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Contexte sociolinguistique centrafricaindes travaux terminologiques

ituée au cœur del'Afrique, la Républiquecentrafricaine s'étend sur617.000 km2 pour unepopulation de troismillions d'habitants qui

parlent une cinquantaine de languesrégionales auxquelles viennents'ajouter le sanga et le français.

Le sanga estconstitutionnellement la languenationale depuis 1964. C'est la languela plus parlée dans le pays. Il estimpensable et impossible d'en fairel'économie dans le processus dedéveloppement global du pays. C'estpourquoi les autorités centrafricainesont manifesté un intérêt toujourscroissant et une volonté de plus enplus précise pour la promotion,l'instrumentalisation et lamodernisation de cette langue.

Le français a toujours été lalangue officielle en Centrafrique. Bienque parlé par moins de 10% de lapopulation, son importance pour lasociété centrafricaine est considérable,car non seulement il satisfait à tousles besoins d'expression et demodernité, mais c'est la langue del'écrit et son emploi dansl'administration publique et privée estencore une nécessité. Et si l'on veutmaintenir, sinon développer, lacommunication des cadrescentrafricains avec ceux des autrespays, le français offre le meilleurmoyen de le faire. C'est pourquoil'attention que le gouvernementcentrafricain porte à la promotion dusanga va de pair avec une conscienceaccrue de l'importance du françaispour le bien du peule centrafricain.

Le sanga et le français sont doncles deux langues les plus importantesen Centrafrique. C'est eux qui sontconcernés en tout premier lieu par

l'aménagement linguistique de laRépublique centrafricaine qui vise,entre autres choses, à instaurer unbilinguisme d'État dans toutes lesactivités publiques du pays, qu'ellessoient officielles, administratives,juridiques, politiques, sociales,culturelles ou économiques.

Le bilinguisme d'Etat icipréconisé voudrait donc que touteactivité qui s'adresse au publiccentrafricain puisse lui être offerte enfrançais et en sanga. Or, dans l'étatactuel des choses, malgré sondynamisme croissant, le sanga estbien loin de disposer de toute laterminologie technique nécessaire aubon fonctionnement d'un servicepublic à égalité avec le français danstous les domaines d'activité de lanation. Et puisque le sanga est lalangue de tout le peuple centrafricain,la langue par laquelle il fautnécessairement passer si l'on veutvraiment contribuer audéveloppement de ce peuple, il fautdonc commencer tout de suite parpromouvoir le sanga, dans son statutet dans son corpus, tout en impulsantparallèlement une recherche d'ordrepédagogique pour améliorerl'enseignement du français, langueseconde.

En 1984, l'orthographe du sangaa été officiellement fixée par décret etla même année, une ordonnancereconnaissait au sanga le statut delangue d'enseignement conjointementau français. Cette même année,commençait un ensemble de projetsde recherches linguistiques etsociolinguistiques dans le cadre duprogramme de coopérationlinguistique internationale conduitpar l'Agence de coopérationculturelle et technique (ACCT). Cesrecherches, effectuées par des

chercheurs centrafricains portent surla dynamique du sanga (Dylan), ladescription des langues (Delan), desesquisses linguistiques (Elsi), laconstitution d'une base lexicaleinformatisée permettant la réalisationprogressive d'un dictionnaireorthographique (Dior), dedictionnaires monolingues (Dimo) etde lexiques spécialisés (Lexis). Cestravaux se poursuivent conjointementà l'Institut de linguistique appliquée(Ila) de l'Université de Bangui(Centrafrique) et au Laboratoire deslangues et civilisations à traditionorale (Lacito) du CNRS.

Tous ces travaux de recherchesont une grande importance dans lesdifférentes étapes de l'aménagementlinguistique de la Centrafrique, maisles dictionnaires et lexiques spécialisésoccupent une place de choix danscette importance. De 1976 à 1982, leschercheurs centrafricains avaient déjàréalisé des lexiques thématiques ensanga dans le cadre du programmeLexiques thématiques d'Afrique centrale(Letac), impulsé par l'ACCT. Lerésultat était intéressant mais nonsatisfaisant en raison de laméthodologie utilisée, à savoiressentiellement une traduction dufrançais vers les langues africaines, etd'une nomenclature commune à tousles pays partenaires du programme.D'où l'élaboration d'une nouvelleméthode adaptable à chaque terrain.Nous ne nous étendrons pas ici sur ladescription de cette méthode, carcelle-ci fait l'objet d'un exposé détailléprésenté par notre collègue NazamHalaoui, dans ce même numéro.Soulignons-en, toutefois, les traits lesplus saillants:- D'abord, la détermination dudomaine d'activité socio-professionnel

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ou de connaissance dans lequel il estbesoin d'intervenir.- Elle peut se faire au sein du groupedes chercheurs de l'Institut qui enévalue l'intérêt stratégique pour leprocessus général d'aménagementlinguistique. Ce fut le cas pour lesjournalistes annonceurs du journalparlé à la radio centrafricaine;- Elle peut être suscitée par dessollicitations provenant deprofessionnels d'un domaine. Ce futle cas pour les lexiques spécialiséspour le droit et l'agriculture, élaborésà la demande et avec la collaborationrespectivement de juristes etd'ingénieurs agricoles;- Elle peut être l'initiative d'unauteur isolé qui propose le résultat deson travail à la discussion publique,soit sous forme de publication, soitsous forme de papier de travail. Cefut le cas pour le vocabulaire del'instruction civique.

Ensuite on procède à uneenquête sur tout ce qui concerne ledomaine en question dans la culturetraditionnelle. Bien souvent, il y a làmatière pour une moisson abondantede termes et/ou de conceptsintéressants. On a en effet troptendance à croire que l'expression destechniques avancées et des sociétésmodernes ne peut trouver quelquerépondant dans la culturetraditionnelle africaine. Cette enquêtedite ethnologique permet de mieuxcerner l'apport de la base culturelle àl'expression de cette modernité.

Suit une enquête dite savantedans une collection d'ouvragesspécialisés en français (dictionnairesde spécialité pour la plupart), et afinde procéder à une sélection deconcepts par les experts ou, autantque possible, avec leur collaboration.Il n'est pas nécessaire, en effet, d'êtreexhaustif dans la collecte des conceptsd'un domaine, car, ceux-cis'organisant en des niveauxhiérarchisés, certains niveaux sontplus pertinents que d'autres pourl'ouvrage que l'on se propose deréaliser et l'usage que l'on compte en

faire dans le cadre social centrafricainactuel.

L'enquête ethnologique se faitsurtout par l'enregistrement de récitsdescriptifs continus, mais aussi parinterviews, prises de notes sur papier,relevés de listes de mots. Il faut doncprocéder à un travail dedépouillement, de saisie et decontrôle des résultats avant d'établirdes fiches terminologiques. L'enquêtesavante, elle, conduit plusdirectement à l'établissement desfiches terminologiques. Lacomparaison des deux groupes defiches conduit à décider des conceptsdu domaine qui peuvent être mis enéquivalence, de ceux qui n'ont pasd'équivalents dans l'une ou l'autrelangue, et pour lesquels il faut déciders'il y a lieu de procéder à un empruntou à une création néologique.

Enfin, la priorité accordée autextes continus a l'avantage de fournirdes termes en contexte réeld'utilisation dès le moment de leurcollecte. En fin de parcours, destextes plus didactiques peuvent êtreconçus, sur base des premiers textescollectés, pour s'assurer de la bonnemanipulation discursive des termesnéologiques, tout en proposant destextes abordables dans le domaineétudié.

La recherche terminologique enCentrafrique n'a pas pour butd'enrichir le français dans desdomaines techniques de pointe,- nous faisons confiance à nospartenaires du Nord pour cela - maisde doter le sanga des termestechniques dont il a besoin pourjouer son rôle en tant que facteur dedéveloppement. Et les domainestechniques ici sont de ceux qui sontdéjà établis depuis plusieurs sièclesdans les pays du Nord, à savoir: lestechniques agricoles (traditionnelleset modernes), l'élevage, l'économierurale, l'hygiène, la médecinemoderne), la gestion économique, ledomaine juridique, l'administration,les médias, l'éducation et toutes lesdisci plines enseignées à l'école

primaire et secondaire, les servicespublics, etc.

Les termes résultants de cestravaux sont d'abord destinés à laformation des jeunes scolarisés, desadultes alphabétisés, à celle desjournalistes, des agents dudéveloppement communautaire, etenfin à celle des agents techniques etcadres qui, comme les journalistes etles ingénieurs agricoles, éprouvent lebesoin de recourir à un sangaprofessionnel pour être plusperformant dans leur travail auprèsde la population. Mais cetteformation, elle-même, n'est pasencore une chose courante, puisqueles structures de formationpermettant d'assurer l'enseignementd'un sanga professionnel font partiedu processus d'aménagementlinguistique tout comme la rechercheterminologique en cours. L'Institutde linguistique appliquée a toutefoisété conduit à dispenser des cours desanga à de nombreux apprenantscentrafricains et étrangers durant lestrois dernières années. Ce qui nous apermis de constater l'adhésionmassive des locuteurs à la promotiondu sanga bien avant que les résultatsdu programme Dylan ne viennent leconfirmer.

Le contexte des travauxterminologiques en Centrafrique estdonc excellent, puique lesprogrammes de recherche bénéficientdu soutien politique dugouvernement, de l'adhésionenthousiaste de la population, dudynamisme de la langue sangaconcernée, et d'une structure derecherche non moins dynamique,l'lia, qui, en dépit de ses capacitésmodestes, fait du bon travail tout ens'assurant la collaborationmultilatérale de tous ses partenairesnationaux et internationaux.

Marcel Diki-Kidiri,Centre national de la recherchescientifique,Laboratoire des langues et civilisationsà tradition orale.

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