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Effy HamonPr. Pamela CheekFrench 535 - Le romanProjet final
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Table des matièresINTRODUCTION.............................................................................................................................................. 3
I. LA REPRÉSENTATION DU CORPS DE MANON................................................................................4A. PAR QUI ET POUR QUI LE CORPS DE MANON EST-IL REPRÉSENTÉ ?................................................................4
a) Le corps de Manon décrit par les deux narrateurs...............................................................................4b) Une apologie de l’héroïne................................................................................................................................ 5
B. QUELLES SONT LES RÉACTIONS DES PERSONNAGES À LA VUE DE MANON ?...................................................6a) Chez l’Homme de Qualité................................................................................................................................. 6b) Chez les amants de Manon.............................................................................................................................. 6c) Chez les autres personnages........................................................................................................................... 7
C. QUELLE EST LA PLACE DU PLAISIR DANS LE CORPS DE MANON ?.....................................................................8a) Les plaisirs de Manon........................................................................................................................................ 8b) Le corps de Manon comme source de plaisirs sexuels pour des Grieux........................................8c) Le corps de Manon comme source de plaisirs pour ses amants....................................................10
II. LES ÉMOTIONS DE MANON ET SON CORPS COMME VÉHICULE POUR TRANSMETTRE SES ÉMOTIONS.............................................................................................................................................. 11
A. COMMENT MANON MANIFESTE-T-ELLE PHYSIQUEMENT SES ÉMOTIONS ?..................................................11a) L’amour et la passion...................................................................................................................................... 11b) La honte................................................................................................................................................................ 12c) La tristesse........................................................................................................................................................... 13d) La douleur............................................................................................................................................................ 14
B. QUEL EST LE RAPPORT ENTRE LES ÉMOTIONS ET LE CORPS DE MANON ?...................................................14a) Le corps de Manon comme composé........................................................................................................14b) Les émotions de l’âme prédominent sur le corps................................................................................15
III. LA VALEUR TRANSDISCURSIVE DU CORPS DE MANON AU 18ÈME SIÈCLE........................16A. COMMENT LE CORPS REFLÈTE-T-IL L’ÂME ?......................................................................................................16
a) La dichotomie âme et corps......................................................................................................................... 16b) Manon en tant que personnage essentialiste.......................................................................................16
B. LE CORPS COMME ÉLÉMENT TRANSDISCURSIF...................................................................................................17a) La limite de la parole...................................................................................................................................... 17b) La lisibilité du corps........................................................................................................................................ 18
C. LE CORPS COMME EXPRESSION DE LA PASSION..................................................................................................19a) Un corps vivant animé par la passion......................................................................................................19b) Un corps mort éteint de toute passion.....................................................................................................19
CONCLUSION................................................................................................................................................. 20
Bibliographie................................................................................................................................................ 22
IntroductionQuand bien même le corps physique de Manon Lescaut n’est pas sujet à
descriptions dans le roman de l’Abbé Prévost, publié en 1731 puis réédité en 1753, il
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est, cependant, un objet d’étude qui suscite beaucoup d’attention de la part des critiques
littéraires.
Bien que nous sachions que des Grieux, le narrateur principal, exalte son histoire
avec passion pour plaider sa propre cause (Mylne, 1972), nous ne pouvons douter de
l’existence de Manon car elle est attestée par l’Homme de Qualité, dont les Mémoires,
servent de récit cadre à l’histoire de Manon. Le style de narration économique et la
théâtralisation tragique de l’œuvre de Prévost renforcent l’absence de description du
personnage de Manon et laissent ainsi une place considérable aux émotions de la jeune
héroïne. Comment les différentes émotions manifestées physiquement par Manon
parviennent-elle à combler le manque de détails de la description physique de Manon ?
Nous souhaitons démontrer que le corps de Manon est présent lorsqu’il extériorise des
émotions et que les parties du corps mentionnées sont en rapport avec les émotions
exprimées. D’après Diderot, une « émotion », selon l’article paru dans l’Encyclopédie
publiée dans la deuxième moitié du 18ème siècle, est un « mouvement léger; il se prend
au physique & au moral ». Cette définition met clairement l’accent sur l’aspect physique
de l’émotion alors que, de nos jours, nous comprenons une émotion comme un trouble
passager causé par un événement extérieur. Dans notre analyse des émotions, nous
nous servirons des définitions de l’Encyclopédie pour mettre en contexte la
compréhension de certaines émotions au 18ème siècle.
Tout d’abord, nous tenterons d’offrir une perspective du corps de Manon tel que
nous pouvons l’envisager dans le récit avant de considérer les différentes émotions que
l’héroïne éprouve tout au long du roman et de nous interroger sur son corps comme
véhicule pour transmettre ses émotions. Enfin, nous contextualiserons l’œuvre dans le
18ème siècle pour montrer la valeur transdiscursive du corps de Manon.
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I. La représentation du corps de Manon
A. Par qui et pour qui le corps de Manon est-il représenté ?
a) Le corps de Manon décrit par les deux narrateurs Le corps de Manon est primordial dans le récit car il est à l’origine de quelques
évènements de l’intrigue et il devient un enjeu entre les divers protagonistes. Il est
l’objet de désir et de convoitises de la part de plusieurs personnages de sexe masculin.
Manon est une héroïne mystérieuse dans le sens où le narrateur principal de l’histoire,
son amant le Chevalier des Grieux, n’offre pas de description physique de sa maîtresse.
Proust explique le corps de Manon est « un objet indicible, toujours présent derrière le
voile des mots, mais toujours prêt à se dérober à la prise ». Manon est d’apparence
« charmante » mais le lecteur n’a pas d’idée précise de ce à quoi elle pourrait
ressembler. La substance physique « charmante » de Manon lui offre une existence aux
yeux des hommes puisque sa condition sociale ne lui permettrait pas autrement. Les
adjectifs qui reviennent le plus souvent pour décrire Manon sont « belle », « jolie »,
« charmante » et « aimable ». Ses traits et son regard sont « doux », son teint peut être
« pâle » et elle a des « beaux yeux ». Tels sont les éléments du texte qui permettent au
lecteur de se faire une représentation de l’héroïne.
Dans l’ordre de la narration, l’Homme de Qualité est le premier qui décrit Manon.
D’après lui, Manon est une jeune fille « dont l’air et la figure étaient si peu conformes à
sa condition, qu’en tout autre état [il] l’eusse prise pour une personne du premier
rang. » (13). Il n’indique rien quand à la particularité de sa physionomie. Lorsque des
Grieux narre sa rencontre avec Manon à Amiens, qui s’apparente à un coup de foudre, il
évoque une fille « fort jeune » qui lui « parut si charmante ». (24). Il partage ses
impressions car lui qui : « n’avai[t] jamais pensé à la différence des sexes, ni regardé une
fille avec un peu d’attention, […] dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue, [il
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se trouva] enflammé tout d’un coup jusqu’au transport. » (24) La notion de transport,
qui peut être assimilée aux sensations lors des rapports sexuels, revient d’ailleurs à
plusieurs reprises. L’amoureux éconduit offre une autre description, quelque peu plus
complète, lorsque Manon se présente à lui à Saint-Sulpice après la défense de sa thèse
en théologie : « C’était elle, mais plus aimable et plus brillante que je ne l’avais jamais
vue […] C’était un air si fin, si doux, si engageant, l’air de l’Amour même. Toute sa figure
me parut un enchantement. » (64). Malgré les deux ans passés et son désir d’oublier
Manon, des Grieux est toujours touché par les charmes de sa maîtresse.
Les deux narrateurs offre donc deux aspects différents de Manon, le premier
mettant l’accent sur sa condition et son apparence et l’autre sur les impressions qu’il a
d’elle, ce que nous développerons plus tard. D’ailleurs, Genand propose que « le corps
féminin doit rester un sujet entre les mains et les connaissances des hommes. » De ce
fait, ce sont deux narrateurs masculins qui décrivent Manon.
b) Une apologie de l’héroïne Si nous retenons les mots de des Grieux, lorsqu’en colère contre sa maîtresse, il l’a
traite de « perfide », « cruelle », « ingrate » ou « lâche », l’image qu’il souhaite pourtant
donner de Manon est le portrait d’une personne noble et vertueuse (Mylne, 25). Sa
passion et ses sentiments l’emportent sur un jugement neutre. Devant son père, des
Grieux accuse ses ennemies et défend Manon : « Soyez sûr, mon cher père, qu’elle ne m’a
point trahi ; elle n’est pas capable d’une si noire et si cruelle lâcheté. C’est le perfide B…
qui nous trompe, vous, elle et moi. Si vous saviez comment elle est tendre et sincère. »
(54) Des Grieux emploi beaucoup de superlatifs pour qualifier sa maîtresse : « C’est la
plus douce et la plus aimable créature qui fût jamais. » (163). Il essaye de prouver que,
malgré sa « naissance commune » (41), Manon a le mérite d’être aimée de lui : « Ma
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maîtresse était si aimable que je ne doutai point qu’elle pût lui plaire, si je trouvais
moyen de lui faire connaître sa sagesse et son mérite. » (45).
Des Grieux n’est pas un narrateur fiable car il porte un jugement subjectif lorsqu’il
parle de sa maîtresse et qu’il la décrit dans le but de glorifier sa beauté et ses qualités.
B. Quelles sont les réactions des personnages à la vue de Manon ?
a) Chez l’Homme de Qualité Le premier à la décrire, l’Homme de Qualité met l’accent sur sa condition de jeune
fille prête à partir pour l’exil : « Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits
l’enlaidissaient si peu que sa vue [lui] inspira du respect et de la pitié. » (13). Il la
désigne comme « belle fille » aux gardes. Mylne indique que « the traits which first
impress the Man of Quality are the nobility of her mien, the respect and pity she arouses
in him, and her modesty in trying to avoid the gaze of the curious spectators . » (Mylne,
1972, P25). De plus, lorsqu’il s’adresse à Manon, elle lui répond « avec une modestie si
douce et si charmante ». (19) selon ses mots.
b) Chez les amants de Manon Tous les hommes qui voient Manon ne sont pas indifférents à ses charmes. Le
premier amant de Manon, M. de B… « l’ayant vue à sa fenêtre, il était devenu passionné
pour elle. » (68), le deuxième, M. de G… M… « a été si charmé de son mérite » (105), le
Prince italien, bien que Manon ne s’engage pas avec lui, « semblait avoir pris beaucoup
d’amour » (185) pour elle. Puis, des Grieux est témoin « de l’impression que les charmes
de Manon faisaient » (126) sur le jeune G… M… et enfin, Synnelet est le dernier homme
épris de Manon dans le roman : « La beauté de Manon l’avait touché dès le jour de notre
arrivée ; et les occasions sans nombre qu’il avait eues de la voir, pendant neuf ou dix
mois, avaient tellement enflammé sa passion, qu’il se consumant en secret pour elle »
(305). Il est donc évident que tous ces hommes, tout comme des Grieux, développent
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une passion pour Manon et qu’ils aiment les plaisirs de la chair et veulent posséder
Manon. L’avantage que tous ces personnages ont sur des Grieux est l’argent, ce qui est
un attrait important pour Manon. Cependant, malgré les infidélités de Manon, il se
félicite de la posséder : « j’étais ravi de l’effet de ses charmes, et je m’applaudissais
d’être aimé d’une fille que tout le monde trouvait aimable » (199) et il évoque « le
bonheur d’être aimé d’une fille comme elle. » (227). Il est donc évident qu’il existe une
similarité dans les états du corps de Manon lorsqu’elle est représentée par plusieurs
personnages.
Par ailleurs, l’interprétation de des Grieux est très subjective. Il faut donc être
prudent sur la portée de ses pensées et impressions. Boissieras caractérise
l’auteur/narrateur comme « conscient du pouvoir des mots ». Le plaisir et la passion qui
naissent chez ces hommes lorsqu’ils contemplent Manon participent à l’esthétisme du
roman car cela exalte la beauté et les charmes de l’héroïne. Manon a donc une valeur
esthétique dans le roman.
c) Chez les autres personnages Si les charmes de Manon ont des effets sur les hommes qui rentrent en contact avec
elle, les personnages du roman dont principalement, le Lieutenant gouverneur de
l’Hôpital et le père du Chevalier, à qui Manon est simplement évoquée mais qui ne la
rencontrent jamais et ne voient pas ses charmes, ont une image très négative d’elle car
cette représentation de l’héroïne est basée sur sa réputation et ses actions. Ils la
condamnent et ont un jugement sévère à son égard. À maintes reprises tout au long du
roman, le Chevalier tente de convaincre son père de la bonté de Manon. Vers la fin du
roman, dans une ultime tentative de conviction de la valeur de Manon, des Grieux dit à
son père : « Sa haine [de M. de G... M...] vous l’a représentée sous les plus noires
couleurs. Vous vous êtes formé d’elle une affreuse idée. Cependant, c’est la plus douce et
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la plus aimable créature qui fût jamais. Que n’a-t-il plu au Ciel de vous inspirer l’envie de
la voir un moment ! Je ne suis pas plus sûr qu’elle est charmante, que je le suis qu’elle
vous l’aurait paru. Vous auriez pris parti pour elle ; vous auriez détesté les noirs
artifices de G... M... ; vous auriez eu compassion d’elle et de moi. Hélas ! j’en suis sûr.
Votre cœur n’est pas insensible ; vous vous seriez laissé attendrir. » (273) Cette tirade
de des Grieux montre donc à quel point les hommes peuvent se laisser toucher par les
charmes de Manon.
C. Quelle est la place du plaisir dans le corps de Manon ?
a) Les plaisirs de Manon Manon est directement associée aux plaisirs par des Grieux qui déplore « son
penchant au plaisir » (25). Or, il est important de noter que les plaisirs de Manon se
révèlent être d’ordre matériel plus que d’ordre sexuel. Tous ses amants savent qu’elle
« aime l’abondance et les plaisir » (200). De la sorte, Manon, dans son rôle de courtisane,
s’engage dans des relations où elle semble tirer des bénéfices financiers contre ses
faveurs. Elle acquiert des présents et des sommes d’argent grâce à ses amants qui
peuvent ainsi se permettent des « libéralités » (39). Des Grieux se sert de cet
attachement de Manon pour l’argent pour justifier l’état financier dans lequel ils sont et
ses actions d’amante infidèle.
b) Le corps de Manon comme source de plaisirs sexuels pour des Grieux Si le corps de Manon n’est pas directement représenté dans leurs actes sexuels, des
Grieux parle incessamment des échanges de tendrese qu’il a avec Manon. Le corps
nubile de Manon existe dans et pour les plaisirs de son amant. Mylne explique que
« physical love is all-important pour le chevalier » (25). Nous pouvons dire que des
Grieux est autant passionné aux plaisirs de la chair que Manon est attachée aux plaisirs
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et aux divertissements. Des Grieux est, des deux amants, celui qui vit pour les plaisirs
sexuels. Tiberge lui dit : « Le poison du plaisir vous a fait écarter du chemin » (55).
Des Grieux semble prendre plaisir à parler de ses ébats avec Manon. Il nous semble
qu’il fasse l’amour à Manon même dans son dernier soupir : « je n’y répondis que par les
tendres consolations de l’amour. » (317). Le Chevalier emploie des euphémismes et des
ellipses (Mylne) et de longues périphrases pour transposer la passion qui l’anime :
« Une douce chaleur se répandit dans toutes mes veines. J’étais dans une espèce de
transport, qui m’ôta pour quelque temps, la liberté de la voix et qui ne s’exprimait que
par mes yeux. » (41). Nous remarquons ici que l’orgasme est exprimée physiquement.
De plus, le terme de « transport » revient fréquemment pour faire allusion à l’orgasme :
« Il n’y avait que trois heures qu’elle m’avait accablé de ses plus tendres caresses et
qu’elle avait reçu les miennes avec transport » (38), « elle se leva avec transport pour
venir m’embrasser » (66) et « Elle, au contraire, paraissait transportée du plaisir de me
revoir » (110).
Dès le début de leur relation, ils expriment leur passion dans n’importe quel lieu : «
Nous étions si peu réservés dans nos caresses, que nous n’avions pas la patience
d’attendre que nous fussions seuls. Nos postillons et nos hôtes nous regardaient avec
admiration, et je remarquais qu’ils étaient surpris de voir deux enfants de notre âge, qui
paraissaient s’aimer jusqu’à la fureur. » (33) et plus loin « c’est ce joli monsieur qui
passait, il y a six semaines, avec une petite demoiselle qu’il aimait si fort. Qu’elle était
charmante ! Les pauvres enfants, comme ils se caressaient ! » (45). Dumeste explique
comment « la violence des passions » est mobile et représenté dans la spatialité alors
que la vertu est plus « statiques ». (100).
De plus, des Grieux décrit les longues scènes d’embrassade qu’ils ont après de
longues périodes de séparation. Ces scènes ont souvent lieu après une trahison de
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Manon avec M. de B ou après leur emprisonnement respectif. Cela renforce le caractère
passionnel de l’étreinte : « Nous nous embrassâmes avec cette effusion de tendresse
qu’une absence de trois mois fait trouver si charmante à de parfaits amants. Nos
soupirs, nos exclamations interrompues, mille noms d’amour répétés languissamment
de part et d’autre » (158). Par ailleurs, le mot « soupir » revient régulièrement : « Je ne
pus m’empêcher de laisser échapper les noms de perfide et d’infidèle, que
j’accompagnai d’autant de soupirs. » (110). Au 18ème siècle, selon l’article de Jaucourt
dans l’Encyclopédie, ce substantif désignait « les accents de la douleur de l'âme » et était
un « mouvement » qui se crée dans le corps « lorsque l'âme a réfléchi sur la cause de son
émotion, & qu'elle ne voit aucun moyen de remplir son désir, ou de faire cesser ses
regrets, les soupirs se répètent, la tristesse qui est la douleur de l'âme, succède à ses
premiers mouvements. »1.
c) Le corps de Manon comme source de plaisirs pour ses amants
Si elle ne connaît que le plaisir charnel avec des Grieux, puisqu’il dit qu’il est le seul à
pouvoir lui donner ces plaisirs, nous ne pouvons nier que Manon offre son corps à ses
autres amants, par exemple avec le premier amant M. de B…. Dans sa subjectivité, des
Grieux n’est pas capable de décrire les aventures de Manon avec ses amants. En outre,
d’après les descriptions de des Grieux, lui seul obtient des caresses de Manon mais elle
n’en donne aucune à ses amants alors qu’elle reçoit d’eux des baisers. Pourtant, Manon
est clair sur la nature de ses rapports avec ses amants : « Je vous jure qu’il ne pourra se
vanter des avantages que je lui ai donnés sur moi […] Il est vrai qu’il m’a baisé plus d’un
million de fois les mains ; il est juste qu’il paie ce plaisir, et ce ne sera point trop que cinq
ou six mille francs, en proportionnant le prix à ses richesses et à son âge. » (113).
1 J’ai modifié l’orthographe de la source (ARTFL) pour avoir l’orthographe actuelle de ces mots, et ce, pour toutes les citation de l’Encyclopédie sélectionné dans ARTFL.
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L’aventure dans laquelle elle s’engage avec le vieux M. de G… M… est la plus captivante
pour observer son travail de courtisane et son seul intérêt pour l’argent. Cet homme
« payait prodiguement les plaisirs » (100) et « Manon ne put lui refuser quelques
baisers ; c’était autant de droits qu’elle acquérait sur l’argent qu’il lui mettait entre les
mains. » (114).
Si la société la rejette, Manon existe pour les personnages masculins car ils veulent
posséder son corps. Le corps de Manon est aussi un objet de désir et il « apparaît
comme l’agent (ou la victime) d’acte sexuels transgressifs, et donc comme lieu privilégié
de “crime” contre la religion, la morale et la société » (Fossard). Manon offre son corps
en échange de présents ou de somme d’argent : « le paiement serait proportionné aux
faveurs » (73). Dumeste explique que les contemporains de Prévost ne pouvaient pas se
tromper sur la condition de Manon comme courtisane car il évoque le « code de
prostitution » avec des « règles, vocabulaires de transactions » (56) comme
« avantages » et « bénéfices ».
II. Les émotions de Manon et son corps comme véhicule pour transmettre ses émotions
A. Comment Manon manifeste-t-elle physiquement ses émotions ?
a) L’amour et la passion Dans le récit, les deux amants parlent d’amour et vivent leur passion. Des Grieux
raconte comment il entretenait sa maîtresse d’amour dès leur rencontre : « j’eus le
plaisir, en arrivant à l’auberge, d’entretenir seul la souveraine de mon cœur » (28). Ils
s’échangent de grandes tirades de promesse d’amour. Si cet amour exprimé par les mots
communique les sentiments passionnels de des Grieux et de Manon, chez les autres
amants, l’amour dont il est question est l’acte physique. Par exemple, après le diné le
vieux M. de G… M… « parla d’amour et d’impatience » (85) afin de se retirer dans sa
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chambre. La passion que laissent échapper les deux amants se traduit par leur
manifestation de « tendresse » l’un envers l’autre et leur échange de « caresses ».
D’après des Grieux, leur passion est réciproque : « Quelque passionné que je fusse pour
Manon, elle sut me persuader qu’elle ne l’était pas moins pour moi. » (33). Pourtant, le
mot « passion », qui est défini dans l’Encyclopédie comme étant « les penchants, les
inclinations, les désirs & les aversions, poussés à un certain degré de vivacité, joints à
une sensation confuse de plaisir ou de douleur, occasionnés ou accompagnés de quelque
mouvement irrégulier du sang » est un substantif attribué seulement à des Grieux et aux
autres hommes épris de Manon pour désigner leur idolâtrie pour l ‘héroïne. Pour
Manon, la passion est adjectivisée et associée à ses mouvements de démonstration
d’affection ou à sa personne. Plusieurs exemples attestent de cet argument : « Elle
adoucit son refus par des caresses si tendres et si passionnées » (36), «Elle m’accabla de
mille caresses passionnées » (66), « une maîtresse si belle et si passionnée » (158), «
Manon plus belle, plus contente, et plus passionnée que jamais. » (185) et « si tendre et
si passionnée, si attentive » (294). Ainsi, ce n’est pas une passion amoureuse qui anime
Manon mais ce sont ses gestes et son être qui sont passionnés.
b) La honte Tout au long du roman, des Grieux ressasse sa propre honte, lorsqu’il s’abaisse à
certaines actions, mais ce n’est que lors du trajet des filles condamnées à l’exile en
Amérique qu’il mentionne la honte de Manon qui se manifeste physiquement
puisqu’elle ébranle sa capacité à s’exprimer : « Il semblait que la honte et la douleur
eussent altéré les organes de sa voix ; le son en était faible et tremblant » (286).
La honte que Manon ressent se traduit par un mouvement du corps pour
dissimuler son visage. Elle cherche à se cacher de la vue des autres, tel le souligne
l’Homme de Qualité lorsqu’il la voit mais il offre au lecteur une autre interprétation de la
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honte de Manon. Il qualifie ça de « modestie » : « Elle tâchait néanmoins de se tourner,
autant que sa chaîne pouvait le permettre, pour dérober son visage aux yeux des
spectateurs. L’effort qu’elle faisait pour se cacher était si naturel, qu’il paraissait venir
d’un sentiment de modestie. » (13).
Si Prévost montre l’opinion de des Grieux sur la honte où il explore les passions
des personnes nobles et comment : « la honte est une de leurs plus violentes passions. »
(122), cette idée renforce ainsi l’idée que Manon a un fond noble et le moment où elle
souffre intensément de ce sentiment de honte lors sa déportation.
c) La tristesse Bien que la tristesse soit une émotion ressentie par des Grieux tout au long de son
histoire, la vraie tristesse de Manon, qu’elle manifeste lors de son transfert en chariot
s’oppose au reste du roman où le lecteur est témoin de sa gaité et ses plaisirs. Manon
éprouve des sentiments de tristesse lors de sa déportation qu’elle exprime
physiquement en pleurant. Elle a « le visage pâle et mouillé d’un ruisseau de larmes »
(285). Dans l’Encyclopédie, dans sa définition de la tristesse, D’Alembert explique qu’il
s’agit d’une « douleur de l’âme profonde & subite, elle fait couler les pleurs ». Il en
souligne d’ailleurs l’extériorité : « tristesse diffère de chagrin, en ce que le chagrin peut
être intérieur, & que la tristesse se laisse voir au-dehors. ». Les larmes que les
protagonistes laissent couler sont une émotion physique qui accentue leur tristesse.
Prévost utilise un langage poétique lorsqu’il décrit des larmes de Manon. Il peut s’agir
soit d’un « ruisseau » ou d’un « torrent » de larmes soit des « chaudes larmes ».
Nous remarquons aussi que Manon est triste lorsqu’elle est contrainte de se rendre
dans un endroit où elle est exclue de la société comme le jour où elle doit entrer au
couvent, des Grieux décèle « un air charmant de tristesse » (26) sur le visage de celle qui
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devint ensuite sa maitresse.
d) La douleur D’Alembert caractérise dans l’Encyclopédie la douleur comme « des sensations
désagréables du corps, & des peines de l'esprit ou du cœur ». Tout comme la honte,
Manon n’éprouve de la douleur qu’au moment de son chemin de Paris au Havre dans le
chariot des jeunes filles de joie : « Il semblait que la honte et la douleur eussent altéré
les organes de sa voix ; le son en était faible et tremblant » (286). Du fait de sa douleur,
Manon ne peut pas s’exprimer. Le serrement de son cœur se traduit par un serrement
de sa voix.
Dans le même schéma que la passion, la douleur de Manon est adjectivisée et
associée à ses émotions : « Cette pauvre fille se livra à des sentiments si tendres et si
douloureux, que j’appréhendai quelque chose pour sa vie d’une si violente émotion.
Tous les mouvements de son âme semblaient se réunir dans ses yeux. » (287). Dans
cette phrase, des Grieux souligne la notion de mouvement de l’âme.
B. Quel est le rapport entre les émotions et le corps de Manon ?
a) Le corps de Manon comme composé Proust écrit, à propos de Manon Lescaut, qu’ « aucune référence descriptive à la belle
personne qui en est le sujet » n’est offerte dans la narration et il déplore que « nous
n’aurons jamais un portrait en pied de Manon. ». Si nous ne pouvons qu’acquiescer cette
observation, nous exprimons des réserves quant à l’argument de Proust sur
l’association des termes « composé » que des Grieux emploie pour décrire Manon « ce
composé charmant » (285) et « décomposition » de son corps. Nous envisageons plutôt
le corps de Manon comme un composé car ses membres sont mentionnés de façon
dissociée. En effet, son corps est fragmenté entre ses mains qu’elle utilise pour cacher
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son visage ou ses pleurs, ses bras qu’elle met autour du cou de des Grieux et son visage
où ses yeux, lorsqu’ils sont ouverts, expriment le fond de son âme, ou lorsque les
paupières les cachent, laissent couler des larmes.
b) Les émotions de l’âme prédominent sur le corps Nous avons remarqué que Manon, bien que souhaitant manifester du regret, surtout
dans les scènes où elle retrouve son amant après ses trahisons, révèle des émotions qui
sont contraires à son comportement et ses actions. Elle agrémente ses douces paroles
d’amour de larmes. Pourtant, le Chevalier remarque son petit jeu : « Vous affectez une
tristesse que vous ne sauriez sentir. […] on ne verse pas des pleurs si tendres pour un
malheureux qu’on a trahi, et qu’on abandonne cruellement. » (224). Comme lui, il est
difficile pour le lecteur de la croire et de se fier à ses pleurs. Dumeste souligne chez
Manon « cette subtile alliance des contraires » (45). Malgré ses inconstances et ses
infidélités, Manon est d’une nature aimante mais ses actions prouvent le contraire de ce
qu’elle ressent. L’unique fois où les émotions de Manon, qui sont d’ailleurs positives car
elle est joyeuse et vivace, sont en corrélation avec ses gestes est lors de l’épisode du
Prince italien lorsque Manon passe la journée avec son amant. Douteux, il reconnaît
quand même « Cependant je croyais voir dans le fond de sa joie et de ses caresses, un air
de vérité qui s’accordait avec les apparences. » (190).
Même si le corps de Manon exprime certaines émotions physiquement, telle que la
tristesse par ses pleurs, ces émotions ne représentent pas son âme donc elles sont
fausses. C’est donc l’intérieur de la personne qui compte. Nous allons donc nous
intéresser à l’âme et non au corps.
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III. La valeur transdiscursive du corps de Manon au 18ème siècle
A. Comment le corps reflète-t-il l’âme ?
a) La dichotomie âme et corps Grâce au dualisme cartésien, l’homme est capable de discerner entre corps et âme.
Descartes écrit dans Principes de la philosophie qu’il existe « une étroite union » entre
ces deux substances pourtant distinctes et que les émotions ou « passions de l’âme » ne
sont pas à attribuer seulement à la pensée. Au 18ème siècle, l’âme devient un objet
d’étude pour les Lumières. Manon Lescaut est un moyen pour Prévost d’offrir ses
réflexions sur l’âme. Dès l’Avis au lecteur, il écrit : « Les âmes bien nées sentent que la
douceur et l’humanité sont des vertus aimables. » (7). Parmi plusieurs raisonnements
proposés dans le roman, l’exemple le plus frappant de la réflexion entre corps et esprit
est lorsque, s’adressant à Tiberge, des Grieux entame un plaidoyer à rhétorique
religieuse pour défendre sa passion pour Manon : « Direz-vous, comme font les
mystiques, que ce qui tourmente le corps est un bonheur pour l’âme ? […] le bonheur
que j’espère est proche, et l’autre est éloigné ; le mien est de la nature des peines, c’est-
à-dire sensible au corps, et l’autre est d’une nature inconnue, qui n’est certaine que par
la foi. » (137-138). Des Grieux montre ici comment les émotions sont relatives au corps.
De surcroît, les deux amants se donne le surnom d’âme. Manon écrit « Ma pauvre
chère âme » (102) dans un billet destiné à des Grieux. Il dit qu’elle est « si absolument la
maitresse de [s]on âme » (199). Lorsqu’elle meurt, des Grieux se lamente que son âme
ne suive pas celle de Manon (317). L’auteur montre ainsi la séparation entre le corps et
l’âme, et que l’âme est une substance qui peut être mesurée, possédée.
b) Manon en tant que personnage essentialiste Au 18ème siècle, les descriptions que les auteurs dépeignaient de leurs personnages
représentaient leur âme. Par exemple, pour Candide, Voltaire écrit que « Sa
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physionomie annonçait son âme ». Les conventions sociales de ce siècle insistent sur la
sociabilité du corps et les stratégies corporelles à mettre en place en société. Le corps
doit devenir civilisé pour correspondre à ces conventions sociales. En effet, si au siècle
des Lumières, le corps est le reflet de l’âme, ce qui présuppose une essence au sujet,
alors il doit être un corps vertueux.
Genand explique qu’au siècle des Lumières, la femme était vue comme « un objet
problématique dont il faut chercher l’essence ». Pourtant, dans Manon Lescaut, la société
dans laquelle Manon évolue d’abord la corrompt puisqu’elle est amenée à prendre le
rôle de courtisane et ensuite l’exclue lorsqu’elle est envoyée en exil en Louisiane. En
effet, Mylne argumente que « these good qualities are innate in her, and could develop
fully under favourable circumstances. ». Mylne rejette l’approche existentialiste pour
étudier le personnage de Manon car l’héroïne serait jugée sur ses actions et non sur ses
qualités internes. Elle ajoute que Manon « is forced to act in ways which seem to
contracdict these qualities » parce que la société ne reconnaît pas le caractère
essentialiste du personnage et ses qualités que l’Homme de Qualité et le Chevalier
distinguent comme « ‘essentially’ noble and virtuous. » (Mylne).
Nous avons montré précédemment que Manon est un être passionné. Or, l’exile
assagie Manon de ses actions (Dumeste). En effet, la spatialité des lieux des évènements
du roman a une signification par rapport au changement d’état d’âme de Manon – elle
est corrompue en France et repentie en Amérique. D’après les conventions littéraires,
en tant qu’héroïne repentie de ses erreurs, elle ne peut pas exister donc elle doit mourir.
B. Le corps comme élément transdiscursif
a) La limite de la parole Des Grieux déplore à plusieurs reprises son incapacité à exprimer ses sentiments
lors de ses diverses aventures : « Le désordre de mon âme, en l’écoutant, ne saurait être
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exprimé » (65) lorsqu’il revoit Manon après sa défense à La Sorbonne, ou encore il
s’exclame : « Ah ! les expressions ne rendent jamais qu’à demi les sentiments du cœur. »
284. Il est aussi à court de mots quand il veut représenter Manon : « Ses charmes
surpassaient tout ce qu’on peut décrire. » (64). Au niveau de la narration, si, parfois, des
Grieux a des difficultés à exprimer ses sentiments, Manon, au contraire, semble
progresser dans l’expression et l’assurance de ses sentiments pour son amant. En effet,
au début du roman, ses réponses sont rapportées au discours indirect puis vers la fin du
roman, ses répliques sont transcrites au discours direct.
Les mots ne peuvent exprimer toutes les passions et ainsi les émotions
manifestée physiquement par le corps viennent palier ce manque de vocabulaire. Nous
pouvons donc affirmer que l’expression corporelle des passions crée « un autre langage
analogue au langage écrit » (Démoris). Le corps sert donc « à exprimer les diverses
passions de l'âme pour faire paraître au dehors ce que l'on a dans l'esprit. « (Démoris).
S’il existe une limite à la parole car les mots ne peuvent pas exprimer certaines
émotions, le corps est le moyen par lequel le sujet du 18ème siècle laisse transparaitre ses
émotions et ses sentiments.
b) La lisibilité du corps L’idée d’un langage du corps se développe au 18ème siècle. Beugnot propose de lire le
corps comme « un corps éloquent », c’est-à-dire qui est expressif. La lisibilité du corps
propose le corps en tant qu’élément transdiscursif du texte. Beugnot explique qu’au
18ème siècle la « découverte de l’Autre se fait par le corps, centre de nos perceptions ».
Ainsi, des Grieux a connaissance de Manon à travers son propre corps. Les émotions de
Manon sont représentées à travers celles du narrateur. Nous pouvons trouver quelques
parallèles dans la façon où les deux amants extériorisent leurs émotions. Nous avons
montré que Manon fait un mouvement avec son corps pour cacher sa honte.
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Pareillement, lorsqu’il retrouve Manon, des Grieux raconte « Je demeurai debout, le
corps à demi tourné, n’osant l’envisager directement. » (65). De surcroît, pour
manifester leur tristesse, les deux amants laissent très souvent couler leurs larmes.
Nous ne pouvons pas dire que des Grieux contrôle entièrement le compte rendu des
états du corps de Manon mais nous affirmons que, bien que ce soit lui qui rapporte les
émotions de Manon, il prends en considération l’expression physique de ses émotions
pour parler de celles de Manon.
C. Le corps comme expression de la passion
a) Un corps vivant animé par la passion Cusset considère Manon Lescaut comme un roman d’amour alors qu’il s’agit plutôt
d’un roman qui dépeint les passions. En effet, nous ne pouvons pas douter de la passion
amoureuse qui anime des Grieux tout au long du roman. Il est passionné et attribue à
Manon, malgré ses infidélités et son ingratitude (Dumeste, 48), une passion réciproque.
Le Ru résume l’argument de Kremer en disant que « le roman est un moyen
d’illustrer la corrélation établie ente la passion amoureuse et la chaleur du corps ». Lors
de leur première relation sexuelle, des Grieux se rappelle qu’ « une douce chaleur se
répandit dans toutes mes veines ». (28) Sachant que ce plaisir est partagé car Manon
« n’était pas moins émue que [des Grieux] » (28), il est possible de dire que cette chaleur
du premier acte sexuel ensemble est le fruit d’une passion naissante.
b) Un corps mort éteint de toute passion Le Ru ajoute que Kremer considère que « le roman fait du corps un système à
décrypter et qui permet de vérifier la vérité ou la feintise de la passion. ». Or, lors de
leur fuite dans le désert de Louisiane, des Grieux réchauffe les mains de Manon :
« J’échauffai ses mains par mes baisers ardents et par la chaleur de mes soupirs. » (316).
D’après l’argument de Kremer, des Grieux est encore tout possédé de sa passion
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amoureuse pour Manon car il est capable d’expirer de la chaleur par sa bouche qui est
représenté par les « baisers » et les « soupirs ». Au contraire, la passion de Manon, s’est
éteinte et cela est représenté par son corps froid qui a besoin d’être réchauffé.
Manon « meurt en victime sacrificielle, et en amoureuse ». (Dumeste, 47).
De plus, dans Manon Lescaut, les occurrences du mot « corps » ne sont pas associées
au corps physique tel que nous l’envisageons. Dans le roman, nous avons relevé que le
mot « corps » est associé soit au juste-au-corps de des Grieux que Manon porte pour
s’échapper de l’Hôpital donc un habit soit aux différents gardes du corps qui contrôlent
les bâtiments donc une personne. Les quatre dernières occurrences du mot renvoient
aux corps de Manon et de Synnelet envisagé dans son ensemble et en tant que cadavre.
Cela montre donc que le corps est envisagé dans sa matérialité et non en tant que limite
de l’âme.
ConclusionIl nous avait paru judicieux de commencer notre travail en parlant du corps de
Manon pour chercher sa représentation au delà-là du manque de description physique.
Or, il s’est avéré que le corps de Manon n’est qu’un objet « charmant » qui fait naître des
passions chez les hommes. D’après Fossard, et ce que fait précisément Prévost dans
Manon Lescaut, « Il faut en cacher la matérialité pour en faire ressortir le symbole. » En
effet, peu importe à quoi ressemble le corps de Manon car ce qui importe le lecteur est
ce qu’il advient de ce corps. Le corps n’est pas représenté dans son ensemble à part
lorsqu’il est désigné en tant que cadavre dans le désert de sable de Louisiane. Nous
souhaitions montrer les corrélations qu’il existait entre les émotions ressenties par
Manon et les parties du corps utilisées pour faire exprimer physiquement ces émotions.
Ce parallèle que nous souhaitions exposé n’est pas, en fait, ce qui prédomine dans le
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texte. Le lecteur se souvient principalement des émotions de l’héroïne car elles
prédominent sur la représentation de sa physionomie.
Le corps de Manon n’a pas de fonction dans l’expression des émotions car le
corps physique subit les mouvements de l’âme. Les différentes émotions manifestées
physiquement par Manon comblent donc le manque de détails de sa description
physique car ils sont une peinture de l’âme de l’héroïne. L’âme est ce qui prévaut dans
l’œuvre car au siècle des Lumières la vraie représentation de l’être est par l’âme. Ainsi,
le corps de Manon n’existe qu’à travers les émotions que l’héroïne ressent, mais, elle
n’existe aussi qu’au travers le souvenir de son amant qui narre l’histoire. Les émotions
de Des Grieux sont beaucoup plus présentes que celle de Manon et il s’inspire de ses
propres émotions pour représentée celle de Manon.
Nous voyons que Prévost envisage le corps comme de la matière sans vie. Le
corps de Manon, comme nous l’interprétons de nos jours, est plus spécifiquement
comment ce corps qui est passé entre les mains de plusieurs hommes a été perçu au
18ème siècle. L’œuvre de l’Abbé prévaut, au 18ème siècle, pour sa particularité et sa
représentation du corps de Manon, entre autres. Si son corps est autant examiné, cela
vient du fait qu’il illustre la conception du corps au 18ème siècle. Les changements
sociétaux de l’époque modifient l’approche du corps.
Le lecteur n’a pas besoin de la représentation physique du personnage. Le
dialogue entre le lecteur et le personnage se fait par les émotions que le narrateur
transmet et que le lecteur s’approprie. La Harpe peint le halo qui entoure Manon pour
expliquer comment l’héroïne est tant adulée : « c'est que l'enchantement qui l'environne
sous le pinceau de l'écrivain ne la quitte jamais ».
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Bibliographie
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Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie [En ligne], 44 | octobre 2009, mis en ligne le 13 octobre 2009, consulté le 03 mars 2016. URL : http://rde.revues.org/4600
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