voyages au cœur de trois sonates - La Lettre du musicien · 2014. 6. 26. · BEETHOVEN...

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BEETHOVEN 23 2000-2001/PIANO n°14 EPÈRES. Le contexte historique est dif- ficile pour les Autrichiens : le traité de Campoformio (octobre 1797) entérine la domination française sur le pays. Mais Beethoven admirait Bonaparte et, davan- tage, l’esprit révolutionnaire. Plus tard, il écrira la Symphonie héroïque en pensant à cette atmosphère de réformes, de pro- grès pour l’humanité, et la dédicacera au « souve- nir d’un grand homme ». Une fois Bonaparte devenu Napoléon I er , Beethoven n’y croira plus et déchirera sa dédicace. La langue de bois n’est pas passée… Il y a dans la Pathétique beaucoup d’élé- ments révolutionnaires : d’abord une certaine vio- lence, que l’on reçoit de plein fouet à l’écoute, dès le f/p du premier accord, grondant, en ut mineur. Le dernier accord du mouvement est exactement le même que le premier. Mais le chemin parcouru entre les deux est impressionnant. Tout le mouve- ment naît d’une idée et d’une seule : cet accord d’ut mineur. On pourrait même dire : la sonate entière naît de cette idée-là. Au foyer des Brunswick. Dans les années qui nous intéressent, Beethoven entame sa vie à Vienne, et il en semble heureux. Il a de nombreux amis, comme le violoniste Karl Amenda, qui tissera d’intimes liens essentiellement musicaux avec Beethoven. Mais la “pathétique” Les sonates de Beethoven sont d’une telle richesse qu’une pluralité d’approches ne saurait en épuiser ni l’intérêt ni la signification… C’est en particulier le cas dans une œuvre clé comme la sonate “Pathétique” (1798-1799). Grégoire Hetzel, qui donne ici l’analyse du premier mouvement de cette sonate, y discerne une rhétorique typiquement beethovénienne : le jeu des “symétries brisées”. Sylvie Huguenin montre l’aspect à la fois classique et novateur deux derniers mouvements. R voyages au cœur de trois sonates

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    232000-2001/PIANO n°14

    EPÈRES. Le contexte historique est dif-ficile pour les Autrichiens : le traité deCampoformio (octobre 1797) entérine ladomination française sur le pays. MaisBeethoven admirait Bonaparte et, davan-tage, l’esprit révolutionnaire. Plus tard, ilécrira la Symphonie héroïque en pensantà cette atmosphère de réformes, de pro-

    grès pour l’humanité, et la dédicacera au « souve-nir d’un grand homme ». Une fois Bonapartedevenu Napoléon Ier, Beethoven n’y croira plus etdéchirera sa dédicace. La langue de bois n’est paspassée… Il y a dans la Pathétique beaucoup d’élé-ments révolutionnaires : d’abord une certaine vio-

    lence, que l’on reçoit de plein fouet à l’écoute, dèsle f/p du premier accord, grondant, en ut mineur. Ledernier accord du mouvement est exactement lemême que le premier. Mais le chemin parcouruentre les deux est impressionnant. Tout le mouve-ment naît d’une idée et d’une seule : cet accord d’utmineur. On pourrait même dire : la sonate entièrenaît de cette idée-là.

    Au foyer des Brunswick. Dans les années qui nousintéressent, Beethoven entame sa vie à Vienne, et ilen semble heureux. Il a de nombreux amis, commele violoniste Karl Amenda, qui tissera d’intimes liensessentiellement musicaux avec Beethoven. Mais

    la “pathétique”Les sonates de Beethoven sont d’une telle richesse qu’une pluralité d’approches nesaurait en épuiser ni l’intérêt ni la signification… C’est en particulier le cas dans uneœuvre clé comme la sonate “Pathétique” (1798-1799). Grégoire Hetzel, qui donneici l’analyse du premier mouvement de cette sonate, y discerne une rhétoriquetypiquement beethovénienne : le jeu des “symétries brisées”. Sylvie Hugueninmontre l’aspect à la fois classique et novateur deux derniers mouvements.

    R

    voyagesau cœur detrois sonates

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    surtout, il rencontre les Brunswick et leursfilles, après l’échec de sa demande enmariage auprès d’une demoiselle Magda-lena Willmann. Celle-ci l’éconduira et endonnera la raison : « Il est trop laid et tropfou. » Lapidaire, mais compréhensible…Les Brunswick vont l’aérer, le rassurer etil se sentira bien chez eux. Ils sont hongrois,ont cinq enfants dont quatre filles. Bee-thoven donnera des leçons aux demoiselleset s’attachera plus précisément à Joséphineet Thérèse. Certainement, les Brunswick,comme plus tôt les Breuning, aurontdonné à Beethoven la sensation d’appar-tenir à une famille que l’alcool ne ravageaitpas, où la chaleur était palpable, et lesarmes enfin déposées… Dans un telcontexte affectif, Beethoven est capable dela plus grande douceur. Ce sentiment-là estaussi présent dans la Pathétique : ainsi, ledeuxième mouvement est une longuedétente des tensions du premier. Et, à l’in-térieur de ce chant, les sfz n’ont plus lemême sens que quelques pages auparavant.

    Le thème vivant. C’est donc un jeunehomme aux succès pianistiques indé-niables, protégé par un mécène, Lich-nowski, un jeune compositeur que lahaute société viennoise apprécie, quipublie la Pathétique. Beethoven vit alorscomme un artiste d’aujourd’hui vivraitchez son producteur ou son agent. La sur-dité lentement fait son travail, ce qui neremettra jamais en question sa détermi-nation à être musicien. Il a une “mission”,et, jusqu’au bout, il l’accomplira. C’est unhomme d’action musicale qui sait mon-nayer ses partitions et chercher des sous-cripteurs… Cette façon d’être modifieragrandement le statut des artistes. Il trans-formera le “thème” en « être musicale-ment organisé : agissant », comme le sou-ligne Blanche Selva (La Sonate, Paris,éd. Rouart-Lerolle, 1913) ; il changera parconséquent le rôle même de la musique,qui sera de moins en moins un art d’agré-ment.Les brèches ouvertes par Beethoven ne sesont jamais refermées. Si Bach a enquelque sorte construit la maison“musique”, alors Beethoven en a écarté lesmurs. Ce n’est pas un fondateur, c’est unréformateur. La Pathétique est à cetteimage.

    Sylvie Huguenin

    ES PREMIERS MOUVEMENTS dits “deforme sonate” des sonates de Haydn,de Mozart, de Beethoven ou de Schu-bert, par exemple, n’ont rien à voir lesuns avec les autres. Alors que lesthèmes si contrastés de Mozart se suc-cèdent comme autant de person-nages au caractère bien défini, Haydn

    bâtit les siens à partir d’une cellule mélodico-ryth-mique et s’adonne à tout un jeu de symétries qu’ilbrise pour nous surprendre, nous fait rire tant chaquefois il se joue de notre attente, de notre certitude, nelaissant jamais notre attention en repos. Chez lui, lethème est toujours en devenir, en perpétuel déve-loppement.Beethoven hérite de cette manière de Haydn, maisson art de la symétrie brisée s’empreint moins d’hu-mour et de surprise que de drame et de suspens.Schubert, lui, préférera chanter son infinie mélan-colie. Ses thèmes sont si beaux en eux-mêmes qu’ilne saurait les épuiser comme le fait Beethoven. Ilne fait que les répéter, les revêtant de tonalités, d’ac-compagnements, d’ornements différents.L’“analyse musicale” se limite souvent à classifier leséléments musicaux (thèmes, tonalités, différentes par-ties). Or, parler d’une forme sonate avec ses thèmesA et B, ses ponts, son développement et sa réexpo-sition, ce n’est faire qu’un exercice de description.C’est oublier que l’agencement des figures musicales

    est au service d’un souci expressif propre àchaque compositeur, et engage directement le

    processus de composition.

    La première mesure de la “Pathétique”, avecson accord parfait initial, parle déjà. Toute ladramaturgie beethovénienne s’y lit : ut mineur

    (le ton du “tragique” beethovénien), tessitureramassée sous la portée de clef de sol, forte-piano

    à la fois naturel (l’accord ne peut qu’aller s’éteignant)et intentionnel.

    L

    analyse du 1er mouvement

    la symétrie briséepar Grégoire Hetzel

    NB : Les indications techniques mises en encadré au cours de cette ana-lyse sont empruntées à Sylvie Huguenin.

    LE SONLe premier accord est pri-

    mordial : il commence et achève lemouvement. Travailler le son, c’est

    aussi jouer ce seul accord, mais en lepensant au début ou à la fin de la sonate, sans jouer celle-ci entière-ment. Le son est souvent radicale ment

    différent. (Lever les étouffoirsavant de jouer le premier

    accord.)

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    Cet accord est marqué non pas forte-decrescendo-piano, mais forte-piano subito : effet que seul un tuttid’orchestre pourrait réaliser. Beethoven demandeici une attention, une intention de l’interprète : c’estle p coupant le souffle au f, effet de dynamique sem-blable à la figure rythmique qui suit : le souffle dece premier temps, aussitôt que coupé, est retenu :le temps faible de cette mesure à 4/4 est doublementaffaibli par l’absence totale d’appui, avant d’êtrelâché en figures pointées qui aboutissent sur uneseptième diminuée, l’accord dramatique par excel-lence, mise en relief par la mesure qui précède, parle temps fort sur lequel elle repose, et par sa réso-lution sur l’accord suivant (dominante) dont elle estune quadruple appoggiature (V de V).Voilà une première mesure dans laquelle, jusque dansle moindre détail, Beethoven crée de l’attente. Quiplus est, ce seul matériau de trois notes va engendrerl’ensemble de l’introduction.La musique répond en effet toujours au principe del’unité et de la variété. Chez Bach, chez Haydn, chezBeethoven (et chez bien d’autres encore), ce souci estpoussé à l’extrême puisque certaines de leurs œuvrespeuvent se résumer à une cellule dont l’ensemble dela partition est un vaste développement. Tel est ici lecas. De plus, regardons comment perception affectiveet processus de développement vont de pair, commentla forme et le contenu ne font qu’un :

    Avec cette deuxième mesure, Beethoven crée unesymétrie (en répétant le schéma de la premièremesure) tout en variant déjà par transposition duthème à la quarte supérieure et différence des har-monies (septièmes) – deux éléments qui accroissentla tension.Pour la troisième mesure, Beethoven sembled’abord demeurer dans une même logique derépé tition/transposition, mais voilà que la fin dephrase (résolution de la septième diminuée), icisciemment mise en relief par le sforzando, est en réa-lité aussitôt happée par une nouvelle symétrie : larépétition de ce qui précède, répétition qui signel’exaspération du motif pointé et mène à son aug-mentation.

    Ultime attente et surprise : l’aboutissement en famineur est brusquement contredit par le si bémol duquatrième temps (l’effet, une fois de plus, est surli-gné par les temps faibles et les deux sforzando) quifait du la bémol triomphateur de fa mineur la sep-tième de dominante de mi bémol majeur. Cetriomphe in extremis du majeur est d’autant plus fortque l’hésitation tonale, depuis le début, n’a cessé denourrir le suspens beethovénien.Évoquons également ce déversement quasi improvi-sando de quadruples et quintuples croches, véritabledélivrance mélodique et rythmique de la tension per-pétuée par les symétries brisées.

    Les six mesures qui achèvent l’introduction constituentun nouveau développement du même motif.On peut déjà remarquer l’accompagne-ment en accords réguliers qui instauremaintenant une certaine stabilité.Mais la terminaison en valeursécourtées du thème, en plus deprécipiter le discours (conclusionsur temps fort), se voit interrom-pue de manière frappante (sur letemps faible, fortissimo, septièmediminuée et changement deregistre) par le thème lui-même. C’estcomme si celui-ci luttait contre lui-même.

    Le même principe de transposition et de densifica-tion harmonique qu’entre les mesures 1 et 2 régit lesmesure 5-6 : une nouvelle symétrie est créée.

    La mesure 7, à son tour, semble faire pendant à lamesure 3 en répétant la formule des deux premierstemps précédents. Double suspens : en premier lieu,comme à la mesure 3, on s’attend à une nouvelle

    LESACCOMPAGNEMENTS

    Pour affiner le dialogue entre lesextrêmes basses et les extrêmes aigus,

    l’introduction et les passages similairespeuvent être travaillés en jouant les accom-pagnements centraux muets (jouer sansenfoncer complètement les touches

    concernées) et les chants exprimés:l’espace ouvert y est alors immé-

    diatement compris.

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    ascension de la formule mélodico-rythmique. Ongarde cependant en souvenir que Beethoven s’étaitdéjà joué de notre attente paresseuse. On s’attenddonc plutôt à quelque chose comme :

    Loin de répéter une cassure semblableà la première, Beethoven crée en faitune nouvelle asymétrie (et donc unenouvelle attente) en traitant le thèmeen extension chromatique (appoggia-ture inférieure) :

    La nouvelle désinence finale en croches ajoute à l’as-pect précipité, haletant, de ce développement, et sonaboutissement encore plus étiré que la première foisprolonge encore l’attente : au lieu d’une conclusionqui renverrait naturellement à la première carrure de4 mesures, Beethoven ajoute 2 mesures et fait dumotif de “délivrance” le moteur d’un nouveau sus-pens, d’une nouvelle symétrie, mais également denouveaux contrastes. Ici, c’est le temps et demi d’at-tente silencieuse qui, la seconde fois, recueillera la“délivrance” :

    On peut noter que cet impressionnant torrent chro-matique reflète comme un miroir toutes les appog-giatures, tous ces éclats chromatiques accumulés quimenèrent la tension.On est encore dans un jeu de symétrie-asymétrie.Mais Beethoven se contenterait-il, comme la pre-mière fois, de se précipiter sur la résolution de sacadence parfaite ? Ce serait trop facile… Jusqu’aubout, toujours, ce jeu de mémoire trompeuse et d’at-tente repoussée à l’infini : ce la bémol en contre-

    temps qui tout à l’heure faisait théâtralement toutbasculer trouve ici son pendant (sur la partie faibledu plus faible des temps, sforzando et pointd’orgue !), et l’on s’attend dès lors à tout avec lui.L’ultime cadence parfaite qui lui succède en est d’au-tant plus saisissante :

    On peut également noter que ces notes isolées, quiviennent faire contraste avec la pâte sonore généraleet retenir soudain le discours, se répondent en échosvariés, chaque fois différemment mises en relief.

    Attaca subito il Allegro

    A grande échelle, l’introduction à laquelle on doitle titre romantique de “Pathétique” (non choisi,mais accepté par Beethoven) forme donc comme unimmense moment de suspens dont l’accord parfaitde do mineur, accord d’origine sans cesse fui, accordde résolution sans cesse ajourné (tout juste esquisséà l’état de renversement m. 2 et m. 10), est au cœurharmonique de la tension. La cadence parfaite et labatterie de do qui “lancent” l’Allegro sont donc unepremière résolution, mais aussitôt et surtout sourced’une nouvelle tension : do dominante de fa.L’Allegro sonne comme le reflet diurne du sombre

    Grave, dont il semble véritablementémer ger. Cette impression se

    poursuit grâce au principed’économie qui régit

    l’ensemble del’œuvre – parentédes thèmes et iden-tité du processuscomposit ionnel.Ainsi, tant le pre-

    mier thème que lesecond sont les

    enfants fougueux denotre premier motif (il en

    sera également de mêmepour le thème du Finale) :

    Bien d’autres éléments, comme le déversement

    LESOCTAVES

    Les octaves gagnent à êtretravaillées soit en faisant

    davantage sonner les notesbasses, soit les notes aiguës : lechoix de l’interprète est plus large

    et le travail technique desoctaves est musicalement

    bien plus complet.

    DOIGTÉIl faut éviter le pouce sur

    le premier sib, qui “bloquerait” lamain trop à l’intérieur du clavier. Le fait

    de passer par-dessus le 5e engage la maindans son déplacement vers l’aigu. Plusieursfois au cours de la sonate, on retrouvera ce casde figure, ce doigté chevauché, conforme à latechnique de Liszt. En effet, chez Liszt, les

    mains jouent à partir d’un axe pyramidalau centre du clavier et les doigtés

    “chevauchés” sont très fré-quents.

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    d’arpèges ou de gammes brisées (m. 29 ; 114), fontégalement écho à l’introduction :

    La même dramaturgie des symétries brisées, qui,dans la lenteur et les silences du Grave, faisait tra-vailler notre attente, ici, dans la rapidité et le per-petuo mobile de l’Allegro, nous mène sans attente– mais avec appréhension – dans les méandres dela dialectique.

    Première symétrie (11 à 26) : 8 mesures (carrurerégulière) répétées. Les brisures :1 – le trébuchement provoqué par le tuilage desdeux carrures (la fin de l’une est le départ del’autre) rompant la stabilité du départ ;2 – le ralentissement du rythme harmonique à laconclusion de la deuxième carrure (qui conduit àla dominante) répondant au précédent tuilage :

    Deuxième symétrie (27 à 34) : 4 mesures répétées àl’identique :

    Si Beethoven n’opère pas de cassure ici, on peut noter

    que le contraste naît de l’opposition entre la précé-dente carrure de 8 et, ici, une carrure de 4, ce qui créeune précipitation du discours, que le halètement dusforzando et le déversement de croches viennentencore souligner. Comme dans l’introduction, Bee-thoven met en relief les temps faibles et affaiblit lestemps forts.Les mesures suivantes sont un développement desprécédentes selon ce même principe. Ainsi, desmesures 35 à 48 est confrontée l’ascension enaccords de la première symétrie avec son élémentconclusif (mesure 26) dans un saisissant jeu de désé-quilibre de carrure (3 + 1). La tension de la marcheascendante (basse en ascension chromatique) estrompue, une fois de plus, lors de sa troisièmeréplique, par le déséquilibre sur temps faible (élément

    rythmique issu de la seconde symétrie)de l’élément conclusif, et par sa

    répétition en chute.Chez Beethoven, comme

    chez Bach, comme chezHaydn, rien ne se perd,tout se transforme…Après deux mesuresd’attente (mesures 49-

    50), fondées sur la dimi-nution de l’élément conclu-

    sif, par lesquelles il stabilise lacarrure auparavant bancale, pro-

    voquant ainsi un bref apaisement,Beethoven repart pour un nouvelassaut d’architectures mouvantes.Le thème au relatif majeur, très mélo-dique, aux carrures très symétriques(4+4/4+4), est à la fois nouveau etreconnu : il s’agit, comme on l’a déjàsouligné, d’une excroissance du motifdu Grave traité sur le mode rythmiquedu précédent.Il serait fastidieux de poursuivre cetteobservation du processus de perpétueldéveloppement chez Beethoven. Il suf-fit de le comprendre pour en fairel’analyse et saisir l’extraordinaire ima-gination, la perpétuelle oscillationentre mémoire et incertitude de la

    suite, entre le connu et l’inconnu, qui, à peine dévoi-lée, devient à son tour matière de mémoire et derenouvellement.

    La coda. Regardons, pour conclure, la coda, qui, àelle seule, résume le mouvement. Le retour du Gravefait également écho à un premier retour de celui-ciavant la partie centrale – ce que l’on nomme le “déve-loppement” et qui n’a ici aucun sens, puisque, depuisle début, tout n’est que développement et que la “réex-position” est elle-même un nouveau développement.

    LES BATTERIES M.G.

    Elles sont à jouer dans le premierenfoncement du clavier (pianos à

    queue) et à articuler selon la pulsationrythmique à 2/2. L’impulsion est don-née sur chaque blanche et les cin-

    quièmes sont prédominants, lespouces restant un complé-

    ment de la batterie.

  • DAGIO CANTABILE”, nous indique Bee-thoven. Le calme revient, avec cerondo classiquement déroulé. Le“cantabile” plonge-t-il Beethovendans les souvenirs des Breuning ? Seméfier de l’eau qui dort… Car l’ada-gio est bien souvent dans les graves etmonte peu vers la lumière. Mais le

    “cantabile” est bien en majeur et, après l’ouragan dupremier mouvement, apaise les esprits. L’écriture està rapprocher de celle d’un quatuor, procédé fréquentchez Beethoven qui montre l’importance des “planssonores” dans son écriture. Si la pédale forte est, bienentendu, essentielle dans ce mouvement, comme dansles deux autres, il est d’autant plus important dansl’Adagio cantabile de ne pas l’enfoncer jusqu’au bout,pour la clarté des plans. De même, il est souvent ins-tructif d’expérimenter une pédale non complètementrelevée… Tonalement, on peut remarquer que cerondo à caractère de lied est en la bémol majeur, soitun demi-ton au-dessus de la dominante d’ut. Premiermouvement en ut, deuxième en «presque sol» et troi-sième en ut. Les trois mouvements sont bien indisso-ciables. Les épisodes sont clairement délimités, etBeethoven y joue encore parfois avec les registres,comme dans le deuxième couplet, dialogue entre vio-lon et violoncelle ou entre voix de femme et voixd’homme au choix de l’interprète :

    Dans ce mouvement aussi, Beethoven oppose lesnuances, mais le sens y est différent ; les sfz soulignentla plupart du temps les situations harmoniques :

    De même, le grondement de quelque événement esttoujours présent, et le thème principal en est modifié,comme si le “cantabile” devait se désagréger petit àpetit. Disons que le sol est moins stable au promeneur:

    Ce retour ne ressemble à aucun original. Ici, Bee-thoven agit par retranchement : des silences à la placede l’habituelle affirmation.L’assaut de l’Allegro, qui semble amorcer un nouveaudéveloppement – ou enfin une “vraie” réexposition– et tourne vite à la conclusion finale, met en évidencede manière saisissante deux éléments clefs de la dra-maturgie beethovénienne : la carrure et le temps oula mesure faibles.Première ambiguïté : avons-nous trois carrures de4 mesures ou deux de 6 ? La carrure centrale appar-tient en effet encore pour moitié à la précédente (bat-terie de croches) et à la suivante, plaçant la septièmediminuée au centre de la tension (ce que les nuancessoulignent).

    Enfin, la cadence finale, loin d’être un relâchementconventionnel, poursuit jusqu’au bout la dramatur-gie tonale : l’enchaînement harmonique cadentiel estdéstabilisé, du fait que Beethoven nous a sans cessehabitués à sa résolution sur le premier temps (tran-sition Grave-Allegro) et qu’il le résout abruptementsur la troisième mesure de la carrure – d’où la mesurefinale de silence qui, complétant une carrure boiteuse,vient souligner le vide créé.

    Grégoire Hetzel

    BEETHOVEN

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    A

    analyse des 2e et 3e mouvements

    le thème vivantpar Sylvie Huguenin

    Le 2e Mouvement

  • L’utilisation des contrastes du couple infernal “ten-sion-détente” est toujours là, sur le ton de la plai-santerie, comme pour “faire peur” :

    Mais il s’agit bien de la sonate Pathétique, et dès lafin du premier couplet, les choses sont claires :

    L’espace est agrandi et les coups de vent sont deretour, ainsi que l’opposition de nuances. Beethoveninsiste sur la tension (accord final de dominante etpoint d’orgue).L’épisode le plus familier avec le futur Beethoven estce “cantus firmus” (voir note ci-contre) qui suivra long-temps son auteur :

    La redoutable fugue de l’opus 110 en naîtra. J.-G. Prod’homme cite également le cinquième qua-tuor, mais aussi la sonate qui suivra directement laPathétique, l’op.14 n°1. Dans ce rondo, la destinéedu cantus firmus est un modèle de désagrégation.Partir d’un tel motif pour élargir une fois encore l’es-pace, puis le saturer tout à fait, est un coup demaître, déjà.

    Si Beethoven contient sa violence dans le refrain, ilne lui échappe pas très longtemps. Mais le “pathos”du premier mouvement, déjà compensé par ladétente du second, est toujours palpable dans lerondo, à travers un prisme fait de distance et d’hu-mour :

    De fait, l’accompagnement ne doit pas être« brouillon », mais devenir une idée musicale, uneatmosphère sonore.Et, bien sûr, c’est sur l’accord de tension que Bee-thoven inscrit un rf ; des silences entrecoupentl’énoncé de la cadence finale, et le cantabile si sereinau début termine dans les graves, en pp, non pascomme une porte qui se referme doucement, maiscomme quelques nuages annonçant un bel oraged’été :

    Le 3e mouvement

    « “Aujourd’hui, me voici enfin bien déboutonné !”C’était son expression favorite quand son humeurétait joyeuse. Et alors il riait comme un lion et tapaittout autour de lui, car il se montrait indompté par-tout. »Ces lignes sont de Schumann à propos de Beethoven.Elles résument assez bien l’esprit de ce rondo, le riredu lion. On pourrait en faire le sous-titre. Le modemineur, traditionnellement utilisé en opposition avecla « gaieté » du mode majeur, donne enfin ici uneimage positive et bondissante. Il existe d’autres par-titions “déboutonnées”, comme la sonate op.287 ditePastorale. L’idée de “cellule”, l’idée presque unithé-matique est en germe, déjà, dans la Pathétique.Comme si Beethoven recomposait son drame avecune autre palette. On y retrouve effectivement la cel-lule de l’introduction. La battue est rapide, c’est cellede l’Allegro : 2/2. Les syncopes sont mises en avant :

    BEETHOVEN

    292000-2001/PIANO n°14

    Le cantus firmusest une voix, donnéeen valeurs longues,

    qui, dans la poly-phonie religieuse

    ancienne, citaitgénéralement un

    texte liturgique. Par extension,

    au 19e siècle et au-delà, le terme

    désignera une mélodie en valeurslongues employéedans un contexte

    polyphonique ; sa teneur ancienne

    de citation sera“transposée “par

    une grande fixité –ostinato – conférée

    à ce type de mélodie.

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    Les réponses entre main droite et main gauche doi-vent clairement être entendues : il y a en fait trois« plans d’idées » à faire sonner. Beethoven claque lesportes, mais avec une élégance de vieux lion à 26 ans.C’est une façon de nous dire encore, comme il l’a dità un public ému de ses improvisations : « Vous êtestous fous. »

    L’accord final doit être court.

    Sylvie Huguenin

    Merci à Emmanuelle Jeannenez pour sa patiente, talentueuse et construc-tive relecture.

    TRAVAILLER LA “PATHÉTIQUE”TRAVAILLER LA “PATHÉTIQUE”

    La découverte, le travail et le jeu de la sonate Pathétique per-mettent d’apprécier pleinement l’écriture et le caractère de Bee-thoven. Sa lecture et son niveau de difficulté la rendant acces-sible assez tôt dans l’apprentissage de l’instrument, elle est unedes sonates les plus complètes pour le piano ; les liens nom-breux existant entre les différents mouvements montrent l’im-portance musicale de la forme sonate à l’époque du «Sturm andDrang». Beethoven a créé un passage vers une musique ins-trumentale active et théâtralisée, vivante et évolutive, que toutpianiste peut éprouver en interprétant la Pathétique.

    Les sonates “sœurs”. La Pathétique a une petite et unegrande sœur dans l’ensemble des sonates de Beethoven : res-pectivement la 5e op.10 n°1 et la 32e op.111. La 5e Sonate estcertes loin d’être une “jumelle”, néanmoins elle est également enut mineur, et son énergie est tout aussi palpable, et non négli-geable. Ecouter ces trois sonates à la suite, ou les déchiffrer puisles jouer, donne une bonne idée de la continuité des idées deBeethoven, tout au long de sa vie. Les trois sonates sont en utmineur, que l’on peut raisonnablement considérer comme to-nalité du tragique, qui marque ces trois partitions. Le travail surla Pathétique s’enrichit beaucoup en se penchant un tant soitpeu sur cette “arche” formée par ces trois sonates.

    Exercices préparatoires. Avant de s’installer au piano et dedéchiffrer, il est utile de faire une lecture sur table de la sonate.D’étudier la structure de l’œuvre et, pourquoi pas, de la notifiersur la partition. Il est utile de connaître la tonalité principale dechacun des mouvements, à travers sa gamme et ses arpèges,ainsi que ses cousines, relatives et voisines, du moins les plusutilisées dans la sonate. Le plus constructif est d’explorer, selonson niveau, les 32 Variations en ut mineur de Beethoven, qui,outre leur intérêt musical et visionnaire, permettent d’asseoir tech-niquement la tonalité d’ut mineur.

    SH

    BEETHOVEN

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