partis, les brusques contradictions de la politique int?rieure et ext? rieure renforcent ses angoisses.
Durant l'occupation de la Ruhr, le mark s'avilit avec une- vitesse
qui s'acc?l?re follement et donne l'impression d'un d?traquement universel. Le cours du dollar passe de 4 620 455 marks en ao?t 1923, ? 98 860 000 en septembre, 25 260 000 000 en octobre, 2 193 600 000 000 en novembre et 4 200 000 000 000 au d?but de d?cembre. La circula tion fiduciaire s'?l?ve de 2 000 milliards en janvier 1923, ? 43 183 mil liards en juillet, 669 000 milliards en ao?t, 28 millions de milliards en septembre, 2 millions et demi de trillions en octobre, plus de 400 millions de trillions en novembre. La valeur-or de ces amas de
papier se r?duit pratiquement ? z?ro. Toute la circulation fiduciaire de janvier 1923 ne suffit plus, onze mois plus tard, ? l'achat d'une c?telette. Au milieu des orgies de l'inflation, la monnaie ne r?pond plus aux besoins des transactions courantes. Ind?finiment multipli?e, elle devient inutilisable, et le num?raire manque dans un tourbillon de billets. Gouvernement, ?tats, municipalit?s, soci?t?s industrielles,
organisations agricoles, chambres de commerce sont oblig?s de cr?er
de nouveaux moyens de paiement.
Plut?t que de recevoir des marks illusoires, beaucoup d'entre
prises se refusent, ouvertement ou non, ? vendre leurs marchandises.
L'agonie du mark-papier bouleverse la vie ?conomique et conduit le
pays ? une ruine qui appara?t irr?sistible. Depuis le printemps de
1923, une sorte de vertige emporte les prix int?rieurs pour les adapter aux prix pratiqu?s sur les march?s ext?rieurs. Longtemps les premiers restent inf?rieurs aux seconds. Dans l'?t?, malgr? l'effondrement
total du mark, ils finissent par d?passer dans beaucoup d'industries
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 33
le niveau du march? mondial. Pour ?tablir ses prix, le commer?ant ou le fabricant ne consid?re plus seulement la d?pr?ciation mon?
taire du jour m?me ; il escompte celle du lendemain. Le discr?dit de
la monnaie engendre les folies de la vie ch?re. Peu ? peu, l'?conomie
allemande r?pudie le mark comme ?talon de valeur, et les prix sont
fix?s en or ou en devises ?trang?res ; mais ils ne cessent d'?tre modifi?s et ?lev?s, malgr? leur pr?tendue valeur constante.
L'adaptation automatique des salaires ? l'indice de chert? de vie entra?ne un d?sordre effroyable. C'est ? qui, dans une course effr?n?e,
montera le plus vite : les salaires ou les prix. Dans l'ensemble, l'aug mentation des salaires est loin de compenser la d?pr?ciation du mark, et, dans la pratique, les retards apport?s aux paiements en r?duisent
la puissance d'achat. La force d'absorption que repr?sente le march?
allemand se trouve paralys?e, la vente s'arr?te ? l'int?rieur. En m?me
temps les exportations s'abaissent en d'?normes proportions, car
l'?tranger n'a plus int?r?t ? acheter en Allemagne. Les importations cessent faute de devises ?trang?res. Beaucoup d'?tablissements sont contraints de r?duire leur personnel ou de fermer leurs portes.
Le ch?mage s?vit, frappant des millions de travailleurs. Des terri toires occup?s, que tourmente la r?sistance passive, il s'?tend rapide
ment au reste de l'Allemagne avec son cort?ge d'?pouvantables mi
s?res. L'avilissement du mark a pour effet d'augmenter la demande
sur le march? du travail. Le rench?rissement contraint ? l'exercice
d'un m?tier jeunes gens, vieillards, femmes, petits rentiers..., nou
veaux prol?taires dont le nombre s'?l?ve avec la d?pr?ciation mon? taire qui fait rage.
Durant le sombre automne de 1923, qui semble ? beaucoup d'Alle mands plus dur que la guerre, l'industrie, ralentissant sa marche, semble s'acheminer vers un arr?t presque total ; le Reich glisse dans l'anarchie. Le chaos s'?panouit parmi les convulsions financi?res et
sociales.
Brusquement, tout change d'un coup. L'Allemagne op?re un r?ta
blissement vigoureux, rendu possible par le succ?s de la r?forme mon? taire. Elle retrouve un budget en
?quilibre et une monnaie s?rieuse.
Le 15 novembre 1923, le Rentenmark est institu? et, en octobre 1924, une monnaie parfaitement stable, le Reichsmark, est ?tablie.
Tout le monde ?tait d'accord pour reconna?tre que l'industrie aurait ? traverser une crise tr?s dure en cas de stabilisation mon?taire.
La d?pr?ciation progressive, puis vertigineuse du mark, a retard? cette ?preuve qu'il fallait affronter r?solument, m?nager m?me pour revenir ? un
r?gime ?conomique normal.
ANN. D'HISTOIRE. - ire ANN?E. 3
34 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Au sortir des exc?s de l'inflation, la p?riode d'assainissement a
failli, dans certains cas, devenir critique. L'arr?t de la d?pr?ciation mon?taire fixe les prix ? des taux qui d?passent souvent le niveau
mondial et provoque de graves difficult?s de d?bouch?s ; il fait
momentan?ment diminuer le volume des exportations, malgr? un
dumping avou? ou proclam? comme une dure n?cessit? par les indus triels. Il atteint les entreprises qui s'?taient multipli?es ? l'exc?s pen dant l'inflation : ? la fin de 1924, on comptait 17 074 soci?t?s par actions, au lieu de 5 486 avant la guerre, 79 257 soci?t?s ? responsa bilit? limit?e, au lieu de 26 790.
Les possibilit?s de production ne correspondent pas aux possibilit?s de vente, r?duites par l'exc?s m?me des moyens de production. L'in
dustrie n'est plus second?e par le manque g?n?ral de marchandises, comme ? l'issue de la guerre et par la mis?re du change, comme durant
l'inflation, quand chacun achetait des ? biens r?els ?. Les acheteurs,
attendant une baisse des prix, font gr?ve et leur puissance d'achat est m?diocre. Aussit?t apr?s la stabilisation, la population allemande, accoutum?e ? payer des trillions, a proc?d? durant quelques semaines au maximum d'achats, parce qu'elle ne se rendait pas compte de la
valeur effective de la monnaie nouvelle ; mais les besoins du march?
int?rieur, d?courag? par l'?normit? des prix, ont ?t? vite satisfaits.
Quoique en diminution r?guli?re depuis le d?but de 1924, le
ch?mage reste inqui?tant : en avril 1924, il est encore plus consid?rable
qu'il ne l'a jamais ?t? de janvier 1919 ? ao?t 1923. Le commerce et l'industrie doivent faire front contre la ruine. Ils
ont ? reconstituer leurs fonds de roulement. Durant l'inflation, les
entreprises les ont immobilis?s, afin d'?chapper ? la d?pr?ciation mon?
taire, en agrandissant leurs installations et en se r?fugiant dans les ? valeurs r?elles ?. Les cr?dits bancaires deviennent tr?s co?teux.
M?me les entreprises les plus solides se trouvent dans l'embarras, et non pas seulement les exploitations m?diocres n?es de la guerre ou de
l'inflation, et ayant subsist? gr?ce ? ce r?gime qui leur assurait un fonctionnement sans
risques.
Pour triompher de tant de difficult?s, l'industrie s'acharne ? r?duire ses frais de production aux d?pens de la main-d' uvre : par l'augmentation de la dur?e du travail et la compression des salaires.
L'effondrement du mark a vid? les caisses des syndicats ; l'impor tance du ch?mage rend les salari?s conscients de leur faiblesse et
impuissants en face des exigences patronales. Au nom des n?cessit?s
de la production industrielle, le patronat exploite sans m?nagement les avantages que lui assure cette situation.
Apr?s la promulgation de l'Ordonnance du 21 d?cembre 1923, qui autorise de nombreuses d?rogations au principe, th?oriquement main
tenu, de la journ?e de huit heures, les ouvriers acceptent un peu par
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 35
tout de travailler plus longtemps. Tout en continuant de repr?senter la dur?e l?gale du travail, la journ?e de huit heures devient l'excep tion. Dans bien des cas, la modicit? des salaires permet de faire accep ter aux
employ?s un travail suppl?mentaire en
?change d'un accrois
sement souvent minime de la paye. Les plus conciliants des chefs d'entreprise n'admettaient pas que
les salaires-or de 1924 pussent ?tre sup?rieurs ? ceux de 1914. Ils se
refusaient absolument ? tenir compte de la d?pr?ciation de l'or, qui amenait des repr?sentants de syndicats ouvriers ? r?clamer une aug
mentation de 50 p. 100 sur la paye d'avant-guerre. Inf?rieurs m?me nominalement aux chiffres d'avant-guerre, les salaires ne p?sent pas alors sur l'industrie dans la m?me proportion qu'autrefois. Ils restent
faibles par rapport au prix de la vie. Toutefois la situation des classes laborieuses s'est sensiblement am?lior?e depuis la stabilisation mon?
taire qui a fortement accru la v?ritable valeur de la paye ; quand le
prix de toute denr?e s'?levait en m?me temps que le mark s'effondrait, l'argent que recevait l'ouvrier deux ou trois fois par semaine se
d?pr?
ciait, avant qu'il e?t pu ?tre converti en Sachwerte.
Au lendemain de l'?branlement qu'ont entra?n? la guerre et l'in
flation, l'Allemagne dispose de forces productives consid?rables et de richesses immobili?res accrues : ports et canaux d?velopp?s, chemins
de fer et postes munis des installations les plus modernes, puissant outillage adapt? ? une production qui pourrait ?tre sup?rieure ? celle
d'avant-guerre. Mais la production industrielle et le pouvoir d'achat
ont tous deux diminu? ; l'activit? ?conomique est faible. Cette p?riode de d?pression persiste jusqu'? la fin de 1925.
IL - LA ? RATIONALISATION ?
L'ann?e, qui ach?ve le premier quart du xxe si?cle, marque une
?tape d?cisive dans le d?veloppement ?conomique de l'Allemagne. Apr?s les lendemains de la guerre et de la r?volution, apr?s les troubles extraordinaires de l'inflation, apr?s le profond d?sastre o? l'occupa tion de la Ruhr a plong? l'industrie, apr?s la crise qui a suivi la stabili sation mon?taire, une p?riode de temps est r?volue en 1925, et une
nouvelle phase s'ouvre alors, avec un ?tat industriel o? tendent peu ?
peu ? se r?tablir l'?quilibre, le retour au prix normal des choses, un
rapport raisonnable de l'int?r?t au capital et du salaire au travail. La vie ?conomique revient ? un rythme r?gulier.
Les entreprises sentent la n?cessit? de r?former leurs m?thodes et de se
r?organiser sur une base scientifique. Une propagande ardente
et ing?nieuse est men?e pour la modernisation de l'industrie. On d?nonce le mauvais fonctionnement de son appareil productif trop
compliqu? et trop co?teux, les exc?s de son bureaucratisme, son igno
36 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
ranee des m?thodes qui permettraient de diminuer le co?t de la pro duction. On Paccuse, souvent non sans injustice, d'avoir n?glig? les
perfectionnements techniques pendant les ann?es de d?pr?ciation mon?taire, d'avoir ? sommeill? sur le canap? de l'inflation ?, en s'ef
for?ant moins de d?velopper la fabrication en s?rie ou de renouveler les machines que d'agrandir les usines.
Le principe de la ?rationalisation?, qui domine d?s lors le d?ve
loppement ?conomique en Allemagne, donne aux groupements indus
triels une autre physionomie. Las de l'exploitation extensive des ann?es d'inflation, le Reich entreprend syst?matiquement d'am?liorer
l'outillage industriel et de dissoudre les organismes d?ficitaires qui ne
r?pondent plus aux besoins. Sous la pression des difficult?s ?cono
miques, beaucoup d'entreprises co?teuses sont liquid?es ox. absorb?es
par d'autres. Avec une ?nergie farouche, les houill?res de la Ruhr ren
voient les deux cinqui?mes de leur personnel. Non seulement les ?ta
blissements industriels perfectionnent leurs installations techniques, leurs conditions d'exploitation, mais ils ?tablissent la production sur
de tout autres fondements. Inspir?es de ces tendances, de larges con
centrations s'op?rent pour une r?partition judicieuse des fabrica
tions : fusion des entreprises sid?rurgiques rh?nanes-westphaliennes,
fondation de l'Union des Forges et Fonderies de Haute-Sil?sie, for
mation du trust de l'acier de l'Allemagne Centrale, trust de l'industrie
chimique...
Les efforts consid?rables entrepris dans cette voie ne s'arr?tent
pas aux fronti?res. Des perspectives nouvelles s'ouvrent. En bien des
cas la rationalisation semble devoir se confondre avec un commence
ment d'internationalisation v?ritable. L'accord sur le cartel de l'acier
est sign? ? Bruxelles le 30 septembre 1926 par les meta. ?rgies d'Al
lemagne, de Belgique, de France, du Luxembourg et de la Sarre ; il
r?partit entre elles la production atteinte durant le premier trimestre
de 1926 et fixe le pourcentage des participations pour la production
suppl?mentaire. L'accord sur la potasse est conclu le 29 d?cembre 1926
entre le Kalisyndikat et la repr?sentation qualifi?e de la production
fran?aise ; la France et l'Allemagne s'interdisent r?ciproquement toute
exportation ? destination des territoires de leur souverainet? ; les
conditions de r?partition des ventes ? l'exportation sont fix?es.
La r?organisation industrielle, inaugur?e en 1925, semble vite
devoir prendre une ampleur qui peut entra?ner la modification com
pl?te des conditions g?n?rales de la production. L'industrie se recons
titue rapidement. Son rel?vement se manifeste ? partir de 1926.
L'arr?t du travail dans les houill?res anglaises y contribue puissam ment en procurant ? l'Allemagne des d?bouch?s exceptionnels. Par
des progr?s constants, l'activit? ?conomique devient intense et, en
1927, atteint un niveau ?lev? dans presque toutes les branches de
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 37
l'industrie. Elle est soutenue par une forte demande de la consomma
tion int?rieure, qui profite de l'am?lioration du bien-?tre g?n?ral. La production de 1927 se rapproche de celle de 1913, malgr? la
perte de l'Alsace-Lorraine, de la Sarre et de la Haute-Sil?sie polo naise ; par mois :
En 1913 : 1 397 000 tonnes de fonte ; En 1927 : 1 092 000 tonnes de fonte ; En 1913 : 1 467 000 tonnes d'acier ; En 1927 : 1 359 000 tonnes d'acier ; En 1913 : 15 842 000 tonnes de charbon ; En 1927 : 12 800 000 tonnes de charbon. Sans la crise de m?vente qui s?vit pour le charbon, l'extraction
houill?re serait beaucoup plus forte. D?j?, avec 12 800 000 tonnes, elle d?passe tous les chiffres d'apr?s-guerre :
5 193 000 tonnes en 1923 ; 9 897 000 tonnes en 1924 ; 11 052 000 tonnes en 1925 ; 12 114 000 tonnes en 1926. En 1927, elle comporte, avec 153 600 000 tonnes au total, 8300 000
tonnes de plus qu'en 1926, ann?e de la gr?ve anglaise. De m?me la pro
duction du lignite, ?un parvenu de la guerre? ? 150 806000 tonnes
? continue de progresser : de 1926 ? 1927, elle grossit de 11 700 000 tonnes ; celle des briquettes
? 34 463 000 tonnes ? s'accro?t de 2 100 000 tonnes.
La production m?tallurgique s'?l?ve remarquablement : celle de la fonte, de plus de 36 p. 100 par rapport ? 1926 ; celle de l'acier, de
pr?s de 32 p. 100 ; celle des lamin?s, de plus de 25 p. 100. L'essor est
g?n?ral. La production des filatures et des tissages de coton et de lin
passe de 90,8 en 1926 ? 116,4 en 1927 (100 ==
production de juillet 1924 ? juin 1926). La consommation industrielle d'?lectricit? de
92,2 ? 109,4 (100 = 1925). Les ventes de potasse s'?l?vent de
91 700 tonnes par mois ? 103 300 tonnes (exprim?es en potasse pure). Le trafic des chemins de fer donne des renseignements utiles sur
la production, puisqu'il est plus ou moins grand selon que la pro duction g?n?rale du pays augmente ou diminue. Les chemins de fer
transportent 434 063 000 tonnes en 1927, au lieu de 381 868 000 en
1926 et 373 009 000 en 1925. En 1927, pour la premi?re fois depuis la
stabilisation, le tonnage transport? est sup?rieur ? celui de 1913, pour un r?seau ramen? aux fronti?res actuelles. L'augmentation est de
8,8 p. 100 dans le nombre de tonnes transport?es. Elle est de 2,62 p. 100 pour le nombre de tonnes-kilom?tres :
64 887 715 000 en 1927 ; 59 016 334 000 en 1926 ; 55 965 403 000 en 1925.
38 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Le mouvement des ports n'est qu'en rapport indirect avec la pro duction du pays. Toutefois il apporte des indications pr?cieuses sur
F activit? nationale. Les chiffres concernant le tonnage net des navires entr?s et sortis
dans les ports indiquent un trafic consid?rable, sup?rieur ? celui de
1913.
Moyenne mensuelle.
? ntr?es Sorties
1913 . 2 649 000 1 986 000 1920 . 908 000 705 000
1922 . 2 005 000 1 462 000 1924 . 2 268 000 1 721 000 1925 . 2 447 000 1 910 000 1926 . 2 515 000 2 504 000 1927 . 3 137 000 2 471 000
Les exportations deviennent plus importantes qu'? aucun moment
depuis la stabilisation. D'apr?s les statistiques officielles, elles attei
gnent en 1927 une valeur de 10,2 milliards de marks (10,8 milliards
y compris les livraisons en nature faites au titre du Trait? de Ver
sailles), au lieu de 9,8 milliards en 1926, 8,8 milliards en 1925 et
10,1 milliards en 1913. En 1924, elles ne parvenaient qu'? 65 p. 100 de leur valeur d'avant
guerre ; en 1927, elles la d?passent nominalement. Il convient toute
fois de remarquer qu'avec la valeur actuelle de la monnaie, les 10 mil
liards de 1913 correspondaient environ ? 15 milliards et que, pendant les cinq ann?es qui pr?c?d?rent la guerre, l'accroissement des expor
tations fut consid?rable ? 900 millions par an, les importations
augmentant dans des proportions plus faibles : 600 millions.
D?termin?es par l'activit? industrielle, qui a besoin de l'?tranger
pour ses mati?res premi?res autres que le charbon, les importations de
mati?res premi?res grandissent en 1927 ; en moyenne, la valeur des
importations de mati?res premi?res et produits semi-manufactures
passe de 4,9 milliards en 1926 ? 7,2 milliards en 1927. Elles ont le
redoutable inconv?nient de contribuer ? accro?tre le d?ficit de la
balance commerciale, qui d?passe 4 milliards en 1927, au lieu de
3,6 milliards en 1925, tandis qu'en 1926 et avant la guerre, l'Alle
magne ?tait presque arriv?e ? l'?quilibre : le d?ficit n'?tait que de
0,7 milliard en 1913 et de 0,2 milliard en 1926 (1).
(1) Pour la p?riode d'avant-guerre, ainsi que pour les ann?es 1924-1927, on aboutit au
tableau suivant d'importations et d'exportations, en milliards de marks :
1909 1910 1911 1912 1913
Importations. 8,5 8,9 9,7 10,7 10,8 Exportations. 6,6 7,5 8,1 9 10,1
Exc?dent des importations .. 1,9 1,4 1,6 1,7 0,7
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 39
Pour ces chiffres, particuli?rement favorables, de 1926, importa tions r?duites et exportations accrues, il faut tenir largement compte des effets du conflit minier britannique (mai-novembre) et des r?coltes excellentes de l'ann?e 1925-1926, qui ont apport? ? la balance com
merciale un all?gement pr?cieux. Gr?ce surtout ? l'afflux de cr?dits ?trangers, le ch?mage ?tait
devenu tr?s faible en 1925 : on ne secourt plus que 173 000 ch?meurs en juillet 1925 ; mais il avait regagn? du terrain en 1926. En mars 1926, il fallait secourir 1 942 000 ch?meurs. Ce chiffre effroyable s'abaisse ? 1 121 000 en mars 1927; ? 340 000 en octobre 1927. Donc, en 1927, plus d'un million d'ouvriers ont retrouv? du travail. Toujours aigu l'hiver, le fl?au se fait moins durement sentir au cours de l'hiver 1927 1928 qu'au cours des hivers pr?c?dents. Mais, tout en s'att?nuant, le
ch?mage demeure l'un des probl?mes les plus graves en face desquels l'Allemagne reste plac?e depuis la stabilisation. Beaucoup d'?cono
mistes et d'industriels sont d'avis qu'il s?vira de longues ann?es encore. D?j? l'Allemagne d'avant-guerre comptait en moyenne 100 000
et, dans les p?riodes de d?pression ?conomique, 500 000 ? 600 000 ch? meurs. Or, la main-d' uvre est beaucoup plus nombreuse qu'au
trefois, le nombre des ?sans-profession? s'?tant consid?rablement
r?duit. Robert Friedlaender estime que, par rapport ? 1913, l'Alle
magne compte en plus 4 ou 5 millions d'Allemands qui doivent cher cher ? gagner leur vie1.
III. ? La hausse des salaires
L'ann?e 1927 a ?t? pour l'industrie allemande une ann?e d'efforts, de succ?s, de rel?vement ; toutes les statistiques en font foi. Si l'on se
refuse ? leur attribuer une valeur absolue, on ne peut m?conna?tre la
janvier-juillet 1923 1924 1925 1926 1927 1928
Importations. 6,2 Exportations. 6,1 Exc?dent des importations sur
les exportations. 0,1
9,1 12,4 10 14,2 8,4 6,6 8,8 9,8 10,2 6,8
2,5 3,6 0,2 4 1,6
Avant de tirer de ce tableau des conclusions d?finitives, on notera une tendance g?n? rale des statistiques allemandes du commerce ext?rieur ? surestimer les importations et ? sous-estimer les exportations. Cette tendance, que reconnaissent les services comp?tents du Reich, ne suffit ?videmment pas pour transformer en un exc?dent des exportations sur les importations la passivit? de la balance commerciale. L'Office de statistique est d'avis qu'il convient de r?duire la valeur des importations de 5 p. 100 pour 1925, de 3 p. 100 pour 1926, 1927 et 1928, et d'augmenter seulement de 1 et demi p. 100 la valeur des exportations pour cette p?riode. Une loi du 27 mars 1928 pr?voit, pour l'?tablisse
ment de ces statistiques, des r?formes de m?thode qui doivent assurer ? l'avenir plus d'exactitude.
Pour les chiffres si d?favorables de 1923, il va sans dire qu'ils ne repr?sentent qu'une indication, puisqu'il ne s'agissait alors, avec les fluctuations continuelles des prix et du change, que de marks d?pr?ci?s dont la valeur, sans cesse modifi?e, devait ?tre calcul?e encore par l'Office de statistique.
1. Robert Friedlaender, Chronische Arbeitskrise, Berlin, 1926.
40 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
tendance qu'elles indiquent vers une prosp?rit? g?n?rale des affaires. Les progr?s de l'essor industriel s'accentuent jusqu'? l'automne de
1927. A partir de ce moment, l'Institut pour l'?tude du mouvement ?co
nomique (Institut f?r Konjunkturforschung),^ services ?conomiques des grandes banques signalent des menaces s?rieuses qui surgissent ? l'horizon : le Reich aborde une- p?riode difficile. Au printemps de
1928, l'industrie et le commerce se trouvent arr?t?s dans leur marche
ascendante. Veulent-ils seulement reprendre haleine ? Des sympt?mes nettement d?favorables se dessinent ; une r?gression marqu?e se fait sentir dans presque toutes les branches de l'activit?. La d?pression est
manifeste dans l'industrie textile, l'industrie du v?tement, l'industrie de la chaussure. Cette derni?re est particuli?rement atteinte par la concurrence tch?que. Dans la m?tallurgie, on note un ralentissement
des commandes ; mais, comme l'industrie chimique, elle a r?ussi ?
compenser en partie les effets de l'accroissement des salaires par des
mesures de rationalisation dont tire profit l'exportation1. Il est difficile de calculer avec pr?cision le retentissement du fl?
chissement industriel sur l'?conomie g?n?rale de l'Allemagne. Elle ne
semble pas ?voluer vers une crise d?cisive et imm?diatement p?ril leuse ; elle peut encore s'acheminer vers un rel?vement progressif et
lent. Mais, malgr? la r?sistance tenace qu'opposent les forces de pro
duction, elle peut aussi s'approcher d'une nouvelle p?riode de d?pres sion, succ?dant ? une p?riode de prosp?rit?.
Le malaise grandissant d?pend surtout de l'exag?ration des prix de
produits industriels, r?sultant elle-m?me de la hausse des salaires. Les salaires, fix?s au lendemain de l'inflation mon?taire, ?taient
m?diocres. De ce fait, l'industrie allemande se trouvait privil?gi?e par
rapport ? la plupart des entreprises ?trang?res ; un avantage consid?
rable lui ?tait assur? ? cet ?gard. Des rajustements ?taient in? vitables. D?s le printemps de 1924, en m?me temps que le ch?mage diminue et que la stabilisation mon?taire rend financi?rement quel ques forces aux organisations syndicales, la pression ouvri?re fait
augmenter les salaires. Ils s'?l?vent lentement, quoique dans des pro
portions assez fortes, en 1924 et au d?but de 1925, puis marquent un
temps d'arr?t. Les arbitres officiels, qui sont les ma?tres des salaires, doivent alors constater souvent que l'industrie, aux prises avec de
s?rieuses difficult?s, ne peut supporter de nouvelles charges. La hausse reprend au d?but de 1927, elle devient plus rapide gr?ce
? l'activit? g?n?rale des affaires. Les premi?res majorations sont des
tin?es ? compenser la hausse progressive des loyers ; car, par un ?tat
de choses qui n'est pas propre ? l'Allemagne, la stabilisation mon?
1. L'Institut pour l'?tude du mouvement ?conomique estime que, ? la fin de juillet 1928. l'exportation occcupait encore 300 000 personnes de plus qu'un an auparavant.
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 41
taire a ?t? effectu?e avant le r?glement de la question des loyers. A mesure que leur prix, longtemps d?risoire, devient normal, le co?t de
la vie augmente.
De nouvelles augmentations se produisent. Il ?tait certes naturel de supposer que la main-d' uvre participerait ainsi ? l'accroissement de la production, de m?me qu'aux ?conomies r?sultant de la r?orga nisation industrielle entreprise depuis 1925.
Les hausses de salaires ont souvent des effets bienfaisants pour l'?conomie g?n?rale. Relevant le niveau de l'existence, elles semblent devoir renforcer le march? int?rieur et sa puissance d'absorption, stimuler dans les masses populaires la demande de marchandises.
L'industrie allemande ne peut assur?ment se passer d'un march? int?
rieur, capable d'absorber et d'acheter ses produits. Elle ne pourrait vivre avec les seules exportations,
? avant la guerre, les exportations allemandes n'ont jamais d?pass? sensiblement 10 p. 100 ? 20 p. 100 de l'ensemble de la production, et on aurait tort de s'imaginer qu'un assainissement de l'?conomie g?n?rale puisse consister simplement en une compression des salaires, destin?e ? accro?tre au maximum les
possibilit?s d'exportation. Il est n?cessaire, pour la production, que l'ensemble des salari?s jouissent, dans le march? int?rieur, d'une puis sance d'achat normale.
Mais, pour que l'augmentation des salaires ait une valeur incon
testable pour la collectivit?, il importe que cette augmentation soit
pr?lev?e progressivement sur l'abaissement des prix de revient, sans
provoquer une hausse des prix et du co?t de la vie. De l'abaissement des prix de revient, d?pend l'assainissement de la production.
Or, la hausse des salaires en Allemagne se traduit par un rel?ve ment imm?diat des prix, qui frappe les consommateurs, et, en fait, annule presque l'effet social de salaires plus ?lev?s. Accordant une
augmentation de la paye ? son personnel, l'industrie mini?re et m?tal
lurgique en reporte la charge sur le consommateur ? manus manum
lav?t ? en relevant les prix du charbon, du fer, de l'acier. Les prix du charbon rh?nan-westphalien s'?l?vent d'environ 13 p. 100 dans les
r?gions o? ne s'exerce pas la concurrence ?trang?re d'autres bassins
houillers. Les prix de l'acier montent de 7 p. 100, ceux du fer en barres de 5 p. 100, ceux de la t?le de 8 p. 100. Les prix du ciment s'?l?vent. Suivant l'exemple des postes qui, d?s ao?t 1927, ont relev? les tarifs
postaux pour le trafic int?rieur, les chemins de fer augmentent leurs tarifs en octobre 1928. L'ascension des prix est plus forte encore pour les produits finis que pour les mati?res premi?res et les demi-produits : ce qui semble prouver le r?le de la hausse des salaires et des charges sociales dans l'?l?vation des prix.
Les cons?quences de cette situation sont graves : le co?t de la vie
augmente, et le consommateur ne tire aucun avantage des profits que
42 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
pouvait lui apporter l' uvre p?nible de la rationalisation. Les prix conditionnent l'avenir des exportations, le meilleur prix de revient finit toujours et partout par l'emporter ; la hausse compromet la
capacit? d'exportation et les progr?s r?alis?s laborieusement par le commerce ext?rieur ; elle diminue, pour l'industrie allemande, la facult? de concurrencer la production ?trang?re.
En d?pit des ?l?vations de salaires, le march? int?rieur se con
tracte, et, par une sorte de paradoxeres industries qui d?pendent le
plus du march? int?rieur, ?
par exemple l'industrie du coton qui ne
rel?ve des exportations que pour un dixi?me environ, ? sont plus
durement atteintes par la r?traction de la demande que les industries fortement exportatrices, par exemple l'industrie des outils qui exporte presque la moiti? de sa production.
* *
Lors des discussions passionn?es qui avaient suivi en Allemagne la promulgation du plan Dawes, les adversaires de son
acceptation
affirmaient que son application compromettrait la politique sociale du Reich et abaisserait le niveau d'existence de la population. Leurs craintes semblent avoir ?t? vaines. Comme ?l?ment du prix de revient le montant des salaires repr?sente, dans le co?t de la production, une
charge croissante, ? bien plus lourde que durant l'inflation mon?
taire, o? une hausse nominale de la paye, fix?e d'apr?s la valeur du
mark ? l'int?rieur de l'Allemagne, ne compensait pas les effets de
l'effondrement de la monnaie. La stabilisation mon?taire a accru
consid?rablement la part du salaire dans le prix de revient, et cette
part est devenue, dans la plupart des industries, beaucoup plus forte
qu'avant la guerre.
Nous nous en tiendrons ? cette constatation d'ordre purement
?conomique. Il est incontestable qu'au point de vue social l'augmen
tation des salaires ?tait justifi?e dans bien des cas, et nous ne songeons
pas ? ?tudier ici, de ce point de vue, les sacrifices consentis au mieux
?tre des travailleurs, ni ? rechercher ce qu'ils repr?sentent par rapport
au co?t de la vie. Dans les ?ternelles discussions qui mettent aux
prises patrons et ouvriers, il est d'ailleurs presque impossible de recon
na?tre exactement la valeur r?elle des salaires pour la chert? de vie,
avec le pouvoir d'achat qu'ils apportent comme mesure du revenu de
l'ouvrier et de son bien-?tre ?conomique.
Nous pourrions nous contenter d'un exemple que nous emprun
tons ? un de nos compatriotes, technicien eminent, excellemment
plac? pour traiter cette d?licate question avec une comp?tence indis
cutable. Dans un magistral rapport adress? le 1er juin 1928 ? la Com
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 43
mission des R?parations1, M. Gaston Leverve, Commissaire des Chemins de fer allemands, constate qu'? cette date le revenu annuel
moyen d'un agent des chemins de fer est de 3 855 marks, au lieu de 2 110 en 1913 ; le traitement actuel ?quivaudrait donc ? 183 p. 100 du traitement d'avant-guerre. Or, une somme de 100 marks avait, avant la guerre, ? peu pr?s le m?me pouvoir d'achat qu'une somme de
150 marks aujourd'hui. Le traitement d'un agent des chemins de fer a donc un pouvoir d'achat qui correspond ? 121 p. 100 du traitement
d'avant-guerre. Il convient d'ailleurs de remarquer que, si pour les classes sup?
rieures du personnel l'augmentation des traitements reste sensible
ment en dessous de cette moyenne g?n?rale, elle la d?passe fortement
pour les classes inf?rieures. Entra?n?e par une tendance naturelle aux
d?mocraties nouvelles, la politique pratiqu?e jusqu'en 1920 tendait au nivellement des salaires par la base. Pour les ouvriers travaillant
au chemin de fer, le prix de l'heure de travail a doubl?. Avant la
guerre, elle ?tait pay?e 42 pf. en moyenne ; elle est r?tribu?e d?sor mais ? raison de 84 pf. Pour un indice du prix de la vie de 150,7, le
salaire d'une heure de travail ?quivaut, en pouvoir d'achat, ? 132,5 p. 100 du salaire de 1913.
On pourrait, il est vrai, objecter qu'avant la guerre les salaires
?taient assez bas dans les chemins de fer, en comparaison des autres
branches de l'activit? allemande ; l'administration utilisait l'absence
de droit syndical et les aspirations bureaucratiques d'une partie des
agents du chemin de fer, pour maintenir les salaires ? un niveau peu
?lev?. Cette objection n'est pas valable pour les simples ouvriers tra
vaillant au chemin de fer.
Elle l'est encore moins pour les mineurs, puisqu'au contraire leur
r?mun?ration se trouvait presque au sommet de la ? pyramide des
salaires? et marquait un maximum de r?tribution du travail. Le
piqueur de la Ruhr, qui, en 1913, gagne par jour 6 m. 92, gagne, en
1924, 7,51 ; en 1925, 8,50 ; en 1926, 9,14 ; en 1927. 9,76. Pour l'heure
de travail, r?tribu?e, en mars 1924, 0 m. 60, il re?oit, en mai 1928, 1 m. 03. Le syndicat des houill?res d'Essen affirme que. de 1924 ?
1928, huit ?l?vations de salaires ont accru de plus d'un milliard de
marks les charges impos?es aux charbonnages de la Ruhr.
L'Office de statistique constate qu'avec les salaires pratiqu?s
depuis le printemps de 1928 ? augmentation de 7 p. 100 environ ?
les travailleurs du sous-sol ont, par rapport ? 1913, un salaire sup?
rieur de 48,4 p. 100 et les travailleurs du jour de 72,9 p. 100.
?tablissant une moyenne g?n?rale des salaires pour les grandes
industries, l'Office de statistique estime que l'heure, pay?e 77,8 pf.
1. Rapport n? 7 du Commissaire des Chemins de fer allemands, Berlin, 1928.
44 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
en janvier 1925, l'?tait 92,5 en janvier 1926, 93,2 en janvier 1927,101 en janvier 1928, 106,1 en juin 1928, 110,9 en ao?t 1928. Pendant ce
temps, l'indice du co?t de la vie a suivi l'?volution suivante :
Moyenne 1925. 139,8 ? 1926. 141,2 ? 1927. 147,6
Janvier 1928. 150,8
F?vrier ? . 150,6
Mars ? . 150,6
Avril 1928. 150,7 Mai - . 150,6
Juin ? . 151,4
Juillet - . 152,6
Ao?t ? . 153,5
Ainsi que nous avons eu l'occasion de le signaler, la hausse de l'indice du co?t de la vie s'explique en partie par la hausse des loyers, soumis ? une stricte r?glementation.
Le patronat rend ?galement responsable de la vague de hausse, qui emporte les salaires, l'intervention gouvernementale dans le fonc tionnement de la vie ?conomique. Les institutions officielles d'arbi
trage s'appliquent ? la solution amiable des a?saccords entre patrons et ouvriers et, par une conciliation m?thodique, veulent emp?cher le choc brutal d'int?r?ts oppos?s. En g?n?ral, elles croient ?quitable
d'accorder aux ouvriers une part de ce que demandent leurs syndicats et ainsi, d'apr?s le patronat, encouragent les organisations ouvri?res
? formuler sans cesse de nouvelles exigences. Pendant huit ans, depuis le cabinet Fehrenbach-Simons, en 1920,
jusqu'? l'av?nement du cabinet Hermann M?ller, en juin 1928, un
pr?tre catholique, l'abb? Brauns, Ministre du Travail, a ?t? ainsi le ma?tre presque absolu des conditions du travail de toute l'industrie allemande.
IV.? R?sultats et pr?visions
Hausse du niveau des prix, baisse du mouvement g?n?rai des affaires : il y a l? une situation ?videmment singuli?re, qui ne peut se
prolonger que parce que la d?pression ?conomique reste mod?r?e. Les
espoirs, sans doute t?m?raires, con?us avec la rationalisation, n'ont
pu ?tre enti?rement r?alis?s x. On ne pouvait en attendre un miracle financier. Les mesures de rationalisation ont exig? d'importantes
mises de fonds, qui ont co?t? cher ? une industrie d?j? surcharg?e de dettes. Les capitaux allemands ne lui suffisant pas, elle a eu recours
aux capitaux ?trangers et les emprunts ext?rieurs ont ?t? contract?s ? un taux ?lev?. Ils restent indispensables pour l'avenir malgr? les
progr?s de l'?pargne nationale.
1. Cf. Bruno Birnbaum : Organisation der Rationalisierung : Amerika-Deutschland, Berlin, 1927.
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 45
L'industrie allemande continue ? c'est l? son c?t? vuln?rable ?
? souffrir du manque de fonds de roulement; la hausse des salaires absorbe les disponibilit?s qui se cr?ent et elle emp?che la r?duction des frais g?n?raux.
Ainsi la r?organisation industrielle n'atteint pas son but essentiel :
l'abaissement du co?t de la production. Dans une p?n?trante ?tude consacr?e ? la politique financi?re de l'Allemagne1, le professeur
M. Bonn se demande am?rement si c'est vraiment un succ?s de la
rationalisation, entreprise avec force capitaux ?trangers, que de faire
appara?tre des ?l?vations de prix dans la m?tallurgie, ? ? une indus
trie qui, apr?s la guerre, a proc?d? ? une premi?re rationalisation
gr?ce aux indemnit?s re?ues de l'?tat, une industrie qui a tir? profit de l'inflation par l'amortissement de ses dettes et l'?tablissement de salaires minimes, une industrie qui, gr?ce ? la prohibition d'exporta tion des ferrailles, a dispos? d'avantageuses mati?res premi?res, une
industrie enfin qui a exerc? sur le march? int?rieur un monopole ?
Taide ues cartels et du protectionnisme?. Pourtant la rationalisation est loin de n'avoir eu que des effets
n?gatifs ; elle est tr?s avanc?e dans beaucoup d'industries ; son
importance ?conomique et technique pour l'Allemagne, et pour l'ave
nir surtout, est consid?rable. On aura une id?e des progr?s accomplis en
parcourant une r?cente publication de la Reichskreditgesellschaft2 qui a group? les renseignements fournis ? ce sujet par les rapports de soixante-dix grandes soci?t?s allemandes, dont le bilan annuel global d?passe 37 milliards de marks.
Am?liorations mat?rielles apport?es aux exploitations, sp?cialisa tion de la production, r?organisation de la vente, accroissement du
rendement ouvrier ; dans tous ces domaines, des r?sultats remar
quables ont ?t? obtenus par les principales industries gr?ce ? une
action m?thodique. Sans doute, le succ?s n'est pas ?gal pour toutes
les branches de l'activit? ; mais partout c'est le m?me spectacle et aux efforts, qui ne sont pas m?nag?s, r?pondent des r?alisations favo
rables, parfois impressionnantes. Deux exemples vaudront mieux qu'une accumulation de faits et
de chiffres. Dans les houill?res rh?nanes-westphaliennes, le rende ment ouvrier a doubl? depuis 1922 et d?passe de 20 p. 100 les
chiffres de 1913 : 943 kilogrammes par jour en 1913, 550 en 1922, 1128 en 1928. Dans la m?tallurgie de la Ruhr, l'ouvrier qui fabri
quait par jour 940 kilogrammes de fer en 1913,622 en 1922, en fabrique 840 en 1925, 1 017 en 1926. Le professeur Julius Hirsch, qui a ?t?
secr?taire d'?tat au Minist?re de l'?conomie publique de 1919 ? 1922,
1. Befreiungspolitik oder Beleihungspolitik, Berlin, 1928. 2. Deutschlands -wirtschaftliche Entwicklung im ersten Halbjahr 1927, Berlin, 1928.
46 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
a raison de remarquer que de pareils progr?s, en si peu d'ann?es,
peuvent faire ? l'?tonnement du monde?1. Ils m?ritent aussi de donner pleinement confiance dans l'avenir de
la production allemande. Elle est anim?e par un esprit de recherche
scientifique qui para?t encore plus ardent qu'autrefois, au moins pour la tension de la volont? et la vari?t? des initiatives. Les illusions elles
m?mes poussent ? l'action, les r?ves sont accompagn?s d'effets. Une oeuvre ?nergique est entreprise notamment pour tirer des mati?res
premi?res existant ? l'int?rieur du pays d'autres mati?res premi?res qu'on ne
pouvait jusqu'alors se procurer qu'? l'?tranger. Par sa t?na
cit?, elle suscite pour le p?trole de vives esp?rances et elle est couron
n?e de succ?s pour les produits azot?s : d?s 1926, la valeur de la fabri
cation, si r?cente, d'engrais azot?s est estim?e ? un demi-milliard de marks. Ce mouvement national de lib?ration ?conomique enthou
siasme les jeunes gens, qui entendent dans les universit?s et les ?coles
techniques d?clarer que ? le Reich se sauvera par la t?te ? et que, repre nant le d?sir supr?me de Faust, il doit ?tendre en avant dans un constant effort ?.
Aussi l'importance de l'industrie appara?t-elle de plus en plus pr? dominante et l'aspect le plus remarquable de l'Allemagne d'apr?s guerre est ?videmment son d?veloppement industriel, ce qu'on peut appeler sa surindustrialisation, qui pousse certains Allemands ? ?tre hant?s par l'id?e de devenir les ? Am?ricains de l'Europe ?. Depuis 1925, l'ensemble de la production est nettement sup?rieur ? ce qu'il ?tait avant la guerre et, en 1928, on estime que l'appareil d?passe de 40 p. 100 la capacit? de 19132. D'apr?s le recensement du 15 juin 1925, il a ? son service 12 238 765 individus, soit 41 p. 100 des Alle
mands qui exercent une profession 3.
L'industrie allemande s'est vite remise des secousses fi?vreuses
que lui ont inflig?es une s?rie d'?preuves : la d?faite, la r?volution, une inflation intol?rable. Toujours plus puissante, elle travaille et
cr?e, augmente inlassablement et groupe ses ?nergies productrices,
d?veloppe le capital traditionnel que lui valent l'habitude de la disci
pline, un sens eminent de l'organisation et de l'adaptation
aux circons
tances, une information ?conomique toujours au courant, enfin l'au
dace, une audace ing?nieuse, que rien ne contente et qui, assur?ment, ne va pas sans
risques tumultueux.
Maurice Baumont.
(Gen?ve.)
1. Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das deutsche Wirtschaftsleben, Berlin, 1928, p. 66.
2. Axel Schindler, Grundfragen der deutschen Handelspolitik, Berlin, 1928, p. 89. 3. L'agriculture en comprenant 30,5 p. 100 et le commerce 16,5 p. 100. L'Institut
pour l'?tude du mouvement ?conomique estime que, deux ans plus tard, le nombre des Allemands qui exercent une profession s'est accru de 2 ? 3 p. 100 ; la production s'est ?lev?e de 7 ? & p. 100.
L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 47
NOTE BIBLIOGRAPHIQUE
Io Statistiques, rapports officiels, p?riodiques
Toute ?tude consacr?e ? l'activit? industrielle de l'Allemagne est fond?e essentielle ment sur les publications statistiques : en premier lieu, le Statistisches Jahrbuch fur das Deutsche Reich, publication annuelle de l'Office de statistique du Reich ; en second lieu, la revue Wirtschaft und Statistik, publication bi-mensuelle de l'Office de statistique.
Des renseignements pr?cis sur le d?veloppement de la situation ?conomique sont contenus dans des rapports, souvent volumineux, de caract?re plus ou moins officiel : bulletins mensuels, que publie le Minist?re du Commerce prussien, d'apr?s les infor mations des chambres de Commerce ; rapports semestriels que, depuis 1925, l'agent g?n?ral des paiements de r?parations adresse ? la Commission des R?parations au sujet de l'application du plan Dawes ; rapports semestriels de la Reichskreditgesellschaft (Deutschlands wirtschaftliche Entwicklung)...
Parmi les p?riodiques qui fournissent des informations particuli?rement utiles pour l'?tude de l'industrie allemande, on se contentera de signaler : le Reichsarbeitsblatt, organe
hebdomadaire du Minist?re du Travail; les Vierteljahrshefte zur Konjunkturforschung, publi?s depuis 1926 par l'Institut f?r Konjunkturforschung ; le Magazin der Wirtschaft, qui para?t chaque semaine depuis 1925 ; le Weltwirtschaftliches Archiv, publication tri
mestrielle de l'Universit? de Kiel ; le Wirtschaftsdienst, publication hebdomadaire de l'Universit? de Hambourg ; les mensuels Jahrb?cher fur National?konomie und Statistik.
2? Ouvrages
a) Pour la p?riode d'inflation mon?taire, la bibliographie est particuli?rement abondante ; nous mentionnerons simplement quelques ouvrages class?s d'apr?s la date de publication :
Sering (M.) : Das Friedensdiktat von Versailles und Deutschlands wirtschaftliche Lage, Berlin, 1920. ? Deutschlands -wirtschaftliche Lage (M?moire officiel), Berlin, 1920. ?
Brauns, Heinrich : Lohnpolitik, M?nchen-Gladbach, 1921. ? Brauer, Th. : Lohnpolitik
in der Nachkriegszeit, lena, 1922. ? M. Berthelot, M. Baumont : L'Allemagne : Len demains de guerre et de r?volution, Paris, 1922. ?
Lichtenberger, Henri : L'Allemagne d'aujourd'hui dans ses relations avec la France, Paris, 1922. ? Beckerath (Herbert von) : Kr?fte, Ziele und Gestaltungen in der deutschen Induslriewirtschaft, Karlsruhe, 1922. ?
Mering, Otto von : Ertragnisse deutscher Aktiengesellschaften vor und nach dem Kriege, Berlin, 1923. ? Deutschlands Wirtschaftslage unter den Nachwirkungen des Weltkrieges, Berlin, 1923 (M?moire officiel). ?
Schultze, Ernst : Not und Verschwendung ; Untersu chungen ?ber das deutsche Wirtschaftsschicksal, Leipzig, 1923. ? Deutschlands Wirtschaft,
W?hrung und Finanzen, Berlin, 1924 (M?moire officiel). ?
B?cher, Hermann : Finanz und Wirtschaftsenlwicklung Deutschlands in den Jahren 1921-25, Berlin, 1925, ? Ver meil, Ed. : L'Allemagne contemporaine (1919-1924). Sa structure et son ?volution poli tique, ?conomique et sociale, Paris, 1925. ?
Lewin30hn, Richard : Histoire de l'infla tion ; le d?placement de la richesse en Europe (trad.), Paris, 1926. ?
Giustiani, Gaston : Le commerce et l'industrie devant la d?pr?ciation et la stabilisation mon?taire ; l'exp?rience allemande, Paris, 1927.
b) Pour la p?riode ? post-inflationniste ?, on peut citer : M. I. C. U. M. : Situation de l'industrie allemande au d?but de juillet 1924, D?sseldorf
1924. ? Simon, I?. F. : Reparation und Wiederaufbau, Berlin, 1925. ?
Harms, Bernhard Die Zukunft der deutschen Handelspolitik, lena, 1925. ?
Berger, Ernst : Arbeitsmarktpo litik, Berlin, 1926. ?
Dawson, Ph. : Germany's Industrial Revival, London, 1926. ?
Handbuch der deutschen Wirtschaft, 1927 (Der volks- und privat wirtschaftliche Aufbau Deutschlands und seine technischen Grundlagen, Berlin, Lepzig, 1927. ?
Beckerath H. von : Reparationsagent und deutsche Wirtschaftspolitik, Bonn, 1928.? Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das deutsche Wirtschaftsleben (Publication de la chambre de Commerce de Berlin), Berlin, 1928.
LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S.
Le 17 d?cembre 1926 a eu lieu le recensement g?n?ral de la popula tion de l'U. R. S. S. Cette op?ration consid?rable pr?par?e de longue
main par l'administration centrale de la statistique a fourni sur le
mouvement de la population des renseignements extr?mement int? ressants 1.
En partant des donn?es du recensement de 1926, la statistique russe ?value, en chiffres ronds, la population totale de l'Union sovi?
tiste, au 1er janvier 1927, ? 147 millions d'habitants. Cette masse
humaine constitue environ la treizi?me partie de la population totale du globe ; c'est donc l? un groupement d'une importance qu'on ne
saurait exag?rer, d'autant plus qu'il s'accro?t avec une rapidit? ?tonnante.
Si l'on remonte au recensement de 1897 et qu'on laisse de c?t? la
population des territoires d?tach?s depuis lors de l'empire russe, on
voit que la population du territoire actuel de l'U. R. S. S. s'?levait ?
107 millions d'habitants environ. Ainsi, en trente ans, l'accroissement a
?t? de 40 millions d'habitants ? plus de 37 p. 100 du total ? et cela
malgr? les pertes ?normes dues ? la guerre, ? la r?volution et ? la
famine.
Pour avoir une id?e plus pr?cise de la vitesse avec laquelle s'accro?t
cette population, nous passerons en revue successivement les deux
p?riodes ? normales ? comprises dans ce laps de trente ans : 1897-1914
et 1922-1927.
Prenons d'abord la p?riode 1897-1914. D'apr?s les statistiques russes, il appara?t qu'il y avait, en 1914, sur le territoire actuel de
l'U. R. S. S., 140 millions d'habitants. En dix-sept ans, l'accroissement
avait donc ?t? de 33 millions correspondant ? un taux d'accroisse
ment annuel de 1,6 p. 100. Ce taux d'accroissement peut ?tre consi
d?r? comme relativement ?lev?, puisqu'il d?passe les chiffres ana
logues pour l'Angleterre en 1880 et pour l'Allemagne en 1900. Avec
cette acc?l?ration, la population du territoire qui nous int?resse se
serait ?lev?e en 1930 ? 180 millions environ, c'est-?-dire au moins
autant que l'ensemble de la population de l'ancien empire russe en
1. Il convient naturellement de faire des r?serves sur l'exactitude absolue des r?sul tats encore pr?alables du recensement. Pour certaines r?gions ?loign?es de l'extr?me Nord
Est, les recenseurs ont d? errer plusieurs mois ? la recherche des tribus nomades ; il est ?vident que dans ces conditions on ne peut tabler sur une exactitude rigoureuse, mais, ?tant donn? que les possibilit?s d'erreur sont presque toutes concentr?es sur les chiffres
relatifs aux r?gions semi-d?sertiques, il n'est pas imprudent de se servir de ces donn?es
pr?alables pour en tirer quelques conclusions- g?n?rales.
LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S. 49
1914, et cela malgr? la s?paration de pays comme la Pologne, les ?tats
baltes, la Finlande, la Bessarabie.
Mais la guerre et la r?volution sont survenues et ont creus? dans la population russe une br?che ?norme. D'apr?s le recensement partiel de 1920, la population n'?tait plus ? cette ?poque que de 134 millions ; bien plus, au milieu de 1922, apr?s la terrible famine de 1921, ce chiffre
tombait ? d'apr?s des ?valuations ? ? 132 millions. Ceci correspond
? une diminution absolue de 8 millions en sept ans ; mais, comparative ment ? ce que devait ?tre le chiffre de la population par le jeu de l'ac
croissement normal (159 millions), la perte relative ressort ? 27 mil lions. Sur ces 27 millions la part due ? l'augmentation des d?c?s
peut encore ?tre ?valu?e ? une certaine approximation pour la p?riode de guerre ext?rieure : 2,5 millions tu?s au front ; 2,2 millions de d?c?s
parmi la population civile en plus de la normale ; 1,5 millions de sol dats morts ? la suite de blessures. Pour la p?riode de guerre civile l'?valuation est beaucoup plus d?licate. Suivant les r?gions, le coeffi cient de mortalit? variait dans des proportions ?normes : ? Leningrad, en 1918, le coefficient de mortalit? par 1 000 habitants ?tait de 43,7 ; en 1919, de 72,6 ; en 1920, de 50,6 (au lieu de 26,3 en 1912-13). A
Moscou, il ?tait de 28 p. 1 000 en 1918 ; 45,1 en 1919 ; de 46,2 en 1920
(au lieu de 23,1 en 1910-14). En province, en 1920, le coefficient de mor talit? variait de 30 ? 50 p. 1 000, au lieu de 26 ? 30 en 1914. ?valuons ainsi ? sous toutes r?serves ? l'accroissement de la mortalit? ? un tiers ; nous obtenons de 1918 ? 1922 un exc?dent de d?c?s de 6,5 mil lions environ. Au total, de 1914 ? 1922, le nombre des d?c?s aurait
d?pass? la normale de 12,7 millions (2,5 millions tu?s + 1,5 millions bless?s + 2,2 + 6,5 millions civils = 12,7 millions).
Il s'ensuivrait que le manque ? gagner par suite de la diminution des naissances aurait ?t? de 27 ?
12,7, soit 14,3 millions. Pour la
p?riode de guerre ext?rieure certains auteurs ?valuent cette diminu tion ? 1,3 millions. Ce chiffre n'a rien d'excessif si l'on s'en tient aux donn?es relatives ? Moscou et ? Leningrad, qui font ressortir la dimi nution de la natalit? ? un quart environ. Reste un d?ficit de 6 millions de naissances ? reporter sur la p?riode de 1918 ? 1922. Quoi qu'il en
soit, admettons le chiffre de 132 millions pour le chiffre de la popula tion en 1922.
Depuis lors il y a eu une augmentation de 15 millions en cinq ans ; cela correspond ? un accroissement annuel de 2,2 p. 100. Ce dernier chiffre est particuli?rement impressionnant si l'on remarque que dans ces conditions une
population doublerait en trente ans. Mais peut-?tre
y a-t-il eu un rel?vement brusque au d?but de cette p?riode apr?s le retour des hommes mobilis?s, par suite de la d?tente morale et phy sique cons?cutive aux horreurs de deux guerres ext?rieure et int?rieure,
par suite aussi du fait que les individus faibles ayant ?t? ?limin?s par ANN. D'HISTOIRE. ? l1? ANN?E. 4
50 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
la guerre et la famine, il ne restait plus que les plus r?sistants..., tous
ph?nom?nes dont le r?sultat a ?t? dans presque tous les pays un rel?
vement de la natalit? et un abaissement de la mortalit?. Eh bien non !
cette moyenne de 2 p. 100 et plus, nous la retrouvons sur toute une
s?rie d'ann?es. Voici des chiffres pour la R. S. F. S. R.
Naissances D?c?s Exc?dent
1913 . 45,5 29,4 16,1 1924 . 43,39 24,11 19,28
1925 . 45,52 25,15 20,37 1926 . 44,10 21,41 22,09
Voici encore une s?rie un peu diff?rente pour l'Ukraine :
1925 . 41.5 20,4 21,1 1926 . 38,3 18,2 20,1 1927 . 40,5 17,8 22,7
Ainsi, loin de se ralentir, l'accroissement de la population aurait
plut?t une tendance ? s'acc?l?rer et cela dans toutes les r?gions *.
Ces diverses donn?es confirment donc que, pour le moment, le taux
d'accroissement de la population russe est plus ?lev? qu'avant la
guerre et probablement que partout ailleurs dans le monde. M?me en
admettant que les ?valuations pour 1914 soient trop faibles, on ne peut n?anmoins expliquer uniquement par des erreurs d'?valuation cette dif f?rence entre les deux coefficients : 1,6 et 2,2. On ne peut pas non plus
l'expliquer par le seul rel?vement de la natalit? qui reste ? peu pr?s au m?me niveau qu'avant la guerre, comme on a pu s'en convaincre
plus haut. Le rel?vement de l'exc?dent est d? pour la plus grande part ? la diminution de la mortalit?, notamment de la mortalit? infantile. La diminution de la mortalit? g?n?rale est la cons?quence du d?ve
loppement des services d'hygi?ne et de la m?decine pr?ventive entre
pris au moment des grandes ?pid?mies cons?cutives ? la famine de
1921. D'apr?s les donn?es du Commissariat de la sant? publique, le
1. Dans quarante et un d?partements observ?s, l'accroissement p. 1000 varie comme suit :
lccroiss?meol (poor 1000) <02i ?925 19!6
De 7,6 ? 10 . 2 ? 10 ? 12,5. 2 1 12,6 ? 15 . 7 1 1 15,17 ? 17,5. 5 10 17,6 ? 20,5. 10 7 6 20,6 ? 22,5. 9 12 12 22,6 ? 25 . 5 5 13 25,1 ? 27,5 ....,. 1 5 5 27,6 ? 30. ? ? 3 30,1 ? 32,5. ? ? 1
41 41 41
LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S. 51
nombre des morts par ?pid?mies sur 10 000 habitants a vari? de Ja
fa?on suivante :
_ Typhus _
exanth?matique r?current intestinal Variole
1913 . 7,3 1,9 26,6 4,4 1926 . 3,8 1,0 8,8 1,1
1927 . 2,7 0,4 9,6 0,9
Fait consid?rable, le chol?ra a pour ainsi dire disparu. La morta lit? infantile a baiss? de 26 p. 100 en 1913 ? 18,7 en 1926, (la diminu tion a m?me ?t? de 50 p. 100 ? Moscou). Cette diminution est en partie ? reporter sur le fonctionnement des assurances sociales qui rendent
moins lourd pour une famille de travailleurs le fardeau des soins ? donner ? l'enfant en bas ?ge.
Quelles que soient les raisons de cet accroissement, on ne peut en
tout cas fermer les yeux sur ce ph?nom?ne dont les cons?quences poli
tiques, ?conomiques et sociales ne peuvent ?chapper ? personne. En
effet, dans dix ans, si ce taux d'accroissement se maintient, l'Union sovi?tiste compterait 30 millions d'habitants de plus : une nouvelle
grande puissance ! Si l'on transpose ce chiffre sur un empire de 450 mil lions d'habitants comme l'empire britannique, l'accroissement corres
pondant serait de 90 millions ; il serait de 24 pour l'empire fran?ais. Mais cet accroissement pourrait ?tre accidentel, provenir de cir
constances particuli?res. ?videmment cela est possible ; mais le ph? nom?ne actuel cadre trop bien avec toute l'histoire du peuple russe, pour qu'une telle explication puisse nous satisfaire. Il est un peu aven
tureux de remonter au del? du recensement de 1897. Cependant les chiffres des revisions, qui servaient principalement ? ?tablir l'assiette de l'imp?t, donc visaient ? une certaine exactitude, indiquent que l'empire des Tzars, qui comptait, en 1724, 13 millions d'habitants, en
avait, en 1762,19 millions ; en 1796, 36 millions ; en 1815, 62 millions ; en 1851, 69 millions. Remarquons de suite que ces chiffres illustrent
plut?t le d?veloppement politique de la puissance russe que le d?ve
loppement d?mographique ? strictement parler, car une partie de
l'accroissement, au cours des si?cles pass?s, correspond ? l'extension du
territoire soumis ? la dynastie des Romanov. Cependant il y a un
rapport certain entre ce d?veloppement politique et le peuplement des territoires. La masse russe, d'abord concentr?e dans l'Ouest et le
Nord-Ouest, s'est peu ? peu ?tal?e vers le Sud-Est et l'Est. Les annexions occidentales ont certes un peu modifi? la proportion de
l'accroissement, mais sans la changer profond?ment. Ainsi en deux si?cles la population de l'empire russe a plus que
d?cupl?, ce qui correspond ? un accroissement annuel moyen de plus de 1 p. 100.
52 ANNALES D'HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE
Compte tenu de tous les ?v?nements, guerres, famines..., qui ont
pu arr?ter l'accroissement de la population au cours des deux derniers
si?cles, cela prouve que le peuple russe a toujours fait preuve ? ce
point de vue d'une vitalit? remarquable. Cette forme de vitalit? se
manifeste encore, et de plus en plus, semble-t-il, ? l'heure actuelle. Il
faut donc l'admettre et chercher ? en deviner les cons?quences. A la premi?re question qui vient ? l'esprit : Y a-t-il de la place en
Russie pour tout ce monde ? la r?ponse semble ?vidente. Actuelle ment la population de l'Union sovi?tiste est encore ? en moyenne
?
fort clairsem?e, si l'on compare sa densit? kilom?trique ? celle des puis sances europ?ennes. Qu'est-ce
en effet qu'une densit? de 6,9 au kilo
m?tre carr? ? c?t? des 256 de la Belgique, des 134 de l'Allemagne, voire des 74 de la France ? Bien peu ?videmment. Mais une telle com
paraison nous semble peu logique. Ne serait-il pas plus juste de com
parer ? TU. R. S. S. les grandes puissances, colonies comprises ? Pour
l'empire britannique la densit? de population n'est plus alors que de
13, celle de l'empire fran?ais de 7,7. Par ce simple reclassement de valeurs le probl?me se trouve tout autrement mis en lumi?re. Les
quelques consid?rations qui vont suivre vont encore accentuer ce
changement de plan. Tout d'abord, que signifie cette densit? moyenne de 6,9, que nous
venons de citer ? Ce n'est qu'une moyenne autour de laquelle les den sit?s locales varient tellement qu'il est difficile d'en faire usage.
Dans le tableau suivant nous avons group? les r?gions suivant la densit? de la population.
Superficie Population (milliers de (milliers Densit? kil. carr?s) d'habitants)
I. R?gion ? tr?s faible population. ? ? ?
a) R?gion septentrionale glac?e .. 6 446 2 078 0,3
b) R?gion centrale semi-d?sertique 3 646 8 515 2,3 c) Sib?rie centrale et orientale ... 6 621 5 580 1,1
16 713 16 173 1,03 II. R?gion ? population restreinte.
a) Nord-Ouest (Leningrad) . 349 7 420 21 b) Oural et pr?-Oural (sauf Tobolsk) 905 12 944 14
c) Volga moyenne et inf?rieure ... 655 15 769 24
d) Crim?e et Caucase septentrional 318 9 077 28
e) Transcaucasie. 184 5 850 32
/) Uzbekistan. 340 5 270 15,5 g) Sib?rie occidentale. 578. 5 241 9,1
3 329 61 571 18,5 III. R?gion ? population dense.
a) Russie occidentale (Smolensk) . 226 9 282 41
b) R?gion centrale (Moscou). 611 30132 50
c) Ukraine. 452 29 020 64,2 1289_ 68 434 53
LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S. 53
Si l'on regarde une carte de l'U. R. S. S., sur laquelle des points noirs indiquent les groupes de 10 000 habitants, on aper?oit tout
d'abord une forte tache noire ? l'Occident ; puis la tache s'estompe
rapidement en direction de l'Est, un peu moins rapidement vers le
Nord-Est, o? l'on rencontre encore une forte tache ? celle de la
r?gion centrale industrielle?et vers le Sud-Est, o? l'on trouve aussi des
s?ries de taches le long de la mer d'Azov et sur les deux flancs du
Caucase. En Asie, nous trouvons deux lignes de peuplement bien moins marqu?es qu'en Europe, Tune en Transcaucasie, au Sud de la
mer d'Aral, l'autre en Sib?rie occidentale, loin dans le Nord-Est de la mer d'Aral et se prolongeant par une s?rie de points clairsem?s en
direction du Pacifique. Par cons?quent, en dehors de la r?gion occi dentale qui, nous le verrons plus loin, peut ?tre consid?r?e comme
suffisamment peupl?e, il reste encore pour l'essaimage de la population toute la r?gion pr?-asiatique et surtout la Russie d Asie. Ce mouve
ment de la population vers l'Est ne serait du reste que la continuation du processus constat? au cours des si?cles pass?s. Jusqu'au xvie si?cle, le peuple russe a servi de tampon ? la civilisation occidentale contre les invasions asiatiques. Pendant le xive et le xve si?cle, les
principaut?s ont vu se replier les populations qui vivaient jusque-l? tant bien que mal ? c?t? des Mongols et des Tartares. Ce n'est qu'? la fin du xve si?cle que commenc?rent ? se constituer des marches mili taires pour prot?ger la r?gion centrale de la Russie d'Europe. Or, au xvie si?cle, cette ligne de d?fense militaire passait grosso modo par Kiev, Toula et Nijni-Novgorod, c'est-?-dire laissait au Sud-Est pres
que une moiti? de la Russie d'Europe. Au si?cle suivant, une fois finie la ? p?riode de troubles ?, la colonisation s'?tendit toujours plus vers
l'Est et le Sud-Est. Il ne restait plus ? cette ?poque en Russie d'Eu
rope qu'une r?gion ? peu pr?s vierge qui s'?tendait au Sud-Est de la ligne Odessa-Samara. En m?me temps que s'op?rait cette avance
vers le Sud-Est, d'autres masses de colons plus ou moins dirig?s par l'autorit? centrale poussaient vers l'Oural et la Sib?rie, si bien qu'au
milieu du xvine si?cle il apparut n?cessaire de constituer une seconde
ligne de d?fense militaire le long du fleuve Oural. Enfin, d?s cette m?me ?poque, le courant colonisateur se porte vers la mer Noire et la
Caspienne ; la Russie d'Europe se trouve tout enti?re en voie de peu
plement. En m?me temps le flot colonisateur d?bordait sur la Sib?rie et la Transcaucasie.
Ainsi, au cours des si?cles pass?s, la masse russe toujours en voie
d'accroissement a d? chercher des zones d'expansion en s'?cartant
toujours plus du Centre par la migration vers l'Est. Mais, d?j? au xixe si?cle, ce mode d'expansion ne suffit plus. A partir de 1860 l'?mi
gration outre-mer se d?veloppe avec rapidit?. En trente ans, de 1860
? 1890, le nombre des emigrants d?passe le million. De 1890 ? 1915, il
54 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
atteint 3 300 000 ; (sur ce contingent la partie de l'ancien empire russe
qui correspond au territoire actuel de l'U. R. S. S. fournissait ? peu pr?s le tiers ; le reste ?tait fourni par les allog?nes des confins de
l'empire, Polonais, Finlandais, Juifs...). Ceci indique que, ? partir du
milieu du xixe si?cle, l'?migration outre-mer commence ? concurren
cer la colonisation de l'Orient. Cette derni?re, en effet, une fois occu
p?es les r?gions facilement accessibles et tr?s fertiles, pr?sentait des
difficult?s consid?rables qui proviennent manifestement de l'?normit? du voyage par voie de terre et des caract?res du climat sib?rien. Mais il y avait surtout le fait que les possibilit?s des territoires v?ritable
ment neufs se trouvaient consid?rablement r?duites. N'oublions pas qu'une bonne moiti? du territoire sovi?tiste est pra
tiquement, dans les conditions actuelles de l'?conomie rurale, impropre ? la culture. La zone glac?e ou mi-glac?e compte d?j? environ 7 millions de kilom?tres carr?s sur un total de 21. D'autre part les r?gions semi
d?sertiques de l'Asie centrale demanderaient pour ?tre mises en valeur des travaux immenses, qui r?duiraient de beaucoup pour la g?n?ration actuelle les possibilit?s de colonisation. Il semble donc bien qu'? notre
?poque l'exc?dent de la population ne peut plus compter uniquement sur une extension en surface, mais doit s'accumuler en
profondeur. Pendant les si?cles pr?c?dents, ces deux d?veloppements ont ?t?
de pair. Alors que les masses de colons s'?talaient vers l'Orient, la
densit? de la population dans les r?gions occidentales, puis dans la
r?gion pr?-asiatique, allait sans cesse en augmentant. D'apr?s les
donn?es des r?visions, dans la r?gion de Moscou, la densit? passe de 26 au kilom?tre carr?, en 1724, ? 35 en 1858 et 45 en 1897. Dans la
r?gion de Kiev, elle passe de 10 en 1724 ? 36 en 1858 et 50 en 1897. Dans la r?gion de Leningrad,
? notons ici le rel?vement un peu artifi ciel de la densit? par l'?tablissement de la nouvelle capitale, ?la den sit? passe de 4,5 en 1724 ? 18 en 1897. Dans le Sud (Azov) la densit?
passe de 3,5 en 1724 ? 39 en 1897. Enfin dans l'Est (Kazan), elle passe de 2,3 en 1724 ? 26 en 1897.
Ce ph?nom?ne d'accumulation se trouve corrobor? par le d?velop pement absolu et surtout relatif de la population urbaine, que met
bien en ?vidence le tableau suivant :
Population urbaine. Dates en milliers en pour 100 du total
1724 . 328 3 1782 . 802 3,1
1812 . 1 602 4,4
1851 . 3 482 7,8 1878 . 6 091 9,2
1897 . 16 829 13,0 1927 . 26 300 19,7
LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S S. 55
Pour la p?riode de 1897 ? 1927, l'augmentation du nombre des
grandes villes est particuli?rement caract?ristique. Alors qu'en 1897 il y avait sur le territoire actuel de l'U. R. S. S. quatorze villes de plus de 100 000 habitants et une trentaine de 50 000 ? 100 000 habitants, en 1927, on en compte d?j? trente et un du premier group? avec
9,5 millions d'habitants et cinquante-neuf du second groupe avec
4 millions d'habitants. Remarquons encore ? ce propos que la p?riode de guerre civile a fortement troubl? le processus d'agglom?ration urbaine. De 1918 ? 1922, certaines villes se sont litt?ralement vid?es de leurs habitants. Les citadins affam?s ou craignant les exc?s de la terreur rouge fuyaient dans les campagnes, qu'ils d?sert?rent ? nouveau
apr?s 1921 : Leningrad, par exemple, avait diminu? des deux tiers.
Mais, de 1923 ? 1927, le nombre des villes de plus de 100 000 habitants a pu passer de 22 ? 31 ; celui des villes entre 50 000 et 100 000 habi tants de 35 ? 59, et enfin celui des villes entre 20 000 et 50 000 habi tants s'est ?lev? de 104 ? 133.
Tout compte fait cependant, la proportion de population urbaine reste tr?s inf?rieure ? ce qu'elle est dans beaucoup de pays. En effet
l'Angleterre compte 79 p. 100 de citadins, l'Allemagne 62, les ?tats Unis 5i et la France 46. Les 17,9 p. 100 de l'U. R. S. S. semblent donc laisser une marge consid?rable pour la concentration urbaine. Mais, suivant les r?gions encore, cette proportion est extr?mement variable.
La r?gion qui se tient le plus pr?s de la moyenne ? ce point de vue, c'est l'Ukraine avec 18,5 p. 100 : cependant, dans le district minier ukrainien (bassin du Donets), la condensation urbaine va jusqu'? 41,8 p. 100. De m?me, dans le district minier de l'Oural, cette propor tion va jusqu'? 51 p. 100, pour atteindre 56,1 dans le district de Sverdlovsk et 59,2 dans celui de Zlatooust. Dans le d?partement de
Moscou nous trouvons aussi 59 p. 100 de citadins, et dans celui de
Leningrad 67,2 p. 100. Ceci montre qu'il y a des r?gions o? la condensation urbaine de
la population atteint les proportions existantes dans un pays indus trialis? comme l'Allemagne.
Mais l'accumulation de la population ne se produit pas que par la formation ou l'agrandissement des villes, par une industrialisation. La
preuve en est que, dans certaines r?gions, la densit? de la population rurale peut ?tre consid?r?e d?j? ? l'heure actuelle comme extr?me
ment ?lev?e. Dan-s l'Ukraine la densit? kilom?trique de la population rurale est de 52,3 en moyenne ; sur la rive droite du Dniepr (Kiev), cette densit? rurale se rel?ve ? 73,5, pour atteindre m?me 87,5 dans le district de Kam?nets. Le cas de l'Ukraine avec son sol tr?s fertile n'est pas isol?. Dans la r?gion centrale des terres noires la densit? rurale d?passe 50 au kilom?tre carr?.
Il y a donc des r?gions dans lesquelles, ?tant donn? le niveau de
56 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
l'agriculture et le d?veloppement ?conomique g?n?ral, le territoire se*
trouve en quelque sorte satur?. Pour les gens de ces r?gions une rup
ture est indispensable. Il leur.faut soit quitter le pays, soit changer de classe sociale. Nous ne pouvons ici entrer dans les d?tails, mais le fait est d?j? confirm? par de longues observations. D'une part, le contin
gent des migrants ? int?rieurs ou ext?rieurs ?
provient toujours des m?mes r?gions, de m?me que la plus grande partie des saisonniers. L'artisanat est aussi plus particuli?rement d?velopp? dans certains
d?partements.
La r?ponse ? la question que nous avons pos?e au d?but de ce
paragraphe est donc affirmative, mais sans ?tre si ?vidente qu'il para?t ? premi?re vue. Oui, il y a de la place en Russie pour toute cette
population, mais un peu ? toutes proportions gard?es
? comme, dans
l'empire britannique, il y aurait des places pour tous les ch?meurs de la m?tropole ? condition que l'on p?t les d?cider ? partir dans un
Dominion ou que l'on arriv?t ? persuader un mineur d'aller faire de la culture. Pour l'Union sovi?tiste le probl?me est encore compliqu?
par le manque de capitaux, par l'?tat arri?r? de l'?conomie nationale, par l'ignorance des masses
populaires. Il faut en somme trouver rapi dement les moyens d'occuper tous les individus en ?ge de travailler de fa?on que puisse vivre la jeune g?n?ration qui progresse ? raison de
plus de 3 millions par an. Jusqu'ici, dans les campagnes, le seul pas r?el fait pour employer les bras en surnombre a ?t? le r?tablissement l?gal du salariat supprim? tout au moins en th?orie pendant les premi?res ann?es de la r?volution. Mais cela est loin de suffire, l'accroissement d?mesur? du ch?mage dans les villes le d?montre de fa?on irr?futable.
L'industrie, m?me mise au r?gime de la journ?e de sept heures, ne peut gu?re en effet annuellement absorber que quelques centaines de milliers de nouveaux ouvriers et bien peu nombreux sont encore les ouvriers
?g?s qui peuvent b?n?ficier de la pension d'invalidit?. A bien r?fl?chir, c'est avant tout le probl?me agraire qui se pose
encore, mais sous une forme diff?rente de celle qu'il pr?sentait en 1860 ou au d?but de ce si?cle. L'aspect politique de la question semble avoir ?t? r?solu en 1917-18 par la nationalisation de la terre, mais
l'aspect ?conomique reste plus troublant que jamais. Il y a toute une
organisation agraire ? cr?er, soit pour mettre en valeur des r?gions
?loign?es, mais fertiles, soit pour intensifier la production agricole dans les r?gions d?j? peupl?es.
Mais, en second lieu, il se pose encore un pur probl?me de popula* tion que l'on ne peut ?viter de traiter. L'accroissement de la popula tion, l'accroissement continu avec la rapidit? actuelle est-il souhai table ? S'il appara?t comme dangereux, faut-il attendre que jouent les lois ?conomiques, attendre les solutions catastrophiques ou chercher ? enrayer le mouvement ? Tout cela ne laisse pas d'?mouvoir, m?me
LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S 57
d'inqui?ter les dirigeants et les intellectuels. A notre connaissance
deux th?ories sont d?j? en pr?sence : l'une table sur l'intervention de
l'?tat et pr?voit l'organisation centralis?e de la propagande n?o
malthusienne ; l'autre compte uniquement sur l'individu, mais elle
n'indique pas moins, pour moyen d'aboutir, que la d?nationalisation des terres. Ainsi, disent ses partisans, le paysan r?duit ? un lopin de
terre bien d?termin? saurait bien r?duire le nombre de ses enfants.
Mais ?videmment, pour que cette solution contre-r?volutionnaire soit
adopt?e, il faudra que le syst?me actuel soit soumis ? des secousses
terribles.
G. M?quet.
(Gen?ve.)
Souhces. ? Nous ne donnons ici que des indications sommaires sur les ouvrages ? consulter en ce qui concerne le mouvement de la population.
I) P?riode ant?rieure ? 1880
P. Milioukov. ? O?erki po istorii russkoj culturi, 5e edit.- St. P?tersbourg, 1909. Kovalesky. ?
Rossija v Konc? XIX v?ka, St. P?tersbourg, 1898.
II) P?riode 1880-1913
Sbornik Sv?d?nij po Rossii (Minist?re de l'Int?rieur, recueils de renseignements sur la Russie), 1882, 1883, 1884-85, 1890, 1896, St. P?tersbourg.
? Ezegodnik Rosan (Minist?re
de l'Int?rieur (russe et fran?ais). ? Annuaires del? Russie (annuel depuis 1904), St. P?ters
bourg.? Ezegodnik ministerstva finansov (Minist?re des Finances, Annuaire, St. P?ters bourg, 1898, avec les donn?es du recensement de 1897).
III) P?riode 1914-1927
Oganovsky N. ? Ocerki po ehonomiceskoj geographii U. S. S. R. (Essais sur la g?o graphie ?conomique de l'U. R. S. S.), Moscou, 1924. ?
Statisticeskij ezegodnik (Adminis tration centrale de la statistique, Annuaire statistique, a) pour 1918-1920, t. I, chiffres pour 1914 et 1920, Moscou, 1921 ; b) pour 1922-1923, Moscou, 1924 ; c) pour 1924, Moscou, 1926). ? Sbornik statisliceskihh sv?d?nij po S. S. S. R. (Recueil de renseignements statis tiques sur l'U. R. S. S., 1918-1923, Moscou, 1924). ? Narodnoe Khozjajstvo v cifrahh (L'?co nomie nationale de l'U. R. S. S. exprim?e en chiffres, n? 1, Moscou, 1924 ; n? 2, Moscou, 1925). ?
Statisticeskij spravoemh S. S. S. R. (Guide statistique de l'U. R. S. S., 1927, Moscou, 1927, avec les donn?es du recensement de 1926).
? Ten years of Soviet Powp's in Figures, Moscou, 1927. ? Bulletin centralnogo stalisliceskogo upravlema (Bulletin de l'Administration centrale de statistique, de 1919 ? 1926, paraissant irr?guli?rement) et
Statisliccskoe obozr?nie (Revue statistique, 1927-1928, mensuel, Moscou). Pour le mouvement migratoire, Obolensky V. V. (Ossixsky, Mezdunarodnye i
mezkontinentalnye migracii v dovoennoj Rossii iv S.S. S. R. (Les migrations internationales et intercontinentales dans la Russie d'avant-guerre'et l'U. R. S. S., Moscou, 1928 cet ouvrage para?tra dans l'enqu?te de M. Wilcox sur les migrations).
LA VIE SCIENTIFIQUE
I. LA DOCUMENTATION DE L'HISTOIRE
?CONOMIQUE
Nos enqu?tes collectives.
C'est une banalit? de d?noncer, comme un des obstacles les plus graves
qui s'opposent aux progr?s de Vhistoire ?conomique, V?tat de la documen tation. Les t?moignages ne sont pas seulement, pour certaines ?poques,
tr?s rares, et, pour toutes, d'interpr?tation singuli?rement d?licate. La
premi?re difficult?, et souvent la plus redoutable, est de les rassembler ; car ils sont de nature infiniment diverse, et, par surcro?t, mat?riellement
tr?s dispers?s. Un effort de description et de classement s'impose : effort
collectif, cela va de soi, et international. Les Annales ne pouvaient, sans
manquer ? leur r?le, se d?sint?resser de cette t?che indispensable. Nous ouvrons une rubrique d'enqu?tes documentaires.
Il ne s'agit pas de publier ici une suite d'inventaires d'archives, de
catalogues de biblioth?que, de r?pertoires arch?ologiques. Une revue qui pour ?tre utile doit demeurer lisible, et, pour agir, vivante, ne saurait se
transformer en un recueil de pure ?rudition. Il y a d'autres moyens, tout
aussi efficaces, d'aider les chercheurs. Choisir quelques grands types de documents ; fournir sur chacun d'eux, exemples en mains, des renseigne ments dont la sobri?t? n'exclura pas la pr?cision, des renseignements
pratiques avant tout ; tirer d'un premier contact avec ces sources quelques
principes d'interpr?tation critique : telle est Ventreprise ? laquelle nous
convions nos collaborateurs.
Du jour o? la conception g?n?rale de ces enqu?tes a ?t? arr?t?e dans notre esprit, les sujets se sont pr?sent?s en foule. Car ils sont, en v?rit?,
innombrables ; leur vari?t? m?me est un attrait et une le?on. Qui ne
voit, par exemple, quelle lumi?re une ?tude sur les tableaux de valeur
compar?e des monnaies, dress?s, aux diverses ?poques, par les changeurs ou par les administrations financi?res, jetterait sur l'histoire des cou rants mon?taires, et, plus g?n?ralement, des courants ?conomiques ? un
examen des livres de compte et des manuels de comptabilit?, sur Vhistoire de la banque, en m?me temps que sur cette histoire intellectuelle de la
classe marchande, si justement signal?e ? notre attention, dans ce num?ro
m?me, par M. Pirenne ? L'histoire des prix, avant le XIXe si?cle, a ?t?
discr?dit?e par le mauvais usage qui a trop souvent ?t? fait des documents ; ceux-ci existent pourtant ; en ?tablir le classement critique, besogne diffi
LA VIE SCIENTIFIQUE 59
cile, mais non pas, sans doute, irr?alisable ! Un recensement des formes
de charrues n'int?resserait pas seulement Vhistoire de la technique agraire et de l'occupation du sol ; les recherches sur les migrations humaines, sur les ?changes de civilisation, depuis la pr?histoire jusqu'? des temps tout proches de nous, y puiseraient de pr?cieux objets de m?ditation. Les
statistiques, enfin, sur lesquelles reposent toutes les descriptions de la vie ?conomique contemporaine, appellent, autant que les textes familiers aux historiens d'un pass? recul?, l'?preuve de la critique des sources ; de
quelle importance ne serait-il pas d'esquisser, ? l'aide de quelques cas bien choisis, les principes de cette application, particuli?rement d?licate, d'un instrument forg?, ? l'origine, pour de tout autres objets! Et ce ne sont l? que quelques th?mes parmi ceux qu'il est ais? d'entrevoir. Mais
gardons-nous de la tentation d'?tablir un de ces grands programmes
ambitieux, dont le destin, pr?vu d'avance, est de demeurer ?ternellement
? l'?tat de programme. Avec les le?ons de l'exp?rience, ce seront les conseils des collaborateurs des Annales qui nous aideront peu ? peu ?
pr?ciser, comme ? r?aliser notre plan. Pour commencer, deux exemples, l'un tout de suite, l'autre dans un avenir tr?s proche, ach?veront d'?clairer
notre dessein. Nous aborderons sous peu une enqu?te sur les archives
des ?tablissements priv?s de commerce et d'industrie, sources fondamen
tales pour F histoire des entreprises capitalistes, sources, en tous pays,
insuffisamment connues et d'acc?s trop souvent malais?. D?s mainte
nant, ? titre d'essai, nous mettons en chantier une enqu?te sur les plans
parcellaires. Pourquoi ce choix ? L'expos? qui va suivre en apportera, croyons-nous, la justification.
Les Directeurs.
LES PLANS PARCELLAIRES
1. LE PLAN PARCELLAIRE DOCUMENT HISTORIQUE
Le Recueil m?thodique des lois, d?crets, r?glements, instructions et d?cisions
sur le cadastre de la France, Paris, Imprimerie Nationale, 1811, n'offre peut ?tre pas une lecture particuli?rement attrayante ; mais c'est, comme beau
coup d'?crits ?man?s des administrateurs de ce temps, un ouvrage d'un fort
bon style. On y trouve une d?finition parfaitement pr?cise de la parcelle :
?une portion de terrain... (Io) situ?e dans un m?me canton, triage ou lieu
dit, (2?) pr?sentant une m?me nature de culture..., (3?) appartenant ? un m?me
propri?taire1?. Supposons que, levant le plan d'un terroir rural ou d'une
de ses sections, on reporte sur le papier les limites de toutes les parcelles ; nous aurons ce qu'on est convenu d'appeler le plan parcellaire de cette sur
face. Supposons encore ? le cas est r?alis? assez souvent dans les plans anciens ?
que le cartographe, au lieu de s'attacher ? reproduire toutes les
parcelles, ? l'int?rieur d'un espace donn?, se soit content? de dessiner les
contours de certaines d'entre elles, choisies en raison de tel ou tel caract?re
particulier, le plus souvent l'appartenance ? un m?me propri?taire (par
exemple, sous un r?gime seigneurial, celles qui constituaient le domaine) ; le
plan ainsi obtenu, si incomplet qu'il soit, sera encore dit : parcellaire. Documents historiques, ces plans, uvre menue de seigneurs pench?s sur
leurs redevances ou d'administrations en mal de fiscalit? ? documents vivants, ces mornes feuilles o? l' il inexp?riment? n'aper?oit qu'une foule de petits traits, rayant le papier dans tous les sens ? Dans les bureaux des Contributions
Directes, o?, comme on le verra plus loin, un grand nombre de plans parcel laires fran?ais sont d?pos?s, parfois un propri?taire rural, inquiet sur son
bornage, vient les consulter; nul ne s'en ?tonne. Mais si, d'aventure, c'est un historien qui en demande communication, l'amusement qu'il per?oit sous la courtoisie de l'accueil a vite fait de lui donner le juste sentiment de ce que sa curiosit?, aux regards du grand public, a de paradoxal. Par malheur, il semble bien que, en France, le personnel des Finances ne soit pas seul ?
penser de la sorte. Alors que, en Allemagne, les Flurkarten, en Angleterre, en
Belgique, les plans analogues sont depuis longtemps exploit?s par les histo
riens, les plans parcellaires fran?ais qui, pourtant, ne manquent point, n'ont
presque jamais ?t? ?tudi?s. Il est urgent d'attirer sur eux l'attention des tra
vailleurs, et notamment de ces chercheurs, pr?occup?s d'histoire r?gionale ou
locale, dont nous esp?rons un si grand secours pour nos ?tudes : ?crire l'his
1. Art. 130. Cf., pour des pr?cisions de d?tail, les articles suivants. On remarquera les mots : ?
canton, triage ou lieu dit ?. Par ces mots et par beaucoup d'autres (on en trouvera quelques-uns enumeres dans F.-H.-V. Noizet, Du cadastre, 2e ?d., 1863, p.'10, n. 2), la langue rurale, dont la terminologie varie ? l'extr?me, d?signe des groupes de parcelles, formant unit? agraire et caract?ris?s, dans les pays de ? champs ouverts ?, par une m?me
direction de sillons (c'est le Gewann des historiens allemands). Dans les ?campagnes? de la France du Nord, deux terres labour?es, contiguos sur une partie de leur surface et appartenant au m?me propri?taire, seront toujours trait?es comme deux parcelles dis tinctes, si l'orientation des sillons y est diff?rente.
LES PLANS PARCELLAIRES 61
toire d'un village, sans avoir m?me jet? les yeux sur la carte cadastrale, c'est
se priver, de gaiet? de c ur, d'un instrument entre tous efficace ; pourtant, combien de fois cette erreur n'a-t-elle pas ?t? commise ! En inscrivant les
plans parcellaires en t?te de nos enqu?tes, nous nous proposons la r?paration d'un trop long oubli.
Cette raison, si forte soit-elle, n'est d'ailleurs pas la seule qui ait d?termin?
notre choix. Nous ne nous bornerons pas aux plans fran?ais. Les collabora
tions, qui sont amicalement venues ? nous, permettront d'?tendre, d?s les pro chains num?ros, la recherche ? divers pays ?trangers1. Car sur ce terrain,
comme sur tant d'autres, plus encore que sur beaucoup d'autres, la m?thode
compar?e s'impose et les vieux cadres nationaux, o? trop souvent s'enferment
les historiens, doivent enfin ?tre bris?s. Aussi bien, quelques mots ?chang?s au dernier Congr?s d'Oslo nous l'ont prouv? : partir ? la recherche de rensei
gnements sur les plans au del? des fronti?res de son propre pays et revenir
bredouille, ce fait-divers d'?rudition n'a rien d'imaginaire. Nous sommes
donc certains de r?pondre, par notre entreprise, ? un besoin r?ellement res
senti. Enfin, poursuivant ici avant tout une uvre de liaison et d'?changes, il nous a paru tentant de porter tout d'abord notre effort sur des documents
qui, par leur nature m?me, les informations qu'ils apportent, et les connais
sances qu'ils exigent pour ?tre correctement interpr?t?s et utilis?s, appellent la coop?ration de sp?cialistes tr?s divers.
Car les plans parcellaires, comme tous les documents, ne demeurent
monotones et exsangues que jusqu'au jour o? le coup de baguette de l'intui
tion historique leur a rendu une ?me. En leurs traits fig?s, une vie mouvante,
pleine de travaux et d'aventures, s'est inscrite et se r?v?le, toute chaude, ?
qui a l'art de la saisir : la vie rurale, dans ses p?rip?ties et l'infini de ses vari?t?s
r?gionales. La forme et la disposition des champs, qu'ils font appara?tre ? nos
yeux, ?clairent les pr?mices de l'occupation du sol, et r?v?lent entre les usages
agraires, selon les contr?es, des ressemblances et des oppositions o? l'historien
des civilisations les plus recul?es, recouvertes aujourd'hui par des peuples et des ?tats plus jeunes, puise des suggestions qu'il chercherait vainement
ailleurs. Le long effort de d?frichement, qui, dans la suite des temps, par
?-coups, entama landes et for?ts, accrut ou morcela les terroirs, cr?a des
centres d'habitat nouveaux, y a d?pos? ses traces2. Les vicissitudes du r?gime
seigneurial s'y traduisent par les variations du domaine, dans son ?tendue et
sa constitution topographique. La r?partition des fortunes fonci?res, l'his
toire sociale des communaut?s paysannes s'y montrent au grand jour. Voici,
par exemple, un plan beauceron du d?but du xviir9 si?cle, celui de Monnerville,
1. Nous avons d?j? entre les mains des notices, tr?s pr?cises, sur l'Allemagne (par le Professeur Walter Vogel, de Berlin) et l'Angleterre (par le Professeur R. H. Tawney et le Dr Hubert Hall, de Londres) ; nous sommes en outre assur?s de la collaboration 'de M. V. Cerny, pour la Tch?coslovaquie.
2. Les plans ont ?t? ? plusieurs reprises utilis?s pour l'?tude de la disposition des mai sons et des rues, dans les ? villes neuves * ou ? bastides ?, cr??es de toute pi?ce au moment des grands d?frichements : cf. tout r?cemment P. Lave dan, Histoire de l'architecture urbaine et Qu'est-ce que l'urbanisme ?, 1926. Mais, en France du moins, on a g?n?ralement n?glig? de pousser l'analyse jusqu'aux terroirs ruraux des nouveaux centres de peuple ment. Sur ce point aussi, le plan parcellaire aurait son mot ? dire. Un des cas les plus curieux que r?v?le le plan cadastral est celui de Sauveterre (Gironde, arr. La R?ole), bastide fond?e en 1281, qui n'a pas de terroir, la commune se limitant ? la ville et tous les champs se trouvant situ?s dans les communes voisines.
62 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
ex?cut? entre 1699 et 1702x. Les exploitations y sont morcel?es et dispers?es ? l'extr?me. Pourtant, au milieu de cette poussi?re de parcelles, quelques
grandes pi?ces d'un seul tenant marquent de larges taches blanches ; quelle
le?on de constater qu'elles appartiennent toutes, les unes au seigneur, les
autres ? constitu?es certainement par la r?union patiemment poursuivie de
parcelles plus petites ?
? quelques familles de noblesse d'office et ? un cer
tain S?bastien de Villiers, ? marchand et laboureur?, que tout le plan d?nonce
comme un acharn? rassembleur de terres : probablement un de ces petits capi talistes ruraux, un de ces ? coqs de village ?, commer?ants et usuriers, qui ont si souvent fait souche de grands propri?taires ! La comparaison m?tho
dique entre les plans de dates diverses, l? o? il en existe pour le m?me terroir,
apporte sur l'histoire de la propri?t? plus de pr?cisions parfois qu'un monceau
de textes. Reprenons notre plan de Monnerville de 1699-1702; mettons-le en
regard du plan cadastral, ?tabli en 1831,' en commentant les deux cartes ?
l'aide des pi?ces annexes, le terrier pour l'une, la matrice pour l'autre ; nous
aurons face ? face, en deux images concr?tes, le point de d?part et le point d'arriv?e des grandes mutations r?volutionnaires2.
Il n'est gu?re de documents qui se suffisent ? eux-m?mes. Les plans par cellaires pas plus que les autres. Ce sont des t?moins pr?cieux qu'on a eu tort
de ne pas interroger d'assez pr?s ; mais ils ne livrent leurs secrets qu'une fois
confront?s avec d'autres t?moins. J'ai d?j? fait allusion aux textes annexes;
j'aurai l'occasion d'y revenir plus loin. Ces textes m?me, sorte de glose per
p?tuelle des plans, ne nous donnent pas tout le n?cessaire. Le d?pouillement des pi?ces d'archives de tout ordre, de la litt?rature juridique, l'examen des
noms de lieux ? notamment ces noms de ? lieux-dits?, dont les plans eux
m?mes fournissent le relev? et que la toponymie a jusqu'ici trop n?glig?s ?
les recherches arch?ologiques, un grand nombre de sources et de m?thodes
diverses doivent tout ? tour ?tre mises ? contribution. Aussi bien l'?tude des
plans n'est ?videmment pas une fin en soi. Les traits mat?riels qu'on y voit
inscrits ne valent que par ce qu'ils r?v?lent. Ils donnent l'anatomie. Ce qui nous importe, c'est la physiologie de l'animal vivant, je veux dire de la com
munaut? rurale. Mais l'anatomie est la connaissance premi?re dont le physio
logiste ne saurait se passer, et, r?ciproquement, elle ne devient intelligible
qu'une fois ses dessous physiologiques scrut?s et d?crits. De m?me le plan par cellaire se place au d?but et ? la fin de l'?tude agraire : au d?but comme instru
ment d'investigation, un des plus pratiques et des plus s?rs qui soient ; ? la
fin, ? une fois bien connue et bien comprise la petite soci?t? dont le terroir
est la carapace, ? comme l'image la plus imm?diatement sensible de r?alit?s
sociales profondes.
1. Archives de Seine-et-Oise, s?rie D, fonds de Saint-Cyr : interpr?t? ? l'aide du terrier, et des renseignements sur les personnes fournis par Maxime Legrand, Etampes pitto resque. L'arrondissement, t. I, 1902, p. 451. Monnerville, Seine-et-Oise, cant. M?r?ville.
Mes recherches dans les Archives de Seine-et-Oise n'ont port? quelque fruit que gr?ce ? l'amicale obligeance de l'archiviste, M. Lesort, et au d?vouement de ses employ?s.
2. Parmi les ?tudes de plans parcellaires anciens, celle que M. G. des Marez, dans son livre sur Le probl?me de la colonisation franque et du r?gime agraire dans la Basse-Belgique (M?m. Acad. royale de Belgique, in-4?, 2e s?rie, IX, 1926) a donn?e du plan de Grimber
ghen (p. 135-150) doit ?tre cit?e comme un mod?le de soin et d'intelligence.
LES PLANS PARCELLAIRES 63
2. Coup d' il sur les plans parcellaires fran?ais;
le cadastre
Du point de vue qui nous occupe, les pays de l'Europe peuvent se classer
en deux cat?gories : ceux qui ont ?t?, ? une ?poque plus ou moins rapproch?e de nous, l'objet d'un cadastre g?n?ral, accompagn? de lev?s topographiques, de telle sorte que pour chaque terroir il existe au moins un plan parcellaire ;
ceux o? aucune op?ration d'ensemble n'a eu lieu. Type de la premi?re cat?
gorie : la France. De la seconde : l'Angleterre. Nous pouvons, dans ce premier coup d' il, envisager d'ensemble tout le
territoire de la France m?tropolitaine, en excluant toutefois la Savoie et le
Comt? de Nice, qui, par suite de leur r?union tardive (1860), ont une histoire
cadastrale toute particuli?re. Nous aurons ? revenir sur ces deux provinces. Dans la France, ainsi entendue, il faut distinguer, par ordre chronologique,
trois groupes de plans parcellaires : les plans ant?rieurs au grand cadastre ;
ceux de ce cadastre lui-m?me ; les plans plus r?cents. Commen?ons par l'?tude
des plans de la deuxi?me cat?gorie, dont l'?tablissement marque, dans ce
d?veloppement, le point tournant1.
Le cadastre g?n?ral de la France, entrepris pour servir ? la lev?e de la con
tribution fonci?re (plus tard contribution fonci?re des propri?t?s non
b?ties), fut commenc? sous le Premier empire, en 1808 ; achev? sous la
Deuxi?me r?publique, en 1850. En r?alit? il doit ?tre consid?r?, pour l'essen
tiel, comme l' uvre de la Monarchie Censitaire. Neuf mille communes ? peu
pr?s ? mais dont beaucoup devaient, par la suite, ?tre d?tach?es du terri
toire fran?ais ? avaient ?t? lev?es sous l'Empire; en 1840, il n'en restait
plus que trois cents ou environ ? ne pas avoir ?t? visit?es par les g?om?tres.
Transpos?es du plan de l'histoire politique dans celui de l'histoire agraire, ces
dates expriment un fait d'une grande importance : l'image que le cadastre
nous donne de la France rurale, est celle de campagnes qui ?taient d?j?
touch?es, mais n'?taient pas encore atteintes bien profond?ment, ni dans
toute leur ?tendue, par la ? r?volution agricole ? ; cette grande m?tamorphose,
dont les deux traits principaux sont, comme l'on sait, la suppression de la
jach?re morte et la disparition des servitudes collectives, suivit, dans notre
pays, une marche particuli?rement lente.
Le dossier du cadastre, pour chaque commune, comprend :
Io Un plan parcellaire, g?n?ralement ?tabli ? l'?chelle du 2 500e avant
1837, du 2 000e depuis 2, et accompagn? d'un tableau d'assemblage3. 2? Un ?tat de sections, donnant par ordre topographique, et parcelle par
parcelle, les noms des propri?taires, en possession au moment de l'ex?cution
du cadastrera nature de culture, la contenance, et diverses indications, d'ordre
fiscal, sur lesquelles je me contenterai de renvoyer aux ouvrages sp?ciaux. 3? Une matrice qui reproduit les indications des ?tats de sections, mais
1. Esquisse de l'histoire du cadastre dans F.-H.-V. Noizet, Du cadastre et delad?limi tation des h?ritages, 2e ?d., 1863.
2. Lorsque le nombre des parcelles d?passe cinq ? l'hectare les ?chelles prescrites sont
respectivement du 1 250e et du 1 000e. Dans certaines r?gions, les plans cadastraux du Premier empire sont, me dit-on, ?tablis ? ?chelle plus petite que le 2 500e.
3. Le Service Topographique de l'Arm?e a re?u, en principe, copie des tableaux d'as
semblage ; il va de soi que ceux-ci ne donnent point les limites des parcelles.
64 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
class?es par ordre alphab?tique des propri?taires. Plans et ?tats de sections
sont consid?r?s comme immuables, ? moins de r?fection totale du cadastre ;
les matrices, au contraire, devaient, en principe, ?tre tenues r?guli?rement au courant des mutations ; en fait elles l'ont toujours ?t? assez mal, le travail,
pour toutes sortes de raisons techniques, pr?sentant de grandes difficult?s1.
O? trouver ces documents ? Les ?tats de sections n'existent qu'en un seul
exemplaire, dans la commune m?me, ? la mairie; les plans et les matrices
en deux exemplaires, l'un conserv? ? la mairie, l'autre au chef-lieu du d?par
tement, dans les bureaux de la Direction des Contributions Directes. C'est
dans ce dernier d?p?t que les historiens, lorsqu'ils s'int?ressent ? une r?gion et non uniquement ? un village pris ? part, devront aller les consulter. En
outre des copies des plans (sans les matrices), se rencontrent dans certaines
Archives D?partementales2, dont il serait bien d?sirable que l'administra
tion centrale f?t dresser et publier la liste : le chemin en est plus familier aux
?rudits que celui des Directions des Contributions Directes, et les conditions
mat?rielles du travail, ? l'ordinaire, plus propices. Les ouvrages d'histoire, en France, ayant, comme il a ?t? dit, g?n?rale
ment n?glig? l'?tude des plans parcellaires, il n'a gu?re ?t? publi? de repro
ductions des plans cadastraux. Des reproductions isol?es ont pu m'?chapper ;
mais qu'aucune collection d'ensemble des principaux types, dans une r?gion
donn?e ou dans la France enti?re, n'ait ?t? publi?e ni m?me constitu?e ? l'?tat
de d?p?t de cartes et mise ainsi ? la disposition des travailleurs, c'est un fait
malheureusement trop certain. Une tentative en ce sens sera sans doute
amorc?e d'ici peu, ? la fois pour le cadastre et les plans plus anciens.
uvres de g?om?tres qui n'avaient tous ni la m?me valeur technique ni le m?me degr? de conscience professionnelle, et qui ne furent pas partout
dirig?s et surveill?s avec le m?me soin, les plans cadastraux ne pr?sentent naturellement pas, en tous lieux, une valeur ?gale. Quelques observations
d'ensemble, n?anmoins, peuvent ?tre formul?es.
Sur un point particulier, l'exactitude des plans a ?t? vivement attaqu?e
par certains critiques. Instrument purement fiscal, le cadastre, dans la pens?e de ses auteurs, n'avait rien d'un ?livre foncier?, appel? ? fournir la preuve des droits de propri?t?. Aussi les r?glements ne prescrivirent-ils, pour la
d?termination des limites entre les biens, que des proc?d?s assez sommaires.
Le r?sultat fut, nous dit-on, que trop souvent les g?om?tres accept?rent sans
contr?le les d?clarations de cultivateurs empress?s ? s'attribuer, de leur propre
autorit?, quelques m?tres carr?s des terres voisines3. Le reproche n'est proba
1. En vertu de la loi du 1er janvier 1915, de nouvelles matrices ? pr?vues pour une
dur?e de soixante ans ? doivent ?tre partout ?tablies. Les anciennes deviendront donc peu ? peu inutiles aux administrations, mais elles demeureront des documents histo riques pr?cieux. Il sera bon de veiller ? leur conservation.
2. Je citerai, aux hasards des renseignements incomplets que j'ai pu recueillir : la Seine-et-Oise (par suite de circonstances expos?es par l'Archiviste dans son Rapport de 1912-1913, p. 20) ; le Doubs ; et (selon P. Lavedan, Qu'est-ce que l'urbanisme ?, 1926, p. 177, n. 1), la Haute-Garonne, le Lot, et partiellement le Tarn et l'Aude. L'instruction du 1er d?cembre 1807 pr?voyait que le plan parcellaire serait ex?cut? en trois exemplaires, sans pr?ciser d'ailleurs la destination du troisi?me, qui fut supprim? par la loi du 31 juil let 1821. Que sont devenus les exemplaires suppl?mentaires des plans lev?s entre 1808 et 1822 ?
3. Cf. Noizet, op. cit., notamment p. 34 ; et Pr?sident Bonjean, Revision et conserva tion du cadastre, 2 vol., 1874.
LES PLANS PARCELLAIRES 65
blement pas d?nu? de fondement. Mais il n'int?resse gu?re l'utilisation histo
rique des plans ; car les erreurs ne portent ?videmment que sur un assez petit nombre de parcelles
? et, pour chacune d'elles, sur une quantit? de terrain
relativement faible1 : ni la forme g?n?rale des champs, ni la r?partition des
propri?t?s, qui est affaire de moyennes, n'en sont s?rieusement affect?es.
Plus dangereuses, sans doute, de notre point de vue, sont certaines omis
sions graphiques : la premi?re g?n?rale et in?vitable, les autres, malheureuse
ment, trop fr?quentes. En principe la planim?trie seule est trac?e ; le relief
n'est qu'exceptionnellement figur? et, dans ce cas, d'une fa?on toujours sch?
matique et approximative. D'o? la n?cessit?, pour comprendre vraiment le ter
roir, de s'aider d'autres documents topographiques ? Les r?glements veulent
que les natures de culture soient indiqu?es par des lettres, qui, d'ailleurs, faute
de tableau de correspondance uniforme, exigent, pour ?tre comprises, une
initiation pr?alable et, parfois, la connaissance de la langue agraire locale :
passe encore que t et l alternent capricieusement dans la d?signation des
terres labour?es ! mais, dans le Midi, il arrive que les terres incultes soient
not?es par un h (du proven?al herm, Veremus latin), petite ?nigme pos?e aux
hommes du Nord. Le pis est que certains g?om?tres, en d?pit des instructions
minist?rielles, ont absolument n?glig? d'inscrire les pr?cieuses lettres. Leurs
plans, o? rien ne distingue un champ d'une vigne et une prairie d'un boque
teau, ne pourraient gu?re ?tre utilis?s qu'? l'aide d'une comparaison perp? tuelle avec les ?tats de sections, travail que son ?normit? m?me rend presque
irr?alisable. ? Dans les pays d'enclos, comme l'Ouest de la France, certains
g?om?tres, particuli?rement attentifs, ont pris soin de distinguer les s?para
tions par cl?tures permanentes (par haies le plus souvent) de celles qui ne
sont marqu?es que par de simples bornages ou m?me par des lignes tout
id?ales ; aux premi?res ils r?servent le trait plein, les secondes n'ont droit
qu'au pointill?. Par malheur, ce scrupule est demeur? inconnu ? beaucoup de
leurs coll?gues : dessinateurs paresseux, dont la n?gligence risque d'induire en
de curieuses erreurs les historiens plus familiers avec la carte qu'avec le pays.
Dans l'Ouest, en effet, il arrive fr?quemment que, ? l'int?rieur d'un m?me
enclos, la terre ait ?t?, au cours des temps, partag?e entre plusieurs propri?
taires, qui l'ont d?coup?e, ? l'ordinaire, en minces parcelles, toutes allong?es
dans le m?me sens. Supposons que tout signe sp?cial pour la haie manque ;
seules ces lani?res appara?tront sur le plan, dont l'aspect alors reproduit, ?
s'y m?prendre, l'image des terroirs de la Beauce, par exemple, ou de la Picardie,
avec leurs champs sans cl?tures, ?troits et longs : l'oubli du cartographe
masque ainsi un des contrastes les plus frappants de la vie agraire fran?aise.
Je crois bien que le grand historien anglais Seebohm s'y est un jour laiss?
tromper2. Tant il est vrai que les cartes agraires, comme toutes les cartes,
1. Quantit? non n?gligeable, cependant, dans les pays de champs ?troits et allong?s o? tout d?placement de la limite, parall?lement ? l'axe des sillons, entra?ne, m?me s'il est
d'amplitude assez faible, une modification consid?rable dans la surface totale : aux ? man
geurs de raies ?, un l?ger d?portement de la charrue, ? droite ou agauche, suffisait souvent
pour r?aliser un gain s?rieux. 2. Customary acres and their historical importance, 1914, p. 118 et suiv. ; notez, en face
la p. 123, le plan de Carnac. Le passage sur les haies, p. 123, montre la source de l'erreur et indique en m?me temps que Seebohm n'a pas ?t? tr?s loin de l'apercevoir. Mais comment, en l'absence des servitudes collectives caract?ristiques, a-t-il pu se laisser aller ? parler de ? the breton open-field system ?? Il n'est que juste de l'ajouter, le livre, posthume, est un
recueil de ? unfinished essays ?.
ANN. D'HISTOIRE. ? lre ANN?E. 5
66 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
comme tous les documents, exigent, pour ?tre correctement interpr?t?es, une
?tude critique sur leurs proc?d?s d'?tablissement.
3. Les plans parcellaires anciens, en France:
plans seigneuriaux
Les tentatives de cadastre fiscal esquiss?es ? plusieurs reprises par l'Ancien
R?gime ne semblent pas avoir jamais comport? l'?tablissement de lev?s topo
graphiques. Les plans parcellaires fran?ais ant?rieurs ? 1700 (Savoie excep
t?e) sont tous ? au moins ? ma connaissance ?
d'origine seigneuriale. Ils
accompagnent g?n?ralement des terriers et sont, comme ceux-ci, destin?s ?
assurer sur des bases certaines l'exploitation du domaine et de la directe,
parfois, mais beaucoup plus rarement, la perception de d?mes plac?es en
d'autres mains que celles du seigneur foncier1. La ?f?odalit?? ? comme
disaient les hommes du xvme si?cle ? ?labora les m?thodes dont le cadastre
napol?onien devait faire son profit ; ? son service, une grande partie du per
sonnel, employ? plus tard aux op?rations cadastrales, avait, selon toute appa
rence, re?u sa premi?re formation.
L' uvre topographique des administrations seigneuriales fut d'ailleurs
consid?rable. Son ampleur a frapp? les contemporains. En 1789, Babeuf, dont
l'exp?rience de commissaire ? terrier n'?tait pas n?gligeable, estimait aux
deux tiers du total des seigneuries, dans tout le royaume, celles qui avaient
?t? ? cartees?2. Il exag?rait certainement, et de beaucoup. Mais ce sont sur
tout les mots : ? dans tout le royaume ?, qui appellent une s?rieuse rectifica
tion. Restreinte ? certaines r?gions, comme l'Ile-de-France, o? la propri?t?
seigneuriale ?tait fort concentr?e et les seigneurs assez riches et d'esprit assez
ouvert pour pratiquer une gestion rationnelle, l'affirmation d?passe encore
la v?rit?, mais de moins loin qu'on ne pourrait le croire : t?moin ? malgr?
d'incalculables dilapidations ? l'admirable s?rie de plans parcellaires que
poss?de encore aujourd'hui la Seine-et-Oise, soit dans les Archives du d?par
tement, soit dans celles des communes, soit enfin dans diverses collections
particuli?res. D'autres contr?es, dans le Midi notamment, sont infiniment
moins favoris?es. L'inventaire g?n?ral des plans parcellaires fran?ais, s'il
peut jamais ?tre dress?, apportera, entre autres renseignements pr?cieux, des
vues d'un grand int?r?t sur les diff?rences, ? travers le royaume, des m?thodes
de l'exploitation seigneuriale. Sur leurs variations dans le temps, aussi.
Existe-t-il des lev?s, parcelle par parcelle, ant?rieurs ? la seconde moiti? du
xvne si?cle ? Peut-?tre; mais je n'en ai, pour ma part, jamais rencontr? ;
au mieux, ils sont extr?mement rares. Bien rares encore, ceux qui furent ex?
cut?s entre 1650 et 1700. La plupart des plans-terriers datent du xvme si?cle ;
ils se multiplient, en m?me temps qu'ils acqui?rent une remarquable per fection technique, surtout ? partir de 1740. Sympt?me d'ordre ?conomique :
1. Les plans de Thiverval (Seine-et-Oise, cant. Poissy), ex?cut?s au xvme si?cle et conserv?s aujourd'hui aux Archives de Seine-et-Oise, dans le fonds des Chartreux de Paris, appartiennent vraisemblablement ? la cat?gorie des plans dlmiers.
2. Cadastre perp?tuel, 1789, p. 54 et n. 1. Cf. E. de la Poix de Fr?minville, La
pratique universelle pour la r?novation des terriers, 2e ?d., 1752, 1.1, p. 106 : ? Peut-on faire le renouvellement d'un terrier sans lever les plans d'une terre ? Cela est impossible ? ; et, p. 102 et suiv., les revendications en faveur du ?plan g?om?trique?, bien pr?f?rable au ? plan visuel >.
LES PLANS PARCELLAIRES 67
c'est le moment de la ? r?action f?odale?; d'ordre intellectuel : les m?thodes
scientifiques, applications des sciences math?matiques, commencent ? p?n? trer la vie quotidienne.
Un tr?s grand nombre de fonds seigneuriaux ayant ?t? confisqu?s en vertu
des lois r?volutionnaires, la plupart des plans anciens sont ? pr?sent conserv?s, soit ? Paris, aux Archives Nationales (o?, au m?pris de la r?gle tut?laire du ? respect des fonds ?, ils ont ?t?, en principe, mais non toujours en fait, distraits
des papiers terriers auxquels, originellement, ils se rattachaient, pour former, avec toutes sortes d'autres cartes, une s?rie sp?ciale : la s?rie N), soit dans les
Archives D?partementales. Certains, pourtant, sont demeur?s entre les mains
de particuliers, ayants droit des ci-devant ch?telains, de leurs intendants,
notaires1, ou arpenteurs. D'autres encore n'ont quitt?, sous la R?volution, les coffres du seigneur ou de son fermier que pour ceux de la mairie voisine,
o?, bien souvent, en attendant la confection plus ou moins tardive du cadastre
officiel, la municipalit? les employa ? asseoir la contribution fonci?re. C'est
ainsi que les beaux plans du marquisat de B?ville, ex?cut?s de 1786 ? 1789, sont actuellement dispers?s entre plusieurs communes de la Seine-et-Oise 2.
Enfouis dans des biblioth?ques priv?es, les plans ?chappent presque n?cessairement ? tout inventaire g?n?ral. D?pos?s dans les mairies de villages, ils courent ?galement grand risque de passer inaper?us ; on les verra pourtant
quelquefois mentionn?s, au milieu de beaucoup d'autres pi?ces, dans les
collections d'inventaires d'archives communales que publient certains d?par
tements, ou bien encore dans les rapports annuels des archivistes d?partemen taux, bourr?s, ? l'ordinaire, de renseignements pr?cieux, mais difficiles ? se
procurer et lamentablement d?pourvus d'index3. Il semblerait que dans les
Archives D?partementales ou Nationales la situation d?t ?tre plus favorable.
De fait, un certain nombre d'Archives D?partementales poss?dent des r?per toires des cartes et plans, g?n?ralement sur fiches ; ? Paris la s?rie N est dot?e
d'un inventaire manuscrit. Mais que ces instruments sont insuffisants ? Sans
vouloir diminuer en rien le m?rite des admirables travailleurs qui, depuis le
milieu du si?cle dernier, ont accompli, dans nos archives, une si utile besogne de classement et de description, il faut bien reconna?tre que leur formation
les avait mieux pr?par?s ? dresser la fiche signal?tique d'une charte que celle
d'un document topographique. Le chercheur, pr?occup? d'histoire rurale, demande essentiellement ? un r?pertoire de plans quatre indications : Io la
date (laquelle, dans beaucoup de cas, ne peut ?tre d?termin?e que par l'exa
men des pi?ces jointes, les cartes manquant fr?quemment de mentions chrono
logiques, les terriers jamais) ; 2? l'?chelle (souvent tr?s d?licate ? fixer) ; 3? la surface lev?e ; 4? le plan est-il parcellaire ou non ? Dans les r?pertoires
actuels, les trois premi?res indications sont rarement toutes trois r?unies, et
n'on le plus rarement encore la pr?cision n?cessaire. La quatri?me, la
1. ROBERT Dubois-Corneau, Pan's de Montmartel [1917],p. 147, n. 8, signale des plans terriers de Brunoy dans l'?tude d'un notaire de cette localit?. Il s'en rencontre ?galement dans les papiers notariaux vers?s aux Archives du Bas-Rhin.
2. Celui de Saint-Sulpice-de-Favi?res (cant. Dourdan) a ?t? vers? aux Archives D?par tementales : E suppl?ment. Cf., pour le Lot, P. Lavedan, Qu'est-ce que l'urbanisme ?, 1926, p. 178, n. 1.
3. Je rappelle que la Chronique des Archives d?partementales, que M. Vidier faisait
para?tre depuis 1923, dans le Bulletin philologique et historique, r?sume les rapports annuels des archivistes ; souhaitons que cette utile publication soit continu?e.
68 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
plus indispensable sans doute, fait r?guli?rement d?faut. Impossible, par
exemple, dans l'immense s?rie N, aux Archives Nationales, de distinguer,
d'apr?s l'inventaire, les plans qui analysent le sol, champ par champ, de ceux
qui se contentent de dessiner d'un trait sommaire les fronti?res de la seigneurie ou du terroir. La refonte du grand recueil parisien serait un travail de longue
haleine. Mais, dans chaque d?p?t d?partemental, dresser l'?tat des plans par
cellaires anciens, ? ?tat ? n?ant ? s'il y a lieu, le renseignement a son prix pour
les chercheurs, ?
y joindre la liste provisoire des plans reconnus dans les
communes, la t?che, dans certains cas relativement ais?e, ailleurs beau
coup plus lourde, ne semble nulle part impossible ? mener ? bien. Il serait
temps de songer ? l'entreprendre1.
Je vais maintenant donner quelques exemples de plans parcellaires
anciens, choisis parmi des types aussi divers que possible.
Voici d'abord les plans reli?s avec le terrier de l'abbaye de Gorze, au dio
c?se de Metz : 1746-17492. Domaniaux plut?t que seigneuriaux, ils donnent
seulement les parcelles qui composaient, dans les diff?rents terroirs, la r?serve
exploit?e directement par le monast?re ou ses fermiers. Deux grands types de domaines, comportant, bien entendu, des formes interm?diaires, s'oppo sent nettement : domaine agglom?r? (exemple : Champs) ; domaine dispers?
(exemple : Saint-Julien). Ce contraste, propre ? mettre en garde contre
toute g?n?ralisation h?tive les historiens de la vie rurale du xviir2 si?cle,
est en lui-m?me un fait important. Resterait, dans chaque cas, ? l'expliquer
par le pass? et ? en suivre les effets, sur la r?partition de la propri?t?, apr?s la R?volution. Les plans ne peuvent que poser la question. C'est d?j?
beaucoup. Passons ? la Thi?rache. Le village de La Flamengrie, antique possession de
Saint-Denis, passa, en 1686, avec le reste de la mense abbatiale, aux mains
des Dames de Saint-Cyr, personnes fort soigneuses de leur fortune et ? qui nous devons une des plus belles s?ries de plans terriers qu'il m'ait ?t? donn?
de consulter. Celui de La Flamengrie est de 17193. Une partie de la surface
est occup?e par le hameau du Bois-Saint-Denis, ancien d?frichement, dont
la date pr?cise n'est pas connue, mais qui, certainement ant?rieur au xvr8
si?cle4, remonte selon toute apparence ? la grande ?poque des essarts :
xiie-xnie si?cles. Des maisons, chacune entour?e d'enclos, en files des deux c?t?s d'un chemin ; de part et d'autre de cette ar?te dorsale, des parcelles tr?s
longues et tr?s minces qui s'?tirent jusqu'aux parties intactes de la for?t : on reconna?t un type d'occupation du sol, ?videmment r?gl? d'avance et
d'ensemble, avec lequel de nombreuses Flurkarten allemandes, emprunt?es ?
des r?gions autrefois couvertes de bois, ont rendu nos yeux familiers5. Ces
1. Cf. Lucien Febvre, Instructions sp?ciales pour la documentation cartographique du R?pertoire de Synth?se historique, dans Bulletin du Centre international de synth?se, juin 1928, notamment p. 52.
2. Arch, de la Meuse, H 745-62. Terrier de Champs (commune Hag?ville, Meurthe-et Moselle, cant. Chambley), et Saint-Julien-l?s-Gorze (id.) : H. 747.
3. Arch, de Seine-et-Oise, D, fonds de Saint-Cyr. ?chelle non indiqu?e. La Flamengrie, Aisne, cant. La C apelle.
4. Il est mentionn? d?s 1550 ; voir une liasse de proc?dure, de 1719, entre les habitants et les Dames. ?Aujourd'hui Petit-Bois-Saint-Denis, commune La FI.
5. Ce sont les Waldhufen. Mais les savants allemands consid?rent, en g?n?ral, que les possessions des habitants ?taient d'un seul tenant : je ne vois pas de raison de croire qu'il en ait jamais ?t? ainsi ? Bois-Saint-Denis.
LES PLANS PARCELLAIRES 69
champs d?mesur?ment allong?s, volontiers nous en estimons aujourd'hui la
forme absurde. Dans la France du Nord, elle semblait jadis n?cessaire ; on
l'adoptait, tout naturellement, dans les terroirs cr??s de toute pi?ce, comme
l'adopteront encore, au xvne si?cle, dans les pays neufs de l'Am?rique sep
tentrionale, les colons fran?ais et anglais. Parmi les nombreux villages de l'Ile-de-France lev?s au cours du xvnie
si?cle, celui de Brunoy offre ? l'histoire de la propri?t? un objet d'?tude parti culi?rement favorable. On en poss?de en effet trois plans parcellaires relati
vement rapproch?s : 1724-1735, alors que la seigneurie venait d'?tre acquise
par le financier Paris de Montmartel ; 1783-1789, le seigneur ?tant Monsieur,
le futur Louis XVIII1 ; 1810, le plan cadastral, exceptionnellement ancien.
Paris de Montmartel exploitait en grand capitaliste. La comparaison des
premier et deuxi?me plans ? comment?s ? l'aide des terriers
? r?v?le ses
efforts pour concentrer le domaine en quelques grandes parcelles. La R?volu
tion semble avoir entra?n? de nouvelles divisions. A Rueil, pour une partie du terroir, nous pouvons mettre en regard deux plans anciens, le premier de
1680, le second, non dat?, du milieu du si?cle suivant2 ; dans les deux, le
morcellement des tenures est extr?me ; de l'un ? l'autre, il progresse l?g?re ment. Images ? m?diter par les ?conomistes qui chargent de tous les p?ch?s
le Code civil! Ailleurs, ? Guillerville, c'est l'enchev?trement des droits sei
gneuriaux qui appara?t clairement ; il n'y a pas moins de trois seigneurs dont
les mouvances s'entrem?lent ; pour certaines terres, on ne sait pas bien de
qui elles rel?vent3.
Morcellement, parcelles allong?es et sans cl?tures, ces traits, si apparents ? en d?pit de quelques irr?gularit?s locales ? sur les plans de l'Ile-de-France,
figurent parmi les signes classiques du syst?me des ? champs ouverts ?, tant
de fois ?tudi? par les savants anglais et allemands [open-field system, Gewann
d?rfer). Mais un autre caract?re, parfois consid?r? comme essentiel, fait ici
constamment d?faut : la division du terroir en soles. Nul doute que l'assole
ment triennal ne f?t g?n?ralement pratiqu? ; bien plus, ? nous le savons de
source s?re ? d'imp?rieuses n?cessit?s, d'ordre ? la fois technique et social,
imposaient aux exploitants l'ob?issance ? des r?gles de culture communes.
Nulle part, cependant, les labours ne nous apparaissent, comme on e?t pu
s'y attendre, r?partis en trois grands cantons, r?serv?s chacun ? une utilisation
saisonni?re d?termin?e et alternant entre eux selon un rythme annuel im
muable ; terriers et cartes ignorent les mots de ? sole ?, ? saison ?, ou tout
autre terme analogue. En Lorraine, au contraire, notamment dans la Lorraine
de langue allemande, ? cette m?me ?poque, les trois ? saisons? se d?tachent
nettement sur les plans ; voyez, par exemple, ceux de la baronnie de F?n?
trange (1717-1739), ou celui de Vittersbourg (1688?)4. Sympt?me, dans l'E't, d'un ?tat agraire moins ?volu? ? Il se peut. Pourtant, faisons-y bien attention :
1. Arch, de Seine-et-Oise, A 711 et 712. ?chelles variables selon les feuilles. Bruno y, Seine-et-Oise, cant. Boissy-Saint-L?ger. Cf. pour d'autres plans du m?me lieu, ou d'autres exemplaires des plans ci-dessus mentionn?s, supra, p. 67, n. 1.
2. Arch, de Seine-et-Oise, D, fonds de Saint-Cyr. Tous deux (pour la partie commune) ? l'?chelle d'environ 1 : 1 670, Rueil, Seine-et-Oise, cant. Marly-le-Roi.
3. Arch, de Seine-et-Oise, K, fonds de Morigny. ?chelle non indiqu?e. Guillerville, commune Sainte-Escobille, Seine-et-Oise, cant. Dourdan.
4. Arch, de Meurthe-et-Moselle, B 11765-87 et 11971. Pour l'?num?ration des village? de la baronnie de F?n?trange, voir l'Inventaire. Vittersbourg, Moselle, cant. Albestroff.
70 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
l'histoire des campagnes lorraines, aux temps modernes, est celle d'une s?rie
d'accidents, beaucoup plut?t que d'une continuit?. De terribles guerres,
tout le long du xvne si?cle, avaient ravag? le duch? ; beaucoup de villages,
pendant des p?riodes plus ou moins longues, ?taient demeur?s d?serts ;
revenus, les paysans, qui ne trouvaient plus gu?re devant eux que des friches, se prirent ? cultiver ? confus?ment ?, sans tenir compte des vieilles coutumes,
protectrices des int?r?ts de la communaut?, n?gligeant m?me, ? l'occasion,
de respecter les limites des propri?t?s. Pouvoirs publics et seigneurs mirent le
hol?. En certains lieux, on dut proc?der ? de v?ritables redistributions de
parcelles. Partout, on prescrivit l'observation des ?anciennes saisons?. Et
sans doute, en voulant r?tablir l'ordre primitif, on fit dispara?tre des anoma
lies, dont beaucoup remontaient aux origines m?mes des terroirs. Selon toute
vraisemblance, le syst?me agraire lorrain n'avait, au xviir2 si?cle, une allure
si r?guli?re que parce qu'il venait d'?tre r?gularis? 1.
De ce point de vue, les anciens plans de la Lorraine, ou du moins certains
d'entre eux, rentrent dans une cat?gorie assez particuli?re : celle des plans destin?s ? constater un ? remembrement?, c'est-?-dire une r?forme g?n?rale du terroir. Ici, on ne cherchait qu'? renouer les traditions. Les remembre
ments plus r?cents visent, au contraire, ? rompre avec les errements du pass? :
on veut grouper les parcelles, diminuer le morcellement. La plupart de ces
op?rations, en France, datent des xixe et xxe si?cles ; nous les retrouverons
plus loin. Mais les premi?res ont ?t? accomplies avant la R?volution, sous
l'autorit? seigneuriale. Un plan venait fixer le nouvel ?tat de choses : tel, celui
des ?bans de Neuviller et Roville? apr?s la ?nouvelle division et distribu
tion? qui, accomplie en 1770 par un intendant ?clair?, La Galaizi?re, fit
?poque dans la doctrine2.
Les terroirs du Midi de la France diff?rent grandement de ceux du Nord ; les champs y ont des formes beaucoup plus vari?es et tendent souvent vers
le carr?. Cet aspect de puzzle, bien connu des travailleurs qui ont feuillet? les cadastres m?ridionaux, appara?t d?s les plans anciens : tel, celui de Mont
gaillard, en Lauragais3. Encore s'agit-il l? d'un village agglom?r?. Plus
?trange encore, ? des yeux form?s par les campagnes du Nord, un fragment du plan de Langon, en Guyenne, ex?cut? avant 1764, o? l'on voit un grand nombre de maisons dispers?es, chacune entour?e de son exploitation, qui, souvent, est enclose4. Curieux en lui-m?me, ce dernier document a eu, par surcro?t, un destin assez surprenant. Avec tout un lot de papiers d'arpenteur, il a ?chou? aux Archives de Seine-et-Oise, o? je ne pense pas qu'aucun histo
rien bordelais ait jamais eu l'id?e d'aller le chercher. Je tenais ? citer, en ter
minant, ce trait ; il fera sentir, mieux qu'un long discours, l'incertitude qui
p?sera sur nos recherches tant que n'aura pas ?t? constitu?, archives par
archives, l'inventaire g?n?ral des anciens plans parcellaires fran?ais.
Marc Bloch.
1. Cf. Georges IIottenger, Les remembrements en Lorraine au XVIIIe si?cle dans M?rn. de la Soci?t? d'Arch?ologie lorraine, t. LXIV (1919). Je compte revenir sur la question.
2. Arch. Nat., N I, 1. Cf. le plan de Neuviller,reproduit, d'apr?s un exemplaire con serv? aux archives de la mairie, par G. Hottenger, La propri?t? rurale en Lorraine. Morcellement et remembrement, 1914 (Biblioth. du Mus?e social), p. 90. Neuviller-sur-Mo selle et Rovi?le, Meurthe-et-Moselle, cant. Harou?.
3. Arch, de la Haute-Garonne, C 1580. Montgaillard, Haute-Garonne, cant. Ville iranche-en-Lauragais.
4. Arch, de Seine-et-Oise, A 326. ?chelle environl : 1 000. Langon, Gironde, arr. Bazas.
II. ? LES CONGR?S
Sciences historiques. ? Le VIe Congr?s International des Sciences
Historiques a si?g?, du 14 au 18 ao?t 1928, dans les salles hospitali?res de
l'Universit? d'Oslo. La fondation des Annales y a ?t? annonc?e ; elle a ?t?
accueillie avec une sympathie des plus encourageantes. Nous sommes heureux
de penser que notre revue na?t sous le signe de la collaboration scienti
fique. Les deux Comit?s organisateurs
? le Comit? national norv?gien et le
Bureau du Comit? international, tous deux pr?sid?s par notre eminent colla
borateur, le professeur Halvdan Koht ? avaient assum? une t?che tr?s lourde.
Leur d?vouement a trouv? sa r?compense et leur succ?s sa sanction dans
l'unanime reconnaissance des congressistes. Nous leur associons dans un
m?me sentiment de gratitude le Comit? fran?ais, qui s'est d?pens? sans
compter au service de nos compatriotes, et l'ensemble de nos coll?gues nor
v?giens. L'attrait d'un admirable pays, l'int?r?t excit? par une civilisation
qui, sans cesser d'?tre vivante, a su conserver une profonde originalit?, sur
tout la charmante et simple cordialit? de nos h?tes ont gagn? ? la Norv?ge
beaucoup de nouveaux amis.
Est-ce ? dire que, dans le dessin g?n?ral des Congr?s historiques, il ne reste
plus aucun progr?s ? r?aliser ? Les metteurs en uvre de la r?union d'Oslo
ne nous pardonneraient pas de le penser ; ils sont trop bons historiens pour ne
pas savoir que l'adaptation d'une institution ? ses fins propres ne se fait
jamais que peu ? peu. A des yeux habitu?s au recul du pass?, nos congr?s sont une institution encore toute jeune : vingt-huit ans d'?ge ! La prochaine session ?
Varsovie, 1933 ? marquera le tournant de la trentaine. A ses orga
nisateurs, les Annales soumettent les r?flexions qui suivent.
Il semble qu'un Congr?s d'historiens doive offrir, essentiellement, trois
?l?ments d'int?r?t.
Par lui, un contact personnel s'?tablit entre des savants dont beaucoup,
jusque-l?, ne se connaissaient que par leurs ouvrages. Les relations ainsi
form?es ne satisfont pas seulement cette curiosit?, un peu pu?rile peut-?tre, mais n?e, apr?s tout, d'un sens estimable du concret, qui inspire ? tant d'entre
nous le d?sir de mettre derri?re un livre l'image d'un homme et le son d'une
voix ; elles facilitent les ?changes intellectuels et parfois m?me provoquent de
f?condes collaborations. Nous sommes beaucoup ? rapporter d'Oslo le sou
venir, extr?mement pr?cieux, de pareilles entrevues. Tout au plus peut-on
exprimer le d?sir que, ? l'avenir, les rencontres soient rendues encore plus ais?es. Le plus s?r moyen d'y parvenir est sans doute de multiplier, en dehors
des s?ances, ces r?ceptions g?n?rales, ?tendues ? la totalit? des congressistes,
qui, pour peu que le cadre s'y pr?te et que quelques coll?gues obligeants s'in
g?nient ? servir d'interm?diaires, offrent, dans leur d?sordre apparent, l'occa
sion de tant de vivants entretiens.
Mais un Congr?s n'est pas seulement une Cosmopolis, peupl?e d'hommes
72 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
venus des quatre coins de l'horizon. Il se tient dans une ville qui a son pass? et sa vie propres, dans un pays dont l'originalit? historique fournit, ? ceux qui savent les entendre, de fructueuses le?ons. Encore faut-il que ces tr?sors
intellectuels soient mis ? la port?e de tous ! A Oslo, sous la conduite de M. Haakon Shetelig, la visite des merveilleuses et ?tranges trouvailles faites
dans les tombes d'Oseberg et de Gokstad, puis devant les vitrines de VOse
bergsalle, la saisissante improvisation de M. Rostovtzeff (dans un esprit de
belle impartialit? scientifique, M. Shetelig avait lui-m?me tenu ? c?der la
parole ? l'illustre savant russe, dont il ne partage point les th?ories), voil?,
parmi tant de bons souvenirs que m'a laiss?s le Congr?s, peut-?tre le plus
frappant ; et je crois bien ne pas ?tre le seul ? sentir ainsi. Qu'on veuille bien
me comprendre : pas plus que la majorit? des auditeurs r?unis ce jour-l? dans
?o Mus?e, je ne suis, ? aucun degr?, un sp?cialiste. Je n'ai jamais ?crit, je
n'?crirai, selon toute apparence, jamais sur r?volution du ?style animal?.
Mais qui de nous ne sait que son travail propre se nourrit de tout enrichisse
ment de sa culture historique ! J'aurais souhait?, je l'avoue, un effort plus soutenu pour nous ouvrir l'intelligence de la civilisation norv?gienne, ? la fois
dans son pass? et dans son pr?sent. Nos amis de l?-bas ne demandaient cer
tainement qu'? nous rendre ce service. A la v?rit?, une section sp?ciale du
Congr?s ?tait consacr?e ? 1'? histoire des nations nordiques? ; mais les com
munications erudites qu'elle groupait ?taient destin?es aux sp?cialistes. C'est
pour l'historien ? moyen? que je plaide ici. Je sais que, au cours des excur
sions qui suivirent le Congr?s et auxquelles je n'ai malheureusement pas pu
participer, beaucoup a ?t? fait dans le sens que j'indique. D?s Oslo m?me, il
e?t ?t?, je crois, possible d'offrir une p?ture plus abondante aux bons ?l?ves
dont beaucoup d'entre nous se sentaient l'?me. Un exemple ?clairera ma
pens?e. Le hasard d'une conversation m'a appris qu'un de nos plus ?minents
coll?gues norv?giens pr?pare une histoire de la ville d'Oslo. Nos promenades le long de la Karl-Johansgade, au pied des vieux murs d'Akershus et sur
les quais du port, n'auraient-elles pas pris un attrait plus vif encore et acquis une valeur ?ducative toute nouvelle, si l'historien d'Oslo nous avait expliqu? sa ville ?l
J'arrive enfin ? ce qui est, ? tout prendre, l'essence m?me d'un congr?s :
les communications, les discussions qui les suivent. Nous avons entendu ?
Oslo beaucoup de rapports d'un grand int?r?t, quelques discussions vraiment
suggestives. Mais suis-je trop gourmand ? J'emporte un regret : parmi les
communications que j'eusse d?sir? ?couter, il en est un assez grand nombre
que, retenu ailleurs, j'ai manquees. C'est l'effet d'un ?tat de choses qui,
depuis qu'il y a des Congr?s, n'a cess? d'?tre d?nonc? : abondance excessive des communications, portant sur des sujets trop vari?s ; d'o?, par une cons?
quence fatale, la formation d'un nombre exub?rant de sections. Les divisions
chronologiques (il y avait des sections d'histoire ancienne, d'histoire m?di?
vale, d'histoire moderne et contemporaine) s'enchev?trent avec d'autres
barri?res,construites sur un plan m?thodique -.sections d'histoire ?conomique, d'histoire religieuse, etc.. Irrationnel donc dans son principe, ce morcellement,
1. Un exemple encore : une section du Congr?s^?tait consacr?e ? l'enseignement de l'histoire. Je ne vois pas qu'aucune communication y ait ?t? pr?vue sur l'organisation
de cet enseignement, ? ses trois degr?s, dans le pays m?me qui nous accueillait et que l'on sent si pr?occup? de conserver vivantes les traditions de son pass?.
LES CONGR?S 73
pouss? ? l'extr?me, n'est pas seulement, en pratique, des plus g?nants ; sur le
plan intellectuel, il est n?faste, car il masque l'unit? profonde des p?riodes et
des ?volutions. Mais le rem?de ? il faut avouer qu'il n'est pas commode ?
trouver. Pleinement conscients du danger, les organisateurs du Congr?s se
sont efforc?s d'y parer ; s'ils n'y ont pas r?ussi tout ? fait, qui donc oserait
les en bl?mer ? Il est trop facile de critiquer quand on n'est pas soi-m?me au
gouvernail. ?liminer les communications qui portent sur des th?mes trop
restreints, bons pour ?tre ?tudi?s dans des m?moires ?rudits, mais incapables de susciter des ?changes de vues f?conds ? Cela est vite dit ; mais le triage est
d?licat et les obligations de courtoisie parfois imp?rieuses. Peut-?tre des direc
tives tr?s fermes ?manant du comit? central et des comit?s nationaux
auraient-elles quelque effet. Le reste est affaire de tact chez les dirigeants, de raison chez les congressistes. Aussi bien les communications de natun
infinit?simale ont-elles ?t?, si je compte bien, plus rares cette fois-ci que par le pass? : progr?s certain. Mais la dispersion subsiste. Une tentative int?res
sante avait ?t? faite par le Comit? fran?ais : choix de quelques grandes ques
tions, sur lesquelles des rapports avaient ?t? r?dig?s par des savants qualifi?s, distribution aux congressistes de ces rapports imprim?s qui pouvaient servir
de.base ? la discussion. La m?thode n'est pas encore au point. Mais l'avenii
nous para?t de ce c?t?-l?. Centrer l'activit? du congr?s autour d'un certain
nombre de grands probl?mes, soigneusement choisis et d?limit?s, d'int?r?t
international, substituer, en un mot, au groupement factice par sections le
groupement par probl?mes, voil?, croyons-nous, l'id?al dont il faudra cher
cher ? se rapprocher. Les congr?s g?ographiques, ceux des sciences de la
nature, l'ont compris, avant nous. Que les historiens soient tout pr?ts ? so
rallier ? cette conception, je n'en veux pour preuve que le vif int?r?t suscit?, ? Oslo, par la discussion qui s'est engag?e autour des th?ses de M. Pirenne sur
l'?volution du haut moyen ?ge : ce jour-l?, si j'en juge par les noms des
savants qui prirent part ? la discussion ou simplement y assist?rent, les
murs entre les sections n'ont plus gu?re ?t? respect?s: Les Annales, dont le
programme m?me est une protestation, non contre la sp?cialisation l?gitime, mais contre les cloisonnements arbitraires, s'associeront avec sympathie ?
cette uvre de rapprochement et d'organisation. Marc Bloch.
G?ographie. ? Le Congr?s International de G?ographie s'est r?uni ?
Cambridge, du 18 au 25 juillet 1928. Un probl?me ? celui de l'habitat ?
d'une importance primordiale pour l'histoire ?conomique et sociale, telle que nous l'entendons ici, y a ?t? l'objet d'une particuli?re attention ; le traitement
qui lui a ?t? donn? fournit un exemple remarquable, bien qu'encore imparfait, de coop?ration dans les recherches.
Le Congr?s du Caire, en 1925, avait ?mis le v u que dans le programme du Congr?s suivant figur?t la question de la g?ographie de l'habitat rural ; une commission devait ?tre constitu?e afin d'?tablir un questionnaire, de
centraliser et de coordonner les r?ponses re?ues. Ce v u r?pondait ? une double n?cessit? : 1? orienter les travaux des
congr?s vers certains probl?mes d'ordre tr?s g?n?ral et de port?e internatio
nale ; 2? essayer de donner ? la g?ographie de l'habitat rural des limites d?fi
LES CONGR?S 73
pouss? ? l'extr?me, n'est pas seulement, en pratique, des plus g?nants ; sur le
plan intellectuel, il est n?faste, car il masque l'unit? profonde des p?riodes et
des ?volutions. Mais le rem?de ? il faut avouer qu'il n'est pas commode ?
trouver. Pleinement conscients du danger, les organisateurs du Congr?s se
sont efforc?s d'y parer ; s'ils n'y ont pas r?ussi tout ? fait, qui donc oserait
les en bl?mer ? Il est trop facile de critiquer quand on n'est pas soi-m?me au
gouvernail. ?liminer les communications qui portent sur des th?mes trop
restreints, bons pour ?tre ?tudi?s dans des m?moires ?rudits, mais incapables de susciter des ?changes de vues f?conds ? Cela est vite dit ; mais le triage est
d?licat et les obligations de courtoisie parfois imp?rieuses. Peut-?tre des direc
tives tr?s fermes ?manant du comit? central et des comit?s nationaux
auraient-elles quelque effet. Le reste est affaire de tact chez les dirigeants, de raison chez les congressistes. Aussi bien les communications de natun
infinit?simale ont-elles ?t?, si je compte bien, plus rares cette fois-ci que par le pass? : progr?s certain. Mais la dispersion subsiste. Une tentative int?res
sante avait ?t? faite par le Comit? fran?ais : choix de quelques grandes ques
tions, sur lesquelles des rapports avaient ?t? r?dig?s par des savants qualifi?s, distribution aux congressistes de ces rapports imprim?s qui pouvaient servir
de.base ? la discussion. La m?thode n'est pas encore au point. Mais l'avenii
nous para?t de ce c?t?-l?. Centrer l'activit? du congr?s autour d'un certain
nombre de grands probl?mes, soigneusement choisis et d?limit?s, d'int?r?t
international, substituer, en un mot, au groupement factice par sections le
groupement par probl?mes, voil?, croyons-nous, l'id?al dont il faudra cher
cher ? se rapprocher. Les congr?s g?ographiques, ceux des sciences de la
nature, l'ont compris, avant nous. Que les historiens soient tout pr?ts ? so
rallier ? cette conception, je n'en veux pour preuve que le vif int?r?t suscit?, ? Oslo, par la discussion qui s'est engag?e autour des th?ses de M. Pirenne sur
l'?volution du haut moyen ?ge : ce jour-l?, si j'en juge par les noms des
savants qui prirent part ? la discussion ou simplement y assist?rent, les
murs entre les sections n'ont plus gu?re ?t? respect?s: Les Annales, dont le
programme m?me est une protestation, non contre la sp?cialisation l?gitime, mais contre les cloisonnements arbitraires, s'associeront avec sympathie ?
cette uvre de rapprochement et d'organisation. Marc Bloch.
G?ographie. ? Le Congr?s International de G?ographie s'est r?uni ?
Cambridge, du 18 au 25 juillet 1928. Un probl?me ? celui de l'habitat ?
d'une importance primordiale pour l'histoire ?conomique et sociale, telle que nous l'entendons ici, y a ?t? l'objet d'une particuli?re attention ; le traitement
qui lui a ?t? donn? fournit un exemple remarquable, bien qu'encore imparfait, de coop?ration dans les recherches.
Le Congr?s du Caire, en 1925, avait ?mis le v u que dans le programme du Congr?s suivant figur?t la question de la g?ographie de l'habitat rural ; une commission devait ?tre constitu?e afin d'?tablir un questionnaire, de
centraliser et de coordonner les r?ponses re?ues. Ce v u r?pondait ? une double n?cessit? : 1? orienter les travaux des
congr?s vers certains probl?mes d'ordre tr?s g?n?ral et de port?e internatio
nale ; 2? essayer de donner ? la g?ographie de l'habitat rural des limites d?fi
74 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
nies et de fixer une m?thode de travail homog?ne. Les discussions provoqu?es ? la suite de communications, entre savants de diff?rents pays, n'avaient, en effet, que trop d?montr? l'impr?cision qui s'attache encore ? la conception
g?ographique de la maison en tant que fait de surface.
Une commission, compos?e de quatre membres, fut constitu?e en avril
1925. Peu de temps apr?s, son pr?sident, M. Demangeon, publia un question naire appelant les g?ographes ? l'?tude de la r?partition des types d'habi
tat1. Ce questionnaire comportait quatre paragraphes dont je ne signale que le premier : D?finitions. Titre significatif de l'?tat n?buleux dans lequel se
trouve encore un des plus importants probl?mes de la g?ographie humaine.
Aussi tous ceux que ces questions int?ressent attendaient-ils beaucoup du
premier rapport que la Commission devait pr?senter au Congr?s. A Cam
bridge, on eut ? regretter d'abord, tr?s vivement, l'absence involontaire du
pr?sident de la Commission. Il en r?sulta un peu de flottement dans l'orga nisation des travaux. La Commission avait distribu? ? chaque membre du
Congr?s un rapport imprim? de 130 pages2, contenant quelques ?tudes
originales et des articles, publi?s ant?rieurement, ayant avec la question de
l'habitat rural un lien plus ou moins direct.
Sans m?conna?tre l'int?r?t ni la valeur de ces ?tudes, il faut avouer que le
rapport ne r?pondait pas enti?rement ? ce qu'on en esp?rait. Un petit nombre
seulement des probl?mes sur lesquels le questionnaire avait particuli?rement attir? l'attention y ?taient trait?s ; on n'y trouvait aucune r?ponse directe
aux nombreuses questions pos?es ; on y d?plorait surtout le manque total de
tout essai de d?finition de l'Habitat rural et de ses modes de r?partition. A notre avis le but principal du rapport aurait d? ?tre d'apporter mati?re
? discussion en une s?ance sp?cialement consacr?e au probl?me envisag?. Ces
remarques peuvent s'?tendre ? la g?n?ralit? des communications pr?sent?es ? la section de g?ographie humaine : trop peu nombreuses ?taient celles d'un
int?r?t g?n?ral et leur ?parpillement dans diff?rentes s?ances fut regrettable. Il serait souhaitable qu'? l'avenir les communications portant sur un m?me
sujet se suivissent les unes les autres. Leur groupement, en unifiant les dis
cussions qu'elles entra?nent, aurait l'avantage, non seulement de permettre une meilleure vue d'ensemble, mais aussi de r?aliser un pr?cieux gain de temps en ?vitant des redites, fatales, lorsque des sujets semblables sont trait?s ? un
ou deux jours d'intervalle.
Malgr? ces t?tonnements de mise en train, la Commission a fait uvre
utile si l'on en juge par le programme qu'elle s'est propos? de r?aliser pour le
prochain Congr?s et qui fut approuv? en s?ance pl?ni?re de cl?ture. Elle s'est
attach? des collaborateurs dans un grand nombre de pays. Leur travail con
sistera ? ?tudier sp?cialement les types d'habitat propres ? leur pays respectif. La Commission centralisera les r?sultats de ces ?tudes r?gionales et t?chera
d'en d?gager une synth?se sous forme d'une ? carte de la r?partition des
types d'habitat rural? qui sera pr?sent?e au Congr?s de G?ographie de Paris en 1931.
Ce serait se faire illusion de croire que cette tentative de carte g?n?rale de
1. Un questionnaire sur l'habitat rural dans Ann. de G?ographie, 1926, p. 289-292. 2. Union g?ographique internationale. Rapport de la Commission de l'Habitat rural.
Newtown, Mont., Montgomeryshire Express, Ltd., 1928.
LES CONGR?S 75
la distribution des maisons ? la surface de la terre puisse, d'ici trois ans,
trouver sa forme d?finitive ni surtout couvrir d?j? de grandes surfaces. On
peut esp?rer toutefois que cet essai de g?ographie r?gionale compar?e jettera
plus de lumi?re sur un important chapitre de g?ographie humaine ; ce sera
d?j? faire uvre utile que de remuer des id?es et peut-?tre d'en faire na?tre.
Afin de r?aliser au mieux son programme et de pr?parer plus m?thodique ment les travaux du prochain Congr?s, la Commission demande ? ses colla
borateurs que les r?sultats de leurs recherches lui parviennent en temps utile, au moins un an avant la r?union, pour que le d?pouillement en puisse ?tre
fait minutieusement1.
M. A. Lef?vre.
(Louvain.)
1. On trouvera prochainement dans les Annales un article d'ensemble sur le probl?me de l'habitat rural.
III. ? LES CENTRES D'?TUDES
Les Facult?s des Sciences politiques en Italie. ? L'av?nement
des sciences politiques ? la dignit? d'enseignement universitaire, la cr?ation
d'un doctorat ?s-sciences politiques n'?taient, en Italie, que des aspirations, avant l'?tablissement du gouvernement fasciste.
On peut, il est vrai, trouver quelques pr?c?dents aux fondations nou
velles : l'Institut Sup?rieur des Sciences Sociales ? Cesar Alfieri?, ? Florence, ou l'?cole ?conomico-administrative de l'Universit? royale de Rome,
?
celle-ci d'assez courte dur?e (vingt-trois ans, de 1878 ? 1901). Mais, par la
force des choses, ni l'une ni l'autre ? malgr? les pr?cieux secours qu'elles
offraient aux jeunes gens d?sireux de se consacrer aux carri?res diplomatique, consulaire et administrative,
? n'?taient en mesure de pourvoir efficacement
? la diffusion d'une culture politique vraiment scientifique. Le gouvernement fasciste s'est pr?occup? de rem?dier ? cette insuffisance :
il a institu? des Facult?s de Sciences Politiques aupr?s des Universit?s royales de Rome et de Pavie d'abord, aupr?s de celle de Perouse ensuite.
Les deux premi?res Facult?s tirent leur origine imm?diate des ?coles de
Sciences Politiques cr??es dans les deux glorieux Ath?n?es imm?diatement
apr?s l'arriv?e au pouvoir du nouveau gouvernement. A la fin des quatre ann?es r?glementaires, toutes trois conf?rent la licence ?s-sciences politiques
qui donne acc?s aux carri?res d'?tat, carri?re judiciaire except?e. La Facult? des Sciences Politiques de l'Universit? royale de Rome fut
institu?e par le D?cret-Loi du 4 septembre 1925. Elle est outill?e pour fournir
aux jeunes gens une culture juridico-?conomique et politique. La pr?paration
juridico-?conomique, r?serv?e aux deux premi?res ann?es, est la condition
n?cessaire de la sp?cialisation ult?rieure dans les disciplines purement poli
tiques ; il va de soi, en effet, que celles-ci se fondent sur le Droit et l'?conomie.
Les deux ann?es suivantes sont consacr?es ? l'?tude de mati?res jusque-l? inconnues de nos Ath?n?es : l?gislation ?conomique et l?gislation du travail,
politique et statistique ?conomique, politique et l?gislation financi?re,
histoire des colonies et politique coloniale, histoire des trait?s et des relations
internationales, science bancaire, l?gislation coloniale.
Les enseignements, donn?s dans les conf?rences acad?miques, trouvent
ensuite leur compl?ment dans les discussions qui se d?roulent dans les Insti
tuts de Droit Public et L?gislation Sociale, de Politique et L?gislation finan
ci?re, de Statistique et Politique ?conomique. L'activit? de ces Instituts est
prouv?e par les publications qui en sont d?j? sorties.
Un caract?re avant tout historique : voil? la marque propre de la Facult?
des Sciences Politiques n?e, en vertu du d?cret royal du 7 janvier 1926, aupr?s de l'antique Ath?n?e de Pavie. A c?t? du Droit dont l'enseignement est tra
ditionnel ? Pavie, on entend maintenant les nouvelles disciplines : histoire des
institutions publiques, diplomatie et histoire des trait?s, histoire des doc
trines politiques, politique ?conomique, ?conomie bancaire, organisation des
LES CENTRES D'?TUDES 77
?tats contemporains, droit syndical et droit du travail, politique coloniale.
Pr?mices et base de ces disciplines les cours fondamentaux de Droit, d'?co
nomie et d'Histoire sont donn?s dans les deux premi?res ann?es pr?para toires. Telle est l'ossature de la Facult?. En outre, il existe des instituts de
Politique ?trang?re, de Politique ?conomique et de Droit Public ; l? est la
partie la plus vivante de l'enseignement, puisque l? ont lieu les discussions
entre professeurs et ?l?ves. Aussi bien les r?sultats peuvent-ils d?s maintenant
?tre appr?ci?s. Les Instituts ont en effet leurs organes : un recueil de publica tions et une revue Annali di Scienze Politiehe qui, avec son suppl?ment
annuel, VAnnuario di Pol?tica estera informe assid?ment ses lecteurs sur
l'activit? scientifique ainsi que sur les ?v?nements politiques en cours.
Plus r?cente est la Facult? n?e dans l'Universit? royale de Perouse. Insti
tu?e par un d?cret royal du 23 octobre 1927, dans la ville o? si?gea le Quartier
g?n?ral de la Marche sur Rome, ses caract?res propres la diff?rencient nette
ment de ses s urs. Us s'expriment par son nom m?me : Facult? Fasciste de
Sciences Politiques, entendez facult? vou?e plus que toute autre ? l'?tude
des probl?mes que l'av?nement du gouvernement fasciste a pos?s devant
le peuple italien. Ainsi qu'il est dit dans les Statuts, son but principal est de
? d?velopper la connaissance et la conscience du fascisme et de pr?parer les
fascistes aux carri?res : administrative, syndicale et corporative, consulaire
et diplomatique, coloniale, journalistique?. Conform?ment ? ce dessein, on y voit donn?s, entre autres, des cours de syst?mes de l?gislation fasciste, de
droit syndical et corporatif, d'histoire du journalisme, de l?gislation sur la
presse.
Ainsi chaque Facult? garde son originalit? et r?pond, ? sa fa?on, aux
besoins d'une instruction politique sup?rieure. Eraldo Fossati.
(Pavie.)
L'Institut international des langues et civilisations africai
nes. ? Constituer un Bureau d'information, centraliser et diffuser des do
cuments, aider ? publier les plus importants de ceux-ci, mettre en rapport toutes les personnes qui, ? un titre quelconque, s'int?ressent ? l'Afrique, telle est la t?che complexe et d?licate ? laquelle se consacre l'organisme cr??
? Londres il y a deux ans sous les auspices de Lord Lugard et de Maurice
Delafosse (Londres, 22, Craven Street, Strand ; Paris, 26, rue de la P?pini?re). L'Institut a com.u, et commenc? ? r?aliser, un programme essentiellement
pratique, et auquel les puissances ayant des int?r?ts en Afrique ne peuvent demeurer indiff?rentes. Il se propose en effet d'?tudier l'indig?ne, les idiomes
qu'il parle, ses institutions, sa production, son travail.
Pour mener ? bien une pareille entreprise, l'Institut semble s'?tre forte
ment organis?. Il poss?de un Conseil ex?cutif de douze membres, parmi les
quels on remarque M. L?vy-Bruhl, de l'Acad?mie des Sciences Morales et
Politiques, le Gouverneur Honoraire Julien, dont les travaux sur Madagascar font autorit?, et le Colonel Derendinger. Son Pr?sident est Lord Lugard, ancien
Gouverneur G?n?ral de la Nigeria, Membre de la Commission des Mandats.
Le D?partement de l'Ethnologie a ?t? confi? ? un Directeur, M. H. Labouret,
LES CENTRES D'?TUDES 77
?tats contemporains, droit syndical et droit du travail, politique coloniale.
Pr?mices et base de ces disciplines les cours fondamentaux de Droit, d'?co
nomie et d'Histoire sont donn?s dans les deux premi?res ann?es pr?para toires. Telle est l'ossature de la Facult?. En outre, il existe des instituts de
Politique ?trang?re, de Politique ?conomique et de Droit Public ; l? est la
partie la plus vivante de l'enseignement, puisque l? ont lieu les discussions
entre professeurs et ?l?ves. Aussi bien les r?sultats peuvent-ils d?s maintenant
?tre appr?ci?s. Les Instituts ont en effet leurs organes : un recueil de publica tions et une revue Annali di Scienze Politiehe qui, avec son suppl?ment
annuel, VAnnuario di Pol?tica estera informe assid?ment ses lecteurs sur
l'activit? scientifique ainsi que sur les ?v?nements politiques en cours.
Plus r?cente est la Facult? n?e dans l'Universit? royale de Perouse. Insti
tu?e par un d?cret royal du 23 octobre 1927, dans la ville o? si?gea le Quartier
g?n?ral de la Marche sur Rome, ses caract?res propres la diff?rencient nette
ment de ses s urs. Us s'expriment par son nom m?me : Facult? Fasciste de
Sciences Politiques, entendez facult? vou?e plus que toute autre ? l'?tude
des probl?mes que l'av?nement du gouvernement fasciste a pos?s devant
le peuple italien. Ainsi qu'il est dit dans les Statuts, son but principal est de
? d?velopper la connaissance et la conscience du fascisme et de pr?parer les
fascistes aux carri?res : administrative, syndicale et corporative, consulaire
et diplomatique, coloniale, journalistique?. Conform?ment ? ce dessein, on y voit donn?s, entre autres, des cours de syst?mes de l?gislation fasciste, de
droit syndical et corporatif, d'histoire du journalisme, de l?gislation sur la
presse.
Ainsi chaque Facult? garde son originalit? et r?pond, ? sa fa?on, aux
besoins d'une instruction politique sup?rieure. Eraldo Fossati.
(Pavie.)
L'Institut international des langues et civilisations africai
nes. ? Constituer un Bureau d'information, centraliser et diffuser des do
cuments, aider ? publier les plus importants de ceux-ci, mettre en rapport toutes les personnes qui, ? un titre quelconque, s'int?ressent ? l'Afrique, telle est la t?che complexe et d?licate ? laquelle se consacre l'organisme cr??
? Londres il y a deux ans sous les auspices de Lord Lugard et de Maurice
Delafosse (Londres, 22, Craven Street, Strand ; Paris, 26, rue de la P?pini?re). L'Institut a com.u, et commenc? ? r?aliser, un programme essentiellement
pratique, et auquel les puissances ayant des int?r?ts en Afrique ne peuvent demeurer indiff?rentes. Il se propose en effet d'?tudier l'indig?ne, les idiomes
qu'il parle, ses institutions, sa production, son travail.
Pour mener ? bien une pareille entreprise, l'Institut semble s'?tre forte
ment organis?. Il poss?de un Conseil ex?cutif de douze membres, parmi les
quels on remarque M. L?vy-Bruhl, de l'Acad?mie des Sciences Morales et
Politiques, le Gouverneur Honoraire Julien, dont les travaux sur Madagascar font autorit?, et le Colonel Derendinger. Son Pr?sident est Lord Lugard, ancien
Gouverneur G?n?ral de la Nigeria, Membre de la Commission des Mandats.
Le D?partement de l'Ethnologie a ?t? confi? ? un Directeur, M. H. Labouret,
78 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Professeur ? l'?cole des Langues orientales vivantes et ? l'?cole coloniale,
tandis que celui de la Linguistique est administr? par le Professeur Diedrich
Westermann, de Berlin, le savant qui s'est consacr? depuis de longues ann?es
? la phon?tique et aux idiomes africains.
Le premier soin des Directeurs a ?t? de r?unir une bibliographie aussi exhaustive que possible et d'?diter une revue trimestrielle. La bibliographie
comprendra une partie linguistique, qui sera publi?e prochainement ; il n'entre
pas dans les vues actuelles de l'Institut de faire para?tre les nombreuses r?f?
rences sur fiches concernant l'Ethnologie et dont le classement s'op?re en ce
moment.
Africa, Journal de VInstitut international des Langues et Civilisations afri caines (trimestriel, in-8?, fascicule de 96 p., abonn., 22, Craven Street, un an
125 fr.) renferme des articles en allemand, en anglais et en fran?ais ; le premier num?ro remonte au mois de janvier 1928. Malgr? l'int?r?t des travaux d?j?
parus et de ceux qui sont annonc?s, l'Institut se rend compte qu'il peut encore apporter ? la science une contribution plus pr?cieuse en faisant con
na?tre les documents ethnologiques et linguistiques r?unis en Afrique, sous
son impulsion, par des correspondants qualifi?s ; c'est pourquoi il entend
publier sous peu une s?rie de monographies particuli?res. 11 y joindra bient?t
des travaux plus ?tendus, portant sur des questions g?n?rales, et annonce d?s
? pr?sent dans cette cat?gorie un volume sur La propri?t? fonci?re indig?ne dans VOuest Africain.
Il est ? peine besoin d'insister sur l'int?r?t de pareilles entreprises. L'?la
boration d'une doctrine coloniale rationnelle, l'am?lioration des conditions
mat?rielles et morales de la vie indig?ne ne sont pas les seuls bienfaits que l'on puisse en attendre. Elles int?ressent ?galement au premier chef les ?tudes
de pure science dont les Annales veulent ?tre l'organe. La connaissance des
soci?t?s africaines, de leur constitution, de leurs formes ?conomiques, est
en elle-m?me un objet de recherches extr?mement important ; et quel sujet de r?flexion, quels termes de comparaison n'offrent-elles pas ? l'historien des
soci?t?s europ?ennes ?
L'histoire rurale en Tch?coslovaquie: revues et institutions. ? La Tch?coslovaquie ne poss?de pas
? disons, pour r?server l'avenir, ne
poss?de pas encore ? d'institut sp?cialis? dans l'?tude de l'histoire rurale.
Mais divers p?riodiques et divers groupements, tout en poursuivant leurs
fins propres, consacrent une part importante de leur activit? ? cette cat?gorie de recherches.
D'abord, par ordre de date, une revue : le Casopis pro d?jeny venkova
(Revue pour l'histoire de la campagne), cr?? en 1914, sous le titre
d'Archives Agraires. Son fondateur, Mr Vystyd, fut une des victimes de la
guerre ; il mourut peu apr?s la publication du premier num?ro. Mr J. Kasi
mour lui a succ?d?. Le ?asopis a donn? aux chercheurs la possibilit? de faire
conna?tre les r?sultats de leurs travaux ; il a, en outre, efficacement contribu?
? ?veiller, dans un large public, le go?t de l'histoire ?conomique. Parmi les articles int?ressants qui y ont paru, en grand nombre, citons le Tableau
Synoptique de Vhistoire de la classe paysanne en Boh?me et en Moravie, de
78 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Professeur ? l'?cole des Langues orientales vivantes et ? l'?cole coloniale,
tandis que celui de la Linguistique est administr? par le Professeur Diedrich
Westermann, de Berlin, le savant qui s'est consacr? depuis de longues ann?es
? la phon?tique et aux idiomes africains.
Le premier soin des Directeurs a ?t? de r?unir une bibliographie aussi exhaustive que possible et d'?diter une revue trimestrielle. La bibliographie
comprendra une partie linguistique, qui sera publi?e prochainement ; il n'entre
pas dans les vues actuelles de l'Institut de faire para?tre les nombreuses r?f?
rences sur fiches concernant l'Ethnologie et dont le classement s'op?re en ce
moment.
Africa, Journal de VInstitut international des Langues et Civilisations afri caines (trimestriel, in-8?, fascicule de 96 p., abonn., 22, Craven Street, un an
125 fr.) renferme des articles en allemand, en anglais et en fran?ais ; le premier num?ro remonte au mois de janvier 1928. Malgr? l'int?r?t des travaux d?j?
parus et de ceux qui sont annonc?s, l'Institut se rend compte qu'il peut encore apporter ? la science une contribution plus pr?cieuse en faisant con
na?tre les documents ethnologiques et linguistiques r?unis en Afrique, sous
son impulsion, par des correspondants qualifi?s ; c'est pourquoi il entend
publier sous peu une s?rie de monographies particuli?res. 11 y joindra bient?t
des travaux plus ?tendus, portant sur des questions g?n?rales, et annonce d?s
? pr?sent dans cette cat?gorie un volume sur La propri?t? fonci?re indig?ne dans VOuest Africain.
Il est ? peine besoin d'insister sur l'int?r?t de pareilles entreprises. L'?la
boration d'une doctrine coloniale rationnelle, l'am?lioration des conditions
mat?rielles et morales de la vie indig?ne ne sont pas les seuls bienfaits que l'on puisse en attendre. Elles int?ressent ?galement au premier chef les ?tudes
de pure science dont les Annales veulent ?tre l'organe. La connaissance des
soci?t?s africaines, de leur constitution, de leurs formes ?conomiques, est
en elle-m?me un objet de recherches extr?mement important ; et quel sujet de r?flexion, quels termes de comparaison n'offrent-elles pas ? l'historien des
soci?t?s europ?ennes ?
L'histoire rurale en Tch?coslovaquie: revues et institutions. ? La Tch?coslovaquie ne poss?de pas
? disons, pour r?server l'avenir, ne
poss?de pas encore ? d'institut sp?cialis? dans l'?tude de l'histoire rurale.
Mais divers p?riodiques et divers groupements, tout en poursuivant leurs
fins propres, consacrent une part importante de leur activit? ? cette cat?gorie de recherches.
D'abord, par ordre de date, une revue : le Casopis pro d?jeny venkova
(Revue pour l'histoire de la campagne), cr?? en 1914, sous le titre
d'Archives Agraires. Son fondateur, Mr Vystyd, fut une des victimes de la
guerre ; il mourut peu apr?s la publication du premier num?ro. Mr J. Kasi
mour lui a succ?d?. Le ?asopis a donn? aux chercheurs la possibilit? de faire
conna?tre les r?sultats de leurs travaux ; il a, en outre, efficacement contribu?
? ?veiller, dans un large public, le go?t de l'histoire ?conomique. Parmi les articles int?ressants qui y ont paru, en grand nombre, citons le Tableau
Synoptique de Vhistoire de la classe paysanne en Boh?me et en Moravie, de
LES CENTRES D'?TUDES 79
Mr K. Krofta, et les ?tudes de Mr Vacek, dont nous aurons ? reparler ailleurs.
Au commencement, le point de vue juridique et social dominait. Plus r?cem
ment, l'histoire de l'agriculture, proprement dite, a ?t? abord?e. Nous ne
retiendrons qu'un exemple : l'?tude de V. Cerny sur la r?partition des p?tu
rages en 1768 et 1S48.
Le Casopis se consacre exclusivement ? l'histoire. Mais il a aujourd'hui fusionn? avec une institution qui se propose une t?che plus large. Le Mus?e
Agricole Tch?coslovaque a ?t? fond? en 1918, apr?s de longs pr?paratifs. C'est
une soci?t? soutenue par les cotisations de ses membres et par des dotations
publiques. Comme l'indique son sous-titre, Institut pour V?tude et pour la
formation de la campagne, le Mus?e porte un int?r?t tr?s vif ? la campagne
d'? pr?sent, ? la population agricole, ? l'agriculture en g?n?ral. Son activit?
rev?t des formes diverses. D'abord, la constitution de collections. D'autre
part, le Mus?e intervient toutes les fois que se pose une question d'ordre pra
tique concernant la vie intellectuelle et sociale de la campagne ou bien la
technique agricole. Dans les collections, on essaye de donner l'image de la
production agricole contemporaine, dans toutes ses branches. En outre une
attention toute particuli?re est accord?e aux enqu?tes r?trospectives, qui int?ressent directement l'histoire ?conomique. Des expositions montrent
le d?veloppement de la technique, sous ses diff?rents aspects ; d'autres sont
consacr?es aux constructions, aux machines, etc. La soci?t? a son si?ge ?
Prague ; mais justement pr?occup?e d'?tudier les caract?res propres de la vie
agricole, dans les diverses parties du pays, elle a fond? des sections locales :
? Brno, ? Opava, ? Frydek, en Slovaquie ? Bratislava, dans la Russie subcar
pathique ? Mukacevo. A Bratislava, elle a fait construire un b?timent, qui sera inaugur? cette ann?e. Dans les autres villes, ? Prague notamment, les
locaux disponibles sont plus petits ; on n'en est pas moins parvenu ? y ouvrir
d?j? de nombreuses expositions. Au Mus?e Agricole se rattachent le Mus?e
Forestier, le Mus?e d'Horticulture ; enfin le Mus?e d'Ethnographie Slave, dit Mus?e Safarik, qui est en projet.
En 1928, le Mus?e a commenc? ? publier r?guli?rement un Bulletin. Celui-ci
tient ses lecteurs au courant de l'activit? du Mus?e. En outre il s'est incorpor? le Casopis pro dejeny venkova (? partir, par cons?quent, de la quinzi?me
ann?e de ce dernier) : fusion rendue ais?e par le fait que Mr Kasimour ?tait
en m?me temps r?dacteur du Casopis et secr?taire g?n?ral du Mus?e. Les
articles de fond et les notes relatives ? la vie int?rieure du Mus?e sont r?sum?s
en fran?ais, anglais et allemand1.
A c?t? de ces entreprises priv?es, l' uvre des pouvoirs publics : en 1919, au Minist?re de l'Agriculture, ont ?t? fond?es les Archives agricoles de V?tat.
Que renferment-elles ? D'abord, et essentiellement, les archives particuli?res du Minist?re, dont le premier fonds a ?t? constitu? par les versements de
l'ancien minist?re autrichien de l'Agriculture, remontant ? 1861. En outre
les Archives agricoles sont charg?es d'administrer les archives des domaines de
l'?tat. Beaucoup de ces fonds domaniaux ont ?t? vers?s au d?p?t central ;
d'autres sont rest?s sur place, ? la campagne. On y trouve, non seulement les
pi?ces relatives ? la vie ?conomique des domaines, mais aussi, pour la p?riode
1. Nous nous proposons de rendre compte r?guli?rement des articles publi?s par le Bulletin.
80 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
ant?rieure ? 1848, des documents d'ordre judiciaire et politique. L'anciennet?
des fonds est variable ; la plupart remontent jusqu'au xvne si?cle ; quel
ques-uns, jusqu'au xive. Avant la fondation des Archives agricoles, ils se
trouvaient dans un ?tat de conservation d?plorable. Les Archives, pendant les dix premi?res ann?es de leur activit?, se sont employ?es ? les r?organiser ;
cette besogne demandera quelques ann?es encore ; elle n'a pas ?t? sans
profit pour les fonctionnaires des Archives dispos?s ? s'int?resser ? l'histoire
?conomique. Peut-?tre les Archives donneront-elles un jour naissance ?
rInstitut d'histoire agraire dont nous envisagions plus haut la cr?ation.
Enfin il convient de mentionner VAcad?mie Tch?coslovaque d'Agriculture, fond?e en 1914. Institut scientifique avant tout, elle applique son activit? ?
bien d'autres objets que l'histoire ?conomique, mais n'a garde de n?gliger celle-ci. Elle lui accorde parfois son appui financier. C'est ainsi qu'elle a mis
au concours la question suivante : de l'importance des r?glements ?cono
miques, depuis le xve jusqu'au xixe si?cle. L'ouvrage r?compens? sera publi? cette ann?e. Dans l'une des six sections de l'Acad?mie, celle qui est charg?e de la propagande intellectuelle, si?gent des savants, vou?s aux recherches
d'histoire agraire. Dans la section culturelle, d'autres savants, qui se consa
crent ? la sociologie rurale. Sociologues, historiens, il faut esp?rer qu'un jour se r?alisera une collaboration efficace entre ces deux groupes de chercheurs ;
elle exercerait une influence salutaire sur l'?tude de l'histoire rurale.
V. Cerny.
(Prague.)
IV. ? ?CONOMISTES ET HISTORIENS
Max Weber : un homme, une uvre. ? L'auteur de la pr?sente ?tu
de, se trouvant ? Berlin en 1911, y rencontra Edouard Bernstein, revenu depuis
peu de temps d'Heidelberg, o? Max Weber l'avait invit? ? faire quelques conf?
rences devant ses ?tudiants. Il fut frapp? de l'accent chaleureux avec lequel il
parlait de ce sociologue. ? C'est une riche nature, disait-il, un homme ? la fois
?nergique et g?n?reux, un esprit concentr?, mais "exceptionnellement ouvert, en un mot, un temp?rament.? C'est bien l'impression qu'on emporte du livre
tr?s attachant o? Mme Marianne Weber a fait revivre celui dont elle partagea l'existence et qui l'associa ? toutes ses pr?occupations1. Carri?re normale et
classique en apparence d'un professeur d'Universit? allemande. Vie qui aurait ?t? assez unie, sans une longue maladie, la retraite bien avant l'?ge, la guerre, et une mort pr?matur?e. Si l'on s'en tenait aux articles de revue, cours et livres qui en marquent les ?tapes, on ne se ferait pas une juste id?e
de ce qu'a ?t? Max Weber, et de l'action qu'il a exerc?e. Cette uvre scien
tifique ne repr?sente en effet qu'un aspect de sa personnalit?. Il fut orateur, et se d?pensa en conf?rences et en discours. Il fut journaliste, et poursuivit
plus d'une pol?mique. Tous les ?v?nements de la vie politique allemande,
depuis le Kulturkampf et les lois d'exception jusqu'? la guerre, la d?faite et
la r?volution, ont ?t? l'occasion pour lui de prendre parti, et d'agir sur ceux
qu'il pouvait atteindre. D'autre part il n'a ?t? ?tranger ? aucune des mani
festations de la vie moderne : d?mocrate et lib?ral, mais non socialiste, f?mi
niste, mais non ? ?rotiste? ni freudien, comme tant de contemporains cultiv?s
de son pays, il fut li? personnellement avec le grand po?te Stefan Georg, et
il avait entrepris d'?crire une sociologie de la-musique. Weber n'?tait pas un
sociologue de cabinet. On peut dire que partout o? il a aper?u des hommes
rassembl?s autour d'une uvre ou d'une id?e, il est all? se m?ler ? leur groupe. Du reste, il donnait aux autres plus encore qu'il n'en recevait. Les Allemands
passent pour ?tre un peu lents et difficiles ? mouvoir. Ils ont besoin qu'un ferment soul?ve leur masse. Max Weber ?tait allemand, ^tr?s allemand2,
mais le levain ?tait en lui.
L' uvre de Max Weber est tr?s dispers?e. Il a ?crit surtout des articles
(aussi longs, d'ailleurs, que des livres) dans des revues, de grands manuels, des encyclop?dies. C'est seulement apr?s sa mort que la plupart de ses ?tudes
ont ?t? r?unies dans des publications posthumes. L'objet de cette notice est
de replacer ses ?tudes, articles, etc., et ces publications aussi, ? leur date, d'en
rappeler la succession, et d'indiquer o? elles ont paru. Les ?v?nements de sa
vie ne seront mentionn?s qu'en vue de servir de cadre chronologique pour
l'expos? de ses travaux.
Max Weber est n? ? Erfurt en 1864, d'un p?re magistrat, qui fut ensuite
1. Marianne Weber, Max Wtber, ein L2b2nsbild, vi-77 9 p., T?bingen, 1926. 2, Il ?tait allemand. Cependant, par sa grand-m?re maternelle, qui s'appelait Emilie
Souchay, il descendait d'une famille fran?aise de huguenots d'Orl?ans, r?fugi?s en Alle magne au xvnc si?cle.
ANN. D'HISTOIRE. ? lre ANN?E. 6
82 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
d?put? national-lib?ral au Landtag, et conseiller municipal de Berlin. La famille Weber appartenait depuis plusieurs g?n?rations au patriciat mar
chand. Il suivit les cours de l'Universit? d'Heidelberg, puis de Berlin. C'?tait
l'?poque o? la jeunesse allemande se pressait autour des chaires de Mommsen
et de Treitschke. Max Weber v?cut aussi dans cette atmosph?re. En 1889, il
soutint une th?se sur les soci?t?s de commerce au moyen ?ge, qui l'obligea ?
lire des centaines de collections de statuts italiens et espagnols, et, en 1891,
il termina, dans le s?minaire de Meitzen, une ?tude agraire et juridique
d'histoire romaine 1.
Un an plus tard, le Verein f?r Sozialpolitik lui demandait d'organiser une
enqu?te sur la situation des travailleurs ruraux allemands ? l'Est de l'Elbe.
Weber publia les r?sultats de cette enqu?te dans un volume de 900 pages, qui fut tr?s remarqu?2. Il y montrait qu'un nombre de plus en plus grand de
paysans allemands quittaient tes marches de l'Est pour s'installer dans les
grandes villes, ou ?migraient en Am?rique. Pourquoi ? C'est qu'on assistait
? la disparition de l'ancien r?gime agraire, qui reposait sur l'exploitation des
terres par les paysans group?s autour des seigneurs et li?s ? eux par des int?
r?ts communs, au profit des grandes exploitations agricoles. Les propri?taires
agrandissaient leurs terres, produisaient pour l'exportation, se transformaient
d'une classe patriarcale de seigneurs en une classe de gros entrepreneurs
agricoles. C'est pourquoi les paysans, qui n'esp?raient plus devenir un jour
propri?taires ind?pendants, s'en allaient. Les hobereaux alors cherchaient ?
attirer ? leur place une main-d' uvre ? bon march?. Les Polonais et les
Russes, longtemps tenus ? distance par Bismarck, traversaient de nouveau la
fronti?re de l'Est. Le niveau de vie des travailleurs allemands de la cam
pagne baissait. Weber se pla?ait au point de vue, non pas des producteurs ou des paysans, mais de l'?tat. Il fallait fermer les fronti?res, concluait-il,
attacher les paysans au sol, si l'on voulait que les pays de l'Est demeurassent
allemands3. Et il d?non?ait l'?go?sme de ces gros propri?taires aristocrates
qui subordonnaient l'avenir de la nation ? leurs int?r?ts de classe.
Max Weber se maria en 1893 ; la m?me ann?e sa s ur ?pousait le fils de
Mommsen. Charg? d'une suppl?ance ? l'Universit? de Berlin, il y resta une
ann?e encore. C'est ? ce moment qu'il publia, ? l'occasion d'une grande
enqu?te officielle, deux ?tudes sur la Bourse, en particulier sur les op?rations
? terme4. Les agrariens r?clamaient la suppression des op?rations ? terme
sur le bl?. Mais, d'apr?s Weber, le commerce, m?me purement sp?culatif,
remplit une fonction essentielle : il facilite l'?galisation des prix et la r?parti
tion des biens. Une bourse, pas plus qu'une banque, n'est un club de mora
1. Die r?mische A grargeschickte in ihrer Bedeutung f?r das Staats- und Privatrecht, Stuttgart, 1891.
2. Die Verh?ltnisse der Landarbeiter im Osteibischen Deutschland. Schriften des Verein3 f?r Sozialpolitik, volume 55, Leipzig, 1892. Enqu?te par questionnaires adress?s aux pro pri?taires. Du m?me : Die Landarbeiter in den evangelischen Gebiete Norddeutschladns, T?bingen, 1899. Obserations recueillies par l'interm?diaire des pasteurs et du Congr?s ?vang?lique social.
3. La menace russe ? l'Est ne cessera pas de pr?occuper Max Weber. Pendant la guerre il songera un moment ? une entente ou alliance avec la Pologne reconstitu?e qui prot?gerait l'Allemagne contre le colosse moscovite et asiatique. Voir : Marianne Weber, op. cit., p. 564 et suiv.
4. Die B?rse, G?ttinger Arbeiterbibliothek, 2 Hefte, 1894-96. Reproduit dans : Gesam melte Avf?stze zur Soziologie und Sozialpolitik, p. 256-322, T?bingen, 1924.
?CONOMISTES ET HISTORIENS 83
listes. C'est une arme entre les mains de l'?tat, qui s'affaiblirait dans la
mesure o? les march?s de certains produits se transporteraient ? l'?tranger. En 1894, Max Weber fut appel? ? Fribourg, en Bade, o? on lui offrait,
bien qu'il f?t juriste, une chaire d'?conomie nationale. Il n'y resta que quel
ques ann?es, et quitta bient?t cette ville pour enseigner ? l'Universit? d'Hei
delberg, o? il prit la succession de Knies. C'est l? qu'il connut le th?ologien, Troeltsch : amiti? pr?cieuse, dont nous verrons plus tard quel put ?tre le fruit. Mais, ? la fin de 1897, Weber sent les premi?res atteintes d'un mal qui7
va interrompre pendant pr?s de six ans (il en a 33 ? ce moment) son activit?
scientifique : crise de d?pression prolong?e, qui l'oblige ? suspendre ses cours d?s le milieu de 1899. Cela dura jusqu'? 1903. M?me ? cette date, o? il recommence ? lire, Max Weber se croit incapable de remonter jamais dans sa chaire, et il donne sa d?mission. Les nombreux voyages qu'il fit, en Suisse, en Hollande, mais surtout en Italie, durant sa convalescence, ses s?ances dans les biblioth?ques de Rome, o? il se plonge dans l'histoire de l'?glise, des monast?res et des ordres religieux au moyen ?ge, et par ailleurs, de vastes lectures un peu d?sordonn?es, qui le prom?nent ? travers toutes les p?riodes et tous les pays, enfin cette longue p?riode o? il a ?t? affranchi de toutes
pr?occupations universitaires, c'est peut-?tre gr?ce ? tout cela qu'il a pu, pendant les dix ann?es suivantes, produire avec une telle densit?.
A la fin de 1903, il d?cide de fonder une Revue, qu'il dirigera avec Som bart et Jaff? : YArchiv f?r Sozialwissenschaft (nouvelle suite de VArchiv f?r soziale Gesetzgebung und Statistik, fond?e et dirig?e jusqu'alors par
Heinrich Braun). C'est l? qu'il publie, d?s 1904, une ?tude assez pouss?e sur
l'objectivit? de la connaissance en mati?re de science et de politique sociale1. En m?me temps paraissent, dans les SchmoUers Jahrb?cher, une s?rie d'ar ticles qu'il pr?parait depuis sa convalescence, sur : R?scher et Knies et les
probl?mes logiques que soul?ve V?conomie nationale historique2,. Les sciences sociales et l'?conomie politique sont-elles des sciences au m?me titre que les
autres ? Tandis que les ?conomistes de l'?cole classique r?pondent : assur?
ment, les sciences sociales doivent, en effet, d?couvrir les lois abstraites qui expliquent les faits sociaux, tout autre est le point de vue des ?conomistes de l'?cole historique : pour eux, l'?conomiste, comme l'historien, ne doit se pr?oc cuper que des faits concrets : tout ce qu'on lui demande, c'est de peindre un tableau qui reproduise exactement et qui aide ? comprendre la succession des faits. Max Weber croit qu'il faut maintenir la distinction faite par le
logicien Rickert entre les sciences de la nature et les sciences sociales (Natur und
Kulturwissenschaften). Celles-ci se distinguent des autres, non pas seu lement par le genre de r?alit? qu'elles ?tudient, mais par la fa?on dont elles
l'envisagent. Les sciences de la nature cherchent Jes lois g?n?rales, tandis que l'histoire et le6 disciplines qui s'y rattachent s'int?ressent aux ?v?nements et
objets individuels. R?gles et notions sont donc pour elles les moyens, et non les buts de la connaissance.
Bien que Weber paraisse se rapprocher ainsi de Schmoller et de l'?cole his
torique, il s'en ?loigne, et il s'en ?loignera de plus en plus dans la suite, lors
qu'il s'efforce d'?liminer de la science sociale tout ce qui ressemblerait de
1. Archiv f?r Sozialwissenschaft, Band 19, 1904. 2. Schmollers Jahrb?cher, ann?es 27, 29, 30, 1903-06.
84 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
pr?s ou de loin ? des jugements de valeur. On s'?tonnera plus tard de ce qu'il ait fallu tant discuter pour en venir l?. Weber avait vu na?tre et grandir le
socialisme de la chaire. Il observait que l'?tat consid?rait les professeurs d'?co
nomie nationale comme des praticiens, charg?s de lui fournir des directives.
Il sentait d'ailleurs que tout ce personnel savant et enseignant, pourvu de
b?n?fices et de pr?bendes, se pla?ait trop naturellement en mati?re sociale
au point de vue des classes privil?gi?es. Mais ni celui qui d?fend une institu
tion parce qu'elle lui para?t bonne, ni celui qui veut la r?former parce qu'elle
lui para?t nuisible, ne font de la science. Il n'est pas impossible que les ouvrages
de Taine, qu'il lut durant cette p?riode, aient sinon ?veill?, du moins fortifi?
cette conviction chez l'?conomiste allemand.
Lorsqu'il exposait, dans le premier num?ro de VArchiv, quel serait son
programme, il ?largissait singuli?rement le cadre qu'il fallait remplir. L'?cono
miste travaillerait d?sormais en liaison avec les disciplines voisines, droit,
psychologie sociale, sociologie. Toute l'histoire et toute la th?orie devaient
aider ? mieux comprendre le d?veloppement du capitalisme, non seulement
comme fait ?conomique, mais aussi comme civilisation. Les articles qu'il
publia en 1904 dans la revue nouvelle, sous le titre : V?thique protestante et
Vesprit du capitalisme, lui permirent tout de suite, sur un exemple ?clatant, de
montrer ? quel point une telle m?thode pouvait ?tre f?conde1.
Il d?fendait la th?se en apparence paradoxale que le capitalisme a des
causes religieuses. Il en cherchait les preuves dans l'histoire, en particulier
dans l'histoire des progr?s, des luttes, et de l'?tablissement du protestantisme
ea Angleterre, aux xvie et xvir3 si?cles. Il expliquait quelles cons?quences
devaient avoir sur la conduite de la vie les attitudes religieuses des commu
naut?s et des sectes luth?rienne, calviniste, presbyt?rienne, puritaine, bap
tiste, etc.. D'apr?s lui, c'est parce qu'ils croyaient ? la pr?destination que
les puritains anglais, recrut?s pour la plupart parmi les artisans et commer
?ants de la City, furent capables de d?ployer dans l'exercice de leur profes
sion cet effort sans d?tente et sans r?pit qui leur permit de s'enrichir, c'est
?-dire de cr?er et de multiplier les capitaux et en m?me temps de former
l'esp?ce d'hommos, ?nergiques, absorb?s, d?vou?s ? leur t?che qui, seuls,
pourront les mettre en valeur. Si la croyance ? la doctrine des ?lus et des r?prou
v?s eut de telles cons?quences, c'est que l'effort probe et soutenu, les priva
tions et les renoncements, enfin la richesse qui consacre une vie ainsi occup?e
et remplie, auraient ?t?, pour les puritains, la seule garantie du salut spiri
tuel. Les ?lus, les saints, devaient se distinguer et ?tre distingu?s des autres,
d?s cette terre, par quelque signe. Du moment qu'ils concevaient que la
r?ussite commerciale et industrielle, couronnant une existence de labeur sans
r?pit, pouvait ?tre ce signe, on con?oit que, dans leurs ?mes, les pr?occupa
tions marchandes et les pr?occupations religieuses aient d? se p?n?trer et
1. Archiv f?" Soziale.ssenschaft, Band 20, 190't, et Band 21, 1905. Reproduit, ainsi
que l'article de 1903 sur les sectes protestantes, etc., avec des notes tr?s nombreuses et
d?velopp?es, dans les Gesammelte Aufs&'ze zur Religionssoziologic, Ie*" volume, p. 17-236,
T?bingen, 1920. Voir notre compte rendu (? propos de la traduction du livre de Sombart, Les Juifs et la vie ?conomique, qui parut dans son texte allemand en 1911), dans l'Ann?e
sociologique, p. 745 et suiv., noavelle s?rie, tome I, 1926. Voir aussi le r?sam? de l'essai de
Weber, Les origines puritaines du capitalisme, que nous avons publi? dans la Revue d'his
toire et de philosophie religieuse (Facult? de th?ologie protestante, Strasbourg), ve ann?e, n? 2, mars-avril 1925, p. 132-15,4.
?CONOMISTES ET HISTORIENS 85
se renforcer. Constitu? sous la pression du protestantisme puritain d?s le
xvme et le xixe si?cle, le capitalisme trouve dans les conditions ?conomiques un
appui suffisant pour qu'il soit inutile de l'expliquer aujourd'hui par des cau
ses religieuses. Et, sans doute, si la R?forme n'avait pas eu lieu, le capitalisme se serait d?velopp? tout de m?me, mais peut-?tre suivant un autre rythme, ? une autre ?poque, en d'autres pays. Qu'il soit apparu en Angleterre, dans
la p?riode o? ce pays ob?it le plus ? la propagande puritaine, c'est la preuve
que la R?forme religieuse appelait la r?volution industrielle.
Dans les derniers mois de 1904, Max Weber fit un voyage aux ?tats-Unis. Il put y retrouver les traces encore vivantes des origines du capitalisme, et
y observer le capitalisme moderne dans la puret? de son type. Il publiera, en
1906, sous le titre : Les sectes protestantes et Vesprit du capitalisme, une ?tude
qui compl?te la pr?c?dente, et o? il v?rifie la m?me hypoth?se d'apr?s l'exp? rience am?ricaine1. Dans l'exclusivisme des clubs d'aujourd'hui, qui est
un trait si caract?ristique de la vie sociale am?ricaine, il retrouve l'esprit des
anciennes sectes protestantes, quakers et baptistes. ? Le succ?s capitaliste
d'un fr?re de la secte ?tait autrefois une preuve de son ?tat de gr?ce, et aug mentait le prestige de son groupe. C'est ainsi que purent alors se l?gitimer et se transfigurer les motifs individualistes du capitalisme.?
Ce travail n'?tait que la premi?re partie d'une vaste enqu?te qui devait
porter sur l'histoire universelle2. Il la poursuivra ? partir de 1911, et, sous
le titre : ?thique ?conomique des grandes religions, il publiera dans VArchiv, de 1915 ? 1919, une s?rie d'articles sur Le Confucianisme et le Tao?sme, VHin
douisme ct le Bouddhisme, et, enfin, VAncien Juda?sme3. Contre le mat?ria lisme ?conomique, il s'?tait efforc? d'?tablir que la religion exerce une forte
influence sur l'industrie, le commerce, et l'organisation de la vie mat?rielle.
Mais il voulait ?tudier ?galement l'action inverse ou r?ciproque qu'exercent les conditions de vie mat?rielles, ?conomiques, g?ographiques sur les id?es
religieuses et morales. Il fixait son attention sur les cat?gories sociales qui, sous cette double influence, fix?rent les r?gles de conduite : lettr?s pr?bendes
par l'?tat en Chine, caste h?r?ditaire d'hommes cultiv?s dans l'ancien hin
douisme, moines mendiants de l'ancien bouddhisme, guerriers conqu?rants de l'Islam, parias bourgeois du juda?sme d'apr?s l'exil. Programme infini
ment vaste, qui le condamnait ? travailler sur des donn?es de seconde main, mais qu'il abordait sans parti-pris quelconque.
? Ich bin zwar religi?s absolut
unmusikalisch?, disait-il.
Il poursuivait cependant ses recherches ?conomiques. En 1908, il ?crivit
une grande ?tude historico-sociologique sur le probl?me agraire dans l'anti
quit?. Il y explique la diff?rence entre la culture antique et la culture moderne
1. Osternummer der Frankfurter Zeitung, 1906. Reproduit (plus d?velopp?) dans Die Christliche Welt, puis dans les Gesammelte Aufsatze, etc., 1920 (Voir p. 84, n. 1).
2. Il voulait d'abord ?tudier de ce point de vue, c'est-?-dire dans ses rapports avec l'organisation ?conomique, le christianisme avant la R?forme et au moyen ?g?. Mais comme ? cette ?poque (commencement de 1908), les ?tudes de Troeltsch sur les doctrines sociales des ?glises chr?tiennes commencent ? para?tre dans 1'Archiv, il craint que leurs chemins ne se touchent sur un trop long parcours, et pr?f?re travailler sur un autre terrain.
3. Archiv f?r Sozialvfissenschaft, Band 41, septembre et novembre 1915 (Konfuzia nismus und Taoismus), avril et d?cembre 1916, et Band 42, mai 1917 (Hinduismus und Buddhismus), Band 44, octobre 1917, mars et juillet 1918, et Band 46, d?cembre 1918, Band 47, juin et d?cembre 1919 (Das antike Judentum). Reproduits dans : Gesammelte Aufsatze zur Religionssoziologie, T?bingen, 1920.
86 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
par des causes g?ographiques ?l?mentaires : la culture antique, localis?e sur
les c?tes maritimes et les rives des fleuves, s'oppose ? la culture de l'int?rieur
des terres (Binnenkultur) du moyen ?ge et des temps modernes. D'autre
part, se demandant si l'on trouve dans l'antiquit? un capitalisme, au sens
moderne de ce terme, il croit que les anciens n'ont pas connu la fabrique et
les travailleurs d'industrie. Mais il y a eu un capitalisme antique, si l'on
entend par l? le fait que des particuliers utilisent leurs biens en vue du gain, et l'on en peut ?num?rer bien des formes : fermage des imp?ts et travaux
publics, mines, commerce maritime, emploi d'esclaves dans les plantations,
banques, pr?ts hypoth?caires, commerce ? l'?tranger, location (Vermietung)
d'esclaves, exploitation capitaliste d'esclaves industriels qualifi?s, avec ou
sans ateliers. Bien d'autres questions sont envisag?es dans ces 300 pages o?
il a fait tenir toute une sociologie de l'antiquit?1.
A la m?me ?poque, il ?crivit deux ?tudes qui devaient servir d'introduc
tion ? la grande enqu?te organis?e par le Verein f?r Sozialpolitik sur la s?lec
tion et l'adaptation des ouvriers de la grande industrie2. Lui-m?me avait
fait ? cette occasion une enqu?te personnelle dans une grande usine de
tissage. Il y examinait les travaux de Kraepelin et de son ?cole sur les condi
tions physiologiques du travail ouvrier. Ces m?thodes de laboratoire lui
paraissaient d'une application si difficile qu'elles ne permettaient d'observer
qu'un nombre tr?s limit? de sujets. Il faudrait combiner et corriger l'une par
l'autre la m?thode des moyennes qui porterait sur un grand nombre de cas,
et l'observation de cas individuels particuliers et concrets. L'appui que les
sciences de la nature et les sciences sociales pouvaient se pr?ter ?tait en somme
assez limit?.
En 1908-1909, il forma le projet d'une grande publication collective, le
Grundriss f?r Sozial?konomik, qui devait compter parmi ses collaborateurs
plusieurs des ?conomistes th?oriciens et sp?cialistes les plus connus des deux
pays de langue allemande. Lui-m?me en assura la direction. Les deux pre
mi?res sections seulement parurent avant la guerre. La troisi?me, qui est
l' uvre propre de Max Weber, ne fut publi?e qu'apr?s sa mort, sous le
titre : ?conomie et soci?t?3. Elle est malheureusement inachev?e. La premi?re
partie, qui fut r?dig?e en dernier lieu, nous pr?sente une ? th?orie concep
tuelle? de la sociologie ?conomique. Les d?finitions, classifications, d?velop
pements s'y succ?dent et s'y encha?nent ? la mani?re des chapitres d'un
trait? scientifique o? les faits ne sont rappel?s qu'? titre d'exemples ou d'illus
trations. Quant au reste de l'ouvrage (p. 181 ? 817), compos? vers 1911-1913,
c'est une sorte de sociologie descriptive et concr?te, qui a servi de point de
d?part et de base exp?rimentale ? l'expos? plus abstrait du d?but.
11 y a derri?re toute cette construction une doctrine des cat?gories socio
logiques qu'il n'est pas facile de formuler. Weber y travaillait encore, lorsque
1. Agrarverh?Unisse im Altertum, dans : Handw?rterbuch der Slaatswissenschaft, 3 Auflage, 1909. Reproduit dans : Gesammelte Aufsatze zur Sozial-und Wirtschaftsgeschichte, p. 1 ? 288, T?bingen, 1914. Voir notre compte rendu, Ann?e sociologique, nouvelle s?rie, tome 1, 1926, p. 748.
2. Zur Psychophysik der industriellen Arbeit. Archiv f?r Sozialwissenschaft, Band 27, 28 et 29, 1908-09. Reproduits dans : Gesammetle Aufs?tze zur Soziologie und Sozialpolitik, p. 1 ? 255, T?bingen, 1924.
3. Wirtschaft und Gesellschaft, dans : Grundriss der Sozial?honomik, 111 Abteilung Ie', 2? und 3? Teil, 1922, 840 p.
?CONOMISTES ET HISTORIENS 87
la mort a interrompu son uvre. Il cherchait ? d?finir des types. Qu'enten dait-il au juste par l? ? Ces types n'auraient rien de commun avec les genres ou les esp?ces des sciences naturelles, non plus qu'avec les notions g?n?rales sur lesquelles reposent le droit et la jurisprudence. Les termes : ?tat, nation,
soci?t? coop?rative, soci?t? par actions, lui paraissaient impropres, parce qu'ils laissent supposer qu'il existe des personnalit?s collectives. 11 voulait rester
plus pr?s du monde sensible, et d?crire les formations collectives comme des
assemblages d'individus qu'une force, quelle qu'elle soit, motifs psychiques,
pression ext?rieure, ou l'un et l'autre, contraint d'agir d'une certaine fa?on. L'essentiel ?tait que l'observateur p?t rencontrer, sur toute la terre, des
types de groupements et d'actions semblables. Derri?re cette conception un peu incertaine, on devine du moins un sens assez juste de l'insuffisance
des notions traditionnelles.
Le terme charismatisme (du grec : charisma, gr?ce) que Weber a invent?,
et qui revient souvent sous sa plume, para?t avoir eu un certain succ?s en
Allemagne. Par l? il entend le caract?re religieux et surnaturel qu'on attribue
? tels individus consacr?s, ? telles lois r?v?l?es, et qui explique plusieurs traits
de l'organisation politique ou ?conomique dans des soci?t?s peu avanc?es.
Au charisma, et aussi ? la tradition, s'oppose le rationalisme, qui est essen
tiellement occidental. C'est le rationalisme qui a donn? naissance aux consti
tutions politiques et ? l'administration bureaucratique des ?tats modernes, aux formes juridiques du droit, aux formes techniques de la comptabilit?. C'est la science rationnelle qui a permis de calculer exactement les facteurs
techniques du capitalisme. C'est l'union du rationalisme th?orique et pratique
qui distingue la civilisation moderne de la civilisation antique (qui n'a connu
avec les Grecs que le rationalisme th?orique), et c'est encore le rationalisme
qui distingue l'une et l'autre des civilisations asiatiques1. La g?n?ralit? de ces vues ne doit pas faire oublier la masse consid?rable
de faits r?unis dans cet ouvrage. Cette ?tude historique et comparative de
toutes les civilisations qui nous sont maintenant accessibles ?largit singuli? rement notre horizon ?conomique. Elle nous habitue ? replacer les institu
tions qui nous entourent dans un ensemble tr?s vaste dont elles ne consti
tuent apparemment qu'une faible partie. Weber passe en revue les divers
groupes domestiques, les clans, les groupes religieux, juridiques, urbains, etc.,
et rel?ve leurs caract?res ?conomiques. Il ?tudie d'autre part les faits ?cono
miques dans leurs rapports a\ec les diverses sortes de pr??minence sociale, en particulier avec les classes sociales. Nous ne pouvons qu'indiquer en gros
le caract?re et le contenu de ce volume de plus de 800 pages, dont une ?tude
de d?tail r?v?lera seule la richesse et l'originalit?. On trouvera dans le livre de Marianne Weber (p. 525 ? 670) quatre cha
pitres tr?s nourris et vivants sur l'attitude et l'activit? de Max Weber pen
dant la guerre et la r?volution. Rappelons seulement qu'il accompagna la
d?l?gation allemande ? Versailles en mai 1919, et que, lorsque se posa la
question de la responsabilit? de la guerre, il fut charg? officiellement, en
1. Ces id?es sont reprises et d?velopp?es dans le dernier cours profess? par Max Weber en 1920, qui a ?t? pubii? apr?s sa mort : Wirtschaftsgeschichte, abr?g? de l'histoire ?co
nomique et sociale universelle, reconstitu? d'apr?s les notes de ses auditeurs et publi? par S. Hellmann et M. Palyi, M?nchen und Leipzig, 1923, xiv-348 p. Voir notre compte rendu :
Ann?e sociologique, nouvelle s?rie, tome I, 1926, p. 749.
88 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
collaboration avec H. Delbr?ck, Max Montgelas et Mendelssohn-Bartholdi, de r?diger une note (publi?e depuis comme livre blanc) o? le point de vue allemand ?tait pr?sent?.
A la fin de la guerre il avait pu reprendre son enseignement. Il professa ?
Vienne dans l'?t? de 1918, et ? Munich ? partir de 1919x. Il y mourut le 14 juin 1920, ? 56 ans.
Faut-il regretter que cette uvre reste inachev?e, et que Max Weber
n'ait pu donner ? ses id?es leur forme d?finitive ? Sans doute. Mais,
quand bien m?me il aurait v?cu plus longtemps, rien ne prouve qu'il se
serait enfin arr?t? sur certaines positions, pour les consolider et n'en plus
bouger. Ce qui frappe au contraire chez lui, c'est qu'il n'a pas cess? de se
renouveler. Chaque fois qu'il venait d'achever un travail, il semblait qu'il e?t pris un nouvel ?lan pour aller plus loin. On le comparerait volontiers ?
l'un de ces industriels capitalistes de l'?poque h?ro?que, si bien d?crits par lui,
qui se sentaient moralement oblig?s de replacer tout ce qu'ils gagnaient dans
de nouvelles entreprises. Weber n'a pas song? un instant ? vivre sur son
fonds scientifique : il ne se pr?occupait que de l'accro?tre. Au reste, le m?me
besoin de mouvement et de renouvellement qui l'entra?nait d'un domaine ?
l'autre, l'obligeait, lorsqu'il s'appliquait quelque temps ? une question, ? la
creuser et ? en d?couvrir des aspects inconnus. Ceux qui s'approcheront des
m?mes probl?mes retrouveront longtemps encore ses traces et pourront, en
toute confiance, s'engager dans les directions qu'il a marqu?es.
Maurice Halbwachs.
(Strasbourg.)
i. Le dernier article de Max Weber publi? dans Y Archiv f?r Sozialwissenschaft, Band 47, 1920, est une ?tude importante sur la ville : die Stadt, qu'on a reproduite dans Wirt schaft und Ethik (dans Grundriss fur Sozial?konomik, voir ci-dessus).
V. _ NOUVELLES SCIENTIFIQUES
Les Studi medievali, fond?s en 1904 par F. Novati et R. Renier, devenus
en 1923 les Nuovi Studi, renoncent aujourd'hui (depuis avril 1928) ? l'?pi th?te de nuovi et, sous leur ancien nom, chez leur ?diteur primitif (G. Chian
tore, successeur de Loescher, ? Turin), assur?s d?sormais d'une p?riodicit? semestrielle r?guli?re, se proposent de poursuivre vaillamment leur glo rieuse carri?re. Nos v ux les accompagnent d'autant plus volontiers que, si
l'on en juge par le premier num?ro de cette ? nouvelle s?rie ?, la r?daction
fera ? l'histoire ?conomique une place assez large. M. B.
Publi?e par Mr A. Grand in, ? la librairie du Recueil Sirey, la Bibliographie
g?n?rale des Sciences juridiques, politiques, ?conomiques et sociales de 1800 ?
1925 se compl?te aujourd'hui d'un premier suppl?ment. Consacr? aux ann?es
1926 et 1927, ce fascicule de 224 pages, muni de deux excellentes tables, rendra aux travailleurs les services les plus appr?ciables. Les rubriques
Histoire du Droit ; Droit international public ; ?conomie politique ; Sociologie sont particuli?rement int?ressantes pour les historiens. La rubrique Colonies
Fran?aises ne l'est pas moins et para?t tr?s soign?e ; par contre sur l'Alsace
Lorraine peu de choses et des lacunes. Le titre de la publication peut induire
en erreur sur un point d'importance : en fait, la Bibliographie g?n?rale est
uniquement une Bibliographie fran?aise. Elle ne cite que les livres et les
tirages ? part de langue fran?aise. Mais elle les cite correctement et abon
damment. Elle constitue un instrument de travail de premi?re utilit? ; il faut
souhaiter qu'il soit toujours maintenu au courant.
L. F.
Les ?l?ves et les amis de G. von Below pensaient c?l?brer son soixante
dixi?me anniversaire au d?but de 1928. Le destin en a d?cid? autrement. Von
Below est mort le 20 octobre 1927, et c'est pour rendre un dernier hommage ?
sa m?moire que quatorze historiens publient aujourd'hui, sous le titre de :
Aus Sozial- und Wirtchaftsgeschickte1, un recueil d'articles dont la plupart int?ressent nos ?tudes. Ils sont suivis d'une bibliographie soign?e du ma?tre
disparu, dress?e par M. L. Klaiber.
Pas d'?tudes sur l'antiquit?. Pour le moyen ?ge, des m?moires de
G. Salvioli (Massari e Manenti nelVeconomia italiana m?di?vale) ; F. Schneider
(Staatliche Siedlung im fr?hen Mittelalter) ; A. Schultze (Das Testament Karls
des Grossen) ; R. H?pke (Die ?konomische Landschaft und die Gruppenstadt in der ?lteren Wirtschaftsgeschichte) ; M. Weinbaum (Londons Alderm?nner
und Warde im 12-14 Jhdt) ; G. Mohr (Haltezwang und Wegerichtung nach
?sterreichischen Quellen) ; H. Ammann (St. Gallens Wirtschaftsstellung im Mit
1. Stuttgart, Kohlhammer, 1928, in-8?, vin-370 p.
90 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
telalter) ; H. Aubin (Wirtschaftsgeschichtliche Bemerkungen zur ostdeutschen
Kolonisation). Ces divers travaux prolongent, comme on le voit, dans les
directions qui lui ?taient famili?res, l'activit? intellectuelle de l'auteur de Der deutsche Staat des Mittelalters, des Probleme der T?'irtschafts geschiente, ou de Territorium und Stadt.
Les autres ?tudes abordent des probl?mes r?cents. C. Brinkmann (Zwei
sprachgeschichtliche Beitr?ge zur Entwicklung des W irtschafts rechts) ?tudie
le sens et l'histoire des mots B?nhase et Firma; H. Nabholz (Zur Frage nach
den Ursachen des Bauernkrieges 1525) donne, sur un probl?me ardu et con
trovers?, un bon ?tat de question ; Th. Mayer (Zur Geschichte der nationalen
Verh?ltnisse in Prag), E. Baasch (Der Kaufmann in der deutschen Romanli
teratur des 18. Jahrhunderts), enfin W. Tuckermann (Das Deutschtum in Kanada)
compl?tent la partie moderne du recueil.
L. F.
A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUES
L'Esclavage en Sicile depuis la fin du moyen ?ge.
Le servage, dans l'Europe m?di?vale et moderne, a ?t? sinon toujours
tr?s bien compris, du moins souvent ?tudi?. L'esclavage, beaucoup plus rarement. Il a jou? pourtant, ? la fin du moyen ?ge et jusqu'en plein c ur
de ce qu'on est convenu d'appeler les temps modernes, un r?le qui ne fut
point sans importance : ? peu pr?s uniquement, ? vrai dire, dans les pays
m?diterran?ens. De moment en moment, quelques recherches de d?tail
viennent jeter un peu de lumi?re sur cette institution trop n?glig?e. C'est
ainsi que tout r?cemment les esclaves siciliens ont inspir? ? M. Matteo
Gaudioso, archiviste de Catane, un tr?s consciencieux travail1. Cet ou
vrage sera vraisemblablement peu r?pandu hors de l'Italie. Je crois bon
d'en marquer ici les r?sultats essentiels et d'indiquer en m?me temps les
probl?mes ?
quelques-uns d'un int?r?t tr?s g?n?ral ?
qu'il laisse, au moins
pro\isoirement, sans r?ponse. Peut-?tre quelques chercheurs puiseront-ils, dans ce compte rendu d?taill? et critique, des suggestions utiles.
Dur?e de l'institution. ? Son apog?e semble avoir ?t? les xive, xve et
xvie si?cles. A ce moment, il n'est gu?re de maison noble, eccl?siastique ou
bourgeoise ? m?me de fort petite bourgeoisie
? qui n'ait son ou ses esclaves
(p. 24). Ce n'est pas que, au total, la proportion de la population servile ? la
population libre ait jamais ?t? tr?s forte (59 esclaves sur 3 099 habitants, en
1569, ? Francofonte ; ce sont les seuls chiffres pr?cis donn?s par M. Gaudioso,
p. 24, n. 7). Sur l'?poque pr?c?dente ?
dynasties normande et souabe ? nos
renseignements sont beaucoup plus maigres, ? la fois faute de documents
(particuli?rement de ces actes notari?s qui, pour la fin du moyen ?ge, ont
fourni ? M. Gaudioso tant de donn?es pr?cieuses), et aussi parce que, selon
toute apparence, les esclaves ?taient alors moins nombreux que par la suite ;
il y en avait pourtant (p. 19). Au xvir3 si?cle, autant que je puis voir (M. Gau
dioso n'est pas tr?s pr?cis sur ce point), la population servile ?tait encore assez
abondante ; elle d?cline au xviir9, mais jusqu'au d?but du xixe, l'esclavage
demeura une institution officiellement reconnue (voir le texte du 22 mai 1812,
qui sera cit? plus bas). Cette courbe est, ? peu de choses pr?s, celle de l'esclavage m?diterran?en
en g?n?ral, autant du moins que les ?tudes entreprises jusqu'ici nous per
mettent d'en reconstituer le dessin. Une seule particularit? notable : l'escla
vage para?t bien s'?tre maintenu, en Sicile, plus longtemps que dans la plu
part des pays chr?tiens environnants. M. Gaudioso explique cette persistance
1. La schiavit? domestica in Sicilia dopo i Normanni. Legislazione-Dottrina-Formule, Catania, Crescenzio Gal?tola, 1926, in-8?, 138 p. La bibliographie de l'esclavage m?di?val et moderne est prodigieusement dispers?e. J'ai indiqu? quelques travaux essentiels clans la Revue de Synth?se historique, t. XLIII 1927, p. 89, et, dans la m?me revue, au t. XLI, 1926, p. 96 et suiv., ? propos des th?ses de M. Lefebvre des Noettes sur la Force motrice
animale, esquiss?, tr?s sommairement, l'histoire de l'Institution.
92 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
anormale par la guerre de course, ? peu pr?s perp?tuelle entre les Siciliens
et leurs proches voisins du Maghreb ; elle fournissait d'esclaves les deux
rivages oppos?s. Resterait ? rendre compte de l'ensemble du trac?. Pourquoi cette forte
mont?e au xive si?cle ? Pourquoi la descente ? partir du xvir3 ? M. Gaudioso
n'a tent? aucune r?ponse. Aussi bien, en Sicile, l'existence de la domination
musulmane, du xe au xne si?cle, donne-t-elie ? l'histoire de l'esclavage
m?di?val un tout autre point de d?part que dans l'Italie p?ninsulaire. On n'en doit que plus vivement regretter que le probl?me ait ?t? n?glig?.
Droit de l'esclavage. ? C'est la partie la plus abondamment trait?e par
M. Gaudioso, dont l'?tude est essentiellement juridique. Il faut distinguer la
doctrine, ?labor?e par les juristes, sous l'inspiration du droit romain, et la
pratique, qui, form?e sous des influences tr?s complexes, diff?rait sensible
ment du droit th?orique. En fait, la condition de l'esclave sicilien nous appa
ra?t comme tr?s dure. Il ?tait vraiment la chose d'autrui. Rien de plus signi
ficatif que les enumerations des inventaires : ? une tasse d'argent, une petite tasse d'argent, deux femmes esclaves, d'origine tartare,... un tonneau plein de
vin? (p. 53 : 1372). Les enfants ?taient couramment vendus sans leurs
parents (p. 88). Conform?ment au principe g?n?ral des l?gislations m?di?vales,
alors qu'il ?tait interdit de r?duire en servitude un chr?tien ou plut?t un
catholique, par contre l'esclave pa?en ou schismatique d'origine, mais baptis?
apr?s son asservissement, n'en restait pas moins esclave ; la conversion n'en
tra?nait pas l'affranchissement. Sur 648 esclaves du sexe masculin, recens?s
? Palerme en 1565, 147 ?taient chr?tiens, ?
entendez, je pense, catholiques
(p. 27). Le 22 mai 1812 encore, dans un rapport au roi, souvent cit? par les
historiens de l'esclavage (par M. Gaudioso, p. 31), la Junte des Pr?sidents et
Consuiteurs d?clarait : ? L'autorit? des publicistes, la saintet? de notre reli
gion, la discipline de l'?glise, les sanctions des lois nationales, l'usage cons
tamment appliqu? dans notre royaume nous persuadent de sugg?rer ? Votre
Majest? que l'esclave m?me apr?s le bapt?me doit demeurer dans sa condi
tion servile, pour peu que son ma?tre... refuse de lui donner la libert?.?
Cependant, comme nous le verrons ? l'instant, un traitement de faveur fut
accord?, de bonne heure, aux esclaves grecs.
Recrutement. ? L'?l?ve du b?tail humain, tr?s d?licate, n'a, dans la plu
part des civilisations ? esclaves, jamais fourni qu'une part relativement
faible de la population servile. La Sicile ne faisait pas exception ? la r?gle. A
Palerme, en 1565, ? peine plus de 41 % (exactement 268 sur 648), des esclaves
?taient n?s dans le pays, de parents d?j? engag?s dans les liens de la servitude
(p. 27). L'esclave ?tait avant tout une marchandise d'importation. D'o? la
Sicile tirait-elle les siens ?
Au d?but du xiv? si?cle la majorit? ?taient des Grecs ? servi de Romania
? jet?s sur les march?s de l'?le surtout par les razzias de la Grande Compa
gnie catalane. Schismatiques, les Grecs ?taient ?trangers ? la v?ritable societas
christiana. Ils pouvaient l?galement ?tre asservis. Pourtant on para?t de
bonne heure avoir ?prouv? ? leur ?gard quelques scrupules. Les actes de
vente qui les concernent pr?f?rent ? la formule usuelle ? ? a vendu tel
esclave? ? une expression moins brutale : ? a vendu... les ouvrages et ser
vices, vendidit... operas et servicia omne persone cuiusdam servi greci de
L'ESCLAVAGE EN SICILE 93
Romania? (p. 92). Puis, en 1310, le roi Fr?d?ric II prit en leur faveur une mesure
d'un rare lib?ralisme : d?sormais tout esclave grec qui abjurerait le schisme
serait, au bout de sept ans de servitude, automatiquement affranchi. Quels
motifs avaient inspir? cette g?n?rosit? ? Des pr?occupations d'ordre pure ment religieux, pense M. Gaudioso. L'explication, en soi, n'a rien d'impro bable. Pourtant on ne voit pas tr?s bien, dans cette hypoth?se, pourquoi le
b?n?fice de la l?gislation nouvelle ne fut pas ?tendu ? tous les convertis, ou
du moins ? tous les anciens schismatiques, Russes par exemple. La politique orientale du gouvernement sicilien ne fut-elle pour rien dans l'affaire ? La
question m?ritait d'?tre pos?e et la recherche ? d?t-elle n'aboutir qu'? des
r?sultats n?gatifs ? d'?tre tent?e. Je ne puis, pour ma part, qu'indiquer le
probl?me. Fut-ce par l'effet de cette disposition, ?videmment tr?s d?savan
tageuse aux acheteurs d'esclaves grecs, et en cons?quence (car elle ne pouvait
manquer de faire baisser les prix) aux marchands qui en faisaient commerce ?
Fut-ce simplement, comme M. Gaudioso para?t le supposer, par suite de la
dissolution de la Compagnie catalane ? Dans la seconde moiti? du xive si?cle, les servi de Romania disparurent ? peu pr?s totalement. Ils furent remplac?s
par des Tartares (je crois, contrairement ? M. Gaudioso, que ce mot fait allu
sion, non ? la nationalit? d'origine des esclaves, mais ? celle des premiers
trafiquants ; on appelait ainsi, tr?s g?n?ralement, les malheureux qui, razzi?s
dans la r?gion de la mer Noire par les coureurs tartares, avaient ?t? vendus
par ces derniers aux marchands europ?ens), des Circassiens, des Russes, des Bulgares et surtout des Africains, n?gres ou ?oliv?tres?.
L'observation prouve qu'un r?gime de main-d' uvre servile ne peut gu?re se maintenir que par un afflux abondant de marchandise humaine, celle-ci
n'?tant d'un emploi avantageux qu'? condition de conserver son bon march?.
Par qui, en Sicile, se faisait le commerce des esclaves ? Sur quelles places ? A
qu'jls prix ? Autant de questions d'un int?r?t capital, que M. Gaudioso ne
s'est m?me pas pos?es (un texte, de 1307-1308, cit? incidemment, p. 44, n. 3, semble montrer que la Sicile n'?tait parfois, dans le transit servile, qu'une
simple ?tape). Sans l'?tude de la traite, celle de l'esclavage est proprement
inintelligible ; il est extr?mement f?cheux que M. Gaudioso ne l'ait point senti.
Utilisation ?conomique des esclaves. ? Encore un probl?me presque totalement n?glig?. Une observation p?n?trante toutefois : dans la Sicile
de la fin du moyen ?ge et des temps modernes, l'absence d'esclaves ? profes sions ?intellectuelles)), notamment d'esclaves employ?s de bureau, marque un contraste tr?s net avec la civilisation antique ; c'est que la masse se recru
tait dans des populations peu pr?par?es aux travaux de l'esprit, et, en tout
cas, ?trang?res ? la culture occidentale (p. 56). Pour le reste, nous en sommes
r?duits ? l'indication donn?e, sans preuves ? l'appui, par le titre m?me de
l'ouvrage. Visiblement, M. Gaudioso consid?re l'esclavage sicilien comme ?
peu pr?s uniquement de nature ?domestique?. A la main-d' uvre servile
les propri?taires ou bourgeois de l'?le auraient demand? des serviteurs ou
servantes (souvent des concubines), non des ouvriers de l'atelier ou des
champs. Tel fut, en efiet, le caract?re g?n?ral de l'esclavage m?diterran?en ;
d'esclaves ruraux il n'y en eut, semble-t-il, jamais, en quantit? notable, que
dans la p?ninsule ib?rique et les Bal?ares. En Sicile, d'ailleurs, le nombre
94 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
relativement bas des esclaves ne permet gu?re de supposer qu'ils aient pu
jouer dans l'industrie ou l'agriculture un r?le bien consid?rable. Une recherche
plus pouss?e n'e?t cependant pas ?t? inutile. De-ci, de-?? (notamment p. 42),
je vois mentionner des louages d'ouvrages par les ma?tres. Travaux domes
tiques toujours ? Est-ce certain ? P. 131, on nous montre un boucher qui s'assure pour cinq ans les services d'un affranchi, en avan?ant ? celui-ci le
prix de sa libert? (genre de sp?culation, para?t-il, assez r?pandu et sur lequel on e?t aim? quelques d?tails). Le contrat pr?voit express?ment que l'homme
sera employ? ? la boucherie ; avant son affranchissement, n'avait-il pas d?j? exerc? le m?me m?tier ?
Il faut souhaiter que M. Gaudioso, qui a sous la main une si belle docu
mentation, compl?te un jour son travail, d?j? fort utile, par des indications
d'un caract?re plus sp?cialement ?conomique. Et, puisque nous en sommes au
chapitre des v ux, formons-en un autre encore. La France m?diterran?enne,
comme la Sicile, eut ses esclaves. Ceux du Roussillon ont d?j? trouv? leui
historien1; mais non pas ceux du Languedoc2, ni de la Provence. Serait
ce que les documents font d?faut ? Impossible { Les archives du Midi sont riches ; les s?ries notariales, en particulier, ne le c?dent gu?re ? celles de
la Sicile. Serait-ce que les travailleurs manquent ? Le r?veil des ?tudes his
toriques, en Provence, au cours de ces derni?res ann?es, interdit de le croire.
Il faut donc admettre, tout simplement, que le sujet, un peu ? l'?cart des
sentiers battus, a pass? inaper?u. Je serais heureux si jamais ces lignes, tombant sous les yeux de quelque ?rudit en veine de curiosit?, l'incitaient ?
tenter l'entreprise. Marc Block.
Ports d'aujourd'hui, ports d'autrefois :
? propos d'une ?tude sur G?nes et sur Marseille.
Au port de G?nes, M. Maurice By? vient de consacrer une excellente ?tude
qui lui a valu le titre de docteur ?s-lettres de l'Universit? de Lyon3. C'est
une monographie s?rieuse, bien document?e, appuy?e sur des donn?es num?
riques abondantes et rigoureusement critiqu?es. Mais c'est beaucoup plus
qu'une monographie. D'abord, parce que M. By? institue, d'un bout ?
l'autre de son livre, une comparaison suivie, attentive et, on peut ajouter, honn?te entre G?nes et Marseille, les deux grands ports de la M?diterran?e
occidentale : diff?rents et cependant semblables , rivaux et cependant
guett?s par les m?mes ennemis. Ensuite, parce qu'un port de l'envergure de
G?nes, ou de Morseille, c'est naturellement l'un des meilleurs observatoires o?
puisse s'?tablir l'homme qui sait et d?sire voir, pour ?tudier l'activit? non
I.A. BRUTAIL3, ?tude sur l'esclavage en Roussillon du XI* au XVIIe si?cle, dans Nouv. Revue Historique de Droit, t. X, (1886).
2. Indications insuffisantes dans A. G-ermain, Histoire du commerce de Montpellier, 1861, t. II, p. 13 et 17 ; C. Port, Essai sur l'histoire du commerce maritime de Narbonne, 1854, p. 71 ; Louise Guiraud, Recherches et conclusions nouvelles sur Le pr?tendu r?le de
Jacques C ur, dans M?moires de la Soci?t? arch?ologique de Montpellier, 1900, p. 40 et suiv. et p. 85.
3. Le Port de G?nes ; son activit?, son organisation, sa fonction ?conomique, Paris, Alean, s. d. [1927] in-8?, xvi-276 p.
94 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
relativement bas des esclaves ne permet gu?re de supposer qu'ils aient pu
jouer dans l'industrie ou l'agriculture un r?le bien consid?rable. Une recherche
plus pouss?e n'e?t cependant pas ?t? inutile. De-ci, de-?? (notamment p. 42),
je vois mentionner des louages d'ouvrages par les ma?tres. Travaux domes
tiques toujours ? Est-ce certain ? P. 131, on nous montre un boucher qui s'assure pour cinq ans les services d'un affranchi, en avan?ant ? celui-ci le
prix de sa libert? (genre de sp?culation, para?t-il, assez r?pandu et sur lequel on e?t aim? quelques d?tails). Le contrat pr?voit express?ment que l'homme
sera employ? ? la boucherie ; avant son affranchissement, n'avait-il pas d?j? exerc? le m?me m?tier ?
Il faut souhaiter que M. Gaudioso, qui a sous la main une si belle docu
mentation, compl?te un jour son travail, d?j? fort utile, par des indications
d'un caract?re plus sp?cialement ?conomique. Et, puisque nous en sommes au
chapitre des v ux, formons-en un autre encore. La France m?diterran?enne,
comme la Sicile, eut ses esclaves. Ceux du Roussillon ont d?j? trouv? leui
historien1; mais non pas ceux du Languedoc2, ni de la Provence. Serait
ce que les documents font d?faut ? Impossible { Les archives du Midi sont riches ; les s?ries notariales, en particulier, ne le c?dent gu?re ? celles de
la Sicile. Serait-ce que les travailleurs manquent ? Le r?veil des ?tudes his
toriques, en Provence, au cours de ces derni?res ann?es, interdit de le croire.
Il faut donc admettre, tout simplement, que le sujet, un peu ? l'?cart des
sentiers battus, a pass? inaper?u. Je serais heureux si jamais ces lignes, tombant sous les yeux de quelque ?rudit en veine de curiosit?, l'incitaient ?
tenter l'entreprise. Marc Block.
Ports d'aujourd'hui, ports d'autrefois :
? propos d'une ?tude sur G?nes et sur Marseille.
Au port de G?nes, M. Maurice By? vient de consacrer une excellente ?tude
qui lui a valu le titre de docteur ?s-lettres de l'Universit? de Lyon3. C'est
une monographie s?rieuse, bien document?e, appuy?e sur des donn?es num?
riques abondantes et rigoureusement critiqu?es. Mais c'est beaucoup plus
qu'une monographie. D'abord, parce que M. By? institue, d'un bout ?
l'autre de son livre, une comparaison suivie, attentive et, on peut ajouter, honn?te entre G?nes et Marseille, les deux grands ports de la M?diterran?e
occidentale : diff?rents et cependant semblables , rivaux et cependant
guett?s par les m?mes ennemis. Ensuite, parce qu'un port de l'envergure de
G?nes, ou de Morseille, c'est naturellement l'un des meilleurs observatoires o?
puisse s'?tablir l'homme qui sait et d?sire voir, pour ?tudier l'activit? non
I.A. BRUTAIL3, ?tude sur l'esclavage en Roussillon du XI* au XVIIe si?cle, dans Nouv. Revue Historique de Droit, t. X, (1886).
2. Indications insuffisantes dans A. G-ermain, Histoire du commerce de Montpellier, 1861, t. II, p. 13 et 17 ; C. Port, Essai sur l'histoire du commerce maritime de Narbonne, 1854, p. 71 ; Louise Guiraud, Recherches et conclusions nouvelles sur Le pr?tendu r?le de
Jacques C ur, dans M?moires de la Soci?t? arch?ologique de Montpellier, 1900, p. 40 et suiv. et p. 85.
3. Le Port de G?nes ; son activit?, son organisation, sa fonction ?conomique, Paris, Alean, s. d. [1927] in-8?, xvi-276 p.
PORTS D'AUJOURD'HUI ET D'AUTREFOIS 95
d'une ville, ni d'une r?gion, ni m?me d'un grand pays ? mais de la vie ?co
nomique du monde entier, dont les moindres pulsations transmises de proche en proche viennent se r?percuter, de fa?ons d'ailleurs tr?s diverses, dans la
vie de ces grands organismes, ? la fois autonomes et d?pendants, que sont
les ports modernes.
On trouvera, dans le livre de M. By?, plusieurs motifs d'int?r?t puissants. Et d'abord, une ?tude fort attentive des formes que rev?t actuellement l'ac
tivit? g?noise. Un historique le pr?c?de, beaucoup trop sommaire, partant sans valeur : mieux aurait valu le supprimer tout ? fait*. Mais sit?t arriv?
? l'?poque toute contemporaine, M. By? reprend ses avantages. Tout ce qu'il dit des conditions de d?veloppement qu'offraient respectivement ? G?nes et
? Marseille le site g?ographique, la position, le trac? des voies naturelles,
l'abondance ou la p?nurie des ressources min?rales, est excellent. Aucun
fatalisme g?ographique n'est invoqu? ici, t?m?rairement, par un auteur qui sait dans quelles relations d'interd?pendance se trouvent les faits naturels
et les faits ?conomiques lorsqu'il s'agit de ces cr?ations compliqu?es de nos
civilisations modernes o? nul ne peut plus se flatter d'atteindre le ?naturel?
par ?limination compl?te de 1'? humain?. Et le contraste que pr?sentent les
deux ports m?diterran?ens ressort, frappant, des chiffres que fournit, et
qu'interpr?te avec sagacit?, M. By?. D'un c?t?, un port, G?nes, fait par les hommes. Une ville coinc?e entre
des montagnes assez raides et la mer. De m?diocres communications avec
un arri?re-pays d?pourvu de combustible et qui demande d?s lors au port voisin d'?tre sa mine de houille. Sur les quais, des montagnes de charbon,
de coke, d'anthracite : 39 p. 100 du combustible min?ral import? par tous
les ports d'Italie , 3 112 000 tonnes au total en 1925, soit pr?s de la moiti?
du trafic total de G?nes ? cette date (3 248 800 tonnes) ; en 1927, 2 837 870 tonnes sur 7 629 600 tonnes au total. Des exportations atteignant ? peine le
sixi?me des importations : G 770 500 tonnes en 1925 contre 950 000 ; 6 192 140
en 1926 , contre 900 900 ; 6 265 250 en 1927, contre 1 364 350. A c?t? de la
houille, 50 p. 100 des c?r?ales entrant en Italie et que r?clament notamment
les usines de p?tes lombardes et pi?montaises ou, par del?, suisses ; du coton
ensuite, des laines, de la viande, beaucoup de m?taux r?clam?s eux
aussi par une industrie mal dot?e. Enfin, peu de voyageurs relativement,
malgr? de beaux efforts et l'appoint des emigrants. En 1925, 136 000 embar
qu?s ou d?barqu?s ; en 1926, 149 500 ; en 1927, 157 900 ; c'est peu, en face
des 1 254 600 voyageurs de Naples en 1924, ou des 1 465 800 de Trieste. ?
Au total, un port dont la fonction r?gionale ou de transit l'emporte, et de
beaucoup, sur les fonctions industrielle et commerciale.
Marseille, par contre : un vieux port naturel, une calanque profonde et
privil?gi?e qu'entoure une cit? pourvue, ? convenable distance, de larges
espaces propices ? l'installation d'usines modernes. Des communications plus
libres, sans qu'elles soient excellentes, avec des r?gions industrielles qui ne
1. Il existe cependant un livre utile sur le pass? de G?nes : Franc. Podest a, Il porto di Genova, dalle origini fino alla caduta d?lia rep?blica Genovese (1797), 1913.
96 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
vont pas chercher sur des quais maritimes la force qu'elles puisent dans leurs
mines ou dans leurs eaux courantes ; trois fois moins de combustible en con
s?quence qu'? G?nes ; mais les 1 151 000 tonnes de houille de 1925, les
1 098 000 de 1926 ; les 996 778 de 1927 presque toujours consomm?es par les usines m?mes d'un port qui transforme sur place les deux tiers de ses impor
tations. Un ?cart beaucoup plus faible qu'? G?nes entre celles-ci et les expor
tations : 4 932 000 tonnes d'une part en 1925 contre 2 482 600 ; en 1926,
4 548 200 tonnes contre 2 153 780 ; en 1927, 4 519 200 contre 2 422 000. Moins de c?r?ales, et manufactur?es dans les grandes minoteries marseillaises. Moins
de m?taux ?galement. Par contre, des voyageurs en nombre : 783 000 en 1925
(entrants et sortants); 787 000 en 1926; 752 000 en 1927 ; passagers de classe presque tous, et souvent transport?s sous pavillon anglais (42 000 en
1925) ; car si G?nes est fr?quent?e par les charbonniers britanniques, Mar
seille est t?te de ligne de la Malle des Indes et port d'escale de nombreux
paquebots ? destination des Indes et de l'Extr?me-Orient (Peninsular and
Oriental Cy). Tous ces chiffres parlent clair. Ils montrent combien il est vain de
pr?tendre d?cr?ter la sup?riorit? l'un sur l'autre, au vu de simples chiffres de
tonnage, de deux ports qui remplissent des fonctions diff?rentes et fondent
sur des n?cessit?s et des services divers leur prosp?rit?. Marseille est avant
tout un port industriel. G?nes, un port de r?partition.
* * *
Cependant ? et par ce qu'il en dit, M. By? donne ? son livre un nouvel
int?r?t ? les dirigeants du port de G?nes, puissamment soutenus par un
gouvernement qui a entrepris de financer une politique de prestige, font
depuis quelque temps un effort consid?rable pour parer ? des insuffisances
connues de longue date, et d?velopper au maximum leurs possibilit?s d'action
et de rendement. Une part importante du travail de M. By? est consacr?e
? passer en revue dans tous ses d?tails, l'organisation actuelle du port de
G?nes : administrative, ouvri?re, technique et financi?re. Nous ne pouvons
que renvoyer le lecteur, curieux de pr?cisions techniques, ? ces pages solides
et document?es. Par ailleurs, l'auteur montre bien comment beaucoup des
progr?s r?alis?s par le port ligure sont imputables ? une politique de vaste
envergure, et notamment au remarquable essor des constructions navales
italiennes, provoqu? ou tout au moins largement facilit? par d'abondantes
et g?n?reuses subventions de l'?tat. U est tel que le tonnage italien qui repr?
sentait, en 1914, 3 p. 100 du tonnage de la flotte mondiale (1 500 000 tonnes
sur 50 millions) est aujourd'hui de 5 p. 100 (3 200 000 tonnes sur 64 millions).
Absolument, il a donc plus que doubl? ; relativement, il s'est accru de 60
p. 100.
En m?me temps, l'Italie poursuit un gros effort pour cr?er des lignes de navigation r?guli?res. Cr?ations co?teuses, car le navire de ligne exige un
investissement de capital et un fonds de roulement beaucoup plus consid?
rable que la navigation de tramp ; mais les lignes une fois cr??es appellent le
trafic et connaissent un accroissement r?gulier et continu d'activit?, suscep tible d'augmenter ? la fois la prosp?rit? ?conomique et l'influence politique du pays qui a fait de grands sacrifices pour les ?tablir. En 1925, plus de cent
PORTS D'AUJOURD'HUI ET D'AUTREFOIS 97
lignes r?guli?res partaient d?j? de G?nes, la plupart fortement subvention
n?es. Le tableau1 qu'en donne M. By? est curieux. A c?t? de lignes c?ti?res
d'int?r?t national, et de nombreuses lignes vers le Levant, on y voit des
lignes d'Extr?me-Orient toutes r?centes (Trieste-Yokohama ; G?nes-Bom
bay ; Trieste-Bomba y ; Venise-Calcutta). On y voit une ligne africaine G?nes
Dakar-Matadi-Lobito. On y voit enfin trois lignes ? destination de l'Am?rique du Sud, qui attestent la volont? r?fl?chie, le d?sir syst?matique du gouverne
ment italien de d?velopper son action dans des parages ?loign?s, o? jusqu'?
pr?sent sa pr?sence ?tait rare, et son cr?dit peu de chose. De tout ce vaste
travail, G?nes est la premi?re b?n?ficiaire. Elle occupe, et de beaucoup, le
premier rang parmi les ports italiens, laissant loin derri?re elle Trieste qui vient en second (1925 : 8 248 830 tonnes, entr?es et sorties, contre 2 853 540). Et seule elle se montre en progr?s v?ritable.
Mais quel est son avenir ? Nous voici aussit?t report?s en Suisse et sur le
Rhin... On croit assez g?n?ralement, on r?p?te volontiers que G?nes est le
port naturel de la Conf?d?ration helv?tique. La croyance se fonde sur l'unique consid?ration des kilom?tres qui s?parent soit de l'Atlantique, soit de la M?di
terran?e les centres industriels suisses. Or, il est vrai qu'Anvers et Rotterdam
sont, en moyenne, deux fois plus ?loign?s des villes suisses que G?nes, ou
Marseille ; mais commercialement parlant, ce n'est pas la distance, c'est le
co?t du transport qui, seul, importe ; et dans l'?tablissement des prix, la dis
tance ne joue, en fait, qu'un r?le secondaire. Combien d'autres facteurs ? consi
d?rer 1 Et l'instabilit? des devises, les fluctuations du change qui font varier
la fronti?re des zones d'attraction g?noise ou marseillaise suivant les varia
tions de cours de la lire ou du franc. Et la chert? ou le bon march? des trans
ports ferroviaires ou autres : car il est ?vident que le bon march? relatif des
chemins de fer fran?ais contrastant avec la chert? plus grande des chemins de
fer italiens, et surtout avec l'excessive chert? des chemins de fer suisses,
introduit un facteur de perturbation consid?rable dans toute cette g?ographie variable des prix de revient. Qu'on songe qu'une m?me quantit? de marchan
dise effectuant les 518 kilom?tres de parcours Marseille-Gen?ve, ne paie pas
davantage que la m?me quantit? effectuant les 325 kilom?tres du parcours
G?nes-Iselle ? ou qu'une tonne de bl? en sac de l'Argentine, prise ? San
Lorenzo, co?te de transport total depuis ce port jusqu'? Baie (valeur en francs
suisses) 62 fr. 90 par G?nes, malgr? le L?tschberg, et 38 fr. 51 seulement par
Marseille, en utilisant les lignes fran?aises sur le plus long parcours possible. ?
Seulement, la voie rh?nane est d?j? moins co?teuse : 32 fr. 15. Et si l'on
compare, toujours pour le m?me trajet et la m?me marchandise, les prix de
San Lorenzo ? Gen?ve, ? Fribourg et ? Berne, on voit que l'avantage demeure
? Marseille, mais pour Zurich, Winterthur, Saint-Gall, Marseille doit c?der
le pas ? Anvers et ? Rotterdam : G?nes, bien davantage encore.
Or, le Rhin, s'il repr?sente ? l'heure actuelle jusqu'? Strasbourg une voie
navigable ? peu pr?s parfaite et r?guli?re, n'offre pas encore les m?mes garan
ties de Strasbourg jusqu'? B?le. Le jour prochain o? les grands travaux pro
jet?s seront ex?cut?s, quelle deviendra la situation, non seulement de G?nes,
mais encore de Marseille par rapport au march? suisse ? Interrogation qui
1. M. By? a bien senti la n?cessit? d'un croquis, pour illustrer son texte. Mais celui
qu'il fournit ? ses lecteurs est trop petit, confus et peu expressif.
ANN. D'HISTOIRE. - lre ANN?E. 7
98 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
justifie les conclusions de M. By? : ? Marseille et G?nes peuvent gagner infini
ment plus ? l'entente qu'? la lutte. Leur int?r?t le plus imm?diat serait
sans doute de se concerter pour parer ? la concurrence redoutable des ports
rh?nans.?
* *
Faut-il le dire ? Quand il ferme un livre de ce genre, nourri, substantiel,
plein d'enseignements et de lumi?res sur une multitude de questions diverses,
l'historien des si?cles pass?s ne peut s'emp?cher de faire, sur son ignorance ou plus exactement sur ses multiples ignorances, un retour assez amer.
Partout aujourd'hui, dans le monde entier, des hommes attentifs suivent
de pr?s le mouvement, les progr?s, les reculs des grands ports mondiaux. Des
livres, des m?moires, des enqu?tes semblables au travail de M. By? paraissent
r?guli?rement sur Hambourg, Anvers, Londres, Liverpool, Bordeaux... inutile
de continuer r?num?ration. M?me m?thode dans toutes , m?mes pr?occupa tions , m?mes recherches des m?mes faits et des m?mes sympt?mes consid?r?s
comme particuli?rement int?ressants , m?me vocabulaire enfin, ? quelques diff?rences pr?s. Elles s'appuient, d'ailleurs, sur de grands recueils connus,
class?s, de chiffres et de d?nombrement, sur des publications officielles d'ex
tension et de valeur internationales ? sur toute une documentation collective
et qu'on s'efforce chaque jour de rendre plus s?re, plus pr?cise et plus riche.
Mais les historiens ?
Certes, on le sait de reste : il y a des illusions qu'on serait fou de nourrir.
Les documents sont ce qu'ils sont. Les chiffres, les relev?s que nous poss?dons
pour une partie du xixe et pour le xxe si?cle, nous ne les avons ni pour le
xvine, ni ? plus forte raison pour le xvir3 ou le xvie : ne remontons pas au del?.
Par ailleurs, ce n'est pas nous qui, sur la foi d'un banal : ? Rien de nouveau
sous le soleil?, encouragerons jamais les malheureuses fantaisies d'auteurs
qui se croient ? modernes? parce qu'ils ?pinglent sur des faits sans analogie
profonde avec les faits contemporains tout un lot d'?tiquettes ? la mode
d'aujourd'hui. Ne parlons pas de la fonction industrielle des ports, lorsqu'il
n'}'- avait pas d'industrie au sens actuel du mot , et rappelons-nous toujours
que ce n'?taient pas seulement les faits mat?riels, mais les mentalit?s qui, de
nos arri?re-grands-parents ? nous, diff?raient profond?ment, sinon radica
lement.
Et cependant, dans l'Europe du xvie si?cle en pleine effervescence, en plein enivrement de capitalisme naissant, il y avait des ports, de grands ports
mondiaux, o? les produits de l'univers entier, tel qu'il ?tait alors connu et
exploit?, venaient se concentrer. Et ces ports luttaient les uns contre les autres
avec autant d'?pre brutalit? que nos ports d'aujourd'hui. Et ils prosp?raient ou tombaient en d?cadence ; ils se rempla?aient au premier rang les uns les
autres ; apr?s de longues ?clipses, ils reprenaient de la vigueur et de l'?lan
exactement comme ces organismes, ? la fois si complexes, si parfaits et si fra
giles que sont nos grandes places maritimes et qu'il faut ausculter de jour en jour avec tant d'anxieuse attention, si l'on veut les maintenir en sant? et
en force... O? sont les monographies, inspir?es paries m?mes pr?occupations, ?tablies patiemment par des savants travaillant chacun sur son domaine,
mais anim?s d'un esprit commun ? ou plus exactement, se posant ? eux.
PORTS D'AUJOURD'HUI ET D'AUTREFOIS 99
m?mes des questions toutes pareilles et apportant toute leur ing?niosit?^ toute leur patience ? les r?soudre ? Ces questions, quand on vient de lire une
de ces ?tudes contemporaines du genre de celle que nous venons d'analyser, on n'est pas embarrass? pour les formuler. Au xvie, au xvne, au xviir8 si?cle
comme de nos jours, il y avait entre Hambourg, Amsterdam, Anvers, Mar
seille, G?nes et Venise des conflits de limite, toute une g?ographie mouvante
et compliqu?e de zones d'influence en perp?tuelles transformations que per
sonne, jamais, ne s'est souci? de faire revivre. Le change y jouait son r?le,
autant, sinon plus qu'aujourd'hui. Et les conditions tr?s variables des trans
ports. Et celles de la main-d' uvre. Et les facilit?s plus ou moins grandes
qu'offraient au commerce la situation bancaire des diverses places. Et le trac?
des fronti?res, la multiplicit? et la rigueur plus ou moins grande des lignes douani?res ou des p?ages : vingt autres ?l?ments, dont savaient tirer parti
sup?rieurement, no nous y trompons pas, les grands marchands, les grands financiers de ce temps, joueurs intr?pides, accapareurs et trusteurs d'une
magnifique audace, adeptes r?solus du dumping le plus audacieux et le plus na?f ? la fois...
De tout cela, que savons-nous vraiment ? A peu pr?s rien1. Nous devi
nons. Une ou deux monographies sans lien entre elles et dues ? un hasard
heureux nous permettent d'entrevoir, dans une nuit profonde, quelques lueurs. En temps ordinaire, nous n'en souffrons pas. Mais quand nous
prenons connaissance de tous ces travaux patients et scrupuleux qui d?montent et remontent pour nous, patiemment, le m?canisme compliqu? de notre vie ?conomique
? il faut bien que nous r?fl?chissions, et que nous
prenions conscience de notre mis?re. C'est l? la grande force de suggestion
qu'exerce, que peut et doit exercer sur l'esprit des historiens, une connais
sance pr?cise des faits et du monde contemporain2. Que nous n'ayons pas
encore, pour quelques ?poques choisies, le jeu des cinq ou six monographies de grands ports, entreprises par des historiens qualifi?s, apr?s entente et dis
cussion, et conduites par eux en toute ind?pendance, mais quant aux ques
tions ? poser, quant aux probl?mes ? ?lucider, quant aux documents ? ?la
borer, en pleine entente et en collaboration de tous les instants, ? c'est pro
prement une honte.
Le jour seulement o? les historiens l'auront compris, il y aura une his
toire, et dont nul ne s'avisera plus de discuter la valeur, la port?e et l'int?r?t.
Ce jour-l?, nous ne le verrons sans nul doute pas luire. En pr?parer, en h?ter
la venue, telle doit ?tre ici notre uvre tr?s concr?te et tr?s raisonn?e. Et c'est
parce que, par leur exemple, les travailleurs qui ?tudient et d?crivent, avec
des m?thodes d?j? ?prouv?es, les institutions ?conomiques de notre temps
peuvent aider les historiens ? prendre conscience d'un semblable devoir ?
que nous ne s?parerons jamais de l'?tude du pass? l'examen attentif du
pr?sent.
Lucien Febvre.
1. Au deuxi?me tome de Der Moderne Kapitalismus, 1919, p. 237-243 et 277-325, W. Sombart r?sume sommairement nos connaissances et nos ignorances sur ces questions .
2. Inversement, sur les services que peut rendre la connaissance du pass? ? celle du
pr?sent, cf. les observations d'H. Hauser, publi?es dans la Revue d'Economie politique sous
le titre : Les origines historiques des probl?mes ?conomiques actuels, Pari?, 1928, p. 177-185.
100 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Histoire rurale.
? Infelices rustid ?. ? La litt?rature satirique dirig?e contre les paysans in
t?resse au premier chef l'histoire du sentiment de classe. Aussi croyons-nous
utile de signaler la r??dition, procur?e par M. Luigi Suttina, d'apr?s de nou
veaux manuscrits, d'une ?s?quence? latine m?di?vale ? compos?e en Italie
et attest?e pour la premi?re fois au d?but du xve si?cle ? o? ce th?me est
trait? avec une extr?me violence. On remarquera le curieux vers 13 : ? Vaga
bundi sunt ut avis?. Ce n'est pas ainsi qu'on se repr?sente d'ordinaire le
?vilain?. ? Marc Bloch.
(Studi medievali, Nuova Serie, t. I, fase. 14, 1928, p. 165-172.)
Les recherches relatives ? la r?partition de la propri?t? et de Vexploitation
fonci?re ? la fin de Vancien r?gime. ? Cette mise au point est l' uvre de
M. G. Lefebvre. Il est donc inutile de dire qu'elle t?moigne d'une connais sance approfondie et d'une vivante intelligence du sujet ; les solutions au
jourd'hui les plus probables sont indiqu?es, sans que jamais les nombreux
probl?mes qui attendent encore leur r?ponse soient laiss?s dans l'ombre. Il
n'y aurait aucun int?r?t ? r?sumer ici cette forte esquisse. Une simple observation. On sait que Kovalewsky et Kar?iev avaient ni?, ou peu s'en
faut, l'existence d'une propri?t? paysanne dans la France d'ancien r?gime, parce qu'ils refusaient aux censitaires la qualit? de ?
propri?taires ?.
M. Lefebvre s'?l?ve avec une juste s?v?rit? contre cette th?se singuli?re dont le r?sultat le plus net a ?t? de forcer les ?rudits ? noircir inutilement beaucoup de papier. Mais lorsqu'il ?crit (p. 108) ? il est certain qu'aux yeux des feudistes le possesseur d'une tenure charg?e de cens, de cham
part ou simplement de droits casuels n'?tait pas propri?taire ; cette
qualit? ?tait d?volue ? celui qui percevait les redevances fonci?res?, il fait aux deux historiens russes une concession, qui me para?t encore excessive : car la doctrine juridique ?tait loin d'?tre unanime ; d?s le xvie si?cle, pour le
moins (on trouverait sans peine dans la pratique notariale et m?me dans la litt?rature coutumi?re des exemples plus anciens), de nombreux auteurs accordent au possesseur du domaine utile la ?
propri?t??. Tel est le cas, par exemple, au xvie si?cle, de Dumoulin, Commentarii in consuetudines Parisienses, t. I, art. LV, gl. II, c. 2 et t. II, art. LXXVIII, gl. IV, c. 4 ; au xviii?, de Pothier, Trait? du droit de domaine de propri?t?, ? 3 ; on trouvera d'autres textes encore cit?s dans le vieil ouvrage de Championni?re, De la propri?t? des eaux courantes, p. 148 1. ? M. B.
(Revue d'Histoire moderne, mars-avril 1928.)
1. J'ajouterai encore ceci. Je viens de feuilleter, aux Archives de Seine-et-Oise, plusieurs atlas joints ? des terriers, tous du y.vni? si?cle. Dans les tableaux qui accompa gnent les diverses feuilles des plans, la colonne r?serv?e ? l'inscription des noms des censi taires porte r?guli?rement, comme titre : noms des propri?taires.
HISTOIRE RURALE 101
M. A. Ars?ne Alexandre1 ?tudie un ph?nom?ne qui (on l'oublie sou
vent) s'est r?p?t? ? d'assez nombreux exemplaires au cours de l'histoire
agraire de l'Europe, ?
par exemple dans une grande partie de la France
apr?s la Guerre de Cent ans, en Lorraine et Alsace vers la fin du xvir3 si?cle :
un repeuplement apr?s une guerre. Mais cette fois la guerre est celle de 1914
1918 et les campagnes ?tudi?es appartiennent ? une des sections les plus
ravag?es de la ? zone rouge? : la plaine picarde. C'est dire que les d?vasta
tions, sans ?tre, probablement, sur chaque point particulier, beaucoup plus
profondes que par le pass? fies guerres d'autrefois, elles aussi, r?duisirent les
villages en d?serts et brouill?rent les antiques limites des champs), furent, du
moins, infiniment plus ?tendues et plus continues. En outre, les conditions
administratives, ?conomiques, financi?res de la reconstruction (le ? finance
ment? a ?t? domin? par la l?gislation sur les dommages de guerre) pr?sentent des caract?res absolument originaux. Le choix de la Picardie, comme cadre
du travail, ?tait des plus heureux, en raison de l'ouvrage classique de M. De
mangeon qui fournissait, pour la comparaison avec l'?tat d'avant-guerre, un
point de d?part excellent. Le petit livre de M. Ars?ne Alexandre est ?videm
ment trop bref pour ?puiser les probl?mes sociaux que soul?ve un ph?nom?ne
d'une extr?me complexit? ; aussi bien l'?tude vraiment exhaustive ne sera
t-elle possible que plus tard. Mais bien inform?, nettement et clairement ?crit
et d'un ton parfaitement objectif, il rendra, ? titre de mise au point provi
soire, les plus signal?s services.
Quelques grands traits caract?risent aujourd'hui la zone reconstruite.
Dans l'habitat : disparition du vieux type de maison, electrification, adduc
tion d'eau (suppression, par cons?quent, de l'antique probl?me des puits,
jadis si grave dans ce pays de nappes profondes). Dans la constitution de la
soci?t? : les grands propri?taires, habitants du ? ch?teau? ou de la riche mai
son bourgeoise, s'absentent plus souvent ; parfois m?me ils ont vendu
ou morcel? leurs terres ; ? les ? m?nagers ?, c'est-?-dire les tout petits
propri?taires, qui vivaient, en grande partie, de journ?es faites chez les pay
sans plus ais?s et, manquant le plus souvent de cheval de labour, d?pendaient
de ces m?mes voisins, mieux pourvus, jusque dans leur travail sur leurs pro
pres biens, deviennent, eux aussi, plus rares; ainsi s'?vanouit une des plus
anciennes classes rurales ; ?
enfin, les journaliers, qu'attirent les villes, nom
breuses dans ce pays de vie urbaine intense, ou que les entreprises de recons
truction ont gagn?s ? l'industrie, disparaissent rapidement. Par suite de l'affai
blissement de ces deux derni?res classes et du d?peuplement g?n?ral ?
pertes
de guerre, crise de natalit? ? un manque permanent de main-d' uvre, att?nu?
seulement, gr?ce aux loisirs que la loi de huit heures procure aux mineurs,
dans le ?pays noir?. D'o? l'appel aux ?l?ments ?trangers: Polonais, plus
rares aujourd'hui que pendant les premi?res ann?es d'apr?s guerre, parce
qu'ils viennent, au total, moins nombreux en France et que les arrivants sont
happ?s par la mine ou l'usine ; Belges, dont beaucoup sont, non des journa
liers, mais des fermiers et souvent ne se fixent pas ? demeure. D'o?, ?gale
ment, le d?veloppement du machinisme, du reste limit?, et diverses r?per
1. A. Ars?ne Alexandre, La vie agricole dans la Picardie orientale depuis la guerre
(Etudes fran?aises fond?es sur l'initiative des professeurs fran?ais en Am?rique, quatorzi?me
cahier), Paris, Soci?t? d'?dition ?Les Belles Lettres ?, 1928, in-12, 85 p.
102 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
eussions ?conomiques qui seront signal?es plus loin. Modifications dans les
cultures : recul de la betterave devant le bl? et devant l'?levage (la betterave
exige une abondante main-d' uvre ; d'autres causes agissent ?galement dans
le m?me sens; en particulier la disparition des petites sucreries, rompant les
rapports personnels entre le cultivateur et l'usinier, semble avoir contribu?
? d?tourner le paysan d'une production devenue d'un placement d?licat).
Modifications dans les industries fond?es sur l'agriculture: crise de la brasse
rie, ? surtout crise de consommation, l'usage du vin s'?tant beaucoup r?pandu ;
crise de la distillerie ; concentration de la sucrerie, et dans l'ensemble, dimi
nution de la production sucri?re. Deux observations s'imposent : Io ces trans
formations, si profondes soient-elles, s'annon?aient presque toutes avant
guerre ; la grande secousse les a pr?cipit?es, plut?t qu'elle n'a cr?? du nou
veau; 2? d'autres transformations, qu'on e?t pu pr?voir, qu'on a quelquefois
essay? de provoquer, se sont heurt?es ? des habitudes de vie trop enracin?es
et n'ont eu qu'un faible d?veloppement : M. Alexandre note que le ? remem
brement? a ?chou? ? peu pr?s partout ? il en explique fort pertinemment les
raisons ? sauf toutefois dans le Santerre (pourquoi cette exception ? Il e?t
?t? int?ressant de se le demander)1. En terminant, je voudrais chercher une chicane ? M. Alexandre. Il se
laisse aller ? ?crire (p. 50) : ? Par temp?rament, le Picard, et, par caract?re, le
paysan sont individualistes.? Quand en aurons-nous fini avec cette psycho
logie simpliste, qui n'use de mots trop gros que pour s'?pargner les analyses
pr?cises ? Je ne sais pas tr?s bien, au fond, ce qu'est l'individualisme, ou plut?t je sais que ce terme comporte des sens multiples et tr?s diff?rents ;
comment l'appliquer, brutalement, sans d?finition et sans nuances, ? un des
pays qui ont vu se maintenir le plus longtemps les servitudes agraires collec
tives, bien mieux au pays classique du ? mauvais gr?? ?
M. B.
Le r?gime agraire de l'Europe orientale ? y compris l'Allemagne au del?
de l'Elbe ? ?tait caract?ris?, avant la derni?re guerre, par l'importance, sou
vent la pr?pond?rance, de la grande propri?t?; celle-ci, par surcro?t, avait
conserv?, dans beaucoup de pays, une allure nettement seigneuriale. Les bou
leversements politiques et sociaux, n?s de la guerre m?me ou de ses suites ont
amen?, ? peu pr?s partout, les gouvernements ? entreprendre, bon gr? mal
gr? et avec, selon les ?tats, plus ou moins d'?nergie ou m?me de s?rieux, une
redistribution des terres. M. Arthur Wauters s'est propos? d'analyser ces
diverses r?formes et leurs r?sultats, ? ceux du moins qu'il est possible de
d?gager d?s aujourd'hui2. On trouvera quelque commodit? ? avoir ainsi
rassembl?es, en un seul volume, et tr?s clairement r?sum?es, les dispositions
1. Il faut ?tre reconnaissant ? M. Alexandre de savoir, et de dire, que le ? morcelle ment ? est un ph?nom?ne tr?s ancien. Mais il a tort d'?crire que, ? depuis un si?cle, il est devenu un p?ril ? (voyez les ?conomistes du xvme si?cle l). Il fait allusion ? l'action classi quement attribu?e au Code civil. C'est se contenter d'une explication un peu rapide. Dans l'ancienne France, le seul obstacle aux partages r?sidait non dans le droit successoral (est-il besoin de rappeler que les tenures roturi?res ignoraient le droit d'a?nesse, et que la libert? testamentaire ?tait fort limit?e ?), mais dans la pratique des communaut?s familiales.
2. Lar?forme agraire en Europe, Bruxelles, L'Eglantine (Etudes politiques et sociales, X) 1928, in-12, 295 p.
HISTOIRE RURALE 103
des diff?rentes lois nationales. Les r?flexions sur les causes g?n?rales des
r?formes t?moignent d'une intelligence avertie des faits sociaux. Les consid?
rations th?oriques elles-m?mes, qu'on e?t souhait? plus concises et plus nettes,
ne manqueront pas d'int?resser. Pourtant l'impression d'ensemble est quelque
peu d?cevante. Evidemment le champ du livre est trop vaste. Chacun des pays
envisag?s a eu son histoire agraire propre, dont la ?r?forme? n'est que le
point d'aboutissement provisoire. Comment rendre compte, en quelques
pages, de cette s?rie d'?volutions tr?s complexes, souvent mal connues, tou
jours tr?s diff?rentes entre elles ? L'ex?cution m?me des lois ne saurait ?tre
correctement d?crite en dehors d'une analyse tr?s d?taill?e des milieux
sociaux et, tout d'abord, d'une soigneuse critique documentaire, qui ne
pouvaient ?tre exp?di?es en une trentaine de lignes. Que valent les statistiques
que l'on nous met sans cesse sous les yeux (je fr?mis en voyant l'assurance
avec laquelle M. Wauters (p. 233) nous parle de l'?volution de la propri?t?
dans la Chine, pr?sent?e, en son ?normit?, comme un milieu ?conomique par
faitement un ; heureusement ce n'est qu'incidemment !) ? En somme, cette
?tude comparative, en elle-m?me un peu rapide, vient trop t?t pour ?tre bien
utile.
M. B.
M. Anton Gockel1, agronome dipl?m?, rapporte d'un s?jour prolong? au
Canada un excellent livre, int?ressant ? la fois pour l'agronome, le g?ographe,
l'historien et l'?conomiste. Il a puis? sa documentation aux meilleures sources,
qui pour la plupart sont peu connues ou peu accessibles en Europe. Son
ouvrage, enrichi de tableaux statistiques et de cartes, constitue une monogra
phie compl?te du sujet. La mati?re y est abondante, quoique tri?e; l'exposi
tion bien ordonn?e et tout ? fait lisible.
Une introduction g?ographique d?crit le relief des plaines canadiennes,
leur climat et leurs sols. Un chapitre historique retrace la formation territo
riale des trois provinces de Manitoba, Saskatchewan et Alberta, le d?velop
pement des chemins de fer, la politique du gouvernement en mati?re d'immi
gration et de colonisation ; les textes l?gislatifs sont analys?s et leurs effets
discut?s.
Sous le titre ? Agriculture ?, l'auteur marque les grands traits de la pro
duction agricole, qui repose essentiellement, comme on sait, sur la culture
du bl? de printemps, puis il d?crit la technique agricole et les syst?mes d'ex
ploitation, en particulier la pratique de la jach?re qu'imposent ? la fois le
climat sec et l'?tendue des exploitations ; il consacre un paragraphe aux
ennemis des plantes et un autre au bl? canadien, ses vari?t?s, ses m?rites, etc.
L'?levage, encore rudimentaire, est trait? en quelques pages.
Les d?bouch?s et le commerce sont plus longuement ?tudi?s : importance
capitale des ??l?vateurs?, inspection et classification officielle des grains,
exp?ditions par rail et eau (les Grands Lacs} ou par rail vers l'Est et aussi,
depuis peu, vers l'Ouest (Vancouver). Dans le commerce international du
bl?, le Canada occupe une position unique, fournissant le tiers de la quantit?
1. Die Landwirtschaft in den Prarieprovinzen West-Kanadas, Berlin, Verlagsbuch handlung Paul Parey, 1928, in-8?, 140 p., 38 tableaux, 3 graph., 8 cartes.
104 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
totale de bl? offerte sur le march? mondial ? autant que les ?tats-Unis ?
et pratiquement la totalit? du bl? dur de printemps ; organisations de pro ducteurs pour la vente (pools) et essais d'entente internationale. La situation
?conomique des ? fermiers? est, au total, peu satisfaisante, avec des risques
consid?rables, des capitaux insuffisants, un besoin de cr?dit constant, et une
r?mun?ration nette inf?rieure ? celle de l'ouvrier d'industrie et surtout de
l'employ? de chemin de fer.
La production peut se d?velopper encore : soit par l'extension des ?tendues
cultiv?es dans les fermes existantes ? mais cette extension se ralentit; soit
par la cr?ation d'exploitations nouvelles ? mais, dans la zone du bl? pro
prement dite, les bonnes terres ? des distances raisonnables du chemin de fer
doivent ?tre achet?es, et les frais de production sont partout relativement
?lev?s ; soit par l'irrigation dans la r?gion subaride ? mais on rencontre ici
d'autres difficult?s, co?t de la premi?re installation, et surtout difficult?
d'?couler les produits, le bl? except?. Quant ? l'intensification de l'agricul
ture, elle est une n?cessit? si on ne veut ruiner le sol : mais elle suppose des
capitaux, de la main-d' uvre et des d?bouch?s, c'est-?-dire en d?finitive une
population relativement dense : or l'immigration n'est plus, ? beaucoup pr?s, ce qu'elle ?tait avant la guerre.
On pourra compl?ter ce remarquable travail ? l'aide d'un article r?cent
de O. E. Baker, Agricultural Regions of North America, Part VI, The Spring Wheat Region (Economic Geography, IV, 1928, p. 399-433), qui s'?tend aussi
? la r?gion voisine des ?tats-Unis : on y trouvera les m?mes questions trait?es,
d'un point de vue plus g?ographique, avec une illustration int?ressante et des
comparaisons entre le Canada et les ?tats-Unis. ?
Voir aussi : Stanford
University, Wheat Studies of the Food Research Institute, Vol. I, No. 8, 1925,
p. 217-286.
H. Baulig.
(Strasbourg.)
Histoire urbaine.
La belle synth?se de M. Pirenne sur Les villes du moyen ?ge x est la
derni?re des nombreuses publications que l'auteur n'a cess? de donner sur
cette question et qui, en dehors de la premi?re, int?ressant la ville li?geoise de Dinant, se rapportaient toutes d'une fa?on plus ou moins exclusive aux
villes flamandes. Dans le travail actuel, M. Pirenne a ?largi son sujet et, avec
les cit?s pr?c?dentes, a examin? celles de la M?diterran?e occidentale, euro
p?enne, entendez les localit?s italiennes, surtout de la plaine lombarde, et
celles de la c?te proven?ale. On conna?t la th?se ?conomique g?n?rale de
l'auteur. La mer ?familiale? du mare nostrum a ?t? d?sunie, le commerce
m?diterran?en a ?t? d?truit, non par la chute officielle de l'empire romain, les invasions et les royaumes barbares, mais par l'invasion musulmane qui,
supprimant le commerce maritime qui unit, a r?duit l'empire carolingien ?
un empire terrien compos? de domaines agricoles, o? ne se fait qu'un ? com
1. Essai d'histoire ?conomique et sociale, Bruxelles, M. Lamertin, 1927, in-8?, 203 p.
104 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
totale de bl? offerte sur le march? mondial ? autant que les ?tats-Unis ?
et pratiquement la totalit? du bl? dur de printemps ; organisations de pro ducteurs pour la vente (pools) et essais d'entente internationale. La situation
?conomique des ? fermiers? est, au total, peu satisfaisante, avec des risques
consid?rables, des capitaux insuffisants, un besoin de cr?dit constant, et une
r?mun?ration nette inf?rieure ? celle de l'ouvrier d'industrie et surtout de
l'employ? de chemin de fer.
La production peut se d?velopper encore : soit par l'extension des ?tendues
cultiv?es dans les fermes existantes ? mais cette extension se ralentit; soit
par la cr?ation d'exploitations nouvelles ? mais, dans la zone du bl? pro
prement dite, les bonnes terres ? des distances raisonnables du chemin de fer
doivent ?tre achet?es, et les frais de production sont partout relativement
?lev?s ; soit par l'irrigation dans la r?gion subaride ? mais on rencontre ici
d'autres difficult?s, co?t de la premi?re installation, et surtout difficult?
d'?couler les produits, le bl? except?. Quant ? l'intensification de l'agricul
ture, elle est une n?cessit? si on ne veut ruiner le sol : mais elle suppose des
capitaux, de la main-d' uvre et des d?bouch?s, c'est-?-dire en d?finitive une
population relativement dense : or l'immigration n'est plus, ? beaucoup pr?s, ce qu'elle ?tait avant la guerre.
On pourra compl?ter ce remarquable travail ? l'aide d'un article r?cent
de O. E. Baker, Agricultural Regions of North America, Part VI, The Spring Wheat Region (Economic Geography, IV, 1928, p. 399-433), qui s'?tend aussi
? la r?gion voisine des ?tats-Unis : on y trouvera les m?mes questions trait?es,
d'un point de vue plus g?ographique, avec une illustration int?ressante et des
comparaisons entre le Canada et les ?tats-Unis. ?
Voir aussi : Stanford
University, Wheat Studies of the Food Research Institute, Vol. I, No. 8, 1925,
p. 217-286.
H. Baulig.
(Strasbourg.)
Histoire urbaine.
La belle synth?se de M. Pirenne sur Les villes du moyen ?ge x est la
derni?re des nombreuses publications que l'auteur n'a cess? de donner sur
cette question et qui, en dehors de la premi?re, int?ressant la ville li?geoise de Dinant, se rapportaient toutes d'une fa?on plus ou moins exclusive aux
villes flamandes. Dans le travail actuel, M. Pirenne a ?largi son sujet et, avec
les cit?s pr?c?dentes, a examin? celles de la M?diterran?e occidentale, euro
p?enne, entendez les localit?s italiennes, surtout de la plaine lombarde, et
celles de la c?te proven?ale. On conna?t la th?se ?conomique g?n?rale de
l'auteur. La mer ?familiale? du mare nostrum a ?t? d?sunie, le commerce
m?diterran?en a ?t? d?truit, non par la chute officielle de l'empire romain, les invasions et les royaumes barbares, mais par l'invasion musulmane qui,
supprimant le commerce maritime qui unit, a r?duit l'empire carolingien ?
un empire terrien compos? de domaines agricoles, o? ne se fait qu'un ? com
1. Essai d'histoire ?conomique et sociale, Bruxelles, M. Lamertin, 1927, in-8?, 203 p.
HISTOIRE URBAINE 105
merce sans ?changes?. Mais, apr?s l'anarchie du ixe si?cle, au xe, avec la
stabilisation, la pacification, la colonisation g?n?rales, qu'accompagne l'aug mentation de la population, le n?goce international repara?t en deux points :
? Venise, par les relations avec la grande place de Constantinople, et dans la
plaine flamande, que d?j? industrialise la draperie, par ses rapports avec la
navigation Scandinave. Il gagne peu ? peu toute l'Europe et, en particulier,
gr?ce ? cette surabondance de population, naissent, ne peuvent que na?tre
les marchands. Ce sont ces derniers qui, se fixant aupr?s des anciennes forte
resses, civitates romaines, burgi m?di?vaux, plac?es dans des situations ?co
nomiques favorables, et y cr?ant des ?portus?, c'est-?-dire des entrep?ts
permanents de marchandises prot?g?s militairement, fondent la ville actuelle.
La ville, que ?le commerce et l'industrie ont faite ce qu'elle a ?t??, est en
somme, une colonie de marchands ; ceux-ci sont ses premiers bourgeois ; leurs
descendants feront peu ? peu une commune organis?e avec toutes ses institu
tions, organes et fonctions, adapt?es aux conditions de ce milieu essentielle
ment nouveau.
Les lecteurs de M. Pirenne retireront de son livre diff?rents avantages de
m?thode ou de fait. Ils apprendront l'art de g?n?raliser les renseignements,
trop restreints, que nous fournit le petit nombre de documents conserv?s
pour le milieu du moyen ?ge, correspondant pr?cis?ment, du ixe au xie si?cle, ? l'?poque de la naissance des villes ; ils verront aussi comment il semble
possible de suppl?er ? l'absence compl?te de textes par des hypoth?ses
qui paraissent judicieuses et solides ; ils conna?tront ?galement, lorsque, par
contre, les renseignements sont pour ainsi dire devenus trop nombreux
(p?riode communale), l'art de les synth?tiser. Ils verront ensuite comment, si
l'on veut comprendre les villes, il ne faut pas les ?tudier dans toutes les loca
lit?s qui, ? peu pr?s n'importe o? et n'importe quand, ont port? ce nom : on
doit les examiner avant tout dans une ou deux r?gions d?termin?es, telles la
Flandre et la M?diterran?e proven?ale et lombarde, o? leur formation, ?
la fois ?conomique, la?que et pacifique, a ?t? plus pure et plus parfaite et leur
d?veloppement plus intense que partout ailleurs ; on les ?tudiera, ces grands centres, ? l'exclusion des cr?ations post?rieures ou de second ordre, qui ne
sont que des ?ph?nom?nes de r?p?tition?, de pr?f?rence m?me aux cit?s
picardes, o? la violence a ?t? par trop le caract?re dominant des relations
entre la ville et l'?v?que. Ils comprendront cependant qu'entre ces derni?res
communes, dites communes jur?es, et les premi?res, la distinction qu'on a
voulu ?tablir, ?tant trop exclusivement juridique, est n?gligeable et super ficielle ; toutes ces localit?s sont des communes ou des villes ?galement. Ils
verront encore que, si on d?sire ?tudier l'ensemble de ce qu'on appelle le droit
urbain, ou mieux, les institutions urbaines, on doit consid?rer non seulement
la partie proprement juridique,constitution, justice,etc., mais aussi le c?t? so
cial, car nulle l?gislation n'a ?t? plus interventionniste que celle des bourgeois dans ce centre ?conomique qu'est la ville. Ils verront, enfin, comment, au
cours d'?tudes de cette nature, il est indispensable d'associer l'?conomie ? et
m?me la g?ographie ?conomique, ?
qui agit d'une fa?on exclusive dans la
formation de la ville et qui, dans un milieu de cette nature, ne cessera jamais d'exercer son action, avec le droit qui, demeurant par suite soumis ? cette
influence originelle, intervient lors de l'?tablissement de la commune pour la
106 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
cr?ation de la l?gislation et la fondation des organismes. Les lecteurs conna?
tront, en un mot, l'excellence d'une m?thode qui, dans ses principes, peut unir l'imagination utile ? la pr?cision indispensable, et qui, dans son applica
tion, sait utiliser les diff?rentes esp?ces de documents pour arriver ? donner
de l'?l?ment consid?r? une repr?sentation ? la fois compl?te et logique. Elle leur fera comprendre comment, telles origines ?tant donn?es, telle organisa tion a d? finalement s'ensuivre : les rapports de la cause ? l'effet et les modes
du r?sultat leur appara?tront dans des conditions aussi ?videntes et claires
que possible.
Dans son travail, M. Pirenne a fait forc?ment allusion ? la formation
topographique de la ville, qui s'est constitu?e autour de la civitas ou du
burgus. Mais il ne pouvait que signaler le fait d'une fa?on tr?s g?n?rale, en
indiquant seulement les principes essentiels de la situation et de la constitu
tion des localit?s. En Allemagne, depuis la dissertation de Fritz1, qui remonte d?j? ? 1894, toute une petite litt?rature s'est form?e sur l'histoire
du plan des villes et, en particulier, l'historien que fut Rietschel, dans son
travail connu, Markt u. Stadt2, o? il a appliqu? ? la r?gion d'entre Rhin et
Elbe les principes g?n?raux d?j? pos?s par M. Pirenne, avait trait? d'une fa?on
pr?cise ce point g?n?ral de l'histoire urbaine. En France, apr?s nous-m?me, si on veut bien nous permettre de le dire, qui n'avons d'ailleurs ?tudi? ce
sujet qu'? titre local3, M. Lavedan4 vient de publier une ?tude impor tante sur Vurbanisme. Elle s'applique, par parties ? peu pr?s ?gales, ? l'anti
quit? et au moyen age. Dans cette seconde p?riode, la seule que nous signa lerons ici, l'auteur consid?re successivement : ?le nouveau type urbain radio
concentrique, dont toutes les rues convergent vers le centre et dont le contour
est g?n?ralement circulaire? ; puis, la cr?ation urbaine en France, en Angle terre et en Allemagne ; enfin, les ?l?ments de la ville, les places et les rues :
fonctions, structure, am?nagement, atmosph?re. La centaine de pages con
sacr?es sp?cialement ? la France comprend d'abord quelques pr?liminaires sur la nature et les formes de la ville dite, par opposition ? la ville spontan?e, ville cr??e. Celle-ci, jusqu'au milieu du xme si?cle, ? n'est encore qu'un lotis
sement? plut?t qu'une ?composition?5. Viennent ensuite deux ?tudes
d?taill?es : l'une porte sur Montauban, ville fond?e en 1144 et ? laquelle l'auteur accorde une importance particuli?re ; c'est d'ailleurs une cit?, non
pas radioconcentrique, mais trap?zo?dale, qui ? par son effort, m?me harmo
1. Deutsche Stadtanlagen, Strasbourg, 1894, in-4?. 2. Leipzig, 1897. 3. La vie urbaine de Douai au moyen ?ge, t. I et IV, Paris, 1913. 4. Ce travail a paru d'abord comme these de doctorat sous le titre de Histoire de l'ar
chitecture urbaine. Antiquit?. Moyen ?ge, Paris, Laurens, 1926, in-4?, 520 p., pi., puis avec le titre de Histoire de l'urbanisme, etc.. Les ?rudits que ce genre de recherches in t?resse devront lire ?galement l'autre travail de M. Lavedan, sorte de pr?face ? celui dont nous parlons dans le texte : Qu'est-ce que l'urbanisme ? Introduction a l'histoire de l'urbanisme. Paris, Laurens, in-8?. Voy. en particulier la deux, partie : Notions g?n?rales sur le plan de ville. Ses d?terminantes : ils y trouveront des donn?es g?n?rales int?ressantes sur les villes spontan?es et les villes artificielles; l'analyse du plan et la recherche de la g? n?ratrice : route, rivi?re, montagne, etc.. ; la fonction urbaine : militaire, politique, ?co nomique ; le syst?me . les syst?mes de l'?chiquier et radio-concentrique (p. 21-82).
5. P. 300.
HISTOIRE URBAINE 107
nieux, vers une simplicit? sch?matique, annonce d?j? les monotones ?chi
quiers du xive si?cle ? * ; l'autre ?tude concerne les bastides de quatorze
d?partements du Sud-Ouest ; le chapitre se termine par quelques pages sur
les villes cr??es des autres provinces. 352 plans et 32 planches accompagnent
le volume.
L'ouvrage de M. Laved an a un r?el m?rite de principe : il ouvre la voie ?
un genre de recherches ? peu pr?s inconnu jusqu'? lui en France, du moins
dans des intentions aussi g?n?rales. En fait, tel qu'il se pr?sente, il semble le
r?sultat d'un travail s?rieux. Il est original et int?ressant, il doit ?tre lu par
tous les sp?cialistes de l'histoire urbaine ; il leur apportera des id?es sur la
situation des villes, leur formation, leur composition. Le chapitre relatif ?
l'Allemagne, en particulier, nous a paru fort clair. Mais, quel que soit l'int?r?t
de principe, encore une fois, que peut offrir ce livre, nous sommes oblig? de
faire de tr?s s?rieuses r?serves sur la partie qui concerne la France : elle ne
comprend, en effet, que les ?tudes relatives ? Montauban et aux bastides,
que l'auteur para?t avoir choisies pour des raisons personnelles ; le reste du
pays n'est pas trait? : il tient en six pages et la Flandre sp?cialement en six
lignes, et encore l'auteur ne consid?re-t-il jamais que les villes cr??es. Dans
la r?gion flamande, ? laquelle nous ne pr?tendons pas qu'il faille toujours tout
ramener, mais qui n'en a pas moins une importance que l'on peut dire fonda
mentale, M. Lavedan parle uniquement de deux villes, dont les plans sont
contraires : Bergues2, qui est une cit? radioconcentrique tr?s curieuse, en
effet, mais secondaire, et Saint-Omcr3, ville de premier ordre, dont il ne
retient que la situation g?ographique, sans s'apercevoir qu'elle pr?sente, en
somme, un plan en ?chiquier, r?sultat ?vident d'une colonisation, d'une cr?a
tion ; de ce double point de vue, elle est, sans aucun doute possible, ant?
rieure aux villes de forme analogue, que l'auteur, on s'en souvient, pr?tend ne
remonter originairement qu'au xive si?cle et, plus g?n?ralement, aux villes de
composition qu'il affirme ne pas rencontrer avant le xne. C'est tout et c'est
purement insuffisant, d'autant mieux que la Flandre pr?sente certainement
aussi des villes anciennes, ? plan sinon nettement radioconcentrique, du
moins piriforme, en forme de fuseau, telles que Douai.
Nous croyons que M. Lavedan aurait beaucoup mieux fait de se borner
tout au plus ? la France, de se limiter m?me ? une r?gion : il aurait pu ainsi
?tudier compl?tement son terrain et y consid?rer les villes spontan?es aussi
bien que les villes cr??es, car on ne comprend parfaitement les secondes qu'en les opposant aux premi?res. Il n'y a pas, en effet, dans les villes, qu'une ques
tion de disposition ; il y en a d'autres de situation et de composition, qui se
pr?sentent dans tous les centres, quelle que soit leur origine particuli?re.
L'auteur aurait encore mieux agi en n'?tudiant pas que des centres secon
daires, comme Montauban, ou m?me de troisi?me ordre, tels que les bastides,
les uns et les autres de plus en plus r?cents, allant ainsi contre le principe
essentiel que nous citions plus haut, d'apr?s M. Pirenne : ?tudier l'histoire
urbaine dans les villes de premier plan. Enfin, M. Lavedan aurait d? prendre
1. P. 309. 2. P. 257. 3. P. 247. M. Lavedan reconna?t que ? le plan acquiert une certaine r?gularit?, appar
tenant ? la cat?gorie des plans d?termin?s par une route ? ; il n'y voit donc qu'une raison g?ographique sans aucun motif historique.
108 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
garde d'?tre historien autant que g?ographe et, comme on ne peut tout appro
fondir en m?me temps, il lui aurait donc fallu se borner, surtout, encore une
fois, quand il ouvrait ? peu pr?s une voie ; c'est un m?rite que nous n'oublions
pas, mais dans des limites tr?s d?termin?es.
Les ?tudes d'histoire urbaine proprement dites ne peuvent ?tre faites sans
publications de textes. Nous devons d'abord signaler des travaux pr?para
toires aux ?ditions : ce sont des catalogues d'actes r?gionaux. On sait que la
Soci?t? d'Histoire du Droit a entrepris la recherche et la publication des
chartes de franchises et documents annexes de la France. Deux catalogues ont paru, l'un consacr? ? l'ancienne Lorraine des origines ? 1350, date per
sonnelle un peu arbitraire, par M. Edmond Perrin 1, l'autre s'appliquant au Poitou, des origines ? 1789, par Mlle Madeleine D?llay 2. En dehors
du catalogue proprement dit, chaque travail pr?sente les introductions,
notes et tables d?sirables; le second m?me poss?de une carte. M. Perrin ne
signale que les chartes proprement dites, avec leurs annexes directes, ratifi
cations, suppressions, etc. Mlle Dillay y ajoute des pi?ces compl?mentaires
qui aident ? fixer les principes du droit urbain : telles des sentences royales
r?glant des conflits de juridiction entre le maire et les officiers du roi 3. Il
para?t, en effet, n?cessaire, si l'on veut conna?tre enti?rement les principes de la vie juridique d'une ville, de ne pas se borner aux chartes de privil?ges
proprement dites. Les deux travaux de MUe Dillay et de M. Perrin sont des
uvres d'une r?elle valeur, que nous avons plaisir ? signaler et ? louer ici, en souhaitant qu'elles suscitent de nombreux imitateurs : des travaux de
cette nature d?blayent et jalonnent le terrain en attendant les ?ditions m?mes.
Nous ne pouvons d'ailleurs entrer dans le d?tail de ces recherches, qui rel?vent plut?t du droit pur et de la diplomatique que de l'?conomie : nous
regrettons simplement que l'ordre selon lequel les villes sont dispos?es, en
Lorraine, soit chronologique et non, comme en Poitou, alphab?tique. Ce que M. Perrin a eu le m?rite de cr?er, Mlle Dillay a eu la possibilit? de le perfec tionner.
Nous d?sirons cependant attirer l'attention sur une diff?rence sociale
extr?me qui s?pare les deux r?gions consid?r?es. Dans la Lorraine, pour un
espace restreint et un temps limit?, M. Perrin a pu r?unir 281 chartes relatives ? 310 localit?s : en principe, il n'y a donc m?me pas une charte par agglom? ration ; mais, en fait, il en existe quelquefois plus d'une, certaines pi?ces con
cernant simultan?ment plusieurs places. Dans le Poitou, pour un espace plus ?tendu et toute la p?riode du droit urbain, Mlle Dillay a rassembl? 100 textes,
qui se rapportent ? 13 localit?s, dont Saint-Maixent et Fontenay-le-Comte avec 10 et 12 documents, Niort avec 21 et Poitiers avec 33. La premi?re r?gion para?t donc ?tre aussi riche que l'autre est pauvre et celle-ci est d'autant plus
1. Catalogue des chartes de franchises de la Lorraine ant?rieures ? 1350 (Annuaire de la Soci?t? d'hist. et d'arch?ologie de la Lorraine, t. 33, 1924. ? Tir. ? part Metz, imp. Even s. d., in-8?, 145 p. Ce catalogue ne fait pas partie de la collection publi?e par la Soci?t? d'Histoire du Droit.
2. Les chartes de franchises du Poitou, Paris, Soci?t? du Recueil Sirey, 1927, in~8?, 105 p., une carte (Catalogue des chartes de franchises de la France, I).
3. Catalogue, p. 12, 42 ; voy. introduction, p. x-xi.
HISTOIRE URBAINE 109
pauvre que Poitiers, ? bien qu'ayant conserv? ? ainsi que Niort ? la s?rie
presque ininterrompue de ses chartes municipales ?, ne pr?sente gu?re plus de
trois dizaines d'actes. Dans l'Est, il n'existe que de simples villages ou de tr?s
petites villes, mais il y en a une profusion ; chaque localit? n'offre qu'un nombre tr?s restreint de pi?ces : suivant un usage fr?quent, la plupart re?oi vent une unique charte de franchises et vivent sur elle. Dans l'Ouest, il y a
une quantit? extr?mement limit?e de localit?s, dont la moiti? sont, en prin
cipe, relativement importantes ; mais, les plus consid?rables m?me ne sont
pas tr?s prolifiques et l'ensemble de la r?gion ne regagne pas en valeur ce
qu'elle perd en quantit? par rapport ? la pr?c?dente. Cette diff?rence tient
elle ? des raisons juridiques ou ?conomiques ? Les historiens du Poitou,
d'apr?s Mlle Dillay 1, pr?tendent que les libert?s restreintes dont les bour
geois se contentaient s'expliquent par le bien-?tre dont ils jouissaient : les
franchises existaient, en fait, ? l'?tat latent. Dans l'Est, pour lequel M. Perrin
ne donne aucune explication, l'activit? ?conomique ne semble pas ?tre plus
d?velopp?e qu'? l'Occident ; peut-?tre la vie mat?rielle ?tait-elle plus dure,
les rapports avec le seigneur plus malais?s : c'?tait un pays d'invasions. D'une
part, l'arbitraire n'existait pas ; de l'autre, on le redoutait, tout au moins.
Ou encore l'individualisme celtique de l'Ouest, l'esprit d'association germa
nique de l'Est agissaient-ils en sens contraires ? D'un c?t?, les habitants ne
tenaient pas ? des garanties, de l'autre ils en voulaient. En tout cas, quel que
soit le motif de cette diff?rence entre les deux contr?es, ? l'?gard de la vie
urbaine, le Sud-Ouest est l'une des parties mortes de la France, le Nord-Est
une des parties vivantes. La diff?rence, l'opposition m?me sont certaines, il
importait de le signaler. Comme recueil de textes, signalons un des derniers volumes de la Soci?t?
des Archives historiques du Poitou 2. Il concerne ? la commune et la ville de
Poitiers de 1063 ? 1327 ?, jusqu'? la fin des Cap?tiens : introduction de 75 pages par M. Boissonnade, recueil de textes par M. Audouin. Poitiers,
ancienne ville romaine, au xie si?cle est une villa f?odale, tout enti?re soumise
? l'autorit?, ? la juridiction des comtes-ducs du Poitou, directement dans la
cit?, civitaSy dont ils sont les souverains, indirectement dans les bourgs, burgi,
eccl?siastiques et la?ques, dont ils ne sont, en g?n?ral, que les suzerains. Au
xue si?cle, ils font entourer toute l'agglom?ration d'une nouvelle enceinte.
Il n'y a pas d'unit? dans la ville, qui n'est qu'une ? mosa?que de fiefs 3,
4ont le seul lien consiste dans la suzerainet? comtale?. Mais, ? partir de la
fin du xie si?cle, Poitiers triple d'importance et d'?tendue, renferme des
exploitations industrielles et, tr?s favorablement plac?e, devient, avec des
foires importantes, un grand march? d'?changes terrestres, fluviaux et mari
times, d?s 1082 4, apparaissent des ?cursores vendentes et ementes?, des
marchands ambulants domicili?s ? Poitiers et des mercatores de passage. Les
premiers, du moins, formeront peu ? peu une v?ritable classe sociale, dont,
une centaine d'ann?es plus tard, certains repr?sentants fonderont des halles
1. Introduction, p. xix. 2. Recueil de documents concernant la commune et la ville de Poitiers, t. I, de 1063 ?
1327, Poitiers, imp. moderne, 1923, ln-8?, lxxxviii-388 p., (Arch, histor. du Poitou
XLIV). 3. P. xxv. 4. P. xxxiv ; p. j. XI.
110 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
dans la ville et deviendront les banquiers des Plantagenets 1. Ce d?veloppe ment de population et de richesse entra?ne naturellement des d?sirs d'?man
cipation qui, en raison d'un pouvoir sup?rieur extr?mement fort, ne pourront se r?aliser que graduellement et lentement depuis le dernier quart du xie si?cle.
C'est d'abord, de 1082 ? 1126 environ, dans un but de colonisation et de peu
plement, l'octroi par les comtes de simples franchises judiciaires et civiles
sans droits politiques ni administratifs ; puis, apr?s une r?volte, la procla mation de la commune et sa suppression par Louis VII en 1138, c'est, ? partir de 1169-1178, pour des motifs politiques, la concession r?elle d'une commune
par les rois de France et d'Angleterre et, en 1204-1216, l'octroi d'un ? statut
l?gal? 2 d?finitif ? la ville par Philippe-Auguste. Ces chartes successives ne
lui ? accordent pas l'ind?pendance politique?3, mais ?elles r?alisent une
ing?nieuse r?partition des pouvoirs dans l'administration municipale ?, par ticuli?rement en ce qui touche la justice. La vie ?conomique atteint alors
son plus haut degr? de d?veloppement, surtout en raison de l'activit? com
merciale : les foires se d?veloppent encore et, en 1285, on cr?e un port sur le
Clain. Les m?tiers, de leur c?t?, s'organisent, m?me en ?communaut?s jur?es? :
tels les bouchers, par exemple.
Viennent, en second lieu, 277 pi?ces justificatives, qui commencent en
1063, ? partir de 1082 int?ressent les bourgs de la ville, et, depuis le xne si?cle, se rapportent toujours plus ou moins4 directement ? la commune. Ces
documents sont tr?s vari?s : lettres de toute origine et de toute nature, ?ma
n?es des rois, de leurs agents, des comtes, de l'?glise, de la ville, chartes de
communes, mandements, privil?ges divers conc?d?s ? la cit? ou ? des particu liers, r?les judiciaires et jugements ou r?glements de m?tiers de provenance
urbaine, actes d'origine priv?e. Les pi?ces sont, le plus souvent, publi?es
int?gralement. Pourtant, lorsqu'elles ne sont pas in?dites, elles sont parfois
simplement indiqu?es. Sont-elles perdues ? on en donne l'analyse. M. Audouin
y a joint des notes qui portent sur les points les plus divers de la constitu
tion et de l'interpr?tation des documents et, lorsque ceux-ci sont longs, s'intercalent au cours m?me des textes, qu'elles divisent en parties succes
sives.
L'histoire du Poitou est, depuis longtemps, trop famili?re ? M. Boisson
nade, elle est trop ? sa chose?, pour qu'un m?moire de lui sur la vie urbaine
de la capitale de cette r?gion ne nous en offre pas un tableau pr?cis, original et complet, bref, des plus instructifs. Peut-?tre, dans la partie ?conomique, n'e?t-il pas ?t? inutile de distinguer plus nettement l'?conomie locale des
?conomies nationale et internationale, la petite de la grande industrie, le
commerce urbain de celui d'?changes, bref, l'?conomie, qui fonctionne ?
Poitiers comme dans un domaine ferm?, de celle qui s'y d?veloppe comme
dans un march? ouvert : c'est la seconde qui a form? la ville. Mais les pages de M. Boissonnade sur les origines du mouvement communal font de son
travail une contribution d'une r?elle utilit? g?n?rale ? l'?tude de ce grand
1. P. xxxiv. Cf. sur le r?le personnel des marchands ? l'origine du mouvement urbain, Pirenne, Les anciennes d?mocraties des Pays-Bas, p. 34, 155-156 ; Les villes, p. 131, 194.
2. P. xxxviii. 3. Ibid. 4. En ce sens, certains actes concernant plut?t la ville en g?n?ral : n?? 36, 39, 56 par
exemple, comme l'indique d'ailleurs le titre du recueil.
HISTOIRE URBAINE 111
probl?me. Si on compare, en effet, cette cit? semi-m?ridionale aux grandes villes flamandes, qu'il faut toujours regarder comme des prototypes urbains,
on observe certaines analogies int?ressantes : l'influence de l'?conomie et
sp?cialement du commerce sur la formation de la ville (en tant que groupe vraiment urbain), le d?veloppement topographique de cette ville, de part et
d'autre, d?s l'ach?vement du xe si?cle, l'existence des marchands au xie,
l'absence d'unit? juridique de l'agglom?ration, sa division en civitas et en
burgi, la construction d'une enceinte commune au xne si?cle ; ? la m?me ?po
que, la formation d'une aristocratie bourgeoise, dont certains repr?sentants
jouent un r?le important, la constitution ?conomique, la?que, politique et
pacifique de la commune, le caract?re mixte publico-urbain de l'organisa tion municipale, l'absence de difficult?s s?rieuses avec les juridictions eccl?
siastiques. Signalons encore, du point de vue social, la formation rapide du
m?tier des bouchers en corporation : ce caract?re para?t ?tre assez fr?quent1 et peut ?tre attribu?, semble-t-il, ? la richesse professionnelle, qui entra?ne
la coh?sion et l'union des membres du m?tier.
Quant au recueil de textes en lui-m?me, du point de vue du choix des
actes, il n'y a qu'? louer. Les futurs auteurs de l'histoire communale de Poi
tiers y trouveront, sans doute, la plus grande partie au moins des documents
qui leur seront n?cessaires. Signalons, au titre de l'histoire ?conomique, les
pi?ces concernant les m?tiers depuis la date relativement recul?e de 1230.
Nous ne nions pas ?galement que les notes nombreuses et vari?es qui accom
pagnent le texte aient leur utilit?. Mais quelle singuli?re pr?sentation des
actes ! M. Audouin ? on en est surpris ?
ignore ? peu pr?s l'art de publier les textes. Ou bien a-t-il voulu innover ?... Ignorance ou originalit? se mani
festent ? maints d?tails : forme des tableaux des sources diplomatiques et
bibliographiques, ?
l'original est r?guli?rement-d?sign? comme ? Original? ;
un point, c'est tout ?, disposition des documents, d?coupage des pi?ces par
l'insertion de s?ries de notes ; dans celles-ci, enchev?trement complet des
notes constitutives et interpr?tatives, identifications faites au cours du tra
vail et non dans une table finale, etc.. Nous croyons que, dans un recueil de
textes, les notes interpr?tatives doivent ?tre r?duites au minimum, parce
que, si on commence, il n'y a pas de raison de se borner, et on sera toujours
insuffisant; mais c'est l? une opinion personnelle. En tout cas, un peu de
m?thode n'e?t pas ?t? inutile pour compl?ter ext?rieurement la valeur d'un
recueil qui, encore une fois, n'en est pas d?pourvu dans le fond .
En dehors de publications sp?ciales de textes, des pi?ces justificatives
ont ?t? parfois donn?es en appendice ? des histoires urbaines, dont nous avons
maintenant ? parler, en allant du g?n?ral au particulier. Nous avons ainsi ?
examiner une pr?tendue synth?se, trois histoires locales et autant de travaux
de d?tail.
Tout d'abord, M. Ottokar, en 1927, a r?imprim?, en italien, un
travail qu'il avait publi? en 1919 en russe, lui donnant le titre de La citta
1. Cf. Espinas, La vie urbaine de Douai, II, p. 601.
112 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
francesi nel medio evo1 ?. Une courte pr?face expose2 que les histoires
de communes fran?aises ne sont, trop souvent, que de ?l'abstraction facile
autant que st?rile ?, avec l'abus d'expressions telles que : ? le mouvement
communal, le droit municipal, l'?mancipation de la bourgeoisie?, au lieu de
partir de l'?tude des bases r?elles de la cit? : topographie, seigneuries ant?
urbaines, immunit?s, etc. Cinq chapitres, consacr?s ensuite aux cinq villes
de Cambrai, Noyon, Beauvais, Soissons et Senlis 3, ?tudient deux questions
particuli?res. L'une topographique : la s?paration, l'opposition m?me affirm?e
entre la civitas romaine et le suburbium m?di?val ne para?t applicable qu'aux ?
jeunes villes flamandes?, mais non aux vieilles cit?s romaines, o? ces deux
termes ont une valeur plus ind?termin?e ou plus large que dans les centres
du Nord4. L'autre juridique : la charte de commune ? l'ouvrage presque
tout entier porte sur ce second sujet ? est loin d'avoir tout ?tabli dans la
ville et l'organisation urbaine s'est r?guli?rement, et pour la plus grande part, faite en dehors d'elle. Comme conclusion5, la th?orie du dualisme urbs
suburbium, du suburbium commercial cr?ateur, de la ville ?pluralit??, de la
?table rase? de M. Pirenne, ne vaut pas pour les localit?s de fondation
ancienne ; l'auteur leur attribue, au contraire, une formation unitaire et juri
dique sous le pouvoir du ?supr?me seigneur local?.
Le titre de l'ouvrage de M. Ottokar ne correspond nullement ? la r?alit?, et cela d'un double point de vue. Il ne donne, bien entendu, aucune id?e de
a cit? fran?aise m?di?vale en g?n?ral, puisqu'il ne consid?re qu'une localit?
de l'Ile-de-France, trois de la Picardie et une du Cambr?sis imp?rial. Si du
moins l'auteur avait ?crit ? une ? cit? fran?aise I En principe, il a donc ?tudi?
seulement cinq communes, plut?t que villes, du Nord de la France, ? forma
tion ? violente? ou anti-?piscopale 6. En fait, il n'y a examin? que les deux
points indiqu?s ; encore n'a-t-il consid?r? avec quelque d?tail que pour Beau
vais la formation topographique7. Le reste de la vie urbaine est compl?te ment laiss? de c?t?. La composition du travail n?cessite donc les plus expresses r?serves. Quant ? l'expos? m?me, la question de la charte de commune8 est
trait?e avec originalit?, p?n?tration et ampleur. On a ?videmment beaucoup
exag?r? autrefois, du point de vue juridique, au d?triment du c?t? social, la
port?e r?elle des actes de cette nature dans l'ensemble des institutions muni
1. Firenze, Vallecchi [1927], in-8?, vm-233 p. (Collana Storica, xxx). 2. P. vi-vii. 3. On se demande quel motif a pu amener M. Ottokar ? choisir ces cinq villes, dont
quatre appartiennent, il est vrai, au c ur de la France et peuvent ?tre, en un certain sens, consid?r?es par excellence comme des ? cit?s fran?aises ?, mais, dont la plus septentrionale, Cambrai, n'a ?t? d?finitivement rattach?e au royaume qu'avec Louis XIV ? Serait-ce simplement qu'elles ont toutes ?t? l'objet de travaux utilisables, bien que l'auteur, nous l'avons dit, ne paraisse reconna?tre ? ces recherches qu'une valeur insuffisante ? En tout cas, ces villes, ainsi que nous l'observons dans le texte, pr?sentent l'inconv?nient d'une formation analogue. Qui conna?t en particulier une cit? picarde conna?t plus ou moins les autres. ? M. Ottokar exprime le regret que les travaux de Giry n'aient pas ?t? continu?s (p. 232, n. 1) : mais trois du moins des publications qu'il utilise sont pr?cis?ment dues ?
des ?l?ves de Giry. 4. Voy. p. 1-3, 73-81, 105-119, 176. 5. P. 224-226. 6. P. 105-119. 7. Sauf peut-?tre Senlis, et encore ; voyez Flammermont, Histoire des Institutions mu
nicipales de Senlis, p. 17. 8. On en trouvera un r?sum? dans l'article intitul? : Le r?le de la commune et de la
charte communale dans l'histoire des villes fran?aises au moyen ?ge (Revue d'Histoire du droit, IV, Haarlem, 1923). Nous nous contentons d'y renvoyer.
HISTOIRE URBAINE 113
cipales et il importe de les ramener ? leur valeur exacte. Sur ce point sp?cial et important du fonctionnement de la commune, on ne peut donc qu'approu ver l'auteur ; son travail, avec tout le d?veloppement qu'il y a donn?, m?rite
absolument d'?tre pris en consid?ration1. Au contraire, l'autre ?l?ment du
livre relatif, on le sait, ? la formation topographique et m?me personnelle de
la ville, semble beaucoup plus discutable. Nous n'avons pas mission de
d?fendre la th?se de l'origine marchande des centres urbains en g?n?ral, mais
d?t-elle ne pas s'appliquer aux localit?s picardes aussi compl?tement, avec la
m?me rigueur, qu'aux cit?s flamandes, il ne s'ensuit pas qu'elle ne soit aucu
nement faite pour elles. Les premi?res sont des agglom?rations non pas ? jeunes ? en effet, mais anciennes, tout ? la fois de composition topographique
et juridique plus complexe et de caract?re ?conomique moins accus? que les
secondes : on ne peut pas leur demander une provenance aussi nette et aussi
pr?cise, leur formation peut ?tre moins tranch?e et plus compliqu?e. Il n'en
reste pas moins qu'? l'?gard de la division urbs-suburbium, ? Beauvais, apr?s dix-huit pages de discussion, M. Ottokar aboutit ? une conclusion ? peu pr?s
analogue ? celle de ses adversaires2 : diff?rence d'appr?ciation, non oppo sition. Quant ? la doctrine de l'action des marchands, l'auteur nous promet tant ? sa place un syst?me nouveau, dont il se contente de nous indiquer le
sens tr?s g?n?ral et seulement th?orique, nous attendons qu'il ne se limite pas ? une critique purement n?gative, mais qu'il nous donne un expos? complet et concret. Nous nous demandons cependant, d?s maintenant, ne serait-ce
que pour l'une des cit?s de Picardie qui a ?t? le plus compl?tement exami
n?e3, si cette origine marchande ne pourrait ?tre d?montr?e. A l'?gard des
autres centres, et en cela nous sommes un peu d'accord avec M. Ottokar, nous nous permettrons de penser que leur ?tude pourrait peut-?tre ?tre reprise avec une m?thode plus moderne et sous une forme plus achev?e. Mais, en
attendant que des r?sultats pouvant ?tre consid?r?s comme ? peu pr?s d?finitifs soient acquis au sujet des villes picardes, nous tenons provisoire
ment la th?orie marchande pour valable ? leur ?gard, f?t-ce avec quelque ? relativit??. De m?me, sans m?conna?tre les services que le livre, dont nous
venons de parler, peut rendre aux recherches urbaines, nous pensons que l'auteur aurait pu lui donner un titre ?galement un peu plus ? relatif?.
Avec cet ?essai? (saggio) synth?tique, ont paru trois histoires locales :
celles d'une grande et d'une petite ville de la Provence, Marseille et Salon, "et celle d'une petite ville encore de la Haute-Normandie, Eu. M. L. Bourrilly, en ?crivant son Essai sur Vhistoire politique de la commune de Marseille des
origines [vers le milieu de la seconde moiti? du xne si?cle] ? la victoire de
Charles d'Anjou en 1261 *, a comme r?pondu par avance au plan de M. Pi
renne, indiqu? plus haut : les grandes communes de la M?diterran?e occiden
1. Sur ce caract?re incomplet des chartes, voyez d'ailleurs d?j? quelques mots dans Viollet, Les communes fran?aises, p. 360.
2. P. 118 ; cf. p. 225. 3. Soissons, par G. Bourgin. Voy. Le Moyen ?ge, 1909, p. 339-341 ; joindre pour lea
filiales de Soissons, p. 344-346. 4. Aix-en-Provence, A. Dragon, 1926, in-8?, vin-526 p.
ANN. D'HISTOIRE. ? ire ANN?E.
114 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
taie1, en analogie avec celles de la Flandre, ont eu une origine nettement
?conomique et une formation relativement pacifique, du moins si on les com
pare, de ce second point de vue, aux villes picardes. M. Bourrilly nous expose d'abord les origines g?n?rales de la commune de
Marseille depuis l'an mil environ : prosp?rit? ?conomique, d'ordre surtout
maritime, bien entendu, ? ? le xie si?cle a ?t? marqu? dans la r?gion par un
prodigieux bouillonnement d'?nergie et d'id?es ?2), ?
qui ranime des ?l?
ments de vie collective ; formation d'une population de ? prudhommes, bour
geois, marchands, mercatores, changeurs ?, et aussi de gens de m?tiers, patrons et ouvriers, d'esprit mobile ; par suite, d?sir des individus d'obtenir, dans
l'ordre politique comme dans l'ordre social, des garanties vis-?-vis de pouvoirs f?odaux locaux en d?cadence. L'auteur ensuite, au cours du xiie si?cle, ?tudie
et, au besoin, discute les premi?res mentions d'organisation constitutionnelle
(les consuls apparaissent en 1178). Cette organisation est encore ? rudimen
taire? au d?but du si?cle suivant. Les 200 pages qui suivent et forment le
fond du volume, donnent l'expos? chronologique de l'?tat int?rieur de la
ville pendant une p?riode d'un demi-si?cle environ. On a l? l'histoire politico constitutionnelle de la cit? : expos? de ses r?gimes successifs,
? ils furent
nombreux ? qui, tant?t eurent des origines sociales assez mal d?finies, tant?t
r?sult?rent de causes politiques d?termin?es, m?me ?trang?res; en outre, r?cit
des rapports toujours vari?s, parfois difficiles, avec les divers pouvoirs locaux ou ext?rieurs, eccl?siastiques ou la?ques, quelquefois co-adversaires de la cit? ou ennemis entre eux : villes voisines, abbaye marseillaise de Saint-Victor, vicomtes et ?voques de Marseille, comtes de Provence (Charles d'Anjou en
particulier), comtes de Toulouse. En somme, l'ascension politique se poursuit
jusqu'en 1230, ann?e o?, tout ? la fois, les Marseillais ach?vent int?rieurement
d'acqu?rir la vicomte et, pour ?chapper, ? l'ext?rieur, ? la suzerainet? du comte de Provence, se donnent celle du comte de Toulouse. Cette alliance les
jette dans des conflits incessants jusqu'au jour o? Charles d'Anjou, apr?s de
v?ritables luttes avec la commune, suivies de r?pressions, finira par mettre
la main sur elle et lui enlever son ind?pendance. De la constitution, signalons simplement, en 12123, la fondation d'une
confr?rie dite du Saint-Esprit. Cr??e sans doute sous les auspices de l'?glise et, en particulier du L?gat, ?tablie, en principe, en vue de la lutte contre
l'h?r?sie albigeoise, elle fut, en r?alit?, une sorte d'association de paix; elle
comprenait tous les citoyens de Marseille qui acceptaient d'y entrer par serment et de payer une cotisation ; elle eut ses chefs, ses recteurs ?lus, son
budget. Elle ne tarde pas ? diriger efficacement la cit? ; mais elle dispara?t en 1220. Au milieu du xiir9 si?cle4, existe un Conseil urbain : il est form? de deux ?l?ments : les conseillers ordinaires, non seulement bourgeois et
marchands, mais chevaliers, ?lus annuellement suivant un syst?me de coopta tion assez compliqu?, dans lequel figurent les chefs de m?tiers ; puis, les chefs de m?tiers eux-m?mes, nomm?s par les membres et les prudhommes des
m?tiers : c'est ici un ?l?ment tout ? fait particulier ? Marseille et en qui s'incar
1. Les villes, p. 83-84, 101, 126, 145, 155-156, 179, 195. 2. P. 5. 3. Voy. le chap. Ill, p. 46. 4. Voy. le chap. VII, p. 189.
HISTOIRE URBAINE 115
nent vraiment le gouvernement et l'ind?pendance de la cit?. Au Conseil se
joignent des assembl?es g?n?rales du peuple ou ? Parlement?, dont le r?le est
de ratification seulement, non de consultation. En r?alit?1, ?la commune
de Marseille n'avait aucun caract?re d?mocratique. Il est exag?r? et anachro
nique de l'appeler ? R?publique? : il est moins exact encore d'y voir un gou
vernement populaire : c'?tait une ?oligarchie?. Ces 250 pages de M. Bourrilly tiennent donc plus que leur titre ne le
promet. Elles ne sont pas seulement une histoire politique ; le d?but, con
sacr? aux origines et au d?veloppement de la commune, a un int?r?t social ;
le reste fait conna?tre toute la suite des constitutions urbaines. L'expos?,
pr?cis et ferme, se lit avec profit et agr?ment. Pourtant on a parfois, faut-il
l'avouer, tendance ? le parcourir. A la partie non politique, nous ne pouvons en somme, que donner des louanges ; l'autre ?l?ment para?t vraiment trop
long ou mal distribu?. Nous n'oublions pas, bien entendu, l'extr?me impor tance de l'histoire politique, souvent fondamentale,
? l'exemple de Marseille
suffirait ? le montrer : lorsque Charles d'Anjou supprime l'ind?pendance
urbaine, c'est la politique qui domine tout. Mais, ce principe une fois admis, nous nous demandons si ces longs r?cits de luttes et de d?m?l?s, tous ces noms
propres, tous ces d?tails, tout cela, en un mot, qui n'a, au fond, qu'une valeur
locale, n'aurait pu ?tre r?duit ; les r?sultats seuls importent, parce qu'ils ont seuls une port?e g?n?rale et comparative. Par contre ? si du moins les
documents le permettaient ? n'aurait-on pu chercher ? insister davantage
sur le c?t? social de la politique, les diff?rentes factions, mascarais, franciots, les causes intrins?ques de certains changements politiques, qui ne furent pas dus ? des motifs ext?rieurs ? en un mot, n'aurait-il pas ?t? pr?f?rable d'essayer
d'?tre moins narratif et plus explicatif ? Cette place exag?r?e, donn?e ? l'expos? d'?v?nements purement marseillais, est peut-?tre le r?sultat du cadre chrono
logique adopt? ; l'auteur, qui ?crit seulement une partie de l'histoire d'une ville, se trouve involontairement amen? ? accorder un trop grand d?veloppement ? certains faits, dont l'expos? serait r?duit ? de plus justes proportions dans
une histoire compl?te de la cit?. Peut-?tre y a-t-il l? aussi la cons?quence d'une faute de m?thode, qui consiste ? suivre dans le r?cit un syst?me exclu
sivement chronologique et non pas, autant que possible, m?thodique. Ces
remarques ne nous emp?chent pas de reconna?tre que le travail de M. Bour
rilly constitue enfin le premier commencement d'une histoire s?rieuse de la
commune de Marseille.
Quant aux pi?ces justificatives, nous nous permettrons de le dire fran
chement ? l'auteur, pas plus que M. Audouin il ne conna?t assez l'art, nous
ne dirons pas de les publier, car nous ne pr?tendons pas qu'elles soient repro duites incorrectement, mais de les pr?senter. Le tableau des sources diploma
tiques et bibliographiques, d'une part, la disposition des pi?ces, de l'autre,
t?moignent de peu de soin. Nous ne pouvons entrer ici dans tous les d?tails ; il suffira de rappeler, par exemple, qu'on ne place pas la date apr?s l'analyse
de la pi?ce. Autant que cela est possible, il faut num?roter les alin?as 2.
1. P. 211. 2. Les n?? 41, 45 et 46 sont num?rot?s, mais les n?g 20, 21-22, 30-31, 33-34, 36 ne le
sont pas.
116 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Ce ne sont pas l? de vaines chicanes. Les documents ne sont pas toujours d'une
?tude ais?e : facilitons la besogne du lecteur.
L'?tude du travail de M. Bourrilly doit ?tre compl?t?e par celle du compte rendu approfondi et original que M. Lab an de lui a consacr?, en s'arr?tant au
moment o? s'ach?ve l'acquisition de la vicomte par la ville (1230)1.
M. Labande s'attache ? aux origines, aux premi?res actions, aux conditions du
d?veloppement de la commune, aux acquisitions qui, en la substituant peu ?
peu aux vicomtes, lui permirent de devenir graduellement une v?ritable sei
gneurie exer?ant tous les droits de juridiction ?2. En reprenant, en parti
culier, certains actes du xne si?cle, il a pu montrer que, d?s 1136, le ? com
mune Massilie?, s'il n'?tait pas encore la commune organis?e, ? jur?e?,
autonome, ?tait d?j? Vuniversitas, la communaut?, l'ensemble de tous les
habitants, tant milites que burgenses ou mercatores, agissant comme un ?tat,
ayant au besoin des d?l?gu?s, poss?dant son domaine, son budget, mais
rest?e encore sous la direction des seigneurs locaux, vicomtes et ?v?ques.
Puis, apr?s la mention des consuls de 1178, appara?t, on s'en souvient, la
corporation du Saint-Esprit : ? ses d?buts, simple r?p?tition de l'ancienne
universit?r, elle ne tarde pas ? organiser et ? diriger la commune dont elle
?tend, par des acquisitions successives, les possessions ext?rieures comme le
domaine local. Ce passage graduel de l'inorganique ? l'organique, de l'ind?
termin? au pr?cis, de l'incomplet au complet, est en somme, absolument
normal, et on ne peut que louer M. Labande du soin avec lequel il a ?tudi? et
de la p?n?tration avec laquelle il a interpr?t? les actes, trop rares, qui nous
demeurent de cette ?poque. Si on cherche maintenant ? comparer dans leurs lignes g?n?rales une
grande commune de la M?diterran?e, telle que Marseille, aux municipalit?s
importantes de la Flandre, il semble que certains rapprochements soient
possibles. De part et d'autre, l'origine du groupe urbain est ?conomique ; son
apparition remonte au xie si?cle au moins; sa population comprend en particu lier des mercatores. La commune semble se former au xne si?cle, son organi sation appara?t vers la fin de cette p?riode ; la communaut? renferme au
moins toute la population de nature urbaine3. Le centre habit? manque d'unit? juridique et la commune cherche ? ?tablir celle-ci en ?arrondissant?
son domaine par des acquisitions : l'achat de la vicomte f?odale s'effectue
dans le Midi comme celui de la ch?tellenie f?odale dans le Nord ; l'op?ration est rendue possible, de part et d'autre, par les besoins d'argent du vendeur.
Dans l'ensemble, la formation communale est plut?t pacifique, quoique non
exempte de difficult?s. La constitution est oligarchique. Les tentatives
d'?mancipation exag?r?es de la commune vis-?-vis des princes territoriaux
aboutissent finalement, non pas ? en faire une ville libre, mais ? la faire
retomber, au contraire, sous leur domination. D'autres rapprochements seraient sans doute encore possibles, sans nier qu'il y ait des diff?rences.
i. Journal des Savants, 1926-1927. 2. Ibid., 1927, p. 75. 3. A vrai dire, une diff?rence parait exister ? cet ?gard entre les communes du INTord
et celle de Marseille : les premi?res ne comportent que la population vivant sous le droit urbain, la seconde renferme en plus des chevaliers (Bourrilly, p. 24-25, 54, 76. Labande : 1926, p. 431 ; 1927, p. 23, 74). La question aurait peut-?tre besoin d'?tre encore pr?cis?e.
HISTOIRE URBAINE 117
L'?tude achev?e des deux s?ries de villes permettra, dans l'avenir, de pr?ciser les d?tails et de ? doser? les comparaisons.
Dans la r?gion proven?ale encore, entre Marseille et Arles, se trouve la
petite ville de Salon, ? l'histoire m?di?vale de laquelle M. R. Brun a consacr?
un travail1. Plac?e dans une situation ?conomique, rurale et commerciale
? privil?gi?e?, dans une r?gion tr?s fertile, ?
pivot? de la contr?e, n?e sur un
rocher dominant la Crau, elle doit son origine ? une exploitation rurale mise
en valeur par les archev?ques d'Arles qu'une donation des rois de Provence
rendit seigneurs temporels de ce domaine. Les descendants des quelques habitants que, d?s l'?poque romaine, la culture avait pu attirer en cet endroit,
au moment de l'anarchie m?di?vale, ? la fin du ixe si?cle, durent se mettre
sous la protection de ce puissant propri?taire f?odal qu'?tait l'archev?que. Celui-ci fonda sur le rocher de Salon une sorte de ch?teau fort, un castrum.
Situ?e sur la route tr?s fr?quent?e de Marseille ? Avignon, la place devint
une esp?ce de re?ai ; au pied de la forteresse, s'?tablit un march?, une ville.
Salon ?tait donc une seigneurie eccl?siastique. Les archev?ques, qui y avaient
une r?sidence, la favoris?rent beaucoup mat?riellement par de nombreuses
mesures ?conomiques, comprenant qu'ils agissaient dans leur propre int?r?t.
Mais, ? avec un soin jaloux ?, ils tinrent absolument ? conserver les droits sou
verains qu'ils y poss?daient sans aucune restriction, en particulier la justice.
Au xme si?cle, en effet, les habitants leur sont enti?rement soumis et ne
jouissent d'aucune autonomie directe. Les pr?lats convoquent, s'ils le jugent
n?cessaire, les chefs de famille pour former le Parlementum et le pr?sident
sans voix deliberative : cette assembl?e permet ? leurs sujets d'?mettre leurs
v ux et de discuter leurs int?r?ts avec eux. Les membres d?l?guent leurs
pouvoirs ? des procureurs temporaires dits syndics, qui constituent une
assembl?e restreinte, le Conseil, s'occupant en fait des affaires courantes sans
poss?der de pouvoirs de droit. ? Ce n'?tait pas l? une organisation, ce n'?tait
qu'une participation ? la vie municipale?, et m?me, en 1354, apr?s de longs
d?bats avec l'archev?que, les habitants se virent oblig?s de renoncer ? ? toute
ombre de communaut??2.
Mais, ? la suite du d?sastre caus? par les Grandes Compagnies, de l'anar
chie qui en r?sulta, gr?ce aux efforts tenaces de la ville qui renomma d'elle
m?me ses syndics, gr?ce aussi ? l'intervention arbitrale, bienveillante m?me,
du pape entre elle et l'archev?que, de 1386 ? 1404, les habitants, en un demi
si?cle d'efforts heureux, arriv?rent ? se faire reconna?tre une organisation
communale : elle comprenait des syndics et des conseils nomm?s par le Parle
ment. La vie municipale continua d'ailleurs de marcher de compte ? demi
avec l'autorit? eccl?siastique. Les habitants furent r?compens?s de leur esprit
de suite ; seuls en face des archev?ques, ils r?ussirent finalement ? obtenir
l'autonomie administrative, ? l'exclusion d'ailleurs de privil?ges politiques :
ils formaient ce que l'on peut appeler une ? communaut? syndicale?3. Dans
l'application, ce qui frappe avant tout chez leurs dirigeants, ? c'est leur bon
sens pratique et la sage mesure qu'ils montrent dans l'organisation et l'admi
1. La ville de Salon au moyen ?ge. La vie ?conomique. Le r?gime seigneurial. Le r?gime
municipal, Aix-en-Provence, impr. universitaire de Provence, 1924, in-8?, 385 p. (Publica
tions de la Soci?t? d'Etudes proven?ales, vi). 2. P. 127. 3. P. 6.
118 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
nistration de la cit? : le souci des int?r?ts g?n?raux de la communaut? et
l'esprit de loyaut? et de justice qui les animaient, permirent en effet ? la ville
d'acqu?rir une prosp?rit? remarquable?1.
Dans la vie ?conomique, notons ? un ?miettement de la propri?t?, com
parable au morcellement actuel?. La base de l'?conomie ?tait l'?levage, qui
avait une grande importance et entra?nait la transhumance de la Crau aux
Alpes ; les sous-produits, laine et cuir, ?taient trait?s sur place ou export?s.
A la fabrication du drap se rattachait un monopole assez curieux, celui de la
mati?re tinctoriale, la cochenille, appartenant aux archev?ques. On sait
que ces derniers, par une s?rie de mesures, s'int?ress?rent r?ellement ? l'en
semble de l'?tat ?conomique.
L'histoire de Salon conduit ? deux conclusions essentielles : dans sa for
mation, la ville est sortie d'un castrum militaire d'origine seigneuriale et
d'une ville ?conomique de provenance priv?e ; dans son fonctionnement,
cette seigneurie eccl?siastique est gouvern?e par une autorit? religieuse, qui
la dirige avec bienveillance, la suit avec int?r?t, mais la domine dans un
esprit enti?rement anti-communal2. Ces deux faits n'ont rien d'original
par eux-m?mes ; il n'en est que plus int?ressant de les signaler dans le Midi.
L'ouvrage de M. Brun est, dans l'ensemble, un bon travail, le sujet bien
compris et clairement trait?. On souhaiterait simplement un peu plus de
fermet? dans l'expos?, parfois assez l?che. Deux r?serves doivent cependant
?tre faites, concernant, l'une la g?ographie, l'autre l'?conomie. La formation
de la ville est expos?e presque en deux fois3 et finalement d'une fa?on
insuffisante ; pas de plan. D'autre part, le travail d?bute par une partie ?cono
mique, ?les institutions d'un centre agricole s'inspirant directement de
l'?tat des cultures et de la nature m?me du sol?4. Nous ne pourrions que
nous incliner devant cet hommage rendu ? l'?conomie, si M. Brun s'?tait
born?, en effet, ? d?crire exclusivement le sol et les cultures, bref, s'il n'avait
expos? que l'?l?ment r?el, technique des choses ou, si l'on pr?f?re, s'il n'avait
donn? que la g?ographie ?conomique. Mais, dans la partie r?elle, il a
examin? aussi l'industrie et le commerce ; bien plus il y a trait? ?galement
du mode d'exploitation juridique du domaine ; ? titre social encore, il a parl?
des corporations et de l'apprentissage et enfin, du point de vue politico-finan
cier, il a expos? les encouragements du seigneur ? l'?tat ?conomique : en un
mot, il a d?crit tout ce qui est d'ordre personnel. Ce syst?me est absolument
illogique : en principe, le c?t? ?conomique personnel ne saurait ?tre une
cause de la ville, il en est, tout au contraire, une r?sultante, puisque, sans elle,
il n'existerait pas ; en fait, ce plan nous conduit ? cette cons?quence sin
guli?re que nous entendons parler de Salon et de son seigneur, sans, qu'en
r?alit?, nous sachions m?me s'il y a une ville et un archev?que. L'exploita
tion ?conomique s'est-elle cr??e toute seule ? C'est une v?ritable p?tition de
principe et l'expos? des institutions ?conomiques devait ?tre plac? apr?s
l'histoire de la ville et de l'autorit? eccl?siastique, dont ces institutions pro
c?dent. ? Notons encore, dans le m?me ordre d'id?es, une appr?ciation de
nature sociale : ? Nous n'avons rencontr? ? Salon, dit M. Brun, aucune trace
1. P. 270. 2. Cf. plus loin pour le Dauphin?. 3. P. 19 et 78. 4. P. 7.
HISTOIRE URBAINE 119
de ces r?glements corporatifs qui paralysaient l'initiative individuelle. Les
M?ridionaux ?taient hostiles ? leur introduction n1. Cette ex?cution som
maire des corporations, nous nous permettrons de le dire ? l'auteur, est tout
ce qu'il voudra, sauf de l'histoire. Ce n'est pas, bien entendu, le principe,
l'usage des corporations, qui est condamnable, c'en est la d?formation, le
d?r?glement. Les critiques, que M. Brun adresse ? l'esprit corporatif, l'esprit individualiste en m?rite, en son genre, de tout aussi vives et m?me de plus
profondes, car il va de soi que l'id?e et la vie de soci?t? sont toujours pr?f? rables ? l'id?e et ? la vie d'isolement. Naturellement, aucun des deux sys t?mes ne constitue le rem?de ? tous les maux. Ce que l'on pourrait peut-?tre
dire de plus g?n?ral et de plus juste ? leur sujet, c'est que l'un et l'autre ont
pu rendre des services diff?rents suivant les p?riodes, les situations ?cono
miques : l'individualisme servit surtout ? cr?er, dans les ?poques de formation
et de d?veloppement plut?t faciles ; l'association aide ? maintenir, surtout
dans les ?poques difficiles de luttes et de concurrence. C'est presque un
truisme de remarquer que l'histoire est souvent une s?rie d'actions et de r?ac
tions et que les abus d'une organisation sociale extr?me conduisent presque
forc?ment ? ceux d'une forme sociale oppos?e : si la corporation fait d?faut,
on tombe dans l'anarchie de l'individualisme ; si, inversement, elle d?g?n?re en tyrannie, cette anarchie se fait cependant presque pr?f?rer ? l'oppression contraire. Au pouvoir politique ? essayer de maintenir l'?quilibre n?cessaire.
Poussons maintenant vers le Nord. Mlle S. Deck a ?tudi? la petite ville
d'Eu2, ? la plus ancienne commune normande ?, depuis son origine en 1151,
jusqu'? 1475, ann?e o? la cit?, sur l'ordre de Charles VII, fut compl?tement
d?truite pour emp?cher les Anglais de s'y installer : elle ne se releva jamais.
Plac?e dans une situation militaire et ?conomique assez avantageuse, a
l'endroit o? la Bresle commence ? devenir navigable, cette ancienne ville
romaine fut d'abord un castrum, autour duquel, en particulier gr?ce au d?ve
loppement des relations commerciales avec l'Angleterre, se forma une ville.
En 1115, apparaissent des burgenses, des ? tenanciers en bourgage ? : ce sont
eux qui, en 1151, obtiennent du comte d'Eu une charte communale ? secun
dum usus et consuetudines et scripta Sancti-Quintini?, sans qu'on voie pr?
cis?ment le motif de ce lien, qui d'ailleurs dut se borner ? ? l'application des
principes de droit commun?. L'octroi de cette charte accentua le d?veloppe
ment de la ville, dont MUe Deck nous d?crit d'une fa?on tr?s g?n?rale la topo
graphie ; elle grandit ? un point tel qu'un peu avant le milieu du xive si?cle
elle para?t avoir atteint un chiffre de population qu'elle ne retrouva plus :
avec la peste de 1348 s'ouvrit ? une s?rie de calamit?s et de malheurs inou?s?
et, au xvme si?cle, le chiffre des habitants avait probablement diminu? par
rapport au nombre du moyen ?ge. Eu jouit d'une constitution ind?pendante
avec un maire, des ?chevins et un Conseil, qui se recrutaient par cooptation,
mais sans que l'on puisse savoir s'il existait des assembl?es de la communaut?.
1. P. 70. 2. Une commune normande au moyen ?ge. La ville d'Eu. Son histoire, ses institutions
(1141-1475), Paris, Champion, 1924, in-8?, xxiv-315 p., une pi. (Biblioth?que de l'Ecole
des Hautes ?tudes, se. philolog. et historiques, ?asc. 243).
120 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
La justice ?tait partag?e avec le comte, auquel revenait, en particulier, la
haute justice. A titre ?conomique, la ville n'acquit jamais une importance internationale. M?me au moment de son apog?e, l'?conomie rurale y garda
une place consid?rable ; les terrains de culture, les pr?s m?me rest?rent nom
breux ? l'int?rieur des murs ; l'industrie et le commerce appartenaient avant
tout ? un n?goce sans ?change, concernant de pr?f?rence l'alimentation : on
fabriquait principalement et on exportait un peu de drap ; on importait un
peu de vin d'Espagne. Mais ce fut pr?cis?ment cette ?conomie de caract?re
mixte, demeur?e en partie agricole, ce peuplement de cultivateurs qui conser
v?rent ? la ville cette nature moyenne, qui lui firent cette histoire calme que n'ont pas les cit?s industrielles du Nord. Et finalement, apr?s toutes les
?preuves de la Guerre de Cent Ans, Eu sentira la n?cessit? de l'autorit? et se
laissera glisser sans r?sistance dans les mains du pouvoir royal, qui l'absorbera
ou la dominera politiquement et financi?rement. ? Ajoutons qu'un plan de
1615-1620 est joint au travail.
L'histoire de la commune d'Eu para?t conduire aux conclusions essen
tielles suivantes. La formation de cette petite ville, pour des raisons d'?cono
mie p?cuniaire, s'est faite par l'accouplement d'un burgus et d'un castrum ; son existence montre une influence apaisante de l'?conomie rurale, qui n'a pas ?t? si accus?e que la vie industrielle et commer?ante n'aie pu, ? l'origine, exercer une action fondamentale en faveur de l'?tablissement et du d?velop
pement de la cit?, mais qui est toujours rest?e assez forte pour produire, au
cours de son histoire, une influence mod?ratrice dans la forme : ces deux
actions contraires se sont ainsi pouss?es et retenues successivement ; la fin
de la commune la fait voir s'annihilant pour des motifs politiques au profit du pouvoir central.
M1Ie Deck a parfaitement saisi la physionomie de cette ville moyenne et
nous en a donn? une tr?s s?rieuse ?tude ; elle a su tirer le meilleur parti des
restes des archives d'Eu. Nous aurions seulement d?sir? voir l'auteur insister
? un moindre degr? sur l'histoire militaire, d?velopper au contraire davantage la partie topographique et am?liorer la r?daction de l'?l?ment ?conomique :
les deux derni?res remarques, on s'en souvient, ont d?j? ?t? faites ? prop s
du travail de M. Brun. Dans l'ensemble, n?anmoins, les deux histoires locales
pr?c?dentes montrent qu'il ne manque pas en France de centres secondaires
m?ritant d'?tre ?tudi?s et pouvant donner lieu ? des travaux d'un r?el
int?r?t.
Nous passons aux recherches sp?ciales. M. Bourde de la Rogerie a
?tudi? les fondations de villes et de bourgs en Bretagne du XIe au XIIIe si?cle *,
apr?s la p?riode normande, ? l'?poque de l'unification de la r?gion et de son
gouvernement par la f?odalit?, de 995 ? 1213 : le r?gime f?odal cr?e le syst?me des seigneuries ayant pour capitales les demeures des seigneurs dans leurs
ch?teaux aupr?s desquels se forment les villes et les bourgs. La ville bretonne
est ? tout groupe de maisons b?ti aux abords ou sous la protection d'un ch?
teau fort ou d'une abbaye, ce groupe f?t-il peu important ou m?me tout
1. M?moires de la Soc. d'hist. et d'arch?ologie de Bretagne, 1928. ? Tir. ? part, 38 p.
HISTOIRE URBAINE 121
? fait insignifiant?, et le bourg est ? l'ensemble des maisons group?es sur un
fief aupr?s d'un ch?teau?. Sauf cinq villes d'origine romaine et cinq autres
d'origine religieuse datant du vie si?cle, toutes les villes bretonnes, grandes et petites, naissent ou deviennent telles post?rieurement au xe si?cle. R?serve
faite de Saint-Malo et peut-?tre de Pornic, aupr?s d'un ch?teau fort ou, tr?s
rarement, d'une abbaye chef-lieu d'une seigneurie, des hommes d'armes, des
r?fugi?s, des marchands viennent b?tir des maisons ; le seigneur y joint une
?glise dont il confie le service ? des B?n?dictins appel?s de France ; ceux-ci en
outre re?oivent, pour eux directement, comme pour leurs futurs vassaux, qui n'obtiennent jamais de concessions personnelles, des privil?ges divers, en
particulier ?conomiques ; la transformation possible du sanctuaire-prieur?
primitif en ?glise paroissiale r?serv?e ? un cur?, ach?ve de constituer le lien
et d'assurer l'autonomie du groupement. Les seigneurs, qui furent les initia
teurs, les religieux, les marchands, concourent donc ? la formation de nou
velles villes ; en d'autres provinces, si le march? a appel? la forteresse, en
Bretagne, c'est la forteresse qui a fait na?tre le march?. Quelquefois les abb?s
f?odaux remplacent les seigneurs la?cs comme fondateurs. Dans l'ensemble, la f?odalit?, quoique rigoureuse, est donc fondatrice et cr?atrice, mais la
d?pendance de la classe servile explique l'absence de vi?les franches ou sau
ve t?s.
Cette formation g?n?rale s'applique d'abord aux villes de l'int?rieur qui,
pour la plupart, ne prirent qu'un d?veloppement assez limit?, mais elle vaut
aussi pour les villes de la c?te dites ? fluvio-maritimes ?, situ?es au d?but de
l'estuaire des fleuves c?tiers, l? o? s'arr?te la mar?e et o? les routes parall?les aux c?tes franchissent la rivi?re : ces localit?s, portes commerciales et surtout
lieux de passage, r?sist?rent mieux que les pr?c?dentes ? la d?cadence. Enfin, au bord de la mer existent deux villes, Pornic, de formation inconnue, et
Saint-Malo qui, par sa situation g?ographique et son r?le comme lieu d'asile, attira les ?trangers. Ces deux derni?res cit?s servirent en quelque sorte de
mod?le ? toutes les villes maritimes proprement dites dont, depuis le xnr3
si?cle, le d?veloppement de la p?che et du cabotage amena la cr?ation ? l'em
bouchure des cours d'eau, au d?triment des localit?s plus anciennes situ?es
au fond des estuaires.
Cet article original et int?ressant, o? pr?cis?ment la g?ographie s'unit ?
l'histoire, m?rite d'autant plus d'?tre signal? qu'il attire l'attention sur une
province rest?e jusqu'ici un peu en dehors des recherches urbaines. L'auteur,
qui a su tr?s bien distinguer les diff?rentes cat?gories de villes, dans l'en
semble n'a pu consid?rer ?videmment que des centres secondaires. En Bre
tagne cependant, on peut constater que les m?mes ph?nom?nes g?n?raux
qu'ailleurs, et au m?me moment, se retrouvent et s'associent. La politique et l'?conomie s'unissent et agissent, mais la petitesse des agglom?rations fait que c'est l'?l?ment politique, repr?sent? par le seigneur, qui joue un r?le
actif ; l'?l?ment ?conomique, les habitants, gardent un r?le passif, qu'accuse encore leur absence juridique de libert?. Mais, ? cet ?gard, si on examine
partout le m?me ordre de localit?s, la Bretagne ne semble pr?senter aucun
caract?re particulier par rapport ? d'autres r?gions. Il n'en est pas autrement,
quoi qu'en pense l'auteur, au sujet de l'?l?ment militaire, de l'action de la
forteresse. Partout le march? s'est form? autour et sous la protection de la
122 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
forteresse originelle pour appeler au besoin, si le d?veloppement urbain
l'exige ensuite, une seconde protection militaire par une nouvelle ligne de
fortifications. La caract?ristique de la Bretagne para?t r?sider bien plut?t dans le c?t? religieux, en raison du r?le absolument essentiel que le clerg?
r?gulier y joue ? titre d'interm?diaire entre le pouvoir et les habitants. M. de
la Rogerie aurait pu, peut-?tre, le faire ressortir davantage et aussi insister
plus qu'il ne l'a fait sur les causes initiales du mouvement urbain, avant de
d?crire la fondation des villes, exposer les raisons premi?res de leur appa
rition.
Enfin, nous devons ? M. Perrin, que nous avons d?j? lou? pour son cata
logue des chartes de franchises de la Lorraine, deux autres travaux un peu
sp?ciaux. Le premier, qui se relie d'ailleurs en principe au pr?c?dent, concerne
la bourgeoisie dauphinoise d'apr?s les chartes de franchises1. Celles-ci sont
conc?d?es par le seigneur aux habitants du burgus fortifi?, d?nomm?s par
suite burgenses. La plus ancienne est de 1164 ; toutes se ressemblent beau
coup d'ailleurs, mais s'il y a imitation, il n'y a pas filiation, interpr?tation,
appel d'une charte ? l'autre. En g?n?ral, elles ont comme origine une vente
faite par le seigneur dans un but p?cuniaire aux bourgeois qui, dans un int?r?t
?conomique, d?sirent ?tre prot?g?s; les seigneurs eccl?siastiques, en parti
culier, sont extr?mement r?fractaires ? des affranchissements. Les chartes
ont un caract?re territorial, s'appliquant ? la ville et ? son ? mandement ?,
la banlieue. Leur fin g?n?rale est la substitution du droit fixe ? la coutume
arbitraire. Certains privil?ges sont, en fait, communs ? l'ensemble des loca
lit?s : concessions juridiques, militaires, financi?res et ?conomiques..Les pri
vil?ges politiques, au contraire, varient suivant le degr? d'autonomie de la
communaut?. Le fait capital est la vente ? cette derni?re, par le seigneur, de
services publics tels que les fortifications, avec les profits et les charges qu'ils
entra?nent, perception des imp?ts et choix des agents. A cette autonomie se
rattache l'institution des consuls ?lus par la ville, la repr?sentant, mais tenant
du seigneur leur investiture. Aucune commune n'est d'ailleurs absolument
libre et m?me, apr?s une v?ritable r?volution contre le seigneur, un compromis finit par s'?tablir entre les deux pouvoirs. Le mouvement communal est
parti des localit?s importantes et finalement, gr?ce ? ces chartes de franchi
ses, les burgenses sont venus s'intercaler entre les chevaliers et les paysans. ?
Cet expos?, r?dig?, bien entendu, d'un point de vue purement juridique, et
non social, d'apr?s les seules chartes de franchises, est tr?s plein, tr?s bien
compos? et des plus int?ressants : il n'y a simplement qu'? en f?liciter l'auteur,
d'autant plus qu'il a ?tabli ce m?moire tr?s condens? sur un terrain ? peu pr?s
vierge : souhaitons que cette exploration scientifique s'?tende peu ? peu aux
r?gions encore inexplor?es de la France. On remarquera que, dans ces loca
lit?s secondaires d'une r?gion montagneuse peu d?velopp?e ?conomiquement,
l'impulsion d'affranchissement peut ?tre due ? des raisons commerciales,
mais non ? une colonisation marchande. On notera, une fois de plus, l'oppo sition de l'?glise.
L'autre sujet trait? par M. Perrin concerne ce que l'on peut appeler la
1. Annales de l'Universit? de Grenoble, Nouv. s?rie, II, Grenoble, imp. Allier, 1925, in-8?, 96 p.
HISTOIRE URBAINE 123
d?mographie urbaine m?di?vale1. L'auteur a ?tudi? le droit des bourgeois et
r immigration rurale ? Metz au XIIIe si?cle, exactement de 1239 ? 1242 et de
1286 ? 1290, gr?ce ? des documents que M. Prost a l?gu?s ? la Biblioth?que na
tionale. Ils donnent la liste des individus ? receus por manants ? ? Metz et ayant, lors de la r?ception, pr?t? le serment de ? feautei? au Magistrat. Les admis
sont, pour les deux p?riodes successives, 334 et 458. Aux xme et xive si?cles, le terme de manant est, sans aucun doute, synonyme de celui de bourgeois,
bien que, d?s la fin de la premi?re p?riode, il se compl?te r?guli?rement de
l'expression de ? bourgeois
? d'abord, puis de celle de ? citain ?, qui triomphera d'une fa?on d?finitive. L'emploi exclusif du vocable de manant permet de
supposer qu'au d?but le droit de bourgeoisie ?tait li? obligatoirement ? la
r?sidence dans la ville. En effet, de 1239 ? 1242, tous les nouveaux bour
geois doivent ?tre des immigrants, auxquels le s?jour maximum d'un an dans
la ville a impos? l'obligation d'en devenir membres juridiques. Au contraire, en 1286-1290, plusieurs habitants de Metz y sont tol?r?s, m?me longtemps, comme simples forains, avant d'entrer, s'ils le d?sirent, dans la communaut?.
D'une date ? l'autre, le vieux principe imposant ? tout habitant cette affi
liation avait donc perdu de sa rigueur primitive. On ignore d'ailleurs, au
xme si?cle, les conditions de l'admission ? la bourgeoisie ; ? l'?poque suivante,
elles sont assez difficiles.
D'autre part, les textes de M. Perrin montrent un courant d'immigration vers Metz et un effort du corps municipal pour incorporer les non-bourgeois aux bourgeois, peut-?tre dans un int?r?t fiscal. Le lieu d'origine des bourgeois n'est pas toujours donn? (697 fois sur 816) ; n?anmoins, on obtient un total
de 100 localit?s d'?migration. Mais il est difficile de toujours arriver, pour ces
derni?res, ? un r?sultat pr?cis : certains noms de lieux ne peuvent ?tre identi
fi?s, d'autres ne comportent qu'une identification douteuse, d'autres enfin en
pr?sentent plusieurs possibles. On peut cependant d?duire quelques conclu
sions. Dans les deux p?riodes consid?r?es, la zone d'?migration est demeur?e
la m?me ; la m?me localit? fournit rarement plusieurs emigrants et il serait
exag?r? de parler de centres de d?part. Dans l'ensemble, il y a d'abord une
forte zone d'?migration voisine de nature rurale, dans laquelle la densit?
d'envoi de chaque r?gion particuli?re para?t ?tre, en moyenne, proportionn?e ? sa population ; vient ensuite une zone pauvre, excentrique, compos?e d'une
cinquantaine de loca1 t?s r?parties sur un tr?s vaste territoire s'?tendant
jusqu'? Arras, Pari iontpellier et Asti et o? chaque agglom?ration d'envoi
n'a fourni, en g?n i, qu'un unique emigrant ; cependant, de 1286 ? 1290,
Luxembourg en ane huit. Le milieu rapproch? des campagnes s'oppose
ainsi, et naturellement, aux villes ?loign?es isol?es. Pour ce premier point, le ph?nom?ne commun le plus important est donc l'absence de centres d'?mi
gration intense. Quant aux causes de d?part sp?ciales ? chaque localit?, elles
ne peuvent ?tre, en th?se g?n?rale, que de deux sortes : le m?tier de Immi
grant, les facilit?s qui lui sont accord?es pour gagner la ville, mais on ne sau
rait les pr?ciser en d?tail. Enfin, par rapport ? la population totale de Metz,
le nombre des immigrants devait en ?tre la centi?me partie. En somme, Metz
1. Annuaire de la Soci?t? d'Histoire et d'Arch?ologie de la Lorraine, t. XXX [1921] et XXXIII, 1924. ? Tir. ? part, Bar-le-Duc, impr. Contant-Laguerre, 1924, in-80, 133 p., une carte.
124 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
?tait un centre d'attraction et le mouvement d'immigration urbaine de cette
?poque, prouvant la mobilit? de la population m?di?vale, ne souffre pas de
doute. Le texte des documents et une carte des lieux d'?migration terminent
le travail.
Nous nous sommes ?tendu un peu longuement sur ce court m?moire, en
raison de l'int?r?t de principe qu'il offre, et aussi des difficult?s de r?daction
qu'il pr?sentait : la lecture des pi?ces a ?t? souvent malais?e, on n'est pas
toujours renseign? sur les conditions requises pour ?tre bourgeois et on l'est
parfois insuffisamment sur les origines des emigrants. Un travail de cette
nature peut para?tre se r?duire ? peu pr?s ? la confection de fiches, tableaux
et cartes : il est tr?s loin d'en ?tre ainsi. Nous f?licitons d'autant plus M. Per
rin de s'?tre tir? heureusement de cette t?che malais?e que nous avons pass?
par les m?mes ? ?preuves
? pour une ville flamande1. Nous ne ferons de
r?serves que sur deux points, l'un juridique, l'autre d?mographique. Tout
d'abord, M. Perrin dit2 qu'il n'y avait pas de manants ? de r?sidents non
bourgeois, on le sait ? dans certaines villes du Nord, pas plus qu'il n'en a
exist? ? Metz, du moins dans la premi?re p?riode ?tudi?e. Nous regrettons de continuer ? ?tre d'un avis oppos? sur cette question. Il se rencontrait
certainement des manants dans la Flandre comme il s'en est trouv? dans l'Est
pendant la seconde p?riode consid?r?e et, bien mieux, nous dirons qu'il ne
pouvait gu?re ne pas en exister, certaines conditions ?tant pos?es : du mo
ment qu'une bourgeoisie ne se recrute pas que d'une fa?on interne au de
dans d'elle-m?me, ou ne se recrute pas que par des immigrants, comme ?
Metz, en 1239-1242, la population qu'on peut appeler urbaine se compose
forc?ment de trois classes au moins, les bourgeois, les manants et les forains.
En outre, il manque dans le travail la liste et, sur la carte, l'indication des
localit?s ayant envoy? plus d'un emigrant : ? cet ?gard, ce travail de statis
tique est nettement en d?faut.
L'examen de la m?thode employ?e pour r?diger ce m?moire montre que, en analogie avec le livre de M. Pirenne, une utilisation du droit et de l'?cono
mie, une union des connaissances juridiques et ?conomiques a ?t? n?cessaire.
Le travail se compose, en effet, de deux parties : l'examen de la question du
droit de bourgeoisie, probl?me plut?t juridique, l'?tude de l'immigration des
?trangers, recherche surtout sociale. Il est donc indispensable, si l'on veut
traiter parfaitement l'ensemble du sujet, de se placer successivement aux
deux points de vue et de consid?rer chaque ?l?ment dans un esprit diff?rent.
N?anmoins, cet esprit, de part et d'autre, ne doit pas ?tre exclusif : le droit de
bourgeoisie, ses principes, ses modifications, ne se comprennent enti?rement
que si on conna?t compl?tement aussi le milieu social dans lequel il s'est form?
et a ?volu? : des raisons purement fiscales peuvent, en effet, intervenir pour
le modifier, comme l'a remarqu? M. Perrin3. L'?migration, de son c?t?, ne
s'explique clairement que si on distingue bien les droits que viennent chercher
les nouveaux bourgeois et dont ils veulent jouir, bien que certains, finale
ment, ne d?sirent plus les acqu?rir et restent manants : le voyageur part
emigrant pour des raisons sociales et arrive immigrant pour des causes juri
1. Voy. La vie urbaine de Douai, I, 1913. 2. Annuaire, t. XXX, p. 531, 534. 3. P. 551, 565.
HISTOIRE URBAINE 125
diques. La m?thode ne peut donc pas ?tre absolue, mais doit associer des
points de vue divers ; cette union fait, ? la fois, la difficult? et l'int?r?t de travaux de cet ordre. Nous voudrions les voir se multiplier par l'utilisation
des nombreux registres de r?ception des bourgeois que renferment, par
exemple, les archives de plusieurs villes du Nord de la France.
***
Concluons. Des travaux pr?c?dents, on le voit ais?ment, les uns sont de
caract?re synth?tique, les autres de nature sp?ciale. Des premiers, seule
l'?tude de M. Pirenne r?pond ? son titre et a vraiment une port?e g?n?rale ; les deux autres, les travaux de MM. Lavedan et Ottokar, n'y correspondent
pas et ne sont, en r?alit?, que des recherches particuli?res. Les publications de d?tail, en moyenne, sont bonnes et utiles, parfois m?me, pour les cata
logues d'actes, excellentes, et pour la question des origines, approfondies : ?
l'?gard de celles-ci, elles sont d'autant plus fructueuses que, comme on a pu s'en rendre compte, elles paraissent bien apporter, en faveur de l'histoire
g?n?rale, des preuves ? l'appui d'affirmations d'abord conjecturales sur
l'apparition des villes : action de l'?conomie, r?le des marchands, formation
des cit?s. Qu'il s'agisse de continuer ou de perfectionner, il semble que ce soit
du c?t? des publications locales qu'il faille, de pr?f?rence, orienter les recher
ches urbaines : leur d?veloppement seul permettra d'?tablir d?finitivement
les synth?ses et, d?s maintenant, il suffit de quelque esprit de g?n?ralisation
pour les rendre vraiment int?ressantes, leur donner r?ellement une valeur
comparative. Mais nous nous permettrons d'attirer pr?alablement l'attention des ?rudits sur quelques questions de m?thode. Il para?t ?tre au moins utile
de commencer toute histoire d'une ville par un expos? g?ographique : situa
tion, formation, plan de la cit? ; au besoin, mais du seul point de vue de la
production, ?conomie rurale de la r?gion. On doit en outre, dans ce genre
d'?tudes, donner tous ses soins ? la partie ?conomique. Les auteurs, r?guli? rement, ne paraissent avoir ni la compr?hension exacte ni les connaissances n?cessaires pour la traiter avec toutes les dispositions voulues et toute la
p?n?tration d?sirable : ils ne comprennent pas suffisamment son r?le et ils n'en saisissent pas compl?tement tous les d?tails : ils commettent m?me quel quefois des fautes lourdes ? son sujet. Ajoutons qu'en g?n?ral ces recherches, et m?me les meilleures, paraissent trahir quelques insuffisances de lecture ; elles sont r?dig?es ? titre trop exclusivement local. Le mouvement communal a ?t? national, international m?me. Les rapprochements, l'histoire compar?e, sans doute, ne sont pas une fin, mais un moyen ; n?anmoins, ils ?clairent, confirment et ?largissent l'histoire et tel fait, telle institution d'une cit? de l'Ouest ou du Midi, rapproch?s d'un ?v?nement ou d'un organisme analogues
d'un centre du Nord, voient leur valeur, leur signification se pr?ciser et leur
port?e s'accro?tre. Il ne doit exister en histoire de science du d?tail que dans la mesure o? le d?tail peut servir ? l'?tablissement de conclusions d'ensemble.
Georges Espinas.
(Paris.)
126 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Histoire Commerciale
Un pr?tendu drapier milanais en 926. ? En 926, raconte Liutprand
de Cr?mone, le duc Burchard de Souabe, se trouvant devant Milan, eut le tort
de confier ? ses compagnons, sans baisser la voix, les noirs projets qu'il avait
form?s contre la ville. Un pauvre homme l'entendit, qui par hasard savait
l'allemand et courut tout rapporter ? l'archev?que. Une gloire posthume inattendue ?tait r?serv?e ? ce polyglotte en guenilles. Liutprand le traite,
pr?cis?ment, de loqueteux (pannosus). L'historien allemand Schaube comprit
drapier (de pannus, ?toffe) et tira argument des connaissances linguistiques
poss?d?es par ce pr?tendu n?gociant pour conclure ? un commerce du drap entre l'Allemagne et l'Italie. M. Pirenne, qui ne croit pas ? l'existence de
grands courants commerciaux au xe si?cle, d?nonce le contre-sens. ?
Marc Bloch.
(Studi Medievali, Nuova Serie, t. I, fase. 1, 1928, p. 131-133.)
I libridi commercio d?lia Compagnia dei Peruzzi di Firenze. ?
Ce sont quatre manuscrits conserv?s ? la Riccardiana, de Florence, ?crits de
1308 ? 1345, mais contenant des mentions relatives aux ann?es pr?c?dentes,
depuis 1280. M. Armando Sapori, en appendice ? son tr?s utile ouvrage sur
La crisi d?lie compagnie mercantili dei Bardi e dei Peruzzi avait donn? une noti
ce sur les livres des Bardi ; il traitait alors avec quelque m??pris les d?bris des
archives des Peruzzi (p. 2) ; il consacre aujourd'hui aux quatre livres laiss?s par ces derniers un court m?moire qui montre nettement l'int?r?t multiple de ces
documents (histoire politique, histoire du pr?capitalisme financier, histoire
des prix et surtout ? nous aurons peut-?tre l'occasion d'y revenir ? des
changes), mais ne fait gu?re que nous mettre l'eau ? la bouche. Sans doute
aura-t-il ? c ur de pr?senter un jour, d'une fa?on plus compl?te et sous une
forme directement utilisable, les renseignements que renferment ces textes,
infiniment pr?cieux, mais de lecture et d'interpr?tation difficiles ; il est un
des rares historiens qui en poss?dent la clef. ? M. B.
(Studi Medievali, Nuova Serie, t. I, 1928, p. 114-130.)
Hansische Umschau (Herbst 1925 bis Sommer 1921). ?
Bibliographie
analytique et critique, due ? M. Walter Vogel : indispensable ? tout
historien du commerce. ? M. B.
(Hansische Geschichtsbl?tter, t. XXXII, 1927, p. 211-249.)
Die Anf?nge des deutschen Handels im Preussenlande. ? D?s
avant l'arriv?e de l'Ordre Teutonique, des contacts commerciaux, dont t?moi
gnent, en particulier, les trouvailles mon?taires, s'?taient ?tablis entre la Prusse
et le monde germanique, repr?sent? d'abord par la Scandinavie des Vikings,
puis par le Danemark et enfin par l'Allemagne. Les marchands allemands com
menc?rent par suivre, de pr?f?rence, les routes de terre (depuis le xe si?cle) ; ?
la fin du xie, s'ouvre la voie de mer. Tels sont les r?sultats essentiels d'une
LES P?CHERIES 127
?tude tr?s pr?cise due ? l'historien attitr? de Dantzig, M. Erich Keyser. ?
M. B.
[Hansische Geschichtsbl?tter, t. XXXII, 1927, p. 57-80.)
Grundfragen der deutschen Handelspolitik. ? Le livre d'AxEL
Schindler1 a ?t? ?crit par un d?fenseur passionn? des int?r?ts de l'agricul ture allemande, l'un des directeurs du ? Conseil de l'Agriculture ?. Clairement
r?dig?, il renferme des renseignements utiles, notamment pour tout ce qui concerne les produits agricoles. Son principal int?r?t est de mettre en relief
l'opposition des tendances qui se manifestent en Allemagne au sujet de la
politique commerciale, ? les tendances favorables ? une plus grande libert?
des ?changes ?tant repr?sent?es au Minist?re de l'?conomie Publique et
d?fendues par les industriels, tandis que l'agriculture, et avec elle le parti
national, r?clament un protectionnisme croissant.
En une pr?face de quelques lignes, M. Schiele, alors Ministre du Ravitail
lement dans le cabinet Marx, a recommand? chaleureusement une ?tude,
pourtant s?v?re pour son coll?gue Curtius, Ministre de l'Economie Publique ;
l'un des pr?d?cesseurs de Curtius, l'industriel von Raumer, est encore plus vivement critiqu?, de m?me que quelques hauts fonctionnaires du Minist?re
de l'?conomie Publique, suspects de ? doctrines manchest?riennes?. L'auteur
leur reproche de s'inspirer, dans la politique commerciale, presque exclusive
ment des int?r?ts de l'industrie exportatrice. Il consid?re comme chim?rique
l'espoir d'un accroissement des exportations, et il r?clame, pour l'?quilibre de la balance commerciale, et notamment dans l'int?r?t de l'agriculture, une
restriction rigoureuse des importations. Maurice B?umont.
Les P?cheries.
Mr James T. Jenkins est d?j? bien connu par quelques bonnes ?tudes
sur les p?cheries britanniques. Dans son nouveau livre2, il s'attache, en se
servant des travaux d'historiens, ? montrer comment les centres de p?cheurs
de hareng dans la mer du Nord et dans les d?troits danois se sont d?plac?s au cours des si?cles de la Scanie vers la Hollande, puis de la Hollande vers
la Grande-Bretagne. Les p?cheries de Scanie, qui florissaient du xnr3 au
xvie si?cle, se trouvaient concentr?es aupr?s des deux villes de Skanor et
de Falsterbo ; tout le poisson ?tait achet? par des marchands de L?beck,
de Stettin et d'autres ports de la Baltique ; c'est la puissante Ligue hans?a
tique qui contr?lait tout ce travail et tout ce commerce : elle ?tait repr?sent?e
sur les lieux de p?che par des navires de guerre et par des baillis c?tiers. On a
conserv? les anciens livres des baillis de L?beck en Scanie qui permettent de
reconstituer en esprit toute l'animation de ces lieux pendant la saison de
p?che. Malheureusement les apparitions de poisson ?taient fort irr?guli?res ;
1. Berlin, Reinliold Kiitin, 1928, in-8?, 192-48 p. 2. The herring and the herring fisheries, Londres, P. S. King and Son, 1927, in-8?,
xii-175 p.
LES P?CHERIES 127
?tude tr?s pr?cise due ? l'historien attitr? de Dantzig, M. Erich Keyser. ?
M. B.
[Hansische Geschichtsbl?tter, t. XXXII, 1927, p. 57-80.)
Grundfragen der deutschen Handelspolitik. ? Le livre d'AxEL
Schindler1 a ?t? ?crit par un d?fenseur passionn? des int?r?ts de l'agricul ture allemande, l'un des directeurs du ? Conseil de l'Agriculture ?. Clairement
r?dig?, il renferme des renseignements utiles, notamment pour tout ce qui concerne les produits agricoles. Son principal int?r?t est de mettre en relief
l'opposition des tendances qui se manifestent en Allemagne au sujet de la
politique commerciale, ? les tendances favorables ? une plus grande libert?
des ?changes ?tant repr?sent?es au Minist?re de l'?conomie Publique et
d?fendues par les industriels, tandis que l'agriculture, et avec elle le parti
national, r?clament un protectionnisme croissant.
En une pr?face de quelques lignes, M. Schiele, alors Ministre du Ravitail
lement dans le cabinet Marx, a recommand? chaleureusement une ?tude,
pourtant s?v?re pour son coll?gue Curtius, Ministre de l'Economie Publique ;
l'un des pr?d?cesseurs de Curtius, l'industriel von Raumer, est encore plus vivement critiqu?, de m?me que quelques hauts fonctionnaires du Minist?re
de l'?conomie Publique, suspects de ? doctrines manchest?riennes?. L'auteur
leur reproche de s'inspirer, dans la politique commerciale, presque exclusive
ment des int?r?ts de l'industrie exportatrice. Il consid?re comme chim?rique
l'espoir d'un accroissement des exportations, et il r?clame, pour l'?quilibre de la balance commerciale, et notamment dans l'int?r?t de l'agriculture, une
restriction rigoureuse des importations. Maurice B?umont.
Les P?cheries.
Mr James T. Jenkins est d?j? bien connu par quelques bonnes ?tudes
sur les p?cheries britanniques. Dans son nouveau livre2, il s'attache, en se
servant des travaux d'historiens, ? montrer comment les centres de p?cheurs
de hareng dans la mer du Nord et dans les d?troits danois se sont d?plac?s au cours des si?cles de la Scanie vers la Hollande, puis de la Hollande vers
la Grande-Bretagne. Les p?cheries de Scanie, qui florissaient du xnr3 au
xvie si?cle, se trouvaient concentr?es aupr?s des deux villes de Skanor et
de Falsterbo ; tout le poisson ?tait achet? par des marchands de L?beck,
de Stettin et d'autres ports de la Baltique ; c'est la puissante Ligue hans?a
tique qui contr?lait tout ce travail et tout ce commerce : elle ?tait repr?sent?e
sur les lieux de p?che par des navires de guerre et par des baillis c?tiers. On a
conserv? les anciens livres des baillis de L?beck en Scanie qui permettent de
reconstituer en esprit toute l'animation de ces lieux pendant la saison de
p?che. Malheureusement les apparitions de poisson ?taient fort irr?guli?res ;
1. Berlin, Reinliold Kiitin, 1928, in-8?, 192-48 p. 2. The herring and the herring fisheries, Londres, P. S. King and Son, 1927, in-8?,
xii-175 p.
128 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
pendant cent soixante ans, del588?l748,le hareng disparut de ces c?tes ;
ant?rieurement, ? plusieurs reprises, m?mes fantaisies. Cette p?che ?tait
c?ti?re. Ce sont les Hollandais qui, au xve si?cle, ont port? en pleine mer la
p?che du hareng ; pour qu'elle dev?nt hauturi?re, il fallait un bateau pont?,
vaste, solide, tenant bien la mer. Ce type de bateau est une invention hollan
daise ; c'est la ?buse? dont les premiers exemplaires ont ?t? construits en
1416 ? Hoorn et Enkhuizen ; de son emploi date la phase moderne de la p?che du hareng et la pr?pond?rance ?conomique qui a men? la Hollande au premier
rang des nations maritimes ; au xvie et au xvir2 si?cle, toute une flottille
de ? buses? hollandaises se rendait en ?t? dans les eaux britanniques pour
p?cher le hareng depuis les Shetland jusqu'aux c?tes du Norfolk. A partir du milieu du xvne si?cle, ? cause des guerres avec l'Angleterre, commence le
d?clin des p?cheries hollandaises. Mais ce ne fut pas imm?diatement que
l'Angleterre et l'Ecosse purent recueillir l'h?ritage des Hollandais ; il leur
fallut un long apprentissage, de dures ?preuves et des exp?riences malheu
reuses ; il leur fallut, durant de longues ann?es, faire venir de Hollande et des
? buses ? que leurs chantiers ne savaient pas construire et des marins exp? riment?s. Au cours du xvnr9 si?cle, de nombreuses lois visent ? encourager et ? prot?ger la p?che britannique ; l'?tat intervient souvent pour la soutenir
et la subventionner ; on peut dire que c'est seulement durant le dernier quart du xvme si?cle que se constitue l'industrie de la p?che britannique. Devenue
la premi?re du monde au xixe si?cle, elle a beaucoup souffert de la Grande
Guerre qui a profond?ment atteint ses march?s d'Allemagne et de Russie.
Mais elle conserve sa vitalit?. Elle transforme et perfectionne ses m?thodes.
Durant ces derni?res ann?es, elle a d?velopp?, pour la capture du hareng, un
puissant moyen de p?che, le chalut, qui fait concurrence ? l'antique outil, le
filet d?rivant.
A. Demangeon.
(Paris.)
Histoire des doctrines
La r??dition, par les soins de MM. C. Boucl? et A. Cuvillier du trait?
abstrus que P.-J. Proudhon publia, en 1843, sous le titre : De la cr?ation de
Vordre dans VHumanit?, ou Principe d'organisation politique, nous fournit
l'occasion de noter que la collection des uvres compl?tes de P.-J. Proudhon,
entreprise sous la direction de MM. Bougie et Moysset, par un groupe de
travailleurs qualifi?s (dont Aim? Berthod, Maxime Leroy, Aug?-Larib?,
Roger Picard, Guy Grand, etc.), compte d?j? six volumes, sur vingt ? para?tre1. La cr?ation de l'ordre dans Vhumanit? n'est pas un des grands livres de
Proudhon. C'est m?me, si Ton veut, un livre rat?. En tout cas, un livre ambi
tieux, d'une ambition d?mesur?e. Mais qu'il est donc curieux ? lire ! Si toute
une partie des d?veloppements de Proudhon ?chappe ? notre comp?tence;
1. Pans, Marcel Rivi?re, 1927, in-8?, 464 p. ? Ont paru d?j? dans la r??dition des
uvres compl?tes de P.-J. Proudhon, le Syst?me des Contradictions ?conomiques (?d. R. Pi card) ; l'Id?e g?n?rale de la R?volution au XIXe si?cle (?d. Berthod) ; la Capacit? politique des classes ouvri?res (Max. Leroy) ; La c?l?bration du dimanche et Qu'est-ce que la propri?t? ? (Aug?-Larib?) ; La Guerre et la Paix (Moysset).
128 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
pendant cent soixante ans, del588?l748,le hareng disparut de ces c?tes ;
ant?rieurement, ? plusieurs reprises, m?mes fantaisies. Cette p?che ?tait
c?ti?re. Ce sont les Hollandais qui, au xve si?cle, ont port? en pleine mer la
p?che du hareng ; pour qu'elle dev?nt hauturi?re, il fallait un bateau pont?,
vaste, solide, tenant bien la mer. Ce type de bateau est une invention hollan
daise ; c'est la ?buse? dont les premiers exemplaires ont ?t? construits en
1416 ? Hoorn et Enkhuizen ; de son emploi date la phase moderne de la p?che du hareng et la pr?pond?rance ?conomique qui a men? la Hollande au premier
rang des nations maritimes ; au xvie et au xvir2 si?cle, toute une flottille
de ? buses? hollandaises se rendait en ?t? dans les eaux britanniques pour
p?cher le hareng depuis les Shetland jusqu'aux c?tes du Norfolk. A partir du milieu du xvne si?cle, ? cause des guerres avec l'Angleterre, commence le
d?clin des p?cheries hollandaises. Mais ce ne fut pas imm?diatement que
l'Angleterre et l'Ecosse purent recueillir l'h?ritage des Hollandais ; il leur
fallut un long apprentissage, de dures ?preuves et des exp?riences malheu
reuses ; il leur fallut, durant de longues ann?es, faire venir de Hollande et des
? buses ? que leurs chantiers ne savaient pas construire et des marins exp? riment?s. Au cours du xvnr9 si?cle, de nombreuses lois visent ? encourager et ? prot?ger la p?che britannique ; l'?tat intervient souvent pour la soutenir
et la subventionner ; on peut dire que c'est seulement durant le dernier quart du xvme si?cle que se constitue l'industrie de la p?che britannique. Devenue
la premi?re du monde au xixe si?cle, elle a beaucoup souffert de la Grande
Guerre qui a profond?ment atteint ses march?s d'Allemagne et de Russie.
Mais elle conserve sa vitalit?. Elle transforme et perfectionne ses m?thodes.
Durant ces derni?res ann?es, elle a d?velopp?, pour la capture du hareng, un
puissant moyen de p?che, le chalut, qui fait concurrence ? l'antique outil, le
filet d?rivant.
A. Demangeon.
(Paris.)
Histoire des doctrines
La r??dition, par les soins de MM. C. Boucl? et A. Cuvillier du trait?
abstrus que P.-J. Proudhon publia, en 1843, sous le titre : De la cr?ation de
Vordre dans VHumanit?, ou Principe d'organisation politique, nous fournit
l'occasion de noter que la collection des uvres compl?tes de P.-J. Proudhon,
entreprise sous la direction de MM. Bougie et Moysset, par un groupe de
travailleurs qualifi?s (dont Aim? Berthod, Maxime Leroy, Aug?-Larib?,
Roger Picard, Guy Grand, etc.), compte d?j? six volumes, sur vingt ? para?tre1. La cr?ation de l'ordre dans Vhumanit? n'est pas un des grands livres de
Proudhon. C'est m?me, si Ton veut, un livre rat?. En tout cas, un livre ambi
tieux, d'une ambition d?mesur?e. Mais qu'il est donc curieux ? lire ! Si toute
une partie des d?veloppements de Proudhon ?chappe ? notre comp?tence;
1. Pans, Marcel Rivi?re, 1927, in-8?, 464 p. ? Ont paru d?j? dans la r??dition des
uvres compl?tes de P.-J. Proudhon, le Syst?me des Contradictions ?conomiques (?d. R. Pi card) ; l'Id?e g?n?rale de la R?volution au XIXe si?cle (?d. Berthod) ; la Capacit? politique des classes ouvri?res (Max. Leroy) ; La c?l?bration du dimanche et Qu'est-ce que la propri?t? ? (Aug?-Larib?) ; La Guerre et la Paix (Moysset).
HISTOIRE DES DOCTRINES 129
si ses chapitres sur la Religion, la Philosophie et ce qu'il nomme la M?taphy sique d?montrent avec trop d'?clat que, avant d'?tre ? infect? d'h?g?lianisme
?
par Marx, le futur auteur des Contradictions ?conomiques n'?tait pas sans
avoir subi l'atteinte d'un virus que Karl Gr?n et Alexandre Herzen ne tarde
ront pas ? diagnostiquer en lui, ? les chapitres IV et V par contre, respective
ment consacr?s ? Y ?conomie politique et ? YHistoire, abondent en id?es
neuves, en vues d'avenir et qui souvent feront la fortune d'autres que de
Pierre-Joseph. L'?conomie politique, ? science immense, plus capable qu'au
cune philosophie de nous instruire sur l'homme, son origine, son ?volution et
sa destin?e ; plus qualifi?e qu'aucun pouvoir politique pour exercer le gou vernement des soci?t?s ; plus apte enfin qu'aucun corps de p?dagogues intel
lectuels ? organiser la v?ritable instruction publique, fond?e sur l'appren
tissage des m?tiers manuels, ?
d?j? Proudhon, dans cet ?crit de 1843, nous la
montre conduisant l'histoire dans le pass? parle jeu des lois ?conomiques, en
attendant que, sous le nom de socialisme, elle lance l'humanit? vers ses desti
n?es ult?rieures avec une force incoercible. Et si on retrouve, tout au long de
ces 400 pages, l'esprit ?galitaire et ouvrier du fils du tonnelier de Besan?on ;
si, notamment, on y lit en vingt endroits une magnifique apologie du travail
manuel, ? comment ne pas songer aussi ? tout ce qu'apportait de neuf un livre
qui fut lu par des lecteurs de choix, quand son auteur, esquissant ? le mouve
ment de la Soci?t? sous l'action des lois ?conomiques? (p. 381 et suiv.) ?ta
blissait ? que, au point de vue de l'organisation, les lois de l'?conomie poli
tique sont les lois de l'histoire ? ; d?finissait l'histoire ?le tableau, d?roul? dans
le temps, de l'organisme collectif? (p. 409), ou m?me proclamait (p. 412) ?
qu'aucun progr?s ne s'effectue sans violence, la Force ?tant en dernier r?sul
tat l'unique moyen de manifestation de l'Id?e ?. ? Livre d'un ? fier homme ?,
comme disait mon vieil ami Edouard Droz et en qui se reconna?tront long
temps ceux que Pelloutier d?finissait en 1900, dans sa Lettre aux Anarchistes, ? les ennemis irr?conciliables de tout despotisme moral ou mat?riel, indivi
duel ou collectif, c'est-?-dire des lois et des dictatures ? y compris celle du
prol?tariat ? et les amants passionn?s de la culture de soi-m?me ?. Livre d'un
cr?ateur d'id?es aussi, f?cond, hardi et souvent g?nial. Lucien Febvre.
La G?opolitique, dont le Dr Han s Simmer nous expose les bases fonda
mentales dans un petit livre publi? ? Munich et Berlin chez R. Oldenbourg, ne
semble pas ?tre une science d'une s?r?nit? parfaite *. Le sous-titre l'indique
du reste : c'est ? l'Allemagne que songe avant tout l'auteur ; c'est elle qui est
au c ur du livre ; c'est elle qui doit trouver, dans les principes de la G?opoli
tique, l'indication s?re des moyens par lesquels elle pourra, de nouveau,
reconqu?rir sa situation d'?tat d?bordant de force et de puissance... Exalta
tion de l'?go?sme national n?cessaire et sacr? ; proclamation du principe que
la force prime le droit ; constatation sans ambages du fait que, lorsqu'on s'oc
cupe de g?opolitique, il ne faut pas confondre l'action et le sentiment, ? tout
cela, et bien des choses analogues, on le trouve ?tal? dans les premi?res pages
de ce petit livre qu'il serait d?s lors assez vain de traiter comme un ouvrage
1. Grundz?ge der Geopolitik, in Anwendung auf Deutschland, 1928, in-i2, vin-260 p.
ANN. D'HISTOIRE. ? lre ANN?E. 9
130 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
de science : on y peut voir, tout au plus, l'une des manifestations d'un ?tat
d'esprit qui n'est malheureusement pas nouveau, ? mais que l'on aimerait
autant, pour de multiples raisons, ne pas voir revivre. Aussi bien, rien, abso
lument rien d'original dans ces 260 pages ?
pas m?me le cri de la fin (Deutsch land ist das erste Land der Welt !) ; pas m?me les croquis en ombres chi
noises, triomphe d'une propagande sans subtilit? et qui s'?talent avec com
plaisance de la premi?re ? la derni?re page du livre. On peut se divertir cinq minutes ? regarder, p. 218, le croquis impressionnant d'o? r?sulte que de
nombreux Fran?ais d?sirent voir l'Allemagne r?duite ? la Thuringe, avec
Brunswick comme capitale, et G?ttingue, Eisenach et Erfurt comme villes
principales ; on peut m?me s'offrir ? peu de frais un instant de douce gaiet?, en constatant, p. 201, quel merveilleux accord les fronti?res politiques de la
France, vers 880 (les vraies !), r?alisaient avec les couches g?ologiques, et com
ment ces fronti?res ?pousaient, pr?cis?ment, les contours des terrains cr?tac?s
pour laisser sagement hors d'elles, et de France, les terrains jurassiques : au
bout de fort peu de temps, on se sent pris d'une envie irr?sistible non pas de
s'indigner, mais de b?iller devant tant de pesantes calembredaines. L'ouvrage est un document, mais d'ordre psychologique.
L. F.
On trouvera dans le m?moire de Mr Walter Taeuber sur Dumoulin et
la grosse question de l'int?r?t1, une analyse m?thodique et d'allure presque
scolastique des textes ?man?s du savant juriste. Qui veut comprendre la
position de Fauteur du Tractatus commerciorum et usurarum doit, nous dit
Mr Taeuber, se d?barrasser d'abord d'un trio d'erreurs. Et il les compte sur
ses doigts, afin que nul d'entre nous n'en ignore : premi?re erreur, deuxi?me
erreur, troisi?me erreur... Ne nous faisons pas complice de cette belle, de
cette trop belle assurance ; et ne nous enfon?ons pas, ? la suite de Mr Taeuber,
dans les myst?res du ? nominalisme ? ?conomique oppos? au ? m?tallisme ?,
dans l'?tude dogmatique de la communis opinio du moyen ?ge, cet ?tre de
raison plut?t effrayant, ou dans l'examen compar? des positions doctrinales
de Dumoulin et d'Antoine Favre. Mr Taeuber se meut avec aisance ? et avec
volupt? ? au milieu des mots les plus savants et des distinctions les plus
subtiles d'un vocabulaire d'?cole assez r?barbatif. Et il tranche, sans h?si
ter. Tout cela est fort bien. Mais un historien pr?f?rera toujours aux discus
sions d'?cole et aux probl?mes de dogmatique ces lumi?res modestes que
donne la chronologie. C'est par Dumoulin, conclut Mr Taeuber, que la th?orie
moderne de l'int?r?t a ?t? fond?e (p. 8G). Peut-?tre. Encore faudrait-il,
j'imagine, ne pas n?gliger les conclusions de Mr Henri H?user, pr?sent?es d'abord dans un article des M?langes Pirenne (1926, t. I, p. 211-224), puis
reprises dans un volume r?cent sur Les d?buts du Capitalisme (1927, p. 45-79). Mr Taeuber ignore ces remarquables ?tudes, comme il ignore (ce qui est moins
grave) l'existence du livre, d?j? ancien cependant, de Marcel Le Goff : Du
Moulin ct le pr?t ? int?r?t ; le l?giste et son influence (Bordeaux, th?se de droit,
1905), ? ou encore celle d'une notice utile sur Dumoulin au tome V de la
1. Molinaeus Geldschuldlehre, I?na, Fischer, 1928, in-8?, vi-90 p.
INSTITUTIONS VASSALIQUES 131
France Protestante {2e ?dition). Il ne s'est pas pos? la question de savoir quelle ?tait la date v?ritable du Tractatus commerciorum ; pour Mr H?user, cette
date est 1547. Et, par cons?quent, le Tractatus est post?rieur au Consilium que Calvin a r?dig?, en fran?ais, dans les derni?res semaines de l'ann?e 1545, en
r?ponse ? une consultation de Claude de Sachins. Il est piquant de rapprocher, de la phrase de Mr Taeuber que nous citons plus haut, les conclusions de
Mr H?user, qui trouve ? un sens plus net, plus direct des n?cessit?s ?cono
miques chez le pr?dicateur [Calvin] que chez l'avocat [Dumoulin]?, et qui,
apr?s avoir indiqu? que ? Dumoulin n'a pas d?pass? saint Ambroise, cher ?
son inspirateur /Epinus?, conclut, avec son sens historique habituel: a Le
manuel de Dumoulin pouvait servir aux avocats charg?s de plaider une affaire
embrouill?e. Seules, les formules calviniennes pouvaient d?terminer une r?vo
lution dans les esprits. ? L. F.
Antonio Genovese fut ? Naples, dans la seconde moiti? du xvme si?cle,
un ?conomiste remarquable, l'?ducateur de toute une g?n?ration d'historiens,
de philosophes et d'?conomistes napolitains. Son disciple Giuseppe Maria
Galanti fut, de son c?t?, un statisticien des plus distingu?s, un analyste clair
voyant et l'un des partisans les plus d?cid?s d'une r?forme monarchique
?clair?e dans le royaume de Naples. Mais, ? surtout en ce qui concerne
Genovese, ? qui d'ailleurs il consacre au moins les deux tiers de son livre, ?
c'est ? d'autres aspects de l'activit? de ces hommes que s'int?resse M. G.-M.
Monti, dans un ouvrage intitul? : Due grandi Reformatori del Settecento :
A. Genovese e G. M. Galanti (Firenze, Vallecchi, 1926, in-16, 240 pages).
Utilisant de nombreux in?dits (dont il publie une partie), il nous montre
quelles furent en particulier les id?es religieuses de Genovese, ce que signifia son ? anticurialisme ? d?cid?, et ? quelle doctrine il aboutit touchant les rap
ports de l'?tat et de l'?glise, mais aussi de la Science et de la Religion. Par
l?, ce livre est surtout une contribution ? l'histoire du mouvement philoso
phique ? Naples au xvme si?cle, et ?chappe en partie ? la comp?tence de la
Revue. Signalons cependant, au passage, l'int?ressant chapitre que M. Monti
consacre ? d?terminer les rapports de Genovese avec le Jans?nisme ; il est
utile et neuf. Galanti tient dans le volume une place moindre que Genovese.
M. Monti ?tudie en lui surtout l'adversaire de la f?odalit? et publie un rapport
au roi sur la f?odalit? dans le royaume de Naples, 1791-92, qui ne manque
pas d'int?r?t. L. F.
Institutions vassaliques, f?odales et seigneuriales.
Gasindii e vassalli. ? Le r?gime vassalique et f?odal date-t-il en Italie,
pour l'essentiel, de l'?poque lombarde ? ou bien, doit-on le consid?rer, au con
traire, comme une importation franque, les institutions lombardes n'ayant pu
fournir que des ?l?ments encore embryonnaires, que seul le droit franc f?conda
et syst?matisa ? Probl?me classique de l'histoire juridique de l'Italie du Nord 1
Substituons aux mots ? Lombards ? et ? Francs ? ceux de ? Byzantins
? et de
?Normands? : nous retrouverons la m?me question, transpos?e dans le Sud
INSTITUTIONS VASSALIQUES 131
France Protestante {2e ?dition). Il ne s'est pas pos? la question de savoir quelle ?tait la date v?ritable du Tractatus commerciorum ; pour Mr H?user, cette
date est 1547. Et, par cons?quent, le Tractatus est post?rieur au Consilium que Calvin a r?dig?, en fran?ais, dans les derni?res semaines de l'ann?e 1545, en
r?ponse ? une consultation de Claude de Sachins. Il est piquant de rapprocher, de la phrase de Mr Taeuber que nous citons plus haut, les conclusions de
Mr H?user, qui trouve ? un sens plus net, plus direct des n?cessit?s ?cono
miques chez le pr?dicateur [Calvin] que chez l'avocat [Dumoulin]?, et qui,
apr?s avoir indiqu? que ? Dumoulin n'a pas d?pass? saint Ambroise, cher ?
son inspirateur /Epinus?, conclut, avec son sens historique habituel: a Le
manuel de Dumoulin pouvait servir aux avocats charg?s de plaider une affaire
embrouill?e. Seules, les formules calviniennes pouvaient d?terminer une r?vo
lution dans les esprits. ? L. F.
Antonio Genovese fut ? Naples, dans la seconde moiti? du xvme si?cle,
un ?conomiste remarquable, l'?ducateur de toute une g?n?ration d'historiens,
de philosophes et d'?conomistes napolitains. Son disciple Giuseppe Maria
Galanti fut, de son c?t?, un statisticien des plus distingu?s, un analyste clair
voyant et l'un des partisans les plus d?cid?s d'une r?forme monarchique
?clair?e dans le royaume de Naples. Mais, ? surtout en ce qui concerne
Genovese, ? qui d'ailleurs il consacre au moins les deux tiers de son livre, ?
c'est ? d'autres aspects de l'activit? de ces hommes que s'int?resse M. G.-M.
Monti, dans un ouvrage intitul? : Due grandi Reformatori del Settecento :
A. Genovese e G. M. Galanti (Firenze, Vallecchi, 1926, in-16, 240 pages).
Utilisant de nombreux in?dits (dont il publie une partie), il nous montre
quelles furent en particulier les id?es religieuses de Genovese, ce que signifia son ? anticurialisme ? d?cid?, et ? quelle doctrine il aboutit touchant les rap
ports de l'?tat et de l'?glise, mais aussi de la Science et de la Religion. Par
l?, ce livre est surtout une contribution ? l'histoire du mouvement philoso
phique ? Naples au xvme si?cle, et ?chappe en partie ? la comp?tence de la
Revue. Signalons cependant, au passage, l'int?ressant chapitre que M. Monti
consacre ? d?terminer les rapports de Genovese avec le Jans?nisme ; il est
utile et neuf. Galanti tient dans le volume une place moindre que Genovese.
M. Monti ?tudie en lui surtout l'adversaire de la f?odalit? et publie un rapport
au roi sur la f?odalit? dans le royaume de Naples, 1791-92, qui ne manque
pas d'int?r?t. L. F.
Institutions vassaliques, f?odales et seigneuriales.
Gasindii e vassalli. ? Le r?gime vassalique et f?odal date-t-il en Italie,
pour l'essentiel, de l'?poque lombarde ? ou bien, doit-on le consid?rer, au con
traire, comme une importation franque, les institutions lombardes n'ayant pu
fournir que des ?l?ments encore embryonnaires, que seul le droit franc f?conda
et syst?matisa ? Probl?me classique de l'histoire juridique de l'Italie du Nord 1
Substituons aux mots ? Lombards ? et ? Francs ? ceux de ? Byzantins
? et de
?Normands? : nous retrouverons la m?me question, transpos?e dans le Sud
132 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
de la p?ninsule. Parlons d'Anglo-Saxons et de Normands encore : contro
verse toute pareille, en Angleterre cette fois. Mr P.-S. Leicht a repris l'examen
des faits italiens, en se limitant, sauf une ou deux exceptions, au royaume
lombard. Son travail ne vise ?videmment pas ? une ?tude exhaustive ; on y
trouvera plut?t une suite d'observations, qui ?clairent les diff?rents aspects
du sujet. Ces remarques sont, comme on pouvait l'attendre de l'auteur,
extr?mement instructives et p?n?trantes. Mais n'aurait-il pas fallu, avant
tout, d?composer, en ses diff?rents ?l?ments, le probl?me lui-m?me, ?nonc?
trop souvent sous une forme un peu rudimentaire ? Pour ma part, je vois,
d'abord, un fait de langage, qui est tr?s clair. Sous le r?gime carolingien, le
vieux mot germanique commun de gasindius (compagnon), attest? chez les
Lombards ? l'?poque ancienne, c?de la place ? un terme sp?cifiquement
gallo-franc et, selon toute apparence, d'origine celtique : vassus. La m?me
substitution s'?tait produite auparavant dans la Gaule franque elle-m?me
(Cf. H. Brunner, Deutsche Rechts geschickte, 2e ?d., t. II, p. 351 et suiv.). En
Gaule elle avait eu lieu, vraisemblablement, par l'effet d'une pouss?e du lan
gage populaire. En Italie, l'influence exerc?e par le vocabulaire des vain
queurs suffit ? l'expliquer. Mr Leicht note que vassus s'est rapidement sp?
cialis?, en Italie, dans le sens de d?pendant haut plac?, charg? d'obligations surtout militaires (le terme de gasindius demeurant appliqu? ? des d?pen dants de cat?gorie plus humble, astreints ? des services domestiques). Cette
restriction s?mantique s'observe ?galement en Gaule. ? Ensuite, un probl?me
d'ordre rituel. La c?r?monie de la recommandation, les mains dans les mains, a-t-elle ?t? introduite en Italie seulement par les Francs (cela semble pro
bable)? Y a-t-elle m?me jamais p?n?tr? bien profond?ment (on l'a ni?, peut ?tre ? tort) ? Cette double question a ?t? laiss?e de c?t? par Mr Leicht. ?
Enfin, ?e c ur m?me du sujet : observe-t-on, en Italie, apr?s l'arriv?e des Francs et
aussit?t apr?s elle, une g?n?ralisation et une syst?matisation des rapports de d?pendance militaire, sous la forme vassalique ? M* Leicht montre tr?s
bien que tel a ?t? le cas. Il rel?ve avec finesse quelques-unes des causes et des
manifestations de cette grande transformation : ?tablissement en Italie de
Francs d?j? entr?s dans les liens du vasselage ou tout pr?ts ? y entrer ; ten
dance des Lombards ? s'attacher aux grands seigneurs francs, puissants dans le pays ; effets des luttes politiques, chaque chef cherchant ? grossir sa suite ; pratique de la s?cularisation des terres eccl?siastiques ; etc. Rien
de plus juste. Incontestablement, cette ?volution sociale reproduisait, presque trait pour trait, celle de la Gaule elle-m?me. Influence, ou parall?lisme ?
La question se ram?ne, en somme, ? une recherche de chronologie. Dans la
Gaule du milieu du vine, les liens de d?pendance ?taient-ils mieux ordon
n?s, plus clairement con?us et plus g?n?ralement r?pandus que dans le
royaume lombard, ? la m?me ?poque ? La comparaison est difficile. Il
semble cependant qu'elle seule puisse donner la clef du probl?me inter
europ?en qui se trouve ici pos?1. ? Marc Bloch.
(Rendiconti d?lia R. Accademia nazionale dei Lincei. Classe di scienze
morali, storiche e fil?logiche. S?rie VI, vol. III, fase. 3-4, 1927, p. 291-307.)
1. Je ne vois pas comment Mr Leicht comprend le c. 11 de la Loi de Ratchis, et pour quoi il se s?pare de Schufper (p. 294, n. 1) ; le patron et le gasindius ne font ?videmment qu'un, puisqu'il s'agit d'un homme qui est entr? au service, pr?cis?ment, d'un gasindius (ou d'un autre fid?le).
INSTITUTIONS VASSALIQUES 133
Il dominio universale feudale e 1' jus cunnatici in Terra
d'Otranto. ? Dans ce petit travail, ?crit avec beaucoup de sobri?t? et de
pr?cision, Mr Gennaro Maria Monti examine tour ? tour deux probl?mes :
Io Vers la fin de l'ancien r?gime, les institutions ?f?odales? (j'aimerais
mieux, pour ma part, seigneuriales) de la Terre d'Otrante s'opposaient, de
la fa?on la plus saisissante, ? celles des autres provinces napolitaines. Alors
que, g?n?ralement, dans le royaume, les droits seigneuriaux ?taient r?duits
? peu de chose, dans la Terre d'Otrante leur poids restait prodigieusement lourd. Pourquoi ce contraste ? Raisons d'ordre purement politique, r?pond
Mr Monti. De 1085 ? 1463, presque sans interruption, cette zone extr?me
avait form? une principaut? ? dite ? de T?rente ?,
? d'abord ind?pendante,
puis vassale et ? ce titre apanage habituel des branches cadettes, d'une
mani?re ou de l'autre toujours ? part du reste de l'?tat ; elle ?chappa ainsi ?
cette forte pression de la monarchie qui, partout ailleurs, sous les rois nor
mands et souabes et leurs successeurs imm?diats, affaiblit les pouvoirs des
seigneurs sur leurs hommes. L'explication est ing?nieuse. Mais le probl?me e?t m?rit? sans doute d'?tre creus? plus ? fond. Les transformations de la
seigneurie napolitaine, en g?n?ral, s'expliquent-elles uniquement par ces in
fluences gouvernementales qui, dans la Terre d'Otrante, se trouv?rent man
quer ? L'action de la classe seigneuriale elle-m?me, les conceptions qu'elle se fit de ses int?r?ts, aux diff?rentes ?poques, n'y furent-elles pas aussi pour
quelque chose ? Il est bien connu, en tout cas, que la dissolution des vieux
liens du vilainage eut pour r?sultat, dans la plus grande partie du royaume, une large prol?tarisation des masses rurales. La Terre d'Otrante a-t-elle
ignor? ce dernier ph?nom?ne ? Souhaitons que Mr Monti reprenne un jour l'examen de ces questions capitales. L'historien du r?gime seigneurial euro
p?en trouve, dans les d?veloppements- si particuliers de l'Italie du Sud et de
l'Italie des ?les, des terrains d'exp?rience naturels ; mais les faits sont complexes et, pour les ?rudits ?trangers au pays, parfois difficilement saisissables; solide
ment arm?s pour leur ?tude, des savants de la valeur de Mr Monti se doivent
de nous les rendre accessibles.
2? Parmi les charges qui pesaient sur la Terre d'Otrante, figurait un
droit en argent sur les mariages, que, avec sa verdeur habituelle, le langage du
vieux temps nommait volontiers : jus cunnatici. Att?nuation d'un antique jus
primx noctis, jadis pr?lev? en nature, parle seigneur, sur la jeune ?pous?e? Non, dit Mr Monti, mais, beaucoup plus simplement, forme locale de ces rede
vances matrimoniales, dont on rel?ve de nombreux exemples en Italie, et ?
pourrait-on ajouter ?
dans toute l'Europe. Mr Mpnti, si je comprends bien sa pens?e, inclinerait ? reconna?tre dans cet imp?t seigneurial une obligation
d'origine religieuse ; le paiement aurait eu pour objet primitif de dispenser les jeunes mari?s de ces premi?res nuits de continence ? les ? nuits de Tobie?
? que la morale eccl?siastique pr?tendait leur infliger. Il se peut ; et, en
ce cas, je suppose, l'attribution de la redevance au seigneur devrait ?tre
consid?r?e comme une suite de l'appropriation des revenus paroissiaux. De
toutes fa?ons on accordera ais?ment ? l'auteur que le fameux droit, que Beaumarchais a popularis?, n'a rien ? voir ici : ce qui ne veut pas dire que la
question du jus primx noctis, en g?n?ral ?
probl?me passionnant pour le
folkloriste et pour l'historien des origines seigneuriales, mais qu'il faudrait
134 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
bien, une bonne fois, examiner en dehors de toutes autres passions, moins
in offensives, ? doive ?tre tenue pour d?finitivement r?solue. ? M. B.
(Annali del Seminario Giuridico Econ?mico d?lia R. Universit? di Bari,
t. I, fase. 2, 1927 ; tirage ? part, Bari, Cressati, in-8?, 22 p.)
?conomie fran?aise : monographies g?ographiques.
C'est un tout petit pays que cette C?ti?re orientale de la Dombes, ?
laquelle Mr Georges Chabot vient de consacrer une fine et pr?cise ?tude1 :
?tir?e du Nord au Sud, une bande d'une vingtaine de kilom?tres de long, sur
deux ? trois de large ; aux ?poques les plus favorables, sept ? huit milliers
d'habitants. Pourtant ses caract?res proprement g?ographiques et le genre de vie particulier qui s'y est d?velopp? lui ont assur? longtemps une indivi
dualit? tr?s nette. Pour axe, une c?te, favorable aux vignobles, et, au bas de
la pente, une route qui unit les villages, les m?le ? une vie de relation intense
(car cette route est celle qui va de Lyon ? Gen?ve), et surtout les relie ? un
grand centre urbain : Lyon. Mais ni le vignoble ni les apports de la route ne
suffisent ou, du moins, n'auraient suffi, autrefois, au paysan. Il lui fallait
des champs de c?r?ales et des p?turages. Ici, il trouvait les premiers sur le
plateau de Dombes; la plaine de l'Ain, au pied de la c?te, avec ses ?brot
teaux? caillouteux et sableux, lui fournissait les seconds. Dans ce cadre, une
?conomie, marqu?e de traits originaux, nous appara?t fortement constitu?e
dans la premi?re moiti? du xixe si?cle. Le cultivateur est un petit exploitant ; la vari?t? des produits qu'il r?colte ? mais chacun, en faible quantit?
?
l'am?ne ? vivre sur lui-m?me ; il consomme son bl?, boit son vin ; c'est tout
juste s'il vend quelques pi?ces de sa vendange ou porte aux march?s voisins
quelques ufs et quelques laitages. Mais, ? partir de 1850, une grande trans
formation s'amorce. D'abord, la construction de la voie ferr?e, ? l'Est de
l'Ain, assez loin de la C?te, r?duit ? peu de choses l'ancien trafic routier ; en
m?me temps, le d?veloppement de l'agglom?ration lyonnaise commence ?
soutirer au pays une partie de sa population. D'ailleurs, ?
aubergistes ? part,
qu'atteint la d?cadence de la route ? les paysans rest?s au village vivent
plus largement que par le pass? ; ils continuent ? ne vendre gu?re que leur
superflu ?
lait, ufs, volailles ?, mais ils le vendent d?sormais ? des inter
m?diaires, qui ravitaillent Lyon, et ils obtiennent de meilleurs prix qu'autre fois. Vient enfin, apr?s 1900, et surtout depuis la guerre, l'?re de l'auto, qui co?ncide avec un nouvel essor de l'industrie lyonnaise. La grande ville voisine
fait sentir de toutes parts son action, dans la C?ti?re. Les Lyonnais passent sur la route, qui a repris vie ; parfois ils vill?giaturent. Non seulement la
C?ti?re contribue de plus en plus ? l'approvisionnement de Lyon ; mais elle
s'y approvisionne elle-m?me en produits de toute sorte. Premi?re br?che dans
l'ancienne ?conomie ferm?e. Il en est d'autres. Le paysan, au lieu de faire
moudre son bl? au petit moulin local de jadis, l'envoie maintenant ? la mino
terie ; il ne mange donc plus le pain de sa propre farine ; par l?-m?me, il se
1. La C?ti?re orientale de la Dombes et l'influence de Lyon, Paris, les Presses Modernes, ?927, in-8?, 87 p., 2 pi., 1 carte hors texte.
134 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
bien, une bonne fois, examiner en dehors de toutes autres passions, moins
in offensives, ? doive ?tre tenue pour d?finitivement r?solue. ? M. B.
(Annali del Seminario Giuridico Econ?mico d?lia R. Universit? di Bari,
t. I, fase. 2, 1927 ; tirage ? part, Bari, Cressati, in-8?, 22 p.)
?conomie fran?aise : monographies g?ographiques.
C'est un tout petit pays que cette C?ti?re orientale de la Dombes, ?
laquelle Mr Georges Chabot vient de consacrer une fine et pr?cise ?tude1 :
?tir?e du Nord au Sud, une bande d'une vingtaine de kilom?tres de long, sur
deux ? trois de large ; aux ?poques les plus favorables, sept ? huit milliers
d'habitants. Pourtant ses caract?res proprement g?ographiques et le genre de vie particulier qui s'y est d?velopp? lui ont assur? longtemps une indivi
dualit? tr?s nette. Pour axe, une c?te, favorable aux vignobles, et, au bas de
la pente, une route qui unit les villages, les m?le ? une vie de relation intense
(car cette route est celle qui va de Lyon ? Gen?ve), et surtout les relie ? un
grand centre urbain : Lyon. Mais ni le vignoble ni les apports de la route ne
suffisent ou, du moins, n'auraient suffi, autrefois, au paysan. Il lui fallait
des champs de c?r?ales et des p?turages. Ici, il trouvait les premiers sur le
plateau de Dombes; la plaine de l'Ain, au pied de la c?te, avec ses ?brot
teaux? caillouteux et sableux, lui fournissait les seconds. Dans ce cadre, une
?conomie, marqu?e de traits originaux, nous appara?t fortement constitu?e
dans la premi?re moiti? du xixe si?cle. Le cultivateur est un petit exploitant ; la vari?t? des produits qu'il r?colte ? mais chacun, en faible quantit?
?
l'am?ne ? vivre sur lui-m?me ; il consomme son bl?, boit son vin ; c'est tout
juste s'il vend quelques pi?ces de sa vendange ou porte aux march?s voisins
quelques ufs et quelques laitages. Mais, ? partir de 1850, une grande trans
formation s'amorce. D'abord, la construction de la voie ferr?e, ? l'Est de
l'Ain, assez loin de la C?te, r?duit ? peu de choses l'ancien trafic routier ; en
m?me temps, le d?veloppement de l'agglom?ration lyonnaise commence ?
soutirer au pays une partie de sa population. D'ailleurs, ?
aubergistes ? part,
qu'atteint la d?cadence de la route ? les paysans rest?s au village vivent
plus largement que par le pass? ; ils continuent ? ne vendre gu?re que leur
superflu ?
lait, ufs, volailles ?, mais ils le vendent d?sormais ? des inter
m?diaires, qui ravitaillent Lyon, et ils obtiennent de meilleurs prix qu'autre fois. Vient enfin, apr?s 1900, et surtout depuis la guerre, l'?re de l'auto, qui co?ncide avec un nouvel essor de l'industrie lyonnaise. La grande ville voisine
fait sentir de toutes parts son action, dans la C?ti?re. Les Lyonnais passent sur la route, qui a repris vie ; parfois ils vill?giaturent. Non seulement la
C?ti?re contribue de plus en plus ? l'approvisionnement de Lyon ; mais elle
s'y approvisionne elle-m?me en produits de toute sorte. Premi?re br?che dans
l'ancienne ?conomie ferm?e. Il en est d'autres. Le paysan, au lieu de faire
moudre son bl? au petit moulin local de jadis, l'envoie maintenant ? la mino
terie ; il ne mange donc plus le pain de sa propre farine ; par l?-m?me, il se
1. La C?ti?re orientale de la Dombes et l'influence de Lyon, Paris, les Presses Modernes, ?927, in-8?, 87 p., 2 pi., 1 carte hors texte.
?CONOMIE FRAN?AISE 135
trouve conduit ? n'attacher qu'une moindre importance ? la culture des
c?r?ales. Le manque de main-d' uvre, r?sultat ? la fois d'une ?migration accrue ? vers Lyon toujours
? et des pertes de guerre, agit dans le m?me
sens : les emblavures c?dent la place aux pr?s, ?ternelle ressource des r?gions
qui manquent de bras ; quelques vignes m?me ? tr?s peu ? ont ?t? arra
ch?es. C'est le vieil ?quilibre agricole qui s'effrite. Lentement, d'ailleurs.
Rien de plus stable, note justement Mr Chabot, que l'assiette ?conomique et
sociale de ces contr?es de polyculture traditionnelle. En tant que pays, la
C?ti?re n'existe plus gu?re ; elle se fond dans une unit? beaucoup plus vaste :
la banlieue lyonnaise. Mais, dans ce grand tout, les villages de la c?te de
Dombes conservent, att?nu?s sans doute, mais toujours pr?sents, leurs carac
t?res ancestraux.
Le ? Cantal ?, tel que s'est propos? de l'?tudier Mlle Mad elein e Basserre \
groupe plusieurs r?gions distinctes : le massif montagneux avec les ? pla
teaux d'?levage? qui l'entourent, la plaine d'Aurillac, unie aux hautes terres
voisines par des rapports ?conomiques tr?s ?troits (non seulement Aurillac
est le grand march? du haut pays, mais encore les propri?taires de la plaine
poss?dent fr?quemment, en montagne, des p?turages d'?t?), la Plan?ze
enfin, plateau agricole dont les liens avec l'ensemble qui pr?c?de sont peut
?tre moins sensibles ; car je ne vois point qu'elle ait quelque part ? la vie pas
torale cantalienne. Cette vie pastorale, naturellement, se place au c ur
m?me de la recherche. Les traits qui l'opposent ? celle des Alpes ou des Pyr?
n?es se retrouvent ? peu pr?s partout, semble-t-il, dans le Massif Central2 :
absence de stations interm?diaires entre les bas p?turages et les ? burons ? des
hauteurs, appropriation priv?e des ?montagnes?, pas de troupeaux com
muns. A la diff?rence de la C?ti?re de Dombes, le Cantal, pourtant singuli?
rement plus difficile d'acc?s et plus ?loign? des grands centres, para?t avoir,
de bonne ! aure, travaill? pour l'exportation : les fromages ? les a fourmes?
fabriqu?es dans les burons ? n'?taient pas, pour la plupart, destin?s ? la
consommation locale. Aussi bien l'?migration, tr?s anciennement, elle aussi,
mit la Haute-Auvergne en rapports avec les milieux ?conomiques du dehors.
Bien entendu, pas plus que la C?ti?re, le Cantal n'a ?chapp? aux m?tamor
phoses qui, au cours des xixe et xxe si?cles, ont si profond?ment modifi? la
physionomie de tous nos pays de France. Le village a cess? de devoir ou de
vouloir, ? tout prix, se nourrir de son propre bl? : d'o? une tendance ? la
sp?cialisation cult?rale, qui, ici, s'est traduite par les progr?s de l'?levage, aux d?pens des labours ; depuis une trentaine d'ann?es, la crise de main
d' uvre, d'autres causes encore peut-?tre, ont pr?cipit? l'?volution. Tout le
r?gime des ?changes s'est modifi?. Les foires, o? jadis se vendaient toutes
sortes de marchandises, ne sont plus gu?re que des march?s ? bestiaux et, ?
ce titre m?me, commencent ? diminuer d'importance ; l'acheteur, de plus en
plus, va trouver le producteur, ? domicile. Depuis la guerre, la propri?t? semble se concentrer.
L'une et l'autre, les deux monographies dont je viens, sommairement,
1. Le Cantal : ?conomie agricole et pastorale, Aurillac, imprimerie moderne, 1925
(th?se Lettres, Paris), in-8?, 229 p., 12 pi., 11 fig., 1 carte hors texte. 2. Cf., notamment, Ph. Arbos, Le massif du C?zalier, dans Revue de g?ographie
alpine, t. XIV, 1926.
136 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
d'analyser les principaux r?sultats, sont l' uvre de g?ographes ; elles s'ajou tent ? cette belle s?rie de travaux de m?me origine, qui, dans notre pays, trop
pauvre, par ailleurs, en recherches d'histoire ou de sociologie ?conomiques, ont tant fait pour nous permettre de mieux conna?tre la soci?t? fran?aise, dans son pass? et son pr?sent. Certes elles ne sont pas d'?gale valeur. Le livre
de MUe Basserre, en d?pit de beaucoup d'observations instructives auxquelles, dans un r?sum? forc?ment tr?s bref, je n'ai pas toujours pu rendre justice, est ? la fois trop rapide (voyez, notamment, le passage sur l'?migration) et
trop verbeux , on ne saurait le mettre au m?me rang que la brochure, beau
coup plus courte, mais aussi beaucoup plus pleine et plus suggestive, de
Mr Chabot. Cette ?vidente in?galit? n'emp?che pas que les deux ?tudes, inspi r?es d'un m?me esprit, n'appellent sur quelques points, des remarques de
m?thode semblables.
R?solument, semble-t-il, Mr Chabot a born? sa vision aux xixe et
xxe si?cles. Les fronti?res que s'est trac?es Mlle Basserre sont moins nettes
et moins ?troites ; mais les d?veloppements qu'elle consacre au pass?, aussit?t
que celui-ci devient tant soit peu lointain, t?moignent de beaucoup d'inex
p?rience. Fatalement un historien d?plorera toujours, dans les travaux de
cette sorte, l'absence ou l'insuffisance de l'arri?re-plan historique : regrets assez vains, en somme, o? il entre un peu de d?formation professionnelle. Il
sera toujours parfaitement l?gitime de se limiter ? une tranche de l'?volu
tion. A une condition toutefois, qui n'est pas universellement observ?e :
reconna?tre qu'une part de l'explication ?chappe et le dire, nettement. L'?tat
de la propri?t? communale, dans les ?brotteaux? de l'Ain ou sur les mon
tagnes du Cantal, n'a pas sa cause dans le seul pr?sent, m?me ?tendu au
xix si?cle ; il faudrait, pour en rendre compte, ?tudier l'application des lois
r?volutionnaires, puis remonter, plus haut encore, jusqu'aux luttes ou aux
accords des communaut?s et des seigneurs. Ne le faisons pas, si nous n'en
avons pas le temps ; mais marquons la lacune. Pourquoi, sur le rebord de la
Dombes, cette pr?pond?rance des petites exploitations ? Les conditions
g?ographiques ne fournissent pas de raison suffisante ; toute l'histoire du
village et de la seigneurie est derri?re une pareille division du sol. Ce replie ment sur soi-m?me des petits propri?taires de la C?ti?re, au d?but du xixesi?cle,
que Mr Chabot nous d?crit si bien, est-ce l?, comme il semble le croire, un
ph?nom?ne tr?s ancien ? Imaginer pareille chose reviendrait, tout simple
ment, ? oublier le r?gime seigneurial ; car, tant que celui-ci dura, une partie de la r?colte du paysan s'en alla, r?guli?rement, sous forme de redevances en
nature, se faire consommer dans des ch?teaux, parfois lointains, ou se vendre, au profit du ma?tre, sur les march?s des alentours ; une autre devait ?tre
vendue par le paysan lui-m?me, qui n'e?t pu se procurer autrement l'argent n?cessaire au paiement des redevances p?cuniaires. La v?rit? est sans doute
que, en France, comme aujourd'hui dans l'Europe orientale (interrogez, ? ce
sujet, les importateurs de bl? ?), l'abolition des charges qui pesaient sur la
tenure amena, dans beaucoup de r?gions, le cultivateur, qui, d?sormais,
pouvait vivre mieux, ? vivre de son bien. Auparavant, il abandonnait au
seigneur, ou aux acheteurs, une part de son n?cessaire ; maintenant ? crises
?conomiques ? part ? il ne c?dera plus que ce qu'il tient pour superflu.
Revenons au pr?sent. Il y a, dans la belle ?tude de Mr Chabot, une omis
HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 137
sion qui m'a frapp?. D?crivant la conqu?te de la C?ti?re par l'influence
lyonnaise, il mentionne les grands magasins ; des banques, pas un mot ? Celles
ci n'ont-elles vraiment eu aucune part au mouvement ? On a peine ? le croire, ni que, d'une fa?on ou d'une autre, le grand march? d'argent et de valeurs, le puissant foyer de cr?dit qu'on admire ? Lyon restent sans action sur les
campagnes environnantes. Il est presque superflu d'ajouter que des oublis de
m?me nature se retrouvent dans le livre de Mlle Basserre. On con?oit fort
bien comment beaucoup de g?ographes ont pu ?tre entra?n?s ? les commettre.
Ils ?tudient, en principe, les rapports de l'homme et du sol. A premi?re vue,
les ph?nom?nes financiers paraissent nous ?loigner singuli?rement de la
terre. Mais est-il s?r qu'un nouvel examen confiimerait cette opinion ? Je ne
citerai qu'un exemple : croit-on que, au cours de ces vingt ou trente derni?res
ann?es, l'histoire des placements faits ou tent?s par les paysans ait ?t? sans
liens avec les vicissitudes de la propri?t? rurale ? Recherche, en elle-m?me,
bien difficile, dira-t-on sans doute, ?
impossible en tout cas ? qui ne dispose
pas d'une pr?paration technique sp?ciale. Peut-?tre ; mais alors, encore un
coup, indiquons au moins la voie, et l'explication possible. Aussi bien, c'est
tout le m?canisme des ?changes qui exigerait, bien souvent, une analyse plus
pouss?e. Sur le cycle complexe et variable qui unit le producteur de bl? au
mangeur de pain, Mr Chabot lui-m?me ? qui pourtant a saisi l'int?r?t du
probl?me ? nous offre plut?t des notations ?parses qu'une enqu?te v?ritable.
La terre, enfin. J'ai, dans ce m?me num?ro des Annales, trop longuement
parl? des plans parcellaires pour vouloir en rebattre encore les oreilles du lec
teur. Il me sera pourtant peimis de faire observer une ?tonnante singularit? :
le travail de Mr Chabot, il est vrai, ? la diff?rence de celui de Mlle Basserre,
renferme un d?veloppement interessant sur la forme des agglom?rations ;
mais, de part et d'autre, tout ce qui touche la foime et la r?partition des
champs est ?galement n?glig?. Ne soyons pas, apr?s tout, trop vivement
choqu?s de ces lacunes. Une m?thode n'est jamais au point du premier coup ;
peu importe, si elle se perfectionne. Discuter, du point de vue de l'historien
(mais l'historien et le g?ographe ne se rencontrent-ils pas dans une m?me
pr?occupation, dont les soci?t?s humaines forment l'objet ?), quelques-uns des partis-pris de l'?cole g?ographique fran?aise, ce n'est pas diminuer les ?cla
tants services que lui doivent les sciences de l'homme ; c'est marquer notre
confiance dans sa volont? de progr?s et, par l?, rendre hommage ? son ?ter
nelle jeunesse.
Marc Block.
Histoire ?conomique de la R?volution fran?aise.
Le chapitre cathedral du Mans poss?dait 87 maisons au Mans, 21 moulins
et 115 ? 120 bordages ou m?tairies dans la Sarthe, la Mayenne et le Loir-et
Cher. Mr l'abb? Ch. Girault1, bien connu des historiens de la R?volution par ses th?ses de doctorat, a recherch? dans les trois d?partements les actes de
1. La vente des biens du chapitre cathedral de Saint-Julien du Mans, Laval, Goupil, 1927, in-8?, 60 p.
HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 137
sion qui m'a frapp?. D?crivant la conqu?te de la C?ti?re par l'influence
lyonnaise, il mentionne les grands magasins ; des banques, pas un mot ? Celles
ci n'ont-elles vraiment eu aucune part au mouvement ? On a peine ? le croire, ni que, d'une fa?on ou d'une autre, le grand march? d'argent et de valeurs, le puissant foyer de cr?dit qu'on admire ? Lyon restent sans action sur les
campagnes environnantes. Il est presque superflu d'ajouter que des oublis de
m?me nature se retrouvent dans le livre de Mlle Basserre. On con?oit fort
bien comment beaucoup de g?ographes ont pu ?tre entra?n?s ? les commettre.
Ils ?tudient, en principe, les rapports de l'homme et du sol. A premi?re vue,
les ph?nom?nes financiers paraissent nous ?loigner singuli?rement de la
terre. Mais est-il s?r qu'un nouvel examen confiimerait cette opinion ? Je ne
citerai qu'un exemple : croit-on que, au cours de ces vingt ou trente derni?res
ann?es, l'histoire des placements faits ou tent?s par les paysans ait ?t? sans
liens avec les vicissitudes de la propri?t? rurale ? Recherche, en elle-m?me,
bien difficile, dira-t-on sans doute, ?
impossible en tout cas ? qui ne dispose
pas d'une pr?paration technique sp?ciale. Peut-?tre ; mais alors, encore un
coup, indiquons au moins la voie, et l'explication possible. Aussi bien, c'est
tout le m?canisme des ?changes qui exigerait, bien souvent, une analyse plus
pouss?e. Sur le cycle complexe et variable qui unit le producteur de bl? au
mangeur de pain, Mr Chabot lui-m?me ? qui pourtant a saisi l'int?r?t du
probl?me ? nous offre plut?t des notations ?parses qu'une enqu?te v?ritable.
La terre, enfin. J'ai, dans ce m?me num?ro des Annales, trop longuement
parl? des plans parcellaires pour vouloir en rebattre encore les oreilles du lec
teur. Il me sera pourtant peimis de faire observer une ?tonnante singularit? :
le travail de Mr Chabot, il est vrai, ? la diff?rence de celui de Mlle Basserre,
renferme un d?veloppement interessant sur la forme des agglom?rations ;
mais, de part et d'autre, tout ce qui touche la foime et la r?partition des
champs est ?galement n?glig?. Ne soyons pas, apr?s tout, trop vivement
choqu?s de ces lacunes. Une m?thode n'est jamais au point du premier coup ;
peu importe, si elle se perfectionne. Discuter, du point de vue de l'historien
(mais l'historien et le g?ographe ne se rencontrent-ils pas dans une m?me
pr?occupation, dont les soci?t?s humaines forment l'objet ?), quelques-uns des partis-pris de l'?cole g?ographique fran?aise, ce n'est pas diminuer les ?cla
tants services que lui doivent les sciences de l'homme ; c'est marquer notre
confiance dans sa volont? de progr?s et, par l?, rendre hommage ? son ?ter
nelle jeunesse.
Marc Block.
Histoire ?conomique de la R?volution fran?aise.
Le chapitre cathedral du Mans poss?dait 87 maisons au Mans, 21 moulins
et 115 ? 120 bordages ou m?tairies dans la Sarthe, la Mayenne et le Loir-et
Cher. Mr l'abb? Ch. Girault1, bien connu des historiens de la R?volution par ses th?ses de doctorat, a recherch? dans les trois d?partements les actes de
1. La vente des biens du chapitre cathedral de Saint-Julien du Mans, Laval, Goupil, 1927, in-8?, 60 p.
138 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
vente et les a publi?s avec beaucoup de soin en les groupant par communes
et, au Mans, par rues. Pour les maisons du Mans, il donne quelques rensei
gnements sur leur destin?e ult?rieure et notamment sur les modifications
provoqu?es par les travaux d'?dilit?.
Un pareil travail, tr?s pr?cieux pour les amateurs d'arch?ologie locale, ne
se pr?te pas ? des conclusions g?n?rales. Mr Girault a indiqu? dans son intro
duction ce que l'historien en peut tirer. On a vendu tr?s vite et ? bon prix. En 1792, il ne restait plus que peu de choses ? ali?ner. Toutes les classes sont
repr?sent?es parmi les acqu?reurs. Des chanoines orthodoxes et des nobles
qui seront bient?t des chouans y figurent ? c?t? de petites gens. Mr Girault
croit que ceux-ci ont ?t? d?savantag?s par la loi du 3 novembre 1790 qui interdit le morcellement des biens : mais cette loi n'a jamais ?t? appliqu?e, celle de mai ayant ?t? prorog?e ? plusieurs reprises jusqu'au 1er janvier 1794.
Mr Girault n'a pas jug? possible de pr?ciser la r?partition entre les classes
sociales ; il n'a pas non plus recherch? les cessions ; peut-?tre aurait-il pu, du
moins, donner quelques renseignements sur les paiements ?
Puisque ces recherches longues et p?nibles ne lui r?pugnent pas, ne peut-on
esp?rer qu'il nous donne un jour une ?tude plus ?tendue, sur quelque canton
de la Sarthe, par exemple, telle que Mr Nicolle en a donn? le mod?le pour la
r?gion de Vire ? La publication de Lejeay, devenue rare d'ailleurs, n'a pas
?puis? la question.
Mr A. Ferrad ou nous donne la premi?re monographie dont le rachat
des droits f?odaux ait ?t? l'objet1 : initiative qu'on ne saurait trop louer,
car l'entreprise comportait des recherches ?tendues2. On peut diviser les
sources en deux cat?gories. Pour les rachats op?r?s entre les mains de l'?tat,
qu'il s'agisse de l'ancien domaine royal ou des biens eccl?siastiques, elles sont
concentr?es aux archives d?partementales : c'?tait le District qui op?rait la
liquidation ; le versement se faisait, au d?but, soit ? la recette du domaine, soit
? celle du district ; en 1791, elle fut tout enti?re confi?e ? l'administration de
l'enregistrement et du domaine r?cemment cr??e et qui ouvrit, ? cet effet,
des registres sp?ciaux. Malheureusement les pi?ces justificatives des rece
veurs ont ordinairement disparu et leurs registres de comptes sont eux-m?mes
fort rares. Pour la Gironde, on peut ajouter les archives municipales de la
ville de Bordeaux qui poss?dait nombre de censives.
Quant aux rachats convenus entre particuliers, ils sent d'un acc?s beau
coup plus malais? I Ce sont les actes notari?s qui sont la source principale.
Les registres de formalit?s civiles de l'enregistrement devraient th?orique ment en donner l'analyse ; mais, d'une part, il est douteux qu'on ait toujours
respect? la loi, au moins pour les actes sous seing priv?, et, d'autre part,
quand le rachat accompagnait la vente de l'immeuble, l'analyse ne le men
tionne pas toujours. Bref, il faut renoncer ? dresser une statistique. D'ail
1. Le rachat des droits f?odaux dans la Gironde (1790-1793), Paris, Soc. du Recueil
Sirey, 1928, in-S?, 463 p. 2. M. Ferradou a tir? quelques renseignements de quelques publications sur la vente
des biens nationaux, celles, par exemple, de MM? Charl?ty et Por?e. Il me permettra d'ajouter que j'ai donn? quelques indications pour le Nord dans mon livre sur Les Paysans
Nord pendant la R?volution fran?aise, 1924.
HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 139
leurs, pour appr?cier l'importance des rachats, il faudrait en outre acqu?rir
quelques donn?es pr?cises sur l'?tendue des terres et le nombre des maisons
soumises ? l'agri?re ou au cens. On voit seulement que la maxime : Nulle terre
sans seigneur, demeurait contest?e dans la r?gion (p. 226, note 95), que cepen
dant il y avait peu d'alleux (p. 216), mais que plus d'un censitaire a pu se
trouver lib?r? par la prescription, les arr?rages n'?tant souvent r?clam?s
que tardivement, d'autant que beaucoup de cens ?taient tr?s minimes
(p. 304-5). Au surplus, ce n'est pas ainsi que Mr Ferrad ou a pos? le probl?me. Il s'est
propos? d'examiner si la loi du 15 mars 1790 ?tait viable. Les administrations
locales et les redevables ont souvent object? qu'elle assujettissait le rachat
? des formalit?s trop compliqu?es, ? des conditions difficilement r?alisables et on?reuses ; on a dit aussi que la solidarit? entre les redevances et les droits
casuels d?courageait les bonnes volont?s. Pour savoir ? quoi s'en tenir,
Mr Ferradou a donn? ? son ?tude un caract?re juridique tr?s marqu?. Il
?tudie minutieusement la proc?dure (140 pages). Viennent ensuite deux
chapitres sur le nombre et le produit des rachats et sur les personnes qui ont
rachet? (32 pages). Le chapitre V sur les droits ?teints (107 pages) nous ram?ne ? l'examen d'un grand nombre de difficult?s de proc?dure ; de m?me
le chapitre VIII sur les sous-rachats (le seigneur rembours? devait lui-m?me
d?dommager son suzerain) ;le chapitre VII sur les causes du rachat est d'un
plus grand int?r?t pour l'historien ; pareillement, les deux derniers sur la situa
tion en 1792 et 1793. Mr Ferradou conclut que la loi ?tait viable et que les
objections qu'on a formul?es n'?taient pas fond?es (p. 45). Il est certain
qu'on a rachet? des droits f?odaux. Cependant il a lui-m?me signal? ??
et l? des difficult?s de proc?dure (p. 9, 67-8, 78), des lenteurs administra
tives (p. 104-5), de la mauvaise volont? de la part de certains propri?taires de droits f?odaux (p. 59, 72, 75) et notamment de la municipalit? de Bor
deaux (p. 98-9, 353), le caract?re on?reux des expertises (p. 225). Quelques r?serves eussent donc sembl? justifi?es. En fait, il faut l'avouer, le nombre
des rachats ne para?t pas consid?rable, m?me si l'on tient compte du caract?re
fragmentaire des sources. En 1790, le receveur du district de Bordeaux en a
re?u 134, la ville 43 ; le district de Lesparre 68 jusqu'en ao?t 1791. Les registres
ouverts par l'administration de l'enregistrement et du domaine contiennent
5 rachats pour le bureau de La R?ole, 7 ? Podensac, 18 ? Libourne, 1 ?
Bazas. Pour les rachats entre particuliers, treize notaires de Bordeaux ont
fourni 68 quittances et 102 offres. Comme on le voit, c'est dans les villes
qu'on a surtout rachet? ; tr?s peu de paysans se sont lib?r?s (p. 241) et seu
lement pour des agri?res d'un montant infime (p. 247). Dans le Nord, des
communaut?s villageoises ont rachet? des terrages eccl?siastiques mis en
vente par l'?tat, avec d'autant plus d'empressement que des particuliers se
pr?sentaient aussi comme ench?risseurs. Il ne para?t pas qu'il en ait ?t? de
m?me dans la Gironde. Du moins, Mr Ferradou n'en dit rien. Quant aux
citadins, ceux qui rach?tent sont ordinairement des ais?s (p. 211), qui veulent
se lib?rer des droits casuels d?s ? l'?tat, avant de vendre leurs immeubles.
En effet, le d?cret du 14 novembre 1790 avait supprim?, pour ce qui concer
nait l'?tat, la solidarit? entre ces droits et le cens ; or, les droits casuels
?taient coutumi?rement r?duits aux cinq onzi?mes et c'?tait pr?cis?ment ?
140 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
ce taux qu'on op?rait le rachat. Comme l'acqu?reur aurait d? payer le droit
et verser ensuite le prix du rachat, le vendeur avait int?r?t ? lib?rer son
immeuble avant de l'ali?ner (p. 272, 324-5). C'est ?videmment ? ces parti cularit?s que sont d?s la plupart des rachats que l'on conna?t.
Pourquoi n'ont-ils pas ?t? plus nombreux, surtout dans les campagnes ?
Aux yeux de l'historien, c'est la question essentielle. Mr Ferradou s'en est
?galement pr?occup?. Dans son introduction, il marque bien que les circons
tances politiques ont jou? un r?le pr?pond?rant et il y revient ? la fin du livre. Au fond, d?s le premier moment de la r?volution, le paysan ?tait d?cid?
? ne plus payer, s'il le pouvait sans trop de risques et, en beaucoup d'endroits, il ne s'est pas content?, pour se lib?rer, de la r?sistance passive. Un chapitre e?t donc ?t? bien venu qui aurait d?crit la r?volte agraire dans la Gironde.
La r?gion de Lesparre a ?t?, par exemple, en 1789, le th??tre d'un tr?s s?rieux
mouvement de f?d?ration communaliste qu'il e?t valu la peine de mettre en
rapport avec la question des droits f?odaux. Mr Ferradou d?clare (p. 349) ne pouvoir se ranger ? l'opinion de Mr Aulard pour qui les refus demeurent
une exception, quoique fr?quente. On constate, en effet, qu'il a recueilli sur
ces refus un grand nombre de renseignements (outre l'introduction, voir
p. 87, 89, 90-1,125, 239, 241, 351, 373, 388-91, 396, 414), mais ils sont diss?
min?s ? un tel point qu'un d?pouillement m?thodique des notes permet seul d'en appr?cier l'importance. Plus nombreux encore probablement ont
?t? les gens qui cess?rent de payer sans qu'on os?t leur rien r?clamer et, ?
plus forte raison, les poursuivre. On vend, en effet, sans racheter les droits
casuels, malgr? les conditions extr?mement favorables dont on vient de
parler : c'est vraisemblablement qu'on pensait ne pas les payer (p. 349). On comptait d'ailleurs sur des lois nouvelles : un vendeur stipule un surplus
pour le cas o? l'acqu?reur ne serait plus tenu de payer le cens (p. 348). Les propri?taires de droits f?odaux, au contraire, esp?raient les conserver
et d'autres personnes partageaient leur confiance, puisqu'elles les leur ache
taient : des transactions de cette nature sont encore conclues de janvier ?
mai 1793 (p. 440, 454-5). Au d?but de juillet 1793, on voit assigner des rede vables en paiement (p. 395, 441-2). D'ailleurs une partie de la bourgeoisie r?volutionnaire n'a donn? satisfaction aux paysans qu'? grand regret : le
d?put? Crozilhac, dans une lettre, d?plore le vote de la loi du 17 ao?t 1792 (p. 370). Une r?action, au surplus, n'?tait pas exclue des calculs : en 1791, des
actes notari?s expliquent que le vendeur, ayant rachet? les droits, garantit
l'acqu?reur pour le pass?, mais non pas pour l'avenir. Ces faits sont de grand int?r?t historique et eussent m?rit? d'?tre group?s et mis en lumi?re : ils
contribuent ? expliquer que la fermentation se soit perp?tu?e dans les cam
pagnes. Mais il y a mieux encore : en avril 1792, un seigneur, vendant une
part de son domaine direct, stipule que, ne pouvant l?galement se r?server le
cens et les lods et ventes, ? le r?glement de la dite rente sera n?anmoins fait
au prorata des fonds voisins, pour fixer ensuite le rachat des dites redevances, conform?ment aux d?crets ?. Mr Ferradou cite plusieurs actes qui constituent en toutes lettres des baux ? fiefs ou ? cens (p. 342-3). C'?tait donc en vain
que la Constituante avait aboli le r?gime f?odal pour l'avenir : on continuait
? le perp?tuer ill?galement. Il n'a rien moins fallu que les mesures draco
niennes de la Convention pour en venir ? bout.
HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 141
C'est jusqu'en septembre 1793 que Mr Ferradou a trouv? des faits de cet
ordre, et il s'est ?tonn? que la loi du 17 juillet n'ait pas eu un effet plus prompt. Mais le fait s'explique ais?ment par la r?volte f?d?raliste. Il y aurait sans
doute injustice ? supposer que les chefs girondins eussent bl?m? l'an?antisse
ment d?finitif des droits f?odaux, mais ils avaient laiss? s'associer ? leur cause
une foule de gens d'opinion conservatrice ou contre-r?volutionnaire ; d'ail
leurs la publication de la nouvelle loi ne pouvait que profiter ? la Convention
montagnarde. Toutefois, il est plus simple d'admettre que, dans la ville insur
g?e, la loi passa inaper?ue.
D'apr?s les observations qui pr?c?dent, on aura senti que, pour l'histo
rien, la lecture de ce livre est ? la fois ?minemment profitable et m?diocre
ment ais?e. Les notes occupent une place ?norme ; certaines pages n'ont
m?me pas une ligne de texte. Il semble qu'on aurait pu am?liorer la pr?sen tation des faits en en groupant une partie dans un chapitre purement histo
rique, comme on l'a dit plus haut, et en en rejetant quelques autres dans un
appendice, sous forme de tableau ; par exemple : la nomenclature des per
sonnes qui ont rachet?. Tout au moins, aurait-il ?t? n?cessaire d'ajouter un
index.
Les ?tudes que Mr A. Mathiez r?unit aujourd'hui en volume avaient
paru d?j?, pour la plupart au moins, dans diff?rentes revues et principalement
dans les Annales r?volutionnaires et les Annales historiques de la R?volution
fran?aise ; la substance en a pass? aussi dans l'histoire de la R?volution que
publie Mr Mathiez. Tous ceux qui s'int?ressent ? son uvre lui sauront gr? de
les leur pr?senter ? nouveau sous une forme commode et qui rend plus ais?
un examen d'ensemble.
Mr Mathiez a group? tous les renseignements que fournissent les sources
imprim?es et le petit nombre de monographies que nous poss?dons. A celles
qu'il a cit?es, on peut toutefois ajouter celle que MMra Defresne et Evrard
ont consacr?e ? l'histoire des subsistances dans le district de Versailles ; quant
? la publication o? Mr Caron a r?uni les proc?s-verbaux de la Commission des
subsistances et bon nombre de documents importants, elle a paru presque
en m?me temps que le pr?sent livre. Mr Mathiez a en outre fait des recherches
aux archives du Doubs, et il est ? peine besoin de dire que sa parfaite connais
sance du personnel r?volutionnaire, acquise au prix d'une longue exploration
des archives parisiennes, lui a permis de projeter une vive lumi?re sur les
origines ?conomiques et sociales du gouvernement r?volutionnaire.
Il est maintenant ?vident que deux crises de chert?, compliqu?e d'ailleurs
de ch?mage, ont jou? un r?le essentiel dans l'histoire de la R?volution, dont
l'aspect politique avait, jusqu'? nos jours, retenu presque exclusivement
l'attention des historiens. La premi?re est celle de 1789, due ? la mauvaise
r?colte de 1788, ? l'imprudente r?forme de Brienne et aux cons?quences
du trait? de 1786 ; on ne peut plus contester qu'elle ait contribu? puissam
ment ? provoquer les soul?vements populaires qui ont eu raison de l'ancien
r?gime ; Mr Mathiez Ta ?voqu?e dans son introduction. La seconde est celle
de 1792-93 et a pour origine le discr?dit de l'assignat et la guerre. C'est ? en
1. La vie ch?re et le mouvement social sous la Terreur. Paris, Payot, 1927 in-8?, 620 p.
142 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
raconter les p?rip?ties et ? en expliquer les r?percussions politiques qu'est consacr?e la majeure partie du volume.
On sait quelle ?tait, en mati?re de subsistances, l'opinion des pauvres gens et de la petite bourgeoisie ; elle ?tait partag?e d'ailleurs par beaucoup de pri vil?gi?s et d'hommes fortun?s, et les administrateurs, par souci de Tordre et
de leur s?curit? personnelle, s'en faisaient volontiers les interpr?tes. On exi
geait du gouvernement qu'il maint?nt une juste proportion entre les prix et
les salaires, qu'il r?glement?t le commerce pour emp?cher la sp?culation et
qu'au besoin il r?quisitionn?t et tax?t les denr?es. Necker avait r?tabli peu ? peu la r?glementation ; la Constituante revint ? la libert? sauf pour l'expor tation. Mr Mathiez note qu'on ne sait pas au juste ? quel point elle a ?t?
ob?ie. En effet, on n'a m?me pas une ?tude sur le curieux mouvement qui, ea
1790, souleva le Nivernais et le Bourbonnais en faveur de la taxation. N?an
moins, je ne crois pas que le peuple ait attendu la crise de l'assignat pour
perdre toute foi en la vertu de la libert?, ni que ce soit ? chose curieuse ? de
le voir r?clamer en 1792 le retour ? la r?glementation de l'ancien r?gime
(p. 25-6). En r?alit?, apr?s comme avant la crise de 1789, il est rest? ancr?
dans sa conviction. Les administrateurs notent m?me souvent que le souvenir
de la disette r?cente a fortifi? ses pr?ventions.
Apr?s une tentative de r?glementation en septembre 1792, due aux besoins
de l'arm?e et surtout ? la domination momentan?e de la Commune de Paris,
probablement peu appliqu?e, mais sur laquelle les renseignements sont rares,
la Convention revint encore une fois ? la libert?, le 8 d?cembre. Toutefois
la situation s'aggravant de jour en jour, Girondins et Montagnards furent
bien oblig?s d'y pr?ter attention. Les uns et les autres r?pugnaient ? la
r?quisition et ? la taxation, soit par attachement aux principes, soit par souci de m?nager les classes poss?dantes, soit parce qu'ils ne croyaient pas ?
l'efficacit? de ces mesures. Mais les Girondins ?taient en outre d?termin?s par leur animosit? contre les sections de Paris qui r?clamaient la taxation sous
l'impulsion des enrag?s, tandis que les Montagnards, pour saisir le pouvoir et
m?me pour ?viter la proscription, n'avaient pas d'autres moyens que de
s'entendre avec elles : ils se r?sign?rent donc. C'est ainsi que fut vot? le
premier maximum des grains (4 mai 1793) et que fut scell? le destin de la Gironde. Mais ce maximum ne fonctionna pas. Il fallut, au cours de l'?t?, toute une s?rie de mouvements populaires pour arracher ? la Convention le
maximum national des grains du 11 septembre et le maximum g?n?ral du 29 ;
le second Comit? de Salut public c?da chaque fois pour ne pas ?tre emport? ? son tour. On ne peut que renvoyer sur tout ceci au r?cit extraordinairement
attachant de M. Mathiez. Les archives parisiennes ont d? donner sur ces
complications politico-?conomiques ? peu pr?s tout ce qu'elles contiennent
et il n'est pas probable que l'avenir ajoute rien d'essentiel ? sa description. Le champ des recherches reste au contraire tr?s vaste en dehors de Paris,
comme Mr Mathiez le marque ? plusieurs reprises. On sait d?j? que le plan du lyonnais Lange pour la nationalisation du commerce des grains, qui a
frapp? si fort Michelet et Jaur?s, ne lui est point particulier ; on conna?t aussi
des enrag?s dans plusieurs villes de province ; d'autre part, il est certain que la r?glementation est demeur?e tr?s in?gale et qu'elle a vari? de district ?
district et d'une ville ? l'autre. Mais nos connaissances demeurent vraiment
HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 143
trop fragmentaires. Alors que cette histoire offre ? Paris un grand int?r?t
politique, c'est au point de vue proprement ?conomique que la province,
semble-t-il, m?rite surtout de retenir l'attention. Pourquoi, par exemple, le
Comit? de Salut public n'a-t-il pas entrepris de r?glementer la r?partition
individuelle du pain au moyen d'une carte nationale ? C'est, d'une part, que
les consommateurs ?taient ^ncore habitu?s, en majorit?, ? acheter leurs grains au march? et ? cuire eux-m?mes ; c'est, en outre, qu'il aurait pris ainsi l'en
gagement moral de fournir le contingent assign? et qu'il ne pouvait s'y enga
ger, car, faute de statistique satisfaisante, il ne connaissait pas ses ressources
et, faute de moyens de transport, il ?tait, le plus souvent, incapable de les
mobiliser. De pareilles constatations, surtout si on ?voque le r?gime qui a
fonctionn? pendant la derni?re guerre, permettent de mesurer les progr?s que l'unit? nationale et l'autorit? gouvernementale ont r?alis?s gr?ce au d?ve
loppement de l'?conomie capitaliste ; il serait, par cons?quent, d'un int?r?t
essentiel pour l'histoire g?n?rale que ces questions fussent ?tudi?es.
Quel fut le r?sultat de la r?glementation ? On continue ? discuter. Peut-on
attendre de futures monographies qu'elles mettent fin au d?bat ? Ce n'est pas
croyable. D?j?, il est certain que tout n'alla pas pour le mieux. Mais c'est
bien ? tort que les partisans de la libert? en pr?tendent triompher. Car il
est ?vident que la r?glementation ne peut r?partir des denr?es qui n'existent
pas. Tout ce qu'elle peut faire, en temps de crise, comme dans une ville assi?
g?e, c'est de pr?venir des sp?culations odieuses et d'emp?cher les citoyens d'en venir aux mains pour se partager ce qui reste et d?traquer par leurs
convulsions l'autorit? qui n'a jamais ?t? plus n?cessaire. Qu'elle puisse pour
tant s'imposer ainsi au politique r?aliste, l'exemple de la derni?re guerre
devrait en convaincre ceux qui veulent ? toute force attribuer la r?glementa tion de l'an II ? la tyrannie de Robespierre ou aux tendances communistes
de la d?magogie jacobine.
Quant au maximum, il aboutit naturellement ? un ?chec partiel : il ne
pouvait jouer qu'en fonction de la r?quisition et il y avait des denr?es qu'il n'?tait pas facile d'atteindre, tels les produits de ferme, ou que le gouverne
ment ne voulut pas requ?rir, tel le b?tail. Dans ces conditions, les ouvriers
auraient ?t? dupes s'ils avaient respect? le maximum des salaires, alors que l'on
permettait au paysan et au marchand de violer celui des denr?es. Cependant le gouvernement prit parti contre eux, au moins quand ils ?taient requis pour
la moisson ou employ?s aux fabrications d'?tat. Ces ouvriers, il est vrai,
avaient du travail et du pain et ils le devaient au gouvernement r?volution
naire ; en l'an III, ils en seront priv?s. Cependant ils furent d??us. Les h?ber
tistes essay?rent d'exploiter leur m?contentement et, plus tard, au 9 ther
midor, leur irritation contribua ? isoler Robespierre et la Commune.
Quelle a donc ?t? au juste la politique du Comit? ? Oui ou non, a-t-il
viol? le contrat tacite que les Montagnards avaient pass? avec les sections ?
A cette question, Mr Mathiez ne me para?t pas r?pondre, je l'avoue, avec sa
nettet? ordinaire. ? Quels que fussent leurs sentiments intimes sur la valeur
propre du maximum, ?crit-il, page 541, les hommes au gouvernement ne
songeaient nullement ? l'abroger ou ? le saboter dans l'application. ? Mais, ?
la page 559, il ajoute : ? Les h?bertistes tomb?s, le maximum a perdu ses
auteurs et ses d?fenseurs. Le gouvernement maintient la loi sans enthousiasme
144 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
et m?me sans conviction ?. C'est ? cette derni?re assertion que je me range
pour ma part, ? condition qu'on mette hors du d?bat les fabrications d'?tat
et le ravitaillement militaire. Il faut dire sans ambages que les v?ritables
interpr?tes de la pens?e populaire furent les h?bertistes et, bien mieux encore,
les enrag?s et surtout Jacques Roux. Les h?bertistes ?taient de pens?e courte
et, pour rem?dier aux difficult?s, ils ne voyaient d'autre moyen que la con
trainte. Mais, du moment que le gouvernement ne voulait m?me pas de la
r?quisition, il n'y en avait pas d'autre pour faire respecter la taxation.
L'attitude du Comit? appara?t tr?s nette quand.on examine dans l'en
semble son gouvernement ?conomique. Ici, Mr Mathiez a d? se borner ? recher
cher comment il a essay? de rem?dier ? la disette et ? la chert?. En r?alit?,
? partir surtout de la lev?e en masse, la population civile a ?t? le moindre
souci du Comit? ; c'est ? l'arm?e et aux fabrications de guerre qu'il a r?serv?
le plus clair de ses efforts et de ses ressources ; d?s lors, entre ses mains, le
maximum change de caract?re : ce n'est plus un instrument de justice sociale> une cons?cration du droit ? la vie ; c'est un exp?dient ?tatiste qui permet au
Comit? de se procurer les produits dont il a besoin sans pr?cipiter la banque route. Comme il fallait pourtant que le peuple e?t du pain pour que l'ordre
f?t maintenu, il maintint la r?quisition pour les grains. Mais pour tout le
reste, il laissa au consommateur le soin de faire observer le maximum qui demeura donc illusoire. Ainsi le marchand et le paysan purent se
d?dommager, dans quelque mesure, sur la population civile, des sacrifices
que l'?tat leur imposait. Le Comit? a essay? de m?nager les int?r?ts en
conflit afin de conserver son autorit? et d'assurer la d?fense nationale. Mais
ce n'?tait pas uniquement pour cela que le peuple l'avait port? au pouvoir.
Et, comme l'hostilit? des marchands et des cultivateurs contre la r?glementa tion demeura irr?ductible, il perdit en fait tout appui.
Mr Mathiez pense qu'il s'en est rendu compte et que les robespierristes, tout au moins, ont voulu d?s lors regagner la faveur des sans-culottes en pro
mettant, par les d?crets de vent?se, de partager aux indigents les biens des
ennemis de la R?volution, c'est-?-dire des suspects pr?alablement examin?s
par des commissions de triage. La mesure, propos?e par Saint-Just, expli
querait la proc?dure exp?ditive de la loi de prairial ; elle expliquerait aussi, en partie du moins, la coalition qui se forma contre Robespierre, cette vaste
expropriation ayant alarm? presque tous ses coll?gues. Et de fait, quand une r?conciliation s'esquissa au d?but de thermidor, on convint, entre autres
conditions, que les commissions de triage, qui n'avaient fonctionn? qu'? Paris,
seraient enfin d?sign?es. Mr Mathiez n'a pas trait? la question dans le pr?sent
volume : il renvoie sur ce point au tome III de son histoire de la R?volution.
Elle m?rite d'?tre examin?e de tr?s pr?s. La politique sociale des Monta
gnards, telle qu'on la conna?t, est essentiellement urbaine ; c'est aux sans
culottes des villes qu'ils ont consenti le maximum, et c'est en leur faveur
qu'ils Pont partiellement appliqu? ; l'?norme prol?tariat des campagnes en
a tr?s peu profit? et Mr Mathiez aurait peut-?tre pu le marquer plus forte
ment. Or ce sont les manouvriers agricoles que les d?crets de vent?se auraient
avantag?s. Quels biens, en effet, pouvait-on distribuer aux ouvriers des villes ?
L'?chec du maximum ?tait pour eux sans compensation possible. Il faudrait
donc admettre que les robespierristes auraient enfin pens? ? se constituer un
?CONOMIE ALLEMANDE 145
programme agraire et qu'ainsi il existe un lien historique entre les Monta
gnards et Babeuf. Mais alors, pourquoi n'ont-ils pas song? ? am?liorer et ?
faire appliquer strictement les lois de juin et de septembre 1793 en tant
qu'elles favorisaient, dans l'ali?nation des biens nationaux, les prol?taires des campagnes ? Pourquoi n'ont-ils pr?t? aucune attention aux p?titions
qui ne cessaient de leur parvenir pour r?clamer la r?forme du m?tayage et la
division des grandes fermes ? Si, par les d?crets de vent?se, ils ont r?elle
ment voulu s'attacher le paysan, leur pens?e, tout originale soit-elle, demeure
cependant ?triqu?e ; elle est, au fond, h?bertiste et vise plut?t ? ruiner les
contre-r?volutionnaires qu'? r?soudre la crise agraire ? laquelle probable
ment, en petits bourgeois citadins, ils n'attachaient pas d'importance. Ce compte rendu sommaire malgr? sa longueur t?moignera, esp?rons
nous, de l'int?r?t du livre de Mr Mathiez, et sans doute tombera-t-on d'ac
cord pour reconna?tre que l'histoire de la R?volution prend ainsi une
physionomie nouvelle. G. Lefebvre.
(Strasbourg.)
?conomie allemande.
La Chambre de commerce de Berlin avait organis?, ? la fin de 1927, une
s?rie de conf?rences sur la rationalisation. Elle les a r?unies en un volume1.
Plusieurs de ces ?tudes sont d'un vif int?r?t et renferment des donn?es pr? cieuses sur la situation des diverses branches de l'activit? industrielle et
commerciale.
Les unes ont un caract?re plut?t th?orique ; elles exposent des consid?ra
tions de principe ou pr?sentent un programme de r?formes. Le professeur Bonn d?finit la rationalisation. Le professeur Hirsch en retrace les cons?
quences pour la main-d' uvre. L'ancien ministre Drews esquisse les r?formes
administratives qui pourraient ?tre envisag?es. L'ing?nieur Koettgen traite
de l'emploi de la cha?ne dans la fabrication. Le professeur Briefs de la ratio
nalisation du travail.
D'autres ?tudes ont un caract?re plut?t technique et sont des tableaux
de faits. Clairement r?dig?es par des sp?cialistes ?minents, elles indiquent avec pr?cision les progr?s d?j? accomplis : *dans l'agriculture (comte Kayser
lingk), dans l'industrie mini?re et m?tallurgique (Mr Reichert), dans la
banque (Mr Mosler), dans les chemins de fer (le directeur g?n?ral Dorpm?ller), dans la construction m?tallique (Mr Lange), dans l'industrie textile (MrMuller
Oerlinghausen), dans le commerce de d?tail (Mr Gr?nfeld), dans le commerce
des denr?es alimentaires (Mr Herrmann).
Le Dr Carl Schiffer2 expose les principaux probl?mes li?s ? la rationa
lisation. Apr?s avoir rappel? les causes du d?veloppement qu'elle a pris en
1. Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das Deutsche Wirtschaftsleben (Herausgegeben von der Industrie und Handelskammer zu Berlin), Berlin, Georg Stilke, 1928, in-8?, 460 p.
2. Die ?konomische und sozialpolitische Bedeutung der industriellen Rationalisier rungsbestrcbungcn unter besonderer Ber?cksichtigung der Standardisierung, Karlsruhe, Gr. Braun, 1028, in-8?, 104 p.
ANN. D'HISTOIRE. ? lrc ANN?E. l0
?CONOMIE ALLEMANDE 145
programme agraire et qu'ainsi il existe un lien historique entre les Monta
gnards et Babeuf. Mais alors, pourquoi n'ont-ils pas song? ? am?liorer et ?
faire appliquer strictement les lois de juin et de septembre 1793 en tant
qu'elles favorisaient, dans l'ali?nation des biens nationaux, les prol?taires des campagnes ? Pourquoi n'ont-ils pr?t? aucune attention aux p?titions
qui ne cessaient de leur parvenir pour r?clamer la r?forme du m?tayage et la
division des grandes fermes ? Si, par les d?crets de vent?se, ils ont r?elle
ment voulu s'attacher le paysan, leur pens?e, tout originale soit-elle, demeure
cependant ?triqu?e ; elle est, au fond, h?bertiste et vise plut?t ? ruiner les
contre-r?volutionnaires qu'? r?soudre la crise agraire ? laquelle probable
ment, en petits bourgeois citadins, ils n'attachaient pas d'importance. Ce compte rendu sommaire malgr? sa longueur t?moignera, esp?rons
nous, de l'int?r?t du livre de Mr Mathiez, et sans doute tombera-t-on d'ac
cord pour reconna?tre que l'histoire de la R?volution prend ainsi une
physionomie nouvelle. G. Lefebvre.
(Strasbourg.)
?conomie allemande.
La Chambre de commerce de Berlin avait organis?, ? la fin de 1927, une
s?rie de conf?rences sur la rationalisation. Elle les a r?unies en un volume1.
Plusieurs de ces ?tudes sont d'un vif int?r?t et renferment des donn?es pr? cieuses sur la situation des diverses branches de l'activit? industrielle et
commerciale.
Les unes ont un caract?re plut?t th?orique ; elles exposent des consid?ra
tions de principe ou pr?sentent un programme de r?formes. Le professeur Bonn d?finit la rationalisation. Le professeur Hirsch en retrace les cons?
quences pour la main-d' uvre. L'ancien ministre Drews esquisse les r?formes
administratives qui pourraient ?tre envisag?es. L'ing?nieur Koettgen traite
de l'emploi de la cha?ne dans la fabrication. Le professeur Briefs de la ratio
nalisation du travail.
D'autres ?tudes ont un caract?re plut?t technique et sont des tableaux
de faits. Clairement r?dig?es par des sp?cialistes ?minents, elles indiquent avec pr?cision les progr?s d?j? accomplis : *dans l'agriculture (comte Kayser
lingk), dans l'industrie mini?re et m?tallurgique (Mr Reichert), dans la
banque (Mr Mosler), dans les chemins de fer (le directeur g?n?ral Dorpm?ller), dans la construction m?tallique (Mr Lange), dans l'industrie textile (MrMuller
Oerlinghausen), dans le commerce de d?tail (Mr Gr?nfeld), dans le commerce
des denr?es alimentaires (Mr Herrmann).
Le Dr Carl Schiffer2 expose les principaux probl?mes li?s ? la rationa
lisation. Apr?s avoir rappel? les causes du d?veloppement qu'elle a pris en
1. Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das Deutsche Wirtschaftsleben (Herausgegeben von der Industrie und Handelskammer zu Berlin), Berlin, Georg Stilke, 1928, in-8?, 460 p.
2. Die ?konomische und sozialpolitische Bedeutung der industriellen Rationalisier rungsbestrcbungcn unter besonderer Ber?cksichtigung der Standardisierung, Karlsruhe, Gr. Braun, 1028, in-8?, 104 p.
ANN. D'HISTOIRE. ? lrc ANN?E. l0
146 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Allemagne, il d?crit clairement les m?thodes qu'elle emploie ; enfin il pr?cise* les r?sultats qu'elle a obtenus et ceux qu'elle peut obtenir.
Une courte bibliographie signale les ?tudes essentielles consacr?es ? ce
sujet en Allemagne.
Le Dr H. Niebuhr1 ?tudie le r?le du Reich et des ?tats dans l'?conomie
g?n?rale de l'Allemagne. Pendant la guerre, ce r?le s'est largement accru.
Autrefois les ?tats disposaient des chemins de fer, des caisses d'?pargne et exer?aient une action sur l'industrie du charbon et de la potasse ; les com
munes assuraient les services d'eau, de gaz, d'?lectricit?, de tramways.
Depuis la guerre, le Reich et les ?tats sont associ?s ? de tr?s nombreuses et
importantes entreprises, dans les branches d'activit? les plus diverses : indus
trie, finance, construction, ravitaillement, etc.
Cet expos? g?n?ral des faits, qui renferme des donn?es int?ressantes et
pr?cises, prend la moiti? de l'?tude. Il est suivi de la critique des tendances
?tatistes. Le Dr Niebuhr estime que l'?tat doit dominer l'?conomie g?n?rale, mais sans y participer. Par rapport aux entreprises priv?es, les entreprises
publiques jouissent d'inadmissibles avantages d'ordre fiscal et commercial.
Dans tous les pays elles sont accessibles aux influences politiques. En ce qui concerne particuli?rement l'Allemagne, elles risquent de r?veiller la menace
de l'article 248 du Trait? de Versailles, qui a ?tabli, pour le r?glement des
r?parations, un privil?ge de premier rang sur tous les biens et ressources de
l'Empire et des ?tats.
Maurice Baumont.
?conomie britannique.
L'?tude de Mr Evan J. Jones sur le Pays de Galles2, bien document?e et
faite d'apr?s des sources dont beaucoup sont de premi?re main, montre com
ment s'est accomplie, pour les principales industries du Pays de Galles, la
transition entre l'?conomie ancienne et l'?conomie moderne au moment de
la r?volution industrielle. Jusqu'? une ?poque assez r?cente, le Pays de
Galles eut une industrie laini?re fort active ; elle s'?tait constitu?e, d?s le
xine et le xive si?cle, sous l'influence d'?migrants flamands qui avaient
apport? les secrets de leur technique et leurs tours de main. Au xvme si?cle,
autour de Dolgelly et de Machynlleth, ainsi que dans le Denbighshire, tra
vaillaient de nombreux m?tiers ruraux dont les ?toffes, par l'interm?diaire de
Londres et de Liverpool, se vendaient en Europe et en Am?rique. Mais c'?tait
une industrie de petite envergure, manquant de capitaux et qui, ? la fin du
xvine si?cle, ne put pas fonder, aupr?s de ses rivi?res abondantes et rapides, des usines m?caniques ? la moderne ; c'est alors que le Yorkshire conquit la
supr?matie dans la manufacture de la laine. Quant ? la m?tallurgie du fer,
elle est fort ancienne dans le Pays de Galles qui, surtout dans le Sud, lui four
1. Oeffentliche Unternehmungen und Privatwirtschaft, Leipzig, G. A. Gloeckner, 1928, in-8?, 94 p.
2. Some contributions to the economic history of Wales, London, P. S. King and Son,
1928, in-8c, 197 p.
146 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
Allemagne, il d?crit clairement les m?thodes qu'elle emploie ; enfin il pr?cise* les r?sultats qu'elle a obtenus et ceux qu'elle peut obtenir.
Une courte bibliographie signale les ?tudes essentielles consacr?es ? ce
sujet en Allemagne.
Le Dr H. Niebuhr1 ?tudie le r?le du Reich et des ?tats dans l'?conomie
g?n?rale de l'Allemagne. Pendant la guerre, ce r?le s'est largement accru.
Autrefois les ?tats disposaient des chemins de fer, des caisses d'?pargne et exer?aient une action sur l'industrie du charbon et de la potasse ; les com
munes assuraient les services d'eau, de gaz, d'?lectricit?, de tramways.
Depuis la guerre, le Reich et les ?tats sont associ?s ? de tr?s nombreuses et
importantes entreprises, dans les branches d'activit? les plus diverses : indus
trie, finance, construction, ravitaillement, etc.
Cet expos? g?n?ral des faits, qui renferme des donn?es int?ressantes et
pr?cises, prend la moiti? de l'?tude. Il est suivi de la critique des tendances
?tatistes. Le Dr Niebuhr estime que l'?tat doit dominer l'?conomie g?n?rale, mais sans y participer. Par rapport aux entreprises priv?es, les entreprises
publiques jouissent d'inadmissibles avantages d'ordre fiscal et commercial.
Dans tous les pays elles sont accessibles aux influences politiques. En ce qui concerne particuli?rement l'Allemagne, elles risquent de r?veiller la menace
de l'article 248 du Trait? de Versailles, qui a ?tabli, pour le r?glement des
r?parations, un privil?ge de premier rang sur tous les biens et ressources de
l'Empire et des ?tats.
Maurice Baumont.
?conomie britannique.
L'?tude de Mr Evan J. Jones sur le Pays de Galles2, bien document?e et
faite d'apr?s des sources dont beaucoup sont de premi?re main, montre com
ment s'est accomplie, pour les principales industries du Pays de Galles, la
transition entre l'?conomie ancienne et l'?conomie moderne au moment de
la r?volution industrielle. Jusqu'? une ?poque assez r?cente, le Pays de
Galles eut une industrie laini?re fort active ; elle s'?tait constitu?e, d?s le
xine et le xive si?cle, sous l'influence d'?migrants flamands qui avaient
apport? les secrets de leur technique et leurs tours de main. Au xvme si?cle,
autour de Dolgelly et de Machynlleth, ainsi que dans le Denbighshire, tra
vaillaient de nombreux m?tiers ruraux dont les ?toffes, par l'interm?diaire de
Londres et de Liverpool, se vendaient en Europe et en Am?rique. Mais c'?tait
une industrie de petite envergure, manquant de capitaux et qui, ? la fin du
xvine si?cle, ne put pas fonder, aupr?s de ses rivi?res abondantes et rapides, des usines m?caniques ? la moderne ; c'est alors que le Yorkshire conquit la
supr?matie dans la manufacture de la laine. Quant ? la m?tallurgie du fer,
elle est fort ancienne dans le Pays de Galles qui, surtout dans le Sud, lui four
1. Oeffentliche Unternehmungen und Privatwirtschaft, Leipzig, G. A. Gloeckner, 1928, in-8?, 94 p.
2. Some contributions to the economic history of Wales, London, P. S. King and Son,
1928, in-8c, 197 p.
?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 147
nissait depuis longtemps des minerais et du charbon de bois. Mais les d?buts
de la grande m?tallurgie datent du milieu du xvme si?cle, quand des ma?tres
de forges de l'Angleterre du Nord vinrent fonder des mines, dans les comt?s
de Monmouth et de Glamorgan, aupr?s des mines de charbon. Ce sont les
houill?res qui, par la quantit? et la qualit? de leur charbon, constituent la
base fondamentale de la m?tallurgie ; car, d?s 1820, les hauts fourneaux
gallois doivent d?j? importer des minerais ?trangers. L'extraction du charbon
elle-m?me ne devint intense que durant la derni?re d?cade du xvine si?cle,
quand les canaux des comt?s charbonniers eurent permis des communications
faciles et assez rapides entre les mines de l'int?rieur et les ports : comme par
tout, pas d'extraction de charbon possible sans les moyens de transporter la production. En 1828, le Pays de Galles exportait d?j? 904 890 tonnes de
charbon, surtout par Newport et Swansea. En 1833, plus de trois cents cha
lands ?taient occup?s ? transporter le charbon entre Merthyr Tidvil et Cardiff.
Mais cette flottille ne suffisait pas ? emp?cher les ? embouteillages ?, et il
fallut en 1836 construire le chemin de fer de Merthyr Tidvil ? Cardiff (Taff Vale Railway) pour ?vacuer le charbon ; bient?t suivit la construction de
tout un r?seau de voies ferr?es qui remontent et desservent toutes les vall?es
houill?res. Aussi l'exportation du charbon de Cardiff passa de 313 000 tonnes
en 1840 ? 1 142 366 en 1860, ? 9 481 802 en 1890, ? 19 328 833 en 1913. De
m?me, Mr Jones d?crit, s'appuyant toujours sur les documents de l'?poque, l'?volution des ports gallois et le mouvement de la population galloise en
fonction du d?veloppement industriel du pays. A. Demangeon.
?conomie de l'Europe slave.
On sait que Y Institut d'?tudes slaves a entrepris une suite de traductions,
qui mettront ? la port?e du public fran?ais les ouvrages fondamentaux d'une
litt?rature historique jusque-l? inaccessible ? la plus grande partie d'entre
nous. La tr?s utile Histoire ?conomique de la Pologne avant les partages de
M. Jan Rutkowski vient de prendre place dans cette collection1. L'initia
tive de l'Institut est si louable, elle t?m oigne d'un sens si avis? des besoins les
plus pressants de la culture historique, elle rend ? nos ?tudes, en un mot, de
si pr?cieux services, que l'on ?prouve quelque scrupule ? devoir exprimer au
sujet de son ex?cution, dont les difficult?s n'?chapperont ? personne, une
critique, m?me l?g?re. Il y aurait pourtant quelque injustice envers M. Rut
kowski ? ne pas dire franchement que le lecteur ? f?t-il absolument inca
pable de confronter les deux textes, fran?ais et polonais ? a l'impression de
n'apercevoir l'ouvrage original qu'? travers une vitre un peu brouill?e. La
1. Paris, Champion (Institut d'?tudes slaves de l'Universit? de Paris. Biblioth?que polo naise, I), 1927, in-8?, xii-268 p. Il faut y joindre-l'article que M. Rutkowski a publi? dans la Revue d'Histoire ?conomique et sociale, t. XV (1926) et XVI (1927), sous le titre : Le r?gime agraire en Pologne au XVIII* si?cle ; on trouvera, dans cet important m?moire, un grand nombre de d?tails concrets, qui compl?tent utilement le livre et en font regretter parfois l'in?vitable bri?vet?.
?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 147
nissait depuis longtemps des minerais et du charbon de bois. Mais les d?buts
de la grande m?tallurgie datent du milieu du xvme si?cle, quand des ma?tres
de forges de l'Angleterre du Nord vinrent fonder des mines, dans les comt?s
de Monmouth et de Glamorgan, aupr?s des mines de charbon. Ce sont les
houill?res qui, par la quantit? et la qualit? de leur charbon, constituent la
base fondamentale de la m?tallurgie ; car, d?s 1820, les hauts fourneaux
gallois doivent d?j? importer des minerais ?trangers. L'extraction du charbon
elle-m?me ne devint intense que durant la derni?re d?cade du xvine si?cle,
quand les canaux des comt?s charbonniers eurent permis des communications
faciles et assez rapides entre les mines de l'int?rieur et les ports : comme par
tout, pas d'extraction de charbon possible sans les moyens de transporter la production. En 1828, le Pays de Galles exportait d?j? 904 890 tonnes de
charbon, surtout par Newport et Swansea. En 1833, plus de trois cents cha
lands ?taient occup?s ? transporter le charbon entre Merthyr Tidvil et Cardiff.
Mais cette flottille ne suffisait pas ? emp?cher les ? embouteillages ?, et il
fallut en 1836 construire le chemin de fer de Merthyr Tidvil ? Cardiff (Taff Vale Railway) pour ?vacuer le charbon ; bient?t suivit la construction de
tout un r?seau de voies ferr?es qui remontent et desservent toutes les vall?es
houill?res. Aussi l'exportation du charbon de Cardiff passa de 313 000 tonnes
en 1840 ? 1 142 366 en 1860, ? 9 481 802 en 1890, ? 19 328 833 en 1913. De
m?me, Mr Jones d?crit, s'appuyant toujours sur les documents de l'?poque, l'?volution des ports gallois et le mouvement de la population galloise en
fonction du d?veloppement industriel du pays. A. Demangeon.
?conomie de l'Europe slave.
On sait que Y Institut d'?tudes slaves a entrepris une suite de traductions,
qui mettront ? la port?e du public fran?ais les ouvrages fondamentaux d'une
litt?rature historique jusque-l? inaccessible ? la plus grande partie d'entre
nous. La tr?s utile Histoire ?conomique de la Pologne avant les partages de
M. Jan Rutkowski vient de prendre place dans cette collection1. L'initia
tive de l'Institut est si louable, elle t?m oigne d'un sens si avis? des besoins les
plus pressants de la culture historique, elle rend ? nos ?tudes, en un mot, de
si pr?cieux services, que l'on ?prouve quelque scrupule ? devoir exprimer au
sujet de son ex?cution, dont les difficult?s n'?chapperont ? personne, une
critique, m?me l?g?re. Il y aurait pourtant quelque injustice envers M. Rut
kowski ? ne pas dire franchement que le lecteur ? f?t-il absolument inca
pable de confronter les deux textes, fran?ais et polonais ? a l'impression de
n'apercevoir l'ouvrage original qu'? travers une vitre un peu brouill?e. La
1. Paris, Champion (Institut d'?tudes slaves de l'Universit? de Paris. Biblioth?que polo naise, I), 1927, in-8?, xii-268 p. Il faut y joindre-l'article que M. Rutkowski a publi? dans la Revue d'Histoire ?conomique et sociale, t. XV (1926) et XVI (1927), sous le titre : Le r?gime agraire en Pologne au XVIII* si?cle ; on trouvera, dans cet important m?moire, un grand nombre de d?tails concrets, qui compl?tent utilement le livre et en font regretter parfois l'in?vitable bri?vet?.
148 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
traduction n'est ni ?l?gante, ni toujours claire, et les termes techniques sont
rendus avec une insuffisante fid?lit?.
Le livre lui-m?me, extr?mement instructif et d'un int?r?t qui jusqu'? la
derni?re page ne faiblit pas, se pr?te malais?ment ? l'analyse. A quoi bon, du
reste, le r?sumer ? Mieux vaut chercher ? mettre l'accent sur la m?thode suivie
et les principaux probl?mes soulev?s.
La r?partition des mati?res est conforme aux habitudes courantes. Deux
p?riodes, les deux p?riodes traditionnelles : a le moyen ?ge ? ; ? l'?re moderne ?.
A l'int?rieur de chacune de ces grandes sections chronologiques, le classement,
?galement usuel, par ? esp?ces de la production ?
(pour employer le langage de
M. Simiand) : agriculture, industrie, commerce ; puis quelques chapitres ? non endivisionn?s ? : population (il faut remercier vivement M. Rutkowski
de n'avoir pas n?glig? cette question, si importante et si difficile ? traiter) \
villes, monnaies, finances. Il semble bien que M. Rutkowski ait ?prouv?, au
sujet de ce d?coupage, les doutes qui ne peuvent manquer d'assaillir tout
historien aux prises avec le douloureux probl?me de la classification ?cono
mique (voir rIntroduction, p. xi et suiv.). S'il s'en est tenu, malgr? tout, au
syst?me commun?ment admis, c'est moins par conviction intellectuelle que
pour des motifs tout pratiques : il a jug? commode de suivre le plan adopt?
par la plupart des monographies sur lesquelles il s'appuyait ; il a vraisem
blablement crrint de d?router son lecteur. Raisons d'un grand poids, sans
dou?e. Quel dommage pourtant qu'il ne se soit pas senti plus d'audace I
Puisque, de son propre avis, les faits agraires eurent, en Pologne, une ? impor
tance? toute ?sp?ciale?, n'aurait-il pas pu trouver dans l'?volution rurale
et, plus pr?cis?ment, dans le passage si caract?ristique de l'exploitation sei
gneuriale ? l'exploitation domaniale (Grundherrschaft et Gutsherrschaft des
historiens allemands), le principe d'une division dans le temps, d'ordre vrai
ment ?conomique ? Le trait de s?paration se serait en ce cas plac? plut?t au d?but qu'? la fin du xve si?cle. Surtout, comment, si justement attentif
? l'histoire mon?taire, s'est-il r?sign? ? suivre le vieil errement qui fait de la
monnaie, en histoire ?conomique, une esp?ce d'?piph?nom?ne que, faute de
savoir tr?s bien o? le placer, on rel?gue vers la fin de l'expos? ? N'est-ce pas se condamner ? masquer toute une s?rie de relations essentielles ? Ces obser
vations ne sont pas particuli?res ? M. Rutkowski. Bien d'autres ouvrages les
appellent ; nous aurons l'occasion d'y revenir.
Parmi les principaux probl?mes ?tudi?s, qui ne sauraient ?tre tous retenus
ici, deux m'ont paru entre tous capitaux : la place de la Pologne dans les
courants commerciaux ; l'?volution agraire. Pendant la plus grande partie du moyen ?ge, la Pologne avait ?t? un des
interm?diaires du commerce, par voie de terre, entre l'Europe du Centre, du
Nord et de l'Ouest d'une part, 1'? Orient? de l'autre. Depuis le xve si?cle, et
malgr? quelques tentatives de reprise par la suite, ces relations p?riclit?rent. La vie commerciale du pays se tourna presque tout enti?re vers la Baltique. Un fait, mentionn? pour la premi?re fois en 1497, est entre tous significatif :
jusque-l? les produits du Levant arrivaient en Pologne par les routes du Sud
Est ; d?sormais ils font le grand d?tour ; ce sont les pays d'Occident qui les
1. Quelques mots d'introduction g?ographique auraient ?clair? l'histoire de l'occupa tion du sol.
?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 149
transmettent au bassin de la Vistule (p. 59). L'importance prise par les com
munications maritimes, dans les derniers si?cles du moyen ?ge, se rattache ?
toute une s?rie de ph?nom?nes qui commencent aujourd'hui ? nous ?tre fami
liers. Moins g?n?ralement connues peut-?tre, les anciennes liaisons terrestres
entre la Pologne et l'immense arri?re-pays de la mer Noire prouvent, une fois
de plus, que, ? c?t? de la M?diterran?e, les routes continentales, en direction Est
Ouest, ou Sud-Est?Nord-Ouest, ont jou? longtemps un r?le important. Tout
ce trafic de l'Ukraine, des Balkans et du Danube m?riterait d?cid?ment
une ?tude approfondie. Aux origines de l'histoire agraire polonaise, un probl?me, destin? peut
?tre, faute de documents, ? rester ?ternellement obscur : l'?tablissement du
r?gime seigneurial. M. Rutkowski semble attribuer une importance pr?pond? rante ? l'action de l'?tat. Mais n'y aurait-il pas eu un grand int?r?t ? se deman
der de quels ?l?ments ?- fonctionnaires royaux, anciens chefs de villages ou de
clans, etc. ? se forma la classe des seigneurs ? Ici le probl?me de classe semble
fondamental. On doit le poser ; ce n'est pas ? dire qu'on puisse le r?soudre.
Pour l'Occident, pouvons-nous donner la solution ? Nous oublions m?me quel
quefois l'?nonc?1. J'ai d?j? fait allusion plus haut ? la grande transfor
mation qui, vers la fin du moyen ?ge et au d?but des temps modernes, subs
titua, en Pologne, ? un r?gime seigneurial fond? surtout sur les redevances,
un syst?me o? le faire-valoir direct du seigneur et par suite les corv?es pren nent une place pr?pond?rante. M. Rutkwoski a admirablement d?crit, dans
toutes ses nuances, cette ?volution. Excellente analyse ?galement des tenta
tives de r?forme, qui agit?rent l'opinion, peu avant les partages. ?? et l?, dans cette derni?re partie de l'?tude, on note un penchant, ? mon go?t, un
peu trop marqu?, pour des interpr?tations de style marxiste ; les int?r?ts
?conomiques, plus ou moins consciemment sentis, suffisent-ils ? expliquer l'at
titude des groupes oppos?s ? On est d'autant plus ?tonn? de cette simplifica tion excessive que, par ailleurs, M. Rutkowski a prouv? qu'il appr?ciait, ? sa
juste valeur, le facteur proprement psychologique. Nul mieux que lui n'a
montr? que, dans la Pologne du xvine si?cle, le principal obstacle au d?ve
loppement de la grande entreprise rurale de forme capitaliste r?sidait avant
tout dans Y ? esprit non capitaliste? de la noblesse. Les petits seigneurs pr?f?
raient la routine des corv?es, qui leur assurait, sans d?bours et sans risques, un revenu m?diocre, ? l'introduction d'un large r?gime de salariat. Celui-ci,
plus avantageux en soi, e?t n?cessit? l'?tablissement, entre les d?penses et
les recettes, d'un ?quilibre d?licat, sans cesse pr?t ? se rompre; ces difficult?s
et ces dangers effrayaient des hommes qui ne se sentaient pas l'?me de grands brasseurs d'affaires (V. notamment R?gime agraire, p. 45-46 du tirage apart). Bien entendu, la tendance des seigneurs ? ?tendre leurs exploitations propres n'est pas, ? la fin du moyen ?ge, un fait sp?cifiquement polonais ; voyez non
seulement l'Allemagne du Nord, mais aussi l'Autriche, l'Angleterre, m?me la
France; les rentiers du sol avaient partout d'excellentes raisons de ne pas ?tre satisfaits du produit des redevances. Faut-il reprocher ? M. Rutkowski
1. On notera que, au xviii* si?cle, noblesse et classe seigneuriale ne se confondaient pas absolument : la toute petite noblesse n'avait pas de tenanciers (R?gime agraire, p. 26-27). Quelques indications suppl?mentaires sur la condition juridique des paysans eussent rendu leur histoire ?conomique plus facile ? saisir.
150 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
de ne pas avoir suffisamment fait sentir ? son lecteur que le ph?nom?ne, tr?s
g?n?ralement europ?en, ne peut s'expliquer que par des causes g?n?rales ?
L'essentiel est qu'il nous ait fourni sur l'aspect polonais de ce large mouve
ment des renseignements abondants, pr?cis et certains. Sur ce point, comme
sur beaucoup d'autres, l'histoire ?conomique compar?e tirera de son ouvrage
des lumi?res pr?cieuses1. Ce que nous lui devons avant tout, ce sont des
remerciements.
Marc Bloch.
On pourrait s'?tonner de voir inaugurer les comptes rendus des publica tions ?conomiques et sociales tch?ques par un livre
- qui porte comme titre
le nom du grand guerrier de l'?poque hussite. Mais ce titre nous apprend aussi que l'auteur entend d?crire l'?poque m?me pendant laquelle Zizka
grandit. Pekar qui, en Tch?coslovaquie, a fray? la voie ? l'?tude de l'histoire
?conomique, se rend compte en effet que la r?volution hussite (en quoi elle
est du moyen ?ge encore) comporte d'importants facteurs sociaux. Et,
lorsqu'on ferme son livre, on comprend pourquoi, plus que les autres uvres
historiques r?centes, il a provoqu?, de la part des savants comme des non sp?
cialistes, tant de discussions et de r?flexions critiques : elles portent essen
tiellement sur une d?finition de la d?mocratie de Tabor sensiblement diff?
rente de la conception traditionnelle.
L'auteur, pour qualifier sa m?thode, l'appelle une ? confrontation de
t?moins? et une ?documentation d'?poque?. Il a entrepris une r?vision
presque compl?te des sources, de sorte que son livre peut servir de manuel
historiographique de l'histoire tch?que au xve et partiellement au xvie si?cle.
Il s'est servi quelquefois de sources nouvelles, mais elles comptent peu. Ce
qui importe davantage, il fournit souvent une interpr?tation nouvelle de
mat?riaux d?j? connus. Il laisse parler abondamment ses sources, pour saisir
les opinions que professaient les contemporains sur la r?volution hussite, et surtout sur le parti radical des Taborites ; ceci fait, il ne laisse pas que
d'exprimer, avec nettet?, son propre point de vue et sa conception person nelle ; mais, pour ne pas prononcer sur ses id?es un jugement pr?cipit?, il faut
attendre la publication du tome III : il nous apportera des conclusions aux
quelles n'ont pas donn? lieu les deux premiers volumes. Si nous publions
quand m?me le compte rendu d'un livre inachev?, ce n'est pas seulement
pour suivre l'actualit? ; c'est que le tome I nous pr?sente d?j? des conclusions
que l'auteur lui-m?me d?clare d?finitives.
1. Les historiens du colonat et du servage feront bien de m?diter ses justes observations sur l'extr?me difficult? que les seigneurs polonais ?prouv?rent a faire du principe de ? l'at tache ? la gl?be ? une r?alit? ; l'?tat ?tait trop faible, sa police trop insuffisante pour que le serf fugitif f?t, en g?n?ral, rejoint ou le propri?taire qui l'avait accueilli contraint de le restituer (flistoire, p. 104 et 123 ; R?gime agraire, p. 13). D'un point de vue plus stricte
ment ?conomique, on notera un effort des plus int?ressants pour calculer la part respec tive du seigneur et des tenanciers dans les produits du sol. Cf.. outre R?gime agraire, p. 60 et suiv., l'article paru dans la Revue de Synth?se historique, t. XLIII, 1927, sous un titre quelque peu trompeur : Le probl?me de la synth?se dans l'histoire ?conomiijue. Il y a l? l'indication d'une m?thode f?conde, qui m?riterait d'?tre appliqu?e aux faits fran?ais.
2. Josef Pekar, Zizka a jeho doba (Zizka et son ?poque, t. I : L'?potme en rapport parti culier avec Tabor ; t. II : Jean Zizka), Praha, 1927-28, in-8?, 283 et 279 p.
?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 151
Elles constituent un chapitre sp?cial sous le titre : ? Les id?es sociales et
politiques contenues dans le taborisme?. Jusqu'alors pr?valait l'opinion du
p?re de l'histoire tch?que, Palacky, formul?e au milieu du xixe si?cle : les
Taborites ?taient des d?mocrates. A ce jugement, l'historien allemand Bezold
apporta d?j? quelque att?nuation : les Taborites ?taient, dit-il, d?mocrates en th?orie ; ils ne l'?taient point en pratique. Pekar, lui, qui ?claircit et classe
des id?es, distingue trois p?riodes ou trois conceptions dans le d?veloppement
du parti taborite.
Ni la th?orie ni la pratique des Taborites n'indiquent, nous dit-il, une
tendance au d?mocratisme. Les pr?tres taborites eux-me mes distinguaient ? trois esp?ces de peuple
? : clerg?, noblesse et sujets, ? ces derniers ayant
pour devoir de nourrir les premiers. Et ces distinctions qui s?paraient surtout
les paysans ? la classe la moins ?lev?e ? de la grande et petite noblesse et
des habitants des villes ?taient en vigueur m?me aux di?tes et dans l'arm?e.
Pareillement on ne peut appeler d?mocratiques les opinions de quelques
th?oriciens, Stitny, Hus et autres, qui demandaient que le ma?tre f?t pour ses sujets bon et cl?ment ; elles ne les emp?chaient pas de vouloir maintenir
l'ordre juridique et social d'alors : le sujet devait rester sujet. Seul Chelcicky
alla plus loin en r?clamant une soci?t? exempte de distinctions sociales, ?cono
miques et m?me intellectuelles. Mais m?me l? il ne faut pas voir une mani
festation de pens?e d?mocratique ; c'est une conformit? avec l'?criture sainte ? et les Taborites combattaient sa doctrine. Ils combattaient ?galement les
id?es chiliates, apparues au d?but m?me de la r?volution de 1420 et qui, seules
? l'?poque du taborisme, furent une manifestation vraiment d?mocratique :
elles tendaient ? la suppression du servage, de toutes les diff?rences sociales
et des imp?ts. Ce mouvement engendr? par des id?es mystiques et qui tra
duisait de chim?riques aspirations au royaume de Dieu sur terre, ?tait faible
et n'a dur? que quelques mois. Il put attirer les paysans, encore qu'au d?but
du xive si?cle, d'apr?s Mr Pekar, leur situation ?conomique ne f?t pas mau
vaise ; de sorte que leur participation au mouvement s'explique plus par une
crise de conscience personnelle que par leur mis?re collective et mat?rielle.
Mais, d?s que les Taborites furent organis?s militairement et eurent consolid?
leur puissance, ils devinrent pour les paysans des ma?tres au m?me titre que
leurs anciens seigneurs. Dans leur m?tropole, Tabor, et en d'autres lieux
encore, ils se constitu?rent ? la fa?on d'une commune et maintinrent dans
leur arm?e la distinction des bourgeois et des paysans, ces derniers restant
socialement et juridiquement inf?rieurs aux autres.
Par ailleurs, la situation alla s'empirant pour la classe paysanne. La r?vo
lution hussite faisait sienne une revendication sociale qui devint presque
l'affaire capitale du mouvement. Elle demandait la suppression des domaines
de l'?glise. Bien entendu, cette revendication avait des raisons d'ordre sur
tout religieux ; on imputait aux grandes propri?t?s les d?sordres du clerg?.
Les grandes possessions de l'?glise furent donc effectivement supprim?es.
Mais cela ne soulagea pas les sujets. Ils ne firent que changer de seigneurs et
finirent par s'apercevoir que les nouveaux ?taient moins cl?ments que les
anciens, les gens d'?glise ; le paysan souffrit par surcro?t de ce fait que ce
grand changement dans le syst?me de la propri?t? augmenta la richesse, le
pouvoir et les pr?tentions d'une noblesse qui d?sormais prit parti m?me contre
ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
le roi et l'emporta souvent, alors qu'il essayait de prot?ger les sujets contre
elle.
Ces cons?quences mat?rielles et sociales assez p?nibles de la r?volution
confirment l'auteur dans le jugement qu'il porte sur la d?mocratie hussite.
Cette c?l?bre p?riode de l'histoire tch?que finit par la bataille de Lipany, en
1434, o? le parti radical des Taborites fut vaincu par le parti plus mod?r? des Pragois. Palacky regrettait cette d?faite ; il y voyait une d?faite de la d?mocratie tch?que. Pour Mr P?kar, au contraire, les Taborites furent sim
plement une bourgeoisie radicale et les Pragois, en l'emportant sur elle, se
d?barrass?rent de l'?l?ment destructeur qui jusqu'alors emp?chait la conso
lidation du pays. Les Taborites ne connurent pas la d?mocratie dans le sens
moderne de ce mot, mais seulement la th?ocratie repr?sent?e surtout par Zizka :
c'est la conclusion du chapitre sur la situation sociale, mais aussi la conclu
sion de tout le livre et l'auteur y parvient par sa ? confrontation des t?moins ?.
Elle se r?f?re au portrait qu'il nous trace de Zizka. Jusqu'? pr?sent, on voyait en lui un hobereau, qui, frustr? de sa petite propri?t? par un voisin puissant, le seigneur de Rozmberk, s'?tait veng? de lui en suscitant de petites ?meutes. Niant le motif de la vengeance, Mr Pekar d?montre que Zizka fut
un soldat mercenaire qui prenait part aux luttes civiles des nobles, luttes
habituelles dans la soci?t? tch?que d'alors. Le portrait d?finitif de Zizka ne sera d'ailleurs trac? que dans le tome III.
Il n'y a pas de doute que les conceptions de Palacky sur la d?mocratie vaincue ? Lipany demandent ? ?tre r?vis?es, de m?me qu'ant?rieurement d?j? a d? ?tre revue et r?fut?e sa conception romanesque de la d?mocratie des anciens Slaves et des anciens Tch?ques aux origines de leur histoire. On trouverait difficilement, pour op?rer cette r?vision, quelqu'un de plus qualifi? que Mr Pekar. Il est aujourd'hui le ma?tre de l'histoire tch?que ; il ?crit un style admirable ; il est enfin un patriote du caract?re le plus noble : on pourrait difficilement le soup?onner de vouloir ? plaisir d?truire des images et des id?es, qui, dans la lutte nationale s?culaire pour l'ind?pendance, ont ?t? souvent d'un puissant appui. Mais Mr Pekar est en m?me temps un esprit conservateur. R?agissant vivement aux probl?mes du jour, il les juge volon tiers en partisan de l'aristocratie (non point de la noblesse en g?n?ral, mais de ceux qui sont, ou devraient ?tre, les meilleurs). Son z?le l'entra?ne parfois ?
d?passer la mesure. Et pareille aventure lui est d?j? survenue, par exemple quand il a d?fendu la contre-r?forme catholique des xviie-xvme si?cles et son saint attitr?, Jean N?pomuc?ne,
? ou bien quand, manifestant sa pr?f? rence pour l'aristocratie, il s'est prononc? contre la r?forme agraire. Le livre sur Zizka est influenc? pareillement par les probl?mes aigus de notre ?poque. L'auteur lui-m?me, dans un passage, ?tablit une comparaison entre les faits qu'il ?tudie et la r?volution russe. Sa r?pugnance pour le radicalisme exag?r? et la d?mocratie mal comprise de l'?poque contemporaine ne peut naturel lement que l'affermir dans son opinion hostile au parti taborite,
? encore que sa conception soit chez lui d'ancienne date. Cette fois, cependant, je crois le conservatisme de Mr Pekar plus acceptable, plus mod?r?, plus r?fl?chi que dans les deux exemples cit?s plus haut. Ce n'est pas la premi?re fois que, apr?s un certain laps de temps, et les circonstances s'?tant modifi?es, une ?poque de r?volution se voit juger d'une fa?on nouvelle : qu'on songe aux appr?cia
?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 153
tions diverses qu'a suscit?es la R?volution fran?aise. Mr Pekar veut modifier
la conception de la d?mocratie dans le hussitisme et ajouter des traits nou
veaux ? la physionomie de Zizka. Je crois, quant ? moi, que cela ne porte
pas pr?judice ? notre histoire. Des id?es qu'apporte l'historien, beaucoup seront sans doute r?vis?es ? la suite des discussions en cours et dont nous
essaierons de donner un compte rendu aussit?t que le tome III aura ?t? publi?. Pour ne parler que de la situation sociale, il faudra sinon repousser ses conclu
sions, du moins les approfondir. Nous sommes trop loin de bien conna?tre
l'?volution de la question paysanne aux xive et xve si?cles pour ?tre ? m?me
d'appr?cier ? sa juste valeur l'influence qu'a exerc?e sur elle la r?volution
hussite. En attendant, il est difficile de dire si, en dehors des motifs religieux, c'est la mis?re mat?rielle qui poussa les paysans ? la r?volution ou bien si
au contraire une situation satisfaisante leur avait permis de s'occuper davan
tage des choses de l'esprit. Et pareillement les r?sultats ?conomiques et
sociaux de la r?volution nous sont toujours mal connus. Malgr? l'existence de
plusieurs travaux r?cents, on ne peut consid?rer le chapitre de Mr Pekar
comme d?finitif. Je pense qu'il faudra avoir recours, plus fr?quemment qu'on ne l'a fait jusqu'? pr?sent, ? la m?thode comparative et juger la situation
en Boh?me par rapport ? celle des pays voisins, et particuli?rement des pays situ?s ? l'Ouest de la Boh?me. Il faudra aussi donner une d?finition de la
d?mocratie d'alors, et en ?tablir ?ventuellement les degr?s en Boh?me par
comparaison avec les pays voisins, ?
compte tenu, bien entendu, de toutes les
diff?rences de leur ?volution respective. C'est par cette m?thode seulement
qu'on pourra mesurer les cons?quences qu'a eues la r?volution hussite pour le d?veloppement social en Boh?me.
V. Cerny.
L'?tude des budgets ouvriers a pris, en Russie, au cours de ces derni?res
ann?es, un d?veloppement consid?rable. Avant la guerre, ce domaine ?tait
rest? presque totalement inexplor?, sauf pendant la p?riode qui suivit la
r?volution de 1905. D?s le d?but de la r?volution de 1917, la question fut
mise ? l'ordre du jour. On l'a agit?e, sans m?thode pr?cise, d'ailleurs, dans
les premiers num?ros de la Statistique du travail1. Mais pendant la guerre
civile, des recherches de cet ordre devinrent rapidement ? peu pr?s imprati cables : comment, en effet, ?tablir le budget des recettes d'une famille
ouvri?re dont les membres ?taient souvent dispers?s et dont les salaires
?taient pay?s, tr?s irr?guli?rement, en un papier dont la valeur variait avec
une rapidit? d?concertante ? Comment tenir un compte tant soit peu pr?cis, non seulement des fournitures en esp?ces, mais encore des ressources diverses
telles que la vente d'ustensiles de m?nage, l'apport de vivres provenant de
parents vivant dans les campagnes ?
Depuis l'introduction de la nouvelle politique ?conomique et surtout
depuis la r?forme mon?taire du d?but de 1924, les enqu?tes sur les budgets
ouvriers ont pu se faire en partant de donn?es parfois sujettes ? caution, mais,
1. Statistiha truda. Moscou (depuis 1913 ; mensuel).
154 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
en tout cas, plus susceptibles de contr?le. Aussi toute une litt?rature s'est-elle
d?j? constitu?e qui, malgr? ses d?fauts, offre un int?r?t capital.
Les budgets ouvriers sont un des sujets les plus souvent abord?s dans la
revue du Bureau Central de la Statistique du Travail (organe commun au
Conseil Central des Syndicats, au Commissariat F?d?ral du Travail et ? l'Administration Centrale de la Statistique) : Statistique du travail. Il n'est
gu?re de num?ro de cette revue mensuelle qui ne consacre un article ou deux
? ces questions. Il en est de m?me pour la revue ukrainienne de la statistique
du travail et aussi pour le bulletin mensuel de la statistique du travail du
d?partement de Moscou1.
En plus de ces articles de revue, il existe d?j? un bon nombre d'ouvrages et de brochures consacr?s ? l'?tude des budgets ouvriers ? certaines ?poques,
pour des professions ou des r?gions particuli?res. Citons : Pollak, Les
budgets des ouvriers et employ?s au d?but de 19232. ? Gukhman et B?lenky,
Le budget de l'ouvrier de l'industrie p?troli?re de Bakou au d?but de 1923*,
ouvrage tr?s consid?rable ; de m?me celui de Stopani, L'ouvrier de l'industrie
p?troli?re et son budget*. ? Pour la r?gion de Toula : Evreinov, Comment
vit l'ouvrier5. ? La brochure de Minc, Comment vit le ch?meur* doit au groupe
qu'elle ?tudie un int?r?t tout particulier. ?
Enfin, dans les ouvrages consa
cr?s aux conditions du travail, en g?n?ral : Le travail dans VU. R. S. S. en
1922-19247 ; Le travail dans VU. R. S. S. en 1924-1926*', Le travail dans le
d?partement de Moscou en 1923-19259, etc.. il y a toujours un chapitre qui traite longuement la question des budgets ouvriers.
Il manquait cependant jusqu'ici un ouvrage d'ensemble sur l'?volution des
budgets ouvriers depuis un certain nombre d'ann?es. Cette lacune se trouve, dans une certaine mesure, combl?e par la brochure d'OvsiANNiKOv, Comment
vit l'ouvrier en U. R. S. S.10, qui fait partie d'une collection ?dit?e par le Com
missariat du Travail : Les questions du travail en chiffresu. Cette ?tude fournit
des donn?es jusqu'en 1927. Le fait capital qu'elle met en lumi?re, c'est que le
salaire joue dans les recettes familiales une part de plus en plus consid?rable :
ceci d?note un assainissement marqu? des conditions de la vie ouvri?re. Les
assurances sociales fournissent ? peu pr?s 7 p. 100 du total des recettes. La
part des prestations d'assurance incapacit? temporaire est du reste pr?pon d?rante ; celle des prestations d'assurances ch?mage et invalidit? est beau
coup plus faible.
Nous venons de dire que le fait que le salaire joue un r?le pr?dominant dans le budget des recettes prouve que les conditions de vie se r?gularisent :
cependant la vente de biens personnels et les emprunts entrent encore en
ligne de compte pour 8 p. 100 dans le total. Les ? c?t?, tels que le produit du
1. Bulletin statistiki truda. Moscou (depuis 1921). 2. P. Pollas, Budgety rabocikh i sluzaisckh knacalu 1923 goda, Moscou, 1924, 45 p. 3. B. GuKHMAN et V. Beleis'KU, Budget rabo?ego Bakinshoj nef te promyslenvosii v
natale 1923 goda, Moscou, 1925, 299 p. 4. A. Stopani, Rabocij neftjanoj promyslennosh i ego budget, Moscou, 1924, xx-17l p. 5. N. EvREiNOv, Kak ?ivet rabocij, Moscou, 1925, 146 p. 6" L. Mino, Kak zivet bezrabotni-j, Moscou, 1927, 97 p. 7. Trud v SSSR v 1922-24, Moscou, 1925, p. 172-202. 8. Trud v SSSR v 1924-25, Moscou, 1926, p. 118-145. 9. Trud v Moskovskoi gubermi u 192.3-25, Moscou, 1926, p. 231-271. 10. Kak fivet rabocij v SSSR, Moscou, 1928, 75 p. 11. Voprosy truda v cifrakh.
?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 155
jardinage, l'?levage de volailles, etc., les travaux ? domicile occupent une
place de moins en moins importante. En ce qui concerne le budget des d?penses, la part la plus consid?rable
est occup?e par la nourriture ; elle diminue n?anmoins (de 50 p. 100 il y a
quelques ann?es, elle est tomb?e ? 40 ou 45 p. 100 en 1927). La qualit? de
l'alimentation subit une modification int?ressante, que des diagrammes fort expressifs mettent bien en lumi?re. Il se fait une consommation crois
sante de pain blanc, de viande, de beurre et d'ceufs.
Pour le v?tement, les d?penses se montent ? 25 p. 100 du total, ce qui
para?t ?tre environ deux fois plus qu'avant-guerre ; mais, ? mesure que les
familles reconstituent leur garde-robe r?duite ? un minimum pendant les
p?riodes pr?c?dentes, ce chapitre de d?penses tend ? diminuer d'importance relative.
Le logement absorbe environ 12 p. 100 des ressources, ce qui est moins
qu'avant la guerre ; mais cette comparaison est ?videmment fauss?e du fait
que la population ouvri?re est plac?e ? un r?gime de faveur au point de vue
des loyers. Si certains aspects du probl?me du logement pr?sentent une am?
lioration (services communaux), le fond de la question ? ? savoir le
cube d'air ? est loin d'?tre r?solu de fa?on satisfaisante. Il est patent que les
familles ouvri?res sont et seront longtemps encore log?es dans des apparte ments tout ? fait insuffisants.
Pour les objets m?nagers, la m?me remarque s'impose que pour les v?te
ments : les ouvriers doivent encore se fournir de tout ce qui leur a fait d?faut
pendant longtemps.
Quant aux distractions, elles occupent en moyenne 3,6 p. 100 dans les
d?penses. Dans l'ensemble, les budgets ouvriers augmentent assez r?guli?rement
depuis la fin de 1922. Exprim?s en unit?s fictives, ? les roubles budg?taires
qui ont le m?me pouvoir d'achat que le rouble d'avant-guerre, ? ils se sont
?lev?s de 33,2 par mois en 1923 ? 52,4 en novembre 1925, pour retomber ?
51 en novembre 1926, par suite d'un rel?vement assez sensible de l'indice des
prix. Pendant la m?me p?riode, les budgets des d?penses ont vari? de 32,6
? 52,2 et ? 50,4 K Cette brochure donne ainsi un bon r?sum? de la variation des budgets
ouvriers ; mais ce n'est qu'un ouvrage de vulgarisation dans lequel l'expos? des m?thodes suivies pour l'?tablissement et l'utilisation des donn?es brutes
manque presque compl?tement. On peut la compl?ter, ? ce dernier point de
vue, par le petit ouvrage de Mikhalevsky, Le budget ouvrier2, qui s'occupe
davantage de m?thodologie. Sans contredit, l'ouvrage le plus int?ressant et, dans un certain sens, pas
sionnant est celui de Kabo, Essais sur la vie ouvri?re* dont la premi?re partie
seulement, relative ? 1924-1925, a paru en 1928 ; la seconde partie est sous
presse. L'expos? de la m?thodologie, dans les trois premiers chapitres, est
d?j? ? lui seul extr?mement instructif. Ces trois chapitres donnent de la com
1. Notons que la politique des logements tend ? ramener les loyers ? un niveau ?cono
miquement mieux con?u : d'o? une augmentation de la part des d?penses locatives dans les budgets ouvriers.
2. L. Mikhalevsky, Rabo?ij budget, Leningrad, 1926, 150 p. 3. E. Kabo, Ocerky rabocego byta, t. I, Moscou, 1923, 290 p.
156 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
position actuelle des familles ouvri?res et de leurs habitudes un tableau saisis
sant. Il suffira ici de mentionner que l'auteur divise les familles ouvri?res en
quatre groupes : familles ayant conserv? les habitudes d'avant-guerre ;
familles adapt?es ; familles nouvelles ; enfin, pour ainsi dire, familles d'avant
garde. Il serait peut-?tre os? d'accorder ? cette classification une valeur scien
tifique indiscutable ; mais elle rend plus vivant l'ensemble des monographies familiales qui font l'objet des chapitres suivants.
Au point de vue des ressources, les familles enqu?t?es se r?partissent dans
tous les milieux ouvriers : leurs budgets annuels varient en effet de 383 roubles
(tchervonets) ? 1 870. Il n'est pas possible de donner une id?e m?me approxi mative des conditions de vie de tous ces individus. Dans bien des cas la
mis?re est ?vidente ; elle se complique d'habitudes d'ivrognerie. La pauvret? des logements est en tous cas g?n?rale. Comme l'enqu?te se rapporte ? 1924,,
il est possible qu'il y ait eu des changements depuis. Mais il est ? peu pr?s certain que, s'il y a eu des am?liorations, elles n'ont port? que sur la qualit? du logement, non sur sa superficie. C'est dire que les donn?es de Mr Kabo
peuvent encore ?tre consid?r?es comme actuelles. D'apr?s ces donn?es, voici
quelles sont en gros les conditions de logement. En g?n?ral, chaque famille
ne dispose que d'une chambre et demie ; les trois quarts des m?nages ont une
cuisine commune pour plusieurs familles ; les deux tiers ont l'eau courante ;
la moiti? ont le chauffage central ; la plupart ont l'?lectricit?. Dans chaque chambre vivent en moyenne trois personnes ; il en r?sulte que la surface reve
nant ? chacun ne d?passe pas la moiti? de ce que les r?gles sur l'hygi?ne des
habitations consid?rent comme le minimum. Le mobilier est souvent r?duit
? sa plus simple expression ; les enfants couchent souvent sur le plancher
(50 p. 100 des cas), avec ou sans paillasse, ? c?t? des provisions de la famille.
Sur tous les autres chapitres du budget, les donn?es de Mr Kabo rejoignent celles de Mr Ovssianikov, ce qui nous dispense d'y revenir. D'ailleurs, l'int?r?t
de ce livre r?side surtout dans les monographies qui accompagnent le relev?
des comptes de chaque famille. Signalons ? ce propos que la m?thode suivie
pour obtenir ces renseignements repose sur la libre acceptation des int?ress?s.
Le m?nage qui consent ? tenir ses comptes ? la disposition de l'employ? de
la statistique re?oit une gratification assez minime, g?n?ralement un abonne
ment gratuit ? un journal. Le second tome est annonc? ; il doit couvrir une p?riode beaucoup plus
r?cente, comme aussi une r?gion plus ?tendue ; souhaitons qu'il paraisse le
plus vite possible.
G. M?QUET.
?conomie hongroise.
L'histoire sociale pendant le temps des rois de la dynastie d'Arp?d
(xie-xme si?cles) est l'un des probl?mes les plus discut?s de l'histoire de la
Hongrie. C'est alors que, sous l'influence de l'Europe occidentale, l'ancien
syst?me social qui avait ?t? import? d'Asie, se transforme et devient sp?ci
fiquement hongrois. Les recherches de l'historien qui s'occupe de l'histoire
sociale du temps des Arpads portent donc sur une soci?t? en ?tat de fluctua
156 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
position actuelle des familles ouvri?res et de leurs habitudes un tableau saisis
sant. Il suffira ici de mentionner que l'auteur divise les familles ouvri?res en
quatre groupes : familles ayant conserv? les habitudes d'avant-guerre ;
familles adapt?es ; familles nouvelles ; enfin, pour ainsi dire, familles d'avant
garde. Il serait peut-?tre os? d'accorder ? cette classification une valeur scien
tifique indiscutable ; mais elle rend plus vivant l'ensemble des monographies familiales qui font l'objet des chapitres suivants.
Au point de vue des ressources, les familles enqu?t?es se r?partissent dans
tous les milieux ouvriers : leurs budgets annuels varient en effet de 383 roubles
(tchervonets) ? 1 870. Il n'est pas possible de donner une id?e m?me approxi mative des conditions de vie de tous ces individus. Dans bien des cas la
mis?re est ?vidente ; elle se complique d'habitudes d'ivrognerie. La pauvret? des logements est en tous cas g?n?rale. Comme l'enqu?te se rapporte ? 1924,,
il est possible qu'il y ait eu des changements depuis. Mais il est ? peu pr?s certain que, s'il y a eu des am?liorations, elles n'ont port? que sur la qualit? du logement, non sur sa superficie. C'est dire que les donn?es de Mr Kabo
peuvent encore ?tre consid?r?es comme actuelles. D'apr?s ces donn?es, voici
quelles sont en gros les conditions de logement. En g?n?ral, chaque famille
ne dispose que d'une chambre et demie ; les trois quarts des m?nages ont une
cuisine commune pour plusieurs familles ; les deux tiers ont l'eau courante ;
la moiti? ont le chauffage central ; la plupart ont l'?lectricit?. Dans chaque chambre vivent en moyenne trois personnes ; il en r?sulte que la surface reve
nant ? chacun ne d?passe pas la moiti? de ce que les r?gles sur l'hygi?ne des
habitations consid?rent comme le minimum. Le mobilier est souvent r?duit
? sa plus simple expression ; les enfants couchent souvent sur le plancher
(50 p. 100 des cas), avec ou sans paillasse, ? c?t? des provisions de la famille.
Sur tous les autres chapitres du budget, les donn?es de Mr Kabo rejoignent celles de Mr Ovssianikov, ce qui nous dispense d'y revenir. D'ailleurs, l'int?r?t
de ce livre r?side surtout dans les monographies qui accompagnent le relev?
des comptes de chaque famille. Signalons ? ce propos que la m?thode suivie
pour obtenir ces renseignements repose sur la libre acceptation des int?ress?s.
Le m?nage qui consent ? tenir ses comptes ? la disposition de l'employ? de
la statistique re?oit une gratification assez minime, g?n?ralement un abonne
ment gratuit ? un journal. Le second tome est annonc? ; il doit couvrir une p?riode beaucoup plus
r?cente, comme aussi une r?gion plus ?tendue ; souhaitons qu'il paraisse le
plus vite possible.
G. M?QUET.
?conomie hongroise.
L'histoire sociale pendant le temps des rois de la dynastie d'Arp?d
(xie-xme si?cles) est l'un des probl?mes les plus discut?s de l'histoire de la
Hongrie. C'est alors que, sous l'influence de l'Europe occidentale, l'ancien
syst?me social qui avait ?t? import? d'Asie, se transforme et devient sp?ci
fiquement hongrois. Les recherches de l'historien qui s'occupe de l'histoire
sociale du temps des Arpads portent donc sur une soci?t? en ?tat de fluctua
SOCI?T?S DE L'EXTR?ME-ORIENT 157
tion et de mobilit? perp?tuelle, ? et ne peuvent d'ailleurs s'aider des recherches
faites et des. r?sultats acquis par les autres pays qu'avec la plus grande pr? caution.
MUe Emma Lederer reprend la question de savoir comment l? classe
ouvri?re s'est form?e en Hongrie1. Nagu?res, on croyait r?soudre le probl?me en disant que les Hongrois consid?raient le travail industriel comme indigne
d'eux, en cons?quence de quoi la classe ouvri?re se serait form?e au cours
des premiers si?cles du royaume hongrois, ? Faide d'?hospites ? immigr?s
de l'?tranger. MUe Lederer d?montre, au contraire, que les serviteurs des
m?nages priv?s comprenaient nombre d'ouvriers industriels, et que ceux-ci
r?ussirent ? s'assurer l'ind?pendance d'abord ?conomique, ensuite sociale,
justement en cons?quence de leur travail industriel. Car, d?s le xne si?cle, le mot? hospes
? ne veut plus dire, en Hongrie, ?tranger, ? mais sert ? d?signer
cette classe d'ouvriers industriels d?j? form?e et dont une partie ne tarda
pas ? s'implanter dans les villes ; s'y m?lant aux immigr?s de l'?tranger, elle y forma la bourgeoisie, qui s'occupa principalement d'industrie et de commerce.
Cette bourgeoisie, toute jeune encore, et bien faible ?conomiquement, se
met d?s le xnie si?cle ? s'organiser et forme des ma?trises pour se d?fendre
aussi bien contre la concurrence que contre les seigneurs. Mais, ces ma?trises
n'ont aucun rapport avec les corporations de l'Europe occidentale ; elles
connurent un d?veloppement ind?pendant ; il n'y eut que les villes du Szepes et de la Transylvanie pour subir, sur ce point, l'influence de l'?tranger et
plus pr?cis?ment de l'Allemagne. Ambroise Pleidell.
(Budapest.)
Soci?t?s de l'Extr?me-Orient.
Mr G.-L. Duprat, dans la deuxi?me partie ?
pour lui la principale ? de
son petit travail sur les castes2, explique l'?tat de la soci?t? indienne par des
consid?rations de sociologie g?n?rale ; il s'agit d'appliquer ? l'Inde une th?orie
de la contrainte sociale r?sum?e dans une note de la page 13. L'attachement
au rite, la pr?dominance de l'id?e de souillures, ce sont l? les contraintes, ren
forc?es par la mollesse et la passivit? du caract?re hindou, qui emp?chent l'Inde d'?voluer vers des solidarit?s ?largies et une adaptation active au
milieu physique. Dans le d?but, Mr Duprat marque justement la diff?rence entre la classe
sociale et la caste : la distribution en classes est un fait ethnique et ?cono
mique, la caste repose sur des conceptions de nature religieuse et svt des
rites ; l'une tend ? constituer de grands ensembles, l'autre ? renforcer le
particularisme ; la contrainte dans le premier cas vient de la soci?t? enti?re,
dans le second elle vient de l'int?rieur de chaque groupe.
Moins juste est la th?orie qu'esquisse Mr Duprat sur la formation des
castes : c'est une ? parent? mystique ?, si l'on veut, mais est-ce celle ? d'une
1. Comment la classe des ouvriers d'industrie s'est form?e en Hongrie (A legr?gibb magyar
iparososzt?ly kialakul?,sa), Budapest, 1928, in-8?, 51 p. 2. Les contraintes sociales dans les castes hindoues (Extrait de la Revue Internationale
de Sociologie, janv.-f?v. 1928, p. 1-14).
SOCI?T?S DE L'EXTR?ME-ORIENT 157
tion et de mobilit? perp?tuelle, ? et ne peuvent d'ailleurs s'aider des recherches
faites et des. r?sultats acquis par les autres pays qu'avec la plus grande pr? caution.
MUe Emma Lederer reprend la question de savoir comment l? classe
ouvri?re s'est form?e en Hongrie1. Nagu?res, on croyait r?soudre le probl?me en disant que les Hongrois consid?raient le travail industriel comme indigne
d'eux, en cons?quence de quoi la classe ouvri?re se serait form?e au cours
des premiers si?cles du royaume hongrois, ? Faide d'?hospites ? immigr?s
de l'?tranger. MUe Lederer d?montre, au contraire, que les serviteurs des
m?nages priv?s comprenaient nombre d'ouvriers industriels, et que ceux-ci
r?ussirent ? s'assurer l'ind?pendance d'abord ?conomique, ensuite sociale,
justement en cons?quence de leur travail industriel. Car, d?s le xne si?cle, le mot? hospes
? ne veut plus dire, en Hongrie, ?tranger, ? mais sert ? d?signer
cette classe d'ouvriers industriels d?j? form?e et dont une partie ne tarda
pas ? s'implanter dans les villes ; s'y m?lant aux immigr?s de l'?tranger, elle y forma la bourgeoisie, qui s'occupa principalement d'industrie et de commerce.
Cette bourgeoisie, toute jeune encore, et bien faible ?conomiquement, se
met d?s le xnie si?cle ? s'organiser et forme des ma?trises pour se d?fendre
aussi bien contre la concurrence que contre les seigneurs. Mais, ces ma?trises
n'ont aucun rapport avec les corporations de l'Europe occidentale ; elles
connurent un d?veloppement ind?pendant ; il n'y eut que les villes du Szepes et de la Transylvanie pour subir, sur ce point, l'influence de l'?tranger et
plus pr?cis?ment de l'Allemagne. Ambroise Pleidell.
(Budapest.)
Soci?t?s de l'Extr?me-Orient.
Mr G.-L. Duprat, dans la deuxi?me partie ?
pour lui la principale ? de
son petit travail sur les castes2, explique l'?tat de la soci?t? indienne par des
consid?rations de sociologie g?n?rale ; il s'agit d'appliquer ? l'Inde une th?orie
de la contrainte sociale r?sum?e dans une note de la page 13. L'attachement
au rite, la pr?dominance de l'id?e de souillures, ce sont l? les contraintes, ren
forc?es par la mollesse et la passivit? du caract?re hindou, qui emp?chent l'Inde d'?voluer vers des solidarit?s ?largies et une adaptation active au
milieu physique. Dans le d?but, Mr Duprat marque justement la diff?rence entre la classe
sociale et la caste : la distribution en classes est un fait ethnique et ?cono
mique, la caste repose sur des conceptions de nature religieuse et svt des
rites ; l'une tend ? constituer de grands ensembles, l'autre ? renforcer le
particularisme ; la contrainte dans le premier cas vient de la soci?t? enti?re,
dans le second elle vient de l'int?rieur de chaque groupe.
Moins juste est la th?orie qu'esquisse Mr Duprat sur la formation des
castes : c'est une ? parent? mystique ?, si l'on veut, mais est-ce celle ? d'une
1. Comment la classe des ouvriers d'industrie s'est form?e en Hongrie (A legr?gibb magyar
iparososzt?ly kialakul?,sa), Budapest, 1928, in-8?, 51 p. 2. Les contraintes sociales dans les castes hindoues (Extrait de la Revue Internationale
de Sociologie, janv.-f?v. 1928, p. 1-14).
158 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
phratrie, constitu?e d'abord par cooptation, affiliation...? et rappelant de
pr?s celle des confr?ries d'initi?s ? La caste repose d'abord sur la naissance ;
s'il se forme des castes nouvelles, c'est moins par la volont? de ceux qui la
constituent que par le refus des autres membres de l'ancien groupe de les
reconna?tre; dire que des Musulmans, des Chr?tiens ?se soumettent? au
r?gime des castes ? comme des la?ques au moyen ?ge ont fond? des ordres
nouveaux en faisant adopter par le souverain Pontife la ? r?gle
? adopt?e par
eux? n'est pas exact ; on conserve sa caste en devenant catholique ; et les
corporations, les sectes musulmanes, comme les tribus sauvages entrant dans
l'Hindouisme, apparaissent ? la conscience indienne comme de nouvelles
castes.
Jules Bloch.
Colonisation.
Mr Maurice Satin eau nous donne, chez Payot, une substantielle Histoire
de la Guadeloupe sous l'ancien r?gime (1635-1789), enrichie d'illustrations
bien choisies et qui se lit avec profit et agr?ment1. Son travail est tr?s s?rieu
sement fait ; et on go?tera notamment les explications pr?cises et les indica
tions ? la fois riches et s?res qu'il a donn?es, en appendice, sur les sources
et sur la bibliographie du pays ?tudi?. Il y a l? une quinzaine de pages nour
ries, et qui nous fournissent des renseignements sobres, mais contr?l?s, sur
des hommes comme les p?res Du Tertre et Labat dont les relations sont si pr?
cieuses pour nous ? ou sur les principaux ?crivains, d'autrefois ou d'au
jourd'hui, qui ont consacr? des ouvrages ? la Guadeloupe. En appendice ?ga
lement, un tr?s curieux tableau d?taill? d'un recensement de la Guadeloupe et de ses d?pendances en 1699 : recensement des ??mes? par cat?gories,
mais aussi des ?bestes?, des fabriques (sucreries, raffineries, indigoteries) et ?
pr?occupation int?ressante ? des armes et des munitions au pouvoir des habitants ; le tout dress? par ? quartiers
? et plus explicite que les deux
autres recensements, de 1730 et 1739, que publie ?galement Mr Satineau.
Ce livre r?ellement int?ressant (et qui rel?ve le niveau d'une collection
d'histoires de pays, rest?e jusqu'ici plut?t m?diocre) ne consiste pas en
un simple expos? chronologique des vicissitudes politiques et administra
tives de la Guadeloupe. En une s?rie de chapitres tr?s pleins, et qui int?ressent
directement nos ?tudes, Mr Satineau pose des probl?mes et en examine soi
gneusement les donn?es. Celui de la main-d' uvre, tout d'abord, comprenant au d?but, trois ?l?ments distincts : une main-d' uvre autochtone qui ne fut
jamais rationnellement utilis?e ; une main-d' uvre blanche, compos?e d'en
gag?s ; une main-d' uvre noire, ou m?tiss?e, form?e d'esclaves. Mais ? partir de 1750 environ, la main-d' uvre indig?ne n'existait plus ; l'institution des
engag?s avait disparu ; seuls les esclaves restaient : ils furent, jusqu'? l? fin
de l'ancien r?gime, la seule cat?gorie de travailleurs utilis?e dans l'?le.
D'autres chapitres sont consacr?s au r?gime ?conomique du pays ; au pro
bl?me commercial ; au probl?me mon?taire ; enfin, ? la tr?s grosse question
de la condition mat?rielle et morale des esclaves, ? leur affranchissement et
1. Paris, 1928, in-8?, 400 p.
158 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
phratrie, constitu?e d'abord par cooptation, affiliation...? et rappelant de
pr?s celle des confr?ries d'initi?s ? La caste repose d'abord sur la naissance ;
s'il se forme des castes nouvelles, c'est moins par la volont? de ceux qui la
constituent que par le refus des autres membres de l'ancien groupe de les
reconna?tre; dire que des Musulmans, des Chr?tiens ?se soumettent? au
r?gime des castes ? comme des la?ques au moyen ?ge ont fond? des ordres
nouveaux en faisant adopter par le souverain Pontife la ? r?gle
? adopt?e par
eux? n'est pas exact ; on conserve sa caste en devenant catholique ; et les
corporations, les sectes musulmanes, comme les tribus sauvages entrant dans
l'Hindouisme, apparaissent ? la conscience indienne comme de nouvelles
castes.
Jules Bloch.
Colonisation.
Mr Maurice Satin eau nous donne, chez Payot, une substantielle Histoire
de la Guadeloupe sous l'ancien r?gime (1635-1789), enrichie d'illustrations
bien choisies et qui se lit avec profit et agr?ment1. Son travail est tr?s s?rieu
sement fait ; et on go?tera notamment les explications pr?cises et les indica
tions ? la fois riches et s?res qu'il a donn?es, en appendice, sur les sources
et sur la bibliographie du pays ?tudi?. Il y a l? une quinzaine de pages nour
ries, et qui nous fournissent des renseignements sobres, mais contr?l?s, sur
des hommes comme les p?res Du Tertre et Labat dont les relations sont si pr?
cieuses pour nous ? ou sur les principaux ?crivains, d'autrefois ou d'au
jourd'hui, qui ont consacr? des ouvrages ? la Guadeloupe. En appendice ?ga
lement, un tr?s curieux tableau d?taill? d'un recensement de la Guadeloupe et de ses d?pendances en 1699 : recensement des ??mes? par cat?gories,
mais aussi des ?bestes?, des fabriques (sucreries, raffineries, indigoteries) et ?
pr?occupation int?ressante ? des armes et des munitions au pouvoir des habitants ; le tout dress? par ? quartiers
? et plus explicite que les deux
autres recensements, de 1730 et 1739, que publie ?galement Mr Satineau.
Ce livre r?ellement int?ressant (et qui rel?ve le niveau d'une collection
d'histoires de pays, rest?e jusqu'ici plut?t m?diocre) ne consiste pas en
un simple expos? chronologique des vicissitudes politiques et administra
tives de la Guadeloupe. En une s?rie de chapitres tr?s pleins, et qui int?ressent
directement nos ?tudes, Mr Satineau pose des probl?mes et en examine soi
gneusement les donn?es. Celui de la main-d' uvre, tout d'abord, comprenant au d?but, trois ?l?ments distincts : une main-d' uvre autochtone qui ne fut
jamais rationnellement utilis?e ; une main-d' uvre blanche, compos?e d'en
gag?s ; une main-d' uvre noire, ou m?tiss?e, form?e d'esclaves. Mais ? partir de 1750 environ, la main-d' uvre indig?ne n'existait plus ; l'institution des
engag?s avait disparu ; seuls les esclaves restaient : ils furent, jusqu'? l? fin
de l'ancien r?gime, la seule cat?gorie de travailleurs utilis?e dans l'?le.
D'autres chapitres sont consacr?s au r?gime ?conomique du pays ; au pro
bl?me commercial ; au probl?me mon?taire ; enfin, ? la tr?s grosse question
de la condition mat?rielle et morale des esclaves, ? leur affranchissement et
1. Paris, 1928, in-8?, 400 p.
COLONISATION 159
aux cons?quences ?conomiques et sociales du r?gime servile ? la Guade
loupe. Mr Satineau nous montre comment ce r?gime d?termina la dispari tion des petits propri?taires blancs qui d'abord dominaient ? la Guadeloupe comme dans toutes les autres ?les fran?aises : le colon, aid? de deux ou trois
engag?s ou noirs, cultivait le tabac, le gingembre et le roucou, travaillait le
sol ? la charrue et en tirait l'essentiel de son entretien. L'introduction de
l'esclavage fit abandonner ce r?gime et amena le d?veloppement de la grande
propri?t?, une politique d'exportation outranci?re et la culture ? peu pr?s exclusive de la canne ? sucre. Ce qui ne tarda pas ? d?peupler l'?le, comme ses
voisines, et ? l'exposer aux coups de main des puissances ?trang?res. On
trouvera dans le livre de Mr Satineau une ?tude assez nuanc?e de ces r?per cussions des probl?mes de main-d' uvre sur les probl?mes de propri?t? et de
peuplement ? et r?ciproquement. L'ouvrage est moins riche par contre sur
les cons?quences morales, pour les blancs, de la pratique inv?t?r?e du r?gime servile. Sur ce point, il ne nous donne pas l'?quivalent du livre, si vivant, de
Pierre de Vaissi?re sur Saint-Domingue, la Soci?t? et la vie cr?ole sous l'ancien
r?gime (Paris, 1909, in-12), mais, sur tous les probl?mes sp?cialement ?cono
miques que posait l'existence d'une colonie antillaise sous l'ancien r?gime, on trouvera vraiment profit ? ?tudier son livre s?rieux, mesur? et bien inform?.
Lucien Febvre.
Mr Georges Vattier, auteur d'un Essai sur la mentalit? canadienne fran
?aise, a trac? en 128 pages (Paris, Ed. Champion, in-8?), une Esquisse historique de la colonisation de la province de Qu?bec (1608-1925), qui, sans doute, n'est
qu'une esquisse et n'apporte sur aucun point des recherches originales appro
fondies, ? mais qui constitue une vue cavali?re fort satisfaisante d'un sujet
tr?s important et tr?s riche en d?veloppements divers. Une br?ve introduc
tion g?ographique, un r?sum? succinct des d?buts de la colonisation sous le
r?gime fran?ais, de 1608 ? 1763, ne sont l? que pour permettre ? l'auteur d'?tre
complet. Aussi bien se borne-t-il, dans ces trente premi?res pages, ? r?sumer
des ouvrages connus : celui de Salone notamment, sur La colonisation de la
Nouvelle France (1905) ou l'int?ressante ?tude de Munro sur le r?gime sei
gneurial au Canada (Documents relating to the seigniorial tenure in Canada,
Toronto, 1908) ; mais, ? partir de 1760, ces guides lui font d?faut ; il doit aller
de l'avant ? peu pr?s seul, ? et le tableau qu'il trace du peuplement de la pro
vince de Qu?bec sous le r?gime anglais (1760-1925) est en grande partie neuf
et original dans sa bri?vet?. De m?me, les quatre ?tudes qui constituent plus de la moiti? du livre, sur les causes de la colonisation, les obstacles auxquels elle se heurte, l'aide qu'elle re?oit, les r?sultats enfin qu'elle procure : ces
?tudes sont nourries et fort suggestives. Indications curieuses, ?? et l?, sur
l'antagonisme des marchands de bois (souvent favoris?s par les pouvoirs
publics) et des partisans de la colonisation, donc du d?frichement ; sur les
conditions mat?rielles d'existence des colons ; sur l'attitude du clerg?, volon
tiers propagandiste de la colonisation (cf. p. 106-111, croquis int?ressant du
cur? Labelle, ap?tre imp?nitent du peuplement dans les for?ts du Nord), etc.
A la fin, un croquis un peu sch?matique, mais int?ressant des r?gions et des
phases de la colonisation dans la Province de Qu?bec (avec distinction des
160 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE
r?gions colonis?es avant 1760 ; avant 1860 ; entre 1860 et 1925) et des donn?es
statistiques utiles. Conclusions d'un optimisme un peu vague et bibliographie sommaire. Au total un petit livre instructif.
L. F.
Le livre de Mr Andr? Lebon sur la Pacification de Madagascar, 1896-1898,
ne vaut pas tant par le r?cit suivi qui en occupe les cent premi?res pages (et
qui a d?j? ?t? publi? par l'auteur, en 1900, dans un livre sur La Politique de
la France en Afrique de 1896 ? 1898), que par les documents annexes, et surtout
par les lettres que Mr Lebon re?ut, en sa qualit? de ministre des Colonies, des
principaux acteurs d'un drame d?j? bien loin de nous : le r?sident g?n?ral
Hippolyte Laroche qui administra l'?le de janvier ? septembre 1896 ; son
secr?taire g?n?ral, Paul Bourde ; enfin, et surtout, le colonel puis g?n?ral
Galli?ni, qui, ? partir de septembre 1896, concentra dans ses mains la tota
lit? des pouvoirs civils et militaires. On sait comment il parvint, en peu de
temps, non seulement ? r?tablir une situation compromise par l'imp?ritie des uns et les lenteurs des autres,
? mais encore ? faire de Madagascar un
pays ouvert ? la v?ritable colonisation, retenant un nombre appr?ciable de
Fran?ais venus l? par n?cessit? ou hasard de carri?re et marchant dans les
voies d'une saine prosp?rit? ?conomique. Les lettres que publie Mr Andr?
Lebon compl?tent heureusement l'image que d'autres documents nous ont
d?j? laiss?e de ce soldat doubl? d'un organisateur avis? et d'un administra
teur aux vues singuli?rement hautes et larges. L. F.
Le G?rant : R. Philippon.
ORL?ANS. ? IMP. HEMir TESSIER. ? 1-29
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