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C aractérisés par leur clôture, leur fonction – utilitaire ou d’agrément -, la place importante occupée par le végétal ou encore le rôle de l’homme, qui y « cultive » et « plante », les jardins pré- sentent en fait une diversité de visages qui s’accommode mal d’une rapide descrip- tion. Incomplètes ou contestables selon les périodes et les lieux, les définitions se trouvent même parfois invalidées par cer- taines créations… pourtant qualifiées de « jardins » ! Un lieu ordinairement clos Espace clos “, “terrain généralement clos“, “lieu [...] ordinairement fermé“, pièce de terre [...] renfermée de mu- railles“, les dictionnaires paraissent una- nimes sur un point particulier : le jardin est clos. Rien d’étonnant d’ailleurs puisque la clôture permet de différencier ce der- nier du simple champ cultivable et d’en faire un espace à part dans la nature, qu’elle soit sauvage ou cultivée. Cette caractéristique trouve sa source dans l’étymologie même du terme. Adopté en France au XII e siècle, le mot « jardin » dé- rive, en effet, du francique gart ou gardo signifiant “ceinture” ou “clôture” ; utilisé en gallo-romain comme épithète d’hortus (hortus gardinus), il devient en ancien français jard puis jardin. Imaginaire ou réel, le jardin conserve longtemps la particularité d’être un espace fermé. Dans la Bible, celui du Cantique des cantiques ne reçoit qu’un seul qualificatif : Histoire des jardins 18 Apparu au Moyen Âge, le terme « jardin » ne semble pas présenter de difficulté sémantique particulière. Défini par l’Académie française comme « un lieu découvert, ordinairement clos, le plus souvent attenant à une habitation, dans lequel on cultive des légumes, on plante des fleurs, des arbres, etc. », il est doté d’une signification analogue dans la plupart des dictionnaires et encyclopédies. Et pourtant : la réalité paraît beaucoup plus complexe et, de ce fait, bien difficile à cerner en quelques mots. « Jardin », vous avez dit « jardin »… Texte et photos d’Odile Lacaille d’Esse Conçu dans l’esprit du Moyen Âge, le jardin du monastère de Cimiez (Nice) est ceint de beaux murs de pierres. À Wesserling la succession de plusieurs espaces clos contribue au charme des lieux. JARDINS DE FRANCE MARS 2009

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Caractérisés par leur clôture, leurfonction – utilitaire ou d’agrément -,la place importante occupée par le

végétal ou encore le rôle de l’homme, quiy « cultive » et « plante », les jardins pré-sentent en fait une diversité de visages quis’accommode mal d’une rapide descrip-tion. Incomplètes ou contestables selon lespériodes et les lieux, les définitions setrouvent même parfois invalidées par cer-taines créations… pourtant qualifiées de« jardins » !

Un lieu ordinairement clos

“Espace clos“, “terrain généralementclos“, “lieu [...] ordinairement fermé“,“pièce de terre [...] renfermée de mu-railles“, les dictionnaires paraissent una-nimes sur un point particulier : le jardinest clos. Rien d’étonnant d’ailleurs puisquela clôture permet de différencier ce der-nier du simple champ cultivable et d’enfaire un espace à part dans la nature,qu’elle soit sauvage ou cultivée.

Cette caractéristique trouve sa source dansl’étymologie même du terme. Adopté enFrance au XIIe siècle, le mot « jardin » dé-rive, en effet, du francique gart ou gardosignifiant “ceinture” ou “clôture” ; utiliséen gallo-romain comme épithète d’hortus(hortus gardinus), il devient en ancienfrançais jard puis jardin.Imaginaire ou réel, le jardin conservelongtemps la particularité d’être un espacefermé. Dans la Bible, celui du Cantique descantiques ne reçoit qu’un seul qualificatif :

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Apparu au Moyen Âge, le terme « jardin » ne semble pas présenter de difficultésémantique particulière. Défini par l’Académie française comme « un lieu découvert,ordinairement clos, le plus souvent attenant à une habitation, dans lequel on cultive

des légumes, on plante des fleurs, des arbres, etc. », il est doté d’une significationanalogue dans la plupart des dictionnaires et encyclopédies. Et pourtant : la réalité

paraît beaucoup plus complexe et, de ce fait, bien difficile à cerner en quelques mots.

« Jardin »,

vous avez dit « jardin »…Texte et photos d’Odile Lacaille d’Esse

Conçu dans l’esprit du Moyen Âge, le jardin du monastère de Cimiez (Nice)est ceint de beaux murs de pierres.

À Wesserling la successionde plusieursespaces clos

contribueau charmedes lieux.

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il est clos. L’Eden, quant à lui, se trouveprotégé, après la Chute, par un ange auglaive flamboyant qui en interdit l’entrée :il l’est donc également.Même constat dans la réalité, en particu-lier au Moyen Âge où la clôture a toutsimplement une fonction pratique, ser-vant à protéger les plantations des bêteserrantes et des maraudeurs. Branches en-trelacées (plessis), haies, pieux taillés enpointe ou simples palissades, treillis, bar-rières et même murs de pierres ou debriques permettent d’isoler un espace éta-bli à la mesure de l’homme et installé àl’abri d’une nature longtemps considéréecomme hostile. Profanes ou religieuses, lalittérature et l’iconographie de l’époquefont aussi la part belle à la clôture, dotéede significations diverses dans le registrede la symbolique (voir encadré ci-contre).Dès la fin du Moyen Âge pourtant, le jar-

din s’ouvre sur le monde extérieur. À laRenaissance, si le giardino segreto, entière-ment ceint de murs et installé à l’écart de lacomposition principale, se présente commele prolongement de l’enclos médiéval, l’amé-nagement de vues et percées sur le paysagepermet d’instaurer un dialogue entre créa-tion humaine et nature. Quelques décenniesplus tard, la perspective longue et le point defuite à l’infini unissent plus étroitement en-core environnement et jardin dans les somp-tueuses réalisations de Le Nôtre.

C’est d’ailleurs à cette époque qu’apparaît lehaha que généralisent, au siècle suivant, lesBritanniques dans le but d’effacer visuelle-ment les limites de leurs parcs pittoresques.Installé autour de la propriété, ce fossé sec,court, profond et souvent maçonné, empêcheveaux, génisses et autre bétail d’investir leslieux tout en laissant totalement ouverte lavue sur les prés et champs environnants. Enprenant la nature pour modèle, le paysagisteWilliam Kent choisit d’ailleurs d’abolir toutefrontière : “Il franchit la clôture et vit que toute

la nature est un jardin“ (Horace Walpole).Plus besoin dès lors d’enclore les lieux, dumoins de manière ostensible. Et pourtant !Sur ce point comme ailleurs, l’éclectismese manifeste dans les jardins contempo-rains. Rien de commun, en effet, entre lespropriétés totalement ouvertes de nom-breuses banlieues nord-américaines et leshaies de thuyas impénétrables, véritable“béton vert”, longtemps chères aux habi-tants de l’Hexagone. Une question detempérament et de sensibilité sans doute.

La symbolique de la clôture dans la littératureet l’iconographie médiévales

Qu’il soit religieux ou profane, le jardin médiéval, littéraire et iconographique, esttoujours clos. Dans le domaine sacré, la clôture peut symboliser la virginité deMarie ou l’intériorité de l’âme. Dans le domaine profane, elle représenterait la dif-ficulté à conquérir la femme aimée.La clôture permet également de faire du jardin un espace privilégié d’où sont ex-clues laideur et tristesse. Ainsi, dans le Roman de la rose (roman du XIIIe siècle), lesmurs extérieurs du « verger » sont sculptés et peints de différentes figures consi-dérées comme des obstacles à l’amour courtois : Convoitise, Avarice, Envie, Haine,Félonie, Vilenie… Cette clôture est parfois circulaire, le cercle étant le symbole dela divinité et rappelant la perfection du paradis, parfois carrée ; la dernière forme,évocatrice du domaine terrestre, semble plus appropriée à l’amour courtois.L’évolution des descriptions dans le Roman de la rose est, à cet égard, significative.Guillaume de Lorris, qui raconte de manière allégorique une quête amoureuse,évoque un « verger carré » ; Jean de Meung, auteur de la seconde partie du roman,transforme cette quête amoureuse en quête spirituelle et modifie la forme du « ver-ger » qui, de carré, devient rond.

Entouré d’une haie strictement taillée, un écrin de verdures’invite dans le parc de Pange (Moselle).

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Alliance du beau et du bon, le « Potager d’un épicurien » à Laquenexy (Moselle).

Joliment paysagé, le jardin botanique du Montet (Nancy) associe fonction éducative et plaisir de la promenade.

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Une fonction d’abord utilitaire

Responsable du Potager du Roi àVersailles, Jean-Baptiste de La Quintiniedéfinit le jardin comme “une pièce deterre [...] destinée soit pour les fruits et lepotager, soit pour les fleurs et les arbris-seaux“, accordant ainsi la primauté au jar-din utilitaire sur celui d’agrément. Riend’étonnant : fonctionoblige !Mais l’exemple ne faitpas exception. Dans sapremière édition datée de1694, le Dictionnaire del’Académie françaiseparle d’un “lieu descou-vert [...] dans lequel onseme des legumes“ avantd’ajouter “des fleurs“ et“des arbres“, un ordreidentique étant d’ailleursconservé dans l’éditionactuelle. En évoquant“un lieu [...] cultivé, soitpour nos besoins, soitpour nos p la i s i r s“ ,l ‘Encyc lopédie deDiderot et d’Alembert,au Siècle des Lumières,respecte une hiérarchiesimilaire, hiérarchie queconfirme le Littré en pro-posant comme définition“espace clos d’ordinaire,planté de végétaux utilesou d’agrément“.Toujours présente dansles dictionnaires actuels,cette distinction, qui ac-corde la primauté à l’uti-litaire, se justifie histori-quement. Si les jardinsd’agrément existent de-puis l’Antiquité - en Perse, à Babylone, àRome... - et si les sources littéraires leuraccordent une place essentielle, il est évi-dent que les humbles enclos vivriers res-tent infiniment plus nombreux, au moinsjusqu’au XXe siècle, en raison des condi-tions économiques et sociales.Mais, s’il est le plus souvent vivrier, lejardin utilitaire ne l’est pas seulement etassume d’autres fonctions rarement

mentionnées dans les dictionnaires.L’expression possède, en effet, diversesacceptions qui correspondent à autantde vocations différentes. Ainsi sur leplan de l’abbaye de Saint-Gall (IXe siè-cle), qui figure une organisation monas-tique parfaite au Moyen Âge, l’hortus(potager) et le viridarium (verger), tousdeux à vocation alimentaire, voisinentavec l’herbularius voué à la culture des

simples, plantes possédant des vertuscuratives et donc à vocation médicinale.Au XVIe siècle, la naissance à Pise, puis àFlorence et Padoue, des premiers jardinsbotaniques élargit encore la significationdu terme en conférant à ces lieux unefonction à la fois scientifique et éduca-tive. Associés à des universités de méde-cine et organisés selon un tracé qui satis-fait des impératifs fonctionnels, ils sont

dédiés à l’étude et à la classification desplantes. Plus tard, dans une optique si-milaire, les jardins d’essai permettrontaux botanistes et chercheurs de pratiquerdes expérimentations et de tester de nou-velles méthodes culturales ou d’acclima-tation.Récemment, les vocations du jardin utili-taire se sont multipliées. Certains d’entreeux, par exemple, jouent désormais un

rôle de conservatoirevoué au maintien et à lasauvegarde des végétauxmenacés mais auss ides traditions horticoles.A i n s i e n e s t - i l d uConservatoire de Lauris(Vaucluse) consacré à lapréservation et à la réha-bilitation des plantestinctoriales, durementconcurrencées par les co-lorants de synthèse, ouencore du Conservatoirede la Tomate au châteaude la Bourdaisière (Indre-et-Loire) qui tente de sau-ver de l’oubli les variétésvictimes de la standardi-sation des productions.En s’installant au cœurmême des hôpi taux ,d’autres jardins utilitairesse font thérapeutiques,tandis que d’autres en-core assument une fonc-tion pédagogique entransmettant un savoir deterrain aux jeunes - etmoins jeunes - généra-tions. Destinés en parti-culier au public scolaire,ils accueillent ateliers,sorties et servent parfoisde cadre à des réalisa-

tions communes.Encore plus récents, les jardins filtrantspermettent, quant à eux, de traiter leseaux usées dans une succession de bassinsgrâce aux plantes aquatiques et auxmicro-organismes. Combinant volontiersutilité et esthétique, ils n’hésitent pas às’afficher et investissent même les parcspublics comme celui du Chemin de l’Île àNanterre (photo de couverture).

Au château de la Bourdaisière, le Conservatoire de la Tomate ras-semble une collections de plusieurs centaines de variétés.

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Une distinctionpertinente ?

Si la primauté accordée dans les définitionsau jardin utilitaire trouve sa justificationdans l’importance historique de ce dernierou dans sa diversité actuelle, la distinctionétablie entre “végétaux utiles“ et “végétauxd’agrément“ semble, en revanche, moinspertinente. Ainsi, depuis longtemps, utilise-t-on les premiers à des fins esthétiques. Àl’époque de la Renaissance ou au GrandSiècle par exemple, végétaux aromatiques,simples et plantes potagères s’invitent dansles parterres, comme en témoigne JacquesBoyceau de la Barauderie dans son Traité dujardinage selon les raisons de la nature et del’art (1638) : “Dedans les planches des par-terres et espaces seront les fleurs et lesplantes qui y pourront donner grâce, soit lesmédicinales ou servant aux salades, qui ontde belles qualités pour les embellissements,et font des tapis de belles couleurs“.Aujourd’hui encore, poirées à cardes colo-rés, choux ou oseille à feuillage décoratif par-ticipent volontiers à l’embellissement des jar-dins. Fleuron de la cuisine traditionnellelyonnaise, le cardon a même presque dis-paru des assiettes, préférant jouer les stars -grâce à sa silhouette majestueuse - dans denombreux aménagements paysagers.À l’inverse, certaines plantes, cultivées audépart pour leur aspect décoratif, ont pro-gressivement trouvé place au potager. C’estle cas, bien connu, de la tomate, découvertepar les conquérants espagnols dans

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Dans le potager de Wesserling, l’association de légumes et fleurs permet dereproduire les motifs textiles utilisés jusqu’au XXe siècle par l’industrie locale.

Très ancien, le jardin des simples rassemble des plantes aux vertusthérapeutiques (Salon-de-Provence, château de l’Emperi).

Déclinant le thème des couleurs, le potager Arc-en-Ciel est le fleurondu parc de Bosmelet.

En planches rectilignes, le tracé du

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l’Amérique précolombienne et introduitesur le Vieux Continent au XVIe siècle.Appartenant à la famille des Solanacées, aumême titre que la belladone et la mandra-gore très toxiques, elle suscite longtemps laméfiance des Français qui la qualifient pour-tant de “pomme d’amour” mais la considè-rent comme vénéneuse et préfèrent la can-tonner au rôle de plante ornementale : “Lespommes d’amour [...] servent à couvrir ca-binets et tonnelles, grimpans gaiement par-dessus [...]. La diversité de leur fueillagerend le lieu auquel l’on les assemble fortplaisant : et de bonne grace les gentils fruictsque ces plantes produisent, pendans parmileur rameure... Leurs fruicts ne sont bons àmanger : seulement sont-ils utiles en la mé-decine et plaisans à manier et flairer.“(Olivier de Serres, Le Théâtre d’agricultureet mesnage des champs, 1600). Encore men-tionnée comme plante d’ornement dans lecatalogue Vilmorin de 1760, la tomate n’ac-

cède au statut de plante potagère qu’à la findu XVIIIe siècle et il faut attendre la secondemoitié du XIXe siècle pour qu’elle investissevéritablement la cuisine de l’Hexagone.Alors que la distinction établie entre “végé-taux utiles“ et “d’agrément“ ne résiste pastoujours à l’analyse, celle qui oppose les jar-dins créés “pour nos besoins“ ou “pour nosplaisirs“ (Encyclopédie de Diderot) sembleégalement un peu arbitraire. Dès l’âge ba-roque, le sujet fait débat si l’on en croit lesopinions tranchées et contradictoires à cepropos d’A.-J. Dezallier d’Argenville et deJ.-B. de La Quintinie (voir encadré ci-des-sus). À l’époque contemporaine, le mélangedes genres se pratique fréquemment, abo-lissant progressivement les frontières entreutilité et agrément. Ainsi en est-il auChâteau de Bosmelet (Seine-Maritime) où lePotager Arc-en-Ciel décline avec brio ses ca-maïeux de légumes, fleurs et fruits en qua-tre carrés Saphir, Ambre, Ivoire et Grenat. À

Wesserling, dans le Haut-Rhin, plantes aro-matiques et potagères mêlent subtilementleurs couleurs pour figurer d’élégants mo-tifs textiles. À Laquenexy (Moselle) enfin, lecentre d’expérimentation fruitière, actif de-puis le début du XXe siècle, s’est récemmentdoté, sur l’initiative du conseil général, d’unsuperbe Jardin des Saveurs ouvert au publicen 2008 : il réunit plusieurs jardins théma-tiques d’agrément mais dans lesquels lesplantes alimentaires jouent souvent les ve-dettes.

Un terrain « plantéet cultivé »

Assez similaires dans l’ensemble, les défi-nitions du jardin s’accordent presquetoutes sur le fait qu’il s’agit d’un lieu « cul-tivé et planté ». Elles insistent ainsi sur lerôle essentiel, voire incontournable d’après

Des opinions divergentes

Auteur d’un ouvrage à succès à la fin du XVIIe siècle, Instruction pour les jardins fruitiers et potagers (1690), Jean-Baptiste de LaQuintinie évoque l’agrément du jardin utilitaire : «Que ce jardin soit en tout temps, non seulement propre pour la promenadeet l’agrément, mais aussi abondant en bonnes choses pour la délicatesse du goût et la conservation de la santé ». En louant, àdiverses reprises, la « beauté des espaliers » et leur « agréable symétrie », il défend un point de vue bien différent de celuid’Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville qui, dans La Théorie et la Pratique du jardinage (1709), établit une distinction catégo-rique entre les « jardins de propreté » (d’agrément) et les « fruitiers » ou « potagers » : «Ce n’est pas qu’on blâme les jardins frui-tiers & les potagers, ils ont leur mérite ; l’on convient même qu’il faut en avoir […]. Cependant tous ces potagers, tous ces frui-tiers, quelques beaux qu’ils puissent être, sont toujours placés dans des lieux écartés & séparés des autres jardins ; preuveévidente qu’on les croit plus nécessaires pour l’utilité d’une maison que pour en augmenter la beauté & la magnificence » ;avant d’ajouter cependant que « tout le monde ne sera pas de cet avis » : une manière un peu facile de nuancer son propos !

jardin de l’Arquebuse (Dijon) répond à desimpératifs fonctionnels.

Au Festival de Chaumont-sur-Loire, certaines réalisationsfont la part belle aux éléments inorganiques.

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elles, tenu par le végétal. C’est oublier unpeu vite que l’importance de ce derniervarie considérablement selon les réalisa-tions. Certaines d’entre elles apparaissentmême complètement dépourvues deplantes… et n’en portent pas moins lenom de jardin.Ainsi, au Japon, le kare-sansui, « jardin pay-sager sec » en vogue dans les monastèreszen à partir de la période Muromachi (1336-1573), se compose-t-il de gravier ratissé etde rochers sur lesquels s’installent, parfoisseulement, quelques mousses. Support deméditation, il peut figurer symboliquementmontagnes, îles, cascades et cours d’eau ouse réduire à une pure abstraction minérale.C’est le cas, semble-t-il, de celui du Ryoan-ji au nord-ouest de Tokyo qui se composede quinze rochers subtilement disposés surune aire de sable nu.À l’époque contemporaine, des créationstotalement inorganiques ont égalementvu le jour, par exemple dans le cadre duFestival de Chaumont-sur-Loire ou chezles paysagistes d’Amérique du Nord.Parmi ces derniers, Martha Schwartz, quise réclame à la fois du surréalisme et dupop art, combine non conformisme, pro-vocation voire sens de l’absurde et n’hé-site pas à exclure tout végétal (vivant) deses aménagements paysagers. Amatricede couleurs vives et de matières synthé-tiques, volontiers iconoclaste, elle vamême jusqu’à utiliser des plantes artifi-cielles au risque de provoquer l’irritationdes esprits un peu conservateurs !Sans aller aussi loin, de nombreux paysa-gistes actuels se démarquent de la ten-dance du « végétal roi » développée à par-tir du XIXe siècle. Soucieux de créer deseffets visuels puissants tout en simplifiantl’entretien, ils restreignent délibérémentleur palette de plantes. Utilisées de ma-nière minimaliste, ces dernières deviennentalors un simple matériau parmi d’autres.Si les termes « planté » et « cultivé » tra-duisent mal le rôle, parfois limité, joué parle végétal dans les jardins, ils manquentaussi terriblement de précision pour défi-nir ceux-ci. Il est bien évident qu’en de-hors du potager ou du verger le plus sim-ple, dont l’unique fonction consiste àproduire légumes ou fruits, les créationspaysagères dignes de ce nom relèventd’une démarche autrement plus complexe

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Conception contemporaine et plantes alimentaires insolites, le « Potager d’uncurieux » (Laquenexy) associe le plaisir du coup d’œil à celui de la découverte.

Roseaux et salicaires prospèrent, de manière presque spontanée, dans le parcdu Val de Bièvre (l’Haÿ-les-Roses).

Résolument minéral, le jardin zen de Montvendre (Drôme) accorde une placerestreinte au végétal.

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que le fait de travailler la terre et d’y ins-taller plants ou graines.Avant même d’être « cultivés », les jardinssont d’abord « pensés » c’est-à-dire conçusen fonction d’un usage particulier, pourbeaucoup d’entre eux avec un souci del’esthétique. Ensuite, tandis que certains sontélaborés à la manière picturale – comme lesparcs pittoresques du XVIIIe siècle -, d’au-tres sont véritablement « construits » selonles règles des architectes. Il faut rappeler,à cet égard, que l’art des jardins reste in-féodé à l’architecture de la fin du MoyenÂge jusqu’au XVIIIe siècle et que quelquesréalisations de cette époque, comme leBosquet de la Colonnade à Versailles (deJules Hardouin-Mansart), méritent indé-

niablement le qualificatif de « construites »mais peuvent difficilement se parer decelui de « cultivées » ! Même constat avecles jardins méditerranéens du début duXXe siècle ou ceux de la Renaissance ita-lienne caractérisés par une très forte com-posante architecturale.Ni « construit » ni véritablement « cul-tivé », mais simplement planté au départ,le Jardin en Mouvement, inventé par lepaysagiste Gilles Clément, s’accommodemal, lui aussi, des définitions. En ce lieuoù s’exprime la dynamique naturelle, quetraduit le déplacement spontané des es-pèces, le jardinier se cantonne à un rôled’observateur ou, au plus, de collabora-teur. Les « plantations » y évoluent libre-

ment ou presque sur le modèle de lafriche. Mis en place dans le parc André-Citroën à Paris, ce principe novateur, enlimitant l’intervention humaine et la cul-ture du terrain, invalide, au moins par-tiellement, la plupart des définitions.Ces dernières, il est vrai, dépendent de cha-cun et les dictionnaires et encyclopédies nepeuvent, certes, prétendre refléter la diver-sité des conceptions sur le sujet (voir enca-dré), une diversité qui garantit, pour leplaisir de tous, celle des réalisations. �

Les limites entre nature et jardin parfois s’estompent…(Parc de la Plage bleue, Valenton).

Inspirés des modèles italiens, les jardins de l’abbaye Saint-André à Villeneuve-les-Avignon présentent une très forte composante architecturale.

Pour prolongerla réflexion

Au-delà, et parfois bien loin, des dé-finitions proposées par les diction-naires et encyclopédies, s’exprimentdes conceptions très diverses du jar-din comme en témoignent les exem-ples ci-dessous.• Roberto Burle Marx (paysagistebrésilien) : « Un jardin […] est la na-ture organisée, où l’intention de l’ar-tiste est de mettre en évidence labeauté des couleurs et des formes, lerythme, les volumes ordonnés. C’estl’instauration des harmonies, la créa-tion des contrastes, l’ensemble étantune trame où chaque élément est in-dispensable » (cité dans Jardins ly-riques, Roberto Burle Marx, MarthaIris Montero, 2001).• Gilles Clément (paysagiste fran-çais) : « Le jardin combine l’industriede l’homme et l’inventivité de laNature. Il résume l’histoire ancienneet se présente comme le théâtre privi-légié des relations des êtres conscients– l’humanité – avec le reste de l’uni-vers supposé agir par intuition etgénie » (dans Gilles Clément, une éco-logie humaniste, Gilles Clément etLouisa Jones, 2006).• Michel Baridon (historien des jar-dins) : « Les jardins sont une représen-tation de la nature et ils témoignentdes découvertes que font les artistes etles architectes quand ils se détournentd’une certaine image du monde pouren proposer une autre » (dans LesJardins, Michel Baridon, 1998).

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