· Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une...

27
DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES 1ere ES 1 Année scolaire 2011-2012 Lycée polyvalent F. J. Curie Dammarie-les-Lys 01 64 39 34 34 Ce descriptif contient 7 séquences (5 majeures, 2 mineures) 21 textes étudiés Manuel : Empreintes littéraires, Bordas Livres dont les textes ne sont pas fournis : - Le Misanthrope, Molière

Transcript of  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une...

Page 1:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES

1ere ES 1

Année scolaire 2011-2012

Lycée polyvalent F. J. Curie Dammarie-les-Lys

01 64 39 34 34

Ce descriptif contient 7 séquences (5 majeures, 2 mineures) 21 textes étudiés

Manuel : Empreintes littéraires, BordasLivres dont les textes ne sont pas fournis :

- Le Misanthrope, Molière- L’Etranger, Camus

Professeur responsable : M. Bouquet

Page 2:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Séquence 1Les Fables de La Fontaine ou l’art de plaire en instruisant, une règle bien

classique!(séquence majeure : 5 lectures analytiques)

Objet d’étude La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos jours.

Problématique Comment céder aux désirs du public (plaire) tout en conservant la fonction pédagogique de la fable (instruire) ? Un enjeu classique. Les formes et les fonctions du dialogue : convaincre, persuader et délibérer. Les enjeux de la fable : plaire et instruire.

Groupement de textes(5 lectures analytiques)

“Le Loup et le chien” de La Fontaine “Le loup et l'agneau” de La Fontaine “La laitière et le pot au lait” de La Fontaine “Le vieux chat et la jeune souris” de La Fontaine “Les deux amis” de La Fontaine

Études d'ensemble

Le classicisme dans Les Fables : plaire et instruire. Les formes et les fonctions du dialogue: convaincre, persuader, délibérer.

Lecture(s) cursive(s)

La Ferme des animaux, d’Orwell. En quoi ce livre relève-t-il du genre de la fable ?

Documents complémentaires

Lectures cursives (extraits) Confrontation des époques : fables “Le Loup et l'agneau” écrites par La Fontaine, Esope et Phèdre, en vue d'apprécier l'imitation des Anciens et la modernisation apportée par La Fontaine en vue de plaire à ses lecteurs.

Lectures cursives (images)DVD des Fables mises en scène par Wilson : visionnage de plusieurs d’entre elles, dont « Le loup et l’agneau », « le chêne le roseau », « la cigale et la fourmi », « le corbeau et le renard », « le pouvoir des fables »… (Etude des choix de mise en scène : représentation de l’allégorie animale (masques ou autres accessoires), musique, décors, présence de La Fontaine…)

“Le Loup et le chien” en images: Doré, Grandville et Quellier. Quelle illustration représente le plus fidèlement la fable de La Fontaine?

Activités complémentaire

Biographie de La Fontaine (Vie, mécène, rapports avec Louis XIV, Querelle des Anciens et des Modernes...)

Lectures et activités personnelles

Page 3:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Séquence 2Le Misanthrope de Molière, un miroir du XVIIe siècle

(séquence majeure : 3 lectures analytiques)Objet d’étude Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIe siècle à nos jours.

Problématique En quoi Le Misanthrope de Molière est-il un miroir de la société du XVIIe siècle? Le portrait satirique de la société du XVIIe. Le classicisme de la pièce.

Œuvre intégrale(3 lectures analytiques)

Acte I Scène 1 (v 1 à 86) Acte I Scène 2 (v 305 à 350) Acte V Scène 4 (v1769 à 1808)

Études d'ensemble

La peinture satirique de la cour du XVIIe: la Préciosité, les Salons littéraires, la figure de l'Honnête homme, l'hypocrisie de la Cour.

Un pièce classique: la règle des trois unités, la bienséance, la vraisemblance.Lecture(s) cursive(s)

Huis Clos de Sartre: lecture autonome.

Documents complémentaires

Lectures cursives (images) Le Misanthrope mis en scène par Stéphane Braunschweig (TNP de Strasbourg, 2004):Inscription de la pièce dans un cadre contemporain: le rôle du miroir, les costumes, l'absence de décor...Non respect de la règle classique de la bienséance: embrassades, nudité...

Le Misanthrope mis en scène par Pierre Dux à la Comédie Française (1977) : un choix bien plus classique.

Activités complémentaire

Biographie de Molière (L'Illustre Théâtre, succès et difficultés...).

Lectures et activités personnelles

Séquence 3Les pouvoirs du théâtre : la magie des mots et des acteurs

(séquence mineure : 1 lecture analytique)Objet d’étude Le texte théâtral et sa représentation, du XVIIe siècle à nos jours.

Problématique Pourquoi aller au théâtre ? Qu’est-ce qui fait sa force ? Le théâtre dans le théâtre

Devoir type bac(1 lecture analytique)

Lecture analytique de Kean de Dumas (III, 12) – texte joint.

Documents complémentaires

Devoir type bac autour des premières impressions de spectateurs : Kean de Dumas (III, 12), « Les Vocations » de Baudelaire, extrait d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs de Proust, extrait de L’Impromptu de Paris de Giraudoux.

Page 4:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Séquence 4L’eau en poésie, reflet d’un monde en mouvement

(séquence majeure : 3 lectures analytiques)

Objet d’étude Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours.

Problématique En quoi le thème de l’eau éclaire-t-il le sens de la poésie baroque ? La sensibilité baroque. Le sonnet.

Groupement de textes(3 lectures analytiques)

« Et la mer et l’amour… » de Marbeuf « Je disais l’autre jour… » de Marbeuf « Assieds-toi sur le bord d’une ondante rivière… » de Chassignet

Études d'ensemble

Le genre du sonnet : histoire, composition. Le baroque en littérature.

Documents complémentaires

Lectures cursives (images) « L’union de la terre et de l’eau » de Rubens : un tableau baroque. Etude d’autres peintures baroques (p.252-253 du manuel) (notamment des vanités)

Activités complémentaire

Biographie de Marbeuf.

Lectures et activités personnelles

Séquence 5Les Fleurs du mal, l’isolement du poète

(séquence mineure : 1 lecture analytique)Objet d’étude

Ecriture poétique et quête du sens, du Moyen-âge à nos jours.

Problématique En quoi, pour Baudelaire, le poète est-il un être à part ?

Œuvre intégrale(1 lecture analytique)

Poème « L’Albatros », des Fleurs du mal.

Documents complémentaires

Dossier sur les procès des Fleurs du mal : procès, condamnation, puis réhabilitation.

Séquence 6Meursault, un personnage étrange

(séquence majeure : 4 lectures analytiques)

Page 5:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Objet d’étude Le roman et ses personnages: visions de l'homme et du monde.

Problématique En quoi Meursault paraît-il en rupture avec la société et les autres? Un personnage de roman: le rejet de Meursault par la société. Le genre du roman.

Groupement de textes(5 lectures analytiques)

Édition proposée par le professeur: Folio Classiques Plus Chapitre 1, partie 1: “Aujourd'hui, maman est morte [...] pour n'avoir plus à parler”. (p. 7 et 8) Chapitre 5, partie 1: “Le soir, Marie est venue me chercher [...] dès qu'elle le voudrait”. (p. 46 et 47) Chapitre 6, partie 1: “C'était le même soleil [...] sur la porte du malheur” (p. 63, 64) Chapitre 5, partie 2: “Lui parti, j'ai retrouvé le calme. [...] qu'ils m'accueillent avec des cris de haine” (p. 120)

Études d'ensemble

Meursault, un personnage étrange. Le genre de l'absurde. L’Etranger, un roman ?

Lecture(s) cursive(s)

La Cantatrice chauve de Ionesco: lecture autonome.

Documents complémentaires

Entrainement au devoir type bac L’ambition du héros romanesque chez Balzac, Stendhal et Maupassant : Eugène de Rastignac, Julien Sorel et Georges Duroy.

Lectures cursives (extraits) Le mythe de Sisyphe (extrait des premières pages).

Activités complémentaire

Biographie de Camus.

Lectures et activités personnelles

Séquence 7L’Ingénu: Une œuvre engagée du Siècle des Lumières

(séquence majeure : 4 lectures analytiques)

La question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos

Page 6:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Objet d’étude jours.

Problématique Comment Voltaire, en inscrivant pourtant son conte philosophique dans le siècle précédent, réussit-il à en faire une critique de la société dans laquelle il vit ? Le genre du conte philosophique. La société au XVIIIe siècle.

Œuvre intégrale(4 lectures analytiques)

Chapitre 1, du début jusqu’à « allèrent de compagnie au prieuré de Notre-Dame de la Montagne ». Chapitre 8 dans son intégralité. Chapitre 11, du début jusqu’à « et je hais celle des imposteurs ». Chapitre 16 dans son intégralité.

Études d'ensemble

Une œuvre satirique. L’Ingénu : un conte philosophique et un apologue. Les personnages de l’œuvre. La critique du XVIIIe siècle dans un récit se déroulant au siècle précédent.

Documents complémentaires

Lectures cursives (extraits) Articles « Réfugiés » et « Paix » de l’Encyclopédie. « De l’horrible danger de la lecture » de Voltaire.

Activités complémentaire

Biographie de Voltaire.Recherches sur les affaires Calas, Sirven et du Chevalier de La Barre.Travail de recherche sur le contexte historique et littéraire du siècle des Lumières.

Lectures et activités personnelles

Signature du professeur :

Visa du chef d’établissement :

Page 7:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 1

Le Loup et le chien

1 Un Loup n’avait que les os et la peau,Tant les chiens faisaient bonne garde.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.

5 L’attaquer, le mettre en quartiers,Sire Loup l’eût fait volontiers ;Mais il fallait livrer bataille,Et le Mâtin était de tailleÀ se défendre hardiment.

10 Le Loup donc l’aborde humblement, Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu’il admire.« Il ne tiendra qu’à vous beau sire,

D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.15 Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,Cancres, hères, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée :

20 Tout à la pointe de l’épée.Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. » Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?— Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens

Portants bâtons, et mendiants ;25 Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :

Moyennant quoi votre salaireSera force reliefs de toutes les façons :

Os de poulets, os de pigeons,Sans parler de mainte caresse. »

30 Le Loup déjà se forge une félicitéQui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.« Qu’est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.— Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché

35 De ce que vous voyez est peut-être la cause.— Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu’importe ?— Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,40 Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »

Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

Jean de La Fontaine, Fables, premier recueil, 1668, fable 5

Page 8:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

“Le loup et le chien” en images

Illustration 1 : Gustave Doré (XIXe)

Illustration 2 : Jean-Jacques Granville (XIXe)

Illustration 3 (bas gauche) : André Quellier (XXe)

Illustration 4 (bas droite) : Henri Morin (XXe

Page 9:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 2

Le loup et l’agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure :            Nous l'allons montrer tout à l'heure.

            Un agneau se désaltérait            Dans le courant d'une onde pure.

5 Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,        Et que la faim en ces lieux attirait."Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?            Dit cet animal plein de rage :Tu seras châtié de ta témérité.

10 -Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté           Ne se mette pas en colère ;            Mais plutôt qu'elle considère            Que je me vas désaltérant                    Dans le courant,

15             Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ;Et que par conséquent, en aucune façon,            Je ne puis troubler sa boisson.- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,Et je sais que de moi tu médis l'an passé.

20 -Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ?        Reprit l'agneau ; je tette encor ma mère            -Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.        - Je n'en ai point. -C'est donc quelqu'un des tiens :            Car vous ne m'épargnez guère,

25             Vous, vos bergers et vos chiens.On me l'a dit : il faut que je me venge."            Là-dessus, au fond des forêts            Le loup l'emporte et puis le mange,            Sans autre forme de procès.

Jean de La Fontaine, Fables, premier recueil, 1668, fable 10

Page 10:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 3

La laitière et le pot au lait

Perrette, sur sa tête ayant un Pot au lait            Bien posé sur un coussinet, Prétendait arriver sans encombre à la ville.Légère et court vêtue elle allait à grands pas ;Ayant mis ce jour-là pour être plus agile            Cotillon simple, et souliers plats.            Notre Laitière ainsi troussée            Comptait déjà dans sa penséeTout le prix de son lait, en employait l’argent,Achetait un cent d’ œufs, faisait triple couvée ;La chose allait à bien par son soin diligent.            « Il m’est, disait-elle, facileD’élever des poulets autour de ma maison :             Le Renard sera bien habile,S’il ne m’en laisse assez pour avoir un cochon.Le porc à s’engraisser coûtera peu de son ;Il était quand je l’eus de grosseur raisonnable ;J’aurai le revendant de l’argent bel et bon ;Et qui m’empêchera de mettre en notre étable,Vu le prix dont il est, une vache et son veau,Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? »Perrette là-dessus saute aussi, transportée.Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée ;La Dame de ces biens, quittant d’un œil marri             Sa fortune ainsi répandue,            Va s’excuser à son mari            En grand danger d’être battue.            Le récit en farce en fut fait ;            On l’appela le Pot au lait.

            Quel esprit ne bat la campagne ?            Qui ne fait châteaux en Espagne ?Picrochole, Pyrrhus, la Laitière, enfin tous,            Autant les sages que les fous ?Chacun songe en veillant, il n’est rien de plus doux :Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes :            Tout le bien du monde est à nous,            Tous les honneurs, toutes les femmes.Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ;Je m écarte, je vais détrôner le Sophi ;            On m’élit Roi, mon peuple m’aime ;Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même ;

            Je suis gros Jean comme devant.

Jean de La Fontaine, Fables, livre VII, 1668, fable 9

Page 11:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 4

Le vieux Chat et la jeune Souris

Une jeune souris, de peu d'expérience,Crut fléchir un vieux chat, implorant sa clémence,Et payant de raisons le Raminagrobis.                « Laissez-moi vivre une souris                De ma taille et de ma dépense                Est-elle à charge en ce logis?               Affamerais-je, à votre avis,                L'hôte, l'hôtesse, et tout leur monde ?                D'un grain de blé je me nourris                Une noix me rend toute ronde.A présent je suis maigre attendez quelque tempsRéservez ce repas à Messieurs vos enfants.»Ainsi parlait au chat la souris attrapée.                L'autre lui dit « Tu t'es trompéeEst-ce à moi que l'on tient de semblables discours ?Tu gagnerais autant à parler à des sourds.Chat, et vieux, pardonner ? cela n'arrive guères.                Selon ces lois, descends là-bas                 Meurs, et va-t-en, tout de ce pas,                Haranguer les sœurs filandières Mes enfants trouveront assez d'autres repas.»                Il tint parole ; et, pour ma fable,Voici le sens moral qui peut y convenirLa jeunesse se flatte, et croit tout obtenir ;               La vieillesse est impitoyable.

Jean de La Fontaine, Fables, livre XII, fable 5, 1668-1694

Page 12:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 5

les deux amis

1 Deux vrais amis vivaient au Monomotapa : L'un ne possédait rien qui n'appartînt à l'autre :

Les amis de ce pays-là Valent bien dit-on ceux du nôtre.

5 Une nuit que chacun s'occupait au sommeil, Et mettait à profit l'absence du Soleil, Un de nos deux Amis sort du lit en alarme : Il court chez son intime, éveille les valets : Morphée avait touché le seuil de ce palais.

10 L'Ami couché s'étonne, il prend sa bourse, il s'arme ; Vient trouver l'autre, et dit : « Il vous arrive peu De courir quand on dort ; vous me paraissiez homme À mieux user du temps destiné pour le somme : N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu ?

15 En voici. S'il vous est venu quelque querelle, J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point De coucher toujours seul ? Une esclave assez belle Était à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ? — Non, dit l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :

20 Je vous rends grâce de ce zèle. Vous m'êtes en dormant un peu triste apparu ; J'ai craint qu'il ne fût vrai, je suis vite accouru.

Ce maudit songe en est la cause. »

Qui d'eux aimait le mieux, que t'en semble, Lecteur ? 25 Cette difficulté vaut bien qu'on la propose.

Qu'un ami véritable est une douce chose. Il cherche vos besoins au fond de votre cœur ;

Il vous épargne la pudeur De les lui découvrir vous-même.

30 Un songe, un rien, tout lui fait peur Quand il s'agit de ce qu'il aime.

Jean de La Fontaine, Fables, livre VIII, fable 11, 1668-1694

Page 13:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 9

ANNA. – Je ne désirais rien, je n'espérais rien, je n'aimais rien. Mon tuteur avait consulté les médecins les plus habiles de Londres, et ils nous avaient dit que le mal était sans remède, que j'étais attaquée de cette maladie de nos climats contre laquelle toute science échoue. Un seul d'entre eux demanda si, parmi les distractions de ma jeunesse, le spectacle m'avait été accordé. Mon tuteur répondit qu'élevée dans un pensionnat sévère, cet amusement m'avait toujours été interdit... Alors il le lui indiqua comme un dernier espoir... Mon tuteur en fixa l'essai le jour même ; il fit retenir une loge, et m'annonça, après le dîner, que nous passions notre soirée à Drury-Lane ; j'entendis à peine ce qu'il me disait. Je pris son bras lorsqu'il me le demanda, je montai en voiture... et je me laissai conduire comme d'habitude, chargeant en quelque sorte les personnes qui m'accompagnaient de sentir, de penser, de vivre pour moi... J'entrai dans la salle... Mon premier sentiment fut presque douloureux : toutes ces lumières m'éblouirent, cette atmosphère chaude et embaumée m'étouffa... Tout mon sang reflua vers mon coeur et je fus près de défaillir... Mais, en ce moment, je sentis un peu de fraîcheur, on venait de lever le rideau. Je me tournai instinctivement, cherchant de l'air à respirer... C'est alors que j'entendis une voix... oh !... qui vibra jusqu'au fond de mon coeur... Tout mon être tressaillit... Cette voix disait des vers mélodieux comme je n'aurais jamais cru que des lèvres humaines pussent en prononcer... Mon âme tout entière passa dans mes yeux et dans mes oreilles ... Je restai muette et immobile comme la statue de l'étonnement, je regardai, j'écoutai ... On jouait Roméo.

KEAN. – Et qui jouait Roméo ?

ANNA. – La soirée passa comme une seconde, je n'avais point respiré, je n'avais point parlé, je n'avais point applaudi... Je rentrai à l'hôtel de mon tuteur, toujours froide et silencieuse pour tous, mais déjà ranimée et vivante au coeur. Le surlendemain, on me conduisit au More de Venise... j'y vins avec tous mes souvenirs de Roméo... Oh ! mais, cette fois, ce n'était plus la même voix, ce n'était plus le même amour, ce n'était plus le même homme ; mais ce fut toujours le même ravissement... le même bonheur... la même extase... Cependant, je pouvais parler déjà, je pouvais dire : « C'est beau !... c'est grand !... c'est sublime ! »

KEAN. – Et qui jouait Othello ?

ANNA. – Le lendemain, ce fut moi qui demandai si nous n'irions point à Drury-Lane. C'était la première fois, depuis un an peut-être, que je manifestais un désir ; vous devinez facilement qu'il fut accompli. Je retournai dans ce palais de féeries et d'enchantements : j'allais y chercher la figure mélancolique et douce de Roméo... le front brûlant et basané de More... j'y trouvai la tête sombre et pâle d'Hamlet... Oh ! cette fois, toutes les sensations amassées depuis trois jours jaillirent à la fois de mon coeur trop plein pour les renfermer... mes mains battirent, ma bouche applaudit... mes larmes coulèrent.

KEAN. – Et qui jouait Hamlet, Anna ?

ANNA. – Roméo m'avait fait connaître l'amour, Othello la jalousie, Hamlet le désespoir ... Cette triple initiation compléta mon être ... Je languissais sans force, sans désir, sans espoir ; mon sein était vide, mon âme en avait déjà fui, ou n'y était pas encore descendue, l'âme de l'acteur passa dans ma poitrine : je compris que je commençais seulement de ce jour à respirer, à sentir, à vivre !

Alexandre Dumas, Kean, acte III, scène 12, 1836.

Page 14:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Textes 10 et 11

Et la mer et l’amour…

Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,

Et la mer est amère, et l'amour est amer,

L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,

Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

Celui qui craint les eaux, qu'il demeure au rivage,

Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,

Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,

Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,

Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau

Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,

Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,

Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

Pierre de Marbeuf, Recueil des vers, 1628

Je disais l’autre jour…

Je disais l'autre jour ma peine et ma tristesse

Sur le bord sablonneux d'un ruisseau dont le cours

Murmurant s'accordait au langoureux discours

Que je faisais assis proche de ma maîtresse.

L'occasion lui fit trouver une finesse :

« Silvandre, me dit-elle, objet de mes amours,

Afin de t'assurer que j'aimerai toujours,

Ma main dessus cette eau t'en signe la promesse. »

Je crus tout aussitôt que ces divins serments,

Commençant mon bonheur, finiraient mes

tourments,

Et qu'enfin je serais le plus heureux des hommes.

Mais, ô pauvre innocent, de quoi faisais-je cas ?

Étant dessus le sable elle écrivait sur l'onde,

Afin que ses serments ne l'obligeassent pas.

Pierre de Marbeuf, Recueil des vers, 1628

Page 15:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Textes 12 et 13

Assieds-toi sur le bord d’une ondante rivière…

Assieds-toi sur le bord d’une ondante rivière :

Tu la verras fluer d’un perpétuel cours,

Et flots sur flots roulant en mille et mille tours

Décharger par les prés son humide carrière.

Mais tu ne verras rien de cette onde première

Qui naguère coulait ; l’eau change tous les jours,

Tous les jours elle passe, et la nommons toujours

Même fleuve, et même eau, d’une même manière.

Ainsi l’homme varie, et ne sera demain

Telle comme aujourd’hui du pauvre corps humain

La force que le temps abrévie et consomme :

Le nom sans varier nous suit jusqu’au trépas,

Et combien qu’aujourd’hui celui ne sois-je pas

Qui vivais hier passé, toujours même on me

nomme.

Jean-Baptiste Chassignet, Le Mépris de la vie et consolation contre la mort, 1594

L’Albatros

Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

A peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d'eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule!

Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid!

L'un agace son bec avec un brûle-gueule,

L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l'archer;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

Baudelaire, « Spleen et idéal », Les Fleurs du mal, 1857

Page 16:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 18

Comment le prieur de Notre-Dame de la Montagne et mademoiselle sa sœur rencontrèrent un Huron.

Un jour saint Dunstan, Irlandais de nation et saint de profession, partit d’Irlande sur une petite montagne qui vogua vers les côtes de France, et arriva par cette voiture à la baie de Saint-Malo. Quand il fut à bord, il donna la bénédiction à sa montagne, qui lui fit de profondes révérences et s’en retourna en Irlande par le même chemin qu’elle était venue.

Dunstan fonda un petit prieuré dans ces quartiers-là, et lui donna le nom de prieuré de la Montagne, qu’il porte encore, comme un chacun sait.

En l’année 1689, le 15 juillet au soir, l’abbé de Kerkabon, prieur de Notre-Dame de la Montagne, se promenait sur le bord de la mer avec mademoiselle de Kerkabon, sa sœur, pour prendre le frais. Le prieur, déjà un peu sur l’âge, était un très bon ecclésiastique, aimé de ses voisins, après l’avoir été autrefois de ses voisines. Ce qui lui avait donné surtout une grande considération, c’est qu’il était le seul bénéficier du pays qu’on ne fût pas obligé de porter dans son lit quand il avait soupé avec ses confrères. Il savait assez honnêtement de théologie ; et quand il était las de lire saint Augustin, il s’amusait avec Rabelais ; aussi tout le monde disait du bien de lui.

Mademoiselle de Kerkabon, qui n’avait jamais été mariée, quoiqu’elle eût grande envie de l’être, conservait de la fraîcheur à l’âge de quarante-cinq ans ; son caractère était bon et sensible ; elle aimait le plaisir et était dévote.

Le prieur disait à sa sœur, en regardant la mer : « Hélas ! c’est ici que s’embarqua notre pauvre frère avec notre chère belle-sœur madame de Kerkabon, sa femme, sur la frégate l’Hirondelle, en 1669, pour aller servir en Canada. S’il n’avait pas été tué, nous pourrions espérer de le revoir encore.

— Croyez-vous, disait mademoiselle de Kerkabon, que notre belle-sœur ait été mangée par les Iroquois, comme on nous l’a dit ? Il est certain que si elle n’avait pas été mangée, elle serait revenue au pays. Je la pleurerai toute ma vie : c’était une femme charmante ; et notre frère, qui avait beaucoup d’esprit, aurait fait assurément une grande fortune. »

Comme ils s’attendrissaient l’un et l’autre à ce souvenir, ils virent entrer dans la baie de Rance un petit bâtiment qui arrivait avec la marée : c’étaient des Anglais qui venaient vendre quelques denrées de leur pays. Ils sautèrent à terre, sans regarder monsieur le prieur ni mademoiselle sa sœur, qui fut très choquée du peu d’attention qu’on avait pour elle.

Il n’en fut pas de même d’un jeune homme très bien fait qui s’élança d’un saut par-dessus la tête de ses compagnons, et se trouva vis-à-vis mademoiselle. Il lui fit un signe de tête, n’étant pas dans l’usage de faire la révérence. Sa figure et son ajustement attirèrent les regards du frère et de la sœur. Il était nu-tête et nu-jambes, les pieds chaussés de petites sandales, le chef orné de longs cheveux en tresses, un petit pourpoint qui serrait une taille fine et dégagée ; l’air martial et doux. Il tenait dans sa main une petite bouteille d’eau des Barbades, et dans l’autre une espèce de bourse dans laquelle était un gobelet et de très bon biscuit de mer. Il parlait français fort intelligiblement. Il présenta de son eau des Barbades à mademoiselle de Kerkabon et à monsieur son frère ; il en but avec eux ; il leur en fit reboire encore, et tout cela d’un air si simple et si naturel que le frère et la sœur en furent charmés. Ils lui offrirent leurs services, en lui demandant qui il était et où il allait. Le jeune homme leur répondit qu’il n’en savait rien, qu’il était curieux, qu’il avait voulu voir comment les côtes de France étaient faites, qu’il était venu, et allait s’en retourner.

Monsieur le prieur, jugeant à son accent qu’il n’était pas anglais, prit la liberté de lui demander de quel pays il était. « Je suis Huron », lui répondit le jeune homme.

Page 17:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Mademoiselle de Kerkabon, étonnée et enchantée de voir un Huron qui lui avait fait des politesses, pria le jeune homme à souper ; il ne se fit pas prier deux fois, et tous trois allèrent de compagnie au prieuré de Notre-Dame de la Montagne.

Voltaire, l’Ingénu, chapitre 1

Page 18:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 19

L’Ingénu va en cour. Il soupe en chemin avec des huguenots.

L’Ingénu prit le chemin de Saumur par le coche, parce qu’il n’y avait point alors d’autre commodité. Quand il fut à Saumur, il s’étonna de trouver la ville presque déserte ; et de voir plusieurs familles qui déménageaient. On lui dit que, six ans auparavant, Saumur contenait plus de quinze mille âmes, et qu’à présent il n’y en avait pas six mille. Il ne manqua pas d’en parler à souper dans son hôtellerie. Plusieurs protestants étaient à table : les uns se plaignaient amèrement, d’autres frémissaient de colère, d’autres disaient en pleurant :

…….. Nos dulcia linquimus arva,Nos patriam fugimus.

L’Ingénu, qui ne savait pas le latin, se fit expliquer ces paroles, qui signifient : « nous abandonnons nos douces campagnes, nous fuyons notre patrie » .

« Et pourquoi fuyez-vous votre patrie, messieurs ? — C’est qu’on veut que nous reconnaissions le pape. — Et pourquoi ne le reconnaîtriez-vous pas ? Vous n’avez donc point de marraines que vous vouliez épouser ? Car on m’a dit que c’était lui qui en donnait la permission. — Ah ! monsieur, ce pape dit qu’il est le maître du domaine des rois. — Mais, messieurs, de quelle profession êtes-vous ? — Monsieur, nous sommes pour la plupart des drapiers et des fabricants. — Si votre pape dit qu’il est le maître de vos draps et de vos fabriques, vous faites très bien de ne le pas reconnaître ; mais pour les rois, c’est leur affaire ; de quoi vous mêlez-vous ? » Alors un petit homme noir prit la parole, et exposa très savamment les griefs de la compagnie. Il parla de la révocation de l’édit de Nantes avec tant d’énergie, il déplora d’une manière si pathétique le sort de cinquante mille familles fugitives et de cinquante mille autres converties par les dragons, que l’Ingénu à son tour versa des larmes. "D’où vient donc, disait-il, qu’un si grand roi, dont la gloire s’étend jusque chez les Hurons, se prive ainsi de tant de cœurs qui l’auraient aimé, et de tant de bras qui l’auraient servi ?

— C’est qu’on l’a trompé comme les autres grands rois, répondit l’homme noir. On lui a fait croire que, dès qu’il aurait dit un mot, tous les hommes penseraient comme lui ; et qu’il nous ferait changer de religion comme son musicien Lulli fait changer en un moment les décorations de ses opéras. Non seulement il perd déjà cinq à six cent mille sujets très utiles, mais il s’en fait des ennemis ; et le roi Guillaume, qui est actuellement maître de l’Angleterre, a composé plusieurs régiments de ces mêmes Français qui auraient combattu pour leur monarque.

« Un tel désastre est d’autant plus étonnant que le pape régnant, à qui Louis XIV sacrifie une partie de son peuple, est son ennemi déclaré. Ils ont encore tous deux, depuis neuf ans, une querelle violente. Elle a été poussée si loin que la France a espéré enfin de voir briser le joug qui la soumet depuis tant de siècles à cet étranger et surtout de ne lui plus donner d’argent: ce qui est le premier mobile des affaires de ce monde. Il paraît donc évident qu’on a trompé ce grand roi sur ses intérêts comme sur l’étendue de son pouvoir, et qu’on a donné atteinte à la magnanimité de son cœur. »

L’Ingénu, attendri de plus en plus, demanda quels étaient les Français qui trompaient ainsi un monarque si cher aux Hurons. « Ce sont les jésuites, lui répondit-on ; c’est surtout le père de La Chaise, confesseur de Sa Majesté. Il faut espérer que Dieu les en punira un jour, et qu’ils seront chassés comme ils nous chassent. Y a-t-il un malheur égal aux nôtres ? Mons de Louvois nous envoie de tous côtés des jésuites et des dragons. — Oh bien ! messieurs, répliqua l’Ingénu, qui ne pouvait plus se contenir, je vais à Versailles recevoir la récompense due à mes services ; je parlerai à ce mons de Louvois : on m’a dit que c’est lui qui fait la guerre, de son cabinet. Je verrai le roi, je lui ferai connaître la vérité ; il est impossible qu’on ne se rende pas à cette vérité quand on la sent. Je reviendrai bientôt pour épouser mademoiselle de Saint-Yves, et je vous prie à la noce.» Ces bonnes gens le prirent alors pour un grand seigneur qui voyageait incognito par le coche. Quelques-uns le prirent pour le fou du roi.

Il y avait à table un jésuite déguisé qui servait d’espion au révérend père de La Chaise. Il lui rendait compte de tout, et le père de La Chaise en instruisait mons de Louvois. L’espion écrivit. L’Ingénu et la lettre arrivèrent presque en même temps à Versailles.

Voltaire, l’Ingénu, chapitre 8

Page 19:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 20

Comment l’Ingénu développe son génie

La lecture agrandit l’âme, et un ami éclairé la console. Notre captif jouissait de ces deux avantages qu’il

n’avait pas soupçonnés auparavant. "Je serais tenté, dit-il, de croire aux métamorphoses, car j’ai été changé de

brute en homme." Il se forma une bibliothèque choisie d’une partie de son argent dont on lui permettait de

disposer. Son ami l’encouragea à mettre par écrit ses réflexions. Voici ce qu’il écrivit sur l’histoire ancienne :

"Je m’imagine que les nations ont été longtemps comme moi, qu’elles ne se sont instruites que fort tard,

qu’elles n’ont été occupées pendant des siècles que du moment présent qui coulait, très peu du passé, et jamais de

l’avenir. J’ai parcouru cinq ou six cents lieues du Canada, je n’y ai pas trouvé un seul monument ; personne n’y sait

rien de ce qu’a fait son bisaïeul. Ne serait-ce pas là l’état naturel de l’homme ? L’espèce de ce continent-ci me

paraît supérieure à celle de l’autre. Elle a augmenté son être depuis plusieurs siècles par les arts et par les

connaissances. Est-ce parce qu’elle a de la barbe au menton, et que Dieu a refusé la barbe aux Américains ? Je ne le

crois pas : car je vois que les Chinois n’ont presque point de barbe, et qu’ils cultivent les arts depuis plus de cinq

mille années. En effet, s’ils ont plus de quatre mille ans d’annales, il faut bien que la nation ait été rassemblée et

florissante depuis plus de cinq cents siècles.

"Une chose me frappe surtout dans cette ancienne histoire de la Chine, c’est que presque tout y est

vraisemblable et naturel. Je l’admire en ce qu’il n’y a rien de merveilleux.

"Pourquoi toutes les autres nations se sont-elles donné des origines fabuleuses ? Les anciens chroniqueurs

de l’histoire de France, qui ne sont pas fort anciens, font venir les Français d’un Francus, fils d’Hector ; les Romains

se disaient issus d’un Phrygien, quoiqu’il n’y eût pas dans leur langue un seul mot qui eût le moindre rapport à la

langue de Phrygie ; les dieux avaient habité dix mille ans en Egypte, et les diables, en Scythie, où ils avaient

engendré les Huns. Je ne vois avant Thucydide que des romans semblables aux Amadis, et beaucoup moins

amusants. Ce sont partout des apparitions, des oracles, des prodiges, des sortilèges, des métamorphoses, des

songes expliqués, et qui font la destinée des plus grands empires et des plus petits Etats : ici des bêtes qui parlent,

là des bêtes qu’on adore, des dieux transformés en hommes, et des hommes transformés en dieux. Ah ! s’il nous

faut des fables, que ces fables soient du moins l’emblème de la vérité ! J’aime les fables des philosophes, je ris de

celles des enfants, et je hais celles des imposteurs."

Voltaire, l’Ingénu, chapitre 11

Page 20:  · Web viewElle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix

Texte 21

Elle consulte un jésuite.

Dès que la belle et désolée Saint−Yves fut avec son bon confesseur, elle lui confia qu'un homme puissant et voluptueux lui proposait de faire sortir de prison celui qu'elle devait épouser légitimement, et qu'il demandait un grand prix de son service ; qu'elle avait une répugnance horrible pour une telle infidélité, et que, s'il ne s'agissait que de sa propre vie, elle la sacrifierait plutôt que de succomber.

Voilà un abominable pécheur! lui dit le P. Tout−à−tous. Vous devriez bien me dire le nom de ce vilain homme ; c'est à coup sûr quelque janséniste ; je le dénoncerai à sa révérence le P. de La Chaise, qui le fera mettre dans le gîte où est à présent la chère personne que vous devez épouser.

La pauvre fille, après un long embarras et de grandes irrésolutions, lui nomma enfin Saint−Pouange.

Monseigneur de Saint−Pouange! s'écria le jésuite ; ah ! ma fille, c'est tout autre chose ; il est cousin du plus grand ministre que nous ayons jamais eu, homme de bien, protecteur de la bonne cause, bon chrétien ; il ne peut avoir eu une telle pensée ; il faut que vous ayez mal entendu. - Ah ! mon père, je n'ai entendu que trop bien ; je suis perdue, quoi que je fasse; je n'ai que le choix du malheur et de la honte ; il faut que mon amant reste enseveli tout vivant, ou que je me rende indigne de vivre. Je ne puis le laisser périr, et je ne puis le sauver.

Le P. Tout−à−tous tâcha de la calmer par ces douces paroles :

Premièrement, ma fille, ne dites jamais ce mot mon amant ; il y a quelque chose de mondain qui pourrait offenser Dieu : dites mon mari ; car bien qu'il ne le soit pas encore, vous le regardez comme tel ; et rien n'est plus honnête.

Secondement, bien qu'il soit votre époux en idée, en espérance, il ne l'est pas en effet: ainsi vous ne commettriez pas un adultère, péché énorme qu'il faut toujours éviter autant qu'il est possible.

Troisièmement, les actions ne sont pas d'une malice de coulpe quand l'intention est pure, et rien n'est plus pur que de délivrer votre mari.

Quatrièmement, vous avez des exemples dans la sainte antiquité qui peuvent merveilleusement servir à votre conduite. Saint Augustin rapporte que sous le proconsulat de Septimius Acyndinus, en l'an 340 de notre salut, un pauvre homme ne pouvant payer à César ce qui appartenait à César, fut condamné à la mort, comme il est juste, malgré la maxime, Où il n'y a rien le roi perd ses droits. Il s'agissait d'une livre d'or ; le condamné avait une femme en qui Dieu avait mis la beauté et la prudence. Un vieux richard promit de donner une livre d'or, et même plus, à la dame, à condition qu'il commettrait avec elle le péché immonde. La dame ne crut point faire mal en sauvant son mari. Saint Augustin approuve fort sa généreuse résignation. Il est vrai que le vieux richard la trompa, et peut−être même son mari n'en fut pas moins pendu ; mais elle avait fait tout ce qui était en elle pour sauver sa vie.

Soyez sûre, ma fille, que quand un jésuite vous cite saint Augustin, il faut que ce saint ait pleinement raison. Je ne vous conseille rien, vous êtes sage ; il est à présumer que vous serez utile à votre mari. Monseigneur de Saint−Pouange est un honnête homme, il ne vous trompera pas ; c'est tout ce que je puis vous dire: je prierai Dieu pour vous, et j'espère que tout se passera à sa plus grande gloire.

La belle Saint−Yves, non moins effrayée des discours du jésuite que des propositions du sous−ministre, s'en retourna éperdue chez son amie. Elle était tentée de se délivrer, par la mort, de l'horreur de laisser dans une captivité affreuse l'amant qu'elle adorait, et de la honte de le délivrer au prix de ce qu'elle avait de plus cher, et qui ne devait appartenir qu'à cet amant infortuné.

Voltaire, l’Ingénu, chapitre 16