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N°3 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 7DOSSIER x TRANSPORTS, LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE DANS CE NUMÉRO Parti communiste français 10tarif de soutien – 5tarif étudiant, chômeur, faibles revenus - 7tarif normal SCIENCE x METAMATERIAUX ET INVISIBILITÉ Par Sébastien Guenneau TRAVAIL x DE M-REAL À DOUBLE A : LUTTE DANS L’INDUSTRIE DU PAPIER Entretien avec Gaëtan Levitre ENVIRONNEMENT ET SOCIÉTÉ x LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE : SANS L’OMBRE D’UN DOUTE Par Amadou Thierno Gaye

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  • N°3 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 7€

    DOSSIER x

    TRANSPORTS,LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUEDANS CE NUMÉRO

    Parti communiste français

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    SCIENCE xMETAMATERIAUX ETINVISIBILITÉPar Sébastien Guenneau

    TRAVAIL xDE M-REAL ÀDOUBLE A : LUTTEDANS L’INDUSTRIEDU PAPIEREntretien avec Gaëtan Levitre

    ENVIRONNEMENTET SOCIÉTÉ xLE RÉCHAUFFEMENTCLIMATIQUE : SANSL’OMBRE D’UN DOUTEPar Amadou Thierno Gaye

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  • SOMMAIRE

    ÉDITO Coût du capital : un tabou très politique... Amar Bellal.......................................................................................................... 3

    DOSSIER : TRANSPORTS, LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUEIntroduction : Transports, la multimodalité écologique Sébastien Elka................................................................................................. 5On a tous droit à l’ écomobilité ! Dominique Gentile................................................................................................................................. 6Écomobilité dans les villes : du slogan à la réalité Jean-Claude Cheinet ............................................................................................... 8Transports Low cost, le paradigme d’un consumérisme libéral Sébastien Elka ................................................................................ 10Une plateforme multimodale « 3R » dans la Drôme Pierre Trapier...................................................................................................... 11Multimodalité et environnement Dominique Launay............................................................................................................................. 12Marchandises : pourquoi traverser les océans coûte-t-il si peu ? Phillipe Chateil ........................................................................... 13Écotaxe : réorienter le transport routier pour peser sur les décisions de production Gérard Le Briquer ....................................... 16La transalpine lyon-turin : La planification écologique en actes Alain Ruiz .................................................................................... 18Système ferroviaire et politiques des transports : contribution du PCF Pierre Mathieu .................................................................... 20Contrôle de la navigation aérienne, la vigilance reste de mise David Saux-Picart ........................................................................ 22Recherche dans les transports : comment l’IFSTTAR perd peu à peu les moyens de remplir sa mission Nicole Rolland ......... 23Transports spatiaux,aventure et big money Sébastien Elka ................................................................................................................ 25

    BRÈVES ................................................................................................................................................................................................. 28VIDÉOS................................................................................................................................................................................................. 31

    SCIENCE ET TECHNOLOGIEPHYSIQUEMétamatériaux et « invisibilité » : des perspectives fascinantes Sébastien Guenneau...................................................... 32INFORMATIQUE L’informatique au-delà de l’informatique Ivan Lavallée ............................................................................................... 34CHIMIE Un anniversaire : les cent ans du livre de Jean Perrin « Les atomes » Aurélie Biancarelli-Lopes........................................... 36TECHNOLOGIES Fab lab, mariage des bits et des molécules Yann Le Polotec ..................................................................................... 38

    TRAVAIL, ENTREPRISE & INDUSTRIEINDUSTRIE De M-REAL à Double A : une lutte exemplaire dans l’industrie du papier Gaëtan Levitre ............................................. 40TRAVAIL Infogérance et alternatives à l’externalisation Pierre Petit ..................................................................................................... 42ENTEPRISE Quelles luttes pour l’avenir de l’aéronautique ? Jean-Louis Cailloux................................................................................. 44ENTEPRISE Réglementer les pratiques sociales des firmes multinationales ? Chloé Maurel ............................................................ 46

    ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉHISTOIRE Paul Langevin physicien inspiré et figure légendaire Jean Pierre Kahane ........................................................................... 48CLIMAT Le réchauffement climatique : sans l’ombre d’un doute Amadou Thierno Gaye................................................................... 50INTERNATIONALE Pour une coopération scientifique normale avec Cuba Jorge Gallego.................................................................. 52

    LIVRES.................................................................................................................................................................................................... 56POLITIQUE Du côté du PCF et des progressistes................................................................................................................................... 58ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET RECHERCHE Pour une grande filière technologique, continue et cohérente Hugo Pompougnac..... 59

    2 JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

    Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

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    JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

    ÉDITORIAL

    l y a des sujets dont on ne veut pas débattre,qui apparaissent en filigrane des discussionsmais sans jamais être abordés frontalement.

    Il en est ainsi lorsqu'on aborde « les difficultésdes entreprises » en France. On loge alors à lamême enseigne les grandes entreprises avec lesPME, on y confond les grands donneurs d'ordreet leurs sous traitants, et dans cette confusion,bien sûr, le responsable c'est toujours le coût dutravail.Pourtant, il y a une ligne de dépense dans les bud-gets des entreprises qui n'est pas du tout média-tisée: le coût du capital. Intérêts des prêts, divi-dendes, frais financiers divers… Un chef d'entrepriseen difficulté se plaindra certainement des diffi-cultés qu'il rencontre pour rémunérer ses sala-riés. Mais il ne manquera pas de mettre en avantaussi le poids des dettes et des intérêts qu'il doitverser régulièrement aux banques. Ces deux postesde dépense sont du même ordre de grandeur, etpourtant, c'est le coût travail, source de richesse,qu'on mettra en avant prioritairement. Pourquoice tabou autour du coût du capital jamais abordédans les médias? Rien à voir ici avec le tabou ausens anthropologique. Non, ici il s'agit d'un tabouavant tout politique, qui met en lumière les rap-ports de forces, le déséquilibre des pouvoirs, lesprojets politiques sous-jacents… Aujourd'hui, onprête à des taux d'intérêt proche de 1% aux spé-culateurs et de 10 % aux entreprises souhaitantinvestir sur des projets de long terme. Dénoncerce coût, c'est forcément poser la question: quiprête et sur quels critères? Puis viennent natu-rellement les autres questions : d'où vient l'ar-gent des banques? Qui décide de la création moné-taire (faire tourner la planche à billets)? Et pourqui et quel projet prioritairement? C'est cette série de questions qu'on ne veut sur-tout pas voir émerger chez les citoyens.

    En effet, loin d'être de simples objets techniques,ce sont au contraire des questions redoutable-ment politiques et même révolutionnaires ! Ellespointent des pouvoirs exorbitants et des déci-sions qui sont aujourd'hui laissées à l'arbitragedu marché: c'est l'orientation de toute notre éco-nomie dont il s'agit pourtant (et donc de nos vies!).Si demain nous décidons, en votant une loi parexemple, d'adosser à la BPI, Banque Publiqued'Investissement, censée relancer l'investisse-

    ment productif, une série de critères avec descontrôles vérifiant la réalité des créations d'em-plois et des investissements, alors on prend unemesure proprement révolutionnaire. Et c'est pourcela qu'une telle mesure, bien qu'avancée par lesdéputés communistes et de nombreux syndica-listes lors de la création de la BPI, n'a jamais vule jour. En effet il s'agirait d'inscrire dans la loi unprincipe à contre-courant de la logique capita-liste, c'est un renversement des valeurs! Aujourd'huic'est par dizaines de milliards d'euros que l'ar-gent public est distribué sans contreparties, nicontrôles sérieux, et les exemples ne manquentpas. Il arrive même que des entreprises après avoirpourtant encaissé de l'argent public, délocali-sent, tout en faisant du profit et au passage enayant pollué les terrains (à la charge de la collec-tivité). Le diable est décidément dans les détailsdes critères de financement et des dispositifs decontrôle-vérification. Le tabou autour du coût ducapital, c’est la peur de la remise en cause du pou-voir démesuré des marchés, et la reprise en mainpolitique des outils de financement.

    Brisons ce tabou si nous voulons vraiment relan-cer le développement, le progrès social, scienti-fique et écologique. La campagne initiée par lePCF et aussi par des syndicats, est salutaire de cepoint de vue, et elle fait écho à un ensemble depropositions pour une autre politique: pôle publicfinancier et nationalisation de banques straté-giques, modulation des taux de cotisations socialesen fonction de la masse salariale, nouveaux pou-voirs pour les salariés, refonte de la fiscalité, sécu-rité d'emploi et de formation, fonds de dévelop-pement social européen, contrôle politique de laBCE… À la crise systémique du capitalisme, etpour en sortir vraiment, il faut des mesures quifassent « système », et nous devons dès mainte-nant engager des campagnes populaires et dansles entreprises autour de ces thèmes. n

    COÛT DU CAPITAL : UN TABOU TRÈS POLITIQUE...

    AMAR BELLAL,RÉDACTEUR EN CHEFDE PROGRESSISTES I

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  • Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

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  • 5DOSSIER

    JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

    PAR SÉBASTIEN ELKA *,

    il est une caractéristique unanimement prêtée à notreépoque, c’est bien celle du mouvement permanent, impé-ratif, omniprésent. Modernité hyper-fluide, liquide, caden-

    cée par les rythmes fous de la chaîne de production, de la pub et dela conso, des injonctions à la mobilité. Les mieux lotis sont les plusmobiles et le Golden Boy « hyper-nomade » prend l’avion commed’autres prennent le bus: un jour à New York, le lendemain à KualaLumpur. À l’opposé on construit des murs contre les migrants dela faim, et le métro ou le bus desservent bien mal les « quartiers »de nos banlieues. Exclus du mouvement, exclus de la société, ségré-gation par les transports. Être immobile, immobilisé, donc ne pasêtre. Lorsqu’on écrira enfin la constitution de notre VIeRépublique,le droit à la mobilité devra figurer en belles lettres dans le préam-bule.Pourtant, ce « toujours plus » atteint une limite. Mettre en mouve-ment, c’est dépenser de l’énergie, consommer des ressources. Épui-sement du pétrole et des matériaux rares, émissions polluantes,occupation des sols, morcellement des aires de biodiversité. Nosréseaux de transport flirtent plus qu’on ne voudrait avec l’écologi-quement insoutenable. Un virage est à prendre. D’urgence.C’est sur le transport de marchandises que l’irresponsabilité est laplus criante. De containers en chaînes logistiques intégrées, le moin-dre pot de yaourt voyage sur des milliers de kilomètres. Et il n’estpas étonnant que personne ne sache suivre la viande de cheval,puisqu’au nom de la fluidification des échanges notre oligarchielibérale voudrait plus que jamais supprimer les garde-fous régle-mentaires, saper et privatiser les services de contrôle, masquer lescoûts réels de la distance pour mieux exacerber la mise en compé-tition planétaire. La crise de 2008 a ralenti un temps ces projets, lesocial libéralisme au pouvoir en France montre bien qu’ils sontrepartis de plus belle. Or partout où ce sont les financiers qui tien-nent le pouvoir, les fesses en première classe et les yeux dans les

    chiffres, ils font la preuve de leur incapacité à investir l’avenir, deleur manque criant d’imagination1. Si on laissait les discours vague-ment verdis nous endormir, on irait droit dans le mur. Heureusement, il est des ruses dans l’Histoire. Car oui le capita-lisme de notre temps et de nos latitudes – celui du consumérisme,du productivisme et de l’injonction paradoxale – a fait de l’hyper-mobilité un outil de sa domination. Mais ce faisant il a ouvert ànotre partie de l’humanité une fenêtre sur le monde, permis commejamais le voyage, la rencontre et la prise de conscience d’une unitéde destin. Et alors que tout semble se crisper, qui ouvre bien les yeuxvoit aussi que nous sommes de plus en plus nombreux à penserl’avenir en termes de coopération et à la hauteur des enjeux, àl’échelle universelle. Les travailleurs des transports – qu’ils soient cheminots, aiguilleursdu ciel, ouvriers de l’automobile, dockers ou camionneurs – sontsouvent de ceux-ci, qui ne manquent pas d’idées pour permettre àleur travail de servir le progrès humain sans s’échouer sur l’obsta-cle écologique ni sur le mur de l’argent roi. Les auteurs de ce dos-sier nous livrent dans les pages qui suivent quelques-unes de cesréflexions, dont la principale est peut-être que si l’on veut conju-guer le droit de tous à une mobilité digne et sereine avec la préser-vation de la planète, si l’on veut rendre possible une « écomobilité »pour tous, alors nous avons besoin de l’intégration bien réfléchiede toutes les formes de transport. Nous avons besoin d’une multi-modalité écologique.

    *SÉBASTIEN ELKA est le coordinateur du dossier « Transports, la multimodalité écologique »

    (1) C’est exactement ce que montre l’article de J.-L. Cailloux, p.44, avec l’exemple d’Airbus.

    TRANSPORTS,LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

    LA CLASSE ÉCO N’EST PEUT-ÊTRE PAS (ENCORE)AUX COMMANDES, MAIS ELLE TRAVAILLE DÉJÀ AU PLAN DE VOL !

    S’

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    DOSSIER TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE6

    Le problème du transport individuel est d’une prégnance majeure qui condi-tionne des enjeux technologiques. Il est soumis à des contraintes environne-mentales fortes. Il est nécessaire d’en examiner les différentes facettes.

    TRANSPORTS INDIVIDUELS, ON A TOUS DROIT À L’ ÉCOMOBILITÉ !

    PAR DOMINIQUE GENTILE*,

    L a question du transport indi-viduel de demain ne peut seposer et donc trouver desréponses que dans un contexte glo-bal prenant en compte différents élé-ments. La problématique est natu-rellement celle de la mobilité, tantprofessionnelle que personnelle. Elles'inscrit directement dans les conceptsde développement durable, d'amé-nagement du territoire, de ville dufutur. Deux types de mobilité doivent êtreconsidérés :• la mobilité « longue distance», typi-quement des déplacements de plusde 100 km;• la mobilité locale, déplacement dequelques dizaines de kilomètres cor-respondant à des déplacements fré-quents voire quotidiens.Ce sont ces derniers qui devraient leplus évoluer dans le futur.

    ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX ETSOCIAUX, CONTRAINTESÉCONOMIQUESDans les pays industrialisés, les trans-ports et activités associées sont aucœur de la problématique du chan-gement climatique et des incidencesenvironnementales. Si la part de res-ponsabilité des transports dans lesrejets de gaz à effet de serre est sansévolution depuis pratiquement undemi-siècle, des mesures impor-tantes pour réduire cette contribu-tion – tant technologiques que com-portementales (changement deshabitudes) – ont commencé d'êtreprises. Elles sont insuffisantes maisle virage est amorcé et, on peut l'af-firmer, la tendance déjà irréversible.Toute évolution des transports

    aujourd’hui ne peut que s'inscriredans le processus de transition éco-logique et énergétique.

    Il y a encore dix ans, l'automobileétait le moyen de transport indivi-duel privilégié, souvent pour des rai-sons économiques liées à l’acquisi-tion d’un domicile éloigné du lieude travail. Aujourd'hui, c’est un objetde consommation coûteux à acqué-rir, entretenir, assurer et utiliser, surlequel les prix de l'énergie et en par-ticulier du pétrole pèsent fortement.À ceci s’ajoute l'intensification desdifficultés de circulation en tousgenres, en particulier dans les métro-poles où le plan collectif signifie amé-nagements urbains et transports col-lectifs qui réduisent l’espace dédiéà la voiture individuelle.Toutes ces raisons militent pour uneévolution des usages en matière demobilité individuelle et c'est plutôtune bonne nouvelle. De fait, on voitévoluer les comportements d'usage,tant au plan individuel que collec-tif. Si bien que la réalité du transportindividuel devient plus complexe etque c'est aujourd'hui la diversité desmodes de transports et intermoda-lités qu'il s’agit d’intégrer.

    TRANSPORTS « DOUX », L’ENTRÉEDANS L’ÉCOMOBILITÉLa marche est le mode de déplace-ment le plus ancien, mais il reste lemoins polluant, le plus sain, le pluséconomique et certainement le plusdurable ! De nombreuses raisons enfavorisent l'usage et le développe-ment comme outil efficace de mobi-lité individuelle en milieu urbain,comme sa dimension sportive et sacompatibilité avec la pratique simul-tanée d'autres activités. Ce mode dedéplacement est de plus en plus inté-gré dans la politique de développe-ment des villes (zones piétonnes, par-cours piétons, sensibilisation de lapopulation…) et dans les plans dedéplacements d’entreprise. L’avenirverra s'amplifier les mesures en faveurde l'environnement et sans nul doutela marche en fera partie. La bicyclette est le moyen naturel quiprolonge la marche. Les raisons ensont semblables : pas de pollution,possibilité d’échapper aux embou-teillages, encombrement réduit, peude difficultés de stationnement, coûtstrès faibles… avec la possibilité dedéplacements plus longs en distancequ'à pied. Le regain d'intérêt pour cemoyen de déplacement voitaujourd'hui l'arrivée d’une techni-cité qui limite les efforts physiques,comme l'assistance électrique. Et l’onassiste là aussi à l'intégration de cemode de déplacement dans les poli-tiques de la ville (développement depistes cyclables, signalisations spé-cifiques, vélos en libre-service…).Enfin le roller, la trottinette ou de nou-veaux "véhicules" comme les gyro-podes Segway ou Winglet sont desmodes de déplacement moins fré-quents mais de plus en plus présents,et qui, équipés d'un moteur électrique,peuvent assumer une véritable fonc-tion de déplacement en cycle urbain.Avec ces modes « doux », on entrepleinement dans le concept d'éco-mobilité, appelé à s'amplifier dansles années à venir.

    VERS DES TRANSPORTSMOTORISÉS MOINS POLLUANTSA considérer l'augmentation de l’uti-lisation du deux-roues motorisé pourréduire le temps passé dans les embou-teillages, on pourrait imaginer qu'ilsoit dans les années à venir un desmoyens principaux de déplacement

    Deux types de mobilité doivent être considérés :- la mobilité "longue distance", typiquement des déplacements de plus de 100km ;- la mobilité locale, déplacement de quelques dizaines de kilomètres“ “

    Un véhicule dudispositif Autolibà Paris. Première

    utilisationmassive du

    véhicule toutélectrique.

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    urbain et périurbain. Toutefois si cesvéhicules présentent de nombreuxavantages, ce n’est pas en matièreenvironnementale puisqu’ils sontparmi les véhicules les plus polluantset bruyants. Même avec l'introduc-tion du scooter électrique ou hybrideou le développement du covoituragedeux places, ce mode de transportalternatif à la voiture est et resteracelui d'une communauté limitée. Quant à l’automobile, deuxièmecause d’émission de gaz à effet deserre (GES), elle demeurera le modede transport individuel le plus uti-lisé. Or les moteurs actuels sont aussiémetteurs de composés toxiquescomme des aldéhydes, des particulesde suie, des hydrocarbures imbrû-lés ou des oxydes d'azote. Il importedonc d’élaborer rapidement des inno-vations technologiques à même deréduire fortement l’ensemble de cesémissions. Pour cela on distinguedeux voies : l’une basée sur les moto-risations « traditionnelles » à com-bustion d’hydrocarbure ou équiva-lente, l'autre sur des énergies ettechnologies nouvelles.La première, concernant les moteursà essence et diesel, fait l'objet derecherches importantes telles quepots catalytiques, réinjection des gazd'échappement dans le moteur, sura-limentation, optimisation électro-nique des cycles moteurs et de lacombustion ou encore jeu électro-mécanique sur la géométrie et l'ar-chitecture moteur. Habilement com-binés, ces procédés ont le potentielpour réduire significativement lesémissions polluantes, si les contraintesindustrialo-concurrentielles et finan-cières qui asphyxient le secteur auto-mobile n'empêchent pas leur indus-trialisation.Il reste que le moteur diesel – intéres-sant sur le plan de l’efficacité énergé-tique et débouché crucial pour lesproduits pétroliers semi-lourds – poseun véritable problème d’émissions departicules que les filtres ne parvien-nent pas à éliminer complètement.Face à cela, une voie prometteuseréside dans le développement demoteurs de type HCCI (HomogeneousCharge Compression Ignition), prochesdes moteurs diesel puisque basés surl'auto-allumage par compression d'unmélange air/carburant pauvre maispré-mélangé permettant une com-

    bustion homogène à faible émissionde particules. Un autre axe de recherche concernel'usage de biocarburants. À partir desources ligno-cellulosiques (paille,bois, feuilles, algues…), il est possi-ble d’échapper à la concurrence pro-blématique avec les cultures alimen-taires. Mais le passage à l’échelleindustrielle économiquement via-ble et avec un bilan CO2 toujoursintéressant quand on prend en comptetout le cycle de vie du carburantdemeure un défi.Enfin une solution transitoire maisintéressante est celle des moteurs"hybrides", où la batterie d'un moteurélectrique est alimentée par un moteurthermique à allumage commandé(complété par la récupération d'éner-gie de freinage). Depuis la ToyotaPrius l’on mesure l’intérêt de cetteassociation technologique qui enplus de réduire significativement lesémissions permet une étape vers letout électrique.

    NOUVELLES ÉNERGIESUn véhicule électrique n’émet pasdirectement de CO2. Cependant, ilfaut prendre en compte le mode deproduction de l'électricité (nucléaire,hydrocarbure, renouvelable) ainsique les contraintes imposées au réseauélectrique par un déploiement mas-sif de véhicules électriques (notam-ment être capable d’absorber desmises en charge simultanées mas-sives de véhicules en soirée). En termesd’usage, ce sont l’autonomie et letemps de charge qui sont importants.Ce qui pose la question de la batte-rie. Brique technologique critique,celle-ci doit atteindre une grande den-sité d’énergie, être fiable et d’un coûtraisonnable, se recharger rapidementsans problème de sécurité ou de toxi-cité et dépendre le moins possible dematériaux rares ou dont l’extractionpose problème. Des solutions répon-dant à ces exigences apparaissent,notamment à base de nanomatériaux,

    mais le défi reste de taille et les enjeuxénormes. De petits véhicules élec-triques, City Swing ou Twizy, offrentdéjà des solutions de déplacementindividuel urbain. Pour autant, le parisur le tout-électrique demeure pourl’heure aventureux.Des solutions plus innovantes encore– véhicule solaire aux batteries rechar-gées par des cellules photovoltaïquesou véhicule à hydrogène dont l’éner-gie provient d’une pile à combusti-ble – pourraient répondre aux défisenvironnementaux. Mais coûteuseset soumises à d’épineux problèmesde stockage d’énergie, ces solutionsne seront pas matures et commer-cialisables à grande échelle avant uncertain temps…

    UN ENJEU POLITIQUEFONDAMENTALOn le voit, il n'y a pas de réponseunique à la problématique des trans-ports individuels. Le comportementet les habitudes jouent un grand rôleet les avancées technologiques nefont évoluer les transports qu’en com-plémentarité avec des évolutionssociales. Pour les courts trajets, lesmodes de déplacement doux, « zéroémission », vont se conjuguer de plusen plus avec l'inter-modalité, assem-blage sur un même trajet de plusieursmodes de transports, individuels oucollectifs. Le covoiturage va prendrede l'ampleur, mais pour les trajetsindividuels longs, il est probable quela voiture individuelle reste domi-nante. Néanmoins, elle intégrera denombreuses avancées technologiqueset sera moins centrée autour de sonmoteur à combustion interne. Pour affronter les défis environne-mentaux sans en rabattre sur le droità la mobilité et les conditions de vieet de déplacement dans nos villes,il faudra que les efforts de R&D soientsoutenus – y compris en termes demoyens – jusqu’au déploiementindustriel effectif des bonnes solu-tions, avec une qualité de coordina-tion et d’intégration intermodaleencore atteinte nulle part. C'est unenjeu fondamental. n

    *DOMINIQUE GENTILE est professeur desuniversités, Directeur national des formationsau Conservatoire National des Arts et Métierset animateur du groupe Compétences dupôle de compétitivité Mov’eo.

    La Twizy, véhiculeindividuel tout

    électrique.

    La marche reste lemoyen de transport

    le moinspolluant...et le plusbénéfique pour la

    santé !

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  • DOSSIER TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE8

    Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

    L'écomobilité est une idée séduisante à condi-tion de l'accompagner d’une politique globalede long terme, à rebours des critères de renta-bilité. Les solutions techniques existent, ilmanque la cohérence d'ensemble et les finan-cements.

    PAR JEAN-CLAUDE CHEINET*,

    L’écomobilité est un conceptapparu dans le constat simul-tané de la nécessité des dépla-cements intra-urbains et interurbainsainsi que dans celui de la pollutioncroissante due aux moyens employés.De là naît l'idée "vertueuse" de dépla-cements peu polluants et à faibleempreinte carbone. Curieusementl'approche classique de l'écomobi-lité est essentiellement axée sur lesdéplacements des personnes et peusur les marchandises…

    A LA BASE: UN PROBLÈME RÉELDANS LES VILLES : L'urbanisation des années 1850/1950avec ses quartiers concentriques aété suivie du développement despériphéries, accéléré par les prix dufoncier élevés au centre et plus acces-sibles au loin, ce qui a produit unedissociation entre lieux d'habitat etde travail. Les déplacements sontdevenus nécessités et font partie dela vie de la ville ; ils se traduisent parune congestion des centres. Outrela fatigue des personnes, cela entraîne

    une pollution de l'air due à la pré-dominance de l'automobile dont onmesure les effets en réductionmoyenne de l'espérance de vie. Les moyennes masquent les diffé-rences dues à la ségrégation socialequi concentre la crise et ses effetsdans les quartiers les plus éloignés,de sorte que les populations pauvresplus fragiles sont celles qui habitent

    le plus loin et sont les plus dépen-dantes des moyens de transport. Ces données traditionnelles dansune société de classes sont l'objetd'une prise de conscience qui en estau stade de l'exigence d'une amé-lioration de la qualité de vie… et doncd'une amélioration des transportsmais qui ne va pas toujours jusqu'àla conscience des causes.

    LES MOYENS TECHNIQUES DEL'ÉCOMOBILITÉ : Le but est d'améliorer le service renduen diminuant les émissions pol-luantes. On pense alors à la marche(trottoirs, zones piétonnes coupléesà des parkings de dissuasion…) ouaux cycles (pistes cyclables, vélo loca-tif, vélo électrique et dérivés, etc.).L'aménagement des rues (voies rétré-cies et réduction de la vitesse) et l'uti-lisation de véhicules électriques(flottes captives…) vont dans ce sens.Le covoiturage est séduisant (sitesinternet, ou sociétés privées) etdemande un regroupement de tra-jets et d'horaires ; or il se heurte àl'organisation du travail à horairesflexibles et à la dispersion de l'habi-tat. De ce fait, les transports en com-mun sont structurants par leurs lignesrepérables (en site propre : RER,métro, tramways ou sur route/auto-bus). Les moyens sont bien connus ; leurefficacité dépend de la simplicité etd'une multimodalité coordonnée,

    proche du terrain et des besoins (cou-plée à une simplification de la billé-tique…). Dans le temps les usageset les besoins évoluent et il faut savoirfaire évoluer l'offre de déplacement.Mais cette mise en œuvre dépendde choix politiques.

    LES RÉPONSES TECHNOCRATIQUESET LIBÉRALES : C'est d'abord l'usage de la planifi-cation et des mesures administra-tives : PRQA (plans régionaux pourla qualité de l'air), les PPA (plans deprotection de l'atmosphère) les arrê-tés de limitation des vitesses ou lesobligations du contrôle de la carbu-ration pour limiter les émissions. Viennent ensuite l'incitation parmédias ou publicités interposés, lespanneaux de prévention etc.; les cer-cles de qualité des entreprises orga-nisent le covoiturage ; les mairiesappuient les initiatives citoyennesde pédibus pour les écoliers ; maisles résultats de ces mesures sont sou-vent limités et partiels, ce qui conduità vilipender les "mauvais conduc-teurs/mauvais citoyens". La répression en est le complémentlogique: limitation des vitesses pourcause d'ozone puis PV pour excès devitesse. Ces mesures peuvent avoir quelqueseffets immédiats mais elles ne tou-chent pas aux causes profondes quitiennent aux structures mêmes desvilles.

    ÉCOMOBILITÉ DANS LES VILLES : DU SLOGAN À LA RÉALITÉ

    un exemple demobilité douce :

    le batobusParisien

    Les quartiers se sont de plus en plusspécialisés, cela aggravé par les ségrégationsnouvelles générant pour les couches populaires le «métro-boulot-dodo» connu.“ “

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    JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

    REPENSER LES VILLES ET LESCHANGER À L'ÉCHELLE DU SIÈCLECar il s'agit d'équipements lourdsqui doivent ensuite durer pour mar-quer la ville.

    La géographie locale suggère parfoisdes solutions à saisir et valoriser :"batobus" côtier à Marseille, navettesfluviales à Paris, cycles dans une villede plaine comme Avignon… Les auto-rités locales doivent donc équiperdes villes qui depuis 50 ans ont étémodelées autour de la voiture. Ceséquipements sont plus ou moinsfaciles à réaliser (zones piétonnes,parkings…) ou plus ou moins coû-teux (transports collectifs en sitespropres…). Mais les villes sont des lieux de ren-contre et d'échange dont paradoxa-lement les quartiers se sont de plusen plus spécialisés, cela aggravé parles ségrégations nouvelles générantpour les couches populaires le "métroboulot dodo" connu. Dès lors les PDU plans de déplace-ments urbains destinés de manièrejustifiée à coordonner les transportset les rendre moins polluants, peu-vent comme ceux évoqués ci-dessusapporter quelques améliorations limi-tées. Mais c'est dans la durée qu'ap-paraissent ou non leur cohérence etleur efficacité. Car à côté des équipe-ments en transports c'est le remode-lage de la ville et de ses quartiers quipermet de réduire et rationaliser lesdéplacements de façon à accentuer

    leur caractère moins polluant. De cepoint de vue, le rapprochement tra-vail habitat paraît incontournable. Et cette restructuration de la villedemande beaucoup de temps. Samise en œuvre demande une volontépolitique dans la durée et une struc-ture politique d'impulsion adaptéeaux dimensions des agglomérationset bassins de vie. Or la mise en placede métropoles coupées du terreaucommunal est grosse de réponsescohérentes mais technocratiques etéloignées des besoins réels en éco-mobilité des populations dans leursquartiers. Une coordination inter-communale à l'échelle des grandesagglomérations est en revanche néces-saire pour ces aménagements.

    L'ÉCOMOBILITÉ URBAINE : DE LARECHERCHE DE RENTABILITÉ ÀL'EXERCICE D'UN DROIT La réorganisation de la mobilité enréduisant les impacts polluants a uncoût considérable pour les AOT auto-rités organisatrices des transports.

    Les transports collectifs sont de façongénérale déficitaires, les solutionsalternatives à l'état d'amorce, lesPDU à l'état de projets, alors que lemode automobile n'est pas soute-nable. Quadrature du cercle? Et pour-tant se déplacer est non seulementune nécessité pour le travail et la viesociale, mais c'est aussi un élémentessentiel de liberté. L'écomobilité réussie n'est donc pasune question de techniques de trans-ports, mais un changement beau-coup plus profond qui permet ensuitede se donner les moyens d'investirpour un système de transports selondes modes complémentaires, moinspolluants, confortables, denses (fré-quences), et fiables. La multimoda-lité est la réponse souple à la diver-sité de la demande en déplacements.La simplicité de la billétique permetd'attirer tandis que l'évolutivité desréseaux colle aux changements despopulations et de leurs besoins. La vaine recherche de rentabilité finan-cière amène ainsi à poser d'un mêmemouvement la question du droit auxdéplacements dans la ville commeliberté essentielle ainsi que la ques-tion de la gratuité de ces transports.Joints à la refonte de la structureurbaine, ces éléments ne sont-ils pasla condition pour une désaffectionde la voiture au profit de ces modesmoins polluants de déplacement? n

    *JEAN-CLAUDE CHEINET est est membredu comité de rédaction de Progressistes.

    L'automobile a été l'industrie reine du 20èmesiècle. Le pétrole, son énergie. Dès le 19èmesiècle, cet or noir était devenu une ressourceindustrielle majeure - pour l'éclairage, la lubri-fication des machines ou le goudronnage - àl'origine de fortunes comme celle de J. D.Rockfeller. Reste que c'est bien avec les car-burants automobiles et l'asphalte des routesque le pétrole est vraiment devenu cette matièrepremière indispensable au nom de laquelleon commet tant de crimes. Aussi avec l’es-sor annoncé de la mobilité électrique, et faceà la montée des contraintes écologiques, cesecteur le plus riche du monde aurait à seréinventer.

    La multimodalité est la réponse souple à ladiversité de la demande en déplacements. “

    La billettique estl'ensemble des

    dispositifsutilisant

    l'informatique etl'électronique

    dans les titres detransport.

    Ces dernières années les pistescyclables se sont imposées face autout-automobile.

    COMMENT LES PÉTROLIERS (NE) PRÉPARENT (PAS)L'APRÈS PÉTROLE

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    Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

    TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

    Acheter un billet d’avion pas cher, c’est tentant, mais ce n'est pas innocent,cela a des conséquences sociales et économiques non négligeables.

    PAR SÉBASTIEN ELKA*,

    l y a beaucoup d’argent à gagnersur le dos de ceux qui en man-quent. C’est la logique des

    modèles d’entreprise qui parient surle « bas de la pyramide1 » : vendre desproduits peu chers pour le large mar-ché des pauvres, faire relativementpeu de marge sur chaque unité ven-due mais compenser par les volumes.C’est le modèle du hard discountdans la grande distribution, du sub-prime dans le marché du crédit, dulow cost dans les transports. Ce low cost, « bas coût », mérite bienson nom, puisque pour vendre desbillets d’avion ou de train (entreautres) significativement moins cherque les concurrents sans en rabat-tre sur le profit, il faut nécessaire-ment réduire les dépenses. Or le grosde ces dépenses ne présente que peude marge de manœuvre pour quel’opérateur low cost se différencie deses concurrents : le prix d’achat dukérosène ou de l’électricité est peunégociable, la consommation qui enest faite dépend de la technologiedes véhicules à moteur, du pilotageet de la gestion du réseau, sur les-quels on ne peut espérer que de lentsprogrès. Le coût du capital pourl’achat des véhicules ou les couver-tures financières est relativementhomogène à l’intérieur d’un secteur.Et les frais liés à l’utilisation, la ges-tion et la sécurité des infrastructuresrépondent à des exigences réglemen-taires, heureusement non négocia-bles.Il ne reste donc aux entreprises pré-tendant au low cost qu’à réduire lescoûts liés au service aux passagerset ceux liés au personnel. Pour lespremiers, il s’agit de ne plus distri-buer de repas dans les vols courtedurée, de vendre des billets nonéchangeables ni remboursables, defaire payer des suppléments pourtout (bagages, paiement par cartebleue, embarquement prioritaire,boissons, journaux, etc.), de serrer

    TRANSPORTS LOW COST, LE PARADIGMED’UN CONSUMÉRISME LIBÉRAL

    les sièges pour charger le véhiculeau maximum, etc. Pour les seconds,il s’agit d’optimiser les processus detravail et tendre les flux, au risque detransformer le moindre incident enretard irrattrapable, de faire du mana-gement lean (« sans gras »), d’utili-ser au maximum les rames et appa-reils, de sous-traiter la restaurationet l’entretien au moins cher, de « déma-térialiser » les guichets et les rempla-cer par des automates et interfacesnumériques.

    Ainsi, la facture du low cost est doncd’abord payée par les travailleurs dutransport, tandis que le voyageur lui,pourrait se dire que s’il perd en qua-lité de service, en ponctualité et encontact humain, il gagne en pouvoird’achat. En période de salaires stag-nants, se déplacer à petits prix n’estpas négligeable. Sauf qu’il y a là un calcul individuelà courte vue. D’abord parce que levoyageur-consommateur est aussitravailleur-producteur. Certes Internetlui donne accès à de puissants com-parateurs de prix (Opodo, partirpa-scher, voyage-sncf…), mais en cher-chant partout les prix bas il encouragela mise sous pression des salaires,suivant un terrible cercle vicieux. Et

    au-delà, il faut comprendre que si leprix du ticket devient le déterminantquasi-unique de la décision d’achat,au détriment du confort ou de la qua-lité du service notamment, moinstangibles, il n’y a plus de place sur lemarché pour une diversité d’offre etseul le moins cher survivra. À l’issued’une phase de concurrence féroce,faillites et restructurations s’abat-tront sur la plupart des acteurs et lemarché retrouvera par sa mécaniquepropre un équilibre avec un faiblenombre d’acteurs, qui n’auront plusalors besoin de se différencier etpourront recommencer à monter lesprix. Les coûts liés à la rémunérationdu travail ou à la qualité du serviceoffert resteront bas mais les prixretrouveront un niveau plus élevé.Seuls les actionnaires auront finale-ment gagné à la déstabilisation demarché introduite pendant quelquesannées par le low cost.

    En plus de relever d’une logique demiroir aux alouettes, ces modèleslow cost illustrent une contradictionde fond du capitalisme de notretemps. Pendant les 30 glorieuses, lecapitalisme occidental avait besoinpour faire tourner ses usines d’uneconsommation de masse portée pardes salaires suffisants pour soutenirla demande, suivant la logique key-nésienne et globalement sociale-démocrate. Avec la « révolution conser-vatrice néolibérale », il s’est agi àpartir des années 1970 de « conte-nir » les salaires sans cesser de sou-tenir l’indispensable consommation,et pour cela tout a été fait pour struc-turer l’économie autour de la seulebataille sur les prix, réservant la qua-lité et la diversité aux segments « luxe »de chaque marché. Ou autrementdit : bons repas et petits soins pourla classe affaire, low cost pour lesautres…Entre les deux, rien. A tra-vers le low cost, c’est donc le miragede la classe moyenne qui s’évanouit :là où le low cost nous conduit il n’ya que deux classes sociales : la classeaffaire et la classe éco. n

    *SÉBASTIEN ELKA est ingénieur.

    (1) Couramment appellé «Bottom of thePyramid»

    Il ne reste donc aux entreprisesprétendant au low cost qu’à réduire lescoûts liés au service aux passagers etceux liés au personnel. “ “

    I

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    JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

    PIERRE TRAPIER est le maire communiste de Portes-Lès-Valence, ville drô-moise de près de 10000 habitants qui verra démarrer en 2014 le chantierd’aménagement d’une plateforme multimodale « 3R » – Rail Route Rhône.

    ENTRETIEN AVEC PIERRE TRAPIER,

    Progressistes : Pouvez-vous nous expli-quer en quoi consiste cette plateformemultimodale?

    Pierre Trapier:Notreville a une relationparticulière auxtransports. Bordéepar le Rhône, elleaccueille le port decommerce fluvio-

    maritime de Valence, principale étapeentre ceux de Marseille-Fos et de LyonE. Herriot. Elle est aussi traversée parl’autoroute A7 et ses 16000 poids lourdsquotidiens, ainsi que par la toujourstrès fréquentée Nationale 7. Enfin laville accueille une grande gare de triageferroviaire qui permet d’offrir une des-serte ferroviaire aux entreprises sansqu’elles aient à financer un embran-chement et positionne l’aggloméra-tion comme distributeur tant vers lesflux nord-sud du Rhône (vers laMéditerranée et la Péninsule Ibérique)que vers celles du « Sillon Alpin » quimène à Romans, Grenoble, Chambéry,Annecy, Genève et au-delà.

    L’idée de la plateforme multimodaleest de construire trois quais de déchar-gement ferroviaire de 300 mètres acco-lés aux équipements du port de com-merce et à un espace de chargement/déchargement de poids lourds. Dès2015, la plateforme permettra l’ache-minement de 60000 tonnes de maté-riaux par voie fluviale, soit l’équiva-lent de 2000 poids lourds. L’objectifest que les flux de marchandises nese contentent plus de traverser notreespace mais trouvent au sud de Lyondes infrastructures permettant letransfert de charges et donc le reportdu fret routier vers le fluvial et le fer-roviaire. Un horizon beaucoup plus

    UNE PLATEFORME MULTIMODALE « 3R » DANS LA DRÔME

    écologique et qui permettrade créer de l’emploi sur la zone.

    Progressistes : Il s’agit donc decapter une partie des flux aujourd’huiabsorbés par Marseille et Lyon?P.T. : Nous ne sommes pasdans une logique de compé-tition entre les territoires.Aujourd’hui, beaucoup demarchandises sont transpor-tées par le fleuve ou le rail deMarseille à Lyon, avant deredescendre vers nous par

    camion. C’est une aberration écolo-gique et économique! Et cela contri-bue à l’engorgement des infrastruc-tures lyonnaises, qui sont d’ailleurslargement saturées.Marseille et le port de Fos-sur-meront aussi tout à gagner d’un arrière-pays mieux connecté au fleuve ouau rail et qui pourra drainer les mar-chandises de la Drôme, de l’Isère,des deux Savoie, de l’Ardèche et d’unebonne partie du Massif Central. Deszones aujourd’hui desservies presqueuniquement par le transport routier.Enfin il faut noter qu’avec les infra-structures existantes le Rhône pour-rait charrier quatre fois plus de ton-nage, et que le frêt ferroviaire peutaussi être très largement renforcé.

    Progressistes : Quelle est la genèse duprojet?P.T. : Portes est une ville de chemi-nots, tout le monde ici a un lien avecle rail. Or face aux nombreusesattaques contre le service public fer-roviaire – démantèlement de la SNCFen filiales, fermetures de gares detriage, affaire des wagons isolés1, etc.– la CGT cheminots a cherché unmoyen d’ancrer durablement cetteactivité historique dans le dévelop-pement de notre territoire.En 2009, nous avons lancé ensem-ble une pétition contre l’abandondu « wagon isolé », qui a recueilli2500 signatures. Puis une associa-tion de préfiguration « ValenceEurorhône » a été créée – réunissant

    les collectivités de Portes-lès-Valence,de Valence, la communauté d’agglo-mération, la CCI et l’Association desUtilisateurs de Transport de Fret –avec l’objectif de développer le ter-ritoire Sud Rhône-Alpes autour dupôle multimodal de Valence sud. En2010 la création de l’agglomérationde Valence, qui a compétence surl’économie, a permis de dégager dufoncier disponible près de la zoneportuaire. Les permis de construiresont à ce jour actés pour un chan-tier d’aménagement de 164000 m2.

    Progressistes: Quelles sont les prochainesétapes?P.T. : Nous avons encore d’impor-tantes luttes à mener. La premièreest de faire entrer tous les acteurspublics concernés dans le projet.Nous avons dû batailler pour que laCompagnie Nationale du Rhône,concessionnaire du fleuve jusqu’à2023, soit partie prenante, et nousne sommes pas encore parvenus àimpliquer résolument la SNCF. Larégion finance en partie la moder-nisation de l’installation ferroviaireet l’État participe à l’achat de la grueportuaire de 86 tonnes via le planRhône, mais cela n’est pas suffisantcar le financement demeure princi-palement à la charge des collectivi-tés locales alors que cette plateformeest d’intérêt national ! Et si la SNCFne s’implique pas dès maintenant,il y a tout à parier que ce seront lesacteurs privés qui s’empareront desactivités les plus profitables.L’autre enjeu est celui de l’emploi.Mille créations d’emploi sont atten-dues, surtout dans le secteur de lalogistique. Or ce secteur a massive-ment recours à la sous-traitance etaux contrats précaires, et n’offre sou-vent que des conditions de travailtrès difficiles. Développer la forma-tion sur ces métiers et imposer auxentreprises des engagements solideset vérifiables est un chantier qui estencore devant nous. n

    (1)-Dans le cadre de son « plan frêt », laSNCF a décidé de ne plus prendre en chargeles wagons uniques des entreprises, pasassez rentables, n’acceptant plus que lestrains complets. Le principal résultat de cettedécision a été un recul énorme du volumetotal de frêt ferroviaire en France.

    Dès 2015, la plateforme permettral’acheminement de 60 000 tonnes dematériaux par voie fluviale, soit l’équivalentde 2000 poids lourds.“ “

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    Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

    TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

    Les transports sont au cœur des enjeux sociaux, économiques et environne-mentaux de notre société. Selon la façon dont on les utilise, ils peuventinfluer sur l’aménagement et le développement économique du territoire, desterritoires.

    MULTIMODALITÉ ET ENVIRONNEMENT

    PAR DOMINIQUE LAUNAY*,

    LES TRANSPORTS: LE GRANDABSENT DES CONFÉRENCESENVIRONNEMENTALESLeur structuration pose des ques-tions de fonds touchant aux choixéconomiques et de société, c’est-à-dire au mode de développement.Ce qui explique, peut-être, pourquoile gouvernement a refusé que la ques-tion des transports soit retenue commethème lors des conférences environ-nementales de 2012 et 2013, à voirses positionnements récents, commeson revirement sur l’écotaxe poidslourds, s’inscrivant dans une conti-nuité du « tout routier » après avoirvalidé la généralisation du 44 tonnes,en janvier 2013, ou encore son sou-tien à la politique du bas coût (lowcost) qui se généralise dans tous lesmodes de transport.

    Cela s'inscrit dans un contexte deconcurrence exacerbée, de dumpingsocial, d’oppositions entre modes detransport ou à l’intérieur des modes,de mise en concurrence des salariés,ne répondant pas aux besoins desusagers et allant à l’encontre de leurssouhaits d'une diminution des émis-sions de Gaz à Effet de Serre (GES).

    UNE AUTRE RÉGULATIONUne autre régulation que celle du mar-ché et des logiques de concurrence etde flux tendu peut seule permettreune utilisation des transports qui soitéconomiquement, socialement et éco-logiquement responsable.Cela passe, notamment, par une orga-nisation multimodale des transports,appropriée à chaque domaine, voya-geurs et marchandises.

    En effet, pour sortir de cette logiquelibérale menée depuis quatre décen-nies des choix politiques sont néces-saires pour organiser les transports,sous maîtrise et contrôle des collec-tivités, en choisissant les modes lesplus pertinents pour les achemine-

    ments et en combinant leur com-plémentarité selon d’autres critères.

    La multimodalité reconnaît l’utilitéde tous les modes et définit leur placepertinente, sans les opposer. Ellerequiert une volonté de maîtrisepublique de tout le système de trans-ports. C’est un choix politique fon-damental. D’ailleurs le capital, lepatronat, emploient rarement en cesens (à quelques exceptions près) ceconcept de multimodalité : lui estpréférée la logique de concurrenceet profits – y compris dans le cadred’intermodalités (dont ils ont besoinpour leur business)- et cela aux dépensde l’intérêt général, des besoinssociaux et environnementaux.

    POURTANT LE DERNIER RAPPORTDU GIEC EST ALARMANT!D’où la nécessité de sortir les trans-ports du marché, car il n’y a pas d’ave-nir pour l’environnement si on nesort pas de ce système économique.Il faut en finir avec le moins-disantsocial, de formation et de rémuné-ration qui régule l’activité des trans-ports routiers (marchandises et voya-geurs) entraînant des suppressionsmassives d’emplois dans le secteur.Le gouvernement a lancé le conceptd’économie circulaire, à la dernièreconférence environnementale.Ce qui pose la question de remettrel’appareil industriel au cœur desenjeux et du débat, d’œuvrer à la

    Le transport est curieusement le grand oublié desconférences gouvernementales. Sujet trop sensible ?

    reconquête industrielle, de relocali-sation des productions – dans unconcept de circuit court territorial –en pesant bien la question du justecoût du transport des marchandisesdans les coûts de production, de lacomplémentarité entre les modespassant par un véritable service publicdu transport des marchandises parle rail, mais aussi par un renouveaudu fluvial.

    Cela nécessite de sortir de la spiralequi empêche une véritable inversionde l’émission des Gaz à Effet de Serreportée par les politiques ultralibé-rales qui s’amplifient, où les maîtresmots sont : compétitivité, concur-rence, coût du travail… alors qu’ils’agit du « coût du capital ».

    Tant que l’on considérera le travailcomme un coût alors qu’il est la véri-table richesse, tant que l’on aura l’œilrivé sur le niveau du CAC 40 : on par-lera environnement sans avenir !De quelle compétitivité parle-t-onlorsqu’il s’agit de l’avenir de la pla-nète, de l’être humain?

    Sans faire de raccourcis et de conclu-sions hâtives, la catastrophe qui vientde se dérouler aux Philippines nepeut nous laisser indifférents et jeme permettrai de citer un extraitd’une interview de Jean Jouzel, cli-matologue, dans L’Humanité du12novembre 2013 « (…) notre crainte,c’est que le réchauffement clima-tique ne favorise des cyclones de plusen plus violents, provoquant desdégâts de plus en plus graves. Si les

    événements de ce type continuentà se multiplier, il est probable que–dans le prochain rapport du GIEC–le lien soit fait avec les activitéshumaines » fin de citation.C’est aussi pourquoi nous pensonsque l’accord de libre-échange – quise négocie entre l’Europe et les États-Unis est une mauvaise chose aussipour l’environnement et le conceptd’économie circulaire.

    De quelle compétitivité parle-t-on lorsqu’il s’agit de l’avenir de laplanète, de l’être humain ?“ “

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  • au développement économique età l’aménagement du territoire.Une politique multimodale intégréedes transports impose une gestionen conséquence des infrastructures: Une maîtrise publique totale de cesinfrastructures pour garantir leurfinalité dans l’utilisation des modesfavorable à l’aménagement équili-bré du territoire, et se protéger d’unemise en concurrence qui, par défi-nition, viendrait contrarier les obli-gations de développement durable ;des financements qui garantissentcette maîtrise autant que les réali-sations nécessaires et cela que l’onraisonne à court, moyen ou longterme, sans quoi nous sommes dansune socialisation des pertes et pri-vatisation des bénéfices ;

    Une ressource de financement quirepose sur une fiscalité juste, sur les

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    JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014 Progressistes

    On peut parler « environnement »tant que l’on veut, mais tant que letransport routier de marchandisessera sous-tarifé, tant que la politiquebas coût (low cost) sera soutenue,que le concept de multimodalité serarejeté, tant que ce sera « la loi de lajungle » dans le maritime – où desbateaux coulent avec des milliers deconteneurs dont on ne connaît pasexactement le contenu –, on conti-nuera à polluer la planète, les océans.

    PROPOSITIONS POUR UNEPOLITIQUE MULTIMODALELa maîtrise publique, le financementpublic des infrastructures dans unconcept multimodal (ferré-fluvial-portuaire-aéroportuaire…) doiventaussi être priorisés pour sortir desPartenariats Publics Privés dont onmesure bien la nocivité et les sur-coûts et qui sont un véritable frein

    contributions de ceux qui réellementprofitent du transport, sur desemprunts et fonds d’investissementdu type « grands travaux ».

    La question du financement des infra-structures d’intérêt général néces-site la mobilisation de ressourcesnouvelles. La création d’un pôle finan-cier public, permettant de disposerde ressources nouvelles en dehorsdes contraintes du marché, est unesolution. L’ensemble de ces éléments peutcontribuer – si on change d’orienta-tion politique– à une véritable poli-tique multimodale et aller vers uneéconomie circulaire, s’inscrivant dansune transition écologique et la dimi-nution des Gaz à Effet de Serre. n

    *DOMINIQUE LAUNAY est SecrétaireGénéral de l' UIT-CGT

    Le transport maritime représente 90 % du transport mondial demarchandises. C'est aussi une des clés de voûte de la mondia-lisation et de la mise en concurrence des territoires. Quellesréalités se cachent derrière ce « bas coût » du transport rare-ment explicité dans tous ses aspects?

    PAR JEAN-PHILLIPE CHATEIL *,

    LE DÉCLIN DE LA MARINEMARCHANDE FRANÇAISE.Quatrième dans les années 1960, laflotte de commerce française occupeaujourd’hui le 29e rang mondial. Ellene cesse de diminuer alors que letrafic mondial explose. Les arma-teurs français avancent que la dégra-dation de la flotte tient au coût dutravail trop élevé du marin françaiset à sa protection sociale spécifique.Ils n’ont eu de cesse de dégrader lepavillon français par le « pavillonbis », «pavillon Kerguelen» et, depuis2005, la création du pavillon RIF(second registre international fran-çais). La Fédération internationaledes travailleurs du transport (ITF)l'assimile à un pavillon de complai-sance du fait de l’absence de garan-ties sociales de haut niveau et même

    de certitude de rémunération. Il aouvert la brèche au moins-disantsocial en mettant les marins fran-çais en concurrence avec les équi-pages des pays européens et ceuxdes pays tiers.En France, plus de 1400 navires sontgérés par des compagnies françaisesavec leurs 199 navires de plus de 500UMS (UMS: unité internationale detonnage), sous pavillon RIF, les autresarborent les pavillons des pays où lalégislation sociale et celle de la sécu-rité sont moins contraignantes etsans contrôle suffisant des pavillonsde complaisance.Le nombre de marins décline, mal-gré tous les démentis : de 16 242marins en 2000 à 13311 en 2011 surnavires de commerce. Le RIF n’a pasarrêté la perte d’emplois de marinsfrançais. Les armateurs français sontexonérés de cotisations sociales sans

    aucune contrepartie en termes d’em-ploi et de formation et continuent àliquider l’emploi de marins français,remplacés par des marins des paysdu tiers-monde. La compagnie française, CMA- CGM,3e armateur mondial de porte-conte-neurs, n'a que 20 navires sur 90 enfonds propre et n'emploie que 200marins français; tous les autres naviressont sous pavillon de complaisance

    Le porte-conteneurs MSC Flaminia. Un incendie s'estdéclaré à son bord le 14 juillet 2012 alors qu'il était aucentre de l'Atlantique Nord.�L'équipage a quitté le navire,qui contenait environs 2 876 conteneurs, dont 151étiquetés dangereux dont des solvants inflammables et desproduits toxiques (dont du PCB). Peu de transparence surle contenu réel des marchandises transportées, menaçantles écosystèmes marins de pollutions irréversibles surplusieurs milliers d'années en cas de naufrage.

    MARCHANDISES : POURQUOI TRAVERSER LES OCÉANSCOÛTE-T-IL SI PEU ?

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    Progressistes JANVIER-FÉVRIER-MARS 2014

    TRANSPORTS - LA MULTIMODALITÉ ÉCOLOGIQUE

    avec des conditions sociales et sala-riales proches de l’esclavage dans cer-tains cas. Malgré les contrôles effec-tués par ITF, certains armateurs françaisne respectent pas les accords signés.

    LES PAVILLONS DECOMPLAISANCE: PREMIÈREEXPÉRIENCE DE DÉRÉGULATIONDU TRAVAIL Les pavillons de complaisance règnentsur mers et océans ! Cela n’est passans conséquences sociales et envi-ronnementales. La complaisancecréée par les Américains dans lesannées trente, s'étend après la SecondeGuerre mondiale, aux pavillons pana-méens, libériens, îles Marshall… ettous les pays européens ont désor-mais des pavillons « second registred’immatriculation » qui sont sou-vent parmi les pires du monde enmatière de droits sociaux (Norvegianinternational shipping, Danemarkinternational shipping).Le plus souvent les équipages sonttrès mal formés et travaillent dansdes conditions sociales et salarialesscandaleuses: droit de grève et sécu-rité sociale inexistants, pas de retraite,très peu de congés. D'où des erreurshumaines comme l'échouage duporte-conteneurs libérien RENA enNouvelle Zélande en 2012.Avec l'embauche de marins venusdes pays les plus pauvres, à des salairestrès bas, protection sociale inexis-tante, conditions de travail au rabais,c'est en mer qu'ont été expérimen-tées les premières délocalisations !La mise en place du RIF n’est pas unfrein au dumping social et pousse àla généralisation du « low-cost » dansle maritime :Il n'y a plus d’obligation d’avoir desmarins français à bord ni d’avoir uncapitaine et son remplaçant, offi-ciers français ; finie la règle de l’em-bauche de marins français à hauteurde 35 % de l'effectif de sécurité (etnon de l'effectif réel embarqué),l’équipage est désormais composéde marins communautaires.

    L’EUROPE PRIVILÉGIE LA LIBÉRALISATIONLa France doit mettre fin au RIF etdévelopper son 1er registre d’imma-triculation, seul pavillon françaispour garantir des conditions socialeset de travail.

    Avec le transfert d’une grande par-tie des navires européens sous pavillonde complaisance et la montée enpuissance de la Chine maritime,l'Europe a privilégié la libéralisationtotale du transport maritime sur les

    mers intra-européennes, perdant enpartie ses moyens de transport mari-time intercontinentaux. Les compa-gnies européennes engrangent ainsiun maximum de profits au méprisde la sécurité et du social. Un syndicaliste marin et internatio-naliste ne peut accepter cette dégra-dation des conditions de travail etdes conditions sociales pour les équi-pages du transport maritime mon-dial. La nouvelle convention du tra-vail maritime (MLC2006) ratifiée parla France et en vigueur depuis l’été2013, apportera certes des amélio-rations pour les équipages étrangers(salaires minimums de plus de 500$et des garanties sociales minimales),mais les normes internationales enmatière sociale sont moins exigeantesque nos normes nationales.

    LE GIGANTISME AUX DÉPENSDE LA SÉCURITÉET DE L'ENVIRONNEMENTMalgré les normes de sécurité inter-nationales, la course au gigantismedes porte-conteneurs interroge. Onen est arrivé à des navires de 18000conteneurs qui posent un vrai pro-blème de sécurité maritime et por-tuaire ! Le contrôle des contenus estmalaisé : quid des matières dange-reuses (jouets, appareils ménagers,vidéo, produits chimiques explosifs,inflammables) ? Des accidents demer dramatiques font l’actualité, telque le «MSC Flaminia » : incendie etexplosion inexpliqués en 2012 aularge de la Bretagne. Les poids dechargement ne sont pas connus etrespectés comme le spectaculaireaccident du « MOL Comfort » casséen deux et avec un incendie sans per-sonne à bord dans l’océan indien enjuin 2013.

    L’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUEDE LA FRANCE MISE À MALL’indépendance énergétique de laFrance est mise en cause à travers letransport de produits énergétiques(pétrole brut, produits raffinés, gaz).En effet, en dépit de l’interventiondes sénateurs communistes, pourélargir les termes de la loi de 1992sur l’approvisionnement minimal

    Remarquez la taille minuscule de la péniche à ses côtés... Symbole du gigantisme, Le Maersk McKinney Møller est le premier navire d'une série de vingt navires identiques, capables de transporterplus de 18 000 conteneurs !

    Les pavillons de complaisancerègnent sur mers et océans! Cela n’est passans conséquences sociales etenvironnementales.“ “

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    stratégique de la France sous pavillonfrançais, le gouvernement n’a pasvoulu légiférer sur le maintien d’uneflotte stratégique de pétroliers, chi-miquiers, gaziers. C'est un risquetrès important pour l’indépendancede la France en cas de crise. Très peu de pétroliers appartiennentà une société française. À court terme,c'est la perspective dudépavillonnage desnavires encore françaisvers la complaisance,la liquidation desemplois d’officiers etde personnels d’exé-cution très qualifiés,avec risque de perteirrémédiable des cer-tificats internationaux.La politique maritimeultra-libérale de l’Europe, et uneconcurrence exacerbée à l’échellemondiale, conduisent à l’ineffica-cité des réglementations : c'est ladérive vers le low-cost. Des plans delicenciements se multiplient (maersktankers, Gazocean, BW…) Désagrégation sociale, perte desmétiers et des savoir-faire, le risqueest grand de voir toute l'économiede la mer « externalisée » et de fra-giliser un peu plus la place de laFrance dans le monde, en dépit deses atouts.

    DES CATASTROPHES PÉTROLIÈRESPASSÉES ET À VENIR…Les grandes sociétés (EXXON, TOTAL,SHELL) n’ont plus de flottes pétro-lières et s'exonèrent en cas de catas-trophes. L'Amocco-Cadiz, l'ExxonValdès, l'Erika et récemment le nau-frage de I’Union Neptune, sont lesplus noirs symboles des effets decette dérégulation rampante, par lesterribles tragédies environnemen-tales et sociales qu'elles ont susci-

    tées. Autre exemple d' « adaptation»:l’Allemagne, pour se prémunir de cerisque d' « image » a l'une des plusgrandes flottes de navires (3 549),mais moins de 10% sont sous pavillonallemand…

    FILIÈRE DE DÉMANTÈLEMENT ETDÉPOLLUTION DES NAVIRESConcernant le démantèlement desnavires en fin de vie, on ne peut pluscontinuer à tirer profit de la naviga-tion de navires qui finissent leur car-rière dans des chantiers de décons-truction en Chine, Inde, Pakistan, oùles conditions de travail sont catas-trophiques pour la santé des travail-leurs et leur sécurité.Il faut exiger la mise en place d’unefilière française et Européenne dedémantèlement et de dépollutiondes navires, pour mettre fin à leurenvoi en déconstruction dans ceschantiers de pays pauvres! La Francevient de ratifier la convention deHong Kong sur le recyclage sûr etécologique des navires, mais ne l’atoujours pas signée…

    PIRATERIE : LA PROTECTION DESMARINS ÉGALEMENT PRIVATISÉE !La piraterie a imprégné l'imaginairehistorique des conquêtes et bataillesnavales sur les mers du monde ; elles’est concentrée durant les 40 der-nières années dans le sud-est de l'Asie(sud de la mer de Chine, Détroit deMalacca, mer de Java, Détroit de laSonde, Indonésie), dans certaineszones d’Amérique du sud et d'Afriqueoccidentale, dans le golfe d'Aden aularge de la Somalie, avec le dévelop-pement d'une nouvelle forme : lerançonnage des équipages.La Marine nationale n’a plus lesmoyens de remplir ses missions. Lerecours au secteur privé avec gardesprivés armés, lui est substitué : véri-table scandale lié à la carence del’État dans l’exercice de ses missionsrégaliennes.La France, 2e domaine maritimeincluant l’Outre mer, avec11035000 km2, ne serait plus capa-ble d’assurer la sécurité de son pro-pre territoire, sans le recours au sec-teur privé ?

    UNE AUTRE POLITIQUE S'IMPOSELa politique maritime ultralibérale,à l’échelle européenne et mondiale,

    dévoie les réglementations et laissedériver le transport maritime vers lelow-cost et le moins-disant social.Éradiquer les pavillons de complai-sance sans tergiverser avec les arma-teurs et sortir d’une sous-tarifica-tion du transport maritime, générateurd'instabilité sociale et économique,sont de grandes priorités. La sécu-rité des équipages en dépend pourréorienter l'activité maritime.De plus, les armateurs français reçoi-vent des aides directes, exonérationsde cotisations sociales, et des faveursfiscales liées à la taxe au tonnage (enlieu et place de l’impôt sur les socié-tés) ; l’Europe s’en mêle pour rejetertout contrôle des aides quant auxcontreparties en termes d’emploi demarins européens: encore un cadeaude la Commission européenne, sousla pression de l’association des arma-teurs européens (ECSA).

    Faire émerger une nouvelle politiquemaritime est urgent, qui aborderaitl'économie maritime dans sa globa-lité, en améliorant en premier lieules droits sociaux des marins. En ce sens l'exemple remarquableet récent de la SNCM, qui, par unelutte forte, très majoritaire, à l’ini-tiative des syndicats CGT de marinset des Officiers, a permis d’obtenirdu Gouvernement Français des déci-sions de rupture pour garantir lepavillon français, moderniser la flottedes navires et lutter contre le dum-ping social de la compagnie mari-time Corsica-ferries, sur les liaisonsmaritimes de cabotage entre le conti-nent et la Corse. n

    *JEAN-PHILIPPE CHATEIL est secrétairegénéral adjoint de la fédération CGT desOfficiers de la marine marchande.

    Parmi lesnombreux

    pavillons decomplaisance : ledrapeau des Îles

    Caïmans. Letransport maritimen'a pas attendu la

    directiveBolkestein pour

    pratiquer ladéréglementation.

    juin 2013, le MOL Comfort et les4382 conteneurs qu'il portait, couleen plein océan indien.

    Côtesouillée parla maréenoire duPrestige.

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    Les contradictions de la politique de transport routier en Europe, ses consé-quences sociales et environnementales sont flagrantes. Quels moyens peut-onse donner pour une autre politique ?

    PAR GÉRARD LE BRIQUER*,

    Depuis des décennies, lesdébats et interventionspubliques en France ou enEurope, et jusqu’aux grands som-mets internationaux, pointent lesdommages et dangers de la dégra-dation de l’environnement, duréchauffement climatique, de l’épui-sement des ressources énergétiquesfossiles, de la montée des inégalitéssociales ou entre territoires. Ils disentmoins que cela résulte de la mon-dialisation capitaliste des échangescommerciaux et que les transports– notamment de marchandises – ensont fortement responsables.

    FAIRE ENTRER LA DURABILITÉSOCIALE, ENVIRONNEMENTALE ETÉCONOMIQUE DANSL’ORGANISATION DES TRANSPORTSLes transports sont les grands absentsdes réflexions et décisions pour pren-dre en compte la question de l’effi-cacité et de la sobriété énergétiqueet réduire des émissions de gaz à effetde serre (GES) jusqu’à atteindre d’ici2050 le fameux « facteur 4 ». Ils sontpourtant responsables de 26 % del’ensemble des émissions et de plusde 40% des émissions de CO2 liées àl’énergie sur le territoire national (enEurope 25% des GES et 20% du CO2).Ils représentent 32 % de la consom-mation finale d’énergie et concen-trent à eux seuls 70% de la consom-mation française de pétrole. En France,ils sont le premier émetteur de GES,devant l’agriculture, le résidentiel etl’industrie. Alors que les autres sec-teurs connaissent une diminutiondes émissions de CO2, celles issuesdes transports ont augmenté de 36%depuis 1990. Ils constituent donc unlevier essentiel pour toute transitionécologique.Mais le patronat du transport– logis-ticiens, grands transporteurs routiers,armateurs, également les grands don-

    ÉCOTAXE : RÉORIENTER LE TRANSPORT ROUTIER POUR PESER SUR LES DÉCISIONS DE PRODUCTION

    neurs d’ordres… – n’est pas mis devantses responsabilités. Préoccupé de laseule rentabilité de son capital, il conti-nue d’imposer déréglementations,austérité et politiques contraires àl’intérêt général qui lui permettentd’exploiter ses salariés dans des condi-tions inadmissibles tout en conti-nuant impunément à polluer la pla-nète.Il est grand temps d’avancer dans lavoie de la transition écologique, et deplacer le développement humaindurable au cœur de la réorientationdes systèmes de transport.

    LE TRANSPORT-LOGISTIQUE EST AUCŒUR DE LA MONDIALISATIONCAPITALISTE, UN MOTEUR DESDÉLOCALISATIONSLa concurrence est organisée entreles modes et au sein de chacun d’eux.La politique européenne des trans-ports se veut la plus flexible possible,au service de la compétitivité desgrands groupes. Les transporteursinternationaux et grands logisticiensqui ont la main sur l’organisation, la

    répartition des modes et des marchésfont pression sur les entreprises clientespour augmenter leurs bénéfices etpayer d’énormes dividendes à leursactionnaires. Très présents, les fonds de pensionsdéploient des stratégies telles quecelle révélée récemment par les 3000licenciements annoncés de Mory-Ducros: grossir, disparaître, revenir,sous-traiter et externaliser massive-ment, tout faire pour abaisser les coûts,faire payer la facture aux salariés. Lesgrandes ambitions stratégiques affi-chées de rééquilibrage entre les modesde transport, d’efficacité énergétiqueaccrue, de réduction d’encombre-ment sur les routes, de report modalvers des modes plus sobres, s’éva-nouissent bien vite. La politique de baisse des coûts, ini-tiée au début des années 1990 etappuyée par toutes les formes dedumping social, fiscal et tarifaire quipoussent à la mise en concurrencedes salariés français avec notammentles travailleurs des pays de l’Europede l’Est, s’est imposée partout. Le coûtdu transport a fortement baissé et lefret routier, mesuré en tonnes-km,s’est envolé. Le prix du transport n’estmême plus un frein aux délocalisa-tions ! Dans l’optique capitaliste de divisioninternationale du travail, ces trans-ports très bon marché permettent ladélocalisation de la production versles zones à «bas coût» de main-d’œu-vre, sans prise en compte des dégra-dations sociales et humaines mais enfaveur de la rentabilisation du capi-tal, qui résonne sur le coût global desproductions industrielles, achemi-nement compris. Il faut impérative-ment sortir de la logique de ces modesde production et de consommationpour lesquels le transport estaujourd’hui maintenu bien moinscher que les coûts qu’il impose à sestravailleurs comme à la collectivité età l’environnement. Si l’on continuecomme cela, c’en est fini des fonda-mentaux du transport durable, onabandonne l’idée de découplage, sui-vant laquelle il est possible et souhai-table de rompre le lien entre crois-

    Le patronat du transport continue d’imposerdérèglementations, austérité et politiques qui luipermettent d’exploiter ses salariés dans desconditions inadmissibles tout en continuantimpunément à polluer la planète.“ “

    Le transport demarchandisespar camion, unmode dominant.

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    sance économique et croissance dutransport.Cela supposerait d’éviter les trans-ports superflus et parcours parasitesdes marchandises, de changer l’or-ganisation d’une logistique aujourd’huià flux tendu et sans stocks, dans lecadre d’une économie circulaire. Ils’agirait de replacer l’appareil de pro-duction au cœur des enjeux et dudébat sur la reconquête industrielle,de relocaliser des productions en

    faveur de circuits courts dans nos ter-ritoires, mettre ainsi un coup d’arrêtà la désindustrialisation, aux ferme-

    tures de sites de production et auxvagues de licenciements… Aller versune tout autre conception du rôle etde la place du transport routier demarchandises qui a un avenir dansune réorientation vers le transportmultimodal et complémentaire desmodes alternatifs à la route.

    SORTIR DE LA SOUS TARIFICATIONNOTOIRE POUR MODIFIER LESDÉCISIONS DE PRODUCTIONIl faut réinstaurer une tarificationsociale obligatoire (anciennementla Tarification routière obligatoiresupprimée en 1986 dans le cadre desdéréglementations successives), quisoit aujourd’hui également environ-nementale, contraignante en Franceet en Europe. Sur ce chemin vers uneharmonisation sociale et fiscale, uneétape urgente est aussi de remettreà plat la directive des « travailleursdétachés » pour éradiquer les dérivesactuelles et garantir des conditionsde travail décentes aux salariés, tirervers le haut le niveau social lié à leursalaire et à leur protection sociale,améliorer leurs conditions de travailet de vie.Surtout, il faut sortir ces salariés dela concurrence avec ceux du rail etdu fluvial. Le transport routier est

    actuellement dominant car le modede transport le moins cher, mais cebas coût tient au fait que nombre deses coûts véritables – externalitésnégatives telles que les dommagescausés par les poids lourds sur lesinfrastructures, le coût des conges-tions routières, les nuisances et pol-lution, etc. – ne sont pas facturés.Défendre une tarification socialeobligatoire et une revalorisationsociale des travailleurs de la route,c’est élever le coût du transport rou-tier et l’amener à reprendre sa justeplace dans les chaînes de transportcelle du transport terminal et local.Évidemment, le report modal a desimpacts sociaux et il faut assumerdes reconversions nécessaires dessalariés du transport routier versd’autres modes de transport. Au total, une internalisation des coûtsexternes combinée avec une tarifi-cation sociale obligatoire en faveurdes travailleurs du transport routiersont les leviers pour protéger la col-lectivité et les salariés des pratiquesde dumping.

    UNE RÉFORME DE LA FISCALITÉNÉCESSAIRE Il y a bien sûr une nécessité impéra-tive d’aller vers une réforme de la fis-calité et de mettre à plat les multiplessubventions et exonérations fiscalesde l’État – réductions de la taxe à l’es-sieu et remboursements partiels dela TICPE sur le gasoil professionnelpar exemple – afin de gagner en effi-cacité et en justice fiscale. Et ce fai-sant redonner aux citoyens un signalfort pour le consentement à l’impôtcomme levier fort des politiquespubliques. Mais il ne faudrait pas pourautant que ce manque de confiancefiscal torpille des projets nécessairescomme cette écotaxe poids lourds. Car en reculant à ce sujet, leGouvernement condamne un peuplus toute ambition de report vers lesmodes alternatifs (rail-fluvial) moinspolluants et plus économes. Le rejet politique général des cadeauxau capital, ne doit pas faire baisserles bras pour prendre des mesuresvéritablement efficaces vers une tran-sition écologique. On n’en prend pasle chemin ! n

    *GÉRARD LE BRIQUER est secrétaire del'UIT-CGT.

    Evidemment, le report modal a des impactssociaux et il faut assumer des reconversionsnécessaires des salariés du transport routier versd’autres modes de transport. “ “Conçue et labellisée par le Grenelle de l’environne-ment en 2009, l’Ecotaxe Poids lourds se veut unpremier pas vers cet objectif. Elle devait entrer en vigueurdès le 1er janvier 2014. Le Gouvernement, en suspen-dant sa mise en œuvre, vient une nouvelle fois de céderaux pressions du patronat, aux lobbies routiers. Cette reculade coûte cher à la France ! Le manque à

    gagner direct est d’environ 1,2 milliards d’euros derecettes fiscales pour l’Etat (ainsi que pour les dépar-tements, à qui 140 millions doivent être rétrocédés).Des recettes auxquelles il faut soustraire 250 millionspour payer le loyer annuel au consortium « Ecomouv »,attributaire d’un scandaleux contrat de privatisation dela mission publique de collecte de l’impôt ! La gabegiefinancière de « Partenariat Public Privé » (PPP) a été

    dénoncée à juste titre lors des mobilisations1 contrel’écotaxe, en Bretagne notamment. Cependant l’objec-tif des « bonnets rouges » – sur fond de « ras le bol fis-cal » – est bien de torpiller les véritables justificationsde cette contribution. Car la bataille est bien de savoirqui doit payer pour les coûts externes aujourd’hui nonassumés du transport routier de marchandises. Et cen’est pas aux salariés du transport de porter cette charge,mais aux donneurs d’ordre et aux chargeurs, bénéfi-ciaires directs et depuis longtemps des transports rou-tiers sous-tarifés, tandis que les entreprises de trans-port doivent revoir leur mode de rémunération quiaujourd’hui coûte si cher socialement, économiquementet pour l’environnement. C’est le sens que nous devonsdonner à une nouvelle Tarification Sociale Obligatoire.

    (1) Même si l’amalgame scandaleux qui a été mis enavant par les différents protagonistes (allant de la FNTR,la FNSEA, le MEDEF ou autre CGPME … au soutien parles forces politiques de droite et d’extrême droite) , desmouvements de décembre en Bretagne avait pourunique but de diviser –un peu plus- les salariés qu’ilsexploitent, menacent, licencient à longueur d’année enprenant appui sur le juste mécontentement des salariéspar rapport au Gouvernement qui a choisi le camp dupatronat auquel il multiplie les cadeaux fiscaux pendantque s’enchainent les reculs sociaux pour les salariés.

    L'autorisationpour les poidslourds de 60t decirculer sur nosroutes : unsymbole de fuiteen avant.

    L’ÉCO-TAXE POIDS LOURDS, UNE RECULADEQUI COÛTE CHER

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    « Grand projet inutile » la ligne Lyon-Turin? C'est pourtant un projet essentiel pour libérer les vallées des Alpesde la pollution du trafic routier, notamment par camions. Plus largement il contribuerait à réduire les émissionsde gaz à effet de serre et à créer des emplois stables et de qualité.

    PAR ALAIN RUIZ*,

    L a liaison ferroviaire Lyon Turinest le maillon manquant dufutur grand réseau ferroviairetranseuropéen. Retenu dès 1994 commel’un des 14 projets prioritaires enEurope, il doit permettre de relier lesports de la Manche, la région pari-sienne, la péninsule ibérique et lesvilles françaises des Alpes et du Rhôneà la plaine du Pô et aux pays d’Europede l’Est. Les travaux n’ont commencéque pour les galeries de reconnais-sance et la liaison ne sera au mieuxopérationnelle que vers 2025. Or, elleavait été officialisée lors du sommetdu 20 janvier 2001 et un traité bilaté-ral ratifié en 2002 par les parlementsfrançais et italien pour une mise enservice autour de 2015. Un projet quiaccusera donc un retard d’au moinsdix ans.

    LA LIGNE DU MONT CENIS,PRINCIPAL GOULETD’ÉTRANGLEMENT ENTRE ITALIE ETFRANCEInaugurée en 1871, la ligne historiqueentre la France et l’Italie enjambe lesAlpes. Depuis Lyon elle chemine parChambéry et Saint Jean de Mauriennepuis monte en altitude par Modanepour rejoindre le tunnel de faîte (voirencart) du Mont-Cenis avant de redes-cendre vers Suze et Turin. Entre St-Jean-de-Maurienne et Bussolène, laligne connaît des contraintes trèsimportantes, dues au tracé et au pro-fil de la ligne, à l’absence d’itinérairede détournement, à la différence dessystèmes de signalisation, d’électri-fication, de cantonnement… Descontraintes juridiques et réglemen-taires également, avec des mesuresde sécurité spécifiques dans le tun-nel du Mont-Cenis et un classementen ligne « à fortes pentes ». Les trans-ports de marchandise sont particu-lièrement affectés, avec des limitessur les tonnages transportés, une

    vitesse limitée à 40 ou 50km/h et deuxruptures de charge aux rampes deSaint Jean de Maurienne et Modane,combinée là à un changement de cou-rant incompatible avec la plupart deslocomotives françaises. Ainsi de nom-breux trains de fret sont « calés », arrê-tés plus de 24 heures, avant de pou-voir monter au tunnel, et les faisceauxde St Jean de Maurienne ou de St Avreconstituent le principal goulet d’étran-glement pour le fret international àdestination de l’Italie.

    Le transport de marchandises dansl’arc alpin ne cesse de croître ; sur 10ans il a crû globalement de 20,5 %.Sur les itinéraires franco-italiens unecombinaison d’événements excep-tionnels – incendie dramatique et fer-meture du tunnel routier du Mont-Blanc en mars 1999, travaux sur letunnel ferroviaire du Fréjus de 2002à 2011 – ont rendu l’évolution moinslisible sur la période. En 1992 Modaneétait la première gare internationalefrançaise et jusqu’en 2000 le tonnagesur la ligne historique n’avait cesséd’augmenter. Il fluctue depuis aurythme des substitutions d’itinéraires.

    Avec 1 338 000 poids lourds et 17,8Mten 2010, le seul tunnel routier deVintimille est le second passage trans-alpin routier en Europe. Il arrive àsaturation.

    LE FRET TRANSALPIN, UN ENJEUPOUR TOUTE L’EUROPEL’enjeu est d'obtenir un report modal,de la route vers le rail. Entre 1991et2011, le transport de marchandisesen France a crû de 34%, le transportroutier de près de 60 % et le fret fer-roviaire a reculé de 35 %. Une catas-trophe pour les émissions de gaz àeffet de serre, conséquence de l’ou-verture à la concurrence du fret, dela déstructuration de la SNCF, de lagestion par activité et de l’abandonde la politique de volume (abandondes flux pas assez rémunérateurs). La distance pertinente pour l’optionferroviaire est actuellement d’au moins600km. En dessous, l’avantage va autransport poids lourds. D’où la néces-sité de favoriser le développement delignes à grande distance, qui impliqueune meilleure interopérabilité dessystèmes ferroviaires européens. Unemesure essentielle est le déploiementdu système européen de gestion dutrafic ferroviaire ERTMS, qui rempla-cera tous les systèmes de signalisa-tion du continent et doit promouvoirun transport plus performant à touspoints de vue. Avec ce système, l’in-terpénétration des agents et des loco-

    Une ligne ferroviaire Lyon-Turin constitueune liaison transeuropéenne, indispensable pourmettre fin au tout-camion et répondre auxenjeux écologiques.“ “

    Le projet LGVLyon-Turin unmaillon essentielpour le traficferroviaire enEurope

    La barrière des Alpes et les différentes voies de passage

    LA TRANSALPINE LYON-TURIN : LA PLANIFICATION ÉCOLOGIQUE EN ACTES

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    motives sera rendue possible et per-mettra des corridors ferroviaires euro-péens. Parmi les six corridors priori-taires, deux traversent la France et serejoignent à Lyon: le C Anvers – Bâle– Lyon (1840 km) et le D Valencia –Lyon – Turin – Budapest (3000 km).

    Une ligne ferroviaire Lyon-Turinconforme à l’ERTMS et échappantaux contraintes de la ligne historiquedu Mont Cenis constitue une liaisontranseuropéenne, indispensable pourmettre fin au tout-camion et répon-dre aux enjeux écologiques. La solu-tion est nécessairement celle d’uneligne à grande vitesse (LGV) au tra-vers d’un tunnel de base. Un tunnellong et coûteux, mais qui évitera penteset ruptures de charge et permettra deréduire le temps de trajet passagerLyon-Turin de 4h17 à