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Enjeux et politiques de jeunesse en Europe
Patricia Loncle
EHESP
2009
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Plan de l’intervention
• Introduction : Définitions de la jeunesse
• Enjeux d’intégration sociale et politique
• Symboles et mises à l’agenda
• Questions de jeunesse et mises en œuvre
• Tentatives en matière de participation des jeunes
• Conclusion
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Introduction
Une possible définition de la jeunesse?
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La jeunesse n’est-elle qu’un mot? (Bourdieu 1978)
• Un concept évolutif, chargé de valeurs– Reflet des préoccupations
• Morales• Politiques• Sociales
– Des sociétés contemporaines
• Et pourtant la jeunesse rend bavard (Mauger, 1986)– De nombreux débats académiques – Des concepts clefs
• Quelques exemples ici
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Nature ou culture?
• Rites de passage– Sociétés traditionnelles
• Adolescence ponctuée par des rites basés sur le développement biologique
• Des transitions sans heurts
• Allongement de la jeunesse– Sociétés modernes
• Civilisation = allongement de la jeunesse = des jeunesse problématiques = des menaces pour la civilisation
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Génération ou socialisation ?
• Théorie des générations– Des moments qui structurent des identités
générationnelles fortes • Crises, guerres, catastrophes naturelles
• Théorie de la socialisation– Des jeunes avant tout marqués par la culture de la
société dans laquelle ils sont nés– Des jeunes devant se conformer– Mais à quel modèle?
• Une théorie développée dans le contexte des normes de la classe moyenne blanche américaine
• Quid des autres jeunes?
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Culture ou sous-culture?
• La jeunesse comme culture– Groupe de pairs– Emergence d’une culture propre avec ses buts et valeurs
spécifiques– Une culture de l’irresponsabilité ou une contre-culture?
• Conflit et conformité– Comment comprendre la contre-culture?
• Un conflit de générations?• Une révolte des non opprimés?
– Des valeurs très articulées à celles des autres générations • Envie d’apprendre, de prendre des responsabilités, de s’insérer…
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• Les études sur la sous-culture– Culture
• Des croyances et des comportements socialement acquis ou appris
• Source d’identité, d’appartenance, de légitimité, de contrôle social
– Sous-culture• Existe par opposition à ce système de normes• Avec des liens et des oppositions• Délinquance comme une forme de sous-culture
permettant d’offrir une solution identitaire aux jeunes des classes populaires
• Des réponses aux politiques d’éducation? • Des formes d’anti-intellectualisme?
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• Genre et pluralisme– Années 80, études sociologiques féministes– La sous-culture comme culture de rue
• Une analyse basée sur les stéréotypes masculins • Subordonnant les femmes à des rôles secondaires
de satisfaction des besoins sexuels et statutaires des mâles
– Culture de la « chambre à coucher » comme structurante des amitiés et l’identité féminines
• Des études qui déstabilisent les études en terme de classe sociale ou de culture dominante
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La jeunesse et la post-modernité
• Transitions marquées par– Une extension du temps de la jeunesse– Des transitions plus complexes et aléatoires
• L’âge comme marqueur devient moins important• D’une phase de la vie à un cycle de vie
– Une déconnexion des seuils d’accès à l’âge adulte
– Des inégalités sociales persistantes qui pèsent fortement sur les trajectoires
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• La réflexivité comme notion phare– Contexte d’individualisation des trajectoires– Nécessité pour les jeunes d’être acteurs de leur
propre vie– Dépend de
• Leur degré de rationalité• Leur accès à des ressources personnelles et externes
– Des risques toujours présents• Chômage• Grossesses précoces
– Mais pour lesquels les jeunes ne sont pas tous égaux• Les jeunes des classes moyennes ont des filets de sécurité• Des concepts comme celui • « d’agent limité » ou celui de « stratégies bricolées »• témoignent des limitations à l’existence du jeune comme
agent
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Première partie :
Les enjeux d’intégration sociale et politique de la jeunesse en
Europe
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De nombreuses questions d’intégration sociale
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Vieillissement de la population européenne
• Double tendance – Allongement de la durée de la vie– Diminution des naissances
• Conséquences – Organisation de la protection sociale– Partage du marché du travail, du logement, des lieux
de décision…
• Des solidarités intrafamiliales fortes • Des solidarités collectives en diminution
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Quelles définitions de cette catégorie d’intervention publique?
Système Etat providence
Pays Jeunesse Chômage des jeunes
Politiques publiques
UniverselSuèdeDk
Développement personnel
Pas prévuEducation et apprentissage
Centré sur l’emploi
AllPBFrance
Conformation aux positions sociales
Déficit des qualifications et déficit individuel
Formation professionnelle
Libéral UKIndépendance économique
Déficit individuel
Employabilité
Sous-protecteur
ItalieEsp
Pas de statut clairement défini
Marché du travail segmentéPas de trajectoires formelles
Réformes globales
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Citoyenneté sociale
• Définition– Une formation sociale non exclusive garantissant des
droits et des ressources à tous
• Du fait des différentes conceptions • Questions pour comprendre l’accès à la
citoyenneté sociale des jeunes– Des droits individuels ou familiaux?– Des dispositifs structurés par l’âge ou non? – Quelle situation des jeunes en rupture familiale ou des
jeunes issus de familles pauvres?– Quand l’âge adulte commence-t-il du point de vue de la
citoyenneté sociale?
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Des trajectoires difficiles d’accès à l’emploi
• Freins structurels– Inégalités sociales– Institutions éducatives et de formation– Structures du marché du travail– Appartenir à une minorité ethnique ou être migrant– Genre– Disparités régionales/locales– Durée du chômage– Relever du groupe statut 0– Cumuler les difficultés
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Sorties du système scolaire et chômage des jeunes en 2004 (Walther et Pohl, 2006)
0
5
10
15
20
25
30
35
40
45
EU-25 Dk AT SI PT BG UK RO I GR ES FI SK PL Fr
sans diplômes chômage des jeunes taux de chômage des jeunes
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Chômage de longue durée des jeunes (> 1 an) pour les jeunes de moins de 25 ans en 2000 et 2004 (Walther et Pohl, 2006)
0
10
20
30
40
50
60
Dk FI AT UK GR ES IT PT SK PL SI BG RO Fr
2000
2004
20
Des questions d’intégration politique
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Défiance à l’égard du politique
• Caractéristiques– Un abstentionnisme croissant mais différent selon les pays
– Scepticisme quant à la possibilité d’agir sur le débat politique
– Méfiance vis-à-vis des responsables politiques
– Votes aux extrêmes
– Moins un devoir qu’une adaptation aux enjeux du moment• Présidentielles plus que les régionales ou les européennes
• Ex du vote anti le Pen lors de la présidentielle de 2002
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Taux de participation aux élections nationales dans huit pays européens (Bréchon, 2005)
010
2030
405060
7080
90100
Austriche Estonie Finlande France Allemagne Italie Slovaquie GB
taux de participation
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Abstentions Blancs et Nuls
Extrême gauche (% exprimés)
Gauche plurielle (% exprimés)
Droite (% exprimés)
Extrême droite (% exprimés)
Âge :
18-25 ans 34 14 35 34 17
25-30 ans 32 14 39 30 18
> 30 ans 29 10 31 39 20
Niveau d’études
18-30 ans > bac
32 14 40 33 13
18-30 ans < bac
39 14 29 29 29
Ens. 18-30 ans
34 14 37 32 18
Total (n = 4017)
30 10 32 38 20
Votes au premier tour de l’élection présidentielle selon l’âge et le niveau d’études (%) (Muxel, 2002)
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Comportements politiques et socialisation
• Tendances communes– Les jeunes ayant des difficultés sociales sont les plus
éloignés du politique– Les jeunes les plus éduqués sont les plus impliqués– Les jeunes hommes votent plus que les jeunes
femmes– Plus les jeunes vieillissent, plus ils votent– Modes de socialisation les plus importants
• La famille• Les amis• Internet et la radio
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Deuxième partie
Symboles et mises à l’agenda
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La jeunesse, une catégorie
d’intervention publique symbolique?
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La jeunesse ressource
• Rapports métonymiques– Discours politiques supposent que la jeunesse
incarne le pays, le territoire dont on parle• « La jeunesse, le devoir d’avenir »• « La jeunesse de France, comme la France elle-
même… »
• Mécanismes d’imputation– Des jeux d’équivalences naturalisées à l’effet
symbolique puissant– Jeunesse = dynamisme = ressource =
adaptabilité = légitimité
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La jeunesse au bénéfice des acteurs publics
• Une catégorie d’intervention symbolique– Basée sur les discours et peu de techniques,
de réglementations– Singularités
• Faible sectorisation– Explications historiques et institutionnelles
• Des médiateurs peu institutionnalisés– Peu d’espaces de cogestion (à l’exception des instances
européennes)– Un corps professionnel peu structuré
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Foisonnement des mises à l’agenda
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Des territoires plus mobilisés
• Des politiques de jeunesse plus systématiques• Dans les communes et les départements • Mais aussi les régions, les communautés de communes ou
pays
– Des mandats électoraux plus fréquents depuis 1995 – Des mécanismes de territorialisation plus poussés
• Mais– Des budgets peu importants– De la dispersion – Une faible visibilité
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La part de l’Europe
• Une institutionnalisation plus systématique depuis le début des années 1980
• Un rapprochement entre Conseil de l’Europe et Commission européenne– Youth partnership
– European knowledge center on youth
• Définition de l’intervention qui tend à croître– Mobilité, citoyenneté dans les années 60
– Aujourd’hui : politique « intégrée » de jeunesse
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Domaines d’intervention P
oliti
que
inté
grée
de
jeun
esse
Coopération et coordinationStructures interministérielles
Initiatives politiquesProjets conjoints
Jeunesse Éducation Emploi Santé
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Troisième partie
Questions de jeunesse et mises en œuvre
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Déplacements des formulations des problèmes publics
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Les questions sociales au risque de
l’insertion et de la répression • Pressions sur le système d’Etat-providence
– Des politiques optionnelles– Des logiques d’assistance (FAJ)– Pour les jeunes, un phénomène de familialisation
• Depuis trois décennies– Accent sur
• L’insertion professionnelle des jeunes– Sur un mode individualisé avec des logiques de
contreparties accentuées
• La répression– Loi de mars 2007– Réémergence des classes dangereuses autour de la
question des banlieues
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La santé des jeunes : une valeur à protéger
• Un mouvement de sanitarisation du social– Culture de la crise sanitaire– Prise de conscience des inégalités sociales de santé
• Une prise en charge accentuée des jeunes– Population plus légitime et plus captive– Population plus exposée?
• Un évitement de la prise en charge sociale– Plus coûteuse et plus difficile à évaluer– Ex : les pratiques festives des jeunes rennais
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Les impacts pour la mise en oeuvre
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Des politiques contractuelles plus nombreuses
• Omniprésence des pratiques partenariales et
des financements multiples
– Quel leadership?
– Quelle harmonisation des objectifs?
– Quels processus d’intercession ?• Ex des Missions locales pour l’emploi des jeunes
– Quelle efficacité possible dans un contexte de
baisse constante des financements, notamment
étatiques?
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Des professionnels en butte au changement
• Des animateurs socioculturels fragilisés – Précarité de l’emploi
• 120 000 personnes exerçant dans des secteurs très divers• Temps partiel, CDD, financements aléatoires• Qualifications peu reconnues et mouvantes
• Emergence de nouvelles professions– Animateurs de prévention, animateurs de santé
• Des définitions floues• Mais les jeunes comme public cible principal
• Polyphonie– Peu propice à la construction de cohérence des
politiques de jeunesse
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Des inégalités territoriales préoccupantes
• Ex du Fonds d’aide aux jeunes• Etude menée dans 6 départements français• Disparités multiples
– Budgets accordés non proportionnels au nombre de jeunes dans le territoires
– Critères d’attribution très variables • D’un département à l’autre
• D’une CLA à l’autre
– Développement ou non d’actions collectives
– Une action isolée ou un élément de construction d’une politique de jeunesse?
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Quatrième partie
Tentatives en matière de participation des jeunes
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Les jeunes qui participent
• Des modalités qui privilégient• Les jeunes organisés• Les jeunes déjà mobilisés• Les jeunes dotés d’un bon capital scolaire
• Raisons de l’absence des jeunes exclus– Scepticisme ou indifférence des jeunes
• Pas leur préoccupation première si besoins vitaux non satisfaits
• Problème de rapport au temps• Peu convaincus de leur capacité à influer sur le système
– Peur des responsables publics
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Les principales formes de participation des jeunes en Europe
• Tendance à privilégier– Les formes les plus formelles de participation
• Conseils de jeunes• Forums locaux• Pratiques d’information
• Peu de réflexion sur– La technique de participation– Les budgets accordés– Les domaines de consultation – Les garanties de prise en considération des
recommandations des jeunes dans le processus de décision
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Les différents degrés d’implication (santé primaire)
1. Manipulation
2. Thérapie
3. Information
4. Consultation
5. Apaisement
6. Partenariat
7. Délégation de pouvoir
8. Contrôle par les citoyens
Non participation
Recours formels
Degrés de pouvoir accordés aux citoyens
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Des formes de participation en contexteVilles Valeurs
d’interventionLégitimation Contexte Avis des
professionnelsAvis des jeunes
Rennes Socioculturel
Prévention de la délinquance
Tradition d’intervention longue
Faire entrer les jeunes sur l’espace public
Lutter contre la violence
Intervention communale
Mission jeunes et cité
Porté par l’élue jeunesse et le maire
Réticence responsables de structures traditionnelles
Soutien professionnels de terrain
Rapide désengagement
Sentiment de servir de faire valoir et de faible représentativité
Metz Prévention de la délinquance
Répression
Pas de tradition d’intervention
Lutter contre la violence et la toxicomanie
Prendre en compte la parole des jeunes
Un quartier
Pas de service jeunesse
Soutien de l’élu à la ville
Attentisme responsables traditionnels
Approbation professionnels de terrain
Mobilisations associatives fortes
Adhésion à un projet qui apparaît comme une opportunité
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Les décalages dans les attentes des
institutions et des jeunes
Exemple de Rennes métropole
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Les initiatives des communes et des associations
• Trois types de politiques de jeunesse– Socioculturelle (les plus petites communes de l’échantillon)– En refondation– Politique « intégrée » (les plus grandes)
• Mobilisations associatives de jeunes– Volonté de proposer de nouvelles pratiques culturelles
• Presse, théâtre, arts de la rue, radio
• Un certain élitisme
– Une réflexion approfondie sur la pratique associative• Recherche d’ancrage démocratique
• Pratiques plus horizontales
– Remise en cause de la société de consommation
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Inquiétude des uns, méfiance des autres
• Des élus inquiets et perplexes– Méconnaissance des attentes des jeunes– Sentiment de ne pas savoir les atteindre– Peur vis à vis des trajectoires incertaines
• Des jeunes méfiants – Volonté de ne recourir qu’occasionnellement aux
fonds publics – Recherche d’autofinancement– Jaloux de leur liberté de parole– Reconnaissance néanmoins la bonne volonté des
élus locaux à leur égard
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Des rencontres improbables?
• Trois facteurs de difficultés– L’âge des jeunes concernés par les iniatives des élus
• Très difficile d’atteindre les plus de 16 ans• Des associations peuplées essentiellement de jeunes adultes (voire
plus)
– Le rapport au temps• Des élus ancrés dans la continuité
– Ouverture des équipements– Partenariats construits
• Des jeunes vivant des temporalités saccadées
– Attentes sociales• Des élus qui affirment l’importance de la jeunesse pour leur territoire• Des jeunes qui cherchent des alternatives à la société dominante et
proposent des modèles alternatifs
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Conclusion
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Principaux enseignements
• La jeunesse apparaît comme une catégorie d’intervention publique symbolique– Bonne chose
• Des mobilisations plus systématiques
– Mauvaise chose• Peu de lisibilité, peu d’investissement réel• Des formulations qui évoluent vers plus de dénonciation
• Des interventions peu ambitieuses– Face aux défis multiples et structurels qui affectent la
jeunesse– Dans les domaines social et politique
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Quelle utopie possible? • Un réengagement de l’Etat, un engagement de
l’ensemble des acteurs publics – À tout le moins en terme de
• Formulation des objectifs généraux des politiques de jeunesse• Régulation des écarts de mise en œuvre territoriale• Un travail d’intercession entre les échelons territoriaux
• Des valeurs plus propices – Vision positive des jeunes– Considération pour les cultures juvéniles– Confiance et délégation de pouvoir
• Y compris pour les plus désavantagés– Les jeunes en rupture familiale, – Les jeunes issus de l’immigration – Les jeunes des quartiers