Download - Albums August Sander

Transcript
Page 1: Albums August Sander

107 avenue de Paris 50100 Cherbourg-en-Cotentin [email protected] mercredi au vendredi : de 14h à 18hSamedi et dimanche : de 14h à 19hÁ partir du 21 juin, l’exposition sera ouverte aussi le mardi de 14h à 18h.

Centred’artÉditeur www.lepointdujour.eu

Du 22 mai au 28 août 2016

Albums August Sander

Aug

ust S

ande

r, Je

unes

pay

sans

, 191

4

© D

ie P

hoto

grap

hisc

he S

amm

lung

/ SK

Stif

tung

Kul

tur –

Aug

ust S

ande

r Arc

hiv,

Köl

n ;

Ada

gp, P

aris

, 201

6

DOSSIER ENSEIGNANTS

Page 2: Albums August Sander

NOTIONS GÉNÉRALES

L’exposition permet une approche sensible et pédagogique de la photographie dans le cadre des dis-ciplines générales et artistiques et de l’histoire des arts. La visite de l’exposition, le contact direct avec les œuvres exposées, le travail sur un questionnaire élaboré en relation avec le service éducatif permettent d’aborder et d’interroger un ensemble de notions au programme des classes du premier degré au lycée et de travailler les compétences du socle commun.

• Le portrait photographique entre art et document • La notion de série • La photographie : un langage universel ? • La photographie entre objecti-vité et exhaustivité

PREMIER DEGRÉCompétences développées lors de la visite de l’exposition et de son exploitation en classe : • Découvrir et explorer un centre d’art. • Développer sa sensibilité artistique au contact des œuvres. • Décrire les œuvres en utilisant un vocabulaire spécifique. • Exprimer ses émotions et préférences face à une œuvre d’art, en utilisant ses connaissances • Apprendre à se déplacer en s’adaptant à l’environnement • Mobiliser ses connaissances pour parler de façon sensible des œuvres d’art. • Utiliser des critères simples pour aborder ces œuvres, avec l’aide des enseignants. • Identifier les œuvres étudiées par leur titre, le nom de l’auteur, l’époque à laquelle cette œuvre a été créée. • Échanger des impresions dans un esprit de dialogue.

La visite et le travail réalisé à cette occasion s’inscrivent dans le parcours d’éducation artistique et culturel de l’élève.

NOTIONS PAR NIVEAU

COLLÈGECette exposition permet une approche sensible et pédagogique des arts plastiques et visuels d’aujourd’hui autour de problématiques contemporaines qui intéressent l’histoire, la géographie, les lettres, les sciences, la philosophie, les arts plastiques... • Les images et le réel • L’espace et les œuvres

Et de façon pluridisciplinaire l’his-toire des arts : • Thématique « Arts, espace, temps » : l’œuvre d’art et l’évocation du temps et de l’espace, l’œuvre d’art et la place du corps et de l’homme dans le monde et la nature • Thématique « Arts, ruptures, continuités » : l’œuvre d’art et sa composition : modes (construction, structure, hiérarchisation, ordre, unité, orientation, etc...) ; effets de composition / décomposition (varia-tions, répétitions, séries, ruptures, etc...) ; conventions (normes, para-digmes, modèles, etc...)

LYCÉE La visite de l’exposition, le contact direct avec les œuvres exposées, permettent d’interroger un ensemble de notions au programme du lycée et particulièrement :

• L’œuvre, le monde • La question de la présence ou l’absence du référent • La question de l’espace, d’énonciation qui détermine l’image • La question de la relation de l’image au temps • L’élaboration matérielle et conception de monstration • Les relations de perceptions sen-sibles entre l’œuvre et le spectateur

Page 3: Albums August Sander

1. INTRODUCTION Présentation de l’exposition et de l’artiste Biographie

2. TEXTES Présentation générale de l’artiste Ma profession de foi photographique par August Sander Ma vie : comment tout a débuté par August Sander La technique d’August Sander August Sander, précurseur, moderne avant l’heure Moderne avant l’heure Un autre regard Précurseur ? La « réception » de l’œuvre de Sander depuis les années soixante Jeunes paysans : analyse d’images

3. PARCOURS DANS L’EXPOSITION La méthode Sander « Voir, observer, penser » Images saturées de temporalité, temps suspendu... Dénoncer « La mascarade du portrait » Un « autoportrait assisté »

4. ATELIERS Écriture Photographie

5. ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE Sander et le style documentaire Walker Evans La participation du sujet Le montage Les Becher Charles Fréger Michael Somoroff

6. ENTRÉES DISCIPLINAIRES Arts plastiques Histoire Littérature Cinéma

7. AUTOUR DE L’EXPOSITION

8. BIBLIOGRAPHIE Quelques livres disponibles au centre d’art Bibliographie sélective autour de l’exposition Bibliographie générale

9. INFOS PRATIQUES

Page 4: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTIONDOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 4 5

1. INTRODUCTION

August Sander (1876-1964) est célèbre pour son projet « Hommes du XXe siècle », qu’il conçut dans les an-nées 1910-1920 et poursuivit jusqu’à sa mort. À travers essentiellement des portraits classés par métiers ou milieux, il s’y donnait pour but de représenter la société allemande et les hommes de son temps. En 1929, il publia soixante portraits extraits de son projet, sous le titre Visage d’une époque.

Cette série emblématique est au cœur de l’exposition présentée au Point du Jour. Elle est associée à trois autres ensembles : un album de photographies de fa-mille, des portraits d’artistes avec quelques-unes de leurs œuvres et un portfolio de paysages. Sont égale-ment présentés des textes de Sander et des témoignages de ses contemporains, ainsi que des archives familiales et des publications originales.

Toutes ces pièces composent le portrait d’une époque et d’un homme pour lequel la photographie constitua indissociablement un métier et une œuvre. Le titre de l’exposition, « Albums », traduit les différentes dimen-sions de la pratique de Sander : photographie familiale et activité commerciale autant qu’archivage documen-taire et projet artistique procédant par séries.

L’exposition a été conçue avec Gerd Sander, petit-fils d’August Sander qui découvrit la photographie à ses côtés avant de devenir lui-même photographe. Grand connaisseur du travail de Sander, il a réalisé certains des tirages exposés et présente ici nombre d’archives pour la première fois.

Les œuvres accompagnant les portraits d’artistes ap-partiennent également à la collection de Gerd Sander. Cette association, inédite, souligne l’inscription du travail de Sander dans le contexte artistique des années 1920-1930 en Allemagne.

ALBUM DE FAMILLE

Sander réalisa cet album dans les années 1950 pour sa fille Sigrid alors installée aux États-Unis. Portraits de Sander, de sa femme et leurs enfants, entre 1901 et 1914, ces images ont bien sûr une dimension intime, mais elles illustrent aussi le parcours du photographe. Né dans une famille de sept enfants de la région du Siegerland, il fut d’abord mineur comme son père. L’album témoigne du statut social et de la culture sa-vante auxquels la photographie lui a permis d’accéder.

La première image montre la rue de Linz en Autriche où Sander s’installe comme photographe en 1901 avant de diriger son propre studio, rapidement devenu flo-rissant. Les portraits sont marqués par un style dont il se détachera ensuite. Ils obéissent aux conventions du « portrait d’art » : poses élégantes, personnages absorbés, souvent de trois-quarts, nantis de livres ou d’instruments de musique. L’album montre une famille bourgeoise, heureuse et ordonnée. En ce sens, c’est aussi un témoignage sociologique : les individus y in-carnent, au sens fort, un mode de vie et des valeurs.

La dernière image est un portrait du fils aîné de Sander, Erich, le seul qui date des années 1920. Militant de gauche, il fut arrêté en 1934 par le régime nazi et mou-rut dix ans plus tard en prison. Concluant ainsi cet album dans les années 1950, Sander évoque son souve-nir et l’histoire récente de l’Allemagne.

Page 5: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTIONDOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 4 5

VISAGE D’UN ÉPOQUE

Installé à Cologne à partir de 1910, Sander développe son studio de photographie et conçoit parallèlement « Hommes du XXe siècle ». En 1927, il expose pour la première fois une centaine de tirages extraits de ce pro-jet. Le texte de présentation, intitulé « Ma profession de foi photographique », affirme un impératif de vérité : « Si j’ai aujourd’hui l’aplomb et l’audace de prétendre voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient être, ou telles qu’elles pourraient être, qu’on veuille bien me le pardonner car je ne puis faire autre-ment. »

En 1927, Sander est photographe depuis trente ans. « Hommes du XXe siècle » est un aboutissement. En utilisant des portraits souvent réalisés dans un cadre professionnel, il resitue sa pratique photographique dans une perspective extrêmement ambitieuse, à la fois esthétique et sociale.

La publication de Visage d’une époque en 1929 marque l’importance de Sander dans les débats photogra-phiques en Allemagne durant les années 1920-1930. à l’instar des tenants de la photographie moderne, Sander s’est écarté de la photographie pictorialiste. Mais il repousse aussi implicitement la Nouvelle Vision qui voulait produire des points de vue inédits sur le monde ; au contraire, il photographie à hauteur d’homme, de manière frontale, sans jeu d’échelles et ni de perspectives. Par ailleurs, quoiqu’il se revendique de l’exactitude, c’est d’une manière très différente de la Nouvelle Objectivité. Peu lui importe la matérialité des éléments naturels et des artéfacts modernes vus comme des choses isolées, il entend donner un tableau d’ensemble des hommes et de la société.

En 1927, Sander définit « Hommes du XXe siècle » comme « un monument culturel divisé en sept groupes, organisé selon les situations sociales et composé d’environ quarante-cinq portfolios ». En classant ses portraits par séries, Sander identifie immédiatement les individus à des groupes. Leur appartenance sociale est en quelque sorte incorporée : au-delà même des vêtements, des objets ou du décor, les visages et les attitudes expriment des manières de travailler, de vivre et, peut-être même, de penser.

Bien qu’inscrits dans une vision d’ensemble, ces portraits ne sont pas systématiques. Les cadrages, le nombre d’individus et les signes sociaux varient. Surtout, la neutralité affirmée du photographe révèle d’autant plus l’unicité absolue des modèles. Témoins du XXe siècle, ces hommes nous sont à la fois proches et lointains.

Dans le livre Visage d’une époque, l’ordre des portraits trace une évolution historique, du monde rural tradi-tionnel à la société urbaine moderne. Mais cet ordre n’implique aucun jugement. La relation entre le photo-graphe et le modèle reste la même. Les individus, quels qu’ils soient, ne sont ni idéalisés ni stigmatisés. C’est la dimension fondamentalement égalitaire du projet de Sander. Raison sans doute pour laquelle les nazis interdirent en 1936 la diffusion de Visage d’une époque et ordonnèrent la destruction des clichés ayant servi à l’impression du livre.

August Sander, Manœuvre, 1928

Page 6: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTIONDOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 6 7

Très jeune, Sander pratiqua la peinture et la musique. À Linz déjà, il fréquentait un milieu cultivé et exposa son travail. Son installation en 1910 à Cologne marque un changement. Sander entre alors en contact avec des ar-tistes d’avant-garde dont il fera de nombreux portraits.

Il fut notamment proche du groupe des « artistes pro-gressistes » parmi lesquels Franz Wilhelm Seiwert et Gerd Arntz. Le premier réalisa en 1921 la série de dessins Sept visages d’une époque auquel le second fit écho en 1927 avec sa série de gravures Douze maisons d’une époque. Publié deux ans plus tard, Visage d’une époque témoigne de préoccupations communes.

Les œuvres des progressistes représentaient des vi-sages, des types sociaux et des scènes de conflits de manière minimale et parfois même schématique. Se revendiquant du marxisme, elles avaient un but clai-rement militant. Tel n’était pas le cas d’« Hommes du XXe siècle ».

Néanmoins, Sander refusait lui aussi la psychologie individuelle et les effets esthétiques et voulait montrer par une stricte économie de moyens la société de son temps. Pour lui, la photographie était un langage uni-versel qui se passait de mots. De la même manière, l’art se devait, pour les progressistes, d’être immédiatement compréhensible par tous. Comme d’autres artistes de leur époque, ils voulaient abolir la distinction entre artiste et artisan, savoir technique et expression per-sonnelle. Soit précisément ce dont l’œuvre de Sander témoigne.

Même si leurs sujets peuvent être mis en relation avec les photographies de Sander, les œuvres accompa-gnant les portraits d’artistes sont très diverses. Moins qu’une influence esthétique, elles réflètent l’environne-ment culturel qui fut celui de Sander dans les années 1920-1930.

PORTRAITS D’ARTISTES

August Sander, Raoul Hausmann en danseur, 1929

August Sander, Peintre, 1922-1925 [Willi Bongard]

Page 7: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTIONDOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 6 7

PORFOLIO DE PAYSAGES

Sander composa ce portfolio dans les années 1950 à partir de prises de vue des années 1930. Réalisées dans la région des Sept-Montagnes (Siebengebirge), proche de Cologne, ces images illustrent un aspect moins connu de son œuvre, celui de la photographie de paysage. Le porfolio constitue par ailleurs un exemple du vaste travail entrepris par Sander après guerre sur ses propres photographies.

En 1942-1943, son studio et sa maison de Cologne sont détruits lors des bombardements de la ville. Il parvient à sauver l’essentiel de ses archives, mais en 1946 un incendie entraîne la perte de plus de 25 000 négatifs restés dans la cave de Cologne. Définitivement ins-tallé dans un petit village de sa région natale, Sander va alors revenir sur un demi-siècle de travail, faire de nouveaux tirages et composer plusieurs portfolios dont celui consacré aux Sept-Montagnes.

On a pu penser que la photographie de paysage fut pour Sander une forme de retrait sous le régime nazi. En réalité, elle constituait une pratique bien antérieure. Originaire d’une région à la fois rurale et industrielle, Sander découvrit par hasard la photographie en accom-pagnant un opérateur venu photographier le site minier où il travaillait. Par la suite, il réalisa nombre de vues de paysages parallèlement à ses portraits. Les cam-pagnes et les villes constituaient du reste une partie du projet « Hommes du XXe siècle ».

Les images des Sept-Montagnes ont une dimension lyrique – des vers de Goethe sont placés en exergue du texte de présentation du portfolio. Mais, face à « l’éter-nelle nature », Sander n’en signale pas moins l’usage qu’en font les hommes et les transformations qu’ils y apportent. à côté des éléments naturels, l’album montre le bâti, ancien et moderne. En ce sens, les paysages sont bien complémentaires des portraits. Comme les êtres humains, ils sont la manifestation d’une société et d’une culture.

Réalisé vers 1941 toujours dans les Sept-Montagnes, un autoportrait montre Sander de dos qui regarde l’horizon. Cette image emprunte évidemment aux représentations romantiques de l’homme seul contemplant l’infini. Elle pourrait aussi symboliser la singularité d’un artiste qui résuma en 1927 son immense projet, resté inachevé, par ces mots : « voir, observer et penser. »

August Sander, Vue sur le Rhin par un matin d’avril,vers 1941 (August Sander dans les Sept-Montagnes)

August Sander, La vallée du Rhin, années 1930

Page 8: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTIONDOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 8 9

L’exposition rassemble quatre ensembles d’images. Les œuvres sont accompagnées de textes de Sander et de témoignages de ses contemporains ainsi que d’archives familiales et de publications originales.

L’a lbum de famil le comprend t rente-e t -une photographies, entre 1901 et 1921. Les tirages et l’album ont été réalisés par August Sander dans les années 1950.

Visage d’une époque se compose de soixante portraits, entre 1912 et 1929. Cette série a été constituée et pu-bliée par August Sander en 1929. Les tirages ont été réalisés par Gerd Sander dans les années 1990.

Une dizaine de portraits d’artistes sont associés à une trentaine de leurs œuvres datant des années 1920-1930. Parmi les artistes représentés : Gerd Arntz, Gottfried Brockmann, Otto Freundlich, Raoul Hausmann, Heinrich Hoerle, Anton Räderscheidt, Hans Schmitz, Franz Wilhelm Seiwert. Les tirages ont été réalisés par Gerd Sander dans les années 1990.

Le portfolio des Sept-Montagnes rassemble seize pho-tographies des années 1930. Les tirages et le portfolio ont été réalisés par August Sander dans les années 1950.

L’exposition a été conçue avec Gerd Sander et la Fondation August-Sander (Bonn), en accord avec Die Photographische Sammlung / SK Stiftung Kultur – August Sander Archiv (Cologne).

L’EXPOSITION

1876-1896 August Sander naît le 17 novembre à Herdorf dans le Siegerland. Son père, mineur, finira sa vie invalide. Sander grandit entouré de sept frères et sœurs. Il fréquente l’école primaire du village avant de travailler très jeune comme manœuvre sur un site d’extraction de minerai de fer. Il découvre la photo-graphie par hasard en accompagnant un opérateur venu faire des prises de vue. Grâce au soutien finan-cier de son oncle, il s’achète son premier équipement photographique.

1897-1909 Service militaire et apprentissage de photographe à Trèves. Années de voyage à travers l’Allemagne, au cours desquelles Sander travaille pour des studios de photographie. En 1901, il est engagé par un studio à Linz, en Autriche, qu’il reprend à son compte trois ans plus tard. En 1902, il épouse Anna Seitenmacher. Bientôt, naissent deux fils : Erich (1903) et Gunther (1907). Sander pratique aussi la peinture et est membre du Kunstverein de Haute-Autriche. Il par-ticipe à plusieurs expositions-concours de photographie où il obtient des prix.

BIOGRAPHIE

August Sander, Photographe, 1925 [August Sander]

Page 9: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTIONDOSSIER ENSEIGNANT / INTRODUCTION 8 9

1910-1919 Installation à Cologne. Naissance des jumeaux Sigrid et Helmut (1911) ; seule la première survit. Sander installe son studio dans le quartier de Lindenthal, au 201 Dürener Strasse. Il réalise de nombreuses photographies dans la région rurale du Westerwald dont plusieurs seront incorporées dans « Hommes du XXe siècle ». Mobilisé durant la Première Guerre mondiale, Sander ne retrouve sa famille qu’en 1918. Dans l’intervalle, c’est Anna qui maintient seule l’activité du studio.

Années 1920-1930 Intenses échanges avec le groupe des Progressistes de Cologne, en particulier avec Franz Wilhelm Seiwert et Heinrich Hoerle. Sander conçoit et développe « Hommes du XXe siècle » qu’il poursuivra toute sa vie. A travers des portraits clas-sés par métiers ou milieux, il s’y donne pour but de représenter la société allemande et les hommes de son temps. Première exposition du projet au Kunstverein de Cologne en 1927. Deux ans plus tard, Sander publie soixante portraits extraits d’« Hommes du XXe siècle », avec un texte d’Alfred Döblin, sous le titre Visage d’une époque (Antlitz der Zeit). En 1931, il donne une série de six conférences radiophoniques sur « l’essence et le devenir de la photographie ».

1933-1944 Membre du Parti socialiste ouvrier d’Allemagne (SAPD), dissous par le régime nazi, le fils aîné de Sander, Erich, est condamné à dix ans de prison en 1934. Visage d’une époque est interdit de dif-fusion et les clichés d’impression du livre sont détruits.

Gerd et August Sander dans le jardin de la maison de Kunchhausen, 1946

August et Gerd Sander, Kunchhausen, 1952

Sander continue néanmoins à travailler. Ses photo-graphies de paysage et d’architecture sont publiées dans six brochures consacrées à des régions d’Alle-magne. Il réalise aussi des études de détail, mains et végétaux notamment. En 1942-1943, pour échapper aux bombardements qui s’intensifient sur Cologne, Sander déménage progressivement à Kuchhausen, un

petit village du Westerwald. Son studio et sa maison sont rasés, mais il parvient à sauver l’essentiel de ses archives. En 1944, Erich Sander meurt en prison par manque de soins médicaux.

1945-1964 En 1946, un incendie entraîne la perte de plus de vingt-cinq mille négatifs restés dans la cave de la maison de Cologne. Dans des conditions diffi-ciles, Sander poursuit son travail. Ses photographies sont exposées lors de la Photokina de Cologne en 1951. L’année suivante, Edward Steichen, directeur du dépar-tement Photographie du Museum of Modern art de New York, lui rend visite. En 1955, il inclut plusieurs images de Sander dans la grande exposition collective « The Family of Man ». En 1959, le magazine suisse Du consacre un numéro spécial à son œuvre. Au cours des années suivantes, Sander reçoit la Croix du mérite de la République fédérale d’Allemagne et le Prix culturel de la Société allemande de photographie. Publication en 1962 de son livre Miroir de l’Allemagne. Hommes du XXe siècle (Deutschenspiegel. Menschen des 20. Jahrhunderts). August Sander meurt en 1964 à Cologne.

D’après la biographie publiée dans August Sander. Voir, Observer et Penser (Schirmer / Mosel, 2009)

Page 10: Albums August Sander

MA PROFESSION DE FOI PHOTOGRAPHIQUE PAR AUGUST SANDER

Hommes du XXe siècle

Un monument culturel en images, divisé en sept groupes, organisé selon les situations sociales et com-posé d’environ quarante-cinq portfolios.

On me demande souvent comment l’idée m’est venue de créer cette œuvre.

Voir, observer et penser – la réponse est toute simple.

Rien ne m’a paru plus approprié que de donner, au moyen de la photographie et dans une fidélité absolue à la nature, un tableau de notre temps.

Les époques passées ont de tout temps laissé des témoi-gnages sous forme d’écrits et de livres illustrés, mais la photographie ouvre d’autres possibilités et nous met devant d’autres responsabilités que la peinture. Elle peut montrer les choses dans leur beauté grandiose, comme dans leur vérité épouvantable ; mais elle peut surtout tromper d’une façon extraordinaire. Or, il faut que nous supportions de voir la vérité en face, afin de pouvoir la transmettre à nos contemporains et aux générations suivantes, que cela parle en notre faveur ou en notre défaveur.

Si j’ai aujourd’hui l’aplomb et l’audace de prétendre voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles devraient être, ou telles qu’elles pourraient être, qu’on veuille bien me le pardonner car je ne puis faire autrement.

Je suis photographe depuis trente ans et j’ai très sé-rieusement consacré ma vie à la photographie ; j’ai parcouru de bons et de mauvais chemins et j’ai reconnu mes erreurs.

L’exposition actuelle au Kunstverein de Cologne pré-sente le résultat de mes recherches et j’espère être sur la bonne voie. Je ne hais rien tant que la photographie mièvre pleine de minauderies, de poses et d’effets.

Laissez-moi donc dire en toute honnêteté la vérité sur notre époque et sur ses hommes. »

August Sander, texte de présentation de l’exposition « Hommes du XXe siècle » au Kunstverein de Cologne en 1927

2. TEXTES

DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES 10

PRÉSENTATION GÉNÉRALE DE L’ARTISTE

August Sander lors d’un voyage dans la Forêt-Noire, 1956

Page 11: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES 11

MA VIE : COMMENT TOUT A DÉBUTÉ PAR AUGUST SANDER Je terminai l’école élémentaire au début des années 1890. C’était l’époque où je devais devenir mineur, comme tous les autres élèves du même âge. Il s’agissait de ramener un salaire de plus à la maison ; absolument indispensable dans une famille nombreuse, ça n’était pas sujet à question.

La maison de mes parents se trouvait dans la vallée de Gottersbach, un endroit assez isolé à l’époque. En conséquence, nous passions le plus clair de notre temps avec nos parents et nos frères et sœurs, l’été dans la nature et l’hiver au chaud dans la pièce commune où, après avoir accompli nos autres tâches, nous nous occupions de différents travaux manuels.

Notre père, qui y prenait toujours part, avait plaisir à dessiner. Les chats qui passaient l’hiver sur le poêle étaient ses modèles. L’un des enfants pinçait la queue du chat, qui sautait du poêle en feulant et bondissait sur le sol. C’était le mouvement de ces sauts que mon père reproduisait en dessinant. Ces dessins étaient très réussis et j’avais toujours beaucoup de plaisir à les regarder. Ainsi je m’essayai à faire de même et j’y réussis bientôt, de sorte que je continuai longtemps la pratique du dessin dans mon temps libre.

Mais entre-temps, j’avais appris le métier de mineur et je me trouvais, un jour, sur le terril où l’on extrait le minerai de fer, quand je vis arriver un homme chargé d’un appareil photographique et d’un trépied, qui déposa ses affaires dans le bureau de l’exploitation. Peu après, le chef de section ouvrit la fenêtre et appela mon nom Je fus chargé de montrer le chemin à ce monsieur et de l’aider à transporter son matériel sur le site.

J’allai d’abord chercher une hache et une serpe chez mes parents. Lorsque que nous fûmes arrivés en haut, on pratiqua une coupe dans les arbres pour dégager la vue et on installa l’appareil. Pour la première fois de ma vie,j’eus l’occasion de regarder à travers un verre de visée. À ma grande surprise,j’y vis le paysage tout entier. Il faisait ce jour-là un temps magnifique : le ciel parcouru de nuages, les hommes, le paysage, tout s’anima de mouvement.

À par t i r de ce moment-là , mon enthousiasme ne fit que croître, de sorte que j’entrai bientôt en possession d’un appareil. Je pratiquais désormais la photographie en amateur. De mes succès et mes échecs, je rendrai compte dans un prochain portfolio.

August Sander, texte rédigé vers 1950 pour accompagner un portfolio.

LA TECHNIQUE D’AUGUST SANDER « August Sander a toujours travaillé avec un matériel ancien et demodé. Il ne s’est jamais enthousiasmé pour les techniques nouvelles, les objectifs modernes, les nouveaux produits chimiques apparaissant sur le mar-ché au fil du temps. On peut ainsi voir une note qu’il a portée sur un négatif des années 1930 « Pris avec une lentille polie à la main datant de 1848. » Il s’ est princi-palement servi pour ses portraits de chambres portatives sur pied et de négatifs sur verre de formats allant du 8 x 12 au 18 x 24 cm. et d’objectifs à ouverture relativement faible. Cela entraînait un temps de pose assez long, de 2 à 4 secondes, qui obligeait ses modèles à « prendre la pose » et à garder une immobilité absolue. Cette contrainte, plus l’absence totale de sourire qu’imposait le photographe, entraînait la concentration du sujet, la « projection de soi », un résultat un peu intemporel re-cherché par Sander. C’est ce qui fait de beaucoup de ses grands portraits des archétypes du genre. Ces négatifs sur verre de grands formats ont toujours été d’un coût élevé, ce qui obligeait le photographe à être particuliè-rement attentif lors de la prise de vue, l’ obligeait à la perfection pour ne pas gâcher son matériel. Enfin, il est resté fidèle à une émulsion orthochromatique alors que les négatifs panchromatiques étaient apparus dès 1906 et s’étaient imposés partout dès les années 20. Le négatif orthochromatique soulignait parfaitement les détails (et notamment les défauts de la peau) ce qui correspondait à sa volonté d’une photo objective dès qu’il eût abandonné sa pratique pictorialiste des débuts. On peut donc voir ici un exemple d’adéquation idéale entre une technique prétendument dépassée et une intention esthétique. »

Michel Lefrancq, pour le Photo-Club de Mons, 2014

Page 12: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES 12

AUGUST SANDER, PRÉCURSEUR ? MODERNE AVANT L’HEURE

AUGUST SANDER, MODERNE AVANT L’HEURE

« Mine de Herdorf, dans le Westerwald en Allemagne, 1890. Alors que mineurs et manœuvres s’acharnent à extraire le fer, un photographe professionnel vient plan-ter son trépied à quelques pas de là pour y installer sa chambre. Intrigué, le jeune August Sander s’approche de l’appareil. Et découvre à travers lui le ciel tel qu’il ne l’avait jamais vu. « C’est de cet instant qu’a grandi mon enthousiasme pour la photographie », dira-t-il des années plus tard. Nul ne se doute encore que ce fils de mineur allait devenir un des photographes importants du XXe siècle, comme le rappelle aujourd’hui une exposi-tion magistrale présentée à la Fondation Henri-Cartier-Bresson. Magistrale, cette rétrospective l’est à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle révèle le photographe sous un jour inédit en disposant aux côtés de ses por-traits quelques vues urbaines, mais surtout un nombre équivalent de paysages. Ensuite parce que l’accrochage dynamique proposé permet de saisir cette œuvre dans toute sa complexité. Enfin, parce que cet ensemble d’une centaine de tirages d’époque d’une qualité excep-tionnelle souligne l’influence flagrante de Sander sur la célèbre école de photographie de Düsseldorf emmenée par Bernd et Hilla Becher. Ces derniers devaient ensuite inspirer les stars de la photo contemporaine comme Andreas Gursky ou Thomas Ruff. Photographe de studio établi à Cologne dès 1910, August Sander s’est décidé à documenter ses contemporains dès le début des années folles. Avec l’idée de dresser un portrait modèle de son époque. Il choisit d’emblée de travailler à la chambre, par série, ce qui est alors rarissime. Il réalise alors ses photos en studio, en extérieur ou chez les gens qu’il laisse tou-jours apparaître tels qu’ils souhaitent être représentés. À l’image de ce couple de paysans posant en robe longue et queue-de-pie. Portraits décalés. Sander immortalise ensuite les métiers. Il y a par exemple ce policier vieil-lissant aux longues moustaches horizontales qui semble être rescapé de l’empire prussien. Ou encore ces deux secrétaires. La première, saisie en 1931, travaille pour la radio. Coupe masculine, allure androgyne, cigarette au bec, on la soupçonne d’aller s’encanailler au « Cabaret  » tous les soirs. L’autre, véritable petite fille modèle avec son col blanc amidonné, a survécu à la guerre et l’on pré-fère ne pas savoir comment. Il y a aussi ces handicapés, probablement invalides de guerre, dont le peintre Grosz

aurait pu faire le portrait. Il y a quelque chose de concep-tuel avant l’heure dans ces séries. Et plus encore lorsqu’il photographie des mains. Ou encore les personnes ayant sonné à sa porte, qu’il s’agisse de mendiantes ou d’huis-siers. Son idée du paysage, souvent immortalisé de haut, est toute aussi contemporaine puisque Sander avait choisi de montrer à travers ses images la manière dont l’homme était intervenu dans ces espaces des bords du Rhin. Rien de lyrique là-dedans. Plutôt quelque chose de hiératique. Et c’est magique. Mais pas au goût des nazis. Car nulle trace de race supérieure ni d’Aryens, ici. Mais des hommes et des femmes, des Noirs et des Blancs, des révolutionnaires et des artistes, des notables et des chômeurs tous mis au même plan. Il n’en faut pas plus pour que l’oeuvre soit bannie et les livres mis au pilon. Et c’est seulement à la fin de la guerre que l’Allemagne reconnaît enfin le travail extraordinaire d’August Sander à sa juste valeur. »La tribune, 2009

AUGUST SANDER, UN AUTRE REGARD

« Mais l’intérêt essentiel de cette exposition (2009 à la fondation Cartier Bresson) est de découvrir un autre Sander, celui de la botanique, des paysages et des frag-ments, tout un corpus que l’importance des portraits avait quelque peu éclipsé. Ce sont souvent des photo-graphies plus tardives, datant des années 1930, quand le pouvoir nazi, pourtant lui aussi fasciné par la typolo-gie du peuple allemand, le contraint à renoncer plus ou moins à son travail sur les hommes du XXe siècle; c’est une inscription de l’histoire en creux dans son travail qui semble ainsi transparaître ici. Sander est un photographe de la Nouvelle Objectivité : des lignes claires, des motifs purs, une grande géométrisation des paysages. Dans ce Pont d’autoroute à Neandertal (vers 1938), une grille de composition s’installe entre les minces arbres verticaux, les limites nettes des champs en oblique descendante et la ligne ascendante de la chaussée de l’autoroute : c’est une irruption de la modernité, non point brutale, mais cohérente, presque un hymne au progrès que Sander photographie ici. Mais sous ces dehors de géomètre, Sander est aussi un grand romantique. L’exposition montre son autoportrait dans un paysage montagneux (Siebengebirge), à la Caspar David Friedrich et certains de ses paysages montrent des masses tumultueuses de nuages au dessus d’un miroir aquatique, comme si l’œil de Sander avait soudain saisi l’émotion un peu irréelle du paysage romantique (Le Rhin près du rocher d’Eper-ler Ley, années 1930). La Lorelei n’est pas loin, et les

Page 13: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES 13

mythes lyriques germaniques non plus.Plus que les photos de botanique (dont un bel auto-chrome), qui évoquent beaucoup Bloßfeldt, mais sont le plus souvent in situ, c’est une série de sept mains qui a re-tenu mon attention. Simplement des mains, parfois avec bague, bracelet ou lunettes qu’on triture nerveusement, photographiées sur un fond d’étoffes sombres. Même si elles indiquent encore l’origine, la position sociale (ici Mains d’un travailleur occasionnel, vers 1930), ces pho-tographies transcendent cette typologie et deviennent des compositions en elles-mêmes, des objets autonomes, des formes pures au delà du réel. À ma connaissance, aucune de ces photographies n’est dans la fascinante collection Buhl, consacrée aux mains, laquelle n’a, je crois, de Sander, qu’un étonnant Photogramme publici-taire pour un fabricant de verres (1932), où la main n’est plus qu’une silhouette inversée, blanchie, une empreinte mortuaire (cette photo n’est pas dans l’exposition).Tout aussi étrange est cette photographie d’un Épiderme (vers 1925), composition quasi abstraite qui pourrait aussi bien être un sous-bois ou un tissu; on devine des plis en haut et à droite, mais le reste n’est qu’un paysage criblé de petits points noirs que rien ne permet d’iden-tifier. C’est une image qui ne serait pas reconnaissable, identifiable sans son cartel, c’est un monstre photogra-phique, une incursion du surréalisme dans la nouvelle objectivité. Mais c’est aussi la propre peau de Sander que nous voyons là, dans cet autoportrait analytique et désespérant. « Sander méconnu » par Lunettes Rouges, 2009

AUGUST SANDER, PRÉCURSEUR ?

« August Sander, c’est Diane Arbus avant Diane Arbus. Cette image présente la femme du photographe avec deux nouveaux nés dans les bras. L’un est vivant et dort, l’autre est mort. Quel artiste, aujourd’hui, aurait la force de prendre une photo comme celle-ci ? Le même cou-rage et la lucidité ? Tout Sander est là. Un homme qui voulait comprendre, qui avait les yeux ouverts. Regarder ses photos qu’admirait Freud, c’est entrer dans l’incons-cient de l’Allemagne de l’entre-deux guerres.

[…] Sander a posé les bases de toute la photographie moderne, de l’école de Düsseldorf au mouvement topo-graphique, tout est là. C’est une expérience étrange de voir dans les images présentées dans les deux salles les embryons de tout ce qui va venir plus tard, les Becher, Georg Baselitz, Thomas Ruff et même, d’une certaine manière, Anselm Kieffer, lorsque Sander explore la

signification des paysages, en particulier ceux qui sont chers à la mythologie de l’âme allemande. Comme Atget avant lui, Sander regarde à ceux que l’on ne regarde pas. Les nazis essaieront de détruire une œuvre qui s’intéressait aux ouvriers, aux gitans, aux gens défor-més, aux gens du peuple qui ne représentaient pas l’idéal de la beauté allemande. « Lorsque l’on regarde les pho-tos de Sander, » explique l’artiste et historien de la pho-tographie Alejandro Oramas, « on voit ce que va devenir l’Allemagne quelques années plus tard. Ce qui fascine ou dérange, c’est l’inquiétante étrangeté des images. » Des images qui restent longtemps dans l’esprit du visi-teur. »Jean-Sébastien Stehli, Le regard d’August Sander, Le Figaro, 6.12.2009

LA RÉCEPTION DE L’OEUVRE DE SANDER DEPUIS LES ANNÉES SOIXANTE

« Le succès tardif d’Evans dans le milieu de l’art améri-cain des années 1960 fut le premier indice d’une inflexion de la sensibilité moderne qui allait aboutir à la redécou-verte de Sander, liée elle aussi au succès de l’œuvre de Bernd et Hilla Becher et de leur école (Thomas Ruff, Andreas Gursky,… dans les années 1970. (Quentin Bajac, Sans auteur et sans art, formes documentaires contemporaines.De nombreuses publications, depuis les années 1980 ont prouvé la complexité de l’œuvre de Sander et sa valeur problématique entre art, style documentaire et photo-graphie documentaire à caractère sociologique, infor-mative. En fait Sander nous pose, dans les années 1980, dans un moment de crise de la modernité, deux ques-tions. Tout d’abord « De quoi le document s’est-il aug-menté pour accéder au statut d’art ? » et en conséquence la question de l’extension et des recoupements respectifs des champs artistique et photographique, comme a pu le faire Duchamp pour les années 1960-1970 (Rosalind Krauss, Le Photographique). Le genre documentaire, où August Sander apparaît rétrospectivement comme une clé, génère aujourd’hui de nombreuses productions qui stimulent l’analyse de son histoire problématique et son articulation tout aussi problématique au champ artis-tique. En 1961, Sander reçut le Prix culturel de la Société allemande de photographie.Actualité d’August Sander dans les années 2000-2010 : au cinéma, les documentaires et docu-fictions qui proli-fèrent comme des petits lapins et qui mettent en scène des acteurs non-professionnels dans leurs propres rôles.  » Extrait de la page Wikipédia sur August Sander

Page 14: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / TEXTES 14

ANALYSE D’IMAGES

AUGUST SANDER, JEUNES PAYSANS, 1914

« Sur un chemin boueux en pleine campagne, trois jeunes hommes élégamment vêtus marquent une pose et, se re-tournant vers nous, nous regardent fixement. De ces trois jeunes paysans allemands, on ne sait rien d’autre que leur nationalité, leur statut social et l’année de réalisation de cette photographie (1914). On ignore en revanche leur destination et la raison de leur élégance pas plus qu’on ne connaît le lien qui les unit (sont-ils frères, voisins, amis ? ). Ils ont tous trois revêtu leur plus beau costume de ville et ont emporté leur chapeau mou et leur canne. Sans doute se rendent-ils à une cérémonie, un rendez-vous ou une fête. À moins qu’ils n’en reviennent. Très fiers de leur apparence, ils prennent la pose et jettent un regard franc à l’homme qui les photographie, August Sander. Âgé de trente-huit ans, installé dans la région de Cologne, il est lui-même issu des classes laborieuses avec lesquelles il entretient des rapports privilégiés et aime à travailler.Sander consacra sa vie à un colossal projet photogra-phique et sociologique qu’il intitula « Hommes du XXe

siècle ». Son but était de constituer une sorte de recen-sement photographique des catégories socioprofession-nelles allemandes en réalisant les portraits d’hommes et de femmes de tous horizons. Non pas dans le but de faire un inventaire des professions et de catégoriser la popula-tion allemande selon des types pré-établis, mais afin de fixer l’image du monde dans lequel il vivait tout en por-tant un jugement critique sur la société allemande sous la République de Weimar. Subdivisant son travail en sept groupes, il photographia sans discrimination toutes les classes sociales, des chômeurs aux hommes politiques, des fonctionnaires aux artistes. Mais il eut toujours une prédilection pour les portraits de paysans, ce qui, rétros-pectivement, lui fut reproché car l’importance qu’il avait donnée à ces différents groupes ne reflétait pas la réalité sociale de son temps.L’œuvre photographique de Sander possède une forte cohérence malgré son ampleur (plusieurs dizaines de milliers de clichés). Cette unité stylistique est due prin-cipalement à l’agencement toujours scrupuleux des su-jets mais également à des règles de composition strictes appliquées à la quasi-totalité de ses portraits : cadrage large, frontalité de la prise de vue, préférence pour la lumière naturelle, choix d’un décor simple et épuré évo-quant le statut social du modèle. Ces règles sont d’ail-leurs tout à fait sensibles dans le portrait des jeunes pay-sans. Ceux-ci sont photographiés en plein air, dans un

décor dépouillé laissant néanmoins deviner leur statut social. Ils sont représentés en pied, frontalement, sans effet de plongée ou de contre-plongée. La composition a également été très étudiée et réfléchie. Bien que les trois hommes soient à l’arrêt, leur pose respective et leur positionnement dans le plan de l’image (à gauche, au centre, à droite) mais également dans l’espace (en retrait, en avant, en retrait) induit un mouvement, ren-forcé par la position des cannes et l’orientation des cha-peaux (courbe ascendante puis descendante). De même, l’attitude des trois modèles suggère une chronologie de l’événement : si le premier homme vient d’entrer dans l’image, celui de droite s’apprête déjà à en sortir. Mais ce déroulé temporel est fictif, les modèles étant tout à fait statiques, à la demande du photographe.Par le réalisme social et la rigueur de ses compositions modernistes, August Sander appartient pleinement à la Nouvelle Objectivité allemande, lui qui, dès les années 1910, après avoir été durant quelques temps adepte du pictorialisme, vantait les mérites d’une « photographie exacte », exempte de tout artifice et de toute manipula-tion. L’ampleur de son projet fait même de lui l’un des principaux représentants de cette esthétique, dont ses photographies développent les principes avant-gardistes (rigueur des compositions, réflexion sur le cadrage, sim-plification des volumes, etc.). S’intéressant à la fois aux traits personnels et à la fonction sociale de ses modèles, Sander réalisa des photographies où le décor et les acces-soires sont autant d’indices caractérisant l’individu. Si l’idée de regrouper des portraits selon des critères com-muns n’était pas nouvelle, l’ampleur du champ d’inves-tigation et le caractère résolument social de la démarche de Sander font de ses « Hommes du XXe siècle » un exemple unique en son genre.En 1929, Sander publia une partie de son entreprise dans Visage d’une époque (Antlitz der Zeit), une sélection de soixante portraits issus de la série des « Hommes du XXe siècle ». Mais la montée du nazisme mit un point d’arrêt à son entreprise. Interdit en 1936, l’ouvrage fut saisi et les exemplaires en circulation détruits. Ce n’est qu’après guerre que Sander eut la possibilité de reprendre son projet. Mais il était alors âgé d’une soixantaine d’an-nées et ne put mener à terme son portrait d’une société qui n’existait désormais plus. Son travail connut néan-moins une seconde diffusion à travers plusieurs publi-cations et sa participation à des expositions dont celle, fameuse, d’Edward Steinchen, Family of Man au Moma en 1955 où quarante-cinq portraits des « Hommes du XXe siècle » furent présentés. Les archives d’August Sander – plus de 11 000 négatifs et 4 500 épreuves – sont aujourd’hui conservées par la fondation culturelle de Cologne.Jeunes paysans, extrait du site « Histoire européenne des arts » CNDP SCEREN

Page 15: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 15

3. PARCOURS DANS L’EXPOSITION

LA MÉTHODE D’AUGUST SANDER « VOIR, OBSERVER, PENSER »

« Dans la perspective de saisir toute la réalité de son époque, August Sander photographie, selon un pro-gramme qu’il s’est établi, aussi bien les gens, toutes catégories socioprofessionnelles, âges et sexes confon-dus, que les paysages, du village à la grande ville moderne. De ces fragments de réel qu’il agence en série, ordonne et classe selon une vision personnelle du monde, il crée une composition d’ensemble qu’il synthétise dans son projet « Hommes du XXe siècle ». « Pour fournir vraiment maintenant une coupe à tra-vers l’époque présente et notre peuple de l’Allemagne, j’ai regroupé ces clichés en portfolios : je commence par le paysan et je termine par les représentants de l’aristocratie intellectuelle. Ce parcours est doublé par un ensemble de portfolios parallèles, qui illustre l’évo-lution du village à la grande ville moderne » […] C’est ce qu’August Sander nomme les « images archéty-piques » : « Tous sont des types. Non pas des types d’une seule génération, biologiquement parlant. On a le vieux et le jeune […] Il y avait encore des « états» , des professions, des classes, des types ; […] La sphère publique connaissait disputes et oppositions, menaces, bruit et vacuité, crispations bornées sur l’ancien et expérimentation hasardeuse des dernières nouveautés. Le passé et l’avenir se disputaient le présent » […] Le projet d’August Sander consiste bien à créer un tableau de l’époque par le médium photographique en se basant sur des méthodes scientifiques. Ce qui im-plique automatiquement le travail en série et la vision comparative : « Comme l’individu isolé ne fait pas l’histoire de son temps, mais caractérise l’expression d’une époque et exprime ses sentiments, il est possible de saisir la physionomie de toute une génération et de lui donner une expression photographique. Ce tableau de l’époque sera encore plus compréhensible si nous juxtaposons en série les clichés de types représentant les groupes les plus différents de la société humaine. » […] Dans une lettre datant de 1951, il souligne ainsi l’importance de la série et de l’assemblage : « Il en est de la photographie comme d’une mosaïque, laquelle n’acquiert son caractère foncièrement synthétique que lorsque ses divers éléments apparaissent assemblés. »Extrait du Blog Camera LUCIDA http://camlux.blogspot.fr/2012/10/august-sander.html

Parcourez et explorez les différentes « albums » exposés. Pour chacun, essayez de déterminer la démarche photographique d’August Sander, analysez les cadrages, les angles de prise de vue, la distance du photographe par rapport à son sujet, la participation ou non du sujet, les titres...

August Sander, Vue de la vallée du Rhin, années 1930

Page 16: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 1616

1 / L’ALBUM DE FAMILLE

« Sander réalisa cet album dans les années 1950 pour sa fille Sigrid installée aux états-unis. Ces portraits entre 1901 et 1914, ont bien sûr un caractère intime , mais ils évoquent aussi la carrière du photographe. » Extrait du livret d’exposition

• Distinguez dans cet album ce qui relève de l’intime et du professionnel, comment cela se concrétise-t-il formellement dans les photographies ?

• L’ordre de présentation des photographies exposées participe de ce récit qui mêle intime et professionnel. Quelle image de sa vie, August Sander souhaite-il transmettre à sa fille ?

2 / VISAGE D’UNE ÉPOQUE

Lors de sa présentation de l’exposition, Gerd Sander, petit-fils d’August Sander et commissaire associé de l’exposition affirme à plusieurs reprises que la « méthode Sander, c’est de ne pas en avoir. »

« Sander photographie à hauteur d’hommes, sans jeu d’échelle ni de perspective. Sander se revendique de l’exactitude ». Extrait du livret d’exposition

« Les portraits de paysans d’August Sander, à la différence de ceux d’Erna Lendvai-Dircksen, ne furent pas utilisés par l’agence Stoedtner lorsque celle-ci consacra une série aux physionomies typiques de la « race » germanique vers 1935 pour glorifier l’idéologie terrienne et nationaliste du régime nazi » Gilles Saussier, Situations du reportage, actualité d’une alternative documentaire.

• L’accrochage des photographies reprend exactement la mise en page des images dans le livre « Visage d’une époque ». Observez l’ordonnancement des groupes, que dit-il du choix d’organisation d’August Sander ? Quel visage veut-il donner de l’Allemagne ?

• Pourquoi dans le titre « Visage » est-il au singulier ?

• Comparez les portraits de cette série avec les photos contemporaines d’Erna Lendvai-Dircksen (1883-1962), pourquoi n’ont-ils pas été utilisés par les nazis ?

August Sander avec son fils Erich, Linz, décembre 1903

Page 17: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 1717

3 / PORTFOLIO DE PAYSAGES

« Vaste, sublime et magnifique regard Qui embrasse la vie tout autour !Et de montage en montagnePlane l’esprit éternel Dans le pressentiment d’une vie éternelle

« Par ses ouvrages, l’homme imprime aussi sa marque au paysage, de telle sorte que le paysage, tout comme le langage, se transforme selon les besoins de l’être humain ; ce faisant, l’homme modifie souvent ce qui résulte de l’évolution biologique. De nouveau, nous voyons l’esprit humain d’une époque s’exprimer dans le paysage et nous pouvons donc le saisir au moyen de l’appareil photo. » August Sander, « La photographie, langage universel » conférence, fol. 8, 12 avril 1931

• Dans l’unique photographie qui montre la première exposition de « Visage d’une époque » en 1927 à Cologne, on découvre déjà des paysages, comment expliquer ce qui pourrait apparaître comme une incongruité dans le projet d’August Sander ?

• Comment définir la nature photographiée par August Sander ? Quel point de vue choisit-il ? Comment choisit-il ses lieux ?

• Décrivez l’autoportrait qui ouvre cet album, il est certainement connoté plastiquement et artistiquement, retrouvez les références qui l’ont inspiré. Mais certains détails de la photographie justement dénotent, lesquels ?

4/ PORTRAITS ET ŒUVRES D’ARTISTES

« Les œuvres des « progressistes » représentaient des individus, des types sociaux et des scènes de conflits de manière minimale et parfois schématique. Se revendiquaient du marxisme, elles avaient un but clairement militant. […] l’art se devait […] d’être compréhensible par tous. » Extrait du livret d’exposition

« Les progressistes cherchaient en effet à « être tellement simples et tellement loin de toute ambiguïté au sein de la forme donnée à l’image, à la sculpture, que tout le monde pourra [les] comprendre ». Cette quête d’intelligibilité fut poussée à tel point que leurs œuvres figuratives atteignent une valeur pictographique, où l’apparence des personnages ne reflète plus leur physionomie ou leur psychologie personnelle, mais leur appartenance sociale. » Anastasia Simoniello, Mythologie et utopie. Les progressistes de Cologne sous la République de Weimar

« Toujours dans sa cinquième conférence (1931), Sander cite un poème : « Dans chaque visage d’homme, son histoire est écrite de la manière la plus claire. L’un sait la lire, l’autre non. » Ce n’est pas seulement la présence mais le langage de la réalité qui est visé via le langage de la photographie. « Nous essaierons de rendre visible l’ordre de toute réalité extérieure à l’image par l’ordre de l’image. » Lecture en ligne par Françoise Goria August Sander : « Hommes du XXe siècle », Éditions de La Martinière, 2002

• La mise en regard des œuvres des « progressistes » de Cologne et leur portrait par August Sander permet de monter la concordance de leur démarche artistique ? Comment se concrétise-t-elle plastiquement ?

• « Du figuratif au pictographique », dit-on à propos les créations des progressistes de Cologne, trouvez des exemples de ce « passage » dans les œuvres exposées .

• « Dans chaque visage d’homme, son histoire est écrite de la manière la plus claire » dit August Sander, en découvrant simultanément le portrait d’un artiste et quelques-unes de ses œuvres, peut-on dire, alors, que Sander « sait lire » l’œuvre inscrite dans son visage ? Comment l’expliquer ?

August Sander, Les Sept-Montagnes vues depuis Oberwinter, années 1930

Page 18: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 18

IMAGES SATURÉES DE TEMPORALITÉ, TEMPS SUSPENDU... « Au contraire de la photographie d’instantané, qui segmente la continuité temporelle et développe ainsi, selon la formule de Olf Sternberger, une « conception abrégée du monde », Sander construit des images « de temps suspendu » ou « saturées de temporalité », qui sont des interprétations, des mises en scène de la réalité. Ces clichés posés sont l’exact contraire des clichés instantanés, puisqu’ils concentrent le temps au lieu d’évoquer des moments de temps. Ils se rangent ainsi dans la catégorie de cette « exposition du temps  » que Thierry de Duve caractérise comme « inversion asymétrique de l’instantané ». Alors que celui-ci dérobe une vie qu’il ne pourra jamais rendre, « l’exposition du temps exprime la vie [ ... ], car elle n’affecte pas la vie comme processus, développement, écoulement, à la manière de l’instantané. Elle a pour objet une vie imaginaire, indépendante, discontinue et réversible, parce que la vie n’a pas d’autre « lieu » que la surface de la photographie. Le côté temporel et processif de la réalité se voit assigner une durée idéale, au moyen de mesures de composition. Comparables, d’une certaine manière, aux photographies de plateau des films, les œuvres de Sander sont moins proches de rencontres visuelles spontanées que de concentrés de réalité sociale.»Christoph Schreir, extrait de « Documents historiques, chefs d’œuvres artistiques : les photographies d’August Sander »

« C’est en 1925 qu’apparaît le Leica et que se généralise l’utilisation du petit format qui permet de saisir des atti-tudes spontanées. Il paraît que Sander préparait parfois pendant plusieurs heures avec son modèle la prise de vue. Une longue conversation. La prise effectuée avec une chambre photographique transportable durait de 2 à 8 secondes. « … par les légers mouvements de surface liés à la respiration, cela donne plus de vie. » Les per-sonnes photographiées par Sander sont toutes entières à cette activité de se faire photographier. L’image n’est pas arrachée au continuum des mouvements de la vie mais construite par ses protagonistes dans un temps de dialogue puis d’arrêt. L’arrêt reste pour August Sander la condition de la photographie. La condition pour que celle-ci résulte de la participation active du modèle.

Son rôle est ici d’être lui-même. « Le procédé lui même n’amenait pas les modèles à vivre à la pointe de l’ins-tant, mais à s’y installer pleinement ; pendant le temps prolongé que durait la pose, ils s’insinuaient pour ainsi dire dans l’image. »Lecture en ligne par Françoise Goria August Sander : « Hommes du XXe siècle », Éditions de La Martinière, 2002

• « Temps suspendu », cliché « saturé de temporalité » comment ces expressions se concrétisent dans l’exposi-tion, donnez des exemples précis, expliquez ?

DÉNONCER « LA MASCARADE DU PORTRAIT »

« Max Kozloff l’avait parfaitement démontré dans son analyse ; en portant sa réflexion sur l’objectivité supposée de l’image, et notamment à travers l’Art du portrait photographique, August Sander parvient à « dénoncer la mascarade du portrait ». Pour com-prendre cette analyse, il faut aussi se rappeler quelle était la fonction du portraitiste de l’époque : mettre en valeur l’aspect socialement le plus f latteur qu’un vrai ou qu’un « faux » notable puisse souhaiter dé-livrer, c’est à dire maîtriser une image, la mettre en scène, jusqu’à la tromperie finale inévitable, c’était la règle. Seul Sander à cette époque semble avoir conscience du matériau sociologique que ces portraits et ces scènes de genre, rendraient évidents à posté-rieuri. Par sa réf lexion et une approche consciente de la photographie en tant que langage universel, Sander se mettait en position de révolutionner l’uti-lisation même d’un médium jeune, parfaitement codifié et pourtant déjà complètement perverti. » Laurent Meynier à propos du livre « Voir, observer, penser », 2009

• Parcourez les différentes séries de portraits de l’expo-sition. Pour l’album de famille, comparez les portraits de la même époque, repérez ce qui formellement et plastiquement, permet à Max Kozlof d’affirmer qu’Au-gust Sander dénoncait « La mascarade du portrait ».

Page 19: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / PARCOURS 19

« AUTOPORTRAIT ASSISTÉ »

« August Sander se déplaçait souvent chez son modèle ou sur le lieu de travail de celui-ci pour réaliser ses prises de vues afin de le faire participer à son « autoportrait assisté », projection de soi qui était chère au modèle et que Sander voulait f ixer. La célèbre photographie de 1926, du peintre Anton Räderscheidt (en) nous montre ainsi dans une rue déserte, « metafisica (en) » comme sa peinture, le personnage que l’on retrouve avec la même raideur mécanique dans les tableaux où celui-ci se met lui-même en scène : Autoportrait de 1928. Page Wikipédia sur August Sander

• À partir d’une analyse détaillée de l’« autoportrait assisté » d’Anton Räderscheidt, identif iez dans l’exposition d’autres portraits de ce « type ».

• Expliquez techniquement, plastiquement cette notion d’autoportrait assisté.

Anton Räderscheidt, Autoportait, huile sur toile, 1928, Musée d’art moderne de la Ville de Paris

August Sander, Peintre, 1926 [Anton Räderscheidt]

Page 20: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ATELIERS 20

4. ATELIERS

ÉCRITURE

JEUNES PAYSANS, 1914

« Sur un chemin boueux en pleine campagne, trois jeunes hommes élégamment vêtus marquent une pose et, se retournant vers nous, nous regardent fixement. De ces trois jeunes paysans allemands, on ne sait rien d’autre que leur nationalité, leur statut social et l’année de réalisation de cette photographie (1914). On ignore en revanche leur destination et la raison de leur élégance pas plus qu’on ne connaît le lien qui les unit (sont-ils frères, voisins, amis ?). Ils ont tous trois revêtu leur plus beau costume de ville et ont emporté leur chapeau mou et leur canne. Sans doute se rendent-ils à une cérémonie, un rendez-vous ou une fête. À moins qu’ils n’en reviennent. Très fiers de leur apparence, ils prennent la pose et jettent un regard franc à l’homme qui les photographie, August Sander. Âgé de trente-huit ans, installé dans la région de Cologne, il est lui-même issu des classes laborieuses avec lesquelles il entretient des rapports privilégiés et aime à travailler.Extrait du site « Histoire européenne des arts » CNDP SCEREN

• Cette photo d’August Sander a inspiré l’écrivain Richard Powers pour son livre Trois fermiers s’en vont au bal publié en 1985. Il y évoque la vie du photographe et reconstitue l’histoire de cette photo.

• Rédigez un récit à partir de la photographie Jeunes paysans, 1914. August Sander, Jeunes paysans, 1914

Page 21: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ATELIERS 21

PHOTOGRAPHIE À LA MANIÈRE DE...

« Le vêtement chez Sander est un langage, un code, il parle avec force, donne l’idée de « caractère », de « typique » (et non de « type ») autant qu’il dénote une fonction ou un statut. Un maître serrurier n’est pas ha-billé comme un jeune paysan, un propriétaire foncier ne ressemble nullement à un maître d’école, un paysan du Siegerland ne ressemble pas un paysan du Westerwald alors qu’aujourd’hui il y a peu de différence vestimen-taire entre un professeur des écoles et un pharmacien.   La grande vague de l’uniformisation est passée, elle a emporté les costumes et les coutumes pour ne laisser que l’uniforme et les modes (et non pas « la » mode) brouiller les identités. »En regardant August Sander, extrait du blog le lorgnon mélan-colique. http://lorgnonmelancolique.blog.lemonde.fr/2015/02/11/en-regardant-august-sander/

• Photographiez la communauté scolaire, réalisez des séries en organisant des typologies.

PHOTOGRAPHIE LE VÊTEMENT

« La série Absence of Subject de Michael Somoroff est un hommage au célèbre photographe allemand August Sander (1876-1964) et à son œuvre monumentale, Hommes du XXe siècle. Il s’agit d’un travail d’analyse à la fois méditatif et passionné sur les souvenirs, l’ima-gination, la force des hommes et la créativité. À travers Absence of Subject, présenté pour la première fois lors de la Biennale de Venise 2011, le visiteur peut revivre l’œuvre d’August Sander dans toute sa complexité. Dans chacune des photographies d’August Sander, Michael Somoroff a effacé le sujet, ne conservant que l’arrière-plan. Grâce à l’informatique, Somoroff a sup-primé ce que nous considérons habituellement comme l’« élément essentiel » : le sujet, le portrait. Jadis élé-ment d’importance secondaire, l’arrière-plan devient ici le sujet principal. [ ... ] Conceptuelle et humaniste à la fois, chaque image de Somoroff fait preuve du grand pouvoir de persuasion et de l’esthétique dans l’œuvre d’August Sander, malgré l’absence du sujet humain. Ce genre de photographies sort des sentiers battus dans le sens d’une créativité imaginée. À travers sa création, Somoroff insiste sur le fait que l’art postmoderne n’est pas dénué de fondements, mais dispose bel et bien de racines, de traditions et de continuité. »Extrait du communiqué de presse de l’exposition Absence of Subject August Sander / Michael Somoroff, Villa Vauban – Musée d’Art de la Ville de Luxembourg, 2015

• À partir des portraits présentés dans l’exposition, réalisez l’opération inverse du travail de Michael Somoroff : effacez le décor et l’environnement de chaque portrait.

August Sander, Pâtissier, 1928

Page 22: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 22

5. ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS

Les échos proposés permettent de situer l’artiste dans son époque et les différents mouvements artistiques contemporains, de ses prédécesseurs, aux artistes ou mouvements qui revendiquent son héritage. :

Sander et le style documentaire Walker Evans La participation du sujet Le montage

Bernd et Hilla Becher Charles Fréger Michael Somoroff

SANDER ET LE STYLE DOCUMENTAIRE

« Ce type d’appel à une photographie plus documentaire se multiplie vers 1930 et, de façon embryonnaire, le terme commence à qualifier un genre qui, malgré le f lou des définitions, se détermine par opposition à la Nouvelle Vision et à la Nouvelle Objectivité. Sa cristallisation en une ébauche de mouvement, dans la presse en tout cas, est d’autant plus facile que celle-ci lui trouve, à la fin de 1929, un nouveau modèle, particulièrement représentatif […] : le photographe colonais August Sander. Dans un article intitulé « Photo-Inflation ? » et daté de janvier 1930, l’historien d’art Wilhelm Hausenstein, […] a rappelé le vrai devoir documentaire de la photographie, prend comme exemple de cette voie souhaitée le livre de Sander tout récemment paru, Antlitz der Zeit : « Ici, la photographie a compris, différencié et réalisé ce qui lui revient : elle a documenté, avec sérieux, l’essence de l’époque - elle a créé des « documents », sine ira et studio, des documents qu’elle seule, et rien qu’elle peut créer. » Un autre commentateur fait encore plus clairement de Sander le modèle d’un courant défini par opposition à la Nouvelle Objectivité : « Si le livre de Sander représente le pôle documentaire de la photographie, alors foto-auge de Franz Roh et Jan Tschichold représente, pour l’essentiel, l’autre extrême, la « neue Sachlichkeit ». » Plus haut dans l’article, il substantive déjà le terme, parlant « du documentaire [das Dolmmenta.riscfte]. » Cette polarisation est également décelable dans un texte de Raoul Hausmann, qui remplace néanmoins la notion de documentaire par celle de « photographie exacte » terme préféré par Sander (Hausmann et Sander sont, autour de 1930, en contact assez étroit, comme en témoigne leur correspondance) : « Il arrive toujours de nouveaux hommes qui, à l’aide de leur objectif, captent de nouvelles vues du monde qui nous entoure. Il y a beaucoup de photographes modernes, leur nombre augmente même sans cesse, et [pourtant] personne n’aurait l’idée de déclarer que la photographie objective de Renger-Patzsch est dépassée parce qu’August Sander nous montre la photographie exacte. » Même s’il le fait par la négative, Hausmann tend ici à présenter cette « photographie exacte » comme une découverte ultérieure à la Nouvelle Objectivité. En réalité, c’est moins l’œuvre elle-même que sa diffusion qui est récente : au moment où il gagne subitement de l’importance, le projet d’August Sander a déjà près de dix ans.. »Olivier Lugon, Le style documentaire dAugust Sander à Walker Ewans, Macula, 2001

Page 23: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 23

WALKER EVANS

« Parmi les recensions tardives figure, toujours en 1931, celle que signe un photographe américain de 28 ans, alors peu connu et peu exposé : Walker Evans. Intitulé « The Reappearance of Photography », l’article passe en revue six publications, en majorité européennes. Très sévère à l’égard d’Edward Steichen, jugé publicitaire et superficiel, mitigé à propos de Renger-Patzsch comme de fota-auge et de tout un mouvement allemand - Nouvelle Vision et Nouvelle Objectivité amalgamées - qui aurait déjà perdu sa force, il réserve son enthousiasme à Atget et à Sander. Antlitz der Zeit y est présenté comme « l’un des futurs de la photographie prédits par Atget », « un découpage [editing] photographique de la société, un processus clinique » de description sociale qui devrait être pris pour modèle et appliqué dans les « autres pays dits avancés » - entendez les États-Unis.

Evans ne suivra que partiellement l’appel qu’il lance alors. Au-delà des ressemblances ponctuelles et de quelques portraits d’esprit « sanderien » il se chargera bien de décrire la société américaine, mais sur des bases légèrement différentes : beaucoup moins systématiques, et plus centrées sur la seconde partie du programme de Sander, l’environnement, que sur la figure humaine. L’appel ne sera pas davantage entendu par d’autres. L’œuvre de Sander, si l’on en trouve des réminiscences dans tel ou tel projet, restera aux États-Unis, en dehors d’Evans, sans inf luence directe pendant des décennies. L’article de 1931 est, à notre connaissance, et si étrange que cela paraisse, le seul qui fasse mention du photographe dans la presse américaine avant la guerre. »Olivier Lugon, Le style documentaire dAugust Sander à Walker Ewans, Macula, 2001

August Sander, Bohèmes, 1922-1925 [Willi Bongard et Gottfried Brockmann]

Page 24: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 2424

LA PARTICIPATION DU SUJET

« Ainsi s’expliquerait la règle pour Sander de la parti-cipation active de l’individu à son portrait. Au moment où Sander mettait son projet en œuvre, en 1925, la pho-tographie primitive de David Octavius Hill qui avait le premier, vers 1850, conçu ses portraits en faisant participer ses modèles était redécouverte et on peut penser que cet œuvre eut un impact certain sur Sander. Le rapprochement fut fait dès 1929. Cet engouement pour la photographie primitive après les années de jeu-nesse d’un Sander pictorialiste expliquerait son usage constant d’un matériel désuet à son époque ; le Leica fut commercialisé en 1925, mais il ne l’a jamais utilisé. Il a toujours préféré le travail à la chambre « munie d’objectifs contraignant à un long temps d‘exposition, de 2 à 4 secondes » qui proscrit toute recherche de spontanéité. Les portraits de Sander sont donc posés et même soigneusement composés sans jouer avec le cadrage. Ils ont ainsi souvent une profondeur de champ très courte qui isole la figure de son environnement et focalise sur le premier plan. Les épreuves obtenues par contact sur papier brillant au bromure d’argent et au format des plaques de verre ont une précision extrême mais les arrières plans sont f lous pour la raison que nous venons d’évoquer. Par ailleurs il se déplaçait sou-vent chez son modèle ou sur le lieu de travail de celui-ci pour réaliser ses prises de vues afin de le faire participer à son « autoportrait assisté », projection de soi qui était chère au modèle et que Sander voulait fixer . La célèbre photographie de 1926, du peintre Anton Räderscheidt (en) nous montre ainsi dans une rue déserte, « meta-fisica (en) » comme sa peinture , le personnage que l’on retrouve avec la même raideur mécanique dans les tableaux où celui-ci se met lui-même en scène : Autoportrait de 1928. Une autre photographie de 1926 montre de manière atypique une femme à la forte per-sonnalité qui se manifeste, intentionnellement, dans son portrait en pantalons : la femme du peintre Peter Abelen qui semble se déplacer vers nous en allumant une cigarette. Elle aura probablement choisi ces attri-buts comme autant de symboles d’une femme moderne. Cette démarche qui caractérise les portraits de Sander explique donc la diversité des poses, des lieux et même des angles de vue, vues qui ne sont pas toutes frontales et statiques. Le portrait d’Otto Dix de 1924 est cadré en buste, de profil avec une expression tendue, un regard dur fixé sur l’horizon : une pose à l’évidence « jouée » par son personnage, la mise au point étant faite sur

la toile rude et sobre de sa veste, le tout sur le fond d’un simple rideau blanc qui détache ce portrait avec la clarté d’une silhouette. Cette solution composition-nelle classique est reprise par Sander dans le portrait d’Otto Dix et sa femme, suivant un prototype hérité de la Renaissance. Peut-on pour autant penser que des solutions plus conventionnelles (portraits de paysans…) correspondent de la même façon à une participation de personnalités plus conventionnelles qui repren-draient, en les métissant, des modèles classiques ? Une étude des photographies, de ce point de vue, de-vrait questionner la valeur signifiante de ces choix. L’isolement ou le groupe, les positions relatives, les lieux et les attributs, les accessoires, la lumière, le point de vue, le cadrage et la profondeur de champ, les spécificités physiologiques, poses, attitudes et mimiques héritées ou acquises. Enfin s’il y a rela-tion avec une image archétypale dans la composition, quelle représentation sociale a été construite ? » August Sander, extrait de la page wikipedia

LE MONTAGE« Enfin et surtout, la part artistique que Sander revendique le plus dans son œuvre consiste dans l’ar-rangement des photographies entre elles. Un art qui serait selon lui « comme la mosaïque » (Olivier Lugon). C’est donc dans ce montage, dans ces juxtapositions frictionnelles comme dans les variations signifiantes au sein d’une même série (la question de la datation, voulue ou non, des photographies classées, reste pro-blématique) que se situe la part la plus artistique de son œuvre. Dans Visage d’une époque le portrait de Raoul Hausmann en danseur y est situé entre une artiste de cirque et un marin au chômage, avec chaque fois une pose très singulière. On peut aussi constater ce procédé de juxtapositions signifiantes dans la version posthume (tome V, Les artistes) de « Hommes du XXe siècle » : la dureté du portrait de Dix entretient un contraste saisis-sant avec l’image affaissée, introspective, du jeune Willi Bongard... De là se constituerait peut-être l’ébauche, avec cette coupe dans la société, d’une typologie hu-maine indépendante du métier ou de la catégorie sociale mais lisible, au sein d’une série et par contrastes, dans l’image de lui-même que chaque individu construit. » August Sander, extrait de la page wikipedia

Page 25: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 25

BERND ET HILLA BECHER

« [ ... ] Bien que détachée de tout mouvement artis-tique, l’œuvre du couple photographe rappelle celle de l’entomologiste par le travail encyclopédique. Leur démarche est qualifiée de scientifique parce que leurs clichés sont classés et archivés selon leurs em-placements géographiques ou leurs fonctionnalités. Les Becher s’inscrivent dans la tradition des photo-graphes allemands tels August Sander et ses portraits, Albert Renger-Patzch pour les houillères et les sites in-dustriels de bassin de la Ruhr à la fin des années 1920. Dans les années 1970, des artistes minimalistes amé-ricains (Carl André, Sol Lewitt…) popularisent leur travail parce qu’ils voient un répertoire de formes pures, sorties de leur contexte. L’œuvre des Becher a contri-bué au renouveau de la photographie documentaire et par l’enseignement de la photographie qu’ils donnent à l’école de Düsseldorf, les héritiers de leurs regards sont Andreas Gursky, Thomas Struth, Thomas Ruff…Bernd et Hilla Becher : Typologie, Chevalements de puits de mines, service des publics du Musée d’art moderne et contempo-rain Saint Etienne Métropole.

Bernd and Hilla Becher, Châteaux d’eau (Hunsruck), 2010

James Lingwood : Vous avez travaillé sur différents projets pendant plus de trente ans. Y a t-il un projet global qui sous-tend les différentes séries ?

Hilla Becher : Je ne pense pas que nous ayons un projet global. Nous continuons tout simplement; certains pro-jets sont finis, d’autres restent ouverts. Je ne crois pas que nous ayons un concept global.

JL : Vos images ou votre concept ont-ils beaucoup changé depuis les années 1950 ?

Bernd Becher : Je ne crois pas. Notre idée est de créer des familles d’objets...

JL : D’où vient cette idée ?

BB : Au début, je peignais d’après des photographies, mais je n’étais pas satisfait de mes tableaux, et je leur préférais les photographies. Puis j’ai commencé à faire des collages, en découpant des photos, prises par moi, de mines ou de maisons de mineurs, vues sous diffé-rents angles. Pour prendre ces photos, je montais sur une échelle, de façon à ce qu’il n’y ait pas de distorsion optique. [ ... ] Ensuite, j’ai rencontré Hilla et nous avons commencé à parler, à collectionner des photos, à faire des promenades ensemble. Au cours de ces prome-nades, nous nous sommes aperçus qu’un certain monde industriel était en voie de disparition et nous avons eu l’idée de l’enregistrer... [ ... ]

Jean-François Chevrier : Quand un projet ou un sujet est-il terminé, épuisé pour vous ?

HB : Je pourrais dire qu’un projet est terminé quand l’objet est détruit. [ ... ]

JFC : Lorsque vous avez commencé, connaissiez- vous l’œuvre de certains photographes du XIXe siècle, comme Baldus par exemple ?

HB : Oui, nous admirions beaucoup les photographes du XIXe, parce que nous pensions qu’ils avaient utilisé au mieux toutes les possibilités de la photographie, alors que nous avions l’impression qu’elle avait été mal utilisée au XXe siècle...[ ... ]

Page 26: Albums August Sander

JFC : Pensez-vous que la photographie doit être avant tout descriptive et documentaire ?

HB : Oui, dans la photographie du XIXe siècle, on trouve à la fois l’objet et la métaphore et, si on les uti-lise correctement, cela devient tellement fascinant que l’on peut dire vraiment : ceci est un certain objet, il a un nom. Mais en même temps, il est le symbole d’une certaine situation historique. Il faut bien sur choisir, on ne peut pas tout photographier, on choisit donc des objets typiques. [ ... ]

JFC : Dans la Subjective Fotografie on retrouve [ ... ] une façon très subjective de traiter les sentiments personnels... Cette attitude était dirigée principalement contre le reportage, mais vous n’avez pas choisi le reportage...

HB : Le reportage se situait encore à un autre niveau. Et puis, il y avait toutes ces distinctions compliquées entre photographie commerciale, photographie artistique et photojournalisme. Notre travail, bien sûr, ne pouvait être considéré comme artistique, donc nous étions en quelque sorte, nulle part. v

JFC : Est-ce vrai que le texte de Carl Andre publié dans Artforum dans les années 1970 a beaucoup contribué à changer l’attitude des gens sur votre travail ?

HB : Oui, dans ce sens que les gens ont commencé à accepter qu’un objet puisse être photographié d’une manière indirecte, sans composition...

BB : Et aussi que l’on puisse trouver des objets sans choisir une composition. Les châteaux d’eau par exemple, sont comme des ustensiles de cuisine...Une autre idée importante, qui devint plus claire à cette époque là, est que le fait de photographier les objets d’un point de vue élevé les fait apparaître comme s’ils étaient enracinés dans le terrain. Il faut montrer que les objets ont des racines...[ ... ] objets ont des racines....[ ... ].

JFC : Je pense que Sander a dû être très important pour vous...

HB : Oui, certainement. Nous l’admirions énormément. Sander, en tant que portraitiste, respectait ses objets, il respectait leur rôle, il ne disait pas comme d’autres pho-tographes, « je veux les photographier tels qu’ils sont ou tels qu’ils pensent être » ; il les acceptait tels qu’ils étaient dans leur rôle.

JFC : L’idée d’agir de façon démocratique, de donner, un statut à chaque objet et de ne pas créer de hié-rarchie, est-elle importante pour vous ?

HB : Oui, en premier lieu, nous ne pouvons pas nous permettre de juger ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Il y a un genre de jugement moral qu’il faut mettre de côté si l’on veut être démocratique et ne pas juger avant d’avoir expérimenté. Il faut respecter l’objet tel qu’il est, tel qu’il apparaît...[ ... ] Le principe de ca-talogation des sciences naturelles est pour nous, un principe artistique. Linné est un artiste, Einstein aussi. » Extrait d’un entretien entre Bernd Becher et Hilla Beher, Jean-François Chevrier , James Lingwood et Thomas Stuth, paru dans le catalogue Une autre objectivité (CNAP, 1989)

August Sander, La maison de Beethoven, Bonn, années 1930

DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 26

Page 27: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 27

« Charles Fréger poursuit, depuis le début des années 2000, un inventaire intitulé « Portraits photographiques et uniformes ». En Europe et un peu partout dans le monde, avec ses séries consacrées à des groupes de sportifs, de militaires ou d’étudiants, il s’intéresse aux tenues et aux uniformes. Sa première série s’appelait « Faire face », car pour lui, la rencontre du photographe et du modèle se cristallise dans une confrontation distan-cée en surface comme pour mieux apprécier l’épaisseur de l’être au monde et son appartenance au corps social. Faire corps et esprit de corps sont les ressorts de ces présences individuelles où la tenue, entendue à la fois comme pose et vêtement, matérialisent le « physique de l’emploi » ou « l’habit du moine ».

Mais l’aspect uniforme, statique du dispositif photogra-phique qui vise à neutraliser la présence du photographe pour privilégier l’enregistrement documentaire des su-jets n’est qu’apparent. La qualité des cadrages, le choix

CHARLES FRÉGER

des poses, le détail des mains ou des traits des visages, ainsi que l’importance accordée à la mise en situation restituent l’acuité de la présence, l’adéquation entre la personne et un univers repéré pour ses codes et son inscription dans une société. L’exotisme y a sa part que ce soit à l’intérieur avec différents corps d’armées ou groupes sportifs, ou bien à l’extérieur à l’opéra de Pékin ou auprès de tribus africaines. Ceci renforce le jeu des différences et de l’altérité qui est un des principes des « portraits photographiques et uniformes ».

Dans ses projets, Charles Fréger décline un vocabulaire photographique précis constitué de cadrages centrés souvent frontaux, en pied, en buste ou serrés. La trans-parence de l’éclairage, la neutralité de l’expression ainsi que la statique de l’image, cependant attentive à la qualité des grains de peau et à la texture des vêtements, suggèrent une référence aux portraits peints par les maîtres anciens. Les profils médiévaux ou la présence frontale des figures de la Renaissance dont les attributs indiquent le rang et la qualité sont autant de sources du travail de Charles Fréger. Portraits peints d’hier et photographies d’aujourd’hui semblent se répondre dans ces images posées et emblématiques où se distinguent les signes d’appartenance, d’adhésion ou d’existence. Cependant c’est toujours de représentation dont il s’agit : les sujets posent, les services de communica-tion ou des intermédiaires choisis ont permis l’activité du photographe qui enregistre des effigies. Celles-ci hésitent entre icônes et documents, elles aspirent à la sollicitude du portrait, au respect du sujet.

Des différentes communautés qu’il rend visibles par la puissance du médium photographique, Fréger choisit aussi bien celles où le discours de l’apparence revêt ses habits les plus chatoyants et les plus prestigieux (Steps, Empire, Opera) que celles plus modestes où la raison sociale signifie les conditions d’existence en Europe (Bleus, Sihuhu) ou dans d’autres continents (Umwana, Ti du). Régiments protocolaires et troupes d’élites occi-dentales côtoient ainsi orphelins rwandais ou moines vietnamiens dans un grand écart où l’exotisme du cos-tume redouble une vision presque ethnographique, proche de celle d’August Sander. Cependant point d’ambition scientifique ou didactique chez Fréger, il

Charles Fréger, L’Arsenal, Cherbourg-Octeville, 2002

Page 28: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ÉCHOS DANS L’HISTOIRE DES ARTS 28

sait qu’il doit se méfier de l’anachronisme entomolo-gique qui consistait à coller nos étonnants voisins sur des fonds neutres comme autant d’insectes à comparer à la loupe de nos sciences coloniales. Juste chez lui, le souci de rendre ses sujets en accord avec un lieu, un temps et une communauté comme pour mieux nous convaincre de notre irréductible parenté avec l’outrance du paraître et la contingence sociale d’une condition ou d’un statut. Pas d’angélisme non plus, dans « la famille de l’homme » chère à Steichen, nous ne sommes pas les oncles d’Amérique, et notre paternaliste compassion doit cesser d’aveugler nos visions ethnocentriques.

Fréger ne revendique d’ailleurs pas de discours critique ou politique, il explore en artiste le portrait comme genre, en revisite constamment l’histoire et les mé-thodes à la façon d’un peintre officiel au service de lui-même, de tout-un-chacun et du monde entier. Si académisme il y a dans son protocole, c’est volontaire, comme pour interroger encore le portrait d’apparat, car il part toujours de là : un portrait où les modèles doivent être des sujets restitués dans leur identité mais aussi leur dignité. J’ai eu l’opportunité et la chance d’accom-pagner Charles Fréger sur certaines prises de vue et j’ai été frappé par le respect et la simplicité dégagés par ces séances. Aucune emphase, aucune recherche psycholo-gique, juste une présence affirmée (on vient pour faire des photographies) et mesurée (on perturbe le moins possible la situation en cours). C’est bien ce qui se tra-duit sur les images : l’affirmation discrète d’une identité alliée à l’incarnation d’une situation sociale. Les images de Fréger enregistrent des effets de socialisation retrou-vés dans le costume et la tenue qui sont la surface de

« La série Absence of Subject de Michael Somoroff est un hommage au célèbre photographe alle-mand August Sander et à son œuvre monumentale, « Hommes du XXe siècle ». Il s’agit d’un travail d’ana-lyse à la fois méditatif et passionné sur les souvenirs, l’imagination, la force des hommes et la créativité. À travers Absence of Subject, présenté pour la pre-mière fois lors de la Biennale de Venise 2011, le visiteur peut revivre l’œuvre d’August Sander dans toute sa complexité. Dans chacune des photogra-phies d’August Sander, Michael Somoroff a effacé le sujet, ne conservant que l’arrière-plan. Grâce à l’informatique, Somoroff a supprimé ce que nous considérons habituellement comme l’« élément essen-tiel » : le sujet, le portrait. Jadis élément d’importance secondaire, l’arrière-plan devient ici le sujet principal. Ce qui paraît simple à première vue, s’avère finalement être une œuvre complexe et ambitieuse, en 40 pho-tos, 7 animations vidéo et 40 photographies originales d’August Sander. Dans ses courts métrages, Somoroff ajoute des éléments à sa nouvelle image au lieu d’en supprimer. Grâce à l’ajout de minuscules mouvements inexplicables, il crée ainsi des drames envoûtants sur le temps et l’espace – infinis et pourtant éphémères. L’exposition est un exercice d’équilibre entre l’alchi-mie et la recherche. Conceptuelle et humaniste à la fois, chaque image de Somoroff fait preuve du grand pouvoir de persuasion et de l’esthétique dans l’œuvre d’August Sander, malgré l’absence du sujet humain. Ce genre de photographies sort des sentiers battus dans le sens d’une créativité imaginée. À travers sa création, Somoroff insiste sur le fait que l’art postmo-derne n’est pas dénué de fondements, mais dispose bel et bien de racines, de traditions et de continuité. » Communiqué de presse de l’exposition Absence of Subject August Sander / Michael Somoroff, Villa Vauban – Musée d’Art de la Ville de Luxembourg, 2015

MICHAEL SOMOROFF

Michael Somoroff, Absence of Subject, 2011

Page 29: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 29

6. ENTRÉES DISCIPLINAIRES

LE GROUPE DES ARTISTES PROGRESSISTES DE COLOGNE« En 1910, August Sander s’installe à Cologne quand son studio de Linz périclite. Il s’y lie d’amitié avec les animateurs du « groupe des artistes progressistes de Cologne » au début des années 1920. Il fréquente les peintres Franz Seiwert, Heinrich Hoerle et surtout Gerd Arntz, qui auront sur lui une profonde influence. Orientées très à gauche, leurs recherches sont issues du débat constructiviste et modelées par l’effervescence révolutionnaire de ces années-là. Ils mettent en place un système de représentation très stylisé, réduisant la « patte de l’auteur », afin de dépasser la figure senti-mentale et bourgeoise de l’artiste. Gerd Arntz est le plus radical du groupe. En 1927, deux ans avant l’expo-sition de Sander Antlitz der Zeit (Visage d’une époque), il publie un portfolio de douze gravures, Zwölf Häuser der Zeit (Douze maisons de notre temps). Ces douze planches représentent en coupe douze lieux significa-tifs de la structure sociale de la république de Weimar. Les figures sont schématisées et chaque catégorie est identifiable par un maintien ou un attribut évocateur. À l’invitation de Otto Neurath, directeur du musée socio-économique de Vienne, il poussera cette démarche, proche de la signalétique, en créant une série d’isotypes (1928). »Floreal Meneto, La photographie impersonnelle d’August Sander, blog Galerie Sanzart, 2009

« Après avoir entrepris une déstructuration de la forme à travers leurs expérimentations cubistes, expression-nistes et dadaïstes, les progressistes de Cologne se sont très vite orientés vers des modèles incarnant des valeurs de lutte révolutionnaire et de solidarité, comme le constructivisme russe ou le système coo-pératif des guildes médiévales. Ils sont ainsi parvenus à l’élaboration de leur propre langage, déterminé par leur conception révolutionnaire de l’art et par les contraintes formelles qu’elle générait. En ne laissant aucune place à l’individualisme, au sentimentalisme ou au hasard, les progressistes firent de la ligne et de la couleur l’incarnation de la rigueur de leurs idéaux, leurs œuvres se présentant comme celles d’ingénieurs sociaux qui construisent l’avenir, et non comme celles d’artistes émotifs qui s’enlisent dans la mélancolie. En

Gerd Arntz, L’immeuble, extrait de la série « Douze maisons de notre temps », 1927, coll. Gemeentemuseum Den Haag.

ARTS PLASTIQUES

Franz W. Siewert, Guerre des paysans, 1931

Page 30: Albums August Sander

NOUVELLE VISION

« Au sortir de la première Guerre Mondiale, force est de constater que l’invention technique, amplifiée par la puissance industrielle, est désormais un paradigme des sociétés occidentales. Les armées mécanisées des deux camps, sur les champs de bataille, viennent d’en faire la terrible démonstration. À l’est, la Russie tzariste, féodale et agraire, s’effondre en 1917, sous les coups de boutoir de la révolution d’octobre. En matière d’agita-tion, le monde de l’art n’est pas en reste, Dada, l’urinoir de Marcel Duchamp...

Dans une Russie devenue soviétique, Alexandre Rodtchenko et le constructivisme règlent leurs comptes avec l’art bourgeois, la peinture de chevalet. Un ci-néma expérimental et propagandiste, mené par Sergueï Eisenstein, Dziga Vertov, Lev Koulechov refonde le médium, tant par la construction des plans que par l’art du montage. Dynamisme, cadrage basculé, points de vue extrêmes, gros plans sur les visages d’espérance constituent les bases de son vocabulaire filmique.

outre, chaque création étant le véhicule didactique de messages à destination du prolétariat, la forme géo-métrique simplifiée devait être reproductible sur tous les supports et facilement appréhendable. Les progres-sistes cherchaient en effet à « être tellement simples et tellement loin de toute ambiguïté au sein de la forme donnée à l’image, à la sculpture, que tout le monde pourra [les] comprendre ». Cette quête d’intelligibilité fut poussée à tel point que leurs œuvres figuratives atteignent une valeur pictographique, où l’apparence des personnages ne reflète plus leur physionomie ou leur psychologie personnelle, mais leur appartenance sociale. Par cette schématisation qui tend au sym-bole générique, les progressistes sont parvenus à la représentation de types historico-sociaux, dans le sens lukácsien du terme. Devenues « signes de communi-cation collectifs », leurs œuvres sont ainsi saisissables au-delà de la barrière de la langue et de l’illettrisme. NB : Selon Seiwert, le portait photographique de la société contemporaine réalisé par leur ami August Sander les avait déchargés du devoir de créer des docu-ments historiques à destination des époques futures. »Anastasia Simoniello, Mythologie et utopie. Les progressistes de Cologne sous la République de Weimar, 2011

En Allemagne, après la défaite, la République de Weimar, régime parlementaire, succède à l’Empire. Des idées nouvelles et progressistes ont droit de cité, cris-tallisées au plan de la création, par l’école du Bauhaus, fondée en 1919. L’architecture est le socle de l’enseigne-ment, et les Maîtres dispensent un savoir qui valorise la convergence entre l’idée créatrice, l’artisanat et la collectivité plutôt que d’exacerber une personnalité, voire un égo.

La photographie comme machine de vision répond à cette ambition. Les lois optiques et chimiques qui la gouvernent la protègent d’une tradition picturale liée à l’auteur et son prétendu génie qui ne traduirait que des conventions bourgeoises surannées. L’appareil photo-graphique, dans ce contexte réformateur, devient une machine égalitaire.

Laszlo Moholy-Nagy se présente en théoricien et ordon-nateur de cette façon inédite de figurer le nouvel ordre des choses, urbain et technologique. Le registre formel qu’il promeut bannit ou prend à revers les formes clas-siques de la représentation. Au sujet centré, cadré à hauteur, le photographe de la Nouvelle Vision préfère la plongée ou la contre-plongée, le jeu des angles et des bords-cadre, le basculement de la ligne d’horizon, aidé en cela par la miniaturisation et la portabilité de l’appa-reil (le Leica 24x36 est proposé au public en 1925). La Nouvelle Vision photographique met aussi l’accent sur les structures ou les textures des matériaux, sur l’image « accidentelle « ou spectrale de l’objet dans son rapport direct à la lumière (photogramme).

En 1929, se tient à Stuttgart l’exposition Film und Foto (FiFo). Cette grand-messe de l’image réunit plus d’un millier d’œuvres et propose une synthèse internationale de l’avant-garde photographique, parrainée par Edward Weston, El Lissitzky, ou bien sûr Moholy-Nagy.

Apogée d’une pratique et d’un style, Film und Foto en est aussi le début du chant du cygne. La montée du nationalisme en Allemagne, la prise du pouvoir par les nazis en 1933, et bientôt la deuxième Guerre Mondiale, sonnent la fin d’une récréation photographique, for-midablement inventive, ludique et enthousiamante. » Extrait du site ARAGO

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 30

Page 31: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 31

LA NOUVELLE OBJECTIVITÉ

« Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la photographie incarne l’avènement d’une vision nou-velle, moderne, qui se traduit par un foisonnement de mouvements d’avant-garde. L’exposition Film und Foto (FIFO), qui se tient à Stuttgart en 1929, illustre la diversité de ces sensibilités de l’entre-deux-guerres  : les constructivistes y côtoient les photographes de la Nouvelle Objectivité, du surréalisme, ou encore de la Nouvelle Vision, mouvement mené par Moholy-Nagy.

En réaction à l’expressionisme du début du XXe siècle et à une subjectivité trop affirmée, un courant prô-nant l’objectivité se ressent chez de nombreux artistes de cette période, notamment en Allemagne, pays qui connaît au début des années 1920 une grave crise éco-nomique et de profonds bouleversements sociaux liés à la fin de l’empire. La peinture vériste de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit) dépeint ainsi le quoti-dien, la laideur et les souffrances issues de la guerre. En opposition aux effets esthétisants du pictorialisme et lassés par les recherches expérimentales de la Nouvelle Vision, certains photographes développent alors une Nouvelle Objectivité photographique, dans la lignée du mouvement pictural.

Ces photographes s’attachent à décrire fidèlement le monde et les objets, en se recentrant sur la fonction pre-mière de la photographie : ils utilisent les particularités mécaniques et mimétiques du médium pour arriver à une netteté d’enregistrement et à une précision du détail, sans apprêts ni retouches. La structuration claire de l’image se fait grâce à la lumière, dont ils exploitent toutes les possibilités. Ils souhaitent donner une vision directe de la réalité, de façon presque scientifique, et privilégient pour cela les travaux à la chambre photo-graphique, qui permet d’éviter les déformations.

Albert Renger-Patzsch, considéré comme le chef de file de ce mouvement, propose dans son ouvrage de 1928 Die Welt ist schön (Le Monde est beau) une représen-tation purement réaliste des formes universelles. Ses reproductions rigoureuses de la nature, de monuments, d’objets et de structures industrielles ne portent aucun propos subjectif mais dévoilent la beauté formelle - et inattendue - de ces sujets, à travers des cadrages

précis, des gros plans ou des angles de vue singuliers. L’architecture moderne, le monde industriel et l’objet sont des sujets privilégiés par de nombreux photo-graphes souvent associés à la Nouvelle Objectivité, tels Werner Mantz, Willy Zielke ou Walter A. Peterhans. Karl Blossfeldt, qui utilise la photographie dans le but de constituer un répertoire de formes végétales, fut projeté un peu malgré lui dans ce mouvement. Ses macrophotographies de plantes sur fond neutre seront rapidement détournées de leur fonction initiale d’outil pédagogique pour atterrir dans le champ artistique - notamment lors de l’exposition FIFO.

Dans une veine plus documentaire, August Sander réalise dès le début des années 1920 une sorte d’inven-taire sociologique de l’Allemagne. Ses portraits figés, sans fioritures, montrent une exigence de neutralité et une réflexion sur la fonction documentaire de l’image proches des principes de la Nouvelle Objectivité, tout en annonçant le style documentaire, et plus particuliè-rement les travaux de Walker Evans.

Parallèlement à ce bouillonnement créatif allemand, la straight photography (ou photographie pure), initiée par Paul Strand dès 1915, se développe aux Etats-Unis, faisant de l’objectivité photographique un courant in-ternational, qui deviendra par la suite une référence pour de nombreux artistes. Dans les années 1970, la classe de photographie de Bernd et Hilla Becher à l’Académie de Düsseldorf donne naissance à une véritable école, qui partage avec les photographes de la Nouvelle Objectivité la volonté de reproduire les formes de façon mécanique, et de documenter « le charme magique de la matière ». Cette « autre objec-tivité », menée par les Becher et leurs élèves - parmi lesquels Thomas Ruff est sans doute le plus rede-vable au mouvement des années 1920 -, radicalise. » Extrait du site ARAGO

Page 32: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 32

LA NOTION DE SÉRIE DANS LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE

« Rapidement apparaissent des travaux qui ont besoin de s’extraire de la photographie seule pour porter leur message. Parmi eux, le vaste ensemble imaginé et commencé par August Sander, qui se proposait de dresser un portrait rigoureux de l’Allemagne de son époque. L’ensemble d’environ 1800 portraits ne verra pas le jour de son vivant mais marque très profondé-ment les esprits, tant l’œuvre est aussi simple que forte.

Plus plastiquement, la série des Equivalents a introduit la notion de rythme dans la série photographique : Alfred Stieglitz a cherché à exprimer un état d’es-prit en présentant des photographies de nuages qui contrastaient par ailleurs avec son propre parcours photographique.

Mais ce seront Bernd et Hilla Becher qui, dispensant un enseignement de la rigueur formelle en adéquation avec une rigueur intellectuelle tout autant qu’élaborant un vaste travail personnel, vont inscrire en plein la no-tion de série en photographie. Leur enseignement prône la maîtrise absolue de la technique photographique au profit d’un regard mûrement réfléchi. Cet ensei-gnement est d’autant plus remarquable qu’il s’élabore aux grandes heures du photoreportage, dominé lui par l’idée d’un instant décisif que le photographe doit être à même de capter plutôt que de construire. L’approche qu’ils enseignent est plus froide, rigoureuse, la maî-trise technique est parfaite pour laisser libre cours à l’expression d’un concept au-delà de la photographie en soi ; elle va à l’encontre des idées prédominantes en reportage, qui mettent en avant la spontanéité, le sens de l’empathie pour un sujet souvent humain et inscrit dans le présent immédiat. De plus, la récurrence des motifs et la maîtrise régulière de l’outil installent la série dans l’approche documentaire, réfléchie, distan-cée et mesurée. La photographie s’inscrit ainsi dans son temps, refuse l’idée de l’extraction du réel : elle s’inscrit en un temps et un lieu précis à l’aide d’un outil clairement identifié.

L’enseignement de Bernd et Hilla Becher fait ses preuves et se transmet. Les photographes inscrivent désormais leur travail dans le temps (comme peut le faire Roman Opalka avec ses portraits quotidiens), dans la récurrence du motif (comme le travail sur soi effectué par John Coplans), dans la contrainte formelle (l’utilisation d’appareillages réduits à l’essentiel, de techniques bien précises) et surtout dans la réflexion préalable afin de garder un contrôle total sur le sujet.

L’absence apparente d’empathie pour le sujet, le déta-chement à son égard et la rigueur du regard proposent des travaux d’une grande qualité, à la lecture complexe, à la grande résistance au temps et aux modes et sont, de ce fait, extrêmement valorisés par le marché de l’art. D’où s’en est suivi une certaine normalisation de la série, qui est peu à peu apparue jusque dans les domaines de la photographie de reportage. »Par Nicolas Marailhac. Extrait du site EDIT http://www.edit-revue.com/?Article=135

Page 33: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 33

« Au sortir de la Première Guerre mondiale, l’Allemagne vaincue vit pendant 15 ans un chaos économique et so-cial qui favorisera la diffusion des idées d’extrême droite et la prise du pouvoir par le parti national-socialiste d’Adolf Hitler en 1933. « Paradoxalement, les artistes traversent à cette époque une période remarquablement faste ; ils veulent prendre position et leur production est riche de sens », signale Constance Naubert-Riser, direct r ice du Dépar tement d’histoire de l’ar t. Une tendance se dégage nettement chez les artistes de cette époque: leur engagement politique. « Voici le cul de la République », lance un des ar tistes à l’ouverture d’une exposition marquante à Berlin, en 1925, qui fera connaître la Nouvelle Objectivité. Otto Dix, Max Beckmann, George Grosz, Conrad Felix Müller et Käthe Kollwitz sont parmi les artistes les plus remarquables du nouveau courant, qui se carac-térise par une critique acerbe de la société. Plusieurs caricatures, banales au premier coup d’oeil, révèlent leur sens à mesure qu’on les regarde. On aperçoit par exemple un homme pendu à l’échafaud dans le coin d’un dessin montrant des danseuses de cabaret ou encore quelques cadavres sous les pas des nou-veaux riches. Le tout en noir et blanc sur du papier, seul support qui soit encore à la portée des artistes. « Durant cette période d’inflation galopante, un nou-veau marché se développe pour les œuvres sur papier, explique Mme Naubert-Riser. Rassembler dans un portfolio des gravures et des lithographies s’avère pour les artistes un moyen de diffusion rapide qui leur per-met de joindre la classe moyenne. La classe aisée, de droite, est trop liée à la guerre et jugée comme une en-nemie pour être une clientèle potentielle. » On ne peut préciser la naissance de la Nouvelle Objectivité. Mais on connaît bien la date de sa disparition : le 30 janvier 1933. Quand Hitler prend le pouvoir, il ne veut plus voir ces artistes dégénérés. Les académiciens seront limo-gés, les autres s’exileront ou trouveront le moyen de disparaître. Il semble que la Nouvelle Objectivité fasse actuellement un retour chez les artistes allemands de la Nouvelle Vague.

Mathieu-Robert Sauvé, L’art sous la république de Weimar, Université de Montréal, 2001

HISTOIRE L’ART SOUS LA RÉPUBLIQUE DE WEIMAR

HISTOIRE LA CHRONIQUE LUCIDE ET AMÈRE DU PAYS NATAL

« En photographie, il n’existe pas d’ombres que l’on ne puisse éclairer » (Sander)

Par des sortes de portraits documentaires de l’Alle-magne de son temps, les années trente qui verront le basculement de la République de Weimar à la dictature du national-socialisme, August Sander aura d ressé un por t rait cl in ique, souvent in-quiétant et toujours révélateur de son époque. Une sorte de « Neues Sachlichkeit » de la photographie, une nouvelle objectivité frontale de ses contemporains, sans empathie particulière, simplement la violente vérité de la vie et des visages. Sorte d’arpenteur, « d’agent de recensement » de son époque, il fixe, sans lyrisme particulier ce qui est le présent de l’Allemagne, et son œuvre va devenir le jadis de tout son peuple, à ce moment charnière du glissement dans la dictature. Sa galerie de portraits va devenir pour nous le Jadis vu de face.

Il ne fait pas de la photographie, mais une véritable fresque, une épopée du réel. Mais le réel mis à nu, sans effusion déplacée, sans empathie débordante, sans sen-timentalisme racoleur. Cette objectivité est liée à celle qui prévalait dans les autres arts, peinture, cinéma, et que Sander connaissait fort bien, car il l’a côtoyée et l’admirait. Il l’utilise pour scruter, donner à voir sans juger, malgré parfois une ironie féroce sous-jacente. Son approche est contemporaine des premiers opé-ras féroces d’Hindemith, du dadaïsme, et en peinture d’Otto Dix, du courant de la Nouvelle Objectivité.

Ainsi il va dresser le portrait de son Allemagne natale en plein bouillonnement, au travers des métiers, des portraits d’artistes, des portraits de bourgeois ou de sol-dats, une cartographie de la misère humaine intérieure, avec pour lui la rédemption par le monde paysan. Toute une galerie d’êtres et de caractères se donne à voir, en face ; ouvriers, soldats, amis peintres, marchands d’arts, bourgeois en représentation, paysans méfiants, gitans, vagabonds, banquiers… À partir de portraits individuels c’est tout un peuple qui émerge, dépassant la simple analyse, c’est une sorte d’hymne à son temps, sans concession, sans détachement non plus.

Page 34: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 34

Obstinément il édifie « une sociologie sans paroles » (Suzanne Lange)

Ce projet immense, ne pourra pas être achevé, car il fut persécuté par les nazis qui ne pouvaient voir la réalité en face, et il fut stoppé après la guerre, car ce monde avait disparu dans les ruines du temps et les bombardements. Sander se tient avec cet art du photographe de portrait en frontalité absolu avec son temps, face au temps, pour en sorte témoigner.

Il était photographe industriel et sa façon d’appréhender les gens et les visages est celle d’un entomologiste, un document qui vous jette au visage celui des autres. Sa photo est idéologie, mais surtout humanité. Il scrute autant le banquier que le pauvre, l’instituteur que le jeune nazi, la troupe de cirques comme les paysans, les bourgeois replets comme les artistes tourmentés. Toujours lucide, toujours révélateur de chacun.

L’écrivain Alfred Döblin va admirer son travail comme représentant la «vérité au plus près » et « une sorte d’anatomie des temps modernes », et le philosophe Walter Benjamin analyse son projet comme radical et qui offre « un manuel de formation pour étudier la société allemande dans le présent en vue d’un futur révolutionnaire. » August Sander n’allait pas jusque-là, bien qu’il ait déclaré : « Grâce aux possibilités d’expres-sion de la photographie en tant que langage universel, influencer l’humanité entière » (Cinquième conférence radiophonique, 1931).

Son œuvre demeure un monument de mémoire et une réinvention du portrait en photographie qui va influen-cer Walker Evans et bien d’autres. (...)

Le cartographe face au temps des bouleversements

August Sander est passé du noir du fond du carreau de la mine à la lumière de la photographie, cette trajectoire unique de « l’enfer » des ombres à la densité du jour et des êtres, aura marqué sa manière de photographier qui va vouloir magnifier le réel en pleine clarté.

Et sa rencontre avec la photographie n’est que pur ha-sard : « Quand il commence sa vie professionnelle, il

descend au fond de la mine. Et c’est aussi au fond d’un puits qu’il rencontre la photographie tandis qu’il est chargé de transporter le matériel d’un photographe. Un simple coup d’œil à travers l’objectif le place devant une autre réalité. Le coup d’œil est déterminant. Sander en fait son métier. » (Suzanne Lange).

Chronique frontale d’un pays natal

« Je ne déteste rien plus que la photographie au sucre avec minauderies, poses et affectations. Cela étant lais-sez-moi dire sincèrement la vérité sur notre époque et ses hommes. » (Sander.)

Sa philosophie était « Voir, observer, et penser ». Et cette humanité qui nous regarde frontalement, et qu’il nous assène abruptement, est le plus souvent une plon-gée inquiétante, dérangeante dans l’âme humaine. Il ne cherche pas le beau, ni le grotesque, il montre objec-tivement, mais au travers de ses images on peut lire une accusation, une galerie souvent inquiétante de l’humanité.

Par une « photographie exacte » il rend « l’autre réalité », celle mystérieuse et cachée que son objectif, tout en objectivité, révèle. Toute une époque apparaît, et son travail est un grand roman promené sur les chemins de l’Allemagne. Son grand œuvre, intitulé «Les Hommes du XXe siècle». (Menschen des 20. Jahrhunderts), de-meure un document bouleversant.

Véritable chronique d’un demi-siècle de vie, cette somme photographique se veut une image fidèle de la société de son temps. Il l’a élaborée sur en fait trois pé-riodes de l’Allemagne ; celle de Guillaume II, celle de la république de Weimar, et celle d’Hitler. Elle se fonde sur une rigoureuse typologie, le photographe a réparti ses portraits selon sept groupes sociaux différents : « le paysan », « l’artisan », « la femme », « les catégories socioprofessionnelles », « les artistes » peintres, musi-ciens et poètes, « la grande ville » et enfin « les derniers des hommes », les fous, les gitans et les mendiants.

Il va surtout photographier les thèmes de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Mais l’archétype de sa quête demeurait le paysan.

Page 35: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 35

Les portraits de Sander sont toujours placés dans un environnement simple, avec les indices des vêtements pour révéler l’origine sociale. Ce projet gigantesque, aura plus tard aura une descendance avec The Family of Man en 1955, d’Edward Steinchen qui venant le voir à Kurchhausen, lui demandera un choix d’images pour cette exposition. On retrouve sa démarche dans la suite de films « Heimat « d’Edgar Reitz bien plus tard.

« Deutschenspiegel », Miroir des Allemands, est le titre de son dernier ouvrage de 1962, et c’est bien un miroir qu’il tend à ses contemporains. Miroir sans tain, miroir sans artifice. « Deutschland wie es war », l’Allemagne telle qu’elle fut, pourrait être le titre de son œuvre qui nous plonge dans les traces de ce monde.

Les gens sont là devant nous, figés dans leur propre éternité avec leur visage de sortie, de cérémonie, avec quelques objets quotidiens pour les accompagner. Statues en vérité, leur vérité qui les dépasse, sorte d’épouvantails du temps qui passe pour chasser les oiseaux de l’oubli.

La réalité sous la loupe révélatrice de la photographie, intensément scrutée, est devenue restitution par-delà les modèles. Plus loin que les portraits mis en scène, c’est la vérité profonde d’une époque, parlant de région profonde à région profonde de l’être, qui est mise ainsi à nue. Sander sans cesse est dans sa recherche d’absolu, dans sa recherche « d’une authenticité plastique » qui puisse rendre compte du temps. Sa manière peut se résumer ainsi : observation, attention et tension sou-tenue vers le réel, vers les hommes de son temps, ses Zeitgenossen dit-on en allemand, mot plus parlant que contemporains pour décrire les « compagnons » du même temps. Voir sans déformer, sans plaquer une quelconque psychologie rapportée sur les gens en se « méfiant de la guimauve », donc du pathos facile. C’est un visage du temps restitué, « Antliz der Zeit ». Et de la République de Weimar (1918-1933), jusqu’au national-socialisme, l’histoire de l’Allemagne se lit dans quelques-uns des visages choisis par Sander. Sa photographie semble froide et détachée, elle est en fait attentive, et son exactitude artistique scrupuleuse de-vient plus révélatrice que clichés apitoyés et apitoyants.

On doit à August Sander le détachement de la peinture dans la photo, devenue autonome et art complet.

Il met toute sa technique de photographe de studio au service de ses portraits en plein air : pose travaillée, éclairage calculé et composition travaillée et maîtrisée, lumière superbe, arrière-plans en flou qui s’effacent. Cela est tellement parfait que parfois cela devient inquié-tant, car des secrets s’en échappent. Et la représentation qu’il fait de ses modèles dépasse complètement leur situation, leur métier, pour approcher de leurs mystères. Ce sont des « autoportraits assistés » disait-il. Et de cette mosaïque d’individus émerge, grâce à la succes-sion des images soigneusement voulue par Sander, un sens profond sur notre monde.

Il est un sismographe fidèle de son temps, sans embel-lissement, sans plaidoyer sentimental. Tous ces citoyens anonymes deviennent un peuple témoin. Et sa « pho-tographie exacte » et fidèle une véritable introspection de son temps, de Guillaume II à Hitler et les ruines de l’après-guerre. De l’apparente surface des choses August Sander a plongé dans les abîmes d’un peuple.»

Gil Pressnitzer. August Sander La chronique lucide et amère du pays natal Site Esprits nomades.

August Sander, Les Sept-Montagnes par temps de brume, années 1930

Page 36: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / ENTRÉES DISCIPLINAIRES 36

LITTÉRATURE « TROIS FERMIERS S’EN VONT AU BAL » RICHARD POWERS

Richard Powers, Trois fermiers s’en vont au bal, traduit de l’américain par Jean-Yves Pellegrin, Le cherche midi, 2006,

« Tout commence par une photo désormais célèbre : celle de trois fermiers sur une route de campagne, prise par August Sander à la veille de la Première Guerre mondiale. Pourquoi cette photo obsède-t-elle tant le narrateur, depuis qu’il l’a vue par hasard dans un musée de Detroit ? Peter Mays, un jeune journaliste, saura-t-il quant à lui percer l’énigme de son étrange ressemblance avec l’un des personnages ? Qu’est-il advenu enfin de ces trois jeunes hommes ? De l’Europe dévastée par la guerre, ou nous suivons les pérégrinations tragi-co-miques des fermiers, jusqu’à l’Amérique contemporaine, Richard Powers se livre au jeu des destins croisés et contrariés, convoquant au passage quelques grandes figures telles que Henry Ford ou Sarah Bernhardt. » Note de l’éditeur.

CINÉMALE RUBAN BLANC DE HANEKE

Le ruban blanc film autro-allemand de Michael Haneke avec Ulrich Tukur, Burghart Klaussner, Christian Friedel, Rainer Bock, Ursina Lardi, Susanne Lothar, 2h25, 2009

« En étudiant les barbares, Haneke revient aux ori-gines du mal, dans une Allemagne d’avant la Grande Guerre. C’est un film sur les racines du mal. Le vrai. Pas celui qui tombe du ciel, mais celui qui prospère sur Terre par le seul fait des hommes. Il est toujours fécond, le ventre dont est sortie la bête immonde. Et qui a entre autres accouché, au XXe siècle, du nazisme. Nous voilà dans le microcosme d’un village de l’Alle-magne du nord à l’avant-veille (été 1913 - été 1914) de la Première Guerre mondiale. Des paysans, un baron et sa famille, le médecin du village, un instituteur, une sage-femme, des enfants. Ce sont des portraits en noir et blanc, comme des photographies d’August Sander qui se mettent à bouger. Même si le rendu est magni-fique, ce parti pris n’est pas une esthétique, mais une éthique. Dans un film en costumes, la couleur aurait par trop distrait du sujet  : une leçon des ténèbres. » Extrait d’un article de Gérard Lefort, le 22 mai 2009, Libération.

Michel Cieutat et Philippe Rouyer : Pour trouver le style visuel du Ruban blanc, vous avez dû aussi consul-ter les photos de l’époque ...

Michael Haneke : Je connaissais déjà très bien les pho-tos d’August Sander qui représentaient pour moi une sorte d’idéal à atteindre. Elles ont une brillance et une netteté extraordinaires qu’on n’avait pas au cinéma avant l’arrivée du numérique. En post production on est donc repassé sur tous les visages y compris dans les plans larges pour les rendre plus nets. C’est un travail très minutieux. Par exemple, dans la scène, au début où dans l’escalier Anna la fille du médecin essaie de consoler son frère Rudolf après l’accident de cheval de leur père, il y avait une larme sur le visage de la fille que l’on ne voyait pas assez bien et qu’on a retravaillée à l’ordinateur.

M. C. et P. R.. : Le choix du noir et blanc tient-il au fait que les photos du début du siècle étalent en noir et blanc ?

Michael Haneke : Il y avait effectivement le fait qu’on ne connaît cette époque qu’à travers les clichés en noir et blanc et que notre reconstitution y gagnait d’emblée en crédibilité. Mais il y avait une deuxième raison : la distanciation. Le noir et blanc crée une distance qui interdit toute approche naturaliste. Or échapper au naturalisme est une obligation dans un projet comme le nôtre, où il est strictement impossible de reproduire l’époque telle qu’elle était. Le noir et blanc rappelle à chaque instant qu’on n’est pas dans une fausse réalité, mais dans une recréation.Extrait de Haneke par Haneke, entretien avec Michel Cieutat, Philippe Rouyer, Stock, 2012

Page 37: Albums August Sander

7. AUTOUR DE L’EXPOSITION

RENCONTRE Rencontre avec Gerd Sander, commissaire associé de l’exposition le dimanche 22 mai à 11h

PROJECTIONS

Mercredi 25 mai à 15h

La bibliothèque Jacques-Prévert propose, en partenariat avec Le Point du Jour, deux films sur August Sander.

August Sander, voyage en Sardaigne de Reiner Holzemer (Allemagne, 2011, 27 min.)

En 1927, August Sander accompagne l’écrivain Ludwig Mathar en Sardaigne et en ramène un reportage de cinq cents photos. Ces clichés donnent une vision exception-nelle d’une île et d’une société ancrées dans la tradition.

August Sander (People of the 20th Century) de Reiner Holzemer (Allemagne, 2002, 45 min.)

Ce documentaire raconte la vie de ce grand maître de la photographie et permet de parcourir son œuvre, véritable panorama des classes socio-professionnelles de l’Allemagne, en particulier pendant l’entre-deux-guerres. Ce film a été sélectionné en 2005 par le Festival international du film sur l’art de Montréal.

Bibliothèque Jacques-Prévert Le Quasar Salle Paul-Éluard (niveau -1)Cherbourg-en-Cotentin

DOSSIER ENSEIGNANT / AUTOUR DE L’EXPOSITION 37

August Sander, Peintre, 1924 [Gottfried Brockmann]

Gottfried Brockmann, Autoportrait, 1927

Page 38: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE 38

8. BIBLIOGRAPHIE

August SanderTextes : Gerd SanderSociété des expositions du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles1995

LIVRES D’AUGUST SANDER DISPONIBLES EN CONSULTATION AU CENTRE D’ART

Voir, Observer et PenserAugust SanderTextes : August Sander, Gabriele Conrath-SchollSchirmer/Mosel20102009

Menschen des 20.jahrhundertsAugust SandersTextes : Ulrich KellerSchirmer/Mosel1980

Face of Our TimeAugust SanderTextes : Alfred DöblinSchirmer/Mosel2003 (version anglaise)

Hommes du XXe siècleAugust Sander coffret de 7 volumes, Éditions de La Martinière, 2002

Page 39: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE 39

QUELQUES LIVRES DISPONIBLES EN ÉCHO AU DOSSIER ENSEIGNANTS :

The Hungry Eye Walker Evans, Textes Gilles Mora and John. T. Hill Harry N. Abrams Inc., Publishers 1993 San Quentin Point

Lewis BaltzAperture1986

Time Passes Robert Adams Fondation Cartier 2007

Bleus de travail Charles Fréger Textes : Didier Mouchel/Charles Arthur Boyer POC 2003

Typologien Becher Thomas Weski,Ludger Derenthal,Sussane Langue Schirmer 25005

Photographies 1927-1957Raoul HausmannCréatis1979

New Topographics Steidl 2009

Andreas Gursky MoMA New York 2001

Machines Thomas Ruff Hatje Cantz 2003

Le Style documentaire d’Augut Sander à Walker Evans Textes : Olivier Lugon Macula 2004

Page 40: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE 40

BIBLIOGRAPHIE AUGUST SANDER

En français

. Hommes du XXe siècle : Portraits photographiques, 1892-1952, Editions du Chêne, 1981.

. August Sander, introduction de Susanne Lange, Photo Poche 64, édité par le Centre National de la Photographie, Paris, Actes Sud, Arles, 1995.

. Hommes du XXe siècle, coffret de 7 volumes, Éditions de La Martinière, 2002.

. August Sander : Voir, Observer et Penser, textes de August Sander. Introduction de Gabriele Conrath-Scholl, édité par Schirmer/Mosel, Munich, textes de August Sander, 2009.

En anglais

. August Sander, Face of Our Time (Visage d’une époque), textes d’Alfred Döblin, réedité par Schirmer/Mosel, 2003.

En allemand

. Antlitz der Zeit. 70 planches du cycle « Menschen des 20. Jahrhunderts » avec une préface de Alfred Döblin. Kurt Wolff/Transmare Verlag, Erstausgabe Munich 1929, édition française : Schirmer/Mosel, Munich 1984.

. Deutschenspiegel. Menschen des 20. Jahrhunderts. Préface Heinrich Lützeler, Sigbert Mohn Verlag, Gütersloh 1962.

. Köln wie es war. August Sander Werkausgabe. Éditeur : August Sander Archiv, Kölnisches Stadtmuseum.

. Menschen des 20. Jahrhunderts: Ein Kulturwerk in Lichtbildern eingeteilt in sieben Gruppen. Éditeur : Die Photographische Sammlung/SK Stiftung Kultur, Cologne. Conception et nouvelle mise en pages de Susanne Lange, Gabriele Conrath-Scholl, Gerd Sander, Schirmer/Mosel, Munich 2002.

Page 41: Albums August Sander

BIBLIOGRAPHIE GÉNERALE

Sur la photographie

. Dominique Baqué, Photographie plasticienne. L’extrême contemporain, Le Regard, 2004. . Roland Barthes, La Chambre claire, Cahiers du Cinéma / Gallimard / Le Seuil, 1980. Christian Bouqueret, Histoire de la photographie en images, Marval, 2001. Ferrante Ferranti, Lire la photographie, Bréal, 2003. Michel Frizot, Nouvelle histoire de la photographie, Bordas, 1994 . Michel Frizot et Cédric de Veigy, Photo trouvée, Phaïdon, 2006. Anne-Marie Garat et Françoise Parfait, La Petite Fabrique de l’image, Magnard, 2004. Christian Gattinoni, La Photographie en France 1970-2005, Culture France / La Documentation française, 2006. Christian Gattinoni et Yannick Vigouroux, La Photographie contemporaine, Scala, 2004. Brigitte Govignon, La Petite Encyclopédie de la photographie, La Martinière, 2004. Thomas Lélu, Manuel de la photo ratée, Léo Scheer, 2007. Louis Mesplé, L’Aventure de la photo contemporaine de 1945 à nos jours, Le Chêne / Hachette, 2006. Michel Poivert, La Photographie contemporaine, Flammarion, 2002. André Rouillé, La Photographie, Gallimard, 2005. François Soulages, Esthétique de la photographie. La perte et le reste, Armand Colin, 2005. Yannick Vigouroux et Jean-Marie Baldner, Les Pratiques pauvres. Du sténopé au téléphone mobile, Isthme / Crdp Créteil. Dictionnaire de la photo, Larousse, 2001. Qu’est-ce que la photographie aujourd’hui ?, Beaux-Arts Éditions, 2007

Sitographie

Sites généralistesLes Rencontres Photographiques (Arles)cnap.frMep-fr.orgJeudepaume.orgLebleuduciel.netCentredelimage.comLacritique.orgPanoplie.orgParis-art.comPhotographie.comPurpose.frVisuelimage.com Afriphoto.com

Sites spécifiques lemensuel.netarhv.lhivic.orglettres.ac-versailles.frcnac-gp.frdes clics & des classescrdp-limousin.frpedagogie.ac-nantes.fr (espace pédagogique / approches de l’ombre)

Centre Pompidou - Dossiers pédagogiques en ligne La couleur, 2011Les nouveaux médias, 2011Le film, 2010La subversion des images, 2009Expérimentations photographiques en Europe. De 1920 à nos jours, 2008Tendance de la photographie contemporaine, 2007Son et lumière - une histoire du son dans l’art du 20e siècle, 2005 Le mouvement des images, 2006Jean-Luc Godard, 2006Luis Buñuel, Un chien andalou, 2005Sophie Calle, 2004Statut et pouvoir du narrateur, 2003Roland Barthes, 2002

DOSSIER ENSEIGNANT / BIBLIOGRAPHIE 41

Page 42: Albums August Sander

DOSSIER ENSEIGNANT / INFOS PRATIQUES 42

UN CENTRE D’ART, TOURNÉ VERS LA PHOTOGRAPHIE QUI ASSOCIE EXPOSITIONS, ÉDITION, RÉSIDENCES ET FORMATION

Le Point du Jour, inauguré en novembre 2008, est le premier centre d’art / éditeur en France tourné vers la photographie.

Le bâtiment a été conçu par Éric Lapierre, lauréat du Prix de la première œuvre en 2003, décerné au meilleur jeune architecte français.

Codirigé par Béatrice Didier, David Barriet et David Benassayag, Le Point du Jour est issu de l’activité, durant une dizaine d’années, de la mai-son d’édition du même nom et du Centre régional de la photographie de Cherbourg-Octeville.

Quatre expositions sont proposées par an : l’une concerne la région, deux présentent des artistes contemporains et la dernière est consacrée à un photographe du passé.

Le Point du Jour publie parallèlement trois ou-vrages, liés aux expositions ou essais concernant la photographie.

Régulièrement, des artistes sont invités à réaliser un travail photographique dans la région, suivi le plus souvent d’une exposition et d’un livre.

Enfin, Le Point du Jour organise, avec le sou-tien de la Fondation Neuflize Vie, le Prix Roland Barthes. Ce prix récompense des travaux de jeunes universitaires sur la photographie.

La bibliothèque réunit près de deux mille ouvrages concernant la photographie. Elle accueille aussi régulièrement des conférences et des rencontres. Des visites et des formations sont organisées,

ADRESSE ET INFORMATIONS

Le Point du JourCentre d’art/Éditeur107, avenue de Paris50100 Cherbourg-en-CotentinTél. 02 33 22 99 23www.lepointdujour.euAnne [email protected]

SERVICE ÉDUCATIF

Denis Tessiert. 02 33 22 99 23f. 02 33 22 96 [email protected] rendez-vous

HORAIRES D’OUVERTURE

Du mercredi au vendredi de 14h à 18hSamedi et dimanche de 14h à 19het sur rendez-vousA partir du 21 juin, l’exposition sera ouverte aussi le mardi de 14h à 18h.Entrée libre

Réal isat ion du dossier : David Benassayag, Anne Gilles et Denis Tessier

En collaboration avec August Sander Sitftung, Bonn

Exposition présentée dans le cadre du Festival Normandie impressionniste 2016

Tous les visuels August Sander : © Die Photographische Sammlung / SK Stiftung Kultur -August Sander Archiv, Köln ; Adagp, Paris, 2016

9. INFOS PRATIQUES