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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre Laurent ROUVEYROL Etude pragmatique de la variation linguistique dans le débat politique médiatisé en anglais. Modalités et marques d'implication du locuteur dans le discours. Vers une stylistique de l'interaction télévisée. Thèse Nouveau Régime soutenue le 20 décembre 2003 à l'Université de Provence. Directrice de Recherche : Mme Françoise Dubois-Charlier. CHAPITRE 1 : QUESTION TIME, GENRE EN DEBAT, DEBAT DU GENRE....1 1.1 INTRODUCTION.............................................. 2 1.2 A PROPOS DE QUESTION TIME..................................2 1.2.1 Généralités........................................................................................................... 2 1.2.2 Le corpus : macro-évaluation............................................................................. 4 1.3 VERS UN CONCEPT OPÉRATOIRE DE GENRE DISCURSIF POUR QUESTION TIME ? ............................................................7 1.3.1 Nécessité du genre.............................................................................................. 7 1.3.2 Type fermé, genre ouvert.................................................................................... 9 1.3.2.1 A propos de types de textes..........................9 1.3.2.2 A propos de genres de discours......................10 1.3.3 Quelques conceptions des genres de discours face au corpus..................... 12 1.3.3.1 Les conceptions du genre selon la synthèse de Charaudeau............................................. 12 1.3.3.1.1 Le point de vue fonctionnel................13 1.3.3.1.2 Le point de vue énonciatif..................16 1.3.3.1.3 Le point de vue communicationnel............18 1.3.3.2 Le genre : à partir de l’éclairage bakhtinien. .18 1.3.3.2.1 Question Time, une communauté discursive ?. .19 1.3.3.2.2 Conséquences pour l’étude du corpus.........23 1.3.3.2.3 Question Time, débat avec participation du public ?..............................................24 1.3.3.2.4 Genre premier, genre second.................25 1.3.3.3 Des questions du Parlement aux questions de Question Time.............................................27 1.3.3.3.1 De l’art de la question.....................27 1.3.3.3.2 Les prérogatives du meneur de jeu...........28 1.3.3.3.3 Le rituel d’adresse.........................29 1.3.3.4 La loi et le débat télévisé....................30 1.3.3.4.1 Le Broadcasting Act de 1990.................30 1.3.3.4.2 Northern Ireland ban de 1988, annulé en 1994 ......................................................30 1

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Laurent ROUVEYROLEtude pragmatique de la variation linguistique dans le débat politique médiatisé en anglais.

Modalités et marques d'implication du locuteur dans le discours.Vers une stylistique de l'interaction télévisée.

Thèse Nouveau Régime soutenue le 20 décembre 2003 à l'Université de Provence.Directrice de Recherche : Mme Françoise Dubois-Charlier.

CHAPITRE 1 : QUESTION TIME, GENRE EN DEBAT, DEBAT DU GENRE..............1

1.1 INTRODUCTION..................................................................................................................21.2 A PROPOS DE QUESTION TIME..........................................................................................2

1.2.1 Généralités.................................................................................................................21.2.2 Le corpus : macro-évaluation....................................................................................4

1.3 VERS UN CONCEPT OPÉRATOIRE DE GENRE DISCURSIF POUR  QUESTION TIME ?.............71.3.1 Nécessité du genre.....................................................................................................71.3.2 Type fermé, genre ouvert...........................................................................................9

1.3.2.1 A propos de types de textes.................................................................................91.3.2.2 A propos de genres de discours........................................................................10

1.3.3 Quelques conceptions des genres de discours face au corpus................................121.3.3.1 Les conceptions du genre selon la synthèse de Charaudeau.............................12

1.3.3.1.1 Le point de vue  fonctionnel......................................................................131.3.3.1.2 Le point de vue énonciatif..........................................................................161.3.3.1.3 Le point de vue communicationnel............................................................18

1.3.3.2 Le genre : à partir de l’éclairage bakhtinien....................................................181.3.3.2.1 Question Time, une communauté discursive ?..........................................191.3.3.2.2 Conséquences pour l’étude du corpus........................................................231.3.3.2.3 Question Time, débat avec participation du public ?.................................241.3.3.2.4 Genre premier, genre second.....................................................................25

1.3.3.3 Des questions du Parlement aux questions de Question Time..........................271.3.3.3.1 De l’art de la question................................................................................271.3.3.3.2 Les prérogatives du meneur de jeu............................................................281.3.3.3.3 Le rituel d’adresse......................................................................................29

1.3.3.4 La loi et le débat télévisé..................................................................................301.3.3.4.1 Le Broadcasting Act de 1990.....................................................................301.3.3.4.2  Northern Ireland ban de 1988, annulé en 1994.........................................30

1.4 VERS UNE SYNTHÈSE POSSIBLE.......................................................................................321.4.1 L’hétérogénéité générique mise en système : la CDA.............................................32

1.4.1.1 CDA : un humanisme ?.....................................................................................321.4.1.2 Le spectre général de la CDA............................................................................331.4.1.3 Le cadre conceptuel de la CDA.........................................................................341.4.1.4 La CDA et le discours politique médiatisé........................................................40

1.4.1.4.1 Les acteurs et les types de discours............................................................401.4.1.4.2 Complexité générique et médias................................................................41

1.4.2 Conclusion partielle.................................................................................................42

Références Bibliographiques..................................................................................................43

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Chapitre 1 : QUESTION TIME, GENRE EN DEBAT, DEBAT DU GENRE

1.1 Introduction

Dans ce chapitre, nous allons tenter d’explorer la nature de l'émission qui constitue notre corpus parallèlement à la notion de genre, de façon à caractériser la communication verbale ayant lieu dans ce cadre et à prévoir par la suite des outils et concepts adaptés à la situation. Les émissions de télévision formant notre corpus sont des interactions au sens le plus large que peut recouvrir ce méta-terme (Vion, 1992 : 17) :

[…] toute action conjointe, conflictuelle ou coopérative, mettant en présence deux ou plus de deux acteurs. À ce titre, il recouvre aussi bien les échanges conversationnels que les transactions financières, les jeux amoureux que les matchs de boxe.

Cette définition ouvre largement la réalité sur des fragments autres que purement linguistiques, établissant ainsi un lien entre le sens courant du terme  interaction et ce qu’on lui fait dire en analyse linguistique ; une telle conception semble parfaitement adaptée au débat politique télévisé, du fait de la présence de politiciens qui, plus ou moins directement, mettent en jeu leur carrière auprès des téléspectateurs-citoyens. L’interaction dépasse alors largement le discours, et il s’agit véritablement d’action conjointe.

On se rend compte aussi que l’analyse des interactions verbales porte en elle les problématiques de la caractérisation et des typologies de discours. Nous pensons avec Guillaume (1984) que "tout est pragmatique dans le langage" ; autrement dit le cadre, ou du moins une représentation du cadre, est toujours présent en amont de la production discursive et oriente les choix. Une approche pragmatique est donc inévitable si l’on adopte la définition qu’en donne Verschueren (1999 : 1) :

[…] the study of language use, […] the study of linguistic phenomena from the point of view of their usage properties and processes.

Avant d'étudier les choix opérés par les locuteurs en fonction de leur implication discursive, il convient de poser précisément les paramètres définissant la situation de communication à l’œuvre dans ce type d’interaction pour laisser émerger la nature même des choix mis en place. Ce travail revient à identifier un genre discursif particulier.

1.2 A propos de Question Time 

1.2.1 GénéralitésNotre corpus est constitué de six émissions du programme Question Time, diffusé le

jeudi soir sur la BBC à 22 h 35 depuis 1979. Les émissions datent de 1993 pour l’une, présentée par Peter Sissons, et de 1997 pour les cinq autres, présentées par David Dimbleby1. 1997 est une date importante puisque les participants intervenaient au cœur de la campagne législative qui s’est étendue de février à avril et qui a vu la première victoire de Tony Blair et

1 C'est à partir de 1994 que Dimbleby a pris en charge la présentation de l'émission.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

du parti travailliste. La présentation générale du programme, telle qu’elle figure sur le site Web2, nous fournit un point de départ intéressant :

In the years since it was first broadcast on 25 September 1979, Question Time has become something of a national institution, offering British voters a unique opportunity to quiz top decision-makers on the events of the day. For the past eight years, David Dimbleby has hosted the programme, building on the authority and approachability of his predecessors, Sir Robin Day and Peter Sissons. Each year, some 30,000 members of the public apply to join the debate. The panels are drawn from significant figures in politics, industry, the media and entertainment. But the heart of Question Time is the audience - both in the studio and at home. The programme has been available for everyone on the internet for the past four years with an ever-increasing online audience in the UK and abroad. You can watch each programme in Real Video by clicking on the link on the right hand side of the page. Live subtitles are available on Ceefax page 888. We receive up to 500 emails per week and comments are posted on the Question Time website where you can continue the debate once the programme has ended.

Les séquences d’ouverture prononcées par le journaliste au début de chaque émission font écho à cette présentation, comme en témoignent les premières lignes ouvrant notre introduction , de même que le début de l'émission 3 (Belfast) :

[…] Good evening […] welcome to Belfast and an audience ready with questions3

and arguments as always about the issues of the week, and our first question comes from […]

La structure de l’émission est donc la suivante : un panel d’invités venant d’horizons très divers répond aux questions que posent des membres du public présents sur le plateau. Ce panel comprend deux ou trois politiciens d’opinions opposées et des personnalités de la société civile. Dans les interactions formant notre corpus, les invités sont au nombre de 4 ; actuellement ce n’est plus toujours le cas (l'émission du 4 juillet 2002 ne comportait que trois invités).

Le public est un élément essentiel de l'émission  (the heart of Question Time) et il semble être minutieusement sélectionné comme l’implique la rubrique Join the audience du même site Web :

2 www.bbc.co.uk/hi/english/audiovideo/programmes/question_time/3 Les avis sont d’ailleurs partagés, comme le montrent les réactions que certains téléspectateurs ont diffusées sur le site web de l’émission :

The programme was a little disappointing. There were only three members of the panel, all male politicians which was not ideal. One or two of the audience were a little too vociferous as well. Well done though to the lady who took John Prescott to task. Gill, Horsham, Sussex

Ou encore :

Congratulations. At last you've got the format correct. I really believe trying to involve various minority groups on the panel had backfired. Yesterday worked much better with just three politicians whose opinions are of value. Keep up the good work. R W Messent, Oxford

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

[…] Would you please fill in the following details. Your response will be completely confidential, but they will enable us to invite a balanced cross-section of people.

La parole est donc donnée aux électeurs, mais dans un cadre strictement organisé par la production. La BBC est d’ailleurs très fière de cette émission, comme le montre le courrier suivant, émanant de John Hogan (editor) et envoyé au journal The Independent en octobre 1990 (cité par Livingstone et Lunt (1994 : 37)) :

The BBC is very proud of Question Time… it is the only place where senior politicians and public figures are questioned by ordinary members of the public. It must be at the heart of the debate occupying public attention that night.

Les questions posées aux invités ne sont pas du tout spontanées, puisque le journaliste introduit les questionneurs. D’autre part, on voit souvent à l’image les membres du public poser leur question en lisant plus ou moins laborieusement une feuille de papier. La question commence souvent par :  Does the panel believe … ?

On peut donc légitimement se demander quelle est la nature réelle de la participation du public dans l’émission. Faut-il parler de participation ou bien plutôt de réaction en décalage temporel ? Ainsi, dans les émissions de 1997, les membres du public disposent d’un boîtier électronique qui permet des sondages en cours d’émission, sur proposition du journaliste. La question générale de la participation du public sera traitée plus loin quand nous aborderons plus précisément le discours des journalistes.

L’émission est une véritable institution en Grande-Bretagne, malgré son heure tardive de diffusion : elle rassemble près de 4 millions de téléspectateurs4 tous les jeudis soirs, soit 8% de la population, c’est-à-dire une part de 36% des téléspectateurs regardant la télévision à ce moment-là ; elle a donc un très vif succès. A peu près autant d'hommes que de femmes regardent l’émission ; ceci constitue en soit une originalité puisque, d’après Livingstone et Lunt, les femmes sont généralement plus favorables à ce genre d’émission. En revanche, il y a des différences selon l'âge : seuls 3% des jeunes adultes regardent le programme, et 18% des retraités. L’indice d’appréciation que donnent Livingstone et Lunt pour ce genre de programme, audience participation debates, indique que Question Time se situe en deuxième position, tout de suite après Kilroy, champion toutes catégories.

Cette émission constitue un passage obligé pour les politiciens en vogue. Au début du mois de mai 2000, Tony Blair, alors premier ministre en campagne, s’est lui-même prêté au jeu à quelques jours du scrutin, répondant personnellement aux questions posées parfois de façon musclée par les membres du public, qui lui demandaient des comptes sur son premier bilan. Il faisait seul courageusement face au public, exposé à toute forme d’intervention. David Dimbleby était le présentateur et faisait circuler la parole entre le public et ce candidat particulier.

Dans l’interaction 2, Michael Portillo, ancien ministre de Major, se retrouve dans une position semblable : son temps de parole est bien plus long que celui des autres membres du panel, car il devait rendre des comptes (nombreux) sur les décisions du gouvernement conservateur ; contrairement à Tony Blair, il avait l'avantage de ne pas être seul sur la sellette.

1.2.2 Le corpus : macro-évaluationLes six émissions représentent en tout 6 heures de diffusion nationale. Elles ont été

transcrites5 et figurent en annexe dans le volume 2 de la présente étude. Chaque émission commence par une ouverture du journaliste, qui introduit le panel pour le téléspectateur et

4 Les données chiffrées sont fournies par Livingstone et Lunt pour l’année 1991. (1994 : 46 et sequ).

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souhaite la bienvenue à tous ; le terme welcome apparaît parfois plusieurs fois de suite dans la même intervention, entrecoupée d’applaudissements et de musique. L'ouverture a également pour but de donner une série d’informations régulières, concernant notamment le lieu6 où se tient l’émission et l’identité ainsi que la qualité des invités formant le panel de la semaine. Cette ouverture du journaliste permet de dresser un premier état de la structure de chaque émission. Le tableau ci-dessous synthétise les différents traits qui distinguent les invités et les thèmes abordés au cours des débats.

INTERACTION PANEL DES INVITES7 THEMES ABORDES

Interaction 1(Londres, 1992) Peter Sissons

Volume :10730 signes.

Kenneth Baker : MP, conservateur.Pauline Green : MP, travailliste, Parlement européen Moira Constable : Directeur Général du Rural Housing Trust.David Starkey : Professeur à L.S.E.

1 IRA.2 Violence en milieu scolaire :2.1 Education sexuelle. 2.2 Grossesses chez les adolescentes.3 Fermeture des puits de charbon.4 Situation politique en Russie.

Interaction 2(Londres, 1997)David Dimbleby

Volume : 9010 signes

Michael Portillo : Ministre (conservateur)Andrew Smith : Ministre des transports travailliste dans le cabinet fantôme.Peer Baronness Williams : Libérale démocrate.Anne Mc Elroy : Rédactrice en chef adjointe du Spectator.

1 Attitude du Sun vis-à-vis de Tony Blair.2 Baisse du chômage et gouvernement conservateur.3 Assistance aux personnes âgées.4 Pensions des anciens combattants du Golfe et responsabilité gouvernementale.

Interaction 3(Belfast, 1997)

David DimblebyVolume : 12722 signes.

Sir Patrick Mayhew : Ministre (conservateur) ; question de l’Irlande du Nord.John Hume : Leader du SDLP.John Taylor : Vice-leader des unionistes de l’Ulster.Mow Mowlam : Porte-parole des travaillistes pour la question de l’Irlande du Nord.

1-Noël blanc, démission du ministre des finances. -Monnaie unique.2 Paix en Irlande.2.1 Bilan du cessez-le feu.2.2 Veto des unionistes.2.2 Les propositions Hume-Adams.3 Réductions de pension pour les anciens combattants.4 Tony Blair : doucereux ?5 Loterie nationale et moralité.

Interaction 4(Londres, 1997)David Dimbleby

Volume : 12719 signes

Angela Browning : Ministre de la santé publique (Food Minister).Janet Anderson : Ministre du cabinet fantôme à la condition féminine.Dafydd Wigley : Président du Plaid

1 Annonce par le gouvernement de l’augmentation des hauts salaires et de la baisse des plus faibles.2 Le travail des mères de famille.3 La crise politique du bœuf, parti conservateur : agriculture / parti

5 Les transcriptions ont toutes été contrôlées comme il se doit par un locuteur natif anglophone avec la bande vidéo. 6 Ce détail apparemment sans importance est pourtant intéressant, il explique notamment la formation du panel de Belfast et la nature des questions posées, tournant beaucoup, on s’en doute, autour de la question irlandaise.7 Les qualités données ici pour les membres des différents panels correspondent fidèlement à ce que le journaliste annonce dans la séquence d’ouverture de l’émission.

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Cymru.Richard Littlejohn : Editorialiste et producteur.

travailliste : urbain.4 Le racisme des jeunes Britanniques.5 Les aides sociales accordées par le gouvernement et l’Europe.6 Présence de membres de groupes d’intérêts ciblés aux élections législatives.

Interaction 5(Londres, 1997)David Dimbleby

Volume : 11788 signes

Michael Howard : Ministre de l’Intérieur (conservateur).Donald Dewer : Labour Chief Whip.Lord Jenkins : Leader des libéraux démocrates à la Chambre des Lords.Germaine Greer : Ecrivain féministe et universitaire.

1 - La justice britannique.- L’attitude du Daily Mail face à une affaire.2 L’adoption par la Grande-Bretagne de la monnaie unique.3 La privatisation du réseau ferroviaire.4 Publication des noms des pédophiles et des violeurs dans le pays.

Interaction 6(Birmingham, 1997)

David DimblebyVolume : 10117 signes.

Tony Benn : Ancien ministre travailliste du cabinet.Edward Heath : Membre du parti conservateur.Liz Lynn : Porte-parole des libéraux démocrates pour la sécurité sociale.Frederick Forsyth : Ecrivain de romans à suspense.

1 Référendum sur l’intégration de l’Europe communautaire.2 The safety of British Beef.3 -Elections législatives et similitudes des programmes conservateur et travailliste.- TVA des produits énergétiques.4 Privatisation des services sociaux.

En dépit d’une constante au niveau des signes (la durée est la même), l’impression dominante est celle d’une grande variété, tant pour les thèmes abordés - même si certains sont récurrents (l’Europe, la question irlandaise) - que par la qualité des intervenants : politiciens, hauts fonctionnaires, hommes et femmes de médias, universitaires, écrivains. D'où un programme télévisé fondamentalement hétérogène. Cette hétérogénéité est déclinable sur un nombre potentiellement infini de modes. L’ouverture citée en introduction en est représentative : le locuteur alterne entre plaisanterie, exposition de faits biographiques, citations vagues du point de vue de leur source ; le marquage est souvent un passif de type is said. Cette dynamique d’alternance constitue d’une certaine façon la cohérence de cette ouverture et la constitue intrinsèquement.

La lecture même superficielle de quelques pages de transcription nous conduit à prendre en compte cette hétérogénéité. Au cours du débat peuvent émerger des moments de plaisanterie partagés entre les invités ou bien provoqués par le public. On citera entre autres la façon dont la première question est posée dans l’interaction 3 :

Which would attract shorter odds from the bookmakers /the prospect of a white Christmas/ or the resignation of the Chancellor of the exchequer ?

On doit aussi se souvenir du fait que ce programme est conçu comme un divertissement, ce qui, sans doute, explique son succès auprès du public. Ainsi, il ne faut pas s’étonner de voir des thèmes comme loterie nationale et moralité (interaction 3) à côté de questions comme la publication du nom des pédophiles (interaction 5).

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A l’inverse, on trouve aussi des séquences dans lesquelles l’opposition entre participants est flagrante, entre membres du panel opposés idéologiquement, entre le journaliste et un membre du panel, entre le public et un membre du panel ; ces structures duelles sont réversibles.

Enfin, les membres du panel amenés à s’exprimer sur les questions posées semblent jouer des partitions très différentes ou bien se déroulant de façon extrêmement variée : on passe de l’exposition de faits à l’argumentation en faveur d’une thèse, pour ensuite s’appuyer sur une anecdote qui n’est pas de prime importance, tout en critiquant au passage les vues du camp opposé (pour un politicien), etc.

On l’aura compris, l’analyste qui s’est donné pour mission de s’attaquer à ce mode de communication pour traiter la production discursive, se trouve très vite dans l’embarras tant les différentes dimensions qui la composent sont imbriquées et difficiles à dissocier clairement. Comment caractériser le genre de communication auquel appartient notre corpus ? Quels critères retenir et quelle approche faut-il adopter ? A-t-on affaire à du discours politique, un divertissement, un débat d’idées, de société ou tout à la fois ? A ce point de la réflexion, il est nécessaire de se pencher sur le concept de genre pour pouvoir déterminer la nature du cadre dans lequel évoluent ces locuteurs, pour approcher le plus précisément possible la réalité de l'émission.

1.3 Vers un concept opératoire de genre discursif pour  Question Time ?

La notion de genre de discours est finalement assez rarement utilisée chez les linguistes francophones travaillant en anglistique. On pourrait peut-être faire la même remarque différemment en précisant que si la théorie pragmatique séduit de nombreux linguistes de par le monde, l’Ipra8 ne reçoit pas une très grande audience chez les linguistes anglicistes en France. Les pragmaticiens anglicistes évoluent souvent dans le domaine de l’anglais de spécialité, au sein du G.E.R.A.S (Groupe d’Etudes et de Recherche en Anglais de Spécialité), dirigé par Petit.

C’est pour cette raison que nous prendrons majoritairement appui, dans les paragraphes qui suivent, sur les écrits de chercheurs anglophones ou bien travaillant dans le champ de la linguistique générale française, qui a fourni, depuis Benveniste, Foucault, Pêcheux et tant d’autres, nombre de linguistes reconnaissant la nécessité d’une conceptualisation des genres ; ces pionniers ont d’ailleurs inspiré les chercheurs au-delà des frontières nationales, Foucault notamment (cf. infra).

1.3.1 Nécessité du genre Un postulat pragmatique généralement admis - à savoir que la production linguistique

diffère suivant la situation de communication - impose de passer par le concept de genre. Nous l’avons évoqué dès notre introduction : ne pas se donner les moyens de déterminer méthodologiquement des situations de communication différentes, c’est faire comme s’il n’y avait pas de différence entre une recette de cuisine ou une retransmission sportive à la télévision. Voyons ce que dit Bakhtine à ce propos (1984, [1953]: 285) :

Nous assimilons des formes de langue seulement sous les formes que prend un énoncé, et conjointement avec ces formes. Les formes de langue et les formes type d'énoncés, c'est-à-dire les genres du discours, s’introduisent dans notre expérience et dans notre conscience conjointement et sans que leur corrélation

8 International pragmatics association

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

étroite soit rompue. Apprendre à parler, c'est apprendre à structurer des énoncés (parce que nous parlons par énoncés et non par propositions isolées et encore moins, bien entendu, par mots isolés). Les genres du discours organisent notre parole de la même façon que l’organisent les formes grammaticales (syntaxiques). Nous apprenons à mouler notre parole dans les formes du genre et, entendant la parole d'autrui, nous savons d'emblée, aux tout premiers mots, en pressentir le genre, en deviner le volume (la longueur approximative d'un tout discursif), la structure compositionnelle donnée, en prévoir la fin, autrement dit, dès le début, nous sommes sensibles au tout discursif qui, ensuite, dans le processus de la parole, dévidera ses différenciations. Si les genres du discours n'existaient pas et si nous n'en avions pas la maîtrise, et qu'il nous faille les créer pour la première fois dans le processus de la parole, qu'il nous faille construire chacun de nos énoncés, l'échange verbal serait quasiment impossible.

Ce passage est d’une extrême modernité, notamment en ce qui concerne cette double dynamique de détermination :  "Les genres du discours organisent notre parole de la même façon que l’organisent les formes grammaticales (syntaxiques)".

Nombreux sont en effet les linguistes qui l’utilisent, d’une façon ou d’une autre (Vion, Fairclough). Le fait de parler d’expérience du locuteur  place aussi la notion de genre, de même que l’activité langagière qui en découle naturellement, au centre de l’environnement socio-discursif du locuteur. Cette conception, dont nous nous réclamons, trouve un écho dans toute la sociolinguistique moderne ainsi que dans les courants interactionnistes américains comme l’ethnométhodologie.

Maingueneau (1995 : 7-8), en ouverture du numéro 117 de la revue Langage consacré à l’analyse de discours, exprime la même idée de façon encore plus appuyée :

L’analyse du discours […] n’a pour objet ni l’organisation textuelle considérée en elle-même, ni la situation de communication, mais l’intrication d’un mode d’énonciation et d’un lieu social déterminés. Le discours y est appréhendé comme activité rapportée à un genre, comme institution discursive : son intérêt est de ne pas penser les lieux indépendamment des énonciations qu’ils rendent possibles et qui les rendent possibles. L’analyste du discours peut prendre pour base de travail un genre de discours (une consultation médicale, un cours de langue, un débat politique…) aussi bien qu’un secteur de l’espace social (un service d’hôpital, un café, un studio de télévision…) ou un champ discursif (politique, scientifique…). Mais il ne part d’un genre que pour l’inscrire dans ses lieux et ne délimite un lieu que pour considérer quel(s) genre(s) de discours lui sont associés.

Le genre est donc un concept inévitable dans une conception pragmatique du langage. Sa théorisation pose pourtant des problèmes épistémologiques particulièrement épineux. Une des raisons en est que le terme de genre est souvent employé sans avoir été défini avec précision, les chercheurs comptant sans doute sur l’expérience et la conscience du lecteur, pour reprendre les termes bakhtiniens. Swales (1990 : 33) remarque à ce propos qu’un sentiment diffus envahit le chercheur qui doit s’attacher à définir le concept :

Genre is a term which, as Preston says, one approaches with some trepidation [...] The word is highly attractive – even to the Parisian timbre of its normal pronunciation – but extremely slippery.

1.3.2 Type fermé, genre ouvertUne première extension du caractère fuyant du concept serait sans doute la

problématique formée par deux perspectives antagonistes. Une première approche serait de tenter d’établir une typologie fixe et définitive ; c’est particulièrement dans le champ de la

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

didactique du français et autour de la notion de texte, souvent aussi par l’utilisation de la théorie des genres de texte (genre théâtral, poétique…), que cette forme de réflexion se rencontre.

1.3.2.1 A propos de types de textes 

Comme le note Adam dans ses écrits (1992-98 passim), les didacticiens se donnent souvent pour tâche d’identifier des  types de texte pour ensuite les faire étudier aux élèves de collège et de lycée jusqu’au baccalauréat. Ces recherches peuvent être divisées en deux catégories. La première a pour finalité d’aboutir à une typologie per se - nous nous situons principalement ici dans le champ de la didactique du français. Adam (1992 : 6) mentionne à ce propos une réflexion de Charolles :

[…] les enseignants, qui travaillent forcément sur des textes et ont pour objet naturel de réflexion les discours des élèves, des médias, de la littérature, sont bien obligés de se poser des questions relatives aux classements de ces textes et discours.

On trouve assez facilement dans les manuels de lycée9 des chapitres concernant les textes narratifs, argumentatifs, poétiques. Si un classement est indispensable pour l’esprit d’un élève qui a besoin de cadre pour fixer la réalité, l’analyste sait bien que cette présentation est un peu réductrice. Les linguistes ont d’ailleurs toujours exprimé une relative méfiance face à ces typologies fermées. Charolles (1990 : 9), tout en reconnaissant les contradictions auxquelles doit faire face l’enseignant, n’hésite pas à exprimer qu’il considère comme extrêmement délicat ce domaine constitué par la typologie des textes.

La deuxième façon d’envisager le texte émane des linguistes qui, eux, se proposent non pas d’aboutir à une typologie, mais de mettre en relation les textes avec autre chose, comme l’exprime toujours Charolles. Nous tenons là un des enjeux, pour ne pas dire défis, de la linguistique textuelle. Plutôt que d’établir une typologie au niveau du texte, postulant du même coup son homogénéité intrinsèque, des chercheurs, dont le plus représentatif est ici Adam, poussent la conceptualisation jusqu’au niveau séquentiel. Tout texte serait donc composé de séquences en nombre libre. C’est au niveau de la séquence que les types sont les plus opératoires. Adam en adopte cinq, dont quatre sont monogérés : narratif, explicatif, argumentatif, descriptif, et un est polygéré : le dialogue. Ces cinq types correspondent d’après Adam à ce qui est le plus proche de l’intuition des sujets ; il cite une réflexion de Kleiber (1990 : 13) : Catégorisation et catégories sont les éléments fondamentaux, la plupart du temps inconscients, de notre organisation de l’expérience.

Adam (1992 : 28) définit de façon très précise et convaincante les séquences - ses termes ont d’ailleurs fait date dans la linguistique du texte et aussi du discours (cf. Bronckart, Vion, Maingueneau) :

L’unité textuelle que je désigne par la notion de SÉQUENCE peut être définie comme une STRUCTURE, c’est-à-dire comme : - un réseau relationnel hiérarchique : grandeur décomposable en parties reliées entre elles et reliées au tout qu’elles constituent ; - une entité relativement autonome, dotée d’une organisation interne qui lui est propre et donc en relation de dépendance/indépendance avec l’ensemble plus vaste dont elle fait partie. En tant que structure séquentielle, un texte (T) comporte un nombre n de séquences complètes ou elliptique(s). Les Mille et Une Nuits, le Conte du Graal, un poème,

9 Le manuel de 2nde Littérature, textes et méthode offre un bon exemple (Hatier, 1993)

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

une brève conversation ou un discours politique sont tous, et au même titre, des structures séquentielles.

Bien que définie de façon très rigoureuse, la séquence est un concept assez souple : elle est à la fois  autonome et reliée au tout, ce qui permet des rapprochements, extensions, adaptations, notamment pour envisager l’hétérogénéité compositionnelle d’autres formes de communication, dont les discours oraux. Adam mentionne d’ailleurs la conversation, le discours politique. Nous reviendrons longuement sur la notion de séquence au chapitre 3 et retenons la typologie qu’il nous faudra adapter pour notre type de corpus.

1.3.2.2 A propos de genres de discours

L’entreprise qui consisterait à envisager une typologie fermée des genres de discoursserait certes séduisante et sécurisante a priori pour les analyses futures, mais est-elle concevable ? Non et, à notre connaissance, aucun linguiste ne s’est risqué à avancer que les genres de discours pouvaient être formalisés par une typologie des discours fermée. Cela n’est en rien étonnant, nous avons encore à l’esprit leur méfiance à propos des typologies de texte, qui est un objet bien moins fuyant au départ que le discours, notamment oral. Les arguments ne manquent d’ailleurs pas pour rejeter une typologisation stricte.

Les progrès de la technologie moderne en matière de communication nous ouvrent de plus en plus de voies pour médiatiser notre discours. Comment ne pas penser aux e-mails ? Comment ne pas avoir en tête les tout récents textos ou autres S.M.S, qui, par leurs contraintes très importantes, conditionnent radicalement les énoncés qu’ils contiennent ? Quand on doit effectuer trois pressions sur une touche de téléphone pour matérialiser une lettre, on essaie d’être le plus concis possible. De même, qui a passé un peu de temps à converser sur Internet sait qu’un énoncé tel que : How r u m8 ? (how are you, mate ?) n’est pas rare. Si l’on veut que ce type de communication réussisse, il faut être efficace et utiliser le clavier le plus rapidement possible pour obtenir une réponse sans délai.

Une approche fermée des genres de discours interdit la création de nouveaux modes de communication. Quel intérêt aurait alors une typologie qui risquerait d’être obsolète quasiment dès sa conception ? Une telle approche ne semble pas aller non plus dans le sens de l’évolution d’une société humaine qui va de recherche en découvertes et tente ensuite une application aussi large que possible. La nécessité de rester ouvert à la mise en place de nouveaux modes de communications s’impose d’elle-même.

Bronckart (1997 : 138) établit un pont particulièrement pertinent entre les réflexions théoriques que nous venons de mentionner et les éléments mis au jour lors de la macro-évaluation de notre corpus :

S’ils sont intuitivement différenciés, les genres ne peuvent jamais faire l’objet d’un classement rationnel stable et définitif. D’abord parce que, comme les activités langagières dont ils procèdent, les genres sont en nombre tendanciellement illimité ; ensuite parce que les paramètres susceptibles de servir de critères de classement (finalité humaine générale, enjeu social spécifique, contenu thématique, processus cognitifs mobilisés, support médiatique, etc.…) sont à la fois hétérogènes, peu délimitables et en constante interaction ; enfin et surtout, parce qu’un tel classement de textes ne peut se fonder sur le seul critère aisément objectivable, à savoir les unités linguistiques qui y sont empiriquement observables.

Les termes de Bronckart répondent à nos propos sur Question Time ; nous pouvons retenir entre autres les expressions hétérogènes, peu délimitables, en constante interaction. Le genre

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discursif dont relèverait cette émission serait donc constitué de moments d’humour, d’anecdotes, de rappels de faits historiques, d’arguments idéologiques qui, mis bout à bout, formeraient un débat particulier.

Bakhtine (1984 : 265) apporte un éclairage supplémentaire sur le caractère  tendanciellement illimité des genres :

La richesse et la variété des genres de discours sont infinis, car la variété virtuelle de l’activité humaine est inépuisable et chaque sphère de cette activité comporte un répertoire de genres de discours qui va se différenciant et s’amplifiant à mesure que se développe et se complexifie la sphère donnée.

Cette citation pose comme principe inévitable la dynamique de l’activité de langage, issue d’un locuteur donné et évoluant dans une sphère sociale identifiée. L’évolution interne des genres de discours au fil du temps est aussi à envisager dans la théorisation des genres de discours ; cette préoccupation semble en outre correspondre à l’intuition des sujets : un débat télévisé diffusé il y a trente ans n’a plus grand chose à voir avec ce qui peut être regardé à l’heure actuelle. Les producteurs de télévision ont certes changé les règles pour rendre le spectacle plus attrayant en l’adaptant au goût du jour, mais les différents participants à ce type d’émission ont aussi contribué, par leur seule activité langagière, à faire évoluer les pratiques au fil du temps. Adam (1998) démontre à ce propos de façon très convaincante que le sujet d’examen moderne trouve son origine dans le genre antique de l’énigme.

Enfin, une production de langage identifiée comme relevant d’un genre de discours particulier se présente-t-elle comme une réalité parfaitement homogène et cohérente ? Là encore, les recherches récentes en pragmatique et en analyse de discours montrent au contraire que la circonscription d’un genre est toujours à nuancer par le caractère hétérogène des différentes unités qui le composent ; ainsi trouve-t-on dans un récit des unités discursives qui tiennent davantage de la description ou, pourquoi pas, de l’argumentation. Tous les écrits d’Adam (1992, 1998) et une grande partie de ceux de Maingueneau (1995) concernant l’interdiscours naissent de la préoccupation de vouloir identifier ces différents mouvements du discours. Adam précise (1998 : 90) qu’"un texte10 singulier ne relève guère que plus ou moins d’un genre". Plus que l’identification statique et stricte d’un texte ou d’une production discursive à un genre, c’est alors la dynamique de distanciation par rapport au genre qui est puissamment heuristique.

Ces dernières constations à propos de l’imbrication, de l’hétérogénéité et de la dynamique d’évolution du discours ne vont pas favoriser une conceptualisation du genre de discours ; elles plaident pour une approche souple qui admette, dans la conception intrinsèque du genre, l’existence de sous-genres constitutifs.

1.3.3 Quelques conceptions des genres de discours face au corpus Aboutir finalement à un concept de genre de discours, alors qu’une grande partie des remarques faites dans la rubrique précédente soulignent la difficulté de l’entreprise, ne va pas être aisé, mais ce n’est pas pour autant chose impossible. Certes, il y a une dynamique de l’hétérogénéité et une hétérogénéité de la dynamique, mais on ne peut envisager l’évolution qu’à partir d’un point de départ ou bien d’un repère posé clairement.

Le plus difficile est de savoir d’où partir pour construire ce concept. L’article Genre du Dictionnaire d’Analyse du Discours (2002 : 279-280), coordonné par Charaudeau et Maingueneau, offre des repères précieux pour suivre les pistes des linguistes. Les différentes

10 Les travaux d’Adam portent essentiellement sur le texte écrit. Le terme de texte ne sera pas défini ici, mais il peut largement aussi s’appliquer à toute forme de production langagière, y compris orale. Fairclough (1995) étend le terme jusqu’à englober la production d’images.

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conceptions sont toutes, à des degrés divers, révélatrices des théories linguistiques dans lesquelles s'inscrivent les chercheurs.

1.3.3.1 Les conceptions du genre selon la synthèse de Charaudeau

L’article Genre mentionne les recherches appliquées au texte dont nous avons déjà parlé  :

[…] pour définir cette notion, tantôt est pris en compte, de façon préférentielle, l’ancrage social du discours, tantôt sa nature communicationnelle, tantôt les régularités compositionnelles des textes, tantôt les caractéristiques formelles des textes produits. On peut penser que ces différents aspects sont liés, ce qui crée d’ailleurs des affinités autour de deux orientations majeures : celle qui est plu- tôt tournée vers les textes justifiant la dénomination genres de texte, celle plutôt tournée vers les conditions de production du discours justifiant la dénomination genres de discours.

On notera que la confusion terminologique est difficile à gérer. Le genre de texte est à distinguer du type de texte ; que dire ensuite de texte et discours ? Gardons à l’esprit la définition donnée par Faiclough (cf. note 10), qui étend le discours jusqu’à l’image. Il existe tout de même un consensus pour parler des types de texte et  genres de discours, même si Bronckart (1996), sans doute pour brouiller les pistes, parle de genre de texte et type de discours, avec une conception inversée par rapport à l’usage général des notions de texte et discours.

En ce qui nous concerne, nous parlerons dorénavant de genre de discours puisque notre approche, pragmatique, est nécessairement tournée vers les conditions de production ; le terme de texte est peu pertinent et trompeur pour envisager le discours oral dont la finalité n’est pas la création d’un texte écrit. De même, nous appliquerons le terme de  type au niveau séquentiel de façon privilégiée mais non exclusive (voir infra). Maingueneau, dans son article intitulé Type de discours (Charaudeau et Maingueneau, 2002 : 592), signale un usage intéressant de l’expression, qui dans cette acception ne serait pas du tout un synonyme de genre, mais une notion complémentaire. Le genre est vu comme un dispositif de communication particulier, les types de discours concernent un secteur de production verbale d’une société ; cette formulation est illustrée par un exemple : "le type de discours politique […] recouvre de multiples genres : débats télévisés, tracts, programme électoral". 

C’est l’orientation vers les conditions de la production du discours dont fait état la citation de Charaudeau qui va nous occuper maintenant. Plusieurs points de vue sont identifiables au départ, si l’on suit son exposé : on peut citer les points de vue fonctionnel, énonciatif et communicationnel. La synthèse est imparfaite car ils se recoupent ; cela n’invalide pas la perspective pour autant, car elle permet de clarifier les choses. Maingueneau, lui, distingue les typologies énonciatives, les typologies communicationnelles ou fonctionnelles, et les typologies situationnelles. Ces dernières n'étant pas mentionnées par Charaudeau, nous proposons donc de nous y arrêter un instant. Elles partent d’un lieu déterminé (l’école, l’hôpital) ; la recherche anglophone a été particulièrement prolixe dans cette voie. Bien souvent, les approches situationnelles sont orientées vers la description de pratiques discursives dans des milieux professionnels et, de ce fait, comportent une dimension didactique : comment former des novices à ces pratiques ? Comment former des locuteurs d’une autre langue maternelle à ces mêmes pratiques ? On peut évoquer par exemple tous les travaux ayant rapport de près ou de loin au Business English. Dans une collection d’articles de référence regroupés sous le titre volontairement ambigu de Talk at Work, Drew et Heritage offrent un panorama assez large, qui donne une

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

idée de la variété des domaines passés à la loupe, sans pour autant être exhaustif ; on y trouve des études des milieux journalistique, juridique, de certains cadres institutionnels.

Dans Discourse and Social Life (2000), volume d’articles réalisé en l’honneur de Chris Candlin, à la fois pionnier et référence en linguistique appliquée, on trouve des études intitulées :  […] A critical discourse analysis of decision making in EU meetings about employment policies, The discourse of geriatric medical triads, New dynamics in the nurse-patient relationship, The framing and construction of expert-witness testimony. Certains anglicistes français affichent clairement la volonté de se situer dans cette perspective. Petit, lors des journées ASP de l’axe culturel tenues à Montpellier en décembre 2002, a proposé une définition de travail du  milieu professionnel ; il s’agit d’un :

[…] espace social regroupant l’ensemble des membres de la société exerçant leur activité professionnelle (régulière, permettant de gagner sa vie) dans un même domaine socialement reconnu et présentant certaines caractéristiques d’organisation, de fonctionnement, etc. On parle souvent de milieux au pluriel (les milieux de la mode, les milieux politiques) ou de monde au singulier (le monde de la justice, le monde universitaire). En ce sens, le milieu professionnel ne se définit pas strictement par une profession (par exemple les milieux militaires, journalistiques).

En anglais de spécialité, cette approche est placée au centre des typologies situationnelles ; en voici la définition :

[…] La branche de l'anglistique qui traite de la langue, du discours et de la culture des communautés professionnelles et groupes sociaux spécialisés anglophones, ainsi que de l'enseignement de cet objet.

La perspective est originale en France, espérons que cette approche s’intègrera au paysage scientifique aussi naturellement que pour la partie anglophone.

Un dernier paragraphe intitulé Typologies, genres de discours et analyse du discours, souligne enfin la difficulté d’établir un classement pertinent. La seule voie de sortie dans ce réseau terriblement enchevêtré est l’efficacité par rapport aux buts poursuivis. Nous proposons de suivre pas à pas l’exposé de Charaudeau sous ces trois points de vue, fonctionnel, énonciatif, communicationnel, et de le commenter chemin faisant pour mener à bien notre exploration du genre.

1.3.3.1.1 Le point de vue  fonctionnel[Ce point de vue est] développé par certains analystes qui essaient d’établir des fonctions de base de l’activité langagière à partir desquelles les productions textuelles peuvent être classées selon le pôle de l’acte de communication vers lequel elles sont orientées. (2002 : 278)

On trouve dans cette catégorie les travaux de Jakobson (1963) qui définit les fonctions émotive, conative, phatique, poétique, référentielle et métalinguistique, et ceux de Halliday (1973) dont les fonctions sont davantage sociologisées : ce sont les fonctions instrumentale, interactionnelle, idéationnelle, personnelle, heuristique, imaginative, interpersonnelle.

Les fonctions, ou plutôt métafonctions, retenues par la grammaire dite fonctionnelle ont évolué pour n’être plus qu'au nombre de quatre d’après Thompson11 (1996 : 28) : experiential, 11 Cet auteur ne mentionne jamais la fonction idéationnelle, qui n’apparaît même pas dans l’index. On peut le regretter car elle est essentielle à la théorie et réunit les métafonctions expérientielle et logique qui en sont les deux sous-types constitutifs. La présentation de Halliday lui-même (1985 : 179) est plus claire :  Theme structures express the organisation of the message : how the clause relates to the surrounding discourse, and to the context of situation in which it is being produced.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

interpersonal, textual et logical. Thompson définit respectivement les trois premières comme suit :

1. We use language to talk about our experience of the world, including the worlds in our own minds, to describe events and states and the entities involved in them.

2. We also use language to interact with other people, to establish and maintain relations with them, to influence their behaviour, to express our own viewpoint on things in the world, and to elicit or change theirs.

3. Finally, in using language, we organise our messages in ways which indicate how they fit in with the other messages around them and with the wider context in which we are talking or writing.

La dernière métafonction est de nature un peu différente des autres car elle permet justement de les relier (ibidem : 35) :

Whereas the other three metafunctions relate mainly to the meanings that we express in our messages, the logical metafunction relates to the connections between the messages, and to the ways in which we signal these connections.

This formulation suggests that the logical metafunction may operate at levels other than just between clauses; and, indeed, there are clearly similarities between the combinations of clauses above and the following rewording with two separate sentences/clause complexes […]

La notion nécessaire de genre est très vite abordée par la grammaire systémique, autre nom souvent donné à la grammaire de Halliday. Si la grammaire est clairement envisagée comme l’ensemble des ressources linguistiques pour faire du sens, il n’en reste pas moins que le choix de certaines ressources est aussi déterminé par les usages (ibidem : 36) :

[…] a crucial part of our language ability is knowing how things are typically – or even obligatorily – said in certain contexts.

Deux concepts sont alors mis en place : register et genre. La notion de register se définit (depuis Halliday et Hasan 1985 /89 : 41) comme la variation linguistique en fonction de l’usage (variation according to use). Le registre comporte trois dimensions :

What is being talked about (this is called the ‘field’); the people involved in the communication and the relationship between them (the ‘tenor’); and how the language is functioning in the interaction, e.g. whether it is written or spoken (the ‘mode’).

On voit que Halliday aurait pu être mentionné dans la rubrique concernant le point de vue communicationnel suivant l’expression de Charaudeau. La situation de communication est effectivement placée au centre du système par les trois éléments : le thème, les acteurs et le mode (écrit ou oral).

Le concept de genre vient compléter celui de registre :

Genre, in very simple terms, can be seen as register plus purpose. That is, it includes the more general idea of what the interactants are doing through language, and how they organise the language event in order to achieve that purpose.

Ainsi, dans Bacon’n eggs stop prison riot, on est frappé par les traits reconnaissables du registre journalistique ; l’emploi de l’expression quasi-figée prison riot est en soi suffisante.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

En ce qui concerne le  genre, l’énoncé est destiné à informer et s’inscrit dans un contrat d’attente culturelle entre les lecteurs et l’auteur.

Le cadre de la grammaire fonctionnelle, qui est d’ailleurs repris par les chercheurs appartenant au courant de la Critical Discourse Analysis dont nous parlons plus loin, constitue une perspective très large : on part du registre pour considérer des phénomènes aussi microlinguistiques que les compléments de nom ou les auxiliaires modaux. Cela explique d’ailleurs sans doute son succès outre-Manche et outre-Atlantique. Une branche développée à partir de la théorie systémique de Halliday, sous le nom de Register and Genre Theory, s’est donné pour tâche d’explorer essentiellement des textes, mais aussi, par extension, des discours. En effet, Eggins et Martin (1997 : 236) expliquent que la R&GT est une théorie de la variation fonctionnelle, qui étudie en quoi les textes sont différents et quelles sont les motivations contextuelles de ces différences. Ils font remarquer que les définitions linguistiques du genre s’appuient sur l’identification des genres de discours définis par Bakhtine comme étant des "relatively stable types of interactive utterances". Les auteurs précisent que cela a pour effet d’étendre la notion de genre au delà des frontières littéraires pour inclure les genres de communication écrits et oraux de la vie courante.

La série de concepts exposée plus haut est reprise et mise en perspective dans le cadre d'un travail d’analyse sur les textes qui possède son originalité : l’aspect culturel et social est placé au centre des préoccupations ; comme le réaffirme la conclusion de leur propos (1997 : 251) :

[…] register and genre variation are two realizational planes in a social semiotic view of text. This view is inherently dialogic and interactive : text is both the realization of types of context, and the enactment of what matters to cultural members in situations. Just as texts are not neutral encodings of a natural reality but semiotic constructions of socially constructed meanings, so the task of R&GT is not merely the description of linguistic variation between texts. It must also involve analysts in exposing and explaining how texts serve divergent interests in the discursive construction of social life – including the interests of the discourse analysts themselves.

Cette conception reflète une vision de l’activité langagière en étroite relation avec l’environnement social du sujet et convient bien à l’analyse d’un corpus médiatisé, télévisuel qui plus est, dont la thématique est la société au sens large. N’oublions pas non plus que le cadre de la  grammaire fonctionnelle, réinvesti dans la R&GT, permet de descendre très profondément dans la structure des énoncés et de ses constituants lexicaux, syntaxiques, verbaux. Le pont entre données situationnelles et marquage microlinguistique semble donc envisageable.

1.3.3.1.2 Le point de vue énonciatif Le deuxième point de vue développé dans l’article de Charaudeau est donc  énonciatif et

trouve sa source dans les écrits de Benveniste qui, dans ses  Problèmes (1966), pose l’existence de l’appareil formel de l’énonciation. Une distinction fort célèbre, discours/histoire, souvent reformulée en discours/récit, a été reprise dans nombre de travaux, mais elle est maintenant souvent battue en brèche par les chercheurs en analyse de discours (Bres, Bronckart, Vion12 [2001], Rivara [2000]), parce que le concept de discours englobe le récit. A la suite de Benveniste, il s’agit dans tous les cas de trouver des marques formelles, actualisations langagières, au niveau de la structuration longitudinale (structure du paragraphe).

12 Nous avons pu recueillir ces points de vue lors des débats qui ont pris place au Colloque International Charles Bailly de 2000, organisé à Champoussin (Suisse) par E.Roulet.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Charaudeau cite Biber (1989), pour qui un relevé statistique de marqueurs permet de construire une typologie des discours. Les travaux de Biber mentionnés sont ceux de 1989, qui sont davantage un point de départ que de référence. Vient ensuite la Longman Grammar of Spoken and Written English qui a vu le jour en 1999 et constitue un aboutissement pour Biber et son équipe. Cet ouvrage novateur de quelque 1200 pages peut servir à recadrer diverses certitudes en grammaire anglaise. La conception originale de cette synthèse permet de voir comment la réalité linguistique se distribue suivant quatre registres principaux : la conversation, la fiction, le discours scientifique et le discours journalistique. La définition que donne Biber du concept de register, légèrement différente de la conception hallidayenne, est la suivante (1999 : 15) :

Register distinctions are defined in non-linguistic terms, with respect to situational characteristics such as mode, interactiveness, domain, communicative purpose, and topic. For example, newspaper editorials are distinguished as being (a) written, (b) published in a newspaper, and (c) primarily intended to express an informed opinion on matters already in the news. Editorials are not directly interactive (often there is no acknowledged author of the editorial), and they can be written about almost any topic. In many cases, registers are institutionalized varieties or text types within a culture, such as novels, letters, editorials, sermons, and debates. However, registers can be defined at almost any level of generality. Thus, novels are a sub-register of the broader text-variety of fiction. At the same time, novels themselves can be broken down into more detailed categories such as detective novels or historical novels. The situational characteristics that define registers have direct functional correlates, and, as a result, there are usually important differences in the use of grammatical features among registers.

On remarquera ici que le concept de register de Biber comprend les deux notions hallidayennes de genre et register. La notion de communicative purpose reprise plus bas par le verbe intend to montre que l’intention est directement à mettre en rapport avec le registre. On retrouve aussi le terme de mode vu plus haut sous la plume de Halliday/Thompson. Comme le montre cette citation, la perspective suivie par l’équipe de Biber est justement la mise en relation de paramètres externes avec des critères ou traits internes microlinguistiques. On peut alors se demander si la programmatique de l’analyse de discours ne trouverait pas un avenir intéressant dans cette voie : faire coïncider des situations de communications avec des énonciations particulières et apprécier l’adéquation des premières par rapport aux dernières. Maingueneau (2002 : 596) termine son article Typologie des discours par ce vœu :

Étant donné le point de vue spécifique de l’analyse du discours, elle ne peut se contenter de typologies purement linguistiques ou purement situationnelles. Elle est inévitablement amenée à privilégier les typologies qui associent des propriétés linguistiques et des contraintes liées aux genres de discours.

Cela semble particulièrement pertinent par rapport aux buts que nous nous sommes fixés dans cette étude du discours médiatisé anglais. Les quatre registres mis à plat vont nous permettre, par comparaison statistique, de caractériser notre corpus britannique suivant une méthodologie qui sera définie au chapitre 3.

La remarque faite précédemment concernant le glissement des travaux cités vers la troisième catégorie, le point de vue communicationnel, est aussi pertinente ici, si l’on en croit la fin de la citation précédente. Cela se confirme dans le tableau suivant, destiné à synthétiser les caractéristiques situationnelles des quatre registres étudiés (1999 : 16) :

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Les critères retenus pour comparer les différentes situations sont intéressants à commenter. On voit notamment que le trait interactiveness recoupe en partie le suivant dans l’ordre du tableau, shared immediate situation, mais pas tout à fait ; on peut être surpris notamment du fait que ce dernier trait ne soit pas pertinent pour le discours journalistique, mais ici le registre nommé NEWS est uniquement composé d’articles de presse écrite. La rubrique des destinataires (audience) donne aussi une ouverture appréciable, notamment pour caractériser notre corpus de débat télévisé britannique qui, par nature, est destiné à un large public, sur le plan national.

La reprise des critères sur notre corpus donnerait la configuration suivante :

1) MODE spoken

2) interactiveness and online production yes ( ?)3) shared immediate situation yes4) main communicative purpose / content information / argumentation / explanation /

evaluation5) audience wide public6) dialect domain national (global)

La confrontation avec le tableau initial de Biber montre que, du point de vue situationnel, notre corpus tient à la fois de la conversation (critères 1, 2 et 3), de la fiction (critère 4), du discours journalistique (critères 4, 5 et 6) et du discours académique (critères 4, 5, 6). La ressemblance est la plus frappante pour le domaine journalistique et, de façon surprenante, pour le discours académique. La conversation n’entre en jeu que pour le haut du tableau, l’interactivité et la production in situ. D’un côté, la situation est immédiatement partagée par les différents participants ; de l’autre, le journaliste, meneur de jeu, sollicite les différents locuteurs explicitement pour qu’ils s’expriment quand lui seul le désire et dans l’intérêt du débat la plupart du temps ; il n’est pas rare en effet d’entendre le journaliste refuser la parole à un invité par un No très direct. Peut-on alors légitimement parler d’interactivité spontanée ? Sans doute pas. Notre corpus comporte une alternance de longs exposés en forme de monologue et de conversations plus denses et plus naturelles.

La conclusion provisoire est donc que, du point de vue des paramètres externes considérés, notre débat médiatisé britannique tient de la conversation, du discours journalistique et du discours académique. Lors de l’étude du corpus, nous serons alors amené à nous poser la question de savoir si l’analyse des marques linguistiques tient compte des parentés situationnelles. Autrement dit, l’étude des marques linguistiques confirmera-t-elle les hypothèses issues des paramètres externes ? Voyons maintenant ce que Charaudeau range dans la dernière rubrique.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

1.3.3.1.3 Le point de vue communicationnel Mention est faite des travaux de Maingueneau et Cossuta, qui souhaitent décrire les

discours constituants, sur lesquels peuvent s’appuyer les autres ; il s’agit des discours religieux, philosophique et littéraire.

Dans l’approche développée par Charaudeau lui-même, qui ancre les recherches linguistiques dans le social mais dans une filiation plus psychosociologique suivant ses propres termes, les genres de discours sont des genres situationnels. Il l’explique de la façon suivante :

[…] les caractéristiques des discours dépend[ent] essentiellement de leurs conditions de production situationnelles où sont définies les contraintes qui déterminent les caractéristiques de l’organisation discursive et formelle […]

Le commentaire que suscite cette formulation est que la dépendance nécessaire entre les conditions de production situationnelles et l’organisation discursive et formelle n’apparaît pas de façon si claire. Nous le verrons à propos de la CDA (Critical Discourse Analysis), il est même parfois productif de pouvoir s’en distancer ; certes, la situation pèse sur l’énonciation, mais en relation avec d’autres éléments qu’il convient de prendre en compte également.

Dans cette rubrique, l’auteur mentionne également la vision bakhtinienne déjà rencontrée, suivant laquelle les genres dépendent de la nature communicationnelle de l’échange verbal. Cette conception fondatrice est parfaitement heuristique, appliquée à notre corpus britannique ; nous reprendrons donc quasiment tel quel un titre proposé par J.M. Adam (1998).

1.3.3.2 Le genre : à partir de l’éclairage bakhtinienNous pouvons reprendre comme point de départ certains éléments de la citation faite

dans notre introduction générale. Rappelons tout d’abord que, pour Bakhtine (1984 : 265): […] chaque sphère d'utilisation de la langue élabore ses types relativement stables d'énoncés, et c'est ce que nous appelons les genres du discours. 

Comment sont élaborés ces types relativement stables d’énoncés13 ? Pour ce même auteur :

L'utilisation de la langue s'effectue sous forme d'énoncés concrets, uniques (oraux et écrits) qui émanent des représentants de tel ou tel domaine de l'activité humaine. L'énoncé reflète les conditions spécifiques et les finalités de chacun de ces domaines […]

Le sujet parlant est donc posé comme le point de départ de l’activité langagière. Quels sont donc les représentants des domaines de l’activité humaine que nous devons considérer ? Quelles finalités peut-on identifier pour ce domaine et pour ses représentants ? Dans la perspective bakhtinienne, le sujet parlant est acteur, élaborant des énoncés dans un cadre socioculturel donné, poursuivant des finalités particulières liées à la nature du cadre et à celle de sa qualité ; ce sont les participants à l’échange qui déterminent la nature de la situation de communication. Nous tenons là les trois éléments les plus souvent repris pour formaliser le genre de discours : un domaine d’activité, des acteurs, des finalités liées au domaine.

Avec Bakhtine, nous sommes dans une conception de l’activité langagière où l’interaction verbale constitue […] la réalité fondamentale de la langue (1977 : 136). Ainsi, la nature de la source locutive est nécessairement mise en rapport avec une conception du destinataire auquel s’adresse l’énoncé (1984 : 303) :

13 L’expression est aussi traduite par énonciations sous la plume de Todorov (cité par Adam, 1998 : 87).

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Chacun des genres du discours, dans chacun des domaines de l'échange verbal, a sa conception type du destinataire qui le détermine en tant que genre.

Le genre permet donc de faire le pont entre les deux pôles de la communication verbale. En ce qui nous concerne, le tableau proposé lors de la macro-évaluation du corpus aide à approcher le domaine que nous devons étudier en précisant ce qui constitue le premier pôle. Nous trouvons la présence d'un journaliste, d'un public sur le plateau, de politiciens, d’universitaires, et aussi bien sûr d’un public absent, les téléspectateurs. Forment-ils un groupe cohérent par rapport au domaine qu’ils représentent ? Si tel est le cas, on pourra alors postuler que l’homme de médias cible généralement le téléspectateur, le politicien cible le téléspectateur-électeur et l’expert le téléspectateur-apprenant.

Pour définir le genre au niveau des acteurs en présence, Swales (1990 : 23-24) propose le concept de communauté discursive (speech community). Nos participants à l’échange, qui ont en commun de se prêter au jeu de Question Time, constituent-ils d’une façon ou d’une autre une communauté discursive ?

1.3.3.2.1 Question Time, une communauté discursive ?Pour Swales (ibidem), le genre est lié à la notion de communauté discursive. Cette

communauté, par l’intermédiaire de ses experts, reconnaît les buts que poursuivent les événements communicationnels. Il nous faut garder à l’esprit que les travaux de Swalesappartiennent à ce qui est signalé par les initiales EAP : English for Academic Purposes ; son propos est clairement à orientation didactique et définit une méthode pour l’apprentissage de la rédaction d’articles de recherche. Il n’est donc pas sûr que ces concepts soient transférables à notre objet.

Swales propose des arguments pour la mise en place d’un concept plus fonctionnel, et donc plus opératoire que celui de communauté linguistique : celui de communauté discursive. Les deux concepts se définissent par contraposition. Swales ne manque pas de préciser, à propos de la communauté linguistique, que les critères de définition varient suivant les chercheurs et ont évolué avec le temps. Les deux notions se définissent l’une par rapport à l’autre ; on pourrait même parler de distribution complémentaire.Voici les caractéristiques de la communauté linguistique (ibidem : 23-24) :

- In terms of the fabric of society, speech communities are centripetal (they tend to absorb people into that general fabric)- A speech community typically inherits its membership by birth, accident or adoption.

Voici celles de la communauté discursive :1. a discourse community consists of a group of people who link up in order to pursue objectives that are prior to those of socialization and solidarity […]2. [thus] the primary determinants of linguistic behavior are functional.3. the communicative needs of the goals tend to predominate in the development and maintenance of its discoursal characteristics. - discourse communities are centrifugal (they tend to separate people into occupational or speciality-interest groups). - a discourse community recruits its members by persuasion, training or relevant qualification.

On voit que c’est la notion de communauté discursive qui est singularisée par rapport à la notion, que l’on pourrait dire par défaut, de communauté linguistique. Les trois critères énoncés pour définir la communauté discursive ne trouvent pas d’écho en ce qui concerne

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

la communauté linguistique. Swales ressent le besoin d’expliciter les choses en ce qui concerne les deux dernières caractéristiques données, ce qui lui permet de proposer des éléments qui ne dérivent pas directement et systématiquement du schéma de contraposition : la persuasion, la formation et la qualification ne s’opposent pas strictement et nécessairement à l’adoption, la naissance ou l’accident. Les termes qui sont véritablement en opposition sont recruit vs inherit et centrifugal vs centripetal.

Swales propose ensuite six critères pour délimiter précisément une communauté discursive. Nous allons voir s’ils s’appliquent à nos locuteurs.

Critère 1   : A discourse community has a broadly agreed set of common public goals.Ces buts peuvent être inscrits dans des documents de façon officielle, c’est le cas des clubs, des associations ; ou ils peuvent être plus tacites, ce qui n’empêche pas qu’ils soient publics. Enfin, ce n’est pas l’objet d’étude commun qui détermine l’existence d’une communauté discursive, mais bien l’identification de finalités communes (1990 : 25) :

The fact that the shared object of study is, say, the Vatican, does not imply that students of the Vatican in history departments, the Kremlin, dioceses, birth control agencies and liberation theology seminaries form a discourse community.

Il apparaît d’emblée que les divers locuteurs participant à l'émission ne forment pas une communauté discursive cohérente ; le fait de vouloir médiatiser leur opinion sur un même plateau ne suffit pas à les structurer en une communauté unique : ils n’ont pas les mêmes buts en participant à l’émission. Suivant ce critère, on verrait apparaître  au moins trois communautés discursives : les politiciens, les personnalités civiles élevées au rang d'expert, et le journaliste meneur de jeu. Le public correspondrait à une représentation de la communauté linguistique.

Critère 2 : A discourse community has mechanisms of intercommunication among its members. Ces mécanismes diffèrent d’une communauté à l’autre. Il peut s’agir de lettres, de réunions, de diverses formes de télécommunications, de journaux internes, de conversations. Ce critère bloque de façon radicale la conceptualisation des communautés discursives : le terme de stringent est d’ailleurs utilisé par l’auteur pour le caractériser. Il cite les cas des cafetiers, des gardiens de phare, des missionnaires isolés dans la jungle, ou les membres du corps consulaire oubliés par leur administration dans des affectations aliénantes : les membres des communautés ne communiquent pas entre eux. Selon ce critère, les participants à notre débat ne forment pas une communauté discursive : le journaliste est seul, les experts et politiciens ont plutôt intérêt à développer une communication autre qu’interne.

Critère 3 : A discourse community uses its participatory mechanisms primarily to provide information and feedback. Si nous avions quelque doute au niveau des précédents critères concernant l’éclatement de nos groupes, il faut ici se rendre à l’évidence : nous sommes en face d’une multitude de sous-catégories qui, celles-là, semblent cohérentes et regroupables en macro-catégories. On devrait donc parler des communautés discursives : (1) des politiciens (communauté des travaillistes, conservateurs …), (2) des experts (communauté des universitaires, des hauts fonctionnaires, hommes de médias), (3) des membres de la production, les deux journalistes. Dans le cadre médiatique, les différentes communautés représentées sont loin d’être étanches et il n’est pas rare de passer de la communauté discursive des politiciens à celle des journalistes. La frontière est parfois mince entre l’ordre politique et l’ordre médiatique si l’on se concentre sur leurs acteurs : ils sont en effet souvent les mêmes. Kilroy, animateur fringant et éponyme d’un

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

talk-show très populaire n’est autre qu’un ancien député Labour reconverti dans les médias ; voici ce qu’il déclare à ce propos (cité par Livingstone et Lunt (1994: 40)14) :

There are a lot of similarities. It’s just a different platform. I’m a communicator: whether it’s teaching, politics or the media, it’s all part of the same pattern . The B.B.C wanted someone who could take on a Cabinet minister, but who could also understand the problems of an unemployed person in Liverpool. An M.P straddles all those areas.

Les portes du Parlement ouvrent donc parfois sur celle des médias. Critère 4 : A discourse community utilizes and hence possesses one or more genres in

the communicative furtherance of its aims. Les mêmes recoupements semblent possibles par rapport à ce critère : le politicien use de l’argumentation, de l’exposition, de l’apostrophe, le journaliste du mode de l’interview, l’universitaire de l’exposé …

Critère 5 : In addition to owning genres, a discourse community has acquired some specific lexis. Le lexique est un élément clairement catégorisant ; le journaliste emploiera des termes comme questions,  answers qui sont clairement liés à sa fonction ; on peut aussi anticiper et prédire qu’un politicien va utiliser un vocabulaire institutionnel, un haut fonctionnaire aura sans doute une expression technocratique. Coulthard, dans un article intitulé Whose text is it ? (2000 : 270), analyse les stratégies langagières d’une personne accusée de meurtre et démontre que le témoignage recueilli, soit-disant sous la dictée du prévenu, a été co-écrit par la police elle-même ; l’utilisation atypique du marqueur then par un locuteur presque illettré de 14 ans démontre qu’il y a un hiatus entre ce qui peut être raisonnablement attendu d’un tel locuteur et le résultat obtenu ; Coulthard se base sur l’étude d’autres témoignages de personnes accusées pour établir ses conclusions. En ce qui nous concerne, nous tenons, avec ce critère, une hypothèse de départ intéressante pour problématiser notre étude : ce que l’on met au jour par une analyse linguistique de terrain  est-il en accord avec ce qui est anticipable à partir des paramètres externes ? Ou bien y a-t-il des surprises ?Quoi qu’il en soit, le critère 5 confirme a priori l’existence des catégories et communautés que nous avons délimitées.

Critère 6 : A discourse community has a threshold level of members with a suitable degree of relevant content and discoursal expertise. Si ce critère semble pertinent pour les journalistes, les universitaires et les politiciens, il n’en va pas de même pour les questionneurs ; nous confirmons donc que le public ne constitue pas une communauté discursive.

Au terme de cette exploration, nous concluons que les différents participants, pris globalement, ne forment pas à proprement parler une communauté discursive. Une catégorisation éclatée plus fine permet en revanche d'articuler les six critères en même temps. Nous pouvons donc mettre à profit la définition du genre que donne Swales (1990 : 58) :

A genre comprises a class of communicative events, the members of which share some set of communicative purposes. These purposes are recognized by the expert members of the parent discourse community, and thereby constitute the rationale for the genre. This rationale shapes the schematic structure of the discourse and influences and constrains choice of content and style. Communicative purpose is both a privileged criterion and one that operates to keep the scope of a genre as here conceived narrowly focused on comparable rhetorical action. In addition to

14 Magazine New Woman, novembre 1991, interview réalisé par William Cook.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

purpose, exemplars of a genre exhibit various patterns of similarity in terms of structure, style, content and intended audience. If all high probability expectations are realized, the exemplar will be viewed as prototypical by the parent discourse community. The genre names inherited and produced by discourse communities and imported by others constitute valuable ethnographic communication, but typically need further validation.

Cette citation ouvre au moins trois voies originales autour de la conception du genre. La première concerne l’apparition de termes tels que style, rhetorical, choice. C’est la

deuxième fois que la mention du style émerge dans ce travail par l’intermédiaire d’une citation à propos de genre (la première était le style de langue, de Bakhtine). Les notions de style, de choix devront être fouillées pour l’application d’un concept de genre à notre corpus.

La deuxième voie concerne la notion de reconnaissance d’une finalité, qui permet de mettre en forme la logique interne du genre. Cette reconnaissance, ici limitée à l’action de la communauté discursive mère ou principale, est parfois retenue comme un élément essentiel à la notion de genre ; elle a l’intérêt de limiter efficacement l’ouverture des genres (nous renvoyons à la partie précédente) à ce qui peut être reconnu comme tel et pris pour base de communication. Bronckart, dans une perspective voisine, voit les genres de discours comme porteurs de multiples indexations sociales ; il pousse le raisonnement vers la phase de production qui suit naturellement la reconnaissance et l’intégration (1996 : 110) :

[…] l’agent qui entreprend une action langagière doit nécessairement mettre en interface la connaissance de sa situation d’action et celle des genres de textes, tels qu’ils sont indexés dans l’intertexte et tels qu’ils mobilisent les ressources et les préconstruits particuliers d’une langue naturelle.

L’expression de mise en interface, en italiques dans le texte original, trouve de multiples échos dans les conceptions qui précèdent et en ce qui concerne le discours politique médiatisé anglais que constitue Question Time ; celui-ci fait se rencontrer dans et par l’activité discursive au moins trois communautés discursives et un échantillon représentatif de la communauté linguistique.

La troisième voie qu’ouvre Swales concerne l’intégration de certains genres par d’autres communautés et permet de baliser une conception de l’interdiscours avec validation et intégration progressive du genre.

1.3.3.2.2 Conséquences pour l’étude du corpus  La configuration dérivée de la rubrique précédente, suivant laquelle nous avons affaire à

une communauté linguistique représentée et trois macrocommunautés discursives, permet de caractériser la structure communicationnelle du corpus.

A un niveau très large, on s’aperçoit que deux plans co-existent. Les diverses communautés discursives mises en présence interagissent directement pour le compte de la communauté linguistique représentée sur le plateau, échantillon des téléspectateurs assis devant leur poste de télévision. Cette configuration est à la source du discours médiatisé : le média est vecteur de parole pour d’autres.

D’après Viallon (1996 : 38), il existe une interaction interne (des participants au débat conversent les uns avec les autres sur le plateau) et une interaction externe implicite, ayant lieu entre les participants et les récepteurs muets des paroles échangées. C’est, paradoxalement, l’interaction externe, pourtant intangible, qui finalise la première et lui donne ses raisons d’exister. Scannell (1991 : 1), dans l’introduction au volume intitulé Broadcast Talk, formalise la même réalité de façon légèrement différente tout en reconnaissant l’importance de la partie absente :

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Thus broadcast talk minimally has a double articulation : it is a communicative interaction between those participating in discussion, interview, game show or whatever and, at the same time, is designed to be heard by absent audiences.

Kerbrat-Orecchioni note encore (1990 : 95) que ce type de discours (interviews, débats médiatiques) fonctionne sur le mode du trope communicationnel. On peut formaliser cette caractéristique au moyen de concepts mis au point par Ducrot (1980) :  l'énonciateur est la personne à qui est attribuée la responsabilité d’un acte illocutionnaire et le destinataire est celle à qui cet acte est censé s’adresser. Autrement dit, les invités, sur le plateau, conversent les uns avec les autres, mais leur discours est destiné au téléspectateur : l’allocutaire ne se confond pas avec le destinataire. Ce dispositif se rencontre dans des genres de discours qui, en apparence, n’ont pas grand chose à voir avec le discours télévisuel comme par exemple le théâtre (cf. dans La Femme du Boulanger, le boulanger fait mine de s’adresser au chat et pourtant le message est clairement destiné à sa femme).

Ce mode du trope communicationnel conditionne à la source la production discursive des locuteurs prenant part à un débat. On peut parler de contrainte formelle ; les participants font attention à ce qu’ils disent et à la façon dont ils le disent car ils pensent aux destinataires devant leur poste de télévision. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 83) remarque d’ailleurs plus généralement que "les témoins extérieurs ont de toute façon un certain impact sur le déroulement de l’interaction".

Une conséquence sera, par exemple, le fait de vouloir respecter à la lettre les règles prescriptives d’utilisation de la langue, jusqu’à l’hypercorrection ou la trop grande complexité syntaxique ; ainsi Jack Straw, alors porte-parole du parti travailliste en déroute en 1992, déclare :

people who might have been ready to have voted Labour, have hesitated […]

Cet énoncé ne s’impose pas par son naturel.

1.3.3.2.3 Question Time, débat avec participation du public ?Livingstone et Lunt (1994) se sont intéressés à une forme d’émission de télévision dont

pourrait bien relever Question Time au vu des différents paramètres définitoires déjà mis au jour. Leur ouvrage intitulé Talk on television comporte le sous-titre évocateur de Audience participation and public debate. Ils proposent un certain nombre de critères pour pouvoir délimiter ce genre télévisuel précis :

1) First, the guests or experts and lay studio audience sit together (typical of British programmes such as Kilroy, The Time, The Place) and experts are singled out only insofar as they are seated in the front row and are identified by a visual label.

2) Second, the host, typically a television ‘personality’, roams among the studio audience with the microphone, selecting who may speak and responding to self-selected contributions.

3) Third, each episode focuses on a particular topic of social, political or personal concern, often stimulated by events in the news.

4) Fourth, the programme consists of lively, controversial conversation and argument on the chosen topic, expressing oppositional and diverse views.

5) Fifth, while the conversation is managed by the host and production team, the selection and ordering of participants also depends on the flow of the argument and the contributions of the studio audience.

6) Sixth, contributions appear as emotionally significant to the participants, being grounded in their personal experience rather than hearsay or scientific facts.

7) Seventh, the programmes are generally cheap to produce, low in production values, broadcast in the daytime or late at night and so not part of prime-time broadcasting.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

8) Eight, the programmes are either ‘live’ or recorded in ‘real time’ soon before broadcasting, with little or no editing. (1994 : 39)

Question Time, non cité dans les exemples donnés par Livingston et Lunt, recoupe un bon nombre de critères :(1) Ici, le panel est sur une estrade faisant face au public des gradins. (2) Ce n’est pas le cas ici : Peter Sissons reste assis à la table des invités durant toute

l’émission ; David Dimbleby ne se mêle au public que pour l’ouverture.(3) Les thèmes sont parfois déterminés par le lieu de tournage : la question de l’Irlande

occupe un bon tiers du programme à Belfast. Il n’en reste pas moins que la plupart des thèmes abordés le sont pour leur rapport à l’actualité brûlante.

(4) C’est absolument le cas et semble être l’objet même de l’émission. (5) Le journaliste peut prendre appui sur une intervention du public et demander des

précisions supplémentaires, ou bien enchaîner sur un point complémentaire. (6) C’est le cas également : on trouve des marqueurs explicites de subjectivité tels que in my

view, ou bien le journaliste dit tell us from your personal experience. (7) En ce qui concerne le budget, il est difficile à évaluer, d’autant plus que l’émission est

itinérante. En revanche l’heure tardive correspond au critère : 22h30. (8) Le caractère spontané de notre corpus apparaît clairement avec les chevauchements de

paroles. Le Broadcasting Act, de toute façon, réglemente très sévèrement les retouches possibles en matière de débat politique médiatisé :

Impartiality applies equally to the editing of interviews as to their conduct. Editing to shorten recorded interviews must not distort or misrepresent the known views of the interviewee.

Pourtant, McNair (2000 : 112) note que ce type d'émission est rarement diffusé en direct, pour le cas où une correction devrait être appliquée à une remarque diffamatoire, blasphématoire ou injurieuse15.

Ainsi, plusieurs des critères sont pertinents : il est vrai que Question time s’inscrit dans la catégorie des débats avec participation du public (avec des réserves évidentes sur le terme de participation – elle est ici très guidée – et sur le terme de public, car ce dernier fait l’objet d’une sélection16).

Clayman et Heritage (2002 : 299) rangent les débats-panel dans la catégorie englobante de l’interview. Selon eux, il y a échange entre interviewer et interviewé mais également, de façon directe ou indirecte, entre les membres du panel. Un observateur francophone, culturellement habitué à une autre forme de débat, notamment grâce à l’institutionnalisation de ce dernier, comme dans le cas du débat entre les deux tours de l’élection présidentielle, notera tout de même, pour Question Time, que c’est l’impression d’un entretien croisé qui domine. Clayman et Heritage, qui ont surtout travaillé sur les médias américains énoncent une conséquence qui convient parfaitement pour notre débat et en précise davantage la forme ainsi que la nature des acteurs :

Thus, legislators, certified experts of various stripes, and representatives of advocacy groups are the mainstay of the panel interview. Consequently, rather than featuring the first-hand reflections of prominent movers and shakers, such interviews often consist of expert analysis and commentary on current events.

15 Nous traduisons les termes de McNair.16 McNair (2000 : 112) déclare à propos des participants : They are not, in short, representative of the population as a whole, and may never be.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Cette réflexion peut nous aider à formuler une hypothèse qui sera à confirmer au fil de l’analyse du corpus : si les politiciens ne sont pas de tout premier plan, leur rôle consiste sans doute à expliciter leur positionnement vis-à-vis de leur formation politique, plutôt que d’en énoncer/annoncer les projets et visées.

1.3.3.2.4 Genre premier, genre second

L’approche bakhtinienne fournit une distinction grâce à laquelle on peut descendre plus précisément dans la conception du cadre et de son hétérogénéité constitutive. Bakhtine oppose ce qu’il nomme les genres premiers aux genres seconds (1984 : 267) :

II n'y a pas lieu de minimiser l'hétérogénéité extrême des genres du discours et la difficulté qui en résulte lorsqu'il s'agit de définir le caractère général de l'énoncé. II importe, à ce point, de prendre en considération la différence essentielle qui existe entre le genre du discours premier (simple) et le genre du discours second (complexe). Les genres seconds du discours  - le roman, le théâtre, le discours scientifique, le discours idéologique, etc. -  apparaissent dans les circonstances d'un échange culturel (principalement écrit) - artistique, scientifique, socio-politique - plus complexe et relativement plus évolué. Au cours du processus de leur formation, ces genres seconds absorbent et transmutent les genres premiers (simples) de toutes sortes, qui se sont constitués dans les circonstances d'un échange verbal spontané.

Le caractère second de Question time semble consacré. Il trouve de multiples extensions. La dualité du cadre évoquée au paragraphe précédent est en soi pertinente ici ; gardons à l’esprit que l’interaction interne n’est que la représentation propre au média de formes de conversations de la vie courante, faites pour être diffusées. La citation précédente mentionne explicitement les termes de socio-politique et d'idéologique qui s'appliquent parfaitement au débat. Le caractère régulé et contraint de la structure du programme empêche d’ailleurs de l’envisager comme spontané même si, sporadiquement, quelques échanges semblent échapper au contrôle du journaliste. L’idée de la transmutation des genres premiers par les genres seconds s'applique fortement à notre cadre. Une conversation qui est un débat d’idées ne répond pas aux mêmes finalités selon le type de public présent.

On peut penser en effet que Question Time intègre la pratique du débat par monologues croisés. Les membres du panel commencent toujours par exposer leur point de vue dans un monologue ininterrompu, dont la transcription fait parfois plus de deux pages ; il s’agirait plutôt d’entretien croisé que de débat. Ceci est tout à fait cohérent avec l’appartenance à un genre second du discours (ibidem : 275) :

Les genres seconds de l'échange verbal, dans la plupart des cas, escomptent précisément ce type de compréhension responsive active avec action à retardement. Ce qui vient d'être dit vaut également, mutatis mutandis, pour le discours qui est lu ou écrit.  

Nous aurions donc affaire à un genre second particulier, oral certes, mais en partie à retardement. Cette spécificité est importante car elle définit un paramètre culturel du genre du débat dans le mode anglophone. La transmutation des genres est un aspect fondamental de la communication verbale, pour les genres dits seconds mais aussi pour d’autres genres oraux, pour lesquels la créativité est inévitable (ibidem : 286) :

(Jusqu'à présent aucune nomenclature des genres du discours oral n'a été mise au point et le principe même d'une telle nomenclature n'est pas clair.) Pour la plupart, ces genres se prêtent à une restructuration créatrice (semblable en cela aux

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

genres littéraires - et à un degré encore plus poussé, pour certains d'entre eux), mais un usage créatif libre ne signifie pas encore la recréation d'un genre - pour en user librement, il faut une bonne maîtrise des genres. 

Bakhtine reconnaît donc dans sa théorisation des genres un processus d’évolution et de transformation ; il n’en reste pas moins qu’ils peuvent être posés comme terrain commun pour l’échange verbal (ibidem : 287) :

Les genres du discours, comparés aux formes de langue, sont beaucoup plus changeants, souples, mais, pour l’individu parlant, ils n'en ont pas moins une valeur normative : ils lui sont donnés, ce n'est pas lui qui les crée ; c'est pourquoi l'énoncé, dans sa singularité, en dépit de son individualité et de sa créativité, ne saurait être considéré comme une combinaison absolument libre des formes de langue. 

L’expression Question time évoque chez un membre de la communauté linguistique anglophone un événement très particulier de la vie socio-culturelle : les questions posées au gouvernement par les parlementaires à la Chambre des communes. Il faut voir ici la volonté des producteurs de situer le débat au cœur de la vie sociale et politique du pays dont le média se fait l'écho. L’analyste ne doit donc pas l’envisager différemment. Bien entendu, cette séance est figée, lourdement ritualisée. Nous formulerons l’hypothèse que des traces de ce genre premier17 sont multiples dans les émissions constituant le corpus ; nous nous bornerons à en catégoriser quelques-unes18.

1.3.3.3 Des questions du Parlement aux questions de Question Time 

Pour voir comment certains us et coutumes de la vie parlementaire se retrouvent dans le programme Question Time, nous prendrons appui sur deux chapitres de May (1844) : Order of items of business in programme of sitting (chap XVII) et Maintenance of order during debate (chap XIX). C’est, semble-t-il, avec la Chambre des communes, plutôt qu’avec la Chambre des lords, que le parallèle est le plus probant. Nous évoquerons trois pistes pour envisager le rapport discursif existant entre notre programme et le Parlement : la question, le rôle de meneur de jeu et le rituel d’adresse.

1.3.3.3.1 De l’art de la questionDans la vie parlementaire, le terme de question désigne à la fois l’événement pour

lequel se rassemblent les membres du Parlement et le genre d’énoncés à produire. Aujourd’hui le Prime Minister Question Time est télévisé et dépasse largement l’enceinte de Westminster. L’usage très codifié des questions se trouve consigné dans le chapitre XVII de May (1844 [1971] : 319-331).

The purpose of a question is to obtain information or press for action ; it should not be limited to giving information, or framed so as to suggest its own answer or convey a particular point of view, and it should not in effect be a short speech. Questions of excessive length have not been permitted. (323)

17 On peut d’ailleurs se demander si l’étiquette de genre premier est applicable pour parler de débat à la Chambre des communes. Il semble que ce soit déjà, d’après les critères de Bakhtine, un genre second. Nous sommes dans la situation où un genre second est transformé pour en devenir un autre. Il faudrait donc plutôt parler de genre source, étant bien entendu que la source peut elle-même être née d’une récupération, adaptation antérieure, pour ensuite servir de base à une évolution.18 Le discours parlementaire en soi étant un objet d’études à part entière, comme le montre l’imposant ouvrage de référence en ce qui concerne les usages au et du Parlement britannique, écrit en 1844 par Sir Erskine May, ancien clerc du Parlement.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

La fonction discursive de la question, sa force illocutoire, est donc explicitée et recadrée. On s’aperçoit du même coup que la question parlementaire n’est pas très différente de la question dans le langage courant, dont la fonction discursive la plus largement reconnue est  d’obtenir une information. Elle peut aussi se muer en acte indirect, puisqu’elle peut être utilisée pour inciter à l’action. C’est là une différence notoire entre le débat télévisé et le débat parlementaire ; un membre du public souhaite simplement recueillir l’opinion du panel. On trouve ainsi des formulations de type :

Over the past week / there have been a number of reports of pupil violence against the teachers // is this a growing trend and if so / how would the panel suggest tackling ? //

Yeah / hum does the panel believe that the decision to reprieve twelve coal mines / announced this afternoon / is economically and socially justifiable or just politically expedient ? //

Une autre différence essentielle est qu’au Parlement les questions destinées à recueillir un sentiment ne sont pas de mise19. Le premier exemple donné respecte une autre règle énoncée par May :

The facts on which a question is based may be set out briefly, provided that the Member asking it makes itself responsible for their accuracy, but extracts from newspapers or books, and paragraphs of or quotations from speeches, etc. are not admissible.

Le premier segment du premier exemple, qui s’étend jusqu’au signe de partition (//), est conforme à l’usage au Parlement : le locuteur lit un papier et introduit le thème de façon très académique en amenant la question par un rappel factuel.

Le format question-réponse pour un débat télévisé n’est pas pertinent pour tout le monde. McNair (2000 : 110-115) cite à ce propos un certain nombre d’opinions. Pour Freedland (1998 : 25), le titre élitiste de l’émission ne peut aboutir qu’à une forme illusoire d’accès pour le public. Ces débats ne permettent d’ailleurs pas aux membres du public de véhiculer leur opinion facilement, même si le cas se produit parfois. Ces débats-panel, utilisant la structure question-réponse, reproduisent symboliquement, pour certains observateurs, les différences de statuts et les disparités de pouvoir existant entre les meneurs et les menés, les élites et la masse.

1.3.3.3.2 Les prérogatives du meneur de jeuLa parenté entre débat télévisé et débat parlementaire s'appuie souvent sur les

prérogatives du journaliste et du responsable de séance au Parlement, Mister/Madam Speaker, élu(e) par l’assemblée. Tous deux sont véritablement placés au centre du dispositif. D’ailleurs, l’interaction 5 est annoncée comme ceci par la BBC : And now, David Dimbleby is in the chair for Question Time.Le rôle du speaker au Parlement est d’une importance capitale :

The Speaker of the House of Commons is the representative of the House itself in its powers, proceedings and dignity. His20 functions fall into two main categories. On the one hand he is the mouth representative of the House in its relations with the Crown, the House of Lords and other authorities and persons outside Parliament. On the other hand he presides over the debates of the House of

19 En anglais : not in order.20 On remarquera l’usage peu politiquement correct de l’adjectif possessif masculin his. Sans doute May n’imaginait-il pas en 1844 que l’histoire élirait une Madam Speaker un jour.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Commons and enforces the observance of all rules for preserving order in its proceedings. (ibidem : 223)

La partie concernant le maintien de l’ordre pourrait passer pour l’explicitation des devoirs d’un présentateur de débat télévisé réunissant plusieurs participants potentiellement opposés :

Duties of the Speaker under usage. It is the duty of the Speaker to preserve the orderly conduct of debate by repressing disorder when it arises refusing to propose the question upon motions and amendments which are irregular […]

Ce rôle se retrouve dans Question Time, avec par exemple :<JOURNALIST> Well / let's just leave that question for a moment because / there is an associated concern here // […]

Aux Communes, les débats sont indirects et les questions doivent passer par le speaker :In the Commons, a Member addresses the Speaker ; and it is irregular for him to direct his speech to the House or to any party on either side of the house.

De même dans Question time : il faut passer par le journaliste pour avoir le droit à la parole ; on trouve dans le corpus des énoncés dirigés directement vers le journaliste émanant de membres du panel désirant s’exprimer :

Can I just add that…David can I…. Let me just…

Dans l’interaction 2, on assiste à un petit échange entre Portillo et le journaliste Dimbleby :M.P Let me just finish let me just finish and I'll tell you I'll tell you the danger of that and why D.D Don't make all your points at once though listen to …

On ne sait pas si le let me just finish de Portillo s’adresse plutôt au journaliste ou à la personne dans le public qui vient de l’interrompre ; l’intervention du journaliste directement à sa suite semble au moins nous orienter vers une éventuelle double adresse.

Au Parlement, lorsque les règles de la bienséance sont bafouées, que certaines épithètes sont indûment appliquées, le Speaker a le droit et même le devoir d’épingler sur le champ le parlementaire fautif. Une succulente liste, pourtant non exhaustive, de ces termes qui ont suscité des interventions du Speaker est donnée par May (ibidem : 434) ; à côté des prévisibles traitor, hypocrite, on trouve des coward, criminal, hooligan et l’ébauche d’un bestiaire : stool-pigeon, rat, swine.

Rien de cela n’apparaît dans notre corpus (la grande audience de l’émission retenant sans doute les participants) mais on peut assimiler certains actes discursifs à des insultes ; nous pensons notamment à la petite séquence suivante, prise à la fin de l’interaction 1 :

DS Certainly, the only people who have ever successfully ruled Russia have been those who've killed and the really successful rulers have killed millions // It's true ! // (rires) PS Pauline Green // PG It's terrifying / now what a terrifying / terrifying // I can't even begin to think low in that way ! / </PG>DS or think // PG the problems / the problems (Rires) of Russia / (Applaudissements)PS That wasn't very chivalrous ! //DS It's not chivalrous but it's true ! //PG The problems hah / that sort of bullying is quite out of order I think and I'm taking absolutely no notice of it ! (applaudissements) // But / the problems of Russia are vast // […]

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

D. Starkey, si l’on grossit un peu le trait, semble impliquer que la seule façon efficace de gouverner en Russie consiste à supprimer des millions de gens. P. Green réagit en politicienne et prend la provocation à la lettre. Starkey se venge en exprimant qu’elle est idiote : You can’t think ! Le journaliste joue alors son rôle. Le terme de chivalrous connote d’ailleurs une certaine éthique de la conduite à tenir envers une dame, au temps des chevaliers ; il a donc ici valeur de mise à l’index ou de remise en question de l’attitude.

1.3.3.3.3 Le rituel d’adresse Il est une règle de conduite au Parlement qui veut que l’on essaie de préserver

l’anonymat des personnes en présence. Ainsi le renvoi direct par le patronyme est proscrit : on usera de formules comme the Noble Lord the Secretary of State for Foreign Affairs, the Right Honourable Gentleman, the Member for York ou encore the Honourable and Learned Member who has just spoken, my Honourable Friend ; l’usage de certains adjectifs correspond à des codes très précis et parfois complexes.

Dans Question Time, on trouve (dans les interventions du public) des traces du genre source également, comme dans I would like to disagree with the previous and last speaker. Ces types d’énoncés bi-adressés, tels que l’exemple donné plus haut, semblent aller dans le sens de la ritualisation. Hors contexte, en entendant l’énoncé précédent, on pourrait se croire au Parlement. Comment ne pas noter le superbe : The Right Honourable Kenneth Baker, lancé par Peter Sissons lors de la présentation du panel ? Cet appellatif correspond directement à l’usage institutionnel du Parlement britannique. Mais ici, il n’est pas neutre. Il est destiné à introduire un invité mais aussi à le présenter sous un certain angle au public et pourrait aussi être humoristique, voire ironique (l'appellatif rituel est prononcé lors d'une émission de télévision et non lors d'une séance parlementaire).

1.3.3.4 La loi et le débat téléviséEn Grande-Bretagne, les débats diffusés par un canal public sont réglementés par la loi.

Ceci est d’ailleurs assez original, du point de vue d'un Français, pour être signalé par Léon (1999 : 33), dont l’objet d’étude est l’entretien public en France. Ainsi l’étude linguistique doit s’analyser en partie en rapport avec cette loi. Cela explique sans doute pourquoi les analystes de discours anglophones ont produit autant de recherche sur la neutralité dans le cadre médiatique.

1.3.3.4.1 Le Broadcasting Act de 1990Cette loi impose, par l’intermédiaire d’une commission régulatrice, the Independent

Television Commission, l'impartialité et la neutralité nécessaires au canal public qu’est la BBC :

The Broadcasting Act requires the I.T.C to do all that it can to secure that due impartiality is preserved on the part of the person providing the service as respects matters of political or industrial controversy or relating to current public policy

Les termes d’impartialité nécessaire font l’objet d’une abondante littérature explicative en fonction de différentes situations. L’expression due impartiality se mue par exemple en due impartiality and accuracy dans le cas précis de l’information. Dans le cas de la présence de politiciens sur un plateau lors d’un programme d’actualité, il est ainsi souhaitable que les partis soient représentés équitablement mais il n’est pas nécessaire de convoquer deux politiciens opposés lors de la même émission, si plus tard un autre programme rétablit l’équilibre. Dans tous les cas, le Independent Television Commission Programme Code de 1995 précise que la notion d’impartialité s’applique aux thèmes (issues) et non aux partis politiques.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Lorsqu’un politicien invité ne peut ou ne veut se rendre sur un plateau de télévision, l’émission peut tout de même avoir lieu21, mais elle se charge alors d’une contrainte supplémentaire :

[…] care must be taken to give an impartial account of the subject under discussion, particularly when this is one of controversy or public policy covered by the Act. Reference to the absence of such a spokesman should be made in as detached and factual a manner as possible. […]

D’autre part, le canal public de diffusion a l’interdiction de donner ses propres opinions hormis sur la façon de programmer les émissions.

1.3.3.4.2  Northern Ireland ban de 1988, annulé en 1994 Cet Avis officiel est important pour notre étude car notre première émission de 1993 y

est soumise. Il a des conséquences profondes sur l’énonciation et c’est un très bon exemple d’interpénétration des domaines politique, juridique et médiatique, qui mérite que l’on s’y attarde. L’avis interdit de diffuser de façon directe des images, des personnes, des discours liés à certaines organisations indépendantistes comme le Sin Fein ou toute autre organisation interdite par les lois antiterroristes de 1978 et 1984 ; une note interne précise les modalités de la marge de manœuvre :

The Notice bans British broadcasters from transmitting the voices of Northern Ireland terrorists, members of paramilitary groups and of other organisations specifically listed, when they are speaking in that capacity. It also bans directly voiced expressions of support for such groups, whoever makes them. The listed groups include the IRA, INLA, UVF, Sin Fein and the UDA.

Les paragraphes qui suivent montrent que l’interdiction de média est totale. Ainsi, un élu d’une organisation citée ne pourra pas être entendu en sa qualité, même sur des sujets non-violents22, sauf s’il est président d’un comité ou d’une instance institutionnelle quelconque ; c’est alors seulement à ce titre que l’on peut l’entendre. Les parlementaires en session peuvent être diffusés ; cependant, dès que le cadre n’est plus institutionnel, un élu représentant les organisations citées perd son droit à la parole :  The ban applies even to an MP speaking outside the House of Commons. Dans le cas de l’évocation par le canal de manifestations de soutien, l’image est pertinente, mais sans le son :

Television could show pictures of demonstrators waving banners of support for one of the organisations affected, but the sound would have to be cut if they chanted support for the organisation. […]

De même une formulation précise et sans ambiguïté doit se faire entendre lorsqu’une émission tombe sous le couperet de cet Avis, comme par exemple "because of government restrictions we cannot let you hear the voice of…" Le discours indirect est possible et la personne qui relaie le discours (un journaliste par exemple) ne tombe pas sous le coup de la loi ; un journaliste peut donc indirectement se faire l’écho de certaines opinions sans être inquiété pour cela ; sans déflorer l’analyse qui sera faite

21 Ce détail apparemment dérisoire revêt pourtant une importance capitale. Si une telle précision n’était pas faite, ce serait pour tous les hommes et femmes évoluant dans la sphère politique l’occasion de « bloquer » la diffusion de programmes qui ne seraient pas à leur avantage. Une telle situation pèserait sans doute lourdement sur le bon fonctionnement de la démocratie.22 Nous traduisons l’expression utilisée dans le document de la BBC.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

dans la deuxième partie, on peut déjà remarquer que Peter Sissons, dans l’interaction 1 avec le thème de l'IRA, ne le fait pas.

Les quelques réflexions qui précèdent semblent à première vue un peu éloignées de nos préoccupations de linguiste ; pourtant, elles sont en prise directe avec le corpus. Cette interdiction de diffusion transparaît notamment dans la première émission ; elle est explicitement mentionnée par un membre du public quand le thème de l’IRA est débattu par le panel :

<Public> I think hum / you make it very difficult for hum the IRA's political wing to indulge in anything other than criminal activities / hum / through things like the Sinn Fein broadcasting ban and it doesn't make it easier to solve the problem / I don't think //

On peut en voir une autre trace, plus subtile, à la fin d’une intervention de Baker. Du fait de la loi, la situation de discours est clairement à l’avantage des politiciens autres qu’indépendantistes puisqu’ils peuvent exprimer n’importe quel avis (justifié ou non), sur n’importe quel ton (courtois, agressif), sans craindre une réponse de la part de leurs adversaires. Dans cette intervention de Baker, on trouve presque des insultes proférées envers les terroristes condamnés au mutisme médiatique :

And so the message has to go out that you are unacceptable / you IRA terrorists / you are pariahs / you are psychopaths / and they're murderers and that is a very clear message //

Ces énoncés suivent une discussion à propos d’enfants victimes d’un attentat. Le terme très fort de psychopath surprend tout de même dans un tel contexte politique. Si Baker devait faire face physiquement à des représentants du Sinn Fein, userait-il toujours de ce terme ? Il est facile d'insulter quand la cible ne peut pas se défendre.

1.4 Vers une synthèse possible

Le débat médiatique, et plus particulièrement l’émission Question Time, est parfaitement isotope, du point de vue de son hétérogénéité constitutive, avec les conceptions du genre. Certes, on peut dégager des consensus, des territoires communs parmi ces dernières ; aucune cependant, jusqu’à présent, ne permet d’articuler toutes les dimensions à la fois, l’émission ayant trait aux domaines politique, public, juridique et bien entendu médiatique. Cela tient peut-être au fait que les conceptions du genre exposées plus haut n’ont pas été conçues au départ pour être appliquées spécifiquement au discours médiatisé. Les outils les plus efficaces et les plus productifs sont certainement ceux qui ont été conçus précisément pour l’étude d’un corpus particulier.

Nous proposons maintenant de nous concentrer sur une approche née en Grande-Bretagne au début des années 90, connue sous le nom de Critical Discourse Analysis, abrégée en CDA. Elle présente le double avantage d’avoir été mise au point pour l’analyse de textes23

ayant trait au domaine politique médiatisé et de concevoir le genre par rapport à ces domaines. Dans Approaches to Media Discourse, Bell et Garret (1998 : 6) remarquent que c’est la CDA qui a produit la plus grande quantité de recherches sur le discours médiatisé. Cette approche remporte un très vif succès dans la recherche anglophone.

23 Le terme sera dorénavant employé avec le sens que lui donne Fairclough.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

1.4.1 L’hétérogénéité générique mise en système : la CDAAvant de développer cette approche pour tenter de mettre en valeur sa pertinence par

rapport à notre objet, il faut voir dans quels buts elle a été conçue, car ses ambitions dépassent largement celles d’une approche simplement linguistique.

1.4.1.1 CDA : un humanisme ?Les ouvrages de Fairclough, à commencer par le célèbre New Labour, New Language ?,

ne se sont pas destinés à un public universitaire uniquement. Nous prendrons tout de suite un exemple d’analyse réalisée par Fairclough pour tenter d’expliquer pourquoi.

En septembre 1997, la princesse Diana meurt tragiquement dans un accident de voiture. A cette occasion, le premier ministre Tony Blair fait une déclaration officielle de quelques mots, et beaucoup ont été émus par cet homme d’Etat, hoquetant, larmoyant, qui, pour une fois, semblait laisser son cœur parler. Le texte de l’intervention était le suivant (2000 : 7) :

I feel like everyone else in the country today utterly devastated. Our thoughts and prayers are with Princess Diana’s family in particular her two sons, two boys, our hearts go out to them. We are today a nation, in Britain, in a state of shock, in mourning, in grief that is so deeply painful for us.

Fairclough se demande pourquoi ce message a efficacement fait vibrer une corde chez autant de gens. Voici une partie de l’explication de texte linguistique qu’il fait de ce discours. L’auteur note, entre autres choses, qu’il y a deux veines parallèles identifiables dans les mots de Blair. La première consiste en une langue officielle traditionnellement utilisée par les leaders politiques quand ils se veulent porte-parole de la nation : le pronom we est présent, déjà annoncé par l’adjectif possessif our, et on a les clichés d’usage : our hearts go out with them, a nation in mourning, thoughts and prayers. Habilement tissée entre les marques de la veine officielle, se trouve une deuxième voix plus personnelle. Le paragraphe commence par le pronom I, le premier ministre commence à parler de son propre état émotionnel, il se dit utterly devastated. Puis viennent les clichés, suivis par her two sons, two boys. La référence aux fils est objective, mais il n’en va pas de même pour garçons, qui colore le texte d’un ton très familier. D'où le commentaire de Fairclough :

It is as if Blair (with his advisers – the speech has been attributed to Alistair Campbell) had started with the official form of words, then personalised and informalised it. He uses a vernacular language of affect as well as a public one […] (ibidem).

Tout cela n’est pas spontané mais matérialise le travail précis et rigoureux des spin doctors, ces maîtres de la communication politique œuvrant pour le Labour Party.

Le but ultime des analyses critiques du discours politique n’est pas tant de décrire, mais bien de faire comprendre au public, qui ne maîtrise pas forcément tous les codes, comment se matérialisent les jeux et enjeux de pouvoir dans et par le langage. Fairclough énonce très clairement les buts qui l’animent :

I think the main point of writing such a book is that a focus on the language of New Labour can enhance our understanding, as well as analysis, of the politics of New Labour.

Pour l’auteur, le linguiste étudiant le discours politique et médiatique est donc au centre de la société, dans laquelle il joue un rôle de révélateur. Il est nécessairement un activiste engagé de

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

la cause humaniste, à la subjectivité totalement assumée. Ceci n’étant pas notre objet, nous nous contenterons de décrire linguistiquement la réalité.

Le public auquel l’auteur destine son livre est entre autres celui des éducateurs et des professeurs qui pourront mener à bien le projet de la CDA. La dimension didactique est donc un constituant essentiel de l’approche critique du discours, suivant le sens que Fairclough donne à ce terme. Le linguiste confronté à de tels écrits peut avoir l'impression que l’objet de la CDA n’est pas la description linguistique. Pourtant, Mey (2001), dans son Pragmatics, an introduction, classe tout de même ce qu’il nomme the Lancaster School dans le chapitre 11 intitulé Social aspects of pragmatics. C’est dans Media Discourse (1995) et certains articles (1998 notamment) que sont élaborés les systèmes de concepts construits dans le cadre de la CDA pour une description des médias.

1.4.1.2 Le spectre général de la CDAAvant d’aborder précisément la formalisation du genre dont se sert la CDA, il convient

d’avoir une idée du cadre dans son ensemble pour replacer ce concept dans un système théorique général. Dans un article récent (2001 : 230) destiné à analyser le discours du New Labour, Fairclough se propose de définir en quelques mots cette approche et commence par énoncer deux questions révélatrices de ses préoccupations :

Critical discourse analysis asks : how does language figure as an element in social processes? What is the relationship of language to other elements of social processes?

L’analyse de l’activité langagière est donc liée à une double tension épistémologique, interne et externe, dans un mouvement que l’on retrouvera souvent. Le langage est envisagé comme un élément des processus sociaux et il entretient des relations avec d’autres éléments ayant un rôle dans la sphère sociale. La dynamique analytique est à la fois centripète et centrifuge (1995 : 54-55) :

[…] language is a socially and historically situated mode of action, in a dialectical relationship with other facets of the social. What I mean by a dialectical relationship is that it is socially shaped, but is also socially shaping – or socially constitutive. Critical discourse analysis explores the tension between these two sides of language use, the socially shaped and socially constitutive, rather than opting one-sidedly for one or the other.

Les objets qu’épingle la CDA sont aussi très larges : the starting point of CDA is social issues and problems. Ces objets d’analyse sont donc de nature très hétéroclite (1998) :

It analyses texts and interactions, and indeed any type of semiotic material (written texts, conversations, television programmes, advertisements on billboards, etc.).

Ils ne sont jamais étudiés en tant que tels ou de façon isolée mais toujours dans le cadre d’une interaction sociale. Ainsi, Fairclough a des préoccupations communes avec les politologues, les sociologues et les didacticiens. L’approche théorique se place au carrefour de tous ces domaines et se veut véritablement interdisciplinaire.

1.4.1.3 Le cadre conceptuel de la CDALa CDA naît de la continuation des recherches de critical linguists tels que Fowler et

Kress et s’inspire beaucoup de théoriciens français en analyse de discours, notamment Foucault dans son Archéologie du savoir (1969). L’analyse du discours médiatique correspond avant tout à l’analyse des événements communicationnels (angl : communicative event). Un tel événement comporte trois volets : le texte, la pratique discursive et la pratique socio-culturelle. La pratique discursive établit un

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

pont, une médiation24 entre le texte et l’ordre socio-culturel et trône au centre du dispositif. Pour Fairclough (ibidem : 60) :

Properties of socio-cultural practice shape texts, but by way of shaping the nature of the discourse practice, i.e the ways in which texts are produced and consumed, which is realized in features of texts. […] discourse practice straddles the division between society and culture on the one hand and discourse language and text on the other.

Les trois volets s’englobent mutuellement et Fairclough aboutit à la représentation suivante (1995 : 59) :

De façon à rendre plus accessible le dispositif d’analyse, très élaboré et relativement complexe, nous proposons de déplier les trois dimensions superposées, pour en détailler les composantes de façon simplifiée :

24 Le verbe mediate est utilisé par Fairclough.

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SOCIOCULTURAL PRACTICE

Text production

Text consumption

DISCOURSE PRACTICE

TEXT

Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

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TEXT:(Written or oral/visual => Televison)

COMMUNICATIVE EVENT

DISCOURSE PRACTICE:

(text production/consu

mption)

SOCIOCULTURALPRACTICE:

(Social / cultural goings-on the event is part of)

LINGUISTIC ANALYSIS:- vocabulary- sentence grammar- phonology- text structure=> Study of Meaning / form (3 functions (Cf. Halliday):- ideational- interpersonal- textual=> study of:- Representations- Relations- Identities

Analyst focuses on:- particular

representations of social practice

- particular constructions of reader and writer identities

- particular construction of a relationship between reader / writer

INSTITUTIONAL CHARACTER

InstitutionalProcesses:- editorial procedure:(T.V:Routines of household)

Discourse processes:

(transformations texts undergo in

consumption process)

- Situational context- Wider context of institutional practices- Wider frame of society and culture

Possible aspects:- economic , political:

=> Study of power/ideology

- cultural:=> Study of

value/identity

Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Ce schéma, établi à partir du chapitre 4 de Media Discourse (1995 : 53-74), intitulé Critical analysis of media discourse, appelle plusieurs commentaires. Il est déjà rassurant de constater que l’analyse se fonde sur des marques linguistiques grammaticales précises : vocabulaire, syntaxe, phonologie, cohésion textuelle. Il s’agit bien d’analyse linguistique de discours ; la grammaire de Halliday est d’ailleurs mise à contribution. Nous avons délibérément laissé les termes anglais pour faire émerger les influences théoriques dont procède le cadre.

Celle de Foucault, parfaitement assumée, saute aux yeux : discourse practice est la traduction littérale de pratique discursive ; Foucault définit comme suit ce concept capital dans son approche (1969 : 153) :

C’est un ensemble de règles anonymes, historiques, toujours déterminées dans le temps et l’espace, qui ont défini à une époque donnée, et pour une aire sociale, économique, géographique ou linguistique donnée, les conditions d’exercice de la fonction énonciative.

L’historicité est une part essentielle de la définition de ce concept ; on voit alors mieux pourquoi Fairclough, préoccupé par une forme de progrès social et une forme d’évolution, le récupère.

Une autre idée, qui apparaît dans les travaux de Foucault et qui a été retravaillée en linguistique par Pêcheux, trouve un écho très important ici : il s’agit de la formation discursive que l’on trouve aussi parfois sous le nom de formation socio-discursive (Adam, 1998). D’après Pêcheux, œuvrant dans un cadre marxiste althusserien :

Toute formation sociale, caractérisable par un certain rapport entre classes sociales, implique l’existence de positions politiques et idéologiques, qui ne sont pas le fait d’individus, mais qui s’organisent en formations entretenant entre elles des rapports d’antagonisme, d’alliance ou de domination. Ces formations idéologiques incluent une ou plusieurs formations discursives inter-reliées, qui déterminent ce qui peut et doit être dit (articulé sous la forme d’une harangue, d’un sermon, d’un pamphlet, d’un exposé, d’un programme, etc.) à partir d’une position donnée dans une conjoncture donnée.

Cette citation semble un commentaire direct de la relation entre la partie médiane et la partie droite du schéma de la page précédente ; on retrouve la plupart des termes du dernier encadré à droite : idéologie/ideology, domination/power. Le concept de sociocultural practice formalisé par la CDA semble directement hérité de la formation socio-discursive : la formation sociale pourrait très bien définir le wider context of institutional practices du schéma. L’influence de Foucault se fait encore plus manifeste si l’on détaille ce qui est mis en œuvre au niveau des pratiques discursives. On découvre là une formalisation intéressante du genre discursif.

Pour la CDA, les pratiques discursives d’une communauté s’appréhendent en termes de réseaux appelés orders of discourse. L’ordre de discours d’un domaine social et/ou institutionnel donné est constitué par tous les types discursifs qui y sont à l’œuvre ; l’intérêt essentiel du concept d’ordre de discours est donc de souligner les différentes liaisons au sein d’un ensemble particulier. La pratique méthodologique appliquée la plupart du temps par la CDA est de croiser, d’envisager le rapport entre l’événement communicationnel et les ordres de discours qui le traversent.

Fairclough prend l’exemple du cadre scolaire, constitué par les types discursifs de la classe, ou bien de la cour. La question est ensuite posée de savoir quelle relation ils entretiennent, si les frontières sont rigides ou mouvantes. Les mêmes questions se posent entre différents ordres de discours, par exemple l’école et le cadre domestique ; la démarcation est-elle rigide ? Ou bien y a-t-il chevauchement ? L’étude de ces ordres fait la part belle au domaine social en général (1995 :56 ) :

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Social and cultural changes very often manifest themselves discursively through a redrawing of boundaries within and between orders of discourse, and I shall be showing that this is true of the media.

Les ordres de discours sont eux-mêmes constitués de deux sous-catégories, les genres et les discours. Le schéma suivant remet les différents éléments à leur place :

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DISCURSIVE PRACTICES OF A COMMUNITYways of using language in terms of network

ORDER OF DISCOURSE:to highlight different types in a set

Social domain Institutional domain

Discourse types

Genres:use of language associated with, and constituting part of some particular practiceex: interview/advertising=> description in terms of organisational properties/structuration.

Discourses:language used in representing a given social practice from a given point of view.ex : Marxist political speech/liberal political speech.

Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

Il y a bien sûr un grand intérêt heuristique à vouloir séparer les genres et les discours : cette distinction fournit une possibilité de combinaison supplémentaire. Fairclough note que ce qu’il appelle types de discours  correspond approximativement à ce que la plupart des chercheurs appellent genre. Les genres se réalisent dans des combinaisons particulières de discours, et inversement. Il se réfère aussi à l’exemple du discours médical technocratique : ce dernier peut être véhiculé par des livres, des interviews de spécialiste, des conférences à l’université, etc. Le fait de pouvoir dissocier ainsi les deux entités permet de déconstruire le lien organique et nécessaire parfois postulé entre genre et situation et implique du même coup que des surprises sont possibles.

L’identification d’une évolution dans une pratique langagière sociale est aussi rendue possible. L’interactionniste a tout loisir de remarquer que les genres renvoyant au domaine institutionnel empruntent de plus en plus à des discours économiques particuliers ; Fairclough (1998) parle à ce propos de markétisation du discours. Les types de discours publics, quant à eux, comprennent une part de plus en plus importante de conversation anodine ; c’est la tendance qu’il nomme la conversationnalisation du discours. Les types de discours sont donc des configurations de genres et discours relativement stabilisées au sein d’un ordre de discours donné.

On peut aussi compléter les définitions contenues dans les encadrés du schéma concernant  genre et discours. En ce qui concerne le genre, il est envisagé comme une façon d’utiliser le langage qui correspond à la nature de la pratique sociale dans laquelle on est en train de s’engager  ; le  discours est vu comme  une façon particulière de construire une pratique sociale particulière ou l’un de ses domaines.

Les types de discours ainsi conçus peuvent mettre au jour des combinaisons particulières et notamment des incompatibilités entre les genres et les discours. L’avantage que procure une telle articulation de la réalité est donc évident par rapport aux théorisations du genre exposées précédemment, notamment pour les médias de façon générale (voir la rubrique précédente). De façon à étudier les rapports intertextuels entre les différents types de discours, Fairclough (1995) propose les catégories suivantes : activity type, style, mode et voice.

Le type d’activité correspond en gros à ce que Adam nomme séquence ; voici comment Fairclough circonscrit cette notion :  

Finally the compositional structure of a discourse type, its organisation as a structured sequence of parts, I shall refer to as ‘activity type’ .

Les trois autres éléments sont directement tirés de la citation de Bakhtine que nous avons faite dans notre introduction ; il faut noter au passage que le seul terme qui ne soit pas défini ou développé dans la suite du propos est celui de style. Nous nous situons sur l’axe du choix : des combinaisons de genre, discours, styles et modes. La sélection est faite à partir des répertoires sociaux disponibles au sein des ordres de discours considérés. Ceci semble parfaitement adapté à notre corpus en raison de son caractère institutionnel.

Nous terminerons cette rubrique par une réflexion de Fairclough concernant le fait que, pour lui aussi, les genres, discours ou autres catégories mentionnées existent en nombre infini et qu’il n’y a pas de procédure définitive pour identifier un genre particulier. Pour l’auteur, cette identification dépend grandement du but que s’est fixé l’analyste. Ainsi le même texte pourra être étiqueté génériquement comme  interview,  media interview, news interview, aggressive type of news interview. On voit que la notion de reconnaissance de Bronckart est aussi mise en œuvre ici. On sent aussi en filigrane une conception de la théorisation linguistique tout à fait dans la ligne de ce que produisent les pragmaticiens et les analystes de discours : il existe un constant va-et-vient épistémologique entre théorie et objet d’analyse ; la théorie est véritablement conçue, adaptée, en fonction de l’objet visé.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

1.4.1.4 La CDA et le discours politique médiatiséBell et Garrett (1998 : 6) expliquent qu’environ la moitié des recherches menées par les

analystes critiques portent sur des corpus médiatiques. D’après ces auteurs, le cadre conceptuel étudié plus haut est devenu la norme en matière de textes médiatiques et d’analyse de discours en Europe ; en conséquence, les autres approches doivent se définir par rapport à ce cadre. Voyons si ce succès est justifié, voyons quelle est la pertinence de ce cadre pour l’étude du débat médiatisé et de Question Time plus particulièrement.

De façon tout à fait pratique, Fairclough (1998 : 161-2) résume la façon d’aborder le discours politique médiatisé que propose la CDA en six questions essentielles. Cette synthèse clarifie les choses :

1. Who are the political agents involved, and what genres, discourses and ethoses are drawn upon?

2. How are they articulated together? 3. How is this articulation realized in the forms and meanings of the text?4. How are the resources of the order of discourse drawn upon in the management of

interaction?5. What particular direction does this (type of) discursive event give to the articulation of

the political order of discourse? 6. What wider social and cultural processes shape and are shaped by the way this discursive

event articulates genres, discourses and ethoses?

L’ordre du jour est clairement posé dans son intégralité, mais nous allons nous concentrer dans les paragraphes qui suivent sur les questions 1, 4 et 5. Les questions 2 et 3 seront, entre autres, l’objet du chapitre suivant. La question 6 trouvera sans doute des éléments de réponse après l’analyse du corpus en deuxième partie.

1.4.1.4.1 Les acteurs et les types de discoursLa première étape, dans un mouvement très bakhtinien, est d’identifier les acteurs

correspondant aux voix dont nous avons parlé plus haut. Les catégories proposées ici correspondent exactement aux communautés discursives : politiciens, journalistes et experts (analystes politiques, universitaires politologues). Un autre ensemble est fourni par ceux que Fairclough considère comme une classe à part de politiciens, the representatives of new social movements ; il s’agit des écologistes, des militants pour les droits des animaux etc. Viennent ensuite les acteurs du monde économique, employeurs et syndicalistes, et enfin les gens ordinaires. Tout ceux-là constituent un ensemble de protagonistes potentiels pour les débats politiques télévisés incluant la participation du public.

Fairclough note que ces catégories sont très larges et qu’elles méritent d’être précisées : il existe des tendances différentes au sein de la macrocatégorie des politiciens. De même, les cloisons entre les catégories sont parfois franchissables, l’exemple est donné de certains militants écologistes qui ont décidé d’intégrer le système politique institutionnel en devenant membres du parti des Verts.

Nous pouvons maintenant identifier les différents ordres de discours qui constituent de façon interne le discours politique médiatisé. Celui-ci serait donc constitué des ordres du système politique, de la vie ordinaire, de mouvements socio-politiques, de différents domaines d’expertise universitaire et scientifique, et bien sûr de l’ordre journalistique.

Une question que l’on peut alors se poser est celle de la priorité qui est donnée par les médias à certains ordres discursifs plutôt qu'à d’autres, ou de l’ordre discursif sur lequel les différents acteurs vont tenter de s’appuyer en priorité. Pour Fairclough, les acteurs provenant d’horizons divers apportent avec eux leurs discours.

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Chapitre 1 : Genre en débat, débat du genre

1.4.1.4.2 Complexité générique et médiasLe rapport acteur/discours est loin d'être simple. L’auteur explique que les politiciens

changent leurs discours en fonction du domaine politique : par certains aspects, le blairisme correspondrait au thatchérisme. Mais, de plus, les discours typiques d’un certain ordre sont adoptés par des acteurs pour des besoins particuliers (1998 : 149) :

Different categories of agent appropriate each other’s discourses in complex ways. For example, ordinary people may appropriate professional political discourses and expert discourses to varying degrees, and politicians certainly now systematically appropriate the lifeworld discourse of ordinary people, as indeed do experts. And professional politicians extensively appropriate the discourses of ‘subpolitics’, for instance those of the environmentalist movements.

Un expert ou un politicien compétent n'est pas forcément un acteur efficace et intéressant dans le cadre médiatique. Les médias, et surtout la télévision, possèdent la caractéristique de mélanger, de combiner les discours et les genres de façon systématique :

Media genres involve a complex admixture of genres from other domains – such as genres of political debate and political speaking from the political system – which are recontextualized (and in the process may be significantly transformed) within the media. The genres of broadcasting often have a complex hybrid or heterogeneous character.

Cette idée rappelle la façon dont Bakhtine définit les genres seconds avec leur capacité d'absorber les genres premiers dans un processus de transmutation. Cette hybridité et hétérogénéité constitutive tient à la pratique discursive inhérente aux types d’événements communicationnels produits par les médias ; elle s’explique en partie par le processus de consommation (production/réception) du texte médiatique25. La fonction première du média est de faire entrer le monde et la sphère publique dans un cadre domestique26, comme Fairclough (1995) ne cesse de le rappeler. Etant donné que les émissions sont destinées à l’ensemble de la communauté linguistique du pays, comprenant des représentants de tous les ordres de discours possibles, on peut aussi envisager que le fait de changer de genre permet de cibler un public particulier, une communauté discursive. L’enjeu est donc de taille pour les protagonistes du cadre médiatique.

Fairclough note enfin qu’une perspective fructueuse serait d’envisager les genres de la politique médiatisée comme des procédés permettant d’articuler les ordres de discours adjacents qui définissent l’espace du discours politique. On aboutit alors à la notion très productive de generic complex qui se définit ainsi :

A generic complex articulates orders of discourse (genres, discourses) together in particular ways, and effects particular positionings of agents in relation to them. For instance, contemporary political interview might be looked at as a device for articulating together the orders of discourse of the political system, the media and the ordinary lifeworld of the audience. Political interviews typically mix their genres and their discourses. In complex ways, politicians characteristically shift into conversational genre, and draw upon lifeworld discourses, in finding ways to address mass audiences who are listening or watching in mainly domestic environments.

25 Nous exploitons la partie médiane du schéma proposé plus haut ; cette partie établit véritablement un pont entre le texte et les pratiques socioculturelles. 26 Cette fonction est à nuancer si l’on considère certaines nouvelles émissions de ces dernières années. Il semble que les Big Brothers et autres Loft stories inversent cette fonction en médiatisant urbi et orbi la sphère domestique.

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Le phénomène de conversationnalisation du discours télévisé est explicitement présent dans le texte précédent. Il semble parfaitement en phase avec notre époque, en Europe du moins ; ainsi en France, les politiciens se battent pour prendre rang et faire partie du plateau de Michel Drucker le dimanche après-midi, la plupart du temps sans cravate et le sourire aux lèvres.

1.4.2 Conclusion partielleEnvisager le discours politique médiatisé comme un generic complex, c’est s’autoriser à

prendre en compte son hétérogénéité dynamique intrinsèque. Nous estimons que la Critical Discourse Analysis est la seule approche qui se donne pour ambition de le faire et a les outils nécessaires pour le faire : l’articulation des notions que sont les ordres de discours,  types de discours se dédoublant en genres et discours, procédant de types d’activité dans leurs structurations respectives, est parfaitement adaptée à la nature de l’objet et à son analyse. C’est dorénavant avec le sens et l’extension que leur donne la CDA que nous retiendrons ces termes et concepts pour l’élaboration de notre grille d’anayse dans les chapitres à venir. Cette approche permet à la fois d’envisager l’acte communicationnel de très haut et de faire une étude microlinguistique des énoncés produits dans les situations décrites.

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