Yves Klein - Centre Pompidou · Yves Klein aujourd'hui, Jackson Pollock hier, mon propos n'est...

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Yves Klein 3 mars/ 23 mai Musée national d'art moderne

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Yves Klein

3 mars/ 23 mai

Musée national d'art moderne

JacquinN
visuel non autorisé

Yves Klein : la majorité posthume«Ne posez pas de questions. On ne vous mentirapas.»

Elizabeth Bowen.

Yves Klein est né en 1928, il est mortprématurément en 1962. La presquetotalité de son oeuvre appartient auxannées cinquante, elle commence ladeuxième moitié du xx e siècle.

L 'adolescence, la jeunesse de Klein,c'est l'École de Paris, l'abstraction géo-métrique, l'art informel ou l'art brut et«l'engagement» . Tout de suite sonoeuvre s'écarte de ce climat, de sesfacilités, de ses contraintes . Elle estradicale par rapport à l'époque et seraperçue dès les années soixante enFrance et dans le monde comme uneouverture, sur l'art conceptuel et ulté-rieurement par une fraction du public etdes artistes comme une préfigurationd'un certain retour, une réintroductionde la forme humaine dans la peinture.

Pour Klein, peindre, créer et vivre — uneoeuvre et une image de soi — formentune unité indissociable . Une situationqu'il exprime, ne perd jamais de vue, etvit comme un guerrier viril : debout,combattant, destructeur de formes dé-passées, sans vie, caduques ; brûlant lepassé, l'avenir, à chaque étape de vieextrêmement brève.

En premier, il s'agissait pour Klein deconcevoir une oeuvre qui se détache del'eau tiède et de l'actualité ; qui soitneuve et surprenante et affirme un refus,dans cette immédiate après-guerre, find'une époque où il est très jeune, oùParis découvre avec retard et réticencel'abstraction géométrique, Klee, et l'artinformel que Fautrier ou Hartungavaient mis sur pieds avant guerre. Legrand public est fidèle à Braque, àBonnard, à Matisse, ou à Chagall . Sartreet Camus délibèrent sur l'engagement.Cette fin d'une époque et ce début d'uneautre est un état contradictoire qu'ilincarne d'autant mieux qu'il porte en luitoute les contradictions et qu'il est lui-même issu du milieu artistique parisien.«Tout le monde voit avec son affectivitémieux qu'avec n'importe quel autre sens/. . ./ . Je crois appartenir à la civilisationde l'image car je suis peintre et fils depeintres».

Voilà, et par lui, la situation clairementposée . Deux choses, pourtant. Le motimage n'a plus le même sens, il a quittéle chevalet et « l'engagement », Klein s'yrefuse avec des mots ou en termesd'actes politiques . II est peintre et sesrefus il les incarne par la peinture, sesprises de positions esthétiques, par sesidées qui dépassent les conventions dujour . D'où l'incompréhension du grandpublic devant la nouveauté d'une oeuvre

visuellement autre ou des actes — quine sont pas encore des happenings —mais lui apparaissent comme unepreuve de forfanterie infantile et lelaissent sans mots, sans attirance, etdédaigneux. Pourtant, Klein né à Nice,est méditerranéen et aussi français quePaul Valéry — et c'est extraordinairecomme on peut passer des poésies etdes textes de l'un à la peinture et mêmeaux écrits de l'autre, sans changerd'esprit ou de registre . L'oeuvre de Kleinsera solaire, lumineuse — classique,équilibrée, parfaitement définie, visuel-lement, dans son déroulement rapide,ses moments successifs et par aussi lesnombreux écrits qu'il a laissés et laprolongent mieux que tout autre et nousentretiennent des projets qui nous sem-blent utopiques simplement parce queKlein mort à 34 ans n'a pas eu le tempsde les réaliser.La vie quotidienne de Klein fut une viede discipline et de pauvreté. A l'excep-tion de ses quelques amis, ClaudePascal, Arman, Jean Tinguely, MartialRaysse ; de Pierre Restany, d'Iris Clert;de sa famille qui l'aidait, de sescompagnes, de Rotraut Uecker qu'ilépousa et dont il eut un fils Yves néquelques mois après sa mort, sa vie etson oeuvre rencontrèrent critiques, dé-dain, sarcasmes . La discipline du judol'entraîna vers une plus grandeconscience de soi devant cette distancedes autres ; son appartenance aux Rose-Croix rendit plus concrète l'identificationqu'il pressentait, et recherchait, de la vie,de l'esprit et de l'espace — du vide, del'immatériel à l'univers, au cosmos.Enfant et jeune homme, il regarde le ciel,la mer et le signe, de l'autre côté —appropriation sans geste de l'enversinvisible par un nom, par un voeu.

Sa vie quotidienne, ses ambitions : lerejet ou la dérision, le constat genrechiens écrasés de la culture : le peintreau rouleau, celui, plaisanterie, qui venddu rien — il n'est que de lire les critiquesd'art, à l'exception de quelques-unes . Lerejet de ses contemporains necompense ni l'affection de sa famille niles certitudes de ses amis peintres ousculpteurs . Avec Tinguely, il partage leconstat irrémédiable de l'éphémère . Lescendres, son obsession, l'éphémère,sont une constante, le retour à l'octave.Grégoire de Nysse le disait «l'hommevit d'une vie morte dans un mondescellé par la mort » . D'où l'éclat qu'YvesKlein recherche et veut aussi pur quepossible : le bleu de l'aventure mono-chrome — immarcescible ; aussi directque possible sans le concours du geste

de peindre mais traces humaines ex-pressives ainsi se présentent les anthro-pométries faites avec des femmes pin-ceaux ; traces mordues par le feu, enbordure du vide, les feux couleurs — outraces de couleurs entraînées par lespluies, les cosmogonies . Éclat final, lesfeuilles d'or à peine attachées au sup-port, doré à la feuille, les peinturesmonogold.A chaque étape de son travail, presquedésespérément, Yves Klein cherche àréconcilier l'anti-peinture avec la pein-ture (les monochromes) ; l'art sans l'art(les zones de sensibilité immatérielle);l'acte rituel avec le quotidien (l'illumina-tion de l'Obélisque de la place de laConcorde) ; le théâtre du Vide (la photo-graphie conceptuelle du Saut dans levide, l'appropriation d'une journée dumonde par la publication d'un journal,«Dimanche», qui n'existe pas).Chaque étape de l'oeuvre est une mar-che, un mouvement vers, vers autrechose et plus grand détachement.Quand Yves Klein élit le monochrome, ilexprime son détachement par rapport àla peinture traditionnelle et l'abstractiongéométrique : le tableau, dans sa plusgrande absence ~i . tableau, devient laréconciliation de la couleur, du silence,et de l'espace . Le bleu monochrome dutableau, uniforme, à distance du mur,est silence et couleur, imprégnation del'espace et non pas surface unie décora-tive et bleue . Et là où le public ne voit, àl'époque, qu'une simplification infantile,et manifeste sa dérision, négative, Kleinannonce bien des oeuvres des annéessoixante tant en France qu'en Amérique.Les oeuvres conceptuelles et minimales,les performances ont leur origine chezKlein, dans son sens impeccable du rite,devant public préparé (je pense au pianode John Cage) tel qu'il apparaît lors de lasoirée des anthropométries de la galeried'art internationale avec Symphoniemonoton de Pierre Henry . Le sièclebascule dans sa deuxième moitié etYves Klein en est l'un des premiersartistes . La parfaite cohérence de sonoeuvre, sa continuité, est à l'image ducorps taoiste où tout est lié et indissocia-ble — spiritualité que les hippies recher-cheront quelques années plus tard.En moins de dix ans, Klein a conçu etréalisé son oeuvre . Cette expositionrétrospective qui marque à quelquesmois près le 21 e anniversaire de sa mort

rassemble une centaine d'ceuvres, detrès nombreux documents et les chefs-d'oeuvres essentiels . Elle s'efforce derépondre à une double attente : celle dupublic européen, et du public américain.C'est pourquoi elle a circulé aux États-Unis avant d'être montrée à Paris — àHouston, à Chicago, à New York. Al'attente de deux générations : celle descontemporains de Klein et celle qui l'asuivie — l'une et l'autre la connaissantmal dans son ensemble . La simplicitéd'un parcours cohérent a été adoptépour montrer l'ensemble de l'oeuvre quirespecte la volonté de l'artiste, lesdifférents moments de sa création . Unepremière grande salle réunit des docu-ments qui nous familiarisent avec la viede Klein, ses recherches, son travail —quelques oeuvres préparatoires, des oeu-vres en collaboration . La salle suivanteévoque les expositions à la galerie deColette Allendy et de la galerie Iris Clert :nucleus de toute l'oeuvre à venir . Nousdécouvrons ensuite l'immense salle desgrands monochromes bleus . Elle donnel'ampleur d'une réussite exemplaire.Cette imprégnation de l'espace par lebleu . Plus loin, les deux petites salles de«Ci-git l'espace» et de «la forêt d'é-ponges» nous conduisent aux grandes«anthropométries» et aux «feux cou-leurs» . La salle des « reliefs planétaires»et des «cosmogonies» conduisent auxtableaux «monogolds» qui précèdent legrand triptyque qui est l'oeuvre clé etmajeur de Klein : synthèse du virtuel etdu réel, de la lumière et de matière, de lacouleur et de l'immatériel par les troiscouleurs bleu, rose et or, projection del'espace et du mur.Cette exposition rétrospective d'YvesKlein a été présentée en partie au RiceMuseum de Houston ; au Museum ofContemporary Art de Chicago : au Solo-mon R. Guggenheim de New York où futréalisée à cette occasion une oeuvreposthume de Klein exécutée selon lesinstructions de l'artiste par « l'Internatio-nal Klein Bureau» : une immense sur-face monochrome de pigment bleuoutremer d'environ soixante mètres car-rés . Cette itinérance de la rétrospectiveKlein fut placée sous le Haut Patronagede M. Jack Lang Ministre de la Culture etbénéficia des auspices de la GeorgesPompidou Art and Culture Foundation etde l'aide de l'Endowment for the Arts etde fondations américaines privées.

Jean-Yves Mock

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Orgueil et angélismeDOMINIQUE 130ZO

Cette exposition rétrospective d'Yves Kleins'est ouverte à Houston il y a un peu plus d'unan, a été vue à Chicago, au Guggenheim cethiver . Cette grande manifestation est la preuve

exemplaire d'un désir d'échanges, de part et d'autre de l'Atlantique, et deconfrontation de deux cultures qui n'ont cessé de se nourrir réciproquement et sontun inlassable relais de création - il n'est que de rappeler que le Musée national d'artmoderne recevait la première exposition rétrospective de Jackson Pollock en janvierl'an dernier pour que cette évidence prenne toute son ampleur.

Yves Klein aujourd'hui, Jackson Pollock hier,mon propos n'est nullement de comparer mais d'essayer de transmettre au publicnos voeux, nos efforts et simplement d'évoquer la patience et le travail que cesdialogues exigent . Celle que je tiens ' à remercier et à saluer très particulièrementest Dominique de Ménil qui a eu la première avec Pontus Hulten l'idée de cetteexposition consacrée au vingtième anniversaire de la disparition d'Yves Klein et, toutcomme Alfred Barr sut être un initiateur généreux, stimulant, elle a été en cetteoccasion l'inlassable continuatrice de ces liens qui unissent l'Amérique et la France,plus que jamais, dans cet inextricable tissu culturel qui caractérise nos deux pays.

Pourquoi Yves Klein, pourrait-on se demander,pour être le sujet d'un tel événement, l'un des artistes européens les plus célèbresaux Etats-Unis, parce qu'au fond son oeuvre est moins précisément connue dans sonampleur, sa continuité qu'elle le mérite . II est peu d'artistes en ce siècle dont l'eeuvresoit aussi concentrée et multiple, neuve, et dont la trajectoire fulgurante comportetant d'invention .

Il y a justement de l'orgueil et de l'angélismedans l'attitude de Klein - orgueil ou insolence vis-à-vis de l'art mis au défi, puisqu'ils'agit bien comme il le disait lui-même de dépasser l'Art - d'utiliser justement soninsolence, ce feu qui brûlait en lui, pour réduire et réinventer en un temps qu'uneintuition essentielle lui révélait compté. Ainsi se donne-t-il d'emblée un vocabulaireinnombrable : couleur - monochrome - empreinte et moulage, anthropométries,recours aux éléments : l'eau, l'air, le feu auxquels il ajoute le comportement, l'action.

Cette stratégie du renversement des valeurs etdes propos prend au piège ses détracteurs qui le qualifiaient de fossoyeur de l'art- qu ' il était mais positivement . Ainsi devient-il le semeur qui disperse ses expériences.On le voit aujourd'hui dans les développements multiples de son oeuvre, en Francenotamment. Tant de choses qui semblent issues formellement d'autres filiationspassent pourtant par l'expérience d'Yves Klein.

II y a dans ce défi, dans cette attitude d'orgueil,de l'angélisme en ce que cette attitude du saut dans le vide a de générosité, deprévoyance . En cela sans doute Klein est-il typiquement issu de l'Europe d'après-guerrequi se situait au terme d'un néant et éprouvait le besoin renaissant de tout réinventer.C'est ce qui donne au vieux continent éprouvé l'aspect laboratoire où s'exprime lanécessité de l'expérience diverse, multiple, rapide, à la différence de l'Amérique oùse développent des oeuvres d'une certaine façon moins ambitieuses dans leurréflexion, mais plus évidentes, plus sûres dans leur expérience . Je dirai que le contexteassuré de l'Amérique des années 80 lui donne l'ambition de l'échelle et de l'abouti.

Yves Klein au contraire est sans doute l'expres-sion la plus juste de l'Europe qui veut tout - notamment la liberté de penser tout,de repenser à partir du degré zéro . Cette expérience de l'absolu, ce comportement

rimbaldien, apparemment destructeur, est chez Klein typiquement renaissant . Puisquece saut de l'ange dans le vide est synonyme du rôle de l 'artiste qui a pouvoir etmission d'agir sur les éléments, de transmuer la nature . II y a de l ' insolence dansle monochrome mais en apparence . Car si nous nous projetons dans le bleu de l'azur,d'un azur sans le trouble du vol des oiseaux, alors peu à peu l 'ange qui nous habites'exprime et saute dans la profondeur . Celle que Klein reconnaissait dans le proposde Bachelard : d'abord il n'y a rien, ensuite i/ y a un rien profond, puis une profondeurbleue . C'est tout, c'est immense.

People Begin To FlyDOMINIQUE DE MENIL

Au cours de sa fulgurante carrière, Yves Kleinfit preuve d'un sens remarquable de l'événe-ment . Survolté, d ' un comportement naïf etassuré, il pouvait emporter l 'adhésion ou provo-

quer l'irritation. Certains furent éblouis, d'autres agacés, presque tous déconcertés ;très peu virent que les plus vieux rêves de l'humanité venaient de trouver une nouvelleexpression poétique .

Avançant toujours sur la corde raide du su-blime, au risque de frôler l'absurde, Yves Klein poussa ses idées à leur point extrême.Avec le recul, ses idées apparaissent bien de leur temps et cependant hors du tempspar leur radicalité même : oeuvres immatérielles, exposition du vide, zones d'espaceimprégnées de sa sensibilité . Yves, comme dans certains tableaux de Magritte,marchait dans le ciel . Convaincu de la viabilité d'une « architecture de l'air » quioffrirait aux hommes de larges aires abritées des intempéries par des courants d'airlaminés à haute pression, il avait la certitude d'être à l 'orée d'une ère nouvelle, uneère où l'homme saurait léviter et connaître enfin le bonheur.

Lévitation, conjuration du vide, attirance del'invisible, foi dans l'immatériel, tout l'entraînait vers la mort . Il l'avait prévue et satombe est peut-être son oeuvre la plus poétique : simple plaque de bois, plâtrée etdorée à la feuille, sur laquelle repose une gerbe de roses artificielles, roses, et unecouronne en éponge trempée dans la couleur céleste – sa couleur et sa signature.

Saluée après sa mort au Japon, en Hollande,au Danemark, en Italie, à New York, en Yougoslavie, à Londres, à Berlin, l'oeuvrede Klein demeurait peu connue aux Etats-Unis et en France . Seul François Matheylui avait consacré une exposition en 1969 . Le Centre Georges Pompidou se devaitd'honorer cet artiste unique et tellement français . Dès 1976, Pontus Hulten y songea.Il était alors directeur du Musée national d'art moderne . Il avait senti dès les premièresexpositions d'Yves Klein l'importance sans égale de son travail qu'il avait d'ailleurscommenté dans un excellent article paru en Suède . Une date s ' imposait : 1982, levingtième anniversaire de la mort d'Yves Klein . Nous en parlâmes en 1977 et ainsinaquit le projet d 'une exposition rétrospective qui circulerait aux Etats-Unis sous lepatronage de la Georges Pompidou Art and Culture Foundation avant de se terminerà Paris, à une heure de vol des grandes villes d'Europe . Il était temps que « PeopleBegin To Fly », que j 'ai le bonheur de contempler tous les jours à Houston, prennela voie des airs .

En vérité elle vole, l'humanité d'Yves Klein, ettout, dans son oeuvre grandiose, est signe tangible de l'intangible .

Qui estYves Klein ?PIERRE RESTANY

Vingt ans après sa disparition àParis (à 34 ans, en juin 1962),Yves Klein apparaît comme unpersonnage de légende . Tel est

sans doute l'effet fascinant qu'exerce sur lescontemporains la fulgurance d'une destinéeachilléenne . Quelques années d'activité intenselui ont suffi à bâtir une oeuvre d'une rigoureuselogique interne dans la complexité de sesdimensions et dont la prophétique influence surle cours de la recherche esthétique s ' avèrecapitale .

1— Peu de gens connurentYves Klein. ..

Peu de gens connurent vraimentYves Klein . En tant que témoin de l'entierdéveloppement de sa carrière, je me dois dele souligner . Peu de gens le pratiquèrent au-delàde la superficialité des apparences . Pour sesamis intimes en revanche, la rencontre futbouleversante, décisive . Au plus fort de l'in-compréhension ou de la controverse générale,il y eut toujours, parmi les artistes de sagénération, une minorité inquiète et vivantedirectement sensibilisée à son message . Au-cune de ses manifestations, quel qu'en fût lescandale, n'est demeurée sans réponse . Il asuffit d ' une exposition « monochrome » à Milanou à Düsseldorf pour dynamiser l'ambiancelocale, susciter des révélations, orienter desdémarches encore errantes ou incertaines. Dugroupe Zero de Düsseldorf au peintre milanaisManzoni les exemples ne manquent pas. Surla Côte d'Azur dont il était originaire et où ilcontinuait à séjourner régulièrement, il futl'animateur d 'une « Ecole de Nice » dont lesprotagonistes, ses amis Arman et Mar-tial Raysse, peuvent à juste titre se réclamerde son influence . A Paris même, sa rencontreavec Tinguely puis avec Hains — qui futdéterminante pour l'évolution spirituelle de cesdeux personnalités — constitue un élémentcapital de la situation artistique à la fin desannées 50 ; de ma réflexion sur cette tripleconvergence (Klein, Tinguely, Hains) devaitnaître le groupe des Nouveaux Réalistes, queje fondai en 1960 .

Il — Tout ce qui ne nous appar-tient pas est de l'ordre de Dieu

Ce mystique du vitalisme est unréaliste de l'immédiat futur . Ce maître du judo,complet autodidacte pictural bien que né dansune famille de peintres, a ordonné son oeuvreautour d'une intuition fondamentale : à unmonde nouveau correspond un homme nou-veau. Les mutations qui affectent l'espècehumaine intéressent au premier chef le do-maine de la sensibilité, de l'émotion, de laperception . Dans l'univers du troisième millé-naire, voué à un bain d'énergie et au règne des« mutants supérieurs », le créateur ne se heur-tera plus à aucun obstacle technique . II n'y auraplus de problème de réalisation . Au-delà de lamutation, le temps s'arrête . L'art sera lelangage de l'émotion pure, synthétique etsouveraine, le langage de la communicationdirecte entre les individus perceptifs, le langagede l'éternel présent.

L'homme doit dès à présent fairel 'épreuve de ces modes de perception cosmi-que, voir et sentir les choses à cette échelle.C'est à la recherche de cette dimension absoluede l'expression que s'est voué Yves Klein quidès 1959 jette les bases d'une « école de lasensibilité », ouverte à tous ceux qui désirentapprendre le nouveau langage de l'art : il a lafoi des grands visionnaires et leur rayonne-ment. La foi, il la puise dans son amour de lavie, qui est l'objet même de l'art . La vie qui nenous appartient pas est le suprême concept,et en même temps la réalité fondamentale, lamanifestation de l'énergie cosmique . La sensi-bilité picturale s'identifie à la perception decette réalité immatérielle et donc divine : toutce qui ne nous appartient pas est de l'ordre deDieu. La vie est l'absolu.

Yves Klein vit au rythme même desa vérité, et des preuves matérielles qu'il nousen apporte . Chaque réalisation nouvelle corres-pond à une étape de la démonstration ; il nes'agit pas à proprement parler d'un essaiexpérimental mais d'un phénomène deconnaissance, de la manifestation localisée etpartielle d'une évidence dont seuls les « mu-tants » peuvent pressentir la totalité des clés.

Nous sommes en présence d'une penséeintuitive qui se révèle progressivement à elle-même et qui n'admet aucune faille.

III — Tout un destin dans lacouleur

C'est à travers la couleur purequ'Yves Klein matérialise ses intuitions sensi-bles et met en oeuvre un mécanisme deperception extra-lucide, un langage psycho-sensoriel entièrement affectif échappant aucontrôle de l'intelligence raisonnée.

La couleur est une réalité en soicomme le destin : elle fixe l'image même dumonde à travers la conscience qu'en assumele créateur ; elle est en même temps l'élémentessentiel de la communication affective entreles hommes par son action directe sur leursensibilité . Elle nous choque ou nous irrite, ellenous charme ou nous fascine, elle nous inviteau rêve ou à la méditation . Véhicule sensorieldes énergies cosmiques en libre diffusion dansl'espace, elle nous conditionne ou — pouremployer la terminologie d'Yves Klein — ellenous imprègne. Elle nous imprègne, commenous imprègne le bonheur ou la fatalité.

Cette idée de l'imprégnation uni-verselle par la couleur s'impose à lui dès 1946à Nice alors qu'il n'a que 18 ans et ce sera lepoint de départ de la monochromie. Lespropositions monochromes, panneaux unifor-mément recouverts d'une couche de couleurà base de pigment industriel pur, n'ont jamaisété dans l'esprit de leur auteur des « tableaux »décoratifs ; elles ont un rôle fonctionnel toutà fait différent : elles fixent dans un certainespace et au moyen de la couleur cette énergiediffuse qui agit sur nos sens . Pour éviter touteconfusion dans l'esprit du public, après avoirutilisé indifféremment plusieurs tons, Klein sefixe, vers la fin de 1956, sur une particulièrevariété de bleu outremer qui représente pourlui la révélation : c 'est le support plastique desintuitions informulables . Le véhicule desgrandes émotions. C'est aussi l'image captéedu firmament et de l'infinité des mondes, lerappel de la dimension immatérielle del'univers .

IV — Toute la couleur dans lebleu, tout le bleu dans le vide,tout le vide dans le feu

L'époque « bleue », inaugurée offi-ciellement en janvier 1957 par une exposition

milanaise (Galleria Apollinaire), contient en soiles germes de son propre dépassement . Dansla poursuite de l'absolu, le bleu apparaît à Kleincomme une approche de la réalité immanente,qui est infinie ; cette énergie immatérielle sesuffit à elle-même . Il s'agit d'en prendre et d'enassumer la conscience. Ce sera la fameuseexposition du Vide, en 1958 : 2 000 personnesviennent vernir les murs nus de la galerieIris Clert à Paris . Ensuite ce seront les zonesde sensibilité picturale immatérielle cédéescontre un poids d'or fin (fin 1959).

Que faire, après être passé du bleuau vide ?Yves Klein réagit en force, répondantà l'appel d'une vocation prométhéenne quicorrespond aussi à un retour à l'humanismeuniversel, dans la tradition cosmogonique desrose-croix : l'artiste retrouve dans la trilogie descouleurs de la flamme du feu, bleu, rose et or,l'expression alchimiste de la synthèse univer-selle . Il revient à la monochromie et au bleu,mais aussi au rose qu'il fixe dans un toncarminé et à l'or qu'il traite à la feuille . Sa visioncosmique s'exalte : il intègre bientôt à sacréation toutes les manifestations des forcesélémentaires . II emploie les « pinceaux vivants »dans ses Anthropométries, qui sont des em-preintes sur papier de modèles nus préalable-ment enduits de peinture bleue. II annexe lesintempéries de la nature : il peint la pluie enbleu, sortant sous l'orage et pulvérisant lepigment pur en très forte émulsion dans l'air :les gouttes d'eau ainsi « imprégnées » à hauteurd'homme inscrivent en arrivant au sol leurimage colorée sur une toile posée à plat parterre (« Cosmogonie » de la pluie).

V — L'air, l'éther, l'espace et sonthéâtre

Un long travail de décoration mo-numentale sur le chantier du théâtre de Gelsen-kirchen (1957-1959) et une étroite collabora-tion avec le maître d'oeuvre, Werner Ruhnau,l'ayant familiarisé avec les problèmes d'archi-tecture, Yves Klein bâtit ses propres théories ;il construit sur l'air dans l'air avec l'air. Ses plansde climatisation de l'espace au moyen denappes atmosphériques alimentées par dessouffleries d'air comprimé, ses projets de retourà l'état de nature dans un éden techniquedébouchent sur le vieux rêve de lévitationuniverselle, l 'harmonie paradisiaque par auto-sublimation dans l'éther . La dimension promé-théenne reflète le climat spirituel de l'artiste.S'il concurrence Moïse, Yves Klein n'offensepas Dieu le Père, il se comporte en Homme-Christ . L'état d'esprit vitaliste et la tendance à

l'effusion panthéiste traduisent le pressenti-ment d'un accord syncrétique entre le mysti-cisme occulte rosicrucien et le légitimismedogmatique de la foi . L'Homme-Christ dans sonaventure cosmogonique se conduit en preuxchevalier de Saint-Sébastien, l'alchimiste del'énergie est un bon chrétien. C'est en confor-mité avec l'ordre de Dieu qu'Yves Klein réali-sera les rites d'imprégnation des NouveauxRéalistes lors de la fondation du groupe(déclaration constitutive, suaire collectif).

C'est dans le même esprit d'effu-sion qu'il accomplira l'un des gestes les pluschargés de sens de son oeuvre entière : l'appro-priation d'un jour du monde . De 0 à 24 heuresle dimanche 27 novembre 1960 la planèteTerre est devenue le Théâtre du vide . L'appro-priation se fait par voie de presse : dans lecadre du Ill e Festival d'avant-garde qui a lieuau Palais des expositions de la porte deVersailles à Paris, Yves Klein publie « le journald'un seul jour », dans le format exact du Journaldu Dimanche (édition dominicale du quotidienFrance-Soir) . Tiré à plusieurs milliers d'exem-plaires ce document rassemble toutes ses idéessur le Théâtre du vide, l'inversion du rapportacteur-spectateur, scène-salle, etc.

En première page, sous le titre« Un homme dans l'espace » et la légende « Lepeintre de l'espace se jette dans le vide », unphoto-montage nous montre Yves Klein seprécipitant en vol plané depuis la mansarded'un pavillon de banlieue . Ce saut dans l'espacesymbolise l'accord syncrétique, l'accès àl'éther, la région éthérique du monde physique.

Contrairement au sculpteur Takisqui fut le premier à envoyer un homme — unesculpture vivante — dans l'espace par lancermagnétique, Yves Klein n'ironise pas sur l'aven-ture spatiale, elle le fascine, elle le passionne.

II exécute, parallèlement aux volsintersidéraux des cosmonautes russes et améri-cains, des « reliefs planétaires » qui sont desrelevés topographiques anticipés de Mars, deVénus ou encore de la Terre vue de la Lune,jetant les bases d 'une cosmogonie à l'échellede notre système solaire . Gagarine à son retourlui donne raison : du fond de l'espace, la Terreest bleue .

Dernière étape de cette symboli-que de l'imprégnation universelle, il domestiquele feu dont il s'empare pour faire des sculptures(jets de gaz incandescent sous pression, Kre-feld, 1961) et des peintures (combustions decartons suédois traités à l'amiante, au contact

de brûleurs industriels de gaz de coke) . Ultimemessage humain, il entreprend au terme de sonexistence une hallucinante série de portraits-reliefs à base d'effigies de plâtre grandeurnature en prise directe . Seul le portrait d'Ar-man, bleu sur fond or, a pu être terminé (mars1962) .

VI — L'harmonie du coeur et dela tête

L'évolution de Klein considéréedans la suite chronologique de ses développe-ments est significative. En lui s'est fait jour uneexigence totale : celle de donner à sa créationles normes fondamentales d'une cosmogénèse.Non content de prévoir le monde futur, il avoulu nous en fixer l'image à travers unnouveau langage, une nouvelle méthode deperception des énergies cosmiques. Et c'est parlà qu'il exerce sur nous, sursitaires d'un mondeen pré-mutation, astreints à nous créer detoutes pièces un nouvel entendement et unepsychologie nouvelle, un attrait puissant, uneindéniable fascination . Nous avons avant toutbesoin aujourd'hui de réapprendre à voir et àsentir . Yves Klein illustre l'avènement d'unesensibilité autre, à l'échelle du monde plané-taire de demain. S'il accuse nos limites ac-tuelles, il nous ouvre la voie des plus grandsespoirs. II recharge nos sentiments et aiguisenos perceptions ; avec Klein et à travers sonmessage, nous avons l'impression de ne plusêtre les jouets passifs des événements, desentir autrement les choses, de voir mieux etplus grand, de conjuguer la vie au futur.

Installé au coeur de son langage etne faisant plus qu'un avec lui, Yves Klein étaitun croyant vivant de son propre sens du divinet un mutant responsable au plus haut degréde sa vision . L'énergie vitale, source de toutesles mutations, est l'ordre de Dieu . Comment yaccéder, si ce n'est par la synthèse dessynthèses, l'intuition sensible, le Vide ? D'où lafascination exercée sur le peintre monochromepar toutes les formules du christianisme ésotéri-que, l'occultisme rosicrucien, la Chevalerie (ilétait chevalier de l'ordre de Saint-Sébastien),les règles de compagnonnage, le mythe del'Homme-Christ. Contre toutes les tentations del'orgueil, il évoquait sainte Rita, la patronne descauses désespérées, son ultime recourslorsqu'il éprouvait, devant le Vide ineffable, lapeur sacrée de l'ordre de Dieu . Pour Yves Klein,il n'y avait pas de problèmes mais des ré-ponses. Sa mort soudaine en est une : dans ladémesure vitaliste du mutant, elle apparaîtcomme une mesure, un rappel à l'ordre . Le

croyant qu'était Yves Klein a assumé l'aventuremonochrome dans la parfaite harmonie ducoeur et de la tête.

VII — Plus je pense à l'hommeKlein . ..

Plus je pense à l'homme Klein, etplus je me rends compte de la dimensionspécifique de sa foi : elle est naturelle, aussinaturelle que l'est la respiration pour l'orga-nisme ; elle est une forme de la sensibilité, unequalité de la vie : sa sensibilité et sa vie . II est« élu », mais l'orgueil de l'élection est immédia-tement tempéré par l'ordre de Dieu . Klein saitqu'il est détenteur d'une vérité fondamentale,mais qu'il en est détenteur à titre précaire, etnon une fois pour toutes . II n'est que le locatairede l'énergie qu'il vend en zones de sensibilité :il s'interdit d'en toucher l'intégralité du prix.C'est avec le bleu de la sensibilité qu'ils'approprie la mesure anthropométrique ducorps humain, et non avec le rouge du sangqui en souillerait immanquablement l'em-preinte . Tout se passe comme s'il s'exposaitvolontairement à toutes les tentations promé-théennes en les assumant comme une épreuve,un test révélateur de l'ordre de Dieu . L'ordrede Dieu apparaît comme la plus ineffable deslimites : tout ce qui ne nous appartient pas . Ens'identifiant à l'Homme-Christ, Klein n'entendpas défier Dieu le Père, mais faire le plein desressources de son humanité, les utiliser aumaximum dans la voie de la connaissance. Laconnaissance idéale est l'éternel présent : nousn'y parviendrons qu'au terme d'une mutation,imminente dans son déclenchement. Tel est lesens du retour à l'état de nature dans un édentechnique, et des deux corollaires de l'archi-tecture de l'air, la disparition de l'intimitéindividuelle, c'est-à-dire le dépassement du moiet le pouvoir de lévitation . Yves Klein est legrand artiste de l'environnement, mais il entendâgir sur la nature éthérique du monde . Sonintervention sur la nature physique n'est qu'unpréambule, la préfiguration d'un futur qui seraun éternel présent. « Le dépassement de laproblématique de l'art » s'inscrit dans la logiquede la foi . La période transitoire de mutation seracelle du dépassement de tous les problèmestechniques de réalisation.

En assumant la plénitude affectivede sa foi, Yves Klein devient l'archétype del'artiste contemporain. II vit d'instinct un mo-ment de la sensibilité qui privilégie le geste paroù s'incarne l'idée. Il se situe là au carrefourde toutes les spiritualités agissantes oucréatrices. II est évidemment l'homme dusecret, car l'ordre de Dieu est ineffable . Maisil n'entend pas faire du secret le privilège d'unecaste. Les individus perceptifs sont appelés àproliférer au rythme même de la mutationplanétaire, et c'est pour hâter ce processus qu'iljette les bases d'un enseignement théorique etpratique, d'une école de la sensibilité . L'Hom-me-Christ est l'instrument conscient d'unemutation transitoire. Toutes les audaces sontpermises, dès lors qu'il s'agit de sentir plus hautet de voir plus grand.

Quand je dis que la mort soudained'Yves Klein est une réponse, je ne fais passeulement allusion à son « dépassement des

problèmes », je pense à la cohérence et à lacohésion de son système-message . L'essentiela été assumé, le reste est du domaine de lapreuve, une course contre la montre, contre letemps matériel de la mutation . Une prolonga-tion de son existence « physique » n'aurait rienajouté .

VIII - Yves Klein demeure uneidée immensément présente

Yves Klein demeure une idée im-mensément actuelle, présente dans l'absence,la monochromie et l'immatériel . Une idée quicorrespond à un double profil, pratique etmental de la sensibilité d'une époque, notreépoque, l'époque d'Yves Klein . Ce n'est pas parhasard qu'Yves Klein domine tout naturelle-ment les secteurs les plus évolutifs de larecherche créatrice dans le domaine des artsvisuels . II incarne une dynamique poétiquegénéralisée dont les facettes sont multiples : lamonochromie de la peinture minimale, le bodyart et son transfert corporel de l'ego, les diverssystèmes de l'appropriation de la réalité aumoyen de l'anthropologie culturelle, lesénoncés de l'art conceptuel, l 'investigationélémentaire de l'écologie (les sculptures de feuou les empreintes de la nature), les problèmesliés à la dématérialisation de l'oeuvre-objet d'art,le vide, l'air, l'anti-gravitation, l'espace à tousles niveaux, la climatisation planétaire, l'archi-tecture et l'urbanisme prospectifs . ..

Yves Klein est le contemporain duNewman cabaliste, du Reinhardt de la peinturenoire, du Kelly presque monochrome ; l'initia-teur d'un Manzoni ou d'un Piene, le catalyseurcoloré du spatialisme de Fontana, le pèrespirituel de tous les Ryman du monde ; il estle prophétique révélateur de constats de base,d'évidences opérationnelles qui ont façonné lepaysage culturel de notre temps : le corpscomme médium, l'espace comme laboratoirestructurel, la nature et les éléments commematière première.

Enfin, ce mystique vitaliste inau-gure mentalement et sentimentalement cettepériode syncopée faite d'alternances contradic-toires d'espoir et de peur, de joie et d'angoisseet qui correspond à la fin du siècle et à la findu millénaire, l'attente du nouvel an mil . Lagrande peur de l'an 1000 était la peste, cellede l'an 2000 est l'atome : le transfert deparanoïa est le même. Devant les limites ducorps et les carences de l'esprit, il est heureuxque la sensibilité ait pris le relais des émotionssouveraines .

IX - Mais qui est donc YvesKlein ?

Lawrence Weiner écrit à la façonde Klein, et Klein parle comme Malevitch ;Yona Friedman pense comme Klein, et Kleinvoit à la façon de Sant'Elia ; Vito Acconci dortcomme Klein, et Klein rêve comme Bachelard.Klein n'a peur de rien, si ce n'est de Dieu etnul ne sait comment il prie quand il a peur.Personne, sauf sainte Rita de Cascia qui seulepourrait nous dire si la peur sacrée de Klein estcelle de saint Jean de la Croix, de Gilles de Raisou d'Antonio Gaudi . Et finalement cela a-t-il tantd'importance ?

Mémoired'Yves KleinREMO GUIDIERI

6 août

J .-Y . m'écrit pour me deman-der de quelles images je vou-drais faire accompagner letexte . J'ai tout de suite pensé

aux photos qui, avec astuce ou innocence,retracent et fixent ce qui n'est en aucune oeuvrede K., tout au plus dans les témoignages quelui-même ou d'autres ont donnés de sonaventure. Ce qui, depuis toujours, et dans lesmeilleurs cas, fait de la photo une véritableénigme : le souvenir, même cruel, d'un instant— un dépôt », dirait D .R . —, ou, pour reprendreici une célèbre formulation de K ., mais tronquéeà dessein, « un transfert de zones immaté-rielles » .

Or, justement, la photo ne dit, pourK., que ceci : que la forme, désormais, « n'estplus une simple valeur linéaire mais une valeurd'imprégnation » . Je souligne ce « désormais »car il permet d'attribuer un sens à cette « valeurd'imprégnation » qu'est une présence, touteprésence, désormais. De même que m'inté-resse le lexique de K. « reliefs » qui sontjustement les photos ; « anthropométries » quisont soit des moulages, soit des traces sur latoile, véritablement, des imprégnations » ausens littéral du mot . Que la photo soit un relief,cela vient peut-être de ce que ce terme veutdire aussi « reste (après un repas) » . La photo,à l'évidence, est ce reste ; mais plus précisé-ment elle appartient à cette activité desurface » (D .R.) qu'est le faire humain dans sonensemble et interminablement.

Relief, par photo . Anthropométriecomme imprégnation. Parmi les oeuvres de K.de nombreuses présences ne sont que destraces, à la lettre . Seuls les monochromes n'ensont pas, mais pour eux l'expression de « dé-pôts » demeure encore adéquate . Or, bleu,rouge. Dépôts de matières originairementfluides. Canevas aussi sur lesquels K . a déposéla couleur . Car ces monochromes exercent leurdroit d'exister comme surfaces autrement en-core : parties d'un tout, et inversement. Où lesrapports entre tout, partie, fragment, totalité serenversent . Non pas dans le sens pictural d'unRothko ou d'un Newman, pour lesquels ce quise passe est encore dans la surface peinte,dans la peinture . Mais au sens << réaliste » d'une

volonté d'annuler la distinction entre copie etmodèle. Voilà pourquoi, peut-être, K . est actuel :contemporain.

7 juillet

Je me souviens d'avoir lu dans lecatalogue de Turin le texte d'une conférence(la dernière ?) où K . parle de tombeau, de vide,et ajoute : « Je voudrais maintenant, avec votrepermission — et je vous demande la plusextrême attention — vous révéler la phase demon art qui est peut-être la plus importante,certainement la plus secrète . Je ne sais pas sivous allez le croire ou non, mais c'est lecannibalisme. Après tout, être mangé n'est-ilpas préférable à mourir sous les bombes ? Ilm'est extrêmement difficile de développercette idée, qui m'a hanté pendant des années.Donc, je vous la livre telle quelle . . . » La suitede la conférence ne mentionne plus cettedétermination jusqu'alors cachée de l'oeuvre.Comme si elle n'était dicible qu 'à travers cemot : cannibalisme . Il semble en effet éclairerl'effort de K . vers la limite, pendant les huitannées intenses qui précèdent sa mort, la partiede sa vie consacrée à l'art, comme on dit.Qu'est le cannibalisme sinon une manièred'atteindre le vide par la transgression d'untabou qui chez nous du moins est très fort ?Dépasser la limite (et le tabou est bien la formearchétypale de la limite), et ainsi s'abolir . « Levide, ma préoccupation essentielle . »

« Je suis certain qu'au coeur duvide comme au coeur de l'homme il y a des feuxqui brûlent .» (K.) Le vide s'atteint à travers lerien, en le dépassant, dit quelque part K . Maisc'est un vide qui n'est pas occidental . K. atoujours insisté sur cette source qu 'est pour luil'Orient . Instinctivement, comme pour toutesles choses qu'il faisait . Pense-t-il à ce quel'interlocuteur japonais :de H . appelle le « rayon-nement sensible » — le iki — qui est « biendavantage que du sensiblement perceptible,quel qu ' il soit » ; ce rayonnement qui baignedans la couleur (iro) . « Nous disons konon, ditle Japonais, c'est-à-dire le vide, l'ouvert, le ciel,— et le supra-sensible . . . Nous disons : sans iro(couleur), nul konon. . . (Mais) nous nous éton-

y

nons aujourd'hui encore et nous nous deman-dons comment les Européens ont donné dansl'idée de prendre dans un sens nihiliste le rien . ..Pour nous (Orientaux) le vide est le nom le plushaut pour cela que vous aimeriez pouvoir direavec le mot être . . . »

Là où le philosophe dit « être », K.après avoir noté qu'il a repoussé le rien pourdécouvrir le vide «, parle de la profondeurbleue ».

25 mars

A Houston, traversant les sallesblanches de l'expo . Les lieux, ce matin, sontdéserts . Il me faut peu de temps — le tempsque H . me laisse seul — pour penser que je mepromène dans une caverne immaculée rempliede dépôts, ou dans un vaisseau spatial aban-donné. Mélange de structures et de formestechniques — lignes droites, fenêtres-vitrinesdonnant sur le vide blanc — et les résidushumains, traces de la main. Impression que jeressens surtout en découvrant des nichescarrées qui protègent, comme des fontainesgelées, des pluies bleues et rouges, bâtonnetsqui figent un mouvement (mais au juste quelest le mouvement de la pluie ?), des cageotsposés horizontalement contenant des reliefsgéographiques lapis-lazuli.

Ce n 'est ni une pinacothèque, nimême un musée . Ces lieux n'abritent ni destrésors ni une mémoire. Même les quelquesportes, effacées par le blanc et le silence,donnent l'illusion que tout l'édifice ne reposeplus sur terre.

Et la photo agrandie du saut de K.à Fontenay-aux-Roses, placée à l'entrée del'expo, a ostensiblement quelque chose defunèbre. Avec les dates qui limitent sa vie,inscrites à côté : 1928-1962 . Le plongeon,l'instantané, fixe K . « hors de la gravité ».Fronton d'un lieu en état d'apesanteur, où estillustrée la seule manière de l'habiter pendantla visite, de voir et de se voir en même temps.(Me suis demandé, plus tard, si K. avait penséau miroir, quelles idées il pouvait avoir eues surl'image spéculaire .)

25 mars : après-midi

Après tant de souvenirs muséogra-phiques, de déambulations de mémoire enmémoire, surgissait tout à l'heure le souvenirde ces abris loin de l'Europe, au coeur des

forêts, où l'humidité s'arrête au seuil du trouqui descend dans la terre et où les cris desoiseaux sont soudainement lointains . Caves,cavernes — ou caveaux : demeures chtoniennes,enveloppées de terre sèche, compacte ; oulabyrinthes — et le .labyrinthe n'est le plussouvent qu'un pressentiment de cave. Desabris : non seulement des masses servant àprotéger le vide, mais des lieux où l 'absenceet la présence semblent se confondre (ainsi deces maisons américaines où de grandes vitresprotectrices filtrent les choses claires visiblesde l'extérieur, cherchant un dosage entre lesilence du caveau et le bruissement).

Jusqu'où l'expo que je viens devisiter a=t-elle été conçue pour abriter effective-ment des objets-Klein (et dans quelle mesurecette manière de vouloir abriter devient-elle unmode d'être dans le présent, surtout enAmérique, où le poids des choses est écrasant,impérieux, inéliminable) ? Questions à écho,évoquées et répétées en pleine immobilité ducorps, et qui me font peu à peu oublier leschoses .Klein, au profit de ce que j'appellemaintenant la « chose-abri », ce lieu quicontient des objets rares, uniques, à l'identitéindécise (« c'était peut-être un ostensoir ; ceciest peut-être un paravent d'initié ; cela, peut-être, fut fait par X, ou son école, ou son atelier,etc . »), à jamais solitaires parce qu 'ayant perduà jamais leur support, ou origine ; destinés, ici,à être sauvés, dit-on, et se prêtant à unecontemplation gratuite, fugitive, comme lesouvenir pour une mémoire affaiblie . Les mu-sées . Je me répète : « L'édifice, ce matin, esten moi comme la réplique contemporaine durefuge. Je l'ai pénétré — /'ho varcato — enpassant sous une inscription et une image. »Image et inscription s'évanouissent et il nereste que la phrase : « Ci-gît l ' espace . » J'y suisentré et j'ai parcouru l'aventure du vide, parétapes : monochromes, éponges, reliefs, an-thropométries, empreintes, où toujours le corpsdomine . Ainsi que dans l ' image du corps de K.qui vole . Saut dans le vide . Victoire de l ' espacesur la pesanteur.

26 mars

Je suis assailli par les mono-chromes-or . Aujourd'hui ils m'éblouissent, etbrillent par-dessus tous les autres jusqu'à lesécraser (à l 'aéroport, la lumière du midi brillaitsur les vitres de la tour de contrôle et seréverbérait jusqu'aux arbres alentour).

Je pense à l 'or ; mais à un or sansforme définie : diadème, pendentif, monnaie,

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etc . Ni, non plus, à un or naturel (pépite,poussière, etc .) . Mais à quelque chose que jeformule ainsi : à une pesanteur-lumière . Mêmenaïvement, l'or est « alchimique » . Et plusencore que les autres matières qu'il emploie,l'or est la signature alchimique de K . Quelquechose comme un sceau, une trace individuali-sée, qui parachève jusqu'à l 'éblouissement lesuccès d'une œuvre . Si je compare maintenant,peut-être pour atténuer en moi cet éblouisse-ment qui, de la mémoire où il s'exerce, trouveun écho dans le soleil du matin, l'or et le bleu.Je m'aperçois que je pourrais aussi parler deK . dans son rapport aux traditions (et lesrose-croix à Kassel syncrétisent plusieurs tradi-tions, justement) . En l'occurrence, s'agissant dematières archétypales, de ce qui n'est pas, n'estplus mouvement : pneuma, action ; n'est pastrace laissée ; n'est pas imprégnation, au sensde : relief, .photo, anthropométrie, etc ., mais,justement, monochromie.

La monochromie est une surface,dense et homogène, ou bosselée irrégulière,chargée - qui me semble, si je pense à l'or etau bleu, donner à la << matière » un moded'apparaître qui fait vaciller la séparationradicale entre esse et nihilo Le type de présencequ'est la monochromie-K . dément ce hiatus . J'yretrouve cette plénitude du vide qui a toujoursintuitivement hanté l'oriental Y .K. (Dans unenote K. a écrit : « Malevitch, ou l'espace vu deloin » ; a lato, comme légende d 'une toile quiest le modèle que le peintre peint, on lit :,< monochrome servant de nature morte àMalevitch pour ses compositions » .)

II y a aussi des monochromesrouges. A examiner la possible complémenta-rité des trois - or, bleu, rouge - on risque d'envenir à « symboliser » ces fondamentaux : parrecours aux connotations alchimiques, auxfigures et aux noms presque innombrables queles couleurs ont toujours eus dans les traditionsqui précèdent ou suivent ou se fondent dansles écoles alchimistes. Or, avec les mono-chromes-K . c'en est fini de cette frénésiecryptologique, de ce sémiotisme répétitif quiveut toujours faire dire quelque chose à quelquechose, en quête du << sens partout » . Avec K.et les Américains, à commencer par les gicluresde Pollock, s'annonce la nuit des littérateurs quicouvrent de leurs mots comme d'une glu lessurfaces et les objets.

Par le bleu, c'est au ciel, « la plusgrande et la plus belle de mes oeuvres », queK. renvoie . Mais comme une couleur renvoieà la couleur ; non comme un signifiant à unsignifié . Le bleu est, dirais-je, le fondamental-

comme-pur, ou encore : l'ob-stant (Gegenstan-dige), ce « se-tenir en face, caractéristique del'objet » (Heidegger) . Fondamental, parce qu'in-violé, éloigné de la terre ; loin de tout ce quis'y passe : mélanges, corruptions . Loin donc decet espace de mouvement qui trompe et égare.Mais où on peut aussi se complaire, et jouir dela confusion des matières jusqu'à s'en intoxi-quer . Tandis que l'air n'est violé que par toutce qui n'est pas humain - ou à peu près et demoins en moins : le temps de K. est déjà loin.

Si je reviens à l'or, je me dis pourla première fois que l'or échappe, tout enrestant aussi fondamental que les autres grandséléments que K. cite et travaille, à toutetransformation, comme l'absolu indépassablede la matière. Sa lourdeur, et-les délires qui l'ontfixé pendant les millénaires, tient, peut-être, àcette singulière irréductibilité . (Maintenant,dans la carlingue, il n'y a que du bleu .)

15 août

Ne plus avoir d ' intermédiaire entremoi et la chose et être dans la chose sansm'abolir .

Si je veux être dans la chose c 'estque je veux être réellement dans le réel . Ainsil 'artisan, le savant, et l'artiste, du moinspendant les siècles qui ont fait fructifier lepenchant pour les images profondes . Et, sansdoute, K. propagateur du « nouveau réalisme »,et qui prétendait être « l'artiste le plus classiquedu siècle », justement pour cela . J'ajouterai que,de ce point de vue, K. participe de cemouvement qui veut salutairement abolirl'écran instauré par la psychologie et tout lemauvais fatras où se rejoignent mysticisme,théosophie, » abstraction » en peinture, etc.Cela vaut aussi pour les grands, de Mondrianà Rothko .

Etre dans le réel, c 'est donc s ' ob-jectiver, ou simplement objectiver ? Mais jepeux faire l'un et l'autre en décrivant parexemple les choses qui m 'entourent : les dire,les écrire, les reproduire . Devenir enregistreur.Répliquer comme un instrument, où résonnenten écho présences et bruits du réel qui est là.Mais « être instrument » c'est seulement expri-mer par le geste qu'on reflète l'extérieur . Jepeux aussi m'approprier un objet . Je tends lamain, et je m'empare d'une chose . Geste banal.Cette appropriation peut effectivement n'êtrequ'une manière passive, indifférente, deconsommer . Consommer, surtout dans notremonde, est la forme simple de l ' appropriation,

justifiée par la nécessité (et on sait que le seuilde la nécessité est depuis longtemps enOccident surélevé, halluciné) . Mais il existeaussi un autre sens, auquel K. fait probablementallusion dans sa conférence à la Sorbonne, sousforme d'une boutade-aphorisme difficile à expli-citer — ma plus profonde préoccupation atoujours été le cannibalisme » . Or le canniba-lisme est consommation . C'est généralementce qui a attiré et c'est aussi ce qu'on réprouvedans le cannibalisme . Ce qui l'a rendu célèbre ;ce qui pousse aujourd'hui les ethnologues, muspar un racisme à l 'envers, à en nier l ' existence.Toutes ces attitudes achoppent sur l 'essentiel,à savoir que les raisons « simples » de nécessitéde consommation ne valent pas pour l 'acte demanger son semblable . Rejetée la simple raisonphysiologique — manger pour se nourrir —, lecannibalisme apparaît comme une « absur-dité ». A quoi bon alors, demandent nosspécialistes de l'exotique (qui était, il y a encorepeu de temps, merveilles et absurdités) ? Maisc'est une absurdité qui a sa propre nécessité,qui n 'est ni alimentaire, ni vaguement supra-alimentaire — « religieuse » . Une nécessité obs-cure, comme on dit . Et impérative, sans aucundoute aussi . Nécessité où l'infra et le , supracoïncident comme dans le sexe. Et commedans le sexe, entourée le plus souvent d ' inter-dits, parfois transgressés, naguère encoreredoutables .

Ce que le cannibalisme a decommun avec d'autres formes d'appropriationplus banales, n'est certes pas la manducation,mais l'effet double qui en découle : destructiond'une chose, devenue chose consommée, etalimentation d'une autre, sans quoi l'être ali-menté risquerait de disparaître . Or, à l ' évidence,K. a un rapport singulier — et probablementcentral comme il l'affirmait lui-même — non pasavec la manducation mais avec la consomma-tion et la destruction . S'il en fallait une preuvetangible, si jamais il en fallait dans ce genre dechoses, je mentionnerais un objet élu chez K.qui emblématise remarquablement ce que jeviens de dire : c'est l'éponge Objet, matière,organisme — et outil ; qui s'approprie — avaleles matières en s'en imprégnant . Qui assimileet, en assimilant, se change dans l'« essence »de la matière assimilée sans perdre la sienne(l'éponge bleue reste éponge) . L 'être même del'imprégnation . Noter le déroulement du pro-cessus : avaler, imprégner, prendre une autrecouleur, tout en restant soi-même. L' imprégna-tion, avec l 'éponge, apparaît dès lors commela plus parfaite manière d'illustrer ce qu'estpour K . assimiler .

19 juin

Ce n'est qu 'après avoir touché unestatuette Mawo (Nigeria) que je repense à l'undes thèmes les plus communs de ce siècle :celui de l'énergie, de son emploi, de saconsommation, etc . K. est une sorte de dynamoqui en produit et qui, ce faisant, relie couleurset objets par des écoulements.

Mais cette production doit aussifixer l'énergie, qui autrement resterait diffuse.« La peinture abstraite est abstraite . Elle vousfait face . Il y a quelque temps, un critique a écritque mes tableaux n'avaient ni commencementni fin . II ne l 'entendait pas comme un compli-ment, or c'en était un . C'était même un beaucompliment . Seulement, il ne le savait pas ( . . .)Quand je peins, c'est avec une idée d'ensemblede ce que je veux faire . Je peux contrôler lacoulée de peinture . . .» (Pollock) Problème ar-chaïque, en ce double sens : déjà présent,obsessionnellement, chez le rain-maker d'Aus-tralie, il le demeure jusqu'à nous . Je dirai mêmede plus en plus intensément, aussi bien dansla technologie que dans l'art . A l'aborder, onconstate qu'il mène, obligatoirement, à celui duvide, ou noyau : où commencent le mouve-ment, l'énergie, etc . D'où aussi, ce qui, chez K .,est une constante : la dimension pneumatiquede l'ceuvre, la mise en boîte de l'énergie . Paquetde sorcier ; churinga-rhombe ; réacteur nu-cléaire . Et « oeuvre ».

4 juillet

Toujours à propos de l'appropria-tion . Toujours à propos de la « magie » . Enrecourant à ce mot, je me dis, comme chaquefois que je l'emploie, qu'il est trompeur à causede l'ignorance qui, l'entoure.

L ' appropriation serait quelquechose comme : « je fais mienne la chose àtravers sa représentation ». Lieux communsutilisés pour décrire la pensée primitive . Pourformuler les choses autrement, en pensantjustement à K . : ce faisant, je veux atteindrel'élémentaire . Ou, mieux, l'élément . Je peux,par exemple, réaliser une « icône » : une des-cription de ce que je veux ; la chose, que cesoit le visage (du Dieu), ou son corps, ou saprésence (aura, halo, lumière), avec ou sansenvironnement : jardin, montagne, lac, ville,désert, etc .

Ou je veux atteindre hors de toutinventaire et description . Cette voie non des-criptive, mais qui se maintient dans le cadre de

la représentation, doit réaliser ce que jepourrais provisoirement appeler une « essentia-lisation » . Une reductio, donc, en vue d'attein-dre des « fondamentaux » . Lesquels ne peuventêtre - ne seront - que des éléments.

Ainsi, l'élémentaire ne serait plusce lisse, cette équivalence globale de tous leséléments dont parlait Matisse à propos duCézanne tardif de sa collection - « où il n'y aaucun point qui s'enfonce ou qui devance » -,mais un fragment tiré du réel : matière, couleur,calque.

14 juillet

« En art il n'y a pas de problèmes ;il n'existe que des solutions, c'est-à-dire desdémonstrations nécessaires pour convaincre lepublic » (K .) Le côté facile de l'argument : quepour « convaincre » il n'y a pas besoin deproblèmes . Le pertinent de l'argument c'estqu'il faut convaincre . Persuader un public parune « démonstration », concrétisée ou pas parun ou des objets. Souvent, la démonstrationlaisse des « dépôts ».

Je regarde deux « démonstra-tions » : la Madonna Rucellai (version miniatureà Sienne), un monochrome-K . (quel qu'il soit).Du point de vue de la démonstration », l'uneest aussi opaque que l'autre . Ce que j'appelleopacité tient à ceci : que maintenant que je lesregarde, l'une et l'autre me paraissent défini-tives, achevées . Toutefois ce sentiment, si lamémoire qu'on a est abolie, disparaît . Je peuxles détruire : les scier, les recouvrir d'une autrecouleur, etc .

Et si le Duccio est pour tout lemonde plus précieux que le K . c'est en grandepartie seulement parce qu'il est relique : restede ce que fut l'homme, le monde, la technique,au Xlll e siècle. Pour le dire avec le lexique deK . : Duccio est relique ; le monochrome, cendrede l'art de K . (Mais la cendre n'est-elle pas aussiun reste ?)

Et si convaincre était un • faire,opposé à l'objet, un « rite » ? Mot redoutable,galvaudé, banalisé . Un « spectacle » plutôt,c'est-à-dire une récupération du rite : sa formesécularisée . Mais la sécularisation du rite s'ap-pelle aussi mondanité, forme mondaine del'exhibition . K. nous invite à reconnaître cequ'on n'a pas assez souligné, et qui vaut surtoutpour notre modernité, à savoir les liens entre« art » et « mondanité ». Ces liens, bien sûr, onttoujours existé . L'« œuvre >> est publique, etc .

Et le côté « mondain » se trouve aussi dansI'« art pour le peuple » . Etre mondain, c'estexhiber et s'exhiber. Etre sur scène et créer lascène. Créer un champ magnétique (« l'avène-ment lucide et positif d ' un certain règne dusensible », dit l ' invitation au vernissage de K.chez Iris Clert en 1958) . Des intensités quiattirent . L'intensité du superflu, du risible, dela beauté qu'ont l'un et l'autre . Une beauté ditefacile. Celle du fard. L'aimant de l'inauthenti-cité, la positivité du faux-semblant . Sur ledépaysement et l'irréalité dans la mondanité,on peut toujours se référer à Baudelaire. Onparle, pour elle, d'« ébriété » . Etre adapté àcette ébriété, la rechercher, en ressentanttoujours cette « morsure » qui au XIX e siècles'appelle « spleen », c'est être dans le monde.Grands et anonymes vivent cette morsure.L'histoire se promène sur les Boulevards (Paris,capitale du X/X e siècle, Benjamin) . Les dandieset les artistes : les uns dans les autres. Rubem-pré devient Andy . C'est là la véritable épiphaniede mon temps. K . l 'anticipe et la vit prématuré-ment.

2 septembre

Che nulla ormai possa avvenirenella pittura. Giacché ciô che doveva avvenirviè già avvenuto. E' avvenuto questo : che il suospazio si è esaurito, corne altre cose, forsecorne /'ides di un Dio vero : unico in quantodirettamente legato a tutti gli uomini. Cioè unantenato. Resta ciô che non avviene mai. O cheavviene epifanicamente, solo epifanicamente :quanto è detto il Bello.

Houston - Moresco - Paris, 1982

Voir dans ce catalogue, les passages du texte de ThomasMcEvilley consacrés aux éponges ( ' i Yves Klein et lesrose-croix >>).

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La mémoiredes témoins€ * A d (tet

- Quelles ont été vos relations avec la peintured'Yves Klein ? Vous l'avez exposée très tôt,dans une exposition consacrée aux NouveauxRéalistes.

- Oui, et nous avons aussi fait, quelques annéesplus tard, un « one man show », en 1977 . Trèsbelle exposition qui malheureusement n'a pasfait sensation . En 1967, le Jewish Museumavait fait une exposition énorme, avec cesmerveilleuses peintures bleues, de deux, troismètres. Cela n'a pas marché ; ni avec le publicni avec les critiques new-yorkais . L'expositionétait très bien installée, mais n'avait pasbeaucoup impressionné . C'était la première foisque je voyais une grande quantité d'oeuvresd'Yves Klein ; et c'était un vrai « coup »J'avais été très touché. Et j'ai été un ferventd'Yves Klein depuis.Soit dit en passant, il était très ami avec mafemme ; elle était un expert en jazz Nouvelle-Orléans, Dixieland, et il adorait ça ; elle faisaitdes disques et des éditions. Ils s'étaientrencontrés là-dessus et avaient un très intéres-sant « rapport » * - qui n 'avait rien à voir avecla peinture . ..

- Cette exposition des Nouveaux Réalistes etdes pop artistes en 1962 ; quels étaient lesrapports entre /es artistes ?

—Je ne me souviens pas à cette époque . Maisen revanche, un peu plus tard je me rappelleque dans une exposition que nous avions faite,« The Classic Spirit in XXth Century Art », il yavait des oeuvres d'Yves Klein : un bleu, un rose,et même un vert, et un blanc . L'expositioncommençait avec un Malevitch « blanc surblanc », et allait jusqu'à ce que les jeunesartistes faisaient dans la direction d'Albers etde Kelly, vous voyez . Et les artistes américainsne firent aucune attention à Klein.Il y a quelques enthousiastes - mais dansl'ensemble en Amérique son travail est très peureconnu .

Souvenirs, fusion cohérente de réel et d'imagi-naire. Lorsque /es faits s'éloignent, la visionsupplée, colmate, révèle. L'émotion qui seglisse entraîne le vrai et le faux dans une seuleperspective, l'ivraie et /e grain.Jean-Yves Mock

Sidney Janis«Yves Klein al'art.

- Pour que/ le raison ?

—J'aimerais savoir ; mais je ne sais pas . Lesartistes, et c 'est ce qui m' intéresse, n'étaientpas. . . n'accrochaient pas à Yves Klein . Soitparce que c 'était trop sévère, soit par chauvi-nisme. Des artistes de leur âge, qui venaientde France . . . Il y a beaucoup de ça.

- l/ y avait une controverse entre Rauschen-berg et Yves Klein. Au sujet de la peinturemonochrome, et de qui avait commencé lepremier.

- Il y a probablement eu des gens qui ontécouté Rauschenberg. Mais vous ne pouvez pascomparer les deux artistes . Yves Klein est ungéant en comparaison . Rauschenberg a unebonne réputation - Yves Klein a l'Art . ..

Paris, le 22 octobre 1982.

». .

Iris ClertYves Klein poètede l'irrationnel

Ma galerie était minuscule . A peineouverte, elle est devenue célèbre . C'était unclimat, un lieu — de tentatives, de provocations,de rencontres, de réussites.

Un jour, pendant l 'exposition deTsingos, en octobre 1956, je vis entrer un jeunehomme à l'allure sportive, avec un beau sourirefranc et de grands yeux noirs qui vousregardaient droit dans les prunelles.

—Je suis Yves Klein, dit-il . Je viensde la part de Claude Rivière, je vous ai apportéun tableau .

II tenait à la main un petit tableauorange tout uni, tout lisse comme un pan demur .

—Ce n'est pas un tableau !—Si, c 'est une proposition mono-

chrome. Je vous le laisse quelques jours, vousme direz ce que vous en pensez.

C'est ainsi que tout a commencé.Yves Klein, à partir de ce moment,

ne cessa de me harceler pour m'entraîner dansson univers .

Je finis par me rendre à son atelier,c'était son atelier de judo boulevard de Clichy.Ses tableaux étaient accrochés sur les murs.J'ai pensé : il a peint des ceintures de judo . Lestableaux, monochromes, étaient noirs, jaunes,verts, blancs, etc . Dans cette pièce, on sentaitque l'inspiration venait de l'unité, de la simpli-cité, de la maîtrise du judo.

Yves Klein avait de toute évidenceune concentration sur lui-même extraordinaireet un magnétisme puissant . II était dévoré d'uneseule ambition, le désir fulgurant de transmet-tre son message : l'absolu. Attirée par l'ésoté-risme dès l'adolescence, je ne pus qu'adhérerà cette espèce de folie mystique et d'embléeje le baptisai Yves le Monochrome.

Toutes les manifestations les pluspercutantes furent le fruit de notre complicité,à laquelle vinrent se joindre Jean Tinguely etNorbert Kricke, le sculpteur allemand grâceauquel Yves Klein réalisa la décoration del'opéra de Gelsenkirchen, son oeuvre maîtresse.Yves Klein avait un charisme certain . Malgrél'apparence absurde de sa démarche, il trouvaitde farouches supporters : Claude Pascal, Ar-man, Bernadette Allain, Robert Godet,

Raymond Nains, Pierre Henry, Soto, WernerRuhnau, tant d'autres et la radieuse Rotraut quidevait, par la suite, devenir son épouse. Ilprojetait la foi, la certitude qu'il avait enlui-même . Il nous fallait aussi la présence d'uncritique d 'art pour cautionner son oeuvre . Yvesjeta son dévolu sur Pierre Restany qui leséduisait par sa faconde, son habileté littéraireet son imagination débridée qui allait bien avecla sienne .

Si l'ceuvre de Klein est aujourd'huireconnue, admirée, quasi déifiée, si elle inspiretoujours les nouveaux venus dans l'art, il n'enétait pas de même lorsque je l 'exposais à Pariset de par le monde. Je devais subir lesquolibets, affronter les médisances de l'intelli-gentsia artistique de l'époque.

Yves avait lu Bachelard, Tintin, lesrose-croix, Mein Kampf (« Mon combat ») — àmon avis rien que pour le titre . Il ne voyait, dansles livres qu'il feuilletait, que ses envies, sesdésirs, ses espoirs, ce qui le confirmait danssa démarche. Il y puisait sa force et sesintuitions. Il en devenait despotique, l'universtout entier devait ployer sous son joug, le bleu.

Dans son thème astral que j'avaisfait faire pour savoir, pour nous guider, Yvesavait toutes les caractéristiques d'un êtrehabité. Il brûlait, et s'il brûlait d'un feu tellementintense, s'il était animé d'une telle frénésie,d'une telle impatience de s'imposer, d'un teldésir d'être reconnu dans l'immédiat, n'était-cepas aussi par une sorte de prescience de safin prématurée ?

Durant sa vie si brève Yves Kleina parcouru le cycle complet des réalisationsuniques, il a atteint l'universalité.

/S –

Jean TinguelyUn superboncamarade

Jean Tinguely : En 1955, au Salondes réalités nouvelles, j'avais exposé un Reliefsonore . II n'y avait que de l'art abstrait, rien quede l'art abstrait . On se présentait devant unetable, avec ses oeuvres . II y a un jeune hommequi est arrivé avec un tableau orange —uniquement orange, sous le bras.

Moi, j'ai vu qu'il y avait desdifficultés à la table. II y avait là un peintre quis'appelait Valensi, un musicaliste, Herbin, Ma-gnelli je crois, et deux ou trois autres . Ilsformaient le comité qui réceptionnait les oeu-vres . Le jeune homme, c'était Yves Klein . Il étaitconnu par cette équipe parce que c 'était le filsde Marie Raymond . Marie Raymond était unpeintre abstrait de bonne réputation . Elle avaitexposé au Stedelijk, chez Denise René, elle étaitamie de Hartung, Nicolas de Staël, bref ilsétaient gênés à la table parce qu'ils trouvaientque ce n'était pas de l'art abstrait . Évidemment,un tableau monochrome ce n'était pas de l'artabstrait .

Il y avait deux points de vue.Quelqu'un a dit : « Mais il faut que tu ajoutesun point ». Ça, c'était Valensi . « Que tu mettesun point comme ça, mets donc un petit point.pour que ça fasse abstrait, il faut deux choses . »Et un autre a dit : « Mais tu peux faire deuxcouleurs . »

César, il peut faire rigoler les gens,mais c 'est un personnage extraordinairementangoissé, et c'est ce que j'ai dû souventconstater, disons un peu moins que MartialRaysse, mais aussi angoissé qu'Arman, trèsangoissé, c'est un homme du Midi, comme Ben.Les hommes les plus inquiets que j'aie connusparmi les jeunes artistes, d'une drôle de façonne sont pas du nord de l'Europe ou du centre,ils viennent tous de la Côte d'Azur . Ben, c'estun type d 'une réelle inquiétude qui l'exprimepar des questions, sans arrêt . Ben doute detout ! etc. C'est très étonnant à voir — quandil commence à écrire, il met ses inquiétudes aumur. C'est assez étonnant, dans l'ambianceniçoise — soleil, olives, bon petit pinard, vieagréable, qu'ils finissent par être si angoissés !Mais le champion toute catégorie, c'était YvesKlein . Absolument . C'est le plus angoissé quej ' aie jamais connu . II était inquiet à un point qu'il

ne pouvait même plus dormir. La nuit, il devaitécrire pour n'être pas déchiré par son déses-poir, et se stabiliser. Ainsi il écrivait, il inventaitdes trucs pour ne pas sombrer dans lecauchemar . Et, disons, l'ancêtre, c'était Nicolasde Staël qui était l'homme inquiet numéro un,super-inquiet . Tous des inquiets, c'est drôle devoir la Côte d'Azur si inquiète.

Dominique de Ménil : Quand ilfaisait son judo, l 'exercice physique que celasupposait lui donnait un certain équilibre.

J.T. : II ne le faisait pas comme unathlète . Comme il ne faisait pas la mono-chromie comme un « espace ». Il n'avait pas lacontemplation, le calme, l'équilibre, en lui . IIfaisait de la monochromie en s'affolant. Il étaitinquiet, pour savoir s'il réussirait à mélanger lestrois matières différentes qu'il lui fallait pourfaire du monochrome . II n'avait aucun calme.II n'avait rien de ce qu'il aurait été normald'avoir si on fait de la monochromie . Uneespèce de quiétude, une espèce de capacitéde se contempler soi-même, un équilibre . Il étaitl'homme le plus déséquilibré — totalementdéséquilibré . Il faisait de la monochromie eniconoclaste anti-peinture.

Il combattait sa mère, il combattaitson père qui étaient des peintres . Fred Kleinétait peintre, sa mère était peintre . II a connuHartung quand il était gosse, Nicolas de Staëlquand il avait douze ans . Nicolas de Staël, ilfaisait de la peinture et il empilait ses tableaux.II les enlevait du châssis et il mettait les toilesles unes sur les autres . II y avait une vingtainede tableaux de lui qui traînaient dans sonatelier . Nicolas de Staël avait un enfant qui avaitle même âge que Klein, et les deux ensemble,avec ces tableaux qui étaient d'une certainerigidité, ils se faisaient des armures.

D.d.M. : Des boucliers ?J.T. : Des boucliers I Ils se sont fait

en tout cas une fois, des boucliers avec leconsentement de Nicolas de Staël, parce quec'est très pratique : bonne toile, bien peinte,une peinture qui a séché. Après une deuxièmecouche, une troisième couche, comme Nicolasde Staël ne savait pas à quelle couche s'arrêteril y en avait beaucoup parfois les unes sur lesautres . . . Ils prenaient plusieurs toiles de Staël

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pour se faire des boucliers et ils faisaient desbatailles de chevaliers . Vous voyez un peu letableau, le petit Yves Klein qui grandit dans unmilieu de peinture — de peinture totale . II sortde là et quand il va au Japon, il fait du judo.Il avait une technique très rapide, qui tombaitses adversaires.

D.d.M. : Je vous arrête, je croisqu'en effet il était très bon en judo, maisWerner Spies m'a raconté l'histoire suivantequ'il tient du sculpteur allemand Kricke . QuandYves est allé en Allemagne, on lui a dit :personne ne vous égale . On a un type formida-ble, mais enfin, ça l'intéresserait de faire dujudo avec vous. Ils se rencontrent, ils se mettenttous les deux en position, et le type en unmouvement du poignet, une chiquenaude, ficheYves Klein par terre . Alors Yves recule, re-commence, s'avance, à terre, à nouveau, unetroisième fois . Ces choses peuvent arriver . . . Jepense que Kricke en remet, et que cela l'amusede raconter cette histoire . ..

J. T. : Moi, je crois pas que c'estvrai . . . je me méfierais de Kricke . C'est un drôlede coquin. C'est lui qui a amené Yves enAllemagne. C'est lui qui a convaincu Ruhnaude faire ces reliefs.

D.d.M. : Mais c'est très réussi cesreliefs de Gelsenkirchen.

J.T. : Ah ! c'est parfait, mais ça n'apas été tellement réussi pour Yves, il a travailléces éponges avec de la résine synthétique, çal'a tué. A l'époque on ne connaissait pas ledanger des résines synthétiques . On ne savaitpas que c'était à ce point-là criminel . II travaillaitsans masque . Il ne travaillait pas avec uneprotection valable et la petite Rotraut qui avaitjuste vingt ans, même pas, dix-neuf ans, la soeurde Uecker, l'aidait . Mais c'est quand mêmeKlein qui faisait tout le boulot . II trempait leséponges dans le polyester et il vivait dans desbidons . . .

D.d.M. : Je ne crois pas que ce soitseulement cela qui l'a tué.

J. T : Si, c'est cela.D.d.M. : C'était dans son tempéra-

ment d'étouffer de . ..J. T : Non, Il ne faut pas chercher

des choses trop mythologiques.

D.d.M. : Ce n'est pas de la mytho-logie. La contradiction le rendait fou, et ça, samère me l'a dit . [ . . .]

J. T. : Il parlait toujours des cendresà propos de tout ce qu'il faisait . II disait toujours« ce qui m'intéresse, c'est les cendres ». II avaitle sens profond de l'éphémère. On avait celaen commun. On a tous les deux le sens del'éphémère . Moi, avec le mouvement, j'étaistrès proche de l'éphémère, on faisait à la mêmeépoque, en soixante, cet Hommage à New Yorkqui était une machine qui se suicide . C'étaitvraiment une « exemplification » qui n'avait pasencore été faite sur l'idée de l'éphémère, surles transformations de notre stabilité sur terre.Nous n'avions plus la possibilité de croire qu'onpouvait faire des choses qui restent, qui sontcomme des rocs. On n'avait plus ces illusions-là.Il y avait quand même eu cette date fatidique,extraordinaire, qui est 1945. A partir dumoment où les bombes atomiques commen-cent à tomber sur ce monde, ça change lemonde. Avant ou après la bombe atomique, çachange. Parce que c'est la première fois que

l'être humain a la possibilité de se suicider entant que corps collectif . Cette fois l'humanitépeut se supprimer si elle veut . Elle a les moyenstechniques. Elle le peut, en tout cas . A partirde ce moment, on change la mentalité . Et YvesKlein aussi bien que moi ou que JacksonPollock avec son bidon insensé, son numéro,quand il fait son « dripping », ou Mathieu quandil fait ses tableaux rapides en 1945-1950 —quand il a commencé ses tableaux halluci-nants : ce sont les artistes qui ont compris cela,et Yves Klein en fait partie . Il travaille avec unematière qui n 'est pas importante . La matièreest un médium fixatif, comme il le disaitlui-même. C'est un mot que j 'ai toujoursentendu. Pour lui, tout n'était que médiumfixatif . C'était seulement un moyen pour obtenirautre chose. Quand il exposait en 1956, uneannée après que je l'ai rencontré, chez Le Noci,à la galerie Apollinaire à Milan, onze tableauxdu même format et du même bleu à des prixdifférents, tout le monde croyait que c'était duDada, de la farce . Parce que Dada à l'époqueétait un mot d'insulte . On insultait les gens avec« Dada » . Alors qu'avec Yves Klein, c'était trèsdifférent . Mais en même temps il disait : « Untype achète un tableau qui vaut 45 000 lires,c'est pas cher . » Ce type reconnaissait la qualitéde ce tableau et Yves avait réussi à lui fairecomprendre que ce tableau était le sien . Untableau monochrome, toujours du même bleu,même format, pouvait aussi coûter 60 000 liresà l ' époque . Il y en avait un qui était traitéverticalement, ou horizontalement, mais lebleu était toujours le même, les structuresétaient peu différentes . Klein avait un telcharisme qu'il réussissait à leur faire croireque leur tableau avait pour de justes raisonsun prix de 60 000 lires, ou seulement de45 000 lires .

J'ai toujours vu cependant un côtéDada, pour reparler de Dada, dans Yves . Parceque Yves savait aussi, de temps en temps, rire.II rigolait . II se roulait par terre de rire . En mêmetemps, il savait se prendre au sérieux, à un pointqu'il pouvait passer un soir entier à essayer deconvaincre quelqu 'un que la Terre était plateet carrée . C'était dur à l'époque, surtout quandil y avait déjà des satellites qui tournaientautour de la Terre. C'était pas tellement facilede prouver aux gens que la Terre était plateet carrée. II y arrivait. J'ai assisté une fois à uneséance, à La Coupole, où Yves aimait allermanger — parce qu'il aimait le luxe . . . C'était unhomme qui était très terre à terre, un Taureauascendant Gémeaux . II existe un horoscopequ'Iris Clert a fait faire de lui . Yves aimait bienmanger. II aimait les biens, les choses de la vie,de la terre . En même temps, il était porté versl'aérien — le contraire. II était très contradictoire,en lui-même, comme personnage . Je crois, àpartir d'un certain âge surtout, cette contradic-tion a commencé à fonctionner à fond. Yvespouvait dépenser une énergie folle à convain-cre un garçon, n'importe qui, à La Coupole,assis par hasard, en face, à la table, que la Terreétait plate et carrée . II se trouvait des victimespour leur prouver cela . Et les gars, ils ycroyaient . Yves donnait un tel feu, une telleforce dans la conversation, il amenait tellementde preuves, métaphysiques, non identifiables,que les gars s'en allaient sûrs d'eux, en ce quiconcerne la Terre .

/ c

Virginia Dwan :Impressionscaliforniennesd'Yves Klein

C'est il y a vingt et un ans que j'airencontré Yves Klein pour la première fois . Ilétait venu avec Rotraut, sa fiancée, à Malibu,en Californie, préparer une exposition pour laDwan Gallery qui devait circonscrire toutes lesdirections de ce qu'il avait fait à cette date.L'année : 1961.

L'année précédente, au cours del'été 1960, je m'étais trouvée à passer devantla vitrine, Faubourg Saint-Honoré, de la galerieRive droite. Ce que je vis là, était un relief d'unetelle intensité de bleu et d'énergie que je fushappée par lui . Toute idée de l'histoire de l'art,ou toute signification, s'oubliait. Le choc futimmédiat, véritable.

Qui allais-je découvrir derrière cespaysages muets, ces bleus insondables ?

Klein avait une intensité dans safaçon d'être qui allait parfaitement avec l'imagede l'oeuvre. Les yeux — c'étaient ses yeuxprincipalement — brûlants, grands ouverts, leregard fixe et alors curieusement détaché.L'orbite, sombre et profonde, les supportaitdans leurs transports . Cela donnait l'impressiond'un visionnaire ou d'un fou.

Les conversations avec lui étaientviolentes et décousues, et semblaient enflam-mées par l'urgence d'exprimer de toutes lesmanières possibles sa vision très personnelledu monde et du futur . L 'excitation était uneconstante . J'ai perdu avec le temps les pointsprécis de ses conversations mais ce quidemeure en moi, c'est le sentiment dequelqu'un qui se consumait de l ' intérieur.

Ses réactions à la Californie, àl'océan et au ciel furent enthousiastes et ilvoulait que toute l'École de Nice vienne y vivreet y travailler . Certes, la baie de Santa Monica-Malibu devait ressembler à celle de Nice, maisau-delà de cela elle semblait se déployer ets'étendre en un lieu où l'histoire et les idéespouvaient être déplacées à volonté — commeautant de bouts de films. Son intention, plusparticulièrement avec les monochromes, sem-

blait être d'exprimer l 'essence plutôt que laforme . Je crois que le souci de Ad Reinhardt,bien que le spectateur soit aussi entraîné dansun état de concentration profonde, était d'unenature infiniment plus formelle comme entémoigne le titre générique de « UltimatePainting » . Rauschenberg a dit que c'était unefrustration vis-à-vis de la couleur qui le poussaà en examiner toute la pureté et la simplicité.Les couleurs de Klein étaient comme uneempreinte directe de sa propre essence sansqu'interfèrent des idées sur l'art.

Le milieu artistique californien res-ta perplexe devant Klein et son oeuvre . Quel-ques collectionneurs répondirent à son enthou-siasme. D'autres eurent des mouvements d'hu-meur, furent outragés ou désorientés.Confrontés à son entière conviction, certainsse sentirent mal à l'aise . Là était devant euxquelqu'un qui plongeait, se pinçait le nez, etreplongeait sans cesse, et avec personne pourplonger avec lui.

Ma propre réaction à l'expositiondans ma galerie fut curieuse en un sens.D'extraordinaires formes bleues habitaient l'es-pace dans sa totalité. Il y avait les mono-chromes bleus, plats, les reliefs bleus, unobélisque bleu, les sculptures éponges, bleueselles aussi, les « pluies » bleues, les empreintesbleues des corps des Anthropométries, et unbac de pigment bleu . Le tout ponctué, ici etlà, d'une pièce rouge ou or . Ce bleu, superbe,même pour des yeux de Californien du Sud,semblait m'envahir . Ce n'était pas une oeuvreque je pouvais assimiler — c'était moi qui étaisabsorbée .

Maintenant si je repense à macarrière, à mon métier, je vois que ce qui m'atoujours impressionnée et continue de m'in-fluencer le plus chez un artiste est une qualitéd'intégrité ; une unité dans la vision et lanécessité. Une espèce d'obsession qui dirigel'action. Là se trouve un engagement de l'êtremême de l'individu. La photographie du sautde Klein maintenant célèbre, dans le vide,résume tout cela.

Cet artiste dont les couleursmêmes étaient inspirées par la flamme brûlaitlui-même de sa propre vision . II était une espècede comète dont la trace se mesure à l'espacevide qu'il a laissé derrière lui.

New York, 22 octobre 1982.

Traduit par Jean-Yves Mock

/7-

GottfriedHonegger : . . . leplus français desFrançais

Matisse, Mallarmé . . . Klein, le plusfrançais des Français . Le Français ne veut pass'engager dans la morale ou la politique . Il veutbien en parler, faire des poèmes. Boris Vianétait politique quand il faisait des romans oudes chansons, mais lui demander d'être réa-liste, rien . En mai 68, on était à la porte d'unmonde qui allait être changé, mais il aurait falluse salir les mains, se mettre d'accord, prendredes responsabilités réalistes . Le communismea été écrit en France . En France part le principed'une découverte, on l'exploite ailleurs — dessciences à l'art . La formule, les mots sont despossessions françaises . Le Français sait àl'avance que la forme totale ne sera pasatteinte . L 'idée compte, la matière est presquesouillure. Giacometti est lié à la terre, seulementSartre, nordiste, l'a compris . Giacometti touche,tient, détruit plus qu'il ne contemple . A laBiennale de Venise, il était nerveux, insatisfait,il s'est mis à peindre ses bronzes . C'est l'amourde la matière — l'humain, accepté comme tel,et ce avec quoi l'on fait : la chose, l'oeuvre d'art.Le Français a sa propre construction du monde.Zola n'a aucun rapport réel avec les ouvriers.L'Italien fait corps avec la pauvreté, nul roman-tisme . Le Français ne peut en aucune façons'intégrer ou se mêler à une idéologie, commeles Russes. L'Allemand est d'abord moral,coupable. Le Français aérien, c'est pourquoi ilfait ce qui lui passe par la tête, grâce à ce sensinné, exclusif de la liberté . Le Français vole,c'est l'albatros, avec des majuscules, à causede Baudelaire.

C'est cela Yves Klein, le jour, lanuit, sa présence à La Coupole, son oeuvre . Toutle monde pouvait l'approcher, lui parler. II étaitlà, chaleureux — et pour convaincre ou convertir.Il est allé plus loin que tout autre dans sonobsession de la liberté.

Tous les peuples se heurtent à unelimitation de la liberté, sauf le Français . Pourun Allemand, être privé d'une démarche physi-que ou morale est impensable. L'Allemand,c'est physiquement qu'il s'impose, veut s'impo-ser. Aucune construction intellectuelle, il dit :le pouvoir de l'art . Il fait un mur, à Berlin, par

exemple, au siècle de l'art abstrait . Le Françaisconçoit . Yves Klein conçoit son architecture del'air, un autre invente le Concorde . On aconstruit cet avion avant de faire les comptes.Mais le Concorde vole — symbole, idée — le plusbeau, le plus sophistiqué, un oiseau de l'esprithumain . Au niveau de la vie la plus immédiate,c'est la même chose. A la gare de Lyon, toutest automatique, même changer l'argent, on n'asimplement pas pensé que les billets avaientchangé. Dans sa conception, le Centre Pompi-dou était superbe — pas de murs, un sol uniqueà chaque étage et pas de murs . Il ne faut pastomber dans la vulgarité ; conclusion, au-jourd'hui, on en met . En Suisse, les syndicatsdiscutent avec le patronat, il n'y a pas degrèves, ici ce serait une atteinte à la liberté.

Pour le Français arrivent en tête :la liberté, la légende. Il la crée, et la veut . Aucunautre pays ne parle de la grande armée. Etpourtant, tant de défaites, les Suisses sont allésjusqu'en Bourgogne . Klein n'a pas fait untableau . II a lié la légende de la liberté aunon-faire du tableau . La conférence en Sor-bonne, ses déclarations, le journal Dimanche,un autre mythe typiquement français lié à lalangue, la parole est la patrie du Français . Pourl'Italien la culture est certes liée à la langue maisplus encore au sol . . . que dire de Manzoni quimet la merde en boîte ? L'Allemand est coupéde sa culture, l'important est l'engagementmoral . Willy Brandt, chef d'État, s'agenouille enPologne, devant les tombes . Mitterrand, le jourdu défilé, s'assoit sur une chaise dorée un peuplus haute que celle du Premier ministre.L'Allemand est coupable . Le Français ne l'estjamais, puisqu'il ne fait pas. II peut crier, à lalimite, un jour vive Pétain, le lendemain vive deGaulle . La réalité passe entre. Car la France estentre, entre l'Allemagne et l'Italie, entre laSuisse et l'Espagne, l'Atlantique et la Méditerra-née. Avec Klein, il y a un léger déplacement,il est méditerranéen d'abord.

Ambigu, en France a un sensdifférent . En allemand, c'est presque unique-ment emmerdeur. Ici, ce serait plutôt : d'unegrande richesse . La liberté, encore, qui pointe,

et un mouvement vers l'absolu . D'où la poésiefrançaise, Baudelaire, Mallarmé, Valéry. Mal-larmé se heurte et se résigne mais Jamais uncoup de dés n'abolira le hasard. II déteste sonlycée, sa femme, les cris de sa fille, mais quellepoésie . Il y a les éclatants qui estiment avoirtrouvé la solution : en tête, Yves Klein . Il estsolaire, généreux . II n'a signé qu'un tableau, parrage. II a signé l'envers du ciel, c'est autrechose, regardez les autres peintres . Mais l'an-goisse pointe, sur le plan individuel, avec Klein,devant l'incompréhension, mais il fonce,jusqu'au découragement, pour convaincre . LeFrançais ne réalise pas sa situation anachroni-que dans le monde, mais une certaine angoissecommence à naître . Tant de choses deviennentanti-liberté. Du supermarché à McDonald . Il ya un danger devant le culte de soi, l'idée, lasuprématie individuelle, tout ce que Klein avaitau plus haut niveau.

Face à l'engagement politique,physique ou religieux, même état d 'esprit, laliberté doit dominer . La liberté du culte et lanotion de secret sont à préserver . Sartre aussil'avait bien senti, avec la notion de regard . Situ me regardes, je perds ma liberté . L'Allemandespérera peut-être gagner un peu d'amour.Yves Klein, à chaque moment de son oeuvre,a mis en évidence la qualité fondamentale duFrançais . Ce que tout le monde voit, et dit, enFrance. C'est pourquoi les Français sont passésà côté .

Il avait un problème, le pigment,le fixer, en garder la fraîcheur de poussière, delégèreté. Mais il a cherché, et trouvé la solution.Quand il a vu l'Atlantique, pour la première fois,je crois, il a jeté une bouteille de bleu, et il adit : l'Atlantique est un peu plus beau,maintenant .

La beauté de ce geste, sa gratuité,son éclat, n'importe quel étranger y verra unmanque d'engagement. Mais comme il n'a pule concevoir, il admirera, et en effet quel sensdu geste ! Avec aussi quelque part, et trèsprésent, le souci, la crainte des traces, descendres.

Beuys pour une somme d'un mil-lion a fait reconstruire la couronne du tsar etl'a mise au four . Or massif, pierres précieuses.II a versé l'or fondu dans la forme d'un lapin.Tout le monde a été stupéfait, et réprobatif.Pour Beuys, il s'agissait d'un acte moral . Cen'est pas un acte gratuit . Beuys n'est pas librede faire un acte gratuit. Klein est incapabled'être coupable, il est né innocent . Beuys estcoupable. Klein n'est pas pour autant infantile,

les Américains le sont . Beuys à la Documentaplante 7 000 arbres et à côté 7 000 pierres.C'est massif, c'est moral . Nous sommes à unniveau où l'art c'est le pouvoir, ici une forêtminérale . L'utilisation du feu dans l'oeuvre deKlein vient d 'un regard innocent . Quand iltravaille à Gelsenkirchen, quand il fait lesAnthropométries, il n'est pas en salopettecomme Tinguely, il s'habille . C'est l'innocent quiveut, qui fait, qui découvre . L'ceuvre est entrela toile et le cerveau . Si le spectateur a uneantenne, il reçoit le message, autrement l'IKBn'est qu'un carré bleu.

Jean Tinguely critique le monde,il le ridiculise, il n'échappe pas à un côtéesthétique. Dès que l'esthétique apparaît unpeu de liberté est perdue . Chez Klein, l'esthéti-que est toujours secondaire. Il ne connaît pasl'histoire de l'art. Il ne voulait pas faire de lapeinture, il ne pouvait pas faire de la peinture.Mais il était au coeur de toutes les contradic-tions. Il veut se libérer de ses parents, pour celail ne peut faire de la peinture, donc il ne faitpas de la peinture, il ne veut pas être peintre,mais finalement . . . c'est pourtant et d'abord unepensée gratuite. Klein est le Gilles de Watteau,tragique, et beau, en même temps . Il estéquilibriste jusque et au-delà de la mort . II estla fleur dans un dernier grand feu d'artifice, oùMatisse a sa place, qui posait au bout d'unebaguette des bouts de papiers découpés auciseau, des détails, et l'ensemble est d'un grandlyrisme magique . A la grande veille de l'indus-trialisation, Poussin fait de la mythologie . Quefait Klein, dans les années des grands troublespolitiques des années 50 ? II rend le bleuimpeccable, il invente des zones de sensibilitéimmatérielle et jette l'or dans la Seine . MarcelDuchamp aussi avait vu la fin de l'art, Klein etlui partageaient ce même dédain de faire deschoses, de peindre . Mais concevoir . Danspresque tous les pays, l'art est un outil, chacunl'utilise à sa façon. Pour le Français, pour Klein,réponse à quelle angoisse, domine le concept,l'idée, l'innocence. C'est ainsi qu'Yves Klein estle plus moderne de ses contemporains – il aquitté les valeurs conventionnelles.

Paris, 31 octobre 1982

Propos recueillis par Jean-Yves Mock

Vivre un rituelJEAN-YVES MOCK

Vivre un rituel, avec le temps, avecl'espace — la conscience de soi etla sensation . Etre présent, et unjour, l'être sans l'être . Pour Yves

Klein, quelle continuité, quelle mobilité et quelleconstance, infléchissable, comme l'horizon dela mer.

Dans son oeuvre et dans sa vie, uneseule perfection, de l'absolu aux enfantillages,qui écarte tout et ne se refuse à rien. Every-thing in a nutshe//, faire fuser les contradictions,convaincre n'importe qui, et de n'importe quoi,quelle élégance, et un jour sublime échapperà la seule dernière, la plus haute de toutes,quand la mort et la vie se réunissent.

II y a aussi l'extrême de toutexercice, physique et mental, une adorationsans objet, sillage et mouvement — mouvementvers — qui assume tout à la fois les habitudes,le quotidien, le dépassement de soi et l'accepté,tous les refus, sans pour autant perdre l'es-sence de la fraîcheur . Comme Diaghilev l'auraitaimé . Il vivait l'angoisse dans le seul souci dela beauté, le regard noir et mobile fixé sur cequ'il était seul à voir et allait donner, son travail,l'éphémère devenant par lui couleur irradiantequi envahit, sans partage . Vie et santé, l'irra-tionnel a le sang bleu.

II n'est d'art sans désir, sans forceconvaincante, conscience et vouloir. Les diffé-rents moments de l'oeuvre de Klein ont la mêmevigueur soutenue, dépouillée, régulière . Lemême mépris de l'inutile, la même joie d'uneseule lumière . Une couleur saisie et trouvée, quia disloqué le reste, son époque, son temps . Lavision qu ' il portait aurait pu être fugace, elle nes'est pas flétrie . Par elle, l'homme qui la portait,cette lumière, cette couleur, est vivant, dansson essence .

La force de l'oeuvre de Klein, c'estaussi la brièveté de sa vie, dramatisation épuréede ce qui semble une genèse infinie . Elan, arrêt,trajectoire . Il s'en dégage une prophétie qui suitun cheminement exemplaire . Les grands mo-ments de l'oeuvre portent les stigmates d'uneprise de conscience ultérieure, presque collec-tive, en Europe comme en Amérique, une

quête, celle de la génération qui a suivi . Laquête de l 'esprit, en question, en marche —devant le mouvement, la concentration, lesacré — vers l'absolu.

L'oeuvre et la vie de Klein nousinvitent à ne pas dissocier le destin de l'accident,la vie journalière du signe et de l'imaginaire,l'homme de tous les jours du saint et du héros.Elles rendent à l'esprit sa nourriture perdue.multiple, faite de tout et de rien, selon laconscience que l'on a de soi et des autres, et laréalité de l'inspiration au corps profond de toutechose : jamais trivial, mais lumineux, et aérien.

Vivre un rituel et vivre le vent.Dans l'oeuvre de Klein, les éléments de l'uni-vers, la vie, sont saisis dans leur essence, à lasource : l'air, le feu, l'eau, les pigments — la terre.Leur métamorphose informe une oeuvre unique,capitale même, qui dépasse les normes habi-tuelles du prévisible et de l'esthétique . La vieet l'ceuvre de Klein, sa recherche visionnaire,sont une sorte de mise à l'épreuve de la loi dumaintien réciproque du réel et du divin, del'homme et de l'univers telle qu 'elle a ététransmise par la plus lointaine tradition ésotéri-que. L'oeuvre de Klein peut apparaître fragmen-taire à certains . Elle l'est, mais à la manière desfragments retrouvés, des textes majeurs quisont à l'octave l'indication d'une recherche,d'une conscience, d'une pensée . Son oeuvre sesitue dans la perspective de la réconciliationsémantique de l 'apparence et du réel, del'essence et de la personnalité, d'autant plusimportante qu'elle est une brèche dans lamatérialité historique du vingtième siècle, loinde Freud et de Marx, annonce, peut-être, d'unespiritualité nouvelle, à venir . On peut, en toutcas, regarder ainsi l'oeuvre de Klein : esprit d'unartiste, en question avec lui-même ; certitudeorientée par le sacré, vers la musique, niveauultime et premier où tout est vibration.

Klein a vécu de près un momentde l'abstraction géométrique et de l'abstractionlyrique, c'était ce qu'il côtoyait, chaque jour, àParis . En fait, il portait même en lui leurs formesdivisées : la peinture abstraite de MarieRaymond, sa mère, attentive au ton, à lacouleur,,à l'équilibre des formes et la peinture

de Fred Klein où la spiritualité indonésienne seperdait dans un lyrisme de figuration, paysageet chevaux . Si Yves Klein était occidental, parsa culture et ses goûts, européen, un appelpassait par lui, d'autres nécessités, d'autresintuitions le guidaient, éloignant une peintureuniquement formelle, révolutionnaire à tout prixou simplement écrite ou voulue.

. Comme Mondrian dépassa trèsvite le canevas du cubisme ou Mark Tobeynourri du Livre des Certitudes de Baha U ' Ilahse détourna d'une tradition académique, quel-ques phrases de Gaston Bachelard, le livre desRose-Croix orientèrent l'évolution de Klein etl'aidèrent à définir son oeuvre, l'idée qu ' il avaitd'elle, hors de la simplicité formelle, étroitepour lui, des années cinquante.

Son désir était celui d'une oeuvrefaite de propositions ouvertes, sur le monde,sur l'avenir . La peinture est une penséevisuelle . Il voulait que la sienne soit aussilangage, car la peinture est langage commel'architecture est langage, la poésie . Il cherchaitlà où l'espace et le temps se rejoignent dansla liberté . Il a vécu d'une manière totale, plusprofonde que la plupart de ses contemporains,la nécessité d'être et de peindre . Son oeuvrene s'est pas contentée d'un rapport de surfaceavec le monde. Il voulait capter le réel, le sacré.En faire une certitude visuelle, sans bavure,parfaite, désinvolte . Ce côté du ciel et l'autremarqué sur le châssis du tableau, à l'envers,d'une espèce d'étoile . Aspiration au signe,tableau et marque, passion avec tous ses arrêtsconvenus .

Ce qui frappe, c 'est la consciencede Klein envers toute chose : dépassée, à faire,à ne pas faire . Analyse instinctive et sansrémission . Son manque de goût pour la pein-ture au pinceau, Duchamp aussi l'avait connu ;il inventa les ready-made . La certitude que l'unet l'autre avaient du vieillissement du regardet de toute chose, de la peinture, dans sesformes et ses matériaux, plus le goût noble durite et le dédain de peindre, poussa Klein auxAnthropométries . Et craindre la fraîcheur per-due de toute peinture, de sa peinture, lui fitrechercher une autre manière de fixer unpigment sans qu'il perde son pur éclat - hantiseencore de ce ciel, parfaitement bleu, réel etimaginaire, mais capté. D'où cette envie sansfin, irrépressible, de franchir, d'aller plus avant,encore et toujours, franchir : léviter. Kleindonne et fixe la réponse, à jamais . Elle estvisible à tous, en noir et blanc, photographied'un saut, du toit d'une maison - solitude auvoile de Véronique .

Car il n'est d'art sans contrainte,d'art sans sublimation - sans gomme, sanscorrection, et une photographie peut être unmontage. Les historiens se sont penchés surla photographie de ce fameux saut : témoi-gnage des uns, silence des autres - maincourante des polices . Cette image d'un sautdans la banlieue de Paris est riche à plus d'unpoint . Qu'en est-il de la lumière de Vermeer,de l'érotisme de Sade, nul réalisme physiqueou mortel . La solution, dans quelque domaineque ce soit, Klein la voulait toujours parfaite etdéfinitive. Il s'est envolé en lui-même, il lesentait, il fallait que d'autres le voient. Le champde ses tableaux était peint avec la mêmeminutie que le tableau lui-même, pour qu'il sedégage du mur, comme lui de la bordure d'untoit . Ses IKB et son oeuvre conceptuelle, encoremieux peut-être, disent tout cela, et son uniquedémarche . Si Marcel Duchamp dans les annéesvingt songea à faire un badge, amulette dequatre lettres DADA qui sacrerait son ache-teur, comme il l'écrivit à Tristan Tzara, le projetne fut jamais réalisé et ce fut Yves Klein,l'artiste le moins dadaïste du vingtième siècle,qui imagina et concocta avec Iris Clert les zonesde sensiblité immatérielle.

En Orient, au Japon, le vide n'estpas le néant, il est créatif . II produit . Il fait naîtretoute chose, il est origine, il est fin . En Occident,il est perte, non-être, absence, et négatif. EnOrient, il est sacré . Et dans l'oeuvre de Klein, simerveilleusement moderne, tout est lié à cettenotion originelle. Son bleu n'est pas absenced'autres couleurs, ou seulement le bleu, mais lacouleur élue, la notion, qui les dit toutes,irradiante . Il est, en quelque sorte, le plein visibled'un vide, énergie qui emplit l'espace . La routedu judo mène au bouddhisme et le vide, dansl'oeuvre de Klein, est présence apophatique.

Avec les Feux, les Feux couleurs,c'est un autre moment de l'oeuvre qui n'est pasmoins important . Le feu est mutation, foudreet soleil, absorption et destruction - intermé-diaire entre le monde terrestre et les forcescélestes . En découvrant le feu et l'intégrant àson oeuvre, Klein domine une fascination,l 'apprivoise, et va plus avant . Tout se précipite.Quelque chose, là, l'entraîne, entraîne l'oeuvreet la vie, toutes traces conquises, vers un autrenéant - la mort, peut-être.

Les peintres abstraits de la généra-tion de Klein composaient avec des normes quin 'étaient pas à eux, avec ce qui était déjà faitet continuaient logiquement une histoire de lapeinture. Et si Mathieu a dit que le geste estle noyau de la création, il n'échappe pas

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cependant pour autant à une compositioncontinue du tableau qui s'inscrit, quelles qu'ensoient la nature et l'échelle, dans une histoireprévisible de la peinture contemporaine, améri-caine et européenne . La logique intérieure deKlein n'était pas de cette famille . Sans être toutà fait celle d'un Oriental véritable, son oeuvrenous rapproche d'autres notions où le tempspar exemple a un sens et tous les sens, commedans les longues peintures chinoises en rou-leau, où le temps, l'oeuvre d 'art, appartiennentà la liberté et à une symbolique — ni abstraction,ni réalisme. Ainsi un monde sépare Klein despeintres abstraits ou non figuratifs de sagénération, et même à mon avis des minima-listes . Seul Reinhardt partage avec lui, dans sespeintures ultimes, la réussite d'une sorte destèle peinte pour la contemplation.

C'est sans doute pourquoi lesJaponais qui ont tant de mal à saisir la peintureabstraite du vingtième siècle abordent plusfacilement celle d'Yves Klein . Car ils dominentle vide, vivent et font un avec, alors que lespeintres occidentaux ne réussissent qu'à allierune incompréhension spirituelle à une décora-tion rigoureuse. Klein malaxant son /nternatio-na/ Klein Blue, ou dirigeant en gants blancs lesfemmes pinceaux, est beaucoup plus prochedu bonze qui se recueille et médite avant lamort et laisse, dans un dernier geste mesuré,la trace ultime de la conscience, calligraphiée.

Certes, on aurait pu imaginer uneexposition rétrospective de l'oeuvre de Kleinplus vaste, ou différente. Celle-ci propose leparcours logique de l'oeuvre entière, du nucleusdes premières années jusqu'à cette paged 'agenda où Yves n'est plus au rendez-vous.

Que dire qui ne soit : instance, re-fus, rituel — naissance au bord de la mer, écrituredu corps, couleur — quand on parle d'Yves Klein.Il convenait que cette exposition soit d'abordannonce, célébration, ouverture : paysage de /aliberté, l'expression est de Klein, pour ceux quila verront et ceux à qui elle donnera l'idée d'enconcevoir d'autres . II fallait prendre date, avecl'avenir, au moment de cette majorité posthume.

Une chose, cependant, semble ac-quise . Chaque oeuvre de Klein est fragment etensemble . Dans How to Write, Gertrude Stein aprécisé que les phrases ne sont pas facteurd'émotion /es paragraphes si. Un tableau deKlein est un paragraphe . Il exige, ponctuation,une immense surface de mur, pour porter àl'espace sa prise de possession . Celle que Kleinvoulait, espérait, voyait en lui pour celui quipasse, regarde, afin qu'il l'emporte — à jamais .

Los Angeles,ier octobre 1982

PONTUS HULTEN

Au moment où ce livre va sous presse, quelquesmots encore . Il fallait qu'Yves Klein soit mortpour que la postérité le place là où lui-mêmede son propre vivant avait conçu et placé sa

vie et son oeuvre. Et si nous avons voulu que cette exposition rétrospective soit unegrande aventure transatlantique, commencée à Houston et terminée au Guggenheimavant d'être vue à Paris, c'était aussi pour saluer et reconnaître le fait que Klein aété plus intimement appprécié, et plus largement, hors de France, d'abord . En Italie,au Japon, en Allemagne et aux Etats-Unis . Lorsque Virginia Dwan par exemple avu les oeuvres de Klein pour la première fois à Paris, chez Jean Larcade à la galerieRive droite, elle décida immédiatement de montrer Klein à Los Angeles où je suisaujourd'hui et se mit aussitôt d'accord avec Larcarde pour recevoir dans sa galerienon seulement les monochromes présentés par Leo Castelli à New York, mais unensemble parfait de toutes les époques qui montrait Klein dans sa totalité expressiveet des oeuvres inédites conçues à cette occasion . C 'est ainsi que L .A. reçut grâceà elle de plein fouet la présence de Klein et son oeuvre le 29 mai 1961.

Certains artistes, les seuls qui importent, sontceux qui par leur oeuvre prouvent qu'ils ne pouvaient faire autre chose . Là est laréalité de Klein, cette nécessité quasi religieuse qui concentre tout . Elle tient ensembleles oeuvres, la vie de l'artiste et scinde ce qui est fait par les autres, tout ce qui existedéjà, de leur singularité créatrice. Klein est cela, et rien d'autre . Cette évidence chezKlein a rejoint le tragique . A la fin de sa vie le succès et les déceptions ont fait toutbasculer . Les extrêmes annulent la vie, physique et éthique indissociés . Dans l'ceuvreet la vie de Klein, chaque façon de faire était liée à cette nécessité intérieure etcondamnée par elle . Les IKB et les premiers monochromes expriment le désir depureté, le désir d'être juste, par rapport aux autres, par rapport aux souches familialesqu'il respecte, accepte, et ne veut surtout pas juger, mais dépasse, et veut dépasserencore . C'est la réaction de nécessité vis-à-vis d'une situation obligée . Ensuite estlibre et présente à son oeuvre cette espèce d'intuition totalisante, omniprésente quil'amène à trouver la chose qui exprime tout ce qu'il veut : la domination de l'esprit

pur. Intuition initiale qui ne l'a jamais quitté et rend tout légitime y compris lesmoqueries qu'il a sans cesse rencontrées de son vivant, le nihilisme injustifié dontil fut taxé, et qui l'exaspérait .

La mort de l'homme a placé Yves Klein là oùil se voyait lui-même, poussé par un étrange désir d'éternité sur une espèce de nuageamiral, comme aurait dit Jacques Prévert : Et ce qui peut paraître un heureux concoursde circonstances, si l'on contemple l'extraordinaire richesse de ce qu ' il a laissé, n'est

que la cohérence dans l'absolu d'une petite pépite insécable qui était Yves Klein.

Biographie

1928Naissance d'Yves Klein le 28 avril à Nice . Sesparents Fred Klein et Marie Raymond sont peintrestous les deux.

1944-1946Pratique le judo . Se lie d'amitié avec Claude Pascalet Armand Fernandez (plus tard Arman) . Découvre«La cosmogonie des Rose-Croix» . Premières ten-tatives monochromes. Pose les bases de sesthéories sur la monochromie.

1949Conçoit la «Symphonie monoton» qui sera inter-prétée pour la première fois en 1959 à Paris à lagalerie Iris Clert lors de l'exposition Mack.

1950Présente en privé à Londres ses peintures mono-chromes signées «Yves ».Voyage en Italie.S'inscrit comme auditeur à l'École des Languesorientales à Paris.

1952-1953Vit au Japon. Obtient le grade de «Ceinture noire»,4" dan de judo, à l'Institut Kôdôkan de Tokyo.Exposition privée de ses peintures monochromes àTokyo.

1954Retour en Europe. Part à Madrid où il est directeurtechnique de la Fédération de Judo d'Espagne.Exposition à Madrid. Publie «Yves peintures» :recueil d'oeuvres monochromes.

1955Retour en France.Première exposition à Paris : «Yves : peinture» auClub des Solitaires dans les salons des ÉditionsLacoste . Première rencontre avec Pierre Restany.

1956Exposition Galerie Colette Allendy : «Yves : pro-positions monochromes» . Pierre Restany écrit lapréface du catalogue intitulée «La Minute devérité ».Est adoubé Chevalier de l'Ordre de Saint Sébastien.

1957Première exposition de l'« Époque bleue» à laGalerie Apollinaire à Milan . Onze propositionsmonochromes toutes d'un bleu outremer profondappelé plus tard IKB (International Klein Blue) . AParis deux expositions : «Yves le monochrome»Galerie Iris Clert : peintures monochromes et lapremière sculpture aérostatique composée de 1001ballons flottant dans le ciel de Saint-Germain-des-Prés . «Pigments purs» Galerie Colette Allendy :sculptures, paravents, tapisserie, la première pein-ture de feu, le premier «immatériel».Expositions particulières et collectives à Düssel-dorf, Londres, Milan .

1958Premières expériences du «pinceau vivant» chezRobert Godet.Exposition du «Vide» à la Galerie Iris Clert : lafaçade de la galerie est peinte en bleu, à l'intérieurles murs sont nus et blancs. A cette occasion YvesKlein et Iris Clert avaient envisagé d'éclairerl'Obélisque de la place de la Concorde en bleu . Unessai a lieu le 26 avril à 11 heures le soir enprésence du Chef d'éclairage de l'E .D .F., mais lejour du vernissage le Préfet de la Seine refusera sonautorisation à cette « manifestation conceptuelle».Présente en collaboration avec Tinguely chez IrisClert «Vitesse pure et stabilité monochrome».

1957-1959Décore de façon monumentale le hall d'entrée dunouvel Opéra de Gelsenkirchen dans la Rhür :réalise ses premiers reliefs éponges . Développe encollaboration avec Werner Ruhnau sa théorie de«l'Architecture de l'Air» . Projets de sculptures defeu et de fontaines de feu et d'eau.3 et 5 juin 1959 : deux conférences à la Sorbonne :«L'Évolution de l'Art vers l'immatériel» et l'« Archi-tecture de l'air».Exposition «Bas-reliefs dans une forêt d'éponges»Galerie Iris Clert.

1960Participe à la 1'e Biennale de Paris avec JeanTinguely et Raymond Nains.Présente le premier monogold ainsi qu'une zone desensibilité picturale immatérielle lors de l'exposi-tion de groupe «Antagonismes» au Musée desArts décoratifs.«Anthropométries de l'Époque bleue» à la Galerieinternationale d'Art contemporain à Paris : pre-mière démonstration publique d'empreintes decorps sur le papier avec des femmes-pinceaux auson de la Symphonie monoton.Exposition «Yves Klein le monochrome» à laGalerie Rive Droite à Paris.Entreprend ses premières «cosmogonies» : réali-sation de peintures à l'aide de manifestationsatmosphériques : pluie, vent, orage . ..Fondation, au domicile d'Yves Klein, le 27 octobre,du groupe des «Nouveaux Réalistes» sous l'égidede Pierre Restany.

1961Grande exposition «Yves Klein : Monochrome undFeuer» au Musée Haus Lange à Krefeld. Au Centred'essai du Gaz de France à Paris réalise sespremières peintures de feu . Voyage aux Etats-Unis : première exposition à New York à la galerieLeo Castelli «Yves Klein le monochrome», puis àLos Angeles à la Dwan Gallery qui présente pour lapremière fois aux Etats-Unis un ensemble cohérentde la totalité de son travail.Participe à l'exposition des Nouveaux Réalistes «A40° au-dessus de Dada» à la Galerie J à Paris.Réalise ses premiers reliefs planéraires.Exposition «Yves Klein le monochrome : Il NuovoRealismo del Colore» à la Galerie Apollinaire àMilan .

1962Le 21 janvier épouse Rotraut Uecker : à cetteoccasion est jouée la deuxième version de la«Symphonie monoton-silence» réalisée par PierreHenry.Commence les moulages en plâtre d'Arman, Mar-tial Raysse, Claude Pascal dans l'idée de réaliser ungrand portrait collectif relief des Nouveaux Réa-listes où lui-même devait apparaître, au contrairedes autres, le corps or sur fond bleu.Participe à l'exposition «Antagonismes 2, l'Objet»au Musée des Arts décoratifs : présente lesmaquettes de l'architecture de l'air.Meurt le 6 juin à Paris d'une crise cardiaque.Son fils, Yves, naît quelques mois plus tard .

Autour de l'exposition "KLEIN", 3 mars - 25 avril 1983

VISITES-ANIMATIONSAnimations régulières et gratuites pour les visiteurs individuels,sur présentation du ticket d'entrée :du 3 mars au 25 avril : lundi, jeudi, samedi à 16H

mercredi, vendredi à 20 HDans un libre parcours de l'exposition, un animateur propose une discussionà partir des oeuvres exposées . Rendez-vous au bureau d'information, 5°étage.

Pour les groupes, sur rendez-vous : Tél . 277 12 33, poste 46-48 et 46-25.

CONFERENCESCinéma du musée, 17hMercredi 2 mars

YVES KLEIN ET LA VISION AMERICAINETable ronde présentée et animée parPierre Restany avec Nan Rosenthal etThomas McEvilley (en anglais)

Petite salle, 18h30Jeudi 10 mars

YVES KLEIN ET LA VISION EUROPEENNETable ronde présentée et animée parPierre Restany avec Catherine Millet,Jean Tinguely

YVES KLEINFilm réalisé par Dietrich Malhow 45 min (versionallemande)A l'occasion de l'exposition Klein, présentation d'unenouvelle acquisition : FILMS DU GROUPE GUTAI 1951silencieux, 30 min

du 9 au 13 mars

YVES KLEINFilm réalisé en 1957, documents d'archives, (judo,empreintes) silencieux, 60 min

FILMSCinéma du musée,du 2 au 6 mars

Le catalogue "Yves Klein" qui accompagne la grande exposition rétrospectiveorganisée par le Musée national d'art moderne à l'occasion du 21ème anniver-saire de la mort de l'artiste, est la première mise au point internationalesur une oeuvre capitale de l'art contemporain.

Il réunit les textes importants de deux historiens d'art américains, NanRosenthal et Thomas Mc Evilley ; de l'anthropologue Remo Guidieri, du criti-que d'art japonais Shinichi Segi qui fut de 1953 à 1962 l'un des grands amisde Klein, ceux du critique Pierre Restany qui fut le grand supporter de Klein.Le chapitre la "Mémoire des témoins" rassemble des interviews inédits de cri-tiques d'art, de directeurs de galeries, d'amis de Klein, etc . . . comme : IrisClert, Claude Parent, Arman, Pierre Henry, Christo, Jean Tinguely, Larry Rivers,Virginia Dwan, Sydney Janis et d'autres.

Ce grand ouvrage présente l'oeuvre de Klein dans sa continuité logique et chro-nologique et donne la première monographie compréhensive d'une oeuvre essentielle.Catherine Millet la replace dans la perspective conceptuelle de la générationqui la découvre aujourd'hui dans sa nouveauté et ses ouvertures sur les deuxdécennies qui l'ont suivies ; et Pierre Restany dans deux textes inédits la défi-nit, historiquement d'abord, en témoin qui l'a vue se faire, et en critique quil'analyse vingt ans après.

Ce catalogue contient des textes inédits essentiels de Klein sur son oeuvre, unechronologie et une biographie complètes situées par rapport aux grand évènementspolitiques et artistiques de notre temps - arts, littérature, musique, théâtre -.

Près de cent chefs-d'oeuvre sont reproduits en couleurs et en noir et blanc, uneiconographie inédite importante donne de la vie de Klein et de son temps, uneimage neuve, capitale et émouvante.

Cette monographie consacrée à l'oeuvre et à la vie de "Yves Klein" est le deu-xième volume de la série "Classiques du XXème siècle", publiée par le Muséenational d'art moderne . Cette collection a été inaugurée l'an dernier par legrand ouvrage de référence sur "Jackson Pollock" à l'occasion de son expositionrétrospective au Musée national d'art moderne, et sera suivie par la publicationd'autres monographies de même importance, éditées au même format, sur Balthus,Bonnard, etc . . et conçues dans le même esprit.

Format : 28 x 28, couvertures en quadrichromie . 420 pages348 pages noir et blanc, 72 pages couleurs

Les textes de ce dossier de presse sont extraits du "Petit journal" et ducatalogue Yves Klein, collage des premières épreuves . Certaines erreurstypographiques n'ont pu être corrigées et nous nous en excusons .

Illumination en Bleu de l'Obélisque

Le 1er mars 1983, à 20 heures, à la suite du vernissage de l'Exposition

rétrospective d'Yves Klein, organisée par le Musée national d'art moderne

au Centre Georges Pompidou, aura lieu une Illumination exceptionnelle en

Bleu de l'Obélisque de la Place de la Concorde.

Yves Klein voulait réaliser ce projet de sculpture lumineuse, cette impré-

gnation en bleu de l'espace à l'issue de son exposition "Yves le Monochrome"

à la Galerie Iris Clert, le soir du vernissage et avait assisté avec elle

à la répétition le 26 avril 1957 . Mais le Préfet en interdit la réalisation

le lendemain . Cette illumination posthume, selon les voeux de Yves Klein,

a pu être réalisée grâce au concours de la Ville de .Paris et des Services

techniques de l'Eclairage municipal . Ils ont mis au point un vernis spécial

qui, appliqué aux caches lumineux ; donne à l'Obélisque l'apparence parfaite

de pigment bleu qui valut à Yves Klein d'être surnommé "Yves le Monochrome".

Cette oeuvre conceptuelle, imaginée par Klein il y a 25 ans, annonçait

celles des artistes français et américains qui s'illustrèrent au cours des

décennies suivantes par des happenings qui n'eurent pas toujours cet éclat

lumineux. Obsession d'Yves Klein de réunir, sans les dissocier, au coeur

de l'éphémère : le désir d'éternité, la lumière, et l'instant .

CNAC

POMPIDOUService des Archives

Un catalogue est édité à l'occasion de cette exposition.

. format 28 x 28 cm

. 420 pages, comprenant 100 illustrations couleuret plus de 150 illustrations noir et blanc.

Cet ouvrage est la première mise au point internationale sur cetteoeuvre capitale de l'art contemporain.Il présente le travail de Klein dans sa continuité logique et chrono-logique, par thèmes, et donne la première monographie compréhensived'une oeuvre essentielle pour la génération qui la découvre aujour-d'hui . Il comprend des textes d'historiens, de critiques d'art, depeintres, de directeurs de galeries, d'amis de KLEIN ; des textesinédits majeurs de Klein sur son oeuvre ; une biographie complètesituée par rapport aux grands évènements politiques et artistiquesde notre temps : cent chefs d'oeuvre en couleurs ; une iconographiecomplète.

Il a été prévu un prix spécial pour les membres de la Presse.Ce catalogue pourra être retiré sur présentation de cette lettre etcontre paiement de la somme de 80 francs, à la Librairie du Centre.

Pour les représentants de la Presse non parisiens, ce cataloguepourra être envoyé franco, contre paiement de la somme de 103 francs.

Pour l'étranger, l'expédition sera faite franco contre le paiementde la somme de 95 francs.

Prix publics : 145,00 francs.

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BON DE COMMANDE

Ce bon de commande valable pour un exemplaire du catalogue Klein,est à retourner, accompagné du règlement à : Centre Georges Pompidou

Service Commercial75191 PARIS CEDEX 04

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ADRESSE

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PAYS :

JOURNAL :

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Chèque libellé à l'ordre de Agent Comptable du Centre GeorgesPompidou

YVES KLEIN

( C

Jean-Claude GroshensPrésident du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou

Dominique BozoDirecteur du Musée national d'art moderne

vous prient de leur faire l'honneur d'assisterà l'inauguration de l'exposition rétrospective

Yves Klein

le mardi 1 efmars 1983de15hà17h

au Centre Georges Pompidou

Grande GalerieExposition ouverte au public du 3 mars au 23 mai 1983 . Invitation valable pour deux personnes

Jean MaheuPrésident du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou

vous prie d'assister à la projection de la vidéo-cassette

« LES ANNEES KLEIN »

produite par Art Production avec le concoursdu Centre Georges Pompidou — Musée national d'art moderne

à l'occasion de la rétrospective «Yves Klein» présentée dans la Grande Galeriedu 3 mars au 23 mai 1983

le mardi 10 mai 1983 à 1 l heures

Petite salle, 1er sous-sol

Entrée rue BeaubourgCocktail

Invitation valable pour deux personnes