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La « sécularisation » de la figure du Prophète

dans les romans francophones du Maghreb

Une des questions centrales des sociétés arabo-musulmanes aujourd’hui est celle de la

« sécularisation »1 du sacré. Celle-ci passe par une réappropriation du Texte et une

humanisation de la figure du Prophète. Dans cette mesure, comme le notait Annemarie

Schimmel, toutes les vénérations du Prophète convergent dans l’œuvre d’Iqbal, le

philosophe et poète indo-musulman qui le premier exprima l’idée d’un état musulman

indépendant. Mouhammad Iqbal écrivait : « Vous pouvez renier Dieu, mais vous ne pouvez

pas renier le Prophète. » (And Muhammad is His Messenger, p. 238)2 Dans la même veine,

Jamel Eddine Bencheickh soulignait qu’il fallait faire le chemin du Tanzil, de la Révélation, en

sens inverse en vue de relier directement le sujet musulman à la Transcendance. Ce travail

de reprise de sa conscience et de sa liberté par le sujet arabo-musulman est dans le même

mouvement un travail de résistance aux dictatures sous toutes formes, quelles soient

séculières, religieuses ou politico-religieuses dans la mesure où, généralement, les deux

entités se confondent dans l’exercice de l’autorité unilatérale, la tyrannie discursive,

politique, corporelle et sexuelle, ainsi que la négation de la liberté de l’individu et d’un

fonctionnement démocratique du champ social. C’est dans cette mesure que pendant la

guerre civile en Algérie l’on décrit le rapport incestueux entre le FLN et le FIS en les

caractérisant par la formule : « Le FIS est le fils naturel du FLN. »3 En Tunisie, l’unilatéralisme

idéologique et politique d’En-Nahdha répond en partie au et perpétue la perspective

dictatoriale de Ben Ali et du Parti du Doustour. Il s’inscrit en fait dans une généalogie

politico-culturelle qui dépasse les oppositions politiques.

1 Dans ce texte, je n’utiliserai pas les termes « laïcité » ou « laïc » et « laïque » du fait de la connotation idéologique qu’ils ont pris ces dernières années, en particulier en France. Si au départ, ils relevaient d’une perspective philosophique ayant pour objet la séparation entre le religieux et le politique, aujourd’hui ils sont souvent devenus des concepts en grande partie politiques, repris même par des partis racistes et antisémites comme le Front National, et utilisés pour stigmatiser la communauté arabo-musulmane et l’Islam. A ce terme, je préfère le terme anglo-saxon « secularization » que l’on traduit approximativement en français par les mots « sécularisation » et « séculier » qui me semblent plus neutres et appropriés aux processus culturels et politiques qui ont actuellement lieu dans les luttes identitaires de la sphère arabo-musulmane. Le terme « sécularisation » est entendu ici dans sa dimension psychologique et spirituelle impliquant le vécu subjectif de l’individu plutôt que dans sa dimension sociologique ou économique.2 C’est moi qui traduis.3 Voir à ce propos, mon étude sur la littérature et la censure au Maghreb (« Between God and the President: Literature and Censorship in North Africa »).

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Dans cet article, j’évoquerai comment, en contradiction avec les dogmes traditionnels

et une conception fondamentaliste du Coran, d’un côté, et une idéologie politique dominée

par l’intégrisme, de l’autre, les traditions populaires dans le monde arabo-musulman créent,

à la fois sous forme orale et dans les miniatures notamment, mais aussi dans les récits et les

textes que les écrivains, poètes et autres auteurs se sont appropriés et ont développé

récemment, par leur travail fictionnel, des représentations culturelles et littéraires

différentes du Prophète Mouhammad et, donc, de l’interprétation réductive du message

coranique. Suite à cela, j’examinerai les représentations du Prophète dans les productions

francophones du Maghreb, notamment dans l'anthologie de plusieurs traditions constituée

par Le Voyage nocturne de Mahomet de Jamel Eddine Bencheikh et des romans tels que Loin

de Médine d'Assia Djebar et L'Homme du Livre de Drisss Chraïbi. Ce faisant, j’analyserai

comment les écrivains maghrébins se rapportent aux représentations occidentales et arabo-

musulmanes de la geste de Mouhammad. Dans ce processus, j’évoquerai les formulations à

travers lesquels, se basant sur une lecture ouverte du texte coranique, le mysticisme soufi, le

discours éthique de l'Islam et l'héritage humaniste de l'Occident, ils essaient de produire une

nouvelle image du Prophète qui participe à leur conception transculturelle des relations

humaines et à leur plaidoyer pour un dialogue des civilisations. Finalement, je montrerai

comment cette nouvelle relation entre mémoire individuelle et mémoire culturelle s’associe

à la manière dont les peuples arabo-musulmans ont contourné et subverti une lecture

fondamentaliste du texte coranique et de la Tradition en vue de produire une culture de la

liberté et de l’humanité et comment ces deux approches se rencontrent dans les

perspectives du « Printemps arabe » en tant que revendication, non seulement d’un

épanouissement économique et politique, mais aussi d’une liberté individuelle, subjective et

culturelle.

Commentant la réalité bilingue du sujet maghrébin dans Amour bilingue, Abdelkébir

Khatibi a écrit: «Si écrire c’est enfanter, dit-on, écrire (s’écrire) dans une autre langue, c’est

également s’enfanter autre dans une autre langue.» Dans une large mesure, la

représentation du Prophète Mouhammad dans la littérature francophone du Maghreb est

une illustration importante de sa signification pour la mémoire culturelle des musulmans,

qu'ils vivent à l'intérieur, à l'extérieur, à proximité de ou en Occident et qu’ils soient religieux

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ou non. Si, d'une part, le fondateur de l'Islam a été en général décrits en termes péjoratifs,

même par des théoriciens de la tolérance comme Montesquieu et Voltaire, et, d' autre part,

si les écrivains francophones du Maghreb ont été moulés dans le creuset de la langue

française et de la culture européenne, leur représentation du Prophète Mouhammad diffère

de et déconstruit la vision que la plupart des textes occidentaux ont produit à son sujet. Ce

faisant, ils brisent le prétendu tabou de la représentation en Islam. D’où la fameuse phrase

en exergue de son texte de Driss Chraïbi pour décrire son entreprise dans L’Homme du Livre :

« Ceci n’est pas un livre d’histoire, mais un roman, une œuvre de pure fiction, même s’il met

en scène un personnage considérable : le Prophète Mohammed. » De plus, ils produisent

une autre image du Prophète qui constitue un contre-discours les aidant à se réconcilier

avec leur double héritage entre l'Occident et l'Orient.

Au carrefour de plusieurs continents et civilisations, les intellectuels et écrivains

maghrébins mènent à bien ce processus du point de vue de ce qu’Abedelkébir Khatibi a

appelé « pensée-autre » ou « pensée de la différence ». Ainsi, il s’agit d « […] pensée-autre

(…) aux limites de ses possibilités. Car, nous voulons décentrer en nous le savoir occidental,

nous décentrer par rapport à ce centre, à cette origine que se donne l’Occident. » (Maghreb

Pluriel, p. 54) Dans une problématique proche de celle de Jean-François Lyotard qui décrit la

fin des «grands récits » dans La Condition postmoderne, Khatibi insiste sur la fin du

Salafisme, la doctrine métaphysique et politique anti-occidentale correspondant à la

représentation structurellement anti-musulmane et anti-arabe de l'autre sur laquelle les

cultures, les identités et les discours européens, d’abord, et américains, ensuite, sont centrés

en grande partie depuis l’avènement de l’Islam et de l’expansion musulmane qui l’a suivi. Au

lieu d'ajouter l'Islam comme un autre « grand récit » en opposition aux récits occidentaux

comme cela est généralement fait par de nombreux intellectuels et hommes politiques

arabo-musulmans, Khatibi insiste sur la nécessité d'une perspective nouvelle qui consiste

dans le dépassement simultané des métaphysiques occidentale et arabo-musulmane sur la

base d'une double critique et d'une opposition aux deux absolutismes religieux et séculiers

en présence en Orient et en Occident. L'objectif de ce que Khatibi appelle la « différence

intraitable » et la nécessité d’une « double critique », impliquant un regard et une ascèse

comprenant soi et l’autre, sont exprimés dans les termes suivants :

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« Seul le risque d’une pensée plurielle (à plusieurs pôles de civilisation, à

plusieurs langues, à plusieurs élaborations techniques et scientifiques) peut, me

semble-t-il, nous assurer le tournant de ce siècle sur la scène planétaire. Et il n’y

a pas de choix… Pour personne. Transmutation d’un monde sans retour sur ses

fondements entropiques. » (Maghreb pluriel, p. 14)

Cette exigence s’applique non seulement à l’Occident qui se doit de reconnaître cet

autre lui-même qu’est l’Orient, mais aussi pour au monde arabo-musulman qui ne devrait

pas renier son passé originel, notamment préislamique, et le caractère transculturel de sa

genèse tant sur le plan historique que sur le plan métaphysique. Dans cette mesure, il est

essentiel de dépasser les oppositions déterminées par une logique de l’exclusion et toute

perspective conceptuelle dominée par le binarisme :

(…) « N’a-t-on pas dit et redit que la philosophie arabe est grecque par essence. »

(…) Je dirai crûment que, par exemple, le dieu d’Aristote est entré dans l’islam

avant l’arrivée de celui-ci. La théologie de l’islam et son épistémè globale étaient

précédées par Aristote qui leur préexiste. Cette théologie de l’islam serait-elle

d’abord une traduction ? La traduction en arabe du monothéisme abrahamique

par l’intermédiaire du syriaque et du grec ? (…) (…) les Arabes, en considérant la

question de l’être selon leur langue, ont opéré une double traduction par

l’intermédiaire du syriaque et du grec. Par cette double traduction, s’est

renforcée une métaphysique du texte (…). (Maghreb Pluriel, pp. 22-23)

De ce fait, par la « pensée-autre » et la « double critique », la transcendance du soi-

disant « conflit des civilisations » évoquée par Samuel Huntington et ses acolytes, doit passer

par un nouveau rapport au Texte et une nouvelle lecture de l’Histoire, processus qui sont à

la base de la démarche et de la réflexion entrepris par les écrivains et intellectuels

maghrébins considérés ici. Il doit aussi passer par le dépassement de la conception

aristotélicienne du « tiers-exclus ». L’on conclura avec Khatibi que « Ce qu’il faut (devoir

d’une pensée-autre), c’est élargir notre liberté de penser, introduire dans tout dialogue

plusieurs leviers stratégiques : évacuer par exemple du discours les absolus de la théologie

et du théocentrisme qui enchaînent le temps, l’espace et l’édifice des sociétés

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maghrébines. » (Maghreb Pluriel, p. 33). D’où l’obligation d’un véritable renouvellement et

d’une transformation épistémologiques, culturels et politiques.

La littérature et le sacré

Les révolutions sont des moments forts et cristallisateurs des destins des peuples.

Cependant, il me semble que l’on ne peut les approcher que dans une perspective tenant

compte de la « longue durée » dans le sens du terme défini par Fernand Braudel.4 Ainsi, dans

le cas des sociétés arabo-musulmanes, le combat entre, d’un côté, une interprétation

rigoriste du Coran et intégriste du message religieux et, d’un autre côté, une lecture plus

ouverte alliée à une culture populaire de l’Islam qui subvertit le discours réductif du pouvoir

central allié au discours théologique fondamentaliste a été un combat constant, dès les

premières heures de l’Islam, à commencer par le moment-même de la mort du Prophète et

la question de sa succession. Ceci se voit dans la fameuse phrase d’Abu Bakr, le successeur

immédiat du Prophète : « Si quelqu’un vénérait Mouhammad, Mouhammad est mort. Si

quelqu’un vénérait Allah, il est vivant et ne meurt jamais. » (And Muhammad is His

Messenger, p. 18). Ceci se voit également dans le principe de mythologisation du Prophète,

autant par le pouvoir religieux que par le pouvoir politique, et, bien évidemment, dans la

scission des mouvements à l’intérieur de l’Islam entre Sunnisme et Chiisme, ainsi que les

différentes tendances théologiques et les écoles juridiques qui traversent la multitude et la

diversité des sociétés arabo-musulmanes. Ce processus s’est déroulé au long des siècles de

façon continue dans le vécu et la parole des peuples, avec des moments forts, des éruptions

révolutionnaires, et se retrouve ainsi dans la littérature maghrébine contemporaine. Dans ce

sens, les écrivains n’ont été ni des précurseurs, ni des visionnaires, ni des témoins

prémonitoires, mais des acteurs qui s’inscrivent dans le mouvement général des peuples et

des cultures, d’autant plus que la littérature maghrébine contemporaine est fortement liée à

la problématique de l’Histoire.

Comme c’est le cas pour la plupart des expressions religieuses, la relation entre la

religion et la littérature est structurelle dans celui de l'Islam. En effet, une partie importante

du texte coranique est étroitement liée à la tradition poétique de la péninsule arabique où il

4 Voir Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, Éditions Flammarion, 1985, pp. 44-61.

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est apparu. Un grand nombre de sourates sont écrites dans le format poétique préislamique

et les structures illustrant ses techniques textuelles telles que la rime, le rythme, la

répétition de versets, etc. En outre, les premières sourates révélées ont pour objet central la

métaphysique, la cosmologie, et les questions théologiques, mais aussi des thèmes qui

constituent le cœur-même de la poésie arabe préislamique5 : les paysages, les astres, des

animaux, etc. Enfin, la tonalité, les stratégies discursives et rhétoriques de ce texte sacré

consistent en des évocations, des invocations et des dialogues qui font partie intégrante des

techniques littéraires de la littérature arabe préislamique. Cependant, cette relation se

caractérise par une dynamique de contradictions et d'oppositions. En effet, l’avènement du

Coran, en tant que texte sacré de l'Islam, fixe la langue arabe et sa tradition poétique en

même temps qu'il constitue une répudiation fondamentale de la littérature.

Premièrement, contrairement à la tradition orale, l'écriture n'était pas un trait général

de la culture de la Péninsule arabe avant l'avènement de l'Islam. Bien que certains eussent

su lire et écrire, la récitation était considérée comme un art supérieur. C'est ce qui explique

la qualité du Coran comme « récitation » et sa mémorisation comme l’accomplissement

intellectuel et spirituel ultime, parmi les croyants, les théologiens et les savants.

Deuxièmement, historiquement, du moins jusqu’à récemment, le Coran a été considéré

comme le premier livre d’ancrage de la langue arabe sous une forme textuelle. Ce fait a

contribué de manière significative à la conception fondamentaliste/intégriste qui institua la

langue arabe comme langue sacrée et le Codex coranique du Calife Uthman comme une

révélation transcendantale. Par conséquent, ses tenants affirment que sa qualité divine ne

peut être contestée ou même discutée.

D'autre part, que l'on adhère à la conception du Coran comme texte révélé dans la

tradition abrahamique monothéiste ou qu’on le considère comme le résultat du génie

humain à travers la figure du Prophète Mouhammad, on ne peut ignorer le paradigme

littéraire du texte fondateur de l’Islam. Cependant, même s'il est marqué par la tradition

poétique de l'espace culturel dans lequel il est apparu, dans le texte coranique et l’important

corpus constituant les Hadith (dires et commentaires du Prophète supposés notés ou

rapportés par ses compagnons), dont l'utilisation en tant que complément au message du 5 Il est remarquable que la poésie arabe préislamique, pourtant décisive dans l’histoire de la culture et de la langue arabo-musulmanes, est désignée par le terme arabe « al-Jâhiliya », c’est-à-dire « l’ignorance », le « paganisme » ou/et la « barbarie », par la Tradition religieuse et l’institution culturelle et universitaire arabes, une caractérisation éloquente du refoulé de toute identité et culture ayant précédé la période musulmane et, donc, du monolithisme conceptuel établi depuis.

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Prophète a été répandue par la tradition post-Mouhammadane, et surtout dans les

dernières perspectives fondamentalistes du discours théologique et juridique islamique,

l'exclusion de la littérature est une caractéristique très nette de la doxa islamique. En effet,

cette relation structurelle et contradictoire entre l'Islam et la littérature est une dimension

inhérente du Coran. Une indication de cela est qu’une sourate entière est consacrée au rejet

des poètes, ou plus spécifiquement d'une catégorie de poètes, et à la distinction entre,

d'une part, la prophétie et, d’autre part, la poésie et la magie/sorcellerie. De fait, parce que

les adversaires de l'Islam naissant rejetaient le message prophétique de Mouhammad

comme simple poésie et l’associaient à une forme de magie, dans la sourate XXVI, « Les

Poètes », dans la veine platonicienne de l’accusation contre les poètes comme danger

inhérent à la vérité, la moralité et le bien-être de la communauté, le Prophète avertit les

croyants contre eux dans les termes suivants :

« 221. Vous annoncerais-Je sur qui (s’opère) la descente contrefaite de Satan ?

222. Elle s’opère sur tout imposteur et pécheur :

223 ils tendent l’écoute mais la plupart sont des menteurs.

224 Quant aux poètes, ne les suivent que les fourvoyés.

225 ne vois-tu pas qu’ils brament dans toute vallée

226 et qu’ils disent ce qu'ils ne font pas ?

227 Exception faite de ceux qui croient, effectuent des œuvres salutaires,

rappellent Dieu sans trêve : ils sont secourus après avoir subi l’iniquité, tandis

que ceux qui l’ont commise sauront quel retournement ils vont subir. (« Les

poètes », Sourate XXVI, Le Coran, p. 401. Traduction de Jacques Berque) »

La poésie étant le genre artistique par excellence dans la société préislamique,

l'argument consiste ici à faire une distinction absolue entre, d'une part, la prophétie et,

d'autre part, la magie et la poésie pour établir ainsi le caractère divin de la révélation

coranique. Il vise également à instaurer la supériorité inimitable de la Parole de Dieu par

rapport à la qualité inférieure de l'idiome littéraire des poètes anti-musulmans qui sont

méprisés pour leur association avec les magiciens et les sorciers, leur moralité inférieure,

leur influence négative sur les croyants et leur sentiment exagéré de la louange ou la satire.

En effet, une dimension importante de la poésie préislamique, fréquente encore aujourd’hui

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chez les poètes arabes contemporains conformistes, dans un contexte séculier aussi,

consistait en une inflation des qualités d'une personne ou, généralement, du chef politique

et en une satire extrême des actes et de la personnalité de ses ennemis. Dans le contexte de

l'émergence de l'Islam et de l'exil de Mouhammad à Médine, les chefs anti-musulmans de la

Mecque demandaient souvent aux poètes de se moquer du Prophète et de ses disciples.

Ainsi, dans la perspective musulmane et, encore plus, islamiste, les poètes – et plus

généralement les artistes, ou producteurs culturels au sens que Walter Benjamin donne à ce

terme – sont-ils toujours considérés avec soupçon et en fin de compte avec grand mépris.

Il est intéressant de noter ici l'influence établie, depuis long terme, de Platon sur le

discours métaphysique, théologique et juridique de la Tradition islamique. La distinction

entre les poètes anti-musulmans et musulmans faite ici est directement évocatrice de la

distinction platonicienne entre la poésie inspirée et la poésie non inspirée et, par

conséquent, la supériorité de la philosophie sur la poésie, bien que dans le discours

islamique c'est la religion qui précède la littérature.

La méfiance à l'égard de la littérature est aussi un élément constitutif de l'argument

fondamentaliste établissant le Coran comme un texte qui, par définition, transcende la

nature humaine. À cet égard, son affirmation comme parole révélée de Dieu implique le

rejet de la conception séculière des livres religieux comme expression humaine sublimée et

élevée à travers le processus de la prophétie. Elle implique également que le texte sacré ne

peut être considéré comme un phénomène culturel et littéraire ou comme un ensemble

d'expressions semi-mythiques produites dans un contexte socio-historique particulier dans

le sens où Israel Finkelstein et Neil Silbermann, par exemple, interprètent l'épopée biblique

dans leur essai décisif, La Bible dévoilée.

La tradition culturelle et littéraire

Cette méfiance constitutive de la littérature n'a pas empêché une tradition culturelle et

littéraire musulmane importante dans les économies émergentes de fleurir au cours des

siècles post-Mouhammadans, principalement sur le topos des miracles. En effet, alors qu’en

Islam, le seul miracle reconnu est en fait le Coran, il est remarquable que tout un champ de

la culture populaire a pris naissance à partir de miracles évoqués par le texte sacré ou

extrapolé à partir de lui. Ainsi, l’on développera le thème de la purification du cœur du

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Prophète par les anges, le thème de la séparation en deux de la lune par lui et surtout celui

de son voyage nocturne vers les cieux, ce dernier récit étant probablement le plus important

et le plus fructueux sur le plan du déploiement de l’imaginaire littéraire et de la

métaphysique. Ce qui est plus frappant est qu’un courant important de ce phénomène a eu

lieu sur la base d'une inspiration coranique. En effet, la sourate XVII. 1 évoque l'Ascension du

Prophète vers le ciel, de la Mecque à Jérusalem et de Jérusalem, et les sept sphères au

Paradis, ainsi que ses rencontres avec les anges, les prophètes hébreux et chrétiens et

finalement avec Dieu lui-même :

« O transcendance de Celui qui fit aller de nuit, en un instant de la nuit, Son

adorateur de l’Oratoire consacré à l’Oratoire ultime dont Nous avons béni le

pourtour, afin de lui découvrir de Nos signes !

– Il est l’Entendant, le Clairvoyant. (« Le trajet nocturne ou Les fils d’Israël »,

Sourate VII, 1. Le Coran, pp. 175-76. Traduction de Jacques Berque) »

Bien qu’il s'agisse d'une instance unique d'un miracle dans le Coran, elle a donné

naissance à un imaginaire, un corpus littéraire et artistique significatif d’œuvres constituant

la littérature eschatologique musulmane d’Al-'Isra' wa-l- Mi'raj – rendue en français par

l’expression Le Voyage nocturne et de l'Ascension de Mouhammad –, un texte attribué à

l'origine à Ibn Abbâss, le cousin du Prophète, mais plus tard élargi et transformé par des

versions innombrables dans diverses langues orientales et connu en Occident sous le nom de

Livre de l'Échelle de Mahomet après sa traduction en plusieurs langues européennes.

Parallèlement à cette importante et ancienne tradition populaire, les poètes et les conteurs

de divers pays musulmans, qu'ils se situent dans la tradition musulmane stricte ou dans la

perspective mystique du soufisme, produisirent des textes innombrables combinant un culte

de la figure de Mouhammad et des récits constituant la figure du Prophète en tant que

modèle ultime pour le sujet musulman, mais qui tranchent avec la stricte conception

fondamentaliste du Messager de l’Islam.

Avec la tradition du Mi'raj, l’on est en présence d’une masse considérable d'œuvres

culturelles et littéraires basées sur la figure du Prophète. Dans la tradition panislamique, il y

a un nombre incommensurable de poèmes, chants, chansons, légendes et histoires basés sur

ou ayant comme point de départ la vie et les actes de Mouhammad. Dans une veine

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similaire à celle de la tradition religieuse et littéraire de la Nativité du Christ, artistes,

conteurs et poètes en provenance de pays aussi éloignés et divers que l'Inde, le Pakistan,

l'Iran, l'Egypte, l'Algérie, le Maroc et la Tunisie ont produit des contes oraux, des œuvres

plastiques comme les miniatures, ainsi que des célébrations musicales et artistiques d'Al-

Mawlid Al-Nabawi, la naissance du Prophète, et des apologies littéraires, en particulier dans

la forme poétique, de la figure de Mouhammad. Si ces productions sont parfois en conflit

ouvert avec une appréhension rigoureuse de la figure prophétique de l'Islam et condamnés

par les Ulama – les docteurs de la loi religieuse et juridique –, elles n'en constituent pas

moins une dimension fondamentale du patrimoine culturel, ainsi que de l’imaginaire et de

l’expérience personnelle et émotionnelle du sujet musulman. C’est, entre autres, ce facteur

important qui explique pourquoi, dans le contexte international actuel dominé par un

affrontement relancé entre le monde de l'Islam et l'Occident, des individus parfois même

totalement séculiers basés à la fois dans le monde arabo-musulman et /ou en Occident se

sentent personnellement offensés par la vague de descriptions méprisantes et de caricatures

malveillantes du Prophète Mouhammad, et les discours péjoratifs contre lui. Pour les

besoins de cette étude, je vais me concentrer sur le cas de la littérature francophone du

Maghreb et de sa relation avec cette partie du patrimoine culturel arabo-musulman.

Le Prophète Mouhammad, le patrimoine arabo-musulman et les représentations occidentales

La représentation du Prophète Mouhammad en français par les écrivains maghrébins

francophones est une illustration significative de son importance dans la mémoire culturelle

des musulmans, qu'ils vivent au Maghreb ou en Occident et qu'ils soient pratiquants ou non.

La plupart des auteurs insistent sur la dimension humaine du Prophète et sur ses qualités

personnelles. À cet égard, ils sont en désaccord avec la représentation orthodoxe ou

fondamentaliste de Mouhammad, mais plus en accord avec la vision populaire du Messager.

Beaucoup de ces récits romancés des écrivains se référent à leur connaissance personnelle

du Prophète découlant de leurs souvenirs d'enfance lorsque leurs parents ou le Meddah, ou

l'équivalent arabe du griot africain, ont raconté des histoires au sujet de la situation de

Mouhammad comme orphelin, en tant que travailleur, en tant qu’exilé, etc. Elles s’appuient

également sur leurs connaissances historiques et sur le savoir qui est en train de se

constituer sur le sujet d’un point de vue non plus religieux mais historique et scientifique.

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L'appréhension de la figure du Prophète Mouhammad par les écrivains francophones

du Maghreb est multiple. En effet, elle fonctionne à partir, d'une part, de la perspective de

leur famille, de leur communauté et de leur patrimoine culturel et, d'autre part, de celle de

leur éducation en grande partie française et occidentale. Cela a été illustré, par exemple,

dans les controverses sur les caricatures du Prophète par les dessinateurs du journal danois

Jyllands Posten et, plus récemment, dans l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo,

durant lesquelles de nombreux intellectuels arabo-musulmans progressistes et

« occidentalisés », et parfois dits « laïcs » ou athées, se sont trouvés en conflit entre leur

attachement affectif au Prophète et leur opposition à la censure qu'ils endurent souvent et à

laquelle ils s'opposent normalement dans leurs propres sociétés.

D'une part, notant que la plupart des penseurs européens ou des études occidentales

expriment une perception négative de l'Islam, des points de vue et une représentation

méprisants et diffamatoires du Prophète, les auteurs explorent et se référent aux textes

d'auteurs comme Goethe, Louis Massignon ou René Guénon qui, eux, ont produit des

appréciations extrêmement positives de l'Islam en général et du Prophète Mouhammad en

particulier. D'autre part, les écrivains, comme beaucoup de musulmans progressistes en

général, dissocient l'Islam, son texte sacré et le Prophète des voix fanatiques de leur

communauté religieuse. Enfin, sur la base de leur éducation bilingue et leur exposition à des

lectures d’œuvres occidentales de différentes écoles de l'Islam dans des contextes

historiques, ils se penchent vers une expression spécifique de la foi musulmane, de la pensée

et de la pratique qui semblent plus proches de l'idée de liberté de conscience et de la

philosophie de « l'universalisme » de leur éducation principalement française : le soufisme. À

cet égard, en fait, ils renouent avec l’héritage hellénique de la culture arabo-musulmane qui

est souvent occulté ou simplement ignoré par les fondamentalistes et la plupart des

musulmans de manière générale. Ainsi, ils partagent le point de vue de sujets non-

musulmans qui sont en contradiction avec les crédos et les pratiques religieuses

traditionnelles conservatrices et qui se sentent plus proches d'une expression religieuse plus

individuelle, comme dans le cadre de la mystique. Cette mystique, qu'elle soit judaïque,

chrétienne ou musulmane, dans le cas du soufisme, transcende les conceptions souvent

conservatrices des communautés musulmanes et de la perspective dogmatique de leurs

chefs religieux. Alors que le soufisme a l'avantage de franchir les frontières entre l'Islam, le

judaïsme et le christianisme, il a également l’avantage, d'un côté, de faciliter

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l’enchevêtrement du patrimoine de l'Orient et de la culture hellénique et, d'un autre côté,

de relier le concept de religion et de philosophie, de subjectivité et de transcendance. C'est

ce qui explique son importance pour les chercheurs arabo-musulmans d’Occident et des

écrivains francophones comme on le voit dans le cas de Abdelwahab Medded et de Tahar

Ben Jelloun et, dans une moindre mesure, dans le cas de Jamel Eddine Bencheikh, d’Assia

Djebar, de Driss Chraïbi et de Salim Bachi qui se concentrent plus sur la figure du Prophète

comme figure idéale de l'Islam et alternative à ses expressions archaïques.

Le Prophète Mouhammad dans le roman francophone du Maghreb

1. Jamel Eddine Bencheikh

La plupart des auteurs insistent sur la dimension humaine du Prophète et sur ses

qualités personnelles. À cet égard, ils sont en désaccord avec la représentation orthodoxe ou

fondamentaliste de Mouhammad, mais en accord avec la vision populaire du Messager de

Dieu. Parmi les récits marquant leur imaginaire, le plus populaire est l'histoire du Mi'râdj sur

lequel Jamel Eddine Bencheikh, l'un des chercheurs maghrébins les plus importants dans le

domaine de la littérature arabo-musulmane, a publié un livre regroupant en les synthétisant

par un texte unique les récits de l'Ascension du Prophète Mouhammad et en recréant la

geste de l’Ascension – réelle ou/et symbolique6 — du Prophète.

Dans ce projet incomparable, Jamel Eddine Bencheikh utilise plusieurs sources orales

et écrites en arabe, à savoir le texte soi-disant original d’Ibn 'Abbas7, le cousin du Prophète,

et en espagnol8, des versions latines et françaises de ce récit connu en Occident comme

Escala de Mahomet dans sa version espagnole, Il Libro della scalla di Maometto dans sa

traduction latine et Le Livre de l'Echelle de Mahomet dans sa version française. La synthèse

de Bencheikh consiste en une imbrication de 8 versions (6 arabes dont 5 imprimées, une

7ème traduite du turc vers le français et une traduction d'une version en latin en provençal

qui a en fait été traduite du Castillan constituant la 8ème version). Dans sa compilation

6 Le débat a été continuel à travers les siècles, dans la Tradition musulmane, sur la nature de cette Ascension, considérée par réelle par certains théologiens et symbolique par d’autres.7 En fait, le texte est attribué à Ibn Abbâss, mais celui-ci n’avait que trois ans à la date de parution du texte lié à son nom. Les recherches historiques ont donc remis en question sa paternité du texte en question, mais qui continue de lui être associé même dans ses publications actuelles dans le monde arabe.8 En fait, en Castillan.

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comparative, Bencheikh prend comme base la version du Livre de l'Echelle de Mahomet et la

complète avec les différents éléments trouvés dans la littérature arabe et les traditions

orales. Cette compilation est suivie par un essai exégétique intitulé « L'aventure de la

parole » dans lequel l'auteur explique la nécessité de son entreprise et justifie la légitimité

d'un imaginaire fantastique arabo-musulman qui doit contribuer au processus

d’«humanisation» ou de «sécularisation» de la révélation islamique. Bencheikh souligne que

dans le même temps qu'elle respecte scrupuleusement le message coranique, la littérature

du Mi'râdj humanise la révélation par le moment épique et unique de l'ascension de

Mouhammad :

“Car, en fait, Mi’râdj parcourt en sens inverse le chemin du tanzil, de la

révélation, et s’inscrit en lui. Ce faisant, il replace le monde vécu à sa vraie place,

dans une cosmogonie enfin totale. La conscience croyante s’élargit à la totalité

du destin en découvrant les mystères du tout. Comme la terre vis-à-vis de

l’univers, l’être vivant se relativise, se circonscrit à sa part réduite qui s’ordonne à

la justice de Dieu.

Dans le même temps, le Mi’râdj tient compte du caractère humain du

Prophète. Rappelons que si celui-ci a été idéalisé, il n’a pas été mythifié. Il n’est

pas intégré à un archétype. (…)

En somme, avec Mouhammed, c’est toute la terre qui s’installe au ciel.”

(Le Voyage nocturne de Mahomet, pp. 268-69)

Alors qu’une lecture fondamentaliste de la révélation coranique établit une séparation

structurelle entre la transcendance et le sujet musulman, la tradition arabo-musulmane

complétée par les versions occidentales et des adaptations de ce qu'on appelle la littérature

du Mi'râdj, que le projet de Jamel Eddine Bencheikh recrée, développe et défend contribue

ainsi au processus d'humanisation et de légitimation séculière de Mouhammad. En effet,

dans cette culturalisation et cette textualisation de l'imaginaire arabo-musulman, la figure de

Mouhammad est associée aux différentes figures du judaïsme et de la tradition chrétienne

telles que celles de Moïse et de Jésus-Christ, ainsi qu’aux mystiques et saints auxquels le

paradigme du Mi'râdj est lié. Mouhammad est rendu à la fois plus humain et plus proche de

l'imaginaire judéo-chrétien qui l’avait jusque-là caractérisé dans une large mesure en termes

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négatifs et, dans certains cas, comme l'Antéchrist, une vieille et continuelle tradition

européenne comme en témoigne le portrait célèbre mais repoussant du Prophète dans La

Divine comédie par exemple, qui est, en même temps, un chef-d'œuvre de la littérature

mondiale et l'un des textes les plus racistes et dégoûtants jamais écrits contre ceux que

Dante a en fait plagié9. Par ailleurs, plusieurs artistes célèbres (et non moins célèbres, de

Gustave Doré à Salvatore Dali) ont créé leurs propres illustrations de cette scène. Dans

chaque dessin ou peinture, Mouhammad est le seul à être représenté avec son torse ouvert

et comparé à un animal écorché. Je ne m'attarderai pas ici sur les représentations récentes

les plus controversées du Prophète de l'Islam.

Dans un sens, on peut penser que cette tradition et la façon dont elle est réévaluée

dans le texte de Bencheikh, mais aussi dans d'autres romans maghrébins, se constitue

comme une déconstruction des deux imaginaires musulman et occidental, ainsi que comme

une légitimation du Prophète Mouhammad dans des termes qui libèrent l'imaginaire du

sujet musulman et établissent la possibilité d'une relation humaine avec Dieu, dans une

perspective qui est aussi relativement habituelle pour la tradition chrétienne10.

2. Assia Djebar

Dans ce processus d'humanisation, il est important de noter que les écrivains font des

utilisations sélectives et établissent des relations personnelles avec la figure du Prophète

qu'ils ont tendance à prendre comme support de leur propre vision ou discours sur les

enjeux actuels de la société arabo-musulmane ou sur la relation problématique entre le

monde arabo-musulman et l'Occident. Ainsi, Assia Djebar dans Loin de Médine oppose-t-elle

le comportement de Mouhammad envers les femmes et sa parole sur elles au discours

patriarcal des hommes contemporains dans les sociétés arabo-musulmanes. Bien que le récit

ne soit pas centré sur le Prophète lui-même, sa figure est toujours en arrière-plan du récit et

les références qui lui sont faites traversent le texte comme un contrepoint à l'évocation du

sort des femmes dans la communauté préislamique de la péninsule arabe et dans la sphère

9 Les liens directs entre la tradition du M’irâdj, comme source, et la Divine comédie et leur dimension « intertextuelle » sont avérés. Voir le débat initié, à partir de 1919, par Don Miguel Asin Palacios dans Les Sources arabes de la Divine comédie et poursuivi par René Guénon et bien d’autres.10 Il est important de relever ici que l’intégrisme et le fanatisme religieux ne sont pas une spécialité de l’islamisme, mais qu’on les retrouve également dans la tradition judaïque et chrétienne auxquelles l’Islam est structurellement, textuellement et historiquement relié.

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de la dimension archaïque des sociétés et cultures arabo-musulmanes contemporaines. Ici,

dès le début, dans les premières pages, à travers la narration des moments immédiats

suivant la mort du Prophète et le fait que son corps ait été laissé de côté sans sépulture

pendant un temps significatif, tandis que ses compagnons s'affrontaient sur la question de sa

succession et de leur légitimité religieuse, sociale et politique respective, Assia Djebar

souligne qu'il y a une différence structurelle entre, d'une part, le Prophète en tant

qu’homme, modèle et symbole et, d'autre part, les autres musulmans, y compris certains de

ses compagnons et disciples immédiats, sur la question du pouvoir politique, qui se confond

avec la question du pouvoir patriarcal sur les femmes :

« Il est mort. Il n’est pas mort. Il a penché la tête, légèrement, sur le côté,

contre la gorge de Aïcha.

Quelque temps auparavant, il avait demandé quelqu’un — un scribe, un

fidèle, un confident — pour lui dicter ce qu’il désirait laisser aux croyants « de

peur qu’ils tombent dans l’erreur ». (…) » (Loin de Médine, p. 12)

Sur la base de références historiques, les stratégies intertextuelles impliquant une

relecture des Hadiths et des constructions fictionnelles, Djebar met en avant l'élément

progressiste de l'Islam originel et son traitement humain des femmes, sous la direction du

Prophète. Suite à cela, elle oppose la relation positive que Mouhammad avait les femmes à

l'interprétation fondamentaliste du Coran et aux lectures révisionnistes du message

libérateur de Mouhammad à travers sa parole et ses actes.

3. Driss Chraïbi

Cependant, c'est dans l'œuvre de Driss Chraïbi que la question de l'Islam et de

l’humanisation de la figure de Mouhammad deviennent centrales et sont le plus

systématiquement et profondément explorées. En effet, dès Le Passé simple, mais surtout à

partir de La Mère du printemps et Naissance à l'aube, Driss Chraïbi revisite son patrimoine

culturel dans le cadre d'une réévaluation de sa critique corrosive et révolutionnaire de la

société marocaine faite dans son premier roman. En effet, si dans Le Passé simple Chraïbi

dénonce les valeurs patriarcales de son pays, il ne les a jamais identifiées avec le message

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religieux de l'Islam. C'est à partir de ce point de vue que, dans ses écrits ultérieurs, il tend à

relier la réalité berbère de l'Afrique du Nord avec l'Islam. Ainsi, son discours se compose-t-il

d'une critique combinée de l'invasion arabe et de l'occupation du Maghreb, en même temps

qu’une défense de son héritage berbère, et une revendication apologétique du patrimoine

islamique. Chraïbi critique les envahisseurs arabes et dénonce leur domination impériale

ainsi que leur vision politique. Toutefois, ce faisant, il distingue les protagonistes arabes

historiques de la révélation coranique et de Mouhammad comme son véhicule ultime. Par

conséquent, dans son œuvre le Prophète Mouhammad apparaît comme une figure unique

et idéale s'élevant au-dessus, à la fois, des tyranniques envahisseurs arabes et des politiciens

corrompus qui leur sont associés. Ce processus d'idéalisation du Prophète est combiné à son

humanisation dans une entreprise composée d'une réfutation du dogmatisme orthodoxe

des successeurs de Mouhammad et d'un rejet de l’intégrisme qui lui a succédé et de

l’islamisme politique contemporain.

L'évolution ultime de l'entreprise de Chraïbi est la publication d’un des premiers

romans maghrébins francophones entièrement dédié au Prophète de l'Islam. En effet, avec

L'Homme du Livre, Driss Chraïbi écrit un texte qui vise à produire une représentation

renouvelée, existentiellement, spirituellement et littérairement, de Mouhammad.

Bien qu'il soit présenté comme un roman, ce texte suit effectivement très fidèlement

la biographie connue et la situation du Prophète sur la base du récit coranique et des

données historiques. À cet égard, le roman de Chraïbi n'apporte aucune information

historique nouvelle sur Mouhammad, car tel n’était pas son propos. Pourtant, il semble que

ce texte fut un projet essentiel du romancier car il constitue une tentative de décrire et de

comprendre, de l'intérieur, la vie et le destin du Prophète en tant qu'être humain. Cette

dimension est parfaitement illustrée dans la description de la relation de Mouhammad avec

sa femme, Khadija, qui est le premier témoin de sa vocation naissante et des défis qu’il

confronte jusqu’à l’effroi et le désespoir :

« — Tu es arrivé avant-hier, à ce que l’on m’a rapporté ? Qu’as-tu fait durant

ces deux journées ? Es-tu allé te reposer dans ta famille ?

— Non. J’ai médité dans une caverne, au mont Hira, près des faubourgs.

— Dans une caverne ! Pourquoi prends-tu plaisir à t’esseuler ?

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La non plus, je n’ai su que répondre. Je l’ai remerciée avec chaleur et je suis sorti,

songeur. A pas lents, j’ai regagné la grotte. Il arrivait au lion d’éprouver la

faiblesse du puceron. Il arrivait aussi à la nuit la plus noire d’être pénétrée

soudain par un rayon de lumière. Se pouvait-il qu’un homme qui ne fût ni

d’Orient ni d’Occident… Des linéaments vagues commençaient à se former dans

mon cerveau. Je me suis étendu à même le sol et je me suis endormi. »

(L’Homme du Livre, p. 61)

Bien que le récit soit apologétique et que le roman peut être considéré comme une

hagiographie, Chraïbi réussit à ne pas faire de Mouhammad une entité lointaine, une figure

inaccessible confondue avec une transcendance divine absolue et impénétrable — qu'une

lecture fondamentaliste du Coran tend à édifier —, mais un homme qui, en dépit d'une vie

et d’un destin extraordinaire, est marqué par la situation complexe et la quête de l'humanité

tout entière. Ainsi, l'entreprise de Chraïbi semble conforme à ce qui peut être décrit comme

le mouvement séculier, «réformiste» ou « révolutionnaire » de l'Islam, selon les désignations

des uns et des autres à des époques et dans des contextes différents, auquel les

intellectuels et les écrivains francophones du Maghreb les plus érudits, rigoureux et éclairés

semblent participer.

Tout au long de sa longue carrière littéraire, et en commençant par son iconoclaste Le

Passé Simple, Driss Chraïbi a opposé la parole et l'esprit de l'Islam à sa déformation et sa

corruption par les sociétés arabo-musulmanes et leurs pouvoirs politiques. Cette distinction

est rendue plus encore plus claire et est généralisée à d'autres religions dans les œuvres

ultérieures telles que Succession ouverte où l'on peut lire des passages tels que celui-ci :

« Tu ne tueras point! Et de l’autre côté de la mer, le Coran affirmant en toutes

lettres, en langue arabe claire et intelligible : Tuer un seul être humain, c’est tuer

tout le genre humain. Alors que signifient ces religions des lendemains qui

chantent ? Le Christ, on le crucifie tous les jours. Quant à l’islam, a-t-il jamais

existé ? » (Succession ouverte, p. 38)

Cette distinction est développée dans des romans tels que La Mère du printemps où

Chraïbi oppose la compassion et l'altruisme de l'Islam des origines, au cours de la vie de

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Mouhammad, à ses formes détournées juste après sa mort et dans le contexte

contemporain du monde arabo-musulman. Le romancier se réfère à l'époque où « ce qu’on

appelait la religion était amour du prochain, du faible, du pauvre, de l’orphelin — de

l’étranger. » (La Mère du printemps, p. 21) Par conséquent, il n'est pas surprenant que cette

perspective se transforme en une idéalisation de Mouhammad en opposition à la réalité de

l'islam tel qu'il est pratiqué par les communautés arabo-musulmanes dans différents

contextes historiques et sociopolitiques. Elle conduit à l'épopée subjective, sensible et

humaine du Prophète dans L'Homme du Livre, qui apparaît non seulement comme une

glorification, mais aussi comme un accompagnement personnel par Chraïbi de Mouhammad

dans sa quête et son vécu de la transcendance. Dans ce texte, présenté comme un roman,

mais factuellement fidèle à la biographie du Prophète et structuré à partir d'une perspective

intertextuelle, comprenant de nombreuses citations du Coran, des calligraphies coraniques

et des références aux Hadiths, Driss Chraïbi se concentre sur la première phase de la vie de

Mouhammad et, en particulier, sur les premiers jours précédant le début de la révélation

coranique.

Le livre est une évocation poétique qui se concentre sur la réalité existentielle de

Mouhammad avant qu'il ne devienne le Prophète de l'Islam. Cette évocation insiste sur la

pureté de l'homme et sur la grandeur de l'Orient avec ses valeurs de courage et de loyauté,

ainsi que son appréciation des plaisirs simples de la vie. Le désert et la nature en général

sont idéalisés comme une mesure de la sincérité et de la pureté incarnée dans le Prophète

lui-même. En fait, Chraïbi veut respecter strictement la figure historique du Prophète. Son

roman semble fonctionner essentiellement comme une exploration personnelle de la

situation de Mouhammad et comme une glorification du Prophète contre les turpitudes des

sociétés arabo-musulmanes actuelles, des politiciens et des sujets qui, selon l'auteur, bien

qu’ils se réclament de lui, ont détourné l'esprit originel de l'Islam. Ceci est particulièrement

remarquable dans ce passage qui décrit sa quête, une quête avec laquelle semble se

confondre celle de l’écrivain :

« L’homme enveloppé dans son manteau respira à plein poumons. Il frissonnait.

L’émotion était en lui et il la laissa monter, le submerger des orteils aux cheveux.

Ses pensées s’immobilisèrent soudain et il éprouva un sentiment de déception –

cette déception tranquille qui préside aux visions : car, à l’instant même où il

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atteignait aux vraies relations avec le monde, il se rendit compte qu’il ne

disposait que des mots qu’on lui avait appris depuis l’enfance, des mots arabes,

vieux, limités dans l’espace et dans le temps — alors que ce qu’il pressentait était

au-delà des mots. » (L’Homme du Livre, p. 20)

Littérature, religion et politique

L'appréhension de la figure du Prophète Mouhammad par les écrivains francophones

du Maghreb est multiple et varie d’un auteur à l’autre, même si le courant principal est

caractérisé par une approche personnelle et séculière plutôt qu’une approche strictement

religieuse, celle-ci n’étant cependant pas exclue par principe.

La plupart des sujets maghrébins francophones et, dans ce cas, les auteurs considérés,

sont confrontés très tôt dans leur enseignement «occidental» avec la représentation

dominante négative de l'islam et de la vision antipathique du Prophète par les penseurs et le

public européens et occidentaux en général. L'hostilité exprimée contre l'Islam en général et

le Prophète comme l'expression paradigmatique de cette religion va à l'encontre de leur

appréciation naturelle de la religion de leur communauté et la culture. Elle va également

contre la profonde admiration qu'ils ressentent pour Mouhammad, même si ces auteurs ne

sont pas des musulmans pratiquants eux-mêmes, comme c’est souvent le cas. Dans cette

mesure, ils se retrouvent avec un certain nombre d'options discursives ou des perspectives

idéologiques qui varient d'un auteur à l'autre. Ces options et ces perspectives peuvent

changer au fil du temps, même dans le cas d'un auteur particulier. Mais, fondamentalement,

ces tentatives timides mais courageuses visent à prendre le texte des mains d'une

conception puriste de la divinité qui entraîne un fascisme politique, comme nous le voyons

dans le discours religieux des intégristes et l’idéologie islamiste, pour ramener ses lecteurs à

ses sources intérieures et humaines. Cette opération commence par un retour au texte lui-

même dans un processus similaire à ce que le monde occidental a fait avec la Bible dans le

cadre de la philosophie des Lumières et selon une démarche qui a permis la naissance de

notre modernité fondée sur les principes de sujet humain, de liberté de conscience et de

démocratie politique. Comme le souligne Youssef Seddik dans son Nous n’avons jamais lu le

Coran, il est temps de revenir au texte lui-même et à l'humanité et l'humanisme de son

Messager.

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La relation structurelle et contradictoire entre le texte coranique et la tradition

poétique et la culture préislamiques est une illustration du lien problématique entre la

religion et la littérature telle que définie dans le sens moderne du terme, c'est-à -dire un

contexte fondamentalement séculier où le texte humain (Barthes, Foucault, Lacan) a

remplacé la Parole divine. D'une part, une analyse textuelle des textes sacrés du genre

entreprise par Spinoza et d'autres philosophes, historiens et linguistes occidentaux de la

Bible indique que le texte islamique est structurellement liée à la culture et au contexte de

son émergence (Mohamed Arkoun, Jacques Berque, Maxime Rodinson, Youssef Seddik), au

patrimoine littéraire de la péninsule arabique ainsi qu’au patrimoine culturel de l'Orient11 en

général. D'autre part, la répudiation de la littérature, non seulement par le Coran, mais aussi

par les discours religieux et idéologique résultant de l'évolution historique de l'Islam dans

différents contextes sociaux et politiques, est illustrative de la relation complexe entre la

religion et le pouvoir politique. Toutefois, comme indiqué récemment dans le cas de la

réaction aux représentations en Occident du Prophète Mouhammad, de l'Islam et des

musulmans en général et les contre-représentations par des écrivains et intellectuels

francophones du Maghreb, à l'extérieur et à l'intérieur de cet Occident, même quand le

sacré est contextualisé et la foi considérée dans une perspective séculière, la religion et les

représentations religieuses restent une dimension inhérente du patrimoine culturel de

l'humanité. À cet égard, la religion et la littérature n’obéissent pas à un système d'opposition

binaire ou à un principe intrinsèque d'exclusion, mais font partie d'un processus dynamique

et enrichissant où les deux termes informent la quête humaine dans ses formes et

expressions multidimensionnelles. Cette exigence et la recherche de cet équilibre entre

individu et société, sacré et profane, sujet et transcendance, citoyen et pouvoir politique se

retrouvent, simultanément, dans la geste du Prophète Mouhammad. Elles se retrouvent

également dans le champ socioculturel et politique, ainsi que dans la revendication de la

11 Tant la civilisation judéo-chrétienne que la civilisation musulmane sont directement et immensément tributaires de la civilisation sumérienne à laquelle elles doivent, non seulement une partie significative de leurs mythes et textes (autant dans la Bible que dans le Coran), mais aussi une partie importante de leur cosmogonie et de leurs traditions culturelles, religieuses et juridiques. Il est symptomatique, mais pas étonnant, que le monolithisme qui les caractérise aboutit à leur négation de leur dette vis-à-vis de la plus ancienne civilisation de l’humanité historique. A ce sujet, voir toute l’œuvre salvatrice de Jean Bottéro, et en particulier La Plus vieille religion. En Mésopotamie (Paris, Gallimard, 1998) et Babylone et la Bible (Paris, Hachette, 1994). Voir aussi, malgré la perspective politique complexe et parfois problématique de son auteur, Mondher Sfar, Le Coran, la Bible et l’Orient ancien, Paris, Mondher Sfar, 2ème édition, 1998.

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liberté des individus et des peuples dans le cadre d’un mouvement comme celui du

« Printemps arabe » qui marque un moment décisif pour le sujet et les sociétés arabo-

musulmans.

Références principales :

Jamel Eddine Bencheikh, Le Voyage nocturne de Mahomet, Paris, Imprimerie Nationale, 2002.

Fernand Braudel, Écrits sur l’histoire, Paris, Éditions Flammarion, 1985.

Driss Chraïbi, L’Homme du Livre, Paris, Balland-Eddif, 1984 – 1995.

---. La Mère du printemps, Paris, Le Seuil, 1982.

---. Succession ouverte, Paris, Gallimard, 1979.

Le Coran. Traduction de Jacques Berque. Paris, Editions Sindbab, 1990.

Assia Djebar, Loin de Médine, Albin Michel, 1991 – Livre de poche, 2005.

Israel Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée: les nouvelles révélations de

l’archéologie, Paris, Gallimard, 2004.

Hafid Gafaïti, « Between God and the President: Literature and Censorship in North Africa » in Diacritics

Volume 27.2, 1997, pp. 59-84.

Abdelkébir Khatibi, Maghreb Pluriel, Paris, Denoël, 1983.

---. Amour bilingue, Paris, Fata Morgana, 1983.

Annemarie Schimmel, And Muhammad is His Messenger: The Veneration of the Prophet in

Islamic Piety, The University of North Carolina Press, 1985.

Hafid Gafaïti

Texas Tech University

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