Download - © Olivier Ouadah - SGDF · vivre la sobriété heureuse. ... Vers la sobriété heureuse, Actes Sud, avril 2010. À voir Au nom de la terre, film documentaire consacré à Pierre

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AZIMUT No 33 MAI 2013

“ Quand on revient de camp,on trouve son lit encore plus douilletqu’avant. Dire qu’avant on ne s’en

rendait même pas compte ! ”Charles, 8 ans

“ Le plus dur, c’est de se passerde la console et de l’ordinateur

pendant 3 semaines.Mais finalement on s’y fait ”

Nicolas, 16 ans

“ Chez les guides au moins, on nevient pas avec son dernier jeanà la mode. Trop risqué de toutes

façons ! On a tous la même chemiseet finalement, c’est plus simple ”

Ségolène, 13 ans

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La sobriété est un mot d’adulte pour dire ce qu’une jeannette ou même un farfadet sait déjà du haut de sacourte expérience : quand on campe, le confort n’est pas le même qu’à la maison. Mais quand on campe, lescopains avec qui on dort sous la tente, le couteau qu’on utilise pour la première fois dans bien des situations,la table à feux sur laquelle on fait bouillir la marmite, offrent des souvenirs simples mais inoubliables. Parceque, débarrassé du superflu, on se recentre sur l’essentiel : le bonheur de vivre une aventure ensemble.

Dossier coordonné par Emmanuelle Audras

Dossier educatif,

La sobriété,sans modération !

© Olivier Ouadah - SGDF

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Choisir une sobriété gourmande c’estchoisir résolument le plaisir d’être

ensemble, le bonheur de choisir sa vie, legoût du vrai, du frais, au détriment du«tout, tout de suite», des standards publi-citaires et des réflexes individualistes.Choisir la sobriété gourmande c’est fairele choix de moins de choses pour plusde relations, de moins «d’avoir» pour plus« d’être ».Pour nous qui aimons vivre aufond des bois, faire un tel choix, c’estchoisir le scoutisme, tout simplement !Depuis plus de cent ans, le camp scoutest un incroyable espace d’éducation àla sobriété. Qui a participé aux différentsservices de la vie de camp, sait que laquête de l’eau et du bois n’a pas sonpareil pour faire l’expérience des limitesdes ressources naturelles, pour ressentirle lien à la nature nourricière, et pour inter-roger son rapport à nos modes deconsommation… Le camp scout permet de réinventer unconfort, lui aussi sobre et gourmand !Sobre, parce que «décidément la terreest basse le soir à la veillée», parce que

Les mille saveurs de la sobriétéOn aspire tous à une vie bien pleine. Une vie qui nous permette de profiterde tout. Une vie sans limites. Manque de chance, l’époque est à la sobriété.Alors, qu’à cela ne tienne ! Contournons l’obstacle. Faisons le choix, en campscout, d’une sobriété gourmande. Pour ne rien lâcher d’une vie bien pleine,pour ne pas se priver de profiter de tout, pour repousser les limites.

«quand il pleut, bah on est mouillé !». Maisgourmand, parce que le rôti de porc àl’ananas, même un peu cramé, a la saveurde la vie d’équipe, parce que les cinq litresd’eau chaude de la douche solaire sontle luxe du retourd’explo. Ce confortsobre et gourmand ducamp scout révèle etélève l’esprit d’équipeet la fraternité, stimuleet provoque créativitéet débrouillardise, faitnaître et grandir le bon-heur et la joie de vivre,éveille l’humilité. Bref, il est en lui-mêmele premier éducateur. À condition quechefs et cheftaines permettent aux jeunesde le vivre puis d’en prendre la mesure etd’en dire le sens avec leurs mots. C’estainsi que le camp scout fait grandirchaque jeune, permet à chacun d’eux dese construire, de devenir artisan de sonpropre développement.Le camp fonde le succès de la méthodeéducative du scoutisme, lui faisant tra-

verser les âges en adaptant son intentionet ses messages à son époque : si laquestion sanitaire et l’hygiène corporelleétait centrale au début du XXe siècle, lasobriété – gourmande! – est certainement

le défi que nous devonsrelever aujourd’hui. En seréférant à saint Françoisd’Assise, le pape Françoiséclaire d’un jour nouveaule sujet, mettant en avantles exigences évangé-liques de simplicité et d’at-tention aux plus pauvres.De même, à travers le

Pacte civique, la société civile fait de lasobriété un des quatre impératifs pourrefonder la démocratie, affirmant qu’êtresobre, c’est «économiser les ressources,vivre de façon solidaire et distinguer l’es-sentiel du superflu.» Vive la sobriété gour-mande du camp scout !

Hubert Pénicaud,responsable de groupeND Mantes-en-Yvelines

AZIMUT No 33 MAI 2013

La sobriété -gourmande ! -

est le défi à releveraujourd’hui

par le scoutisme

© Olivier Ouadah - SGDF

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« Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour…»Demander à Dieu, recevoir de Lui le pain de chaque jour : la demande de Jésus dans laprière du Notre Père renvoie dans la Bible à l’épisode de la manne au désert. Libéré del’esclavage, le peuple d’Israël, conduit par Moïse, affronte la difficulté du désert. Le peupledoit choisir entre l’esclavage d’Égypte et ses rêves de marmites pleines de viande, ou saliberté nouvelle, avec pour seule nourriture la manne, un sobre pain au goût de miel qui vale nourrir au désert pendant 40 ans. La manne, c’est le nom que la Bible donne à une sobriétéconfiante, vécue jour après jour. Ce pain se ramasse chaque matin, sans pouvoir accumulerles réserves. Chacun reçoit ce qu’il lui faut, ni plus, ni moins, et pour aujourd’hui. C’estl’aliment symbole de la liberté. Dans nos sociétés d’hyperconsommation, de quelles dépen-dances faut-il encore nous libérer ? Faire confiance, au jour le jour, apprendre à vivreensemble selon une nouvelle sobriété : c’est l’expérience faite par le peuple d’Israël dansla Bible, nourri par la manne, sobre pain, donné par Dieu.

Père Henri Michardière,aumônier national Pionniers-Caravelles

En quoi la modération est-ellesource de liberté et de bonheur,selon vous?Je constate que nous vivons dans unpays matériellement prospère, et pour-tant en détresse, à en croire les consom-mations considérables d’anxiolytiques.Notre société dite moderne repose surl’idéologie du toujours plus, attisée parles stratégies publicitaires, qui créent uneinsatisfaction permanente. On possèdeune belle bagnole, mais on en veut uneautre. Or, l’avoir excessif est au détrimentde l’être. La sobriété aide à se débarras-ser du superflu, pour profiter de ce qu’ona déjà.

Comment ce message peut-ilêtre entendu, dans notre sociétédu « tout, tout de suite» etde la surconsommation?Les jeunes qui viennent travailler dansnotre ferme en Ardèche nous demandentsouvent pourquoi nous n’achetons pasune exploitation plus grande. Peu à peu,ils découvrent que tout en nous occupantde nos terres, nous nous offrons destemps conviviaux, qui nourrissent notre

c’est relier son destin à celui de la planète.Humus, humain, humilité, c’est la mêmeracine.

Quelles nouvelles formes de crois-sance la sobriété propose-t-elle? Chiffres à l’appui, les petites entrepriseslocales sont globalement plus rentableset créatrices d’emplois que les grosses.L’idée de décroissance passe par la finde la logique financière, en limitant nosprétentions et en consommant locale-ment et sainement. Je ne suis pas népour faire monter un produit national brut,je suis né pour m’exalter de la vie. Il esturgent de sortir de la surabondance pourvivre la sobriété heureuse.

Propos recueillis parElisabeth Audras

DANS LA BIBLE…

PAROLE DE CHERCHEUR

Dossier educatif,

“ La sobriété peut êtrefacteur de progrès”

La récolte de la manne, huile sur bois de chêne,de Dirk Bouts (1415 -1475), peintre néerlandaisde l’époque des primitifs flamands.

Pierre Rabhi, agriculteur, penseur et écrivain, est l’un des pionniers de l’agriculturebiologique en France. D’origine algérienne, il vit en Ardèche et il a fondé en 2006l’association Colibris, pour aider chacun à construire, à son échelle, de nouveauxmodèles de sociétés fondées sur l’autonomie, l’écologie et l’humanisme. Reconnuexpert international pour la sécurité alimentaire, il milite pour la sobriété commeprincipe de civilisation, dans un meilleur respect de la Terre et des êtres humains.

«La joie, il faut la cultiver»

intériorité, et qui les rendent heureux, euxaussi. La joie, nous l’avons potentielle-ment en nous, il faut la cultiver.

En quoi une société modérée, quis’appuie sur le bien-être plutôt quela recherche du profit à tout prix,est-elle porteuse d’avenir?La crise actuelle n’est pas qu’écono-mique, elle est humaine, profonde, etnécessite un élargissement des champsde conscience, parce qu’il n’y a pas deressources infinies sur une planète finie.L’agriculture biologique, qui limite l’épui-sement des ressources, est en phaseavec les réalités du monde d’aujourd’hui.Il y a un espace à donner à des valeursqui ne sont pas uniquement monétaires.

La notion de sobriété s’oppose-t-elle au progrès?Il faut définir ce qu’on entend par progrès.S’il s’agit de savoir s’émerveiller devantla beauté de notre Terre, cette magnifiqueoasis, et non de la voir comme un gise-ment de pétrole ou de gaz, alors lasobriété est facteur de progrès. Cultiversa terre, l’améliorer en utilisant l’humus,

À lireVers la sobriétéheureuse, Actes Sud,avril 2010.

À voirAu nom de la terre,film documentaireconsacré à PierreRabhi, en sallesdepuis le 27 mars.

© Patrick Lazic

© DR

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«Vivre la sobriété en camp,est-ce que ça veut dire partirsans téléphone portable?»

AU CŒUR DES MAÎTRISES

Adolescence et sobriété ne font pas spontanément bon ménage,alors que la sobriété fait partie intégrante du projet du scoutisme.Comment, en camp ou en week-end, apporter des réponsesadaptées aux tiraillements que cela peut provoquer ?

Dossier educatif,

Par Emmanuelle Audras

Vivre un camp de scoutisme, c’estd’abord vivre une expérience

extra-ordinaire, au premier sens dumot. Comme en 2013 vivre sans télé-phone portable relève de l’exception,on est tenté de dire que passer deuxou trois semaines sans téléphone, c’estextraordinaire ! Pour autant, le scout,la guide ne refuse pas de vivre avecson temps. S’il garde la tête dans lesétoiles, ses deux pieds restent bienancrés dans le monde d’aujourd’hui.Vivre un camp de scoutisme, c’est êtreinvité à sortir de ses habitudes, voirede ses automatismes, du quotidien.C’est choisir de mettre en premier larelation avec les autres, physiquementprésents. Réfléchir ensemble, maîtriseet jeunes, à la façon d’avoir tous —jeunes et maîtrise — un usage raisonnédu téléphone portable, pour permettreà la vie de camp d’avoir toute sa place,c’est se donner la possibilité de l’utiliserdans certaines circonstances ensachant que c’est plutôt l’exception.

© Eva Tisseyre - SGDF

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Ce que cherchent les adolescentsdans leurs expériences parfois

excessives, au-delà de rencontrer uncadre sécurisant, c’est de se sentirvivant. J’éprouve, donc je suis. Plusj’éprouve « fort », plus je suis vivant.L’amalgame est facile — et n’est pasréservé aux ados — entre « éprouverplus » et « faire ou avoir plus ». Toutl’enjeu, comme le dit le philosophePatrick Viveret, est de passer d’uneculture «de l’excitation à celle de l’inten-sité ». L’excitation, aussi forte soit-elle,est éphémère. Elle fait croire que le retour

«Les ados aiment l’excès. Les éduquerà la sobriété, n’est-ce pas les empêcherde vivre leur adolescence?»

à la « normale » est vide et triste.L’intensité au contraire s’inscrit dans ladurée et ouvre la porte à une paletted’expériences comme celle de l’effort,de l’attente, du silence, de l’enthou-siasme et de la joie. Vivre un Cap, uneaventure, un expériment, c’est offrir auxjeunes la possibilité d’inscrire leur actionà la fois dans la relation et dans la durée.C’est permettre de nouvelles expé-riences et le dépassement de soi. Et lafierté du résultat accompli ensemble, elle,elle rend vivant et elle reste.

© Eva Tisseyre - SGDF

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