We Demain Idf - Juin 2014

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Juin 2014 • Ce supplément ne peut être vendu séparément VOYAGE AU CŒUR DU SOLEIL SYNCHROTRON DE SACLAY PLUS FORT QUE “CANDY CRUSH” ? “CRIMINAL CASE” CITÉ UNIVERSITAIRE NOUVELLE GÉNÉRATION QUEL AIR EST-IL ? IL Y A DES APPLIS POUR ÇA… LE BOOM DES RUCHES MIEL 100 % PARIS MUSÉES, ASSOCIATIONS… : LES INITIATIVES SE MULTIPLIENT PARTOUT DANS LA RÉGION Ile-de-France L’ÎLE-DE-FRANCE EN MODE DEMAIN TRANSITION ÉNERGÉTIQUE, MOBILITÉ, DÉVELOPPEMENT DURABLE… L’ART AU PLUS PRES DES BANLIEUES

Transcript of We Demain Idf - Juin 2014

Juin 2014 • Ce supplément ne peut être vendu séparément

VOYAGE AU CŒUR DU SOLEIL

SYNCHROTRON DE SACLAY

PLUS FORT QUE “CANDY CRUSH” ? “CRIMINAL CASE”

CITÉ UNIVERSITAIRE NOUVELLE GÉNÉRATION

QUEL AIR EST-IL ?

IL Y A DES APPLIS

POUR ÇA…

LE BOOM DES RUCHES MIEL 100 % PARIS

MUSÉES, ASSOCIATIONS… : LES INITIATIVES SE MULTIPLIENT PARTOUT DANS LA RÉGION

Ile-de-France

L’ÎLE-DE-FRANCE EN MODE DEMAINTRANSITION ÉNERGÉTIQUE, MOBILITÉ, DÉVELOPPEMENT DURABLE…

L’ART AU PLUS PRES DES BANLIEUES

on développe les emplois de demain.

PÔLES DE COMPÉTITIVITÉ, ESPACES DE COWORKING*,INCUBATEURS : LA RÉGION AIDE LES ENTREPRISES

INNOVANTES POUR FAVORISER LA CRÉATION D’EMPLOISDURABLES ET QUALIFIÉS EN ÎLE-DE-FRANCE.

Rendez-vous sur www.creersaboite.fr

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DÉCHIFFRER

P. 6 L’ÎLE-DE-FRANCE À L’HEURE DE LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLECes initiatives qui montrent que la région Île-de-France vit une période de profond changement.

RESPIRER

P. 16 QUEL AIR EST-IL ?La situation en région parisienne et les outils pour connaître la qualité de l’air.

P. 20 LES BÊTES SONT ENTRÉES DANS PARISLes animaux sauvages sont de plus en plus présents en ville.

INVENTER

P. 26 “CRIMINAL CASE” PLUS FORT QUE “CANDY CRUSH ”?Une start-up francilienne fait jouer des gamers du monde entier.

P. 28 VOYAGE AU CŒUR DU SOLEIL Le synchrotron SOLEIL du plateau de Saclay permet d’explorer au plus près la matière.

P. 32 LE RENDEZ-VOUS DES PROFESSEURS NIMBUSLe FacLab de l’université de Cergy-Pontoise est un pionnier du genre.

P. 36 LA CITÉ U À L’HEURE ÉCOLOLa future maison de l’Île-de-France sera conçue avec un objectif zéro énergie.

PARTAGER

P. 40 LA YUMP ACADÉMIECette fabrique d’entrepreneurs aide et soutient les talents issus des banlieues.

P. 42 L’ART AU PLUS PRÈS DES BANLIEUESLe Musée passager, mobile et éphémère, s’invite en région parisienne.

P. 46 QUAND LES ARTISTES MÉTAMORPHOSENT LES VILLESDes associations d’artistes s’emparent de l’espace urbain francilien.

RALENTIR

P. 52 LA SEINE, LA VOIE DU BIOLa capitale redécouvre le transport fl uvial.

P. 54 QUEL AVENIR POUR LE TERMINAL DE RUNGIS ?Le bilan du nouveau terminal ferroviaire du marché impose de repenser son futur.

P. 56 UNE BULLE D’HÉLIUM DANS LE CIELLe transport de fret par dirigeable pourrait avoir un bel avenir.

SAVOURER

P. 60 LES MAINS DANS LA PÂTEDes boulangeries actives dans la réinsertion de leurs employés.

P. 62 ET PARIS FAIT SON MIEL…Les ruches de la capitale sont de plus en plus prisées. Et créent du lien social.

WE DEMAIN ÎLE-DE-FRANCE ÉDITEURS : François Siegel, Jean-Dominique Siegel RÉDACTRICE EN CHEF : Isabelle Lefort DIRECTEUR ARTISTIQUE : Émilien Guillon ICONOGRAPHE : Richard Walter SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : Émilie Victor MAQUETTE ET PRÉPRESSE : Victor Mourain CHEF DE FABRICATION : Diane Mourareau CHARGÉE DE PARTENARIATS : Maïré Sue

Et si, loin de céder au pessimisme ambiant, nous changions notre façon de voir ? En particulier l’Île-de-France ?

Pour beaucoup, Paris bénéficie certes d’une aura prestigieuse, fruit de son patrimoine, symbole de l’art à la française, mais très vite, dès lors que l’on mentionne la possibilité de s’installer dans la région, nombre d’interlocuteurs peignent la capitale en des termes peu amènes : embouteillages, incivilités… Et si l’on mentionne la banlieue, c’est pratiquement Peur sur la ville que l’on nous décrit, avec la montée de l’insécurité, la violence quotidienne qui sévit et se répand par bandes, plus ou moins organisées, et se nourrit de la misère. Nier cette réalité serait idiot, mais réduire la région la plus prospère de France à ces seules affirmations serait tout aussi stupide.

L’Île-de-France est la première métropole de l’Union européenne, un

territoire jeune, riche et dynamique, innovant et particulièrement ingénieux dans le domaine de la recherche. Oui, il y a de vraies difficultés. Mais nous avons de bonnes raisons de nous réjouir. Et de nous projeter dans l’avenir.

Car la région parisienne traverse actuellement l’une de ses plus enthousiasmantes mutations historiques. Loin de l’attention des médias traditionnels, que ce soit en matière de transition énergétique, de développement durable, de mobilité, de recherche, de coworking, de toits végétalisés, d’agriculture organique, de FabLabs ou d’économie sociale et solidaire. Partout, ici et là, des initiatives citoyennes, individuelles et collectives, soutenues ou non par les pouvoirs publics, engagent l’Île-de-France en mode demain. C’est passionnant. À vous de voir.

Isabelle Lefort

ET SI NOUS ÔTIONS NOS ŒILLÈRES ?

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Suplément

du numéro 7

de WE Demain.

Ne peut être

vendu séparément

DÉCHIFFRER

DEVANT UN FILM EN 3D RELIEF AU CINÉMA DE LA GÉODE, DANS LE XIXE ARRONDISSEMENT DE PARIS.

SUR L’ÉCRAN : UNE IMAGE DE 400 M2 EN 3D.© ÉMILE LUIDER

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L’ARTISTE KAPSTAND CHANGE NOTRE MANIÈRE DE VOIR PARIS ET SA RÉGION, POSANT ICI ET LÀ, D’UNE FRICHE À PANTIN AU CENTRE POMPIDOU, EN ÉQUILIBRE SUR UNE MAIN. DEMAIN, IL AMBITIONNE DE MARQUER DE SON EMPREINTE D’AUTRES ENDROITS DU MONDE, DANS LE CADRE DE THE ONEHANDSTAND PROJECT.

L’ÎLE-DE-FRANCE À L’HEURE DE LA TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE

Par Isabelle Lefort

—LA RÉGION PARISIENNE TRAVERSE UNE PÉRIODE EXTRAORDINAIRE DE TRANSFORMATION. LE TERRITOIRE VOIT FLEURIR LES INITIATIVES

EN MATIÈRE D’ÉNERGIE, DE DÉVELOPPEMENT DURABLE, D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE, DE PARTAGE ET DE RECHERCHE.

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À partir du kilomètre zéro sur le parvis de Notre-Dame, sur 100 kilomètres à la ronde, l’Île-de-France est une énorme fourmilière de 12 millions d’habitants. 19 % de la population française et 2 % des Européens s’activent ici et produisent chaque année un tiers de la richesse nationale. Paris et sa banlieue forment, avant même la réalisation du Grand Paris, la plus grande métropole de l’Union européenne. Devançant de loin Londres.

Du nord au sud, d’est en ouest, pour transporter les 8,5 millions de personnes qui se rendent sur leur lieu de travail, 565 trains de métro, 5 lignes de RER, 8 lignes de Transilien, 7 lignes de tramway circulent chaque matin. En quatre ans, malgré une hausse de 20 % des passagers dans les transports en commun, les bouchons ont bondi de 26 %.

Le territoire est l’un des plus prospères d’Europe. Avec 34 % de cadres, il n’en demeure pas moins une région d’inégalités. Le melting-pot est roi. Et ce d’autant que l’Île-de-France est un territoire jeune. Les 20-39 ans représentent 34 % de la population à Paris et 29 % de la population de la région, contre 25 % seulement à l’échelon national. En 2040, elle restera la plus jeune métropole d’Europe avec une moyenne d’âge de 40,3 ans.

Sous la pression de la génération Y, de l’adoption du plan climat-énergie par le Parlement européen et des accords de

Grenelle, la région parisienne entame la troisième révolution industrielle.

LA TRANSITION EN ACTIONS Avec une hausse de 25 % de sa facture

énergétique entre 2009 et 2012, il y a urgence pour l’Île-de-France à changer de modèle énergétique. La fourniture majoritaire en gaz et en fioul des logements de la région parisienne plombe les comptes. D’autant plus que les consommations ne baissent pas suffisamment pour compenser l’évolution rapide des coûts de l’énergie.

Pour répondre aux objectifs du plan climat-énergie et aux fameux « 3 x 20 », qui engagent à diminuer de 20 % les émissions de gaz à effet de serre, à atteindre 20 % d’énergies renouvelables et à réaliser 20 % d’économies d’énergie, l’Île-de-France veut réduire de 5 % sa consommation électrique en 2020 et de 10 % en 2050 (par rapport à 2005).

Pour ce faire, elle agit sur tous les plans. La surface cumulée en mètres carrés du solaire thermique devra être multipliée par 176, pour atteindre 200 000 m2 en 2020. Chaque commune doit faire sa part. En janvier 2012, Sourdun, en Seine-et-Marne, s’est dotée de la plus grande centrale solaire au sol d’Île-de-France. Il y a un an, c’est dans le XVIIe arrondissement de Paris que la halle Pajol et ses 3 500 m2 de panneaux solaires sont entrés en activité. Elle est à ce jour la première centrale photovoltaïque urbaine de France.

La région entend également jouer la carte de la géothermie en doublant sa production pour atteindre 2 500 GWh. Actuellement, 890 installations de pompes à chaleur sont en action. Parmi les 34 opérations en cours pour exploiter le DOGGER, cette eau naturellement chauffée (entre 55 et 85 °C) de la couche géologique située entre 1 500 et 2 000 mètres de profondeur, l’Ademe et la Région ont subventionné à hauteur de 23 % le chantier de la centrale géothermique qui se trouve au bord de l’A6, entre Arcueil et Gentilly. La région n’avait pas connu un tel chantier depuis trente ans. La foreuse de 40 mètres de hauteur, installée en pleine zone urbaine, creuse pour aller puiser l’eau qui alimentera en chauffage et en eau chaude sanitaire 10 000 logements du quartier du Chaperon vert d’ici à 2015. Ce qui évitera le rejet de l’équivalent des émissions annuelles de 8 000 véhicules.

Côté bioénergie, 53 chaufferies biomasse produisent actuellement 370 GWh. L’objectif pour 2020 est de multiplier par huit la production. À titre d’exemple, la chaufferie bois d’Achères fournit déjà 1 205 logements sociaux.

Pour ce qui est de l’éolien, seulement 4 fermes dédiées sont en état de marche sur le territoire. D’ici à 2020, l’objectif

est de multiplier par 32 la production d’énergie éolienne. Le parc éolien de Pussay, dans l’Essonne, a été inauguré en juin 2012. Il accueille 16 éoliennes de 2,3 MW, qui permettent de répondre aux besoins en électricité de 42 000 personnes.

Au rang des économies d’énergie, la Ville de Paris a confié à la société Evesa le chantier colossal du remplacement de l’éclairage public de 400 rues, sites et réverbères du périphérique pour réduire de 30 % ses besoins.

La rénovation thermique des bâtiments vieillissants est un levier clé pour réussir la transition énergétique. 60 % des

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GRÂCE À LA THERMOGRAPHIE, DES VILLES ENTIÈRES AINSI QUE DES PROMOTEURS ONT LANCÉ UN PLAN SANS PRÉCÉDENT DE RÉNOVATION THERMIQUE DES CONSTRUCTIONS DANS LA RÉGION (CI-DESSUS LE PALAIS BRONGNIART).

consommations et près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre en Île-de-France sont dues aux bâtiments. Alors que 48 % des Franciliens sont propriétaires de leur logement principal et qu’on recense 52 millions de mètres carrés de bureaux en 2013, particuliers et collectivités usent de la thermographie pour évaluer le gaspillage énergétique et engager les rénovations. En prenant en charge jusqu’à 91 % des travaux, la Région entend rénover 125 000 logements parmi les plus modestes d’ici à 2020.

Les acteurs publics soutiennent aussi les projets qui tendent à limiter la demande des centres de données, très nombreux dans la région et gourmands en énergie. À Champs-sur-Marne, la société Celeste, fournisseur d’accès Internet, est à la tête de Marilyn, qui est aujourd’hui considéré comme le premier Data Center écologique d’Europe grâce à sa construction verticale et à un refroidissement de ses serveurs en « free-cooling ».

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“NOUS DEVONS RÉINVENTER LA VILLE ET

L’ADAPTER AUX NOUVELLES FAÇONS DE CRÉER.”

À partir de 2020, conformément aux accords de Grenelle, en France, les bâtiments neufs devront générer plus d’énergie qu’ils n’en consomment. La première HLM à énergie positive a été inaugurée le 25 février 2013, rue Guénot, dans le XIe arrondissement. Elle est recouverte par 127 m2 d’installa-tions solaires pour chauffer et alimenter en eau chaude ses 17 logements.

Entre la forêt de Meudon et la zone commerciale de Vélizy 2, le Green Office, alias le siège social de Steria, est considéré comme le bâtiment pilote pour sa performance en énergie positive. En plus de ses 4 200 m2 de panneaux photo-voltaïques, il dispose d’une enveloppe bioclimatique, d’une isolation renforcée et d’une chaudière à cogénération.

Situé en plein cœur du quartier d’affaires Seine Ouest d’Issy-les-Moulineaux, IssyGrid est pour sa part le « premier réseau de quartier intelligent » de France. Ce « smart grid » s’étendra à terme à 1 600 logements et immeubles de bureaux. 10 000 personnes sont concernées par ce projet de réduction de consom-mation et d’énergies renouvelables. Piloté par Bouygues Immobilier, le projet a d’ores et déjà équipé une centaine de logements en compteurs communicants. Les habitants recueillent en temps réel les données et peuvent ainsi maîtriser leur consommation globale d’énergie. IssyGrid est doté du premier immeuble de bureau « smart grid ready », la tour Sequana. Lors du récent déplacement en France du président Xi Jinping, une trentaine de responsables ont visité l’écoquartier pour dupliquer IssyGrid en Chine.

UNE RECHERCHE TRÈS EN POINTE Pour mener à bien sa transition

énergétique, le territoire peut se flatter d’avoir sous la main une cohorte exceptionnelle de cerveaux. La région concentre 40 % des chercheurs et 27 % des étudiants qui se trouvent sur le sol français. Concrètement : 635 000 étudiants et 100 000 chercheurs mènent des travaux dans les laboratoires de 18 universités et plus de 400 établissements d’enseignement supérieur. Dans et autour de Paris se déploie le premier territoire européen pour la recherche. Et une dynamique unique entre les laboratoires et les entreprises. En 2011, 18,4 milliards d’euros ont été consacrés à la recherche et développement en Île-de-France,

Pour Joseph Stiglitz, les maux de nos sociétés sont connus, les remèdes aussi. « L’économie sociale et solidaire constitue un formidable terreau d’emplois pérennes et non délocalisables. Comme jamais auparavant, nous avons aujourd’hui les ressources et les connaissances pour faire émerger une économie du partage. Ne pas le faire serait inexcusable », explique-t-il.

Invité régulier à des colloques et conférences en France, le Prix Nobel d’économie ne cache pas son affection pour la capitale.

Anne Hidalgo, de son côté, est persuadée que le XXIe siècle est celui des métropoles. À Paris comme à New York, Shanghai ou Lagos, les décideurs doivent être plus inventifs que jamais pour trouver les clés de l’économie de demain. Les grandes villes du monde sont confrontées aux mêmes défis : l’approvisionnement alimentaire, l’énergie, les mutations du travail et de l’habitat, l’accueil de populations nombreuses…

L’édile a développé sa pensée dans La Tribune : « Nous devons miser sur l’innovation, aussi bien sociale que technologique, et faire émerger des solutions inédites. Cela passe par la mutualisation des savoirs : plutôt

que de les opposer, Paris doit faire travailler ensemble chercheurs, start-up, PME et grandes entreprises. Pour cela, nous devons réinventer la ville et l’adapter aux nouvelles façons de créer, en construisant ces bâtiments d’un genre nouveau qui permettent le travail collaboratif, le télétravail, le bureau-logement, les pépinières. C’est dans cet esprit qu’est née la transformation de la bordure de Paris, de la porte de Versailles jusqu’à Clichy-Batignolles, en un grand “arc de l’innovation”. Ce nouveau territoire mixte d’habitat, de développement économique sera l’occasion de repenser nos manières de nous loger, de travailler et de créer : s’y mêleront universités, start-up, incubateurs d’entreprise, logements pour tous, équipements publics sociaux, sportifs et culturels et commerces. L’innovation doit être ouverte, sociale et culturelle. »

JOSEPH STIGLITZÀ L’OCCASION DE LA REMISE DES TROPHÉES DE L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE (ESS), EN NOVEMBRE DERNIER, LA FUTURE MAIRE DE PARIS S’EST ENTRETENUE LONGUEMENT AVEC LE PRIX NOBEL D’ÉCONOMIE 2001. TOUS DEUX PARTAGENT LA CONVICTION QUE PARIS DOIT DEVENIR LA CAPITALE DE L’ESS.

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« L’économie sociale et solidaire n’est plus la citadelle discrète de quelques militants de gauche. Au contraire. Aujourd’hui, elle s’est professionnalisée pour devenir l’un des acteurs clés de l’économie. » Jean-Marc Brûlé, conseiller régional, est l’un des plus grands promoteurs des entrepreneurs sociaux et le président de L’Atelier. Depuis sa création en 2006, ce centre de ressources régional est le lieu de rendez-vous de ceux qui désirent donner du sens à leur activité et s’inscrire dans l’économie sociale et solidaire (ESS). « C’est vrai que la meilleure chose à faire pour quelqu’un qui se lance est de s’appuyer sur nos conseils. À nous d’accompagner et d’ouvrir les portes », affirme Jean-Marc Brûlé. Novaedia, Voisin malin, UrbAgri, Buro’nomade, Businext Home, entre autres, figurent parmi les 2 000 jeunes sociétés qui ont fait appel à L’Atelier pour démarrer.

Aujourd’hui, 10 % des salariés travaillent dans l’ESS : ce n’est plus un mouvement annexe. À Paris, 10 540 entreprises génèrent près de 5 milliards d’euros de rémunérations brutes. Les femmes occupent 64 %

des emplois, contre 51 % dans l’économie globale de la ville. L’ESS parisienne contribue à 45 % des rémunérations brutes du secteur dans la région. Ses représentants participent pleinement à la production de richesse du territoire, et ce d’autant que les emplois qu’ils génèrent sont non seulement pérennes, mais surtout non délocalisables. L’ESS est devenue une énorme machine où se bousculent des projets de plus en plus innovants, qui vont de la finance aux Amap et au numérique. Leur point commun : tous répondent au souci de la qualité éthique, de la justice sociétale, de l’enjeu écologique et de la responsabilité sociale. « Ceux qui imaginent qu’il s’agit là d’un mouvement éphémère se trompent, explique Jean-Marc Brûlé. Nous assistons à une transformation durable et profonde des comportements. Nous allons vers moins de consommation ; l’idée est de consommer mieux. » La remise en question des modèles est considérable. Et irrémédiable. Mais qui se plaindrait de vouloir redonner du sens à une époque qui, à bien des égards, sous les effets de l’accélération, semble parfois être totalement déboussolée ?

LE RENDEZ-VOUS DES ACTEURS DE L’ESSEN ÎLE-DE-FRANCE, L’ATELIER CONSEILLE DE PLUS EN PLUS DE JEUNES ENTREPRENEURS. L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE EST EN MARCHE.

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dont les deux tiers ont été financés par des sociétés privées.

Parmi les filières d’excellence, les formations supérieures parisiennes en mathématiques sont particulièrement qualifiées. L’université Paris 6-Pierre et Marie Curie est cinquième mondiale et l’université Paris 11, huitième. Trois autres établissements d’enseignement supérieur français figurent dans les 50 premiers du classement mondial (Dauphine, Paris 7 et l’École normale supérieure). Ce résultat fait de la France la première nation européenne du classement en mathématiques, et la deuxième mondiale après les États-Unis (en nombre d’universités classées aux 50 premiers rangs).

En sciences physiques, trois établissements figurent parmi les 50 meilleurs mondiaux (Paris 11, l’École normale supérieure et Paris 6). En économie, l’Insead fait également partie du classement. Au hit-parade annuel du Financial Times des meilleures Business Schools européennes, trois Franciliennes apparaissent dans le top 10 : l’ESCP (2e), HEC (4e) et l’ESSEC (8e).

L’Île-de-France dispose en outre d’une dizaine de clusters de haute technologie pour favoriser la collaboration entre établissements publics et privés. Le MIT a ainsi sélectionné Paris-Saclay dans son top 8 des clusters mondiaux. Si une Silicon Valley à la française existe bel et bien, malgré le déficit d’image, c’est ici, sur le plateau de Saclay, qu’elle se déploie.

En tout, 17 pôles de compétitivité œuvrent au rapprochement des dynamiques publiques et privées, dont System@tic pour les systèmes complexes, Cap Digital pour la technologie et les applications digitales, ASTech pour l’aéronautique, l’espace et les systèmes embarqués, le pôle Ville et Mobilité durables pour les écotechnologies et le développement durable, Medicen pour les médicaments et Finance Innovation pour les services financiers.

Parmi les principaux carrefours de la recherche médicale, le cancéropole autour de l’hôpital Gustave-Roussy à Villejuif est l’un des plus performants d’Europe. À Évry, on trouve le génopole, alors que l’Institut de la vision, spécialiste des maladies oculaires, et l’Institut du cerveau et de la moelle (ICM), à Paris, attirent des étudiants du monde entier. Sans parler du rayonnement de l’institut Pasteur dans la lutte contre les maladies infectieuses, notamment le sida. Portée par le groupe Soliage, la Silver Valley, forte de 80 entreprises, encourage ©

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JEAN-MARC BRÛLÉ ET LES LAURÉATS CRÉATÎF ENTREPRENDRE AUTREMENT.

pour sa part à Ivry-sur-Seine l’innovation dans le domaine du vieillissement. L’ébullition intellectuelle couvre l’ensemble des domaines de la recherche, des sciences sociales à l’énergie. Et, bonne nouvelle, rares sont les chercheurs installés sur le territoire qui désirent quitter la France pour poursuivre leurs travaux. Ils sont les moins enclins en Europe à vouloir s’exporter. Là encore, c’est une idée reçue qui tombe.

L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE L’Institut de l’économie circulaire a

été inauguré il y a un an, à Paris. Une soixantaine d’instances convergent dans ce même lieu. Son objectif : publier un livre blanc sur l’économie circulaire et préparer un texte de loi pour l’année prochaine et la conférence sur le climat qui se tiendra dans la capitale.

En matière de recyclage, pour sa gestion des déchets, le territoire peut se targuer de jouer les bons élèves, puisqu’il a d’ores et déjà dépassé l’objectif de réduction de 7 % du Grenelle. Avec une baisse de 8,4 % entre 2008 et 2013, la production annuelle des déchets y est estimée à environ 40 millions de tonnes, dont les deux tiers (30 millions) émanent des chantiers du BTP. Sur les 19 unités d’incinération de déchets non

non digérée par les bactéries du digesteur) est ensuite utilisé pour fertiliser les sols. Ici, tout ce qui est produit est recyclé. L’avenir est là, les entrepreneurs en sont convaincus. Reste que pour cela il faut inventer.

DES ENTREPRISES INNOVANTES Pour conduire la troisième révolution

industrielle, l’Île-de-France ne manque pas d’atouts pour innover. Deuxième destination d’investissement en Europe, après Londres, selon le classement « Global Cities Investment Monitor » réalisé par KPMG, elle héberge sur son territoire 843 000 entreprises, dont 20 % appartiennent à des secteurs d’innovation. 29 des 31 plus grandes entreprises françaises ont leur siège en Île-de-France, générant un revenu annuel de plus de 2 milliards de dollars. Plus largement, le tiers des 500 plus grandes entreprises du monde y disposent également d’un bureau. À l’échelle mondiale, Paris se classe troisième en nombre de grandes entreprises et première en Europe, devant ses principales concurrentes, Londres ou New York. Les 13 000 entreprises étrangères font travailler plus d’un demi-million de personnes dans la région.

La performance de Paris en matière d’attractivité des investissements internationaux est notable, puisqu’elle progresse dans le classement 2013, alors que les investissements reculent de 11 % au niveau global et de 5 % en Europe.

Parmi les entreprises les plus engagées sur la voie d’une économie nouvelle, on trouve ici les leaders de demain. Aux côtés des géants qui déploient désormais dans leur stratégie le développement durable, une myriade de jeunes entrepreneurs s’emploient à transformer l’Île-de-France. Un exemple ? La petite société de services Hesus, qui déplace des tonnes de terre

11SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

dangereux (UIDND) d’Île-de-France, 18 réalisaient de la récupération énergétique en 2010, permettant de produire de la chaleur et de l’électricité. Sur cette seule année, la valorisation énergétique des déchets en Île-de-France a permis au total de produire 4 200 GWh d’énergie, soit 360 741 tonnes d’équivalent pétrole, dont 3 290 GWh d’énergie thermique issue de l’incinération, 909 GWh d’énergie électrique et 0,18 GWh de biocarburant.

La ferme de la Tremblaye est quant à elle l’une des toutes premières unités de méthanisation d’Île-de-France. Située à la lisière de la forêt de Rambouillet, c’est un projet modèle. À La Boissière-École, les 150 hectares de terre sont cultivés pour nourrir près de 700 caprins et 230 bovins, qui alimentent la fromagerie. Le lactosérum produit dans la fromagerie et quelques millions de tonnes de fumier sont valorisés dans l’unité de méthanisation, opérationnelle depuis décembre 2012. Le biogaz extrait par fermentation alimente l’unité de cogénération qui produit chaleur et électricité. L’électricité injectée sur le réseau et vendue à EDF répond aux attentes de 600 foyers. Et la chaleur produite permet de chauffer les bâtiments de la fromagerie ou le séchoir à luzerne. Le digestat (matière

DU REMPLACEMENT DES RÉVERBÈRES DANS PARIS POUR DIMINUER DE 30 % LEUR CONSOMMATION ÉLECTRIQUE AU DÉPLOIEMENT DES AUTOLIB ET À LA MULTIPLICATION DES ESPACES DE COWORKING, LA RÉGION EST EN PLEINE MÉTAMORPHOSE.

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La Ferté-sous-Jouarre

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St-Quentin-en-Yvelines

Cergy-Pontoise

Parc naturel régional Vexin français

Parc naturel régional Gâtinais français

Parc naturel régional Haute-Vallée de Chevreuse

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FERME BIO – MARAÎCHER

FERME BIO – GRANDE CULTURE

GRANDS PROJETS ARCHITECTURAUX LE PHILHARMONIQUE PAR JEAN NOUVEL LA SAMARITAINE PAR LE GROUPE SANAA ARCHIVES NATIONALES D’ENGHIEN

PAR MASSIMILIANO FUKSAS FONDATION LOUIS VUITTON PAR FRANK GEHRY ÉCOCITÉ CULTURELLE DE L’ÎLE SEGUIN PAR SHIGERU BAN ET JEAN NOUVEL

TOIT VÉGÉTALISÉ

ÉNERGIE : DATA CENTER, SOLAIRE, ÉOLIEN, BÂTIMENT INTELLIGENT, BOIS, GÉOTHERMIE, THERMOGRAPHIE

LES LIEUX OÙ ÇA SE PASSE (ESS, MICROFINANCE, NUMÉRIQUE, DESIGN, 3D…) L’ATELIER GROUPE SOS ASHOKA LA GAÎTÉ LYRIQUE ISSYGRID LE LIEU DU DESIGN & CENTRE FRANCILIEN LA JEUNE RUE SALON DU

LUXE DURABLE 1.618 ADIE PLANET FINANCE HALLE FREYSSINET SCULPTEO 3D ÉCOLE DES GOBELINS INSTITUT DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE

PARIS-SACLAY ASTECH CANCÉROPOLE DE VILLEJUIF SILVER VALLEY FINANCE

INNOVATION GÉNOPOLE SYSTEM@TIC PÔLE VILLE ET MOBILITÉ DURABLES INSTITUT PASTEUR MEDICEN ICM CAP DIGITAL

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polluée et facilite la réutilisation de terre « saine » dans le réaménagement de l’espace urbain en créant une plate-forme d’échange Web géolocalisée.

Pour les soutenir, le programme régional CréaRîf Quartiers encourage l’entrepreneuriat dans les quartiers prioritaires franciliens. Chaque année, une cinquantaine de candidats sont sélectionnés. De la même manière, depuis l’instauration de la loi incitative d’août 2007, favorable aux investissements dans les fondations, le nombre de ces dernières ne cesse d’augmenter en France. Et le territoire francilien est aux premières

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loges. Pour bénéfi cier d’une réduction de l’ISF allant jusqu’à 75 %, nombre de jeunes entrepreneurs à qui le succès a souri réinvestissent dans l’économie locale en créant des fondations. Ainsi, à leur tour, ces nouveaux philanthropes à la française soutiennent le tissu social.

LA MOBILITÉ VERTE Autre point fort de la métamorphose

de la région : ses transports. En Europe, l’Île-de-France est le premier nœud autoroutier et ferroviaire, la première plate-forme aéroportuaire et la deuxième en nombre de passagers. Les aéroports

de Roissy-Charles-de-Gaulle et d’Orly ont franchi le cap des 90 millions de voyageurs en 2013, sous l’effet du dynamisme du trafi c à l’international.

Au-delà du Grand Paris Express et de la naissance programmée de pôles d’activité autour des 72 gares nouvellement créées pour réduire les déplacements des Franciliens et les émissions de gaz à effet de serre, l’une des forces de la région repose sur sa politique favorable à la mobilité verte. Après le succès du Vélib, la réussite d’Autolib (déjà plus de 105 000 abonnés et 2,8 millions de locations depuis son lancement en 2011) place Paris au rang des métropoles les plus ambitieuses

L’ÎLE-DE-FRANCE EN MODE DEMAIN

CARTOGRAPHIE EN 30 LIEUX ET PLUS DE 100 PROJETS REMARQUABLES

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et design emmené par Cédric Naudon, veut pour sa part devenir le poumon du nouvel art de vivre à la française. Associant designers, toques et créatifs de génie, les uns et les autres veulent proposer le meilleur à une clientèle jeune et bobo qui apprécie de s’approvisionner en fruits et légumes de la région.

UNE BIODIVERSITÉ PRIVILÉGIÉE On le sait peu, mais l’Île-de-France

est pour moitié un territoire agricole et un espace boisé. Sa surface est à 21 % couverte par des réservoirs de biodiversité.

Jardins sur les toits, jardins partagés, projets d’agriculture verticale, conduits notamment par le cabinet d’architectes SOA, les initiatives fusent. Inutile de présenter aujourd’hui un projet de construction dans Paris sans toit végé-talisé, il sera retoqué sine die. La ville veut en créer 7 hectares d’ici à 2020. Actuellement, elle en compte 3,7 hectares.

En outre, déjà plus d’une cinquantaine de jardins partagés sont cultivés. Chaque arrondissement en dispose, avec une palme pour le XIXe, où on en trouve 15 !

Dans la région, si une majorité des terres est consacrée aux céréales, on cultive toujours 50 variétés de légumes, des choux-fl eurs et des navets en Seine-et-Marne au cresson au sud de l’Essonne. 200 exploitations se consacrent à la production de pommes et de poires sur près de 600 hectares. Fin 2012, on recensait sur le territoire 186 fermes engagées en AB, soit environ 3,5 % des exploitations franciliennes.

Avec 8 316 hectares en bio et en conversion, les surfaces engagées ont presque doublé en cinq ans. La Seine-et-Marne est, avec 3 724 hectares et 85 fermes, à la pointe des départements franciliens en termes de surface et de nombre d’exploitations engagées en AB. D’ici à 2030, l’Île-de-France a pour objectif de protéger la biodiversité tout en favorisant une pénétration plus grande de la nature dans l’espace urbain.

L’élan est réel. Le mouvement n’est pas près de s’arrêter. Au pays champion d’Europe de la fécondité, un bébé sur quatre est francilien. Les générations Y et Z sont et, plus encore demain, seront majoritaires : les adeptes du bottom-up aspirent à une meilleure qualité de vie, à plus de responsabilités environnementale et sociétale. Il faudrait être fou pour ne pas les entendre ! ◆

LA CAPITALE DEVRAIT COMPTER 7 HECTARES DE TOITS VÉGÉTALISÉS

EN 2020. DÉJÀ, DANS LA RÉGION, ON DÉNOMBRE

PLUS DE 8 000 HECTARES DE CULTURES BIOLOGIQUES.

en termes de mutation. Ce n’est pas facile, mais le cap est fi xé, les objectifs mesurés. Des preuves ? Pour accélérer l’abandon du diesel et atteindre l’objectif de 400 000 véhicules électriques ou hybrides à l’horizon 2020, la Région vient de se doter d’un dispositif d’aide au déploiement des véhicules électriques, hybrides ou biogaz. 16 000 bornes de rechargement rapide sans abonnement seront installées sur le territoire d’ici à 2020. On en compte actuellement 250, accessibles seulement par l’abonnement Autolib. Les bornes dont l’électricité est pour plus de 50 % issue d’énergies renouvelables verront leur fi nancement bonifi é de 25 %.

Parallèlement, alors que Luxéole Sky Media a inventé une éolienne urbaine qui fournit de l’électricité à du mobilier urbain, permettant d’alimenter un dispositif d’affi chage numérique pilotable à distance, Jean-Claude Decaux déploie sur le territoire les premiers Abribus connectés qui vont permettre aux Franciliens d’optimiser leurs déplacements grâce aux informations en temps réel. L’Open Data mise en ligne par la Région offre d’ores et déjà plus de 400 jeux de données qui permettent aux habitants de mieux s’informer.

DES CONNEXIONS TOUS AZIMUTS Partout, le numérique et les

technologies de l’information bouleversent la vie quotidienne des Franciliens. De même, si le nombre d’autoentrepreneurs croît moins vite en Île-de-France que dans le reste du pays, le nombre de créations d’entreprise hors autoentreprise est nettement supérieur à la moyenne nationale (7,5 % contre 6,7 %). Les espaces de coworking, FabLabs, creative spaces, cafés Wi-Fi… fl eurissent. Tout comme les incubateurs d’entreprise et les pépinières. Plus de 40 d’entre eux accompagnent des jeunes entrepreneurs via le réseau P3mil. De l’immeuble BeeoTop à Welcome City, en passant par l’association Paris Pionnières, chaque réseau a ses spécifi cités.

À la halle Freyssinet, Xavier Niel, le patron de Free, veut d’ici à fi n 2016 ou début 2017 accueillir pas moins de 1 000 start-up du numérique pour rivaliser avec la Tech City de Londres. Sous la direction de l’architecte Jean-Michel Wilmotte, le lieu devrait se transformer en une cathédrale ambitieuse tout en transparence. Elle aura nécessité un investissement de 170 millions d’euros.

Le projet a largement été médiatisé, mais d’autres domaines tout aussi

compétitifs bénéfi cient d’élans fantastiques. Il en va ainsi du jeu vidéo. Avec plus de trente ans d’histoire, plus de 120 développeurs et éditeurs, et 3 000 emplois, la région fait fi gure de capitale européenne. De la même manière, l’Île-de-France est le territoire du cinéma, avec l’ENS Louis-Lumière à la Plaine-Saint-Denis, l’École nationale supérieure des métiers de l’image et du son (Femis) à Paris, Les Gobelins-École de l’image à Paris et Noisy-le-Grand, l’INA Expert à Bry-sur-Marne, le Campus Fonderie de l’image à Bagnolet, plus des centres de recherche comme le GRM de l’INA (centre de recherche sur le son) ou Lissi (Laboratoire images, signaux et systèmes intelligents) dans le Val-de-Marne. La fi lière regroupe 6 663 établissements, dont plus de la moitié des sociétés de production, et un quart des établissements de post-production (montage, postsynchronisation, doublage, sous-titrage, effets spéciaux…).

Selon l’Insee, les métiers artistiques ont connu un essor considérable au cours des vingt dernières années avec 350 000 personnes concernées par ces parcours en 2009. Soit près du double de 1990, où 202 000 déclaraient exercer à titre principal une profession artistique. Ce boom touche particulièrement les arts graphiques, la mode et la décoration.

Au pôle Pantin Métiers d’art, le Centre de ressources des métiers d’art accueille aujourd’hui plus d’une quarantaine d’artisans d’art et de designers dans l’ancien hôtel particulier du patron des vernis Revel, la Maison Revel. Selon la chambre de commerce et d’industrie de Paris, l’Île-de-France accueille les trois quarts des entreprises françaises du luxe, les sous-traitants représentant 5 000 entreprises dans la région et 25 % de l’effectif national. L’Île-de-France compte à elle seule 35% des entreprises de la fi lière bijouterie.

Au cœur du IIIe arrondissement de Paris, La Jeune Rue, projet gastronomique

SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

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15WE DEMAIN INITIATIVE

RESPIRER

PHOTOGRAPHIE DE LA SÉRIE “PLASTIC LIFE” DE VINCENT BOUSSEREZ. CET ARTISTE FRANCILIEN MET EN SCÈNE DANS UN UNIVERS RÉEL DES FIGURINES MINIATURES.

© WWW.VINCENTBOUSSEREZ.COM

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17SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

QUEL AIR EST-IL ?Par Cyril Flevet

LA RÉGION PARISIENNE SOUFFRE DE LA QUALITÉ DE SON AIR. MALGRÉ DES PROGRÈS, LA SITUATION RESTE

PROBLÉMATIQUE. AU-DELÀ DES EFFORTS COLLECTIFS, DES APPLICATIONS ET DES APPAREILS PERMETTENT AUX CITOYENS

FRANCILIENS D’ANALYSER L’AIR QUI LES ENTOURE.—

C’est le point noir sur la toile. Malgré de réelles améliorations enregistrées ces dix dernières années, la qualité de l’air demeure déplorable dans la capitale. À l’intérieur de la plus grande métropole de l’Union européenne, on continue à suffoquer à chaque pic de pollution.

Au classement inédit réalisé pour We Demain par l’association Respire (voir la rubrique « Respirer » de ce numéro de la revue), Paris arrive en très mauvaise position en comparaison des autres villes européennes : elle est 84e sur 100 en matière de qualité de l’air. Le dépassement des seuils des trois polluants (particules PM 10, dioxyde d’azote, ozone) est ainsi particulièrement mis en évidence. Et démontre, entre autres, la forte dépendance au diesel des automobiles, des véhicules utilitaires et des poids lourds qui chaque jour traversent l’Île-de-France.

Depuis le début de l’année, le sujet est plus que jamais à l’ordre du jour. Mi-avril, les relevés de l’association Airparif ont démontré que, dans la région, les stations de mesure situées sur l’autoroute A1, au nord de la capitale, ont dépassé le seuil de quarante-quatre jours d’alerte aux particules depuis le 1er janvier. On compte vingt jours pour celles situées à proximité du périphérique et dix-sept pour celle des Champs-Élysées.

LE HAUT DE LA TOUR EFFEIL, À PEINE VISIBLE

LORS DES PICS DE POLLUTION DANS LA CAPITALE.

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Mi-mars, le pic de pollution particu-lièrement sévère a obligé la municipalité à mettre en œuvre la circulation alternée. Depuis, la situation, en raison des forts ensoleillements de ce printemps, reste préoccupante. Toujours selon les bilans annuels sur la qualité de l’air de l’asso-ciation, un jour sur deux, le seuil de 50 microgrammes par mètre cube n’est pas respecté au bord de l’autoroute A1.

DES PROGRÈS MESURABLES Depuis dix ans, pourtant, c’est vrai,

tous secteurs confondus, les rejets ont diminué de 35 % pour les PM 10 (particules de diamètre inférieur à 10 micromètres), 40 % pour les PM 2,5 (particules de diamètre inférieur à 2,5 micromètres, les plus dangereuses), 30 % pour les oxydes d’azote et 13 % pour le dioxyde de carbone (CO2).

Les actions menées pour lutter contre les sources de pollution (chauffage et industrie) et la baisse de 25 % du trafic routier dans la capitale depuis 2001 expliquent cette amélioration globale, mais on reste loin du compte. L’Île-de-France reste congestionnée. Alors que le trafic sur le périphérique a diminué de 6 % entre 2012 et 2013, les kilomètres de bouchons aux heures de pointe autour de Paris ont augmenté de 26 %. Et selon l’étude présentée en janvier dernier par V-Traffic, dans le sens Paris-banlieue, on enregistre 45 % d’embouteillages supplémentaires le soir. Résultat : d’après Arthur de Pas, ingénieur d’Airparif, 2 à 4 millions de Parisiens sont exposés à un air insatisfaisant chaque année.

En novembre dernier, l’association France Nature Environnement a installé pendant une semaine un cube de toile

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blanche sur un toit du XIe arrondissement de Paris, en ayant préalablement écrit à la colle blanche le mot « irrespirable » sur l’une des faces. Le résultat est éloquent, on peut le voir en time lapse sur le site Internet www.fne.asso.fr. En sept jours, le mot a pris la couleur du charbon et est devenu totalement noir. Dans son communiqué, l’association tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme : « Nous respirons 7 000 litres d’air pollué par jour. Il faut agir. »

Il y a urgence. « La pollution de l’air est désormais le principal risque environnemental pour la santé dans le monde » : la déclaration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est sans équivoque. Les chiffres le confirment : 3,7 millions de décès prématurés, dont plus de 500 000 en Europe, étaient liés à la pollution de l’air extérieur en 2012.

La nouvelle maire de Paris, Anne Hidalgo, sait qu’il s’agit là de l’un de ses chantiers prioritaires. L’Union européenne,

LES ACTIONS CONTRE LES SOURCES DE POLLUTION ET LA BAISSE DE 25 % DU

TRAFIC ROUTIER DANS LA CAPITALE EXPLIQUENT UNE AMÉLIORATION GLOBALE,

MAIS ON RESTE LOIN DU COMPTE.

19SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

L’AIR, IL Y A DES APPLIS POUR ÇA En Île-de-France, Airparif

propose de suivre de façon simple, par géolocalisation, l’indice de pollution là où vous êtes, ainsi que les prévisions du lendemain. Assistant Air, développé par la MAAF, fournit plusieurs indices de pollution pour toute la France. L’utilisateur choisit les villes qui l’intéressent pour accéder aux données (qualité de l’air et prévisions météo), et peut recevoir une alerte dès que l’indice de pollution y dépasse le seuil critique. Pour l’Europe, Air Quality fournit deux indices de pollution pour une centaine de villes, mis à jour toutes les heures. Plus récente, EuropeAir offre davantage de données, recueillies dans 30 pays auprès des 3 500 stations de surveillance reconnues par l’Agence européenne pour l’environnement, avec le détail des polluants mesurés. Elle permet en outre de facilement partager infos et alertes sur les réseaux sociaux.

Airparif,

Assistant Air,

Air Quality in Europe,

EuropeAir,

NETATMO LA STATION MÉTÉO PERSONNELLE Véritable centrale de mesures domestique, Netatmo comprend deux modules (intérieur et extérieur) pour suivre en détail l’évolution de votre environnement : température, pression atmosphérique, humidité, qualité de l’air, niveau de CO2 et même pollution sonore. Les données sont compilées une application, laquelle il est possible de programmer toutes sortes d’alertes. 169 €,

ALIMA L’ANALYSEUR D’AIR COLORÉ Pour un usage domestique, Alima est dédié à la mesure de la qualité de l’air.

L’appareil détecte les principaux gaz polluants (CO et CO2), ainsi que la présence de particules fines, agrégeant les données dans une application mobile sous forme d’indices et de courbes, et affichant la qualité globale de l’air ambiant. Prévu pour octobre 2014, 159 €,

AIR QUALITY EGG L’ŒUF CONNECTÉ Air Quality Egg est avant tout une communauté pour partager les mesures de la qualité de l’air dans le monde. Chaque utilisateur acquiert des capteurs, placés à l’extérieur de son domicile, analysant la pollution et envoyant les données par ondes radio à une station d’accueil qui les transmet à son tour à un serveur central. 185 $,

NODE LE CAPTEUR PORTABLE ET POLYVALENT Pouvoir mesurer la qualité de l’air n’importe où, c’est encore mieux. Node propose toute une gamme de capteurs de poche, sous la forme d’un élément central de la taille d’une petite lampe torche, qui se transforme à la demande en lui adjoignant des modules. Le module Clima sert de thermomètre et de baromètre, tandis que les capteurs Oxa analysent chacun un gaz polluant (dioxyde d’azote, dichlore, monoxyde de carbone, etc.). Les données s’affichent sur le mobile. À partir de 99 € pour l’élément central, de 29 à 149 $ pour les modules de mesure,

depuis plusieurs années, menace de sanctions. Si les épisodes de pollution se reproduisent, la responsable socialiste a d’ores et déjà affirmé qu’elle n’hésiterait pas à recourir à nouveau à la circulation alternée. De même, elle souhaite amplifier le déploiement du réseau de voitures électriques dans la capitale.

UN PROBLÈME, DES SOLUTIONS Q des citoyens lambda ? Des

appareils mobiles et autres gadgets connectés peuvent aider à mieux s’informer sur la qualité de l’air que l’on respire, tout en participant à une prise de conscience en la matière. Des applications pour mobile permettent d’accéder à tout moment aux données atmosphériques recueillies au niveau régional, national ou international, tandis que de nouvelles générations d’outils personnels servent à analyser l’air et à partager les informations.

EN NOVEMBRE, LES RESPONSABLES DE FRANCE

NATURE ENVIRONNEMENT (CI-CONTRE) ONT

INSTALLÉ UN CUBE IMMACULÉ SUR LE TOIT D’UN

IMMEUBLE PARISIEN. UNE SEMAINE PLUS TARD,

LES POLLUANTS PRÉSENTS DANS L’AIR ONT

RENDU LISIBLE LE MESSAGE : “IRRESPIRABLE”.

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21SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

LES BÊTES SONT ENTRÉES DANS PARISPar Marie Zawisza

—DEPUIS QUELQUES ANNÉES, RENARDS, BICHES

ET SANGLIERS S’APPROCHENT AU PLUS PRÈS DES FRANCILIENS. UNE COHABITATION DE MIEUX

EN MIEUX ACCEPTÉE PAR LES HABITANTS. —

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LE SITE WEB ET L’APPLICATION GRATUITE “BALADES

PARIS DURABLE”, CRÉÉS PAR LA VILLE DE

PARIS, PROPOSENT DES PROMENADES SUR LA

THÉMATIQUE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, POUR

NOTAMMENT APPRÉCIER LES ESPÈCES RARES QUI

PARTICIPENT À LA BIODIVERSITÉ DE LA CAPITALE.

À Paris, à la tombée de la nuit, les noctambules croisent parfois des renards dans les rues. Dans les tunnels du RER et du métro, il n’est pas rare que les conducteurs de rames devinent le pelage roux de ces animaux qui détalent à l’approche du vacarme. Au petit matin, les rêveurs bayant aux corneilles suivent le vol des faucons crécerelles, nichés dans les tours de Notre-Dame. À Washington, ce sont des ratons laveurs qui surprennent les passants en traversant au pas de course les pelouses de la Maison Blanche. Et au cœur de Sidney, des koalas vous scrutent avec curiosité…

Depuis quelques années, les animaux sauvages, jadis chassés des centres urbains trop bétonnés et pollués, font leur réapparition en ville. « À Paris, depuis 1990, on a recensé près de 1 700 espèces animales différentes », rapporte Xavier Japiot, chargé des études faunistiques à la Direction des espaces verts et de l’environnement de la Mairie de Paris. Parmi elles, pas moins de 29 espèces de coccinelles, 10 d’amphibiens, 51 de mollusques ou encore 33 de mammifères – fouines, hérissons, chauve-souris et autres mulots sylvestres. « Ces animaux se plaisent d’autant plus en ville qu’ils y jouissent d’une paix royale : ils y croisent moins de prédateurs naturels qu’en milieu rural et surtout ne sont

pas la cible des chasseurs », observe Patrick Haffner, chef du pôle Espèces au Muséum national d’histoire naturelle.

UNE BIODIVERSITÉ URBAINE FLORISSANTE De New York, où les marmottes

gambadent à Central Park, à Berlin, où il peut arriver de croiser un sanglier, cette biodiversité urbaine florissante s’observe à l’échelle de la planète. Malgré des disparités. « Par exemple, la plupart des villes chinoises sont tristement dépeuplées de faune sauvage, et même les espèces les plus rustiques comme les pigeons sont rares. Sans doute la pollution y est-elle encore trop importante… et surtout les hommes y jettent très peu de nourriture », explique John Hadidian, professeur référent du programme de la faune sauvage pour l’organisation américaine internationale de protection des animaux, Humane Society.

Les bêtes sauvages s’adaptent en effet aujourd’hui parfaitement à la vie urbaine, à condition d’y trouver… une niche, c’est-à-dire un habitat et de la nourriture. Renards, pies bavardes et corneilles noires, qui ont un régime omnivore, se nourrissent volontiers des déchets des humains. Avec cependant quelques modifications de comportement. Les renards, qui chassent d’ordinaire le jour, sortent ainsi plutôt la nuit. Quant aux crapauds, qui peuvent parcourir un kilomètre dans la nature, ils limitent leurs déplacements dans les rues à quelques centaines de mètres. « C’est pourquoi nous veillons à ce que les mares au sein de la ville soient le plus rapprochées possible, afin de leur permettre de se déplacer et assurer ainsi un brassage génétique », insiste Xavier Japiot.

Nombre de métropoles adoptent une gestion plus écologique de leur espace : moins de produits phytosanitaires, des abris

CERTAINS ANIMAUX VONT JUSQU’À MODIFIER LEUR COMPORTEMENT, COMME PAR EXEMPLE

LEURS HABITUDES ALIMENTAIRES, POUR MIEUX S’ADAPTER À LA VIE CITADINE.

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23SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

pour les insectes, des arbres fruitiers décoratifs qui nourrissent aussi les oiseaux, des mares ensemencées avec de la vase d’étangs où prospèrent invertébrés et batraciens, ou encore des berges fluviales moins bétonnées pour permettre aux poissons de se reproduire. Ainsi, Nantes restaure un réseau de trames vertes et bleues pour permettre aux animaux de parcourir la ville, Strasbourg a abandonné les pesticides dans ses espaces verts et appelle les habitants à en faire autant… Quant à Paris, dans le cadre de son plan de biodiversité lancé en 2011, elle dresse un inventaire de la faune, de la flore et de la fonge, et vérifie le respect des écosystèmes en amont de tout projet de réaménagement. « Nous veillons par exemple à conserver les murs ajourés, qui permettent au lézard des murailles de trouver un habitat. Les promoteurs sont obligés de respecter cela », explique Xavier Japiot.

DES HABITANTS MILITANTS Et les habitants des villes, jadis méfiants,

se délectent désormais de la présence de cette faune sauvage dans leurs rues moins bitumées. « Pendant longtemps, ils avaient gardé leurs réflexes campagnards, et voyaient dans les animaux sauvages des bêtes nuisibles. Aujourd’hui, la nature nous manque, et on se réjouit de ce voisinage », observe Patrick Haffner. Ainsi,

FAUT-IL CRIER AU LOUP ? Il est toujours aisé de s’amuser à se faire peur. Les loups vont-ils entrer dans Paris ? On n’en est pas là. En revanche, ce qui est vrai, c’est que, pourchassés à coups de fusil dans l’est de la France, des canidés ont pris la poudre d’escampette en direction de régions plus clémentes et ont été repérés en Seine-et-Marne, en forêt d’Orléans, de Rambouillet et de Fontainebleau. Depuis sa réapparition dans le Mercantour en 1992 et le repeuplement des loups, les uns et les autres jouent avec les fantasmes. Mais n’est-ce pas une bonne nouvelle qu’après plus d’un siècle cette espèce protégée soit de retour dans le Bassin parisien ? À nous de savoir gérer cette cohabitation.

SI LES LOUPS N’ONT PAS ENCORE ENVAHI

LES VILLES, IL N’EST PAS RARE D’Y CROISER

DES RENARDS OU DES SANGLIERS.

mettent naturellement en place. « Pendant un an, un hérisson a élu domicile dans un jardin scolaire », raconte ainsi la présidente de Veni verdi Nadine Lahoud.

Pourtant, la colonisation des espaces urbains par les bêtes soulève parfois quelques difficultés. Les animaux exotiques aban-donnés par leurs propriétaires sont eux aussi de plus en plus nombreux à s’acclimater à nos villes. Si les singes et les reptiles lâchés dans les bois de Boulogne ou de Vincennes ne survivent pas au froid hivernal, d’autres espèces, comme les perruches à collier, s’en accommodent désormais. Au point, parfois, d’entrer en concurrence avec les espèces locales, dont elles occupent la niche écologique. Sur une Terre qui, en 2030, comptera 5 milliards de citadins, il reste encore à trouver les justes équilibres pour (ré)apprendre à vivre (tous) ensemble. ◆

les Lyonnais s’émerveillent de pouvoir à nouveau contempler des castors nageant dans le Rhône. « Même les pigeons ou rats surmulots sont de plus en plus reconnus pour leur utilité dans l’élimination des déchets urbains », remarque Xavier Japiot.

Certains habitants sont même devenus de véritables militants de cette cohabitation. À l’image de Léonard, 26 ans, artiste et paysagiste. « Un terrain en friche fait peur aux gens. Pour assurer la biodiversité, il faut installer un projet économique, par exemple d’agriculture urbaine », explique-t-il. Il s’investit notamment dans l’association Veni verdi. Soutenue par L’Atelier, centre de ressources de l’économie sociale et solidaire en Île-de-France, elle installe vergers et potagers dans les écoles et sur les toits. Là, pas de pesticides. Et tant pis si on perd quelques végétaux. Les écosystèmes se

IL Y A QUARANTE ANS, ROLAND MORENO INVENTAIT LA CARTE À PUCE. C’EST EN POUSSANT SON VOILIER SUR LE BASSIN DU JARDIN DU LUXEMBOURG QU’IL A NOURRI L’IDÉE DE DEVENIR UN GÉNIE DE L’INFORMATIQUE. PRÉCURSEUR DES GEEKS, IL AVAIT CONSTRUIT DANS SON APPARTEMENT UN IMMENSE TRAIN ÉLECTRIQUE POUR LUI APPORTER SES CIGARETTES JUSQUE DANS SON LIT... © MICHEL BARET/GAMMA-RAPHO

INVENTER

“CRIMINAL CASE” PLUS FORT QUE “CANDY CRUSH ”?

Par Côme Bastin

—PRETTY SIMPLE EST UNE START-UP MODÈLE. SON JEU D’INVESTIGATION

CRIMINAL CASE SÉDUIT PLUS DE 35 MILLIONS D’INTERNAUTES PAR MOIS. C’EST DEPUIS PARIS QU’ELLE REND ADDICTS

LES JOUEURS DU MONDE ENTIER. —

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« Mieux que Criteo, Deezer ou Kelkoo ! » C’est ainsi que Julien Codorniou, directeur des partenariats Europe de Facebook, décrit Pretty Simple Games, une start-up française du jeu vidéo qui triomphe sur le réseau social. Installée à Paris depuis sa création en 2010, l’entreprise compte déjà 70 salariés et s’apprête à doubler la mise.

La raison de ce succès, c’est Criminal Case, un jeu en ligne qui vous met dans la peau d’un policier devant élucider des crimes en repérant les indices laissés par le meurtrier. Criminal Case a été élu meilleur jeu 2013 par les utilisateurs de Facebook, devant le célèbre Candy Crush, développé par le Britannique King Digital. Si l’application est free-to-play (libre d’accès), choisir d’investir quelques euros permet d’avancer plus vite dans les enquêtes. De quoi générer, vu le nombre de joueurs (environ 35 millions par mois), un chiffre d’affaires considérable, « supérieur à 10 millions d’euros en 2013 », selon Corentin Raux, cofondateur de l’entreprise.

TRAVAILLER ET S’AMUSER « Ici, on travaille ensemble et on

s’amuse ensemble », lance depuis son bureau Rudy Parfaite, lead artist – comprendre : designer d’environnements 3D –, qui a vu la start-up décoller depuis qu’il a rejoint ses rangs il y a trois ans. « Trois ans à designer des scènes de

meurtre, imaginer des énigmes, et on en redemande ! » poursuit-il. Sur son écran, on aperçoit l’ébauche d’un décor dans lequel, bientôt, des millions de joueurs du monde entier se prendront pour Sherlock Holmes. « Criminal Case est déjà traduit en huit langues, donc le chinois et le japonais », détaille Marion Noël, chargée des ressources humaines.

Aux côtés d’autres start-up du multimédia et de Rue89, Pretty Simple est installée dans un immeuble du XXe arrondissement géré par la Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP). Posters de jeux vidéo, vieilles consoles et figurines de science-fiction jalonnent les différents open-spaces dans lesquels s’affairent graphistes, programmeurs et scénaristes dans une ambiance décontractée.

LA PROMOTION DU « WORK IN FRANCE » Prochain défi pour la start-up : sortir

une version mobile de la franchise pour séduire au-delà d’un milliard d’utilisateurs de Facebook. « Nous espérons faire vivre Criminal Case des dizaines d’années », confie Corentin Raux. Deux autres jeux sont aussi en préparation, dans le plus grand secret, pour assurer le développement de l’entreprise.

D’ici à 2015, Pretty Simple devrait compter 150 salariés. Et c’est le IIe arrondissement de Paris – et non la Silicon Valley – qui les accueillera. Dans quelques mois, l’entreprise déménagera dans un immeuble de huit étages, classé monument historique, dans le quartier de l’Opéra. Sur le site officiel de Pretty Simple, on fait l’apologie du « Work in France », en soulignant notamment la qualité de vie et le système de protection sociale, pour attirer les talents étrangers. Un choix revendiqué par Corentin Raux. « On a tout ici, à Paris ! Je suis très surpris du discours ambiant sur les difficultés d’entreprendre en France. Si vous avez un projet, vous allez voir un incubateur. Quand vous voulez lever des fonds, vous en trouvez. »

On recense en France plus de 5 000 emplois directs dans la filière des jeux vidéo, dont plus de la moitié localisés en Île-de-France, selon Pôle emploi. À Paris, l’école des Gobelins forme des experts en programmation, graphisme et animation 3D convoités par les meilleurs studios d’animation japonais et américains, de Ghibli à Pixar. Une matrice solide dans un marché mondial en pleine croissance : le cabinet Gartner estime qu’il pèsera 74 milliards d’euros en 2014. ◆

SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

LE JEU “CRIMINAL CASE” GÉNÈRE PLUS DE

80 % DES REVENUS DE PRETTY SIMPLE,

ENTREPRISE COFONDÉE EN 2010 PAR

BASTIEN CAZENAVE ET CORENTIN RAUX

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VOYAGE AU CŒUR DU SOLEILPar Charles Faugeron

—LE SYNCHROTRON SOLEIL DONNE AUX SCIENTIFIQUES LES

MOYENS D’EXPLORER AU PLUS PRÈS LA MATIÈRE, À L’ÉCHELLE DU NANOMÈTRE ET DE L’ATOME. LA RECHERCHE FONDAMENTALE

POURSUIVIE SUR LE PLATEAU DE SACLAY PORTE EN ELLE LES ESPOIRS DES GRANDES DÉCOUVERTES DE DEMAIN.

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En banlieue parisienne, sur le plateau de Saclay, dans l’Essonne, existe un centre de recherche occupé à lutter contre le paludisme, faire avancer la cosmétique, perfectionner l’imagerie médicale, améliorer la connaissance du cerveau, dater des arbres tropicaux et tenter de percer le secret des Stradivarius. Cette machine, c’est le synchrotron SOLEIL (source optimisée de lumière d’énergie intermédiaire du Laboratoire d’utilisation du rayonnement électromagnétique).

Dans ce dédale de tuyaux, de câbles, de bobines et d’engins ultrasophistiqués, chaque année, environ 4 000 chercheurs du monde entier viennent bénéficier des équipements mis à leur disposition, jour et nuit, dans le but de faire parler la matière, observée à l’échelle de la molécule ou même de l’atome.

LIGNES DE LUMIÈRE Les échantillons analysés sont soumis

au rayonnement du synchrotron, une source de lumière qui naît au centre de l’installation, dans un accélérateur de particules de 354 mètres de circonférence.

Les électrons y sont propulsés à une vitesse proche de celle de la lumière (300 000 km/s) et mis en rotation à l’aide d’aimants disposés tout le long du parcours. Autour de cet anneau sont disposés 26 laboratoires, ou lignes de lumière, désignés par leur acronyme :

DESIRS (Dichroïsme et spectroscopie par interaction avec le rayonnement synchrotron), PSICHE (Pression structure imagerie par contraste à haute énergie), etc. Ces laboratoires se servent du rayonnement synchrotron, lumière extrêmement brillante que produisent les électrons dans l’anneau, à chacun de leurs virages.

En fonction de la spécialité de chacun, les laboratoires utilisent ce rayonnement selon leurs besoins et le « filtrent » pour ne garder qu’une seule longueur d’onde électromagnétique, au choix dans la large gamme produite par les électrons – infrarouges, rayons X, ultraviolets –, adaptée aux applications qu’ils entreprennent. Les rayons X par exemple, projetés à travers un cristal constitué de millions d’exemplaires d’une même protéine, permettent de révéler la structure complexe de celle-ci, l’agencement des atomes qui la constituent. Cette technique, la cristallographie, a plusieurs lignes de lumière dédiées au sein de SOLEIL, notamment la ligne PROXIMA 1. En

SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

AXIMOSAM, QUIA DOLORES ILLOREMOLORE

RE REPTIUS DIC TO ET VENT QUE QUATEM ES IUS CUM ALICIPIENI UTATUR AS UT ADITIO QUASPER ITATEM

QUOSSUS EST LABOR REM DOLUT QUATUR ACCUS,

LES 26 LABORATOIRES INSTALLÉS TOUT

AUTOUR DU SYNCHROTRON PERMETTENT

D’UTILISER LA LONGUEUR D’ONDE LA

MIEUX ADAPTÉE POUR CHAQUE PROJET.

CHAQUE ANNÉE, ENVIRON 4 000 CHERCHEURS DU MONDE ENTIER

VIENNENT BÉNÉFICIER DES ÉQUIPEMENTS MIS À LEUR

DISPOSITION DANS LE BUT DE FAIRE PARLER LA MATIÈRE.

LA MAINTENANCE DE SOLEIL A LIEU TOUTES LES SIX SEMAINES ET PROVOQUE L’INTERRUPTION DU FAISCEAU. ENTRE DEUX PÉRIODES

DE FONCTIONNEMENT DU SYNCHROTRON, DES TECHNICIENS SPÉCIALISÉS DOIVENT VÉRIFIER LES MULTIPLES DISPOSITIFS

(ÉLECTROAIMANTS, DIAGNOSTICS, POMPES À VIDE…) QUI CONSTITUENT L’ANNEAU DE STOCKAGE.

PROXIMA 1, L’UNE DES DEUX LIGNES DE

LUMIÈRE DÉDIÉES À LA CRISTALLOGRAPHIE.

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INAUGURÉ EN DÉCEMBRE 2006, SOLEIL EST UN SYNCHROTRON DE TROISIÈME GÉNÉRATION AU PLUS HAUT NIVEAU DE

LA COMPÉTITION INTERNATIONALE.

2010, des chercheurs du CNRS et de l’institut Pasteur qui étudiaient le virus du chikungunya à l’aide de cette technique en ont déduit la manière dont celui-ci colonisait, cellule par cellule, l’organisme. Leur découverte a ouvert la voie à la mise au point du vaccin (qui n’est pas encore prêt à ce jour), et dégage des perspectives dans la lutte contre d’autres virus, dont celui du sida.

Un peu plus bas sur le spectre lumineux, le rayonnement infrarouge tiré du synchrotron sert lui aussi la recherche, par exemple en cosmétique. « L’utilisation de la lumière synchrotron dans le domaine de l’infrarouge permet de déterminer la composition chimique des différents compartiments du cheveu et de la peau, […] à l’échelle du micron », explique Paul Dumas, responsable de la ligne de lumière SMIS. En déterminant ainsi avec précision l’architecture moléculaire des cheveux et de la peau, les chercheurs sont plus à même d’observer le résultat de la diffusion des produits cosmétiques au cœur même de la matière.

DES APPLICATIONS INFINIES Agroalimentaire, astrophysique,

géologie, nanotechnologies : les champs d’application de la lumière produite par le synchrotron s’étendent à l’infini. Les 200 chercheurs de SOLEIL décryptent le monde à travers le prisme de la chimie, des interactions des atomes entre eux. Même le monde de l’art n’échappe pas à leur œil avisé. Ainsi, en 2011, un consortium de chercheurs s’est penché sur une œuvre du peintre espagnol Murillo pour tenter d’expliquer le fait que, malgré toutes les précautions prises, les bleus de ses Deux Trinités viraient au gris. Grâce aux rayons X de la ligne de lumière LUCIA, les spécialistes du CNRS, du département scientifique de la National Gallery de Londres et du Centre de recherche et

de restauration des musées de France, associés aux chercheurs, sont parvenus à résoudre une énigme qui tourmentait les conservateurs de musée depuis quatre siècles. Tout tenait au pigment utilisé par le peintre au XVIIe siècle, qui s’est altéré au fil du temps. Et seul le degré de précision des instruments du synchrotron SOLEIL – qui ont réussi à décrypter l’évolution chimique des différents atomes constituant le pigment – a pu venir à bout de ce mystère.

Du fait de la qualité et de la sophistication de ses équipements, mais aussi de la variété des disciplines qu’il abrite, le centre de recherche SOLEIL, qui dépend du CNRS et du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), se targue d’être « un pilier de la politique scientifique nationale ». Tout autour de lui, sur le plateau de Saclay, le projet d’un campus réunissant deux universités, onze grandes écoles et six organismes de recherche devrait voir le jour à l’horizon 2015. En attendant, le site de SOLEIL s’étend sur 16 hectares, organisés autour du grand bâtiment circulaire qui héberge l’accélérateur de particules et les laboratoires. Plus de 4 000 scientifiques « extérieurs » fréquentent ce pôle de recherche chaque année. Pour les accueillir, les aider dans leurs expériences, mais aussi mener leurs propres recherches, près de

200 scientifiques (pour partie détachés du CNRS et du CEA) sont employés à SOLEIL, épaulés par des techniciens, ingénieurs et administratifs, soit au total environ 400 personnes. Tous les six mois, le synchrotron SOLEIL reçoit de ses utilisateurs extérieurs 600 projets de recherche qui nécessitent du « temps de faisceau » pour progresser.

UNE RÉPUTATION INTERNATIONALE Ces candidatures émanent principalement

de laboratoires de recherche publics ou privés. Une sélection est réalisée, et les équipes dont les projets sont retenus se relaient à un rythme soutenu sur les lignes de lumière. Chaque projet dispose de trois à quinze jours pour mener ses expériences et vérifier (ou non !) ses hypothèses. Le rayonnement synchrotron est disponible sur des périodes de six semaines jour et nuit, sauf le lundi, où le faisceau est coupé pour procéder à l’entretien et à diverses améliorations ou adaptations des systèmes. Les résultats sont rendus publics, partagés, à moins qu’il ne s’agisse de structures privées, qui défendent jalousement leurs conclusions. Pour ces dernières, et pour ces dernières seulement, l’accès est payant. Elles n’utilisent que 10 % du temps de faisceau.

L’efficacité d’un centre de recherche se mesure à l’aune de ses publications. Et ici, il ne se passe pas un jour sans que des résultats ne paraissent dans une revue scientifique. Géologues, biologistes, astrophysiciens, tout le monde veut sa place au SOLEIL, lequel a entamé la construction de deux lignes de lumière supplémentaires et pourrait en développer davantage, à l’image de l’ampleur des possibles découvertes à venir et de la portée de celles-ci. ◆

Pour aller plus loin : www.synchrotron-soleil.fr et Les Orfèvres de la lumière, une visite au synchrotron SOLEIL, de Marie-Pauline Gacoin, éditions Le Pommier, 2010.

31SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

“L’UTILISATION DE LA LUMIÈRE SYNCHROTRON

DANS LE DOMAINE DE L’INFRAROUGE PERMET

DE DÉTERMINER LA COMPOSITION CHIMIQUE DU CHEVEU ET DE LA PEAU À L’ÉCHELLE DU MICRON.”

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nLE RENDEZ-VOUS DES

PROFESSEURS NIMBUSPar Alban Sumpf

—INAUGURÉ IL Y A DEUX ANS, LE FACLAB DE

CERGY-PONTOISE EST LE PIONNIER DES FABLABS DE L’HEXAGONE. BIEN PLUS QU’UN

SIMPLE ATELIER DE FABRICATION, CE LIEU COLLABORATIF OUVERT À TOUS CONSTITUE

UN VÉRITABLE PROJET CITOYEN.—

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Porté par l’université de Cergy-Pontoise et inauguré le 23 février 2012, le FacLab restera dans l’histoire comme l’avant-garde des FabLabs (« Fabrication Laboratories ») en France. Deux ans après ses débuts, son succès ne se dément pas. Des milliers de professeurs Nimbus, de tous âges et tous horizons, sont déjà venus ici s’essayer à la fraiseuse, l’imprimante 3D et les ciseaux à bois.

Placé au cœur du Pôle média et innovation numérique que l’université déploie sur son site de Gennevilliers, ce lieu dédié de 180 m2 reste bien sûr ouvert à tous, mais il propose désormais en plus trois nouveaux diplômes universitaires. Résultat, ça cartonne. Et les politiques se pressent pour rencontrer ces génies en herbe.

Premier du genre en France, le FacLab de Cergy s’inscrit dans la lignée des FabLabs, ces ateliers de fabrication communautaires de l’ère numérique, qui ont vu le jour au Massachusetts Institute of Technology (MIT), aux États-Unis, quand Neil Gershenfeld, un professeur de physique, a eu l’idée de proposer des cours de prototypage rapide sur le thème « comment fabriquer (à peu près) n’importe quoi ». Depuis, l’idée essaime dans le monde entier et suscite un véritable engouement en France.

À Cergy-Pontoise, des centaines de personnes ont bénéficié d’un accès illimité et gratuit aux différentes machines. Qu’il s’agisse des imprimantes 3D, des instruments de découpe vinyle et

laser, de la fraiseuse numérique, des ordinateurs, des fers à souder, des composants électroniques ou encore des simples outils (machines à coudre, scies, ciseaux à bois, mètres, etc.).

Pour les artistes, designers, inventeurs, étudiants, artisans, professionnels, chercheurs, usagers occasionnels ou encore simples curieux, le lieu offre une réelle opportunité créative. Ici, Geoffroy et Laurent travaillent sur un prototype de moteur magnétique. Là, Kway forme sur la découpe laser, tandis que d’autres s’exercent à la conception en 3D de boutons de manchette Batman. C’est un joyeux bazar de bricoleurs de génie, d’expérimentateurs qui ne trouvent finalement rien de plus passionnant que de se triturer le cerveau pour inventer, toujours inventer. Sont-ils les espoirs de la future industrie française ? Les messieurs Moulinex, SEB et autres Opinel du XXIe siècle ?

Les politiques – même Jean-Marc Ayrault s’est déplacé au FacLab – le pensent peut-être. Michel, futur ingénieur de 21 ans, n’a nullement ce genre de prétention. Il est juste ravi d’avoir pu « imprimer une pièce de bois qui s’intégrera au prototype qu’[il] construit actuellement pour l’école ». Cuillère, maquettes d’architecte ou même œuvres d’art : on ne compte plus les objets qui ont été réalisés ici.

PARTICIPER À UNE COMMUNAUTÉ Bien plus qu’un simple atelier de

fabrication, le FacLab est aussi et avant tout un lieu de partage et d’apprentissage inédit, qui entend favoriser les rencontres et la mutualisation des savoirs. Si l’on

SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

LOIN D’ÊTRE SEULEMENT UN ATELIER

DE CONCEPTION OU DE FABRICATION,

LE FABLAB DE L’UNIVERSITÉ DE CERGY-

PONTOISE EST AVANT TOUT UN LIEU

D’ÉCHANGE ET DE COLLABORATION, OÙ

CHACUN PEUT APPORTER AUX AUTRES

SES CONSEILS ET SES COMPÉTENCES.

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peut s’approprier les nouvelles technologies et faire soi-même, il s’agit également de participer à une véritable communauté dans laquelle on fait avec les autres. « Et c’est cette communauté qui porte chaque jour le lieu », affirme Emmanuelle Roux, cofondatrice du FacLab. Les FabManagers qui encadrent et conseillent les visiteurs ne « font » jamais à leur place. Chacun s’engage à faire bénéficier les autres de son expérience et tous sont, dans la mesure du possible, aidés et aidants.

La sociabilité de la découverte et de l’innovation se développe ; sur place comme sur le réseau Internet, elle (ré)unit les utilisateurs. Comme l’a souligné le président de l’université de Cergy-Pontoise,

François Germinet, à l’occasion de l’anniversaire du FacLab, « le partage des connaissances et l’expérimentation sont au cœur de ce projet qui privilégie l’échange. L’ouverture de la structure à tous les profils – étudiants, professionnels, retraités – doit engendrer des collaborations inédites et fructueuses ». De 14 à 65 ans, ce public encore majoritairement masculin se retrouve effectivement sur plusieurs projets. Emmanuelle Roux donne l’exemple de « tout un groupe qui coopère en ce moment à la création d’une veste augmentée pour améliorer la visibilité nocturne des cyclistes ».

Les membres de la communauté doivent rendre publics leurs plans et expliquer aux autres la manière dont ils ont procédé. Une

véritable open source en libre accès sur Internet encourage la fertilisation des esprits et des projets. Et invite ces passionnés à communiquer avec les autres et à partager leurs connaissances.

Cette pratique de « l’innovation ouverte » est au coeur du FacLab. Pour Emmanuelle Roux, « la réappropriation des techniques est une nécessité ; l’innovation comme la créativité passent par le libre échange des idées ».

APPRENDRE ENSEMBLE Au-delà de cette pédagogie participative

et collaborative, ce FacLab un peu particulier, car à vocation universitaire, proposera également bientôt toute une gamme de formations, dans lesquelles

LE FACLAB FOURNIT TOUT LE MATÉRIEL NÉCESSAIRE AUX INVENTEURS ET AUTRES BRICOLEURS,

DE L’IMPRIMANTE 3D AUX COMPOSANTS ÉLECTRONIQUES.

35SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

“EN FAISANT LA PROMOTION DES CRÉATIONS PERSONNALISÉES OU DE LA PETITE SÉRIE,

LES FABLABS DÉPLOIENT UN AUTRE RAPPORT À LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATION.”

l’apprentissage continuera d’être plutôt orienté vers le faire et la mise en commun que sur la simple écoute passive.

En mars 2014, le FacLab a lancé trois nouveaux diplômes universitaires (DU) – payants –, correspondant à un niveau master : Initiation à la fabrication numérique, Métier : FabManager et Créer et implanter un FabLab sur son territoire. Ils totalisent chacun entre quatre-vingt- dix et cent dix heures réparties entre enseignement et projet appliqué. « La demande est très forte pour ces formations et nous entendons développer considé-rablement cette offre à l’avenir », précise Emmanuelle Roux.

À terme, le FacLab souhaite aussi se tourner vers le monde de l’industrie en proposant des services de prototypage ou de fabrication. Il s’agit également de mettre en relation les entreprises et certains utilisateurs pour développer l’emploi, la recherche et le développement. Et pourquoi pas faire du FacLab « un véritable creuset d’innovation pour les entreprises et les industries », comme l’espère François Germinet.

Emmanuelle Roux estime quant à elle que le FacLab fonctionne comme un réel « préincubateur de start-up » : « Il permet à des idées d’émerger, à des envies de naître et à des projets de se concrétiser. Plusieurs entreprises viennent d’ailleurs régulièrement nous découvrir lors de journées spécifiques. »

Plus globalement, le FacLab porte une démarche durable, citoyenne et

responsable qui n’oublie pas de réfléchir sur les révolutions économiques, sociales et culturelles impliquées par ces nouvelles pratiques. La redéfinition du concept de propriété intellectuelle, la promotion de l’économie participative, la relocalisation des outils de production, l’évolution des savoir-faire et des mécanismes entre l’offre et la demande qui en résultent constituent à coup sûr autant d’enjeux à comprendre pour inventer le monde qui vient.

CRÉER, FAIRE ET PARTAGER En faisant la promotion des créations

personnalisées ou de la petite série, les FabLabs déploient un autre rapport à la société de consommation. Réparer ou construire la pièce défectueuse de son téléphone portable plutôt que le jeter permet par exemple de lutter contre la fameuse obsolescence programmée des produits. « Lorsque l’on construit un objet soi-même, parfois avec des matériaux de

QUE L’ON TRAVAILLE SUR DES CIRCUITS COMPLEXES OU SUR DES OBJETS DU

QUOTIDIEN, ON TROUVE AU FACLAB DE QUOI SATISFAIRE SA CRÉATIVITÉ.

récupération, on invente un peu de nouveaux modes de production et d’usage », témoigne ainsi un habitué du FacLab sur le réseau.

Gratuit, citoyen, le FacLab de l’université de Cergy-Pontoise est soutenu et porté dans sa promotion par L’Atelier, centre de ressources qui œuvre au développement et à l’épanouissement de l’économie sociale et solidaire en Île-de-France. En tant qu’association dont la finalité est davantage tournée vers la plus-value sociale ou environnementale que vers la recherche du gain financier, le FacLab fait le lien entre économie sociale et solidaire et économie collaborative.

« Il renforce la capacité d’agir des citoyens, encourage le réemploi et dynamise les coopérations croisées », explique ainsi Julien Bottriaux, membre de L’Atelier. Une sorte de démocratie participative et créative du savoir et du faire ensemble. Un modèle de société.◆

Signé en avril 2013, le grand plan d’aménagement de la Cité internationale universitaire de Paris marque une petite révolution. La « Cité U » n’a pas connu de nouvelle construction depuis 1969. Inaugurée en 1920, elle compte aujourd’hui 37 résidences. Demain, dix nouvelles « maisons » vont être édifiées sur le campus. Mille huit cents logements supplémentaires doivent ainsi être livrés à l’horizon 2017-2020, permettant d’accueillir 31 % d’étudiants en plus. Sur le papier, le projet est ambitieux : il s’agit de réaliser la « Cité universitaire du XXIe siècle » et de donner naissance à un « campus urbain exemplaire et

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LA CITÉ U À L’HEURE ÉCOLO

Par Alban Sumpf

—DEPUIS PLUSIEURS

ANNÉES DÉJÀ, LA CITÉ INTERNATIONALE

UNIVERSITAIRE DE PARIS EST GÉRÉE SELON DES CRITÈRES

DE DÉVELOPPEMENT DURABLE. AVEC LA MAISON DE L’ÎLE-DE-FRANCE, PRÉVUE POUR 2016, ELLE S’APPRÊTE À DEVENIR UN VÉRITABLE

ÉCOCAMPUS. —

écologique. » La future maison de l’Île-de-France se veut le fer de lance de ce plan global. Entièrement financée par la Région à hauteur de 21,6 millions d’euros (pour l’ensemble du projet), elle devrait ouvrir ses portes à la rentrée 2016.

Confiée aux architectes de l’agence Nicolas Michelin & associés, la nouvelle résidence sera située le long du boulevard périphérique, entre le pavillon du Liban et celui du Cambodge. Le bâtiment de huit étages respectera le plan local d’urbanisme qui interdit aux constructions de dépasser 25 mètres de hauteur. Il comprendra 142 chambres, ainsi que des lieux de vie et de réunion (cafétéria, salle polyvalente,

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qu’il devra produire autant d’énergie qu’il en consomme. Dans la note de présentation de leur projet, les architectes Olivier Calvarese, David Cote et Marie Arnaud affirment avoir conçu la résidence comme « une maison compacte et optimisée pour répondre aux objectifs ZEN [“Zéro ENergie”]. » Et ajoutent : « Une approche rationnelle du volume et de l’orientation nous a permis de générer un bâtiment économe en énergie et très optimisé pour la lumière et le confort d’usage. »

Ainsi, sur les plans, les façades donnant sur le parc sont revêtues de panneaux isolants très performants et les grandes

SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

LE BÂTIMENT DE LA MAISON DE L’ÎLE-DE-FRANCE DEVRA

PRODUIRE AUTANT D’ÉNERGIE QU’IL EN CONSOMME.

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142 ÉTUDIANTS RÉSIDERONT DANS

LE BÂTIMENT, LE PREMIER DE

LA CITÉ U À ÉNERGIE POSITIVE.

salons) largement ouverts sur le parc de la Cité U et ses 34 hectares de verdure.

OBJECTIFS ZEN Offrant un très bon cadre de vie et

d’études à ceux qu’elle hébergera, la maison de l’Île-de-France sera aussi un modèle d’excellence écologique et environnementale. Dans une logique de développement durable, elle répond à la volonté de la Cité U de devenir le premier écocampus de la capitale. Et préfigure les futures constructions prévues sur le site.

L’édifice remplira ainsi les objectifs énergétiques définis par la Région : le bâtiment sera à énergie positive, c’est-à-dire

fenêtres des chambres étudiantes produisent un « effet de mosaïques en facette, changeantes sous la lumière » où « les faces ciselées jouent avec le feuillage des arbres et la douceur du relief ».

Mais c’est surtout la paroi sud de l’ouvrage qui réalise son efficacité énergétique et son identité architecturale. Opérant une barrière acoustique avec le périphérique, elle est conçue comme une « peau active ». La façade à haute technologie capte ainsi l’énergie solaire qui est ensuite stockée pour assurer les besoins en chauffage de tout le bâtiment. « Composée essentiellement de capteurs photovoltaïques et de tubes solaires thermiques, elle laisse entrevoir en son centre une structure en étoile (maintien de ces tubes) et, à l’arrière, le réservoir de stockage de l’énergie. Cette mise en scène insolite marque de manière particulière la maison sur le périphérique, tout en laissant deviner son dispositif énergétique », expliquent les architectes ◆

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PHOTOMONTAGE D’ÉTIENNE LAVIE, UN STREET ARTIST PARISIEN. DANS SON PROJET “OMG WHO STOLE MY ADS?”, IL A REMPLACÉ

DES AFFICHES PUBLICITAIRES PRÉSENTES À DIFFÉRENTS ENDROITS DE LA CAPITALE PAR DES ŒUVRES D’ART.

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LES 15 PREMIERS « YUMPERS ». ISSUS DE BANLIEUE PARISIENNE,

CES FUTURS ENTREPRENEURS

PORTENT DES PROJETS À FORT

POTENTIEL, AVEC LE SOUTIEN DE LA YUMP ACADÉMIE ET DE SES

PARTENAIRES.

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À la Yump Académie, une seule devise : « Entreprendre, c’est déjà réussir ». Et c’est bien là l’objectif des « Yumpers », âgés de 20 à 40 ans et issus des quartiers populaires d’Île-de-France.

Le « Young Urban Movement Project » ne répond pas stricto sensu au format d’une école supérieure ou d’une pépinière d’entreprises. Il forme et appuie des porteurs de projet avec une approche inédite. Ce programme prouve à un public souvent stigmatisé sa capacité à bâtir un projet entrepreneurial et lui en livre les clés. « Il y a des pépites dans les banlieues, explique Serge Malik, le cofondateur de la Yump Académie. Mais ces quartiers souffrent d’une image négative. L’académie défend l’égalité des chances et la parité. Nous luttons contre les discriminations par la création de valeur. Notre seul critère est le potentiel du projet et la pertinence de celui qui le porte. »

Il y a cinq ans, cet expert des cultures urbaines et cofondateur de SOS Racisme et Tomas Fellbom, diplomate franco-suédois, ont vent d’une initiative destinée aux jeunes des quartiers défavorisés de Stockholm. Inspirés, les deux entrepreneurs s’associent à Alexander Keiller, dirigeant dans l’industrie audiovisuelle, et établissent la première Yump Académie en Seine-Saint-Denis. Ils tissent un réseau d’entreprises partenaires portant les valeurs communes de promotion de la diversité et de création d’emploi sur le territoire. Avec les institutions, les missions locales et les associations du département, Yump développe un dispositif collaboratif.

Jeveuxmontermaboite.com, la première campagne de détection, est lancée en 2012. Une centaine de candidats postulent. Le comité de sélection, composé d’un collège de partenaires, dont Mercuri Urval, cabinet de conseil en gestion de talents, retient

21 profils à l’été 2013. Parmi eux, Dalila veut lancer sa marque de lingerie de luxe made in France pour la clientèle du Moyen-Orient. Élie a l’ambition de créer le premier jeu interactif pour l’industrie française de la télévision connectée. Sarah souhaite proposer des cours de boxe en entreprise et des séminaires de team-building.

E-LEARNING ET FORMATION NOMADE Le 2 octobre dernier, les Yumpers font

leur rentrée. Débute alors une session de formation de six mois dédiée dans un premier temps à l’élaboration du business plan. Sur le principe du e-learning, les Yumpers sont coachés avec des films relatifs au marketing, au droit ou encore au marché. Chaque semaine, ils actualisent leur projet à la lumière de ces enseignements. Laura Bianquis a encadré ces sessions de travail à raison de trois journées par mois : « J’ai été frappée par la bonne ambiance au sein du groupe et la solidarité qui s’y est instaurée. J’ai aimé les voir éclore, endosser petit à petit la posture d’entrepreneur. Ce rendez-vous a été comme un point d’étape au fur et à mesure des difficultés et des avancées. » Dans les locaux d’Aubervilliers, les Yumpers vont et viennent au gré du programme hebdomadaire et des salles de coworking sont mises à leur disposition.

Après la théorie vient l’heure de la « formation nomade ». PME et grands groupes accueillent les Yumpers en résidence.

Au détour de leur passage chez Altran ou Microsoft, ils se confrontent aux professionnels du secteur et expérimentent la vie en entreprise. « Grâce à la formation nomade, nous nous sommes constitué un réseau. Ces opportunités nous ont permis d’avancer », témoigne Amine Bouzaza, créateur de Smool, concept de restauration rapide ambulante autour de la semoule.

Comme ses condisciples, Samira Hammiche bénéficiera du réseau et de l’expertise de Yump pour transformer son association, Royaltesse, en une véritable société. Cette maman de 39 ans dirige déjà une équipe de neuf personnes et coordonne des événements qui promeuvent la culture et l’art orientaux. « La Yump Académie m’a apporté une structure, ouvert l’esprit et montré qu’il était possible d’apprendre différemment. » Sur une période de cinq ans, l’académie s’engage à conseiller et aider les jeunes pousses dans leur développement et leur recherche de financements.

Le 7 avril dernier, pour clore la session 2013, des auditions publiques se sont tenues au théâtre Saint-Georges, à Paris. Treize des quinze Yumpers toujours en course ont présenté leur projet en moins de deux minutes. Philippe Salle, PDG du groupe Altran et président du comité de sélection, a chaleureusement soutenu ceux qu’il a vu devenir en quelques mois de véritables entrepreneurs.

Pour Serge Malik, la Yump Académie est « un laboratoire en perpétuelle quête d’innovation, de savoir-faire et de mixité sociale. Elle permet de créer des liens et participe au développement économique local ». En 2014, trois nouvelles académies verront le jour dans le Val-de-Marne et l’Essonne. L’ouverture d’une quatrième antenne à Marseille est à l’étude. ◆

SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

LA YUMP ACADÉMIE, FABRIQUE D’ENTREPRENEURSPar Hélène Martinez

—ÊTRE JEUNE DE BANLIEUE ET VOULOIR CRÉER SON ENTREPRISE, C’EST

POSSIBLE. ENCORE FAUT-IL RASSEMBLER LES COMPÉTENCES, LE RÉSEAU, LE FINANCEMENT, ET PLUS ENCORE, AVOIR SA CHANCE MALGRÉ LES PRÉJUGÉS.

LA YUMP ACADÉMIE EST LÀ POUR AIDER ET SOUTENIR LES TALENTS.—

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L’ART AU PLUS PRÈS DES BANLIEUES

Par Hélène Martinez

—CE PRINTEMPS, LE « MUSÉE PASSAGER » S’INVITE

DANS LE PAYSAGE URBAIN. ÉPHÉMÈRE ET MOBILE, IL OFFRE AU PLUS GRAND NOMBRE UN ACCÈS À L’ART

CONTEMPORAIN.—

43SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

En 1941, Marcel Duchamp promenait ses œuvres miniatures dans sa célèbre boîte-en-valise. Depuis ce musée portatif, l’idée a fait du chemin et ces dernières décennies ont vu l’art itinérant se démocratiser. Entre 2011 et 2013, le Centre Pompidou Mobile a traversé la France en six étapes et attiré plus de 200 000 visiteurs. Cette année, la Région Île-de-France inaugure une initiative d’un nouveau genre : le « Musée passager ». Le concept ? Édifier un pavillon d’art contemporain nomade et sillonner les départements franciliens pendant quatre ans à la rencontre d’un nouveau public. Gratuit et ouvert tous les jours, le musée s’installe au plus près des habitants de la région, sur des lieux de passage naturel, à proximité des transports urbains, des universités ou des centres commerciaux. Au

carrefour des générations, des origines ethniques et des classes sociales, entre zones urbaines sensibles et quartiers populaires, le Musée passager est l’occasion de rendre accessibles l’art et la culture à tous, passants, curieux et néophytes. Sur fond de musique électro, jeunes et étudiants de banlieue, familles et scolaires auront, dès la première saison, le loisir de contempler les dessins d’une figure du Pop Art, le Britannique David Hockney, les films d’animation du Chinois Yang Yongliang et les installations vidéo de la jeune plasticienne Maud Maffei. Le tout ponctué d’événements et d’ateliers participatifs. L’édition 2014 de l’exposition ambulante, lancée en avril dernier au pied de la basilique de Saint-Denis, s’est établie à Évry, puis à Mantes-la-Jolie, et terminera

sa route à Val d’Europe du 7 au 22 juin. La Région Île-de-France a confié la mise

en place du projet aux Ateliers Frédéric Laffy, agence d’ingénierie culturelle. « Nous poursuivions depuis longtemps cette volonté de déconstruire l’image traditionnelle du musée. Il fallait repenser la recette pour s’adresser à un large public. Notre but : être un amorceur de curiosité », confie Frédéric Laffy. Convaincu par le dessein démocratique de cette initiative, l’architecte Philippe Rizzotti a relevé le défi technique, économique et esthétique de concevoir un bâtiment « le plus performant possible, capable d’offrir l’espace et le confort au public ». Le cofondateur du collectif EXYZT, spécialiste de la problématique des installations temporaires, a imaginé une structure démontable de plus de 200 m2,

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stockable tel un véritable jeu de Tetris dans seulement deux conteneurs maritimes de 70 m3 intégrés à la plate-forme. Ce système complexe répond à une démarche d’éco-conception. Tous les matériaux utilisés sont recyclés et/ou recyclables dans une perspective d’économie circulaire, le Cradle to Cradle. « Une aventure collective permise par l’engagement de toutes les entreprises partenaires », note l’architecte.

ART CONTEMPORAIN ET CULTURE URBAINE À bien des égards, le Musée passager

constitue un projet collaboratif. Il implique les acteurs du territoire – associations, écoles, municipalités et entreprises – dans la programmation, le mécénat et la médiation. Les Ateliers Frédéric Laffy ont fait appel aux troupes, artistes et DJ locaux pour rythmer la manifestation. Au programme, DJ set du collectif Nuits blanches, table ronde organisée par la fabrique de culture et art numérique Synesthésie, journée tremplin pour la jeune création orchestrée par Minie’s, concepteur d’événements pluridisciplinaires, ou encore une performance du grapheur dyonisien Marko93, pionnier du « light painting ». En cela, le Musée passager affirme deux identités : l’art contemporain dans l’écrin du musée et la culture urbaine. « Une action de Street Art en soi », témoigne Frédéric Laffy. Les visiteurs de tous âges prennent eux aussi part à la vie du musée. De ville en ville, la structure s’approprie l’espace urbain. Et réciproquement, les Franciliens s’emparent du lieu.

Le Musée passager s’articule en deux espaces modulaires. Une galerie d’œuvres respecte une scénographie muséale classique attenante à un lieu de vie propice à la convivialité, l’échange et la contemplation d’œuvres numériques sur les tables-vidéo. « Les habitants peuvent se réunir et se détendre sur cette terrasse. À nous ensuite de les attirer vers la galerie, résume Frédéric Laffy. Notre objectif est de juxtaposer les expressions artistiques. Plusieurs concerts ont lieu chaque semaine. De la musique est diffusée en permanence dans le musée. Le public assiste également à des performances de Street Art, de hip-hop, de danse, à des conférences et des rencontres avec les artistes. [Il faut] remettre l’art contemporain dans la vie, l’inclure dans le quotidien et faire du musée un lieu de vie sans le dévaloriser. L’art est fait pour être senti.

Pour un public non averti, il est important d’avoir un rapport direct à l’œuvre. »

Le volet 2014 du Musée passager consacre sa ligne artistique, « l’Horizon nécessaire », à l’incidence de l’outil numérique dans l’art contemporain. Une trentaine d’œuvres d’artistes de renommée internationale et émergents ont été choisies. De la vidéo de Bill Viola aux photographies de Valérie Belin, en passant par le mobile d’Élias Crespin, les installations vidéo d’Ann Veronica Janssens ou la sculpture en réalité augmentée de

Marie Maillard, l’exposition met en exergue un éventail de supports et d’expressions propres aux artistes du XXIe siècle enclins aux nouvelles technologies. Jannick Guillou, jeune artiste bretonne, expose des compositions graphiques sous la forme de papiers peints et adhère pleinement au projet : « J’aime l’idée de cette course, d’un musée qui part en tournée et se greffe à la ville pour le plus grand bien de la population. C’est poétique. » ◆www.lemuseepassager.iledefrance.fr

“COUPLE 02”, DU

PEINTRE THOMAS

LÉVY-LASNEL

(CI-DESSUS), ET

“WEEK-END À ROME”,

INSTALLATION

VIDÉO DE LUDOVIC

SAUVAGE (CI-CONTRE,

À GAUCHE), FONT

PARTIE DES ŒUVRES

SÉLECTIONNÉES

POUR L’ÉDITION

2014 DU MUSÉE PASSAGER.

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CI-CONTRE : “CHOISYA (MEXICAN ORANGE

BLOSSOM)”, DE LA PHOTOGRAPHE

VALÉRIE BELIN.

CI-DESSUS : “LE CENTAURE”, D’ALETEÏA

(DÉTAIL). CETTE ARTISTE ISSUE DE L’UNIVERS

DU STREET ART POSE DEPUIS DIX ANS

DES ÉTOILES RÉALISÉES À LA BOMBE OU

À L’ADHÉSIF SUR LES MURS ET LES SOLS

DE PARIS ET DE GRIGNY, DANS L’ESSONNE.

CI-DESSUS : “SUR LE CARREAU”, HUILE SUR TOILE

DU PEINTRE ET DESSINATEUR YOUCEF KORICHI.

CI-CONTRE : “SOLEIL COUCHANT”, INSTALLATION

VIDÉO DE MAUD MAFFEI PROJETÉE EN BOUCLE

DERRIÈRE DEUX RANGÉES DE TOILE DE VERRE.

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QUAND LES ARTISTES MÉTAMORPHOSENT LES VILLES

Par Hélène Martinez

—À SAINT-DENIS ET IVRY-SUR-SEINE, DEUX ASSOCIATIONS, LE 6B ET LA BLANCHISSERIE, ET LEURS ARTISTES RÉSIDENTS INTERPELLENT LES HABITANTS SUR LA VILLE DE DEMAIN.

Dans son rapport « La dimension culturelle du Grand Paris », remis en janvier 2012, le conseiller d’État Daniel Janicot note : « La culture est créatrice du Grand Paris et joue un rôle important dans la structuration du territoire métropolitain. » Le vaste plan d’aména-gement entraîne avec lui la mutation de nombreux territoires d’Île-de-France. Cette transition bouleverse le paysage urbain. Les acteurs culturels, à l’instar des habitants, s’adaptent, parfois contraints, à ces changements. Et plus encore, s’en saisissent comme une source de création. C’est l’apanage du 6b et de la Blanchisserie, des lieux dits « intermédiaires ».

FABRIQUE D’ART ET DE CULTURE Quittons Paris, destination le quartier

Gare-Confluence de Saint-Denis, à seulement dix minutes de RER. En longeant la palissade en bois multicolore qui mène à la Seine, on devine déjà l’emprise artistique ambiante. Pourtant, rien n’indique, au milieu de ce décor chaotique, l’approche d’un lieu de création. Entre deux grues s’élève un bâtiment monumental.

Bienvenue au 6b. Établie il y a quatre ans dans l’ancien édifice Alstom, l’association occupe un bâtiment de 7 000 m2 mis à disposition par le groupe Brémond. Installé au cœur du futur écoquartier Néaucité, le 6b participe avec ses 161 artistes résidents – une majorité de plasticiens, mais aussi des architectes, des graphistes et autres designers – à la transformation de cette fraction de la ville. Cette « fabrique d’art et de culture », comme l’a identifiée la Région Île-de-France, a vocation à encourager l’art et la rencontre dans ces espaces publics en construction. « Comment participer à cette dynamique ? s’interroge Myriam Moussa, responsable de la communication de l’association. En passe de devenir une place centrale de création et de diffusion dans ce nouveau quartier, le 6b se doit de réinvestir le territoire, de s’adapter aux changements. Un projet artistique à part entière. »

Dirigée par l’architecte Julien Beller, la structure compte six salariés dévolus au rayonnement, à la logistique et à l’intendance de cet espace autogéré. Chaque mois, les résidents versent une participation au fonctionnement de 11 euros par mètre carré occupé. Pour le moment, malgré une économie précaire, le promoteur Brémond encourage l’initiative et exempte le 6b de loyer. Et une subvention accordée par la Région pour une durée de trois ans va permettre la remise aux normes du bâtiment et la valorisation de l’action de l’association.

Entre ateliers privés et espaces communs, le 6b renferme pléthore de lieux de travail, de vie et d’exposition mutualisés. Une salle d’exposition, de projection, de

LA COMPAGNIE TANGIBLE, QUI FAIT PARTIE DE LA BLANCHISSERIE, PROPOSE DES CRÉATIONS PERMETTANT D’APPRÉHENDER DIFFÉREMMENT L’ESPACE URBAIN.

LE 6B PARTICIPE AVEC SES 161 ARTISTES – PLASTICIENS, ARCHITECTES, GRAPHISTES

ET AUTRES DESIGNERS – S’INCRIT EN ÉCHO DES VILLES EN MUTATION.

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L’ANCIEN ÉDIFICE ALSTOM, SITUÉ AU

CŒUR D’UN NOUVEL ÉCOQUARTIER EN

CONSTRUCTION À SAINT-DENIS, ACCUEILLE

LE 6B. AU PREMIER ÉTAGE, UNE SALLE

D’EXPOSITION DE PLUS DE 230 M2.

danse et de concert, un atelier bois, un atelier de sérigraphie, un labo photo et une cafétéria sont investis et partagés par les occupants. Deux d’entre eux cuisinent quotidiennement pour l’ensemble de la collectivité dans une cantine associative ouverte à tous. Au premier étage de ce paquebot urbain, la communauté d’agglomération Plaine Commune anime l’atelier de réflexion et d’information « Territoire de culture et de création », visant à sensibiliser les Dyonisiens aux enjeux du Grand Paris et ainsi valoriser les initiatives locales. Un moyen d’accompagner les stratégies urbaines, économiques, sociales et solidaires. Le 6b intervient également dans le développement du territoire à travers une programmation d’événements gratuits ouverts à tous et orchestrés par les artistes locataires.

Outre les projets artistiques réguliers des résidents – expositions, performances, concerts, théâtre, etc. –, un temps fort s’est imposé chaque été : la Fabrique à rêves (FAR). Ce festival pluridisciplinaire offre, entre la Seine et le Canal, un foisonnement d’actions culturelles et d’ateliers

participatifs. L’édition 2014 débutera le 28 juin avec un parcours de jeu sur la zone en construction. En guise de fil d’Ariane, Hardy, un personnage fictif venu du futur, conduira la manifestation. Tout un symbole dans ce quartier tourné vers l’avenir. En amont du festival, un jeu de l’oie à échelle humaine sera imaginé par les habitants, eux-mêmes acteurs du festival. Les artistes résidents du 6b et des intervenants extérieurs ont été sollicités pour faire émerger une œuvre sur le chantier. Terrains en friche et tours de béton seront le support de leur créativité. La manifestation s’achèvera avec deux semaines de festivités du 29 août au 10 septembre. Une fois encore, les synergies du 6b galvaniseront cet espace transitoire de Saint-Denis.

EFFERVESCENCE ARTISTIQUE Cap au sud de Paris, direction le Val-de-

Marne. Autre enjeu, autre cadre : celui de l’art dans l’espace urbain impulsé par la Blanchisserie, à Ivry-sur-Seine. Ce collectif créé en 1993 dans l’ancienne blanchisserie de l’hôpital Charles Foix a élu domicile en 2012 dans un bâtiment amené à être démoli

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en 2015. Autour, friches industrielles et immeubles désertés composent un décor désolé. Mais, notamment grâce au projet Ivry Confluences, des quartiers changent de visage, comme Ivry-Port où on voit poindre çà et là habitats, bureaux, complexes sportifs et écoles. Dans cet entre-deux, l’association accueille aujourd’hui dans ses murs précaires une trentaine de compagnies du spectacle vivant et d’artistes résidents ou temporaires. En son sein, un espace de bricolage et un plancher démontable permettent la préparation et les répétitions de projets artistiques. Entre les cinq bureaux et le lieu de vie commune, Sébastien, « facteur d’instruments », fabrique et restaure des instruments de musique. À la Blanchisserie, une effervescence de travaux artistiques se déroule loin du regard du public.

Autre versant, le collectif mutualise ses énergies et ses propos pour la réalisation d’actions artistiques sur et dans l’espace

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“SORTIE DU CHANTIER”, PERFORMANCE

DANSÉE DE L’ASSOCIATION TANGIBLE,

MEMBRE DU COLLECTIF D’IVRY-SUR-

SEINE, FAIT ÉTAT DE L’ÉVOLUTION

D’UNE VIE À DEUX AU RYTHME D’UN

QUARTIER, D’UN TERRITOIRE.

dessinée par le collectif d’architectes YA+K, aurait vocation à s’installer sur ces zones délaissées. Une partie du bâtiment, sorte d’Algeco, pourrait s’en extraire pour sillonner le territoire. Sur la question du flux de construction/déconstruction, le Modulo présenterait un outil adaptable au contexte de ville en mutation. Lieu de fabrique et de rencontre avec les acteurs de la ville, les artistes et les citoyens, cette enceinte mobile

ambitionne d’accompagner et d’aider l’art dans l’espace public. Si la Blanchisserie parvient à débloquer les financements nécessaires à la conception du Modulo, elle souhaite pouvoir s’implanter tous les trois à cinq ans sur un nouveau site ou à l’échelle de plusieurs villes – comme Ivry-sur-Seine et Vitry-sur-Seine, où les enjeux de mutation sont similaires.

Glennie Larue déplore un vide dans la politique culturelle de la ville sur la problématique de l’art dans l’espace urbain. La Blanchisserie entend s’en emparer. En installant son plancher ici et là ou en construisant son Modulo, le collectif ne compte pas rester passif au milieu de ce quartier qui sort de terre et veut au contraire en faire le terreau de ses productions. ◆

49SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

public, cette fois au contact des spec-tateurs. Par sa démarche d’« archéo-graphe » – chorégraphie en écho avec les lieux –, la compagnie Tangible révèle et détourne le paysage en chantier. La compagnie Caribou et ses personnages bigarrés interpellent le public lors d’actions de sensibilisation aux enjeux écocitoyens.

Comme le 6b, le collectif bénéficie d’une subvention de la Région Île-de-France au titre d’aide à la « fabrique de culture ». Le fonds de fonctionnement de ce lieu repose également sur les cotisations mensuelles des résidents et la participation journalière des compagnies temporaires.

Mais l’expulsion prochaine plane à l’horizon. L’équipe de la Blanchisserie entrevoit une alternative et imagine une construction démontable, le Modulo, pour garantir sa pérennité. Loin d’être une simple solution de repli, elle englobe une démarche d’implantation dans l’espace public. « Amener le fruit de notre travail en dehors », résume Glennie Larue, coordinatrice générale de la Blanchisserie. Le Modulo, dans son enveloppe transparente

LA BLANCHISSERIE ENTEND S’EMPARER DE LA

QUESTION DE L’ART DANS L’ESPACE URBAIN.

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L’OSTRICHPILLOW, CONÇU PAR KAWAMURA-GANJAVIAN ET PROPOSÉ PAR STUDIO BANANA THINGS, PERMET DE

S’ISOLER DU MONDE EXTÉRIEUR LE TEMPS D’UNE SIESTE.© SHADI GANJAVIAN-CONNOR/STUDIO BANANA

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Entendra-t-on un jour, en écho à la fameuse phrase de De Gaulle : « Paris, port fluvial et qui entend le rester » ? Certains en rêvent, en tout cas ! Et ce n’est ni Anne Hidalgo, la nouvelle maire de la capitale, ni Ségolène Royal, la ministre de l’Écologie, qui a déjà souligné que la transition énergétique était une priorité du gouvernement, qui contrediraient cette affirmation.

Les promoteurs du transport fluvial en région parisienne ont plus d’un argument dans leur cale. À commencer par les récents pics de pollution dont a été victime la ville. Associée à la volonté, affichée par les autorités successives, d’œuvrer en faveur de la qualité de l’air et de l’environnement en général, cette situation ne peut que rappeler aux Parisiens qu’une autre économie est possible, fondée sur un transport autre que des camions sur les routes. Les initiatives en ce sens existent déjà, mais elles pourraient être largement étendues. Elles sont en tout cas appuyées par l’Haropa-Ports, qui regroupe les ports de Paris, de Rouen et du Havre, et procure ainsi un débouché maritime à Paris. Mieux, Haropa-Ports veut faire de l’axe Seine un hub logistique de dimension européenne.

Pour l’heure, l’établissement public en charge du développement du transport fluvial en Île-de-France souligne que « chaque année plus de 20 millions de tonnes de marchandises sont opérées sur le réseau portuaire francilien, équivalant à quelque 200 000 tonnes de CO2 de moins rejetées dans l’atmosphère ». Ou, de façon encore plus palpable, à un million de camions en moins sur les routes. Sans oublier les embouteillages évités ! En outre, constate l’Haropa-Ports de Paris, le fret ferroviaire, en progression de 15 % sur les plates-formes multimodales d’Île-de-France pour la troisième année consécutive, contribue également à limiter les rejets de CO2 à Paris. Actuellement, ce sont principalement les matériaux lourds, tels ceux du BTP (sable, etc.), les déchets et les marchandises en conteneurs qui sont concernés par ces transports alternatifs.

UNE INITIATIVE EMBLÉMATIQUE Mais l’Haropa-Ports de Paris ne veut pas

s’en tenir à cela, et cherche désormais à accroître l’acheminement de marchandises manufacturées via la Seine. L’établissement public espère ainsi que certaines initiatives privées, telle celle de Franprix, seront imitées à l’avenir. L’enseigne de

supermarchés a en effet organisé une partie de sa logistique autour du port de la Bourdonnais, à quelques encablures de la tour Eiffel. Certes, les biscuits, conserves et autres denrées alimentaires sèches ou produits de grande consommation non périssables ne constituent encore qu’une infime partie de l’ensemble du trafic, mais il n’en reste pas moins que depuis quelques mois 80 des 350 magasins Franprix, situés dans neuf arrondissements de Paris et à Boulogne-Billancourt, sont ravitaillés par une barge, qui achemine quotidiennement 26 conteneurs sur les 20 kilomètres qui séparent le port de Bonneuil-sur-Marne (Val-de-Marne), près d’un entrepôt de l’entreprise, et celui de la Bourdonnais. Selon les estimations de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), le dispositif devrait, à terme, permettre de réduire chaque année les émissions de CO2 de 37 % et retirer l’équivalent de 3 874 camions des grandes voies de circulation autour de la capitale. Cette nouvelle logistique pourrait être étendue par l’enseigne à d’autres magasins et à d’autres villes, comme Lyon.

De son côté, la société Vert chez vous gère depuis deux ans un service de petits colis (moins de 30 kg) renfermant des

LA SEINE, LA VOIE DU BIOPar Lysiane J. Baudu

—LA CAPITALE RÉAPPREND À EXPLOITER SES COURS D’EAU POUR LE TRANSPORT DE MARCHANDISES.

ÉVITANT AINSI LA CIRCULATION DE MILLIERS DE CAMIONS CHAQUE ANNÉE.

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chez vous, qui compte déjà comme clients Sanofi et les magasins Muji, ne veut pas s’arrêter là. Les fondateurs, dont l’un avait œuvré à La Petite Reine, entreprise spécialisée dans les livraisons par vélos triporteurs électriques, travaillent actuellement sur un projet européen du même type.

DE NOUVELLES INFRASTRUCTURES Reste donc, face à ces initiatives privées,

à mettre à la disposition des transporteurs et des entreprises de nouvelles infrastructures, afin de développer le transport fluvial, pour qu’il participe pleinement à la transition énergétique. L’Haropa-Ports de Paris y travaille, avec une stratégie double : d’une part, la mise en service d’un « hôtel logistique » sur le port d’Austerlitz, et, de l’autre, une nouvelle plate-forme « Port Seine-Métropole » dans les Yvelines. Inauguré en juin 2013, l’hôtel logistique d’Austerlitz, d’un coût de 25 millions d’euros, vise, au-delà de la rénovation du patrimoine, à dynamiser les efforts de logistique urbaine qui privilégient l’usage du fleuve et de véhicules de livraison électriques. De plus, grâce à des infrastructures destinées au transport des passagers, il devrait également favoriser ce type de trafic sur la Seine. Quant à Port Seine-Métropole, il assurera une logistique propre pour les projets de construction du Grand Paris. Coûtant 110 millions d’euros, cette plate-forme multimodale (voie d’eau, fer, route), d’une surface de

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100 hectares, sera destinée à accueillir les flux de granulats et de matériaux de construction, ainsi que des déblais de chantier, dans le cadre des travaux.

Autant dire que la Seine ne sera pas, à l’avenir, simplement synonyme de promenades romantiques ! Et elle n’est pas non plus le seul cours d’eau qu’affectionnent les Parisiens... Le canal de l’Ourcq est lui aussi utilisé pour du transport de paniers de produits de l’agriculture biologique ou raisonnée, distribués aux quelque 200 sociétaires du « Marché sur l’eau ». Depuis mai 2012, cette association distribue en effet des produits frais et locaux transportés par bateau jusqu’à la capitale. Deux fois par semaine, un ancien chaland ostréicole part de Meaux et, après quatre heures de navigation sur le canal, amarre à Pantin, puis à la Rotonde (dans le XIXe arrondissement), pour livrer les paniers. L’initiative a été récompensée par L’Atelier, le centre de ressources de l’économie sociale et solidaire sur le territoire francilien. « Nous avons choisi Marché sur l’eau parce que le projet est complet, explique Julien Bottriaux, le responsable de la promotion de L’Atelier. Non seulement il s’agit d’une association, née d’une initiative citoyenne en réponse à un besoin sociétal et environnemental, mais en plus, Marché sur l’eau fait à la fois la pédagogie d’une consommation responsable et en circuit court, et celle d’un mode de transport doux. » C’est un modèle gagnant pour tous. ◆

À GAUCHE : LES CONTENEURS DE FRANPRIX

PARCOURENT CHAQUE JOUR 20 KM SUR LA

MARNE PUIS LA SEINE POUR RALLIER PARIS.

CI-DESSUS : L’ASSOCIATION MARCHÉ SUR

L’EAU, CRÉÉE EN 2011, DISTRIBUE DES

PRODUITS TRANSPORTÉS PAR BATEAU.

objets aussi variés que du courrier, des meubles, des produits de grande consommation – alimentaires et non alimentaires, y compris des produits frais qui ne nécessitent pas de réfrigération – distribués dans Paris intra-muros, le tout grâce à deux modes de transport alternatifs : une péniche associée à une flotte de 18 vélos triporteurs utilitaires électriques embarqués. D’abord chargés dans des conteneurs depuis l’entrepôt de Chennevières-sur-Marne jusqu’au port de Bonneuil-sur-Marne, puis embarqués vers le port de La Bourdonnais, les colis sont ensuite déchargés et installés sur des châssis routiers. Une flotte de 15 camions Vert chez vous (électriques ou au gaz) transporte la marchandise du dépôt de Pantin au quai de Tolbiac. Puis les colis sont déplacés sur une péniche à l’aide d’une grue. Pendant la navigation sur la Seine, les marchandises sont chargées sur les triporteurs électriques. Chaque année, grâce à cette logistique sans failles, environ 6 700 conteneurs sont ainsi transportés, représentant 113 000 palettes ou encore 14 tonnes par jour, dans 2 000 à 3 000 colis. Mais surtout, cela signifie l’équivalent de 450 000 km de transports routiers en moins par an ! La société Vert

Inauguré le 11 mai 2010, le nouveau terminal ferroviaire du marché international de Rungis (MIN), situé à 7 km au sud de Paris sur les communes de Rungis, Chevilly-Larue et Fresnes, est aujourd’hui un équipement sans équivalent en Europe. Cofinancés à hauteur de 19 millions d’euros par la Région Île-de-France (6,65 millions d’euros), le conseil général du Val-de-Marne (6,25 millions), la SNCF (3,05 millions) et la société gestionnaire du marché international de Rungis, la Semmaris (3,05 millions), les importants travaux de restructuration et d’aménagement avaient permis l’installation d’une plate-forme ultramoderne de transbordement de trains entiers, au cœur de l’un des plus gros marchés alimentaires du monde.

Depuis quatre ans, les deux quais gigantesques (370 mètres de longueur et 10 mètres de largeur) accueillent deux trains de 24 wagons frigorifiques d’une capacité de 1 100 tonnes chacun, cinq jours par semaine (plus un le samedi), en provenance de Perpignan. Remplis de fruits et légumes cultivés dans le sud de la France, en Espagne ou au Maroc, ils arrivent au petit matin (à 2 h 30 et 4 h 30) après un voyage de 900 km effectué à plus de 100 km/heure. Déchargés en trente minutes (contre deux heures auparavant),

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30 camions (ce qui représente 10 000 poids lourds par an en moins sur les routes).

DES RÉSULTATS EN QUESTION L’utilisation du terminal est pourtant

aujourd’hui source d’incertitudes. Si le directeur du développement de la Semmaris, David Bourganel, insiste sur le fait que, grâce à ces aménagements, la part du train est désormais « à la fois colossale et unique dans le secteur de l’approvisionnement », il n’hésite pas à nuancer fortement cette réussite. « Alors que l’ambition de départ était de doubler l’arrivage par le fer avec la nouvelle installation, le tonnage annuel acheminé a stagné depuis quatre ans », reconnaît- il. Un bilan qui pose aujourd’hui selon lui « la question de la pérennité de ce type de transport à Rungis et, à terme, celle de l’avenir du terminal ».

Et d’avancer plusieurs facteurs pour expliquer une telle stagnation. D’une part, la demande de fruits et légumes n’a pas augmenté comme prévu du fait de la crise et de la baisse du pouvoir d’achat : malgré les millions de consommateurs visés par le MIN (via les grossistes et les grandes surfaces), on ne remplit pas tous les jours les convois qui partent de Perpignan. D’autre part, le manque de flexibilité du train s’accorde mal avec une activité par définition saisonnière. Pendant la période

ils sont ensuite acheminés dans des pavillons dédiés à l’aide de petits trains sur roues. Ce sont ainsi plus de 200 000 tonnes qui rejoignent Rungis par le rail chaque année, soit près de 25 % des arrivages globaux du MIN en fruits et légumes.

Ce mode de transport présente de nombreux avantages : sécurisation et rapidité des approvisionnements ; respect de la chaîne du froid (trois modules de stockage réfrigérés de 70 m2 peuvent ainsi être installés sur les quais pour protéger les produits fragiles, notamment les fruits rouges) ; performance environnementale, puisque chaque train « remplace »

QUEL AVENIR POUR LE TERMINAL DE

RUNGIS ?Par Alban Sumpf

—MALGRÉ DES BÉNÉFICES ENVIRONNEMENTAUX

INDÉNIABLES, LE BILAN DU NOUVEAU TERMINAL FERROVIAIRE DU MARCHÉ DE RUNGIS SUSCITE

UNE CERTAINE INQUIÉTUDE. ET OBLIGE À CHERCHER DES

SOLUTIONS.—

55SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

SI LE RAIL EST PEU RENTABLE POUR LE MOMENT, NUL

DOUTE QUE SES AVANTAGES ÉCOLOGIQUES ET, À

TERME, ÉCONOMIQUES, LE RENDRONT BIENTÔT

INCONTOURNABLE.

LE MARCHÉ DE RUNGIS VOIT TRANSITER

CHAQUE ANNÉE PLUS DE 1,3 MILLION DE

TONNES DE PRODUITS ALIMENTAIRES.

ENVIRON UN QUART DES FRUITS ET

LÉGUMES QUI Y SONT PROPOSÉS SONT

ACHEMINÉS PAR LE RAIL.

en avant un approvisionnement propre auprès des consommateurs sensibles à ces questions. Pour impliquer et responsabiliser en promouvant un choix stratégique et politique, les collectivités comme les pouvoirs publics sont aussi mis à contribution. À titre d’exemple, le conseil général du Val-de-Marne sélectionne les prestataires fournissant les cantines du département sur le critère écologique de l’acheminement des produits. Sollicitées très récemment, la Ville de Paris et la Région Île-de-France pourraient elles aussi prendre des initiatives destinées à valoriser le terminal et le transport par rail. C’est une question d’avenir, de choix de société, et donc de politique. ◆

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creuse de faibles récoltes, les wagons quotidiens arrivant à Rungis sont partiellement vides, alors que le coût du transport est le même. Enfin, et c’est sans doute le point principal, les trains repartent souvent à vide vers le Sud, ce qui est une perte sèche. Alors qu’auparavant, pour satisfaire à la demande des constructeurs espagnols, les convois étaient chargés à bloc d’outils et autres matériaux de construction.

Le train souffre aujourd’hui plus que jamais de la compétition avec le transport routier, moins coûteux, car plus flexible. Un camion ne roule jamais à vide bien longtemps ; il peut varier à loisir ses itinéraires et adapter ses cargaisons en fonction des besoins commerciaux du moment, alors qu’avec le transport ferroviaire on suit tous les jours la même ligne fixe et sans étapes. Une différence de rentabilité importante qui explique d’ailleurs la rareté encore persistante de tels dispositifs en Europe. Et le risque aujourd’hui réel d’abandonner cette option tant les différents acteurs en charge de son exploitation (surtout la SNCF) ne s’y retrouvent pas financièrement. La place étant rare à Rungis, l’importante superficie (20 hectares) destinée aux rails et aux quais serait alors consacrée à de nouveaux entrepôts, ce qui de facto rendrait impossible un retour en arrière.

DES PISTES POUR SAUVER LE TERMINAL Malgré ce constat, les différents acteurs

concernés sont persuadés qu’il faut chercher à maintenir ce système novateur. Optimiste, David Bourganel est ainsi convaincu de l’avenir de ce transport et prêt à activer tous les leviers possibles pour le conserver et le développer. Pour lui, si cette solution conforme au développement durable est peu rentable pour le moment, nul doute que les avantages écologiques et, à terme, économiques (avec la hausse du prix du carburant et des taxes routières) la rendront bientôt incontournable.

Il importe par conséquent de redéfinir les flux et les marchandises, afin d’optimiser toute l’année ces équipements. Différentes solutions sont à l’étude pour

remplir les wagons en toute saison, notamment au retour de Rungis. Si l’acheminement de ciment vers l’Espagne (via Perpignan) au départ de Rungis a fait long feu en raison de la crise du BTP, on envisage aujourd’hui de travailler avec les maraîchages de l’Ouest pour desservir le Sud-Ouest en passant par Rungis.

Il est aussi question de mieux convaincre les clients du MIN, notamment les grandes surfaces, qui pourraient mettre

L’Histoire, comme un ruminement, prend parfois la forme d’une boucle. Elle revient sur elle-même pour avancer. C’est le sens des révolutions et c’est justement grâce à celles de l’énergie et des nouvelles technologies que l’épopée du dirigeable est en passe de prolonger son histoire. Les paquebots volants qui ont flotté dans le ciel des années 1920 pourraient bien avoir un avenir dans celui de 2020.

L’ÉLOGE DE LA LENTEUR Première mondiale, c’est en Île-de-

France qu’a eu lieu le premier vol motorisé et contrôlé d’un dirigeable. Le 24 septembre 1852, Henri Giffard parcourt les

27 kilomètres qui séparent l’hippodrome de Paris et Trappes dans le dirigeable à vapeur de sa conception. Un exploit. Cent soixante ans plus tard, c’est toujours en Île-de-France que l’un des quatre dirigeables Zeppelin volant au monde permet au grand public de vivre une expérience aéronautique et touristique rarissime. Airship Paris, jeune entreprise née en 2011, propose depuis l’année dernière des vols au départ de l’aérodrome de Pontoise. « Paris est la seule capitale mondiale qui permette à un dirigeable d’évoluer près de son espace aérien », explique Éric Lopez, le fondateur de la société. Au programme, le survol des châteaux de Chantilly et de Giverny, des

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boucles de la Seine et de la campagne de l’Ouest parisien. De juin à septembre, Airship Paris met en mouvement ce balcon volant selon des formules allant de trente minutes à une heure et demie. Douze passagers peuvent ainsi admirer le paysage à travers de larges vitres ouvertes sur l’histoire, le patrimoine et les jardins à la française. « Le dirigeable est un éloge de la lenteur, poursuit Éric Lopez, et nos passagers peuvent déambuler dans la cabine pour observer le panorama à leur gré. »

Mais le volet touristique n’est pas suffisant pour développer l’activité. Même si Airship Paris réalise près de trois cents heures de vol pendant l’été et utilise le

UNE BULLE D’HÉLIUM DANS LE CIELPar Jean-Marie Urlacher – Info-pilote

—POUR LA DEUXIÈME ANNÉE CONSÉCUTIVE, UN DIRIGEABLE VA SILLONNER LES AIRS FRANCILIENS.

AIRSHIP PARIS PROPOSE DES VOLS TOURISTIQUES AU DÉPART DE PONTOISE ET PARTICIPE À DES MISSIONS SCIENTIFIQUES AU-DESSUS DE LA CAPITALE. POTENTIEL VECTEUR D’ÉCOMOBILITÉ,

C’EST DANS LE TRANSPORT DE FRET QUE LE DIRIGEABLE A UN BEL AVENIR.—

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LE DIRIGEABLE EN CHIFFRES

4 : nombre de Zeppelin qui volent dans le monde 15 EUROS : prix de 1 m3 d’hélium 15 MILLIONS D’EUROS : prix du dirigeable12 : nombre de places assises20 M2 : surface de la cabine75,1 M : longueur du dirigeable (semblable à celle d’un A380)17,4 M : hauteur (immeuble de cinq étages)19,5 M : largeur (une autoroute quatre voies)1100 KM : distance franchissable3 000 EUROS : prix d’une heure de vol8 425 M3 : volume de l’enveloppe

dirigeable comme support publicitaire, l’entreprise mène une réflexion élargie quant à la réintroduction des dirigeables dans le secteur du travail aérien.

LE POTENTIEL DU FRET Les dirigeables ont connu leur âge d’or

dans l’entre-deux-guerres, avec notamment le transport de passagers. À cette époque, une traversée de l’Atlantique, pour rallier Francfort à Lakehurst (près de New York), prenait une soixantaine d’heures et offrait à une centaine de voyageurs le confort du paquebot sans ses inconvénients. Mais la logique économique du dirigeable s’est émoussée sur l’autel de la rentabilité. L’efficacité croissante des avions, les contraintes météorologiques et le spectaculaire accident de l’Hindenburg en 1937 ont précipité la fin du transport commercial. Cependant, aujourd’hui, si le rapport kilomètre parcouru/emport de passagers n’est toujours pas en faveur du dirigeable, la nouvelle donne sociétale et la prise de conscience environnementale lui offrent de nouveaux horizons.

Ainsi, la sécurité des dirigeables modernes a été grandement améliorée et ils ont bénéficié d’une forte évolution technologique. L’hydrogène a cédé sa place à l’hélium – stable et non inflammable –, l’enveloppe des ballons est désormais en Tedlar, le carbone et l’instrumentation numérique ont fait leur apparition. D’un point de vue écologique, le dirigeable permet à mission égale d’avoir « un impact en CO2 trente fois inférieur à celui d’un hélicoptère et quinze fois moins important que celui

d’un avion léger », annonce Éric Lopez. Et ce n’est pas tout : « Il a une faible empreinte sonore, inférieure à 62 dBA, une capacité à rester en l’air pendant vingt-quatre heures d’affilée et nous travaillons aussi sur une motorisation hybride. » Aujourd’hui, Airship Paris réalise des missions d’utilité publique au-dessus de la capitale en menant des opérations de surveillance de la qualité de l’air ou de mesure de radioactivité. Relais télécom, missions d’observation et relevés climatologiques, les idées de développement ne manquent pas.

Mais « le réel potentiel du dirigeable est dans le transport de fret », prédit le CEO d’Airship Paris. D’autres projets comme l’Airlander militent en ce sens. Avec des aéronefs dont la capacité d’emport serait de 50 à 250 tonnes, les dirigeables pourraient intervenir en complément du transport routier et ainsi alléger le trafic, à l’image des péniches sur la Seine. « Avec un dirigeable, il n’y a pas de rupture de charge, poursuit-il. On fait du point à point, le rapport tonne/kilomètre est cette fois à notre avantage. » Déjà, les spécialistes annoncent des ballons capables d’emporter 10 tonnes d’ici à 2020. ◆Contact : www.airship-paris.fr

LE DIRIGEABLE PERMET À MISSION ÉGALE D’AVOIR

UN IMPACT EN CO2 TRENTE FOIS INFÉRIEUR À CELUI D’UN HÉLICOPTÈRE ET QUINZE FOIS

MOINS IMPORTANT QUE CELUI D’UN AVION LÉGER.

BIEN QUE SA CABINE SEMBLE

PETITE AU REGARD DE SES

DIMENSIONS GLOBALES, LE

ZEPPELIN D’AIRSHIP PARIS

OFFRE UN POINT DE VUE

ÉPOUSTOUFLANT SUR LA

RÉGION, GRÂCE NOTAMMENT À

SES FENÊTRES PANORAMIQUES,

DANS DES CONDITIONS DE

CONFORT OPTIMALES.

SAVOURER

LE FOOD TRUCK LEONI’S DELI PROPOSE DANS LA CAPITALE DES HOT DOGS BIO AVEC DES INGRÉDIENTS PRODUITS LOCALEMENT.

© PIERRE-EMMANUEL RASTOIN

Tout commence un jour de froid. C’est l’heure du déjeuner, Domitille Flichy sort d’un entretien d’embauche peu concluant et passe s’acheter un en-cas dans une boulangerie. Elle s’y serait volontiers installée pour se réchauffer, mais le cadre ne la retient pas. Tant pis, elle avale son sandwich dans le bus. La jeune femme a étudié le droit du travail et la sociologie. Elle prend à cœur la question de l’insertion professionnelle, notamment l’emploi des femmes les plus défavorisées. Elle a débuté sa carrière de chargée de mission au sein de conseils

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LES MAINS DANS LA PÂTEPar Hélène Martinez

—SOLIDAIRE ET RESPONSABLE, FARINEZ’VOUS

ACCUEILLE DES ADULTES EN RECONVERSION POUR LES FORMER AUX MÉTIERS DE LA

VENTE ET DE LA PRODUCTION EN BOULANGERIE. UNE PREMIÈRE.

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généraux sur des projets de réinsertion professionnelle pour les bénéficiaires du RMI. Monter son propre projet ? Elle n’y a jamais vraiment pensé. Mais ce 2 janvier 2008, dans le bus, Domitille change d’optique et décide d’ouvrir une boulangerie « créative ». Où, justement, on pourra non seulement s’approvisionner en bon pain, mais aussi partager des idées, et qui offrirait surtout un cadre de réinsertion. Un an et neuf mois plus tard, Farinez’vous, première boulangerie solidaire, ouvre ses portes entre Bercy et la gare de Lyon, à Paris.

Pour concrétiser son projet et le trans-former en réussite économique, la jeune entrepreneure sociale a pendant neuf mois sonné à toutes les portes. Elle a activé son réseau de l’économie sociale et solidaire et démarché les investisseurs. Farinez’vous reçoit le soutien de la Ville de Paris, de la Nef, des Cigales, de France Active, entre autres. Les banques adhèrent à son modèle. L’Union régionale des entreprises d’insertion (UREI) lui accorde l’agrément d’entreprise solidaire. Antoine Soive, jeune boulanger fort d’une expérience dans l’insertion à l’étranger, rejoint l’aventure. Domitille apporte ses compétences administratives et de gestion, Antoine, son savoir-faire. En

Certains vont même jusqu’à obtenir une qualification. L’un de nos boulangers a passé son CAP en candidat libre et l’a obtenu. Il était totalement novice en arrivant chez nous », relate Domitille. Élisabeth, chargée d’accompagnement, intervient une journée par semaine afin d’assurer un suivi auprès des salariés. « Elle les écoute et permet à tous d’objectiver des situations. Elle est à la fois médiatrice, RH et assistante sociale. Elle répond aux problématiques professionnelles et parfois privées, sur des questions de santé ou de logement qui pourraient influer sur la vie au travail et l’insertion. Elle joue un rôle central dans la dynamique de Farinez’vous, estime la chef d’entreprise de 35 ans. Certaines personnes vivent des situations difficiles. Elles apprennent, travaillent, reçoivent un salaire et reprennent confiance en elles. On observe de beaux parcours. »

OBJECTIF ZÉRO POLLUTION Domitille Flichy conjugue solidarité et

développement durable. Sa boulangerie artisanale privilégie des produits locaux, issus de l’agriculture raisonnée ou biologique et du commerce équitable. Des pains aux viennoiseries, des sandwichs aux salades, tout est fabriqué sur place, avec une pointe de créativité au gré des saisons et dans le respect d’une charte de qualité. Favorable aux circuits courts, réfractaire au surgelé, la gérante tâche de fournir des produits « le moins possible impactés par cette industrie agroalimentaire qui va survivre à la planète ». Cette vision responsable, Domitille l’applique à tous les niveaux de son activité. Farinez’vous propose quotidiennement un service de livraison en triporteur : zéro émission de CO2, zéro pollution. Dans ses espaces de restauration conviviaux, les tables ont été fabriquées à partir de chêne issu de forêts durablement gérées, le mobilier et la vaisselle ont été chinés dans des brocantes et des associations. Pour meubler la nouvelle boutique, Domitille a fait appel au financement participatif via My Major Company. Une boulangerie entièrement vertueuse en somme. ◆

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2011, Farinez’vous sort lauréat du programme d’accompagnement des entreprises sociales dans le changement d’échelle, Scale up, développé par l’Essec. Un nouveau coup de pouce. Depuis, Antoine Soive, resté associé, est parti fonder sa propre boulangerie d’insertion à Montpellier, Drôle de pain. Et Farinez’vous continue de se développer. La recette de Domitille est la bonne. Aujourd’hui, elle compte 13 salariés, dont quatre contrats d’insertion. Cette année, une seconde boulangerie a vu le jour dans le XIIIe arrondissement de Paris. Et Farinez’vous a reçu le prix des jeunes entrepreneurs 2013 de La Tribune et le trophée Ashoka.

Sylvain Fauroux, responsable administratif et de l’ingénierie financière à L’Atelier (Centre de ressources régional de l’économie sociale et solidaire) a transmis son expertise à Domitille pour le lancement de sa nouvelle boutique. « Rares sont les femmes à entreprendre dans ce secteur, Domitille est la première à avoir apporté ce volet social », explique-t-il. En relation avec Pôle emploi et des référents sociaux, Farinez’vous recrute des personnes en situation précaire. « Ce métier peut accueillir et former des débutants, puis les faire monter en gamme.

DOMITILLE

FLICHY (EN

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ÉQUIPE DE

BOULANGERS

ET VENDEURS.

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À CŒUR DE

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ENTREPRISE

SOCIALE ET

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ET PARIS FAIT SON MIEL…Par Jean-François Mongibeaux

—ON LES PENSAIT EN VOIE DE DISPARITION, C’EST TOUT LE CONTRAIRE. LA CAPITALE EST

EN PASSE DE DEVENIR LE PARADIS DES ABEILLES ET DES APICULTEURS. LE MIEL DE PARIS EST DE PLUS EN PLUS RÉPUTÉ, DES MARQUES DE LUXE N’HÉSITENT PAS À LE RÉFÉRENCER. MAIS C’EST AVANT TOUT PAR LE LIEN SOCIAL CRÉÉ AUTOUR DES RUCHERS QU’IL SE DISTINGUE.

Il y a très très longtemps, raconte une vieille légende éthiopienne, un ermite retiré dans l’une des églises souterraines de Lalibela devint le roi des abeilles. S’inspirant de l’exemple de ses petits sujets ailés, il édifia pour les humains une cité extraordinaire conçue comme une énorme ruche. Dans cette ville idéale, la convivialité, la solidarité, la cohésion régnaient, tandis qu’une sage exploitation des ressources naturelles assurait un renouvellement permanent.

L’abeille, symbole ancestral de l’économie solidaire ? du respect de l’environnement ? du développement durable ? de la sauvegarde de la biodiversité ? du mieux vivre ensemble ? du renforcement du lien social ? Thierry Duroselle ne s’étonne guère de cette adéquation entre légende et Histoire, poésie et sciences, passé et avenir. Courbé sur une ruche du parc insoupçonné de l’institut national des Jeunes Sourds (INJS), rue Saint-Jacques, à quelques vibrations d’aile seulement du Panthéon et du jardin du

THIERRY DUROSELLE A

DÉVELOPPÉ AVEC LA SOCIÉTÉ

CENTRALE D’APICULTURE

L’API-PÉDAGOGIE POUR LES

ENFANTS MALENTENDANTS.

Luxembourg, ce spécialiste des abeilles l’affirme : « Un rucher bien conduit n’est pas stricto sensu destiné à produire des kilos de miel. C’est un patrimoine et une attitude de vie que l’on transmet aux générations futures. »

L’API-PÉDAGOGIE Son harnachement blanc et son

chapeau à larges bords font ressembler l’apiculteur à un extraterrestre tombé de la Lune. Pourtant, de toute évidence, ce sexagénaire a bien les pieds sur terre. Dirigeant de la Société centrale d’apiculture (SCA), une vénérable institution créée au début du siècle dernier, animateur infatigable de multiples activités pédagogiques, associatives ou académiques ayant l’abeille pour unique objet, Thierry Duroselle est l’un des initiateurs passionnés d’une activité aujourd’hui en plein essor à Paris : l’api-pédagogie. Ou l’art d’enseigner que les abeilles ont plus à

nous apprendre que les hommes sur l’écologie et la bonne façon de vivre ensemble sur la Terre. Cette tendance urbaine en plein développement a de nombreux adeptes – on parle de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Écoliers ou retraités, néophytes candides ou amateurs éclairés, employés et cadres au coude à coude se ressemblent sous leurs tenues immaculées, se rassemblent par essaims entiers dans les nombreux ruchers de la capitale (elle en compte aujourd’hui plus de 300 déclarés) et se perchent parfois sur les toits des édifices les plus prestigieux, tels l’opéra Garnier, Notre-Dame de Paris ou le Grand Palais, ce qui ajoute encore à l’insolite de la situation.

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Cet engouement est sans précédent. « Il y a peu de temps encore, se réjouit avec son accent chantant l’un des responsables de l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF), les apiculteurs étaient perçus comme des babas cool un peu philosophes sur les bords. Mais aujourd’hui, les uns et les autres reconnaissent que nous sommes d’une modernité absolue. À travers l’abeille, ne posons-nous pas les vraies questions de société ? Et s’il y a moins d’apiculteurs dans les campagnes, n’y en a-t-il pas de plus en plus dans les villes ? » Titulaire d’une maîtrise d’histoire, Henri Clément, un Cévenol, a émigré dans la capitale pour perpétuer « une tradition bien française » et défendre les intérêts des apiculteurs et ceux de leurs chères abeilles. Depuis son arrivée à Paris, ville mellifère par excellence, il s’est forgé une réputation de « Rambo anti Gaucho » – Gaucho étant le nom d’un insecticide particulièrement meurtrier pour les abeilles. Dans cette lutte homérique, Henri Clément se bat sans relâche contre la puissante armée des

firmes agrochimiques tueuses d’abeilles. C’est lui par exemple qui a pris à témoin l’opinion publique en initiant l’opération de sensibilisation « L’abeille, sentinelle de l’environnement », lancée par l’UNAF en 2005. On se souvient que, à l’époque, la disparition prévue des abeilles causée par l’utilisation de pesticides et autres poisons chimiques déversés massivement sur les zones agricoles laissait présager une catastrophe écologique sans précédent. On parlait d’une pénurie presque générale de fruits et de légumes imputable à la future extinction de l’espèce. À ce désastre écologique devait s’ajouter une catastrophe humanitaire susceptible de provoquer d’innombrables victimes collatérales : nous, les humains, menacés d’être privés des produits agricoles assurant une large part de notre alimentation ! De ce mal programmé, si l’on ose dire, est né un bien : la prise de conscience quasi générale que les abeilles sont les meilleures amies de l’homme. Cette campagne a de façon providentielle fait mieux entendre la prédiction prêtée à

Albert Einstein : « Si l’abeille disparaissait de la surface de la Terre, l’homme n’aurait plus que quelques années à vivre. » Ce qui fait dire non sans humour à Jean Lacube, secrétaire général de l’UNAF : « Qui sait si demain les chats et les chiens ne vont pas être surpris de voir leurs maîtres ne manger que du pain au petit déjeuner car, sans abeilles, plus de miel ! Plus de confiture ni de beurre, ni de café, ni de lait. Rien que du pain sec. »

Aujourd’hui, les abeilles n’ont heureusement pas disparu. Elles sont même devenues l’objet, sinon d’un culte, au moins d’un fantastique intérêt qui a lui-même suscité un engouement croissant. Une sorte de tendance lourde alimentée par les multiples campagnes d’information, d’animation, d’explication, de sensibi-lisation répétées à l’envi par les très nombreuses associations et institutions apicoles, en tête desquelles l’UNAF, la SCA ou l’Association de développement de l’apiculture en Île-de-France. À ce combat pacifique pour la reconnaissance de l’abeille se sont associés des établissements privés ou publics, telle la Région Île-de-France, qui a fait de la protection et de la promotion de l’abeille l’un de ses dossiers fétiches.

UN VECTEUR DE LIEN SOCIAL Sur ces actions de sensibilisation et de

défense des apiculteurs, les syndicats agricoles étaient déjà en première ligne, mais l’importante médiatisation du sort des professionnels du secteur a donné plus de poids à leurs revendications. Ce qui est

À PARIS, UNE

RUCHE PERMET

D’OBTENIR EN

MOYENNE 27 KG

DE MIEL CHAQUE

ANNÉE. DE FAÇON

ÉTONNANTE, LA

CAPITALE EST

PARTICULIÈREMENT

PROPICE À CETTE

PRODUCTION.

le plus notable, c’est la participation de plus en plus active et innovante des établissements scolaires ou parascolaires dans la défense et l’illustration de l’abeille. De plus en plus de professeurs de l’Éducation nationale trouvant là un « outil vivant » pour sensibiliser les enfants aux sciences naturelles. Stimulant leurs élèves pour leur faire approcher un insecte en principe redouté, écoles, collèges et lycées envoient sur ce front pacifique des troupes fraîches de plus en plus motivées.

Plus ambitieux encore est le projet de la SCA, qui souhaite s’engager plus fortement dans le soutien de programmes indépendants de recherche sur les abeilles, mettant à la disposition des scientifiques sa bibliothèque couvrant plus de trois siècles d’apiculture. Et il faut également citer dans ce tableau d’honneur certaines maisons de retraite, telle celle de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, qui ont pris l’initiative courageuse d’introduire des ruches dans leurs jardins... pour le plus grand plaisir de leurs pensionnaires, ragaillardis par l’énergie communicative de leurs

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CI-DESSUS : NICOLAS GÉANT, APICULTEUR

VEDETTE DE LA CAPITALE, S’OCCUPE DES

RUCHES INSTALLÉES SUR LE TOIT DE

PLUSIEURS GRANDES ENTREPRISES.

CI-CONTRE : INAUGURATION DES RUCHES

LOUIS VUITTON EN AVRIL 2009.

EN HAUT À GAUCHE : LE CHEF CUISINIER

DE LA TOUR D’ARGENT. LE CÉLÈBRE

RESTAURANT VEND ET CUISINE LE

MIEL PRODUIT SUR SON TOIT.

vendu à prix d’or : 125 euros le kilo pour la Tour d’argent, 100 euros pour Patrick Roger. Un miel précieux sur lequel veille avec grand soin Nicolas Géant, la star des apiculteurs dans la capitale.

LUTTER CONTRE LE HANDICAP Mais revenons à nos moutons, ou

plutôt à nos abeilles de l’institut national des Jeunes Sourds de Paris. Car c’est là que des abeilles offrent la plus belle illustration de leurs talents : elles aident des enfants en difficulté à retrouver de l’intérêt pour leurs études ou tout simplement le désir de s’insérer ou de se réinsérer dans la société.

nouvelles petites voisines. Une initiative d’api-thérapie qui commence timidement à faire des émules.

Nous ne saurions clôturer cette énumération sans citer des marques de luxe, tels Louis Vuitton ou Hermès, des restaurants comme la Tour d’argent, des hôtels tels que l’Eiffel Park, situé au pied de la Tour, ou encore certaines boutiques gourmandes comme le chocolatier Patrick Roger, qui ont jugé bon d’accueillir des abeilles sur leurs toits afin que ces petites ouvrières jamais en grève œuvrent à la gloire de leurs enseignes autant qu’à la production de leur miel. Celui-ci est ©

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À l’INJS, Thierry Duroselle, toujours déguisé en extraterrestre, explique le pourquoi et le comment de ces ruchers dits pédagogiques qui commencent à s’installer discrètement à Paris et dans sa région. « De plus en plus, les abeilles suscitent un réel intérêt, non seulement pour leur capacité à vivre en colonies bien organisées ou à produire du miel, mais aussi parce que l’on commence à mesurer leur impact sur notre environnement. Elles favorisent de ce fait des réunions publiques qui aident à leur tour à faire germer de belles idées. La rencontre de l’enfant avec l’abeille suscite un réel émerveillement. Beaucoup d’apiculteurs chevronnés le savent bien, eux qui accueillent dans leurs ruchers les élèves des écoles et perpétuent ainsi la tradition des curés et des instituteurs d’autrefois. »

Projetant un nuage de fumée avec une sorte de petit arrosoir afin de calmer les abeilles qui bourdonnent autour de son voile, Thierry Duroselle poursuit non sans émotion : « Vous pouvez mieux imaginer maintenant tout le bien que peut procurer cette découverte à des enfants handicapés. Des enfants qui peuvent s’épanouir grâce à ce type de projets. » Dans le numéro de la revue de l’INJS publié à l’occasion d’une Fête du miel, on peut lire que lorsque des familles ont regretté que la production de miel n’ait pas permis de satisfaire tout le monde, les apiculteurs en herbe et en verve leur ont répondu avec

la Monty Python. Résultat inespéré : une quarantaine de kilos de miel sont recueillis chaque année dans ce cadre surréaliste.

LE BONHEUR EST DANS LES RUCHES Pour rester dans les paradoxes apicoles,

on apprend avec surprise que les abeilles de Paris intra-muros produisent 27 kg de miel par ruche, soit plus que les abeilles de la Grande Couronne, avec seulement 20 kg. Elles connaissent également un taux de mortalité plus faible à Paris, 11 %, que par exemple dans les Yvelines, où on atteint 20 % d’après une étude réalisée sur trois années consécutives par Natureparif, l’agence régionale pour la nature et la biodiversité en Île-de-France. Des chiffres inattendus qui posent question. Ces résultats seraient en partie dus, autre paradoxe, à la qualité de l’air parisien, qui ne serait pas infecté par les produits phytosanitaires et les engrais qui empoisonnent nos campagnes. Mais ces performances étonnantes des abeilles urbaines s’expliqueraient surtout, selon les apiculteurs, par les températures plus élevées dans la capitale (deux degrés de plus qu’en grande banlieue), qui conviennent mieux aux abeilles et de ce fait augmentent leurs performances et leur résistance.

Heureuses à Paris, les abeilles ? En tout cas, elles font des heureux. Ceux qui les traitent comme des vaches à lait, ou plutôt à miel, carnets de commandes en mains. Mais aussi et surtout ceux qu’elles fascinent, intriguent, émeuvent, interrogent. Ceux, enfin, qui les aiment ou qu’elles-mêmes aiment et aident à vivre mieux ensemble. Tous se retrouveront au coude à coude cette année aux APIdays (1), ces journées nationales de l’abeille sentinelle de l’environnement qui auront lieu du 19 au 21 juin. Ce rendez-vous gratuit, ludique et festif, soutenu notamment par le conseil régional d’Île-de-France, est l’occasion rêvée pour les api-pédagogues et les api-thérapeutes d’échanger leurs expériences. Ces retrouvailles de plus en plus courues se dérouleront dans 30 lieux à Paris et en région parisienne, ainsi que dans 70 villes en France, en outre-mer et à Monaco. Avec une surprise : de jeunes mariés amoureux des abeilles doivent venir en tenue blanche, d’apiculteurs bien sûr, pour… leur lune de miel.◆(1) www.abeillesentinelle.net

67SUPPLÉMENT ÎLE-DE-FRANCE

autorité : « Nos abeilles on été informées de votre réclamation et elles ont promis de se concentrer davantage et de travailler plus sérieusement au deuxième et au troisième trimestres. »

DES EMPLACEMENTS INSOLITES Autres lieux, autres étonnements !

C’est dans une caserne de pompiers et une agence de communication du XIe arrondissement de Paris que nous avons trouvé des ruches pas comme les autres. D’abord, les pompiers. Lors d’une manifestation d’apiculteurs, ces soldats du feu ont récupéré des ruches et les ont installées sur le toit de leur caserne située près de la station de RER de Port-Royal. Aujourd’hui, la production de leurs petites pensionnaires apparemment reconnaissantes s’arrache sous le nom de « Miel Pompier », allusion aux autres miels parisiens, nommés, eux, « Miel Béton », tous garantis sans pesticides et appréciés pour leurs saveurs particulières butinées sur les balcons et surtout sur les 500 000 arbres que compte la capitale avec les bois de Boulogne et de Vincennes.

Quant à l’agence de communication Anatome, dont les bureaux sont situés près de la place de la Bastille, elle offre un spectacle incroyable : au milieu des ordinateurs et des paper boards, commerciaux et créatifs en scaphandres s’affairant autour de ruches bariolées jouent les apiculteurs dans une ambiance à

QUELQUES-UNES DES RUCHES LES PLUS EMBLÉMATIQUES DE LA CAPITALE 1 OPÉRA DE PARIS GRAND PALAIS NOTRE-DAME DE PARIS TOUR EDF 5 LA TOUR D’ARGENT INJS TOIT DU CRÉDIT MUNICIPAL DE PARIS MAIRIE DU IVE ARRONDISSEMENT SQUARE DE LA BUTTE DU CHAPEAU-ROUGE RUE NATIONALE 11 SIÈGE DE LOUIS VUITTON CONSEIL RÉGIONAL D’ÎLE-DE-FRANCE JARDIN DU LUXEMBOURG - PARC GEORGES-BRASSENS MAISON NATURE PARIS JARDIN D’ACCLIMATATION SIÈGE DE NATUREPARIF CASERNE DES POMPIERS DE PORT-ROYAL

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