Zibeline 69

80
un gratuit qui se lit N°69 du 11/12/13 au 14/01/14 Théâtre est politique Panser la Méditerranée Gardanne et les sciences

description

Toute l'actualité cullturelle décembre 2013/janvier 2014 en région Paca

Transcript of Zibeline 69

Page 1: Zibeline 69

un gratuit qui se lit

N°69 du 11/12/13 au 14/01/14

Théâtre est politique

Panser la Méditerranée

Gardanne et les sciences❄❄

Page 2: Zibeline 69
Page 3: Zibeline 69

Politique culturelleThéâtre et politique ...................................................5Entretien avec Roger Meï, maire de Gardanne .................6

Rencontres d’Averroès ............................ 8 à 10

ÉvénementsRencontres capitales ................................................ 11

Villa Méditerranée ............................................ 12

MuCEM ................................................................. 13

CritiquesDanse ............................................................. 14 à 16Théâtre et cirque .............................................. 18 à 31Musique .......................................................... 32 à 41

Au programmeThéâtre ........................................................... 42 à 44Danse ............................................................. 45 à 47Jeune public .................................................... 48 à 50Cirque Rue ............................................................. 51Musique ...........................................................52 à 54

Cinéma ..........................................................56 à 61

Arts visuelsPatrick Zachmann, Art Est Ouest ............................... 62Amina Menia, Guillaume Janot .................................. 63Villa Tamaris, Le Moulin, Franck Pourcel .................64, 65Au programme ...................................................65 à 67

Livres cd ...................................................... 68 à 72

RencontresValentine Goby, Grains de sel, Treize minutes ...............74Nancy Huston, Emmanuel Guibert ...............................75Rencontres MuCEM .............................................. 76, 77Conférence Try Angle, ANPU ......................................78

Mensuel gratuit paraissantle deuxième mercredi du moisÉdité à 32 000 exemplairesimprimés sur papier recyclé

Édité par Zibeline SARL76 avenue de la Panouse n°1113009 MarseilleDépôt légal : janvier 2008

Rédactrice en chefAgnès [email protected]

Imprimé par Rotimpress17181 Aiguaviva (Esp.)

PhotographeAgnès Mellon095 095 61 70photographe-agnesmellon.blogspot.com

Rédactrice en chef adjointeDominique Març[email protected] 23 00 65 42

Secrétaire de rédactionDelphine [email protected] 65 79 81 10

Arts VisuelsClaude [email protected] 25 54 42 22

LivresFred [email protected] 82 84 88 94

Musique et disquesJacques [email protected] 20 42 40 57

Thomas [email protected]

CinémaAnnie [email protected] 86 94 70 44

Élise [email protected]

PhilosophieRégis [email protected]

SciencesChristine [email protected]

PolyvolantesChris [email protected] 03 58 65 96

Maryvonne [email protected] 62 10 15 75

Gaëlle [email protected]

Marie-Jo Dhô[email protected]

Marie [email protected] 64 97 51 56

Alice [email protected] 26 26 38 86

Anne-Lyse [email protected]

MaquettistePhilippe [email protected] 19 62 03 61

Directrice de publicationDirectrice CommercialeVéronique [email protected] 63 70 64 18

La régieJean-Michel [email protected] 22 17 07 56

Collaborateurs réguliers :Frédéric Isoletta, Yves Bergé, Émilien Moreau, Christophe Floquet, Pierre-Alain Hoyet, Manon Cordier,Aude Fanlo, Dan Warzy

RetrouveZ Zibeline et vos invitations sur notre site

www.journalzibeline.fr

De meilleurs vœuxL’année capitale se termine, et l’heure des bilans va commencer. Pour l’instant l’industrie du tourisme se félicite de l’attracti-vité retrouvée du territoire, et les équipements nouveaux se dressent fièrement. Mais les acteurs culturels attendent avec angoisse leurs subventions de fonctionnement, en baisse : les collectivités se félicitent de consacrer au mieux à la culture un budget constant, alors qu’il faut faire fonctionner davantage de lieux ! Le Comptoir de la Victorine est en grand danger, nombre de festivals associatifs et de compagnies indépendantes ont mis la clé sous la porte, et hors du territoire de MP2013 on attend que la région soit irriguée plus équitablement. Partout les spectacles se raréfient et s’appauvrissent, et ceci malgré la hausse de la fréquentation des salles, et la nette démocratisation des pratiques. Les élections municipales approchant, chacun reste tapi, se targuant des succès mais n’osant annoncer les baisses. Et moins encore commenter les gabegies d’opérations comme la transhumance, désastre annoncé et perpétré…Une chose est sûre, cependant : un horizon s’est ouvert. Au dialogue, à la pensée, à l’échange artistique et intellectuel. La couleur méditerranéenne de la capitale, fondée sur le travail précédent des acteurs du territoire, a contaminé les esprits. La Provence s’est mise à regarder vers la mer, et les habitants vers la culture. Dans les entreprises, les quartiers, les écoles, dans les médias aussi, malgré les revers et les insatisfactions, le rapport à l’art a changé. Reste à espérer, puisque la période est aux vœux, que le vote xénophobe régresse. Et que notre conscience méditerranéenne tourne enfin les yeux vers la Syrie, massacrée depuis deux ans dans l’indifférence. Comment une culture méditerranéenne pourrait-elle occulter cela ? AGNÈS FRESCHEL

Et puisque l’heure des cadeaux et des vœux approche, pensez à contribuer à notre webradio sur Kisskissbankbank !

Page 4: Zibeline 69

4P OLITIQUE

CULTURELLE

L’exposition Sous Influences à Paris en février 2013 avait pour thème «les artistes et psychotropes». Nous allions voir ce qu’il en était de la conscience créatrice au maximum des résistances abolies… Résultat ? Politiquement nul, tout se concentrant sur le Moi, sur cette expression de l’Œdipe que critiquait tant Jung le disciple de Freud. L’art est devenu freudien, par suite de l’importance croissante de la psychanalyse chez les artistes, mais aussi parce que l’invitation de Jung n’est pas prise en compte : résoudre le nœud œdipien est un premier travail qui doit conduire à libérer notre esprit, pour qu’il rencontre ensuite les archétypes politiques et tragiques qu’il porte inévitablement en lui. Ce que l’on attend des hommes, et plus encore des artistes, c’est qu’ils soient dans la cité. Or il est assez rare que l’expression autocentrée réussisse à faire analogie avec les problèmes des sociétés humaines.

Comment parler à tous ?Essayons par un autre bout : pourquoi le théâtre n’est-il plus politique ? Il est souvent répondu que dès que la création artistique se veut didactique il n’y a plus art, mais pédagogie au mieux ou propagande au pire. Et jdanovisme1 dès lors que les financeurs pousseraient les artistes, par la contrainte ou (son envers) la subvention, à dépasser le Moi pour parler du monde.En fait il y a méprise sur le sens de politique. L’art est politique non quand il exalte le peuple ou pratique la simple dérision des puissants (les Rois ont toujours su intégrer les Fous comme des critiques internes salutaires), mais lorsqu’il subvertit l’ordre établi. Et pour cela il faut aussi créer pour le plus grand nombre : le travail universitaire et la recherche scientifique n’ont pas à se soucier d’être compris par tous. Mais ce n’est pas le cas de la création artistique, qui n’a pas à générali-ser les laboratoires. La plupart du temps elle ne s’adresse qu’à un public averti et sociologiquement déterminé, et ne fait que rarement l’effort de la lisibilité. N’y-a-t-il le choix qu’entre des spectacles de recherche, inaccessibles à 99% des gens, ou des comédies stupides ? Qu’entre les éternels musées ressassant leur répertoire opératique ou dramatique, qui ne subvertissent pas mais rassurent ou au mieux émeuvent, et la danse qui a renoncé au mouvement, le théâtre au dialogisme des textes, l’art de rue à l’agit-prop ? Politique est le théâtre qui n’oublie pas qu’il est spectacle, confrontation de voix divergentes, et pas seulement mise en espace. Politique est le théâtre qui sait tapager et subvertir dans des décalages

grotesques et drôles. On a vite oublié ce sens de la distanciation brechtienne…Politique est aussi la représentation des rapports femmes hommes au théâtre : on revoit à tout bout de champ surgir le travestissement shakespearien, alors que la subversion serait aujourd’hui que des comédiennes jouent des hommes. Le répertoire ne contient que peu de rôles de femmes ? Qu’à cela ne tienne, elles peuvent jouer Hamlet : comme tout le monde les femmes ne s’identifient pas à Ophélie, mais au protagoniste. Sans parler des textes contemporains qui reproduisent les rôles domestiques des femmes pour satisfaire un public qui y trouve des justifications au maintien de la domination masculine. Politique est aussi un spectacle qui surprend et fait bouger les lignes, ce Germinal (voir p 20) qui a fait dire à des lycéens marseillais : «J’ai trop kiffé franchement c’est tarpin bien le théâtre !» Rousseau l’affirmait : si l’homme est sorti de l’état de nature où il était libre et heureux pour entrer dans l’état social, c’est pour y être encore plus libre et plus heureux ; sinon ça ne vaut pas la peine. Alors si on s’arrache de la léthargie de l’habitude pour aller au théâtre, c’est pour s’y divertir plus que devant la télé ou Internet ; sinon autant rester chez soi.

Subventionner la subversionEnfin, la période que nous vivons est grave, jamais le capitalisme n’a été aussi violent, jamais il n’a autant menacé la planète et la survie d’humains. N’est-ce pas la trame à venir pour de multiples tragédies à écrire, celles de femmes et d’hommes luttant, reprenant en main leur destin, proposant des formes de vie nouvelles ? Il s’agit aujourd’hui de se demander si l’art subventionné français, qui a su un long temps faire surgir sa propre subversion, est encore en état de le faire. Si les théâtres pris dans des cadres de gestion rigides, soumis à des pressions en termes d’esthétiques défendues par des modélisations inconscientes de l’état et de collectivités, répondent aux attentes de la classe dominante, ou sont encore capables de générer de la contestation. Car tout ce qui n’est pas politique dans la culture reproduit l’idéologie dominante ; ne pas faire de politique lorsqu’on est artiste signifie accepter le système et s’y fondre, qu’on le veuille ou non.RÉGIS VLACHOS Et AGNÈS FRESCHEL

1 Andreï Jdanov, qui dictait la politique culturelle sous Staline, responsable de l’écrasement des artistes et de l’exaltation du réalisme soviétique

Entre Freud et JungThéâtre et politique :

l’artiste entre son monde et le monde

Page 5: Zibeline 69

saison

Vendredi 10

Peau d’âneCie des Trois Hangars

Samedi 18

Grand HôtelCie Grenade

Samedi 1er

ViVa Opéra ! Agence Artistik

Vendredi 7

Pierre et le loupAzur Symphonic Orchestra

Samedi 8

Opéra Molotov Duo Heiting-Soucasse

Vendredi 21

L’étudiante et M. HenriPascal Legros productions

Mardi 11

Le Bourgeois GentilhommeCie Philippe Car

Vendredi 21

TryoVendredi 28

Magic DustCie azHar

Vendredi 11

Le p’tit ciné concert 2Philharmonique de la Roquette

Samedi 3

Kev Adams

Réservations espacenova-velaux.com ou au 04 42 87 75 00 Espace NoVa Velaux – 997 avenue Jean Moulin – 13880 Velaux

Con

cept

ion

grap

hiqu

e : A

man

dine

Com

te

Page 6: Zibeline 69

André Brahic ou Henri Atlan déploraient lors des Rencontres capitales l’inculture scientifique des politiques (et du public), cause d’un effet Panurge dans les orientations de la société et véritable frein à l’innovation. Roger Meï témoigne que la réalité est probablement beaucoup plus nuancée ; maire de Gardanne depuis 1977, il engage aujourd’hui sa ville et son territoire dans une transition vers le statut de ville–science à l’instar des villes-lecture.

Zibeline : Pourquoi cet engagement pour la culture scientifique, technique et industrielle (CSTI) ?Roger Meï : Peut-être parce que ma forma-tion initiale (math sup) m’a naturellement conduit à penser la science comme un bien commun nécessaire à l’émancipation des sociétés. Et surtout grâce à l’opportunité créée il y a 10 ans par l’ouverture du Centre de Microélectronique de Provence de l’École des Mines de Saint-Etienne, aujourd’hui Site Georges Charpak (SGC). De nombreux projets collaboratifs avec le SGC ont vu le jour (Zib 65 «De lumière et d’eau», ndlr) comme la Fête de la science, ou les dispositifs ingénieurs

solidaires en action qui engagent les étudiants dans des projets sur le territoire favorisant les échanges entre la communauté scientifique et le public (scolaires, administrés…).

Vous évoquez la réhabilitation du site du puits Morandat1 avec le projet d’installation d’un centre de sciences ; pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet ?Il s’élabore avec l’appui du SGC en partenariat direct avec la Rotonde, CCSTI du pays de Loire adossé à l’École des Mines de Saint-Etienne, notamment avec le projet La Mètis, qui vient d’obtenir des fonds ANRU. Le volet Gardanne - Pays d’Aix comprend la création à la rentrée 2014 d’ateliers de pratique multimédia à vocation scientifique et artistique (Créalab) où chercheurs, ingénieurs et artistes accom-pagneront la production de petites formes de médiation par des habitants. L’étude de faisabilité s’achève et le projet est soumis pour un financement dans le cadre du futur contrat de plan État-Région.

Comment les Gardannais perçoivent-ils l’en-gagement de la ville pour la diffusion de la culture scientifique ?Cet engagement s’inscrit dans un effort global, éducatif. D’abord, Gardanne compte depuis peu un Centre de Ressources Départemental en Sciences, dont la mission est de coordonner des projets d’écoles qui stimulent l’apprentissage par une méthode d’investigation, également

le siège d’un Centre La Main à la Pâte.Ensuite notre ville, riche d’une longue histoire industrielle, est marquée par l’empreinte énergétique et nous développons une politique de développement durable globale à cet égard en espérant produire, et c’est exceptionnel, au moins autant d’énergie que les habitants en consomment, en produisant un minimum de gaz à effet de serre. L’exploitation du biogaz issu des lixiviats (liquide résiduel engendré par la percolation de l’eau et des liquides à travers une zone de stockage de déchets, ndlr) du centre d’enfouissement des déchets de Malespine produit déjà l’équivalent de la consommation de 2500 habitants. Gardanne voit s’implanter aujourd’hui, sur le terril des Sauvaires, le deuxième parc photovoltaïque des Bouches-du-Rhône qui sera inauguré le 25 janvier 2014 et produira l’équivalent de la consommation électrique de 4600 habi-tants. De plus, nous souhaitons exploiter par géothermie les 30 millions de mètres cubes d’eau à 24-25 degrés qui sont sous nos pieds (eau d’ennoyage de la mine). Enfin, tout au long de l’année 2013, Capitale européenne de la culture, nous avons proposé un riche programme d’événements de Culture scientifique, contribuant à inscrire les sciences et les technologies dans le paysage culturel des habitants du territoire !

À propos de développement durable, le projet du groupe allemand E.ON (conversion de la centrale au charbon en centrale électrique à biomasse) semble faire débat : n’était-ce pas une vrai-fausse bonne idée écologique ?Le projet d’E.ON est vital pour la ville et la région car il permet de sauvegarder les emplois et de garantir la production électrique dans une région en déficit énergétique ; certes il réclame une filière bois-énergie qui commence à peine à se constituer dans le Sud-Est, mais je ne suis pas inquiet sur la capacité de mobiliser des ressources locales ou importées pour assurer l’approvisionnement... Plus inquiétant, l’industriel allemand veut contraindre les syndicats à accepter un plan social (215 suppressions d’emploi en France dont 20 à Gardanne) en mettant l’avenir de la centrale dans la balance. La municipalité reste vigilante et se range au côté des salariés dont elle défendra les positions lors d’une large table ronde en préfecture le 13 décembre prochain. PROPOS RECuEILLIS PAR CHRIStINE MONtIXI AuPRÈS dE ROGER MEï, MAIRE dE GARdANNE Et ISAbELLE MIARd, CHARGÉE dE MISSION CStI POuR LA

VILLE dE GARdANNE

1 Carreau de la mine de charbon dont l’activité a cessé en 2003, site acquis par la Ville de Gardanne pour y développer un pôle économique et culturel, ndlr

Maire des sciencesDétournement de mineurs… la cité minière de Gardanne affiche des ambitions de ville-science

Roger Meï au Souk des sciences © Ville de Gardanne

P OLITIQUE

CULTURELLE

6

Page 7: Zibeline 69
Page 8: Zibeline 69

Thierry Fabre, concepteur et initiateur des Rencontres, a ouvert cette édition exceptionnelle avec émotion et lyrisme, en citant un article récent de Patrick Chamoiseau dans le Monde.

L’écrivain martiniquais, quand on lui demanda comment il expliquait le paradoxe d’une société qui insulte Taubira mais lui a attribué le prix Goncourt, répondit : «Là où la lumière est la plus vive, l’ombre s’épaissit d’autant. Héraclite nous avait prévenus : on ne peut pas les dissocier. Notre tâche est de faire en sorte que ce soit la lumière qui donne le tempo, et surtout pas l’ombre. C’est pourquoi Miles Davis s’efforçait de ne pas jouer toutes les notes qui lui venaient aux doigts : il préférait développer du silence pour ne choisir soudain

que la plus belle des notes. Et la plus belle est toujours au bord de l’impensable.»Les Rencontres toutes entières ont cherché à formuler cet impensé, à produire cette note juste, sans jamais se perdre en route, en regardant en face les ombres dont ont surgi bien des lumières. Nous vous en rendons compte par ces quelques éclats, à retrouver sur France Culture les 23 et 24 décembre, sur Mativi qui a tout filmé (www.mativi-marseille.fr), puis dans un livre à paraître.

Ces vingtièmes Rencontres d’Averroès ont joui d’un

climat exceptionnel. La qualité des interventions, constante, a remué les méninges et les cœurs !

Pas des passeursAlain de Libéra rappela, dans une conférence inaugurale brillante, que l’histoire de la transmission des savoirs en Méditerranée est traversée par l’opposition entre la loi et la foi, et que le désir de savoir n’est pas chrétien. Le débat sur les sources arabes de la culture européenne est loin, selon lui, d’être correctement posé : il y a ceux qui dénient l’héritage arabe, et ceux qui admettent que les penseurs musulmans d’Andalousie ont influencé la pensée européenne, mais croient toujours qu’ils n’étaient que des passeurs de la pensée grecque. Ceci accrédite l’idée que la philosophie arabe n’existe pas, qu’Averroès ou Maimonide ne savaient que copier, adapter la philosophie d’Aristote ou la science indienne, et que l’unique création des Arabes est la religion. Le professeur au Collège de France démontra, en cheminant dans l’histoire, la complexité de la translatio studiorum dans les pôles universitaires, capitales alléguées du savoir. On comprit alors à quel point l’écriture de l’Histoire est pétrie de présupposés qui en orientent l’interprétation, et expliquent une véritable «captation d’héritage» effectuée par la France et l’Allemagne, qui se prétendent filles de la Grèce à la Sorbonne et à Aix-la-Chapelle, accréditent l’idée que «la plus haute sapience est révélée par Saint Paul». Le médiéviste Henri Pirenne, en 1922, décrit encore la Méditerranée au Moyen Âge comme un lac musulman auquel l’Europe a dû tourner le dos pour se bâtir au Septentrion…

Traduire et transmettreNe dites jamais que cela vient de lui, prescrivaient les Jésuites à propos de l’enseignement d’Averroès, qu’ils dispensaient. Et pourtant… c’est en étudiant par quelles voies le savoir est passé, en se penchant ce qu’on ne peut traduire, sur le symptôme de la différence de la langue, que l’on perçoit l’étrangeté de l’autre, pour mieux le comprendre. Barbara Cassin fait un superbe éloge de la traduction, tandis que Joseph Chetrit affirme qu’Israël, et l’Afrique du Nord, perpétuent l’héritage arabo andalou en diffusant sa musique. Ce sont les traducteurs juifs expulsés de Cordoue vers Avignon qui ont fait passer la culture juive andalouse vers les Ashkénazes, qui ne parlaient pas arabe, en la traduisant en hébreu pour eux. Les circuits de la transmission sont complexes, et ne descendent certes pas du Nord au Sud : le savoir grec n’est pas un universel, rappelle Ali Benmakhlouf, mais il a été universalisé par des commentateurs : les sept siècles de commentaires arabes ne sont pas une «transmission pâle», le monde Byzantin a existé, et c’est de dehors que l’on peut apercevoir qui l’on est, rappellent-ils tous en citant les Cannibales de Montaigne…Une première table ronde consensuelle au bon sens du terme, où la pensée se co-construit et se transmet, dans la joie du partage entre des historiens de toutes les rives.

Mer blanche ou bleueLa deuxième table ronde était précédée d’une introduction d’Edhem Eldem, qui, tout en louant l’optimisme de Thierry Fabre qui veut voir dans cette mer un espace de pensée possible, expliqua qu’elle n’était que tensions, dominations du Nord sur le Sud, de l’Occident sur l’Orient. Que pour les Ottomans elle n’avait jamais été un continent liquide entre les terres, mais la mer blanche infranchie, celle où on perd les batailles, et qui s’oppose à la Mer Noire autour de laquelle on bâtit et on explore. Brigitte Marin, au contraire, rappela que les études méditerranéennes sont aujourd’hui un universel, un modèle qui inspire l’analyse des autres histoires de transmission entre des mondes différents, et qui peut se projeter sur les Caraïbes ou la mer du Japon. Jocelyn Dakhlia, comme toujours lumineuse, parla de cette Lingua Franca qui a uni les ports et construit un espace commun, des évolutions, des équilibres, de la route vers l’Orient. Mais c’est à Beyrouth, symbole des conflits entre communautés, que Carla Eddé situe le cœur imaginaire de la Méditerranée contemporaine. De son désir de reconstruire un cosmopolitisme, de ses échecs, et de la vie qui selon elle surgit à tous moments malgré la violence.

Méditerranée, mer de notre avenir

Conférence inaugurale de Alain de Libéra © Espaceculture/Marseille-2013

Méd

iterr

anée

san

s fr

ontiè

res,

oeu

vre

de S

abin

e Ré

thor

é ©

Gae

lle C

loar

ec

8RENCONTRES

AVERROÈS

Page 9: Zibeline 69

La Méditerranée des artistesLa dernière table ronde fut en fait celle qui laissa entrevoir l’horizon de paix. Lorsqu’on parla des femmes la veille, lorsqu’on parla d’art ce matin-là, le dialogue entre les peuples sembla possible, et l’horizon commun déjà dessiné, pourvu que les politiques écoutent l’histoire, renoncent au patriarcat guerrier, et fabriquent plutôt que de détruire, coloniser, imposer, séparer. Yalda Younès fut lumineuse

lorsqu’elle parla du corps (des femmes) comme lieu de résistance, Mustafa Benfodil quand il raconta comment il déplaçait le théâtre sur des places publiques, et comment en Algérie il était l’instrument d’une possible insurrection. L’engagement des artistes, sur toutes les rives, semblait le même. À gauche oui, répondit doucement Yalda Younès à un spectateur, parce que fabriquer et créer en considérant le

monde plutôt que soi est plutôt à gauche. Mais surtout en réseau, en rhizome, depuis le peuple, en écoutant la douleur sociale. De nouvelles formes de vie fleurissent aujourd’hui dans les pays arabes, malgré la répression, le manque absolu de moyens, et des dizaines d’années d’art étatique. Le printemps arabe est là.AGNÈS FRESCHEL

Méditerranée, mer de notre avenir

Révolution sociologiqueLa troisième table ronde réunissait aussi des femmes, et un homme, hors du commun. Irène Théry commença par rappeler que le monde entier était travaillé, pour la première fois, par la question de l’égalité des sexes, et que l’ensemble des liens sociaux était en train de changer. «Aucune société avant la nôtre n’a tenté l’égalité». Mais les femmes ont aujourd’hui conscience qu’elles ont quelque chose à perdre en renonçant à leurs prérogatives des sociétés traditionnelles, qui les assujettissent mais leur laisse un rôle. Cette tension provoque des divisions y compris au sein des mouvements féministes, quant aux positions sur la prostitution, le mariage homosexuel, le voile musulman. Selon elle, les pires violences surgissent aujourd’hui pour réprimer le désir d’autonomie des femmes, au nom de valeurs traditionnelles fantasmées, défendues également par des femmes. Ainsi Yalda Younès, danseuse palestinienne, égrena les raisons trouvées par les internautes pour mener l’intifada de l’égalité des sexes. Pinar Selek, passionnante résistante turque (voir entretien sur notre webradio), rappela que le féminisme turc existait avant les «nettoyages» et le génocide arménien, qu’il avait été transformé par le kémalisme, représenté par des femmes «émancipées par les hommes» qui croyaient obtenir l’égalité en allant bombarder les villages kurdes. En Turquie aujourd’hui le féminisme s’exprime avec une radicalité pragma-tique, en s’alliant avec les Kurdes, les Arméniens, le mouvement LGBT, en particulier avec les Trans, «avec tous ceux qui remettent en cause le patriarcat dominant et guerrier». Paul Amar parla avec finesse de l’État délinquant d’Égypte, de la police qui pratique le test de virginité, le harcèlement et le viol pour justifier la restauration du vieil ordre militaire. Puis Amalia Signorelli parla de Berlusconi. Ne riez pas, implora-t-elle face au public hilare, c’est une tragédie. Qui prouve que l’émancipation peut être un camouflage, que l’hégémonie sur les médias peut remodeler une culture, que les prostituées représentent aujourd’hui les femmes qui réussissent, un modèle enviable, le meilleur moyen de réussir. Que les mères italiennes rêvent de cela pour leurs filles, et les jeunes filles pour elles-mêmes. Et que le féminisme italien est laminé, que cela peut arriver partout, y compris dans les démocraties avancées…

Où est l’horizon de paix ?Si lors de cette quatrième table ronde les interventions d’Hamit Bozarslan, expliquant l’état de violence continu depuis 1979, furent érudites, claires et fulgurantes ; si Gilbert Achcar, moins convaincant dans l’ensemble, rappelle avec justesse que les luttes sociales ont précédé les printemps arabes et que les régimes ont utilisé les intégrismes musulmans contre la gauche radicale ; ce fut le Syrien Salam Kawakibi qui parla des massacres dans les termes justes : «je ne peux garder mon sang-froid ; en Syrie une boucherie, une tuerie se déroule, 11 millions de déplacés, plusieurs centaines de milliers de morts, des villages entiers rayés de la carte, vous pouvez le voir sur Google Earth, l’école arrêtée depuis 2 ans (…) le régime cible les intellectuels, les enseignants, mais aussi les médecins pour qu’ils ne puissent pas soigner les blessés.» Et lorsqu’on lui demande ce qu’il faut faire, il répond qu’il faut d’abord que les médias relaient l’information, qu’il faut déconstruire les mythes syriens, que le régime n’est ni laïc, ni progressiste, et que les djihadistes, présents aujourd’hui parmi les «rebelles», en étaient absents au début.À l’autre bout de la table Denis Charbit, Israélien, repré-sentait comme toujours l’ennemi, alors même qu’il se bat en son pays contre les colonies, pour un statut égalitaire des musulmans d’Israël, et contre l’idée même d’un État juif. Certes il parla pour désigner son pays d’une démocratie, ce qu’on ne peut prétendre lorsque les citoyens n’y sont pas égaux. Mais il eut raison de rappeler que les pays arabes n’avaient pas su «retenir leurs juifs». Aujourd’hui l’urgence est clairement en Syrie, mais la pomme de discorde reste Israël. C’est selon Salam Kawakibi, à cause d’Israël que la communauté internationale n’intervient pas pour arrêter le massacre. Ce dont Denis Charbit ne disconvient pas.

Suite des Rencontres p.10

Méd

iterr

anée

san

s fr

ontiè

res,

oeu

vre

de S

abin

e Ré

thor

é ©

Gae

lle C

loar

ec

9RENCONTRES

AVERROÈS

Page 10: Zibeline 69

Cette année, pour accéder aux Rencontres d’Averroès, il fallait traverser la Médi-

terranée, au sens propre : une carte grand format de Sabine Réthoré était déployée sur le sol devant l’Auditorium du parc Chanot. Méditerranée symboliquement sans frontières, laissant la place aux voies de circulation routières et fluviales, soulignant les ports. On a vu le public s’y arrêter, s’étonner de l’orientation renversée de la carte, montrer du doigt une destination, une étape connue. Si cette édition s’est avérée particulièrement chaleureuse, selon les termes de Thierry Fabre, le maître d’œuvre des Rencontres, nul doute que cette façon de relativiser les distances dès le seuil y aura contribué !Autour des tables rondes (voir p 8), la program-mation culturelle constituait un contrepoint parfait aux temps forts de ces quatre journées. On retiendra en particulier deux spectacles

donnés au Palais des Arts le 29 novembre : Problème technique, une performance de Yalda Younés et Gaspard Delanoë, et la lecture de La maison, texte de Arzé Khodr, par les élèves de l’École régionale d’acteurs de Cannes.La première œuvre, créée en 2011 dans le cadre de la Biennale de Lyon, met en scène une jeune conférencière s’exprimant avec douceur et intensité en arabe. Si elle semble dire des mots d’amour, son interprète à oreillettes livre une traduction affectée, compte-rendu bureaucratique d’une conférence européenne sur le développement. Le bilan économique des printemps arabes étant déplorable, il préconise des solutions pour construire un modèle rentable : l’usage de slogans plus positifs (type «Vive le fonds maghrébin de stabilisation financière !»), et le développement d’un concept de révolution à l’amiable, avec sortie en douceur des autocrates pour de longues vacances en Arabie Saoudite.

Provoqué par l’humour caustique du texte, le plaisir anticipé éclate lorsqu’à la toute fin il s’avère qu’un problème technique nous a privés... du fameux monologue de Molly Bloom, extrait de l’Ulysse de James Joyce.Le texte interprété par les étudiants de l’ERAC -au terme de 6 semaines de préparation sous la houlette de Nadia Vonderheyden- traite quant à lui du deuil et de l’héritage, situant à Beyrouth une histoire universelle. Deux sœurs qu’oppose une vision antagoniste de ce que chacun doit à la famille, un frère qui ne veut pas prendre parti, une maison qui les unit autant qu’elle les sépare : toute l’ambivalence des rapports affectifs était portée au paroxysme par ces jeunes acteurs déjà maîtres de leur art.La programmation audiovisuelle était égale-ment de grande qualité, avec la projection de nombreux documentaires, très courus du public des Rencontres. Lequel n’a pas manqué non plus la présentation du projet MED-MEM, réalisé par l’Institut National de l’Audiovisuel. Près de 4000 documents d’archives (radio ou télévision), replacés dans leur contexte historique et culturel, sont mis à disposition sur le site www.medmem.eu. Pour prolonger l’expérience de penser la Méditerranée au XXIe siècle avec les Rencontres d’Averroès, il sera sans aucun doute utile de se plonger dans ces mémoires audiovisuelles, qui forment un patrimoine précieux, où l’on peut puiser aussi bien un dessin animé égyptien évoquant le temps des pyramides, qu’un reportage sur la visite de Che Guevara à Alger en 1963. Il est à noter que toutes les vidéos sont exportables, partageables aisément sur les réseaux sociaux, et que les notices explicatives sont disponibles en français, arabe et anglais... en attendant la traduction intégrale des documents.GAËLLE CLOAREC

Comme un besoin inconscient de gagner dans son pays d’adoption ses galons d’enfant

du rock qu’il est indiscutablement. Rachid Taha, invité pour clôturer les 20e Rencontres d’Averroès, a multiplié les clins d’œil aux icones du rock’n roll. De Lou Reed, auquel il a rendu hommage avec Take a walk on the wild side en ouverture du concert, à The Clash, dont il a immortalisé Rock the Casbah en 2004. En passant par une reprise de Johnny Cash ou encore sa version arabe de It’s now or never, du king Elvis, issue du somptueux dernier album de Taha, Zoom.Depuis Douce France qui l’a révélé à Ya Rayah qui l’a rendu populaire, l’ancien chanteur de Carte de séjour a toujours su s’approprier les morceaux des autres avec un talent certain d’arrangeur. Au sommet de sa forme sur scène, ce qui n’est pas toujours le cas, Rachid Taha a

réussi à chauffer et déchaîner une salle austère, assise et clairsemée. À se demander pourquoi les organisateurs des Rencontres s’entêtent à programmer des concerts de musiques amplifiées dans un lieu dont le rendu sonore est désastreux, alors qu’une salle comme l’Espace Julien (sur la même ligne de métro que Chanot) serait en tout point de vue plus appropriée.Et comme un concert du Franco-algérien n’est pas complet sans un coup de gueule, c’est le film La marche qui, ce soir-là, en a pris pour son grade. Taha rappelant le parcours dans les ors de la République d’un certain nombre de dirigeants de SOS Racisme de l’époque.tHOMAS dALICANtE

Rachid Taha s’est produit le 30 novembre, dans l’auditorium du Parc Chanot, Marseille

Rachid Taha, tout en hommage

Partager l’héritage

Rachid Taha © Espaceculture/Marseille-svz-2013

Performance de Yalda Younès et G

aspard Delanoë ©

Espaceculture_Marseille-2013R

ENCONTRES

AVERROÈS

10

Page 11: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

Les Rencontres Capitales 2013 ont ras-semblé énormément de monde au Palais

du Pharo, dont une grosse proportion de jeunes attirés par le thème «Devons-nous changer de société ?», et la perspective de pouvoir s’entretenir avec de nombreuses personnalités sur des questions cruciales. Notamment environnementales, car la façon dont ils vont s’approprier l’encombrant legs de leurs aînés sera déterminante pour l’avenir. Malheureusement ceux qui espéraient trouver un terrain favorable à leurs interrogations, un exposé clair des enjeux, et surtout des pistes stimulantes pour agir en assistant à la table ronde intitulée Gaz de schiste, nucléaire, énergie renouvelable : comment créer un modèle énergétique durable ? ont dû repartir très déçus. Sur le plateau, quatre hommes, tous manifestement pro-nucléaire et gaz de schiste. Pour Jean-Louis Schilansky, président de l’Union Française des Industries Pétrolières, la question ne se pose même pas : «la sortie du nucléaire est impossible en France», et «un jour il faudra changer nos modèles de consommation énergétique, mais personne ne sait plus quand» !Ni Claude Acket (retraité d’AREVA), ou Bruno Goffé (CNRS), ni Didier Roux (Académie des Sciences) ne le démentent. Lorsque l’animatrice pose cette question ahurissante en soi : «Est-ce qu’on doit demander leur avis aux français sur la question du gaz de schiste, ou les scientifiques doivent-ils décider ?», il répond sans sourciller : «L’opinion publique s’est exprimée très clairement sur ce sujet. La France et la Bulgarie sont les seuls pays à avoir interdit la fracturation hydraulique dans le monde... Nous proposons à l’État une expérimentation pour changer d’avis.» Devant l’absence totale de place laissée au débat contradictoire, un membre du public s’interroge : faut-il aller directement se pendre ?, récapitulant ainsi en une formule lapidaire les charmantes perspectives laissées à l’assemblée par ces messieurs.

… et pourtant !À ceux qui n’auraient pas été totalement écœurés par l’unilatéralité du propos, restait la possibilité le lendemain d’assister à la

table ronde Climat, biodiversité, préservation de l’eau : quelles sont les solutions pour pro-téger notre terre ? Heureusement bien plus équilibrée, elle donnait lieu à un échange fourni, éclairé en particulier par la présence de Valérie Masson-Delmotte (climatologue, lauréate du prix Joliot-Curie la désignant comme «femme scientifique de l’année 2013»). Pour Ghislain de Marsily (hydrologue), les dirigeants politiques ont une vision à court terme des questions environnementales, or «il faut donner l’exemple, comme dans le cas de l’esclavage, supprimé pour la 1re fois en 1833 au Royaume Uni, en 1848 en France, et seulement en 1963 au Qatar !» Valérie Masson-Delmote renchérit : «il est vital de construire une culture générale» de l’écologie, pour que tous, industriels comme individus, en tiennent compte. D’après Philippe Maillard (Groupe Suez), «reconquérir la qualité de l’eau en France est possible à 30 ou 40 ans, à partir du moment où l’on prend des mesures contres les pesticides». Qu’est-ce qui inquiète ces intervenants ? Les famines, la croissance démographique, et surtout selon Gilles Escargel (paléontologue de l’Université de Lyon), l’inconscience envi-ronnementale, «le fait de se croire tout puissant dans un monde sous-contrôle». Qu’est-ce qui les rend optimistes ? «La prise de conscience de ces enjeux depuis 20 ans».Voilà qui permet de nuancer le jugement porté sur les débats organisés par les Rencontres Capitales. On ne saurait trop suggérer aux organisateurs d’inviter à l’avenir un peu plus de personnalités comme Pierre Rabbhi (présent lors de l’édition précédente), qui ont des propositions concrètes à faire, par exemple en matière d’agro-écologie... et un peu moins d’experts préférant s’enferrer dans des «solutions» ayant prouvé leurs capacités destructives.GAËLLE CLOAREC

Les Rencontres Capitales ont eu lieu du 14 au 16 novembre au Palais du Pharo, Marseille

Fausser la donne

Rencontres Capitales 2013 intervenants Claude Acket, Bruno Goffé, Didier Roux et Jean-Louis Schilansky © Gaëlle Cloarec

Avec son patronyme du bout du bout de l’alphabet, Jean-François Zygel a toujours dû se trouver en queue des listes, à l’école ou ailleurs… Hasard des choses, signant d’un énergique Z de la pointe de ses doigts au clavier, c’est au bout du bout des Rencontres Capitales 2013, après quelques 130 personnalités censées «changer le monde» et «imaginer celui de demain», qu’on a pu l’écou-ter à l’Auditorium du Pharo le 16 novembre. Entre une demi-douzaine d’improvisations, exercice où le musicien excelle, le sympathique et surdoué pédago-musico de la lucarne médiatique s’est prêté au jeu des questions, a tenté d’y répondre… avec nuances… et prudence !De «l’avenir de la musique classique au XXIe siècle ?» méritait de fait une définition… pas si facile que ça à circonscrire dans ses conceptions temporelle, stylistique… Quant au «danger de sa disparition ?», Zygel a défendu la nécessité d’éviter la routine, de favoriser la circulation des énergies avec d’autres arts, les musiques populaires, «actuelles» ou «du monde», pour attirer les jeunes au concert, mais sans facilité ni démagogie, loin du «tout se vaut», de repenser la forme figée du concert où l’on aime entendre les œuvres «du répertoire» qu’on connait déjà.De fait le mélomane devrait retrouver son appétence à la nouveauté, l’im-provisation, qui caractérisait le public du passé, comme celui d’aujourd’hui pour la danse ou le théâtre… L’air du temps n’étant plus aujourd’hui à «l’approfondissement», l’inévitable «effort» que demande la préhension de la musique classique, ses dévelop-pements, au-delà du plaisir immédiat et de l’émotion, nécessite des moyens pour éduquer le goût et l’oreille et une prise de conscience politique du besoin vital de l’immatériel, au cœur de l’humain… et d’«ouvreurs de portes», comme monsieur Zygel, au quotidien !JACQuES FRESCHEL

La rencontre avec Jean-François Zygel s’est déroulé le 16 novembre au Palais du Pharo, Marseille

Ouvrir des portes…

ÉVÉNEMENTS

11

Page 12: Zibeline 69

Si les parcours d’exposition permanents Plus loin que l’horizon et Echelles des temps (voir ci-dessus) se poursuivent, la programmation artistique et culturelle de la Villa Méditerranée se termine en douceur en cette fin d’année. Un dernier rendez-vous pour débuter le cycle Récits d’exils consacré au migrants, qui se poursuivra en 2014, avec le solo sensible C’est l’œil que tu protèges qui sera perforé écrit sur mesure pour le danseur turc Kerem Gelebek par le chorégraphe Christian Rizzo, en coréalisation avec Marseille Objectif Danse (12 et 13 déc). Pour clôturer également les évènements scientifiques qui ont émaillé l’année, trois colloques ouverts au public : le 14 déc la question des publics et des pratiques culturelles sera étudiée avec le Laboratoire

Méditerranéen de Sociologie dans une mise en perspective euro-mé-diterranéenne et internationale. Le 18 déc aura lieu la journée de clôture des 10 ans du Canceropôle Paca, en présence de nombreux chercheurs, et le 19 les 6e Rencontres Paca Innovation organisées par Méditerranée Technologies où 10 grands témoins illustreront chacun une idée-force à marteler, une piste historique à redécouvrir ou un concept iconoclaste à explorer… dE.M.

Villa Méditerranée, Marseille04 95 09 42 52www.villa-mediterranee.org

La Villa Méditerranée, en attendant 2014…

Retracer l’histoire de la Méditerranée en quatre tableaux et dans un couloir (large tout de même !) l’idée est ambitieuse… et servie opportunément par un parti pris simple : la plongée dans le vertige du temps se fait en quatre stades, recouvrant chacun des périodes de plus en plus longues. Et la scénographie, simple, nous emmène vers les temps immémoriaux, ceux de bien avant les hommes, en suivant des rais de lumière… Les quatre films sont simples et abordables par chacun, même les plus jeunes. Regorgeant d’informations clairement mises en perspec-tives par l’historien Jean-Luc Arnaud, et en images par Daniel Cling. En quinze minutes on s’attache d’abord à la dislocation de l’Empire Ottoman (125 ans de guerre) traités avec des documents d’archives ; Les quinze minutes suivantes, un peu plus loin, retracent les 2500 ans d’histoire méditerranéenne à partir des traces marseillaises ; puis on plonge du Temps des hommes dans le Temps de la Terre, 30 millions d’années en 5 minutes pour expliquer l’échelle géologique, puis 5 minutes encore, en dessin animé, autour de la crise messinienne, quand la Méditerranée était vide, il y a 5.6 millions d’années, et durant 100 000 ans. Le court trajet dans l’espace de l’expo réussit à plonger pourtant le visiteur dans l’épaisseur du temps, efficacement, et le parcours est limpide, grâce à la scénographie modeste et efficace d’Elizabeth Guyon. Destiné à tous les publics, il peut être une parfaite introduction aux expositions moins didactiques du MuCEM voisin, ou au parcours Plus loin que l’hori-zon, plus politique et ancré dans le présent, situé à l’étage inférieur. Mais l’impression de simplification de l’histoire reste un peu gênante. Lorsqu’on demande à Bernard Morel,

vice-président de la Région venu inaugurer le parcours, pourquoi le génocide arménien est évoqué dans le premier film comme un «massacre», il répond : «La Villa Méditerranée est un lieu créé pour éviter les viscosités des relations entre les États.» Par la coopération interrégionale. Mais celle-ci peut-elle passer par des euphémismes ?

Histoire communeLa même impression se dégage du manuel d’histoire destiné aux professeurs et élèves de la Méditerranée. Edité en Français et en Arabe, l’ouvrage, présenté à la Villa Méditerranée les 5 et 6 décembre par des politiques et des historiens, est destiné à être traduit dans toutes les langues Méditerranéennes. Et à écrire enfin, pour des non spécialistes, cette histoire commune, faite de perméabilité culturelle et de commerce d’idées et d’objets, de savoir-faire, et de conflits. L’ouvrage, coédité par Bayard, MP2013 et le Centre National de Documentation Pédago-gique, est agréable à lire, sans jargon, illustré de cartes claires et de documents parlants, comportant de nombreux glossaires, et des focus intéressants. Les grandes crises y sont analysées avec pertinence et finesse, dans un vrai souci d’équilibre entre les rives Nord et Sud, et le Proche Orient. Composé traditionnellement en 5 parties (Préhistoire, Antiquité, Moyen

Âge, Époque Moderne, Époque contempo-raine), il approfondit avec justesse les faits contemporains, et passe un peu vite sur ce qui pourrait const i tuer des «viscosités d’État». Ainsi, l’on frémit un peu lorsqu’Averroès et Maimonide sont présentés comme des «passeurs» d’Aristote, non comme des phi-

losophes. Ou lorsque les «déséquilibres» entre les rives Nord et Sud à l’époque moderne sont expliqués par le seul «frein des traditions». Mais écrire l’histoire c’est indéniablement faire des choix. Celui de proposer un manuel qui pourra servir de base à un enseignement commun passe sans doute par un consensus bien mesuré. L’introduction de Mostafa Hassani Idrissi, qui précise les buts de l’ouvrage, doublée d’une conclusion qui explicite sa méthodologie, sont d’une clarté exemplaire, et les 15 historiens de huit pays qui ont conçu cet ouvrage ont indéniablement posé la première pierre d’une révolution dans la diffusion des études méditerranéennes, qui passionnent les chercheurs depuis Veyne et Braudel, et sont mises ainsi à la portée du plus grand nombre. AGNÈS FRESCHEL

Échelles des tempsParcours d’exposition permanentVilla Méditerranée, Marseille04 95 09 42 52www.villa-mediterranee.org

Méditerranée, une histoire à partagerDirection Mostafa Hassani-IdrissiEd Bayard, 29 euros

Notre mer en démosLa Villa Méditerranée s’est enrichie d’un parcours permanent intitulé Échelles des temps, et nos lycéens d’un nouveau manuel !

Echelles des Temps - Villa Méditerranée - Gobi Studio

ÉVÉNEMENTS

12

Page 13: Zibeline 69

M A C B E T H AVECMONCEF AJENGUIJAWHAR BASTIANISSA DAOUDNOOMEN HAMDARIADH LAROUSSEMARIEM SAYEHWALID SOLTAN

D’APRÈS WILLIAM SHAKESPEAREMISE EN SCÈNE LOTFI ACHOUR

11 JANVIER 2014AU THÉÂTRE LIBERTÉ, TOULON

•| THÉÂTRE LIBERTÉ — PLACE DE LA LIBERTÉ 83000 TOULON — 04 98 00 56 76 — WWW.THEATRE-LIBERTE.FR

La tragédie élisabéthaine transposée dans les palais de Leïla et Zine Ben Ali— Création pour le World Shakespeare Festival 2012

Le temps de la paroleDans le cadre du cycle de rencontres «Les Porteurs de rêve», Corinne Alexandre-Garner, maître de conférences en langues et littéra-ture anglaise et anglo-saxonne à l’Université Paris-Ouest, parlera de l’écrivain britannique Lawrence Durrell (le 12 déc) ; le 19 déc, c’est le poète Mahmoud Darwich, le Galilléen, qui sera à l’honneur avec Dominique Devals (comédienne), Farouk Mardam Bey (éditeur) et Elias Sanbar (ambassadeur de Palestine auprès de l’UNESCO et traducteur de Darwich en langue française). Le cycle «Au comptoir de l’ailleurs» rendra hommage à l’auteur Albert Cossery avec une conversation entre Joëlle Losfeld (son éditrice et amie) et Alyson Waters (sa traductrice américaine) le 16 à 18h30 ; le même jour à 20h Nathalie Richard (actrice) lira Mendiants et orgueilleux.

Le temps des spectaclesLe 13 déc à 20h30, le guitariste sévillan Raimundo Amador donnera un concert mêlant les rythmes flamenco au blues et au rock.Entre concert et installation vidéo, le projet Fly ! mêle acoustique et électronique dans un mix de sons jazz et expérimentaux, avec

Laurent de Wilde, pianiste jazz électro, Oristo 23, ingénieur du son, et Nico Tico, vidéaste (le 20 déc à 20h30).

Jeune publicLa Cie Clair de lune propose du théâtre d’ombres avec Le cirque est arrivé, histoire sans paroles avec des notes et des cliquetis, les 27 et 28 déc à 15h et 16h30 ; en collaboration avec La Baleine qui dit «Vagues», le conte Soleil Noir/Solstice d’hiver, la lumière est dans

la maison emportera les enfants dans la très longue nuit de Noël les 29 et 30 déc à 15h ; enfin, du 26 au 30 déc, un atelier Lumières et jeux de sténopés est organisé à 14h30 (réservation obligatoire).

En 2014…Dès le mois de mars 2014, 3 nouvelles exposi-tions temporaires seront inaugurées : Volubilis, une histoire du goût en Méditerranée-Bronzes antiques du Maroc (du 11 mars au 25 août) ; Le Monde à l’envers, carnavals et mascarades d’Europe et de Méditerranée (du 25 mars au 25 août) ; Tétouan/Casablanca, l’artiste au cœur de la Cité (du 14 mars à sept).Quant à la programmation artistique, elle permettra de poursuivre certains cycles lancés en 2013 («Au comptoir de l’ailleurs», «Le temps des archives»…), mais aussi d’en proposer de nouveaux, notamment de grandes conférences avec des écrivains venus des différents continents de la planète pour traiter des questions de «Civilisations et barbarie».dO.M.

MuCEM, Marseille04 84 35 13 13www.mucem.org

Fin et début d’année au MuCEMEn attendant les propositions de 2014, profitons des dernières dates de 2013 !

Mahm

oud Darw

ich © X-D

.R

Page 14: Zibeline 69

DANSE

Les grandes ou très grandes jauges des théâtres Cannois, qui auraient pu induire des choix moins courageux, ont permis au contraire de faire venir un public nombreux vers des formes exigeantes, aux propos lisibles. On espère que le départ de Frédéric Flamand, remplacé par Brigitte Lefèvre (le festival de danse de Cannes ne se dirige que deux fois), ne rompra pas ce bel élan. Mais l’ancienne directrice de l’Opéra de Paris sait aussi programmer des formes novatrices dans des murs sacro-saints !Les pièces de Marie Chouinard démontrent combien la chorégraphe québécoise est perméable aux univers qu’elle retrace : si les Préludes de Chopin sont d’un romantisme que la danse n’ose pas approcher, les Mouvements, calqués sur la poésie et les tâches d’encre de Chine d’Henri Michaux, sont fulgurants. Graphique, hurlante et écorchée sa danse, au rythme des formes qui défilent, explore toute l’expressivité des corps qui bougent…Juste avant, Hugo Pontès a dialogué autrement avec la musique, cherchant dans ses élans des prétextes à postures, ironisant joliment sur les clichés classiques, détournés en un ballet tout en souplesse, tranquille… et fascinant. Martin Harriague et Michel Kelemenis se partageaient un programme. Le danseur du BNM proposa un Black Pulp fait de jolis moments mais peu convainquant dans son enchainement de tableaux sans liens lisibles, et souvent peu brillants. Le Siwa de Kelemenis, même privé de décors, installait au contraire une vraie atmosphère, apologie de l’eau et de la lumière, du mouvement emporté par des élans simples, à l’écoute du Quatuor de Debussy interprété avec un lyrisme retenu par le quatuor Tana.Séquence naufrage avec la reprise de Titanic, une pièce ancienne de Frédéric Flamand dont le Ballet national de Marseille s’est emparé avec style et fougue. La pièce est un voyage -sublimement orchestré par la nostalgie des partitions de Schnittke ou de Charles Ives- qui emmène depuis la salle des machines vers le fond de l’océan glacé, et la renaissance d’un monde débarrassé de ses atours de classe, où le jeu mondain, l’affolement du naufrage, n’ont plus cours…Séquence retrouvailles avec Renée en botaniste dans les plans hyperboles de Système Castafiore, créé en 2012 au Théâtre de Grasse où la compagnie est artiste associée : à nouveau la sensation d’être en présence d’une forme hybride parasitée par une surcharge d’effets spéciaux, une avalanche d’images vidéo et de bavardages en off. Malheureusement, «l’objet artistique non identifié aux franges du rêve, de l’imaginaire et de la métaphysique» n’est toujours pas parvenu à nous faire décoller vers de nouveaux territoires ! Retrouvailles magiques, par contre, avec le duo Sharon Fridman-Arthur Bernard-Bazin qui, pour la troisième fois (première au festival Danza

in Madrid en 2011, puis au Festival de danse de Marseille cet été), a fait se lever le public. Empreint d’une densité supplémentaire et d’une virtuosité technique accrue, Al menos dos carras était habité par la même fougue, la même générosité, la même idée d’un éveil au monde possible dans la fraternité. Séquence historique avec Drumming Live de Rosas & Ictus dont on ne se lassera jamais : la chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker, la musique de Steve Reich et les musiciens du groupe Ictus ont trouvé dans les danseurs leurs instruments vivants qui jouent avec l’espace comme sur un échiquier. Drumming Live relève de l’exploit permanent tant le mouvement d’ensemble requiert une précision horlogère pour atteindre ce niveau d’excellence. Séquence découvertes lors d’un show case réservé aux jeunes talents des Alpes-Maritimes avec la maquette de la prochaine création de Nans Martin, Muô, qui ne semble pas assumer totalement le choix de la nudité féminine, aussi spectrale soit-elle ; le travail en cours

Frédéric Flamand a orchestré, lors des deux éditions du festival de danse de Cannes qu’il a dirigées, une partition éclectique et brillante autour des mythes qui traversent la danse contemporaine

Éclats de Croisette

de la Cie F, Stimmlos, à la lenteur graphique encore un peu pesante. Et une révélation, Corps se Tait, mais le Cors Sait Décorseter de la Cie Reveïda qui affirme un réel talent à décloisonner les genres (Olivier Debos est comédien-clown-poète et Delphine Pouilly chorégraphe-danseuse), assu-mant avec humour d’être en tenue d’Eve, de croiser figures cocasses et poses allégoriques, de plagier la peinture ou se réapproprier les rituels religieux et mystiques. À leur sauce, bien sûr…Séquence hors catégorie avec De Anima de Virgilio Sieni qui, s’il décontenança une partie du public (costumes et décor cheap…), a fait montre d’une écriture maniériste baroque dont lui seul a le secret. MARIE GOdFRIN-GuIdICELLI

Et AGNÈS FRESCHEL

Le Festival de danse de Cannes s’est déroulé du 19 au 24 novembre au Palais des Festivals, Théâtre Croisette et Théâtre de la Licorne

Cie

Rev

eida

© O

livie

r Hou

eix

Henri Michaux Mouvements (interprète Lucy May) © Marie Chouinard

1414

Page 15: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

DANSE

Il y a quelque chose d’étonnant et déconcertant dans la performance au premier sens du terme proposée par le chorégraphe italien Alessandro Sciarroni et ses danseurs dans l’étrange pièce Folks, will you still love me tomorrow ?, les 14 et 15 novembre au Pavillon Noir à Aix. Cela commence par une démonstration de la danse traditionnelle bavaroise et sud tyrolienne, le Schuhplattler (le batteur de chaussures), puis un pari lancé aux spectateurs : qui tiendra le plus longtemps entre les danseurs et la salle ? Martellements incessants, variations infimes, les corps deviennent instruments de percussion, on est à la fois fasciné par la maîtrise imperturbable des danseurs, leur humour et la tension de cette lutte. Sueurs, applaudissements du public cherchant à forcer la fin, danse jusqu’à l’épuisement des uns et des autres, il ne doit en rester qu’un ! Style highlander au Tyrol. Ajoutez de temps en temps une musique électro pour compliquer la chose, peu importe le monde environnant, la danse et ses rythmes perdurent ! On applaudit la résistance, la prouesse physique. En arrive-t-on à une indépassable frontière ? ou à un avant-goût de l’éternité.Peut-être un ordinateur peut-il faire office de parte-naire de danse ? Alessandro Sciarroni en a fait la démonstration les 19 et 20 novembre au théâtre de Lenche avec Joseph. De dos, il allume son écran projeté sur une grande toile blanche. Soudain, le danseur piège le public avec son application qui déforme la salle toute entière. Sur les mélodies western d’Ennio Morricone, musiques électroniques d’Aphex Twin ou les classiques de David Bowie, il enchaîne défis chorégraphiques ponctués d’effets numériques «miroir», «étirement» ou encore «tunnel lumineux». Mêlant la technologie, la danse et le théâtre, il cherche, par tâtonnement, une esthétique de tableau. Faux

déséquilibres, fausses désarticulations, Alessandro Sciarroni explore le moindre mouvement de son corps avec humour et subtilité. Les effets lui permettent d’entrer en duel avec son avatar, alter ego créé par ordinateur, d’acquérir une souplesse illusoire et d’inventer des gestes irréalisables. Sa mise en scène, drôle et inventive, parfois inquiétante, se décompose en petit tableaux vivants abstraits et astucieux auxquels il convie le public, surpris…D’emblée oser rappeler qu’être deux est la condition nécessaire mais non suffisante pour faire un duo et c’est un peu de cette quête, d’une plus une, que nous parle L’Incontro entre Raffaëlla Giordano et Maria Munoz, la grande italienne filiforme et la petite espagnole trapue, si l’on veut à traits grossiers donner voix au corps. La scène des Bernardines,

Et la Méditerranée n’en finit pas de créer…Dansem a comme chaque année proposé un peu partout ses formes chorégraphiques généreuses de leurs risques, et riches en surprises

du 2 au 7 décembre, n’est pas un drôle d’endroit pour cette rencontre puisque chacune des deux chorégraphes/danseuses s’y est produite à son tour déjà : les intensités croisées de Cuocere il Mondo (variations sur la Cène de Léonard) et du solo Bach de Maria galvanisant le Clavier bien tempéré laissent d’ailleurs des traces dans ce spectacle plus intime baigné de fragments musicaux, voix et paroles venus de l’un et l’autre monde. Sur le plateau, comme une page blanche largement étalée pour les premiers contacts, plane d’abord l’ombre écrasante de Pina Bausch ; puis comme sur une nappe de pique-nique, tout se dépose avec l’évacuation du sacré, et surtout soi-même, dans l’attente de l’autre ou à ses côtés, paisiblement ; tout peut alors commencer : blanc sur blanc un rideau de fond, une tenture, voile de navire ou de mariée offrira le plus beau moment du spectacle dans les plis portés de l’une à l’autre. Vestes, pardessus, jupes, pantalons, l’étoffe fait le lien et n’entrave pas les deux énergies au travail qui jamais ne se rejoignent vraiment ni ne fusionnent laissant un flottement dont on se demande au fond s’il est force ou faiblesse. Les mains de Raffaëlla et les pieds de Maria gardent définitivement les secrets de la conversation...MARYVONNE COLOMbANI,

ANNE LYSE RENAut Et MARIE-JO dHO

Le Festival Dansem a eu lieu du 9 novembre au 14 décembre à Marseille, Aix et Arles

L’incontro, Maria M

unoz et Raffaella Giordano ©

Andrea Macchia

1515

Page 16: Zibeline 69

DANSE

Cela se passe à la frontière entre le Mexique et les États-Unis : 4000 kilomètres d’espace tampon propice à tous les trafics. Drogues, armes, migrants. Un «enfer» à ciel ouvert qui a laissé des traces dans la mémoire de Frank Micheletti et ses compagnons de résidence, aussi profondes que la chaleur de ce peuple anesthésié par la violence, reclus dans le silence. D’où cette tension aiguë qui traverse la création de Kubilai Kahn investigations, Mexican corner, interprétée par Frank Micheletti, Idio Chichava et Aladino Rivera Blanca que l’on avait découvert au festival Constellations à Toulon en mai 2012… Comme un fruit trop vert, Mexican corner a eu du mal à imposer son rythme, encore un peu brouillon dans les approches et les trajectoires, mais l’énergie collée aux semelles des danseurs-voyageurs s’est déployée aussi soudainement que le sable du désert mexicain se soulève par rafales. Une violence sourde exultait, venant des tripes, une fièvre que l’on aurait pu croire incontrôlable : contorsions, jetés au sol, roulades, saccades, briques effritées à mains nues, images stroboscopiques sur le

mur. Le tout amplifié par un mixage sonore live mêlant samples, témoignages, voix off, dont un vibrant Mexico despierta ! (Mexique réveille toi !).Par la forte présence de ses interprètes, Mexican corner agit comme une caisse de résonance à la violence sans visage qui contamine tous les degrés de cette société corrompue, où une simple rencontre peut se commuer en rixe en une fraction de seconde ! La pièce

marque également un renouvellement du style KKI vers une mise en espace plus théâtralisée de la danse.MARIE GOdFRIIN-GuIdICELLI

Mexican corner a été créé les 19 et 20 novembre au Théâtre Liberté, Toulon

Le dernier road-movie de KKI

Mexican Corner, KKI © Gabriel Ramos Santiago

Depuis 26 ans Marseille Objectif danse programme au plus près de la création contemporaine. Avec ses moyens, pas assez grands, Josette Pisani a fait venir à Marseille tout ce que la danse a vu éclore de recherche, de liberté, de question-nements sur le corps. Et grâce à elle on a pu découvrir dans cette ville, qui n’était pas encore Capitale mais qui était curieuse de tout bien au-delà de la Méditerranée, ceux qui créaient à nos portes, et ceux qui fabriquaient au bout du monde.Trisha Brown est de ceux-là. Pour l’année Capitale et en coréalisation avec le nouveau Théâtre de la Joliette, Marseille Objectif Danse a programmé quelques-unes de ses courtes pièces, très flower power, délicieuses, et pas seulement. Une véritable philosophie du corps est à l’œuvre dès ces Early works. La chorégraphe américaine, très tranquillement, y abandonnait les carcans, et mettait en scène le corps dans d’autres exploits. Tout y repose sur la recherche de l’équilibre, l’entente entre les corps qui exécutent ensemble des jeux d’adresse simples et impressionnants, impossibles sans écoute de l’autre, inenvisageables sans cette grande liberté des années 70 qui vit naitre la post modern dance américaine. Tout est drôle, léger, et mine de rien met en scène les appuis dans l’espace, la distance et le rythme, la vitesse, la détente, la tension, tout le vocabulaire de

cette danse si inventive… qui avait cessé de raconter des histoires et de masquer les corps.

Sad sad SamDans la petite galerie marseillaise Où, le cycle l’art de la performance se poursuivait, très différemment. Matija Ferlin y expose sa douleur amoureuse, avec une grande simplicité, les yeux dans les yeux. Son visage couvert de pinces à linge, sa prostration, des mots qui défilent sur le mur et quelques chansons kitsch de rupture qu’il s’approprie en pleurant. La douleur est là,

sensible, simple, recréée. Dite, de dos, comme un souvenir qu’il doit partager au-delà de la pudeur. Et juste quand il le faut, à la fin, alors que le corps a jusque là retenu ses gestes, Matija Ferlin danse, s’écar-tèle, choit, dessine sur le sol sa solitude habitée. C’est simple, une performance parce que la relation au public est directe, mais beaucoup plus distancé, construit, joué que les performances provocatrices des années 70. Contaminé par la représentation, mais très joliment !AGNÈS FRESCHEL

Le cycle L’Art de la performance se poursuit jusqu’au 19 décembre

C’est l’oeil que tu protèges qui sera perforéChristian RizzoVilla Méditerranée, Marseilleles 12 et 13 déc

Carmen ShakespeareOlga Mesa et Francisco Ruiz de InfanteHors de tout présentSofia Dias et Vitor RorizLa Friche, Marseilleles 18 et 19 déc04 95 04 96 42www.marseille-objectif-danse.org

Heureusement qu’il y a MOD

Early Works © jp

1616

Page 17: Zibeline 69

04 90 85 00 [email protected]

Ven 17 et sam 18 janvier

Correo ExpressCie Théâtre Monte-Charge

Sur fond de salsa, l’histoire d’hommes et de femmes

confrontés aux rêves d’un ailleurs...

Jeu 30 et ven 31 janvier

Une passion entre ciel et chairCie Alchimistoire

adapté du roman de Chistiane Singer La passion d’une femme

qui nous offre son optimisme, son désir de vivre, sa foi en la vie.

Ven 7 février

Itinéraire d’un fils de jardinierConférence projection par Valérie Siaud,

historienne provençale, conférencière,membre de l’Académie de Vaucluse

La Provence au XIXe siècle : Joseph Roumanille, Frédéric Mistral.

Jeu 13, ven 14, sam 15et dim 16 février

Chants d’exilCie Serge Barbuscia

Poèmes et chansons Bertolt Brecht, une épopée qui dévoile une face intime d’un homme, d’un artiste.

ABONNEZ-VOUS !

Festival Fest’Hiver

Page 18: Zibeline 69

Marseille. Il fallait que ça ait lieu là. On n’a pas conscience, ici, du peu de lien artistique entre Maghreb et Machreq, (ensemble des pays arabes d’Asie et du nord-est de l’Afrique) entre chaque pays. Marocains, Libanais, Tunisiens et Palestiniens se découvrent autant que notre rive les rencontre, et leurs différences sautent aux yeux. Dans leur rapport politique au théâtre, conçu comme un témoignage et une lutte. Dans leurs modes de jeu aussi, incarnés, plus démonstratifs et jouissant du vertige des mots.

MétissageSur le grand plateau de la Friche N’enterrez pas trop vite Big Brother, fruit d’une commande à Dris Ksikes, auteur Marocain, par la Cie Parnas. Le texte en français est lyrique souvent, trop abondant parfois, préférant la figure poétique à l’efficacité dramatique, perdant plusieurs fois le spectateur dans ses méandres. La mise en scène de Catherine Marnas contrecarre ces élans par un dispositif résolument frontal et technologique : écrans, vidéos qui débordent, micros, musique… Il faut dire que ce Big Brother met en scène une geek manipulatrice, qui rassemble 20 ans après les habitants d’un immeuble disparu dans un incendie, et repré-sentant la possibilité d’une société libre, où le corps n’est pas honteux et le sexe possible, où la religion n’est pas un poids, où les échanges se tissent hors du capital, entre humains. Mais cet immeuble 48 qui fait penser à l’Immeuble Yacoubian d’Alaa al-Aswany n’est pas nostalgique de cosmopolitisme, et il est dangereux de s’y livrer, dans une société où Big Brother occupe aussi les réseaux… La conclusion vient éclairer, sans doute trop tard, le propos, et la mise en œuvre souffre un peu du décalage entre les habitudes de jeu des acteurs Libanais et Tunisiens, celle des jeunes comédiens de l’ERAC formés autrement, et la volonté perceptible de construire un jeu rythmé et adressé au public qu’ils maitrisent mal. Il n’empêche, l’entreprise est belle, et Catherine Marnas ne renonce à aucun instant à faire acquérir ses exigeantes techniques de jeu…

PlongéesSur le petit plateau, deux courtes pièces en arabe surtitré. Deux textes qui reflètent les souffrances de populations en prise directe avec la violence. Bye Bye Gillo du Marocain Taha

Adnan, mis en scène par l’artiste palestinien Bashar Murkus, évoque, en une succession de tableaux rapides habillés de musique et de lumière crue, la situation des clandestins en Europe, un état de «guerre permanente». Sur un plateau en pente, instable comme l’est l’existence d’Al-Jilali alias Gillo (il préfère ce prénom, moins susceptible que l’autre de «se transformer en chef d’accusation»), sur un plateau glissant donc, où dégringolent accessoires et acteurs, trois personnages portent haut la voix de Gillo. Est-il vraiment mort, celui que les deux autres lavent et apprêtent ? Peut-être pas. Mais au moment d’être expulsé de Belgique, c’est tout comme, car il a tout perdu, jusqu’à son nom qui «ne figure nulle part dans vos registres». Hello veut dire bonjour de Tarek Bacha se déroule dans un café de Beyrouth où Walid est entré et où rapidement la situation dégénère : il abat l’un des clients, prend la serveuse en otage… Du texte, comiquement absurde, qui pointe la banalisation de la violence, Fouad Yammine propose une mise en scène loufoque, avec ses lieux signalés par de grands cartons blancs, ses accessoires en carton aussi, ses postures ridicules (celles du commissaire en particulier) et ses arrêts sur images fréquents, selon les ordres d’un commentateur-metteur en scène-musicien qui règle avec autorité le

jeu des trois acteurs-marionnettes (à l’image des civils dans la guerre ?). C’est très réussi, on rit beaucoup… jusqu’à ce que l’ode finale à Beyrouth la victime vienne, maladroitement, casser l’effet explosif de ce texte décalé. AGNÈS FRESCHEL Et FREd RObERt

N’enterrez pas trop vite Big Brother (Maroc), Bye Bye Gillo (Maroc) et Hello veut dire bonjour (Liban) ont été représentées à La Friche dans le cadre d’Hiwarat du 26 novembre au 1er décembre, au Sémaphore à Port-de-Bouc les 29 et 30 novembre, à La Passerelle à Gap les 3 et 4 décembre, Les textes en édition bilingue arabe/français sont disponibles grâce au partenariat mené par La Friche avec les Editions Elyzad (Tunisie). Le texte de Dris Ksikes est édité en Français aux éditions Riveneuve.

À venir : N’Enterrez pas trop vite Big Brother est joué le 7 déc au Théâtre de Grasse, le 11 déc au Théâtre Liberté à Toulon et le 13 déc au Théâtre de Cavaillon ; Hello veut dire bonjour est joué le 5 déc au Théâtre de Grasse, le 10 déc au Théâtre Liberté à Toulon ; Bye bye Gillo est joué le 10 déc au Théâtre de Cavaillonet le 12 déc au Théâtre de Cavaillon.

Hiwarat. La création et la tournée de pièces arabes dans la région viennent éclairer les rapports artistiques qui règnent entre les deux rives…

Dramaturgies arabes, ou dire aujourd’hui

Bye Bye Gillo © Al Harah Theater

N’enterrez pas trop vite Big Brother © Pierre Grosbois

1818THÉÂTRE

Page 19: Zibeline 69

Bye Bye Gillo © Al Harah Theater

La jeune Violaine est atteinte de la lèpre après avoir donné un baiser de compassion au lépreux Pierre de Craon. Son projet de mariage avec Jacques Ury se brise au profit de sa soeur Mara. Ivan Romeuf voulait monter L’annonce faite à Marie depuis longtemps. Plus que de transmettre le propos mystique de Paul Claudel qui attend la gloire dans l’au-delà, Romeuf insiste sur l’amour, charnel ou éthéré, et sur la violence ressortant de la jalousie. Mara profite de la lèpre de sa sœur pour lui voler son fiancé Jacques. Puis elle la tuera ne supportant pas que sa fille morte renaisse avec les yeux et le sourire de Violaine. Joué dans un tout petit espace, le grand classique de Claudel change de couleur, et atteint une intimité toute particulière. Les comédiens se déplacent dans un décor vide, avec des accessoires simples faisant comprendre les lieux où se déroulent les différentes scènes. La lumière vive au début devient de plus en plus sombre au fil de la pièce, tout comme les costumes qui semblent s’abimer comme pour montrer Violaine dépecée par la lèpre. Bien que

contraint à se déplacer exclusivement de côté sur la scène, les comédiens s’approprient l’espace, et le texte, la pièce de Claudel, se voit et s’écoute comme une poésie en mouvement, une plongée dans l’âme humaine, ses orgueils, ses douleurs et ses doutes. Seule Mara caricature son personnage au point d’en faire une méchante sans scrupules ni remords. ALICE LAY

L’annonce faite à Marie, mise en scène par Ivan Romeuf, est créée au Théâtre de Lenche, Marseille, et se joue jusqu’au 25 décembre

© Christiane Robin

Amour mystique et haine terrestre

L’Amérique et les juifsCe qu’il y a de profondément singulier dans Fuck America d’Edgar Hilsenrath, c’est qu’il remet en cause l’idée reçue d’une Amérique sauvant et accueillant les Juifs après la Shoah. Jakob Bronski, petit juif sans moyen échappé du cauchemar qu’il refoule obstinément, vit d’expédients, de frustrations, de mauvais sexe et de misère. Seule l’autodérision le fait tenir dans la violence économique d’une Amérique incapable de prendre en compte son évidente inadaptation sociale. Le texte dans sa crudité et sa proximité entre narrateur et auteur fait penser à Bukowski : la consonance avec Bronski ne peut qu’être, pour ce roman allemand écrit en 1980, qu’une référence. Mais il chemine vers ailleurs, vers le moment où le souvenir remonte enfin, le traumatisme, comme une explication à cette distance à la vie que Bronski ne peut s’empêcher d’installer, qui lui donne son humour, son

pouvoir d’écrire, mais aussi son douloureux rapport aux putes, et au monde.Haïm Menahem rend parfaitement compte de ce cheminement, fait d’écriture, par une spirale de papier où il tourne jusqu’à atteindre le centre des choses. David Rueff, aux saxophones, accompagne son parcours, passant d’accents Klezmer à du free jazz, mêlant les deux univers évoqués et les saupoudrant de figuralismes. L’accent très séfarade de Menahem sonne étrangement pour ce Jakob du nord et décale un brin la judaïté, mais cela est fait si simplement qu’on l’oublie très vite et que l’on rit, que l’on écoute, jusqu’à l’émotion finale construite tout au long du parcours. AGNÈS FRESCHEL

Fuck America a été créé au Théâtre de la Joliette-Minoterie, Marseille, du 21 au 29 novembre

© Philippe H

oussin

Page 20: Zibeline 69

Récemment installé dans ses locaux rue de la Joliette, le Théâtre de la Mer présente un spectacle pêchu qui emporte l’adhésion des spectateurs. Répartis sur les trois côtés d’un espace central, ceux-ci peuvent suivre -comme au stade !- les évolutions des joueurs «sur le terrain». Aux murs, des écrans projettent de temps en temps des publicités de boissons. Trois équipes s’affrontent, trois troupes de théâtre (Théâtre de la Mer, MC d’Amsterdam, ARTA d’Al-Hoceima au Maroc), trois langues, six comédiens, dont une femme (efficace Carole Errante). Le spectacle a demandé des rencontres en amont, un travail personnel puis une mise en commun réalisée par les deux metteurs en scène, Frédérique Fuzibet et Maarten van Hinte. Malgré la réduction importante de l’aide de MP 2013 et le problème des marocains pour

obtenir leur visa, la réalisation a pu être menée à son terme et interroge sur les similitudes de comportement des spectateurs et les notions de «jeu» et d’échanges dans le sport et le théâtre. Entraîné dans le jeu, le spectateur se met à chanter en néerlandais sous la direction de l’excellent Koen Kreulen, donne son avis sur

la participation des femmes. Cela en dit long sur la manipulation des foules... Les acteurs chantent, crient, dansent avec une belle énergie. Des rencontres sont prévues avec des clubs de supporteurs... On se prend à rêver qu’ils soient plus nombreux à franchir les portes de nos théâtres.CHRIS bOuRGuE

Foot et moi la paix a été créé à l’R de la Mer, Marseille

À venirle 20 décLa Distillerie, Aubagne (programmation du Comoedia)04 42 70 48 38www.distillerie.theatre-contemporain.net

Omar Ahaddaf, Carole Erranr, Manuel Diaz et Koen Kreulen © Dan Warzy

Les mille vies d’OrlandoLe théâtre de la Joliette créait l’événement en décembre en accueillant pour la première fois à Marseille le grand metteur en scène flamand Guy Cassiers et son adaptation théâtrale d’Orlando, roman souvent qualifié d’ «inclassable» de la très peu classable Virginia Woolf. Biographie imaginaire d’un lord anglais né homme, sous le règne d’Elisabeth au XVIe siècle, se réveillant femme en Orient au XVIIIe, pour devenir en 1928 une poétesse reconnue alors qu’elle est retournée dans son pays natal qui a bien changé en trois cents ans ! Un voyage littéraire où les genres se mêlent, un conte initiatique fantastique, parodique, picaresque avec ses reines, princes, ducs, bohémiens, métamorphoses et un héros aux mille et une histoires qui a toujours trente ans. Une vie-fleuve dont Katelijne Damen, blonde, pâle, lumineuse, toute de blanc vêtue, seule sur scène, devient la biographe et le médium. Sa voix caressante chante un néerlandais surtitré, dans un flux continu accroché parfois par un commentaire décalé, humoristique, facétieux. Son corps immobile ou arpen-tant énergiquement le plateau (découvrant des baskets sous la robe élisabéthaine), foule un plan horizontal composé de quatre dalles mobiles, qui se projette à la verticale sur grand écran. Il y apparaît parfois, en partie : mains, visage, tête, sur fond de cartes anciennes, photos, textes superposés, paysages, identifiables ou grossis jusqu’à l’abstraction. Arabesques bleues, jaunes, orangées, surfaces craquelées, consumées, grattées. Effets kaléidoscopiques, correspondances sensorielles, représentation poétique des fragments disjoints du réel, on est submergés par cette scénographie, admiratifs devant la performance de l’actrice qui, ôtant peu à peu les couches de son costume, clôt l’aventure sur fond blanc, à même le sol, identifiée à celui/celle dont elle a parcouru les vies. ÉLISE PAdOVANI

Orlando a été joué du 5 au 7 décembre au Théâtre Joliette-Minoterie, Marseille

© F

rieke

Jans

sens

Quand Antoine Defoort et Halory Goerger germinent, c’est dans le monde des concepts, et c’est sacrément drôle ! Ce Germinal n’a rien à voir avec Zola, ni avec le mois révolutionnaire, ni avec la germination, à moins qu’elle ne soit celle du langage. Le tour de force de ce spectacle est de parler à tous. On s’y délecte de son franc côté burlesque, parce que les quatre comédiens pince-sans-rire sont des hurluberlus cultivant leur clown ; on rit des décalages : les personnages sortent du sol, comme ils y trouveraient des truffes, une piscine, des micros, une guitare... soit tout un matériel de théâtre ; on s’étonne de la pertinence des démonstrations linguistiques : tous les stades de construction d’un langage, depuis la phonation jusqu’au classement paradigmatique, y sont mis en œuvre avec une ironie permanente, qui n’a d’égale que leur justesse théorique. Enfin, plus profondément encore, on s’épate de la mise en œuvre formelle : comme Marivaux plongeant ses personnages dans un état de nature pour y étudier la relation et le désir, Antoine Defoort enferme ses hurluberlus dans un espace vierge, ne recélant que quelques accessoires techniques enfouis, à peine des mots, et surtout pas d’incarnation, de passif théâtral. Comme quoi on peut encore, après la post post modernité, trouver du neuf sans retourner en arrière… Tout en faisant rire des lycéens qui, à la sortie, disaient à leur prof «Ah madame, on a tarpin trop kiffé !» (si si, entendu !)AGNÈS FRESCHEL

Germinal a été joué au Merlan, Marseille, du 27 au 30 novembre

© Alain RicoTarpin kiffant,

la phénoménologie !

But !...

2020THÉÂTRE

Page 21: Zibeline 69

DU SAMEDI 14 AU MERCREDI 18 DÉCEMBRE 2013

+DE DANSE

À MARSEILLE !LE FESTIVAL DE CULTURE

CHORÉGRAPHIQUE

LES

DE

CENTENAIRES

RENSEIGNEMENTS, RÉSERVATIONS 04 96 11 11 20 — [email protected]

WWW.KELEMENIS.FR

LE TEMPS DES HOMMES ET LE TEMPS DE LA TERREEn MéDiTERRAnéE

écHELLES DESTEMPS

à partir du 29 novembre 2013

Projet cofinancé par l’Union EuropéenneL’Europe s’engage avec le Fonds européen de développement régionalwww.villa-mediterranee.org

EsplanadE du J4 / 13002 MaRsEIllE

© V

illa

Méd

iterr

anée

- G

obi s

tudi

o

Deux heures trente, une courte éternité pour faire naître un monstre ou plutôt deux : le Néron de Racine et le Britannicus de Xavier Marchand. En un jour en un lieu, et en 1768 alexandrins, un empereur de 19 ans ourdit son premier crime semi-fratricide et tue symboliquement sa mère ; le metteur en scène laisse parler la langue de feu aux césures impeccables et c’est une réussite incontestable dont on oublie trop qu’elle ne va pas de soi. Que voit-on alors qui dérange ou déroute ce confort ? Les acteurs ont à peu près l’âge de leur rôle et c’est là semble-t-il l’essence même de leur jeu : adolescents un peu timides de leurs gestes (les bras ballent, les regards ne se croisent jamais, les déplacements sont presque furtifs) qui disent à leur insu l’ampleur du désastre ; Junie (Marine de Missolz) dans sa blanche tunique courte somnambulise jusqu’au hurlement qui acte l’empoisonnement de Britannicus ; Néron (sensible Joseph Bourillon à qui n’est pas éloigné de plus de deux rangs) se «fait» doucement sans l’emballement exclamatif lié habituellement à son rôle ; les cernes rouges felliniens disent la fréquentation du soleil noir de la mélancolie plus que la cruauté du fauve ; quant à Agrippine (Anne Le Guernec, Bérénice dans le second volet du dyptique à venir), sa majestueuse fureur est davantage contenue dans l’élan noir de sa coiffure de matrone et la hauteur de ses talons que dans sa voix qui fait barrière à la violence. Les deux précepteurs à la lourde perruque tricotée (?) campés dans une radicale antithèse -sage Burrhus, hiératique et monumental dans sa diction et ses déplacements / traitre Narcisse ricanant et gesticulant de mille bras- font encore grincer la machine. Classique, baroque, cathartique, tragique, acidulé à la pointe burlesque de la «furtiva lacrima» de Donizetti ou des cris de mouette poussés dans la lumière sanglante du décor labyrinthe, ce Britannicus discrètement déplacé force l’attention et active les questions sinon les émotions... en attendant Bérénice...MARIE JO dHO

Britannicus a été créé du 20 au 28 novembre à La Criée, Marseille

À venirBérénicedu 6 au 9 févThéâtre Joliette-Minoterie, Marseille04 91 90 07 94www.theatrejoliette.fr

Oh les beaux vers…

© Eric Reignier

Page 22: Zibeline 69

Ôde à la joie Tout commence par un air de l’Ôde à la joie de Beethoven joué au piano par Jelle Vasterhaeghe et à la flûte par la blonde et impétueuse Pascale Platel. Et lorsque les notes s’envolent, cette dernière se déconcentre comme tous les enfants pour aller dessiner au tableau. Miss Pépé Promptly est heureuse dans son monde parfait uniquement peuplé d’enfants. Elle les invite tous les jours dans son «bar bobard» où elle enseigne «l’art d’être joyeux et libre». Un jour l’arrivée d’un certain Paulpaul va bouleverser cette vie onirique. Lui c’est son ami d’enfance, qui a aujourd’hui la trentaine, et se fait

passer pour un enfant de 6 ans afin d’assister au cours de Bobardement. Au début, elle ne veut/peut pas le reconnaître. Au fil des cabrioles, et d’exercices les plus incongrus qu’elle lui fait subir, il comprend à quel point il est difficile d’être un enfant, et elle de devenir adulte. Dans un décor au style vintage des années 70, c’est la douceur et l’innocence qui prédominent dans l’univers rêvé et déjanté de Pascale Platel. Elle réinvente, avec la complicité de Paul Deloore, une façon désopilante de parler aux enfants de sujets profonds comme la confiance en soi, la peur d’être un enfant, et inversement

la difficulté de quitter ce monde pour celui des adultes, qui, lui aussi, offre beaucoup d’autres formes de bonheur. ANNE-LYSE RENAut

Le spectacle KipKappen (bar bobard) a été joué du 21 au 24 novembre au théâtre Massalia, Marseille

KipK

appe

n ©

Ray

mon

d M

alle

ntje

r

L’art et la choseRenaud-Marie Leblanc aime à travailler sur des textes qui le dérangent, mais affirment une singularité d’écriture. C’était le cas avec Christophe Pellet, ou Noëlle Renaude, ça l’est encore plus nettement avec Chris-tophe Lollike, auteur danois à l’écriture d’une intensité rare. Mais au propos ambigu. Partant de la phrase choc de Stockhausen après le 11 septembre, qu’il qualifia d’«œuvre d’art la plus grandiose de tous les temps», Chef d’œuvre explore cet attentat suprême, dans une écriture virtuose et fragmentée faisant surgir peu à peu, au milieu des cris de douleur du monde, comme une mosaïque qui s’assemble, la conscience du terroriste, son ivresse et sa haine (justifiée ?) du monde. Au fil de cette progression aussi, comme un écho permanent, le questionnement sur les rapports entre l’art et le réel, la contamination permanente entre la fiction, le virtuel et les actes, et l’effet choc de la transmission mondiale en direct de ce qui ressemblait tant à nos films catastrophe. Monter ce texte n’est donc pas anodin : il travaille juste à la frontière du politiquement très incorrect… Mais Renaud-Marie Leblanc en a une conscience permanente, et sait ce qu’il dit : les passages les plus violents sont dits avec retenue et sans incarnation, à terre, de dos, en mettant l’émotion à distance ; et si la première partie, où l’attentat est vue de l’extérieur, est en pleine lumière, le monologue du terroriste apparaît dans une pénombre explicite, qui laisse entendre la douleur -Gilbert Traina est époustouflant- mais aussi un désaccord profond avec le personnage.La scénographie d’Olivier Thomas est comme toujours parfaite, et la direction d’acteurs un modèle : il faut que ce spectacle, dérangeant mais fort, trouve des producteurs, pour vivre bien au-delà de cette présentation publique !AGNÈS FRESCHEL

Chef d’œuvre a été créé au Théâtre Vitez, Aix, le 13 novembre

© Cie Didascalies and Co

Centième et inauguration

La dernière sirène de 2013 était aussi la 100e. Le soleil d’hiver brillait, et la bande à Defoort (voir p 20 ou 21) a entrainé un public tranquillement assis dans l’espace public à s’adonner à quelques jeux, comme conceptualiser la chaîne de travail nécessaire pour fabriquer un pied de micro, s’entrainer à agacer les chats méprisants, accompagner le mouvement d’un ascenseur jusqu’à imaginer que tout bouge sauf soi… Un moment délicieux au soleil, qui contrastait semble-t-il avec l’inauguration officielle, quelques jours auparavant, de la Cité des Arts de la rue. Peut-on vraiment, sans sourciller, se réjouir et se targuer de la réussite d’un bâtiment qu’on a mis 17 ans à construire, que l’État n’honore pas de sa présence alors qu’il en est le financeur et l’initiateur principal ? Espérons que cette Cité n’arrive pas trop tard, et que l’art d’espace public qui doit s’y construire y trouve réellement des ressources nouvelles… AGNÈS FRESCHEL

La dernière sirène a eu lieu le 4 décembre sur le parvis de l’Opéra de Marseille

© Vincent Lucas

2222THÉÂTRE

Page 23: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

Il n’est pas très bon à l’école, perd sans cesse ses papiers, sa carte de bus, n’arrive même pas à tracer une ligne droite. Fragile, comme son prénom, Libellule, il grandit en fond de classe, énigme pédagogique, puis, plus grand, en fond de cave, croise les chemins de personnages peu recommandables, dealer, petits malfrats, tous animés par le désir du départ, pour ailleurs, un ailleurs qui voisine la mort, comme celle de Loula, morte d’une overdose. Sa mère fait des ménages, les murs s’étirent immenses, trop hauts à l’image des obstacles qu’elle affronte ou fuit : elle chasse son fils de sa maison. Lente et inexorable descente aux enfers dans une «conscience de brume» habitée par la tentation du suicide. Les lumières de Bruno Brinas savent avec justesse souligner les étapes de la dramaturgie, ainsi que la musique jouée sur scène. À l’instar du Candide de Voltaire, Libellule devient jardinier, mais municipal. Pour un jardin

personnel, il faut déjà des moyens ! La Compagnie Vita Nova s’en donne à cœur joie dans Au Pied du mur sans porte, texte mis en scène par son auteur, Lazare. (Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs). Cette épopée connaît certes des longueurs, mériterait un autre rythme ; elle a le mérite cependant de mettre au jour, de dire sous une forme esthétique un sujet brûlant contemporain. Lui répondait l’exposition Ville Monde-Ville Utopique de Moïse Touré, à l’étage, où l’esthétique et la fonction du portrait s’interrogent à partir de photos, de vidéos, et de textes d’auteurs contemporains. Construction d’une identité collective et singulière ?MARYVONNE COLOMbANI

Au Pied du mur sans porte a été joué les 21 et 22 novembre au Bois de l’Aune, à Aix

Candide et la banlieue

© Hélène Bozzi

Éclipse et escargotLa Compagnie Demesten Titip poursuit avec bonheur son travail avec l’écrivain Joël Egloff. L’ensemble des textes issus de cette collaboration aura pour titre La Révolution des Escargots et verra le jour en 2014. Après deux temps de résidence réalisés en 2013 au CNCDC de Château-vallon et au 3bisf d’Aix-en-Provence, deux propositions sont présentées en ce lieu. Gilbert Traina à qui Solenne Keravis donne la réplique, lit L’homme que l’on prenait pour un autre, récit narré à la première personne, construit sur une série d’anecdotes. On pourrait être dans du Jules Renard mâtiné de Desproges. Le quotidien se biaise insensiblement, glisse vers l’absurde et révèle avec finesse les mécanismes des êtres. C’est sur ce même principe que repose la seconde forme, Les ensoleillés. Le motif en est simple : est brossée une galerie de personnages qui attendent une éclipse totale de soleil. Une vieille dame (remarquable Marianne Houspie) engluée dans ses angoissantes et sempiternelles vérifications –est-ce que j’ai bien éteint la lumière, fermé les robinets…- s’aventure malgré les avis défavorables à sortir pour l’occasion. Franchir la porte de la maison devient une épreuve immense. Une jeune mère donne rendez-vous à ses enfants pour voir l’évènement de l’éclipse, son patron la laissera-t-il sortir ? Elle répète la scène avec ses collègues, l’action s’emballe, portée avec brio par Solenne Keravis, souveraine dans le rôle. La mise en scène utilise de nombreux effets, vidéo, lumières, musique, multipliant les plans, doublant de poésie l’ensemble, dans un ballet parfaitement rythmé. M.C.

L’Homme que l’on prenait pour un autre et Les Ensoleillés ont été joués les 27 et 28 novembre au 3bisf, Aix

À venirRien à secouer et Les ensoleillésles 7 et 8 marsLa Friche, Marseille04 95 04 95 95www.lafriche.org

Théâtre en doc Soirée particulière au théâtre Vitez avec double projection de documentaires dans lesquels l’envers du théâtre est abordé. Dans Acteurs de Cristal de Yannick Butel, Valérie Dréville évoque son travail. D’abord, «ne pas avoir peur d’avoir peur», ne pas oublier aussi que les acteurs jouent ensemble et en présence d’un public. À la question de l’interprétation, un mot clé, l’action : «Il ne faut pas penser le personnage ou le ressentir, mais agir.» Soulignant que «le texte scénique éclaire le texte littéraire et réciproquement», elle évoque la figure du metteur en scène Grüber qui conseillait «je veux que vous jouiez le cœur chaud et les lèvres froides» alors que Régy suggère «juste rêve à ce que tu dis». Pour cette «anachorète des plateaux», «le regard des spectateurs va plus loin que nous sur scène, il est question (avant tout) d’humanité.» L’intérêt des propos tenus compensait le manque de rythme du film. Plus enlevé, 1+1=0 «une très courte leçon» de Tadeusz Kantor (Marie Vayssière et Stéphane Nota) racontait les étapes de travail d’un atelier de formation à Charle-ville-Mézières. Pour le grand metteur en scène, la théorie ne se dissocie pas de la

pratique. Il se refuse aux «recettes», aux conventions normées, au langage codifié des facs. «Je demande l’impossible, quand on le demande on obtient quelque chose !» On entre de plein pied dans le temps suspendu théâtral, du pur bonheur ! Quel dommage que passer la barrière de sortie de la fac soit ensuite plus que problématique !M.C.

Les deux films documentaires ont été projetés le 3 décembre au Théâtre Vitez, Aix

Valérie Dréville, capture d’image tirée du film Acteurs de cristal de Yannick Butel

© Vincent Lucas

23THÉÂTRE

23

Page 24: Zibeline 69

Aveugles et sourdsCe n’est pas un combat, encore que… Mais Borges et Goya, dans les monologues de Rodrigo Garcia, ne s’opposent pas, ils se complètent même à merveille dans un duel mis en scène par Arnaud Troalic. Les deux histoires se superposent, s’entremêlent pour n’en faire plus qu’une, jouées en alternance, puis en simultané, dans un rythme effréné !, par deux comédiens impeccables : Arnaud Troalic lui-même et Julien Flament. Comme les deux faces d’un même personnage, les deux héros se retrouvent contraints dans leur vie par une désillusion profonde face aux espérances déçues d’une réalité humaine et économique dans laquelle ils ne se retrouvent pas. L’un ne se remet pas de n’avoir pu avoir le courage d’aborder Borges, et s’émancipe, rageur, en se rappelant qu’il n’a pas dénoncé la dictature militaire en Argentine. L’autre, looser magnifique, veut entrainer ses jeunes enfants dans une nuit de débauche, avec toutes ses économies, qui se terminerait au Prado devant les peintures noires de Goya, alors qu’eux préfèreraient aller à Disneyland. Pour tout décor une vieille voiture (Borges), un vieux canapé (Goya), et une pelouse en commun qui deviendra le lieu de toutes les révoltes… La mise en scène maîtrisée, d’une mécanique implacable, mène à un affrontement dialectique et physique presque animal des deux protagonistes, investissant jusqu’à son paroxysme la langue violente, et infiniment poétique, de Rodrigo Garcia. dOMINIQuE MARÇON

Borges vs Goya a été joué le 3 décembre au Théâtre d’Arles

À venirles 23 et 24 janvLes Salins, Martigues04 42 49 02 00www.theatre-des-salins.fr

Tu veux bien monter ?

S’agit-il de libertinage ? de consommation ? de rencontres ? Mais que viennent donc chercher ses quatre femmes et quatre hommes Tokyoïtes dans ce club si particulier, que les deux tenanciers mettent à l’aise dès l’entrée en leur prêtant les serviettes qu’ils porteront dès la douche prise ? Soyons clair, il s’agit de sexe. Et plus particulièrement de libido, de désirs pulsionnels à satisfaire le plus rapidement possible. Ici personne ne se connaît, et les rencontres inévitables ne doivent pas être durables, le

commerce (pour les uns) et le plaisir (pour les autres) prévalent. Dans un ballet incessant, le temps d’une nuit, les corps vont se croiser et s’unir, s’échanger, se tester, dans une apparente liberté. En apparence seulement, car il apparaît vite que leurs certitudes vont être ébranlées, un sentiment de malaise s’emparant de quelques-uns qui se mettent à crier, en pleurant, que tout va bien et qu’ils passent un bon moment. Le désir suffit-il à combler leurs attentes, ou ne s’agit-il pas, encore et toujours, de trouver l’amour ? Car, pour reprendre le titre Le Tourbillon de l’amour, si tourbillon il y a, l’amour en revanche semble loin de ces rapports pathétiques (et fort heureusement souvent désopilants).Hyperréaliste, la pièce du jeune metteur en scène nippon Daisuke Miura n’apporte pas de réponse, pas plus qu’elle ne juge ou ne dénonce ce commerce bien réel -bien qu’illégal- dans son pays. À chacun donc de s’emparer de ce sujet universel.dO.M.

Le Tourbillon de l’amour a été joué les 27 et 28 novembre au Théâtre de Nîmes

© W

akano Hikino

© Olivier Roche

Pour sa troisième et dernière année en tant qu’artiste associé aux Salins, Jean-Claude Berutti a repris la pièce qu’il avait créée à Zagreb la saison dernière, Les Femmes de Bergman, adaptée du texte du jeune auteur biélorusse Nikolaï Roudkovski, avec les mêmes comédiens qui jouent en français. Dans une chambre d’hôpital austère, une jeune femme, pansement sur le cou, reste prostrée, muette, tandis qu’une infirmière s’affaire auprès d’elle, prévenante et envahissante. Tout dans cette première scène rappelle un film de Bergman, Persona ; «mais il ne faut pas se fier aux apparences» met en garde J.-C. Berutti… De fait, un troisième personnage, hors scène, prend la parole : un écrivain/voyeur écrit l’histoire en cours, nous apprenant par la même occasion que cette belle muette est une cantatrice qui a perdu sa voix (Lucija Serbedzija, au regard profond qui dit tout), soignée par une infirmière perverse, à la fois aimante et cruelle (Ksenija Marinkovic, dont le jeu nuancé impressionne). Comme chez Bergman, ce couple scénique se complète à merveille et crée une ambiance qui se fait de plus en plus pesante. De leur affrontement initial va naître un amour qui dessinera sur les lèvres de la malade un sourire épuisé mais emplit de douceur. Tel le démiurge qui veux tout régenter, l’écrivain s’immisce et tente, en vain, de tout contrôler. La situation le dépassera, pris qu’il sera, à l’instar du spectateur, entre cauchemar éveillé et fantasme de vie assumée. dO.M.

Les Femmes de Bergman a été joué du 14 au 16 novembre aux Salins, à Martigues

Solitude Bergmanienne

© Mara Bratos

2424THÉÂTRE

Page 25: Zibeline 69

© Mara Bratos

Page 26: Zibeline 69

«Si le hasard l’avait voulu… vous pourriez être l’un d’eux !» Les marionnettes de comptoir de la compagnie les Rémouleurs, inspirations artisanales des films de Tod Browning, se sont réfugiées le 8 novembre dans un bistrot de Cavaillon, à l’invitation nomade de la Scène nationale. Manipulés (et habités) par Anne Bitran et Catherine Gendre, ces petits êtres difformes, ensorceleurs, sarcas-tiques ou terriblement sensibles, sortis du zinc ou d’une valise, de manèges de lumières enchanteurs ou d’ombres projetées à faire frémir les doudous cachés sous les draps des petits enfants, ont fasciné le public de leur apparence pittoresque. Entre deux verres, et un entracte malheureusement

frustrant pour le rythme de la pièce, ils ont défilé et composé une galerie de «bras cassés», enga-geant un cirque d’émotions entre sympathie et répulsion, chacun diluant son propre mystère, sa propre musique : il y a celui dont la croissance a été contrariée, celui qui mange des pierres et les vomit, des sœurs siamoises, un nain et une acrobate vénale, des sans bras, des sans jambes, tous nés «sous le signe du moins ou du plus et qui aimeraient quelques fois être un peu transparents»… et puis il y a l’autiste qui raconte comment il trompe son monde en jouant la comédie sociale, «sans ça pas d’acceptation», et le regard du spectateur se déplace. «Il y a 1001 manières d’être un monstre»,

c’est dans le regard de l’autre que la différence existe, que le han-dicap devient phénomène. Dans ce Freaks, d’où quelques brèves de Victor Hugo, Patrick Kerman ou du discours de Dakar écrit par Henri Guaino s’échappent, le public -pas vraiment improvisé- apprivoise avec enthousiasme les stigmates

visibles. Mais par manque (désiré) de narration, l’invisible lui reste étranger…dELPHINE MICHELANGELI

Freaks a été présentée en tournée Nomade(s) du théâtre de Cavaillon du 7 au 10 novembre

Monstres et compagnie

Frea

ks ©

Oliv

ier V

alle

t

Parce qu’«il faut apprendre à nos enfants à garder la tête haute», et donner du sens aux mots, le collectif MxM dirigé par Cyril Teste, après Reset et Sun, poursuit son travail sur l’enfance. Associés à nouveau à Joël Jouanneau qui signe un conte onirique traversé par l’amour des mots et de la nature, ils viennent de créer pour le jeune public la pièce d’une esthétique impeccable, Tête haute. Mariage féérique du langage et de l’anima-tion qui se frotte au réel, s’invente par la vidéo en projetant ses ombres mouvantes ou filmant d’inquiétants personnages. Nous voilà transportés dans un cinéma-théâtre en noir et blanc, extrêmement bien produit, un Pop Up numérique géant où deux comédiens d’une justesse parfaite réussissent à faire oublier la technique pour nous embarquer dans l’odyssée initiatique d’une enfant, abandonnée par ses roi et reine de parents, qui s’affranchira des obstacles pour grandir. La fil-lette au nom secret connaît «par le cœur» les mots du dictionnaire que Babel, le narrateur émancipateur, lui apprend. Pleine de cette culture, il lui faudra affronter le sens du mot «peur» dans une forêt d’images au relief majestueux, et parce que «tout existe sauf l’oubli», hommage affiché de l’auteur à Borges, retrou-ver un vieil homme exilé et ouvrir, seule, la porte de son royaume. Etrangement, alors que la narration prenait le temps d’être conduite de façon lisible, même à double lecture, l’issue du conte se précipite dans des contours subitement flous

et inaboutis. Certes, tête haute l’enfant a passé les difficultés, mais quid exactement de ses supposées retrouvailles paternelles ? Deuil, pardon, indépendance, sens de la vie, résilience ; toutes ces questions diluées restent en suspens… or pour grandir les enfants, d’autant plus orphelins, n’ont-ils pas besoin de temps pour accueillir des réponses explicites et sécurisantes ? dE.M

Tête haute s’est joué au Théâtre de Cavaillon le 29 novembre

À venirle 10 janvLe Carré, Sainte-Maxime04 94 56 77 77www.carreleongaumont.com

du 18 au 21 marsThéâtre de Grasse04 93 40 53 00www.theatredegrasse.com

le 28 marsPôleJeunePublic, Le Revest-les-Eaux04 94 98 12 10www.polejeunepublic.com

Show must go on ?Pop Up numérique C’est une version improvisée, inédite, un peu laborieuse… mais courageuse, que nous a proposé le collectif Ivan Mosjoukine, du nom d’un réalisateur russe du cinéma muet. Habituellement, dans De nos jours [notes on the circus], les 4 circassiens encensés par le public et la presse, qui ont décidé malgré le succès de se désunir après la tournée 2013-2014, «courent tout le temps» en égrenant un montage diablement efficace de 78 notes désopilantes pour «faire parler le cirque». En décidant d’assurer la représentation, malgré l’absence ce soir-là de l’une des artistes souffrante, ils ont pris le risque -mais n’est-ce pas la nature même du cirque ?- de défaire ce petit bijou de fantaisie poétique qui renouvelle à merveille l’art circassien, dont on ne sentit malheureusement que l’essence première. Tirées à la loterie, les notes jouées pour moitié, présentées dans le désordre, perdaient force et sens, inéluctablement. On rit bien sûr, souvent, devant l’intelligence théâtrale de ces quelques acrobaties clownesques d’ironie, où la chute à répétition impressionne, l’utilisation du langage et de ses limites complètent l’excellence des numéros, mais ici trop brefs et décousus, où la musique (Nina Simone en met plein la vie) et les rapports de force dressent un tableau d’humanité et un amour de la vie d’une fraîcheur pressentie de génie. Une représentation remarquablement frustrante donc, mais qui pourrait ajouter un principe de création, parmi les 15 sur lesquels s’assoit déjà le collectif : show must go on ! Dernière séance de rattrapage dans la région en mars ! d.M

De nos jours s’est joué les 5 et 6 décembre au théâtre de Cavaillon

À venirdu 27 au 30 marsLa Criée, Marseille04 91 54 70 54www.theatre-lacrie.com

© C

arol

ine

Bigr

et

© Ivan Mosjoukine

26JEUNE

PUBLIC

CIRQUE

26

Page 27: Zibeline 69

© Ivan Mosjoukine

Page 28: Zibeline 69

C’est «l’ennui, la solitude et le désespoir amoureux» qui ont conduit Thomas Jolly à se plonger dans la lecture des pièces historiques de Shakespeare ; le désir, irrépressible, s’allume avec Henri VI : «Une œuvre monumentale qui ne répond pas aux canons de logique de pro-duction et de diffusion». Ancien élève du TNB, directeur de la Piccola Familia, l’«entremetteur en scène» trentenaire -comme il se définit pudiquement- évoquait avec passion, à La FabricA, la trilogie montée en intégralité au Festival 2014. 16 heures de théâtre pour relater un demi-siècle de l’histoire d’Angleterre, 3 pièces découpées en 2 cycles et 4 épisodes, 15 actes, 10 000 vers, 200 personnages pour 21 comédiens (dont 6 femmes)... un projet démesuré «où l’organicité reprend le pas autour d’une communauté éphémère». Convaincu

par «la force fédératrice de rassemblement du théâtre» et affirmant «qu’un spectateur perdu une minute est perdu à jamais», Thomas Jolly tentera de rendre limpides les enjeux, portant avec impétuosité la question du pouvoir face à l’humanité et la dégénérescence d’un monde au plateau, et transmet son enthousiasme avec gourmandise. S’appuyant sur la traduction versifiée de Line Cottegnies, sans toucher (hormis quelques adaptations pour gagner en suspense et en narration), ni couper, au texte, «sinon ça n’est plus qu’une course à la couronne entre deux familles», il donne à voir «le basculement d’un monde aux origines de notre culture. Depuis 6 siècles, les choses n’avancent pas beaucoup… Shakespeare entremêle tous les registres, tragédie, polar, comédie, romance, tout ce que le théâtre peut offrir, un vrai terrain de jeu». Depuis 4 ans, cette «grande saga» (jamais montée en France) se construit morceaux par morceaux, le public suit chaque épisode avec délectation. C’est ainsi que cette aventure au long cours a été imaginée «grâce à sa structure narrative proche du cinéma américain et des ressorts dramatiques qu’on suit comme une très bonne série». En glissant des entractes à des endroits clés et des rebondissements tous les quarts d’heure, «une instantanéité de théâtre, très shakespearienne, contre laquelle on ne peut pas aller» se crée. Une expérience collective, à vivre en compagnie d’une génération qui en chasse une autre, en pleine guerre des Deux Roses, et d’un roi qui connaitra l’un des règnes les plus sanglants de l’histoire d’Angleterre, courageuse, fédératrice et appétissante !dE.M.

Thomas Jolly était invité le 13 novembre par le Festival d’Avignon

Ce n’est plus la bigoterie qui étouffe ce Tartuffe, réactualisé par Jean-Pierre Pelaez «à la manière de Molière» et mis en scène par Gérard Gelas, mais «l’humanitaire» et la déroute politicienne. Les deux compères s’en prennent, avec une impertinence et un plaisir évidents, comme un joyeux canular tristement réaliste, aux hypocrites contemporains «qu’ils aient leur compte en Suisse ou en France», développant l’idée qu’aujourd’hui «la Tartufferie est devenue une véritable institution, la boîte à outils indispen-sable des nouveaux carriéristes». Même personnages (aux noms remaniés) et rebondissements que l’original, égales bouffonnerie et «bien-pensance» dévote, florilège d’alexandrins et rimes -percutants ou attendus-, pour s’attaquer à la charité universelle… et à la bêtise humaine.

Entre joints fumés par une bonne colombienne «à l’accent d’une vache espagnole» qui reste la plus lucide, des enfants «irresponsables» qui lisent Marianne et s’angoissent d’avoir à travailler, des femmes qui «manquent d’agissement» mais fondent des associations «Désir

de changement», Kruger (Jacky Nercessian, simple et efficace), ce nouveau tartuffe en chemise blanche cloué à son portable, détonnant parmi la troupe de 9 acteurs en habits caricaturaux du XVIIe, ne s’intéresse qu’à la célébrité (et aux femmes). Derrière son intérêt

pour la misère du monde, le mani-pulateur moderne rêve d’entrer au ministère. L’imposteur trompe à la perfection son monde avec son charity-business et son futur «Misèrethon animé par Drucker», et profite du naïf François/Orgon (impeccable Damien Remy sur qui repose en grande partie les ressorts de la pièce) totalement aveuglé et à la botte du «grand homme». Sa femme infidèle Elmire/Irène bafouée dans son «honneur» renversera la vapeur et fera éclater la comédie ! Une farce vivace et effrontée… qui donne, bien sûr, envie de relire Molière. dELPHINE MICHELANGELI

Le Tartuffe Nouveau a été joué du 14 au 24 novembre au théâtre du Chêne Noir, Avignon

Henri VI, un «terrain de jeu» de 16 heures

Tartufferie et «Misèrethon»

© Lee Fou Messica pour le Pole Média

Thomas Jolly (au centre), la FabricA, 13 nov 2013 © DE.M

Inspiré par l’œuvre indémodable de Gainsbourg, y mêlant avec d’infinies délicatesses sa propre histoire, Octavio de la Roza offre une interprétation dansée très personnelle, sans dres-ser pour autant d’Hôtel particulier au Gainbsbarre provocateur. Entouré de deux partenaires, généreuses dans leurs corps-à-corps voluptueux, le danseur étoile de Béjart, chorégraphie et invente son faune «gainsbourien» en liberté. Il offre avec ce Voulez-vous danser, Gainsbourg qu’il invite à rentrer dans sa transe, une réappropriation étonnante, voisine d’une décadanse poétique et sensuelle, des ritournelles incontournables, pleines de fougue et de désir, du chanteur dis-paru. Chopin, bien sûr, accompagne en filigrane le trio amoureux qui invente, sans Melody, sa propre romance, et les arrangements remplis de fêlures de Mr Qwertz, auxquels se mêle la voix de Serge et un environnement sonore remanié désarçonnant au premier abord, finissent par embarquer le spectateur dans l’univers intense de ces enfants de la chance. Un ballet sensible et attachant ; plus proche de la grandeur que de la décadence de l’Homme à la tête de chou, pour un hommage poétique et original.dE.M.

Voulez-vous danser, Gainsbourg s’est joué les 29 et 30 novembre au théâtre du Balcon, Avignon

Variations Gainsbourg

2828THÉÂTRE

Page 29: Zibeline 69

Retrouvez les tarifs et le reste de la programmation sur MUCEM.ORG Retrouvez-nous sur :

© R

ené H

aber

mac

her

PLEIN FEU SUR LA PROGRAMMATION DE FIN D’ANNÉE

JEU12 DÉC 18H30

VEN13 DÉC 20H30

LUN16 DÉC18H30

JEU19 DÉC18H30

«Lawrence Durrell, dans l’ombre du soleil grec» Découvrez ou redécouvrez l’œuvre du célèbre écrivain britannique Lawrence Durrell sous le regard de Corinne Alexandre-Garner, spécialiste de la littérature anglaise. L’occasion d’évoquer la vie de l’auteur du Quatuor d’Alexandrie qui, né aux Indes en 1912 et décédé à Sommières en 1990, fut poète, peintre et voyageur, et dont l’œuvre s’est nourrie des paysages méditerranéens, des mythes grecs et de philosophie orientale.Lawrence Durrell Imposed with Sculptors © Bettmann/CORBIS

Concert de Raimundo AmadorFigure phare de la scène flamenco en Espagne, le chanteur et guitariste Raimundo Amador a rapidement quitté les trottoirs de Séville pour fonder le mythique groupe Pata Negra (avec son frère Rafael Amador Fernandez), et croiser sur sa route Björk ou le légendaire guitariste et compositeur américain B.B. King avec lesquels il a joué. C’est dire si sa venue au MuCEM est un must !Raimundo Amador © droits réservés

« Saluons l’artiste Albert Cossery » Albert Cossery, écrivain égyptien de langue française, aurait eu 100 ans cette année. Assistez à une conversation complice entre son éditrice et amie Joëlle Losfeld, et sa traductrice américaine Alyson Waters. Un moment privilégié pour revisiter son œuvre et son écriture qui « met en perspective une philosophie et un way of life qui séduisent, déstabilisent, questionnent et viennent inévitablement bousculer les évidences et nos préjugés. » Cette rencontre sera suivie à 20h d’une lecture du roman Mendiants et orgueilleux par l’actrice Nathalie Richard.Albert Cossery © droits réservés

Mahmoud Darwich le galiléen Une occasion poétique d’écouter les lectures musicales en arabe et en français des écrits de Mahmoud Darwich, qui célèbre sa patrie la Méditerranée. Avec Dominique Devals (comédienne), Farouk Mardam Bey (éditeur chez Actes Sud) et Elias Sanbar (Ambassadeur de Palestine auprès de l’UNESCO, écrivain et traducteur de Mahmoud Darwich en langue française). Cette rencontre sera suivie à 20h30 de la projection du documentaire Mahmoud Darwich, et la terre comme la langue de Simone Bitton. Mahmoud Darwich © droits réservés

Page 30: Zibeline 69

Difficile d’entrer de plain-pied dans le matériau brut qu’est le chapitre 18 d’Ulysse de James Joyce, Pénélope, dit le «monologue de Molly Bloom», ultime épisode du roman où Molly s’apprête à sombrer dans le sommeil, toute chaude encore du souvenir du corps de son amant, jambes ouvertes, tête renversée, pensées sulfureuses… Difficile pour le public du Théâtre Liberté qui, semble-t-il, souffrait d’inaptitude auditive -la voix d’Anouk Grinberg, tantôt enjôleuse, tantôt désespérée, requérait une attention sans faille !- et débarquait sans crier gare dans un texte torride, d’une liberté totale où l’on dit bite pour parler de sexe. Et dans ces années 1920 encore marquées par la guerre, la jouissance et le plaisir féminins sont des sujets totalement censurés, qui plus est évoqués par un homme ! Mais Molly Bloom est tellement gourmande d’amants et d’amour, de reconnaissance, elle, la chanteuse à la carrière sans éclat… D’ailleurs, l’amant qui dort à ses côtés n’est ni premier, ni dernier, ni unique :

Molly Bloom est une femme adultère qui court après la vie «dans une vallée de larmes». Anouk Grinberg excelle dans cette version minaudière qui oscille entre désenchantement, rêveries adolescentes et réalité poisseuse, jouant de sa voix gouailleuse à la Arletty, imposant sa silhouette fragile sur un lit à barreaux en fer comme unique décor. On regrette donc qu’une partie du public soit resté sourd au texte et à

son interprétation subtile, nuancée. Vibrante comme le souffle continu qui traverse Ulysse, et avant lui l’Odyssée d’Homère dont il est la transposition moderne.MARIE GOdFRIN-GuIdICELLI

Molly Bloom a été donné les 12 et 13 novembre au Théâtre Liberté, Toulon

Suave Molly chérie

© Pascal Victor

Déjà expérimenté dans Ma chambre froide par Joël Pommerat (Zib 47), le principe des saynètes surgissant du tréfonds de l’obscurité est à l’œuvre dans La réunification des deux Corées, selon un dispositif scénique bi frontal en lieu et place de l’arène circassienne. Là encore la mise en scène est une broderie méticuleuse et l’interprétation d’une exquise justesse ; là encore l’auteur touche au cœur avec des textes incisifs et des dialogues au cordeau, passant à la moulinette 20 histoires d’amour malheureuses et universelles. La réunion des deux Corées n’a rien d’un exposé de géopolitique, c’est une leçon de vie, un abécédaire de l’intime : une femme décide de divorcer une fois les enfants partis de la maison, préférant la solitude au manque d’amour ; un mariage est avorté pour cause de futur mari volage ; les amours sont contrariées ou impossibles, fantasmées… autant de situations d’une banalité ordinaire

qui, exposées sur un plateau de théâtre, sont cruelles de vérité ! «L’amour, c’est encore plus beau quand c’est compliqué» dit l’un des personnages croqués par Joël Pommerat. À l’entendre, l’amour ne serait que compromis, qu’improba-bilité, que souffrance. Un «mariage» impossible de l’irraisonnable et du raisonné, un mélange de gêne et de remords, de soumission et de plaisir, de regret et de désespoir, de honte et d’abjection bâti sur des relations d’une violence explosive au vu des crises d’hystérie qui défigurent les personnages. Un processus de jeu répétitif, et un peu convenu, qui écorne légèrement notre adhésion au spectacle… Bref, il n’y a pas d’issue et peu d’espoir de voir les deux Corées réunifiées.MARIE GOdFRIN-GuIdICELLI

La réunification des deux Corées a été joué les 28, 29 et 30 novembre au CNCDC Châteauvallon, Ollioules

L’amour, ça n’existe pas !

© Elizabeth Carecchio

La Cie Clandestine propose un spectacle pour enfants, moins petits que ceux à qui elle s’adresse d’habitude, et fondé joliment sur le papier : celui qui se plie, se découpe en ombres et en silhouettes, celui des lettres aussi, conservées. Ester Bichucher y raconte sa propre histoire familiale, faite d’exil au Brésil, d’origines, à laquelle s’agrègent d’autres lettres collectées, et l’écriture de Denis Fayollat qui vient lier le tout. C’est un peu verbeux parfois, et gagnerait à quelques coupures, à s’installer plus franchement dans le temps poétique, à exploiter davantage les recoins imaginaires d’un décor à tiroirs particulièrement réussi. Mais on suit l’histoire avec empathie, parce qu’elle fait forcément lien à la nôtre, et que nous sommes tous faits d’exils reconstruits. Les enfants ne s’y trompent pas, qui écoutent bouche bée, y découvrant des traces de nos fêlures adultes… AGNÈS FRESCHEL

Carta Memoria a été joué le 4 décembre au Théâtre Durance, Château-Arnoux

À venirdu 10 au 13 déc Site-Mémorial du Camp des Milles, Aix04 42 39 17 11www.campdesmilles.org

du 11 au 14 févThéâtre de Briançon04 92 25 52 42www.theatre-du-brianconnais.eu

du 17 au 21 févThéâtre de Grasse04 93 40 53 00www.theatredegrasse.com

Du particulier au commun

3030THÉÂTRE

Page 31: Zibeline 69

Complètement stock… La mise en scène d’Alpenstock, de Rémi de Vos, par Julien Duval, est scotchante. Comédien d’expérience mais metteur en scène presque novice, il parvient à construire un spectacle très personnel, généreux et d’une profonde simplicité. Il faut dire qu’il travaille avec Catherine Marnas depuis des années, comme comédien puis assistant… Il y a trouvé indéniablement le souci de la lisibilité, du jeu aussi, de la drôlerie caustique, qu’il emprunte aussi à Alexandra Tobelaim avec qui il a joué un autre vaudeville décalé, Villa Olga… Mais son Alpenstock n’est en rien une imitation. Le trio fou femme-mari-amant est joué à toute allure, va crescendo, enchai-nant les répétitions qui s’accélèrent au-delà de l’absurde, vers le délire. Tout va si vite, si follement, qu’on croirait que les comédiens sont des Toons, aussi malléables et indes-tructibles que Bip Bip et Coyotte… Le raciste, sa femme et le métèque surmembré sont pourtant interprétés sans distance ironique. Comme si vous y étiez, dans cet univers de la blancheur extrême, où le sexe et la mort se confondent en une même jouissance. Le propos, grave si on y regarde bien, agitant des clichés et les énormisant pour mieux les rendre inopérants, est servi à point par trois comédiens virtuoses : Estelle Galarme, sublime dans sa fausse naïveté maniaque traversée d’interrogations philosophiques et de désir irrépressible ; Renaud Deshesdin, qui fait froid dans le dos en mari dominateur obsédé de pureté, puis de meurtre ; quant à Carlos Martins, en amant d’opérette attiré par les ménagères, il est juste inénarrable. Un spectacle réglé comme une horloge, mais qui ne se contente pas de dire l’heure… AGNÈS FRESCHEL

Alpenstock a été créé à La Passerelle, Scène Nationale de Gap, du 12 au 14 novembre

À venirles 9 et 10 janvLes Salins, Martigues04 42 49 02 00www.theatre-des-salins.fr

Du particulier au commun

© Pierre Grosbois

© Pierre Grosbois

© Pierre Grosbois

Page 32: Zibeline 69

Les Trois Contes de l’Honorable Fleur de Maurice Ohana récréent l’atmosphère d’un théâtre musical : bribes de japonais, phonèmes, puis récit permettant des tableaux variés. Ohana a toujours refusé les chapelles dogmatiques, trop fier de son indépendance, ouvert au monde dans ses expressions les plus larges : libérer l’arithmétique mesure, utiliser les tiers de tons, trouver des aspérités vocales larges. Il s’est amusé, avec sa femme Odile Marcel et Michiko Hirayama, à inventer, comme un enfant. Ohana veut dire «honorable fleur» en japonais, clin d’œil coquin du libertin franco-espagnol. Roland Hayrabedian dirige des musiciens de Musicatreize et de l’Ensemble Arabesques (Hambourg). Toujours très attentif, il imprime l’expressivité essentielle. La musique est riche : tempi, nuances, timbres (tambour saharien, temple block, cymbales chinoises suspendues…). La soprano Kyodo Okada, aérienne, évoque, par des aigus ciselés, des tableaux oniriques ou plus rugueux. Le sur-titrage permet de suivre le conte, anticipant quelques figuralismes. On retrouve l’univers des Haïkus, capturer l’instant par l’évocation, cycle des saisons, personnification des éléments : le Vent d’Est entre dans le sac, cris de joie, cymbale, piano se déchaînent, «Mille ans après, la Pluie revient…», flûte solo, clarinette, planant. Puis révérence, diminuendo du gong chinois. Toute la palette d’un peintre contemporain, remarquablement servi par les musiciens, ne faisant pas table rase du passé, mais s’en servant avec la subtilité d’un musicien humaniste et libre.YVES bERGÉ

Les Trois Contes de l’Honorable Fleur a été joué le 23 novembre à la Salle Musicatreize, Marseille

À la sortie de la Criée, le 19 novembre, on tend l’oreille : «c’est la première fois que je suis émue lors d’un concert de musique contemporaine» dit l’une, «moi c’est pareil» répond une voisine… Plutôt rare ! Visiblement, on n’était pas qu’«entre soi» aux Symphonies électriques des nouveaux mondes affichées par l’ECO (European Contemporary Orchestra), projet porté par l’ensemble Télémaque (France), en collaboration avec Musiques Nouvelles (Belgique), Icon Arts (Roumanie) et l’AFAM (Italie). Il faut dire qu’il a de la gueule cet orchestre-là avec ses 33 musiciens dirigés par Raoul Lay et Jean-Paul Dessy, ce «super ensemble» électro-orchestral qui, du fait d’une organisation structurelle bien pensée, génère des musiques inouïes ! Outre une dizaine de vents, du sax au cor, clarinette ou flûte, quelques cordes amplifiées endossant l’héritage symphonique, fleuri de luxueuses percussions, piano et synthé, s’intègrent un accordéon,

guitare & basse électriques, un « performeur numérique » (DJ) et trois voix féminines sonorisées, filant tantôt du chœur au solo… Pour un équilibre miraculeusement trouvé ! Voilà l’outil ! Manquaient les œuvres… Depuis leur premier concert à Marseille en 2012 (voir Zib 53), le répertoire s’étoffe, et la réussite du concert doit évidemment à la qualité des opus

présentés. Les Brûlures de Pierre-Adrien Charpy sont tantôt cris et bourdon-nements, où passent des flammes de Weil ou Ravel, combustions minimales, avant la formidable crépitation finale. First world de Ted Hearne s’ac-croche à la même forme (ABA), mais ce sont des collages fan-tasmés de Vivaldi, des riffs de

jazz symphonique et textures planantes rappelant Ligeti qui s’éclaboussent dans une savante cacophonie organisée.Embarquement pour l’outre-là de François Narboni affiche ses consonances, un ostinato de cinéma qui court en quintolets et superpose des blocs persistants.Hop de Martijn Padding est plus drôle, décalé, léger… son big band revisite un univers lointainement populo-tango jazzy avec ses notes bleues façon «Chaos avant la création» selon Milhaud.Kaléidoscope enfin, d’Adrian Iorgulescu, trempe ses miroirs dans le monde de l’enfance. Rapsodique, il oscille, de sus-pensions en fracas percussifs, jusqu’à l’ultime berceuse à bascule.JACQuES FRESCHEL

Le concert Symphonies électriques des nouveaux mondes a été donné le 19 novembre à La Criée, Marseille

Nouveaux mondes sonores

© Agnès M

ellon

Croiser les Maîtres du Lied et la musique contem-poraine était un pari osé. Comment garder la subtilité, l’énergie, l’immédiateté de la symbiose piano-chant, sans dénaturer, par des conjonctions instrumen-tales, l’essence même du Lied, populaire chez Schubert, sensuelle chez Schumann ? La première partie nous faisait découvrir le timbre charnel, très beau legato du ténor Fabrice Mantegna, dans des Lieder de Schubert, Truite (Die Forelle) sautillante et enjouée. Der König in Thule (Le Roi de Thulé), Aus dem wasser zu singen (Chanter sur l’eau), ligne très soutenue et noble. Les réécritures de Bernard Cavanna pour soprano (Brigitte Peyré) et trio instrumental (violon, accordéon, violoncelle) : Marguerite au rouet (Gretchen am Spinnrade) et le Roi des aulnes (Erlkönig) manquaient d’élan, de la grandeur romantique des originaux, malgré les guirlandes de doubles croches à 6/8 de l’excellente Solange Baron à l’accordéon (Gretchen). On retrouvait la soprano plus habitée, royale et très présente dans le Wanderlied de Raoul Lay, pièce superbe de lyrisme, de connections timbrales raffinées et expressionnistes. Collage littéraire pertinent issu des Dichterliebe de Schumann qui concluront la soirée dans une interprétation exceptionnelle de Fabrice Mantegna. Sur une écriture instrumentale de toute beauté, dont on pourra retenir Hör’ ich das Liedchen klingen, sommet de poésie musicale, entrée de la harpe, contrechant trompette, thème repris par le violon, soutenu par les crotales : magique ! Tout Schuman résumé dans cette relecture très réussie. Y.b

Schubertman(n)ia a été joué au Toursky, Marseille, le 6 décembre

Lieder revisitésIl était une fois Maurice Ohana © Anne Paquin Sofam

3232MUSIQUE

Page 33: Zibeline 69

Janacek au théâtre ?Même chantée, la représentation de Katia Kabanova, le 12 novembre à la Criée, tire le spectateur du côté du théâtre ; cependant le mélomane ne peut s’empêcher de l’entendre intérieurement comme un opéra... De fait, la version «de chambre» de Janacek a de quoi décevoir les partisans du second, car malgré l’indéniable talent de Martin Surot au Steinway, on imagine encore l’orchestre originel et... il y manque mille couleurs ! Nonobstant, si cette production, créée aux Bouffes du Nord en janvier 2012, s’avère «économe», elle possède aussi des atouts : les voix excellentes, plus tchèques que nature, passent facilement la rampe et les acteurs/chanteurs se trouvent libérés de la contrainte de suivre un chef (magnifique travail d’Irène Kudela en coulisse), rendant leur jeu naturel. Tout s’allège du coup, dans cette mouture, colorant même le drame naturaliste, par moments, de pointes de comédie ou d’une clarté néo-classique.Il faut dire que la mise en scène d’André Engel brille par son intelligence, donne du sens à l’œuvre, sans rien trahir, révèle et distancie les rapports intimes et secrets entre les personnages. Le décor unique, misérablement kitch, rouge tomette délavé, empile deux espaces, file du jour sinistre à la nuit idyllique, précédant l’orage funèbre. On passe (illusoire «élévation»), de l’enferment familial et maladif, ordonné par une mère tyrannique, à la pseudo-liberté d’un amour éphémère, adultérin, poussant l’héroïne, affolée, vers l’aveu coupable et le suicide annoncé. C’est beau, émouvant... pédago-accessible aux plus jeunes... On en redemande !JACQuES FRESCHEL

Katia Kabanova a été donné les 12 et 13 novembre à La Criée, Marseille

Katia Kabanova © Richard Schroeder

© Anne Paquin Sofam

Page 34: Zibeline 69

L’effet papillonDivine Butterfly ! Divine Ermonela Jaho ! Gracieuse, élégante, aérienne, profonde... et l’on pourrait continuer à déverser des flots de laudatifs, tant son interprétation de cette jeune fille gracile et fragile au doux nom de Cio-cio-san, mariée à l’âge de 15 ans à l’ignoble Pinkerton (Sébastien Guèze, admirable ténor parfait dans sa posture d’impérialiste américain) a ému le public de l’Opéra d’Avignon aux larmes. Ce duo magnifique, encadré d’une distribution de très haut niveau, avec une mention spéciale pour le baryton Marc Barrard à la voix chaleureuse, soutenu par un Orchestre Régional d’Avignon-Provence en verve avec à sa tête Alain Guigal, a magnifié ce qui est certainement un des opéras les plus abouti de Giacomo Puccini. Cette musique profonde mâtinée d’orientalisme, cet hymne à la femme

violentée et humiliée reste plus que jamais d’actualité cent ans après la création de l’œuvre ! Dans une mise en scène épurée, presque minimaliste, Mireille Laroche a su tirer la quintessence de la pièce du maître italien ! La scène finale, dans laquelle l’épouse bafouée met fin à ses jours brisant à jamais le lien qui la rattache à son enfant -la touchante Violette Fauche-, est d’une pure beauté. Dans un dernier battement d’ailes s’est éteinte l’éphémère Butterfly, mais demeure en pleine lumière, dans le rouge sang du soleil d’Orient, l’universalité du message du chef-d’œuvre de Puccini.CHRISTOPHE FLOQUET

Madame Butterfly a été donné à l’Opéra d’Avignon les 17 et 19 novembre

Mad

ame

Butt

erfly

© C

edric

Del

estr

ade

ACM

-Stu

dio

Dans une saison lyrique placée sous le signe des valeurs sûres, l’Opéra de Toulon a choisi, au risque de dérouter son public, un ouvrage de Mozart peu joué et remis à l’honneur au Festival d’Aix-en-Provence en 2012 : La Finta Giardiniera. Cet opéra bouffe en trois actes, créé en 1775 à Munich, le génie n’ayant alors que 19 ans, dévoile une histoire compliquée dans un livret de second choix, assez pauvre, abusant du comique de situation, plein de masques et de faux-semblants, où les rebondissements ne mènent finalement qu’à une issue très convenue : une fois de plus, l’amour triomphe au bout de 2h30 de musique. Bien que d’un intérêt moindre au regard des chefs-d’œuvre qui suivront, cette œuvre fut quand même pour le jeune Wolfgang Amadeus l’occasion de montrer l’étendue de son talent d’orchestrateur et mélodiste hors pair à un public qui le découvrait à peine. Cette production lui a d’ailleurs amplement rendu justice tant le plateau vocal qui incarnait les différents rôles méritait tous les éloges au même titre que la direction musicale, légère et tonique, confiée à Andreas Spering. La règle théâtrale de l’unité de lieu confinait les personnages dans un unique décor floral sur fond de projections vidéos apportant à la scène une dimension temporelle, mais n’éclairant pas une intrigue malgré tout désuète. Fort heureusement, l’inspiration musicale du compositeur était encore au rendez-vous, à l’image de superbes ensembles et de beaux airs où les amateurs pouvaient découvrir une pépinière de talents lyriques de premier choix.ÉMILIEN MOREAu

La Finta Giadiniera a été donné à l’Opéra de Toulon les 22 et 24 novembre

© Festival d’Aix-en-Provence, juillet 2012 - P. Berger

La 2e édition de la Folle Criée, consacrant deux jours à Bee-thoven au Théâtre National de Marseille, en collaboration avec le Festival de la Roque d’Anthéron (hors-saison), a fait recette : plus de 5500 spectateurs pour 12 concerts. Dans le Grand Théâtre, pour le premier concert, le Trio les Esprits fait le plein. Il joue «L’archiduc». L’âme de ce jeune ensemble est Adam Laloum, formidable pianiste à la sonorité solaire, tout en écoute et recherche de fusion avec ses partenaires : Mi-Sa Yang et Victor Julien-Laferrière.Le lendemain matin, quand Anne-Queffélec s’approche du Steinway, le Petit Théâtre est bondé. La musicienne observe avec surprise un premier rang fleuri de bambins gentiment remuants. Sa Sonate «Clair de lune» fait mouche, perçue avec «une belle qualité d’écoute des enfants et de leurs parents» (dixit la pianiste), bouleversante dans sa plastique sereine, ses questionnements ou l’orage de la révolte...Au soir, c’est Etsuko Hirose qui prend le flambeau dans la grande salle toujours comble. Sa «Lettre à Elise» est léchée, analytique, mais manque de fantaisie et d’une lecture originale. C’est ce que confirment les deux belles Sonates «Pathétique» et «Tempête» livrées avec une sonorité pleine, des doigts à revendre... On entend tout : virtuosité et puissance sont au rendez-vous ! Mais on assiste au dévoilement d’une beauté romantique à la perfection un peu inquiétante... à laquelle il manquerait une voix fraîche, poétique, fragile, sensible.JACQuES FRESCHEL

La Folle Criée a eu lieu les 29 et 30 novembre à La Criée, Marseille

Beethoven à la folie !

Trio

Les

Esp

rits

© J.

F

Mozart en son jardin

3434MUSIQUE

Page 35: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

Créé en 1733 à Naples, l’intermède lyrique La Serva Padrona connait un grand succès et devient rapidement une pièce autonome. Vingt ans plus tard (Pergolèse est mort entre-temps à l’âge de 26 ans), cet opéra de poche est représenté à Paris et déclenche la fameuse «Querelle des Bouffons» qui opposa ramistes (défenseurs de la tragédie lyrique française) et rousseauiste (affirmant la supériorité de l’opéra italien).À Aix, au Théâtre du Jeu de Paume le 15 novembre, c’est en français qu’on découvre La Servante Maîtresse ! Il nous faut quelques mesures d’acclimatation pour se faire à la langue, habitués que nous sommes de l’entendre dans celle de Metastase. Mais on se rend à l’évidence : le spectacle gagne en accessibilité, s’adresse ainsi à tous les publics ! D’autant plus que la mise en scène du trio de personnages est délibérément burlesque, la farce clownesque. On s’amuse aux galipettes de Scapin (rôle muet de Nico-las Gaudart), de son travestissement en capitaine fanfaron plus benêt que nature, à l’inversion ancillaire du «La ci darem la mano» mozartien : car c’est la servante Serpine qui mène le jeu de la séduction. On applaudit la scénographie

efficace de Jeanne Roth (& C°), l’idée d’une «boite à lucarnes» contraignant le jeu des acteurs à un rapport facial au public, mais libérant le maitre Pandolphe au moment où l’enveloppe s’ouvre, avec fracas, à l’image d’un cœur à l’éveil du désir…Dans la très périlleuse partition pour une basse bouffe, exigeant une tessiture ample, Paul-Alexandre Dubois est impeccable (esquivant juste quelques graves profonds) et son jeu comique, au gré d’une articulation virtuose, itérative, tortueuse, s’avère de haut vol. La soprano Sevan Manoukian endosse progressivement l’habit de la mariée tandis que, roucoulades à l’appui, parodiant les tragédiennes, sa coiffe se dénoue à l’orée de l’amour.On célèbre enfin, pour parfaire la noce, l’alliance des voix avec l’accompagne-ment chambriste des cordes baroques de l’ensemble Café Zimmermann.JACQUES FRESCHEL

La Serva Padrona a été joué au Jeu de Paume, Aix, le 15 novembre, et au Théâtre des Salins, Martigues, le 12 novembre

Les Noces de SerpineLa Serva Padrona, C

afé Zimm

ermann ©

X-D.R

Depuis sa création à Saint-Etienne en juin 2012, on accorde ses violons (et pas seulement à 415Hz !) pour dire que l’Orphée et Eurydice mis en scène et chorégraphié par Frédéric Flamand sur les images inventives et les costumes conçus par Hans Op de Beeck, est une féerie (voir les articles des Zibeline 53 et 68). On ne reviendra pas sur la beauté plastique des projections surprenantes d’images, belles et drôles, ses profon-deurs de cadres/décors, suggérant en contrepoint ce qu’on retient du mythe... Et la robe bleue d’Eurydice danse encore dans la grisaille nocturne qui suit la représentation ! Reste que le chef-d’œuvre de Gluck (révisé par Berlioz) est un opéra peu facile à appréhender, à mettre en scène avec ses trois personnages, un chœur figé et la contrainte d’une action réduite à l’expression vocale des passions. Quelle idée salvatrice pour la musique classique de convoquer d’autres arts (à l’instar de la Réforme Gluckiste), de favoriser la circulation de leur propre énergie ! Dans la fosse, à l’Opéra de Marseille le 30 novembre, Kenneth Montgomery, aurait pu, par moment, modérer l’ardeur de l’Orchestre de l’Opéra qui, n’étant pas «baroque», couvrait parfois les graves de Varduhi Abrahamyan, excellente mezzo travestie en Orphée. On a goûté à la clarté des vocalises de l’Amour (Maïlys de Villoutreys), aux inflexions désespérées, opiniâtres paroles confinant à l’autodestruction d’Eurydice (Ingrid Perruche), au Chœur de l’Opéra qu’on n’oublie pas, même distant... en coulisse.J.F.

Orphée et Eurydice a été donné par les danseurs du BNM le 30 novembre et le 1er décembre à l’Opéra de Marseille

Le mélange des styles est visible dès leur entrée sur scène : Kyû Sasayama, le chanteur, porte une veste japonaise traditionnelle noire et rouge, des lunettes rondes et couvre son crâne nu... d’une casquette des années 30. Une association originale d’époques et de genres qui se reflète également dans les mélodies du groupe Tomari («port» en japonais), dont le deuxième membre est le guitariste Atsuhiko Takemura, qui s’inspire du ryûkôka (musique populaire japonaise née dans les années 20, qui entrecroise les styles occidentaux comme le jazz, le tango ou les musiques western avec les mélodies traditionnelles du Japon). Le résultat donne une mixture atypique associant la voix pincée et mielleuse de Kyû Sasayama avec la petite guitare électro acoustique de Atsuhiko Takemura, qui, lorsqu’il étouffe les cordes rappelle la sonorité du Shamisen (instrument traditionnel japonais de la famille du luth).

En deuxième partie, le danseur Kentaro!! emporte le public dans la folie artistique japonaise. Ses pérégrinations chorégraphiques font de lui un danseur hybride capable d’effectuer des mouvements hip hop à une vitesse fulgurante sur des sons électro, ou encore de proposer une gestuelle plus contemporaine sur des mélodies classiques, des chansons enfantines ou tout simplement en silence. Des styles différents qui lui permettent d’évoquer toute une palette de sentiments, comme l’hésitation, l’épuisement ou le bonheur. Une très jolie preuve du pouvoir universel du langage artistique. ANNE-LYSE RENAut

Le spectacle Tomari + Kentaro!! a eu lieu le 6 décembre au théâtre de La Criée, Marseille, à l’occasion de L’expérience japonaise

Arigatô !

Mixtures orphiques

3535MUSIQUE

Page 36: Zibeline 69

Le Quatuor Zemlinsky introduisait la matinée du 24 novembre avec une programmation tchèque dédiée à Dvorak. En lice, l’emblématique Quatuor «Américain» dont la composition est concomitante de la Symphonie du nouveau monde, rappelant en cela les inspirations populaires du nouveau continent, mêlées aux influences bohêmes du pays tchèque. C’est une introduction lente qui ouvre l’ultime composition de musique de chambre de Dvorak, l’op 106, libérant alors deux thèmes plus vifs inexorablement relancés par un appel de cor(de)s. Le Furiant (danse de Bohême à 3 temps) rapide du «molto vivace», aux alternances ternaires/binaires, contraste avec sa partie centrale dont le quatuor soulignait avec

épanchement les voix canoniques «faisant presque entendre une chorale d’alouettes au dessus des prairies de Bohème du sud inondée de soleil» selon le musicologue Otakar Sourek ! Le Zemlinsky était dans son élément y compris en concluant par une transcription alerte de Smetana. Des prairies de Bohème aux influences viennoises de Haydn sur le jeune Mozart, il n’y a qu’un pas franchi par le Quatuor Asasello l’après-midi, avec le KV 173 offrant un contraste saisissant avec la suite Morphing de Christian Lauba et le 4e Quatuor de Schoenberg (période américaine encore et Ländler viennois). Entre l’écri-ture hautement élaborée (strict dodécaphonisme, cadre structurel traditionnel) pour cette pièce

maîtresse et la transcription musicale du fondu-enchaîné du contemporain bordelais, il existe un fossé expressionniste concrétisé par une harmonie évolutive pulsée sur un riche tissu polyphonique et nuancé qui contrepointait les modes de jeu «sul tasto» et «ponticello» du Viennois, finement interprétés. De l’engagement pour ces

interprètes récompensés par une écoute tour à tour consciencieuse et jubilatoire !PIERRE-ALAIN HOYET

La Journée Quatuors s’est déroulée le 24 novembre au Méjan, à Arles

«Journée quatuors» pour un trentenaire

Quatuor Zemlinsky © Tomáš Bican

Le XIXe festival russe du théâtre Toursky accueillait pour sa part musicale de superbes instrumentistes. La première partie était assurée par Dimitri Karpov que l’on avait eu le bonheur d’entendre l’an dernier lors du concours Véra Lautard. On avait ainsi le plaisir d’entendre des extraits des Saisons de Tchaïkovski, la Chasse de Septembre, emportée, la rêverie du Chant d’automne d’Octobre, la romantique Troïka de Novembre. Le jeu brillant et virtuose du jeune pianiste trouvait sa mesure avec trois extraits de Rachmaninov, Étude-Tableau en mi bémol mineur opus 39, Prélude en ut dièse mineur opus 32 et le tableau de caractère extrait de Fantaisies, Polichinelle. On partait dans un univers onirique précieux avec les 5e et 4e préludes, la 2e Mazurka et l’étude en ut mineur de Scriabine. La mécanique parfaite du Basso ostinato de Schedrin mettait en valeur l’impeccable articulation du virtuose qui se permit en bis d’accélérer le tempo du Vol du Bourdon de Rimski-Korsakov après une valse de Chopin tout en finesse. Deux pièces maîtresses ensuite étaient interprétées par le Trio Brahms, le Trio en la mineur op. 50 de Tchaïkovski et le Trio en mineur op.67 de Chostakovitch. Délicatesse et puissance du piano de Natalia Rubinstein, sons creusés et élégants du violon de Nikolai Sachenko, pâte sonore sculptée avec finesse du violoncelle de Kirill Rodin. On se souviendra des aigus sur le fil, ténus et clairs, des cadences, de la conscience tragique que souligne le piano, aux espaces larges dessinés par les cordes, au lyrisme colossal de la première œuvre, des dissonances de la

seconde, renvoyant à celles du monde. Du grand art !

MARYVONNE COLOMbANI

Concerts donnés le 19 novembre au Toursky, Marseille

Cordes russes

© X-D.R

Duo globe-trotter !Yana Boukoff et Daniel Wayenberg forment un couple improbable. Lui est une légende vivante du piano : plus de soixante ans de carrière au compteur ! Placide, un peu en retrait, mais alerte comme un jeune homme de 84 ans, il ne trébuche

qu’au sortir de scène (manquant une marche -visiblement sans séquelle) avant de claquer au clavier un périlleux op.23 n°2 de Rachmaninov à faire frissonner l’auditoire. Elle, petite-fille de Yuri Boukoff, est une belle plante de mezzo au regard qui tue. Sa voix est sombre et suave : vibrante jeunesse d’un timbre non altéré par des emplois trop lourds !Leur programme est slave, Chansons de Dvorak ou d’anonymes Bulgares, Mélodies de Rachmaninov, Moussorgski... dont quelques-unes sont des classiques russes. Elle émeut, du tendre pathos à la gaité festive, fondus dans un romantisme tourné vers l’occident (Mélodies de Tchaïkovski) ou attiré par l’orient («Air de Lyubasha» de Rimski-Korsakov). Lui, à l’écoute sereine, se moule dans sa pâte vocale, ses talents de conteuse. Ils donnent l’envie de se procurer leur dernier disque... cosmopolite ! JACQuES FRESCHEL

Le récital a été donné le 25 novembre à La Criée, MarseilleYambó ! SACD Lyrinx LYR 2288 : «De Napoli à La Habana, de Sofia à New York» (Tosti, Montsalvatge, Gershwin, Christov)

© J.F

3636MUSIQUE

Page 37: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

Eloge de la virtuositéAssociés au nom de l’illustre Farinelli, une période : la pre-mière moitié du XVIIIe siècle ; une génération de compositeurs, Porpora, Broschi... et un mot emblématique : virtuosité. Au devant de la scène, l’interprète, idole des foules avides de prouesses techniques, côté cour, les composi-teurs qui rivaliseront d’inventivité pour faire briller leur poulain. Interpréter cette musique, sans la réduire à un simple exercice pyrotechnique, demande donc des qualités techniques consi-dérables mais également une capacité à transmuer ces objets sonores en musique. L’immense mezzo-soprano Ann Hallenberg, technicienne hors pair, possède toutes ces qualités : ses vocalises, d’une pureté absolue, sa ligne de chant, magnifique, sa justesse,

admirable, sont au service de la musique et rien que la musique. Dans les airs les plus diaboliques de Broschi, Giacomelli ou encore Porpora, elle parvient à distiller des moments de grâce. Et que dire de son premier bis extrait de Rinaldo de Haendel sinon que le public du GTP est resté suspendu à ses lèvres, subjugué. Quant à Christophe Rousset, à la tête de son magnifique ensemble Les Talens Lyriques, il mérite le titre de dentellier ! Chaque note est pesée, chaque silence est pensé, chacune de ses lignes mélodiques cisèle l’espace. Un chef hors pair, une chanteuse d’exception, un spectacle de haute volée.CHRISTOPHE FLOQUET

Ce concert a été donné au GTP, Aix, le 19 novembre

© Eric Larrayadieu

L’église de Nazareth de Trets était comble pour accueillir Pauline Courtin qui faisait l’amitié d’une représentation exceptionnelle, accompagnée superbement par le piano d’Anaït Serekian qui offrit aussi une belle interprétation de la Fantaisie en ré mineur de Mozart. Le programme s’équilibrait entre chant sacré et chant lyrique : sensibilité inspirée du Confutatis du Requiem de Verdi, et du Pro peccatis suae gentis du Stabat Mater de Rossini par la soprano, ou du Vidit suum de Pergolèse et l’Ave Maria de Caccini par le baryton Christian Helmer. Délicieuse complicité des chanteurs dans Mozart ou Verdi ! Ah ! Andiam andiam ! murmurent-ils encore à nos oreilles dans le duo La ci

darem la mano de Don Giovanni ! On est séduit par l’expressivité malicieuse du dialogue entre la perspicace Suzanne et Figaro des Nozze di Figaro dans le Se a caso Madama, le charme de l’entrevue de la jeune femme avec le comte qui cherche à la séduire (Crudel perche fin’ora) et qui a traduit ses espoirs dans un superbe Hai gia vinta la causa. C. Helmer était souverain en Don Giovanni dans l’Air du Champagne avant d’endosser le rôle de Leporello dans la récitation du catalogue donjuanesque. Pauline Courtin livrait à un public subjugué l’air de Gilda de Rigoletto (Gualtier Malde) avant le tragique dialogue avec Rigoletto, Tutte le feste…Si vendetta. Airs sculptés dans l’or

des voix qui jamais n’oublient le propos, timbres qui s’épousent…et une étonnante capacité à nous faire entrer directement dans chaque univers dès les premières mesures ! Un temps de bonheur suspendu !MARYVONNE COLOMbANI

Le récital lyrique a été donné le 16 novembre à Trets

Pour sa première soirée «Grand piano à Neptune», le Festival de musique de Toulon accueillait la pianiste Lise de la Salle. Le récital, construit autour d’un répertoire qui faisait la part belle aux transcriptions, était en réalité un tremplin à des élans virtuoses. Et de virtuosité, l’interprète n’a pas manqué : en effet, s’appuyant sur un jeu à la technique éprouvée avec un toucher autoritaire et majestueux, presque «viril», elle s’est affranchie sans ombrage des nombreuses difficultés dont Liszt et Busoni avaient émaillé leurs relectures monumentales de Bach. Pour les baroqueux de tout poil, Bach au piano est souvent vécu comme un crime de lèse-majesté mais, transcrit par ces derniers, il n’en reste plus que l’ossature. Pour autant, ce romantisme au style pianistique très démonstratif et si démesuré, témoignant d’une certaine transcendance de l’interprétation, fait encore recette auprès des amateurs de prestations surnaturelles et hors normes, ou des interprètes familiers de ce type de répertoire déjà habitués du genre avec Chopin également au programme.Cependant, à l’image d’un très beau prélude Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir de Debussy ou de l’émouvante Variation op.18b de Brahms, tirée de son fameux sextuor à la demande de Clara Schumann, la soliste n’a jamais été aussi à l’aise que dans les moments moins surchargés, exhibant au passage un toucher plus léger, révélateur d’une sensibilité plus poétique, oserait-on dire plus féminine.ÉMILIEN MOREAu

Le récital de Lise De La Salle a été donné au Palais Neptune, Toulon, le 19 novembre

Délices lyriques

Du genre talentueuse...

Lise

de

La S

alle

© L

ynn

Gol

dsm

ith

© fl

ag’ 2

013

pour

l’Ag

ence

Art

istik

3737MUSIQUE

37

Page 38: Zibeline 69

Le contrebassiste Henri Texier fut révélé par son album 33 tours Varech il y a quarante ans déjà... ! Certains en gardent encore le souvenir vivace des mélodies et des rythmes. En 2013 il est au MuCEM avec un compagnon de longue route, Louis Sclavis. Duo de clarinettes et saxophone soprano en conversation avec la contrebasse au lieu du trio initialement prévu. Un concert on ne peut plus intime, dans lequel le public est entré comme dans une cellule monastique. Quelle écoute ! Les deux amis nous ont proposé un voyage balisé, entre autres, par Les Carnets de routes, projet itinérant d’Afrique Centrale, de l’Ouest, du Sud réalisé en compagnie du batteur Aldo

Romano et du photographe Guy Le Querrec. Lorsque Texier installe une ambiance par un glissando ou un rythme enlevé fait par l’effleu-rement des doigts, l’archet, une baguette ou encore un balai rouge, Louis Sclavis saisit la moindre opportunité pour divaguer en de folles improvisations au souffle continu ou aux claquements de bec dont il est véritablement expert. Dans leur extrême complicité, ces musiciens de génie trouvent prétexte pour transcender un thème aux couleurs ethniques en spirale. Dans une des nombreuses compositions d’Aldo Romano jouées lors de ce concert, les rôles se sont parfois inversés. Notamment lors d’un chorus de la contrebasse où la clarinette basse assure le

rythme. On dit que les absents ont toujours tort… peut-être ? La batterie n’a absolument pas manqué. Un concert époustouflant.dAN WARZY

Ce concert a été joué le 15 novembre au MuCEM à Marseille

Duo en majesté

Henri Texier & Louis Sclavis au MuCEM © danwarzy

De l’Occitanie au Thibet

Des accents orientaux avec un bouzouki, une clarinette que l’on peut imaginer venue de Grèce ou de Bosnie, un son électro, un rythme lourd, régulier ou syn-copé, qui tisse

une trame solide sur laquelle se construit l’architecture des chants, une inspiration qui navigue entre la poésie persane du XIVe et les textes d’Arnaud Fromont, un univers vraiment personnel et envoûtant, cela pourrait esquisser ce qu’est le groupe D’Aqui Dub, conjugaison entre les itinéraires des quatre musiciens, Provence, Bosnie, conservatoire et mandoline, punk-rock, culture alternative. «La vie est une goutte de miel sur une lame de rasoir» cite A. Fromont reprenant les mots d’un penseur tibétain. Les chants sont écrits en occitan, traduits au cœur des morceaux en récitatifs ou présentés en amorce. Asmir Sabic commet de superbes intros au bouzouki, Manuel Castel soutient un rythme hypnotique à la basse, Sylvain Bulher au mixage crée de larges nappes sonores, inclut de la réverb au chant, Arnaud Fromont glisse sur les mots avec une grande douceur, et une voix enveloppante. «Tu sais, l’argent que je porte au cou j’y ai agrafé la lune.» On part en voyage dans un monde où la réalité se poétise, où le «pèlerin de l’instant» cherche la «dernière paix donnée, le dernier coup reçu». Le public trop peu nombreux pour un spectacle d’une si belle qualité bisse le groupe qui reprend Amour pour le plus grand plaisir de tous.MARYVONNE COLOMbANI

Le concert de D’Aqui Dub a eu lieu le 6 décembre au MuCEM, Marseille

Le chant autrementLa Villa Méditerranée accueillait, au cours du cycle L’Histoire autrement, un concert exceptionnel réunissant deux superbes musiciens, Zeid Hamdan, et son armada électro, et Maryam Saleh, avec sa voix puissante et expressive. Zeid Hamdan sourit, «au Liban on est franco/anglo/arabophone», et offre deux chansons de son propre répertoire, Aranis, véritable tableau de genre de la ville avec ses personnages, puis Jazira -une île-, «nous vivons sur un bateau qui coule»… Il présente ensuite Myriam Saleh, rappelant combien ils viennent tous deux de pays en état d’urgence. La musique les réunit, lui à la console électro et guitare, elle guitare et chant. Judicieusement, la plupart des textes des chansons étaient traduits sur le mur de fond de scène, ce qui permettait à tous de goûter les paroles de textes souvent engagés, écrits pour beaucoup par Cheikh Imam, le musicien aveugle du Caire, qui avec son parolier, le poète dialectal Ahmed Fouad Negm, est un symbole de la chanson arabe militante. «C’est une forêt où les chiens sont des loups, tout le monde sera dévoré»… la voix de Myriam Saleh prend des accents tragiques pour évoquer la «forêt de sang» qui attend ceux qui ne sont pas capables de s’unir. L’unité se forge alors par la vertu du rythme repris par le public. Danse avec Youyou, humour aussi, avec la chanson Valery JescarDistan «qui va régler tous nos problèmes». L’inspiration musicale tient de multiples influences, orientales, rock, dub, électro, servie par le talent des deux musiciens. En cadeau, le professeur de Myriam vient sur scène, superbes notes tenues et modulées. M.C.

Ce concert a été donné le 15 novembre a la Villa Méditerranée, Marseille

© Clémentine Crochet

Zeid Hamdan & Maryam Saleh © Alaa Minawi

3838MUSIQUE

Page 39: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

No country for oud men...... only music, sans frontière ni barrière, par delà les clivages et le sectarisme primaire. No country for Rabih Abou-Khalil, mais un seul lieu, celui où s’agrègent les cultures, où se métissent les traditions. Sa musique est à son image : généreuse, colorée, inventive, savoureuse, humoristique... Son quintet est à l’image de sa musique : pluriel, métissé. Autour de ce libanais de souche, un américain, Jarrod Cagwin, batteur, percussionniste, dompteur de peaux, vendeur de rêves, un tubiste français, également bassiste, compagnon de route du maître, l’immense Michel Godard, un sarde et quel sarde ! Gavino Murgia : diabolique au saxophone soprano, d’une inventivité mélodique étonnante, et méphistophélique au chant, basse profonde à la voix rocailleuse jonglant avec le do grave en dessous de la portée en toute décontraction. Ajoutez à ce quatuor un italien, Luciano Bondini, accordéoniste virtuose au jeu ample et subtil et le quintet est complet, prêt à bondir, à rugir de plaisir. Et pendant presque deux heures dans des déambulations mélodiques gorgées de lumière, chahuté par des rythmiques complexes, le public de l’Auditorium du Thor a pu savourer les titres de l’album Hungry people, transporté par ce magicien du oud dans un endroit imaginaire... là-bas.CHRISTOPHE FLOQUET

Le Rabih Abouh-Khalil quintet méditerranéen a joué à l’Auditorium Jean Moulin, au Thor, le 17 novembre

Rabi

h Ab

ouh-

Khal

il ©

X-D

.R

Voyage en MégapolesLa 4 Lexington Avenue Express, c’est la ligne 4 du métro new-yorkais qui traverse une partie de la ville, du Bronx à Brooklyn en passant par Manhattan. À Paris, c’est de la Porte de Clignancourt à la Mairie de Montrouge que serpente la ligne 4, traversant le cœur artistique de la ville. Le point commun de ces lignes de transport est qu’elles desservent des endroits qui ont marqué l’histoire du jazz. Christophe Leloil a-t-il puisé pour ses compositions dans cet imaginaire au fil des stations mythiques ? Bien plus que ça ! Pour lui la ligne 4 est à l’échelle du monde et les stations sont des mégapoles telles Moscou, Barcelone, Londres, Erevan, Paris et bien sûr New York. Il réunit autour de lui André Charlier à la batterie, Eric Surménian à la contrebasse et Carine Bonnefoy au Fender Rhodes, piano qui apporte sa couleur si spécifique au quartet. Ce nouveau projet s’appelle Line 4 et c’est le Moulin à Jazz à Vitrolles qui l’a chaleureusement accueilli, comme à l’accoutumée, pour ce concert de lancement d’une tournée que l’on espère riche. Une musique de nuit, très urbaine, que l’on perçoit par les milliers de stimuli venant de tous les instruments. Bayou’s Bounce, Free time mood, Numbers, Dixit ou encore Uptown, voici quelques stations sur le trajet de ce quartet décidemment très en forme. Le CD, tout juste arrivé dans les bacs des bons disquaires, doit faire partie de la discothèque de tout amateur de jazz. C’est Noël, faites le vous offrir !dAN WARZY

CD : Christophe Leloil Line 4 - Label DuranceCe concert a été joué au Moulin à Jazz (CharlieFree) à Vitrolles le 23 novembre

© danw

arzy

Au Théâtre du Gymnase, Dominique Bluzet a donné carte blanche à la Compagnie Nine Spirit et Raphaël Imbert. Deux soirées avec deux thématiques différentes : Tango & Broadway Show et Jazz & Blues Masters. Une belle manière de clôturer l’année capitale européenne de la culture. Le standard Fly me to the moon est revisité avec brio par le saxophoniste, Cedric Bec l’accompagne à la batterie et Pierre Fénichel à la contrebasse. Entrent en scène progressivement le pianiste et arrangeur Johan Farjot, apportant de la rondeur harmonique, puis le percussionniste iranien Djamchid Chemirani pour une ballade lascive très orientale. C’est lors d’une musique traditionnelle turque à la construction rythmique improbable qu’apparait le violoniste Arnaud Thorette. Le temps d’un poème iranien et l’ensemble Contraste peut s’afficher au grand complet, avec Maria Mosconi à l’alto et Antoine Pierlot au violoncelle. L’esprit d’Astor Piazzolla plane et donne une tournure résolument tango-jazz. Le mariage des timbres fonctionne à merveille. La masse sonore est belle et une véritable osmose s’opère. Raphaël Imbert est un magicien qui sait aussi réveiller les consciences, hommage a été rendu à Nelson Mandela avec l’hymne de l’ANC qui a fait monter une grande émotion pour finir cette magnifique soirée ! d.W.

Ce concert a été donné au Théâtre du Gymnase, Marseille, le 6 décembre

Osmose et contrastes

© danwarzy

3939MUSIQUE

Page 40: Zibeline 69

Il y a des explosions de carrière qui laissent parfois perplexes. Le phénomène Stromae n’est pas de ceux-là. À guichets fermés, le concert du jeune Belge au Moulin a dévoilé aux plus dubitatifs un artiste complet. Bien moins superficiel que pourraient le laisser penser ses morceaux entêtants. La recette n’est pas totalement inédite mais le savoir-faire du chef fait toute la différence. Auteur, compositeur et interprète, Stromae pose sa plume acerbe sur des musiques dansantes, assemblages de dance, de hip hop, d’électro et de rythmes métissés allant de l’Afrique à l’Amérique latine. Après une vidéo d’animation qui le met en scène, Stromae apparaît, gilet

en laine démodé et incontournable nœud papillon. Il changera deux fois de costume. Car son personnage à la silhouette filiforme s’est affirmé aussi à travers une allure élégante d’écolier bizarrement sapé. Voix claire et diction posée, laissant parfois aller son accent aux «r» roulés, celui que l’on compare trop facilement à son compatriote Brel n’a pas besoin de se chercher des modèles. Avec quelques retours sur les titres les plus entraînants de son précédent album Cheese, dont le tube international qui l’a révélé Alors on danse, Stromae s’est essentiellement attardé sur son nouvel opus, Racine carrée, rapidement disque de platine, avec les déjà incontournables Papaoutai, Formidable et Tous les mêmes. Relation douloureuse avec le père, rupture amoureuse, sexisme, maladie, violence, absence de parti pris… les sujets ne sont pas toujours légers mais traités avec finesse et sobriété. À bientôt 28 ans, celui qui a choisi comme nom de scène le verlan de maestro a acquis une popularité non usurpée qui n’a rien à voir avec de l’opportunisme. C’est juste du talent.tHOMAS dALICANtE

Stromae s’est produit le 15 novembre au Moulin, à Marseille. Prochain concert au Dôme, le 30 avril

Spectacle musical créé par Meziane Azaïche, Barbès Café donne à voir, en plusieurs tableaux, comme autant d’époques, l’histoire des musiques maghrébines en France. Lucette est la patronne française du Barbès Café, bistrot maghrébin. À travers ses souvenirs se dessine l’histoire de l’immigration nord-africaine en France. Telle une chroniqueuse d’hier et d’aujourd’hui, Lucette fait le lien entre les chansons et les passages dansés, permettant au spectateur d’appréhender le contexte historique et le foisonnement créatif qui président à l’installation en France des diverses communautés maghrébines. Mais narration, chansons, musique, danse et vidéo s’enchaînent parfois sans fluidité. Les deux heures de spectacle, musicalement bien mené, ne sont ni légères ni profondes, hésitant entre la volonté d’illustrer la lourdeur de l’histoire, et celle

de divertir. Le public est invité à participer à l’euphorie musicale dans une ambiance cabaret réussie, tandis que la culture cosmopolite et sa tragique disparition sont fondues dans une volonté d’amusement. Certaines chansons sont émouvantes, des vidéos montrent le passé et l’actualité politique de l’Algérie, mais le public est convié à accompagner les paroles des chansons sans s’attarder sur leur sens. Les femmes ondulent, séduisants objets privés d’histoire. Un autre spectacle semblait possible, juste en décalant un peu la mise en œuvre du propos. Mais le divertissement enchante le public, qui aurait tort de s’en priver !ALICE LAY

Barbès Café a été joué au Gymnase du 22 au 30 novembre

Un garçon formidable

Sans regard sur l’exil©

Julien Borel

© X-D

.R

C’était il y a déjà plus de vingt ans. Keziah Jones, immigré nigérian fraichement repéré dans le métro parisien, inondait les ondes avec le titre Rythm is love. Inventant par la même occasion un genre musical baptisé blufunk dont il reste le meilleur ambassadeur puisque l’unique reconnu. À 45 ans, avec la même propension à exhiber son torse ciselé, il sillonne les scènes du monde entier, un sixième album sous le bras. C’est donc pour présenter Captain Rug-ged que l’auteur, compositeur et interprète a fait escale à Marseille, ville dont il affirme entendre parler du bouillonnement au même titre que Londres ou New York. Sur le triptyque basse-guitare-batterie, Keziah Jones n’a pourtant rien d’un rockeur, si ce n’est la façon dont il manipule son instrument. Une dizaine de guitare sont d’ailleurs à sa disposition dans l’arrière scène afin d’en user de manière improvisée, en fonction de ses envies. Funk, blues acoustique, un soupçon d’afrobeat, des balades tendances folk, le musicien n’a jamais vraiment choisi entre Prince, Jimmy Hendrix et Fela Kuti dont il assure un héritage commun. Interrogeant depuis plusieurs albums la question de l’africanité, Keziah Jones n’a pas manqué de rendre hommage à Nelson Mandela, décédé la veille. Disponible pour une séance de dédicaces après son concert, il a surpris jusqu’aux passants du Cours Julien en lançant depuis la fenêtre de sa loge, une guitare, offerte au plus agile. t.d.

Keziah Jones s’est produit le 6 décembre à l’Espace Julien, à Marseille

Du blu-funk à l’afrobeat

© X-D.R

4040MUSIQUE

Page 41: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

On vous a parlé de la reformation de Dupain, on ne pouvait manquer celle de Oaï Star, autre groupe marseillais entre parenthèses depuis deux ans. Après un échauffement à Nyons, le collectif initialement formé par Gari Grèu et le regretté Lux B a retrouvé une scène chère à la tribu, celle de l’ex-Balthazar, baptisée aujourd’hui Molotov. Une ambiance forcément explosive, mélange de supporters du virage Nord et de Fracas de la Plaine, ces «têtes brûlées», selon les mots de Gari, auxquels une chanson est consacrée. Et si cette émanation du Massilia Sound System n’a jamais chanté dans la langue régionale, c’est parce qu’elle porte en elle «l’occitan attitude». La preuve, leur musique invite

à un punk rock-balèti où même la bourrée est convoquée. Bien moins électro qu’à une époque, Oaï Star a dévoilé quelques titres de son prochain album. Catalogue de vedettes du show-biz, le titre La société du spectacle énumère, avec des rimes parfois légères, des personnalités comme Bertrand Cantat, Mimi Mathy ou Shaka Ponk. On préfèrera l’humour plus alternatif et percutant du Destructeur d’horodateurs, un Super héros qui lui aussi, paraît-il, rôderait autour de la Plaine.tHOMAS dALICANtE

Oaï Star s’est produit le 21 novembre, au Molotov, à Marseille

© X-D

.R

© X-D.R

Aux sons des fifres et du choron (tambourin à cordes), de la lira di braccio (vièle à archet), du carillon, de la vièle en huit ou de la guiterne (guitare), extraordinaire instrumentarium conçu d’après des modèles médiévaux ou renaissants par Olivier Féraud, au grain des voix fleurant la rocaille des Alpes-du-sud, de chants fleuris par une langue qui coule des bords de la Durance aux montagnes du pays niçois, jusqu’à Notre-Dame des Doms en Avignon, c’est tout un répertoire de chants traditionnels de Noëls de Provence et de créations originales qui a réjoui la petite église des Caillols à Marseille, bondée à refuser du monde le 7 décembre ! De rigaudon en aubade ou polyphonies suaves, on a suivi les aimables bergers du Trio Auréa (Marjolaine Rosset, Danielle Franzin, Thierry Cornillon) en «cette nuit» où une lumière universelle, intemporelle, jaillit encore du terreau ancestral.JACQuES FRESCHEL

Voir Zibeline n°68

Les Chants de Noël (Russe, de Provence, Gitan, Corse et Soul) se poursuivent dans de nombreuses villes du département jusqu’au 23 décembreProgramme complet sur www.culture-13.fr

Magie d’un Noël corse Au sein des denses phalanges des groupes polyphoniques insulaires, rares sont ceux qui, à l’instar des Muvrini ou de A Filetta savent concilier le respect de la tradition cantorale et la réussite d’un style spécifique. À l’évidence, Barbara Furtuna fait partie de ce cercle restreint. Le Noël Corse proposé dans le cadre des Chants de Noël programmés par le conseil général 13 en témoigne. Traditionnellement composé des 4 voix de Maxime Merlandi (seconda), de Jean-Philippe Guissani (contra-cantu), d’André Dominici (bassu) et de Jean-Pierre Marchetti (terza), le groupe s’est enrichi pour l’occasion de deux musiciens : Fabrice Andreani (guitare et cetera) et André Bonnin au clavier. Le public est transporté d’emblée par le somptueux Giramondu, ornementé de riches variations de la cetera et du clavier. Puis l’on est séduit par la rare puissance émotive du chant sacré Maria sopra la Carpinese. L’Ave Maris Stella, a capella, permet d’apprécier le velouté délicat du contre-chant de Jean-Philippe Guissani et la richesse des harmoniques à l’entrée des voix de bassu et de terza. Les chants de la tradition, renouvelés par des arrangements actuels, tels la berceuse Ciuciarella ou le Lamentu di U Castagnu, d’une tragique actualité, Canta Natale ou Bambinellu, évocation de la crèche, alternent avec les récentes créations du groupe, notamment un superbe Si vita si, l’Innamurati (les Amoureux) ou Luntanu, évocation mélancolique de la solitude des marins. Les rappels : Notte Santa et Dio vi Salvi Regina permettent un fervent partage avec l’assistance ravie.JEAN MAtHIEu COLOMbANI

«Aquesta nuech...»

Oaï Star fait exploser le Molotov

Nat

ale

in C

orsi

ca ©

Bar

bara

Fur

tuna

Trio

Aur

éa &

Oliv

ier F

érau

d ©

J.F

4141MUSIQUE

Page 42: Zibeline 69

Ali Baba

Macha Makeïeff, directrice de la Criée, reprend en son lieu de création sa fresque inspirée des Mille et une Nuits. Resserrée, ayant voyagé, elle a trouvé son rythme et dispense ses belles images magiques et son atmosphère d’Orient familier, mosaïque onirique qui mêle à nos contes d’enfants des bribes d’accents de nos rues…

du 7 au 12 janvLa Criée, Marseille04 91 54 70 54www.theatre-lacriee.com

La Conférence

L’une est clown, l’autre est thérapeute, et les deux se complètent à merveille pour donner une conférence hors norme, aussi scientifique que jubilatoire ! Emma la clown asticote Cathe-rine Dolto -qui, avec beaucoup d’humour et de répondant, le lui rend bien-, sur la place des clowns dans la société, en passant par la naissance ou la pratique de l’haptonomie (pratique traitant de l’affectivité), la complicité de ces deux personnalités faisant prendre conscience de la force, et des bienfaits !, du rire collectif.

le 20 décLa Criée, Marseille04 91 54 70 54www.theatre-lacriee.com

Jean-Jaurès…Jean-Claude Drouot fait revivre Jean Jaurès à partir d’un large choix de textes qu’il dit et met en scène. Les grands thèmes traitant de la justice, de la démocratie. On retrouve le tribun, le penseur, l’amoureux de la vie et l’ennemi acharné de la guerre, ce fléau qui nie par son essence même l’humanité. Homme politique, homme symbole au point d’avoir été parmi les grands hommes choisis par François Mitterrand qui s’inclina sur sa tombe au Panthéon en mai 1981 lors de la cérémonie d’investiture. Un spectacle fort aux couleurs d’un idéal humain.

Jean-Jaurès, Une Voix, une Parolele 14 janvLe Toursky, Marseille0 820 300 033www.toursky.org

Le bonheurElle s’appelle Louise, lui Alexandre, tous deux la cinquantaine, elle vit seule, il est presque divorcé, elle est plutôt de gauche lui plutôt de droite. Bien sûr, il sera question d’amour, de sentiments, de la vie de la mort. Le texte d’Éric Assous, mis en scène par Jean-luc Moreau est servi avec verve par Anne-Marie Chazel et Sam Karmann. Une pièce rythmée où l’on peut piocher des répliques cultes. Du bonheur déjà pour le spectateur !

du 14 au 18 janvLe Gymnase, Marseille08 2013 2013www.lestheatres.net

PurgeFrançois-Michel Pesenti revient au théâtre à Marseille, sur la scène des Bernardines qui a si souvent accueilli ses créations. Pour un spectacle où des personnages sans présent paraissent au son du Piano and String Quartett de Morton Feldman. Frédéric Poinceau et Peggy Péneau y croiseront Laurent de Richemond, Maxime Reverchon et Alain Fourneau en rôdeur de son théâtre. Après A sec, une Purge donc, pour mettre à nu l’essence insensée du théâtre ?

du 14 au 25 janvLes Bernardines, Marseille04 91 24 30 40www.theatre-bernardines.org

Pierre et Mohamed…Le 1er août 1996, l’évêque d’Oran, Pierre Claverie, et son chauffeur, Mohamed Bouchikhi étaient assassinés. Fr. Adrien Candiard compose une pièce hommage en s’inspirant des homélies de l’évêque et des carnets de son chauffeur musulman. Il imagine une conversation entre ces deux personnages. On y retrouve la volonté de dialogue entre les religions, se défiant de tout intégrisme. La mise en scène de Francesco Agnello prend le parti de faire endosser les deux rôles par un seul acteur, Jean-Baptiste Germain, pour souligner la force de la relation qui unissait les deux hommes. Une pièce forte d’une intense humanité.

Pierre et Mohamed, Algérie, 1er août 1996le 12 janvLe Comoedia, Aubagne04 42 18 19 88www.aubagne.fr

Les JustesEn février 1905, à Moscou, un groupe de jeunes gens appartenant au parti socialiste révolution-naire organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du Tsar. En 1949, Camus s’inspire de ce fait réel pour écrire une pièce qui pose le grave problème de la fin qui justifie les moyens quand on veut changer le monde. Les protagonistes sont des justes, puisqu’ils veulent faire le bien commun, mais également des terroristes qui pour atteindre leur cible risquent de tuer des innocents. Aujourd’hui, Mehdi Dehbi reprend Les Justes qui sera joué en arabe par des comédiens ayant l’âge des personnages.

du 18 au 20 décLe Jeu de Paume, Aix-en-Provence08 2013 2013www.lestheatres.net

© Brigitte Enguerand

© Lot©

Wahib

© Enguerand-cdds

© X-D.R

AU

PROGRAMME

JEUNE

PUBLIC

42AU

PROGRAMME

JEUNE

PUBLIC

42AU

PROGRAMME

Page 43: Zibeline 69

Une mouette

Isabelle Lafon met en scène le chef-d’œuvre de Tchekhov en le transformant en un récitatif pour en dégager sa singularité, ses harmo-nies, et s’en approcher au plus près. Dans un rectangle de lumière projeté au sol, cinq comédiennes (dont Isabelle Lafon), tel un chœur de femmes aligné devant nous, jouent tous les rôles, transformant leurs respirations en une symphonie dont chacune assume le souffle, le rythme, jusqu’à relever les didascalies de l’auteur lorsque nécessaire.

les 12 et 13 décThéâtre d’Arles04 90 52 51 51www.theatre-arles.com

Danbé

Le fabuleux destin d’Aya Cissoko, jeune française d’origine malienne, est contée par la Cie (Mic)zzaj -prononcez «mixage»- qui propose une expérience particulière de spectacle : le concert sous casque. Une immersion dans une histoire pleine de dureté et de violence, dont la digne Aya s’affranchira en se réfugiant dans la pratique de la boxe et en devenant championne du monde. Du cinéma pour l’oreille, au plus près du son, de la voix et de l’intime pour apprécier l’art radiophonique, sous la plume de Marie Desplechin.

du 14 au 18 janvtournée Nomade(s)Théâtre de Cavaillon04 90 78 64 64www.theatredecavaillon.com

Le Poisson-ScorpionLa comédienne Agnès Régolo et le musicien Guigou Chenevier conjuguent leurs talents pour une performance dans l’univers intérieur du livre de Nicolas Bouvier, au croisement de deux langages, entre mots et sons. Récit de voyage, conte fantastique et autobiographique, le Poisson-Scorpion relate le séjour de l’auteur sur l’île de Ceylan en 1955 et l’affaissement physique et mental d’un voyageur arrivé au bout de sa course. Une forme de spectacle, mise en espace sonore par Emmanuel Gilot, libre et inspirée.

le 29 déc à 18hLes Hauts Plateaux, Avignon09 51 52 27 48www.collectif-inoui.org

L’AvareDeuxième volet d’un travail autour de Molière entamé en 2008 par la compagnie Vol Plané, l’équipe du Malade Imaginaire réinvestit la scène avec les mêmes contraintes : quatre acteurs dans un dispositif rudimentaire jouent au plus près du public. L’Avare retrouve en écho, à travers Harpagon, les sujets de la folie, de la filiation, des abîmes de la raison et se double d’une fiction parallèle, l’histoire d’une compagnie montant une création ! Une pièce sans tabou et actuelle, signée Alexis Moati et Pierre Laneyrie, qui sonne juste et impeccablement interprétée.

les 12 et 13 décLes Halles, Avignon04 32 76 24 51www.theatredeshalles.com

La TempêteDélicate entreprise de s’attaquer à La Tempête de William Shakespeare. Guy Simon adapte pourtant cette pièce mystérieuse, à la fois romance, fable, récit initiatique, dans une mise en scène délirante et débridée, et renforce la dimension surnaturelle en utilisant le jeu masqué et gestuel, marque de fabrique du Théâtre du Kronope. Reclus sur leur île inconnue, Prospéro et sa fille Miranda affronteront, entre rêves et illusions, la magie et les dangers d’un monde imaginaire et réel.

le 10 janvLa Fabrik’théâtre, Avignon04 90 86 47 81www.fabriktheatre.fr

Sans les mains…Le conteur Pépito Matéo est un détourneur de mots, un joyeux fou qui trace son chemin dans la forêt de l’imaginaire contemporain, capable de dire la folie du monde en gardant une légèreté salvatrice. Il propose dans ce «récit à pédalage déjanté» une expérimentation poético-burlesque sur le chemin de son enfance, et oscille entre humour et poésie pour mieux toucher au cœur. Une quête autobiographique, le nez dans le guidon, où les souvenirs se racontent en feux d’artifice. Dès 12 ans.

Sans les mains et en danseusele 10 janvThéâtre du Briançonnais, Briançon04 92 25 52 42www.theatre-du-brianconnais.eu

le 11 janvThéâtre Marelios, La Valette-du-Var04 94 23 62 06www.lavalette83.fr

les 30 et 31 janvLes Salins, Martigues04 42 49 02 00www.theatre-des-salins.fr

Le Conte d’hiverCe conte débute tel un rêve : un roi, Léonte, et une reine, Hermione, sur le point d’avoir un deuxième enfant vivent heureux en Sicile. Mais la jalousie va transformer le bon roi en tyran –Léonte soupçonnant Polixène, roi de Bohême, d’être l’amant de sa femme- et précipiter l’heureuse famille dans la morte saison. Puis viennent les amours contrariées de Perdita, fille de Léonte et Hermione, et Florizel, fils de Polixène... Patrick Pineau montre ici une ambiance entre le rire et la tristesse, où la comédie et tragédie menent à une belle réflexion sur l’Art et la Nature.

du 15 au 19 janvChâteauvallon, Ollioules04 94 22 02 02www.chateauvallon.com

© Matthieu wassik

© E. Rioufol

© Inouï Productions

© Julien-René Jacques

© X-D.R

AU

PROGRAMME

THÉÂTRE

4343

Page 44: Zibeline 69

Dopo la battaglia

La voix singulière de Pippo Delbono ne cesse de s’élever pour clamer sa révolte libertaire et célébrer l’unité d’un monde qui se construit à travers les autres. Dans ce nouvel opus, il évoque la folie, l’enfermement, la nostalgie d’une Italie qui n’est plus, le racisme… et rend hommage à Pina Bausch, avec la danseuse Marigia Maggipinto. Les habituels compagnons de route de Pippo Delbono sont tous là, Bobò, Gianlucà, Nelson, Pepe, entre autres… qui l’entourent et l’accompagnent.

le 14 décThéâtre Liberté, Toulon04 98 00 56 76www.theatre-liberte.fr

Fair-PlayAprès les excellents Cocorico et Jungles, ses précédents spectacles, Patrice Thibaud, toujours accompagné de Philippe Leygnac, aborde l’univers du sport. Le duo transforme la scène en ring, piste cyclable, tapis d’entraînement ou terrain de foot avec un humour irrésistible, ou la pantomime est reine. En digne héritier de Chaplin et Tati, Patrice Thibaud détourne avec causticité et tendresse la quête d’exploits et de dépassement de soi.

le 19 décThéâtre Liberté, Toulon04 98 00 56 76www.theatre-liberte.fr

MacbethDe l’Écosse du XIe siècle à 2011 il n’y a qu’une scène, celle sur laquelle Lofti Achour met en scène Macbeth d’après Shakespeare, dans une relecture et une adaptation qui font de Leïla et Zine Ben Ali les héros d’un «thriller politico-historique». Entre fiction et documentaire, le spectacle, en arabe surtitré, est nourri des convulsions du monde arabe, de reconstitution de faits réels tout en respectant la dramaturgie shakespearienne.

le 11 janvThéâtre Liberté, Toulon04 98 00 56 76www.theatre-liberte.fr

Au Bord de la nuit #3Le troisième et dernier volet du cycle de créations du Cabinet de Curiosités, compagnie en résidence au Théâtre du Rocher, est mis en scène par Marie Blondel sur un texte de la plasticienne, photographe et écrivaine Valérie Mréjen. De cette écriture «très organique, directe et incisive faite pour être parlée et entendue» se crée une pièce qui raconte comment l’Autre nous voit, et parle, aujourd’hui, «de la famille en gardant la distance et l’humour nécessaire…» Avec Mathieu Bonfils et Laetitia Vitteau.

du 14 au 16 janvLe Rocher, La Garde04 94 08 99 34www.ville-lagarde.fr

L’OmbreL’ombre d’un savant décide de quitter ce corps pour voyager et découvrir le monde, la réalité, les choses de la vie. Lorsqu’elle revient, riche et sociable, elle trouve le corps vieilli d’un homme solitaire et vaincu dont la raison est devenue vulnérable car n’intéressant personne. Invité à voyager avec elle, il devra alors accepter de devenir l’ombre de son ombre…Librement adaptée du conte d’Andersen par Frédéric Vossier, la pièce est mise en scène par Jacques Vincey.

le 14 décLe carré, Sainte-Maxime04 94 54 77 77www.carreleongaumont.com

Mademoiselle ElseJean-Claude Nieto met en scène la nouvelle de l’écrivain autrichien Arthur Schnitzler, Mademoiselle Else. Il s’agit d’un long monologue intérieur tenu par la jeune fille, intelligente, vive, belle. En villégiature entre sa tante et son cousin Paul, elle laisse ses pensées vagabonder, s’inter-roge, cherche une certaine émancipation, mais elle reçoit une lettre de sa mère qui l’enjoint de demander pour son père proche de la faillite, une aide financière à un riche marchand de tableaux, Monsieur Dordsday. Ce dernier accepte mais exige en contrepartie de voir la jeune fille nue pendant un quart d’heure. Dilemme, désespoir, sentiment d’humiliation… Mademoiselle Else se sent trahie, flouée, ce n’est que par le suicide qu’elle affirmera une ultime volonté de liberté. Ce texte sombre épouse tous les remuements de l’âme du personnage, en saisit les plus infimes variations. Il est interprété par Floriane Jourdain, la sensible et émouvante Bérénice du Gyptis. Cette belle adaptation fidèle au texte de Schnitzler par sa forme monologuée, sera donnée en une exceptionnelle avant-première au théâtre du Jeu de Paume le 12 décembre avant la tournée 2014. La pièce sera jouée le 21 mars au Théâtre Fontblanche, à Vitrolles.

le 12 décJeu de Paume, Aix08 2013 2013www.lestheatres.net

FratricideIl y a quelque chose des frères Corses dans l’argument de la pièce de Dominique War-luzel, avec l’un qui a tourné voyou et l’autre bâtonnier versaillais. Il faut la mort de leur père et l’ouverture du testament pour que les deux hommes se rencontrent après vingt ans d’absence. Fabien et Jean s’affrontent alors… Objet du litige : l’argent. Comment le recevoir ? en se soumettant à une série d’épreuves destinées à évaluer l’affection que chacun portait au défunt. Jean-Pierre Kalfon et Pierre Santini nous font vivre un huis clos terrible et palpitant dans une mise en scène de Delphine de Malherbe.

le 13 décThéâtre Le Forum, Saint-Raphaël04 94 95 55 55www.aggloscenes.com

le 14 décThéâtre Toursky, Marseille0 820 300 033www.toursky.org

Petits chocs...Alors que les télés s’ingénient à conjuguer la cuisine à toutes les sauces, si l’on peut dire, de chefs en panique ou en maîtres, Fellag tout en cuisinant un couscous fait partager la saveur des mots, des petites phrases, des réparties, passe d’un sujet à l’autre avec aisance, papillonne entre les thèmes et les plats avec humour. Il nous concocte la meilleure des cuisines, celle de la fraternité. Les frontières s’effacent devant les goûts découverts et partagés du burlesque, du rire, de la poésie. Un one man show délicieusement assaisonné dans une mise en scène de Marianne Épin.

Petits chocs des civilisationsles 17 et 18 décThéâtre de Grasse04 93 40 53 00www.theatredegrasse.com

© Bernard Richebé

© Lorenzo Porrazzini

AU

PROGRAMME

44

Page 45: Zibeline 69

Plus de danse

À peine ses Questions de danse posées, et fort pertinemment (voir Zib 68 et 69), KLAP enchaîne sur un autre festival… La deuxième édition de ce temps fort est consacrée à Nijinski, à l’occasion de son centenaire, décliné ici au pluriel. Parce que les héritages du danseur chorégraphe et faune sont pluriels, variés, que le Sacre du Printemps (1913) et L’Après Midi d’un Faune (1912) ont bouleversé la danse qui ne s’en remet pas sans en passer par cette histoire, Philippe Verrièle viendra en parler, Thierry Thieû Niang fera tourner ses seniors pour révéler la tendresse de tout corps qui danse, Cristina Rizzo sera là aussi. Quatre jours de créations qui n’oublient pas l’histoire, et s’en nourrissent, dans la continuité, la révérence, l’iconoclastie ou le contraste.

Les centenaires de NijinskiLa Sagra della Primavera - Paura e delirio a Las VegasCristina RIZZOSacre # 197Dominique Brunle 14 déc

Tel est fauneLecture par Philippe Verrièle... du printemps ! Thierry Thieû Niang et Jean-Pierre Moulèresle 16 déc

Danser le printemps à l’automneDocumentaire de Denis Sneguirev et Philippe Chevallierle 17 déc à l’Alhambra

D’un corps à l’autreRestitution de l’atelier mené par Lou CantorMes NijinskiMichel Kelemenisle 18 déc04 96 11 11 20www.kelemenis.fr

Sport FictionLe Ballet National de Marseille conclut l’année capitale par une création de Frédéric Flamand à la Criée. Sport Fiction, dont une première version bi-frontale avait été donnée en plein air sur le parvis de la gare, est une pièce joyeuse, mutine, qui met en évidence l’esthétique involontaire des gestes sportifs, et dans le même temps son écart avec le geste dansé, qui n’a pas pour but de vaincre. Tout le ballet y danse, au cœur de couleurs, d’accessoires et de costumes chatoyants et décalés, et d’une scénographie High Tech qui trimballe des images de sport nostalgiques…

du 18 au 21 décLa Criée, Marseille04 91 54 70 54www.theatre-lacriee.com

DansemLe festival Dansem joue ses derniers spectacles. Le 11 déc au théâtre des Bernardines on pourra applaudir This is not a love story de Gunilla Heilborn, road movie sous forme de pas de deux où chant, danse, causerie mènent du Cap Nord à Lisbonne. Le 12 déc c’est au théâtre Joliette-Minoterie que le sage soufi et le fou se conjuguent dans Ha ! de Bouchra Ouizguen avec la Compagnie O, avant la reprise dans la même salle de ce blues marocain extraordi-naire des Aïtas de Madame Plaza de la même chorégraphe, le lendemain. Enfin en clôture, le 14 déc, au Klap, sur l’intégralité du Sacre du Printemps de Stravinsky, la jeune danseuse et chorégraphe Cristina Rizzo explore les infinies possibilités du geste, en jouant sur le paradoxe de Zénon qui décrit l’espace comme infini puisque divisible à l’infini dans La sagra della primavera Paura e delirio a Las Vegas. De quoi alimenter tous les imaginaires !

jusqu’au 14 déc04 91 55 68 06www.dansem.orgwww.officina.fr

Le 11décLes Bernardines, Marseille04 91 24 30 40www.theatre-bernardines.org

les 12 et 13 décThéâtre Joliette-Minoterie, Marseille04 91 90 07 94www.theatrejoliette.fr

le 14 décKlap, Marseille04 96 11 11 20www.kelemenis.fr

Rayahzone

Trois acrobates, cinq chanteurs tunisiens, pour un spectacle où danse, cirque et chants soufis se conjuguent. Dans une cour intérieure, l’ivresse du geste et du chant mènent à une véritable quête spirituelle où désir et sacré se mêlent. Rayahzone est la première création commune des frères Thabet. Leur formation initiale de cirque nourrit une danse vivante et riche qui surmonte tous les handicaps.

les 11 et 12 janvLe Merlan, Marseille04 91 11 19 20www.merlan.org

Meyer / Writing Ground

Dans le cadre du festival de Marseille se donnent au Silo deux pièces de l’emblématique choré-graphe Alonzo King, créées, l’une en 2013 pour les trente ans de la compagnie Lines Ballet de San Francisco, l’autre en 2010 pour les Ballets de Monte Carlo. Meyer, d’abord, composée en collaboration avec Edgar Meyer, contrebassiste et lauréat d’un Grammy Award, puis Writing Ground qui s’inspire des poèmes de Colum McCann auxquels se mêlent des musiques sacrées d’origine juive, chrétienne, musulmane et tibétaine, frappent par leur inventivité et leur virtuosité.

le 19 décLe Silo, Marseille04 91 90 00 00www.silo-marseille.fr

Du printemps..., Thierry Thieû Niang © Jean-Louis-Fernandez

La Sagra, Cristina Rizzo © Irene Franchi

© D. Aucante

© X-D.R

AU

PROGRAMME

DANSE

45

Page 46: Zibeline 69

Sadeh 21

Sadeh 21 -écho à l’Odyssée 21 ?- est une pièce créée en 2010-11 par la Batsheva dance company (fondée en 1964 par la baronne Batsheva de Rotschild, avec Martha Graham comme première directrice artistique). Sadeh, en persan fête de l’apparition du feu, s’appuie sur les différentes sensibilités des danseurs, passant de solos à des duos puis des tableaux d’ensemble, sur des musiques variées qui peu à peu trouvent une harmonie profonde. La qualité et le style unique de la compagnie sous la houlette de Ohad Naharin, créateur du fameux langage «Gaga» qui anime les corps de micro-impulsions, étonne et envoûte.

les 13 et 14 décPavillon Noir, Aix-en-Provence04 42 93 48 14www.preljocaj.org

Ce que j’appelle oubli Pour cette pièce portée par 6 danseurs mas-culins et un comédien, Angelin Preljocaj renoue avec sa veine littéraire, portant sur scène dans sa quasi intégralité le récit de Laurent Mauvignier : Ce que j’appelle oubli donne une voix, intérieure, au marginal qui a été battu à mort par quatre vigiles pour avoir volé une bière. La danse, qui a le bon goût de parfois s’effacer totalement, donne chair à la violence, fait hurler la douleur, et laisse entrevoir l’insondable et écœurant plaisir des bourreaux. Une des pièces récentes les plus fortes de Preljocaj.

du 18 au 20 décPavillon Noir, Aix-en-Provence04 42 93 48 14www.preljocaj.org

Numéro 187Cette adaptation libre et pluridisciplinaire du Diable en France, œuvre autobiographique de Lion Feuchtwanger, est présentée en création au Théâtre Vitez par Yan Gilg, directeur artistique de la cie Mémoires Vives de Strasbourg, sur un projet du Centre Culturel Jean-Paul Coste sur le Camp des Milles. La pièce interroge sur les causes qui ont conduit au fascisme. La reconstitution historique de l’internement des artistes et des intellectuels au Camp des Milles répond certes à un devoir de mémoire mais sert aussi d’avertissement, le souvenir comme garde-fou contre la reproduction de l’innommable. Hip hop, rap, slam, graff, danse contemporaine, vidéo, se lient ici dans un témoignage militant.

le 12 décThéâtre Vitez, Aix-en-Provence04 42 59 94 37www.theatre-vitez.com

Polices !Sonia Chiambretto poursuit son compagnon-nage avec le Théâtre Durance et un nouveau texte d’une forte musicalité sur lequel s’appuie une chorégraphie de Rachid Ouramdane en collaboration avec le compositeur Jean-Baptiste Julien. Polices !, comme les autres textes de cette jeune et talentueuse auteure, n’est pas écrit à la base pour le théâtre, mais y trouve une voix et une incarnation dans la mise en scène où s’orchestrent les différents types de paroles du texte : carnet de bord, liste d’objets, instants d’audience, archives du procès Papon. Danse, chorale, acteurs professionnels et habitants du terroir se retrouvent dans une dramaturgie polyphonique sensible et riche.

Polices ! (éditions grmx 2011, 10š)le 14 décThéâtre Durance, Château-Arnoux04 92 64 27 34www.theatredurance.fr

Alice

Pour la nouvelle production du Gruber Ballet Opéra, le dramaturge Fabrice Melquiot invente un «cirque-poème ouvert, digressif, une rêverie autour de Lewis Carroll…». Représenté au plateau, l’auteur d’Alice au Pays des Merveilles sera accompagné par 25 acrobates de l’Acadé-mie des Arts du cirque de Tianjin dans le périple d’Alice. Un tourbillon de jonglerie et de contorsions qui renvoient aux pulsions qui animent le texte pour une rêverie circassienne du Nouveau Cirque national de Chine, à voir en famille dès 4 ans.

le 12 décOpéra du Grand Avignon04 90 82 81 40www.operagrandavignon.fr

Encuentro Flamenco

La compagnie Flamenco Vivo offre un spectacle au confluent de la modernité et de la tradition. Le flamenco représenté dans ses fondamentaux, entre la voix chaude et envoûtante de Luis de la Carrasca et la danse (magnifiques Ana Pérez et Kuky Santiago), violente et sensuelle, qui se mêle à la guitare. Une même passion pour un art reconnu depuis 2010 Patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco.

le 13 décLe Balcon, Avignon04 90 85 00 80www.theatredubalcon.org

© Patrick Imbert

© O

had Naharin

© X-D.R.

Encuentro Flamenco © BM Palazon 2013

AU

PROGRAMME

46

DANSE

Page 47: Zibeline 69

Casse-Noisette... Treize ans pour un retour attendu ! Le ballet Casse- Noisette revient à Monaco, mais au plaisir des retrouvailles se joint celui de la création. En effet, Jean-Christophe Maillot ne se contente pas de reprendre sa chorégraphie de l’œuvre de Tchaïkovski, mais propose une véritable création. Certes, les rêves de Clara, la petite fille qui reçoit en cadeau de Noël le fameux casse-noisette, restent le point de départ de l’argument coécrit par le chorégraphe et Jean Rouaud, mais ils s’animent ici des personnages emblématiques imaginés par Jean-Christophe Maillot durant ses vingt années de direction des Ballets de Monte-Carlo. Les univers dessinés par le chorégraphe se retrouvent par la magie de la danse, dans l’interprétation toujours virtuose des danseurs de cette compagnie d’exception. L’ensemble est superbement accompagné par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.

Casse-Noisette Compagniedu 26 déc au 5 janGrimaldi Forum, Monaco00 377 99 99 30 00www.balletsdemontecarlo.com

On the edge Deux chorégraphies pour l’immense dan-seuse-étoile, Diana Vishneva, seront données en un seul spectacle dans la Salle Garnier de l’Opéra de Monte-Carlo. «Le visage du Mariinsky» interprétera aux côtés des deux superbes danseurs Bernice Coppierters et Gaëtan Morlotti, Switch de Jean-Christophe Maillot, sur une musique de Danny Elfman. Puis, elle reprendra le solo que Carolyn Carlson avait composé pour elle -le premier solo de sa brillante carrière-, Woman in a room sur une musique de Giovanni Sollima. La danseuse allie une technique hors pair à des qualités d’interprétation sensibles et émouvantes.

les 18 et 19 décOpéra de Monte-Carlo, Monaco00 377 99 99 30 00,www.balletsdemontecarlo.com

1980

Pour la 3e année consécutive, le Tanztheater Wuppertal revient à Nîmes avec une pièce majeure de la chorégraphe allemande Pina Bausch. Dans un défilé kaléidoscopique, la pièce mêle les thèmes de l’enfance, de l’amour, de la folie et de la mort. Dans 1980, rejetant les conventions, Pina Bausch radicalise ce qui deviendra son style, un télescopage de séquences dansées et de saynètes théâtrales, invitant les danseurs-comédiens à dévoiler leur propre histoire. À noter qu’une rencontre est programmée avec Peter Pabst, le scénographe du spectacle, le 19 déc à 12h30.

du 18 au 21 décThéâtre de Nîmes04 66 36 65 10www.theatredenimes.com

Festival Flamenco

Les plus grandes figures du Flamenco sont de retour à Nîmes, dans plusieurs lieux de la ville, avec le 24e Festival Flamenco, qui accueille pour la première fois de son histoire une artiste en résidence. Rocio Molina, jeune danseuse de Malaga, peaufinera sa prochaine création qui sera donnée à Nîmes en janvier 2015 ; elle clôture par ailleurs cette édition avec Afectos, accompagnée de Rosario «La Tremendita» au chant. Autres performances attendues : Israel Galván qui évoque la persécution des tziganes par les nazis dans Lo Real ; le danseur atypique Andrés Marin avec Tuétano ; Isabel Bayón, ambassadrice de l’école sévillane, avec Caprichos del tiempo. Et deux spectacles destinés aux enfants : MamZelle Flamenka ¡ Dos ! de la Nîmoise Chely «La Torito», et, en ouverture, En mis cabales de José Galán.

du 7 au 18 janvNîmes04 66 36 65 10www.theatredenimes.com

Double je(u)Cette création chorégraphique présente une singulière particularité, en mettant en scène un pas de deux, composé de deux soli des deux chorégraphes hors norme que sont Farid Berki et Aimé Coulibaly. Chacun a créé un solo pour l’autre. Les danseurs rentrent ainsi dans l’univers de l’autre, y redessinant leur sensibilité par la grâce de leur interprétation. Si «je» est un autre, danser l’autre devient un jeu où le «je» se sublime.

le 13 décCNCDC Châteauvallon, Ollioules04 94 22 02 02www.chateauvallon.com

MuôNouvelle création du chorégraphe Nans Martin, Muô met en scène trois femmes dans une esthétique du fragment entre ombre et lumière, où la solitude est traitée de manière quasi mystique. Le jeu des expressions, la sensation d’exil, d’égarement, se conjuguent dans une lenteur rituelle, jouant sur l’infime, tout en délicatesse.

le 10 janvThéâtre de Grasse04 93 40 53 00www.theatredegrasse.com

© U

lli Weiss

© ALice Blangero

© G

ene Schiavone

© Marie Monteiro

© Nina Flore Hernandez

© X-D.R.

Tuy tano Andrés Marin © Jean-Louis Duzert

Encuentro Flamenco © BM Palazon 2013

AU

PROGRAMME

DANSE

47

Page 48: Zibeline 69

The Animals…

La compagnie anglaise 1927 s’appuie sur la personnalité originale de la poétesse Suzanne Andrade et déploie un univers magique, aussi musical que visuel. Délicieusement subversif, délicatement ciselé, le spectacle créé au Festival d’Avignon 2012 emprunte à la fois au graphisme, au cinéma muet et au cabaret pour planter le décor d’un pauvre immeuble de quartier... qui va être le cadre d’un récit baroque et déjanté. Dès 9 ans.

The Animals and Children Took To The Streetsdu 12 au 15 décLa Criée, Marseille04 91 54 70 54www.theatre-lacriee.com

Les Jardins Extra...

À l’occasion d’un partenariat avec La Baleine qui dit «vagues», Sylvie Delom puise dans le répertoire classique des Frères Grimm en s’accompagnant d’une guitare ou d’une simple guimbarde. Formée aux côtés de Henri Gou-gaud, cette conteuse laisse toujours une place importante à l’improvisation, jouant de sa verve et d’une présence exceptionnelle. Dès 6 ans.

Les Jardins Extraordinairesle 11 janvLa Criée, Marseille04 91 54 70 54www.theatre-lacriee.com

Le campement...L’univers des nombres, c’est bien connu, il faut le prendre comme un jeu si l’on veut y entrer ! Avec le Groupe n+1, les enfants à partir de 12 ans pourront ouvrir la porte d’un esprit de chercheur en pleine ébullition lors d’un apéro mathématiques. Clémence Gandillot dans Le t de n-1 répondra -entre autres- à cette question fondamentale : comment l’homme a-t-il pu inventer les maths ? Tandis que les sessions de Fromage de tête résoudront l’équation du CCMdlT (Comment Ça Marche dans la Tête).

Le campement mathématiquesdu 13 au 15 décThéâtre Massalia, Marseille04 95 04 95 70www.theatremassalia.com

La grenouille au fond…Un collectionneur de maisons vous invite à découvrir ses espaces intérieurs, et c’est tout un monde qui s’ouvre à vous. Sur une proposition du Vélo Théâtre d’Apt, le «bricoluminologue» Flop Lefebvre déploie ses machines à projeter ombres et lumières. Un parcours spectacle autant qu’une expérience sensorielle, mis en scène par Francesca Bettini. À partir de 6 ans.

La grenouille au fond du puits croit que le ciel est ronddu 7 au 11 janvThéâtre Massalia, Marseille04 95 04 95 70www.theatremassalia.com

le 16 avrPalais des Congrès, Digne-les-Bains04 92 30 87 10www.dignelesbains.fr

L.O.V. etc.La Cie 2b2b s’inspire du livre Là où vont nos pères de l’australien Shaun Tan, qui a remporté le prix du meilleur album lors du Festival d’Angoulême 2008. Un ouvrage sans texte, servant ainsi parfaitement de support à l’une des variations chorégraphiques dont Valérie Costa a le secret. Cette création 2014 explore le thème immémorial de la séparation, en mettant en scène un homme et une femme confrontés au départ, symbolisé par une valise. À voir dès 7 ans.

LO.V. etc. ou comment faire sans «E»du 7 au 11 janvThéâtre de Lenche, Marseille04 91 91 52 22www.theatredelenche.info

Contes & SoulLe conteur et chanteur Patrice Kalla, accompa-gné de trois musiciens (piano, basse, batterie), propose un étonnant concept dit «concert de contes». Dans ce spectacle destiné aux enfants à partir de 6 ans, le slam, le hip hop, le funk et le jazz rencontrent des histoires venues d’Afrique. Ou comment planter les graines de l’arbre à palabres en milieu urbain !

le 10 janvThéâtre Comoedia, Aubagne04 42 18 19 88www.aubagne.fr

Barbe Blue…

Le frisson déclenché par l’horrifique époux cannibale Barbe Bleue, transposé dans un univers burlesque. C’est ce que propose la cie aixoise Mine de rien avec cette version conte et musique d’une histoire venue des tréfonds de la tradition orale. Les grands thèmes sont conservés (l’amour, la mort, la curiosité, la barbarie...), mais remaniés dans un esprit moderne et roboratif. Tout public, entrée libre.

Barbe Blue, barbarie en mi mineurle 18 décSalle des fêtes, Venelles04 42 54 93 10www.culture.venelles.fr

© X

-D.R

© Clémence Gandillo

Sylvie Delom © X-D.R

© 1927

© Velo Theatre

AU

PROGRAMME

THÉÂTRE

48

JEUNE

PUBLIC

Page 49: Zibeline 69

Peau d’âneCréé en 2009 au Jeu de Paume, ce spectacle du Théâtre des Trois Hangars revisite le conte de Charles Perrault à la façon d’une comédie musicale. Les scènes de chant chorégraphiées s’intègrent avec naturel dans la mise en scène de Caroline Ruiz, qui reprend les chansons de Michel Legrand dans le film culte de Jacques Demy, tandis que la force évocatrice de l’histoire est soulignée par l’usage subtil de la vidéo.

le 10 janvEspace Nova, Velaux04 42 87 75 00www.espacenova-velaux.com

La part du Colibri

Une fable traditionnelle américaine décrit le comportement du petit oiseau, portant lors d’un incendie une dérisoire goutte d’eau dans son bec pour éteindre sa «part» des flammes… Pierre Rabhi, qui fut révolutionnaire en 68, décrit aussi dans son court ouvrage la part joyeuse que nous pouvons prendre au changement écologique, et à la transformation de la société, en croyant sans illusion qu’il faut faire obstinément le choix de la vie. Alexandra Tobelaim reprend la légende et la leçon de La Part du Colibri pour construire un spectacle pour enfants. Le premier de son parcours. Fabriquer là où l’on est de petites choses pour changer le monde et le rendre vivable, ce n’est pas renoncer au combat mais le mener au contraire. C’est ce qu’elle veut vivre par le théâtre, pour ici faire prendre conscience aux enfants de la fragilité et de la beauté du monde. Dans un dispositif scénographique circulaire conçu par Olivier Thomas, des enfants projetés en 2071 vont partir à la recherche de la vie animale, et de notre indispensable lien à la «nature». Qui n’est pas un environnement, mais nous-mêmes.

les 17 et 18 déc (festival Momaix) 3bisf, Aix-en-Provence04 42 16 18 23www.3bisf.com

du 14 au 18 janvThéâtre Joliette-Minoterie, Marseille04 91 90 07 94www.theatrejoliette.fr

le 5 marsThéâtre Sémaphore, Port-de-Bouc04 42 06 32 01www.theatre-semaphore-portdebouc.com

Sœur…

Cinq sœurs, âgées de 9 à 70 ans, se retrouvent dans une maison vide, liées par un immense mystère. Qu’attendent-elles ? De qui ont-elles peur ? De confidences en disputes, chantant et dansant, elles suivent le fil d’une histoire qui parlent de transmission et de transgression. Sylviane Fortuny met en scène cette fable moderne écrite par Philippe Dorin comme un huis clos policier dont la fin surprend… Dès 9 ans.

Sœur, je ne sais pas quoi frèrele 11 janvLes Salins, Martigues04 42 49 02 00www.theatre-des-salins.fr

le 14 févThéâtre de La Licorne, Cannes04 97 06 44 90www.madeincannes.com

le 19 févThéâtre de Nîmes04 66 36 65 10www.theatredenimes.com

Tania’s Paradise

Le corps de l’artiste israélienne Tania Sheflan se contorsionne, livre ses indignations et ses chagrins, ses élans et ses amours, porteur d’un conte livré sur le ton de la confidence. Dans une yourte kirghize installée sur la place de la Liberté, à Toulon, elle se tient au centre d’une piste minuscule, racontant l’intime et le politique, accompagnée par l’écriture et la mise en scène de Gilles Cailleau.

du 15 au 17 janvThéâtre Liberté, Toulon (Place de la Liberté)04 98 00 56 76www.theatre-liberte.fr

La Vie de Smisse Après Taboularaza, que le Théâtre d’Arles avait reçu en 2012, Ivan Grinberg et Damien Bouvet poursuivent leur collaboration dans l’univers rempli de rires, de rêves et de peurs de l’enfance. D. Bouvet se glisse dans la peau de Smisse, petit homme de 3 ans, qui s’invente des mondes et les explore, sa peluche Ouf le singe sous le bras. Son quotidien est une aventure de chaque instant, dans lequel il entraîne ses proches, à la maison ou à l’école ! Dès 3 ans.

les 7 et 8 janvThéâtre d’Arles04 90 52 51 51www.theatre-arles.com

Quand je me deuxElles sont deux, très différentes mais complémen-taires : la première, comédienne, collectionne les boutons, les théières, les mots, les notes ; la seconde, danseuse, apparaît une chaise sur le dos -refuge, guérite, invite-, aérienne, et observe. Sur un texte de Valérie Rouzeau, Laurance Henry crée une partition où geste et poésie ne font qu’un, nourrie de sons et de mots qui revisitent le temps de l’enfance, où les émotions sont vives et les amours éternels. Dès 3 ans.

le 8 janvThéâtre Durance, Château-Arnoux04 92 64 27 34www.theatredurance.fr

les 14 et 15 janvLe Jeu de Paume, Aix-en-Provence08 2013 2013www.lestheatres.net

20 000 lieues…Adaptée de l’œuvre de Jules Verne, cette version spectaculaire de la compagnie Imaginaire Théâtre, entre conte fantastique et théâtre d’objets, entraine les spectateurs dans un monde tourbillonnant d’invention, de poésie et d’humour, en compagnie du truculent Professeur Aronnax, à bord du Nautilus. De surprenantes trouvailles visuelles servent le regard précurseur de l’auteur sur la nécessité d’un développement durable et humaniste. Une découverte en 3D envoûtante. Dès 7 ans.

20 000 lieues sous les mersles 14 et 15 décAuditorium Jean Moulin, Le Thor04 90 33 96 80www.artsvivants84.fr

© Tandaim

© S

ebas

tien

Arm

engo

l

© P. Leïva

© Namurimage et Benjamin Deroche

AU

PROGRAMME

49

JEUNE

PUBLIC

Page 50: Zibeline 69

Festival Amarelles

Le festival jeune public accueille cinq spectacles mêlant les univers de la danse, du théâtre et de la marionnette. Il débute par Le Petit Poucet ou du bienfait des balades en forêt dans l’éducation des enfants, une version «acide et décapante» du conte de Charles Perrault par Laurent Gutmann. Après Poussière d’eau, la cie Le fil rouge théâtre revient avec Sirènes. S’inspirant du conte d’Andersen, Eve Ledig recrée un royaume des mers avec une sensibilité particulière. Imaginer des lois, choisir un gou-vernement : un défi civique et ludique proposé aux enfants par la cie Teatro delle Briciole dans La république des enfants. À travers le théâtre de papier, la Cie Clandestine utilise l’humour et la poésie, pour parler de l’identité et de la différence dans C’est pas pareil ! Ce sont les fabuleuses marionnettes de Charles Tordjman qui clôturent en beauté le festival avec Un beau matin, Aladin de la Cie Fabbrica.

du 10 au 22 janvThéâtres en Dracénie, Draguignan04 94 50 59 59www.theatresendracenie.com

Il était une fois… Le Petit Poucet a grandi. Il est devenu un vieux marquis qui a légèrement perdu la tête et tente de raconter ses souvenirs d’enfance à ses valets. Grâce au texte signé par Gérard Gelas et à la mise en scène d’Emmanuel Besnault, les sept comédiens, musiciens et chanteurs de la cie L’Éternel été se réapproprient le conte de Charles Perrault avec humour, dynamisme et un brin de folie dont ils ont le secret. Dès 6 ans.

Il était une fois le Petit Poucetle 18 décChêne Noir, Avignon04 90 86 74 87www.chenenoir.fr

L’extraordinaire soirée… Pour le réveillon, Melle Croire a invité toutes les légendes et symboles de Noël : de la petite fille aux allumettes à Casse-Noisette en passant par Saint-Nicolas, Jésus ou le bonhomme rouge de Coca Cola. Dans un décor de neige et de poussière étoilée, la cie Reveïda interprète un conte chorégraphique de qualité qui fait revivre, aux petits dès 3 ans comme aux grands, toute la féérie qui entoure la période de Noël.

L’extraordinaire soirée de Melle Croirele 18 décThéâtre Golovine, Avignon 04 90 86 01 27www.theatre-golovine.com

VuSon obsession, ce sont les choses dérisoires et anodines. Ce clown involontaire aime que tout soit à sa place. Mais lorsqu’un grain de sable bouleverse toutes ses petites manies, un vent de panique l’envahit, et un déferlement de rires s’abat sur le public. Etienne Manceau de la cie Sacékripa s’appuie sur son talent de comédien pour donner une véritable importance à tous ces petits gestes du quotidien à travers une drôle histoire aussi méticuleuse que créative. Dès 10 ans.

les 14 et 15 janv La Passerelle, Gap04 92 52 52 52 www.theatre-la-passerelle.com

Les jours heureux

Elle est belle et grande. Il est vieux et petit. Filomène et Félix n’auraient pas dû se rencontrer. Mais dans l’univers rêvé des clowns, tout est possible. De leurs noces de mariage aux tracas du quotidien, la cie Voyageur Debout interprète les histoires drôles et attachantes vécues par un couple hors du commun. Seulement, eux aussi vont connaître la morosité d’un bonheur illusoire, des responsabilités trop lourdes ou encore la solitude, dans un spectacle émouvant qui touche aussi bien les petits que les grands. Dès 7 ans.

les 14 et 15 décThéâtre du Briançonnais, Briançon04 92 25 52 42www.theatre-du-brianconnais.eu

SnacksPaul Pleck gère une entreprise de snacks. Pour que sa société fonctionne, il doit maîtriser toute la chaîne de fabrication des œufs aux boites de distribution. L’histoire bascule lorsqu’il trouve une poule, miraculeusement rescapée. Doit-il l’abattre ? Qu’est ce qui se cache derrière la malbouffe ? Autant de questions auxquelles tente de répondre la compagnie belge Héliotrope à travers des jeux d’images colorées astucieux, divertissants et ludiques. Dès 8 ans.

le 13 décPôleJeunePublic, Le Revest04 94 98 12 10www.polejeunepublic.com

GlobulusDe la naissance d’une cellule à l’embryon en passant par la vie aquatique, végétale et animale, la chorégraphe Laurence Salvadori imagine un spectacle accessible aux tout-petits pour leur faire découvrir le cycle de la vie de manière simple, amusante et poétique. Un véritable moment d’éveil orchestré par une danseuse et un musicien de la cie Ouragane utilisant subtilement les sons, les rythmes, les couleurs et l’espace pour apprendre et faire rire les enfants autour de l’origine du monde. Dès 18 mois.

les 14 et 15 décPôleJeunePublic, Le Revest04 94 98 12 10www.polejeunepublic.com

© X-D.R

© Alicia Malialin

© Alexis Doré

© Raoul Gilibert

JEUNE

PUBLIC

AU

PROGRAMME

50

Page 51: Zibeline 69

TubeS’inspirant de Kandinsky et Calder, la dernière création d’Alix Bouyssié s’appuie une forme : le tube. Le public est en présence d’un véritable défi scénographique et chorégraphique réalisé par la cie Mauvais Esprits. Après des années de recherches, ce sont des tableaux complexes et surprenants que font naître les artistes qui utilisent les différents tailles et matières du cylindre. Preuve qu’il est possible de créer, produire des performances et partager des émotions encore inconnues grâce à l’utilisation d’un objet aussi simple que le tube.

le 13 décLes Salins, Martigues04 42 49 02 00www.theatre-des-salins.fr

Drôles de NoëlsVoilà 10 ans qu’Arles transforme ses rues et places en scène ouverte au moment de Noël, programmant cette année 50 représentations gratuites durant 4 jours. L’ouverture de la mani-festation s’annonce comme chaque année spec-taculaire : la bien nommée cie L’Homme Debout investit les rues avec Vénus, spectacle onirique pour une marionnette géante, construction en osier du plasticien Benoît Mousserion. Puis se succéderont, entre autres, les Drôleries foraines et T’as de beaux yeux tu sais… Carabosse de l’Illustre famille Burattini, les contes revisités par la cie Syma avec des marionnettes à taille humaine (Cendrillon et Le Petit chaperon rouge), le Pop-up Cirkus du Théâtre de l’Articule, les acrobaties sportives des Deux du stade de la cie Biceptuelle… Sans passer outre Le Grand sot de la cie Gratte-Ciel, spectacle de clôture annoncé comme un clin d’œil au 10e anniversaire de ces Drôles de Noëls…

du 21 au 24 décArles04 90 18 41 20www.drole-de-noels.fr

Acrobates

Olivier Meyrou est cinéaste, Stéphane Ricordel est circassien. Tous deux liés d’amitié à l’ancien trapéziste des Arts Sauts qu’était Fabrice Champion, aujourd’hui disparu. Un deuil à partir duquel ils ont imaginé un voyage dans un monde parallèle et onirique. Une faille menant au bonheur, dont ils tirent des mouvements et une utilisation de l’espace unique. Sur scène, ce sont les jeunes danseurs et acrobates Alexandre Fournier et Matias Pilet qui interprètent toute l’émotion et l’énergie que révèle la force de l’amitié face aux épreuves de la vie.

les 9 et 10 janvThéâtre de Cavaillon04 90 78 64 64www.theatredecavaillon.com

du 21 au 23 janvLe Merlan, Marseille04 91 11 19 20www.merlan.org

les 4 et 5 févLa Passerelle, Gap04 92 52 52 52www.theatre-la-passerelle.com

ExtrémitésÀ deux mètres de hauteur, en équilibre sur une planche posée sur des bouteilles de gaz, chaque pas devient important et délicat. C’est sans compter sur le talent des trois acrobates du Cirque Inextrémiste. Avec beaucoup d’humour, Yann Ecauvre, Sylvain Briani-Colin et Rémi Lecocq emmènent le public dans un monde déjanté sous la menace perpétuelle de l’effondrement. Une mise en scène originale qui permet de prouver à quel point la solidarité et l’entraide peuvent créer un nouvel équilibre et une forme de garantie de la survie d’un groupe.

les 11 et 12 janvAuditorium Jean Moulin, Le Thor04 90 33 96 80www.artsvivants84.fr

les 28 et 29 marsThéâtre d’Arles04 90 52 51 55www.theatre-arles.com

le 6 maiPôleJeunePublic, Le Revest04 94 98 12 10www.polejeunepublic.com

Plan BLe scénographe Aurélien Bory et le met-teur en scène new-yorkais Phil Soltanoff renversent les codes du cirque, de l’espace et du mouvement. Ils rêvent ensemble d’un monde où l’homme se déplacerait sur un sol différent. Un plan incliné par exemple ? Habillés en costard cravate, ces quatre traders stressés, bondissent, volent, chutent pour trouver leur équilibre. À travers cette joyeuse épopée, les jongleurs-acrobates de la Compagnie 111 prouvent leur capacité à s’adapter aux changements dans un enchaînement de gags et de clins d’œil cinématographiques, de Bruce Lee à Méliès et Buster Keaton.

les 17 et 18 déc La Passerelle, Gap04 92 52 52 52www.theatre-la-passerelle.com

Magie d’ombres…De ses doigts virtuoses, Philippe Beau est capable de créer des chorégraphie étonnement minutieuses et élégantes. De grands noms du spectacle et du cinéma ont déjà fait appel à ses talents, du Cirque du Soleil à Philippe Découflé et Régis Roinsard. Liant le théâtre d’ombre à la recherche, il se fait connaître en inventant de nouveaux procédés dans ce domaine. Ce solo créé en 2013 est l’occasion pour l’auteur-interprète de présenter un univers poétique en s’interrogeant sur les rapports entre le cinéma, l’illusion et l’ombre.

Magie d’ombres et autres toursle 17 décThéâtres en Dracénie, Draguignan04 94 50 59 59www.theatresendracenie.com

le 14 déc Théâtre de Fos04 42 11 01 99www.scenesetcines.fr

le 5 avrilLa Croisée des Arts, Saint-Maximin04 94 86 18 90www.saintmaximin.fr

Solvo Ancien membre du Cirque du Soleil, Frédéric Zipperlin met en scène un univers féérique mêlant le cirque, la comédie, la musique et la danse. Un œuvre complète qui révèle toute l’inventivité de ce nouveau genre de cirque créé avec sa cie Cirque Bouffon. S’attaquant au caractère oppressant de la société, il intègre au spectacle un élément de notre quotidien qu’est le papier journal. Solvo signifie «libération». Une liberté à laquelle il donne vie dans un décor imposant, une musique envoûtante interprétée en direct par trois musiciens et une histoire ensorcelante.

les 20 et 21 décLa Croisée des Arts, Saint-Maximin04 94 86 18 90www.saintmaximin.fr

© Christophe Raynaud de Lage

Vénus © Cie L’Homme debout

© Alicia Malialin

AU

PROGRAMME

51

CIRQUE

RUE

Page 52: Zibeline 69

Dominique A

Moussu T e lei JoventsIncontournable dans le paysage musical français, représentant plus particulièrement la musique marseillaise, le groupe créé par le fondateur-chanteur du Massilia Sound System, Tatou (Alias Moussu T), s’empare pour son dernier album d’une nouvelle égérie : Artémis, la déesse de Phocée et protectrice de Marseille. Un répertoire composé en occitan, subtil mélange de douceur du climat et de paysages de bord de mer, de l’âpreté de la construction navale et de relents de luttes sociales et de combats.

le 13 décForum de Berre04 42 10 23 50www.forumdeberre.com

Tous au piquet !

AnnaHommage à un téléfilm mythique des années soixante réalisé par Pierre Koralnik, dont Serge Gainsbourg signait la bande originale, incarné à l’époque par Jean-Claude Brialy et Anna Karina. C’est Cécile de France qui reprend le rôle de «l’image» et Grégoire Monsaingeon celui du garçon, fou d’amour pour une icône de papier. Une comédie musicale, «sous le soleil exactement» d’une histoire d’amour/chassé-croisé, pop et contemporaine.

du 14 au 17 janvGrand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence08 2013 2013www.lestheatres.net

Traverser un moment d’intimité avec le mélancolique Dominique A, l’un des fondateurs de la «nou-velle scène française», promet un moment unique. Il s’arrête pour trois soirées au théâtre des Salins pour une lecture musicale en solo créée aux Correspondances de Manosque et au Lieu Unique (Nantes) en 2012 et basée sur

son récit Y revenir. L’auteur-com-positeur-interprète raconte son bout du monde en évoquant son adolescence provinciale et sa naissance à la chanson et l’écriture.

du 11 au 13 décLes Salins, Martigues04 42 49 02 00www.theatre-des-salins.fr

Le groupe rock culte marseillais Quartiers Nord, avec sa verve déjantée et ses 36 ans d’exis-tence, livre un nouvel opus mêlant théâtre, chanson et musique autour de la mémoire ouvrière de la région marseillaise. De la Régie des tabacs aux chantiers navals, de la mine aux actualités portuaires, des ouvriers d’une usine en lutte confrontent leur point de vue. Une grande fresque sociale, entre huis clos et mondialisation, confidences

et déclarations militantes, doutes et espoirs.

le 20 décEspace culturel Busserine, Marseille04 91 58 09 27www.mairie-marseille.fr

les 10 et 11 janvLe Toursky, Marseille0 820 300 033www.toursky.org

Festival Nuits d’HiverLa 11e édition de la manifestation initiée par le GRIM est une espèce de mosaïque sonore associant des esthétiques contrastées. Sous le titre Improvisation et École de Vienne se profile un programme, établi sur sept journées, qu’on butinera au gré des curiosités, de concerts en conférences et expo... De l’«Improvisation» ? Chacun sait à peu près de quoi il retourne ! Quant à l’École de Vienne -courant esthétique, fondamental et novateur, initié au début du 20e siècle par Arnold Schoenberg et poursuivi par ses deux disciples faisant (donc !) «école», Alban Berg et Anton Webern- le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle a fait couler moult encre à impression ! En deux mots : ces trois-là sont un peu à la musique dite «atonale» ce que Kandinsky, Malevitch ou Mondrian sont à l’abstraction plastique. Du lien avec l’improvisation ? De fait, un profane qui tape au hasard sur les touches d’un piano est une espèce de Monsieur Jourdain, qui joue de la musique atonale... sans le savoir ! Quand, par la suite, au début des années-vingt, Schoenberg théorise sa série de douze sons (dodécaphonisme), musique savante et écrite par excellence, l’idée d’improvisation devient difficilement concevable... Quoique ? Bach (mais tout le monde ne l’est pas !) improvisait des fugues complexes.On s’intéresse particulièrement à la clôture du festival (le 21 déc), à la conférence de Michel Gaechter (Schoenberg, révolutionnaire ou conservateur ? à 17h en entrée libre. Alcazar) et au concert du soir, introduit par Christian Sébille (Gmem) & Jean-Marc Montera (Grim), autour du Pierrot lunaire interprété par le contre-ténor Dominique Visse (à 20h30. Friche Belle de Mai). Auparavant, le Trio Elisabeth Harnik (piano), Isabelle Duthoit (clarinette, voix) et Emmanuel Cremer (violoncelle) se prête au jeu du croisement des langages «entre français et allemand, improvisation et composition, aléatoire et série... autour de règles de composition de l’École de Vienne»... à voir ! (le 14 déc à 20h30. Montévidéo). La soprano Maria Husmann et le pianiste Franck-Immo Zichner proposent, quant à eux, un florilège rarement donné de Lieder de Schoenberg, dont quelques-uns tirés du magnifique Livre des jardins suspendus (le 19 déc à 20h30. Montévidéo). JACQuES FRESCHEL

Nuits d’hiver, Marseilledu 12 au 21 déc04 91 04 69 59www.grim-marseille.com

Isabelle Duthoit ©

Co-K-Rade

© Camille Ghanassia

52AU

PROGRAMME

MUSIQUE

MUSIQUE

AU

PROGRAMME

52

Page 53: Zibeline 69

Orphée aux Enfers Après le classique Orphée et Eurydice de Gluck, place à la fantaisie à l’Opéra de Marseille ! Chez Offenbach, le héros endeuillé n’a pas du tout envie de récupérer son épouse, fort occupée à batifoler aux Enfers avec Pluton ou Jupiter métamorphosé en mouche coquine ! Mais l’«Opinion publique» est là pour remettre Orphée dans le droit chemin du devoir... et du mythe ! L’Olympe déjantée est mise en scène par Claire Servais pour une co-production des nordiques Opéra Royal de Wallonie et Opéra-Théâtre de Metz. Samuel Jean franchit les lieues qui séparent la cité papale de la Canebière pour diriger l’antique ménage, Brigitte Hool (soprano) et Philippe Talbot (ténor), avec sa traîne de dieux d’opérette !

les 27, 28, 31 déc et 3 janv à 20h, les 29 déc et 5 janv à 14h30Opéra de Marseille04 91 55 11 10 ou 04 91 55 20 43http://opera.marseille.fr

My Fair Lady

La Vie Parisienne

Oratorio de Noël

En Avignon, c’est la comédie musicale américaine qu’on convoque pour les fêtes (de même, coïncidence, qu’au Châtelet pour une reprise parisienne). On se souvient de la délicieuse Audrey Hepburn, de son accent londonien cockney à couper au couteau, mégère apprivoisée à l’époque victorienne par le professeur Higgins incarné par Rex Harison dans film de Cukor (1964). Leur relation (amoureuse ?) est revue

à la lecture de Paul-Emile Fourny (mise en scène) qui propose une réalisation «à l’américaine», «grand spectacle», façon «années 50». Dominique Trottein dirige Eliza (Chiara Skerath) et son Pygmalion (Jean-Louis Pichon).

les 28, 31 déc à 20h30, le 29 déc à 14h30Opéra Théâtre du Grand Avignon04 90 82 81 40www.operagrandavignon.fr

L’ensemble baroque Café Zim-mermann, en résidence au Grand Théâtre de Provence, et le Chœur Les Eléments, dirigés par Joël Suhubiette, unissent leurs talents pour interpréter un opus de circonstance en ce temps de la Nativité. L’immense fresque baroque (Weihnachtsoratorium BWV 248) est normalement constituée de six Cantates consacrées respec-tivement au jour de Noël, aux 26 et 27 décembre, puis au Nouvel-An,

au premier dimanche suivant et à l’Épiphanie (6 janvier). Mais comme il faut compter trois heures bien sonnées pour l’ensemble, on ne livre, dans l’enceinte aixoise martelée de ses fauteuils rouges en degrés, que les trois premières, tirant des Évangiles le récit de la Naissance du Christ, l’Annonce aux bergers et leur Adoration. Un voyage orné d’airs avec hautbois ou flûte, de chœurs renforcés de trompettes, fugués ou scandés en

chorals verticaux... tout un monde à découvrir ! le 19 déc à 20h30Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence08 2013 2013www.lestheatres.net

Cet Offenbach-là est une valeur sûre qu’on voit partout, de Mar-seille en Avignon, de Toulouse à Saint-Etienne, jusqu’en Wallonie et à Prague ! La mise en scène de Nadine Duffaut s’amarre au quai du port varois pour trois représentations festives. L’opus fait une large place au théâtre. Un vaudeville qui ne prend guère de rides avec ses accents lou-foques, son regard satirique, ses célèbres couplets du «Brésilien» ou de la «veuve du Colonel», du parodique «habit» qu’a «craqué dans le dos»... Fourrons-nous en

donc «jusque-là» en suivant la baguette de Jérôme Pillement, les ambitieux Gardefeu et Bobinet dans une remise en cause des codes où les masques sociaux (et amoureux) finissent par tomber, aux rythmes de polkas, valses et quadrilles !J.F.

les 28, 31 déc à 20h, le 29 déc à 14h30Opéra de Toulon04 94 92 70 78www.operadetoulon.fr

Ensemble Café Zimmermann © Sylvain Couzinet-Jacques

© Lucas Belhatem

© Philippe G

isselbrecht - Metz M

étropole

Orphée aux enfers © Ludwig Olah 53AU

PROGRAMME

MUSIQUE

53

Page 54: Zibeline 69

Accentus : concert de Noël

L’ensemble dirigé par Laurence Equilbey est l’une des plus belles formations vocales actuelles : son aura dépasse depuis deux décennies la sphère hexagonale. On l’a souvent entendue dans la région... peu à Marseille ! C’est là, justement, pour clore l’année Capitale, qu’on voyage, avec ses seize voix en majesté, au gré de Chants de Noël issus de différentes traditions musicales : française, anglaise, allemande et américaine. Des arrangements musicaux sont spécialement conçus pour le concert, accompagnés au piano et aux percussions.

le 17 déc à 20h30Théâtre du Gymnase, Marseille08 2013 2013www.lestheatres.net

Jean-Louis Steuerman Le pianiste brésilien Jean-Louis Steuerman est associé d’ordinaire à Bach : il remporte le concours J.S. Bach de Leipzig en 1972 et a gravé en 2002 de belles Variations Goldberg chez Actes Sud. Son répertoire est loin d’être limité à la musique du Kantor, puisque son dernier enregistrement pour la maison d’édition arlésienne, consacre l’École de Vienne et la musique pour piano de Berg, Schönberg et Webern (Musicales Actes Sud. 2010). Mais c’est de la musique de son pays d’origine qu’on découvre, en partie, dans la chapelle du Méjan. À côté d’une Sonate contemporaine de João Guilherme Ripper, on entend les classiques années-trente Ciclo Brasileiro et Bachianas Brasileiras n° 4 d’Heitor Villa-Lobos, comme des Tangos, valses et polkas d’un pionnier de la musique nationale brésilienne, peu connu en dehors de Darius Milhaud en son temps : Ernesto Nazareth.le 12 janv à 11hChapelle du Méjan, Arles04 90 49 56 78www.lemejan.com

O.P.P.A. Tournée d’hiver 2014L’Orchestre Philharmonique du Pays d’Aix (dir. Jacques Chalmeau) entame, dès la fin des agapes, sa tournée hivernale de douze concerts gratuits dans les communes du pays de Zola. On y entend le Prélude et Mort d’Isolde, fantastique morceau de bravoure symphonique, à côté de la Suite pour orchestre tirée de la partition de John Williams pour la célèbre saga à l’écran : Star Wars. Gershwin devrait également faire bouger les pupitres avec son Ouverture cubaine (1932) aux percussions et rythmes de rumba ! Les premières dates sont du coté de Saint-Cannat (5 janv), Les-Pennes-Mirabeau (10 janv), Fuveau (11 janv), Le Puy Ste-Réparade (12 janv)... à suivre !

du 5 janv au 15 fév Pays d’AixEntrée libreDates & lieux sur www.orchestre-philharmonique-aix.com

Festival Flamenco

Vingt-trois ans que le flamenco prend ses quartiers d’hiver à Nîmes, cité où bat un cœur nomade et andalou ! Avant d’être une danse, si l’on remonte aux origines (XVIIIe siècle), le flamenco était un chant a cappella. Accompagné de claquements de mains et de percussions comme le cajon, les castagnettes, ou au rythme des pieds des danseurs, on associe depuis, aux mélismes profonds du cante jondo, la guitare flamenca. C’est un chant d’exclus et de déshérités qui cache sous des dehors exubérants des vertus sociales, voire politiques... Depuis la guerre d’Espagne un «flamenco nuevo» s’est développé sous de multiples formes et styles. Aujourd’hui, cette tradition populaire toujours vivace, en partie associée à la culture gitane, se mixe parfois aux sons de musiques pop, rock, jazz ou électro. Tout un univers à découvrir du côté du Gard, par de grands noms et de jeunes pousses du genre !J.F

du 7 au 19 janvThéâtre de Nîmes04 66 36 65 10www.theatredenimes.com

Dav

id L

agos

© M

igue

l Ang

el G

onza

les

JEAN-LOuIS StEuERMAN © X-d.R

Laurence Equilbey © Agnès M

ellon

54AU

PROGRAMME

MUSIQUE

AU

PROGRAMME

54

Page 55: Zibeline 69

DU 14 AU 18 JANVIER 2014

ANNAAU GRAND THÉÂTRE

MUSIQUE SERGE GAINSBOURG AVEC CÉCILE DE FRANCE

DU 11 AU 15 FÉVRIER 2014

ALEX LUTZ AU GYMNASE

METTEZ DES PLACES DE SPECTACLE SOUS LE SAPIN !08 2013 2013 - WWW.LESTHEATRES.NET OU AUX GUICHETS DES THÉÂTRES ©

styl

e-ph

otog

raph

y.de

- Fo

tolia

.com

— z

utra

� cde

sign.

com

LES DEUXSPECTACLES

40 €*

* O� re valable jusqu’au 10 janvier 2014 dans la limite des places disponibles.

Ann.Zibeline204x270AnnaAlexLutz.indd 1 03/12/13 16:49

Page 56: Zibeline 69

Tony Gatlif fait son cinéma

En parallèle avec le projet Roms et Tsiganes : une culture européenne, développé par MP2013, le cinéma Alhambra consacre un week-end au cinéaste Tony Gatlif, les 13 et 14 déc. L’occasion de revoir sur grand écran, trois de ses films : Vengo (2000) le 13 déc à 19h, Gadjo Dilo (1998) le 14 déc à 17h30 et Swing (2002) dans lequel Max, âgé de 10 ans, part à la découverte de la culture manouche. Une projection accessible au jeune public précédée d’un concert de jazz manouche du groupe Clair de Lune, le 14 déc à 14h. Une Carte Blanche accordée au cinéaste complète la programmation avec Le voleur de bicyclette (1949) de Vittorio de Sica, le 13 déc à 21h30. Après deux ans sans emploi, Antonio finit par être embauché en tant que colleur d’affiche. Malheureusement, il se fait voler sa bicyclette, un outil indispensable pour son nouveau métier. Il part à la poursuite du voleur.

Cinéma Alhambra, Marseille04 91 03 84 66www.alhambracine.com

Festival Télérama

Du 15 au 21 janv, le cinéma Alhambra accueille le festival Télérama. L’occasion de revoir les 8 meilleurs films art et essai de l’année précédente. De la Chine aux États-Unis en passant par l’Allemagne, ces longs métrages ont marqué l’année 2013 par leur originalité. Parmi les films proposés : Frances Ha du réalisateur américain Noah Baumbach, La Grande Belleza de l’Italien Paolo Sorrentino, La Danza de la realidad d’Alejandro Jodorowsky ou encore le dernier film des Frères Cohen, Inside Llewyn Davis.

Cinéma Alhambra, Marseille 04 91 03 84 66www.alhambracine.com

RévoltesDu 13 au 15 déc, dans le cadre de Regards croisés sur le cinéma européen, Cinépage propose Les petites marguerites de Věra Chytilová, Les Poings dans les poches de Marco Bellocchio, Anita G. (Abschied von gestern) d’Alexander Kluge, If… de Lindsay Anderson et Psaume rouge de Miklós Jancsó.Marco Bellocchio sera présent vendredi 13 déc à 20h30 au Pathé et le 14 à 14h30 à la BMVR Alcazar. C’est le critique Michel Ciment, directeur de la revue Positif, qui accompagnera toutes les séances.

Cinépage, Marseille04 91 08 06 53www.cinepage.com

MuCEMDans le cadre du cycle Méditerranée(s), une traversée en images, le MuCEM consacre toute une après-midi au siège de Sarajevo (1992-1996) avec la projection de trois films : Djeca, enfants de Sarajevo (2012) de la réalisatrice bosniaque Aida Bejic. L’histoire émouvante d’un frère et d’une sœur devenus orphelins pendant la guerre. Une projection précédée des Amants de Sarajevo (1994) de Marcel Hanoun en hommage à un couple bosniaque tué durant l’été 1993. Le regard d’Ulysse (1995) du réalisateur grec Theo Angelopoulos s’intéresse aux frères Manakis, les premiers cameramen de l’histoire des Balkans (le 15 déc). Babylone (2011) d’Ismaël, Youssef Chebbi et Ala Eddine Slim et Microphone (2010) d’Ahmad Abdalla sont présentés autour de la programmation Où est l’homme dans le cinéma arabe : la fêlure, proposée par le critique de cinéma Tahar Chikhaoui (le 18 déc). Mahmoud Darwich, et la terre comme la langue (1998) de Simone Bitton est projeté à l’occasion d’une soirée dédiée au poète palestinien Mahmoud Darwich (le 19 déc).

MuCEM, Marseille04 84 35 13 13 www.mucem.org

The Tiger’s coat

Le duo de musiciens Catherine Vincent mêlant guitare électrique, harmonium indien, chant et percussions, présente, le 20 déc, au cinéma Les Variétés, un ciné-concert autour du film The Tiger’s coat (1920) de l’américain Roy Clements, inspiré du roman d’Elizabeth Dejeans. C’est pour la Cinémathèque de Tanger que Catherine Estrade et Vincent Commaret ont mis en musique cette jolie comédie romantique interprétée par Tina Modotti et Lawson Butt.

Cinéma Les Variétés, Marseille08 92 68 05 97www.cinemetroart.com

Humphrey BogartDe Casablanca à La Comtesse aux pieds nus en passant par Le Faucon maltais, Le Grand sommeil ou Le Port de l’angoisse… Du 11 au 24 déc, l’Institut de l’Image présente une rétrospective des plus grands films des années 40-50 interprétés par la figure de proue qu’est l’acteur américain Humphrey Bogart.

Institut de l’Image, Aix-en-Provence04 42 26 81 82www.institut-image.org

Solstice d’hiver Pour la troisième année, à la date sym-bolique du 21 décembre, c’est le jour du solstice d’hiver et le Jour le plus Court, fête du cinéma initiée par le CNC et l’Agence du court métrage. Dans la région, proposée par des associations, des cinémas, des écoles, une trentaine de projections avec des films courts variés ou thématiques. Par exemple, une programmation de 5 courts autour de Noël dont le réjouissant Viejo Pascuero de Jean-Baptiste Hubert proposée au cinéma Le Cigalon de Cucuron. À Marseille, en avant-première le 20 déc, dans le cadre de MP 2013, c’est à La Friche La Belle de Mai que les aficionados du film court se retrouveront, dans la salle «Le petit plateau», de 19h à 1h, où ils verront différents programmes autour de la jeunesse (Jeunes Pocket-Films, Jeunes Rebelles Jeunes d’ailleurs et Langage de Jeunes) sans oublier Voyage à travers le temps en partenariat avec Lobster Film, sur les murs de la Friche ainsi que des animations musicales.

Le Jour le plus Court01 44 84 38 11http://lejourlepluscourt.com

The

Tige

r’s c

oat d

e Ro

y C

lem

ents

© D

ial F

tilm

Com

pany

Gadjo D

ilo de Tony Gatlif ©

Princes films

Les Poings dans les poches de Marco Bellocchio © Doria

Frances Ha de N

oah Baumbach ©

Mem

ento films

Djeca, enfants de Sarajevo de Marcel Hanoun © Pyramide Distribution

AU

PROGRAMME

CINÉMA

56

Page 57: Zibeline 69
Page 58: Zibeline 69

Le jury «fiction» présidé par Juan Antonio Vigar, directeur du festival de Malaga -avec lequel le partenariat est renforcé pour 2014-, a attribué le Grand Prix à Ilusion, un film à tout petit budget, tourné avec un appareil photo HD, une comédie «horrifique» qui a bien fait rire le public, fidèle, de CineHorizontes. Daniel Castro qui en est le scénariste, le réalisateur, l’acteur principal et le producteur, l’a dédié à son équipe qui a «travaillé pour rien». L’histoire est simple : Daniel, un scénariste, a en tête de réaliser une comédie musicale sur le Pacte de la Moncloa de 1977 -que plus personne ne connait aujourd’hui, comme le lui rappelle un producteur- dans laquelle chanteraient les personnages de Santiago Carillo et Felipe Gonzales ! Personne ne semble

intéressé par cette idée ; ses parents comme sa petite amie en ont assez, lui demandant de devenir responsable. Le film regorge de trouvailles et de gags. Les échanges qu’il a avec son père, par mail, mis en scène en monologues face à la caméra sont hilarants tout comme ses refus de vendre à une cliente de la librairie où il essaie de travailler 3 DVD de Michael Haneke sous prétexte que chaque film de ce cinéaste, vendu, rend le monde pire. Haneke à qui il écrit d’ailleurs : «M. Haneke, votre vie doit être bien triste pour que vos films soient si pessimistes.» Autre clin d’œil au cinéma, la scène où, mis à la porte par sa femme, il s’endort sur un banc public, abrité sous une affiche d’Annie Hall de Woody Allen. Bref, on ne peut que féliciter

ce jeune cinéaste et le Jury de l’avoir choisi. Le public, quant à lui, a préféré Blanca Nieves de Pablo Berger pour lequel Angéla Molina a obtenu cette année le Prix Goya de la meilleure actrice et le prix Gaudì du meilleur rôle féminin. Elle y incarne la grand-mère aimante de Carmen, surnommée Blanche Neige par des nains toré-ros de vachettes. Pablo Berger revisite, réinvente, ré-enchante le conte des frères Grimm, le brode précieusement comme un habit de matador ou une mantille sévillane, le transposant dans le milieu tauromachique des années 30. Il se réapproprie les universaux du genre et les codes du cinéma muet pour offrir une version émerveillée, hispanisante et contemporaine de ce conte, noire et blanche.

Le miroir magique y devient un magazine de mode où la jeune héroïne descendue dans l’arène, vole la vedette à sa marâtre et le corps imputrescible de la belle empoisonnée, une marchandise au baiser tarifé, dont la douleur se concentre dans une larme silencieuse.Horizontes del Sur nous avait promis une superbe édition : promesse tenue ! ELISE PAdOVANI Et ANNIE GAVA

CineHorizontes a eu lieu au cinéma Le Prado à Marseille du 8 au 16 novembre

Horizontes del Sur04 91 08 53 78www.horizontesdelsur.fr

Horizons espagnolsSalles combles le soir, fréquentation en hausse, 1 800 jeunes dans les séances scolaires, films variés, invités présents au rendez-vous, un directeur de cinéma aux anges, tel est le constat fait lors de la séance de clôture du 12e CineHorizontes, le 16 novembre au cinéma Prado à Marseille

PalmarèsMeilleur court métrage : El Bosón de Higgs de Cristina G. MolinaMeilleur documentaire : Con la pata quebrada de Diego GalánGrand Prix meilleur film :Ilusión de Daniel CastroMeilleur scénario : Las Brujas de Zugarramurdi d’Alex de la IglesiaMeilleur acteur : Javier Cámara dans Ayer no termina nunca d’Isabel CoixetMeilleure actrice : Candela Peña dans Ayer no termina nunca d’Isabel Coixet Prix du public : Blanca Nieves de Pablo Berger

Ilusion de Daniel Castro © Tormenta P.C

Cinéma au théâtre

Comme tous les ans dans le cadre du Festival Russe du Toursky, le cinéma s’est invité au théâtre pour une semaine. La XIXe édition a proposé cinq titres tirés du Fonds d’état de

la Russie (Gosfilmofond), qui s’enorgueillit de la plus grande collection de films au monde, 70 000 ! Déclinés en film-événement, film-émotion, film culte, film phare, film passion, tous les cinq se déroulent dans la même ville dont le nom s’est lui même décliné au fil de l’Histoire : St Petersbourg, Leningrad, Stalingrad. En ouverture, le 12 novembre, la délégation russe a présenté Monologue d’Ilia Averbakh, un film de 1972 sur la vie, ses abdications, ses victoires inattendues, ses regrets, forcément. Le professeur Nikodim Strtensky dirige un institut scientifique. Il collectionne les petits soldats de plomb qui rejouent des épopées miniatures dans son salon. Neurochimiste reconnu, honoré, il mène une vie confortable, routinière, solitaire, ayant renoncé à l’amour et aux aventures scientifiques, jusqu’à ce que son existence s’emballe avec l’arrivée d’abord d’une fille perdue de vue depuis longtemps, puis d’une

petite fille que la première lui abandonne et enfin d’un jeune collègue qui réveille son goût de chercheur sur la chimie du cerveau. Mais comment apaiser l’humaine douleur ? Seul l’oubli et le pardon permettent de vivre, conclura-t-il. Les images aux dominantes vert-brun, comme les photos d’un vieil album de famille, balaient 20 ans de sa vie en 100 mn. L’acteur de théâtre Mikhaïl Glouzsky, incarnant le professeur vieillissant au milieu des drames passionnels, est bouleversant. Une belle découverte. ELISE PAdOVANI

La Semaine du cinéma s’est déroulée du 12 au 16 novembre au théâtre Toursky, Marseille

Monologue d’Ilia Averbakh ©

Carlton Film

s Export

5858CINÉMA

Page 59: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

Rencontres sensiblesPour sa onzième édition, le festival Image de ville a choisi le thème des villes méditerranéennes. Préséance pour la Capitale de la culture oblige, la programmation a commencé le 15 novembre à l’Institut de l’image par Marseille. En avant-première, restaurée et numérisée, L’heure exquise de René Allio, cinéaste mort en 1995, que rétrospectives et hommages tirent d’un relatif oubli. Le film a été présenté par l’invité d’honneur, Marcel Roncayolo, ami du réalisateur, comme lui Marseillais. L’éminent géographe pour lequel la cité phocéenne est «un animal de laboratoire» passionnant et le petit-fils d’émigré piémontais pour qui elle demeure le lieu sensible du roman familial, partagent une même percep-tion et une même réticence aux clichés régionalistes. Le festival croisant les approches théoriques globalisantes et les visions par-ticulières ne pouvait pas trouver meilleure introduction. L’échange entre spécialistes de l’urbain et cinéastes s’est poursuivi avec la présentation de la première correspondance filmée produite par Image de ville dans le cadre de MP13.Le réalisateur algérien Moham-med Lakhdar Tati a adressé une lettre à un architecte. Il la lit immergé dans le bruit et le mouvement de la rue Didouche au centre d’Alger, que le cinéaste filme au plus près. Rue façonnée par les corps, l’Histoire et les histoires. Il a découvert, projetée dans la foulée, la réponse de Nicolas Michelin. Du haut d’une

terrasse, une sarabande de Bach en fond sonore, l’urbaniste lui parle d’autres rues semblables à la rue Didouche, artères où bat le cœur des métropoles, vecteurs du vivre ensemble, creusets où tout se mélange mais dans le même temps, s’identifie. Rues à défendre contre les dérives de la sécurisation, de l’asepsie urbanistique, du danger de faire table rase et des inquiétants projets de restructuration du quartier algérois Belcourt. La soirée inaugurale organisée dans le nouveau conservatoire aixois conçu par Kengo kuma, a proposé également une forme

dialoguée, entre la partition du guitariste Alexandre Wimmer, seul sur scène, et le mélodrame de Jean Epstein, Cœur fidèle (1923) dans le rituel ciné-concert de l’ouverture du festival. Musique électro, à pulsation continue accompagnant non sans humour parfois ce mélo stéréotypé où il ne se passe pas grand chose selon le vœu d’Epstein, plus intéressé par l’expérimentation de nouvelles formes cinématographiques que par le scénario : gros plans, surimpressions, montage alterné. On y retrouve Marseille, le port, la digue du large comme on ne l’a jamais vue. Une belle proposition

encore de ce festival qui crée année après année depuis dix ans, de nouvelles rencontres, sensibles. ELISE PAdOVANI

Le festival Image de ville s’est déroulé du 15 au 17 novembre à Aix-en-Provence et s’est poursuivi les 26 et 27 à Marseille, à la Villa Méditerranée

Image de ville04 42 63 45 09 www.imagedeville.org

Je veux voir de Khalil Joreige et Joana Hadjithomas © Patrick Swirc

595959CINÉMA

Page 60: Zibeline 69

Grands courts et petits moyens«Festival avec un budget inférieur à un billet d’avion pour l’Australie» (a dit en plaisantant son président Yvan Le Moine), sans autres sub-ventions que celle donnée par la Ville de La Ciotat, mais avec la persévérance et le bénévolat de ses amis de longue date, grâce également aux dons de petits ou grands mécènes, le Best Of Short s’est tenu du 15 au 17 novembre. Il était accueilli dans la doyenne des salles, l’Eden, réchauffée par l’énergie de l’équipe. «Je fais chaque année mes adieux et je reviens, comme Aznavour ou Johnny !» a précisé avec l’autodérision qui le caractérise, le réalisateur belge. Et heureu-sement ! Sinon où verrait-on tous ces courts métrages qui ont réjoui les cinéphiles aux quatre coins du monde ? Car en quelques heures, on a pu rencontrer des personnages étonnants : une jeune guide touristique qui souffre d’une

étrange maladie puisque la moindre mélodie provoque chez elle gesticulation et danse qu’elle ne peut calmer dans Je sens le beat qui monte en moi de Yann Le Quellec ; ou un employé modèle que ses collègues, par moquerie, coiffent d’un bonnet d’âne et qui va ainsi découvrir sa vraie nature dans Edmond était un âne de Frank Dion. On peut croiser des personnages très attachants comme Saule, cette jeune fille lituanienne qui s’occupe de sa jeune sœur et gère toute la maison, attendant leurs parents partis chercher du travail à l’étranger dans Laikinai (Temporaire) de Juraté Samulionyté ; ou Hannah, une petite fille, en Hollande, à qui son papa, retourné dans son pays natal, manque terriblement et qui le retrouve à travers les tangos de Gardel dans Papa’s tango de Michiel van Jaarsveld. On aurait envie d’aider Myriam, femme

battue qui a décidé de s’enfuir avec ses enfants dans Avant que de tout perdre de Xavier Legrand ou Rae, elle aussi brutalisée qui se retrouve dans un foyer et qu’une autre femme va aider à s’en sortir (Rae d’Emmanuelle Nicot) ou Raúl, un jeune paysan mexicain chargé de s’«occuper» du fils du propriétaire terrien local, tâche qu’il ne pourra jamais plus oublier dans Un mundo para Raúl de Mauro Mueller, ou encore le Kosovar, Adem, qui en 1999, en pleine guerre doit choisir qui sauver, son fils ou son neveu ; c’est Kolona qu’Ujkan Hysaj a réalisé à partir d’une histoire vraie.On peut se retrouver dans des décors improbables comme la galerie, tout en tons jaune-orangé, d’un étrange collection-neur d’ombres dans Dood van een schaduw (Mort d’une ombre) de Tom Van Avermaet ou les espaces qui deviennent images

de Sudd d’Erik Rosenlund. Le jury présidé par Béatrice Dalle a choisi de primer : Un mundo para Raúl de Mauro Mueller, Tuba Atlantic de Hallvar Witzø (choisi aussi par le public) et Mon amoureux de Daniel Metge. Il serait dommage que les fans de courts ne puissent plus profiter de ces pépites venues d’ailleurs ! A.G.

Le Best Of Short Festival s’est tenu du 15 au 17 novembrewww.bestoffestival.com

Cris du monde à la CiotatLe plan séquence est au cœur du nouveau festival Cris du monde, initié par trois amoureux du cinéma, Emmanuelle Ferrari, Jean Michel Frodon et Jacques Willemont, qui s’est déroulé à l’Eden, du 20 au 23 novembre. Après une première table ronde le 20 novembre, animée par Jean-Michel Frodon et une intervention du cinéaste et critique Alain Bergala, le lendemain, ce fut au tour de Dominique Païni, théoricien du cinéma, enseignant à l’École du Louvre, d’interroger le plan séquence, d’essayer d’en cerner les enjeux esthétiques et politiques, s’inspirant de trois exemples de l’actualité : les images de caméra surveillance du «tireur fou», le plan séquence de l’assassinat de Kennedy (rediffusé abondamment pour l’anniversaire de l’événement), des images prises par un tailleur -«un homme de coupe qui n’a pas coupé !»- et que Pasolini consi-dère comme le plus exemplaire des plans séquences. Dans son inventaire, en tant que «cinéphile ordinaire» -on aimerait tous être ce cinéphile ordinaire !-, il a cité aussi et rapidement analysé les plans séquences de Gus Van Sant, Fellini, Godard, Akerman,

Sokourov, Antonioni et Benoit Jacquot, président du jury et dont le film Le 7e Ciel a été présenté en ouverture. Une conférence passionnante complétée par les paroles du cinéaste Sylvain George et du critique Tahar Chikhaoui, qui a parlé du plan séquence comme d’«une histoire de filiation» et qui s’est terminée par le visionnement de deux séquences de Chronique d’un amour et de Profession repor-ter d’Antonioni. Le public a pu voir aussi La Reprise du travail aux usines Wonder de Jacques Willemont et la chronique du désamour, La Notte d’Antonioni,

avec Jeanne Moreau et Monica Vitti qui, malheureusement !, semblaient avoir pris quelque épaisseur lors de cette projection au mauvais format. Cris du monde, c’est aussi une compétition de films courts tournés en plans séquences autour du cri qui «permet de s’oublier un peu pour regarder le monde», dont beaucoup ont été réalisés pour le festival. 30 films sélectionnés sur les 340 reçus et 7 primés dont Cris du monde favorisera la diffusion. C’est aussi le concours de scénarios : 138 reçus, 7 sélectionnés et 3 primés (SACD). Ce sont également des

longs métrages, en avant pre-mière ou du patrimoine et des rencontres avec les réalisateurs. Bref, un festival qui s’inscrit en amont du processus de création et devrait perdurer au-delà de 2013. ANNIE GAVA

Palmarès Prix des Lycéens de Beyrouth (une résidence d’artiste à Beyrouth) Je sens plus la vitesse de Joanne Delachair

Prix du JuryFuror de Salomé Laloux-Bard La peur, petit chasseur de Laurent Achard Looking for Scarlett d’Arnaud Gerber Que reste-t-il ? de Ludivine Henry Grand Guignol de Vincent Le Port Le Mont de la tentation de Maxime Coton Rendez-vous de Balint Nagy et Nandor Lorincz

Prix Tout doit disparaître d’Olivier Cholez Identification… d’une femme d’Emmanuelle Pretot Impasse de Guillaume Lesquer et Hélène Gimenez

Furor de Salomé Laloux-Bard

Tuba Atlantic de Hallvar Witzø © Den norske filmskolen

RetRouveZ suR notRe site toutes nos chRoniques cinéma et tous nos aRticles

Journalzibeline.fr

6060CINÉMA

Page 61: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

La programmation riche et variée de la 11e édition du Festival des Cinémas d’Afrique du Pays d’Apt a séduit un public, intéressé et fidèle. Une atmosphère chaleureuse, des rencontres entre les réalisateurs invités et les spectateurs toujours denses, des débats animés avec efficacité par Olivier Barlet, on en oublie la pluie et la grisaille de l’automne.Les films, fictions ou documentaires, ne sont pas toujours faciles à recevoir. Certains sont de vraies «claques» comme Ça ira mieux demain, un des deux films de femme cinéaste programmés. On sait qu’un des enjeux du cinéma documentaire est de donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais. Aïda est de ceux-là : femme divorcée, mère de quatre enfants dont l’aîné souffrant de troubles psychologiques sérieux, une femme en colère, qui essaie de trouver un travail, un toit, en pleine révolution tunisienne, prête à tout pour y parvenir, y compris à démolir

un mur de ses propres mains ! La cinéaste, Hinde Boujemaa, a réussi à l’approcher, à gagner sa confiance et à la filmer dans des moments d’intimité, où l’émotion la gagne, sans voyeurisme ni misérabilisme. C’est avec la même émotion qu’on fait la connaissance d’Ernestine Ouandié, la fille d’un indépendantiste camerounais, et qu’on l’écoute raconter son enfance douloureuse dans Une feuille dans le vent de Jean-Marie Téno qui présidait le Jury lycéens courts métrages.Le jury lycéens longs métrages de fiction, présidé par Amine Chiboub, a choisi C’est eux les chiens, le deuxième film de Hicham Lasri, après The End, tourné avec une caméra «youtubienne», comme le précise le cinéaste, un opus étonnant. Premier plan, un porte-voix sans visage crie des slogans… silencieux. Devant une équipe de télévision publique, déjantée, qui réalise un reportage sur les mouvements sociaux au Maroc, surgit du

passé un homme hébété (remarquablement interprété par Hassan Badida), aux traits émaciés, statique au milieu d’une foule qui manifeste. Il tient à la main un stabilisateur (destiné au vélo de son fils) qu’il ne quittera pas des mains jusqu’à la fin du film, qui contraste avec l’état chaotique du pays. C’est un revenant des «raflés de 1981», lors des émeutes du pain. Trente ans plus tard, il veut retrouver sa femme et ses enfants. L’équipe de TV, le trouvant intéressant comme sujet, décide de l’accompagner dans sa quête. L’habileté de Hicham Lasri est de promener le spectateur dans les rues de Casablanca, une ville en pleine ébullition, entre documentaire et fiction, l’incitant à s’interroger sur le rôle des médias et les défaillances de la mémoire collective.ANNIE GAVA

C’est eux les chiens de Hicham Lasri sortira en salles le 5 février

Africapt, le Festival des Cinémas d’Afrique du Pays d’Apt, a eu lieu du 8 au 14 novembrewww.africapt-festival.fr

PalmarèsLong métrage de fictionPrix du jury lycéen C’est eux les chiens de Hicham LasriMention spéciale Malak d’Abdeslam Kelai

Long métrage documentairePrix du jury lycéen Electro Chaabi de Hind MeddebMention spéciale Atalaku de Dieudo Hamadi

Court métragePrix du jury lycéen Les souliers de l’Aïd d’Anis LassouedMention spéciale Margelle d’Omar Mouldouira

Terre de découvertes

Tuba Atlantic de Hallvar Witzø © Den norske filmskolen

C’est eux les chiens de H

icham Lasri ©

Nour film

s

RetRouveZ suR notRe site toutes nos chRoniques cinéma et tous nos aRticles

Journalzibeline.frEt vEnEz

écoutEz dEs EntrEtiEns, dEs débats, Et dEs chroniquEs

sur notrE wEbradio

6161CINÉMA

Page 62: Zibeline 69

La Capitale européenne de la culture qui bientôt ne le sera plus, vient de s’enrichir d’un nouvel espace consacré à l’art contemporain. Ni effet d’aubaine ou opportunisme sur la vague 2013. C’est le marseillais Alfons Alt qui a la primeur d’inaugurer avec notamment une série dédiée à Marseille. D’autres projets se préparent sous ces nouvelles cimaises de l’association Art Est Ouest.Pour certains, le 22 du cours Franklin Roosevelt n’est pas tout à fait inconnu puisqu’il a abrité l’atelier de Jean-Jacques Surian pendant de nombreuses années. Réhabilités dans la plus simple neutralité du désormais classique white cube, les cent cinquante mètres carrés accueilleront une programmation éclectique sans ligne esthétique marquée mais orientée art contemporain, peinture et photographie principa-lement ainsi que du design. Avec

une once d’art africain puisque le responsable des lieux et président de l’association Art Est Ouest possède une belle collection de sculptures constituée au fil des années. Plusieurs projets sont avancés mais les noms ne sont pas encore tous arrêtés. «Nous composons avec le conseil d’administration notre program-mation selon des coups de cœur. Ce sont des artistes renommés ou émergents, des jeunes designers, d’ici et d’autres horizons, des pays d’Europe de l’Est en particulier

avec lesquels nous avons des affinités, la Russie, l’Ukraine, aussi l’Arménie. Nous travaillons aussi sur l’idée de décloisonnement de l’art» précise Wladimir Marine, lui-même ingénieur physicien. Ce n’est donc pas un hasard si Art Est Ouest accueillera aussi des conférences scientifiques. En fait, l’association n’en est pas à son premier coup d’essai en termes d’ouverture. Constituée en 2007, elle participa à plusieurs projets culturels dans le cadre de l’année de l’Arménie ou encore

l’année de la Russie et le colloque organisé par Jean-Noël Bret et son association AEPHAE. Ces collaborations sont amenées à se développer puisque désormais Art Est Ouest dispose d’un espace d’accueil et de diffusion perma-nent. Des ateliers à destination du jeune public sont prévus en musique, théâtre et vidéo. La programmation devrait se rythmer sur sept manifestations à l’année. 2014 ouvrira avec Piotr Klemensiewicz, en février, qui travaille à une série de peintures spécialement conçues pour l’événement. Et pour l’heure, l’exposition d’Alfons Alt (lire éga-lement p. 65) devrait bénéficier d’une prolongation jusque fin décembre.CLAudE LORIN

Art Est Ouest, Marseille22 cours Franklin Roosevelt06 17 24 81 86

Art Est Ouest

Le voyageur Patrick Zachmann revient au port, avec sa récolte de souvenirs, d’émerveillements et de larmes. Parti trois ans durant en quête d’identité sur les rives sud de la Méditerranée, il cherchait à retrouver les racines algériennes de sa mère, perdues parmi les brumes de sa mémoire vacillante. Dans le film de 52 minutes constituant le journal audiovisuel de son expédition, on le voit interroger cette vieille dame à la voix râpeuse, tandis que les lieux de son enquête apparaissent sur les écrans en triptyque du dispositif scénique. Registres de naissance soigneusement calligraphiés, anciennes photographies se superposant aux nouvelles : le visage étonnant d’une aïeule surgit soudain, de même que la tombe d’un arrière

grand-père inconnu.Étonnamment, l’œuvre du photographe se fait plus émouvante lorsqu’il aborde d’autres récits que ceux de sa propre famille, comme si une distance supplémentaire lui permettait de se livrer pleinement à l’émotion. En interrogeant les relations puissantes qui unissent des mères restées au pays et leurs fils exilés dans les pays du Nord, il touche juste et fort. Ces jeunes gens ont quitté leur patrie pour une Europe qui ne sera «jamais aussi belle, aussi riche et accueillante que dans leurs rêves», avec une culpabilité telle de quitter une mère considérée comme sacrée, qu’il leur arrive de ne pas se résoudre à lui dire au revoir... À travers le parcours de trois d’entre eux, et le témoignage de leurs parents éplorés, se dessine progressivement

l’éternelle histoire des migrants : deuil, mise en danger, absence et reconstruction.GAËLLE CLOAREC

Mare-Materjusqu’au 28 janvierMuCEM, MarseilleFort Saint Jean, bâtiment Georges-Henri Rivière04 84 35 13 13www.mucem.org

À lireLe livre de Patrick Zachmann qui accompagne l’exposition est paru aux éditions Actes Sud. Préfacé par François Cheval, Mare Mater, journal Méditerranéen contient également le DVD du film présenté au MuCEM

La mer mère

Ali, candidat au départ, Zarzis,Tunisie, 2011 © Patrick Zachm

ann/Magnum

Photos

Autoportrait avec ma mére, Paris, 1983 © Patrick Zachmann/Magnum Photos

Vue partielle de l’exposition Alfons Alt dans le nouvel espace de l’association Art Est Ouest, 2013 © Art Est Ouest

AU

PROGRAMME

ARTS

VISUELS

62

Page 63: Zibeline 69

Un Écorché d’Amina Menia est l’aboutissement d’un long pro-cessus de réflexion, d’écriture et de rencontres… la vision visible de l’iceberg ! Il y a deux ans, l’artiste commence son travail de recherche autour de l’archi-tecture de Fernand Pouillon, à Alger où elle vit et travaille, et à Marseille qu’elle découvre. Après la réalisation d’un premier film en mai 2012, la voici accueillie en résidence à l’Agence d’Urbanisme de l’Agglomération Marseillaise (AGAM) dans le cadre d’un Atelier de l’Euroméditerranée, accom-pagnée dans son projet par la galerie art-cade qui apprécie sa «posture de chercheuse». Là, Amina Menia trouve matière à travailler sur la mémoire des villes, l’architecture, l’histoire du bâti et de ses bâtisseurs, puisant à la source des cartographies, des plans, des photographies et des écrits : un matériau que l’on retrouve dans le Palimpseste Alger-Marseille. Son parcours créatif atteint son point culminant dans cette quatrième étape qui laisse voir les entrailles de son travail car Un Écorché parle autant de son analyse et de son

ressenti sur Marseille que d’elle-même : cette manière unique d’appréhender la ville comme «un corps qui bouge, qui souffre, qui a des fractures» selon Aurélie Berthaut, administratrice de la galerie. «Amina Menia a pris en compte le contexte de rénovation à venir du lieu, ses fissures et ses infiltrations. Elle a travaillé sur la peau de ce lieu qui a vécu entre les mains des artistes.» Démarche éminemment poétique qui redouble d’intensité dans le jardin où elle installé «la pierre

qui pleure» que Fernand Pouillon importait des carrières d e F o n t -vieille pour construire ses immeubles à Alger… Les voici de retour dans cette ville-miroir qu’est Marseille, évoquée par un jeu de piste pointilliste

fait de dessins collés au mur (lignes fracturées évoquant la Sainte-Victoire de Pierre Buraglio), d’une montage d’étais à traverser (des lances pareilles à La Bataille de San Romano d’Uccello), de photos microscopiques, d’une vidéo. Et de textes, là aussi poétiques, qui éclairent sa pensée : «Je ne m’attendais pas

à regarder la ville ainsi. En traces, en cicatrices, en corps vivant finalement.» Corps terrestre qui s’affranchit de toute géogra-phie, frontière et territoire…M. G.-G.

jusqu’au 14 janvierGalerie art-cade, Marseille 1er

04 91 47 87 92www.art-cade.org

Alger-Marseille à vif

Jonathan Puertas, un des six étudiants de l’Ecole

d’Art de Marseille ayant participé au montage de

l’exposition Un Ecorché d’Anima Menia

© Mazaki Watanabe

Un Écorché d’Amina Menia © Mazaki Watanabe

Autoportrait avec ma mére, Paris, 1983 © Patrick Zachmann/Magnum Photos

De la gare Saint-Charles au quartier Picon-Busserine, jusqu’à La Rose, un parcours urbain éphémère est à l’œuvre par images photographiques interposées. Celles de Guillaume Janot, lauréat d’une commande publique du CNAP1, dont la pratique est «essentiellement liée au voyage, au déplacement (…) entre document et fiction, réalisme et faux-semblants». Placardées en façades, cinq et bientôt six immenses bâches -dont la plus grande atteint 150 m2- s’inscrivent dans des lieux qu’il a arpentés depuis 2011, au plus près

des habitants. Là où la photographie est rarement présente. Si Guillaume Janot a pris «la ville comme cimaise» et source d’inspiration, son travail rompt avec les clichés éculés : ici, pas de Vieux-Port, ni de Major, ni de corniche… Son travail a avoir avec l’intime, souvent en écho à son lieu de résidence : chambre d’hôtel, plafond décoré, détail d’un luminaire… des images d’intérieur, sereines, en rupture avec l’agitation de la ville. Et puis il y a ce changement d’échelle frappant entre la monumentalité des photographies et la

taille des objets représentés, ou encore ce jeu d’opposition entre intérieur et extérieur. Entre une nature vivifiante (prise loin de Marseille) et l’architecture urbaine. Comme si le photographe mettait à distance le thème même de sa quête. Ce musée à ciel ouvert sobrement intitulé Marseille-Marseille est produit par les Ateliers de l’image qui proposent ateliers, médiations et visites accompagnées, en attendant la parution d’un Journal de la commande début 2014. Dans ces quartiers soumis à un projet de rénovation urbaine, certains des immeubles qui servent de support aux photographies de Guillaume Janot seront amenés à être détruits d’ici deux ou trois ans. Les bâches resteront accrochées jusque-là, puis remises aux habitants, qui prévoient de les recycler sous forme de sacs ou autres objets de style.M.G.-G. Et G. CLOAREC

1 Centre national des arts plastiques, Paris

Marseille-Marseillejusqu’au 6 juinLes Ateliers de l’image, Marseille04 91 90 46 76www.ateliers-image.fr

Marseille à pas de géant

© G

aëlle Cloarec

AU

PROGRAMME

ARTS

VISUELS

63

Page 64: Zibeline 69

Moins spectaculaire que sa forme originelle au Château de La Roche-Guyon, l’exposition Le Musée Éphémère à la Villa Tamaris est intéressante parce qu’elle met en perspective les œuvres d’artistes des années 70. Une proposition modeste donc, qui se confronte rarement avec les espaces -l’absence de scénographie est parfois rude- contrairement à l’emménagement in situ des artistes au château ! Car, à l’invitation de Jean Le Gac, toute une génération a investi ses moindres recoins entre avril 2010 et octobre 2012 : mobi-lier, cheminées, murs, escalier monumental, fauteuils brodés, boiseries murales, vitraux, chapelle, extérieurs… 25 invités qui se sont transformés en hôtes insolites, inventant ainsi une exposition collective hors normes dont la Villa Tamaris se fait aujourd’hui l’écho. À sa manière, avec parcimonie, mais fidèle à sa «relecture des lignes de force artistique de la deuxième moitié du XXe siècle à nos jours». C’est le cas dans le face-à-face entre la peinture «ornementale» de Louis Cane et la géométrie abstraite des encres sur altuglas de François Bouillon, l’installation de Jean-Luc Parant qui court sur deux étages de l’escalier, l’espace consacré à la Bibliothèque fantôme de Christian Jaccard, composée de 729 outils classés par groupes et présentée ici au sol, l’œuvre in situ de Claude Rutault offerte comme une expérimentation du tableau dans le tableau à travers la relecture du paysage abstrait. Ou encore l’installation

Strip Rake de Gina Pane qui nous rappelle son passé d’activiste de la scène italienne quand elle mettait en jeu son propre corps. Si certaines œuvres parlent d’elles-mêmes, en résonance les unes les autres et avec les salles, d’autres souffrent d’être hors contexte du défi du Musée Éphémère, comme celles de Bernard Pagès qui s’épanouissent à l’aire libre…De cette aventure singulière demeure le lieu (le Château de La Roche-Guyon est redevenu château) et un catalogue dont chaque chapitre a été écrit par les artistes, abondamment illustré (dont les work in progress) et annexé (bios, notes, approches photographiques, entretiens). Un ouvrage indispensable pour partager cette expérience, analyser la geste artistique et comprendre comment une poignée de jeunes artistes est devenue le ciment de l’art actuel.MARIE GODFRIN.-GUIDICELLI

À voirLe Musée Éphémèrejusqu’au 23 marsVilla Tamaris centre d’art, La Seyne-sur-Mer04 94 06 84 15www.villatamaris.fr

À lireLe musée éphémèreNova éditions, 50 euros

Le musée rêvé des artistes

Installation de Jean-Luc Parant, Villa Tamaris 2013 ©

M.G

.G-Zibeline

De passage au MoulinQuatorze artistes et designers ont investi Le Moulin1 depuis 2007, transformant ses espaces en «territoire d’expérimentation, de partages, de découvertes». L’heure est au rassemblement avec deux temps forts -L’Esprit du lieu [1] et [2]- conçus comme «un état des lieux sur leurs processus de travail, leurs recherches». Dans cette première salve, certains artistes clignent des yeux sur le passé en puisant dans leurs expositions précédentes, d’autres pimentent leur présence d’inédits ou de travaux récents. Dans tous les cas, la circulation ouvre de belles perspectives. Entre les œuvres d’Éric Bourret (Murs de jardin fruit d’une commande publique de la ville en 2001, Excuse me, While I kiss the Sky qui avait donné son nom à son exhibition et Timescape, Zanskar, Inde 2010 comme une échappée supplémentaire) et de Michèle Sylvander qui marquèrent son exposition monographique à la galerieofmarseille (diptyque vidéo Only you 2012 et triptyque photographique Autoportraits 1.2.3.). Face à leur monumentalité, les discrètes photos de Bernard Plossu requièrent un œil attentif : trois images de Berlin se juxtaposent à trois prises de vue de La Valette, quand Le Moulin n’était encore qu’un garage occupé par une antique 4CV… Elle crée également des passe-relles significatives entre trois photographies d’Olivier Rebufa extraites de Kawat-Kamul et la série de collages Anthropocentriques de Marc Turlan où figurent quelques visages

masqués. Marc Turlan dont on entend la voix dans la vidéo Dès lors, tout reste à faire, accompagnée d’un texte en libre service : la pioche étant aléatoire, on tombe nez-à-nez avec une phrase prémonitoire «Il y a longtemps

déjà/Already a long time ago». C’est vrai, il y a deux ans déjà, Karim Ghelloussi traçait au Moulin les contours d’un prolifique décor hybride qui trouve son prolongement dans deux pièces inédites : Sans titre (Au désert j’ai dû me rendre), 2012-2013 et Sans titre (Études et chutes), 2013 plus inventives et poétiques que jamais ! L’esprit du lieu, c’est aussi l’empreinte de Ludivine Caillard dont l’installation Terra incognita offre un point de vue irréel sur le cul d’une terre bicéphale, noire et blanche, aperçu au travers d’une mer de bateaux de papier. Introduction saisissante à un second temps fort que l’on souhaite aussi réjouissant.M.G.-G.

L’esprit du lieu [1]jusqu’au 25 janvierEspace d’art Le Moulin, La Valette-du-Var04 94 23 36 49www.lavalette83.fr

1 Olivier Rebufa, Kawat-Kamul, 2007-2008/Marc Turlan, Dès lors, tout reste à faire, 2008/Michèle Sylvander, Promenade en Céphalée, 2008-2009/Ludivine Caillard, Distorsion Park, 2009/Bernard Plossu, Berlin, 2010-2011/Karim Ghelloussi, O jardim botânico tropical, 2011/Éric Bourret, Excuse me, while I kiss the Sky, 2011-2012

Exposition L’esprit du lieu, Le Moulin, 2013. Au premier plan, Terra Incognita de Ludivine Caillard,

au second plan Autoportraits 1.2.3 de Michèle Sylvander © MGG-Zibeline

AU

PROGRAMME

ARTS

VISUELS

64

Page 65: Zibeline 69

Ferricyanure de potassiumDans le panthéon des coloristes il y a les bleus de Klein, Monory ou Majorelle. Il faut compter aussi avec l’altchimiste A. Alt. Pour cette série servie tout au bleu, Alfons Alt a carburé au ferricyanure de potassium et au citrate ferrique. Chaque expérimentation donnant lieu chaque fois à une pièce unique. Voir aussi son expo inaugurale actuellement chez Art Est Ouest (voir p.62). C.L.

Alfons AltKontakte, cyanotypesjusqu’au 22 févrierÉditions Parenthèses, Marseille04 95 08 18 20www.editionsparentheses.com

© A

lfons

Alt

Reporters photographes«Le déclic a été la découverte chez un marchand d’un tirage issu d’un reportage apparemment jamais publié, signé du photographe Endre, futur Robert Capa ; une acquisition qui devait être la première d’une longue série.» La collection exceptionnelle de Jean-Louis Mylonas compte bien d’autres grands noms de David Seymour à Roger Schall qui nous parlent de grands événements : la Guerre d’Espagne, l’Occupation et la Libération, le Front Populaire, la création de l’État d’Israël. C.L.

Photojournalistes témoins de l’Histoire, une collection 1930-1950jusqu’au 13 févrierBibliothèque municipale Joseph-Roumanille, Saint-Rémy-de-Provence04 90 92 70 21www.bibliotheque-saintremydeprovence.fr

En mer Après La petite mer des oubliés, Constellations constitue un des plus importants projets de Franck Pourcel, conçu dans le cadre de Marseille-Provence 2013, dernière étape du projet Ulysse proposé par le FRAC PACA, les Ateliers Euromé-diterranée et une résidence à la Société nautique de Marseille. Deux expositions et un livre (lire page 68) en rendent compte. .

Zibeline : Constellations vous a pris trois ans. C’est votre premier travail de cette importance ? Franck Pourcel : Oui en effet même si celui sur l’étang de Berre (La petite mer des oubliés, éditions Le bec en l’air, 2006) a été en terme d’investissement sur le terrain et de restitution beaucoup plus grand. L’importance ici vient essentiellement des enjeux, capitale européenne, FRAC et surtout d’avoir conçu le projet de A à Z, les déplacements à l’étranger (quinze pays dont certains instables...) contrairement à l’étang de Berre qui s’est construit à partir de diverses institutions.Quelle place a pris ce projet de longue haleine dans l’en-semble de votre travail ?Ces trois dernières années, ça a pris toute la place car je n’avais pas d’autres choix et je souhaitais rester concentré là-dessus pour garder une unité. J’ai tout de même fait un autre travail sur les aveugles et le foot aux Archives départementales en mai 2013 (Voï, les joueurs de foot, ndlr). Des différences, des simili-tudes entre ces démarches ? Ça été la construction d’une nouvelle expérience, aussi bien par l’acceptation face aux institutions, que l’expérience sur les différents terrains sur lesquels j’ai réalisé mes prises de vue, en continuant à respec-ter mes choix photographiques et déontologiques : être proche des gens tout en gardant la dis-tance nécessaire et ne jamais

donner d’argent pour obtenir une photographie. C’est une grande boucle que je referme comme si les autres travaux m’avaient servi d’expérience pour mener à bien celle-ci. Des changements de pratique photo, de regard ?J’ai davantage intégré la cou-leur, douce, complémentaire de ce que je fais en noir et blanc sur l’humain (gestuelle, corporelle). Ce double lan-gage, qui me plaît beaucoup, a été très compliqué à gérer. Croisement dans la forme et croisement dans les récits. Je me suis donné des libertés «maîtrisées», «calculées». Jouer des pleins et des vides… Mais aussi aller à l’essentiel car peu de temps, ce qui signi-fie un gros travail en amont (pour chaque pays, études des géo-socio-politiques, littéraires, cinématogra-phiques…) que je dois à ma compagne Lise Gabelier pour la construction du calendrier, des itinéraires…D’autres projets ? Maintenant j’ai besoin d’écrire, de mettre en mots, en phrase toute cette expérience, aussi bien le vécu sur le terrain que le vécu avec les institutions. Intellectualiser tout cela et particulièrement la notion de récit photographique. Et de partir sur d’autres territoires comme l’Asie, d’autres terri-toires tout aussi sensibles et humains car il s’agit toujours pour moi de mettre la place de l’Homme au centre de toutes les (mes) préoccupations.PROPOS RECuEILLIS PAR CLAudE LORIN

Constellationsjusqu’au 22 décembreFRAC PACA, Marseillejusqu’au 19 janvierAbbaye de Montmajour, Arles04 90 54 64 17www.montmajour.monuments-nationaux.frwww.constellationsulysse.tumblr.com

Pour appliquer la loi des quarante heures...Tirage de presse original avec tampon et annotation © Agence Voir (collection particulière)

Franck Pourcel, Constellations, Arles, 2013 © C. Lorin/Zibeline

AU

PROGRAMME

ARTS

VISUELS

65

Page 66: Zibeline 69

Jacques et les autres«Le» Réattu s’est construit selon la double identité d’ancien palais de l’Ordre de Malte

et de maison/atelier du peintre néo-classique Jacques Réattu (1760-1833). Après les théories du Nuage, l’exposition de la nouvelle direction assurée par Pascale Picard

redéploie en quatre volets les collections du musée arlésien, du XVIIe à nos plus contemporains, Van Gogh, Alechinsky, Dejonghe, Clergue, Pérez...

sous le regard de Réattu. C.L.

Revoir Réattujusqu’au 30 juin

Musée Réattu, Arles04 90 49 37 58

www.museereattu.arles.fr

ZiemEntre 1850 et 1920, la peinture de paysage se renouvelle jusqu’aux éblouissements fauves. La Provence nourrira

ce besoin de changement esthétique en accueillant nombre d’artistes. Félix Ziem sera un des tout premiers à installer

son atelier sous le soleil du midi. À revoir en regard avec l’école réaliste d’Emile Loubon, des provençaux plus subjectifs

tels Seyssaud, Verdilhan ou Chabaud et le fauvisme de Derain et Dufy. C.L.

Félix Ziem, peinturesjusqu’au 30 mars

Musée Ziem, Martigues04 42 41 39 60

www.ville-martigues.fr

Robert DoisneauDe Robert Doisneau nous connaissons l’oeuvre en noir et blanc, notamment sur le thème de Paris et sa banlieue, présentés ici à travers une centaines d’originaux et un tirage moderne de son fameux Baiser de l’hôtel de ville. Ce sera l’occasion aussi de découvrir sa première commande en couleur, rarement montrée, réalisée en 1960 pour la revue Fortune, sur l’apparition des premiers golfs et leurs habitants un peu surfaits en plein désert californien. Documents, livres, tirages vintages complètent l’exposition. C.L.

Du métier à l’oeuvre - Palm Springs 1960jusqu’au 8 févrierCampredon Centre d’Art, Isle-sur-la-Sorgue04 90 38 17 41www.islesurlasorgue.fr

Marie, Dominique Les univers de Dominique Castell et Marie Ducaté ont celui de l’extraordinaire en bien commun. Dessin, vidéo, sculpture racontent affinités et enchantements portés par leurs singularités artistiques. Elles dirigeront aussi des ateliers publics : du dessin au livre, Marie Ducaté, le samedi 14 décembre ; du dessin à la vidéo, Dominique Castell, le mercredi 18 décembre. C.L.

Midi à merveillesdu 14 décembre au 18 janvierEspace pour l’art, Arles04 90 97 23 95 www.espacepourlart.com

© Marie Ducaté

Félix Ziem, Egypte, Damanhour, 1859, huile sur bois, 24 x 37 cm, musée Ziem Martigues © Gérard Dufrene

Georges Rousse, Construction n°1, 2006. Coll. musée Réattu. Don de l’artiste 2006 - 158x125 cm © ADAGP, Paris 2013

Robert Doisneau, Voiture Blanche et pinceau, 1960 ©

Robert Doisneau-Atelier D

oisneau

AU

PROGRAMME

ARTS

VISUELS

66

Page 67: Zibeline 69

Recycle ? Art !Cartons, papiers, fils de fer et autres «bidules» n’ont plus de secret

pour Colas Bailleul, Elise Picot ou MC Hours qui travaillent et recyclent matières et matériaux oubliés. Entre leurs mains expertes, il n’est plus question de supports modestes ou de rebus mais d’œuvres inédites et

originales qui peuvent éveiller les consciences à un recyclage artistique plutôt qu’à une surconsommation… M.G.-G.

jusqu’au 18 janvierLe Bazard du Lézard, Brignoles

04 94 86 01 63www.lebazardulezard.com

Henri Crocq et Laurent BeaumontCe face-à-face combine les «paysages intérieurs» de l’artiste peintre Henri Crocq avec les sculptures instinctives de Laurent Beaumont, et jette des passerelles entre deux générations. Entre deux regards sur l’art : le premier refuse la contrainte du motif extérieur pour laisser libre cours aux formes abstraites, le second travaille la pierre pour être au plus près du vivant. M.G.-G.

jusqu’au 5 janvierMaison du Cygne, Six-Fours-les-Plages04 94 10 49 90

Supervues 2013En transformant l’intimité de ses 35 chambres en mini espaces

d’expositions, l’Hôtel Burrhus a des airs de mini foire d’art contemporain. Nombreux sont les artistes et acteurs marseillais

à s’y «reposer» : Myriam Bornand, Shim Moon-Pil/galerie du Tableau, Daniele D’Acquisto/Territoires partagés, Alexandre

Gerard/Frac, Ideal Corpus/La Gad, Réjane Lhote/La chambre claire, Yvan Salomone/Galerieofmarseille, Anabelle Sorian/

galerie Karima Celestin, Ahram Lee, Franck Lesbros et Suzanne Strassman. M.G.-G.

du 13 au 15 décembreHôtel Burrhus, Vaison-la-Romaine

04 90 36 00 11www.burrhus.com

Toile de Henri Crocq (à droite), sculpture de Laurent Beaumont (à gauche) © X-D.R

Force fragile, 2013, photographie © Emma Dusong

© Elise Picot

La Fondation s’expose !Expositions, ateliers, résidences, participations à des événements à l’étranger, la Fondation Blachère se tourne vers son passé à l’occasion de son 10e anniversaire, et consacre le deuxième volet de sa rétrospective à 6 artistes qui ont écrit un peu de son histoire : Emmanuel Kwame dit El Anatsui (Ghana), Aimé Mpane (RDC), Andries Botha (Afrique du Sud), Mamadi Seydi (Sénégal), Hassan Musa (Soudan) et Abdoulaye Konate (Mali). M.G.-G.

jusqu’au 15 marsFondation Blachère, Apt04 94 10 49 90www.fondationblachere.org

Vue de l’exposition La Fondation s’expose avec, en premier plan Le cri de Toko, 2011 et en second plan Elephant de Andries Botha, 2009 © X-D.R

Georges Rousse, Construction n°1, 2006. Coll. musée Réattu. Don de l’artiste 2006 - 158x125 cm © ADAGP, Paris 2013

AU

PROGRAMME

ARTS

VISUELS

67

Page 68: Zibeline 69

On se souvient de son exposition Cocotrope à la galerie Château de Servières en 2011 (Zib’41) comme de sa participation à Égarements au Château d’Avignon et au Festival des arts éphémères à Marseille en 2013. Mais c’est la première fois que l’on feuillette un ouvrage entièrement consacré à Caroline Le Méhauté, publié à l’occasion d’Art-O-Rama par les éditions Muntaner. Cette monographie est l’exact reflet de son travail : monumental par son ampleur, discret par ses moyens, chic par son silence. D’où le papier glacé qui glisse sous les doigts, le déploiement de pleines pages -voire de doubles pages- réservées à la reproduction des œuvres, l’irruption irrégulière et donc inattendue des textes. Dans Créer en creux, François Bazzoli se réfère au Petit Larousse illustré de 2007 pour commenter le titre de la série Négociation tandis

que Marie-Louise Botella, en introduction à son entretien avec l’artiste, rappelle que «Les titres des œuvres imposent l’idée qu’elles sont le fruit de négociations préméditées par l’artiste, et proposées à notre sagacité». Celui de Luc Jeand’heur, Au milieu, parmi, avec, entre, au-delà, après préfère visiblement rester obscur ! Heureusement le graphisme a préféré l’épure à la fioriture qui aurait étouffé dans l’œuf une œuvre qui éclot discrètement dans l’atelier et fait sensation dès qu’elle met le nez dehors (collections publiques, résidences, espaces publics…). À chaque page l’émotion ressentie face à ses installations est intacte : on est pris de court par leur mystérieuse réalisation, l’imaginaire poétique, la maitrise de matières réputées indomptables, plumes d’oie, épines de pin, sable, tourbe de coco… MARIE GODFRIN-GUIDICELLI

Textes de François Bazzoli, Luc Jeand’heur, Marie-Louise BotellaÉditions Muntaner, français-anglais, 25 euros

Zéro négociation !

Se plaint-on que peu d’artistes de Marseille et sa région ont eu accès au chapitre MP13 ? Franck Pourcel fait partie de ces élus avec deux exposi-tions concomitantes au FRAC PACA et l’autre, personnelle, à l’Abbaye de Montmajour (lire page 65), ainsi qu’une publication de Semaine chez Analogues, éditeur arlésien, et ce pavé de cent cinquante clichés commis avec les éditions Le Bec en l’air sises dans la cité phocéenne. Le projet a été entrepris il y a quelques années (voir supplément Zib mai 2012) et pris une ampleur particulière lorsque le photographe marseillais s’est emparé du projet Ulysses proposé par le directeur du FRAC, Eric Neveu. Des milliers de clichés, cent cinquante en noir et blanc et en couleur sont restitués ici, accompagnés d’un texte de Gilles Mora et un autre de l’auteur en postface. Il est remarquable de saisir comment les images de Franck Pourcel ne se réduisent pas à un style, leur signification à un genre.

La multiplicité des postures photographiques construit une forme de diaspora iconique dont l’unité provient paradoxalement de la diversité. Treize voyages/constellations imaginées qui ont servi d’autant de fils conducteurs thématiques dans l’espace méditerranéen ; de la technique argentique avec deux boîtiers de terrain, Leica M4P et Canon AS1, qui confèrent cette nature graineuse du reportage ; du travail du regard pluriel sur ces mondes rencontrés dans leur permanence et leurs bouleversements aussi. Franck Pourcel avait inauguré l’exploration des rivages, plus proches, de l’étang de Berre, avec La petite mer des oubliés, mais c’est dans Au crépuscule, chez le même éditeur, que nous retrouvons d’avantage ce travail d’écoute visuelle comme autant de coups de sonde sur notre monde et celui des autres, si proches.C.L.

Ulysse ou les constellationsFranck Pourcel, photographiesGilles Mora, textesLe Bec en l’air, 36 euros

La mnésie de la peintureÀ travers la reprise de textes édités précédem-ment, certains en partie remaniés, et grâce à des inédits pour la présente édition dont un édifiant avant-propos, Michel Guérin part en quête de la nature profonde de la peinture, par là où on ne sait plus justement se souvenir : ce qu’il désigne par l’immémorial. «Qu’appelons-nous immémorial ? N’est-ce pas cela, objet paradoxal reconnu et sans identité, dont la mémoire, justement, s’est perdue ?» Ne nous méprenons pas sur la signification première du titre. Ceci n’est une énième histoire de la peinture. Les cent quarante pages, y compris le petit cahier iconographique central, n’y suffiraient pas. En examinant les autoportraits de Rembrandt, le Cézanne du paysage, un peintre d’aujourd’hui, Patrick Moquet, et quelques autres, le philosophe s’interroge sur la nature, l’essence de la peinture. Il nous suggère que, quelle que soit l’époque, les formes que puisse prendre l’œuvre, toute peinture se retrouve dans le geste originel, un

acte premier, archaïque, mais toujours présent, anhistorique. «Le geste de peindre d’abord est parfaitement accompli au moment où les Paléo-lithiques le pratiquent.» Et nous serions tentés de le penser pour tout acte artistique. Dans son élan, Michel Guérin se donne l’occasion de requalifier quelques principes fondamentaux de la peinture : représentation/figuration/mimèsis, d’en appeler à Alberti, Diderot, Malraux ou Walter Benjamin entre autres. La méthode Guérin s’il devait en avoir une, se refusant à une visée totalisante, relèverait plutôt du principe du Petit Poucet : semer des questionnements, jouer de revirements, travailler le paradoxe, retourner les problématiques, appeler des figures emblématiques éclairantes. Reconnaîtra-t-on aussi la complexité de l’ensemble du propos malgré ce fil conducteur de l’immémorial. Cependant, au lieu de tirer de ce dernier un enseignement définitif, ou pis encore, dogmatique, l’auteur nous mène dans un double mouvement de

maïeutique, le sien, auquel on assiste et participe au fil de sa pensée, et le nôtre, qui s’élabore en propre, dans le même temps.CLAudE LORIN

Origine de la peinturesur Rembrandt, Cézanne et l’immémorialMichel GuérinEncre Marine, 23 euros

Pavé dans la mer

686868LIVRES

Page 69: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

Un torrent de souvenirsAutour du corps de Tahar que l’on a débranché ce matin à l’hôpital, il y a «sa femme de silence, son fils de silence, son beau-père» et leurs pensées qu’il ne peut plus entendre. Aucun Algérien. Mais sa mort, c’est aussi celle de l’Algérie qu’il a quittée. Tout le roman de Fabienne Jacob, L’Averse, s’inscrit dans cette double culture, dans cet entre-deux France-Algérie. Il fait resurgir de sa mémoire les figures d’autrefois, extrême-ment vivantes, au milieu de ses trois proches mutiques : Becker, le copain de chambrée à l’armée française où il s’était engagé ; Madame Bayeux, l’institutrice en robe légère qui «trace son nom d’une écriture anglaise sur le tableau noir» ; le vieil Ahmed dans son burnous crasseux ; le fils du colon Vialet, copain d’abord, fuyant ensuite… Fabienne Jacob n’a pas son pareil pour faire entendre les pensées flottantes de Tahar, son inconscience aux dernières lueurs de

sa vie, faisant remonter à la surface souvenirs, dialogues, rêves, détails réalistes, sensations et anecdotes. Elle a aussi cette façon particulière de faire parler les corps, dont celui de Tahar qui jouit de ses jouissances passées, dans la fièvre de ses conquêtes. Par petites touches, elle dessine sa femme, toujours en retrait, son fils «demeuré dans l’abysse des origines» et son beau-père qui adresse ses prières «à Dieu qui est aux cieux plutôt qu’à Marie pleine de grâce». Avec, tapie dans l’ombre, cette guerre qui ne disait pas son nom et que seuls les enfants «flairaient au fond des ventres au fond des gorges». Travaillant l’écriture comme une pâte onctueuse ou brisée, elle donne naissance à un roman inclassable et sensuel. C’est sans doute pour cela qu’il vient de recevoir le Prix des lecteurs du Var à la Fête du livre de Toulon.MARIE GOdFRIN-GuIdICELLI

L’AverseFabienne JacobGallimard, 12,50 euros

Cahoteux«... À sauts et à gambades je m’égare…» et c’est ainsi que prennent forme heureuse les Essais de Montaigne dont la subjectivité n’a d’égale que la tendre universalité du propos. Dans Marseille amor, le je de Loi (facilité adoubée depuis longtemps par l’auteur lui-même avec variantes phoniques) déploie en zigzag des ailes de géants qui l’empêchent de marcher... dans une ville qu’il arpente aux quatre vents, traversant avec plus ou moins de finesse le lieu commun qui n’avait peut-être pas besoin de lui pour faire littérature. De ses vingt ans à «nos» jours, les mêmes que les siens justement, Emmanuel Loi a fait un bout de route avec Marseille ; de ce compagnonnage heurté, ingrat, sans véritable découverte mais momentanément pacifié, témoignent 240 pages d’une prose inégale dont les dernières lignes pâtissent (pâlissent) franchement d’une proximité avec Camus.

«On peut partir, revenir, ne pas avoir à subir. Recueillir au creux de sa paume un peu d’eau fraîche pour se désaltérer. Ouvrir les poings et les yeux.» Ce récit d’expérience présente au lecteur dérouté situations banales, gens et propos qui semblent n’être que le matériau d’une épopée de la parole emballée, traversée d’arrêts sur images pas loin du haïku, et qui somme toute n’intéresserait que l’auteur, «la mission prend de l’ampleur et je patauge toujours ; je n’ai pas trouvé mon timonier, un témoin tellurique de la cité…» Les pages les plus justes (une dizaine seulement), au coeur du pacte, sont évidemment celles qui glissent de l’amor de Marseille à la mort de la mère-miroir, à l’encombrement de la maison, au tri impossible mais aussi à «l’assurance-vie» qui dans la généreuse sécheresse du don n’offre plus rien à dire.MARIE-JO dHO

Marseille amor Emmanuel LoiSeuil/Fiction & Cie, 19,50 euros

L.C.Les éditions Parenthèses ne sont pas à leur première publication sur Le Corbusier et son oeuvre. Alors que se poursuit l’exposition qui lui est consacrée au J1 sur la question du brutalisme (Zib’68), deux imposants ouvrages complémentaires sortent chez l’éditeur du cours Julien sous la houlette de Jacques Sbriglio, commissaire de l’exposition, dont l’interview est en ligne sur notre site.Le Corbusier et la question du brutalisme constitue le catalogue de l’exposition éponyme et son développement critique à travers la signature de plusieurs contributeurs. Tout ce que ne peut montrer une exposition malgré toutes ses qualités est ici développé et richement documenté, avec un corpus iconographique particulièrement important, dont les photographies réalisées par Lucien Hervé dans les années cinquante et celles, plus récentes, de Cemal Emden. Les quinze chapitres rendent compte principalement de l’architecte mais aussi de l’artiste, peintre, sculpteur, dont on pointe les champs d’interac-tions. Le corps de l’ouvrage couvre la période suivant la seconde guerre mondiale, lorsque

émergent avec les nécessités de la reconstruc-tion l’usage et son appréhension esthétique du béton brut de décoffrage. On peut suivre l’édifiante chronique du chantier marseillais et ses multiples malfaçons reconverties en qualités plastiques. «La splendeur du béton brut» selon l’expression de l’architecte lui-même est abordée dans le second ouvrage, consacré entièrement à l’Unité d’habitation de Marseille que nous connaissons sous le vocable erroné de Cité Radieuse. Complétant la rigoureuse collection Monographies d’architectures plutôt tournée vers les spécialistes, ce volume suit la genèse du projet détail par détail de ce qui deviendra le prototype d’autres utopies radieuses conçues pour «Monsieur tout le monde», pour certaines édifiées à Nantes, Briey-en-Forêt, Firminy et Berlin. Deux belles façons de relire le mythe de la cité idéale et de reconsidérer la place de l’un des penseurs majeurs de l’architecture et de l’urbanisme modernes, celui de «l’espace indicible».CLAudE LORIN

Le Corbusier et la question du brutalisme, 29 eurosL’unité d’habitation de Marseille, 32 eurosÉditions Parenthèses

696969LIVRES

Page 70: Zibeline 69

Depuis 2004, le Prix littéraire des lycéens et apprentis de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, réalisé par l’Agence régionale du Livre Paca, propose à 1 000 jeunes adultes de la région de découvrir le monde du livre, du côté de la création et du côté de ceux qui la font vivre. Depuis sa création en 2007, Zibeline accompagne le prix, critique les BD et romans, participe aux forums régionaux. Car le Prix littéraire des lycéens et apprentis concilie avec un bonheur rare éducation et création, dans un domaine qui tient particulièrement au coeur de Zibeline. Les 6 bandes dessinées et 6 romans contemporains choisis chaque année pour leur diversité de genres, de tons et d’univers, offrent aux jeunes une sélection placée sous le signe de la qualité et de la découverte. Pour fêter ces 10 années d’aventures littéraires et graphiques, nous vous proposons de retrouver dans chaque numéro de Zibeline un peu de l’histoire de ce Prix : quelques témoignages inédits, écrits ou dessinés, des auteurs qui ont participé à cette traversée et nous livrent ainsi un peu de leurs souvenirs... ZIbELINE

Le Prix littéraire a 10 ans !

© Javier de Isusi - nov 2013 (Prix littéraire 2009-2010)

Horizons littérairesLe Prix littéraire des lycéens et des apprentis de PACA, action éducative autour du livre et de la lecture, souffle ses 10 bougies cette année. Le premier Forum s’est tenu à Draguignan en présence des élèves de 11 lycées, particulièrement attentifs, dont les questions montrent bien qu’ils ne restent pas à la surface des mots et des images. Pour une fois il y avait la parité sur le plateau : 3 femmes (il en manquait même une) et 3 hommes, pour 2 romans et 3 BD. Les questions soulignaient l’intérêt des adolescents pour la gestation des oeuvres, leurs racines, la sélection des sujets abordés. Puis par leur fabrication : titre, point de vue, moments de l’écriture. Concernant son choix d’avoir raconté L’enfance d’Alan en images plutôt qu’en roman, Emmanuel Guibert déclare : «Je voyais les images en même temps qu’Alan me parlait. J’ai fait des dessins pour les lui offrir. Le livre n’est venu que bien plus tard.» Marie Neuser précise le choix de la 2e personne du pluriel pour la narration : «À la 1e personne, c’était trop psycholo-gique, trop personnel. À la 3e, ça ne

marchait pas non plus. J’ai trouvé le philtre idéal qui implique le lecteur.» Clément Baloup s’est expliqué sur l’utilisation de photos de presse qui ont fait le tour du monde et qu’il a dessinées : «La fillette brûlée au napalm et le moine immolé par le feu : des photos qui font changer l’opinion. L’Histoire s’insère dans celle des femmes dont j’ai recueilli les témoignages.» Marzena Sowa évoque les villes polonaises et la lente évolution des mentalités qui peinent à se libérer

des habitudes totalitaires tandis que Sandrine Revel déclare chercher un graphisme différent pour chacun des albums auxquels elle participe. Antoine Choplin confie son amour de la nature et des animaux qui ont repris leurs droits dans la zone radioactive de Pripiat en Russie et parle des 2 000 personnes qui sont revenues vivre sur le site avec l’envie de «rester vivants chez eux». Tous les auteurs ont fait part de leur bonheur et de leur gratitude

d’avoir été sélectionnés. Dialoguer avec de jeunes lecteurs élargit leurs horizons ! CHRIS bOuRGuE

Ce Forum s’est tenu à Théâtres en Dracénie , Draguignanle 4 décembreProchain Forum : le 5 février

L’enfance d’AlanEmmanuel Guibert L’association

Un petit jouet mécanique (voir Zib’54)Marie NeuserL’écailler

Little SaïgonClément BaloupLa Boîte à bulles (voir Zib’54)

N’embrassez pas qui vous voulezMarzena Sowa & Sandrine Revel Delcourt

La nuit tombéeAntoine ChoplinLa fosse aux ours

Forum lycéens déc 2013, M. Neuser, C. Baloup, M. Sowa, S. Revel, E. Guibert et A. Choplin © Chris Bourgue

707070LIVRES

Page 71: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

Sylvain Pattieu mixe avec bonheur ses deux domaines de prédilection, l’histoire -sociale de préférence- et la littérature. Déjà remarqué en 2012 pour son premier roman Des impatientes (La brune au Rouergue), une plongée saisissante dans l’univers des jeunes issus de l’immigration, entre lycée et centre commercial, le jeune historien, enseignant à Paris VIII, a exhumé des Archives départementales des Bouches-du-Rhône un fait divers oublié, mais qui avait fait la une en son temps. Le 25 septembre 1920, on avait découvert dans un appartement bourgeois de Marseille, le corps d’une jeune ouvrière devenue prostituée. À partir du dossier 2 U2 1602, dont on retrouve de multiples échos dans l’ouvrage (lettres, PV d’interrogatoires, articles de journaux, photos…), Sylvain Pattieu réalise une fiction étonnante, dont le titre Le bonheur pauvre rengaine pourrait être celui d’une chanson des beuglants de l’époque. Un texte hybride, où s’entrecroisent habilement d’authentiques documents (avec fautes d’orthographe d’origine) et les voix imaginées (très parlantes) des principaux protagonistes de l’affaire. En trois temps -le meurtre, l’enquête et prisons-, encadrés d’un prologue et d’un épilogue comme deux arrêts sur image, deux éphémères moments de grâce dans la courte existence d’une bientôt assassinée, le romancier double et complète l’historien, faisant revivre intensément les actes d’un drame dont on connaît pourtant l’issue. Grâce aux paroles d’Yvonne Schmitt, la victime, d’Yves Couliou, son meurtrier, mais aussi de la demi-mondaine Simone Marchand, du souteneur séducteur Fredval, et même de l’inspecteur André Robert ou du matelot africain devenu mac Cyprien Sodonou, le lecteur pénètre l’état d’esprit des personnages, et à travers eux celui de l’époque. Période à la fois effervescente et troublée de l’immédiat après-guerre, où l’alternative à l’usine et à l’exploitation semble être la «mauvaise vie». Dans cette perspective, la jeune Yvonne apparaît surtout comme la victime d’un système qui brise les faibles et leurs pauvres rêves. Quant à Yves Couliou, ouvrier bagarreur, puis taulard, puis envoyé au bataillon disciplinaire (d’où il revient plus dur encore évidemment), Sylvain Pattieu en fait un produit de la société dont il reflète les valeurs de domination et d’apparence. Il le paiera cher lui aussi. Et Marseille dans tout cela ? «Terre d’exil et d’espoir depuis les origines», peuplée de «troupes fraîches débarquées après 1914, pour remplir les tranchées, les usines, les chantiers, tirailleurs exotiques, Russes indisciplinés, Indiens en turbans, travailleurs arabes, noirs ou annamites, marins…», n’est-elle pas le lieu idéal où dérouler cette «pelote de trajectoires, de mauvaises rencontres, de tristes sorts» ? Dans cette ville cosmopolite et interlope se rejouent les anciens conflits. S’y joue également «le sort des individus comme celui des nations, broyées par la force, broyée à son tour et à son heure.» Le bonheur pauvre rengaine, une nouvelle preuve, éclatante, engagée, que la littérature peut être l’«invention du réel».FREd RObERt

Le bonheur pauvre rengaineSylvain PattieuLa Brune au Rouergue, 21,50 euros

Sylvain Pattieu était invité le 23 novembre à la librairie L’histoire de l’Œil pour une lecture musicale de son ouvrage

À lire aussi sa chronique de PSA-Aulnay parue en octobre aux éditions Plein Jour et intitulée Avant de disparaître (19,50 euros)

Gibraltar deuxièmeIl y a quelques mois, nous vous pré-sentions le premier numéro d’un tout nouveau mook semestriel Gibraltar, que son rédacteur en chef Santiago Mendieta était venu promouvoir à Marseille (lire Zib’64). Le second numéro est désormais disponible. Cette revue, belle et engagée, garde l’ambition de jeter «un pont entre deux mondes», de croiser les regards sur notre Babel méditerranéenne. Récits, reportages, fictions inédites, bandes dessinées, photographies, illustrations, les entrées sont multiples au fil de ces 180 pages. Les sujets aussi. «Spectres et lumières», annonce Mendieta dans son éditorial. Les spectres, ce sont ceux des conflits passés et de leur poids sur les générations suivantes, sujets de l’important dossier central. Gilbraltar y ressuscite la mémoire de la guerre civile espagnole, du siège de Sarajevo, des années noires de l’Algérie, selon des biais originaux, telle cette évocation du génocide arménien par le truchement d’un émouvant portrait de l’acteur Simon Abkarian. À noter que ce dossier, comme tous les autres sujets, s’accompagne de références chronologiques et biblio-graphiques. Quant aux lumières, ce pourraient être celles qui brillent dans les yeux des campeurs de la plage sauvage et encore libre (pour combien de temps ?) de Piémanson, près d’Arles, ou dans ceux des résistantes du Kurdistan syrien, en

lutte pour la libération de leur peuple, et la leur aussi. À découvrir également, entre autres, le mouvement Slow Food et l’Unité d’habitation d’Air France à Brazzaville : une Cité Radieuse africaine en péril, à protéger de toute urgence.F.R.

Revue Gibraltar 2, 17 eurosAbonnements surwww.gibraltar-revue.com

Santiago Mendieta était présent à Marseille le 15 novembre à la librairie du MuCEM et le 16 au Centre Bourse pour le 22e Carré des écrivains

Le bel instant était passé

Cacher qui je suis«Si quelqu’un d’autre que ma grand-mère m’avait raconté tout cela, je ne l’aurais jamais cru.» En 1915, 1 200 000 Arméniens sont morts sur le territoire turc. Au cœur de ce premier génocide du XXe siècle, une histoire singulière et inimaginable, pourtant réelle et emblématique, est racontée par Fethiye Çetin à travers les aveux de sa grand-mère. Quand l’armée turque est arrivée, cette dernière n’était qu’une petite fille «adroite, intelligente et raisonnable» dont la vie paisible dans le joli village d’Havav a été bouleversée à jamais. «De même que sa mère ne s’appelait pas Esma, le nom de son père n’est pas Hüseyin… Et elle même ne s’appelait pas Seher.» Dès la première page du roman, le lecteur se trouve noyé dans une confusion de prénoms. Mais au fil de l’histoire, tout se dénoue. Son enfance, son enlèvement, sa nouvelle vie hantée par l’espoir de revoir ses parents réfugiés en Amérique… Héranouche est son prénom de naissance. Une armé-nienne chrétienne devenue Seher, une musulmane turque. Pieuse, humble et généreuse, cette grand-mère a gardé sous silence ce secret insoutenable presque

toute sa vie. Des révélations, subtilement ponctuées d’allers-retours entre le présent et le passé. Presque cent ans plus tard, la vie de l’auteur, elle-même, sera affectée par ces confidences…ANNE-LYSE RENAut

Le livre de ma grand-mère Fethiye Çetin Parenthèses, 18 euros

717171LIVRES

Page 72: Zibeline 69

Le Quintette à vent de Marseille joue Lucien GuérinelÀ l’heure où s’ouvre à Marseille la 10e Biennale internationale de Quintette à vent (du 16 nov au 23 janv pour 8 concerts et 3 classes de maîtres), paraît un disque généreux qui met en valeur des talents qu’on connait bien dans la région. Le Quintette à vent de Marseille constitué de Tho-mas Saulet (flûte), Bernard Giraud (hautbois), Daniel Paloyan (clarinette), Frédéric Baron (basson) et Didier Huot (cor), mais aussi la pianiste Clara Kastler, Jean-François Héron (récitant) et le baryton Jean Vendassi, rend un hommage mérité au compositeur méridional Lucien Guérinel (né en 1930) avec Six bagatelles (1971), Le baiser de la mésange (2007) d’après

Roman de Renart, «autre chose que le jour» (2002) sur des poèmes de Boris Vian et Médiatissées (2008). C’est un panorama, en raccourci, d’une œuvre encore trop confidentielle, riche de près de 120 opus, mariant un modernisme de facture, des couleurs et styles multiples, ni exclusifs ou excluant, évoluant avec le temps vers une épure des formes où la dissonance et le lyrisme, le geste vocal primordial, l’écriture instrumentale fonctionnant par touches quasi-picturales, l’humour, l’étrangeté et la poésie constituent un langage propre. JACQuES FRESCHEL

CD Triton TRI331187www.disques-triton.comInstitut Français des Instruments à Venthttp://ifiv-marseille.com

Fleurissent les ouvrages sur Marseille en cette année 2013, Capitale de la culture oblige. En fin d’année, on pourrait penser un de plus ! Ce serait dénigrer a priori et à tort le bel ouvrage de Renée Dray-Bensousan qui compose un point d’orgue à l’exposition Les Marseillais dans la guerre 1939-1945, présentée le 10 octobre 2013, dans le cadre de la rencontre Entre exil et Shoah, et que l’on avait pu voir en janvier 2012 à l’hôtel du département à Marseille. 40 panneaux retra-çaient le vécu des Marseillais pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a fallu réunir une foule de documents photographiques de Washington à Coblence en Allemagne, de Jérusalem aux Archives départementales entre autres sources. À l’origine de ce travail considérable, l’association ARES créée en 1999 dont les deux objectifs sont la sensibilisation à l’enseignement de la Shoah et à l’éducation à la citoyenneté, cultivant par

là un indispensable devoir de mémoire. Le livre suit un ordre chronologique, réparti en deux grandes sections, En zone «libre» et À l’heure allemande. 35 courts chapitres constituent des points de focalisation particuliers, traitant de la vie quotidienne aux grands projets sur Marseille. Art, sport, culture (l’âge d’or du cinéma à Marseille, par exemple), rafles, aryanisation des métiers, destruction du Panier, textes de lois, coupures de presse… un ensemble documentaire consi-dérable mis en lumière avec une grande clarté, débroussaillant les passages les plus complexes, se mettant à la portée de tous avec talent.MARYVONNE COLOMbANI

Les Marseillais pendant la Seconde Guerre mondialeRenée Dray-BensousanGaussen, 29,50 euros

Marseille et la guerre

Gérard Malgat signe avec Max Aub et la France ou l’espoir trahi une biographie passionnante et remarquablement documentée de la vie et l’œuvre de l’écrivain Max Aub, né à Paris en 1903, d’un père allemand et d’une mère parisienne et mort à Mexico le 22 juillet 1972. La famille doit se réfugier en Espagne lors de la première guerre mondiale. La première partie de l’ouvrage (les 6 premiers chapitres) évoque la vie tumultueuse de ce polygraphe, poète, dramaturge, essayiste, cinéaste (il travaillera avec Malraux), militant socialiste, attaché culturel à Paris (il commandera à Picasso son Guernica), puis interné par le gouvernement français dans des camps lors de la deuxième guerre mondiale, réfugié enfin au Mexique, il rencontrera des difficultés sans nombre ne serait-ce que pour l’obtention d’un visa pour la France ! Un deuxième mouvement cherche à saisir les multiples facettes de l’écrivain,

son action politique, son travail de «passeur de culture». Sa correspondance, sa production littéraire sont denses, marquées par l’histoire. Il se définissait ainsi : «Il n’y a pas d’écrivain de notre temps qui ne reflète pas -tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre- les inquiétudes de son époque.» C’est tout le paysage intellectuel du cœur du XXe qui se dessine dans cette biographie. Mais par-delà cette fresque, il y a l’occultation de l’œuvre en France. Gérard Malgat esquisse des réponses -volonté d’oubli de périodes peu glorieuses…-, déplorant le fait que «le pays natal n’a pas voulu être le pays d’accueil» de ce grand artiste.MARYVONNE COLOMbANI

Max Aub et la France ou l’espoir trahiGérard MalgatL’Atineur, 16 euros

Amère patrie

727272LIVRES

CD

Page 73: Zibeline 69
Page 74: Zibeline 69

«Tous les spectacles sont annoncés complets.» Le succès du Festival Grain de Sel prouve qu’il y a une réelle demande du jeune public et des jeunes lecteurs. De nombreuses représentations gratuites étaient proposées dont Jules Verne et le griot d’Hubert Mahela. «En Afrique, un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle». De récits en récits, Fatou Ba et Hubert Mahela posent un regard singulier sur le colonialisme, et sur l’Afrique en général. Très attentifs, les enfants ont suivi le conte de Laurent Daycard et son dulcimer (famille des cithares). L’histoire d’un garçon qui part chercher Trois cheveux d’or du diable pour conquérir une princesse. Dans la pièce Neiges, d’après Andersen, la comédienne Isabelle Lega et la violoncelliste Marie Caparros emmènent petits et grands dans l’univers, réel puis imaginaire, de la petite Gerda, dans une mise en scène épurée et délicate. Sur la place Charles De Gaulle, les cris des enfants résonnaient dans Le village des bungalows, entre ateliers de lecture, de peinture ou d’éveil aux droits des enfants. D’Actes Sud Junior à Gallimard, de nombreux éditeurs étaient présents dont des petites perles égarées comme Dada, la première revue d’art aux éditions Arola. Lors des dédicaces, les dessinateurs

ont récolté l’admiration dont les savoureux dessins de Zaü dans L’enfant qui savaient lire les animaux aux éditions Rue du monde ou les aventures de Pomélo de Ramona Badescu chez Albin Michel Junior. Un espace était dédié aux interviews, Antoine Guilloppé parla des techniques de découpe au laser et de son livre Le voyage d’Anoki chez Gauthier-Languereau, et des difficultés du rapport éditeur/illustrateur plus financiers qu’artistiques… ANNE-LYSE RENAut

Le Festival Grain de Sel a eu lieu du 14 au 17 novembre dans divers lieux de la ville d’Aubagne

Témoigner à tout prixSouriante, Valentine Goby écoute l’éloge de son dernier livre par le modérateur Régis Lefort. Il s’agit de Kinderzimmer (voir Zib’67) qui en est à sa 8e réimpression. Un témoignage sur le camp de travail de Ravensbrück, sur lequel il ne reste aucune archive, dans lequel existait

un lieu pour les nourrissons. Elle s’est appuyée sur les récits qu’elle a recueillis de la bouche même de Marie-José Chombart de Lauwe, puéricultrice des enfants nés dans le camp. Durée de vie maximum, 3 mois. Certains en ont réchappé et Valentine Goby en a rencontré deux. De ces témoignages elle a créé une fiction, devoir de mémoire «essentiel» pour elle. Il lui a juste fallu trouver le point de vue. Ce sera celui de Mila qui, peu après son arrivée au camp découvre qu’elle est enceinte. Or elle est dans la totale ignorance de ce qu’il se passe dans son corps, n’ayant reçu aucune éducation à ce propos. Valentine Goby explique l’innocence et l’inexpérience, terribles dans ce contexte. Elle évoque ses autres romans qui parlent aussi du corps des femmes, de l’avortement, de la maternité. Elle cite Charlotte Delbo, parle longuement de la langue des camps, ce mélange d’allemand et des langues des prisonnières qu’elle ne traduit pas volontairement pour leur laisser leur horreur crue. Et surtout elle insiste sur la solidarité pour résister à la mort et l’organisation de la survie pour laquelle un bout de ficelle ou un quignon deviennent joyaux.CHRIS bOuRGuE

Valentine Goby était à L’Attrape-Mots et chez Maupetit les 14 et 15 novembre dans le cadre des Itinérances littéraires de Libraires du Sud ; Marie-Josée Chombard de Lauwe était interwievée au 20h de France 2 le 21 novembre

6 fois 13 minutes de bonheurC’était une première à Marseille et l’auditorium de la BMVR Alcazar était plein à craquer. Un public nombreux et enthousiaste, auquel se sont ajoutés les internautes appelés à s’exprimer en live sur Tweeter, et dont les commentaires s’affichaient en direct sur un écran à droite de la «scène». Treize minutes : ce concept de six conférences scientifiques de treize minutes chacune (c’est chro-nométré ; gare à celui qui dépasse), inspiré des conférences TED (Tech-nology Entertainement & Design), vient de Paris. L’équipe parisienne était d’ailleurs «descendue» prêter main forte à celle de Marseille. Et pour un coup d’essai, ce fut un coup de maître ! «Nerveuses, variées, inattendues», elles l’ont été en effet, les six interventions des scientifiques invités. Variées -des neurosciences à l’astrophysique, en passant par la physique, l’informatique et la linguistique-, stimulantes, souvent drôles, et tellement inattendues. Aborder le principe de parcimonie par le biais des méthodes du célèbre inspecteur Colombo, expliquer la notion de descente de gradient à l’aide du schéma d’un skieur ou donner un cours de phonétique à partir de «Ty’es fou : on craint dégun», voilà une façon peu ordinaire (et très maline) de faire sortir la science de ses chapelles de spécialistes, de croiser les disciplines et, comme nous l’a confié le linguiste Médé-ric Gasquet-Cyrus, d’«offrir au commun des mortels les fruits de la réflexion publique, financée avec ses deniers», ce qui selon lui «devrait être l’une des missions fondamentales de l’université». C’est une bien jolie leçon de vulgarisation qui a été donnée ce soir-là. À quand la prochaine session à Marseille ?FREd RObERt

Treize minutes Marseille, un événement gratuit organisé par des chercheurs et enseignants-chercheurs d’Aix Marseille Université, a eu lieu à l’Alcazar le 3 décembre

Prochain rendez-vous : jeudi 13 février à Paris (hélas, mais on pourra le suivre sur le net)

Le jeune public en plein essor

Neiges ©

Patricia Boucharlat

Valentine Goby ©

Chris Bourgue

747474LIVRES

Page 75: Zibeline 69

P OLITIQUE

CULTURELLE

L’amour du dessin lui est venu très tôt, vers l’âge de trois ans déclare-t-il. Et très vite aussi l’envie de montrer ses dessins puis de raconter des histoires à partir de ces dessins. Lui, c’est Emmanuel Guibert, grand monsieur de la BD et magnifique raconteur d’histoires. Celles des autres, d’Alan Cope par exemple. L’ancien GI rencontré au hasard d’une promenade sur l’île de Ré est devenu un ami et jusqu’à sa mort, en 1999, Emmanuel Guibert le retrouvait régulièrement afin d’enregistrer ses souvenirs. De ces conversations est d’abord née la trilogie mémorable de La guerre d’Alan, suivie l’an dernier de L’enfance d’Alan, une plongée émouvante dans l’Amérique des années 20 (on attend avec impatience la suite, adolescence et jeunesse, en préparation). Dessiner est ainsi pour Guibert une manière de «s’occuper d’une personne, d’autant plus quand la personne a disparu». Mais de L’enfance d’Alan, qui justifiait la présence de l’auteur dans la région en ce début de décembre -il fait partie des bédéistes sélectionnés cette année pour le Prix Littéraire PACA- il a finalement été assez peu question durant la rencontre à la BDP. Emmanuel Guibert a préféré emmener le public ailleurs, dans son histoire à lui, au gré

d’une improvisation brillante. Il a commencé par la lecture d’un savoureux « petit moment de vie parisienne», un PV comme il l’appelle, «équivalent littéraire d’un croquis dessiné» (à retrouver dans Le pavé de Paris, heureusement réédité). Ces PV, ces croquis lui permettent de s’affranchir un peu des contraintes du métier de scénariste. Il en fait souvent des livres et ce soir-là à la BDP, il a régalé le public de la projection des images d’un Ah ! L’Italie à venir. Explosion de couleurs, variété des techniques et des supports, détails architecturaux, copies de pièces de musée, scènes de rue ou de plage, jardins… un répertoire amoureux en somme. Et une occasion pour l’infatigable conteur de s’arrêter sur certains croquis et de broder, avec moult parenthèses, références, digressions… et une jubilation certaine. Que le public a partagée sans modération.FREd RObERt

Emmanuel Guibert était invité le 5 décembre à la Bibliothèque départementale des Bouches-du-Rhône, en partenariat avec La Marelle, dans le cadre du cycle Paroles d’auteurs

À lireL’enfance d’Alan L’Association, 19 eurossélectionné pour le Prix Littéraire des lycéens et apprentis PACA 2014 (voir p.70)www.biblio13.fr

La musique de HustonNancy Huston n’en est ni à sa première lecture publique, ni à son premier roman pour la jeunesse. C’est pourtant avec une énergie et une délicatesse particulières qu’elle s’est prêtée à l’exercice aux ABD Gaston Defferre le 26 novembre dernier, accompagnée par le musicien de jazz Claude Barthélémy à la guitare. Très expressive malgré son naturel calme, l’auteure franco-canadienne a fait entendre sans peine la voix de sa jeune narratrice, Lucy, dont le court texte d’Ultraviolet se veut le journal intime. Difficile de ne pas se laisser plonger dans les tourments adolescents de cette fille de pasteur, confrontée autant à la crise économique des années 1930 qu’à une crise identitaire, et jamais à court de questions sur le monde qui l’entoure. D’autant que, comme toujours chez Nancy Huston, la beauté de la langue ne fait pas défaut, et s’est avérée particulièrement bien servie par le dispositif musical, savant mélange d’improvisation, d’envolées vocales sur fond de chants religieux et de jolis figuralismes, reprenant un bruit de porte ou un saut au plafond. Un enregistrement de cette lecture en musique est sorti en septembre dernier : on ne saurait trop le recommander !Nancy Huston a également publié le 21 août son dernier roman, Danse noire, récit filmique entrelacé de trois membres d’une même famille étendu sur un siècle, de l’Irlande sanglante de Pâques 1916 au Québec contemporain, dont l’auteure rêvait depuis longtemps d’honorer la langue… en passant par le Brésil, dont le rythme de capoeira se retrouve d’une page à l’autre, accompagne les séquences rêvées et s’imbrique dans les phrases mêmes. Ici encore, parole et musique sont intimement liés.SuZANNE LAY

La lecture a eu lieu le 26 novembre aux ABD Gaston Defferre, Marseille

© C

hristian Rombi

Il était un soir…

757575LIVRES

Page 76: Zibeline 69

Dans le cadre des Mercredis du genre, Sophie Bessis était invitée au MuCEM pour évoquer ce qu’elle a préféré intituler «les féminismes dans le monde arabe». Brosser un tableau détaillé de la situation actuelle des femmes et des mouvements féministes

dans tout le monde arabe en moins d’une heure tenait de la gageure. L’historienne spécialisée dans l’économie politique du développement a cependant brillamment relevé le défi. En évitant les raccourcis et les généralisations hâtives, en s’autorisant même quelques détours par le passé et des digressions maîtrisées, elle a passionné le public, hélas fort clairsemé. Après avoir réaffirmé l’importance des mouvements qui ont eu lieu dans le monde arabe depuis deux ans, «une nouvelle séquence historique incontestablement», elle a insisté sur la contradiction fondamentale actuelle des sociétés de la rive sud : des désirs d’émancipation de plus en plus puissants y coexistent avec des menaces de régression de plus en plus lourdes. Les femmes ont été des actrices importantes des soulèvements ; puis sont arrivés au pouvoir, en Égypte et en Tunisie tout du moins, des partis islamistes qui visent à les «renvoyer à leurs casseroles». La question de la femme est visiblement au cœur de celle de la modernité dans le monde arabe. Sophie Bessis a d’ailleurs rappelé que des revendications

protoféministes avaient vu le jour dès le début du XXe siècle en Égypte, Tunisie et Syrie et que toutes portaient déjà sur le lien entre politique et religion, la norme religieuse ayant toujours été utilisée pour renforcer l’inégalité hommes/femmes. Si pendant les années 60-70, c’est-à-dire juste après les indépendances, il y a eu peu de luttes spécifiques des femmes, celles-ci ont commencé à réclamer l’égalité des droits dès le milieu des années 70. Or parallèlement aux mouvements féministes, les mouvements islamistes politiques se sont eux aussi développés pendant cette période, en réaction à l’évolution évidente des femmes. Selon l’historienne, les printemps arabes arrivent dans ce contexte. Celui de «sociétés qui entrent collectivement dans un processus d’individuation du sujet», où les populations sont unanimes quant à la nécessité de se débarrasser des dictateurs, mais où il n’y a pas d’unanimité sur le projet sociétal. Les conflits actuels naissent des aspirations contradictoires entre désir de démocratisation et identification à une nouvelle norme. D’où l’existence aujourd’hui

Pas de printemps pour les femmes

Sophie Bessis © X-D

.R

Au MuCEM les conférences his-toriques se succèdent, sans trouver encore leur public, ce qui ne saurait tarder vu la qualité des intervenants. Le 21 novembre, c’est le profes-seur d’histoire contemporaine à l’Université de Cagliari Luciano Marrocu, traduit en direct par le poète Marc Porcu, qui est venu parler de Mussolini. Soulignant l’importance du mythe de la Rome Antique dans l’idéologie fasciste, qui «utilisait l’archéologie comme une science politique», il a montré à quel point le Duce puisait dans un passé prestigieux pour inciter le peuple italien à édifier un empire méditerranéen, une civilisation nouvelle. Jusqu’à son accession au pouvoir, la Rome classique était plutôt l’apanage de la bourgeoisie, une culture enseignée dans les lycées cossus. Mussolini a voulu la populariser et la projeter vers la

modernité. Sur une série de photo-graphies d’archives très révélatrices, on perçoit le rôle de l’architecture d’alors, les grandes avenues dessinées pour lui permettre de défiler à la tête de ses armées. On le voit aussi montrant avec fierté à Hitler en visite une statue romaine. En un jeu de regards, tout est dit : sa façon de «considérer les réalisations antiques comme sa propre production», et «son complexe d’infériorité vis-à-vis du dictateur allemand». Sur une autre image prise au moment de sa chute, il garde les mâchoires serrées. Aucune remise en question personnelle : le dictateur rendait le peuple italien responsable de son échec, déplorant qu’il soit «si difficile de transformer des agneaux en loups».Le 25 novembre, Emmanuel Laurentin accueillait dans le cadre de son cycle Le temps des archives Henry Laurens, professeur au Collège de

France, pour évoquer les accords de Camp David. Signés en 1978 par Anouar el-Sadate, le président égyptien, et le Premier ministre israé-lien Menahem Begin, ces accords constituent une première mondiale, un grand succès diplomatique orchestré par le président américain Jimmy Carter, et leur ont valu le prix Nobel de la Paix. S’appuyant sur les archives audiovisuelles de l’INA, Henry Laurens dévoilait les enjeux incalculables de la politique menée par Sadate à cette époque, qui change d’alliance géopolitique en passant de l’URSS aux USA, et reconnaît officiellement l’existence d’Israël malgré la désapprobation de son propre camp. Pour l’Arabie Saoudite notamment, il est «le traître absolu, qui a fait passer les intérêts de l’Égypte avant ceux du monde arabe», allant à l’encontre du panarabisme de son prédécesseur Nasser. L’historien a

rappelé qu’avant de mourir assassiné en 1981, il semblait décidé à prendre sa retraite politique. «S’il l’avait fait, cela aurait constitué un exemple important pour les autres dictatures arabes»… et qui sait si la face du

Le MuCEM est aussi une cité culturelle qui fabrique de la réflexion partagée : le musée programme tous les jours, sauf le mardi, des conférences, rencontres, débats autour des films et des expositions. Littéraires, scientifiques, historiques, et tous de haut vol. Le cycle qui a commencé sur l’Algérie s’annonce passionnant… (voir la programmation p. 13). Retour sur quelques moments remarquables par leur variété, et leur pertinence.

Le président et le dictateur

Luciano Marrocu et Marc Porcu © Gaëlle Cloarec

7676RENCONTRES

76

Page 77: Zibeline 69

Pas de printemps pour les femmes

Le MuCEM est aussi une cité culturelle qui fabrique de la réflexion partagée : le musée programme tous les jours, sauf le mardi, des conférences, rencontres, débats autour des films et des expositions. Littéraires, scientifiques, historiques, et tous de haut vol. Le cycle qui a commencé sur l’Algérie s’annonce passionnant… (voir la programmation p. 13). Retour sur quelques moments remarquables par leur variété, et leur pertinence.

Babel ou «l’entre des langues»L’écrivain et traducteur Omar Berrada recevait le 18 novembre le poète plasticien et essayiste Camille de Toledo et l’écrivain et essayiste Abdelfattah Kilito sur le thème Je parlerai toutes les langues du monde. Le sujet s’avère vite complexe, se situant à la fois dans la problématique de la traduction, de l’écriture et du politique. Omar Berrada pose la question des langues dans le domaine de la traduction et de la transmission, relevant la fréquence du verbe «porter» chez ses deux invités. A. Kilito rappelle l’anecdote du retour des restes d’Averroès à Cordoue, transportés sur le bât d’un âne, ils avaient pour exact contrepoids ses œuvres. «Tout récepteur d’une histoire, d’un savoir est a priori un transmetteur -on se charge et on se décharge successivement-.» De Toledo reprend en soulignant à quel point notre époque est celle des commémorations, comme si l’on avait peur de se perdre, ou comme si nous étions chargés d’une culture qui n’arrive pas à abandonner les récits anciens, qui craint que quelque chose de nouveau ne survienne. Il ironise ensuite sur le devenir léger du livre qui passe dans le cloud immatériel de l’informatique. Contre le mythe de l’auteur maître de ses mots, il prône «une école du vertige, qui joue avec ses origines». Puis il insiste

sur son rapport polyphonique aux langues, et la conviction que le monolinguisme n’est que l’illusion d’un pouvoir sur le monde. Kilito sourit, «nous parlons toutes les langues grâce à la traduction», et cite Cioran : «Pour un écrivain, changer de langue c’est écrire une lettre d’amour avec un dictionnaire.» De Toledo modalise en interrogeant les dérives de la traduction, «qu’est-ce que l’on nie et qu’est-ce qu’on révèle de l’autre ?». Le statut du traducteur n’est plus alors seulement celui d’un passeur, mais d’explorateur d’un no man’s land dans lequel se construit le texte traduit. Il insiste sur le combat de «l’entre les langues», expliquant combien il est difficile de concevoir un commun polyglotte lorsque la langue fixe le territoire, et se constitue en instrument de pouvoir. Et pourtant, on ne commence à comprendre une langue que lorsque l’on en parle deux ! L’autre existe à partir de la polyphonie. Kilito laissait la conclusion à Proust : «Les plus grands chefs-d’œuvre sont écrits dans une sorte de langue étrangère.»MARYVONNE COLOMbANI

La conférence a eu lieu au MuCEM le 18 novembre

de deux grands types de mouvements féministes dans le monde arabe : l’un qui vise à la sécularisation de la société (à la laïcité), l’autre qui propose une lecture progressiste du Coran, plus favorable aux femmes. Le film qui suivait la conférence, Millefeuille du Tunisien Nouri Bouzid, malgré son caractère quelque peu caricatural, avait le mérite de montrer lui aussi les contradictions de la société tunisienne actuelle et le combat difficile qu’y mènent les jeunes femmes quotidiennement.FREd RObERt

Féminisme, femmes et printemps arabe et Millefeuille étaient proposés au MuCEM le 13 novembre dans le cadre de Féminin Masculin Questions de genresRencontres et cinéma tous les mercredis jusqu’au 18 décembre04 84 35 13 [email protected]

monde n’en aurait pas été changée ?GAËLLE CLOAREC

Ces conférences ont eu lieu les 21 et 25 novembre au MuCEM, Marseille

Luciano Marrocu et Marc Porcu © Gaëlle Cloarec

777777RENCONTRES

Page 78: Zibeline 69

Il entre en scène, silhouette longiligne, vêtu d’une blouse blanche, tenant à la main une longue baguette, semblant se demander ce qu’il fait ce dimanche 24 novembre à la Villa Méditerranée… Cette caricature de scientifique rêveur, c’est Laurent Petit de l’Agence Nationale de Psychanalyse Urbaine (ANPU) qui sillonne la France pour soigner les névroses des villes et présente des conférences sur un ton loufoque mais s’appuyant sur un réel travail d’enquête. Avant d’aborder le «vide» du sujet, il rappelle quelques bases de psychanalyse et ses méthodes de travail : rencontres d’experts dans les cafés, opérations divans permettant aux populations de répondre au questionnaire chinois, arbre généalogique de la ville pour qu’elle puisse guérir de ses névroses urbaines avant 2060 !Il précise ensuite les méthodes qu’il utilise, morpho cartogra-phie et crypto linguistique ; explique le «syndrome îlien» dont souffrent les deux villes qu’il vient de traiter, Marseille et Alger. L’histoire de la fondation de Marseille revisitée par ses outils est particulièrement croustillante et expliquerait la tendance de la ville à la transgression. De même, pour Alger où le concept de l’île serait fondateur. La «dimension traumatique» est très importante pour ces villes qui ne parviennent à couper le cordon ombilical qui les relie encore : leur relation fusionnelle s’expliquerait par le syndrome de Stockholm, paroxystique avec le massacre de Sétif et les accords déviants (d’Evian). Cette partie de la conférence, très documentée et analysée, est particulièrement riche en pseudo lapsus et calembours. Le propos se termine sur un traitement thérapeutique global, schémas à l’appui, aussi farfelus qu’une mer intérieure dans le Sahara pour libérer Alger du pétrole ou l’installation d’une île en forme de langue dans la baie (l’abbé) d’Alger pour que la ville puisse retrouver sa langue et la tirer à la France ! L’ensemble, réjouissant, rappelle à propos des points d’histoire de la ville, mais certains jeux de mots «lacaniques» sont plus lourds qu’à Cavaillon ou Martigues. Est-ce ce poids que Laurent Petit a voulu faire ressortir ? ANNIE GAVA

La conférence spectacle Marseille-Alger : destins croisés, destins chargés de l’ANPU a eu lieu le 24 novembre à la Villa Méditerranée, Marseille

Se donner le temps du théâtreL’opération TryAngle a commis son Final Showing. Avec neuf propositions en trois jours, mais aussi une rencontre qui éclairait les enjeux de ce laboratoire européen. Quelques extraits explicitent la quête d’un autre temps de production au théâtre

Pierre Judet de la CombeLe théâtre aujourd’hui travaille par projet, par contrats, les institutions demandent de prévoir les retombées avant de faire, ce qui est absurde. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas de retombées, mais qu’il est absurde de demander aux artistes de les prévoir avant… La théâtralité, c’est un moment où un désordre se crée, une cassure, un dérapage dans le temps. Quelque chose bascule, et rétablit un autre équilibre. C’est porté par une présence, une voix, c’est un suspens, une chute, qui crée un état nouveau.

Michel CerdaUne des raisons qui m’avait intéressé dans le projet TryAngle, c’est qu’on me demandait de venir sans projet. Si on n’arrête pas d’agir et de fabri-quer des choses, on ne va jamais se demander pourquoi on fabrique des choses. Comment faire autrement ? On a choisi cette fois de sortir des théâtres, changer d’espace, parler de comment faire un spectacle… Comment changer nos outils dans un monde qui change sans cesse ?

Marie-Josée MalisIl faut exercer un frein contre la locomotive qui se met en route dès que l’on est sur une scène. Le théâtre vient très vite, on prend très vite les habitudes du vieux théâtre, et nous on veut créer une nouvelle joie de vivre avec un nouveau théâtre. TryAngle crée un nouvel espace où, au ras des conditions premières de notre pratique, on peut se calmer sur la question du contenu, du spectaculaire, pour expérimenter autre chose. Sans la sobriété, on risque de rater la petite porte entrouverte à une réflexion sur le médium. Or le théâtre n’est pas

là pour conforter le vieux monde. Mais cette question est obscurcie par le fait que du nouveau, en ce moment, on nous en vend tout le temps. La question du vrai nou-veau reste posée : la seule manière d’échapper à la nouveauté hysté-rique, répétée, est de nous exercer dans une discipline. Pour trouver une nouveauté qui cherche une joie de vivre. Avec des méthodes, de la connaissance, du travail, pas avec l’attente de la grâce.

François-Michel PesentiPourquoi quand je répète je me dis ça c’est bon, et je le garde, et ça c’est pas bon ? Le spectacle est une peau collective qui à un moment se met à vibrer, et qui dissout le temps, qui fait qu’on ne le sent plus. D’où l’importance du temps de répéti-tion. Parfois avoir des temps très courts de répétition, trois semaines pour monter un spectacle, oblige à l’invention, parce qu’il oblige à sauver sa peau pour fabriquer des dramaturgies sauvages. Parfois, dans les institutions, on a trop de temps, on va au-delà du point où le théâtre est là.AGNÈS FRESCHEL

Vous pouvez écouter de larges extraits de la rencontre du 24 novembre sur Webradio Zibeline : www.journalzibeline.fr/politique-du-temps-lecart-du-theatre

Ceci n’est pas une conférence

TryAngle, Jour 10 © TryAngle M

arseilleTryAngle, jour 4 ©

TryAngle Marseille

ANPU © A.G

787878RENCONTRES

Page 79: Zibeline 69

ANPU © A.G

Page 80: Zibeline 69

Marseille/Provence, rivages des produits du monde et des ouvriers d’ailleurs14 septembre 2013 – 18 janvier 2014 Archives départementales

DES BOUCHES-DU-RHÔNEAix & MARSEillE

Indi

enne

bou

ti pi

qué

© A

lpha

nd12

2Fi1

©Co

nsei

l Gén

éral

13

– Ar

chiv

es D

épar

tem

enta

les.

• ABD Gaston-Defferre 18-20, rue Mirès - 13003 Marseille - 04 13 31 82 00

• Centre aixois des Archives départementales 25, allée de Philadelphie - 13100-Aix-en-Provence - 04 13 31 57 00

AP 204x270.indd 1 03/12/13 10:33