W111PPE. Esthétique

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 W11 1PPE8 : Esthétique (Cours de M. Salignon)  « Le Polemos est le père de toutes choses » (Héraclite).  Le Polemos, entendu au sens de l’opposition, de la lutte, de la haine.Réflexion d’un point de vue esthétique et éthique (environ 5 pages dactylographiées) " Polémos (le combat) est père et roi de toutes choses. " " Ce qui s’oppose à soi est en même temps ajustement à soi, comme les tensions opposées de l’arc et de la lyre. " De cet affrontement des contraires il résulte une paix apparent e, qui masque en réalité une instabilité universelle. Il n’y a rien d’éternel ; les êtres et les choses naissent, font trois petits tours, et puis s’en vont à jamais pour être remplacés par d’autres êtres, d’autres choses ; tout est fuyant ; " Tout coule " (Panta reï), disait Héraclite. Ou encore : " On ne peut pas se baigner deux fois dans le même fleuve " ; car la seconde fois, ce n’est plus le même fleuve, puisque l’eau du premier jour a été chassée par une eau nouvelle ; et moi-même, je suis également devenu différent de ce que j'étais lors de mon premier bain, puisque le temps, inexorablement, me transforme et m’emporte. L’équilibre de la terreur.  Avec plus de deux millénaires d’avance, Héraclite venait d’inventer la guerre froide et l’équilibre de la terreur !  La paix du monde est trompeuse ; c’est une paix armée, résultant de l’affrontement équilibré de  forces qui s’annihilent. C’est l’immobilité trompeuse de deux lutteurs de bras de fer, trahie par un léger tremblement, le blanc des jointures, la sueur qui perle au front, le rictus qui tord les bouches, qui sont autant de  signes dénonçant au contraire la volonté tendue, l’effort extrême, la lutte implacable. Même la paix champêtre de la prairie est trompeuse, car elle est en réalité la somme d’innombrables tragédies minuscules. Les herbes ondulent mollement sous la brise tiède du soir d’été ; tout respire le calme et la sérénité. Pourtant, derrière chaque brin d’herbe, derrière chaque  petite fleur, des guets-apens se trament, des combats sans merci se déroulent, et chacun dévore son voisin. Car la vie, c’est la guerre. L’admirable adaptation des formes vivantes, la nage des poissons, le vol des oiseaux, la course des gazelles, tout cela résulte de la lutte implacable pour la vie, des combats incessants qui font évoluer les espèces en sélectionnant les individus les plus aptes.  La nature inanimée elle-même est modelée par la guerre. La courbe harmonieuse de la plage, le long des golfes clairs, semble avoir été dessinée par un génial paysagiste. En réalité, c’est la  guerre qui a façonné cet arc parfait ; il est né dans le fracas des tempêtes, le tourbillon des embruns, les hurlements du vent, car il est la ligne de front qui sépare deux puissances qui  s’opposent rageusement depuis des millénaires : c’est là que Poséidon l’océan, et Gaïa la terre  s’affrontent. C’est là que les flots attaquent la falaise, inlassablement, vague après vague, jusqu’à ce qu’elle s’écroule ; c’est là aussi que la terre résiste, et contre-attaque en comblant patiemment les anses les plus profondes.  La bonne marche des démocraties modernes résulte aussi de l’affrontement, entre une majorité et une opposition critique. L’ensemble des lois et des règles de nos sociétés est ainsi constitué de  strates alternées laissées par la succession de pouvoirs opposés ; au fil du temps, ces strates  s’empilent et se fondent peu à peu en un socle plus ou moins homogène, synthèse de tous les

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W111PPE8 : Esthétique (Cours de M. Salignon)

« Le Polemos est le père de toutes choses » (Héraclite).

 Le Polemos, entendu au sens de l’opposition, de la lutte, de lahaine.Réflexion d’un point de vue esthétique et éthique (environ 5 pages

dactylographiées)

" Polémos (le combat) est père et roi de toutes choses. "

" Ce qui s’oppose à soi est en même temps ajustement à soi, comme les tensions opposées de l’arc et de la lyre. "

De cet affrontement des contraires il résulte une paix apparente, qui masque en réalité une

instabilité universelle. Il n’y a rien d’éternel ; les êtres et les choses naissent, font trois petits tours,

et puis s’en vont à jamais pour être remplacés par d’autres êtres, d’autres choses ; tout est fuyant ;

" Tout coule " (Panta reï), disait Héraclite. Ou encore : " On ne peut pas se baigner deux fois dans le même

fleuve " ; car la seconde fois, ce n’est plus le même fleuve, puisque l’eau du premier jour a été

chassée par une eau nouvelle ; et moi-même, je suis également devenu différent de ce que j'étais

lors de mon premier bain, puisque le temps, inexorablement, me transforme et m’emporte.

L’équilibre de la terreur.

 Avec plus de deux millénaires d’avance, Héraclite venait d’inventer la guerre froide et l’équilibre

de la terreur !

 La paix du monde est trompeuse ; c’est une paix armée, résultant de l’affrontement équilibré de forces qui s’annihilent.

C’est l’immobilité trompeuse de deux lutteurs de bras de fer, trahie par un léger tremblement, le

blanc des jointures, la sueur qui perle au front, le rictus qui tord les bouches, qui sont autant de signes dénonçant au contraire la volonté tendue, l’effort extrême, la lutte implacable.

Même la paix champêtre de la prairie est trompeuse, car elle est en réalité la sommed’innombrables tragédies minuscules. Les herbes ondulent mollement sous la brise tiède du soir 

d’été ; tout respire le calme et la sérénité. Pourtant, derrière chaque brin d’herbe, derrière chaque petite fleur, des guets-apens se trament, des combats sans merci se déroulent, et chacun dévore son

voisin.

Car la vie, c’est la guerre. L’admirable adaptation des formes vivantes, la nage des poissons, le vol 

des oiseaux, la course des gazelles, tout cela résulte de la lutte implacable pour la vie, des combatsincessants qui font évoluer les espèces en sélectionnant les individus les plus aptes.

 La nature inanimée elle-même est modelée par la guerre. La courbe harmonieuse de la plage, lelong des golfes clairs, semble avoir été dessinée par un génial paysagiste. En réalité, c’est la

 guerre qui a façonné cet arc parfait ; il est né dans le fracas des tempêtes, le tourbillon desembruns, les hurlements du vent, car il est la ligne de front qui sépare deux puissances qui

 s’opposent rageusement depuis des millénaires : c’est là que Poséidon l’océan, et Gaïa la terre

 s’affrontent. C’est là que les flots attaquent la falaise, inlassablement, vague après vague, jusqu’àce qu’elle s’écroule ; c’est là aussi que la terre résiste, et contre-attaque en comblant patiemment 

les anses les plus profondes.

 La bonne marche des démocraties modernes résulte aussi de l’affrontement, entre une majorité et une opposition critique. L’ensemble des lois et des règles de nos sociétés est ainsi constitué de

 strates alternées laissées par la succession de pouvoirs opposés ; au fil du temps, ces strates

 s’empilent et se fondent peu à peu en un socle plus ou moins homogène, synthèse de tous les

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courants contradictoires qui traversent la société. Parfois même, les sensibilités contraires exercent ensemble un pouvoir contradictoire. C’est le cas

de la France, et de ses périodes de cohabitation entre un président et un gouvernement detendances opposées. Après avoir prudemment goûté à cette étrange mixture, les Français semblent 

 y avoir pris goût, comme s’ils étaient rassurés, pensant qu’ainsi les excès éventuels des uns

 seraient tempérés par la résistance des autres... comme la tension opposée de l’arc et de la corde

de l’arc.

 A l’inverse, c’est pour avoir refusé la critique et l’opposition  [N11] que les régimes soviétiques ont 

 sombré. De la même façon, le gâchis en Afrique aujourd’hui résulte en partie du maintien de

dictatures incapables d’évoluer et de s’adapter, par absence de critique.

 Et enfin, l’opposition, la contradiction, ne sont-elles pas les conditions nécessaires pour bâtir une personnalité solide et ouverte, pour bâtir un sain esprit critique ? L’enseignement d’une pensée

unique conduit à la fermeture de l’esprit au mieux, au fanatisme au pire. L’exemple des "jeunesses

machins" est instructif à cet égard, qu’il s’agisse des jeunesses staliniennes, ou hitlériennes, ou,bien avant elles, de la jeunesse du Moyen Age, endoctrinée dès le berceau.

Montaigne avait noté qu’il est bon de " frotter sa cervelle contre icelle d’autrui ".

http://decouverte.univers.free.fr/presocra.htm

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