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1 LYCEE LAPLACE CULTURE GÉNÉRALE ET EXPRESSION Yves MAUBANT Propositions pour le thème « Le détour » Corrigé des deux sujets proposés

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LYCEE LAPLACE CULTURE GÉNÉRALE ET EXPRESSION

Yves MAUBANT

Propositions pour le thème « Le détour »

Corrigé des deux sujets proposés

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Ce document est à l’origine un simple corrigé pour deux sujets de BTS blanc donnés dans notre lycée. Puis du fil d’une copie à une autre, de plaisir d’écrire en souvenirs de ce que nous avions fait toute l’année autour de ce thème, de référence en référence, le corrigé est devenu plus ambitieux. Il faut donc le prendre, dans la lignée du document précédent conçu pour montrer des propositions pédagogiques et culturelles variées à partir des thèmes en BTS, comme une banque de ressources. Vous aurez là de quoi faire un « marché didactique » fructueux et, je l’espère, l’occasion de partager le plaisir qu’on peut avoir à promouvoir une culture générale généreuse et ouverte dans les classes de BTS. Rappel des sujets1 :

1. Le sujet Bat / TP / EEC / Design SYNTHÈSE (40 points). Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants. 1. Gérard de Nerval (1808-1855), article paru dans Le Messager, 18 septembre 1838. 2. « Industrie-recrute.com », carte postale publicitaire, 2008. 3. Alain (1864-1951), « Voyages », dans Propos sur le bonheur, 1925. 4. Publicité SNCF « TGV pro », 2008. ÉCRITURE PERSONNELLE (20 points) Faire un détour peut-il nous faire aller à l’essentiel ? Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le corpus proposé, sur les documents que vous avez étudiés au cours de l’année et sur votre expérience personnelle. Votre réponse, argumentée, s’appuiera sur des exemples précis. 2. Le sujet Bois / FEE Corpus : Document 1 : Jean Molino, Pourquoi faut-il raconter des histoires ?, éditions Autrement, collection Passions complices, Paris, 2005. Document 2 : Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, éditions La Découverte, Paris, 2007. Document 3 : Arthur Boyd Houghton (1836-1875), “Le Sultan pardonne Schéhérazade”, illustration (gravure sur bois) pour les Mille et une nuits. Document 4 : Jean de La Fontaine « Le Pouvoir des Fables » (extrait), Fables, Livre VIII, 1668-1694. 1. Synthèse de documents (40 points). Vous rédigerez une synthèse objective et ordonnée des documents 1 à 4. 2. Ecriture personnelle (20 points). Pensez-vous, comme Christian Salmon, que le conte soit « une machine à formater les esprits » ? Vous répondrez à cette question de manière organisée en vous appuyant sur les documents du corpus, sur ceux étudiés en classe et sur votre expérience personnelle. Vous veillerez, au terme de votre argumentation, à prendre une position claire.

Sommaire du corrigé : Rappel de la définition officielle du thème. 1. Tableau comparatif : la synthèse et l’écriture personnelle. 2. L’écriture personnelle.

2.1. Abécédaire du détour. 2.2. Modalités d’écriture : un « décalogue » à mémoriser.

3. La synthèse. 3.1. Le travail préparatoire sur les documents et les plans possibles : sujet 1. 3.2. Conseils de méthode : la lecture de l’image. 3.3. Conseils de méthode : lire un texte difficile, le statut du texte littéraire dans la synthèse. 3.4. Modalités d’écriture : un « décalogue » à mémoriser.

4. Copies de référence à commenter.

1 Le premier sujet est adapté de documents de travail parus dans un ouvrage édité chez Bréal : Patrick Simmarano, Français BTS, Le détour, 2008. Merci à Nino de m’avoir signalé le document « industrie-recrute.com ». Le second est repris d’une proposition (modifiée) parue en 2008 dans un ouvrage de la collection Plein pot BTS chez Foucher : Anne-Marie Cazanave, Isabelle Mimouni, Français, les deux thèmes 2008-2009. Le texte intégral des deux sujets figure en fin de dossier.

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Thème n° 2 : Le détour, cf. Bulletin officiel n° 10 du 6 mars 2008 Problématique À l’heure des autoroutes, des TGV, des GPS, et d’internet, le détour est vécu comme une perte de temps insupportable. Aller droit au but semble être une règle, une norme admise par tous. Pourtant, le détour est une modalité du voyage, de l’action, du raisonnement, du discours. Le détour, même au risque des pertes qu’il peut engendrer, apprend et enrichit. Il peut être un art de vivre. Déplacement : Notre société a vu l’avènement du transport rapide, efficace, organisé. Et pourtant, jamais les touristes n’ont autant privilégié la lenteur et les chemins de traverse (randonnées, croisières, vacances en roulottes ...) ni opté pour le détour de l’itinéraire bis et les découvertes qu’il permet. Action : Notre société valorise, de même, le fait d’aller droit au but, et pour cela fait de la planification une des clés de la réussite. Pourtant, la stratégie (jeux de stratégie, tactique militaire, diplomatie, stratégie économique) repose souvent sur le détour, la feinte, l’esquive ; la réussite dépend aussi de l’ingéniosité et de la liberté de pensée. Raisonnement : Notre société retient le plus souvent la phrase et l’image choc, la synthèse, le résumé, la conclusion qui laisse dans l’ombre le cheminement intellectuel. Pourtant la recherche scientifique, la démarche pédagogique, la réflexion philosophique se fondent toujours sur les détours du raisonnement par essais et corrections, associations, analogies, tâtonnements, explorations, laissant place à l’errance et à l’erreur. Discours : À l’heure du mythe d’une communication immédiate et transparente, la société contraint toujours à des détours de langage (politesse, négociation, diplomatie), elle cultive l’argumentation indirecte (publicité, discours de séduction), elle continue à s’exprimer par les formes artistiques qui disent le monde de façon détournée. Tout discours est médiation. Du déplacement d’un point à un autre au voyage par les chemins de traverse, de la digression à l’enrichissement de la réflexion, de la solution immédiate au cheminement de la pensée, du choix de la ligne droite à l’acceptation du tâtonnement, d’une communication directe et efficace au langage des codes sociaux, de la diplomatie, de l’art, le détour n’est-il pas une modalité essentielle de la construction de soi et du comportement humain ? Indications bibliographiques Littérature Bouvier, “L’usage du monde”. Butor, “La Modification”. Cendrars, “Prose du transsibérien et de la petite Jeanne de France”. Diderot, “Jacques le Fataliste”. Dumas, “Le Comte de Monte-Cristo”, en particulier, chapitre CXIII. Juliet, “Lambeaux”, “L’inattendu”. Homère, “Odyssée”. Kerouac, “Sur la route”. Kundera, “La lenteur”. Laclos, “Les Liaisons dangereuses”. La Fontaine, “Fables”, en particulier “Les deux pigeons”, “Le lièvre et la tortue”, “Le pouvoir des Fables” . Melville, “Moby Dick”. Modiano, “Rue des boutiques obscures”. Montaigne, “Essai”, par exemple I, 23 ; I, 26 ; I, 50. Montesquieu, “Lettres persanes”. Platon, un dialogue philosophique (par exemple, “Criton”, “République” livre II). Rousseau, “Les Rêveries du promeneur solitaire”, par exemple deuxième et sixième promenade. Contes proposant un parcours initiatique, en particulier Ch. Perrault, “Les Contes”, “Le Petit Chaperon Rouge”, “Griselidis” . Paraboles évangéliques. Roman policier privilégiant le détour comme construction du récit, par exemple, Th. Jonquet, “La bête et la belle”, P. Bayard, “Qui a tué Roger Ackroyd ?” Théâtre : comédies et tragédies mettant en jeu les détours du langage : “Phèdre”, scène de l’aveu, “Les Femmes savantes”, acte I, scène 4, “Le Misanthrope”, acte I, acte IV, scène 3, “Le Jeu de l’amour et du hasard”, “Cyrano de Bergerac” (scène de la déclaration). Essais. Astolfi (J. P.), “L’erreur, un outil pour enseigner”, ESF, 1997. Barthes, “Fragments d’un discours amoureux”, 1977. Cailleux, Nodier, Taylor, “Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France” (premier guide touristique français). Caillois, Masson, “Bellone ou la pente de la guerre”, particulièrement 1ère partie, “La guerre et le développement de l’État”, 1963. Chaliand (G.), “Anthologie mondiale de la stratégie”, collection Bouquins, 2001. Deleuze (G.) et Guattari (F.), “Mille plateaux”, en particulier “Rhizome”, 1980. Gould (Stephen Jay), “Darwin et les grandes énigmes de la vie” (Points Sciences 1984), en particulier “Prologue” (p. 9-15) et première partie, “La saga de Darwin” (p. 19-46). Gould (St. J.), “Les quatre antilopes de l’Apocalypse” (le détour comme principe d’écriture de l’essai, p. 13-15, Seuil, 2000) Roche (D.), “Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages”, 2003 Anthologies du voyage, collection Bouquins (Italies, “Le Voyage en Égypte, Le Voyage en Russie”...) “La Vitesse”, ouvrage collectif (Baudrillard, Virilio...), Flammarion/Fondation Cartier, 1991. Films, documents iconographiques, bandes dessinées “Alice dans les villes”, W. Wenders, 1974. “Aprile”, N. Moretti, 1998,. “Babel”, Inarritu, 2006. “De l’autre côté”, F. Akin, 2007. “L’Esquive”, A. Kechiche, 2004. “L’homme sans passé”, A. Kaurismaki, 2002 . “Little Miss Sunshine”, J. Dayton et V. Faris, 2006. “My Blueberry nights”, Wong Kar Wai, 2007. “Saint Germain ou la négociation”, texte de Francis Walder (prix Goncourt 1958) et DVD, téléfilm de Gérard Corbiau, 2003. “Stalker”, Tarkovski, 1979. “Western”, M. Poirier, 1997 Séries télévisées policières, par exemple Colombo (R. Levinson et W. Link, 1968-2003) Arcimboldo, œuvres, par exemple : “Hiver ; Printemps, Été ; Automne” (Musée du Louvre) Escher, œuvres, par exemple : “Belveder ; House of stairs ; Relativity ; Up and down” (site http://www.mcescher.com) Pignon Ernest (E), interventions artistiques dans les villes, par exemple : “Naples I, II, III, IV” (1988-1995) Serra (R.), “La matière du temps”, Musée Guggenheim de Bilbao Sites Association Déroutes et détours (publication d’une revue en ligne et de carnets de voyage littéraires ou non)

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http://www.deroutes.com/ Carnets de voyage rédigés par des internautes globe-trotters http://www.odyssees.net/ Fédération Française de randonnée pédestre http://www.ffrandonnee.fr Guide du routard http://www.routard.com/ mag_dossiers Institut Curie http://www.curie.fr/fondation/ musee (biographie de Pierre et Marie Curie, histoire de leurs découvertes) http://education.france5.fr/ (les découvertes de Pierre et Marie Curie commentées par Pierre Gilles De Gennes) http://fr.wikisource.org/ (20 avril 1995)

Muller (Fr.), sur la pensée par le détour, http://francois.muller.free.fr/ Tomkiewicz (S.), directeur de recherche à l’INSERM, sur la pédagogie du détour, http://www.iufm.unice.fr/application/spip/IMG/pedagogie-detour.pdf Mots clés Domaine du voyage : déplacement, cheminement, errance, tours et détours, labyrinthe Domaine du langage quotidien : en cours de route, vaut le détour, chemin de traverse, école buissonnière, aller droit au but, par monts et par vaux, tous les chemins mènent à Rome, tourner autour du pot, tirer des bords, itinéraire bis Domaine de la temporalité : gain de temps, perte de temps, rapidité, rythme, vitesse, lenteur Domaine de la pensée : rigueur, rectitude, cheminement, expérience, contournement, détour théorique, analogie, recherche, hasard Domaine du discours : périphrase, ellipse, métaphore, digression, non-dit, langage de séduction, codes sociaux, langage diplomatique Domaine de l’action : orientation, stratégie, jeux de stratégie, négociation, technologies de l’information et de la communication Domaine de la réflexion philosophique : aléas, déterminisme, hasard, imprévu, liberté, programmation, prédestination

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1. Tableau comparatif : la synthèse et l’écriture personnelle2.

SYNTHESE ÉCRITURE PERSONNELLE C’est un compte rendu de lecture objectif et concis, sans aucune prise de position personnelle. L’emploi de « je » est exclu. Votre plan est lié à la nature des documents. Le document « premier » est celui qui formule le plus nettement le propos, celui qui vous sert de repère comparatif. La démarche de comparaison s’inscrit dans un bilan clair des convergences et des divergences ou des oppositions entre les documents. Les exemples sont ceux des documents, dans la mesure où ils vous paraissent essentiels et sont au centre du propos. La référenciation est omniprésente et scrupuleuse Vous ne contestez jamais les propos de tel ou tel expert, vous les relayez, vous les comparez. La formulation des sujets est de ce type : « Vous ferez la synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants… » Vous aurez bien pesé le sens des trois adjectifs !

C’est une prise de position personnelle, solidement inscrite dans une véritable « culture du thème ». L’emploi de « je » est possible, voire recommandé. Votre plan est un choix personnel, il est parfois imposé ou suggéré par le sujet. Le document « premier » est celui dont vous allez discuter le point de vue, le propos dont vous vous sentez le plus proche, ou le plus éloigné. Vous pouvez comparer tel ou tel point de vue, mais c’est pour en dégager une prise de position nette… et nuancée ! Les exemples sont empruntés à des sources très variées : le cinéma, vos lectures, des publicités, votre expérience, la presse, l’actualité, les documents du corpus, d’un dossier qui a pu vous être fourni, des recherches faites au CDI ou sur Internet, une encyclopédie… Les références sont plus ponctuelles, la référenciation peut être plus rapide. Vous pouvez contester tel ou tel propos, le nuancer, entrer dans une dynamique de contre argumentation. Vous avez intérêt à choisir une ligne argumentative, à prendre au terme de votre travail une position nette, à vous servir (pour les amplifier ou les contester) des arguments des documents du dossier. La formulation des sujets est de ce type : « Le détour est-il nécessairement lié à une perte de temps et d’efficacité ? Vous répondrez à cette question, en vous appuyant sur les documents du corpus et sur vos connaissances personnelles. » Cette précision ne sera pas faite sur un sujet d’examen mais vous l’aurez en tête au moment de rédiger votre travail : Vos connaissances, c’est-à-dire les lectures faites en cours, les films que vous avez vus et étudiés et votre expérience personnelle vous donneront le souci de l’exemple précis (plusieurs exemples approfondis, plusieurs séries d’exemples en facteur commun…) et la présence de citations pertinentes dans votre devoir sera appréciée. Vous avez toute liberté de composition pour ce travail d’écriture personnelle : dans tous les cas, la dimension argumentative est nette, et, j’insiste, l’intégration de références culturelles (Magritte, Norman Rockwell, Didier Daeninckx, Kévin Carter, Arcimboldo, Darwin, Platon…) est évidente. En bref, l'écriture personnelle doit montrer des connaissances issues du corpus ET des notions/documents vus en cours d'année et une opinion, en bref, répondre oui OU non. Les plans artificiellement ou sèchement antithétiques du type pour / contre me paraissent exclus.

2 Ce sont là des repères comparatifs à ne pas transformer en lois absolues. Il s’agit, notamment au début de la formation des étudiants, de leur apprendre à ne pas confondre les deux exercices.

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2. L’écriture personnelle.

2.1. Dictionnaire d’exemples : l’ABCédaire du détour

Mots clés (de la définition officielle du thème comme du cours de BTS), images de référence, petites balises mnémotechniques et invitations à penser : cet abécédaire doit définitivement vous éviter la panne sèche, le recours aux lieux communs façon conversations de bistro, la mauvaise excuse du « sujet nul » qui ne vous inspire pas.

Bref il faut le lire, se l’approprier, l’augmenter d’exemples personnels et surtout faire un choix qui sera adapté au sujet ensuite : vos devoirs pêchent souvent par manque d’exemples, mais il faut aussi qu’ils soient pertinents, correctement développés, clairement reliés à la problématique du sujet. C’était ici par exemple la notion d’essentiel, que vous comprendrez mieux par exemple en relisant plus loin la conférence des gros cailloux. Bonne lecture donc, et suivez les méandres un peu disparates, les zigzags de ce dictionnaire original : ce sera un excellent remue-méninges ! Et une invitation à relire tous les documents élaborés ou distribués dans l’année pour travailler ce thème : cet abécédaire est aussi une mémoire de tout ce que nous avons fait. Il manque quelques lettres à cet abécédaire : G, N, O, W, X, certaines autres sont associées à un simple /Eloge, F comme football… Un défi pour le compléter vous est donc lancé (on en trouvera quelques entrées dans la dernière page de ce dossier). Un autre défi vous est lancé : vous ferez vous-même, à partir de l’autre thème étudié cette année, un abécédaire incluant des références iconographiques légendées, des notes de synthèse à partir des documents étudiés en cours, des exemples personnels reliés à une problématique de la définition officielles du thème. A comme Arcimboldo (1527-1593) :

Souvenez-vous de ce Peintre qui à travers les quatre saisons (laquelle est-ce ci-dessus ?) donne une leçon très moderne de virtuosité, de composition, de détour par le portrait en même temps que la nature morte pour évoquer les saisons, les êtres et leurs drôles de formes.

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A comme Atlas imaginaire : Vous aviez élaboré pour le thème « faire voir… » une carte imaginaire (cf. ci-dessus le remarquable travail d’Amélie), à la fois bilan du thème et construction d’itinéraires personnels. Souvenez-vous des vertus conceptuelles et mnémotechniques, problématisantes et originales de cet exercice et de cet ouvrage, dans lequel nous nous étions arrêtés sur la carte « Passion » et sur le commentaire de cette carte : Louise Van SWAAIJ et Jean KLARE, L'atlas imaginaire - Notre continent intérieur, Paris, Autrement, 2000, 96 p.

PASSION, CARTE 10 - « Il ne brûle guère, celui qui peut dire combien il brûle. »

Cette phrase de Pétrarque touche à l'essence de la passion : incontrôlable, dévorante et brûlante, elle s'installe dans notre esprit désespéré, nous rend esclaves de nos sens et nous attire dans des zones où la raison déraisonne et où notre tête perd son sang-froid. Dans l'Antiquité, la poétesse Sappho exprimait ainsi cette confusion extatique :

… car dès que je t'aperçois un instant, il ne m'est plus possible d'articuler une parole : mais ma langue se brise, et, sous ma peau, soudain se glisse un feu subtil : mes yeux sont sans regard, mes oreilles bourdonnent, la sueur ruisselle de mon corps, un frisson me saisit toute ; je deviens plus verte que l'herbe, et, peu s'en faut, je me sens mourir.3

3 Cité par Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Paris, Seuil, 1977, p. 186.

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B comme Bleu de Prusse : La découverte accidentelle du bleu de Prusse est un exemple original de la façon dont, parfois, les découvertes scientifiques arrivent. Au début du XVIIIe siècle, à Berlin, un fabricant de couleurs nommé Diesbach produisait et vendait un très beau rouge. Pour fabriquer ce rouge il utilisait, entre autres ingrédients, de la potasse. Un jour, Diesbach alla s'approvisionner chez un chimiste du nom de Dippel. Cet homme peu scrupuleux lui vendit du carbonate de potasse frelaté. De retour à son atelier, Diesbach se servit de cette potasse pour faire précipiter une décoction de cochenille à laquelle il ajoutait du sulfate de fer. Ce jour-là, il n'obtint pas le rouge habituel mais un bleu profond magnifique. Ne comprenant pas, le fabricant de couleurs retourna chez son fournisseur pour obtenir un dédommagement. Dippel, devinant que sa potasse frelatée était responsable de la tournure des événements, comprit le potentiel commercial de ce nouveau bleu. Il s'employa à raffiner la recette de Diesbach et créa un bleu profond et stable qui s'appela d'abord bleu de Berlin avant d'être connu sous le nom de bleu de Prusse. Jusqu'à la découverte accidentelle du bleu de Prusse, les pigments utilisés pour peindre en bleu étaient soit rares et chers, comme le lapis lazuli, soit peu performants. Cela explique probablement pourquoi le bleu avait été si peu utilisé par les artistes et les teinturiers avant le XVIIIe siècle. Il semble que la découverte du bleu de Prusse ait joué un rôle assez important dans le gain de popularité du bleu au sein des cultures européennes du XVIIIe siècle, une popularité encore très forte par ailleurs. Références : Michel Pastoureau, Dictionnaire des couleurs de notre temps, Paris, Christine Bonneton, 1999, 255 pages, collection Symbolique et société. Bleu. Histoire d'une couleur, Seuil, 2000, 215 p. Michel Pastoureau et Dominique Simonnet, Le Petit livre des couleurs, éditions du Panama, 2005, 95 p. François Delamare et Bernard Guineau, Les matériaux de la couleur, Paris, Éditions Gallimard, 1999, 160 pages, collection Découvertes Gallimard. Source : d’après http://www.paintcafe.com/fr/propos/histoire/prusse/ B comme Blog de Marie Curieuse : Le « blog de Marie Curieuse », fait à la date du dimanche 19 octobre 2008 un éloge intéressant du détour. C’est l’occasion de rappeler qu’entre éloge - souvent poétique, et lié au voyage - ou blâme - fréquemment mis en relation avec l’idéologie de la performance et de la maitrise professionnelle du temps - les problématiques du détour ne sont pas l’affaire des seuls étudiants de BTS pour leur examen. Voici donc sous la plume de Marie Estelle, une belle invitation à penser, sinon à rêver : « Un billet du dimanche soir sur une lecture du samedi, trouvée au hasard de mes déambulations dans ma librairie préférée. Un billet qui n'est pas sans rapport avec l'emploi, puisqu'il s'agit du programme de français/ culture générale et expression du BTS, 2009-2010 (Thème 2) : le détour. Incroyable ! J'étais tellement stupéfaite devant l'étal de livres et fiches "pratiques" (rayon économie, management, prépas) de voir apparaître le mot "détour" que je n'ai pu m'empêcher d'en discuter avec la libraire (qui, soit dit en passant, avait sans doute du mal à comprendre mon enthousiasme). D'ailleurs oui... pourquoi cet enthousiasme ? Parce que nous sommes à une époque d'efficacité et de droite ligne, et que je ne m'attendais pas à trouver ceci dans le Bulletin officiel N°10 du 6 mars 2008 du Ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche : " Problématique : A l'heure des autoroutes, des TGV, des GPS, et d'Internet, le détour est vécu comm une perte de temps insupportable. Aller droit au but semble être une règle, une norme admise par tous. Pourtant, le détour est une modalité du voyage, de l'action, du raisonnement, du discours. Le détour, même au risque des pertes qu'il peut engendrer, apprend et enrichit. Il peut être un art de vivre." Et la suite est tout autant réjouissante. On y évoque la liberté, le temps, le voyage (un parcours qui "mérite le détour" ou "au détour du chemin"), le labyrinthe, la digression, l'étonnement, la subtilité, la diplomatie, le contournement, l'errance, la courbe.... Une vraie merveille, tant du point de vue du raisonnement que de l'action. […] Ce pourrait-il que l'on (on = quelque chose du politique, et en tout cas de l'éducation) commence à comprendre que l'attaque frontale du monde actuel n'est pas toujours la bonne ? Aurait-on des velléités d'éduquer le regard, d'ouvrir les esprits, de changer de stratégie ? La pensée asiatique serait-elle passée par là ? Que se passera-t-il si des jeunes gens en BTS commencent à penser, un peu, autrement et enrichissent ainsi le monde de l'entreprise avec des approches, un peu, différentes ? […] Je trouve tout cela plutôt réjouissant : penser à sortir de l'immédiat et du direct pour envisager la distance et la courbe ! Et vous ? Que pensez-vous du détour ? http://mariecurieuse.blog.ouestjob.com/index.php/post/2008/10/19/Le-detour

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C comme Carnet de voyage : Je vous rappelle que la définition officielle du thème donne plusieurs références liées au voyage et à la fécondité du sens « géographique » du mot détour (cf. aussi bien sûr Alain et Nerval pour des exemples littéraires) : Association Déroutes et détours (publication d’une revue en ligne et de carnets de voyage littéraires ou non) : http://www.deroutes.com/ Carnets de voyage rédigés par des internautes globe-trotters : http://www.odyssees.net/ Fédération Française de randonnée pédestre : http://www.ffrandonnee.fr Guide du routard : http://www.routard.com/ mag_dossiers Nicolas Bouvier, L’usage du monde. Cette fécondité du voyage peut aussi être illustrée par la citation paradoxale et le clin d’œil ironique de Rabbi Nachaman de Braslaw : « Ne demande pas ton chemin à celui qui le connaît, tu risques de ne pas t'égarer ». On la trouvera en même temps qu’un dossier « Routes du monde » sur ce blog : http://expressionbts.canalblog.com/tag/vocabulaire Vous trouverez au CDI du lycée une sélection de beaux carnets de voyage, à feuilleter avec admiration, la tête dans les nuages et le cœur en escapade. C comme Christophe Colomb : La référence à Christophe Colomb est un clin d’œil historique et géographique possible. En, effet, nous savons tous que, lorsqu’il découvrit l’Amérique, en 1492, les indiens qui vivaient sur ces territoires n’étaient pas ceux de l’Inde véritable qu’il cherchait, mais le nom leur est resté. On peut donc arriver à l’essentiel en faisant un vaste détour, on peut trouver un nouveau territoire en cherchant un raccourci pour établir une nouvelle route commerciale pour les épices : le monde, grâce à un grand marin génois au service de la reine Isabelle de Castille, venait de s’agrandir. C comme Conférence des gros cailloux (petit récit édifiant, ou apologue*).

LA CONFÉRENCE DES GROS CAILLOUX Un jour, un vieux professeur de l’école nationale d’administration publique fut engagé pour donner une

conférence sur la planification efficace de son temps à un groupe de dirigeants de grandes compagnies nord-américaines. Ce cours constituait l’un des cinq ateliers de leur journée de formation. Ce professeur n’avait donc qu’une heure pour faire passer son message.

Debout, devant ce groupe d’élite qui était prêt à noter tout ce que l’expert allait enseigner, le professeur les regarda un par un, lentement, puis leur dit : « Nous allons réaliser une expérience ». Sous la table qui le séparait les élèves, le professeur saisit un immense pot de verre qu’il posa délicatement en face de lui. Ensuite, il prit une douzaine de cailloux à peu près gros comme des balles de tennis et les plaça délicatement, un par un, dans le grand pot. Lorsque ce pot fut rempli jusqu’au bord et qu’il fut impossible d’ajouter un caillou de plus, il leva lentement les yeux vers ses élèves et leur demanda : « est-ce que ce pot est plein ? » Tous répondirent ; « Oui ». Il attendit quelques secondes et ajouta : « Vraiment ? ». Alors il se pencha de nouveau et sortit un récipient rempli de gravier. Avec minutie, il le versa sur les gros cailloux puis brassa légèrement le pot. Les morceaux de gravier s’infiltrèrent entre les cailloux… jusqu’au fond du pot. Le vieux professeur leva à nouveau les yeux vers son auditoire et redemanda : « Est-ce que ce pot est plein ? » Cette fois, ses brillants élèves commençaient à comprendre son propos. L’un d’eux répondit : « probablement pas ! ». « Bien ! » répondit le professeur. Il se pencha de nouveau et cette fois sortit un récipient rempli de sable. Avec attention, il le versa dans le pot. Le sable alla remplir les espaces entre les gros cailloux et le gravier. Une fois encore, il demanda : « Est-ce que ce pot est plein ? » Cette fois, sans hésiter et en chœur, les brillants élèves répondirent : « Non ! ». « Bien » répondit le vieux professeur. Et comme s’y attendaient ses prestigieux élèves, il prit le pichet d’eau qui était sur la table et remplit le pot jusqu’au bord. Il leva alors les yeux vers son groupe et demanda : « Quelle grande vérité nous démontre cette expérience ? Pas fou, le plus audacieux des élèves, songeant au sujet de ce cours, répondit : « Cela démontre que même lorsque l’on croit que notre agenda est complètement rempli, si on le veut vraiment, on peut y ajouter des rendez-vous, planifier toujours plus d’activités ». « Non » répondit le professeur « Ce n’est pas cela. La grande vérité que nous démontre cette expérience est la suivante : si on ne met pas les gros cailloux en premier dans le pot, on ne pourra jamais faire entrer tout le reste ensuite. » Il y eut un profond silence, chacun prenant conscience de l’évidence de ces propos. Le vieux professeur leur dit alors : « Quels sont les gros cailloux dans votre vie ? Votre famille ? Vos amis ? Réaliser vos rêves ? Faire ce que vous aimez ? Prier ? Aimer ? Apprendre ? Défendre une cause ? Aider les autres ? Prendre le temps ? Ou… tout autre chose ? Donnez priorité aux peccadilles (le gravier, le sable, pour ceux qui n’auraient pas bien compris…) et vous remplirez votre vie de futilités, vous n’aurez plus suffisamment de temps précieux à consacrer aux éléments importants de votre vie.

D’un geste de la main, le vieux professeur salua son auditoire et quitta la salle.

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En cherchant dans un dictionnaire le sens du mot « apologue » (si vous ne le connaissez pas), ou en lisant à la fin de ce dossier la fable de La Fontaine intitulée « Le pouvoir des fables », ou en relisant dans notre séquence « le détour de la littérature » la belle et terrible leçon d’Histoire et d’Humanité donnée par Vercors dans la nouvelle Ce jour-là, vous comprendrez comment le détour d’un récit, même aussi simple que la « Conférence des gros cailloux » peut être efficace, et parler à chacun. Ce récit circule sur le web sans nom d’auteur, il m’a été communiqué par un ingénieur informaticien, je l’ai légèrement réécrit et je vous suggère un petit exercice : ce texte serait plus efficace encore si on l’arrêtait à « chacun prenant conscience de l’évidence de ces propos ». Pourquoi ? D Comme Duchamp (Marcel, 1887 –1968) :

Fontaine, 1917/1964. Faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture, 63 x 48 x 35 cm. Titre attribué : Urinoir. L'original, perdu, a été réalisé à New York en 1917. La réplique a été réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz, Milan et constitue la 3e version. Cette Fontaine est la plus célèbre des œuvres d’un artiste qui s’appelle Marcel Duchamp (1887-1968) Ce « ready-made » terme qui signifie littéralement « tout fait » (Duchamp a aussi « détourné » une roue de bicyclette, un porte bouteille) devient une oeuvre d’art dès lors que l’artiste y appose sa signature. La « fontaine » a donné lieu à un grand nombre d'interprétations, d'écrits, voire de manifestations ou de tentatives de vandalisme. Comme nous le raconte le site www.centrepompidou.fr, à l'origine Duchamp achète cet objet, un urinoir ordinaire, pour l'envoyer au comité de sélection d'une exposition dont les organisateurs s'engagent à exposer n'importe quelle œuvre dès lors que son auteur participe aux frais. Faisant lui-même partie de ce comité organisateur, il souhaite éprouver la générosité de son principe. Federico Poletti, dans L’Art au XXe siècle, Hazan, p. 116, précise que le pseudonyme de R. Mutt prête à nombre d’interprétations et de jeux de mots : le mot anglais « mutt » signifie aussi « crétin » et c’est le véritable nom d’un fabricant de sanitaires de l’époque. Le détournement de fonction de l’objet choisi crée donc un étonnement, une provocation, un déplacement esthétique, bref, une œuvre d’art ! E comme Esquive…

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L’Esquive est un film réalisé par Abdellatif Kechiche et sorti en 2004. Durée : 1h 57min. Abdelkrim, 15 ans, vit dans une cité banale de banlieue parisienne. Hors du rêve qu'il caresse avec sa mère et son père (détenu) de partir en mer sur un voilier, ses journées sont rythmées par l'ennui. Advient Lydia, jolie et malicieuse jeune fille éprise de théâtre, dont il tombe fou amoureux. Afin de se rapprocher d'elle, il enchaîne les stratagèmes, et va jusqu'à partager avec elle l'affiche d'une pièce de Marivaux, montée en classe... Source : http://www.evene.fr/culture/agenda/l-esquive-de-abdellatif-kechiche-882.php « D'un regard l'autre » Ces critiques de ce film permettront de comprendre quel lien on peut faire entre le détour et le propos de ce film, qui dit l’aveu impossible de l’amour entre deux « langages » et deux mondes parfois brutalement confrontés, celui de la banlieue et celui de Marivaux, dans une pièce qui s’appelle Le Jeu de l’amour et du hasard (1730). René Prédal : (...). L'excellente idée du scénario est d'avoir choisi Les jeux de l'amour et du hasard où valets et maîtres échangent leurs rôles sans parvenir pour autant à supprimer l'ancrage irrémédiable de leurs classes originelles. C'est pourquoi le déguisement qui avive les passions mais ne saurait transformer les esprits et les coeurs ne réussira pas davantage à Krimo qui "rachète" à Arlequin son rôle pour essayer de se faire aimer de Lydia". (...) (Jeune cinéma, n° 287) Vincent Thabourey : " (...) Parallèlement au spectacle, une histoire d'amour se dénoue, une autre est en suspens et des amis fâchés se réconcilient. Que cette image béate ne trompe personne. Ce passage éclair dans le registre du merveilleux ne doit pas faire oublier que la ville reste un lieu de violence. Si les séquences qui l'évoquent sont peu nombreuses, elles revendiquent presque le statut "d'images chocs" (...). L'Esquive est avant tout une comédie qui joue sur les oppositions et qui fonctionne grâce aux allers-retours permanents entre deux langues que tout sépare, deux langues dont la confrontation, parfois rugueuse, est une vraie trouvaille comique et d'où le mépris est absent (...). (Positif, n° 515) D’après http://www.cine-studies.net E comme Errance E comme Eloge F comme Football G comme H comme Hasard (Fleming, Bleu de Prusse, Post it…) On connaît le hasard qui permit à Fleming de découvrir le champignon penicillium à l’origine de nos antibiotiques. Outre l’exemple du bleu de Prusse, cité ci-dessus, on retiendra aussi le rôle du hasard (et donc du détour…) dans l’invention du post it. « Au tout début des années 1970, Spencer Silver travaillait dans les laboratoires de recherche de la société 3M. Par hasard, il mit au point un type de colle aux propriétés particulières : elle n'adhérait que très peu et ne laissait aucun résidu. Personne ne sut quoi faire de cette colle, mais Silver décida de la garder dans un coin et d'en parler autour de lui, au cas où quelqu'un lui trouverait une application. Quelques années plus tard, en 1974, un collègue de Silver, Arthur Fry, était embêté avec son livre de chant à l'église. En effet, le marque-page qu'il utilisait n'arrêtait pas de tomber. Il pensa donc à la colle inutile mise au point par son collègue, en appliqua sur un morceau de papier et s'en servit comme marque-page, qu'il pouvait enlever et déplacer à souhait sans abîmer son livre de cantiques. Rapidement, Fry se rendit compte que son invention pouvait avoir des applications bien plus diverses que celle de simples marque-page : c'était bel et bien un nouveau moyen de communication ! La société 3M déposa la marque "Post-It" et la commercialisa dès la fin des années 1970. C'est aujourd'hui l'un des équipements de bureau les plus utilisés au monde. » Source : d’après http://www.linternaute.com I comme Industrie recrute.com Cf. ci-dessous et dans le corrigé de la synthèse comment cette publicité est une belle illustration d’un « blâme du détour » et d’un éloge de la ligne droite. Insistons : l’une des problématiques essentielles de l’étude du thème est cette tension entre éloge et blâme.

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J comme Junhino Ce joueur de l’équipe de Lyon, d’origine brésilienne, est considéré, et il le prouve régulièrement, comme l’un des meilleurs tireurs de coups francs au monde. Son art des effets et des trajectoires : à droite à gauche ou au dessus du « mur » des défenseurs, illustre parfaitement à quel point la ligne droite n’est pas le chemin le plus court pour aller au but et je sus sûr que certains trouveront d’autres exemples pour nourrir la rubrique « football » ci dessus. K comme Kafka, La Métamorphose, Jack Kerouac, Sur la route ou Milan Kundera, La lenteur. A vos lectures ! L comme Lambeaux, 1995. Cette œuvre autobiographique de Charles Juliet (né en 1934) est un hommage à sa mère, dont il reconstitue la vie et le destin tragique en l’écrivant à la deuxième personne du singulier. Et ce détour pour ne pas écrire à la première personne, ou à la troisième, fait toute la valeur et la force émotive de cet hommage. Ne pas écrire à la première personne parce que la mère trop tôt disparue n’a pu écrire sa vie, éviter la troisième parce qu’elle eût été trop distante, là est tout le génie de Charles Juliet pour mener à bien son entreprise d‘hommage et de mémoire. Extrait :

La peur. La peur a ravagé ton enfance. La peur de l'obscurité. La peur des adultes. La peur d'être enlevé. La peur de disparaître.

Le matin, à l'aube, quand tu mènes tes vaches paître, et que loin du village, longeant des bois, tu t'enfonces dans la campagne déserte et silencieuse, tu ne cesses d'être aux aguets, de te retourner, de scruter le moindre buisson, de surveiller ce qui t'est proche tout en promenant un regard circulaire sur les lointains. Pour te rassurer, tu te tiens au plus près de tes vaches. Tu as cet espoir que peut-être elles pourraient te défendre. Parfois, à voix basse, pour ne pas alerter le voleur d'enfants qui s'apprête à bondir et se saisir de toi, tu leur parles. Le son de ta voix t'aide à te sentir moins seul, moins menacé, et la présence des bêtes te réconforte.

Mais le pire, ce sont ces soirs d'hiver où il faut aller chercher du vin à la cave. Chaque pas, chaque geste mis au point en vue de ne pas faire durer la terrible épreuve une

seconde de plus. Sortir, plonger dans la ténèbre, traverser la cour, ouvrir la porte d'une main ni trop lente ni trop

rapide, éclairer, dévaler les escaliers avec ce sentiment que tu t'enfonces graduellement dans l'abîme, la lumière avare qui n'éclaire qu'un faible espace et laisse dans l'ombre le tonneau près duquel tu dois attendre interminablement que ton pot se remplisse, le robinet haï qui ne laisse couler qu'un mince filet noir, le sang qui bat aux tempes, les oreilles qui bourdonnent, puis remonter, t'empêcher de gravir les marches quatre à quatre, veiller à ce que le vin ne s'échappe pas du pot tenu par une main qui tremble, éteindre, refermer précautionneusement la porte, mais la serrure qui grince et risque de signaler ta présence, la cour traversée en trois bonds, la lumière retrouvée de la cuisine, attendre un instant dehors appuyé contre le mur, reprendre haleine, laisser le cœur se calmer, retrouver la possibilité d'entendre et de parler, puis bravement pousser la porte et reprendre ta place à table comme si rien ne s'était passé. Chaque fois, terrifié. Chaque fois dans un tel état que tu t'approchais de la folie.

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L comme Little miss Sunshine, J. Dayton et V. Faris, 2006. Dans ce road movie réjouissant, roman d’apprentissage d’une famille d’abord un peu éclatée et en crise, puis réunie sur la scène d’un concours de “mini miss” californien pour une danse finale hilarante, le détour est aussi celui d’une fiction qui permet une satire de la société américaine. A découvrir absolument dans votre salle de cinéma art et essai ou en DVD.

Voici pour rappel les six membres de cette famille un peu originale : Nom Acteur Phrase : Le père Richard Hoover Greg Kinnear Nous sommes des winners. 9 étapes

pour l’accomplissement personnel. La mère Schéryl Hoover Toni Collette Quoiqu’il arrive, nous sommes une

famille. Le fils Dwayne Hoover Paul Dano I hate everyone. Welcome to hell.

Il faut faire ce qu’on aime, et le reste on s’en fout.

La fille Olive Hoover Abigaïl Breslin Dis grand-père, est-ce que je suis belle ? Le grand père Edwin Hoover Alan Arkin Tu es indiscutablement belle. Tu es

vraiment belle, dedans et dehors. L’oncle (frère de la mère) Franck Steve Carell Je suis le meilleur spécialiste de Proust

aux Etats-Unis. L comme Labyrinthe Il en est aussi aujourd’hui de Maïs, visitables entre juin et septembre et souvent agrémentés d’épreuves, de contes, de circonvolutions de la mémoire, d’éclats de rires et de petites angoisses de se perdre… A l'origine, c'était le nom du palais du roi Minos de Crête, où était enfermé le Minotaure. C’est l’architecte Dédale qui le construisit et qui montra à Ariane comment Thésée pourrait en sortir (grâce au fil d'Ariane). La symbolique du labyrinthe s’enrichit au Moyen âge, où l’on figure sur le dallage des églises ou des cathédrales des labyrinthes dont la finalité ne consiste pas à égarer ceux qui s’y engagent : les méandres de cet itinéraire complexe invitent à un voyage intérieur, à une épreuve initiatique. Il peut être présenté comme un chemin symbolique vers la Jérusalem céleste, ville sainte et demeure de Dieu, lieu spirituel idéal. C'était aussi un substitut du pèlerinage en Terre Sainte : ceux qui ne pouvaient faire le pèlerinage réel le parcouraient à genoux, en imagination. Contrairement aux labyrinthes de l'Antiquité, les labyrinthes d'églises sont à une seule voie, on ne peut se perdre en suivant leurs méandres : en entrant dans le labyrinthe, on parvient, au bout d'un certain temps, au centre. Ils représentaient donc bien un parcours initiatique, une épreuve de foi. L’un des plus célèbres est le labyrinthe de la cathédrale d'Amiens. Créé au XIIIe siècle, il est de plan octogonal et fait 234 m de long. La pierre centrale représente une croix indiquant les points cardinaux. Le pavage du sol a été refait à l'identique au XIXe siècle. La pierre centrale, quant à elle, porte les figures de l'évêque et des trois maîtres d'oeuvre, qui sont incrustés en marbre blanc. Autour de la pierre centrale, il y a une bande de cuivre, sur laquelle était inscrit le texte fondateur du labyrinthe.

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M comme Mnémosyne La déesse grecque de la mémoire est Mnémosyne, fille d'Ouranos (le Ciel) et de Gaïa (la Terre). Aimée de Zeus, de qui elle conçut les neuf Muses, elle s’accommode facilement à une référence au détour : les trucs mnémotechniques (et non « mémotechniques* »), dont le plus connu est le noeud au mouchoir de nos grand-mères, sont en effet un « détour » pour mieux se souvenir, un jeu d’association d’idées qui garantit l’inscription en mémoire d’un chiffre ou d’un fait important. On associera un numéro de carte bleue à un évènement historique, une rencontre à un parfum, un souvenir à une sensation, le goût d’une madeleine trempée dans le thé à une puissante réminiscence de l’enfance (Proust). M comme Métaphore Souvenez-vous de la manière dont Albert Jacquard répondait à la question « Suis-je intelligent ? » « On n’ «est » pas intelligent, on le devient ; - il est très facile de ne pas devenir intelligent, la recette est simple : s'assoupir dans la passivité des réponses apprises, renoncer à l'effort de formuler ses propres questions ; - Devenir intelligent c’est suivre la voie inverse, c'est procéder au dressage de cet animal rétif, paresseux, qu’est notre cerveau » La métaphore de l’animal rétif, c’est-à-dire résistant, indiscipliné, peu enclin à faire ce qu’on lui demande est un détour pour exprimer l’effort que demande l’accès à l’intelligence. Vous aurez sans doute d’autant mieux retenu cette leçon de morale, donnée lors du premier cours de l’année, que vous aurez goûté les vertus de l’analogie, les subtilités de la comparaison ! Le détour est affaire de langue, il est créateur et nous accompagne de son verbe poétique, même lorsque, en certains jours de tristesse, nous pleurons, car « les larmes sont les pétales du cœur » (Paul Eluard). N comme… O comme… P comme Platon L'allégorie de la caverne est une allégorie très célèbre exposée par Platon dans le Livre VII de La République. Elle met en scène des hommes enchaînés et immobilisés dans une demeure souterraine qui tournent le dos à l'entrée et ne voient que leurs ombres et celles projetées d'objets au loin derrière eux. Elle expose en termes imagés la pénible accession des hommes à la connaissance de la réalité, ainsi que la non moins difficile transmission de cette connaissance. Souvenez vous aussi du discours d'Aristophane dans Le Banquet du même Platon. Il est passé dans la tradition sous le nom du "mythe de l'Androgyne". L'auteur explique qu'à l'origine, l'homme était double, comportait deux têtes, quatre bras, quatre jambes, et deux sexes, respectivement masculins, féminins, ou masculin et féminin. Zeus dans un instant de colère ayant tranché en deux cet être à la fois double et singulier, chaque partie mutilée cherche désormais sa moitié : c'est l'explication de la quête amoureuse et du désir de fusion, nostalgie de l'état originel, qu’on trouve dans l’amour. P comme Pop art D’Andy Warhol à Che Guevara, vous avez quelques références liées au « pop art ». Il ne vous reste qu’à faire le lien au détour ! Q comme Qui a tué Roger Ackroyd ? Ce roman d’Agatha Christie, publié en 1926, et dont le titre exact est Le Meurtre de Roger Ackroyd utilise un détour narratif qu’il est hors de question de vous dévoiler : à découvrir absolument ! R comme Road movie * Le terme road movie désigne un genre cinématographique. Les road movies sont des « films sur la route ». Le lieu de l'intrigue est la route elle-même et pas les lieux qu'elle traverse. Au niveau littéraire, on trouve des récits où le voyage tient lieu d'intrigue dès l'Antiquité, L'Odyssée d'Homère est le plus célèbre (c’est plutôt un « sea movie » d’ailleurs !). On peut aussi mettre en relation le road movie avec le roman d’apprentissage. On peut voir la route comme une métaphore du temps qui défile, de la vie avec ses rencontres et ses séparations ; en accélérant, on s'approche de la rencontre suivante, comme si on accélérait le temps. Les road movies représentent souvent une quête initiatique des personnages, qui vont mûrir au fil de

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leurs rencontres et de leurs expériences et devenir « adultes », le voyage est alors un rite de passage. Enfin, la route symbolise soit la liberté de mouvement et donc les libertés individuelles, soit l'exil, la souffrance, l'errance. Cette image de la route est particulièrement importante aux Etats Unis, où les grands espaces et la conquête de l’Ouest lointain (le far West) ont forgé une identité. L’un des plus célèbres road movies est Easy rider, dont voici un résumé : Film américain réalisé par Dennis Hopper en 1969. Ce road movie est devenu depuis l'emblème de la génération hippie des années 60. Il raconte l'échappée de deux jeunes motards, Wyatt (Peter Fonda) et Billy (Dennis Hopper), qui après avoir vendu une grosse quantité de drogue, décident d'aller à la Nouvelle-Orléans pour voir le Mardi gras. Durant leur traversée des États-Unis, les protagonistes vont rencontrer une communauté hippie et leur mode de vie. Participant illégalement à un défilé, ils se retrouvent rapidement en prison où ils rencontrent George Hanson (Jack Nicholson), celui-ci se joignant à eux par la suite. Les trois compères vont alors découvrir l'Amérique profonde, raciste et conservatrice, qui refuse l'évolution des années 60.

S comme Schéhérazade

Les Mille et Une Nuits est un recueil d'origine persane (VIIIe et IXe siècles) qui contient un ensemble complexe de contes et de personnages. La première traduction française est l'œuvre d'Antoine Galland et fut publiée de 1704 à 1717. Le sultan Shariar, déçu par l'infidélité de son épouse, la fait mettre à mort, et, afin d'éviter d'être à nouveau bafoué, il décide d'assassiner chaque matin la femme qu'il aura épousée la veille. Schéhérazade, la fille du grand vizir, se porte alors volontaire pour épouser le sultan et invente un stratagème pour faire cesser le massacre : habile conteuse, chaque nuit, elle raconte au sultan un fragment d'histoire dont la suite est reportée au lendemain. Le calife dont la curiosité est excitée ne peut se résoudre à tuer la jeune femme ; il reporte l'exécution de jour en jour afin de connaitre la suite du récit commencé la veille. Peu à peu, Shéhérazade gagne la confiance de son mari. S comme Seigneur des anneaux Les amateurs sauront mettre en relation le détour et le personnage de Frodon, porteur de l’anneau. S comme Synonymes Détour : ambages, anfractuosité, angle, artifice, astuce, bande, biais, boucle, circonlocution, circonvolution, circuit, coin, complication, contour, coude, courbe, crochet, dédale, dérivation, déviation, digression, diversion, évitement, faux-fuyant, finasserie, fuite, histoire, hypocrisie, labyrinthe, lacet, louvoiement, manège, manigance, méandre, moyen, mystère, nature, obliquité, parade, périphrase, phrase, repli, ruse, secret, sinuosité, subterfuge, subtilité, symbole, tergiversation, tour, tournant, tripotage, truc, virage, voie, zigzag. Antonymes : droiture, franchise, raccourci, simplicité détourner : abandonner, altérer, arracher, confisquer, conjurer, corrompre, débaucher, déconseiller, décourager, dégoûter, dénaturer, déplacer, dépréder, déranger, dériver, dérober, dérouter, désabuser, désaffectionner, détacher, dévier, dévoyer, dilapider, dissuader, distraire, divertir, écarter, égarer, éloigner, éluder, empêcher, enlever, escroquer, esquiver, éviter, extorquer, filouter, forcer, fourvoyer, négliger, obliquer, parer, perdre, piller, préserver, prévenir, rabattre, s'approprier, s'égarer, séduire, se rabattre, solliciter, soustraire, tordre, torturer, tourner, voler. Antonymes : apprêter, attirer, braquer, conseiller, convertir, encourager, engager, exciter, exhorter, exposer, fixer, inciter, pousser, respecter Source : http://www.crisco.unicaen.fr/cgi-bin/cherches.cgi Plusieurs réseaux sont présents dans cette liste de synonymes. Je vous invite à les penser à partir de deux catégories lexicales : mélioratif (ou laudatif) / péjoratif et espace / procédé ou manipulation.

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T comme TGV Pro La publicité SNCF qui figurait dans le sujet a suscité de nombreuses critiques, en voici trois parues sur la « planète blog ».

[…] 1. http://heloim.sinclair.over-blog.com/article-13481904.html Sauf qu’il ne faudrait pas enfermer les voyageurs dans des clichés éculés et réducteurs. La nouvelle campagne de l’offre pro me laisse un goût amer. Et vous ? Que provoque ce « qui ne gare pas assez vite sa voiture rate son tgv, rate sa réunion, rate son augmentation, rate sa carrière, rate sa vie … ». Le tout en majuscule svp, avec en cliché un urbain stressé qui va bigrement apprécier sa place de parking réservée, pour ne pas rater sa vie. Mais enfin, ce Luc de la légende ferroviaire, est-il représentatif de mes voisins de wagon ? Ces communicants pensent ils vraiment ce qu’ils écrivent ? Comment peut-on prétendre qu’un tgv raté va vous faire rater votre carrière et votre vie ? Faut-il matraquer les petits soldats du capitalisme qui voyagent en 1ère et usent leur fond de culotes dans les salons grands voyageurs, à coup de propagande ultralibérale pour les attirer ? La Sncf est-elle devenue un porte-voix de l’idéologie droitière ? N’y aura-t-il pas un effet boomerang au prochain jour de grève, de la part de ces mêmes voyageurs qui ne voudront pas rater leur vie à cause des trains bloqués en gare ? * […] Avalant plus de 25 000 kilomètres de rail par an, de réunions en groupes de travail et colloques, je rate quelques fois mon train. Je peste devant ces bornes à billets assaillies de voyageurs du week-end, habitué à prendre le tgv comme un rer. Je comprends les revendications de ces cheminots qui bloquent quelques fois le flux des circulations ferroviaires, générant une belle pagaille et une réorganisation ponctuelle du travail des gens du privé pour l’occasion. Est-il liquidé, ce temps où « ne pas gâcher sa vie à la gagner » fleurissait sur les murs ? Pourquoi la saison est-elle à monter les gens ordinaires les uns contres les autres ? […] Comme client « très grand voyageur », dois-je accepter sans protester cette pub de la Sncf, qui plus est payée avec l’augmentation de mon billet de quelques euros ? 2. http://lucie.bombled.com/bombledoblog/index.php/2007/11/25/371-rate Il aurait presque pu avoir une tête de héros américain, mais ses traits manquent de ce je ne sais quoi qui vous rend immédiatement reconnaissable. Il a un visage régulier mais quelconque, des yeux d’une couleur indéfinissable et une veste gris clair. Il est assis dans sa voiture, saisi d’une angoisse sourde. Il n’a pas enlevé sa ceinture ni esquissé un mouvement pour s’échapper du véhicule à l’arrêt. Il regarde devant lui au-delà de ce qu’il voit. C’est sans doute lui qui vous a empêché de tourner la page, après votre œil est remonté sur les quelques lignes au-dessus. C’est écrit en capitales, comme la peine, d’un mauve lilas : QUI NE GARE PAS ASSEZ VITE SA VOITURE / RATE SON TGV / RATE SA REUNION / RATE SON AUGMENTATION / RATE SA CARRIERE / RATE SA VIE... Après il y a quelques lignes pour faire passer la pilule et le logo de la SNCF qui vend un des services de sa gamme Pro. Et puis l’astérisque de rigueur parce que c’est un service “soumis à condition”. Je ne sais pas vous mais je suis restée un moment interdite en voyant la publicité. Peut-être que je n’ai pas assez peur pour que ça me touche, ou que toute cette angoisse qu’on nous insuffle m’inciterait à plutôt fuir. Finalement, ça donne envie de se mettre au vélo. 3. http://seraphim.over-blog.com/archive-12-2007.html S'arrêter pour réussir sa vie Avez-vous vu la dernière campagne de publicité de la Société nationale des chemins de fer français ? Son slogan m'a tout bonnement laissé pantois, éberlué, ébahi, stupéfait, carrément « scotché » ! Je vous le livre, sans détour, sans ambages ni circonlocutions : « Qui ne gare pas assez vite sa voiture, rate son TGV, rate sa réunion, rate son augmentation, rate sa carrière, rate... sa VIE! » Fallait oser! Avec la SNCF, décidément, tout est possible

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! « Humour », « clin d'œil », se défendront les « fils de pub » qui ont concocté cette campagne à l'intention des travailleurs « speedés », stressés et débordés qui rament pour attraper la rame... du nouveau « TGV pro » ! La pub est souvent un bon miroir de l'air du temps et les publicitaires ne font, généralement, que révéler, en les mettant malicieusement en boîte, nos manières de vivre. Dans notre société « performante », le tempo obligé semble désormais être la course. Voici l'essoufflement élevé au rang de sainte vertu laïque ! Depuis le plus haut sommet de l'Etat, tout le monde court, doit courir, devrait courir. Il nous faut des agendas qui débordent, des boîtes « mail » qui croulent, des répondeurs qui frisent l'indigestion, du « haut-débit » bientôt directement greffé sur le cœur pour nous sentir « performants ». Voici que l'hyperactivité compulsive est devenue un gage d'efficacité et de compétence. Alors, en cette traditionnelle période de vœux, je voudrais vous faire, amie lectrice, ami lecteur, l'éloge... de la lenteur ! Puis-je - « vite fait sur le gaz » entre mon jogging et une réunion hyper-importante (!) - vous faire, en guise de Très Grands Vœux 2008, l'apologie, le panégyrique, le dithyrambe, la réclame du... « lent », du «tortillard », de l'omnibus, de la route secondaire, du chemin vicinal ? Lorsqu'elle raconte l'épisode du buisson ardent, la Bible dit qu'Abraham fit un « détour » pour essayer de comprendre le mystère de ce feu qui ne se consumait pas. Eh bien, c'est ce que je vous propose : le « détour » comme art de vivre, le chemin de traverse comme itinéraire de sagesse... L'Evangile ne nous dit pas si le Samaritain n'avait pas trouvé, ce matin-là, de place au parking. Une chose est sûre : s'il était monté, en courant comme d'habitude, dans le train-train « surbooké » de son quotidien, il n'aurait sans doute pas vu, et donc pas secouru, le blessé dans le fossé. Or, ce blessé, aujourd'hui, c'est aussi notre âme qui, sur le bord du ballast, crève de voir si souvent passer, à grande vitesse, le train de notre propre existence ! La « course » de nos vies « modernes » nous contraint souvent à vivre à la surface de nous-mêmes, toujours entre deux gares, deux » trains, deux réunions, deux engagements... Il nous faut d'urgence cultiver l'art de l'arrêt, de l'escale, de la mise à quai, de la marche à pas lents, du recueillement qui laissera enfin à l'Eternité le temps d'attraper la rame de notre humanité essoufflée. Peut-être qu'en ratant ce fichu train, le « héros » de notre pub s'est tout bonnement donné le moyen de réussir - à défaut de « carrière » - sa vie ? Allez savoir ! Bertrand Révillon. Panorama, janvier 2008. U comme V comme Vaut le détour W comme X comme Y comme Ysopet Dans la littérature du Moyen Âge, un ysopet est recueil de fables, généralement inspirées d'Ésope. Le lien du détour aux fables est facile à faire, notamment par l’intermédiaire de la fable de La Fontaine intitulée « Le pouvoir des fables ». Z comme Zigzag Pour cultiver le paradoxe, c’est-à-dire vous apprendre à ne pas penser toujours « simple » ou « tout droit », ce zigzag sera illustré par des photographies de panneaux « détour » au Québec : le mot n’y pas tout à fait le même sens, et le détour, c’est parfois aller tout droit. Etonnant, n’est-il pas ?

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2.2. Aide-mémoire pour l’écriture personnelle : un « décalogue » à mémoriser, à illustrer à partir de sa

propre copie ou des exemples de référence. 1. Analyser le sujet

Faire un détour peut-il nous faire aller à l’essentiel ? Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le corpus proposé, sur les documents que vous avez étudiés au cours de l’année et sur votre expérience personnelle. Votre réponse, argumentée, s’appuiera sur des exemples précis. Pensez-vous, comme Christian Salmon, que le conte soit « une machine à formater les esprits » ?

« L’essentiel, lorsqu’on entreprend quelque chose, c’est l’objectif final qu’on s’est fixé. » écrit un étudiant : c’est ce signal problématisant qu’il faut envoyer dès la première phrase de votre travail d’écriture personnelle. La copie de référence jointe à ce dossier vous le prouvera : il faut prendre la mesure du sujet et du propos très spécifique qu’il vous demande de discuter. 2. Puiser dans sa banque d’exemples : cf. supra.

3. Affronter le corpus : amplifier, contester, nuancer… 4. Se servir de trois ou quatre citations de référence, d’arguments d’autorité… 5. Faire un réel, lisible et visible EFFORT d’écriture. 6. Evaluer le poids des mots : « conte », « essentiel », « formater » … 7. Faire preuve d’ambition littéraire, philosophique, esthétique (histoire de l’art) ou scientifique. 8. Eviter le prêt à penser des proverbes et dictons. 9. Assumer un choix argumentatif net, choisir des modalités d’écriture en accord avec cet engagement. 10. Quelle qualité de la copie de référence vous sentez-vous prêt à vous approprier ?

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3. La synthèse. 3.1. Le travail préparatoire sur les documents. Conseils de méthode (lire un texte difficile, le statut du

texte littéraire dans la synthèse). Sujet 1 : quel est le sens du petit codage réalisé sur les textes ci-dessous ? Gérard de Nerval (1808-1855), article paru dans Le Messager, 18 septembre 1838. Je n'ai aucune des habitudes et des qualités du touriste littéraire ; j'ai déjà parcouru autant de pays que Joconde, et je suis sorti ou rentré par toutes les portes de la France ; mais, quant à voir les points de vue et les curiosités selon l'ordre des itinéraires, c'est de quoi je me suis toujours soigneusement défendu. Je suis rarement préoccupé des monuments et des objets d'art, et, une fois dans une ville, je m'abandonne au hasard, sûr d'en rencontrer assez toujours pour ma consommation de flâneur. J'ai beaucoup sans doute perdu à cette indifférence ; mais je lui dois aussi beaucoup de rencontres et d'admirations imprévues que le guide officiel ne m'eût pas fait connaître ou qu'il m'aurait gâtées. Ce que j'aime surtout en voyage, c'est à respirer l'air des forêts et des plaines, c'est à suivre rapidement les longues prairies brumeuses de la Flandre, ou lentement les campagnes joyeuses de l'Italie, fleuries d'or et de soleil ; c'est à parcourir au hasard les rues tortueuses des villes, à me mêler inconnu à cette foule bigarrée, qui bruit d'un langage inconnu, à prendre part, pour un jour, à sa vie éternelle ; curieuse épreuve, isolement salutaire pour l'homme qui s'est échappé quelquefois des molles contraintes de l'habitude, et qui, après une âpre montée, se retourne et parvient à regarder sa vie d'un point unique et sublime, comme on parcourt de ses yeux, du haut du clocher de Strasbourg, le chemin qu'on vient de faire péniblement durant une longue journée.

Alain (1864-1951), « Voyages », dans Propos sur le bonheur, 1925. En ce temps de vacances, le monde est plein de gens qui courent d'un spectacle à l'autre, évidemment avec le désir de voir beaucoup de choses en peu de temps. Si c'est pour en parler, rien de mieux ; car il vaut mieux avoir plusieurs noms de lieux à citer ; cela remplit le temps. Mais si c'est pour eux, et pour réellement voir, je ne les comprends pas bien. Quand on voit les choses en courant elles se ressemblent beaucoup. Un torrent c'est toujours un torrent. Ainsi celui qui parcourt le monde à toute vitesse n'est guère plus riche de souvenirs à la fin qu'au commencement. La vraie richesse des spectacles est dans le détail. Voir, c'est parcourir les détails, s'arrêter un peu à chacun, et, de nouveau, saisir l'ensemble d'un coup d'œil. Je ne sais si les autres peuvent faire cela vite, et courir à autre chose, et recommencer. Pour moi, je ne le saurais. Heureux ceux de Rouen qui, chaque jour, peuvent donner un regard à une belle chose et profiter de Saint-Ouen, par exemple, comme d'un tableau que l'on a chez soi. Tandis que si l'on passe dans un musée une seule fois, ou dans un pays à touristes, il est presque inévitable que les souvenirs se brouillent et forment enfin une espèce d'image grise aux lignes brouillées. Pour mon goût, voyager c'est faire à la fois un mètre ou deux, s’arrêter et regarder de nouveau un nouvel aspect dès mêmes choses. Souvent, aller s'asseoir un peu à droite ou à gauche, cela change tout, et bien mieux que si je fais cent kilomètres. Si je vais de torrent à torrent, je trouve toujours le même torrent. Mais si je vais de rocher en rocher, le même torrent devient autre à chaque pas. Et si je reviens à une chose déjà vue, en vérité elle me saisit plus que si elle était nouvelle, et réellement elle est nouvelle. Il ne s'agit que de choisir un spectacle varié et riche, afin de ne pas s’endormir dans la coutume. Encore faut-il dire qu’à mesure qu’on sait mieux voir, un spectacle quelconque enferme des joies inépuisables. Et puis, de partout, on peut voir le ciel étoilé, voilà un beau précipice.

Eloges du détour, de la flânerie, de la « perte » de temps… Alain, dans Propos sur le bonheur – Le titre est lui-même un programme de vie – rappelle que la précipitation, la course, la ligne droite et l'efficacité ne conduisent pas à une réelle jouissance des lieux, à la construction d’un souvenir riche. C'est l'hésitation, le retour et le détour, l’examen du détail, les zigzags entre soi et les choses qui fondent leur importance. Nerval nous rappelle que la flânerie est plus riche que le guide du touriste organisé, que l’itinéraire prévu. Le détour est libérateur, actif, excitant. Le détour maintient en éveil une attention que l'habitude anesthésie, il est, selon le mot très pertinent d’un étudiant, une « inhabitude » créatrice. Par opposition de nature de date et de propos aux deux autres documents du corpus, cette analyse devait permettre d’élaborer un plan pertinent et « rentable ».

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Sujet 2. Document 4 : Jean de La Fontaine, Le Pouvoir des Fables (extrait), Fables, Livre VIII, 1668-1694. Les extraits à valoriser dans la synthèse sont en caractères gras. Dans Athènes autrefois peuple vain et léger, Un Orateur voyant sa patrie en danger, Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique, Voulant forcer les cœurs dans une république, Il parla fortement sur le commun salut. On ne l'écoutait pas : l'Orateur recourut A ces figures violentes Qui savent exciter les âmes les plus lentes. Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put. Le vent emporta tout ; personne ne s'émut. L'animal aux têtes frivoles* Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter. Tous regardaient ailleurs : il en vit s'arrêter A des combats d'enfants, et point à ses paroles. Que fit le harangueur* ? Il prit un autre tour. Cérès*, commença-t-il, faisait voyage un jour Avec l'Anguille et l'Hirondelle : Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant, Comme l'Hirondelle en volant,

Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle ? - Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux L'anima d'abord contre vous. Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse ! Et du péril qui le menace Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet ! Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? A ce reproche l'assemblée, Par l'Apologue réveillée, Se donne entière à l'Orateur : Un trait de Fable en eut l'honneur. Nous sommes tous d'Athènes en ce point ; et moi-même, Au moment que je fais cette moralité, Si Peau d'âne m'était conté, J'y prendrais un plaisir extrême, Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant Il le faut amuser encor comme un enfant

Sujet 2, lecture du texte de J. Molino. Commençons par une définition de l’ironie facile à mémoriser : « dire le contraire de ce qu’on pense tout en faisant comprendre qu’on pense le contraire de ce qu’on dit ». Notons ensuite que cet extrait du texte de référence était très évidemment ironique : Je su i s i nquiet pour notre réunion et pour l ' avenir des h i stoi res parce qu' i l ex is te une soci été secrète, t rès secrète et t rès pui ssante qui s 'es t donné comme but l ' interdic t ion des histoires, de toutes les histoires . Vous l ' avez tous reconnue, i l s 'agi t de l a fameuse, de l a trop f ameuse Lipindedis, la Ligue pour l ' interdic t ion définitive des histoires. Je sais de source sûre qu'elle a envoyé ici quelques-uns de ses membres. [...] En tout cas, on m'a remis à l 'entrée, comme à vous tous, je pense, un tract s igné par l a L i p i ndedi s, cet te L i gue pour l ' i nterdi c t i on déf i n i t i ve des hi stoi res . Il es t inti tulé « Des horribles dangers des histoires » et dresse un tableau apocalyptique des dangers du récit. On a vu, nous assure-t-on, des enfants des deux sexes passer des nuits à lire sous leurs draps, à lueur d'une torche, des histoires interdi tes, des adultes, et même de sages vieillards sauter des repas, oublier de dormir – que dis-je, se laisser mourir de f aim et de so i f – pour f i n i r d'écouter , de l i re ou d'écri re des his toires , et s i Shéhérazade réussi t à sauver sa vie en racontant des histoires, pensez malgré tout à ses souffrances, à la torture que représente la nécessi té d' imaginer toujours et encore de nouvelles histoires. Mais le plus horr ible danger du réci t, af f i rme le tract, c'est qu' i l mêle la réal i té et la f ic t ion, et là je crains qu' i l ne nous fai l l e pl aider coupable. Il exis te en eff et toutes sortes d'histoires : i l y en a de vraies, i l y en a de fausses, mais le pire, c'est qu' i l y en a qui ne sont ni vraies ni fausses, mais tiennent un peu des deux. Et ça ne plaî t à personne. D'abord, parce que cela fai t désordre. Il y a le vrai et le faux et l'on doit pouvoir tout ranger et se ranger soi-même dans une des deux cases. Et ajoutons qu’il était même un clin d’œil littéraire à ce maître de l’ironie qu’est Voltaire, que je vous invite à relire pour comprendre à quel point la lecture est dangereuse ! Voltaire Nous Joussouf-Chéribi, par la grâce de Dieu mouphti du Saint-Empire ottoman, lumière des lumières, élu entre les élus, à tous les fidèles qui ces présentes verront, sottise et bénédiction. Comme ainsi soit que Saïd-Effendi, ci-devant ambassadeur de la Sublime-Porte vers un petit État nommé Frankrom, situé entre l’Espagne et l’Italie, a rapporté parmi nous le pernicieux usage de l’imprimerie, ayant consulté sur cette nouveauté nos vénérables frères les cadis et imans de la ville impériale de Stamboul, et surtout les fakirs connus par leur zèle contre l’esprit, il a semblé bon à Mahomet et à nous de condamner, proscrire, anathématiser ladite infernale invention de l’imprimerie, pour les causes ci-dessous énoncées. 1° Cette facilité de communiquer ses pensées tend évidemment à dissiper l’ignorance, qui est la gardienne et la sauvegarde des États bien policés. 2° Il est à craindre que, parmi les livres apportés d’Occident, il ne s’en trouve quelques-uns sur l’agriculture et sur les moyens de perfectionner les arts mécaniques, lesquels ouvrages pourraient à la longue, ce qu’à Dieu ne plaise, réveiller le génie de nos cultivateurs et de nos manufacturiers, exciter leur industrie, augmenter leurs richesses, et leur inspirer un jour quelque élévation d’âme, quelque amour du bien public, sentiments absolument opposés à la saine doctrine. 3° Il arriverait à la fin que nous aurions des livres d’histoire dégagés du merveilleux qui entretient la nation dans une heureuse stupidité. On aurait dans ces livres l’imprudence de rendre justice aux bonnes et aux mauvaises actions, et de recommander l’équité et l’amour de la patrie, ce qui est visiblement contraire aux droits de notre place. 4° Il se pourrait, dans la suite des temps, que de misérables philosophes, sous le prétexte spécieux, mais punissable, d’éclairer les hommes et de les rendre meilleurs, viendraient nous enseigner des vertus dangereuses dont le peuple ne doit jamais avoir de connaissance.

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5° Ils pourraient, en augmentant le respect qu’ils ont pour Dieu, et en imprimant scandaleusement qu’il remplit tout de sa présence, diminuer le nombre des pèlerins de la Mecque, au grand détriment du salut des âmes. 6° Il arriverait sans doute qu’à force de lire les auteurs occidentaux qui ont traité des maladies contagieuses, et de la manière de les prévenir, nous serions assez malheureux pour nous garantir de la peste, ce qui serait un attentat énorme contre les ordres de la Providence. A ces causes et autres, pour l’édification des fidèles et pour le bien de leurs âmes, nous leur défendons de jamais lire aucun livre, sous peine de damnation éternelle. Et, de peur que la tentation diabolique ne leur prenne de s’instruire, nous défendons aux pères et aux mères d’enseigner à lire à leurs enfants. Et, pour prévenir toute contravention à notre ordonnance, nous leur défendons expressément de penser, sous les mêmes peines; enjoignons à tous les vrais croyants de dénoncer à notre officialité quiconque aurait prononcé quatre phrases liées ensemble, desquelles on pourrait inférer un sens clair et net. Ordonnons que dans toutes les conversations on ait à se servir de termes qui ne signifient rien, selon l’ancien usage de la Sublime-Porte. Et pour empêcher qu’il n’entre quelque pensée en contrebande dans la sacrée ville impériale, commettons spécialement le premier médecin de Sa Hautesse, né dans un marais de l’Occident septentrional; lequel médecin, ayant déjà tué quatre personnes augustes de la famille ottomane, est intéressé plus que personne à prévenir toute introduction de connaissances dans le pays; lui donnons pouvoir, par ces présentes, de faire saisir toute idée qui se présenterait par écrit ou de bouche aux portes de la ville, et nous amener ladite idée pieds et poings liés, pour lui être infligé par nous tel châtiment qu’il nous plaira. Donné dans notre palais de la stupidité, le 7 de la lune de Muharem, l’an 1143 de l’hégire. 3.2. Conseils de méthode : la lecture de l’image.

1. « Industrie-recrute.com », carte postale publicitaire, 2008. L

Le labyrinthe : se perdre, les complications, en négatif ici, en positif à partir des autres documents : la complexité, l’épreuve initiatique, la richesse de l’esprit humain, l’enrichissement ?

La ligne droite, oblique et montante, la flèche, le trait plus épais : l’énergie, l’ambition, la réussite, le droit au but, sans détour.

Un document publicitaire : convaincre, séduire, aller à l’essentiel, « vendre ».

Le nom du site et la référence au clic (cf. la petite flèche ci-contre) = la simplicité, le ≠ du compliqué : un second slogan publicitaire (2 fois) pour attirer, recruter.

Un premier slogan (2 fois) : une question rhétorique, un blâme du détour, éloge de la simplicité, aller à essentiel ≠ faire compliqué, antithèse illustrée par l’image « négative » du labyrinthe.

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2. Publicité SNCF « TGV pro », 2008*.

Transcription du texte sous l’image et du slogan final : RESA PARKING PRO : UNE PLACE DE PARKING RÉSERVÉE A LA GARE. Cette histoire, c’est celle de Luc. Une légende urbaine que l’on se raconte entre pros au détour d’un couloir de TGV. Mais bien évidemment, personne n’y croit. Car avec TGV Pro, vous pouvez réserver une place de parking en gare avec la possibilité de bénéficier d’emplacements privilégiés, mais aussi commander à l’avance un taxi ou une moto avec chauffeur. Et des légendes comme celles de Luc, il y en a plein, connaissez-vous celle du patron à deux têtes ? DÉCOUVREZ TOUS LES SERVIVES « TGV PRO » SUR TGV.COM.

TGV PRO La nouvelle offre de TGV pensée pour les professionnels

3. Arthur Boyd Houghton (1836-1875), « Le Sultan pardonne Schéhérazade »

Un texte lourd de sens qui « raconte » la légende du perdant, ce que n’est pas l’utilisateur de TGV pro. Le texte vise à créer une connivence, un clin d’œil (connaissez-vous … ?) et à présenter un « produit » SNCF à une cible bien définie (les professionnels, les cadres supérieurs).

Un homme inquiet, abattu, dépressif, en congruence avec la gradation du verbe rater dans le slogan, un perdant (loser) dans l’univers des gagneurs (winners, managers et pros).

Une cause première, une dramatisation, un engrenage infernal, un enchainement de causes et de conséquences qui mène au pire en cinq étapes : second degré pour les publicitaires, premier degré pour l’idéologie « anti détour ».

Le témoin caché : passionnée par l’histoire ? Les tentures et les fruits : un univers exotique.

La conteuse aux pieds du sultan : raconter pour vivre, pour captiver. A la fois conteuse et suppliante.

Les pieds du lit en forme de livres : l’univers du conte, un réservoir inépuisable d’histoires ?

Le sultan penché vers Schéhérazade : passionné

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3.3. Modalités d’écriture : un « décalogue » à mémoriser. Comme pour le décalogue « écriture personnelle », vous mettrez en relation ces conseils et leur mise en œuvre dans des copies authentiques.

1. Identifier les documents d’une manière « dynamique ». 2. Soigner l’introduction

3. Avoir l’obsession des références précises, explicites, répétées : l’absence de référenciation et la référence au

document par le seul numéro sont à éviter ABSOLUMENT.

4. Cultiver l’art de l’essentiel, citer avec mesure, reformuler et résumer. Eviter le montage de citations

5. Concevoir un véritable plan.

6. Rendre visible et solide l’architecture du devoir.

7. Maitriser le temps et équilibrer les deux exercices.

8. Se souvenir de la leçon de Schéhérazade et ne pas « éviter » les documents narratifs et littéraires.

9. Mettre en lumière les valeurs symboliques de l’image, ou dans l’image.

10. Une démarche de lecture, d’analyse et de plan : La démarche à suivre peut aussi se présenter à travers les « cinq lectures » que vous menez avant l’écriture de la synthèse : Lecture découverte, imprégnation. Attention : certains sujets difficiles (Molino / La Fontaine par exemple) peuvent inquiéter au premier abord. Prenez le temps des relectures qui suivent avant de vous désespérer inutilement. A l’inverse, certains sujets d’apparence facile (deux images, deux textes courts) peuvent se révéler peu stimulants et finalement difficiles à développer. Utilisez donc tout le temps qui vous est imparti (4 heures) pour aller à la conquête du corpus. Si ce n’est pas fait sur le sujet d’examen, prenez la peine de numéroter les lignes. Lecture formulation de l’articulation thème / propos. C’est le moment essentiel de manifestation de votre compréhension en finesse du sujet. Il donne lieu à deux lignes dans l’introduction mais il sous-tend toute l’organisation de votre synthèse. Servez vous du sujet d’écriture personnelle pour reformuler un aspect essentiel de cette problématique. Par exemple, les deux sujets aboutissaient au final à l’antithèse éloge / blâme : richesse de la fable et de l’imaginaire ou danger de manipulation dans un cas, idéologie de la réussite, de la vitesse ou éloge de la flânerie, du hasard, de la lenteur ou de des chemins détournés dans l’autre. Ensembles et sous ensembles : il faut faire une identification « dynamique » du corpus, une interrogation problématisée de la nature des documents. S’agit-il de texte explicatif (extrait d’encyclopédie par exemple), d’argumentation (et de dénonciation), d’un dessin de presse, d’un texte littéraire et de fiction, d’autobiographie, d’un document publicitaire ? Doivent apparaître alors des motifs de confrontation, des axes de convergence / divergence, qu’il est possible de formuler par exemple ici à partir de l’image de Schéhérazade, figure symbolique et référence littéraire à laquelle il est fait référence dans les autres documents (Molino et Salmon) ou bien qu’il est facile de comparer à la fable. L’autre sujet s’inscrivait les documents dans un système d’oppositions extrêmement clair : image / texte, publicité / littérature ou essai, éloge / blâme du détour. Ces documents peuvent alors être rapidement présentés dans l’introduction par sous ensembles significatifs : il était facile ici de distinguer entre deux documents « littéraires » plus anciens qui concernaient un éloge du détour à travers l’image du voyageur ou du touriste et deux documents immédiatement contemporains (2008) qui inscrivaient le phénomène dans des enjeux à la fois économiques, idéologiques et publicitaires. L’autre sujet aboutissait à une répartition « trois contre un », le texte de Christian Salmon étant nettement plus politique et centré sur le pouvoir de la manipulation de la machine, notamment américaine, à fabriquer des histoires. Lecture tabulaire : quelles entrées pour un tableau de confrontation ? Il importe de ne pas s’enfermer dans des catégories trop rigides et il faut penser l’ordre dans lequel on présentera son compte rendu de lecture. Il faut éviter les plans stéréotypés (du type définition / causes / conséquences / solutions), ou des plans calqués sans reformulation sur la définition du thème (Quoi ? Comment ? Pour quoi ?). Cf. les plans des copies de référence.

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Le défi « abécédaire » : quelques exemples des propositions faites par les étudiants du lycée Laplace, à méditer, augmenter, contester… : C comme Col (en montagne) ou comme Courbe. D comme Déviation (nous sommes dans un lycée des Travaux Publics…). G comme Grimper (mur d’escalade, falaise), comme Guignols (la caricature), comme Grace is gone (film américain de James C. Strouse, avec John Cusack, 2007), comme Gambader, comme Goût (les expériences de mémoire liées au goût : cf. la petite madeleine de Proust). H comme Hasard des inventions : le four à micro ondes serait à ajouter. N comme Nomade, Naviguer (« au près » : les amateurs de voile apprécieront), comme Newton (clin d’œil à la pomme, et à Gottlieb bien sûr). S comme Serpent (lorsqu’il se déplace). W comme Water polo (l’exemple vaut aussi pour le football), comme Woody Allen (par exemple dans La Rose pourpre du Caire)… Nous terminerons par huit antithèses en guise de bilan, les problématiques du « détour » que nous avons explorées cette année peuvent en effet s’articuler autour de ces dialectiques fécondes. On appréciera dans la copie de référence jointe à ce dossier la très pertinente articulation des deux premières : Eloge / Blâme Espace / Temps Passé / Présent Histoire longue / Histoire brève Errance / Ligne droite Littérature / Publicité Philosophie / Industrie Idéal / Réel Je vous laisse donc à ce remue-méninges, à la lecture de la copie de référence qui suit (merci à Florinda), et à l’idée essentielle que le caractère disparate de la réflexion sur le détour doit absolument être relié à un choix pertinent d’exemples, à une problématique resserrée, bref à l’articulation Thème (ce dont on parle) / Propos (ce qu’on en dit) qui est à la sources des bonnes synthèses comme des bons travaux d’écriture personnelle.

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ANNEXE : les deux sujets LYCEE LAPLACE BTS Blanc Mardi 3 février 2009

BREVET DE TECHNICIEN SUPÉRIEUR

CULTURE GÉNÉRALE ET EXPRESSION Durée : 4 heures Thème « Le détour » PREMIÈRE PARTIE : SYNTHÈSE ( / 40 points) Vous ferez une synthèse objective, concise et ordonnée des documents suivants.

5. Gérard de Nerval (1808-1855), article paru dans Le Messager, 18 septembre 1838. 6. « Industrie-recrute.com », carte postale publicitaire, 2008. 7. Alain (1864-1951), « Voyages », dans Propos sur le bonheur, 1925. 8. Publicité SNCF « TGV pro », 2008.

DEUXIÈME PARTIE : ÉCRITURE PERSONNELLE ( / 20 points) Faire un détour peut-il nous faire aller à l’essentiel ? Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le corpus proposé, sur les documents que vous avez étudiés au cours de l’année et sur votre expérience personnelle. Votre réponse, argumentée, s’appuiera sur des exemples précis. Remarques et notes à lire soigneusement : - Durée : 4 heures. Il vous est interdit, et impossible à moins d’une coupable désinvolture, de sortir avant la fin de ce temps nécessaire de travail. Ce sujet est original et difficile, j’en conviens, notamment du fait de la place qu’y occupe l’image. Il vous appartient de faire un réel effort d’analyse et de relectures, et à supposer que la synthèse vous résiste, le travail d’écriture personnelle compensera cette difficulté. Il vous faudra donc quatre heures ! - La carte postale industrie-recrute.com vous est offerte en plus du sujet. - La publicité SNCF a fait l’objet d’une transcription partielle, elle a été publiée dans la presse pendant l’année 2008, par exemple dans le magazine Le Point n° 1849, 21 Février 2008. - Gérard de Nerval est un poète et homme de Lettres du XIXe siècle et Eugène Chartier dit Alain un philosophe dont les Propos sur le bonheur sont l’œuvre la plus célèbre.

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2. Gérard de Nerval (1808-1855), article paru dans Le Messager, 18 septembre 1838.

Je n'ai aucune des habitudes et des qualités du touriste littéraire ; j'ai déjà parcouru autant de pays que Joconde, et je suis sorti ou rentré par toutes les portes de la France ; mais, quant à voir les points de vue et les curiosités selon l'ordre des itinéraires, c'est de quoi je me suis toujours soigneusement défendu. Je suis rarement préoccupé des monuments et des objets d'art, et, une fois dans une ville, je m'abandonne au hasard, sûr d'en rencontrer assez toujours pour ma consommation de flâneur. J'ai beaucoup sans doute perdu à cette indifférence ; mais je lui dois aussi beaucoup de rencontres et d'admirations imprévues que le guide officiel ne m'eût pas fait connaître ou qu'il m'aurait gâtées. Ce que j'aime surtout en voyage, c'est à respirer l'air des forêts et des plaines, c'est à suivre rapidement les longues prairies brumeuses de la Flandre, ou lentement les campagnes joyeuses de l'Italie, fleuries d'or et de soleil ; c'est à parcourir au hasard les rues tortueuses des villes, à me mêler inconnu à cette foule bigarrée, qui bruit d'un langage inconnu, à prendre part, pour un jour, à sa vie éternelle ; curieuse épreuve, isolement salutaire pour l'homme qui s'est échappé quelquefois des molles contraintes de l'habitude, et qui, après une âpre montée, se retourne et parvient à regarder sa vie d'un point unique et sublime, comme on parcourt de ses yeux, du haut du clocher de Strasbourg, le chemin qu'on vient de faire péniblement durant une longue journée.

3. « Industrie-recrute.com », carte postale publicitaire, 2008.

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4. Alain (1864-1951), « Voyages », dans Propos sur le bonheur, 1925.

En ce temps de vacances, le monde est plein de gens qui courent d'un spectacle à l'autre, évidemment avec le désir de voir beaucoup de choses en peu de temps. Si c'est pour en parler, rien de mieux ; car il vaut mieux avoir plusieurs noms de lieux à citer ; cela remplit le temps. Mais si c'est pour eux, et pour réellement voir, je ne les comprends pas bien. Quand on voit les choses en courant elles se ressemblent beaucoup. Un torrent c'est toujours un torrent. Ainsi celui qui parcourt le monde à toute vitesse n'est guère plus riche de souvenirs à la fin qu'au commencement. La vraie richesse des spectacles est dans le détail. Voir, c'est parcourir les détails, s'arrêter un peu à chacun, et, de nouveau, saisir l'ensemble d'un coup d'œil. Je ne sais si les autres peuvent faire cela vite, et courir à autre chose, et recommencer. Pour moi, je ne le saurais. Heureux ceux de Rouen qui, chaque jour, peuvent donner un regard à une belle chose et profiter de Saint-Ouen, par exemple, comme d'un tableau que l'on a chez soi. Tandis que si l'on passe dans un musée une seule fois, ou dans un pays à touristes, il est presque inévitable que les souvenirs se brouillent et forment enfin une espèce d'image grise aux lignes brouillées. Pour mon goût, voyager c'est faire à la fois un mètre ou deux, s’arrêter et regarder de nouveau un nouvel aspect dès mêmes choses. Souvent, aller s'asseoir un peu à droite ou à gauche, cela change tout, et bien mieux que si je fais cent kilomètres. Si je vais de torrent à torrent, je trouve toujours le même torrent. Mais si je vais de rocher en rocher, le même torrent devient autre à chaque pas. Et si je reviens à une chose déjà vue, en vérité elle me saisit plus que si elle était nouvelle, et réellement elle est nouvelle. Il ne s'agit que de choisir un spectacle varié et riche, afin de ne pas s’endormir dans la coutume. Encore faut-il dire qu’à mesure qu’on sait mieux voir, un spectacle quelconque enferme des joies inépuisables. Et puis, de partout, on peut voir le ciel étoilé, voilà un beau précipice.

5. Publicité SNCF « TGV pro », 2008*.

Transcription du texte sous l’image et du slogan final : RESA PARKING PRO : UNE PLACE DE PARKING RÉSERVÉE A LA GARE. Cette histoire, c’est celle de Luc. Une légende urbaine que l’on se raconte entre pros au détour d’un couloir de TGV. Mais bien évidemment, personne n’y croit. Car avec TGV Pro, vous pouvez réserver une place de parking en gare avec la possibilité de bénéficier d’emplacements privilégiés, mais aussi commander à l’avance un taxi ou une moto avec chauffeur. Et des légendes comme celles de Luc, il y en a plein, connaissez-vous celle du patron à deux têtes ? DÉCOUVREZ TOUS LES SERVIVES « TGV PRO » SUR TGV.COM. TGV PRO La nouvelle offre de TGV pensée pour les professionnels

* Cf. Patrick Simmarano, BTS Français, Bréal, 2008, pour certains éléments de ce sujet et notamment cette pu/blicité.

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TS2 FEE et bois, BTS blanc, quatre heures4 Thème « Le détour » Corpus : Document 1 : Jean Molino, Pourquoi faut-il raconter des histoires ?, éditions Autrement, collection Passions complices, Paris, 2005. Document 2 : Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, éditions La Découverte, Paris, 2007. Document 3 : Arthur Boyd Houghton (1836-1875), “Le Sultan pardonne Schéhérazade”, Illustration (gravure sur bois) pour les Mille et une nuits.

Document 4 : Jean de La Fontaine « Le Pouvoir des Fables » (extrait), Fables, Livre VIII, 1668-1694. 1. Synthèse de documents (40 points) Vous rédigerez une synthèse objective et ordonnée des documents 1 à 4. 2. Ecriture personnelle (20 points) Pensez-vous, comme Christian Salmon, que le conte soit « une machine à formater les esprits » ? Vous répondrez à cette question de manière organisée en vous appuyant sur les documents du corpus, sur ceux étudiés en classe et sur votre expérience personnelle. Vous veillerez, au terme de votre argumentation, à prendre une position claire. DOCUMENT 1 : Jean Molino, Pourquoi faut-il raconter des histoires ?, éditions Autrement, collection Passions complices, Paris, 2005. Des histoires, i l y en a partout évidemment ; dans la rue, à la maison, sur les places - dans les cultures de tradition orale -, dans les livres et les journaux, au cinéma, dans les BD, sur les consoles de jeux, dans les émissions de téléréalité, sur Internet. Et voici que même dans les pays que l'on aurait pu croire entièrement conquis par l'écrit, les conteurs oraux réapparaissent et se multiplient. En fait, cette universali té du réci t n'a rien d'étonnant car i l constitue le mode fondamental de total isation du vécu en langue naturelle par lequel nous donnons un sens à notre existence. Alors, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes narratifs ? Malgré tout, je ne vous cacherai pas que j 'éprouve une certaine inquiétude. Je suis inquiet pour notre réunion et pour l 'avenir des histoires parce qu'i l existe une société secrète, t rès secrète et t rès puissante qui s'est donné comme but l ' interdiction des histoires, de toutes les histoires. Vous l 'avez tous reconnue, i l s'agit de la fameuse, de la trop fameuse Lipindedis, la Ligue pour l ' interdiction définitive des histoires. Je sais de source sûre qu'elle a envoyé ici quelques-uns de ses membres. [...] En tout cas, on m'a remis à l 'entrée, comme à vous tous, je pense, un tract signé par la Lipindedis, cet te Ligue pour l ' interdiction déf init ive des histoires. I l est intitulé « Des horribles dangers des histoires » et dresse un tableau apocalyptique des dangers du récit. On a vu, nous assure-t-on, des enfants des deux sexes passer des nuits à lire sous leurs draps, à lueur d'une torche, des histoires interdites, des adultes, et même de sages vieillards sauter des repas, oublier de dormir – que dis-je, se laisser mourir de faim et de soif – pour f inir d'écouter, de l ire ou d'écrire des histoires, et si Shéhérazade réussit à sauver sa vie en racontant des histoires, pensez malgré tout à ses souff rances, à la torture que représente la nécessité d'imaginer toujours et encore de nouvelles histoires. Mais le plus horrible danger du récit, affirme le tract, c'est qu'il mêle la réali té et la fiction, et là je crains qu'i l ne nous fai l le plaider coupable. I l existe en ef fet toutes sortes d'histoires : i l y en a de vraies, i l y en a de fausses, mais le pire, c'est qu'i l y en a qui ne sont ni vraies ni fausses, mais tiennent un peu des deux. Et ça ne plaît à personne. D'abord, parce que cela fait désordre. Il y a le vrai et le faux et l'on doit pouvoir tout ranger et se ranger soi-même dans une des deux cases. Si l 'on distingue plus le réel de la f iction, où va-t-on ? Parce que cela peut avoir des conséquences redoutables. On sait qu'il y a des hommes et des femmes, par ai lleurs tout à fait normalement 4 Il vous est interdit, et impossible à moins d’une coupable désinvolture, de sortir avant la fin de ce temps nécessaire de travail. Ce sujet est difficile, j’en conviens, il vous appartient de faire un réel effort d’analyse et de relectures, et à supposer que la synthèse vous résiste, le travail d’écriture personnelle compensera cette difficulté. Il vous faudra donc quatre heures !

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consti tués, qui ont confondu le monde réel et le monde du récit et sont al lés jusqu'à préférer le second au premier. On se souvient au moins de ce qui est arrivé à Don Quichotte et à Madame Bovary. […] Et ce n'est pas seulement dans le passé, mais aussi dans le présent et dans le futur que nous inventons. On comprend alors que toutes sortes de gens aient voulu interdire les histoires. Ce sont des gens très bien, BCBG sous tous rapports, dans le monde intellectuel s'entend, à commencer par Platon, suivi d'une innombrable cohorte de philosophes, de moralistes, de religieux, de censeurs, de polit iques, et même de parents. I l est v rai qu'un peu partout on a toujours interdit certaines histoires avec toutes sortes de bonnes raisons. Les religieux disaient qu'elles faisaient obstacle au salut, les moralistes qu'elles détournaient de la voie droite, et l 'on entend encore les poli tiques moralistes d'aujourd'hui répéter que les romans à l 'eau de rose, les -films d'aventures, que dis-je, les contes oraux, détournent les masses de la réalité et constituent le nouvel opium du peuple. La conscience commune n'est pas plus indulgente que les philosophes et les moralistes à l'égard des histoires et de ceux qui en font leur métier. Comment pourrait-on faire confiance à des gens qui s'occupent des histoires, car ce sont – nous assure la sagesse des nations — non seulement des gens qui mêlent allègrement le vrai et le faux mais encore des gens, qui nous racontent des histoires, et personne n'aime avoir des histoires. Et pourtant , c 'est préci sément Là, dans ce caractère hybride — mi-chai r , mi-poisson —, entre la réalité et la fiction, que réside l'extraordinaire pouvoir des histoires. C'est qu'elles mettent en œuvre une forme d'intelligence, L'intelligence narrative, qui nous permet de raconter, c'est-à-dire en même temps de comprendre et d'expliquer les actions des autres et nos propres actions. Les histoires n'ont pas de sens caché, elles constituent un extraordinaire réservoir de situations et d'actions humaines, et l 'on comprend pourquoi il faut qu'il y en ait de vraies et de fausses. Raconter ou écouter une histoire, c'est entrer dans le Laboratoire de l 'action humaine et se préparer à toutes Les éventualités. DOCUMENT 2 : Christian Salmon, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, éditions La Découverte, Paris, 2007. La capacité à structurer une vision politique non pas avec des arguments rationnels, mais en racontant des histoires, est devenue la clé de la conquête du pouvoir et de son exercice dans des sociétés hypermédiatisées, parcourues par des flux continuels de rumeurs, de fausses nouvelles, de manipulations. Ce n'est plus la pertinence qui donne à la parole publique son efficacité, mais la plausabilité, la capacité à emporter l'adhésion, à séduire, à tromper [...]. Le succès d'une candidature ne dépend plus de la cohérence d'un programme économique et de la pertinence des solutions proposées, ni même d'une vision lucide des enjeux géostratégiques ou écologiques, mais de la capacité à mobiliser en la faveur des grands courants d'audience et d'adhésion... Si l'art du roman constituait une forme d'énonciation paradoxale de la vérité qu'Aragon définissait comme un «mentir vrai », les spin doctors* pratiquent le storytelling comme un art de la trompette absolue, un «mentir faux » si l'on peut dire, une forme nouvelle de désinformation. La stratégie de Schéhérazade [ ... ] Il est donc logique que l'installation d'un nouveau président ressemble désormais davantage à l'entrée dans une fiction qu'à une prise de fonction ; une fois élu, il inaugure un certain style, remplaçant le protocole qui fixait jadis le déroulement des cérémonies et introduisait l'impétrant dans un certain ordre institutionnel, une hiérarchie de préséances et d'antécédents. L'intronisation du nouvel élu emprunte désormais ses métaphores à l'ordre du récit. Son style est plus discursif que protocolaire. Plutôt que de souligner le poids des responsabilités et la charge du pouvoir, on parlera « d'écrire une nouvelle page », de la « rencontre d'un homme et d'un peuple », d'une « nouvelle ère qui commence »... Un grand maître du récit se substitue au protocole présidentiel, l'éloge des pouvoirs du récit à la transmission des « attributs » du pouvoir. Dès son entrée à la Maison-Blanche en janvier 2001, George W. Bush avait présenté les membres de son gouvernement en évoquant leurs « histoires qui racontent vraiment ce que l'Amérique peut et doit être ». Cinq ans plus tard, en février 2006, lors d'une visite éclair en Afghanistan, il prononça à deux reprises la même phrase dans une conférence de presse : « Nous aimons les histoires, nous attendons des histoires de jeunes filles qui vont à l'école en Afghanistan. » Cette

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répétition n'était pas un signe de fatigue. Elle révélait l'insistance de son conseiller principal, Karl Rove, à transformer la vie politique en une succession d'histoires évocatrices et de récits émouvants. Selon Evan Cornog, « le 11 septembre a mis en avant un nouveau récit, et Bush et son équipe ont su adroitement capter cette nouvelle ligne narrative [storyline], de la même manière qu'en 2000 ils avaient construit une campagne victorieuse à partir de la modeste histoire personnelle du candidat. Le thème de la souffrance et de la rédemption était central dans les deux cas. Dans la vie de Bush, l'histoire de sa lutte victorieuse contre l'alcool a rendu sympathique une figure qui aurait pu aisément être perçue comme celle d'un enfant gâté. [ ... ] De même, le drame du 11 septembre a permis à Bush de mettre en avant un récit manichéen de la lutte entre le bien et le mal ». Le procédé sera exploité ad nauseam à l'occasion des élections de mi-mandat de novembre 2006, alors que la cote du président Bush était au plus bas, du fait de l'enlisement de la guerre de l'IRAK engagée trois ans et demi plus tôt. Selon un professeur de l'université du Colorado, Ira Chernus, Karl Rove a appliqué à cette occasion la « stratégie de Schéherazade », qui consiste en un principe simple : « Quand la politique vous condamne à mort, commencez à raconter des histoires – des histoires si fabuleuses, si captivantes, si envoûtantes que le roi (ou dans ce cas les citoyens américains qui en théorie gouvernent notre pays) oubliera sa condamnation capitale. * Un Spin doctor est un conseiller en communication et marketing politique agissant pour le compte d'une personnalité politique, le plus souvent lors de campagnes électorales. Le terme a une connotation négative : un spin doctor n'agit pas toujours de façon morale. Document 3 : Arthur Boyd Houghton (1836-1875), « Le Sultan pardonne Schéhérazade », Illustration (gravure sur bois) pour les Mille et une nuits. Source : http://www.victorianweb.org/art/illustration/houghton/1.html

Les Mille et Une Nuits est un recueil d'origine persane (VIIIe et IXe siècles) qui contient un ensemble complexe de contes et de personnages. La première traduction française est l'œuvre d'Antoine Galland et fut publiée de 1704 à 1717. Le sultan Shariar, déçu par l'infidélité de son épouse, la fait mettre à mort, et, afin d'éviter d'être à nouveau bafoué, il décide d'assassiner chaque matin la femme qu'il aura épousée la veille.

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Schéhérazade, la fille du grand vizir, se porte alors volontaire pour épouser le sultan et invente un stratagème pour faire cesser le massacre : habile conteuse, chaque nuit, elle raconte au sultan un fragment d'histoire dont la suite est reportée au lendemain. Le calife dont la curiosité est excitée ne peut se résoudre à tuer la jeune femme ; il reporte l'exécution de jour en jour afin de connaitre la suite du récit commencé la veille. Peu à peu, Shéhérazade gagne la confiance de son mari. Document 4 : Jean de La Fontaine, Le Pouvoir des Fables (extrait), Fables, Livre VIII, 1668-1694.

Dans Athènes autrefois peuple vain et léger, Un Orateur voyant sa patrie en danger, Courut à la Tribune ; et d'un art tyrannique, Voulant forcer les cœurs dans une république, Il parla fortement sur le commun salut. On ne l'écoutait pas : l'Orateur recourut A ces figures violentes Qui savent exciter les âmes les plus lentes. Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put. Le vent emporta tout ; personne ne s'émut. L'animal aux têtes frivoles* Etant fait à ces traits, ne daignait l'écouter. Tous regardaient ailleurs : il en vit s'arrêter A des combats d'enfants, et point à ses paroles. Que fit le harangueur* ? Il prit un autre tour. Cérès*, commença-t-il, faisait voyage un jour Avec l'Anguille et l'Hirondelle : Un fleuve les arrête ; et l'Anguille en nageant, Comme l'Hirondelle en volant, Le traversa bientôt. L'assemblée à l'instant Cria tout d'une voix : Et Cérès, que fit-elle ? - Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux L'anima d'abord contre vous. Quoi, de contes d'enfants son peuple s'embarrasse ! Et du péril qui le menace Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet ! Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? A ce reproche l'assemblée, Par l'Apologue réveillée, Se donne entière à l'Orateur : Un trait de Fable en eut l'honneur. Nous sommes tous d'Athènes en ce point ; et moi-même, Au moment que je fais cette moralité, Si Peau d'âne m'était conté, J'y prendrais un plaisir extrême, Le monde est vieux, dit-on : je le crois, cependant Il le faut amuser encor comme un enfant

* Frivole : léger et de peu d'importance. * Le harangueur est celui qui prononce un discours devant une assemblée. * Dans la mythologie romaine, Cérès est la déesse de l'agriculture, des moissons et de la fécondité * Courroux est synonyme de colère * Apologue : genre littéraire, récit en vers ou en prose, qui renferme des enseignements, dont on tire une morale pratique.