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DALE GILBERT VIVRE SON QUARTIER, VIVRE SA VILLE AU CŒUR DU XX E SIÈCLE Modes d’expression de la culture urbaine en milieu populaire québécois dans le quartier Saint-Sauveur de Québec, 1930-1980 Thèse présentée à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en histoire pour l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph.D.) DÉPARTEMENT D’HISTOIRE FACULTÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2011 © Dale Gilbert, 2011

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DALE GILBERT

VIVRE SON QUARTIER, VIVRE SA VILLE AU

CŒUR DU XXE SIÈCLE

Modes d’expression de la culture urbaine en milieu populaire

québécois dans le quartier Saint-Sauveur de Québec, 1930-1980

Thèse présentée

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval

dans le cadre du programme de doctorat en histoire

pour l’obtention du grade de Philosophiæ Doctor (Ph.D.)

DÉPARTEMENT D’HISTOIRE

FACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2011

© Dale Gilbert, 2011

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Résumé

La culture urbaine en milieu populaire québécois se transforme au cours de la seconde

moitié du XXe siècle. L’espace urbain et les modes de vie entrent, en effet, dans une

période de mutations : développement des banlieues, opérations de rénovation urbaine à

moyenne ou à grande échelle, apparition des grandes surfaces et des centres commerciaux,

accroissement de la mobilité socioprofessionnelle et du pouvoir d’achat, amélioration du

confort domestique, possession de plus en plus répandue d'une automobile, diffusion de

nouvelles valeurs (individualisme grandissant, pratique religieuse et soumission à

l'influence religieuse en déclin), etc. Cette thèse examine ces transformations de la culture

urbaine en milieu populaire québécois dans le quartier Saint-Sauveur de Québec entre 1930

et 1980; plus précisément l’évolution de l’expérience du quartier et de la ville de ses

résidants qui ne le quittèrent pas, du moins définitivement, ou qui vécurent ces

changements en tout ou en partie avant de le faire. Une enquête orale menée auprès de

trente hommes et femmes ayant demeuré dans ce quartier pendant la période étudiée est au

cœur de la démarche méthodologique.

Nous avons examiné quatre facettes d’une culture urbaine qui nous sont apparues les plus

susceptibles de révéler l’essence de l’expérience du quartier et de la ville. Il s’agit des

trajectoires résidentielles, des pratiques associées à la consommation et aux loisirs, aux

divertissements et à la vie communautaire et associative, des sociabilités et finalement du

rapport identitaire à l’espace vécu et des représentations sur le milieu de vie et sur les autres

espaces urbains. L’évolution de cette expérience entre 1930 et 1980 révèle une part notable

de libre choix dans les trajectoires résidentielles, une redéfinition des rapports à la

proximité et à l’accessibilité physique, un étiolement des sociabilités et la place centrale

que conserve la paroisse au cœur du rapport identitaire à l’espace vécu et des

représentations sur le milieu de vie et sur d’autres espaces urbains. Des facteurs modelant

cette expérience traversent plusieurs des quatre facettes étudiées, soit les revenus des

ménages, l’homogénéité sociodémographique et socioéconomique du quartier Saint-

Sauveur, la localisation de ce dernier dans la ville de même que l’institution paroissiale.

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Avant-propos

Et me voici au bout du chemin! Un chemin parsemé d’élans enthousiastes et de longues

réflexions. Un chemin qui m’a amené à Lyon, à Bruxelles et au quartier Saint-Sauveur, le

point de départ et d’arrivée. Un chemin parsemé d’hommes et de femmes qui, par leurs

sourires et leurs dires, m’ont accompagné au fil des jours et des saisons et à qui je désire

rendre hommage dans les lignes qui suivent.

Je dois beaucoup de ce que je suis comme historien et individu à une directrice en or,

Johanne Daigle. Ce n’est pas la première fois que je l’écris, mais néanmoins il me fait

plaisir de me répéter. Sa disponibilité, son écoute, son soutien, sa rigueur, ses conseils

judicieux tant sur les projets scientifiques en cours que sur la préparation de la carrière et

son enthousiasme furent fort appréciés. Depuis cet après-midi d’été où je t’ai présenté mon

projet de thèse jusqu’à ce jour, je te remercie infiniment pour tout Johanne.

D’autres professeurs ont agi en tant que tuteurs scientifiques au cours de mon parcours

doctoral, notamment lors de mes séjours de recherche à l’Université Lumière Lyon II en

France et à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) en Belgique, et de mon passage à

l’Université du Québec à Rimouski en tant que chargé de cours; séjours si enrichissants aux

plans scientifique et personnel. Je désire donc remercier les professeurs Yves Grafmeyer et

Jean-Yves Authier de Lyon II, Serge Jaumain de l’ULB, Julien Goyette de l’UQAR, ainsi

que Martine Dumais du Cégep de Limoilou, Marc Vallières et Donald Fyson de

l’Université Laval et tous les autres professeurs que j’ai côtoyés et qui m’ont apporté leur

soutien de quelque manière que ce soit.

Depuis mon entrée à la maîtrise en 2004, je suis affilié à un centre de recherche auquel je

me suis profondément attaché et que je porterai toujours au cœur, le Centre

interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ). Mon affiliation au CIEQ, un lieu de débats

et d’échanges féconds, fut une plus-value extraordinaire, car elle m’a offert plusieurs

opportunités de communication, de publication et d’organisation de colloques et d’autres

activités scientifiques que je n’ai pas manqué de saisir. J’y ai été soutenu par un personnel

de haut niveau, autant de collègues que j’ai adoré côtoyer au quotidien avec les autres

étudiants et professionnels de recherche. À ma si belle « gang » du CIEQ, merci!

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Dans le cadre plus précis de mon doctorat, je désire évidemment remercier

chaleureusement tous les hommes et toutes les femmes que j’ai rencontrés au cours de

l’enquête orale effectuée auprès des résidants du quartier Saint-Sauveur. Merci de m’avoir

ouvert votre porte et votre vie. Merci également à tous ceux qui m’ont offert leur aide d’une

façon ou d’une autre et notamment le père oblat Denis Béland, de la paroisse Saint-

Sauveur, et monsieur Michel Gignac et Sœur Gabrielle Paquet pour avoir mis à ma

disposition leur collection personnelle de photographies. Un grand merci également aux

organismes subventionnaires qui m’ont octroyé des bourses : le Centre de recherches en

sciences humaines du Canada (CRSH; bourse de doctorat), le Fonds québécois de

recherche sur la société et la culture (FQRSC; bourse d’excellence pour stage international)

et le Fonds d’enseignement et de recherche de la Faculté des lettres de l’Université Laval

(bourse de séjour de recherche à l’étranger).

Dans un rayon plus personnel enfin, je désire souligner l’appui inconditionnel de mon

entourage, toujours présent pour moi. Merci aux membres de ma famille, les Gilbert et les

Gauvin. Je suis honoré d’avoir une si belle famille qui me soutient depuis toujours et qu’il

fait s’y bon de retrouver régulièrement. Je désire saluer spécialement le sublime courage de

mes parents, qui ont traversé une série de difficiles épreuves depuis 2007. Merci à tous mes

amis pour leur présence, leur intelligence et leur folie. Une pensée toute spéciale à deux

d’entre eux, Annie Côté et Tommy Harding, que j’admire tant et à qui je dois beaucoup. Je

vous aime chers amis! Et enfin, quels mots utiliser pour exprimer adéquatement toute ma

reconnaissance à mon Karl, mon conjoint, solide, confiant et toujours de bon conseil. Merci

infiniment d’être toujours là pour moi et de m’avoir si bien accompagné jusqu’à la fin du

parcours.

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À ma grand-maman

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Table des matières

Résumé ..................................................................................................................................... i Avant-propos ......................................................................................................................... ii Table des matières .................................................................................................................. v Liste des tableaux et des figures ......................................................................................... viii Introduction ............................................................................................................................. 1 1 Ŕ La démarche méthodologique ......................................................................................... 36

1.1 Le quartier Saint-Sauveur ........................................................................................... 36 1.2 L’enquête orale et les stratégies de recherche complémentaires ................................ 44

1.2.1 Le recrutement des participants ........................................................................... 44 1.2.2 Guide et contextes d’entretien ............................................................................. 50 1.2.3 Un portrait du corpus ........................................................................................... 55 1.2.4 Stratégies de recherche complémentaires ............................................................ 63

2 Ŕ Entre stabilité et mouvement : les trajectoires résidentielles .......................................... 67 2.1 Les trajectoires résidentielles ...................................................................................... 70

2.1.1 La provenance des parents ................................................................................... 71 2.1.2 Les parcours des membres du corpus .................................................................. 72 2.1.3 Les facteurs de choix résidentiels ........................................................................ 79

2.1.3.1 Le statut résidentiel ....................................................................................... 80 2.1.3.2 La présence d’un propriétaire occupant ........................................................ 82 2.1.3.3 La cohabitation ............................................................................................. 84 2.1.3.4 La location d’un logement à un membre de la famille ................................. 86 2.1.3.5 Les conditions de logement .......................................................................... 87 2.1.3.6 Les stratégies de recherche d’un nouveau logement..................................... 94 2.1.3.7 La proximité des réseaux familiaux, des commerces et services et du lieu de

travail ........................................................................................................................ 95 2.1.3.8 Durée de résidence, appréciation du milieu de résidence et appartenance à ce

milieu ........................................................................................................................ 99 2.1.4 L’exode résidentiel de l’après-guerre: résister à l’idéal ou rêver l’impossible .. 103

2.1.4.1 Le phénomène de l’exode résidentiel ......................................................... 103 2.1.4.2 Les membres du corpus et l’exode résidentiel ............................................ 111

2.2 Les trajectoires professionnelles ............................................................................... 123 2.2.1 Rester sur les bancs d’école ou mettre l’épaule à la roue de l’économie familiale?

.................................................................................................................................... 124 2.2.2 Parcours professionnels ..................................................................................... 130

Conclusion ...................................................................................................................... 138 3 Ŕ Du trottoir au stationnement : des rapports à la proximité et à l’accessibilité physique en

redéfinition .......................................................................................................................... 140 3.1 Vivre le quartier et la ville en fonction de ses moyens financiers ............................ 143 3.2 Anatomie du proche et de l’accessible ..................................................................... 148

3.2.1 Consommation ................................................................................................... 149 3.2.1.1 Les caractéristiques du réseau du quartier .................................................. 149 3.2.1.2 Les pratiques des membres du corpus ........................................................ 161

3.2.1.2.1 Alimentation ........................................................................................ 161 3.2.1.2.2 Achat de biens et usage de services divers .......................................... 167

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3.2.1.2.2.1 Dans le quartier Saint-Sauveur ..................................................... 168 3.2.1.2.2.2 À l’extérieur du quartier Saint-Sauveur ........................................ 172

3.2.2 Loisirs, divertissements et vie communautaire et associative ........................... 177 3.2.2.1 Les caractéristiques du réseau du quartier .................................................. 178 3.2.2.2 Les pratiques d’enfance .............................................................................. 180 3.2.2.3 Avancer en âge, élargir ses horizons ........................................................... 184

3.3 Une expérience et un rapport en redéfinition ............................................................ 190 3.3.1 Ville et société en transformation ...................................................................... 190 3.3.2 Les pratiques des participants ............................................................................ 196

3.3.2.1 Consommation ............................................................................................ 196 3.3.2.1.1 Motifs et valeurs à la source des mutations ......................................... 201 3.3.2.1.2 Des réseaux en difficulté ...................................................................... 208

3.3.2.2 Loisirs, divertissements et vie communautaire et associative .................... 214 3.3.3 Un rapport ambivalent aux mutations des pratiques et des réseaux .................. 221

Conclusion ...................................................................................................................... 225 4 Ŕ Ensemble : un univers social dense en voie d’étiolement ............................................ 228

4.1 Voisinages et paroisses : des terreaux fertiles aux sociabilités et à l’interconnaissance

........................................................................................................................................ 230 4.1.1 Homogénéité ...................................................................................................... 231 4.1.2 Densité ............................................................................................................... 232 4.1.3 Modalités de déplacement ................................................................................. 234 4.1.4 Trajectoires résidentielles .................................................................................. 235 4.1.5 Trajectoires professionnelles ............................................................................. 236 4.1.5 Commerces et commerçants .............................................................................. 237 4.1.6 Loisirs, divertissements et vie communautaire, associative et religieuse .......... 240

4.2 Vivre ensemble ......................................................................................................... 245 4.2.1 Portraits des sociabilités dans le quartier Saint-Sauveur ................................... 245

4.2.1.1 Des relations de voisinage denses, mais marquées par la réserve .............. 246 4.2.1.2 La famille, axe central des sociabilités ....................................................... 254 4.2.1.3 Des acteurs et des lieux créateurs d’une ambiance personnalisée et

chaleureuse .............................................................................................................. 257 4.2.1.4 Amitiés : beaucoup d’appelés, peu d’élus .................................................. 264 4.2.1.5 L’assistance : s’organiser et supporter ........................................................ 266

4.2.2 Incidence des sociabilités et de l’état d’interconnaissance sur les parcours de vie

.................................................................................................................................... 274 4.2.2.1 Les trajectoires résidentielles ...................................................................... 274 4.2.2.2 Les trajectoires professionnelles ................................................................. 275 4.2.2.3 La rencontre et les fréquentations des futurs époux ................................... 278

4.3 Un univers social en perte de vitesse ........................................................................ 282 4.3.1 De moins bonnes prédispositions pour les sociabilités et l’interconnaissance .. 282 4.3.2 Des sociabilités en réorientation au sein du corpus ........................................... 287

4.3.2.1 Les sociabilités de voisinage ....................................................................... 287 4.3.2.2 Les sociabilités familiales ........................................................................... 290 4.3.2.3 Les acteurs et les lieux de la vie locale ....................................................... 292 4.3.2.4 Les amitiés .................................................................................................. 293 4.3.2.5 L’assistance ................................................................................................. 294

4.3.3 Des retombées toujours présentes ...................................................................... 298

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Conclusion ...................................................................................................................... 302 5 Ŕ Notre clocher, notre quartier ......................................................................................... 304

5.1 Un pôle structurant de la vie locale et de l’appartenance : la paroisse ..................... 307 5.1.1 La vie religieuse ................................................................................................. 307 5.1.2 Les loisirs, les divertissements et la vie communautaire et associative ............. 312

5.1.2.1 Des désirs et des initiatives ......................................................................... 312 5.1.2.2 Des voies de transmission variées .............................................................. 329 5.1.2.3 Des souhaits des autorités religieuses non entièrement réalisés ................. 331

5.1.3 Le réseau de commerces et de services ............................................................. 337 5.2 Notre quartier la paroisse .......................................................................................... 344 5.3 Des rapports à d’autres espaces urbains marqués par l’opposition .......................... 350

5.3.1 Les rapports aux paroisses du quartier Saint-Sauveur ....................................... 351 5.3.2 Les rapports à la Basse-Ville et à la Haute-Ville ............................................... 356 5.3.3 Des pratiques et des représentations orientées par l’appartenance paroissiale et

les rapports aux autres espaces urbains ....................................................................... 361 5.4 Un pôle de moins en moins structurant, mais une empreinte tenace ........................ 367

5.4.1 Des départs et des fermetures ............................................................................ 368 5.4.2 Des nefs aux visiteurs de plus en plus clairsemés ............................................. 370 5.4.3 Loisirs, divertissements et vie communautaire et associative : tombées de rideau

et dissolutions ............................................................................................................. 375 5.4.4 Appartenance et représentations : la paroisse envers et contre tout .................. 382

Conclusion ...................................................................................................................... 388 Conclusion .......................................................................................................................... 391 Bibliographie ...................................................................................................................... 398 Annexe 1 Le quartier Saint-Sauveur, 1960 ......................................................................... 416 Annexe 2 Les six quartiers administratifs de Québec, 1960 ............................................... 417 Annexe 3 L’agglomération de Québec et quelques quartiers de Québec, 1980 ................. 418 Annexe 4 Le formulaire de consentement .......................................................................... 419 Annexe 5 Le guide d’entretien ............................................................................................ 423 Annexe 6 Biographies sommaires des membres du corpus ................................................ 429

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Liste des tableaux et des figures

Tableau 1.1 Ŕ Cohortes d’âge des membres du corpus ......................................................... 57 Tableau 1.2 Ŕ Mariage et fondation d’une famille au sein du corpus ................................... 58 Tableau 1.3 Ŕ Nombre d’années de résidence dans le quartier Saint-Sauveur des membres

du corpus entre 1930 et 1980 ................................................................................................ 59 Tableau 1.4 Ŕ Paroisses du quartier Saint-Sauveur habitées par les membres du corpus,

1930-1980 ............................................................................................................................. 61 Tableau 1.5 Ŕ Paroisse habitée le plus longtemps par chaque membre du corpus durant la

période 1930-1980 et durée moyenne des séjours ................................................................ 61 Tableau 2.1 Ŕ Nombre de logements occupés et de paroisses dans lesquelles les participants

ont résidé dans le quartier Saint-Sauveur, 1930-1980 .......................................................... 74 Tableau 2.2 Ŕ Nombre de logements occupés par les membres du corpus dans le quartier

Saint-Sauveur et nombre d’étapes résidentielles en dehors de ce quartier, 1930-1980 ........ 75 Tableau 2.3 Ŕ Nombre d’habitants du quartier Saint-Sauveur, 1931-1981 ........................ 110

Figure 1.1 Ŕ Quartier Saint-Sauveur Ŕ rue Victoria. Vue panoramique prise en plongée près

de l’Escalier Victoria, vers 1940 ........................................................................................... 42 Figure 2.1 Ŕ Rue Christophe-Colomb Ouest, 2011 .............................................................. 83 Figure 2.2 Ŕ Taudis habité sur la rue Sherbrooke, 19 novembre 1943 ................................. 89 Figure 3.1 Ŕ Bâtiments situés sur la rue Jolliet vus depuis la falaise, 8 novembre 1944 .... 145 Figure 3.2 Ŕ Tabagie-restaurant J.-A. Paquet, années 1940 ............................................... 152 Figure 3.3 Ŕ Épicerie Adl. Saucier, ca 1940-1960 .............................................................. 154 Figure 3.4 Ŕ Intersection de la rue Saint-Joseph et de la rue de l’Église, ca 1945 ............. 159 Figure 3.5 Ŕ Magasin Pollack, après 1922 .......................................................................... 159 Figure 3.6 Ŕ Le Mail St-Roch, 26 février 1975 .................................................................. 193 Figure 4.1 Ŕ Gymnastes Montcalm de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, après 1951 ........ 241 Figure 4.2 Ŕ Vue arrière des maisons situées sur la rue Jolliet, 3 novembre 1944 ............. 249 Figure 5.1 Ŕ Centre Monseigneur-Bouffard, 9 janvier 1979 .............................................. 315 Figure 5.2 Ŕ La ligue de quilles « La Jeunesse sportive de St-Malo, enr. » et M. l’abbé

Louis Chabot, directeur de la salle paroissiale, 1946 ......................................................... 318 Figure 5.3 Ŕ Banquet du 25

e anniversaire de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, 1949 ..... 320

Figure Ŕ 5.4 Bingo!, 1945 ................................................................................................... 321 Figure 5.5 Ŕ Procession des gardes Dollard de Saint-Malo et des gardes Salaberry de Saint-

Sauveur, avant 1964 ............................................................................................................ 327 Figure 5.6 Ŕ Banquet du 25

e anniversaire de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, 1970 ....... 377

Figure 5.7 Ŕ Ancien commerce transformé en logement, paroisse Saint-Sauveur, 2011 ... 384

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Introduction

Les historiens s’intéressant au quotidien en milieu populaire1 urbain québécois aux XIX

e

et XXe siècles ont livré plusieurs constats largement partagés. Ces constats concernent

surtout des stratégies familiales complexes où, par exemple, la mère de famille tient un rôle

fondamental, des réseaux de sociabilités denses, notamment avec les membres de la famille

et le voisinage, et un enracinement au milieu de résidence dans lequel on vit. Ces éléments

sont autant de constituantes de la culture urbaine, au sens anthropologique du terme, en

milieu populaire québécois. Une culture urbaine se manifeste par des comportements, des

valeurs, des normes, des identités et un rapport au territoire relativement homogènes,

relevant d’une évolution historique spécifique et possédant une logique d’organisation et

d’évolution propre2. Cette notion renvoie notamment aux marqueurs importants de la vie

quotidienne et aux expressions identitaires personnelles et collectives qui y sont reliées.

Ces constats sur le quotidien ont été peu replacés par les historiens dans la trame évolutive

de leurs contextes urbains spécifiques et inscrits dans l'expérience individuelle du quartier

et de la ville. Cette trame et cette expérience permettent pourtant, à notre avis, une

compréhension plus sensible des habitudes de vie, des identités et des représentations sur le

milieu de vie et sur les autres espaces urbains. L’expression d’une culture urbaine

nationale, ou relative à un segment de population comme les milieux populaires ou les

jeunes3, par exemple, comporte en effet de nombreuses variantes. Comme le soutient

Grafmeyer, l’idée d’une « personnalité urbaine » est « contestable4 ». Les citadins se

déploient dans des régions, des villes ou encore des quartiers différenciés, car les lieux

d’habitat, de travail, de consommation ou encore de divertissement se répartissent en

fonction, entre autres, d'une histoire, d'une géographie et de modèles d’organisation et

1 Les termes « milieu populaire » ou « quartier populaire » utilisés dans cette thèse réfèrent à une population

de statuts socioéconomiques modestes. Comparativement à « ouvrier », qui réfère à une réalité

professionnelle précise, ou à « défavorisé », qui peut être associé à une pauvreté généralisée, le terme

« populaire » nous apparaît plus inclusif. 2 Anne RAULIN, Anthropologie urbaine, Paris, Armand Colin, 2007, coll. « Cursus-Sociologie », p. 16;

Manuel CASTELLS, La question urbaine, Paris, Maspero, 1972, p. 104. 3 Certains chercheurs, à ce titre, utilisent la formule de « sous-culture ». Denys CUCHE, La notion de culture

dans les sciences sociales, Paris, Éditions La Découverte, 1996, coll. « Repères », 205, p. 47. Considérant la

perspective de cette étude, axée sur les milieux populaires, et dans le but de ne pas laisser entendre l’idée

d’une culture inférieure, nous n’utilisons pas le terme de sous-culture, mais plutôt culture urbaine en milieu

populaire. 4 Yves GRAFMEYER, Sociologie urbaine, Paris, Nathan, 1994, coll. « 128 », Sociologie, p. 15-16.

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d’encadrement particuliers. À chaque quartier populaire québécois correspondent ainsi des

manières de vivre au quotidien, des modes d’expression de cette culture qui lui sont propres

tout en présentant des similarités avec d’autres quartiers populaires, d’autres quartiers

québécois ou d’autres quartiers aux caractéristiques semblables en termes, par exemple, de

densité du tissu bâti ou d’offre commerciale.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’espace urbain et les modes de vie entrent

dans une période de profondes mutations au Québec : développement des banlieues,

opérations de rénovation urbaine à moyenne ou à grande échelle, apparition des grandes

surfaces et des centres commerciaux, accroissement de la mobilité socioprofessionnelle et

du pouvoir d’achat, amélioration du confort domestique, possession de plus en plus

répandue d'une automobile, diffusion de nouvelles valeurs (individualisme grandissant,

pratique religieuse et soumission à l'influence religieuse en déclin), etc. Ces mutations

prennent essentiellement forme entre 1950 et 1980. Au-delà des impacts démographiques

ou urbanistiques de ces mutations et des constats généraux, comme l'attrait des nouveaux

supermarchés menant à l'abandon des épiceries du coin, la production scientifique a peu

porté sur ce qu'il advint du quotidien des individus et des familles des milieux populaires

qui ne les quittèrent pas, du moins définitivement, ou qui vécurent ces transformations en

tout ou en partie avant le faire5. Leur expérience du quartier et de la ville reste à mieux

connaître. Cette thèse a pour objectif d’investir cette problématique pour cette période

d’une grande importance dans l’histoire sociale et urbaine. En se penchant sur la population

du quartier Saint-Sauveur, situé dans la Basse-Ville de Québec, entre 1930 et 1980, nous

analysons les transformations survenues et les éléments de continuité, voire de résistance,

dans l’expérience du quartier et de la ville dont témoigne la culture urbaine en milieu

populaire québécois.

Perspectives multidisciplinaires

Le sujet se prête à une ouverture sur plusieurs champs disciplinaires. L’examen des cadres

conceptuels et des approches de l’histoire et de la sociologie urbaine de même que celui des

5 Certains chercheurs, comme Ross, ont souligné cependant l’utilité d’une telle approche basée sur le

quotidien pour cette période. Pierre ROSS, « La transformation du quartier Saint-Roch de Québec : 1921-

1961 », mémoire de maîtrise en histoire, Québec, Université Laval, 1989, p. 140.

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perspectives pluridisciplinaires du quartier nous ont permis de repérer les axes et outils

d’analyse les plus pertinents. Ce double examen nous a donné, de plus, la possibilité

d’effectuer une revue de la production scientifique portant sur la sphère locale; les études

de quartiers et de paroisses ont notamment inspiré l’orientation de notre étude. Trois axes

de recherche ressortant de la production scientifique touchant la vie quotidienne en milieu

urbain méritent tout d’abord une attention particulière qui leur est accordée dans les pages

qui suivent, soit les stratégies familiales, les sociabilités et le rapport identitaire à l’espace

vécu.

Les stratégies familiales

La famille joue un rôle central, selon Hareven, dans la compréhension des liens entre la

vie quotidienne et les changements sociaux, d’une part, parce que c’est en son sein que ces

liens se vivent et, d’autre part, parce que la famille constitue la courroie entre les individus,

les institutions et ces changements6. Les historiens occidentaux, surtout à partir des années

1970, ont examiné la famille à travers les aléas du quotidien et ont confronté cette

institution aux changements socioéconomiques. Les recherches sur les impacts de

l’urbanisation et de l’industrialisation au Québec au tournant au XXe siècle, par exemple,

ont généralement démontré que les familles mirent en œuvre diverses stratégies pour

solutionner les difficultés rencontrées et s’adapter aux mutations en cours. Les stratégies

familiales québécoises furent essentiellement analysées sur une période allant de 1896 à

1960. Les chercheurs ont concentré leur attention sur Montréal, la plus populeuse des villes

québécoises durant cette période et tout au long du XXe siècle. Ces constats en matière de

périodisation et de territoires étudiés rejoignent ceux de Guérard et de Poitras concernant la

production axée sur l’histoire urbaine québécoise au cours des années 19907. Pour ce qui

est des périodes investiguées par les chercheurs, celle de la seconde moitié du XXe siècle

demeure moins explorée, tandis que pour les territoires, la ville de Québec, capitale de la

province, reste moins étudiée. Les stratégies familiales, et notamment quatre aspects de

6 Tamara K. HAREVEN, « What Difference Does It Make? », Social Science History, 20/3 (automne 1996),

p. 322. 7 François GUÉRARD, « L’histoire urbaine au Québec : la recherche récente à la maîtrise et au doctorat »,

Revue d’histoire de l’Amérique française, 54/2 (automne 2000), p. 254; Claire POITRAS, « L’histoire

urbaine au Québec durant les années 1990 : de nouvelles tendances ? », Revue d’histoire de l’Amérique

française, 54/2 (automne 2000), p. 221-224.

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celles-ci, offrent à notre avis un éclairage pertinent sur l’univers de la vie domestique et

plus largement sur l’expérience du quartier et de la ville. Ces aspects sont la maternité,

l’économie familiale, la consommation et les trajectoires résidentielles.

Le thème de la maternité fut traité par des historiens et aussi par des sociologues soucieux,

entre autres, de prendre en compte l’évolution de la fécondité au fil des mutations

socioéconomiques8. Ils ont réalisé que la maternité occupait une place importante dans

l’élaboration des stratégies familiales. Le nombre d’enfants influence directement les

besoins en termes de biens, d’espace de vie et de revenus. Le concept d’économie familiale

couvre, par ailleurs, le travail, salarié ou non, du père, de la mère, des enfants et des autres

membres du ménage9. Il permet d’examiner les moyens mis en œuvre pour vivre ou

survivre et plus particulièrement pour se loger, se nourrir, se vêtir, acheter les biens

essentiels ou encore se divertir10

. La notion de travail, généralement associée aux activités

salariées effectuées à l’extérieur du domicile, recouvre également pour les femmes le

travail domestique. Ce concept a été essentiellement élaboré par les sociologues au Québec

dans les années 1980. Il est rapidement devenu objet d’étude pour les historiens.

Baillargeon s’est intéressée, dans cette perspective, aux ménagères montréalaises des

milieux populaires à l’époque de la Crise des années 193011

. Ses travaux, tout comme ceux

d’autres spécialistes de la question12

, montrent la complexité et l’importance du rôle joué

par les femmes au sein du foyer et la nécessité de les prendre en compte dans l’étude du

8 Par exemple, Lemieux et Mercier ont étudié les transformations des temps et de la vie quotidienne des

femmes. Elles ont cherché à déterminer, notamment, les changements inhérents à ces deux variables au

Québec entre 1880 et 1940. Voir Denise LEMIEUX et Lucie MERCIER, Les femmes au tournant du siècle :

1880-1940. Âges de la vie, maternité et quotidien, Québec, ICRC, 1989, 398 p. 9 Un ménage représente tous les occupants d’un même logement. Un ménage peut donc être composé d’une

ou plusieurs personne(s) ou famille(s), qu’elles soient apparentées ou non. 10

L’ouvrage de Bradbury sur les familles ouvrières montréalaises, paru initialement au cours des années

1990, constitue un modèle pour l’étude des stratégies familiales et de l’économie familiale au Québec. Cette

historienne a cherché à identifier les « […] continuities and changes in the ways working-class men and

women fed, colthed, and sheltered themselves and their families in the years between 1861 and 1891 when

Montreal first became an industrial city ». Elle a scruté autant les moyens mis en œuvre que les actions elles-

mêmes. Bettina BRADBURY, Working Families : Age, Gender, and Daily Survival in Industrializing

Montreal, Toronto, University of Toronto Press, 2007 (1995, 1993), p. 14. 11

Denyse BAILLARGEON, Ménagères au temps de la Crise, Montréal, Les Éditions du Remue-ménage,

1991, 311 p. 12

Voir, entre autres, Meg LUXTON, More Than a Labour of Love. Three Generations of Women’s Work in

the Home, Toronto, Women’s Educational Press, 1980, 259 p.; Suzanne MORTON, Ideal Surroundings.

Domestic Life in a Working-Class Suburb in the 1920’s, Toronto, University of Toronto Press, 1995, 201 p.;

et Louise A. TILLY et Joan W. Scott, Les femmes, le travail et la famille, Paris, Payot et Rivages, 2002, 389

p., coll. « Petite bibliothèque Payot », 421.

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quotidien; le rôle de mère dépassant largement la stricte position de ménagère13

. La place

des femmes dans l’économie familiale a évolué au fil d’événements charnières, comme lors

de la Seconde Guerre mondiale avec non seulement le rationnement des denrées, mais aussi

la production industrielle. Plusieurs femmes investissent alors les usines de guerre14

.

Bradbury, Baillargeon et d’autres chercheurs ont démontré la nécessité de prendre en

compte dans l’étude des conditions de vie non seulement le travail salarié du mari, mais

aussi celui de l’épouse, l’ensemble des tâches qu’elle pouvait accomplir en tant que

gestionnaire du foyer, dont les courses, l’achat de biens divers et la fabrication de

vêtements, le travail des enfants à domicile et à l’extérieur de celui-ci, ainsi que les réseaux

d’entraide et les services d’assistance organisés. En considérant les critères du genre et de

l’âge, ils ont fait ressortir l’apport de chaque membre du foyer à l’économie familiale.

Les dimensions de la vie quotidienne et familiale que sont la maternité et l’économie

familiale s’articulent directement à l’univers de la consommation. Cet aspect des stratégies

familiales touchant une diversité de facettes de la vie quotidienne comme l’alimentation,

l’habillement, le mobilier, les produits domestiques et l’usage de services a donné lieu

depuis les années 1990 à un champ de recherche international majeur15

. Plusieurs

chercheurs se sont notamment penchés sur des périodes charnières du monde de la

consommation comme l’entre-deux-guerres et les lendemains de la Seconde Guerre

mondiale16

. Ces deux périodes, caractérisées par la genèse puis le déploiement à grande

13

Les sociologues urbains Young, Willmott et Gans, dans leurs ouvrages respectifs que nous abordons plus

loin, ont, par ailleurs, tous souligné l’importance de la mère au sein des familles ouvrières. Elle est selon eux

le véritable pivot des stratégies familiales et des réseaux d’entraide. Ce point de vue est aussi partagé par

d’autres chercheurs ayant enquêté plus récemment sur la question, comme Schwartz sur les formes de vie

familiales en milieu minier dans le nord de la France. La mère mérite donc une attention particulière. Voir

Olivier SCHWARTZ, Le Monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, Presses Universitaires

de France, 2002, p.11. Voir aussi Susanna MAGRI et Christian TOPALOV, éd., Villes ouvrières : 1900-1950,

Paris, L’Harmattan, 1989, 239 p. 14

Karen ANDERSON, Wartime women : sex roles, family relations, and the status of women during World

War II, Westport, Greenwood Press, 1981, 198 p., coll. « Contributions in women’s studies », 20. Pour le

Québec, voir Geneviève AUGER et Raymonde LAMOTHE, De la poêle à frire à la ligne de feu. La vie

quotidienne des Québécoises pendant la guerre 39-45, Montréal, Boréal Express, 1981, 232 p. 15

Magda FAHRNI, « Explorer la consommation dans une perspective historique », Revue d’histoire de

l’Amérique française, 58/4 (2005), p. 465. Cet article fait office d’introduction à un numéro spécial de la

Revue, dirigé par Fahrni, sur la consommation. 16

Voir notamment sur cette question, pour l’Europe, Kristin ROSS, Aller plus vite, laver plus blanc : la

culture française au tournant des années soixante, Paris, Abbeville, 1997, 222 p., coll. « Tempo ». Pour les

Etats-Unis, voir, entre autres, Susan PORTER BENSON, Household Accounts : Working Class Family

Economies in the Interwar United States, Ithaca, Cornell University Press, 2007, 233 p.; Lizabeth COHEN, A

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échelle de la consommation de masse, ont conduit à une transformation des pratiques de

consommation des ménages et des valeurs qui guidaient ces pratiques. Ce passage à la

consommation de masse de même que les améliorations technologiques vécues par les

ménages témoignent ainsi de l’évolution des modes de vie et du niveau de confort en milieu

populaire.

Bradbury et Baillargeon ont aussi abordé un autre aspect des stratégies familiales, soit les

trajectoires résidentielles. Elles ont montré, par exemple, qu’en hébergeant les parents de

l’un ou l’autre des époux ou un autre membre de la famille, il était possible de répartir les

charges financières et les tâches ménagères sur plusieurs épaules. D’autres historiens ont

aussi traité des stratégies résidentielles liées aux revenus, comme la prise de pensionnaires

ou des déménagements dans des logements aux loyers17

moins élevés, des conditions de

logement et des déterminants des migrations des ménages de statuts socioéconomiques

modestes. Les travaux de Choko et de Copp18

dépeignent un portrait plutôt sombre des

conditions d’habitation en milieu populaire à Montréal pour le tournant du XXe siècle et de

la réalité vécue par un grand nombre de familles: surpopulation due à des loyers trop

élevés, insalubrité, déficience des services publics, etc. Les trajectoires de certains ménages

témoignent de la répulsion provoquée par le milieu de vie ou de l’impossibilité de le quitter

faute de revenus suffisants pour habiter d’autres secteurs, alors que d’autres expriment un

attachement envers celui-ci, les personnes concernées évoquant notamment l’appréciation

des relations avec leurs voisins. Vivre la ville est d’abord et avant tout habiter la ville. Les

comportements résidentiels et les motivations, les contraintes, les valeurs et les

consumers’ republic. The Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Vintage Books,

2004, 567 p.; et David STEIGERWALD, « All Hail the Republic of Choice : Consumer History as

Contemporary Thought », The Journal of American History, 93/2 (sept. 2006), p. 385-403. Pour le Canada et

le Québec, on consultera notamment Joy PARR, Domestic Goods. The Material, the Moral, and the

Economic in the Postwar Years, Toronto, University of Toronto Press, 1999. 368 p.; Magda FAHRNI,

« Counting the Costs of Living : Gender, Citizenship, and a Politics of Prices in 1940s Montreal », Canadian

Historical Review, 83/4 (décembre 2002), p. 483-504; Louise FRADET, « Femmes, cuisines et

consommation de masse au Québec, 1945-1960 », mémoire de maîtrise en histoire, Québec, Université Laval,

1989, 119 p. 17

Il y a souvent confusion dans les milieux populaires au Québec entre loyer, le coût de la location de quelque

chose, et logement. Nous entendons bien dans cette thèse le terme « loyer » comme le coût de la location. 18

Marc H. CHOKO, Crises du logement à Montréal (1860-1939), Montréal, Éditions coopératives Albert St-

Martin, 1980, 284 p.; Terry COPP, Classe ouvrière et pauvreté. Les conditions de vie des travailleurs

montréalais, 1897-1929, Montréal, Boréal Express, 1972, 213 p.

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représentations qui les guident constituent autant de variables majeures de l’expérience de

la ville et de ses quartiers.

Les réseaux d’entraide représentent, par ailleurs, un élément essentiel des stratégies

familiales en milieu populaire, qui méritent l’attention. Ils permettent de lever le voile sur

les relations sociales vécues à l’échelle locale. Ces réseaux s’inscrivent en effet dans

l’univers plus large des sociabilités.

Les sociabilités

Dans son ouvrage sur les modes de vie et les relations interpersonnelles à Villefranche-

sur-Saône, en France, entre 1975 et 1980, l’ethnologue Bozon définit les sociabilités

comme un « […] point de vue totalisant sur le monde social19

». Les sociabilités

rassemblent en effet l’ensemble des relations sociales effectives des individus quelle que

soit leur nature : familiales, professionnelles, amicales, de voisinage, de loisirs ou encore

issues de la vie associative. Les études sur la question entremêlent les regards de l’histoire,

de l’ethnologie et de la sociologie. Plusieurs historiens se penchant sur les stratégies

familiales en milieu populaire ont abordé les réseaux de sociabilités. D’autres se sont

spécifiquement concentrés sur eux. La production scientifique a mis en lumière la place

importante occupée par la famille et les voisins dans ces milieux populaires au cours de la

première moitié du XXe siècle. Les relations de voisinage sont notamment caractérisées par

l’abondance des rapports et une position de réserve visant la protection de la vie privée et

limitant l’approfondissement des liens avec autrui20

.

Famille et voisinage représentent des acteurs importants de l’entraide au quotidien ou lors

de coups durs au cours de cette période. Cette dynamique d’entraide, de même que la

19

Michel BOZON, Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province. La mise en scène

des différences, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984, p.12-13. 20

Voir, notamment, au sujet des sociabilités familiales et de voisinage, BAILLARGEON, op, cit.; Chantal

COLLARD, Une famille, un village, une nation : la parenté dans Charlevoix, 1900-1960, Montréal, Boréal,

1999, 194 p.; Andrée FORTIN et al., Histoires de familles et de réseaux : la sociabilité au Québec d’hier à

demain, Montréal, Éditions Saint-Martin, 1987, 225 p.; Paul-Henry CHOMBART de LAUWE, La vie

quotidienne des familles ouvrières, Paris, Éditions du CNRS, 1977, coll. « Ethnologie sociale et

psychosociologie », 255 p.; Elizabeth ROBERTS, A Woman’s Place. An Oral History of Working-Class

Women, 1890-1940, Oxford, Basil Blackwell, 1984, 246 p.; Elizabeth ROBERTS, Women and Families. An

Oral History, 1940-1970, Oxford-Cambridge, Blackwell, 1995, 277 p.

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fréquence des rapports avec les membres de la famille, peuvent orienter le choix du

nouveau lieu de résidence lors d’un déménagement. Ce choix peut, en effet, être motivé par

le désir d’être près d’un ou de plusieurs membre(s) de la famille. De forts liens de solidarité

avec la famille et les voisins, constatés dans la production scientifique depuis les années

1970, ont renversé les arguments des tenants d’une nucléarisation des familles, c’est-à-dire

du déclin des solidarités familiales et de voisinage, qui se serait produite au début du XXe

siècle21

. Par ailleurs, certains chercheurs ont souligné que les services d’assistance

organisés ne sont mis à profit que lorsque famille et voisins ne peuvent plus répondre aux

besoins. Bonnier, à ce titre, a comblé un vide historiographique en opérant la jonction de

l’analyse de l’entraide informelle entre voisins et membres d’une même famille avec celle

de son versant institutionnel dans la paroisse Sainte-Brigide, à Montréal. Elle a démontré

par la richesse de son analyse l’utilité d’examiner la nébuleuse de l’entraide dans son

ensemble22

. Sociologues et historiens ont identifié pour la seconde moitié du XXe siècle des

éléments de changement des sociabilités familiales et de voisinage, comme l’expansion

d’un plus grand individualisme, tout en relevant plusieurs aspects témoignant d’une

continuité par rapport à la première moitié du siècle23

.

D’autres formes de sociabilités débordent du cadre de la famille et des relations de

voisinage. Il en va ainsi des relations en milieu de travail et de celles associées aux loisirs,

aux divertissements ainsi qu’à la vie communautaire et associative. Baillargeon a

néanmoins souligné, au milieu des années 2000, que les activités de loisirs des ouvrières et

les relations entre elles à l’intérieur et à l’extérieur des milieux de travail au XXe siècle

étaient encore peu étudiées au Québec, même pour la ville de Montréal24

. La vie

communautaire locale occupe une place de choix dans les habitudes de vie des milieux

populaires québécois jusqu’aux années 1950, au moment où la culture de masse étend son

21

Des sociologues comme Wirth annoncèrent notamment la mort des communautés locales. Louis WIRTH,

« Urbanism as a way of life », American Journal of Sociology, 44/1 (juillet 1938), p. 1-24. 22

Lucie BONNIER, L’entraide au quotidien : l’exemple de la paroisse Sainte-Brigide, Montréal, 1930-1945,

Montréal, Regroupement des chercheurs-chercheures en histoire des travailleurs et travailleuses du Québec,

1997, 116 p., coll. « RCHTQ Ŕ Études et documents », 9. Voir également Diane BRADETTE, « Comment se

protéger à Québec durant la Crise économique de 1929-1939 : l’interaction famille, Église, État », mémoire

de maîtrise en histoire, Québec, Université Laval, 1997, 102 p. 23

Voir, entre autres, FORTIN et al., op. cit.; ROBERTS (1995), op. cit. 24

Denyse BAILLARGEON, « L’histoire des Montréalaises. Un chantier en construction », dans Serge

JAUMAIN et Paul-André LINTEAU (dirs.), Vivre en ville : Bruxelles et Montréal aux XIXe-XX

e siècles,

Bruxelles, PIE Peter Lang, 2006, p. 134.

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9

influence25

. Ferretti a posé, pour sa part, un regard fin sur la richesse de la vie paroissiale à

Saint-Pierre-Apôtre, paroisse de Montréal habitée par une population de statuts

socioéconomiques modestes, au tournant du XXe siècle

26. Elle a souligné l’importance de la

sphère paroissiale dans l’adaptation à la vie urbaine de gens nouvellement arrivés à

Montréal et plus globalement dans la vie quotidienne québécoise. Cette importance de la

paroisse dans la vie quotidienne par le biais non seulement de la vie religieuse, mais

également des loisirs, des divertissements et de la vie communautaire et associative

s’observe aussi par le biais d’un grand nombre de monographies paroissiales exposant en

détail la présence d’associations et la tenue d’activités diverses.

Les sociabilités associées à la vie locale occupent une place indéniable dans l’expérience

du quartier. Elles constituent un des déterminants d’une culture urbaine dans un milieu

donné27

. Selon Grafmeyer, le quartier tient une « […] place importante dans les sociabilités

et la transmission des normes, en tant qu’espace d’interconnaissance où se déploient

d’efficaces réseaux d’entraide et de contrôle social28

». Ces sociabilités locales peuvent

tantôt nuire à l’enracinement dans le milieu de vie, lorsque certaines situations sont jugées

désagréables, tantôt le favoriser. Dans le second cas, leur appréciation participe à la

formation d’un sentiment d’appartenance à ce milieu de vie.

Le rapport identitaire à l’espace vécu

La thématique de l’identité et des représentations constitue un champ d’étude très prisé par

les historiens depuis une vingtaine d’années. Elle a notamment imprégné l’histoire urbaine.

L’étude de la formation et de l’évolution des identités en milieu urbain emprunta plusieurs

directions de recherche, principalement celles du genre, du groupe ethnique, de la

25

Roger LEVASSEUR, Loisir et culture au Québec, Montréal, Boréal Express, 1982, p. 54-55. Au sujet des

loisirs des jeunes, voir notamment Diane BRAZEAU, « L’organisation du loisir urbain et le rapport aux

valeurs traditionnelles : Québec au XXe siècle », mémoire de maîtrise en histoire, Québec, Université Laval,

1996, 101 p. 26

Lucia FERRETTI, Entre voisins. La société paroissiale en milieu urbain. Saint-Pierre-Apôtre de Montréal,

1848-1930, Montréal, Boréal, 1992, 264 p. 27

CASTELLS, op. cit., p. 104. 28

Yves GRAFMEYER, Habiter Lyon. Milieux et quartiers du centre-ville, Lyon, Presses Universitaires de

Lyon, 1991, p. 19.

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10

confession religieuse et de la mouvance politique29

. Les historiens ont somme toute peu

investi la question du rapport identitaire à l’espace vécu. L’expérience quotidienne du

milieu de vie est pourtant susceptible de contribuer à l’élaboration d’un sentiment

d’appartenance à celui-ci, comme l’ont démontré des sociologues, des ethnologues30

et

même des architectes31

. Ce sentiment naît de pratiques et de représentations comme, entre

autres, la répétition des mêmes habitudes qui sont parfois partagées par un grand nombre de

personnes, comme aller à l’épicerie du coin ou à la messe par exemple, la participation à la

vie communautaire et associative, le développement de sociabilités et la perception de vivre

dans un milieu homogène au plan socioéconomique32

. La moyenne ou longue durée de

résidence peut être source d’enracinement, tout comme la localisation du quartier dans

l’agglomération33

. L’expérience quotidienne du milieu de vie et le sentiment

d’appartenance à celui-ci influencent les représentations sur ce qu’on considère

personnellement être « son » quartier34

et sur les milieux de vie environnants. Ce sentiment

d’appartenance et ces représentations orientent, inversement, les habitudes de vie et

notamment les lieux fréquentés.

29

Voir, notamment, au sujet du genre, Donald F. DAVIS et Barbara LORENZKOWSKI, « A Platform for

Gender Tensions: Woman Working and Riding on Canadian Urban Public Transit in the 1940s », The

Canadian Historical Review, 79/3 (septembre 1998), p. 431-465. Pour une étude axée sur la variable

ethnique, voir, entre autres, Joan Lynn SAVERENO, « Private lives, public identities: the Italians of Reading

and Berks County, Pennsylvania, 1890-1945 », thèse de doctorat en histoire, Pittsburgh, University of

Pennsylvania, 1996, 331 p. Savereno a montré comment se forgea entre 1890 et 1945 l’identité dans les

communautés italo-américaines de villes industrielles de régions rurales des États-Unis. Elle s’est concentrée

notamment sur la création, l’entretien et l’adaptation des frontières culturelles et des relations inter- et intra-

groupes ethniques. 30

Par exemple, BOZON, op. cit.; Martine SEGALEN et Françoise BEKUS, Nanterriens. Les familles dans la

vie. Une ethnologie de l’identité, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1990, 200 p., coll. « État des

lieux ». 31

Claire DESPRÉS et Pierre LAROCHELLE, « L’influence des trajectoires résidentielles et des normes

culturelles d’habitat sur les significations et les usages du Vieux-Limoilou », dans Yves GRAFMEYER et

Francine DANSEREAU (dirs.), Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain (1945-1972), Lyon,

Presses Universitaires de Lyon, 1998, p. 43-71. 32

Dans la situation contraire, Grafmeyer, conscient que le lieu habité constitue un moyen de conforter

l’identité, s’est concentré, dans un ouvrage publié en 1991, sur des quartiers de Lyon, en France, caractérisés

par une vie de quartier peu animée et dont les résidants avaient des réseaux de sociabilités centrés sur le

travail ou sur une parenté délocalisée. Il a constaté que le lieu habité n’était pas considéré par les participants

à son enquête comme un référent identitaire. GRAFMEYER (1991), op. cit. 33

Par exemple, Benali a démontré que les résidants du quartier de banlieue Duberger à Québec étaient séduits

par sa position entre le centre-ville et les espaces commerciaux périphériques, qui motivait à rester dans ce

quartier. Kenza BENALI, « Les significations de la banlieue et l’attachement au quartier des résidants de

Duberger », mémoire de maîtrise en architecture et design urbain, Québec, Université Laval, 2000, p. 45. 34

À ce sujet, voir notamment Kevin LYNCH, L’image de la cité, Paris, Dunod, 1998 (1976), 221 p.

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Dans leur étude du Vieux-Limoilou, un secteur du quartier Limoilou à Québec, à la fin des

années 1990, les architectes Després et Larochelle ont montré, entre autres, que ses plus

anciens habitants, ceux qui y ont résidé longtemps aux côtés de membres de leur famille

sans déménager souvent, étaient très attachés à leur paroisse, qu’ils considéraient comme

leur quartier. Cet attachement et cette représentation sur le quartier de résidence furent

nourris, selon ces auteurs, par la longue durée de résidence, l’usage des commerces et

services locaux et les sociabilités locales. Leurs conclusions démontrent la nécessité de

prendre en compte le cadre paroissial, sur lequel nous reviendrons plus loin, et la vie qu’on

y mène dans l’étude du rapport identitaire à l’espace vécu et plus largement de l’expérience

québécoise du quartier et de la ville.

La dimension identitaire de l’expérience du milieu de vie reste donc peu abordée dans une

perspective historique. Les historiens ont relevé, de concert avec les spécialistes d’autres

disciplines, la place importante occupée par la paroisse au Québec au sein des identités

urbaines jusque dans la seconde moitié du XXe siècle. Ils ont toutefois relativement peu

approfondi ses déterminants, au-delà de l’identification, entre autres, de la pratique

religieuse et de la diversité de la vie paroissiale, ainsi que la question de son évolution au

cours de cette seconde moitié du XXe siècle. Dans cette étude, il nous est ainsi apparu

essentiel de prendre en compte le rapport identitaire à l’espace vécu. De plus, à l’instar de

l’approche mise à profit par l’historienne Hareven dans son ouvrage sur la Amoskeag Mills

à Manchester35

, celle du cycle de vie (life course), nous retenons également les sociabilités

et les quatre aspects des stratégies familiales présentés plus haut afin de caractériser

finement l’expérience du quartier et de la ville dont témoigne la culture urbaine en milieu

populaire québécois. En conjuguant différentes variables étroitement entremêlées plutôt

qu’en les traitant en vase relativement clos, comme l’on faisait en étudiant les conditions de

vie dans les années 197036

, cette approche permet de faire la lumière sur les interrelations

35

Tamara K. HAREVEN, Family time and industrial time. The relationship between the family and work in a

New England industrial community, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, 474 p., coll.

« Interdisciplinary perspectives on modern history ». 36

Parmi ces travaux, citons pour le Canada anglais ceux de Katz et de Piva sur la classe ouvrière d’Hamilton

et de Toronto. Michael B. KATZ, The people of Hamilton, Canada West: family and class in a mid-

nineteenth-century city, Cambridge, Harvard University Press, 1975, 381 p., coll. « Harvard studies in urban

history »; Michael J. PIVA, The Condition of the Working Class in Toronto, 1900-1921, Ottawa, University

of Ottawa Press, 1979, 190 p. Pour le Québec, Copp, pour Montréal, et Larocque, pour Québec sont de bons

exemples. Ils se sont penchés sur les conditions de travail et les salaires, les conditions de logement, la santé

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entre celles-ci. Comme Hareven le soutient, « s ince work, family and community are

interlocked in people’s lives, they should not be compartmentalized in historical

research37

. » L’approche du cycle de vie lui permet, dans cet ouvrage, de saisir les

interrelations entre la vie familiale et le monde du travail en examinant le rôle de la famille

dans l’adaptation des ouvriers immigrants au travail à la Amoskeag Mills ainsi qu’à la vie à

Manchester, ville industrielle des Etats-Unis, entre 1900 et 1930.

Un parallèle peut être tracé ici avec l’histoire urbaine. Dans ce domaine, certains se sont

penchés, selon les intitulés de Linteau et d’Artibise38

, sur l’histoire de la ville (urbanisme,

pouvoir local, administration, réseau urbain, relation entre la ville et son hinterland, concept

de ville, etc.), alors que d’autres ont étudié l’histoire dans la ville (vie quotidienne, groupes

sociaux, stratégies d’adaptation, construction identitaire, culture matérielle, sociabilités,

etc.). L’histoire urbaine est également marquée par une autre paire d’approches, le urban as

setting et le urban as process, pour reprendre les termes d’Artibise et de Stelter39

. Selon la

première approche, le milieu urbain n’est que le cadre dans lequel évolue l’objet d’étude,

sans que ce milieu ne soit une variable considérée dans l’analyse. La seconde approche

intègre la variable du développement urbain dans l’analyse à partir du constat selon lequel

la ville n’est pas immuable; les changements qu’elle connaît influencent l’objet d’étude.

Elle fut notamment mise à profit dans les travaux de l’équipe d’Hershberg40

. Ces

chercheurs étudièrent la manière dont l’environnement urbain et ses mutations avaient

affecté la population de Philadelphie au XIXe siècle, et ce en considérant plusieurs

variables du quotidien étroitement reliées (milieu de résidence, famille, travail, etc.). Cette

approche révèle la richesse d’une insertion de l’« histoire dans la ville » dans son cadre

urbain et notamment dans le cadre du quartier, pôle nerveux de la vie locale.

et l’hygiène, la scolarisation, les services sociaux et les loisirs. COPP, op. cit.; Paul LAROCQUE, « La

condition socio-économique des travailleurs de la Ville de Québec (1896-1914) », mémoire de maîtrise en

histoire, Québec, Université Laval, 1970, 212 p. 37

HAREVEN, loc. cit., p. 318. 38

Paul-André LINTEAU et Alan F. J. ARTIBISE, L’évolution de l’urbanisation au Canada : une analyse des

perspectives et des interprétations, Winnipeg, Institute of Urban Studies, 1984, p. 39, rapport no 5.

39 Alan F. J. ARTIBISE et Gilbert A. STELTER (éds.), The Canadian City: essays in urban and social

history, Ottawa, Carleton University Press, 1984, coll. « Carleton Library » 132, p. 222. 40

Theodore HERSHBERG et al., Philadelphia : work, space, family, and group experience in the nineteenth

century : essays toward an interdisciplinary history of the city, New York, Oxford University Press, 1981,

525 p.

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13

Le cadre du quartier

La notion de quartier, complexe, a suscité une production scientifique considérable41

. Elle

fait l’objet de débats à caractère sociologique depuis le modèle écologique élaboré par des

spécialistes de l’École de Chicago durant les années 192042

. Ceux-ci le comparaient alors à

une « aire naturelle », c’est-à-dire à un univers social dense et homogène circonscrit dans

des limites aisément identifiables. Cette approche fut fortement critiquée par les tenants de

la théorie de la disparition des communautés locales43

, qui auraient été standardisées et

avalées par le développement urbain. Le quartier oscille au XXe siècle et au début du XXI

e,

selon les perspectives adoptées, entre un espace social fort ou peu significatif.

Le quartier réfère globalement à deux espaces, soit le quartier « construit » et le quartier

perçu. Ces deux espaces ne correspondent pas nécessairement l’un avec l’autre. La notion

de quartier « construit » s’entend de deux façons. Il peut être, dans un premier temps, un

découpage administratif du territoire urbain facilitant les interventions publiques et servant

de cadre électoral et de cadre de mesures sociodémographiques, socioéconomiques, etc. Le

quartier peut être également un « construit sociohistorique44

», une « unité socio-spatiale

différenciée45

» se distinguant par un ou plusieurs des aspects suivants : bâti, population,

histoire, réputation, caractéristiques physiques, tissu de commerces et de services, pratiques

collectives, etc.

La notion de quartier perçu renvoie, pour sa part, à une dimension subjective, soit aux

représentations que se fait chaque citadin sur l’espace urbain en général, ainsi que sur

l’espace qu’il habite et investit. Le quartier est, dans cette optique, une « figure à géométrie

variable46

». Chacun établit ce qu’il considère être un quartier ou son quartier en fonction,

41

Annick GERMAIN, « Grandeurs et misères du quartier », dans Alain BOURDIN, Annick GERMAIN et

Marie-Pierre LEFEUVRE (dirs.), La proximité. Construction politique et expérience sociale, Paris,

L’Harmattan, 2006, p. 199-205. 42

Les écrits les plus importants en la matière, notamment ceux de R. Park et de E. Burgess, ont été rassemblés

et publiés par Yves GRAFMEYER et Isaac JOSEPH (éds.), L’École de Chicago. Naissance de l’écologie

urbaine, Paris, Champs/Flammarion, 2004, vii-377 p. 43

Voir, entre autres, WIRTH, loc. cit. 44

Annick GERMAIN et Johanne CHARBONNEAU, Le quartier : un territoire social significatif? Montréal,

INRS-Groupe de recherche et de prospective sur les nouveaux territoires urbains, 1998, coll. « Culture et

Ville », 6, p. 3. 45

Richard MORIN et Michel ROCHEFORT, « Quartier et lien social : des pratiques individuelles à l’action

collective », Lien social et politiques – RIAC, 39 (printemps 1998), p. 105. 46

GRAFMEYER (1991), op. cit., p. 20.

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entre autres, de ses propres pratiques, de son rapport identitaire à l’espace vécu et de

facteurs stimulant la construction de cette représentation, comme des caractéristiques

physiques, des pratiques collectives ou divers lieux et espaces jugés symboliques (artères,

parcs, monuments, musées, etc.). Le quartier peut ainsi correspondre à un pâté de maisons,

à une rue, à un complexe de logements sociaux, à une paroisse ou encore à un espace

géographique spécifique (basse et haute ville, presqu’île, butte, etc.).

En histoire et en aménagement du territoire québécois, le quartier fut essentiellement

circonscrit à son aspect « construit » en tant qu’outil méthodologique, c’est-à-dire comme

cadre d’analyse des stratégies familiales, des conditions socioéconomiques47

ou encore du

développement urbain48

pour des périodes plus ou moins longues. La dimension du quartier

perçu fut évacuée ou impossible à étudier en regard des sources disponibles, au désavantage

d’une compréhension plus poussée des modes de vie urbains, de leur déploiement spatial,

des représentations sur l’espace urbain et de leur évolution. L’historien Garden a pourtant

souligné le potentiel d’un examen de cette dimension afin de saisir l’évolution historique du

quartier en tant qu’espace social significatif pour les individus. Il a défini en ce sens deux

axes de recherche : la pratique d’usages similaires sur un territoire, notamment en matière

de consommation et de loisirs, et la conscience d’une identité propre née de ces pratiques.

Ces deux axes sont influencés par les caractéristiques sociodémographiques et

socioéconomiques des résidants ainsi que par les spécificités culturelles et les

47

Citons, en histoire, BRADBURY, op. cit.; ROSS, op. cit.; BAILLARGEON, op. cit.; et Jean-Pierre

KESTEMAN, « La condition urbaine vue sous l’angle de la conjoncture économique : Sherbrooke, 1875 à

1914 », Revue d’histoire urbaine, 12/1 (juin 1983), p. 11-28. Par exemple, Bradbury s’est concentrée sur deux

quartiers populaires de Montréal, Sainte-Anne et Saint-Jacques. Kesteman, quant à lui, a utilisé le cadre du

quartier pour relever certaines spécificités au sein d’une analyse globale de la condition urbaine (emploi,

habitat, conditions de logement) à Sherbrooke entre 1875 et 1914. Du côté de l’aménagement du territoire,

Sanschagrin et Grondin, notamment, dans le cadre de leur maîtrise respective portant sur la ville de Québec,

ont sélectionné certains quartiers couvrant différents secteurs de la ville afin d’examiner les processus de

polarisation et de ségrégation socioéconomique en cours lors de la seconde moitié du XXe siècle. Johanne

SANSCHAGRIN, « Tertiarisation de l’économie urbaine, polarisation socio-économique et genres dans les

quartiers centraux de Québec de 1951 à 1991 », mémoire de maîtrise en aménagement du territoire et

développement régional, Université Laval, juin 1998. 203 p.; Patrice GRONDIN, « Ségrégation urbaine :

étude des quartiers de la ville de Québec entre 1971 et 1986 », mémoire de maîtrise en en aménagement du

territoire et développement régional, Québec, Université Laval, 1990, 168 p. 48

Voir, entre autres, les contributions de Linteau et de Robert dans Maurice GARDEN et Yves LEQUIN

(dirs.), Habiter la ville. XVe – XX

e siècles. Actes de la Table ronde organisée avec l’aide de la D.G.R.S.T. et

de la M.R.U., Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1984, 315 p., coll. « Histoire et populations ».

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caractéristiques du milieu (structure du bâti, parcs, voies de communication, offre

commerciale, présence de lieux de travail, etc.)49

.

Young et Willmott50

ainsi que Gans51

, des sociologues urbains, ont consacré par leurs

travaux sur des quartiers populaires les concepts de « quartier intégré » et de « village

urbain ». Sans qu’il n’y ait de grille d’analyse permettant d’en accorder le titre ou non, de

tels quartiers se démarquent, d’une part, par la présence dans leurs limites d’une diversité

de fonctions, c’est-à-dire résidentielle, commerciale, artisanale ou industrielle, culturelle,

religieuse ou encore de loisirs et de services et, d’autre part, par le fait que les habitants

sont unis dans des réseaux de sociabilités touffus (voisins, parenté, amis, commerçants et

collègues). Ces fonctions font de ces quartiers des lieux relativement autonomes qui se

démarquent par une certaine unité des modes de vie. En raison de cette diversité de

fonctions et de cet univers social dense, leurs habitants peuvent avoir l’impression d’habiter

dans un village distinct de la ville qui les entoure, ce qui contribue grandement à forger un

fort sentiment d’appartenance52

. En conséquence, les déménagements se font souvent à

l’intérieur de cet espace.

49

Maurice GARDEN, « Le quartier, nouvel objet d’histoire? », Économie et humanisme, 261

(septembre/octobre 1981), p. 51-58. 50

Michael YOUNG et Peter WILLMOTT, Le Village dans la ville, Paris, CGP/CCI, 1983 (1957), 255 p. Ils

ont ciblé les effets sur les systèmes de parenté d’une politique étatique des années 1950 de relocalisation de

familles ouvrières implantées depuis longtemps dans le quartier Bethnal Green de Londres dans un nouveau

secteur plus moderne. En croisant l’étude du quartier à celle des réseaux de parenté, ils ont découvert, de leur

aveu avec surprise, une communauté unie où la stabilité résidentielle avait nourri des liens familiaux, amicaux

et de voisinage très affirmés, d’où l’appellation de « village dans la ville ». Cette forte solidarité se répandait

sur plusieurs sphères d’activité du quartier. Par exemple, citons la passation des baux de logement, qui

peuvent demeurer dans une famille pendant plusieurs années, ou l’embauche du jeune homme ou de la jeune

femme dans la même industrie que son père ou sa mère, ce(tte) dernier(ère) recommandant leur candidature à

leur patron. L’unité sociale la plus importante pour ces personnes étant la famille élargie, le relogement

provoqua l’isolement et littéralement, la fin d’un monde. 51

Herbert J. GANS, The Urban Villagers. Group and Class in the Life of Italians-Americans, New York, Free

Press, 1962, xvi-367 p. Gans, également urbaniste, se pencha durant les années 1950 sur le West End de

Boston, quartier peuplé à l’époque par une minorité italo-américaine numériquement importante et

grandement défavorisée. Il a cherché à étudier les modes de vie et les systèmes de parenté dans ce lieu défini

par la diversité de ses fonctions, comme Bethnal Green, et par sa pauvreté afin de définir des pistes d’action

du développement urbain. Son ouvrage révèle un milieu de vie propice à un attachement au territoire et à la

famille très marqué. Il soutient que l’ethnicité est moins importante que les facteurs sociaux propres à la vie

dans ce genre de quartier dans la construction des systèmes de parenté, ce qui démontre l’importance de

l’étude de la vie de quartier. 52

Cette dynamique n’est pas exclusive aux quartiers populaires, car il existe des « […] secteurs résidentiels

où l’agrégation de ménages aisés, l’aspiration à un même mode de vie et le développement d’un fort contrôle

social tendent à produire une identité collective ». Le cas montréalais de Westmount convient bien à cette

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Les chercheurs s’étant penchés sur le quotidien en milieu populaire urbain québécois au

XXe siècle ont souligné l’importance des pratiques réalisées dans les commerces et services

de proximité immédiate et la densité des sociabilités, laissant croire que certains milieux

avaient un caractère villageois53

. Ce caractère est particulièrement associé dans la

conscience collective à la paroisse, pôle d’appartenance et cadre de vie locale animé avec,

entre autres, ses commerces, ses services, ses écoles et son centre communautaire.

Grafmeyer souligne néanmoins la rareté des exemples authentiques de villages urbains. En

effet, la proximité physique n’est pas nécessairement synonyme de proximité sociale. Un

quartier peut compter plusieurs fonctions sans que ses résidants profitent de chacune,

certains préférant sortir de ce dernier pour se divertir ou acheter des biens ou devant en

sortir pour aller travailler si leur lieu d’emploi ne se trouve pas dans le quartier. Cette

situation n’empêche pas un milieu de vie d’être source d’appartenance, car cette

appartenance se nourrit à divers aspects du quotidien.

Plusieurs auteurs ayant mis à profit le concept de « village urbain » ou de « quartier

intégré » à la suite de Young, Willmott et Gans l’ont utilisé « […] comme une sorte de

tableau initial idéal typique permettant d’apprécier a contrario l’ampleur de sa propre

dislocation54

», lors de rénovations ou de redéploiement des activités locales par exemple.

Ils ont tout de même montré que les quartiers populaires sont bien souvent caractérisés par

une diversité de fonctions jusque dans la seconde moitié du XXe siècle. En confrontant

l’état d’intégration des quartiers populaires et des paroisses au Québec aux habitudes de vie

de leurs résidants prenant place tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ceux-ci, il est ainsi

possible de cerner les modes de vie et l’évolution de l’expérience du quartier et de la ville.

Cette approche sociospatiale suppose la prise en compte de divers aspects des habitudes de

vie.

idée. Voir Louis LAVALLÉE, La Prairie en Nouvelle-France, 1647-1760. Étude d’histoire sociale,

Montréal, McGill-Queen’s Universities Press, 1992, p. 18. 53

Citons à titre d’exemple BAILLARGEON, op. cit.; et Collectif CourtePointe, Pointe Saint-Charles : un

quartier, des femmes, une histoire communautaire, Montréal, Éditions du remue-ménage, 2006, 286 p.;

Bernard DESCHÊNES, « Les changements de la vie de quartier », mémoire de maîtrise en anthropologie,

Québec, Université Laval, 1980, 106 p. 54

GRAFMEYER (1991), op. cit., p. 19.

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Les pratiques du quartier

La réflexion de Garden trouve écho en sociologie urbaine, où le quartier en tant qu’espace

vécu est appréhendé au moyen du concept de « pratiques du quartier ». Ces manières

d’habiter et de vivre se traduisent en une pléiade de comportements, des stratégies de

recherche d’un logement à la consommation en passant par les relations sociales, ainsi

qu’en trajectoires quotidiennes et hebdomadaires caractérisant les comportements. La non-

fréquentation d’établissements du quartier, l’absence de certaines pratiques dans un quartier

ainsi que les pratiques réalisées à l’extérieur du quartier sont tout aussi significatives de

l’expérience de celui-ci et sont prises en compte. Cette prise en compte met en relief

l’expérience des autres espaces urbains et révèle le rapport objectif, en termes de besoins,

de possibilités, de moyens financiers, de distances et de moyens de déplacement, et

subjectif55

, en termes de préférences et d’évaluation personnelle de ce qui est loin et proche,

ainsi que de ce qui est accessible physiquement et financièrement, aux lieux et aux espaces.

Elle permet ainsi d’apprécier finement la place de la vie de quartier au sein de la vie

urbaine56

.

Les pratiques du quartier englobent également les « bénéfices symboliques escomptés57

»,

comme la reconnaissance ou l’intégration, par le respect de normes qui leur sont reliées.

Ces normes, ou « loi de convenance », représentent le code de vie non-écrit du quartier.

Elles s’appliquent tant aux lieux fréquentés qu’aux relations avec autrui. Elles consistent en

55

Les praticiens de la géographie humaine et culturelle ont développé à ce sujet le concept du « sense of

place », ou sens des lieux. Il réfère au rapport subjectif et aux liens émotionnels, positifs ou négatifs,

qu’entretiennent les individus avec ces lieux. Voir notamment Tim CRESSWELL, Place. A Short

Introduction, Malden, Blackwell Publishing, 2005, 153 p. 56

Le concept des pratiques du quartier a notamment un pendant géographique. L’ « organisation

sociospatiale » des géographes concerne la logique d’organisation de la vie dans un quartier repérée par les

trajectoires des individus et la fréquentation des commerces, services, parcs et autres lieux. Comprendre cette

logique aide grandement à cerner une culture urbaine. Voir, à ce sujet, Rémy TREMBLAY, Floribec. Espace

et communauté, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa, 2006, coll. « Amérique française », 14, 150 p. Des

ethnologues, quant à eux, abordent les usages de l’espace urbain par le biais de pratiques culturelles

(alimentation, langage, habillement, etc.) s’inscrivant dans des « fonctions urbaines »: consommation,

communication, association, récréation, éducation, production, circulation, protection, etc. Du Berger

explique : « Par la découverte progressive du jeu des pratiques culturelles et des fonctions urbains dans les

récits de vie et les récits de pratiques, la ville se présente comme un ensemble structuré de pratiques et de

fonctions, un ensemble de dynamismes où entrent en interaction les groupes d’appartenance et les

organisations. » Jean Du BERGER, « Pratiques culturelles et fonctions urbaines », Canadian Folklore

canadien, 16/1 (1994), p. 41; BRADETTE, op. cit., p. 7-8. 57

Pierre MAYOL, « Habiter », dans Michel De CERTEAU, Luce GIARD et Pierre MAYOL, L’invention du

quotidien. II. Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1990, coll. « Folios/Essais », p. 17.

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des « quoi faire » et des « quoi dire », notamment en matière de relations de voisinage. Des

lieux ne sont pas fréquentés, des gestes ne sont pas posés et des sujets ne sont pas abordés

parce que cela ne se fait pas ou ne se dit pas. Faire défaut à ces normes vaut à un individu

d’être critiqué et marginalisé par son milieu. L’identification des normes est ainsi utile, car

elles orientent les pratiques du quartier et produisent une séparation entre le « nous » les

respectant et le « eux » ne s’y conformant pas.

L’espace local investi et personnalisé par les pratiques du quartier devient au fil du temps

une partie intégrante de l’espace personnel de l’individu « […] presque assimilable à une

extension de la maison58

» dans laquelle il se sait reconnu59

. Le psychologue Noschis

soutient en traitant du quotidien des milieux populaires: « Certes, […], c’est une histoire au

jour le jour faite d’événements qui se répètent, monotones […], interrompus […] par les

jours de repos, les fêtes de famille ou les fêtes officielles. Néanmoins, c’est précisément

cette routine des gestes et du travail quotidien, ses nuances et ses détails, qui entrent dans

un rapport continu avec les espaces et les constructions qui les abritent. Le bâti s’imprègne

par là de sens60

. » Cet espace local est source d’appartenance. La conscience de vivre dans

les mêmes conditions et de réaliser des pratiques similaires, le respect des normes ainsi que

la présence de « hauts lieux61

», c’est-à-dire de commerces, de services, de parcs et

d’autres lieux très fréquentés ou appréciés et auxquels est rattaché un lien émotif positif,

peuvent aussi susciter cette appartenance au milieu de vie et un sentiment d’« entre-

nous62

», sentiment qui favorise la solidarité63

. Dans d’autres cas, cette routine peut être

jugée désagréable et susciter une vision du milieu de vie et une charge émotive plus

58

Xavier PIOLLE, Les citadins et leur ville. Approche de phénomènes urbains et recherche méthodologique,

Paris, Privat, 1979, coll. « Sciences de l’homme », p. 253. 59

MAYOL, « Habiter », dans De CERTEAU, GIARD et MAYOL, op. cit., p. 18. 60

Kaj NOSCHIS, Signification affective du quartier, Paris, Méridiens, 1984, coll. « Sociologies au

quotidien », p. 14. 61

Ibid., p. 51; Michel MAFFESOLI, « Vie enracinée, pensée organique », dans Denis JEFFREY et Michel

MAFFESOLI, La sociologie compréhensive, Québec, Presses de l’Université Laval, 2005, coll. « Sociologie

au coin de la rue », p. 12. 62

MORIN et ROCHEFORT, loc. cit., p.107. 63

Les géographes, par ailleurs, traitent des identités par le biais des territorialités. L’appropriation de l’espace

de vie crée un espace communautaire et relationnel riche que les gens préservent avec soin. Le rapport avec

cet espace prend la forme d’une conscience territoriale. Cette conscience s’exprime par des inclusions et des

exclusions, par une série de normes non-écrites acceptées et suivies et par des pratiques spécifiques. Serge

COURVILLE, « L’identité culturelle : l’approche du géographe », dans Jacques MATHIEU et al., Approches

de l’identité québécoise, Québec, CÉLAT, 1985, coll. « Cahiers du CÉLAT », 3, p. 39-43.

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négative. Ces situations peuvent mener à un déménagement hors de ce milieu, alors que la

présence d’un sentiment d’appartenance favorise le maintien dans ce dernier.

L’appartenance au milieu de vie peut, par ailleurs, se forger dans l’opposition à un autre

secteur de la ville. Elle peut, de même, être favorisée ou affectée par la localisation du

milieu de vie dans la ville. En effet, un secteur jugé négativement peut être source de

satisfaction envers le milieu de résidence par effet de comparaison. Cette satisfaction peut

également être solidifiée dans les cas où le milieu de résidence jouxte un secteur où les

individus se rendent régulièrement, comme un secteur où se trouvent plusieurs lieux de

travail, de consommation ou de loisirs, ou être limitée par le côtoiement d’un secteur

bruyant ou encore source de pollution. Il est ainsi nécessaire d’examiner, en plus des

pratiques réalisées en dehors du quartier, les représentations sur les divers espaces urbains

afin de caractériser adéquatement la constituante identitaire d’une culture urbaine dans un

milieu donné.

Les pratiques du quartier, le rapport identitaire à l’espace vécu et les représentations sur le

milieu de vie et les autres espaces urbains sont influencés par divers ensembles de facteurs,

à commencer par des variables relatives à chaque individu et à chaque ménage comme le

sexe, l’âge, le nombre d’enfants et les revenus disponibles. Notons ensuite l’évolution du

contexte urbain, que ce soit aux plans sociodémographique, économique (développement

commercial et industriel) ou de l’environnement construit, celle du contexte

socioéconomique de la région et du pays, ainsi que celle des modes de vie. En effet, des

phénomènes migratoires d’envergure ou des chantiers de rénovation urbaine, en provoquant

une modification des relations entre l’individu et son environnement humain et bâti,

peuvent notamment affecter son expérience du quartier ainsi que le rapport identitaire et les

représentations qui en découlent. De même, à partir des années 1950 au Québec,

l’explosion du nombre de ménages possédant un véhicule et l’ouverture de supermarchés et

de centres commerciaux ont fait en sorte qu’un grand nombre de citadins ont investi de

nouveaux espaces. Cet investissement a souvent sonné le glas de plusieurs petits

commerces et services locaux, affectant par le fait même les sociabilités qui s’y déployaient

et les pratiques de ceux qui ne les avaient pas délaissés.

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Un facteur socioculturel se révèle incontournable au Québec, soit la variable paroissiale

associée au fait religieux catholique. Les paroisses offrent « […] au tout-venant l’essentiel

Ŕ ou du moins le minimum nécessaire Ŕ pour devenir chrétien et faire Église64

», comme

l’énonce Borras. La paroisse catholique québécoise fut toutefois plus qu’une simple unité

de vie religieuse. Elle a significativement orienté l’organisation spatiale du territoire en

servant de cadre à l’établissement rural65

et d’unité d’encadrement socioreligieux des

populations en milieu urbain. L’accroissement des populations urbaines s’est fait

parallèlement à l’accroissement du nombre de paroisses. Jusque dans la seconde moitié du

XXe siècle, la vie locale urbaine fut en bonne partie axée autour du clocher paroissial. Le

réseau des écoles primaires, celui des centres communautaires et certains réseaux de

services, comme les caisses populaires, se sont constitués sur une base paroissiale.

L’encadrement socioreligieux étroit des populations se traduisit par une vie paroissiale

animée et diversifiée. Les quartiers administratifs « construits » québécois regroupent ainsi

un certain nombre de paroisses et leurs limites correspondent bien souvent à celles des

paroisses frontalières. Les paroisses québécoises ont occupé une place indiscutable au sein

des pratiques du quartier, à tout le moins jusqu’à ce que se produisent un détachement

envers l’Église catholique et un changement notable des modes de vie à partir des années

1950. Comme nous l’avons mentionné, la production scientifique a souligné leur

importance dans les identités urbaines. Des études portant sur des villes nord-américaines

hors Québec ont également mis en lumière l’impact de la présence des paroisses

catholiques sur la vie urbaine au cours du XXe siècle, en particulier sur l’enracinement au

milieu de vie66

. Il importe donc de prendre en compte la paroisse dans l’analyse de la

culture urbaine québécoise.

Si Chombart de Lauwe et son équipe ont établi dans les années 1950 que chaque classe

sociale avait son « modèle » d’appropriation de l’habitat et de la ville, il ne faut pas y voir

64

Alphonse BORRAS, « La paroisse, et au-delà… », Études, 402 (juin 2005), p. 784. 65

Serge COURVILLE, Le Québec. Genèses et mutations du territoire, Québec, Presses de l’Université Laval,

2000, p. 198-199. 66

Citons, par exemple, pour le cas états-unien, l’étude de Rae sur New Haven au Connecticut et celle de

Gamm sur Boston au Massachusetts. Douglas W. RAE, City. Urbanism and Its End, New Haven/Londres,

Yale University Press, 2003, p. 149-152; Gerald GAMM, Urban Exodus : Why the Jews left Boston and the

Catholics Stayed, Cambridge, Harvard University Press, 2001, 384 p.

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des blocs « monolithiques67

». Même s’il existe des éléments transcendant un groupe social

et parfois tout groupe social, l’espace n’est jamais investi de manière totalement

standardisée68

. À chaque quartier correspondent des manières de vivre au quotidien qui lui

sont propres en vertu de ses caractéristiques et de celles de la population qui l’habite.

Plusieurs sociologues intéressés au fait urbain ont montré que l’étude du quotidien

bénéficie grandement de son inscription dans ses configurations spatiales, lesquelles

orientent les habitudes de vie69

. Sans chercher à expliquer le social par le spatial70

, l’espace

étant en effet, pour reprendre l’expression de Rémy, davantage « conjonctural » que

« structural71

», il convient néanmoins d’identifier son rôle dans l’expérience qu’ont les

gens du quartier et de la ville.

Le concept des pratiques du quartier nous est apparu stimulant dans l’optique d’analyser

une culture populaire urbaine puisqu’il permet d’identifier ses modes d’expression et leur

évolution dans un milieu précis. Il donne la possibilité d’appréhender de manière originale

les axes de recherche du quotidien en milieu urbain présentés précédemment. Il se prête de

plus à l’étude du rapport identitaire à l’espace vécu, ainsi que des représentations sur le

milieu de vie et sur d’autres espaces urbains, car les pratiques du quartier les façonnent et

en sont influencées. Examinées dans le cadre d’un quartier « construit », les pratiques

laissent voir, en fonction de leur déploiement, ce qui peut se révéler le quartier perçu des

individus, qui découle, comme on l’a vu, des pratiques réalisées et du rapport identitaire à

l’espace vécu. L’utilisation du quartier « construit » donne aussi la possibilité d’approfondir

les connaissances sur l’évolution de la place occupée par la paroisse dans ces pratiques et

67

GRAFMEYER (1994), op. cit., p. 42. 68

L’historien Benson, par exemple, dans un ouvrage sur les conditions de la classe ouvrière en Grande-

Bretagne entre 1850 et 1939, a cherché notamment à voir s’il y avait eu au fil du temps une homogénéisation

des conditions de vie. Il a conclu que même si les milieux ouvriers partageaient plusieurs caractéristiques

communes, il n’y eut pas un mode de vie unique. Par le biais des différences en matière de pouvoir d’achat

des ménages ou de teneur des liens de voisinage et familiaux, notamment, il a pu établir que chaque milieu

ouvrier avait son caractère propre. John BENSON, The Working Class in Britain, 1850-1939, London,

Longman, 1989, 219 p. 69

Authier écrit notamment qu’il y a des « effets de quartier », alors que Bourdieu parle d’ « effet de lieu ».

Jean-Yves AUTHIER, « Les rapports au quartier », dans Jean-Yves AUTHIER (dir.), Du Domicile à la Ville.

Vivre en quartier ancien, Paris, Anthropos, 2001, coll. « Villes », p. 156; Pierre BOURDIEU, « Effets de

lieu », dans Pierre BOURDIEU et A. ACCARDO (dirs.), La misère du monde, Paris, Éditions du Seuil, 2007,

coll. « Points », 569, p. 249-262. 70

GRAFMEYER et JOSEPH, op. cit., p.31. 71

J. Rémy cité par NOSCHIS, op. cit., p. 9.

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22

ce rapport, de la relation entre la paroisse et le quartier tel qu’il est vécu et perçu par chaque

individu, ainsi que des spécificités paroissiales.

Présentation du problème, hypothèses et stratégies de recherche

Young et Willmott ont mis à jour une mutation de l’univers social et particulièrement des

sociabilités familiales, amicales et de voisinage dans le quartier populaire Bethnal Green de

Londres à partir des années 1950. Cette mutation trouve résonance dans les quartiers

populaires nord-américains et notamment québécois. En effet, après la Seconde Guerre

mondiale, l’espace urbain est le théâtre d’une extension significative du réseau routier,

d’une décentralisation des activités industrielles, d’opérations de rénovation à moyenne et à

grande échelle et de l’ouverture de nouveaux lieux de consommation et d’espaces

résidentiels. Un plus grand individualisme se fait également sentir au sein de la population,

dont le pouvoir d’achat augmente. Les départs de milliers de ménages vers les banlieues et

de nouvelles mentalités affectent tant la vie dans les quartiers populaires que dans les

quartiers plus aisés. Caractérisés habituellement par une pluralité de fonctions, les premiers

font face à une diminution de leurs activités commerciales et industrielles. Une partie de

leur population les quitte et une autre modifie ses habitudes de vie. Dans cette ère de

nouvelle modernité marquée également par l’usage grandissant de la télévision et la

démocratisation de la possession d’une automobile, vivre dans les quartiers populaires ne

semble ainsi plus signifier la même chose.

La compréhension fine de l’impact de ces mutations de l’espace urbain et des modes de

vie sur la vie quotidienne en milieu populaire québécois passe par une analyse from the

bottom up72

, c’est-à-dire une analyse des expériences et des perceptions des mutations des

résidants qui ne quittèrent pas ces quartiers populaires, du moins définitivement, ou qui

vécurent ces transformations en tout ou en partie avant le faire. Les historiens ont pourtant

peu étudié ces questions, bien qu’ils aient néanmoins examiné, à l’instar de Rae dans le

cadre de son étude sur New Haven aux Etats-Unis73

, l’évolution des conditions

72

Dans la production scientifique anglophone, cette expression est couramment utilisée dans le cadre de

projets similaires pour signifier que l’analyse émane des milieux populaires ou des « petites gens » eux-

mêmes plutôt que de porter, par exemple, sur la vision des élites sur eux. 73

RAE, op. cit.

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socioéconomiques, celle du portrait sociodémographique des milieux populaires et de

quelques quartiers en particulier, celle de la structure urbaine (bâti, tissu commercial et

industriel, artères, etc.) et leur impact global sur la vie urbaine. Les constats sur le quotidien

sont peu ancrés dans leur contexte urbain propre. La ville, ses espaces, ses lieux ou encore

ses institutions restent trop souvent un « décor » et l’influence de ce décor, peu

questionnée74

. Il nous semble donc pertinent d’apporter une contribution à l’étude de ces

processus majeurs dans l’histoire sociale et urbaine du Québec et de l’influence de ce

décor. À ce titre, un examen de la ville de Québec, la capitale de la province, en second

plan dans l’historiographie, permet de faire coup double au chapitre des contributions.

Les historiens ont fait état pour la ville de Québec de l’accroissement du fossé

socioéconomique entre plusieurs secteurs du cœur de la ville, notamment en Basse-Ville, et

la périphérie dans la seconde moitié du XXe siècle

75. Ces secteurs du cœur de la ville sont

alors peuplés à forte majorité de ménages à revenus modestes et l’état du bâti y est jugé

plus ou moins inadéquat par les autorités selon les zones examinées. Pour les années 1960 à

1980, ils sont dépeints comme mornes, défigurés et vieillissants et sont marqués par l’exode

des jeunes et un déclin démographique76

. La ville de Québec, capitale d’un État dont les

champs d’action et la fonction publique sont en croissance dans la foulée de la Révolution

tranquille, fait l’objet de grands projets de rénovation urbaine. Les secteurs du cœur de la

ville, faisant « obstacle » par leur localisation entre la colline parlementaire et les banlieues

en plein développement, sont notamment la cible de plusieurs projets de développement

routier et autoroutier. Les phénomènes de décroissance et de vieillissement de ces secteurs

se stabilisent graduellement à partir de la décennie 198077

. Les nouveaux modes de vie

associés à l’étalement urbain et à la généralisation de la consommation de masse sont

également à ce moment en grande partie déployés.

74

BAILLARGEON, « L’histoire des Montréalaises. Un chantier en construction », Serge JAUMAIN et

LINTEAU (dirs.), op. cit., p. 136. 75

Ils se sont appuyés sur des données statistiques sérielles et sur des archives qualitatives offrant la perception

d’acteurs locaux, comme les curés des paroisses par exemple. Le mémoire de Ross en est un bon exemple.

ROSS, op. cit. 76

Matthew HATVANY, « L’expansion urbaine du XXe siècle », dans Serge COURVILLE et Robert GARON

(dirs.), Atlas historique du Québec. Québec, ville et capitale, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001, p.

278. 77

Marc VALLIÈRES, « Population et société dans une ville moderne », dans Marc VALLIÈRES et al.,

Histoire de Québec et de sa région. Tome III – 1940-2008, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, coll.

« Les régions du Québec », 18, p. 1813.

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Des chercheurs d’autres disciplines ont examiné le vécu des citadins de Québec durant les

années 1950 à 1980. L’anthropologue Deschênes, entre autres, a constaté au moyen

d’entrevues une désintégration des pratiques paroissiales dans Limoilou, quartier populaire,

en comparant deux états de situation à 20 ans d’intervalle (1960 et 1980)78

. La sociologue

Fortin et son équipe ont étudié les sociabilités vécues par les résidants de divers secteurs de

la ville au moyen d’une enquête orale de grande envergure en 1984. Ces chercheurs ont

notamment relevé des relations familiales denses dans les quartiers populaires79

. Pour la

décennie 1960, les géographes Cliche et Naud ont mesuré, pour leur part, l’enracinement au

milieu de vie des ménages des secteurs de Québec classés par des études commandées par

les autorités municipales « zones d’habitat inadéquat » et cela, par l’analyse des migrations

résidentielles, de l’offre locative et de la localisation des lieux de travail80

. Ils ont identifié

notamment une population n’appréciant pas ses conditions de logement, mais incapable de

quitter les secteurs où les loyers sont peu élevés. Ces secteurs de Québec prennent ainsi la

forme d’un « ghetto » socioéconomique, qu’ils ont baptisé le « Croissant de pauvreté »,

couvrant une bonne partie des milieux populaires de la ville et ainsi, de la Basse-Ville.

Dans l’optique d’analyser de manière originale l’évolution du quotidien en milieu

populaire et en tenant compte des approches et des axes de recherche adoptés pour l’étude

des périodes précédentes, nous inscrivons cette évolution, dans cette étude, dans la trame de

l’expérience du quartier et de la ville. Pour ce faire, nous avons retenu une approche

interdisciplinaire basée sur la culture urbaine en milieu populaire québécois et le concept

des pratiques du quartier. Cette approche permet une vue multiforme du quotidien et de ses

configurations spatiales, ainsi que des identités et des représentations sur le milieu de vie et

les autres espaces urbains, qui en découlent tout en les façonnant. Ces choix posés, il nous

paraissait possible d’analyser l’influence des transformations de l’espace urbain et des

modes de vie sur l’expérience du quartier et de la ville, de même que celle de l’évolution de

cette expérience sur l’espace urbain.

78

DESCHÊNES, op. cit. 79

FORTIN et al., op. cit. 80

Pierre CLICHE et Marie-Andrée NAUD, Le croissant de pauvreté de Québec : étude d’une population

captive, Québec, Département de géographie de l’Université Laval, 1975, vi-90 p., coll. « Notes et documents

de recherche », no 3.

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Les modes d’expression d’une culture urbaine découlant en bonne partie du milieu où elle

se déploie, nous nous sommes penché sur un quartier précis de Québec afin d’examiner en

profondeur les processus à l’œuvre. Cela nous permettait d’effectuer évidemment des

constats sur ce quartier, mais sans doute aussi sur la ville, les milieux populaires et la

situation québécoise. En vertu de l’essence mouvante du quartier, un quartier administratif

« construit » nous apparaissait offrir de riches possibilités d’analyse en nous donnant la

chance d’observer le rapport entre ce dernier et le quartier vécu et perçu à l’échelle

individuelle, ainsi que la place occupée par la paroisse, une variable majeure du fait social

et urbain québécois jusque dans la seconde moitié du XXe siècle. Afin de saisir

adéquatement la dynamique des changements et d’identifier les éléments de continuité et de

ruptures, nous avons fait le choix de débuter l’analyse quelques décennies avant les années

1950. Cette étude porte ainsi sur la période 1930-1980. Le choix de 1930, lié à la démarche

méthodologique, est explicité plus loin. Quant à celui de 1980, il s’explique par le fait que,

comme nous l’avons mentionné, la plupart des changements de l’espace urbain et des

modes de vie prenant place à partir de l’après-guerre s’étaient alors produits.

Le quartier administratif sur lequel nous avons arrêté notre choix est Saint-Sauveur, un

quartier populaire situé dans la Basse-Ville de Québec81

. Il fut relativement peu étudié dans

une perspective historique. Il occupe une place fort menue dans la mémoire collective des

résidants de la ville par rapport à son voisin Saint-Roch, un quartier populaire également

qui constitua pendant longtemps une grande partie du cœur commercial et ludique de la

ville82

et qui fut relativement éprouvé par les opérations de rénovation urbaine dans la

seconde moitié du XXe siècle. Le quartier Saint-Sauveur, qui s’est développé à partir des

années 183083

, se caractérise au XXe siècle par son visage fortement résidentiel et par une

population de statuts socioéconomiques modestes essentiellement. La presque totalité de sa

population est francophone, d’origine canadienne-française et catholique. Ce portrait

sociodémographique est similaire à celui de plusieurs autres secteurs de la ville de Québec,

dont la relative homogénéité constitue une importante marque de distinction avec la ville de

Montréal. Saint-Sauveur est, de plus, le quartier le plus populeux de la ville jusque dans les

81

Voir les cartes présentées aux annexes 1 et 2. 82

Ce statut revient aussi à une partie du quartier Champlain, soit le secteur du Vieux-Québec intra muros. 83

Un survol de son histoire est présenté en ouverture du premier chapitre.

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années 1940, alors qu’il est surpassé par le quartier Limoilou. Son territoire recouvre en

1950 plusieurs anciens noyaux de peuplement et trois anciennes municipalités ayant été

éventuellement rattachées à Québec au XIXe siècle. Six paroisses furent érigées sur ce

territoire entre 1867 et 1945. Le quartier Saint-Sauveur apparaît globalement typique des

milieux populaires de la ville de Québec. Il connaît les mêmes problématiques que d’autres

quartiers populaires de Québec et du Québec au cours des années 1950, 1960 et 1970, dont

l’exode résidentiel et la fermeture de nombreux commerces et services84

. Il possède

néanmoins des caractéristiques propres à produire des modes d’expression distincts de la

culture urbaine en milieu populaire québécois, soit sa localisation dans la ville et son

homogénéité sociodémographique et socioéconomique.

Nous cherchons, de cette manière, à répondre aux questions suivantes : Que signifiait

vivre dans le quartier Saint-Sauveur de Québec au cœur du siècle dernier? Que nous

apprend l’étude de ce quartier sur l’évolution de l’expérience du quartier et de la ville dont

a témoigné la culture urbaine en milieu populaire québécois entre 1930 et 1980? Devant la

difficulté de saisir dans leur intégralité ces vastes ensembles que forment la vie de quartier

et la vie urbaine, il nous a fallu faire des choix. Nous avons retenu quatre facettes d’une

culture urbaine qui nous apparaissaient les plus susceptibles de révéler leur essence pour les

résidants qui ne quittèrent pas le quartier Saint-Sauveur, du moins définitivement, ou qui

vécurent en tout ou en partie les mutations de l’espace urbain et les transformations des

modes de vie des années 1950, 1960 et 1970 avant de le faire. Il s’agit des trajectoires

résidentielles, des pratiques associées à la consommation et aux loisirs, aux divertissements

et à la vie communautaire et associative, des sociabilités et finalement du rapport identitaire

à l’espace vécu et des représentations sur le milieu de vie et sur les autres espaces urbains.

La thèse que nous soutenons s’articule autour de ces quatre voies d’entrée. Elles nous

permettent d’avancer autant d’hypothèses pour rendre compte de l’évolution de

l’expérience du quartier et de la ville de la population étudiée.

84

En 1978, Bernier écrit: « Devant l’exode de la jeune génération vers les banlieues, la disparition graduelle

du commerce, enclin à se regrouper dans les centres, la diminution progressive des professionnels, des

hommes d’affaires et des propriétaires, on s’interroge sur l’avenir du quartier, jadis populeux et prospère. »

Gabriel BERNIER, o.m.i., Le quartier Saint-Sauveur : jalons historiques, Québec, Société historique de

Québec, 1978, p. 37.

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Dans un premier temps, les trajectoires résidentielles entre 1930 et 1980 ne répondent pas

seulement à des questions financières, mais bien à des combinaisons de facteurs de choix

résidentiels associés au libre choix et à la contrainte propres à chaque ménage. On relève

dans ces combinaisons un enracinement multiforme au quartier ainsi que le refus ou

l’impossibilité de participer au mouvement d’exode résidentiel vers les périphéries.

La seconde hypothèse concerne la consommation et les loisirs, les divertissements et la vie

communautaire et associative. Nous soutenons que l’évolution des pratiques dans ces

domaines est étroitement reliée à une redéfinition des rapports à la proximité et à

l’accessibilité physique que les résidants du quartier Saint-Sauveur entretiennent à l’égard

des lieux et des espaces. La transformation de ces pratiques ainsi que celle des modes de

déplacement au tournant des années 1960 entraînent une modification de l’expérience du

quartier et de la ville marquée par la mutation de ces rapports.

En dépit d’aspects témoignant d’une continuité par rapport à la première moitié du XXe

siècle, un étiolement global de l’univers social se produit à partir des années 1950, ce qui

constitue notre troisième hypothèse. Cet étiolement touche les sociabilités de voisinage,

familiales et avec divers acteurs locaux ainsi que celles qui se déploient dans les lieux de

consommation et de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et associative.

Cette évolution entame des sociabilités jusque-là denses dans les terreaux fertiles des

voisinages et des paroisses.

Enfin, fortement ancré, un sentiment d’appartenance à la paroisse se maintient tout au long

de la période malgré des transformations importantes de la vie paroissiale à partir des

années 1950 et ce, sur trois plans qui l’alimentaient : la pratique religieuse, les loisirs,

divertissements et vie communautaire et associative, et enfin les caractéristiques et les

pratiques associées au réseau de commerces et de services du quartier Saint-Sauveur. Il en

va de même en regard des représentations sur le milieu de vie et sur d’autres espaces

urbains. La paroisse de résidence est ainsi encore considérée en 1980 comme étant le

quartier de résidence. À ce moment, l’appartenance paroissiale suscite aussi toujours des

rapports d’opposition envers les paroisses environnantes et leurs résidants, rapports qui la

consolident.

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En substance, nous entendons démontrer une évolution de l’expérience du quartier et de la

ville caractérisée par une part notable de libre choix dans les trajectoires résidentielles, une

redéfinition des rapports à la proximité et à l’accessibilité physique, un étiolement des

sociabilités et la place centrale que conserve la paroisse au cœur du rapport identitaire à

l’espace vécu et des représentations sur le milieu de vie et sur d’autres espaces urbains. Des

facteurs modelant cette expérience apparaissent traverser plusieurs de ces quatre facettes de

la culture urbaine en milieu populaire québécois, soit les revenus des ménages,

l’homogénéité sociodémographique et socioéconomique du quartier Saint-Sauveur, la

localisation de ce dernier dans la ville de même que l’institution paroissiale.

Cinq champs de pratiques du quartier, au sein desquels nous avons ciblé des éléments à

examiner, permettent de brosser un portrait fouillé des quatre facettes sélectionnées, soit

habiter, travailler, consommer, se divertir et s’entraider. Comme nous le mentionnions

précédemment, ces champs recouvrent tant les pratiques réalisées à l’intérieur du quartier

Saint-Sauveur qu’à l’extérieur de celui-ci. Les champs « Habiter » et « Travailler » ouvrent

une fenêtre sur l’économie familiale et la vie domestique. Le premier champ englobe la

localisation des logements85

habités, la durée des séjours, le statut résidentiel

(propriétaire/locataire), le mode d’habitation (cohabitation, prise de pensionnaires, etc.), les

conditions de logement, les rapports de voisinage, les stratégies et l’aire de recherche d’un

nouveau logement et les motifs à la source du maintien ou du déménagement ainsi que du

choix du nouveau logement. Le revenu du ménage influençant sensiblement l’expérience

du quartier et de la ville, il importait de se pencher sur ses sources et donc sur le travail.

Dans le cadre du champ de pratiques « Travailler », nous avons porté notre attention sur le

nombre et le type d’emplois occupés, les moyens d’obtention des emplois (notamment les

recommandations faites par des contacts personnels), les filiations familiales (un fils

suivant les traces de son père par exemple), leur localisation et les moyens de transport

pour s’y rendre, l’évolution des conditions d’emploi, les raisons des changements d’emploi,

le nombre de membres du foyer occupant un emploi, les stratégies en cas de chômage ou de

maladie, les épisodes de travail rémunéré des enfants et des femmes, le travail domestique

85

Nous considérons ici un logement comme une unité résidentielle, sans égard au statut de locataire ou de

propriétaire.

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des femmes et l’investissement du secteur où est situé le lieu de travail pour des achats et

l’usage de services divers.

Le troisième champ, « Consommer », fait non seulement appel à différents aspects de la

vie domestique (alimentation, habillement, mobilier, etc.), mais aussi à la fréquentation des

différents commerces et services. La localisation des établissements fréquentés, les raisons

qui y sont sous-jacentes et les moyens de transport pour s’y rendre, la part des biens achetés

et fabriqués par le ménage, la fréquence des achats, la fidélité aux lieux fréquentés, la

recherche des meilleurs prix, les moments d’obtention de divers appareils (réfrigérateur,

cuisinière, lessiveuse électrique, téléphone, radio, télévision, etc.), l’identification des

établissements du réseau de commerces et de services, l’appréciation personnelle de ce

réseau et de son évolution et enfin les rapports avec les commerçants constituent les autres

éléments de ce champ que nous avons ciblés. Au quatrième champ sont associés les loisirs,

les divertissements et la vie communautaire et associative. Nous nous sommes demandé en

la matière : Quels étaient les lieux fréquentés et ceux qui ne l’étaient pas et pour quelles

raisons? Quels moyens de transport utilisait-on? Avec qui les pratiques de loisirs, de

divertissements et de vie communautaire et associative étaient-elles réalisées et à quelle

fréquence? Recevait-on à la maison et visitait-on la parenté? Participait-on à la vie

communautaire? Comment évolua la pratique religieuse? S’impliquait-on dans la vie

associative? Quelle fut l’appréciation du réseau de loisirs, de divertissements et de vie

communautaire et associative du quartier?

Le cinquième et dernier champ de pratiques considéré pour cette étude, « S’entraider »,

fait appel aux solidarités. Les différents réseaux d’entraide formels et informels, de l’aide

ponctuelle des voisins et de la famille aux services d’assistance organisés, permettent de

faire la lumière tant sur une partie de la vie dans le quartier Saint-Sauveur que sur les

relations entre ses résidants. Se pencher sur les éléments de ce champ nous donne la

possibilité de voir la diversité des initiatives, leur aire d’action, le profil des gens qui

s’impliquent, celui de ceux qui bénéficient d’une aide quelconque et l’appréciation

personnelle de ces réseaux. La vie associative est ainsi abordée autant par le champ « Se

divertir » que par ce cinquième ensemble. De la même façon, les cinq champs touchent à

l’univers des sociabilités.

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Il fut possible de saisir le rapport identitaire à l’espace vécu et les représentations sur le

milieu de vie et sur les autres espaces urbains à travers divers éléments des cinq champs

sélectionnés, comme les motifs de choix d’un nouveau logement ou les déterminants des

lieux des pratiques de consommation et de divertissement. Nous avons également

sélectionné d’autres éléments à analyser à leur sujet: l’attachement au milieu de vie,

l’indifférence à son endroit ou son rejet, la perception de la vie locale, de l’espace urbain et

des modes de vie et de leurs transformations et enfin les représentations sur le portrait

socioéconomique du quartier, sur ce qui est considéré comme « son » quartier, sur divers

autres espaces urbains (notamment les paroisses entourant la paroisse de résidence) et sur

les normes formant la « loi de convenance » du milieu. Nous avons aussi porté notre

attention sur les identités associées au statut socioéconomique dans l’optique d’examiner

les représentations sur les autres espaces urbains, en particulier les milieux plus aisés.

Cette étude, qui puise à un cadre conceptuel interdisciplinaire, est principalement

construite à partir d’une enquête orale menée auprès de 30 hommes et femmes ayant

demeuré dans le quartier Saint-Sauveur pendant la période 1930-1980. Nous avons, de plus,

effectué des recherches complémentaires en archives et dans des sources imprimées. Ce

type de démarches est couramment utilisé pour des projets similaires et ce autant en histoire

qu’en sociologie, en anthropologie ou encore en ethnologie86

. Les sources écrites présentent

des limites pour analyser des habitudes de vie, des identités, des représentations et leurs

déterminants. Le chercheur doit faire notamment face à un vide documentaire sur plusieurs

questions, surtout pour les milieux populaires. La démarche d’enquête orale permettait à la

fois de contourner ces lacunes et de documenter des aspects inédits du quotidien en milieu

populaire urbain québécois.

Les méthodes d’enquête orale, présentes depuis les débuts de l’écriture de l’histoire, furent

discréditées lors de la construction de la discipline en champ scientifique au début du XXe

siècle. Elles ont regagné droit de cité durant les années 1970 par la pratique de l’histoire

86

Les méthodes d’enquête orale de chacune de ces disciplines se distinguent par quelques spécificités tout en

présentant de nombreux points communs. On consultera notamment, à ce sujet, l’ouvrage dirigé par

Centlivres, qui présente les histoires de vie par le biais de quatre spécialistes de l’ethnologie, de la sociologie,

de l’histoire et de la psychologie. Pierre CENTLIVRES (dir.), Histoires de vie. Approche pluridisciplinaire,

Paris, Éditions de l’Institut d’ethnologie, 1987, 129 p., coll. « Recherches et travaux », 7.

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31

sociale axée sur la recherche qualitative87

. Les chercheurs y virent alors un moyen de

brosser un portrait plus « réaliste » et plus « juste88

» de certains groupes dont les milieux

populaires, les femmes et les minorités ethniques. Comme l’énonce Voldman, « […]

[l]’enquête orale est un révélateur essentiel pour aider à une reconstruction de l’atmosphère

d’une époque car elle met en relief une série de petits faits vrais qui tissent l’existence89

».

Elle offre la possibilité de relever des traits du quotidien, des « […] sensibilités différentes

à l’égard d’un événement90

» ainsi qu’un ensemble de représentations qui, dans le cas des

milieux populaires, ont été peu consignés par écrit par les principaux intéressés.

Baillargeon soutient que « l es sources orales donnent simultanément accès non seulement

aux faits, mais à la signification que les témoins leur attribuent. On ne peut accéder aux

faits qu’à travers la signification qui leur est conférée puisque c’est là une des conditions de

la rétention des souvenirs91

». Ce type de démarches fut la cause de moult débats au sein de

la communauté historienne, reliés essentiellement à sa fiabilité. Ces débats ont mené à

l’élaboration d’un certain cadre opératoire reconnu par les praticiens de la discipline. Il n’en

demeure pas moins que, selon Join-Lambert, les sources orales « […] restent un front

pionnier, […] car elles ne peuvent résoudre la tension constitutive entre objectif

scientifique et demande d’identité92

», les identités étant « […] multiples, instables et

fragiles93

».

Certains critiques soutiennent que l’enquête orale fait seulement revivre le passé, sans

l’expliquer. Pourtant, comme Hareven l’exprime, « […] oral history is not strictly a means

for retrieving information but rather a process for generating knowledge94

». En effet, nous

ne cherchons pas tant à illustrer le quotidien dans le quartier Saint-Sauveur qu’à l’inscrire

87

Valerie J. JANESICK, Oral History for the Qualitative Researcher : Choreographing the Story, New York,

Guilford Press, 2010, coll. « Research Methods », p. 14. 88

Paul THOMPSON, « The voice of the past. Oral History », dans dans Robert PERKS et Alistair

THOMSON (éds.), The Oral History Reader, London & New York, Routhledge, 1998, p. 24. 89

Danièle VOLDMAN (dir.), La bouche de la vérité ? La recherche historique et les sources orales, Paris,

CNRS, 1992, coll. « Les cahiers de l’I.H.T.P. », 21, p. 119-120. 90

Philippe JOUTARD, Ces voix qui nous viennent du passé, Paris, Hachette, 1983, coll. « Le temps et les

hommes », p. 176. 91

Denyse BAILLARGEON, « Travail domestique et crise économique. Les ménagères montréalaises durant

la crise des années trente », thèse de doctorat en histoire, Montréal, Université de Montréal, 1990, p. 60. 92

Odile JOIN-LAMBERT, « Les sources orales et l’histoire sociale », dans Florence DESCAMPS, dir., Les

sources orales et l’histoire. Récits de vie, entretiens, témoignages oraux, Paris, Bréal, 2006, coll. « Sources

d’histoire », p. 176. 93

Ibid., p. 165. 94

HAREVEN, op. cit., p. 373.

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dans la trame évolutive de l’expérience du quartier et de la ville. Effectuer une enquête

orale à caractère historique auprès de personnes âgées peut également paraître à première

vue une entreprise hasardeuse. Or, l’âge n’a que peu d’effets sur la fiabilité de la mémoire,

le passé lointain étant celui qui s’efface le dernier. D’autres facteurs ont davantage

d’influence sur le discours des participants95

: le sexe, le statut socioéconomique et le niveau

d’instruction du participant, l’âge et le sexe de l’enquêteur, le lieu de l’entretien, les

interventions de l’enquêteur, l’ambiance et la relation tissée entre le participant et

l’enquêteur ou encore la présence d’autres personnes au moment de l’entretien. La mémoire

est sélective. Elle est conditionnée par le vécu de la personne et par la situation de cette

dernière au moment de l’entretien. Abrams écrit : « From this has long arisen the complaint

of critics that oral history exposes the fallibility of memory, the ability of memory to

change over time, to be « infected » with outsides influences. But for oral historians it is the

very process of how this « infection » has occurred that is interesting96

. » Il est normal qu’il

y ait des oublis, des redites, des erreurs ou encore des non-dits. Ce fait n’entame pas la

fiabilité des sources orales pour autant, car les aléas de la mémoire font partie intégrante du

récit et de son analyse subséquente97

. En effet, « […] c e qui fait précisément l’intérêt du

témoignage oral, c’est le rapport entre le souvenir spontané, le souvenir sollicité et exhumé

et le silence. […] L a mémorisation comme l’oubli étant des processus actifs, on ne peut

pas interpréter l’oubli comme une défaillance et la mémoire comme simple reproduction de

la réalité passée98

. » L’oubli ou le non-dit peut signifier, par exemple, une expérience

désagréable tout aussi importante dans la reconstitution du quotidien ou encore une volonté

de dissimuler certains aspects mettant moins en valeur le participant ou sa famille.

La subjectivité inhérente à l’histoire orale constitue un apport significatif à l’analyse

qualitative. Comme Janesick le soutient, « o ral history validates subjectivity and

embraces it99

». Il incombe au chercheur d’effectuer une critique des données acquises par

95

En conformité avec la terminologie employée par les chercheurs utilisant l’enquête orale, les termes

« participants » et « membres du corpus » sont utilisés dans cette thèse pour parler des hommes et des femmes

que nous avons rencontrés. 96

Lynn ABRAMS, Oral History Theory, Londres/New York, Routledge, 2010, p. 23. 97

VOLDMAN, op. cit., p. 37. 98

JOUTARD, op. cit., p. 220. 99

JANESICK, op. cit., p. 16. L’enquête orale sert par contre moins le chercheur dans le cadre d’aspects

d’analyse plus quantitatifs, comme le décompte précis d’événements par exemple.

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enquête orale afin d’identifier, par exemple, des traits magnifiés ou noircis par la nostalgie,

surtout lorsque la période étudiée comporte des changements relativement significatifs, ce

qui est le cas ici. Afin de s’assurer de la validité des informations recueillies, il est

nécessaire d’opérer ce que Joutard appelle une triple confrontation : une entre le discours

d’un participant et les sources écrites, une seconde entre le discours d’un participant et les

autres témoignages recueillis et une troisième entre les différentes parties d’un même

discours100

. Cette triple confrontation représente un passage obligé dans le processus

d’analyse. La mise en commun des données recueillies sur un aspect précis permet de

considérer une information fiable si elle est émise par un nombre significatif de

participants101

. Par contre, cela ne signifie pas pour autant qu’elle est corroborée par les

sources écrites. Ces décalages peuvent révéler, par exemple, une perception répandue, mais

inexacte, dont les fondements peuvent être révélateurs de représentations utiles à l’analyse.

Les historiens utilisant l’enquête orale mettent à profit la loi des rendements décroissants

afin de constituer leur corpus. De la multitude des expériences individuelles se dégagent

peu à peu des schémas de pratiques et de représentations. L’objectif est ainsi d’atteindre un

stade où le contenu ne recèle plus rien de foncièrement original. C’est ce que Joutard

appelle le point de saturation102

, principe associé aussi à la recherche en archives. À partir

de cet état de saturation, atteint généralement après avoir franchi le cap de la vingtaine

d’entretiens, l’historien peut procéder à une analyse solide de son sujet.

Selon certains, l’histoire orale n’est soumise à aucun cadre théorique réglementant la

construction du guide d’entretien, le choix des participants, l’analyse du contenu, etc103

. Ses

praticiens ont pourtant progressivement développé des manières de faire et des habitudes

qui font maintenant partie d’un cadre opératoire rigoureux et transparent qui est un gage de

crédibilité : triple confrontation, loi des rendements décroissants, ainsi que critères et

stratégies de recrutement de même que guide d’entretien bien adaptés à la problématique et

100

JOUTARD, op. cit., p. 220. 101

Alice HOFFMAN, « Reliability and Validity in Oral History », dans David K. DUNAWAY et Willa K.

BAUM (éds.), Oral history: An Interdisciplinary Anthology, New York/Oxford, Rowman & Littlefield, 1996,

p. 90. 102

JOUTARD, op. cit., p. 227. 103

Ronald J. GRELE, « Movement without aim : methological and theorical problems in oral history », dans

Robert PERKS et Alistair THOMSON, éd., The Oral History Reader, London & New York, Routledge, 1998,

p. 42.

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présentés par le chercheur, tout comme le corpus constitué. S’y ajoutent des interventions

claires, sans jugement et facilement compréhensibles, une relation enquêteur-participant

basée sur la confiance et la franchise et l’adaptation aux rythmes et aux silences du

participant. Pour cette étude, les questions du recrutement, du guide d’entretien et des

relations d’entretien sont décrites au chapitre suivant.

En ce qui concerne le traitement et l’analyse des données de notre enquête orale, il

convient tout d’abord de préciser que nous avons personnellement procédé à la

transcription intégrale des entretiens, en notant bien silences, hésitations, rires, soupirs,

gestes et changements de ton. Dans l’optique d’une analyse thématique fine, nous avons par

la suite regroupé systématiquement les données au moyen d’une grille orientée en bonne

partie autour des cinq champs de pratiques du quartier que nous avions sélectionnés, ainsi

qu’autour du rapport identitaire à l’espace vécu et des représentations sur le milieu de vie et

sur les autres espaces urbains. L’analyse de contenu des données de l’enquête orale, tout

comme celle des données tirées des sources écrites, a suivi les règles courantes en sciences

humaines et sociales104

. Tout en portant une attention constante à ne pas isoler les propos

des participants du contexte du discours et de la trajectoire de vie de ceux-ci, nous avons

identifié les pratiques, les valeurs, les représentations ou encore les opinions pour ensuite

réunir et confronter tant les éléments factuels que symboliques. Nous avons observé les

constantes et les contrastes et recherché les situations d’exception, tout en portant une

attention particulière aux nuances qui étaient exprimées. Nous avons, de plus, été sensible

aux relations effectuées entre divers sujets, à l’ordre dans lequel ces mêmes sujets ont été

abordés, ainsi qu’aux niveaux de langage utilisés, aux récurrences et au choix des mots.

Le choix de l’enquête orale comme fondement même de la démarche méthodologique a

contribué à préciser la période couverte par notre thèse. En fonction de l’âge moyen des

participants que nous nous attendions de rencontrer, nous avons déterminé que notre étude

débuterait en 1930, décennie la plus reculée sur laquelle nous pourrions recueillir un

nombre significatif de récits de pratiques. Sur les 30 membres de notre corpus, une est née

104

Parmi les nombreux guides sur le sujet, le lecteur peut consulter ceux de Laurence BARDIN, L’analyse de

contenu, Paris, Presses Universitaires de France, 2007, coll. « Quadrige », 291 p.; et de André D. ROBERT et

Annick BOUILLAGUET, L’analyse de contenu, Paris, Presses Universitaires de France, 2002, coll. « Que

sais-je? », 3271, 128 p.

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durant les années 1910, 11 durant les années 1920 et neuf durant les années 1930105

.

Certaines pratiques, comme faire les courses, étaient réalisées par les parents au moment où

les participants demeuraient avec eux. Elles ne furent évidemment pas négligées lors des

entretiens. La périodisation choisie a le mérite, par sa longue durée, de permettre une

analyse sensible et approfondie de l’évolution de l’expérience du quartier et de la ville dont

témoigne la culture urbaine en milieu populaire québécois dans le quartier Saint-Sauveur.

Ces bornes ne furent cependant pas considérées infranchissables et dans les cas où il était

pertinent et possible de le faire, nous avons exploré avec les participants certaines questions

portant sur la période précédant 1930 ou postérieure à 1980106

.

Notre thèse s’articule autour de cinq chapitres. Dans un premier temps, nous présentons le

terrain d’enquête, le quartier Saint-Sauveur, ainsi que les divers éléments de la démarche

méthodologique mise à profit. Le second chapitre traite des déterminants des trajectoires

résidentielles. Nous y abordons également les parcours professionnels, source principale de

revenus des ménages, revenus influençant l’expérience du quartier et de la ville à différents

égards. Dans le troisième chapitre, nous portons notre regard sur les rapports à la proximité

et à l’accessibilité physique associés aux pratiques de consommation (alimentation, achat

de biens, usage de services), de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et

associative. Le quatrième chapitre est consacré à l’analyse des sociabilités et notamment

des relations familiales, des relations de voisinage, des rapports amicaux, des relations avec

les commerçants et d’autres acteurs locaux et des relations d’entraide. Enfin, en dernier

lieu, nous nous penchons sur les divers aspects de la vie paroissiale ainsi que sur son impact

sur le rapport identitaire à l’espace vécu. Nous y examinons également les représentations

sur ce qui est considéré un quartier et sur les autres espaces urbains.

105

Huit sont nés durant les années 1940 et un, en 1950. Des précisions relatives au corpus sont présentées au

chapitre suivant. 106

Notamment celle des fusions de paroisses ayant eu lieu dans le quartier Saint-Sauveur durant les années

1990, dont il est question au cinquième chapitre.

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1 – La démarche méthodologique

Le quartier sur lequel porte cette thèse est Saint-Sauveur de Québec. Ce quartier est né

dans le second tiers du XIXe siècle. Un survol de son histoire jusqu’aux premières

décennies de la période 1930-1980 permet de mettre en relief ses caractéristiques les plus

significatives dans le cadre de cette étude et notamment de la démarche méthodologique

suivie. Cette dernière est basée sur une enquête orale dont nous exposons en détail, dans ce

chapitre, les composantes de la réalisation, soit les critères et les stratégies de recrutement,

le guide d’entretien et le contexte des interviews. Nous traçons par la suite un portrait du

corpus constitué avant de présenter, en dernier lieu, les stratégies de recherche

complémentaires que nous avons mises à profit.

1.1 Le quartier Saint-Sauveur

Dans la plaine marécageuse où se déploieront les quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur107

,

entre le coteau Sainte-Geneviève108

et la rivière Saint-Charles, s’esquisse le projet de

Samuel de Champlain, considéré comme le fondateur de Québec, pour sa ville nouvelle.

Champlain projette d’y établir une ville moderne où l’autorité royale ne serait pas

symbolisée par la topographie, mais bien par la planification rationnelle et la géométrie des

axes, comme sa ville natale Brouage ou encore Richelieu, en France. Ce projet fait

néanmoins long feu. Champlain, de son vivant, se convertit aux avantages du promontoire

de Québec en y faisant aménager le fort Saint-Louis109

. Ses successeurs consacreront une

organisation urbaine traditionnelle très bien servie par la topographie du secteur. Dans la

foulée du développement initial s’étendent une Basse-Ville où prévalent essentiellement les

activités économiques et une Haute-Ville où s’exerce le pouvoir politique110

. Les autorités

font ainsi sentir leur ascendant au propre comme au figuré. La perception de cette

différence entre la Basse-Ville et la Haute-Ville se perpétue encore quatre siècles plus tard.

107

Le lecteur peut consulter pour cette partie du chapitre les cartes présentées aux annexes 1 et 2. 108

Le cap Diamant fait face au fleuve Saint-Laurent. 109

Yvon DESLOGES avec la collaboration d’André CHARBONNEAU, « Paysage et démographie, 1608-

1791 », dans VALLIÈRES et al. (Tome I Ŕ Des origines à 1791), op. cit., p. 297. 110

Les figures 1.1 et 3.1 donnent un aperçu du dénivelé entre la Basse-Ville et la Haute-Ville.

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En dépit des efforts de certaines personnes en faveur d’une ville moderne, le gouverneur

Frontenac signe définitivement la mort de ce projet en 1692. Il consent alors à

l’établissement dans la plaine entre le coteau et la rivière, qui n’a aucune importance

stratégique militaire ou commerciale, d’un Hôpital général pouvant recueillir, entre autres,

les pauvres, les infirmes et les déficients mentaux. Peurs et croyances populaires à l’époque

font en sorte que la prise en charge de ces personnes doit se faire à l’écart de la ville111

. La

route de l’Hôpital-général, axe nord-sud reliant l’Hôpital à la route de Lorette, est

surnommée la « route des Damnés ». La présence de l’institution repousse ainsi tout

développement urbain majeur autour d’elle pendant un certain temps.

La plaine se peuple peu à peu, de l’est vers l’ouest depuis le fleuve, au fil de la croissance

de la ville, donnant naissance dans la seconde moitié du XVIIIe siècle à un faubourg, Saint-

Roch, où vivent tanneurs et autres petits artisans. À l’ouest de la route de l’Hôpital-général,

futur territoire de Saint-Sauveur, la situation est toute autre. De grands domaines sont

établis à cet endroit après la Conquête britannique de 1759-1760. Ils appartiennent à des

anglophones et des francophones fortunés, qui y font construire des villas. Ce secteur se

situe toutefois dans la continuité de l’espace urbanisé et constitue une zone de déversement

des surplus de population. Au cours du XIXe siècle, la marche de la ville le long du coteau

Sainte-Geneviève va atteindre ce territoire.

Le blocus opéré dès 1806 en Europe par la France napoléonienne oblige la Grande-

Bretagne à se tourner vers ses colonies pour s’approvisionner en ressources naturelles

comme le bois. La ville de Québec bénéficie grandement de la situation. L’essor fulgurant

de l’activité navale devient un des fers de lance de l’industrialisation de la ville et d’une

vigoureuse croissance démographique. À la suite d’une multiplication des chantiers navals

le long de la rivière Saint-Charles au début du XIXe siècle, le développement du faubourg

Saint-Roch s’accélère. Entre 1800 et 1842, il passe de moins de mille habitants à environ

10 000; on en compte 17 500 en 1881. Une importante fonction commerciale s’y

développe. Elle prend essentiellement place sur la rue Saint-Joseph, au bout de laquelle sera

111

Lucie K. MORISSET, La mémoire du paysage. Histoire de la forme urbaine d’un centre-ville : Saint-

Roch, Québec, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 30.

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construite la gare ferroviaire. Le tramway hippomobile y apparaît en 1865. Saint-Roch

devient progressivement le cœur commercial de la Basse-Ville.

À l’ouest de la rue Saint-Ours112

, c’est-à-dire hors des limites de Québec113

, des villas sont

encore construites durant le premier tiers du XIXe siècle. Vers les années 1830 néanmoins,

les propriétaires de terrains situés dans le secteur, comme les Augustines de l’Hôpital

général, les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec et les Ursulines, mettent à profit leurs

biens en faisant tracer des rues et en vendant des lots. Des propriétaires laïcs comme Michel

Sauvageau, à qui appartient le domaine Bas-Bijou, procèdent aussi à des opérations

similaires. Les personnes et les familles qui s’y installent ont un profil socioéconomique de

loin plus modeste que celles qui occupent les villas; on compte plusieurs artisans et

travailleurs des chantiers navals.

Pierre Boisseau, acquéreur des propriétés de Sauvageau, donne une réelle impulsion à

l’urbanisation du secteur à partir des années 1840. À une période où les surplus

démographiques de Saint-Roch vont croissants et où de tragiques incendies y jettent

nombre de ménages à la rue, Boisseau stimule la construction résidentielle et attire des

résidants par l’implantation, entre autres, d’une église, d’une école et d’un marché public.

Quelques industries viennent s’installer dans le secteur, comme une manufacture de colle et

une corderie. Le village de Boisseauville rejoint puis intègre par sa croissance les

lotissements des Augustines de l’Hôpital général, des Augustines de l’Hôtel-Dieu et ceux

d’autres propriétaires fonciers laïcs. Ce processus sonne le glas de l’époque des domaines

et des villas dans le secteur. Après avoir été fusionné en 1855 à la municipalité de Saint-

Roch-de-Québec-banlieue, située au nord de la rivière Saint-Charles114

, Boisseauville

acquiert son indépendance en 1872. Le village prend le nom de Saint-Sauveur, à l’instar de

la paroisse créée cinq ans auparavant sur son territoire. Les autorités ecclésiastiques avaient

en effet approuvé le morcellement de la paroisse Saint-Roch et l’érection d’une nouvelle

112

Ce toponyme (1850) succède à la route de l’Hôpital-général et précède le boulevard Langelier (1890). 113

Cette artère est désignée frontière de la ville de Québec en 1792. 114

Cette fusion fait suite à la Loi sur les municipalités et chemins du Bas-Canada, qui vise de tels

regroupements afin d’améliorer les services de proximité et les infrastructures.

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entité à l’ouest de la rue Saint-Ours en 1867, en raison de l’atteinte d’un nombre critique de

fidèles115

.

L’accroissement démographique du village de Saint-Sauveur met progressivement à mal

des infrastructures déficientes. Les modestes revenus de cette municipalité peuplée surtout

d’ouvriers et d’artisans ne permettent pas à l’administration de procéder à l’installation

d’un système de distribution d’eau ou d’un réseau d’égouts. Les trottoirs sont faits de

planches et les rues sont mal entretenues. Dans un contexte d’importantes difficultés

économiques dans la région dans la seconde moitié du XIXe siècle, la construction navale

déclinant rapidement, les débats sur l’intégration du village, peuplé de plus de 10 000

habitants, à la ville de Québec se multiplient. Les tenants de l'autonomie domineront les

échanges jusqu’en 1889, lorsqu’un grand incendie vient changer la donne. Le 16 mai, une

conflagration détruit environ 500 maisons du secteur116

. L’absence d’un aqueduc se fait

cruellement sentir. Dès juin, les pourparlers reprennent en vue d’une fusion qui permettrait

de rattraper les retards accumulés sur le plan des infrastructures. L’obtention d’une majorité

écrasante lors d’un référendum (93%117

) consacre le rattachement à Québec en septembre

de la même année.

Les retards sont effectivement rapidement rattrapés, les autorités municipales de Québec

bénéficiant à partir des années 1890 d’une lente, mais durable reprise économique. Elle se

fonde sur une réorganisation des bases industrielles de la capitale118

québécoise autour,

entre autres, des industries du cuir, de la chaussure et du textile. Aux manufactures et

industries déjà présentes dans le secteur de Saint-Sauveur s’ajoutent quelques nouveaux

établissements, mais ce dernier demeure largement résidentiel119

. Les travailleurs doivent

115

Le toponyme Saint-Sauveur provient de Jean Le Sueur, ancien curé de la paroisse Saint-Sauveur en

Normandie. Il fut le premier prêtre séculier à venir en Nouvelle-France. On lui concéda des terres au milieu

du XVIIe siècle sur le territoire qui sera occupé plus tard par le quartier.

116 Marc VALLIÈRES, « Développement urbain et société à Québec », dans VALLIÈRES et al. (Tome II Ŕ

1792-1939), op. cit., p. 1308. 117

Ibid. 118

La ville de Québec devient la capitale provinciale du Québec lors de la création du Canada en 1867. 119

Cette caractéristique mène notamment à un renouveau du développement immobilier de prestige à la toute

fin du XIXe siècle. Les autorités municipales créent en 1897 le parc Victoria près d’un méandre de la rivière

Saint-Charles, à la jonction de Saint-Roch et de Saint-Sauveur, véritable poumon vert d’une basse-ville

industrielle et marchande polluée. La ville aménage une large avenue menant des limites du tissu bâti de

Saint-Sauveur jusqu’à un pont chevauchant la rivière et donnant sur le grand parc. On y favorise un

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ainsi se diriger pour la plupart vers Saint-Roch, où se multiplient les lieux de production.

De nouvelles rues sont tracées et la superficie de l’espace bâti s’accroît en raison de la

croissance naturelle de la population résidante et des migrations en provenance des autres

secteurs de la ville, des villages environnants ou encore d’autres régions du Québec. La rue

Saint-Vallier120

acquiert une fonction commerciale, sans qu’elle n’ait toutefois l’ampleur de

celle de la rue Saint-Joseph.

Le village de Saint-Malo121

, qui croît depuis les années 1840 à l’ouest de Saint-Sauveur,

de même que les noyaux voisins atteignent bientôt un nombre de résidants suffisant pour

justifier l’érection d’une nouvelle paroisse, Sainte-Angèle-de-Mérici (1898),

éventuellement rebaptisée Sainte-Angèle-de-Saint-Malo. On sectionne pour ce faire un

morceau de la paroisse Saint-Sauveur. L’usage populaire consacre, pour la paroisse,

l’appellation Saint-Malo. Conséquemment et afin d’alléger le texte, cette appellation est

utilisée dans notre étude. Pour des raisons reliées aux infrastructures similaires à celles

évoquées pour Saint-Sauveur, le demi-millier de citoyens de Saint-Malo vote pour une

fusion avec la ville de Québec en 1908. En 1914, une partie de la municipalité de Petite-

Rivière122

, attenante à Saint-Malo, est également rattachée à Québec.

Après une vague d’intégration de municipalités entre 1908 et 1914, qui a aussi vu

notamment les villages de Limoilou et de Montcalm être joints à Québec, les

administrateurs de la ville procèdent à un redécoupage de la carte électorale. Six quartiers-

districts sont ainsi érigés en 1916 : Limoilou, Montcalm123

, Saint-Roch, Saint-Jean-

Baptiste, Champlain124

et Saint-Sauveur125

. Ce dernier couvre la zone de développement

développement « haut de gamme ». Il sera toutefois limité à cette seule avenue Parent et n’occupera pas toute

sa longueur, des édifices d’envergure modeste semblables à ceux du secteur y étant aussi construits. 120

Ce toponyme succède à la route de Lorette. 121

Il porte à l’origine le nom de Sainte-Angèle. Le nom Saint-Malo est adopté en 1893. 122

La municipalité de Saint-Malo avait été scindée en 1902, donnant naissance à Petite-Rivière, dont le

territoire est alors essentiellement rural. 123

Il porte aussi le nom de Belvédère, mais l’usage populaire a consacré l’appellation Montcalm. Nous

utilisons cette dernière dans cette thèse. 124

Il englobe la zone historique du Vieux-Québec et notamment le secteur intra muros, c’est-à-dire à

l’intérieur des fortifications. 125

Marc VALLIÈRES, « Capitale provinciale et institutions urbaines », dans VALLIÈRES et al. (Tome II),

op. cit., p. 1242. En 1948, on crée deux sous-parties à Limoilou, Limoilou-Est et Limoilou-Ouest. On fait de

même à Saint-Sauveur en 1954.

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historique du secteur, à l’ouest de l’Hôpital général126

. Le boulevard Langelier constitue la

frontière avec Saint-Roch; le coteau et la rivière séparent Saint-Sauveur de Saint-Jean-

Baptiste, Montcalm et Limoilou. Ce redécoupage consacre le quartier Saint-Sauveur en tant

qu’entité territoriale administrative et c’est sous cette forme que nous utilisons l’appellation

« quartier Saint-Sauveur » dans notre étude. Nous faisons ainsi référence à ce territoire et

aux paroisses qui le composent. Il en va de même pour les autres quartiers mentionnés.

Saint-Sauveur demeure dans la première moitié du XXe siècle un quartier peuplé

essentiellement de ménages de statuts socioéconomiques modestes. Blanchard en peint un

portrait saisissant en 1935 : « C’est un fouillis de toits plats d’où émergent trois ou quatre

bâtisses un peu plus hautes, couvents et écoles, des clochers arrondis. Les couleurs sont le

rouge passé ou le jaune sale des briques, le noir cendre, le gris blanc des toits de métal127

».

Le quartier se caractérise par sa très forte homogénéité sociodémographique : très rares sont

les résidants n’étant pas d’origine canadienne-française, francophones et catholiques.

D’environ 13 500 au moment de l’annexion en 1889, la population du quartier passe à 24

000 en 1911 et à un maximum historique dépassant les 40 000 au début des années 1940,

soit deux fois plus que celle du quartier Saint-Roch, qui est définitivement dépassé durant

la décennie 1900128

.

126

Les bâtiments et terrains de l’Hôpital général constituent une municipalité et une paroisse indépendantes

du nom de Notre-Dame-des-Anges; elles le sont encore en 2011. 127

Raoul BLANCHARD, L’Est du Canada français. « Province de Québec » volume 2, Paris/Montréal,

Masson/Beauchemin, 1935, p. 270. 128

VALLIÈRES, « Développement urbain et société à Québec », dans VALLIÈRES et al. (Tome II), op. cit.,

p. 1304.

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L’espace résidentiel ne s’accroît pas significativement vers l’ouest durant les premières

décennies du XXe siècle. D’une part, les promoteurs immobiliers se tournent massivement

vers le quartier Limoilou. D’autre part, à partir des années 1910, l’ouest du quartier voit

l’émergence d’un complexe industriel d’importance abritant notamment les ateliers du

chemin de fer Transcontinental129

. Il est bordé à l’ouest par l’avenue Saint-Sacrement, qui

constitue aussi la frontière occidentale du quartier Saint-Sauveur. Le développement

résidentiel dans l’ouest du quartier au XXe siècle est réalisé au nord du complexe industriel

tout en étant limité par la présence d’un cimetière. La Wartime Housing, ancêtre de la

Société Canadienne d’Hypothèque et de Logement (SCHL), fait construire environ deux

cents maisons dans ce secteur pour loger durant le second conflit mondial les travailleurs

des usines de guerre établies, entre autres, sur le territoire du complexe industriel130

. En

dehors de la présence de ce complexe industriel, Saint-Sauveur demeure un quartier

essentiellement résidentiel, densément peuplé, servi par plusieurs commerces et services de

proximité et adjacent au cœur commercial et ludique de la ville.

La croissance démographique de la population du quartier au début du XXe siècle

provoque l’érection de nouvelles paroisses sur son territoire. Dès 1879, la construction de la

chapelle Notre-Dame-de-Lourdes à proximité de l’église Saint-Sauveur avait permis de

disposer d’un lieu de culte secondaire, mais des effectifs trop importants font tout de même

en sorte qu’en 1917, la partie nord de Saint-Sauveur est détachée pour former une paroisse

indépendante, Sacré-Cœur-de-Jésus. Comme dans le cas de Saint-Malo, l’usage populaire

consacre une appellation plus courte, soit Sacré-Cœur, qui sera utilisée dans cette thèse. Six

ans plus tard, en 1924, le secteur sud-est de Saint-Sauveur devient la paroisse Notre-Dame-

de-Grâce. En 1925, soit à peine un an après la fondation de Notre-Dame-de-Grâce, la partie

sud-ouest de Saint-Sauveur et la partie sud de Saint-Malo sont prélevées afin de former la

paroisse Saint-Joseph. Après une période de stabilité durant les années 1930, une sixième

paroisse, Notre-Dame-de-Pitié, est créée en 1945 avec le secteur nord-ouest de Saint-Malo,

129

En 1946, ce complexe devient le premier parc industriel de la ville. 130

Ils emploient jusqu’à 7000 personnes durant cette période. Alain CARON, Patrimoine du quartier Saint-

Sauveur. Volume 6 – Parc industriel Saint-Malo, forme urbaine et architecture, Québec, Ville de Québec

(Division design et patrimoine), 2000, p. 35.

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paroisse jugée « surpeuplée » par les autorités religieuses diocésaines en raison notamment

de la construction résidentielle réalisée par la Wartime Housing131

.

Saint-Sauveur de Québec se caractérise donc en 1930, soit au début de la période à

l’étude, par son statut de quartier populaire, résidentiel, adjacent au cœur de la ville,

densément peuplé et fortement homogène aux plans sociodémographique et

socioéconomique. Le quartier est composé de cinq paroisses, Notre-Dame-de-Pitié étant

fondée en 1945. Cette diversité paroissiale fut prise en compte dans la démarche

méthodologique que nous avons suivie afin de couvrir adéquatement le territoire du

quartier.

1.2 L’enquête orale et les stratégies de recherche

complémentaires

Une enquête orale est au cœur de notre démarche. Nous présentons tout d’abord, dans

cette partie, les critères et les stratégies de recrutement des participants. Par la suite, nous

nous attardons sur le guide d’entretien utilisé et nous traçons un bilan du contexte dans

lequel les entretiens furent réalisés. Nous brossons dans un troisième temps un portrait du

corpus constitué avant de conclure par l’examen des stratégies de recherches

complémentaires que nous avons mises à profit.

1.2.1 Le recrutement des participants

Le recrutement des participants à notre enquête orale132

a été régi par les trois principes

énoncés par Bertaux, soit une variété de statuts sociaux, une différenciation au sein d’un

même statut et une variété d’expériences133

. Des critères propres à permettre une analyse

fine et nuancée de l’expérience du quartier et de la ville témoignée par la culture urbaine en

131

Archives de la paroisse Sainte-Angèle-de-Saint-Malo de Québec. Dossier Notre-Dame-de-Pitié. Terrain

Achat pour l’église, 1945. Note de Mgr Omer Plante du 9 avril 1945. 132

Selon la procédure en place à l’Université Laval en regard de la recherche avec des êtres humains, notre

projet a dû être approuvé par le Comité plurifacultaire d’éthique de la recherche de l’Université avant que

nous débutions le recrutement. Cette approbation, obtenue le 28 mai 2007 (no d’approbation 2007-104), fut

renouvelée annuellement jusqu’à ce que l’enquête orale soit complétée (2007-104 R-1 2008, 2007-104 R-2

2009). Le formulaire de consentement que nous avons fait signer aux participants est présenté à l’annexe 4. 133

Daniel BERTAUX, Les récits de vie : perspectives ethnosociologique, Paris, Nathan, 1997, coll. « 128 »,

122, p. 22.

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milieu populaire québécois dans le quartier Saint-Sauveur de Québec, entre 1930 et 1980,

ont été également sélectionnés. Conformément à la problématique de départ, nous avons

recruté des personnes qui ne quittèrent pas le quartier Saint-Sauveur, du moins

définitivement, durant la période ou qui vécurent en tout ou en partie les grandes mutations

survenues à partir des années 1950 avant de le faire. Afin de disposer de participants

possédant une expérience approfondie de ce quartier, nous avons choisi de concentrer le

recrutement sur des personnes ayant habité dans le quartier Saint-Sauveur pendant au

moins 25 ans sur les 50 années écoulées entre 1930 et 1980. Les participants pouvaient être

natifs du quartier ou non et ils pouvaient avoir quitté le quartier pour ensuite revenir y vivre

dans l’intervalle du demi-siècle étudié, cette expérience leur permettant notamment de

pouvoir comparer des milieux de vie.

Cerner une évolution sur un demi-siècle requérait également selon nous de bénéficier de

deux cohortes d’âge afin de comparer, à une vingtaine d’années d’intervalle, les pratiques à

divers âges de la vie. Notre enquête orale a ainsi visé deux groupes de personnes, l’un né

dans les années 1920 et l’autre né dans les années 1940, sans qu’ils ne soient à tout prix

identiques numériquement. Nous étions en outre conscient de la nécessité de recueillir les

témoignages des citoyens les plus âgés avant qu’ils ne puissent plus témoigner de leurs

parcours. De plus, ayant connu l’ensemble de la période étudiée, il nous paraissait

souhaitable que ces derniers soient majoritaires.

Nous avons recruté des personnes des deux sexes. Les hommes sont réputés apporter à

l’enquête orale davantage d’éléments de la sphère publique relatifs à la politique et à

l’économie et des éléments d’actualité pour l’époque concernée. À l’inverse, les femmes

connaîtraient de façon plus approfondie l’économie familiale134

. Nous avons également

recherché des personnes de différents statuts résidentiels135

et socioéconomiques136

, afin de

disposer d’une gamme étendue d’expériences de vie. Nous avons finalement vu à ce que

toutes les paroisses du quartier Saint-Sauveur soient couvertes par la somme des

trajectoires résidentielles des participants, puisqu’il importait de cerner la place de la

134

BAILLARGEON (1990), op. cit., p. 62. 135

Locataires, propriétaires, locataires devenant propriétaires, etc. 136

De très modestes à relativement aisés.

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variable paroissiale dans la culture urbaine en milieu populaire québécois, ainsi que ses

nuances de paroisse en paroisse.

Le recrutement des participants s’est déroulé sur une année, soit de juin 2008 à juin 2009.

Afin de constituer un corpus dépassant la vingtaine d’entretiens, en accord avec le principe

de point de saturation de Joutard présenté dans l’introduction générale de la thèse137

, six

stratégies différentes ont été mises de l’avant. La pose d’affiches avec billets détachables

inaugura la phase de recrutement à l’été 2008. Elles furent apposées dans des abribus, des

commerces, des institutions bancaires et des restaurants du quartier et de sa périphérie

immédiate, ainsi que dans le hall de deux centres communautaires du quartier. Malgré des

passages répétés pour vérifier la présence et l’intégrité des affiches, cette stratégie ne donna

aucun résultat bien que des billets aient été détachés.

La seconde stratégie donna des résultats opposés. Nous avons fait publier des annonces

dans les feuillets paroissiaux de Saint-Sauveur et de Saint-Malo, qui regroupaient au

moment du recrutement les six paroisses ayant existé durant la période couverte par cette

thèse. Ces parutions eurent lieu à l’été et à l’automne 2008, ainsi qu’à l’hiver et au

printemps 2009, toujours simultanément dans les deux feuillets, pour un total de huit

annonces dans chacun d’eux. Nous pensons que la présence de notre annonce dans ce

média est apparue pour certains participants potentiels comme une validation du sérieux de

notre projet ou encore comme le résultat d’une approbation des autorités religieuses

paroissiales138

. Quoi qu’il en soit, cette stratégie s’est révélée efficace et plusieurs

participants potentiels se sont manifestés.

La troisième stratégie a consisté à recruter des participants par le biais de groupes de

loisirs, d’associations et de centres communautaires du quartier. Nous avons eu du succès

dans deux de ceux-ci, soit le Centre de jour Notre-Dame-de-Lourdes, rassemblant quelques

jours par semaine des personnes âgées autonomes habitant dans divers secteurs de la Basse-

137

JOUTARD, op. cit., p. 227. 138

Nous n’avions pas besoin d’une telle autorisation, les équipes des feuillets n’utilisant que le critère

d’espace disponible pour publier ou non notre annonce lors de la semaine demandée. Nous n’avons pas eu à

essuyer de refus et notre annonce fut même republiée à l’occasion pendant deux ou trois semaines

consécutives sans que nous l’ayons demandé.

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Ville de Québec139

dans un but de loisirs, et un Cercle de Fermières140

. Les locaux du

Centre de jour se trouvent au Centre d’hébergement Notre-Dame-de-Lourdes. En juillet

2008, nous avons rencontré la responsable du Centre141

, qui accepta spontanément de

participer à notre projet en nous permettant de recruter des participants. Conformément à la

procédure courante dans cet établissement, nous avons présenté une demande au comité

d’éthique de la recherche du Centre de Santé et de Services sociaux de la Vieille-Capitale

(CSSVC); demande qui fut acceptée. Puis, en conformité avec l’approche adoptée par le

CSSVC dans les cas similaires au nôtre, la responsable a ciblé des personnes pouvant

répondre à nos critères de sélection. Elle a, par la suite, réalisé une première approche en

précisant que la participation était volontaire et qu’elle ne servait que d’intermédiaire. Elle

nous a remis par la suite les coordonnées des personnes s’étant montrées intéressées afin

que nous puissions les contacter, confirmer leur admissibilité et planifier éventuellement

une rencontre. Nous n’étions pas les premiers à recruter au Centre de jour; ses membres

avaient déjà participé ou refusé de participer à différents projets de nature universitaire.

Dans le cas du Cercle de Fermières Notre-Dame-de-Pitié, dont les membres proviennent de

divers quartiers de Québec, nous avons contacté sa responsable, qui a approché quelques-

unes des membres. Une de celles-ci nous a contacté.

Nous avons aussi approché les curés des deux paroisses du quartier afin qu’ils puissent

identifier et contacter des participants potentiels, qu’ils soient encore résidants ou non

d’une de ces deux paroisses. Nous sommes conscient que leur statut pouvait représenter un

rapport d’autorité auprès d’eux. Aussi avons-nous pris soin de leur expliquer le rôle

d’intermédiaire qu’ils allaient tenir auprès de ces personnes. Les curés n’ont en aucun cas

demandé une réponse immédiate lorsqu’ils ont approché d’éventuels participants. Ils leur

ont plutôt transmis nos coordonnées. À leur demande, nous les avons parfois nous-même

contactés. À moins qu’un participant ait lui-même avisé le curé, nous n’avons pas informé

ce dernier de la participation ou du refus. Trois entretiens furent réalisés grâce à cette

quatrième stratégie.

139

Quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch, secteur de Ville-Vanier, etc. 140

Ces Cercles existent au Québec depuis 1915. Ils furent fondés à l’origine à l’initiative du Ministère de

l’Agriculture provincial afin de promouvoir, notamment, la transmission de divers savoir-faire féminins. À

leur sujet, voir notamment Guylaine NADEAU, « Les Cercles de fermières et l’action coopérative féminine

au Québec, 1915-1944 », mémoire de maîtrise en histoire, Québec, Université Laval, 1996, 126 p. 141

Il s’agit de Mme Judith Fortin, travailleuse sociale de formation.

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À la mi-novembre 2008, alors que nous avions réalisé 17 entretiens, nous avons procédé à

la distribution de 200 feuillets présentant notre projet dans les boîtes postales de résidants

des paroisses Notre-Dame-de-Pitié et Saint-Joseph, qui étaient encore peu représentées

dans les trajectoires résidentielles des participants interviewés jusque-là. Les résultats

furent décevants; aucun appel téléphonique ne fut relié à cette distribution. Nous n’avons

pas réitéré l’expérience.

La sixième et dernière stratégie pour recruter des participants fut la mise à profit de nos

contacts personnels. Nous les avons sondés de manière exploratoire142

, parce qu’ils étaient

susceptibles de connaître des participants potentiels de par leurs activités ou leur lieu de

résidence ou parce qu’ils entretenaient des rapports amicaux ou de voisinage avec un

homme ou une femme que nous avions préalablement repéré(e). Ces contacts nous ont

également fait mention parfois de façon spontanée d’une personne pouvant nous intéresser.

Membres de notre famille, amis, collègues, membres d’organisations communautaires

connus et participants eux-mêmes nous ont ainsi référé des personnes avec lesquelles ils

étaient en relation par le biais de leurs activités, des voisins et des connaissances.

L’approche fut, dans ces cas, indirecte, c’est-à-dire par le biais de notre contact. Dans

l’éventualité où le participant ou la participante potentiel(le) était favorable à nous accorder

un entretien, la personne-contact lui donnait nos coordonnées, ou sur invitation, nous

donnait les siens afin que nous puissions l’approcher et expliquer plus en détails notre

projet, vérifier son admissibilité et prendre éventuellement rendez-vous. Ces contacts

personnels n’ont pas été informés du résultat final de la démarche, à moins que le ou la

participant(e) ait personnellement décidé de le faire.

Ces stratégies de recrutement furent mises de l’avant par vagues, à intervalles réguliers, et

selon une logique de multiplication de la visibilité. Nous avons, par exemple, combiné la

pose d’affiches et une parution en feuillet paroissial. Trente-trois entretiens au total, sur

plus de 40 personnes s’étant montrées intéressées ou ayant été approchées, furent réalisés

entre le 16 juin 2008 et le 30 juin 2009143

. La parution d’annonces dans les feuillets

142

C’est-à-dire sans savoir s’ils connaissaient des participants potentiels. 143

Nous en avons réalisé cinq à l’été 2008, 20 à l’automne 2008, quatre à l’hiver 2009, trois au printemps

2009 et un à l’été 2009. Onze d’entre eux ont été réalisés en avant-midi, 22 en après-midi. Ils ont tous eu lieu

un jour de semaine.

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paroissiaux a procuré six entretiens, quatre à partir du feuillet de Saint-Malo et deux à partir

de celui de Saint-Sauveur. Dix entretiens ont été réalisés avec des membres du Centre de

jour Notre-Dame-de-Lourdes, un avec une membre du Cercle de Fermières Notre-Dame-

de-Pitié. Comme nous l’avons mentionné, les curés nous ont référé trois personnes ayant

accepté de participer au projet, deux dans le noyau Saint-Sauveur, Notre-Dame-de-Grâce et

Sacré-Cœur, et une dans le noyau Saint-Malo, Saint-Joseph et Notre-Dame-de-Pitié. Nos

contacts personnels nous ont mis en lien avec plusieurs participants potentiels, dont dix

rencontraient les critères établis et ont accepté un entretien. Finalement, trois entretiens

furent réalisés avec des personnes que des participants nous ont eux-mêmes référées. Sur

ces 33 entretiens, 30 ont été retenus pour les fins de cette thèse.

Trois entretiens réalisés avec des membres du Centre de jour Notre-Dame-de-Lourdes

furent laissés de côté parce qu’il y avait eu confusion quant au critère de la durée de

résidence des personnes entre 1930 et 1980. Un homme et deux femmes étaient arrivés plus

récemment dans le quartier, soit vers le milieu des années 1970, et y étaient demeurés

pendant quelques décennies par la suite. Le corpus comprend donc 30 personnes; nous

entendons comme « membres du corpus », « participants » et « hommes et femmes que

nous avons rencontrés » ce groupe de 30.

Cinq participants ont été retenus malgré le fait qu’ils aient résidé moins de 25 années dans

le quartier Saint-Sauveur durant la période étudiée. La grande qualité de leur témoignage et,

pour certains, l’expérience d’autres quartiers de la ville acquise en y résidant pendant une

période de temps significative Ŕ qui offrait une plus grande diversité de parcours et

notamment un regard extérieur sur le quartier Saint-Sauveur144

Ŕ, nous ont décidé à les

inclure dans le corpus. Parmi ces personnes, l’une est née dans le quartier Saint-Sauveur en

1949, mais s’est établie à l’extérieur de celui-ci à l’âge de 21 ans (#18145

). Une seconde

s’installa en 1960 en provenance d’un quartier voisin de Saint-Sauveur duquel elle était

native (#10). La troisième fut présente pendant 18 ans et demi sur les cinquante de la

période à l’étude (#15). Elle est native d’un milieu rural et vécut aussi dans un autre

144

Notons à ce sujet que deux participants ayant demeuré pendant 25 ans ou plus dans le quartier Saint-

Sauveur entre 1930 et 1980 l’ont quitté définitivement durant cette période (#22 et 32), ce qui leur a

également permis du recul en regard de leur expérience du quartier. 145

Le lecteur peut consulter les biographies des participants présentées à l’annexe 6.

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quartier de Québec. Son témoignage sur les pratiques de consommation nous est apparu

d’une grande valeur. De plus, le rapport identitaire à l’espace vécu dont elle a rendu compte

était différent de celui des autres membres du corpus, tout comme celui de la participante

#10; autant d’aspects présentant d’intéressantes perspectives comparatives. Les deux autres

participants se sont installés dans le quartier à la fin des années 1960. Ils n’en sont pas

natifs, mais ils y habitaient encore au moment de l’entretien. Le premier (#21), fortement

impliqué dans la vie communautaire, et la seconde (#20), dans la sphère des loisirs, nous

ont offert des témoignages d’une sensibilité et d’une richesse telles que nous avons jugé

nécessaire de les inclure dans le corpus.

1.2.2 Guide et contextes d’entretien

Les rencontres ont été guidées par un schéma d’entretien comportant cinq parties146

. Ce

dernier évolua en cours d’enquête. Des sujets ont en effet été ajoutés en réaction à des

allusions répétées de plusieurs participants à des éléments auxquels ils accordaient une

importance particulière ou à des éléments prometteurs auxquels nous n’avions pas songé,

comme la possession d’un chalet147

et les représentations sur le territoire occupé par la

Basse-Ville à Québec.

Les trois premières parties du guide donnent accès à des informations sur l’origine, la

scolarité et la famille du participant (origine des parents, nombre de frères et sœurs, etc.),

son enfance (loisirs, amis, déménagements), ses expériences de travail de jeunesse ainsi que

ses fréquentations, son mariage et ses propres enfants, s’il y a lieu. Ces trois parties nous

ont permis notamment de resituer adéquatement les propos subséquents des participants

dans leurs itinéraires respectifs.

Les 33 entretiens que nous avons réalisés ont tous été lancés par une même question

portant sur le moment et le lieu de la naissance. Certains participants, après avoir répondu à

cette question, se sont engagés tout de suite dans une description de leurs trajectoires

résidentielles ou professionnelles. D’autres, en traitant des déménagements vécus alors

qu’ils étaient enfants ou encore des loisirs et des emplois de jeunesse, ont poursuivi sur le

146

Le guide d’entretien est présenté à l’annexe 5. 147

Petite maison de campagne de construction et de confort généralement assez rudimentaires.

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même sujet en parlant de leur vie adulte. Nous avons respecté le fil de leurs idées et nous

avons abordé immédiatement les champs de pratiques qui y correspondaient, soit habiter,

travailler ou encore se divertir. La conduite de l’entretien a, dans ces cas et dans tous les

autres, été adaptée au propos du participant.

Au fil de l’enquête, nous en sommes venu à demander aux participants dès le début de

l’entretien de nous énumérer les endroits où ils avaient vécu au cours de la période 1930-

1980. Nous pouvions ainsi, dans l’éventualité où étaient abordés d’autres champs de

pratiques avant que l’on se concentre sur leurs trajectoires résidentielles, couvrir

systématiquement chaque lieu de résidence en regard des pratiques étudiées, comme faire

les courses, et effectuer des relances pertinentes, notamment dans une optique de

comparaison, lorsque le participant traitait, par exemple, de moyens de déplacement, de

commerces fréquentés ou encore du voisinage.

La quatrième partie du guide d’entretien porte sur les cinq champs de pratiques du quartier

que nous avons présentés dans l’introduction générale de la thèse, soit habiter, travailler,

consommer, se divertir et s’entraider. Le rapport identitaire à l’espace vécu et les

représentations sur le milieu de vie et sur les autres espaces urbains, que nous souhaitions

également documenter, transcendent tout le discours. Ils ont conséquemment été abordés à

différents moments de la vie du participant et à travers chaque champ de pratiques au

moment opportun dans l’entretien. Les aspects de cette cinquième partie non abordés au

cours de la discussion l’étaient en fin d’entrevue. Une attention particulière fut portée aux

anecdotes, aux opinions et aux souvenirs jaillissants, car ils furent d’une aide précieuse

pour atteindre les valeurs, les représentations et les émotions qui participent à l’élaboration

des dynamiques identitaires personnelles et collectives. Nous avons, dans la mesure du

possible, toujours demandé au participant des précisions concernant la manière dont il avait

perçu un événement ou une situation et son appréciation de ses parcours et de ses

expériences.

Notre problématique suggérait l’utilisation d’un outil méthodologique au potentiel

indéniable, fort apprécié des ethnologues, mais peu employé par les historiens, soit la carte

cognitive ou mentale. Ce procédé consiste, dans l’optique de notre étude, à demander au

participant de représenter sur une feuille, à sa façon, le ou les quartier(s) où il vécut, c’est-

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à-dire, à sa convenance, l’espace occupé par ce ou ces dernier(s), les rues, commerces,

services ou encore lieux de détente et de loisirs qui y étaient présents, les lieux dignes de

mention situés au-delà de ses limites, etc. Le chercheur a ainsi accès aux « haut lieux »

perçus, aux pratiques et aux représentations du participant sur l’espace vécu et sur ce qu’il

considère être son quartier. Dans cette optique, les lieux négligés ou les points oubliés ont

autant de signification que ceux qui sont signalés148

. La carte cognitive nous est apparue

comme un outil fort intéressant dans le cadre de notre étude. Nous l’avons donc intégré au

guide d’entretien; nous l’abordions au moment jugé opportun. Après avoir réalisé quelques

entretiens, nous avons cependant renoncé à l’utiliser, car les participants, peu habitués à

dessiner, se révélaient gênés et mal à l’aise de participer à un tel exercice. Nous avons donc

adapté le guide d’entretien en ajoutant de nouveaux sujets, intégrés au fil des champs de

pratiques abordés, qui permettaient de saisir l’essence d’une carte cognitive. Les

participants ont été invités, entre autres, à parler des limites de leur quartier, des artères

jugées importantes, des lieux et espaces préférés et des lieux et espaces non abordés alors

que plusieurs membres du corpus en avaient fait mention. Dans le même ordre d’idées,

nous avons porté attention à la valeur symbolique attachée à certains lieux et espaces en

relançant le participant au besoin pour mieux cerner ses représentations sur le quartier.

En regard des orientations poursuivies dans cette thèse, nous avons opté pour la méthode

des entretiens semi-dirigés. Comparativement à des récits de vie, où les gens sont parfois

invités à se raconter en une seule consigne directrice, nous avons travaillé à la production

de récits « de pratiques » servant à analyser, selon les mots de Bertaux, l’ « action en

situation149

». Les cinq champs de pratiques du quartier ont été abordés dans l’ordre ou le

désordre, selon le fil de la discussion, par des questions ouvertes, semi-ouvertes et fermées.

La discussion sur chacun des cinq champs a été lancée par des questions ouvertes afin que

148

Voir notamment, au sujet de la carte mentale, Céline VERGUET, « La part de fantomatique dans les

représentations de l’espace urbain », dans Marie-Blanche FOURCADE (dir.), Patrimoine et

patrimonialisation. Entre le matériel et l’immatériel, Québec, Presses de l’Université Laval, 2007, p. 217-

221; Gerald WARSHAVER, « Urban Folklore », dans Richard M. DORSON, éd., Handbook of American

Folklore, Bloomington, Indiana University Press, 1983, p. 165-170. 149

BERTAUX, op. cit., p. 17. Au sujet des récits de vie, on consultera également avec profit l’ouvrage

reconnu de Catani. Maurizio CATANI et Suzanne MAZÉ, Tante Suzanne ou l’histoire de vie sociale et du

devenir d’une femme qui fut d’abord modiste dans la Mayenne à l’époque de la Première Guerre mondiale et

ensuite l’épouse d’un horloger à Paris, mère de deux enfants et propriétaire d’un jardin en grande banlieue,

sans jamais nier ses origines, Paris, Librairie des Méridiens, 1982, 474 p., coll. « Sociologies au quotidien ».

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le participant prenne le chemin qu’il désire. Toutefois, nous avons parfois commencé par

des questions fermées si nous devions user de rigueur, dans les cas notamment de

trajectoires résidentielles ponctuées de nombreuses étapes où il fallait procéder plus

systématiquement, ou si un aspect abordé précédemment était suffisamment important pour

justifier une relance propre à ouvrir la discussion sur un champ. Les liaisons ont de temps à

autre été si naturelles que nous n’avons pas mentionné le passage d’un champ à l’autre, ce

que nous faisions ordinairement en cours d’entretien.

De manière générale, nous avons évolué de manière chronologique dans l’examen de

chacun des champs de pratiques, sauf quand le participant prenait un chemin qui lui était

propre. Nous avons ainsi réalisé au cours d’un entretien plus d’une fois le cheminement

menant de l’enfance à la vie adulte, ce qui a eu l’avantage de faire jaillir, par effet de

remémoration répétée, des souvenirs qui n’avaient pas été partagés précédemment. Nous

avons été témoins de peu de contradictions liées à ces allers et retours; dans de tels cas,

nous avons tenté de clarifier les informations recueillies. Nous n’avons jamais freiné une

digression, y trouvant là à l’occasion des éléments pouvant être utilisés pour revenir sur

certains sujets ou poser des questions complémentaires. Dans ces cas, nous avons

régulièrement procédé par « réitération reflet150

» du type: « Vous m’avez dit tout à l’heure

que… ». Cela permettait de valider ce que nous avions entendu précédemment et de placer

le participant face à ses déclarations.

Nous avons eu tendance, à quelques reprises, à reformuler immédiatement nos questions

sans vérifier si le participant avait compris la première fois, ce qui était parfois source de

confusion chez ce dernier. En fin d’enquête, donc en position de saturation, nous avons

aussi parfois, involontairement, posé des questions à caractère tendancieux, notamment sur

les lieux de pratiques. Par ailleurs, certaines questions, comme celles portant sur la

réputation du quartier Saint-Sauveur, plaçaient les participants non pas en situation

d’acteurs, mais plutôt de témoins d’événements et de processus, ce qui laissait présager

plus de difficulté à répondre, plus d’erreurs et d’oublis ou encore l’énoncé de préjugés

communs ou liés au statut socioéconomique. Lorsque ces questions portaient sur le

150

Alain BLANCHET et Anne GOTMAN, L’enquête et ses méthodes. L’entretien, Paris, Armand Colin,

2005, coll. « 128 », 19, p. 87.

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54

quartier, un cadre de vie à échelle humaine, les participants ont cependant eu peu de

difficulté à répondre et leurs propos, construits tant par des faits que des représentations, se

révélèrent être d’une grande richesse documentaire.

Les entretiens eurent tous lieu au domicile du participant, dans le salon ou la cuisine, sauf

dans quatre cas où, à la demande de la personne, ils furent respectivement réalisés sur le

lieu de travail (#09151

), au téléphone (#18152

), dans un presbytère (#25) et dans un centre

communautaire d’un quartier adjacent à Saint-Sauveur (#29). Ils furent complétés en une

seule séance à une exception près. Le tout premier entretien fit l’objet de deux séances, non

pas à la demande de la participante, mais de la nôtre, en raison de notre maîtrise encore

imparfaite du guide d’entretien. Les entretiens eurent une durée moyenne de deux heures

dix minutes, oscillant entre 70 minutes où le rythme fut soutenu et le participant (#09), bien

concentré sur le sujet, et trois heures 50 minutes ponctuées de plusieurs digressions (#06).

Nous avons été la plupart du temps seul avec le participant, hormis dans quelques cas où

le conjoint ou la conjointe était présent pour une dizaine de minutes. Pour trois entretiens,

le (la) conjoint(e) ou la fille du ou de la participant(e) était présent(e). Réalisées en fin

d’enquête orale, alors que nous disposions d’une grande maîtrise du guide d’entretien

acquise au fil des rencontres, ces expériences furent fécondes, la tierce personne étant libre

d’intervenir pour ajouter des informations, apporter des anecdotes et des comparaisons, etc.

Soulignons que les membres du corpus ont été peu intimidés par la présence de notre

ordinateur portable, à partir duquel les entretiens étaient enregistrés153

. Il ne suscita que

quelques questions de curiosité et une courte période de regards répétés en direction de

l’écran en début d’entretien. Avant de lancer l’interview, nous donnions, si cela n’avait pas

été fait lors de la ou des conversation(s) téléphonique(s), des exemples de sujets que nous

allions aborder afin de diminuer le niveau d’appréhension, qui du reste, n’a jamais été

problématique au cours des entretiens. L’ambiance fut la plupart du temps chaleureuse.

L’état d’aisance des participants s’est manifesté de diverses façons. On nous a souvent

tutoyé. On nous a touché afin de marquer l’importance du propos et offert à boire ou à

151

Le participant était alors propriétaire d’une épicerie dans le quartier Saint-Sauveur. L’entretien eut lieu

dans l’arrière-boutique alors que des employés assuraient le service. 152

En raison du fait que la participante (#18) demeurait alors à Toronto. 153

Au moyen du logiciel Garage Band, ayant offert une très grande qualité sonore.

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manger. Le niveau de langage a souvent évolué d’un niveau plus recherché en début

d’entretien à un niveau plus populaire, ponctué ou non de jurons ou d’expressions locales.

En fin d’entretien, les réactions furent chaleureuses. On nous a embrassé, donné une

cordiale poignée de main, parfois même offert de rester un peu pour discuter ou manger

quelque chose. À certaines occasions, les gens s’étaient préparés en rédigeant une feuille de

notes ou en plaçant sur la table des albums photo ou des vieux journaux, pour s’y référer au

besoin. Nous avons consigné les observations faites sur les lieux des entretiens et sur

l’ambiance dans laquelle ils s’étaient déroulés à la suite de chaque rencontre, afin de mieux

analyser en contexte les propos de chaque participant. Aucun participant n’a manifesté une

volonté claire de partager une expérience négative dans le quartier ou de faire état d’une

vieille rancœur entretenue depuis longtemps. Lors des rares moments de forte émotion en

raison des souvenirs évoqués, par exemple lorsque le participant nous parlait du décès de

son conjoint ou d’un de ses enfants, nous avons pris une pause, avant de reprendre

doucement l’entretien, avec l’accord de la personne.

Quatre participants ont demandé la confidentialité de l’entretien accordé, alléguant ne pas

souhaiter être reconnus. Pour ces derniers ainsi que pour tous les autres membres du

corpus, les soins les plus rigoureux ont été apportés afin de rendre impossible leur

identification. Les citations et références à des cas individuels ponctuant cette thèse sont

ainsi accompagnées d’un numéro que nous avons attribué à chaque participant. Le lecteur

pourra, avec ce numéro, consulter l’annexe 6 afin de prendre connaissance de courtes

biographies permettant de placer les propos dans le contexte de la trajectoire globale du

participant.

1.2.3 Un portrait du corpus

Les historiens pratiquant l’enquête orale sont souvent confrontés au problème de la

disponibilité des participants âgés ou, comme l’énonce Voldman, au problème « des

sources vieillissantes154

». Le cours naturel de la vie faisant son œuvre, il est pratiquement

impossible de disposer d’une représentativité statistique idéale. Des efforts ont néanmoins

été faits en ce sens. Comme nous l’avons mentionné précédemment, notre corpus compte

154

VOLDMAN, op. cit., p. 117.

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30 participants. Il répond, sous plusieurs aspects, aux trois principes de sélection énoncés

par Bertaux, soit de prendre en compte une variété de statuts sociaux et les différences au

sein d’un même statut et de faire état d’expériences diversifiées. Notre corpus bénéficie

notamment, à ce titre, de la rétention de cinq entretiens qui n’ont pas rencontré le critère de

la durée de résidence dans le quartier Saint-Sauveur que nous avions fixé. Le corpus

constitué est mis en relief dans cette section au moyen de neuf variables : le sexe, l’année

de naissance, l’état civil, le nombre d’enfants que les participants ont eu s’il y a lieu, le

nombre d’années de résidence dans le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et 1980, le fait

d’en être natif ou non, le statut résidentiel, le nombre de logements habités et de paroisses

dans lesquelles les participants ont vécu durant la période étudiée et enfin le statut

socioéconomique.

Au total, 12 hommes et 18 femmes composent le corpus. Une représentativité exemplaire

aurait commandé un groupe de 14 hommes et de 16 femmes en regard du pourcentage

moyen d’hommes dans le quartier Saint-Sauveur selon les données disponibles des

recensements canadiens155

, soit de 48% entre 1951 et 1981156

. Le corpus comporte 40%

d’hommes, ce qui nous paraît satisfaisant.

L’année de naissance moyenne des 30 membres du corpus est 1932. Le spectre des âges

au moment de l’entretien allait d’un homme de 58 ans à une femme de 90 ans. Neuf

participants étaient âgés de moins de 70 ans, dont trois de moins de 60 ans. Onze étaient

septuagénaires, alors que neuf étaient octogénaires. La moyenne d’âge des hommes était de

71 ans et celle des femmes, de 79 ans. Le corpus comporte, par ailleurs, deux cohortes

d’âge numériquement significatives, comme le montre le tableau 1.1, ce qui nous a permis

de comparer les pratiques de personnes nées à une vingtaine d’années d’intervalle dans le

but d’observer une évolution.

155

Afin d’alléger le texte, nous ne retiendrons au fil du texte que le terme recensement(s). 156

Les recensements de 1931 et de 1941 ne comportent pas de données ventilées par secteurs de recensement.

Notons que la moyenne d’hommes dans le quartier Saint-Sauveur est légèrement supérieure à celle de la ville

de Québec entre 1951 et 1981, qui est de 46,51%.

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Tableau 1.1 – Cohortes d’âge des membres du corpus

Cohorte Années de naissance Nombre de membres du corpus

A 1917-1932 19

B 1935-1950 11

Ainsi, la cohorte A rassemble des gens nés entre 1917 et 1932 et compte 19 participants,

14 femmes et cinq hommes. Onze participants, quatre femmes et sept hommes, nés entre

1935 et 1950, constituent la cohorte B. Cette seconde cohorte forme plus du tiers du corpus.

En raison de l’âge moyen inférieur des hommes, ces derniers y sont surreprésentés. Une

attention particulière a été portée dans l’analyse des entretiens aux neuf participants nés

durant les années 1930 et répartis dans les deux cohortes157

, afin de saisir des différences

éventuelles avec les autres membres de leur cohorte respective.

Vingt-trois membres du corpus se sont éventuellement mariés et ont habité par la suite

dans le quartier Saint-Sauveur durant la période 1930-1980. Trois des sept autres

participants se sont établis définitivement en dehors du quartier Saint-Sauveur avant ou au

moment de leur mariage, tandis que quatre sont demeurés célibataires toute leur vie (#10,

16, 20 et 29)158

. Vingt-deux participants ont eu des enfants durant ce même laps de temps,

alors qu’ils habitaient le quartier159

. Quatre des huit autres les ont eus après l’établissement

en dehors du quartier ou après 1980, tandis que quatre n’ont pas eu d’enfants du tout par

choix ou parce qu’ils sont demeurés célibataires (#16, 20, 25, 29)160

. Notre corpus compte

donc des gens ayant intégré ou non des enfants à leurs différentes pratiques. Le tableau 1.2

résume les données en la matière.

157

Sept dans la cohorte d’âge A, deux dans la cohorte d’âge B. 158

Ce groupe de quatre est composé de trois femmes et d’un homme. Ce dernier et une femme sont de la

cohorte d’âge B, les deux autres femmes, de la cohorte d’âge A. 159

Trois n’en ont qu’un, 7 en ont deux, 6 en ont trois, 2 en ont quatre et 4 en ont cinq. Les participants de la

première cohorte d’âge ont en moyenne trois enfants, ceux de la seconde, 1,5. Les membres du corpus, au

total, ont eu en moyenne 2,3 enfants, presque trois fois moins que leurs parents (6 en moyenne). Le nombre de

frères et sœurs des participants varie entre un et 14. Les enfants décédés en bas âge n’ont pas été

comptabilisés. 160

La participante #10 eut un enfant en 1948 alors qu’elle n’était pas mariée. La maternité hors mariage était

réprouvée au Québec à l’époque, en vertu des normes socioreligieuses, et marquée du signe de l’opprobre.

Elle fit placer son enfant en adoption. Elle le retrouva une cinquantaine d’année plus tard.

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Tableau 1.2 – Mariage et fondation d’une famille au sein du corpus

Nombre de membres du corpus

S’étant marié 26

Ne s’étant pas marié 4

Total 30

Ayant eu des enfants 26

N’ayant pas eu d’enfants 4

Total 30

Un survol rapide de certaines caractéristiques des trajectoires résidentielles des membres

du corpus, sujet que nous approfondissons dans le deuxième chapitre, permet de rendre de

compte de leur pluralité. Les participants ont tout d’abord habité, en moyenne, pendant 35

ans et cinq mois dans le quartier Saint-Sauveur durant la période 1930-1980. Une

ventilation par sexe révèle que les femmes y ont habité en moyenne pendant 36 ans, les

hommes, 34 ans et demi. Ainsi, malgré l’âge moyen inférieur des hommes, leur expérience

du quartier se compare à celle des femmes durant la période étudiée. Douze participants

sont demeurés entre 40 et 50 ans dans le quartier durant la période 1930-1980, dont cinq,

durant 50 ans. Le tableau 1.3 en témoigne. Ce groupe de 12 est composé de 11 natifs du

quartier Saint-Sauveur, de neuf femmes et de trois hommes et sont tous de la cohorte d’âge

A, à l’exception d’une participante. En intégrant au calcul de la durée de résidence les

années passées avant 1930 et après 1980, nous obtenons une moyenne de 60 ans de

présence dans le quartier Saint-Sauveur. Vingt-deux participants y demeuraient encore au

moment de l’entretien161

.

161

Trois (#18, 22 et 32) l’ont quitté entre 1954 et 1971 pour des raisons que nous analysons au prochain

chapitre, quatre vers le milieu des années 2000 en raison de leur âge avancé. Dans le huitième cas (#09), le

départ du quartier en 1996, alors que le participant était encore actif professionnellement, fut motivé par la

volonté d’aller vivre en banlieue.

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Tableau 1.3 – Nombre d’années de résidence dans le quartier Saint-Sauveur des

membres du corpus entre 1930 et 1980

Nombre d’années Nombre de membres du corpus

10-19 3

20-29 6

30-39 9

40-49 7

50 5

Total 30

Le corpus comporte 20 personnes natives du quartier Saint-Sauveur et dix étant nées

ailleurs puis ayant migré vers le quartier avant ou après 1930. Ces dix participants se sont

installés dans le quartier en nombre relativement égal au cours des décennies 1930 (deux),

1940 (deux), 1950 (trois) et 1960 (trois). Les participants nés dans le quartier ont une durée

de résidence moyenne entre 1930 et 1980 plus élevée que ceux qui sont nés à l’extérieur du

quartier Saint-Sauveur. Nous notons chez les natifs une représentation assez

proportionnelle des hommes et des femmes et des cohortes d’âge. On compte sept femmes

parmi les dix participants qui ne sont pas natifs du quartier, elles y sont donc

surreprésentées. La représentation des cohortes y est toutefois proportionnelle. Il nous est

impossible de connaître la proportion de natifs dans l’ensemble de la population du

quartier, les recenseurs ne demandant pas si les individus sont natifs du secteur de

recensement où ils habitent.

En ce qui concerne le statut résidentiel, le corpus témoigne à première vue d’un équilibre

surprenant. En effet, 50% des membres du corpus ont passé la majeure partie de la période

1930-1980 en étant locataires162

de leur(s) lieu(x) de résidence et l’autre 50%, en étant

propriétaires. Derrière cette proportion se cache toutefois une grande diversité de

trajectoires. Certains furent uniquement locataires, d’autres uniquement propriétaires.

D’autres encore, locataires, ont accédé à la propriété, certains d’entre eux redevenant

locataires par la suite. Le corpus compte également des locataires dans un logement de la

162

Eux ou leurs parents pendant la période où ils ont habité avec eux.

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maison familiale ayant éventuellement acheté la propriété et des participants demeurant

dans le même logement que leurs parents propriétaires et acquérant éventuellement la

propriété familiale. 60% des membres du corpus sont devenus propriétaires de leur lieu de

résidence après leur décohabitation, c’est-à-dire après leur départ du domicile familial.

Dans un quartier caractérisé historiquement par le faible taux de propriétaires occupants

(environ 25%), le corpus est ainsi surreprésenté en regard du statut résidentiel.

Les trajectoires résidentielles des membres du corpus comportent, par ailleurs, entre un et

11 logements occupés durant la période 1930-1980, que ce soit à titre de locataires ou de

propriétaires. Le nombre de paroisses du quartier Saint-Sauveur dans lesquelles ils ont

habité varie d’une à quatre. Soulignons que 12 participants ont quitté le quartier puis sont

revenus y vivre. Comme nous le mentionnions précédemment, trois membres du corpus

l’ont quitté définitivement entre 1954 et 1971163

. Afin de vérifier si le quartier Saint-

Sauveur était couvert adéquatement en regard des trajectoires résidentielles des

participants, autant sur les plans spatial que temporel, nous avons examiné trois autres

variables : les paroisses habitées par chacun dans le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et

1980, la paroisse habitée le plus longtemps durant la période et, en dernier lieu, les

paroisses habitées selon le cycle de vie, soit avant et après l’atteinte de l’âge adulte à 21

ans.

Le tableau 1.4 présente le nombre de participants ayant demeuré dans l’une ou l’autre des

six paroisses du quartier entre 1930 et 1980. Cette répartition fut évaluée à l’aune du poids

démographique de chaque paroisse tout au long de la période étudiée. La représentativité du

corpus en la matière est assurée du fait que les deux paroisses les plus populeuses du

quartier au cœur du XXe siècle, Saint-Sauveur et Saint-Malo, sont celles où l’on retrouve le

plus de participants. L’inverse est tout aussi vrai en ce qui concerne Notre-Dame-de-Pitié,

la paroisse la moins peuplée du quartier164

. La paroisse Notre-Dame-de-Grâce est pour sa

163

La participante #32 quitta en 1954. Même si cela peut sembler tôt dans l’optique de la population visée par

cette étude, nous avons décidé d’inclure l’entretien qu’elle nous accorda dans notre corpus. Elle vécut 25 ans

dans le quartier Saint-Sauveur et alla s’installer par la suite dans un quartier populaire situé dans une

municipalité de banlieue, où elle vécut des transformations de la vie locale semblables à celles des résidants

du quartier Saint-Sauveur. Ses propos sur la vie paroissiale dans sa jeunesse étaient également d’une grande

richesse documentaire. 164

Sauf au moment du recensement de 1981, où elle occupe la cinquième place.

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part légèrement surreprésentée, alors que les paroisses Sacré-Cœur et Saint-Joseph restent

un peu sousreprésentées.

Tableau 1.4 – Paroisses du quartier Saint-Sauveur habitées par les membres du

corpus, 1930-1980

Paroisse Nombre de membres du corpus

Saint-Sauveur 13

Saint-Malo 13

Notre-Dame-de-Grâce 8

Sacré-Cœur 7

Saint-Joseph 6

Notre-Dame-de-Pitié 3

Dans un second temps, un séjour de deux ans n’ayant pas le même impact sur l’expérience

de la paroisse qu’un séjour de 20 ans, nous avons associé à chaque paroisse le nombre de

participants qui y étaient demeurés le plus longtemps durant les 50 années à l’étude ainsi

que le nombre moyen d’années des séjours afin de vérifier si ces derniers étaient d’une

durée significative. Les résultats, présentés dans le tableau 1.5, indiquent que Saint-Sauveur

et Saint-Malo y sont également bien représentées. La durée moyenne des séjours y est

respectivement de 29,5 ans et de 30,9 ans.

Tableau 1.5 – Paroisse habitée le plus longtemps par chaque membre du corpus

durant la période 1930-1980 et durée moyenne des séjours

Paroisse Nombre de membres

du corpus

Nombre moyen

d’années des séjours

Saint-Sauveur 10 29,5

Saint-Malo 8 30,9

Notre-Dame-de-Grâce 6 34,3

Sacré-Cœur 3 44

Notre-Dame-de-Pitié 2 25,5

Saint-Joseph 1 34

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La paroisse Notre-Dame-de-Grâce, qui occupe à tous les recensements, sauf un, la

cinquième place dans le palmarès du quartier en regard du nombre d’habitants, est sous ce

rapport surreprésentée. Les six participants pour qui Notre-Dame-de-Grâce fut la paroisse

habitée le plus longtemps entre 1930 et 1980 y ont demeuré 34,3 ans en moyenne. La

paroisse Sacré-Cœur, troisième paroisse, sauf à une occasion, est au contraire,

sousreprésentée, tout comme la paroisse Saint-Joseph, quatrième paroisse la plus peuplée.

Le nombre de participants, respectivement trois et un, est compensé par une longue durée

de résidence moyenne. De plus, trois de ces quatre participants sont demeurés toute leur vie

dans le quartier Saint-Sauveur. La paroisse Notre-Dame-de-Pitié paraît représentée

adéquatement.

Considérant que l’expérience de la paroisse des enfants et des adolescents n’est pas

semblable à celles des adultes, nous avons ventilé la présence des participants dans chacune

des paroisses selon qu’ils y avaient habité avant ou après l’âge de 21 ans, l’âge légal de la

majorité au Québec jusqu’en 1971. Cette distinction selon l’âge, plutôt que selon le statut

marital165

, permettait de considérer l’ensemble du corpus, incluant les célibataires. Les

résultats obtenus vont dans le sens d’un certain équilibre, où la tranche adulte est toujours

dominante. Les adultes sont néanmoins surreprésentés pour la paroisse Sacré-Cœur, alors

qu’aucun participant n’a vécu à Notre-Dame-de-Pitié avant l’âge de 21 ans. Par contre, les

conjoints de deux membres du corpus (#24 et 30) y vécurent à cette époque de leur vie.

Notre corpus présente, en dernier lieu, une fenêtre sur une variété de statuts

socioéconomiques dont on peut suivre l’évolution au fil de la période à l’étude. Les statuts

oscillent entre très modeste et modérément aisé en fonction de la scolarité, des emplois

occupés ou encore de la taille de la famille. Cette question sera approfondie dans les

deuxième et troisième chapitres. Être propriétaire n’est pas nécessairement synonyme de

relative aisance, car l’accession à la propriété fut parfois réalisée par le biais de conditions

financières avantageuses. On retrouve ainsi des propriétaires tant à revenus modestes que

modérément aisés et des locataires, tant à revenus relativement élevés que très modestes. La

maladie, par ailleurs, eut parfois une incidence sur le niveau de vie des ménages. Le père

d’une participante (#25) et les conjoints de deux autres participantes (#01 et 06) furent en

165

C’est-à-dire avant ou après le mariage, qui a un impact significatif sur les pratiques.

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effet éventuellement en congé forcé pour une période prolongée en raison de maladie, ce

qui affecta les conditions financières de la maisonnée.

Le corpus constitué renvoie ainsi le portrait suivant: une population majoritairement

féminine, à l’image de celle du quartier Saint-Sauveur, née entre 1917 et 1950 et

caractérisée par la longue durée de résidence dans le quartier entre 1930 et 1980. Ses 30

membres sont aux deux tiers des natifs du quartier. Leur bilan en matière de statut

résidentiel durant la période ne représente pas celui de la population du quartier en général.

La somme de leurs trajectoires résidentielles, variées, couvre bien les six paroisses et enfin,

ils offrent une gamme de statuts socioéconomiques diversifiée représentant néanmoins bien

ce milieu populaire.

1.2.4 Stratégies de recherche complémentaires

Les historiens qui ont abordé la question du quotidien en milieu urbain ont mis à profit

différentes démarches. Se pencher sur un passé lointain, dont tous les acteurs sont disparus,

rend impossible la démarche d’enquête orale. L’analyse sérielle de données quantitatives et

l’analyse de contenu de sources écrites sont alors employées. Ferretti, par exemple, afin

d’étudier la vie paroissiale dans une paroisse de Montréal, Saint-Pierre-Apôtre, entre 1848

et 1930, utilisa les archives municipales et paroissiales ainsi que celles de la communauté

religieuse dirigeant la paroisse166

. Dans un autre cas, Benson, dans le but d’étudier la

question de l’acquisition et de l’utilisation de biens usagés en milieu populaire états-unien

durant l’entre-deux-guerres, se pencha sur les archives du Bureau des femmes du

Département du Travail des États-Unis ainsi que sur des études de cas effectuées par des

travailleurs sociaux et des universitaires sur des familles confrontées au chômage167

.

Recensements, journaux, revues, rapports de commissions d’enquête, archives

d’organisations privées et, dans le cas canadien, archives publiques provinciales et

fédérales ont également été scrutées par les historiens du quotidien en milieu urbain168

. Il

166

FERRETTI, op. cit. 167

Susan PORTER BENSON, « What Goes Round Comes Round : Secondhand Clothing, Furniture, and

Tools in Working-Class Lives in the Interwar United States », Journal of Women’s History, 19/1 (printemps

2007), p. 17-31. 168

Voir, notamment, ANDERSON, op. cit., ; COPP, op. cit., FRADET, op. cit., KATZ, op. cit.,

LAROCQUE, op. cit., PIVA, op. cit.

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demeure qu’il est difficile par ces sources de cerner finement l’expérience du quartier et de

la ville de la manière que nous désirons le faire et notamment d’examiner le rapport

identitaire à l’espace vécu et les représentations sur le milieu de vie et sur d’autres espaces

urbains.

Lorsqu’il est possible de réaliser une enquête orale, l’analyse des sources repose sur un

principe similaire de complémentarité, principe énoncé en introduction générale de la thèse

dans la description du processus de triple confrontation de Joutard169

. L’articulation

rigoureuse des sources orales et des sources écrites disponibles permet de vérifier et

d’approfondir les données nouvelles qu’offrent les entretiens. Dans le cadre de notre thèse,

nous avons eu recours à des stratégies de recherche complémentaires en amont et en aval de

l’enquête orale : en amont afin de disposer de données quantitatives propres à caractériser

précisément la population du quartier Saint-Sauveur durant la période étudiée et en aval en

examinant des pistes révélées par le contenu des entretiens.

Afin de disposer d’informations sociodémographiques et socioéconomiques sur la

population du quartier, nous avons mis à profit les données des recensements. Ces dernières

sont ventilées par secteur de recensement pour les années 1951, 1956, 1961, 1966, 1971,

1976 et 1981. Ces secteurs correspondent aux territoires des paroisses, ce qui permet une

analyse approfondie de chacune d’entre elles. Dans ce portrait longitudinal, nous n’avons

pas pu prendre en compte les années 1931 et 1941 puisque les données n’étaient alors pas

ventilées par secteur de recensement. Nous avons isolé dans les recensements des groupes

de variables qui donnaient la possibilité de tracer un portrait statistique du quartier Saint-

Sauveur : nombre de personnes, âge, sexe, état matrimonial, origine ethnique, langue,

religion, scolarité, ménages, famille, logement et finalement emploi.

Au cours de l’enquête orale et, par la suite, de l’analyse des entretiens, nous avons

effectué des recherches dans les fonds d’archives paroissiaux pour approfondir certaines

questions, compléter des informations trop partielles ou mettre en contexte certains sujets

abordés. Nous y avons examiné notamment les cahiers de prônes, soit les annonces faites

par les curés à la population de leur paroisse, et les documents relatifs aux activités des

169

JOUTARD, op. cit., p. 220.

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65

différents groupes, associations, mouvements et centres communautaires paroissiaux, ainsi

qu’à la vie religieuse (messes, location de bancs, processions et autres événements). Les

rapports des visites paroissiales effectuées par les curés et leurs vicaires au domicile de

leurs ouailles (données statistiques diverses et commentaires sur la vie paroissiale), les

journaux paroissiaux et les archives iconographiques ont également été mis à profit. Cette

documentation nous a notamment permis de saisir les points de vue des autorités religieuses

sur la vie dans le secteur. Les données acquises par l’enquête orale, confrontées à celles

provenant des sources écrites, ont offert une vision plus diversifiée de la vie locale,

permettant de déceler les écarts entre les objectifs et les perceptions des autorités

religieuses et les désirs, les perceptions et les réalités d’une population de statuts

socioéconomiques modestes. Au total, ces connaissances diversifiées ont permis d’accroître

la compréhension de l’expérience du quartier et de la ville en milieu populaire urbain

québécois.

Les archives municipales de la Ville de Québec, en particulier les rôles d’évaluation qui

s’y trouvent, nous ont permis, par ailleurs, de confirmer la présence de divers commerces et

services dans le quartier Saint-Sauveur. Nous y avons également consulté, dans le même

but, les annuaires Marcotte. Ces bottins nous ont aussi permis de vérifier parfois certaines

déclarations des participants relatives à la longue durée de résidence de certains voisins.

Dans ces mêmes archives municipales, nous avons mené des recherches complémentaires

sur certaines œuvres et organisations éventuellement prises en charge par la municipalité,

comme l’Œuvre des Terrains de Jeux, et inventorié les documents iconographiques

pertinents pour cette thèse. Les fruits de recherches précédentes sur des institutions

majeures du quartier, comme le Patronage Laval170

, réalisées dans les fonds d’archives des

congrégations religieuses les ayant dirigées, ont, de plus, été mis à profit.

Des monographies paroissiales et institutionnelles, réalisées souvent dans le cadre

d’anniversaires commémoratifs (10e, 25

e, etc.) ont été consultées. Elles ont constitué des

compléments d’information fort utiles. Plus largement, une série d’études en histoire, en

ethnologie, en service social, en sociologie, en géographie, en aménagement du territoire et

en architecture, réalisées sur le quartier Saint-Sauveur, ses paroisses et sur la ville de

170

Situé dans la paroisse Sacré-Cœur, il est dédié à l’instruction et aux loisirs des garçons dès 1910.

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66

Québec à divers moments de leur histoire, a aussi fourni des informations variées. La

lecture ciblée d’articles d’un quotidien de Québec et celle de rapports de commissions

d’enquête, comme celui de la Commission d’enquête sur le Logement de la Cité de Québec

au tournant des années 1960, fort pertinent dans la perspective des trajectoires résidentielles

sur lesquelles porte le chapitre suivant, viennent clore l’éventail des recherches

complémentaires à notre enquête orale.

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2 – Entre stabilité et mouvement : les trajectoires

résidentielles

L’expérience du quartier et de la ville à sa plus simple, mais fondamentale expression, soit

l’habiter, constitue une dimension capitale d’une culture urbaine. C’est un élément

incontournable des parcours de vie, qu’ont abordé spontanément plusieurs membres du

corpus dès les premiers instants des entretiens. Les participants ont habité, à quelques

exceptions près, pendant plus de 25 ans dans le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et 1980.

Cette stabilité résidentielle dans le quartier recèle toutefois une diversité de trajectoires

ponctuées d’un nombre variable d’étapes, c’est-à-dire de logements171

occupés. Certains

ont dormi à l’âge adulte dans la pièce où ils étaient nés, alors que d’autres ont, au contraire,

régulièrement procédé à la recherche d’un nouveau chez-soi et vécu de nombreux

déménagements. Durant la période à l’étude se produit un des phénomènes majeurs de

l’histoire urbaine nord-américaine au XXe siècle. Au lendemain de la Seconde Guerre

mondiale, dans un contexte de relative prospérité et d’accroissement de la mobilité

socioprofessionnelle, des milliers de ménages172

s’installent en banlieue et dans des

secteurs de leur ville en développement. Cet exode résidentiel n’épargne pas le quartier

Saint-Sauveur. Les participants à notre enquête orale ne sont néanmoins pas entrés dans la

danse, sauf quelques-uns dont l’expérience fut de courte durée.

La production scientifique consacrée aux questions du logement et des trajectoires

résidentielles est fort imposante173

. Une grande attention fut notamment portée sur les

conditions de logement en milieu populaire. On mit en lumière l’incommodité et le

surpeuplement des logements vécus par de nombreux ménages ou encore les diverses

situations de crises du logement ayant rendu la recherche d’un nouveau logement ardue.

Des spécialistes du logement et de l’économie familiale ont observé que le loyer occupa

souvent une place considérable dans le budget familial sans que les conditions du logement

ne soient nécessairement adéquates pour le ménage. Ils ont aussi examiné différentes

171

Rappelons que nous considérons ici un logement comme une unité résidentielle, sans égard au statut de

locataire ou de propriétaire. 172

Rappelons qu’un ménage représente tous les occupants d’un même logement. Un ménage peut donc être

composé d’une ou plusieurs personne(s) ou famille(s), qu’elles soient apparentées ou non. 173

Les autorités publiques se sont également penchées régulièrement sur ces questions, ce qui donna lieu à

plusieurs commissions d’enquête dont les rapports offrent des données fort utiles au chercheur.

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stratégies adoptées dans le but de pallier l’insuffisance des revenus, comme la prise de

pensionnaires174

. Un autre grand pan de la recherche concerne les lieux et durées des étapes

résidentielles, les motifs de maintien et de déménagement, ainsi que les stratégies de

recherche et les facteurs de choix d’un logement. Plusieurs sociologues et géographes ont

élaboré des modèles de mobilité résidentielle (Cliche et Naud175

, Rossi176

, Brown et

Moore177

, Mulder178

, etc.). Le phénomène d’exode résidentiel de l’après-guerre canalisa,

par son ampleur et son indéniable intérêt scientifique, une bonne partie des efforts dans ce

domaine d’études à partir des années 1970179

. Les travaux sur les motifs de maintien et de

déménagement ont identifié dans plusieurs cas des combinaisons de facteurs liés au libre

choix des ménages et à des contraintes d’ordres divers. Une de ces contraintes est d’ordre

économique. Plusieurs études ont souligné sa présence dans les milieux populaires. Des

revenus limités peuvent notamment imposer le maintien dans un secteur d’habitat ou dans

174

Voir, par exemple, pour la ville de Montréal, Marc H. CHOKO, Crises du logement à Montréal (1860-

1939), Montréal, Éditions coopératives Albert St-Martin, 1980, 284 p.; BRADBURY, op. cit.; et pour la ville

de Québec, Chantal CHARRON, « La crise du logement à Québec et le village des « Cove Fields » :

ghettoïsation de la misère et stratégies de survie sur les Plaines d’Abraham (1945-1951) », mémoire de

maîtrise en histoire, Montréal, Université du Québec à Montréal, 2004, 180 p.; Hayda DENAULT, « Les

services sociaux à Québec », mémoire de maîtrise en service social, Québec, Université Laval, 1945, 231 p.;

Valérie LAFLAMME, Vivre en ville et prendre pension à Québec aux XIXe et XX

e siècles, Paris,

L’Harmattan, 2007, coll. « Habitat et sociétés », 313 p. 175

CLICHE et NAUD, op. cit. 176

Dans son étude devenue classique sur les dynamiques des trajectoires résidentielles des ménages urbains

états-uniens, Rossi a notamment dégagé l’incidence des cycles de vie et du statut socioéconomique sur les

trajectoires résidentielles. Un fort taux de mobilité chez les 20-35 ans et un plus grand capital de mobilité chez

les plus instruits, signalés à ce moment, s’avèrent encore aujourd’hui des constats transnationaux. Peter Henry

ROSSI, Why Families Move : a study in the social psychology of urban residential mobility, Glencoe, Free

Press, 1955, 220 p. Voir également Frans M. DIELEMAN, « Modelling residential mobility : a review of

recent trends in research », Journal of Housing and the Built Environment, 16/3-4 (septembre 2001), p. 250. 177

Ces auteurs soutiennent que le mouvement résidentiel obéit à un processus composé de deux phases :

insatisfaction du logement, puis recherche d’un nouveau lieu de résidence, évaluation des coûts et des

bénéfices et décision quant au maintien ou au déménagement. Lee avait proposé quelques années auparavant

un schème similaire où le dilemme entre l’attraction d’un nouveau lieu de résidence potentiel et la répulsion

face au logement occupé définit l’orientation des choix. Lawrence A. BROWN et Eric G. MOORE, « The

Intra-Urban Migration Process : A Perspective », Geografiska Annaler. Series B, Human Geography, 52/1

(1970), p. 1-13; Everett S. LEE, « A Theory of Migration », Demography, 3/1 (1966), p. 47-57. 178

Mulder s’attarda aux préférences résidentielles, c’est-à-dire aux facteurs auxquels est accordée une

importance dans le processus de maintien et de déménagement. C. H. MULDER, « Housing Choice :

Assumption and Approaches », Netherlands Journal of Housing and the Built Environment, 11/3 (1996), p.

209-233. 179

La banlieue occupe encore une large place dans la production scientifique récente en sociologie. Voir

notamment, pour la ville de Québec, Andrée FORTIN et Geneviève VACHON (dirs.), La banlieue s’étale,

Québec, Nota Bene, 2011, 412 p., coll. « Hors collection Ŕ Société ». Poitras a souligné qu’au cours des

années 1990, le phénomène banlieusard de l’après-guerre a été peu examiné par les historiens canadiens.

Claire POITRAS, « L’histoire urbaine au Canada : l’espace, les citadins et les gouvernants », Urban History

Review/Revue d’histoire urbaine, 32/1 (automne 2003), p. 45-46.

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un logement jugé inadéquat ou, au contraire, entraîner une recherche du meilleur

compromis qualité/prix/localisation ponctuée de plusieurs étapes résidentielles. Ces études

ont peu examiné la place d’autres facteurs de choix résidentiels, ce qui laisse dans l’ombre

des facettes des trajectoires permettant de caractériser précisément la part de libre choix

dans la longue durée de résidence dans un quartier donné.

Ces constatations soulèvent plusieurs questions dans l’examen du corpus à l’étude, Saint-

Sauveur étant le quartier de Québec où la location d’un logement coûte le moins cher au

cœur du XXe siècle

180. Quels sont les déterminants à la base de la longue durée de résidence

des participants dans le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et 1980? Des membres du corpus

ont déménagé en dehors du quartier, mais la plupart y sont revenus après quelques années,

alors que dans le quartier comme ailleurs, une partie de la population migre entre divers

quartiers sans enracinement notable dans l’un ou l’autre. Comment s’expliquent ces

comportements? Quelles sont les motivations, les contraintes, les valeurs et les

représentations qui guident cette stabilité et ces retours dans le quartier Saint-Sauveur,

notamment en regard de l’exode résidentiel survenu après le second conflit mondial? Par

ailleurs, comment ont évolué les trajectoires professionnelles des participants et des

conjoints des participantes durant la période 1930-1980, sachant que les revenus des

ménages, provenant en grande partie des emplois occupés, influencent les trajectoires

résidentielles?

Maintien et déménagement dans le quartier Saint-Sauveur n’apparaissent pas seulement

répondre à des questions financières, mais bien à des combinaisons multiples de facteurs

associés tant au libre choix qu’à la contrainte. Parmi ces facteurs se retrouvent certes les

impératifs liés aux revenus du ménage, mais aussi la valorisation de la proximité des

commerces et services liée à la localisation du quartier dans la ville, celle de la présence de

relations de voisinage cordiales et le sentiment d’appartenance à la paroisse de résidence.

L’influence notable de certains facteurs contribue à faire en sorte que la plupart des

membres du corpus n’ont pas participé au mouvement d’exode résidentiel vers les

banlieues et les secteurs de la ville de Québec en développement. L’importance de la

180

En regard des données des recensements.

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paroisse dans les identités urbaines et dans la vie quotidienne des Québécois181

, soulignée

dans la production scientifique, nous a incité à porter une attention particulière à la place

qu’occupe la paroisse au sein des trajectoires résidentielles, c’est-à-dire non pas seulement

la mettre à profit comme cadre d’analyse spatial, mais également l’appréhender comme

facteur de maintien. L’analyse des trajectoires professionnelles permet de mieux

comprendre l’impact de la variable économique sur les trajectoires résidentielles. Cette

analyse rend compte plus largement de l’influence du statut socioéconomique sur

l’expérience du quartier et de la ville, influence sur laquelle nous revenons dans les

chapitres suivants.

La provenance des parents des participants, ainsi que leurs trajectoires résidentielles

jusqu’à leur naissance, ont laissé une empreinte sur la perception de l’enracinement dans le

quartier Saint-Sauveur de ces derniers et sur les valeurs guidant leurs choix résidentiels.

Nous nous y attardons donc au tout début de ce chapitre avant de présenter en détail les

étapes des trajectoires des participants eux-mêmes entre 1930 et 1980 ainsi que leurs

déterminants. Nous nous concentrons par la suite sur le phénomène de l’exode résidentiel

de l’après-guerre afin d’examiner le rapport que les participants ont eu à ce dernier ainsi

que les raisons expliquant pourquoi ils n’ont pas suivi le mouvement en joignant les rangs

de milliers d’autres résidants du quartier l’ayant quitté. La deuxième partie du chapitre est

consacrée à l’analyse des trajectoires professionnelles, aux facteurs contribuant à les

orienter ainsi qu’aux stratégies déployées pour bonifier les revenus du ménage.

2.1 Les trajectoires résidentielles

Entre 1930 et 1980, les membres du corpus ont occupé un ou plusieurs logement(s) et ont

habité dans une ou plusieurs paroisse(s) du quartier Saint-Sauveur de Québec. Certains ont

quitté le quartier momentanément pour un autre milieu de résidence, quelques-uns

définitivement. La plupart ont passé la majeure partie de leur vie dans le quartier sans

pourtant jouir d’un enracinement générationnel notable en regard des trajectoires de leurs

parents. Ils ont assisté au départ de la plupart de leurs frères et sœurs, de leurs propres

enfants et de plusieurs voisins connus de longue date vers les banlieues ou d’autres secteurs

181

Le cinquième chapitre est consacré à ces questions.

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de la ville de Québec, tout en étant restés en retrait de cette vague déferlant après le second

conflit mondial. Leurs parcours résidentiels s’expliquent par diverses combinaisons de

facteurs guidant les choix de rester ou de partir, ainsi que le lieu de destination. Ces

combinaisons sont configurées par les caractéristiques des étapes résidentielles vécues et

les possibilités et les préférences des ménages et n’apparaissent pas fondamentalement

bouleversées par l’éclosion de nouvelles valeurs et le développement de nouveaux

territoires associés au mouvement d’exode résidentiel.

2.1.1 La provenance des parents

Comme nous le mentionnions au chapitre précédent, la population du quartier Saint-

Sauveur s’accroît constamment après l’annexion du village à la ville de Québec en 1889,

atteignant plus de 40 000 habitants au recensement de 1941, un maximum historique. Cette

hausse s’explique tant par l’accroissement naturel interne que par les déménagements à

partir d’autres quartiers de Québec, des villages environnants ou encore d’autres régions de

la province. Ces diverses migrations sont perceptibles au sein de notre corpus. Seulement

quatre membres sur 30 ont deux parents natifs du quartier Saint-Sauveur182

. Six participants

n’en ont qu’un seul. Dans trois cas, il s’agit de la mère (#03, 04 et 17) et dans trois autres,

du père (#02, 07 et 22)183

. Les deux tiers du corpus, soit 20 membres, sont ainsi nés de

parents n’ayant pas vu le jour dans le quartier Saint-Sauveur. Les deux parents de 11

d’entre eux sont nés à l’extérieur de la ville de Québec. Les neuf autres ont au moins un de

leurs parents né dans un autre quartier de la ville (Saint-Roch, Saint-Jean-Baptiste,

Limoilou, Champlain)184

.

Les participants à notre enquête orale n’ont donc pas un enracinement générationnel

marqué dans le quartier Saint-Sauveur. Ils sont même pour la plupart les premiers de leur

182

Ces quatre participants (#09, 13, 25 et 27) sont tous natifs du quartier. Leurs parents y demeurèrent toute

leur vie. 183

Ces trois mères et ces trois pères y demeureront également jusqu’à leur décès. 184

Les provenances des parents nés à l’extérieur de la ville de Québec se regroupent en trois sous-ensembles.

Un premier touche les secteurs tout juste en dehors des limites de la ville, c’est-à-dire l’Ancienne-Lorette

(trois parents), Les Saules, Loretteville, Charlesbourg, Lévis, Saint-Grégoire-de-Montmorency et Cap-Rouge

(voir la carte à l’annexe 3). Un second groupe est originaire de diverses régions au sud et à l’est de Québec :

Lotbinière (deux parents), Thetford, Bellechasse, Charlevoix, Bas-Saint-Laurent (deux parents) et Gaspésie

(quatre parents). Le dernier sous-ensemble se situe à l’ouest de la région de Québec, soit un parent natif de la

Mauricie et trois, de Montréal.

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famille à y être nés. Les parents et/ou les grands-parents de quelques-uns y ont toutefois

habité pendant quelques années avant de le quitter. Ces séjours font en sorte que certains

participants considèrent que leur famille est présente dans le quartier depuis plusieurs

générations. Par exemple, une participante ayant vu le jour dans le quartier Saint-Sauveur,

de deux parents natifs de la périphérie de Québec, forme la troisième génération

consécutive de sa famille à habiter le quartier; elle estime ainsi être, selon ses propos,

« ancrée dans le quartier » (#28). Globalement, la durée de résidence cumulative des

familles de chaque participant dans le quartier Saint-Sauveur ou dans l’une de ses paroisses

n’est néanmoins pas un facteur significatif dans l’attachement au milieu de résidence ni un

critère influençant les choix résidentiels185

.

Les motifs mentionnés pour expliquer pourquoi des parents ont quitté leur milieu de

résidence, à divers âges, pour s’installer dans le quartier Saint-Sauveur sont la quête d’un

emploi mieux rémunéré ou celle d’un emploi tout court, l’abandon d’une terre aux

rendements faméliques en milieu de colonisation186

, le mariage et le manque d’espace dans

le logement occupé. Les trois premières circonstances évoquées lèvent en partie le voile sur

un statut socioéconomique modeste influençant les trajectoires résidentielles subséquentes,

qu’ont éventuellement connues les participants à partir de leur naissance. Le choix

spécifique du quartier Saint-Sauveur tient, pour sa part, à quatre facteurs témoignant du rôle

occupé par les réseaux familiaux dans les trajectoires résidentielles : le fait qu’un des deux

époux y demeure déjà, de même pour un membre de la famille dont la proximité est

souhaitée, des informations données par un contact personnel sur un logement à louer ou

une maison à vendre dans le quartier et la disponibilité d’un logement de la dimension ou

du loyer recherché(e).

2.1.2 Les parcours des membres du corpus

Le quartier Saint-Sauveur vit naître 20 des 30 membres du corpus. Parmi les dix étant nés

à l’extérieur de ses limites, une moitié provient de milieux urbains (Montréal ou Québec)

185

Pour les membres de familles présentes depuis plusieurs générations dans le quartier, l’ancienneté a pu fort

bien jouer un rôle plus important dans les trajectoires résidentielles. Nous n’avons pu, par contre, vérifier cette

hypothèse. 186

Dans les régions de Charlevoix (est de la région de Québec) et de la vallée de la rivière Matapédia

(Gaspésie).

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ou périurbain (Ancienne-Lorette); une autre est originaire de différentes régions du Québec

(Mauricie, Portneuf, Bellechasse, Bas-Saint-Laurent et Gaspésie). Sept de ces dix

participants ont passé par une ou des étape(s) résidentielle(s) intermédiaire(s) avant de

s’installer dans le quartier Saint-Sauveur. Le dernier logement occupé avant la venue dans

ce quartier était situé dans les quartiers Saint-Roch (trois cas) ou Limoilou, à Beauport, à

Sainte-Rita (Bas Saint-Laurent) et en Italie. Les trois autres sont passés directement de

l’Ancienne-Lorette, de Montréal et de la Gaspésie au quartier Saint-Sauveur. Comme nous

l’avons mentionné au chapitre précédent, ces dix participants se sont installés dans ce

dernier au cours des décennies 1930 (deux, #06 et 16), 1940 (deux, #19 et 20), 1950 (trois,

#15, 30, 31) et 1960 (trois, #10, 20, 21). Quatre y sont arrivés en compagnie de leurs

parents. La venue des six autres à Québec et/ou dans le quartier Saint-Sauveur s’explique

par divers facteurs : la quête d’un emploi, une réaffectation professionnelle, la recherche

d’un logement à proximité du travail, une opportunité résidentielle offerte par un parent,

des problèmes de santé ou le mariage.

Au cours de la période 1930-1980, le nombre d’étapes résidentielles des 30 membres du

corpus oscille entre une et 11. Douze participants comptent un ou des séjour(s) en dehors

du quartier, c’est-à-dire une, deux ou trois étape(s) à l’extérieur de ce dernier succédant à

une étape dans le quartier Saint-Sauveur et précédant un retour dans celui-ci. Trois autres,

tous natifs du quartier, s’établissent éventuellement en dehors de ce dernier de manière

définitive avant 1980. La durée de résidence des participants dans le quartier Saint-Sauveur

dissimule ainsi, telle l’eau vive sous la glace, plusieurs étapes résidentielles à l’intérieur du

quartier et dans d’autres secteurs de Québec. Comme l’illustre le tableau 2.1, le nombre de

logements occupés et de paroisses dans lesquelles les participants ont habité dans le

quartier Saint-Sauveur va d’un à neuf et d’une à quatre. Les trajectoires résidentielles ont

ainsi vogué entre stabilité et mouvement en fonction de l’espace considéré, que ce soit le

logement, la paroisse ou encore le quartier. Pour cette raison, il importe d’examiner les

facteurs de choix résidentiels pour dégager les mécanismes qui furent à l’œuvre, tant

matériels que symboliques.

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Tableau 2.1 – Nombre de logements occupés et de paroisses dans lesquelles les

participants ont résidé dans le quartier Saint-Sauveur, 1930-1980

Logement/

Paroisse 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Total

1 paroisse 6 2 2 1 11

2 paroisses 2 6 2 1 2 13

3 paroisses 1 3 1 5

4 paroisses 1 1

Total 6 4 7 7 3 2 0 0 1 30

Le corpus ne comprend qu’un participant (#07) n’ayant vécu au moment de l’entretien que

dans un seul logement depuis sa naissance. Cinq autres n’ont habité qu’un seul logement

dans le quartier Saint-Sauveur durant la période 1930-1980 (#17, 18, 29, 30, 32), dont

quatre après leur arrivée dans celui-ci ou avant leur départ définitif187

. Vingt-quatre

membres du corpus n’ont habité que dans une ou deux paroisse(s) du quartier entre 1930 et

1980. Vingt-et-un ont, quant à eux, occupé plus d’un logement dans une seule et même

paroisse durant la période. Des trajectoires de participants furent ponctuées de nombreuses

étapes dans une ou plusieurs paroisse(s): quatre ou cinq logements occupés dans une seule

paroisse, six logements dans deux paroisses ou encore neuf logements dans trois paroisses.

Au-delà d’une explication par un modèle de migration de proche en proche, selon lequel un

déménagement s’effectue dans les environs du précédent logement en fonction du désir de

préserver une certaine familiarité ou de stratégies de recherche mettant à profit les contacts

locaux188

, ces trajectoires particulières mettent en évidence le rôle clé joué par

l’environnement paroissial dans la définition des choix résidentiels. Nous y reviendrons en

traitant des facteurs de choix résidentiels dans la section suivante.

Près des deux tiers des participants ont vécu plus d’étapes résidentielles alors qu’ils

demeuraient avec leurs parents qu’après leur décohabitation, soit, rappelons-le, leur départ

187

La participante #17 a occupé un autre logement du quartier Saint-Sauveur avant 1930. Au moment de

l’entretien, elle avait habité dans le quartier toute sa vie. 188

Pierre CLICHE, Espace social et mobilité résidentielle, Québec, Presses de l’Université Laval, 1980, coll.

« Travaux du département de géographie de l’Université Laval », 4, p. 113-114.

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du domicile familial. Cette différence peut être associée à la baisse du nombre moyen

d’enfants par famille189

, qui a pu nécessiter moins de migrations pour le motif de la quête

d’espace, et au passage à la propriété, qui constitue la dernière étape résidentielle vécue

durant la période et souvent jusqu’au moment de l’entretien. Certains parcours illustrent

une forte mobilité résidentielle de jeunes hommes adultes, qui, sans attaches matrimoniales,

effectuent divers séjours en dehors de la ville de Québec à l’invitation de membres de leur

famille ou pour des raisons professionnelles, ou de jeunes femmes travaillant dans le

service domestique résidant. Neuf participants seulement ont habité uniquement dans le

quartier Saint-Sauveur durant la période étudiée. Les séjours en dehors du quartier, motivés

notamment par l’attrait de la banlieue, touchent 12 membres du corpus, comme en

témoigne le tableau 2.2.

Tableau 2.2 – Nombre de logements occupés par les membres du corpus dans le

quartier Saint-Sauveur et nombre d’étapes résidentielles en dehors de ce quartier,

1930-1980

Logement occupé dans le

quartier/ Étape résidentielle

en dehors du quartier

1 2 3 4 5 6 7 8 9 Total

Aucune étape 6 3 6 2 1 18

1 étape 1 2 1 2 6

2 étapes 1 1 1 3

3 étapes 2 1 3

Total 6 4 7 7 3 2 0 0 1 30

Parmi les 11 participants n’ayant habité que dans une seule paroisse du quartier, trois ont

connu un séjour en dehors du quartier (#05, 19, 28). Ils ont occupé respectivement deux,

cinq et quatre logements dans le quartier Saint-Sauveur et ont vécu une seule étape

résidentielle en dehors de celui-ci. Cinq des 13 participants ayant habité dans deux

paroisses ont connu, quant à eux, des séjours d’une à trois étapes (#03, 06, 13, 20, 27). Ces

derniers ont habité dans trois (#13) (deux étapes en dehors du quartier), quatre (#03 et 20)

189

Rappelons que les participants ont eu en moyenne 2,3 enfants, presque trois fois moins que leurs parents (6

en moyenne).

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(une et trois étapes extérieures) et six logements (#06 et 27) (une étape extérieure) du

quartier. Les séjours en dehors du quartier concernent ensuite trois des cinq participants

ayant habité dans trois paroisses (#01, 15, 24). Ils y ont réalisé deux ou trois étapes tout en

occupant également quatre (#15 et 24) (deux et trois étapes en dehors du quartier) ou neuf

(#01) logements (deux étapes extérieures). Finalement, la participante ayant résidé dans

cinq logements au sein de quatre paroisses du quartier Saint-Sauveur (#23) a également

demeuré, durant la période à l’étude, à l’extérieur du quartier, y réalisant trois étapes.

Quatre des dix participants nés en dehors du quartier Saint-Sauveur vivront un tel séjour

(#06, 15, 19, 20). Le corpus offre donc un spectre relativement large de trajectoires allant

de l’« immobilité résidentielle190

» dans un logement, une paroisse ou le quartier Saint-

Sauveur à des parcours ponctués de plusieurs déménagements à l’intérieur d’une paroisse,

du quartier, de la ville ou de l’agglomération de Québec ou à l’extérieur de celle-ci.

Nous avons vérifié les hypothèses selon lesquelles la période de la Crise des années 1930

aurait mené à des déménagements plus nombreux en raison des contraintes économiques

plus sévères pesant sur la capacité de payer le loyer du logement et la période de la Seconde

Guerre mondiale, à des déménagements moins nombreux dans le contexte d’incertitude de

la période 1939-1945; cette seconde hypothèse étant suggérée par des participantes. Dans le

premier cas, les trajectoires pour lesquelles nous disposons d’informations ne révèlent pas

une activité migratoire significativement différente, bien qu’un petit nombre de familles du

corpus déménagent deux ou trois fois entre 1930 et 1938191

. Baillargeon a constaté, dans

son étude sur le travail domestique des femmes montréalaises de milieux populaires lors de

la Crise, que cette période ne semble pas avoir eu d’ « effets dévastateurs » sur la vie des

familles aux conditions de vie déjà « difficiles192

». Il n’y a pas non plus de différence

significative au plan de l’activité migratoire dans notre corpus dans le cas du second conflit

mondial. On observe une stabilité dans le logement légèrement supérieure, les

déménagements étant, durant cette période, un peu moins nombreux dans l’ensemble par

190

Jean-Pierre LÉVY, « Parcours d’habitants », dans AUTHIER (dir.), op. cit., p. 21. 191

Une de ces familles (#12) acquiert une propriété durant ces années. Nous pouvons supposer que certains

ménages ayant été à l’abri des coups durs ont pu accéder au statut de propriétaire à des conditions favorables

en raison d’une baisse du prix des maisons. Choko mentionne que plusieurs propriétaires se sont montrés

conciliants envers leurs locataires et que de nombreux propriétaires ont dû vendre leur immeuble faute de

revenus d’emplois ou en raison de loyers impayés à Montréal durant la décennie 1930. La Crise a pour effet

de faire chuter la proportion de propriétaires de 15% à 11,5% dans cette ville. CHOKO, op. cit., p. 113-114. 192

BAILLARGEON (1991), op. cit., p. 233-234.

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rapport aux années précédentes et aux années qui suivent. Ces constats demeurent

cependant à approfondir par des recherches complémentaires, afin de bien saisir les

déterminants des mouvements résidentiels en milieu populaire durant ces deux périodes.

Par ailleurs, l’entrée dans la quarantaine correspond chez les participants, locataires

surtout, à une diminution des déménagements et donc à une durée plus longue des étapes

résidentielles193

. L’avancée en âge, souvent associée à un gain d’espace en raison du départ

des enfants, semble constituer un mobile de maintien dans le logement. Quelques

exceptions sont toutefois relevées. Le coût ou la qualité du logement occupé ou la quête de

meilleures conditions de logement suscitent encore des déménagements après quelques

années de résidence. La mort du mari entraîne, pour quelques participantes locataires, une

migration par désir de changer d’environnement ou par contrainte budgétaire (#02 par

exemple). Cet événement suscitera dans d’autres cas un maintien par désir de demeurer

dans un logement auquel sont reliés des souvenirs qui nous sont chers (#27 et 32) ou en

raison d’impératifs financiers produisant un effet inverse (#01).

Comme nous le mentionnions au premier chapitre, les membres du corpus ont habité, en

moyenne, pendant 35 ans et cinq mois dans le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et 1980.

Douze participants ont demeuré entre 40 et 50 ans dans le quartier durant la période. Ils ont

résidé en moyenne dans deux (1,9) paroisses du quartier, soit un nombre moyen

comparable à celui des 18 autres membres du corpus, qui sont demeurés dans le quartier 39

ans ou moins (1,8). De la même façon, on constate que ce groupe de 12 a occupé en

moyenne 4,6 logements contre 4,7 pour le reste du corpus. Cette seconde comparaison met

en lumière la présence d’étapes résidentielles de longue durée au sein de ce groupe. Les

membres du corpus ont néanmoins tous vécu une étape résidentielle d’une durée de plus de

dix ans. Des séjours de 20 ou 30 ans ne sont également pas exceptionnels. Ces cas de

longue durée de résidence dans le logement, tout comme les cas de longue durée de

résidence dans une paroisse ou dans le quartier Saint-Sauveur, ne sont pas atypiques du

portrait de la population de ce quartier ni de celui des milieux populaires à Québec et au

193

C’est aussi le cas des parents de ces derniers demeurant dans le quartier Saint-Sauveur. Une étude sur la

situation du logement à la fin des années 1970 dans le quartier Saint-Sauveur a également souligné ce fait.

Michel BÉDARD et al., La restauration domiciliaire du quartier St-Sauveur. Étude du marché du logement

et de la population-locataire de St-Sauveur, Québec, Centre de soutien à l’action et au développement

populaires, 1985, p. 198.

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Québec, comme en témoignent les données des recensements et diverses enquêtes en la

matière194

. Plusieurs membres du corpus, en parlant du voisinage, vantent les nombreux cas

de longs séjours dans un même logement ou dans une même paroisse dont ils ont été

témoins. Les deux témoignages qui suivent illustrent ces phénomènes.

Ça toujours été les mêmes voisins! (#12)

- En partie là, y n’a pas mal de monde qui sont restés dans paroisse, tsé Jean-

Louis ça fait longtemps.

- (L’épouse du participant intervient.) Jean-Louis, y est v’nu au monde icitte.

Simard195

, c’est v’nu au monde icitte196

. (#24)

Les relations de voisinage, que nous analysons plus en profondeur au quatrième chapitre,

sont influencées positivement par ces situations de stabilité, ce qui alimente l’appréciation

du milieu de résidence.

Les participants perçoivent de manière générale, pour la période précédant l’exode

résidentiel de l’après-guerre, la stabilité résidentielle comme étant la norme dans le quartier.

Cette perception, qui colore celle du changement survenant avec l’exode, ne semble pas

seulement nourrie par le voisinage ou la situation de membres de leur famille, mais aussi

par le discours des autorités religieuses paroissiales. Ces autorités veillent à l’élaboration et

au maintien d’un sentiment d’appartenance à la paroisse. Parmi les stratégies employées,

elles mettent de l’avant l’ancienneté de résidence de leurs ouailles, qui est une marque,

parmi d’autres, de l’attachement envers la paroisse197

. Le cas du journal paroissial de la

paroisse Saint-Sauveur offre un bon exemple de ces efforts. En 1950, alors que l’exode

résidentiel n’en est qu’à ses débuts, les rédacteurs de l’hebdomadaire L’Étincelle du Sacré-

Cœur présentent dans plusieurs numéros, non-successifs, au cours du printemps et de l’été

194

Citons par exemple, pour le quartier Saint-Sauveur et la ville de Québec, le rapport de la Commission

d’Enquête sur le Logement de la Cité de Québec (1962) et CLICHE et NAUD, op. cit.. Fortin fait état d’un

« enracinement » dans le quartier présent partout au Québec avant les années 1960. FORTIN et al., op. cit., p.

30. Une analyse des durées de résidence dans le logement des résidants du quartier Saint-Sauveur entre 1930

et 1980 à partir d’un échantillon des annuaires Marcotte, stratégie ayant été utilisée dans d’autres études

comme celle de Ross (1989) sur le quartier Saint-Roch, fut envisagée, mais considérant le temps requis pour

cette opération, nous avons décidé d’utiliser les données contextuelles publiées. 195

Les noms mentionnés dans ce passage sont fictifs. 196

Nous avons fait le choix de l’authenticité lorsque nous citons les propos des participants. Il ne faut surtout

pas y voir une forme de condescendance, mais plutôt une volonté de respecter le ton, le rythme et la couleur

des propos de ceux à qui nous avons donné la parole. 197

D’autres stratégies sont présentées au cinquième chapitre.

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une chronique intitulée « Nos vieux paroissiens », chronique vouée aux parcours de vie de

personnes ayant demeuré pendant plus de soixante années consécutives dans la paroisse

Saint-Sauveur et, à l’occasion, dans une autre paroisse du quartier198

. Le discours de ces

autorités ainsi que la promotion de telles trajectoires ont probablement eu un impact sur la

perception d’un milieu où on ne déménage pas, ou fort peu.

Pourtant, et les trajectoires de certains membres du corpus en témoignent, plusieurs

déménagements s’effectuent dans le quartier Saint-Sauveur après seulement quelques

années de séjour. Ces parcours résidentiels n’ont malgré tout pas été mis de l’avant par les

participants lorsqu’ils ont été invités à parler de la durée de résidence générale avant

l’exode résidentiel. Leur impression s’est nettement cristallisée autour de la stabilité, même

pour les participants dont les parcours résidentiels comptent le plus d’étapes. Il est probable

que l’impact émotif du déclin démographique du quartier associé au mouvement d’exode

résidentiel de l’après-guerre ait pu contribuer à produire des discours valorisant la stabilité,

ce qui laisse entrevoir une « patrimonialisation » de traits appréciés et dont la disparition est

perçue négativement199

. L’appréciation pouvant être exprimée par une longue durée de

résidence est également plus aisée à valoriser, selon nous, que des déménagements causés

par une contrainte quelconque. Il n’y a toutefois pas que ces éléments qui entrent en ligne

de compte dans les choix résidentiels des hommes et des femmes que nous avons

rencontrés.

2.1.3 Les facteurs de choix résidentiels

L’analyse des trajectoires résidentielles des membres du corpus entre 1930 et 1980 nous a

permis de dégager une nébuleuse de motifs de choix relatifs au maintien dans le logement,

la paroisse ou le quartier Saint-Sauveur, au déménagement et à la localisation du nouveau

lieu de résidence. Ces motifs, que nous plaçons sous le vocable de facteurs de choix

résidentiels, sont le statut résidentiel, la présence ou non d’un propriétaire occupant, la

cohabitation, la location d’un logement à un membre de la famille, les conditions de

198

Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de

Québec. Journal paroissial L’Étincelle du Sacré-Cœur, printemps et été 1950. 199

Voir, à ce sujet, la thèse de Céline VERGUET, « L’aménagement d’un quartier : Nice-Libération », thèse

de doctorat en anthropologie, Nice, Université de Nice-Sophia Antipolis, 2007.

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logement, les stratégies de recherche, la proximité des réseaux familiaux, des commerces et

services et du lieu de travail et finalement l’ensemble que forment la durée de résidence,

l’appréciation du milieu de résidence et l’appartenance à ce milieu. Ces facteurs matériels,

identitaires et reliés aux goûts et aux valeurs, que nous analysons dans les pages qui

suivent, ont contribué, selon des combinaisons propres à chaque ménage, à la stabilité

résidentielle globale des participants dans le quartier Saint-Sauveur.

2.1.3.1 Le statut résidentiel

L’un des déterminants notables des trajectoires résidentielles est le statut d’occupation.

Posséder son logement influence généralement la durée de résidence à la hausse ; le louer

laisse entrevoir un séjour plus court. L’une des raisons de cette différence réside, pour les

propriétaires, dans la capacité d’améliorer leurs conditions de logement sans déménager.

Les locataires, quant à eux, dépendent du bon vouloir des propriétaires en matière de

rénovation ou d’amélioration et de leur capacité d’en négocier les conditions suivant le

marché locatif et les relations tissées avec le propriétaire. Le corpus compte, à ce titre, des

exemples intéressants de locataires dont les longs séjours furent motivés par plusieurs

autres facteurs de choix résidentiels étudiés dans ce chapitre.

Dans le quartier Saint-Sauveur, posséder son logement est la réalité de seulement le quart

des ménages environ durant la période étudiée200

. La forte proportion de locataires dans le

quartier ressort fortement des représentations des résidants sur ce dernier. L’image que s’en

font plusieurs participants est aux couleurs de la location. Dans ce milieu où plusieurs chefs

de famille occupent des emplois manuels, qualifiés ou non, quelques-uns croient toutefois

en un quartier de propriétaires bâtisseurs.

La distribution des membres du corpus selon le statut résidentiel révèle, comme nous

l’avons vu au chapitre précédent, un portrait différent de celui de la population globale du

quartier. De leur naissance à leur départ du domicile familial, dix participants (le tiers du

200

La paroisse Notre-Dame-de-Pitié, en vertu du développement immobilier particulier ayant eu lieu sur le

territoire qu’elle occupe, déroge à cette proportion. Elle compte à ses débuts (1945) une majorité de

propriétaires, mais le pourcentage de locataires va grandissant au fil de la période et s’établit à 67% au

recensement de 1981. Les trois participants ayant demeuré dans cette paroisse durant la période 1930-1980

ont possédé le seul logement qu’ils y ont occupé (#24 et 30) ou le deuxième logement occupé dans cette

dernière (#31).

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corpus) vivent dans un ou des logement(s) loué(s), 12 dans un logement appartenant à leurs

parents201

et huit vivent le passage de la location à la propriété. Les deux tiers des familles

sont ou deviennent donc propriétaires. Après leur décohabitation, dix participants ont été

uniquement locataires202

. Deux autres étaient locataires, ont accédé pour quelques années

au statut de propriétaires et sont redevenus par la suite locataires (#01 et 19). Trois ont vécu

dans un logement appartenant à leurs parents et se sont portés acquéreurs de la propriété

familiale (#03, 05 et 07). Onze autres ont acquis une propriété, dont dix dans le quartier203

.

Enfin, trois participants n’ont jamais décohabité, c’est-à-dire qu’ils sont demeurés chez

leurs parents ; ces derniers étaient propriétaires (#12, 17 et 29). Une participante, à son

mariage, demeura avec son mari dans la maison possédée et occupée par les parents de ce

dernier (#30). Le statut de propriétaire de la maison revint éventuellement à ces quatre

participants. Plus de la moitié des membres du corpus ont ainsi possédé leur logement dans

le quartier. L’accès à la propriété des participants s’est souvent effectué dans des conditions

favorables, démontrant que ce passage n’est pas directement relié à une situation financière

significativement supérieure à celle des locataires. L’achat de la maison familiale à un coût

fort abordable pour les participants constitue un bon exemple de ces conditions204

.

Les participants ayant eu des parents propriétaires ou accédant à la propriété, de même que

ceux qui le furent à l’âge adulte, ont vécu entre 1930 et 1980 un nombre d’étapes

résidentielles moins élevé, ce qui rejoint les constats internationaux en la matière205

.

Certains membres du corpus, locataires comme propriétaires, ont témoigné d’une

conscience de cette mobilité différenciée dans leur voisinage. L’accession à un logement

dont on est propriétaire signifie, pour la très grande majorité des participants, la dernière

étape résidentielle dans le cadre de la période étudiée et parfois même de leurs parcours

jusqu’au moment de l’interview. Quelques-uns passeront du rez-de-chaussée à l’étage de

leur immeuble ou déménageront dans une autre propriété, mais pour la plupart, la propriété

les enracine durablement, jusqu’à ce que la perte d’autonomie oblige certains, dans les

201

Dont quatre qui demeuraient à cette époque de leur vie en milieu rural (#15, 19, 21, 31). Deux participants,

dont les familles s’établissent en ville, passent d’un statut de propriétaires à un statut de locataires (#20 et 30). 202

Dont deux participantes qui demeurent locataires en s’établissant définitivement hors du quartier Saint-

Sauveur (#18 et 32). 203

Un participant devient propriétaire en s’établissant définitivement hors du quartier Saint-Sauveur (#22). 204

Aucun cas de don en situation d’héritage n’a été relevé. 205

DIELEMAN, loc. cit., p. 250.

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années 2000 essentiellement, à intégrer un logement adapté ou une résidence pour

personnes âgées.

Les locataires occupent en moyenne un nombre plus élevé de logements. Certaines

trajectoires de locataires démontrent néanmoins un enracinement similaire et ne sont

ponctuées que d’un nombre limité d’étapes. Deux participantes, par exemple, ayant

toujours été locataires, ont occupé trois ou quatre logements seulement entre 1930 et 1980,

des étapes atteignant plus de 30 ans (#02 et 16). Leurs parcours illustrent le potentiel

stabilisateur, abordé dans les pages qui suivent, de l’appréciation des conditions de

logement et de la localisation de celui-ci, ou encore de la présence dans son immeuble d’un

membre de la famille ou du propriétaire, qui en fait parfois partie lui-même.

2.1.3.2 La présence d’un propriétaire occupant

Les propriétaires occupant un logement dans leur immeuble pendant une période de temps

relativement longue apparaissent être, en effet, un facteur de stabilité résidentielle chez

certains de leurs locataires. Les exemples vécus et rapportés par les membres du corpus

témoignent en effet d’une certaine dynamique, soutenue par une des caractéristiques

dominantes du tissu bâti du quartier Saint-Sauveur.

Le quartier recèle plusieurs maisons unifamiliales mitoyennes aux toits à deux versants

droits ou mansardés, dont le style démontre l’influence de l’architecture rurale québécoise.

Un grand nombre de ces maisons furent adaptées à partir du début du XXe siècle afin d’y

ajouter un ou quelques logement(s) supplémentaire(s)206

. Elles côtoient des immeubles à

logements multiples. Le tissu bâti du quartier, s’il se caractérise par sa densité, ne se

démarque pas par sa hauteur et la plupart des immeubles résidentiels ont deux ou trois

étages, comme on peut le voir sur la figure 2.1, qui reflète le tissu bâti de l’époque207

. En la

matière, Saint-Sauveur est comparable au quartier Saint-Roch ou encore au secteur du

Vieux-Limoilou à Québec.

206

Comme le constatent Després et Larochelle pour le quartier Limoilou. Carole DESPRÉS et Pierre

LAROCHELLE, « Habiter Limoilou. Un art de vivre », Cap-aux-Diamants, (1996, numéro hors-série

Limoilou un siècle d’histoire), p. 40. 207

Les figures 1.1, 3.1, 3.3 et 4.2 donnent aussi un aperçu du tissu bâti du quartier.

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Figure 2.1 – Rue Christophe-Colomb Ouest, 2011

Auteure : Émilie Lapierre Pintal.

Une caractéristique courante, soit l’occupation par le propriétaire du logement ou d’un des

logements du rez-de-chaussée, se dégage des étapes résidentielles des membres du corpus

marquées par la présence dans l’immeuble de ce dernier. C’est aussi le cas pour leurs

parents, leurs frères et sœurs, des membres de leur famille et leurs voisins. Ce type

d’occupation fut observé ailleurs à Québec, dans le Vieux-Limoilou par exemple208

. Des

participants passant du statut de locataire à celui de propriétaire s’installent au rez-de-

chaussée de leur nouvel immeuble (#03, 04, 05, 08, 09, 23, 28). Cela peut s’expliquer par le

fait que le logement du rez-de-chaussée est bien souvent, dans le cas des maisons

unifamiliales traditionnelles, le plus spacieux de l’immeuble. Son ouverture sur le trottoir et

la rue lui procure une place de choix dans un quartier où les relations de voisinage se

développent essentiellement à l’extérieur du domicile, comme nous le verrons au quatrième

208

DESPRÉS et LAROCHELLE, loc. cit., p. 43.

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chapitre. De plus, l’entretien du trottoir, des allées et de la cour, ainsi que l’usage de cette

dernière, en sont facilités.

La prédominance d’immeubles de deux ou trois étages au nombre de logements limité,

souvent un seul par étage, favorise la personnalisation du rapport entre les propriétaires et

les locataires de l’immeuble où ils résident. Outre le bâti favorisant des relations

personnalisées, notons la relative homogénéité socioéconomique du quartier, qui fait en

sorte que les propriétaires n’ont pas un niveau de vie nécessairement supérieur à celui de

leurs locataires. L’entretien de l’immeuble, auquel procède le propriétaire dans la mesure

de ses moyens, contribue de plus à la satisfaction du locataire vis-à-vis le logement occupé.

Forgées dans la proximité et le côtoiement quotidien, les relations nourrissent l’attachement

au milieu de résidence et contribuent à la stabilité résidentielle.

Plusieurs participants locataires ont fait état de bonnes relations avec leurs propriétaires

dans les cas où ils demeuraient dans le même immeuble, tout comme l’inverse, quoique

dans le deuxième cas, une volonté de montrer qu’ils étaient de bons propriétaires a pu

motiver ces déclarations. Les locataires n’ont témoigné que dans de rares cas de difficultés

avec ces propriétaires habitant le même immeuble qu’eux. Leur désir de mettre en valeur

leur combativité et leur ténacité face à d’autres types de problèmes nous permet de

supposer qu’ils auraient mentionné sans gêne les diverses difficultés rencontrées avec ces

propriétaires. Il demeure que la relation entre le locataire et le propriétaire fut vécue

différemment par chaque ménage et que des problèmes avec ce dernier furent sans doute la

cause de déménagements de ménages habitant dans le quartier.

2.1.3.3 La cohabitation

Un geste associé à première vue à de la solidarité, la cohabitation, eut néanmoins une

certaine incidence sur les parcours résidentiels des membres du corpus. Ce mode

d’habitation se présente sous différents visages : l’hébergement de parents ou de membres

de la famille, la cohabitation d’un individu adulte, d’un couple ou d’une famille avec ses

parents ou les parents de l’un des deux membres du couple, la cohabitation de frères et de

sœurs et la cohabitation de plusieurs individus adultes, couples ou familles, apparentés ou

non, dans un même logement. Aucun membre du corpus n’a vécu cette dernière situation.

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En fait, un seul de ces cas fut mentionné par les participants, trois familles partageant un

même logement dans la paroisse Saint-Malo, logement voisin du domicile de l’épouse d’un

participant (#24), alors qu’elle était adolescente. Par contre, le tiers des membres du corpus

ou de leurs parents, si les participants vivaient avec eux à ce moment, de statuts

socioéconomiques variés, hébergèrent un membre de leur famille ou un collègue de travail

à différents moments de la période étudiée. Les motifs cités sont la maladie, l’âge avancé,

le chômage ou des difficultés familiales. Avant que l’exode de l’après-guerre ne dilue des

réseaux familiaux jusqu’alors relativement concentrés, l’assistance à une mère, un oncle ou

encore à une nièce implique rarement pour cette personne un changement de quartier, car

dans bon nombre de cas elle demeure déjà dans les environs. Ces épisodes sont

relativement de courte durée, la personne retournant éventuellement chez elle, se trouvant

un nouveau logement ou s’éteignant.

Il en va de même pour la cohabitation de frères et sœurs, réalisée, en ce qui concerne les

membres du corpus, en cas de nouvelle installation en ville ou de difficultés temporaires.

Après quelques mois ou quelques années, cette cohabitation, permettant notamment de

contrer l’isolement dans un milieu inconnu, cesse, chacun partant de son côté ou la

personne hébergée quittant pour occuper seule un logement.

La cohabitation d’un individu adulte, d’un couple ou d’une famille avec ses parents ou les

parents d’un des deux membres du couple se réalise aussi par solidarité familiale et

financière. Aucun cas, contrairement à ce qu’on pouvait s’attendre, n’apparaît être relié à la

crise du logement qui afflige la ville de Québec durant les années 1930 et 1940. Ce type de

cohabitation a, dans certains cas, un impact sur les choix résidentiels postérieurs. Vivre

avec un de ses enfants majeurs, ou accueillir un couple venant de convoler en justes noces à

court, moyen ou long terme, tend à créer deux réactions diamétralement opposées. En

habitant pendant quelques mois ou quelques années de plus chez ses parents, l’individu ou

un des membres du couple devient encore plus familier avec son milieu de résidence, qui

peut ainsi exercer un attrait considérable au moment de la décohabitation209

. Par exemple,

une participante, native de la paroisse Saint-Malo, demeurera chez ses parents avec son

209

Il aurait très bien pu en être de même avec la cohabitation de frères et sœurs, mais ce n’est pas le cas des

deux expériences en la matière vécues par les membres du corpus (#27 et 31). Le choix du lieu de résidence

suivant la cohabitation ne prend pas en compte dans ces deux situations la variable de la familiarisation.

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époux, puis son premier enfant (#01)210

. Lors de leur départ, ils s’installeront dans un

logement à proximité par désir de demeurer dans cette paroisse. Il est fort probable, par

contre, que cette situation attisa dans d’autres cas la lassitude et motiva un départ vers un

milieu différent. Notre corpus est toutefois exempt de ces réactions. Ce type de cohabitation

peut contribuer ainsi, d’une façon ou d’une autre, à déterminer le choix du prochain lieu de

résidence et à appuyer ou à supprimer la stabilité résidentielle dans la paroisse et le quartier.

Dans une étude réalisée en 1984 sur les sociabilités québécoises à partir d’une analyse du

cas de la ville de Québec, Fortin soutenait qu’à ce moment, la cohabitation

intergénérationnelle était « rare ». Elle faisait l’hypothèse que la cohabitation dans le même

immeuble avait remplacé ce phénomène211

. Les expériences des participants démontrent en

effet qu’au fil des années, les cas d’hébergement de parents et de membres de la famille

dans son logement diminuèrent, en partie en raison du développement du réseau

d’institutions d’accueil et de prise en charge des aînés malades ou en perte d’autonomie. De

la même façon, si on compte sept cas de cohabitation des participants avec les parents d’un

des deux membres du couple à la suite de son mariage, on n’en compte aucun mettant en

scène des participants et un de leurs enfants avec son nouveau mari ou sa nouvelle épouse.

Un plus grand individualisme et/ou de meilleurs moyens financiers font en sorte que ces

enfants vont dès lors occuper un nouveau logement. Les propriétaires de ces logements sont

par contre parfois bien connus.

2.1.3.4 La location d’un logement à un membre de la famille

Neuf membres du corpus, propriétaires, ont en effet loué un logement à un ou à plusieurs

de leurs enfants lors des années 1960 et 1970. La location d’un logement à un membre de la

famille n’apparaît par contre pas seulement à cette époque. Elle est présente dès le début de

la période 1930-1980 et même avant; des grands-parents de participants louant, par

exemple, aux parents des participants ou encore à leurs oncles et tantes, puis des parents de

participants louant un logement aux participants eux-mêmes. Des propriétaires n’ont

210

Les sept cas de cohabitation du couple au mariage se font pour cinq d’entre eux avec les parents de

l’épouse et dans deux cas avec ceux de l’époux. Baillargeon, pour sa part, a observé une majorité de cas de

patrilocalité dans son étude portant sur Montréal dans les années 1930. BAILLARGEON (1991), op. cit., p.

94. 211

FORTIN et al., op. cit., p. 195-196.

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d’autre choix que de louer à des gens de leur connaissance, frère, sœur, cousin, tante ou

encore belle-sœur, puisque l’exiguïté de leur immeuble requiert le partage de la même

entrée. De la même manière que pour le « modèle » du propriétaire occupant, les locataires

de ces immeubles familiaux occupent surtout les logements des étages supérieurs. Certains

de ces locataires et des voisins se connaissent parce qu’ils se sont croisés régulièrement au

fil des ans. Ce phénomène de location d’un logement à un membre de la famille accentue

ainsi le caractère familier du voisinage.

Des locataires demeurent seulement quelques années dans un tel logement avant de le

quitter; d’autres y restent jusqu’au moment où ils achètent l’immeuble et se déplacent, le

cas échéant, vers le rez-de-chaussée. Ces situations de location permettent à des gens de

demeurer dans le même ensemble immeuble-paroisse-quartier, à des personnes ou à des

familles de vivre dans l’environnement immédiat de leurs réseaux familiaux et à d’autres de

demeurer dans le même secteur malgré le déménagement étant donné la proximité

fréquente de membres d’une même famille jusqu’aux années 1950 environ. Ce phénomène

peut influencer les choix résidentiels subséquents de la même manière que la cohabitation.

La proximité des réseaux familiaux, d’une grande utilité en cas de difficultés diverses et

notamment économiques, est parfois préférée par les participants à d’autres facteurs dans la

décision d’opter pour un logement au détriment d’un autre. Cette proximité a sans doute,

dans d’autres cas, été rejetée et a conduit à un déménagement dans un secteur où aucun

membre de la famille n’habitait. Louer un logement appartenant à un membre de sa famille

prédispose, par ailleurs, de longs séjours. Une des deux participantes locataires comptant un

nombre limité d’étapes résidentielles a notamment loué un tel logement (#02). Il fut plus

aisé pour elle de réclamer et d’obtenir des rénovations ou des améliorations, ce qui est loin

d’être le cas pour la majorité des locataires vivant dans le quartier Saint-Sauveur.

2.1.3.5 Les conditions de logement

L’insatisfaction quant aux conditions de logement représente une raison de déménagement

fréquemment mentionnée par les participants. Les moyens financiers disponibles

constituent par contre un facteur de stabilité contrainte dans les secteurs de la ville où les

loyers sont les moins chers et les logements, souvent de qualité discutable. L’éventail des

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possibilités résidentielles est largement déterminé par le revenu qui peut y être consacré.

Des ménages se retrouvent ainsi contraints de demeurer dans un logement qui leur convient

peu ou pas. D’autres facteurs peuvent néanmoins contribuer à pallier les inconvénients des

conditions de logement et susciter le maintien dans ce dernier, un maintien synonyme de

compromis.

Un peu délabré, comptant plusieurs taudis, tels sont quelques-uns des mots utilisés par les

membres du corpus pour décrire le quartier Saint-Sauveur durant la période 1930-1980. Ils

n’ont pas tort. La Commission d’enquête sur le Logement de la Cité de Québec, dirigée par

Jean-Marie Martin au tournant des années 1960, classe le quartier Saint-Sauveur comme

zone « […] plus ou moins impropr[e] […] à l’habitat humain212

» en raison, notamment, du

nombre élevé de logements nécessitant des rénovations ou des réaménagements et de la

grande densité du tissu bâti. Ces constats se retrouvent également dans d’autres études

antérieures, comme celle de Denault, qui écrit en 1945 qu’une ceinture de taudis enserre le

cap Diamant depuis les secteurs près du fleuve jusqu’au quartier Saint-Sauveur213

. La

figure 2.2 offre un exemple d’une propriété délabrée dans le quartier Saint-Sauveur en

1943.

212

Jean-Marie MARTIN (dir.), Le Logement à Québec. Volume III – Les conditions d’habitation et la qualité

des logements. Rapport de la Commission d’enquête sur le Logement de la Cité de Québec, Québec, Ville de

Québec, 1962, p. 173. 213

DENAULT, op. cit., p. 31.

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Figure 2.2 – Taudis habité sur la rue Sherbrooke, 19 novembre 1943

Le terme « taudis » respecte l’intitulé de la figure aux Archives de la Ville de Québec. Source : Archives de la

Ville de Québec; série Sécurité publique du fonds de la Ville de Québec; négatif N002128. Auteur : Service

de police de la Ville de Québec.

En 1951, selon les données du recensement, le loyer mensuel médian dans le quartier

Saint-Sauveur est de 25$, ce qui en fait le quartier le moins cher en ville214

. Ce titre lui

convient encore en 1981. Notons également qu’en 1959, près de la moitié (48,8%) des

immeubles du quartier Saint-Sauveur datent des trois premières décennies du XXe siècle et

20,6%, d’avant 1901215

. Certains secteurs de l’ouest du quartier offrent des logements plus

récents. C’est le cas de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié. La petitesse et le dénuement des

maisons construites par la Wartime Housing dans cette dernière sont toutefois notoires. Un

214

Rappelons que les recensements précédents n’offrent pas une ventilation par secteurs de recensement. On

peut toutefois supposer que le quartier Saint-Sauveur était aussi durant les années 1930 et 1940 l’un des moins

chers à Québec. 215

MARTIN (dir.) (volume III), op. cit., p. 256.

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participant en parle en ces termes : « Mon Dieu c’tait fait un brin sur rien. Les armoires,

c’tait des rideaux. C’tait des rideaux! » (#24) Entre 1930 et 1980, les petites dimensions des

logements habités dans le quartier Saint-Sauveur, comme dans d’autres quartiers populaires

de Québec, sont le lot de presque la totalité des membres du corpus, qu’ils soient locataires

ou propriétaires. Il en va de même pour les dimensions de la cour arrière, parfois occupée

par un atelier ou un bâtiment quelconque, ce qui réduit d’autant la surface utilisable comme

aire de repos et de divertissement à l’extérieur. « On vivait dans des p’tits log’ments vous

savez, on était collés un su l’autre. » (#30) Cette participante, dont la déclaration porte sur

l’évaluation de son séjour dans la paroisse Saint-Roch, résume bien ce que bon nombre de

membres du corpus ont vécu dans le quartier Saint-Sauveur. La petitesse des pièces et des

logements s’accompagne en effet d’une forte densité de population, accentuée par la

présence de familles nombreuses. Les données du recensement nous apprennent qu’en

1951, 34% des logements du quartier Saint-Sauveur sont occupés par deux ou trois

personnes, 30%, par quatre ou cinq personnes, et 33%, par six personnes ou plus. La

moyenne de pièces par logement est alors de 4,7216

.

Le rapport entre le nombre de personnes du ménage et le nombre de chambres à coucher

du logement n’est généralement pas favorable aux occupants, comme le mentionne une

participante : « Dans c’temps-là là, on habitait, quand même qu’on avait pas toutes nos

chambres, c’tait pas la mode là, c’tait la mode pour les personnes, les gens riches là. Les

gens d’la classe ouvrière là, on s’couchait plus que deux par chambre. Hein? Pis c’tait

comme ça, on était heureux comme ça. » (#12) Certains ménages du corpus disposent de

deux chambres à coucher pour neuf personnes (#08) ou encore de trois chambres pour dix

(#32). La plupart ont connu une situation légèrement plus favorable. Il fut néanmoins

nécessaire de partager sa chambre, ce que la grande majorité des participants et un nombre

important de leurs enfants ont vécu dans leur jeunesse. Plusieurs enfants dorment dans une

même pièce, parfois trois par lit. Des espaces comme le grenier ou le salon sont aussi

parfois convertis en chambre à coucher. Très tôt dans leur vie, les résidants du quartier

Saint-Sauveur sont ainsi confrontés à l’exiguïté et à l’entassement. Ce dernier se vit

également à l’extérieur du logement.

216

Elle est de 5,2 pour la ville de Québec.

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Dans ce quartier enserré entre le coteau Sainte-Geneviève et la rivière Saint-Charles, le

tissu bâti est dense217

; les espaces verts, rares. Cette densité, déjà notable dans les années

1930, s’accroît en raison de l’augmentation de la population, ce dont sont témoins et

acteurs quelques participants et parents de participants. Des propriétaires de maisons à toits

à deux versants droits ou à toit mansardé procèdent à des aménagements permettant l’ajout

d’un ou de deux étage(s), l’immeuble prenant alors des allures de prisme rectangulaire à

angles droits comprenant un ou plusieurs logement(s) supplémentaire(s). D’autres

propriétaires construisent des immeubles sur les rares lots vacants, subdivisent de grands

logements et/ou transforment des hangars en logements de fond de cour218

. Le quartier

garde néanmoins son profil moyen de hauteur, car de grands immeubles multirésidentiels

n’y sont pas élevés.

Le manque d’espace à l’intérieur et à l’extérieur du logement est perçu par les participants

comme étant généralisé dans le quartier Saint-Sauveur et dans les autres quartiers

populaires de Québec. La quête d’un logement plus spacieux est néanmoins un motif de

déménagement répandu, surtout à la naissance d’un nouvel enfant, tout comme celle d’un

logement de meilleure qualité, notamment en matière d’isolation et de chauffage. En

fonction des moyens financiers et des préférences des participants, ces quêtes produisent

surtout des migrations dans le quartier Saint-Sauveur. Certains membres du corpus sont

contraints de demeurer dans les secteurs où les logements sont les moins chers, menant à

des étapes dans un ou des logement(s) du quartier Saint-Sauveur ou d’autres quartiers

populaires dont ils ne sont pas satisfaits. Ils correspondent aux portraits définis par Cliche

et Naud dans leur étude du « Croissant de pauvreté » de Québec, territoire où se trouvent

des logements de qualité variable aux loyers peu élevés et une population de statut

socioéconomique modeste qui en est relativement prisonnière219

.

Pour d’autres participants, le départ vers un autre quartier n’est tout simplement pas

souhaité. Certains, disposant ou non de revenus permettant d’aspirer à de meilleures

conditions de logements, s’attachent véritablement au capharnaüm de ce milieu vivant,

217

Voir la figure 2.1. 218

Une participante (#01) a notamment habité un tel logement de fond de cour avec son mari et ses quatre

enfants dans la paroisse Saint-Joseph durant les années 1960. Elle n’y est demeurée qu’un an en raison de

l’humidité et du manque de lumière. 219

CLICHE et NAUD, op. cit. p. 70-71.

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densément peuplé, et ne désirent pas le quitter. L’implication dans la vie communautaire

locale et/ou un sentiment d’appartenance à la paroisse de résidence orientent aussi les

migrations. Certains, locataires comme propriétaires, demeurent même longtemps dans leur

logement en dépit de conditions plus ou moins adéquates. Par exemple, une participante

propriétaire demeurant dans un logement aux dimensions très restreintes de la paroisse

Saint-Sauveur depuis 1950 et encore sur place au moment de l’entretien n’a jamais désiré le

quitter en raison de la proximité de l’artère commerciale Saint-Vallier et de son bénévolat

au sein des organisations paroissiales, dont les activités se déroulent tout près de chez elle

(#26).

Moins répandu dans le corpus est le souhait de dénicher un logement dans un secteur

moins dense. Par contre, les occupants de logements dans de tels secteurs, comme à Notre-

Dame-de-Pitié ou le long de la rivière Saint-Charles dans la paroisse Sacré-Cœur, sont

conscients de leur situation enviable et cette dernière constitue un motif de stabilité

résidentielle. Le désir d’occuper un logement dans un secteur de faible densité constituera

pour d’autres résidants du quartier Saint-Sauveur une des raisons du départ vers les

banlieues.

Les trajectoires résidentielles des membres du corpus montrent qu’ils ont généralement

amélioré leurs conditions de logement au fil de la période 1930-1980. Cette amélioration

diffère toutefois en fonction de leur statut résidentiel. Les propriétaires ne peuvent obtenir

un gain d’espace ou de meilleures conditions matérielles qu’au prix de rénovations ou

d’une vente, alors que les locataires apparaissent pouvoir répondre à ces désirs de manière

plus souple en demandant des aménagements à leurs propriétaires et en ne renouvelant pas

leur bail si nécessaire. Des locataires ont ainsi habité, à partir des années 1970, des

logements plus modernes que ceux de participants propriétaires en termes, par exemple, de

la présence d’équipements comme une baignoire ou une douche. Ces logements sont aussi

plus spacieux, les gains en la matière étant produits par leurs migrations successives. La

décohabitation des enfants permet également d’avoir plus d’espace. À ce sujet, la baisse du

nombre d’enfants par famille a facilité la tâche aux participants qui sont devenus parents,

car ils sont susceptibles d’avoir eu plus de facilité à trouver un logement aux dimensions

jugées convenables dans le quartier.

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L’évolution du confort domestique après le second conflit mondial a nécessité des travaux

d’adaptation dans un grand nombre de logements du quartier afin, notamment, que les

ménages puissent y installer un réfrigérateur ou un lave-linge. Ces travaux ont justifié chez

plusieurs participants locataires le maintien dans leur logement. La réaction face aux

diverses améliorations, particulièrement celle des mères de famille à la maison, est à la

hauteur du gain en termes de confort et de facilitation des tâches, comme en témoignent ces

deux participants :

Moi j’avais posé une tink220

à eau chaude au troisième, pis une douche là pis là,

c’tait comme une fête pour eux autres là. (#09)

Et quand on est arrivés sur l’av’nue Parent là, hey221

. C’tait l’grand luxe. L’eau

chaude (dit lentement). Hey maman là. Ah… Était tell’ment contente. Avoir

d’l’eau chaude là […]. (#25)

Jusqu’aux années 1950, la présence de baignoires et de douches dans les logements du

quartier Saint-Sauveur n’est pas chose courante. Les données du recensement de 1951

révèlent que 43,4% des logements du quartier sont équipés d’une baignoire ou d’une

douche à usage exclusif. Ce pourcentage s’établit à 74,6% 20 ans plus tard222

. L’isolation,

le chauffage, le changement des couvre-planchers et la plomberie sont les principaux autres

domaines d’amélioration. Le défi posé par plusieurs logements exigus, de même que

l’avancée en âge des propriétaires et leurs capacités financières parfois limitées paraissent,

par contre, être un frein à l’entretien et à l’amélioration des bâtiments et des logements. Les

mauvaises conditions de logement et l’immobilisme ou l’incapacité des propriétaires à

effectuer les rénovations souhaitées ou nécessaires conduisent des participants locataires à

envisager, par un calcul coûts-bénéfices, l’éventualité d’un déménagement. Des résidants

du quartier Saint-Sauveur dans cette situation quittent le quartier, alimentant ainsi le

mouvement d’exode résidentiel vers les banlieues et les secteurs de la ville en

développement. Les départs du quartier et du logement ne sont néanmoins pas réalisés par

tous les ménages en raison de leurs revenus et/ou de leurs préférences résidentielles.

220

Réservoir. L’action se situe en 1976. 221

Ils s’y établissent en 1958. 222

Par comparaison, pour les mêmes années, les proportions pour la ville de Québec sont de 73,1% et de

89,8%, ce qui illustre le retard du quartier Saint-Sauveur en la matière. L’écart est coupé tout de même de

moitié en 20 ans.

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2.1.3.6 Les stratégies de recherche d’un nouveau logement

Les principaux moyens par lesquels les membres du corpus et leurs parents, lorsque les

participants demeuraient avec eux, ont procédé à la recherche d’un logement furent la mise

à profit des contacts personnels et la tournée des environs afin de dénicher des affiches

informant des opportunités. Ces stratégies ont influencé la localisation du nouveau lieu de

résidence. Elles ont contribué à la longue durée de résidence des membres du corpus dans

le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et 1980.

Les informations glanées auprès des contacts familiaux, qui peuvent être au fait des

disponibilités dans leurs secteurs, contribuent à créer des migrations de courte distance. En

effet, les réseaux familiaux des participants natifs du quartier Saint-Sauveur ou qui y sont

arrivés en bas âge s’avèrent être localisés en bonne partie dans le quartier Saint-Sauveur et

ses environs immédiats jusqu’aux années 1950, ce qui correspond aux constats de la

production scientifique sur les stratégies familiales et les sociabilités dans les milieux

populaires urbains nord-américains et européens223

. Par la suite, le mouvement d’exode

résidentiel entraîne une dispersion d’une partie de ces réseaux, surtout les personnes de leur

génération, soit frères, sœurs, cousins, etc. Dans la plupart des cas connus de notre corpus,

les parents des participants ont demeuré dans le quartier jusqu’à leur décès. Il en va de

même pour des oncles et des tantes. De la sorte, plus de la moitié des personnes que nous

avons rencontrées ont résidé dans une paroisse du quartier où vécut à la même période un

membre de leur famille, proche ou élargie. Plusieurs autres membres de la famille habitent

aussi dans d’autres paroisses du quartier ou dans un espace limitrophe (quartiers Saint-

Roch, Saint-Jean-Baptiste et Limoilou, municipalité de Québec-Ouest224

, etc.). On

remarque, pour les familles des participants qui s’établissent pour une première fois en ville

et dans le quartier Saint-Sauveur durant la période, que les membres se déploient à

proximité du lieu d’implantation. Ce déploiement semble s’expliquer par un désir de

proximité, rassurante en regard de l’arrivée récente dans la ville, et par le fait qu’il facilite

l’entraide.

223

Voir, par exemple, pour le Québec, BAILLARGEON (1990, 1991), op. cit.; FORTIN et al., op. cit. Pour

les États-Unis, voir, entre autres, HAREVEN, op. cit.; GANS, op. cit. Pour le cas britannique en Europe, voir

notamment les études de ROBERTS (1984), op. cit., et de YOUNG et WILLMOTT, op. cit. 224

Devenant Ville-Vanier en 1966.

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On observe également que les quelques cas de déménagements réalisés à partir d’une

information donnée par un collègue de travail durant la période 1930-1980 s’effectuèrent

dans le quartier. Ces réseaux professionnels sont pourtant plus étendus dans l’espace urbain

que leurs pendants familiaux. Ces trajectoires précises montrent, encore une fois, que les

processus décisionnels sont le fruit d’une conjugaison de facteurs de choix du lieu de

résidence et que dans le cas de plusieurs membres du corpus, une volonté de demeurer dans

le quartier était manifeste en raison de la proximité des membres de la famille ou encore

des loyers plus bas que ceux d’autres quartiers de la ville.

Dans un petit nombre de familles de participants, la mère était en charge de chercher un

nouveau logement. Ces femmes, ne pouvant compter la plupart du temps sur des collègues

de travail, se concentrèrent davantage sur les membres de leur famille, sans qu’elles, et les

maris dans les autres cas, ne s’y limitent exclusivement. Comme il en sera question dans le

quatrième chapitre, le quartier Saint-Sauveur est un milieu caractérisé par des sociabilités

denses. Se renseigner sur des possibilités résidentielles auprès d’un voisin, d’un épicier ou

d’un collègue de l’association paroissiale à laquelle on appartient fait ainsi partie de

l’éventail des stratégies de recherche. L’étendue des réseaux de ces personnes étant

similaire à celle des participants, les opportunités recueillies n’amènent pas ces derniers,

sauf exception, à un éloignement significatif du point d’origine.

La tournée des environs, quant à elle, se conjugue au verbe marcher. Ce mode de

déplacement largement utilisé et les représentations qui en résultent forgent plusieurs pans

de la culture urbaine en milieu populaire dans ce quartier, comme nous le verrons dans les

chapitres suivants, et les facteurs de choix résidentiels n’y font pas exception. La

promenade à pied délimite une aire de recherche qui, en vertu de la densité du tissu bâti du

milieu, est circonscrite la plupart du temps à la paroisse de résidence et aux paroisses

voisines.

2.1.3.7 La proximité des réseaux familiaux, des commerces et services et du lieu de

travail

La volonté de demeurer près de membres de sa famille, près des commerces et services

fréquentés, près d’une concentration de commerces et services ou encore près du lieu de

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travail peut s’ajouter ou non, en fonction des préférences de chacun, aux autres critères de

recherche d’un nouveau logement (loyer, nombre de pièces, équipements, etc.). Le poids de

cette proximité est égal et parfois supérieur à ces autres critères dans le processus

décisionnel. Obtenue, la proximité est un élément de stabilité. Le rapport à la proximité, de

même que le rapport à l’accessibilité physique des lieux fréquentés, orientent

significativement ce facteur de choix résidentiel.

La présence de membres de la famille dans les environs du domicile, dans la même

paroisse ou dans une paroisse voisine constitue pour certains participants et surtout pour

des parents de participants, au moment où ces derniers vivent avec eux, un critère

primordial. Sept participants sur 30 sont nés en milieu rural, tout comme plusieurs parents

des membres du corpus. La proximité familiale est un fait vécu par la plupart d’entre eux

dans ces milieux. Leurs trajectoires subséquentes semblent démontrer qu’ils ont voulu, pour

contrer l’isolement ou pour disposer de réseaux d’entraide facilement accessibles,

reproduire cette proximité dans leur nouveau milieu urbain à différentes échelles (dans le

voisinage, dans la paroisse, etc.). En grandissant dans cette situation, d’autres résidants

seront au contraire portés à la fuir vers un milieu plus anonyme, symbole d’autonomie,

lorsque cela sera possible, constituant une autre raison de l’exode résidentiel de l’après-

guerre.

La proximité des réseaux familiaux comme critère de choix peut relever d’un souhait de la

mère, qu’elle soit en charge ou non de la recherche du logement, ou être favorisée par le

père de famille dans un contexte professionnel où ce dernier travaille pendant de longues

heures à chaque jour et ce, souvent six jours par semaine. À une époque où le téléphone

n’est pas encore un bien largement possédé en milieu populaire, la présence d’une sœur,

d’une mère ou encore d’un cousin demeurant à proximité et disponible en cas de besoin

sécurise le ménage. Ce désir de proximité des réseaux familiaux a probablement dû motiver

des offres de cohabitation faites aux participants lors de leur mariage, mais les membres du

corpus concernés n’en ont pas fait mention. Ces réseaux ont ainsi guidé les trajectoires

résidentielles de diverses manières, et en étant majoritairement situés dans le quartier Saint-

Sauveur pendant la première partie de la période étudiée, ils ont collaboré à la stabilité

résidentielle des membres du corpus dans ce dernier.

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La densité du réseau de commerces et services du secteur a également un effet

stabilisateur. À l’intérieur même du tissu résidentiel du quartier Saint-Sauveur se retrouvent

en grand nombre, du moins jusque dans les années 1960, commerces d’approvisionnement

alimentaire et de biens divers et services de différents types. Des participants s’estimant

particulièrement choyés en la matière, demeurant près d’artères commerciales du quartier

ou du centre de leur paroisse où se trouvent des concentrations de commerces et de

services, ont pris en compte cette situation, fort appréciée, dans leur réflexion lorsqu’il fut

question de déménager. Le résultat fut souvent de demeurer dans le logement occupé,

comme l’exprime une participante : « Faque c’pour ça j’vous dis on était habitués à rester

pis à avoir tout c’qu’on avait d’besoin dans notre coin. Faqu’on s’attache à notre coin

hein. » (#26) Par ailleurs, les déménagements s’effectuant majoritairement en mai au

Québec jusqu’en 1974-1975 en fonction des termes des baux signés, la présence d’enfants à

l’école Ŕ cette dernière étant paroissiale au niveau primaire Ŕ a pu favoriser dans certains

cas le maintien dans la paroisse de résidence ou une migration vers une paroisse voisine,

considérant que l’année scolaire se termine vers la fin juin.

Le quartier Saint-Roch et son artère principale, la rue Saint-Joseph, qui constituent une

grande partie du cœur commercial et ludique de la ville de Québec jusque dans les années

1960, sont voisins du quartier Saint-Sauveur. Cette situation favorise la stabilité

résidentielle à l’intérieur du quartier Saint-Sauveur, qui jouit d’une position privilégiée en

ayant l’avantage de la proximité tout en demeurant un quartier résidentiel, sans les

inconvénients de la circulation et du bruit du quartier Saint-Roch. Séparé de ce dernier par

une simple artère, le quartier Saint-Sauveur est aussi en meilleure position que d’autres

quartiers voisins, comme Saint-Jean-Baptiste, où les résidants doivent composer avec la

descente et la montée du coteau Sainte-Geneviève. Les moyens de déplacement

couramment utilisés par les membres du corpus et leurs parents jusque dans les années

1950 et 1960 sont la marche à pied et la bicyclette. Les considérations financières

encouragent à utiliser des modes à coût nul ou limité, dans le cas de la bicyclette, à son

acquisition et à son entretien. L’habitude de leur utilisation ainsi que des distances jugées

raisonnables font en sorte que l’accessibilité du quartier Saint-Roch est considérée, par les

membres du corpus, aisée à pied ou à bicyclette et le quartier lui-même, proche de chez

eux. Le tramway, présent à Québec jusqu’en 1958, et l’autobus ne sont mis à profit que de

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manière occasionnelle ou saisonnière, l’hiver rendant plus difficiles les déplacements à pied

et à bicyclette.

Ces rapports à la proximité et à l’accessibilité physique, que nous approfondissons dans le

chapitre suivant, de même que les avantages de la localisation du quartier Saint-Sauveur

dans la ville se retrouvent aussi sous l’angle du travail. Une forte proportion des pères des

membres du corpus ayant demeuré dans ce quartier ont occupé des emplois les amenant à

se mouvoir quotidiennement dans l’espace urbain ou à changer périodiquement de lieux de

travail225

. Pour ces personnes, la proximité domicile-travail a revêtu une importance

moindre que le fait de demeurer dans un secteur plus ou moins central dans la ville. Un

second groupe, qui rassemble presque tous les autres cas connus de lieux de travail des

pères, est constitué d’emplois situés dans le quartier Saint-Sauveur lui-même, dans le

quartier Saint-Roch et dans le secteur du port de Québec. Les mères ayant occupé un

emploi se concentrèrent, quant à elles, dans les manufactures du quartier Saint-Roch. Une

forte similitude se dégage du portrait des lieux d’emploi des participants eux-mêmes, sans

que ne soit révélée une différence notable entre les deux cohortes d’âge. Travailler dans

Saint-Sauveur ou dans Saint-Roch, où se trouvent aussi l’essentiel des entrepôts et des

garages auxquels sont reliés certains des emplois nécessitant d’être sur la route, ne requiert

pas une longue réflexion sur l’opportunité de déménager pour se rapprocher du travail et

contribue à demeurer dans le même secteur. Il en va de même pour les emplois situés dans

les secteurs du port ou encore du Vieux-Québec et de Limoilou, car ces espaces sont aussi

perçus comme étant à proximité et aisément accessibles. Ces rapports à la proximité et à

l’accessibilité physique, combinés à d’autres facteurs de choix résidentiels énoncés

jusqu’ici ou l’attachement au logement ou à la paroisse de résidence (facteur que nous

abordons au point 2.1.3.8), contribuent ainsi à la stabilité résidentielle globale dans le

quartier Saint-Sauveur.

Devoir se déplacer quotidiennement en dehors du quartier a néanmoins conduit certaines

personnes à prendre le transport en commun afin de se rendre au travail. Dans ces cas, le

désir de limiter ou de supprimer les coûts du transport, ainsi que de diminuer le temps de

celui-ci matin et soir, ont pu conduire à des déménagements destinés à se rapprocher du lieu

225

Emplois reliés au domaine de la construction, chauffeurs et conducteurs, livreurs, facteurs, inspecteurs, etc.

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de travail ou d’un arrêt d’un circuit de transport collectif y menant ou ont pu motiver le

maintien dans un logement à la localisation favorable. Des participants résidant dans l’ouest

du quartier Saint-Sauveur et travaillant dans les secteurs plus à l’est ont cependant utilisé le

transport en commun de manière quotidienne sans que cela ne motive un déménagement,

car d’autres membres du ménage travaillaient plus près du domicile (#06 par exemple). La

possession d’une automobile, quant à elle, plus rapide et confortable que le tramway ou

l’autobus, devient une réalité partagée par presque tous les participants dans les années

1950, 1960 et 1970. L’automobile suscite un véritable changement dans les moyens de

déplacement. Quelques participants et conjoints de participants continuent tout de même

d’aller travailler à pied. Le covoiturage, expérimenté dès les années 1950 par des

participants (#13, 31) et maris de participantes (#06, 17, 30), permet à certains de motoriser

leurs déplacements à faible coût et de diminuer la charge financière du propriétaire du

véhicule.

Les trajectoires professionnelles de 28 des 30 membres du corpus et de leurs conjoints

n’ont ainsi pas entraîné dans leur foulée des migrations résidentielles permanentes en

dehors du quartier Saint-Sauveur durant la période 1930-1980226

. Deux cas de séjours hors

du quartier et de la ville seulement sont attribuables à de telles circonstances. Les deux

ménages reviendront dans le quartier Saint-Sauveur, l’un après la fin du contrat de travail à

l’extérieur de l’époux de la participante (#28) et l’autre, par désir des deux conjoints de

quitter Verdun227

, où ils ne se plaisaient pas (#27). Soulignons en dernier lieu qu’une

expérience professionnelle particulière a imprégné les préférences résidentielles d’une

participante (#15). La décision de l’Hôpital général, où elle travaillait, de ne plus loger ses

employés au cours des années 1960 l’a menée à rechercher un logement situé d’abord et

avant tout à proximité de ce lieu de travail.

2.1.3.8 Durée de résidence, appréciation du milieu de résidence et appartenance à ce

milieu

De nombreuses années de résidence dans un logement, une paroisse ou le quartier Saint-

Sauveur peuvent refléter, comme nous l’avons souligné, tant des contraintes que de

226

Les deux cas sont ceux des participants #22 et #32. 227

Dans la région de Montréal.

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100

l’appréciation. Des facteurs d’appréciation différents de ceux mentionnés jusqu’ici, ainsi

qu’un sentiment d’appartenance au logement et/ou à la paroisse de résidence, favorisent des

séjours de longue durée. Le passage des ans est porteur également d’un pouvoir

stabilisateur. Il influence le choix du prochain lieu de résidence, comme on le verra dans les

lignes qui suivent.

L’occupation à long terme d’un logement entraîne parfois le développement d’un

attachement, voire d’une affection profonde envers celui-ci. Ces sentiments lui confèrent

une aura presque sacrée, surtout dans les cas où l’on y est né et l’on y a grandi228

. Des

membres du corpus et des conjoints de participants étant nés dans le logement où vivait leur

famille229

ont témoigné d’un attachement indéfectible à ce logement et y sont restés

pendant de nombreuses années. Un participant en parle en ces termes : « Puis chu v’nu au

monde à la place où j’ai resté quand j’ai vendu. J’avais la maison d’mon père. Pis euh, j’ai

couché dans la chambre où chu v’nu au monde. On s’est mariés pis on est restés dans cette

maison-là. Pis on couchait justement dans cette chambre-là ma femme pis moi. » (#05)

Dans la même optique, l’époux d’une participante (#19) né dans le logement, loué, où sa

famille résidait, l’a convaincue de s’y installer au moment du mariage. Cet homme a vécu

pendant 71 ans dans le même immeuble.

Le passage des saisons fait en sorte que l’on connaît mieux ses voisins. Des relations de

voisinage jugées favorablement représentent un autre élément d’appréciation du milieu de

résidence, lequel favorise le maintien dans le logement occupé. À une autre échelle, divers

facteurs confèrent à la paroisse un potentiel stabilisateur, car ils sont sources

d’appartenance. On retrouve, d’une part, la participation à la vie religieuse, communautaire

ou associative paroissiale et la conscience des nombreux éléments qui composent la vie

paroissiale et, d’autre part, des événements de vie considérés importants se déroulant à

l’église paroissiale, comme le mariage230

. Un participant, désireux de demeurer dans sa

paroisse natale au moment de la décohabitation, mais ne trouvant pas de logement qui lui

convenait, opte délibérément pour une paroisse voisine afin de rester près de son milieu

228

L’exposition des corps dans le logement, lors de décès, peut également contribuer à la solennité du rapport

personnel au logement ou bien susciter un départ rapide. 229

La plupart des participants sont nés à l’hôpital, à l’inverse de leurs parents, surtout nés à la maison.

Rappelons que les 30 membres du corpus sont nés entre 1917 et 1950. 230

Cette question est approfondie au cinquième chapitre.

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d’origine (#08). Le désir de revenir dans sa paroisse natale ou dans la paroisse où l’on a

grandi suscite également un déménagement ou du moins circonscrit l’aire de recherche du

logement. Appréciation et appartenance vis-à-vis la paroisse ou le logement sont par contre

parfois détrônés par d’autres facteurs de choix résidentiels plus déterminants au moment de

la décision, comme l’opportunité d’acheter une propriété ou de diminuer ses coûts de

logement.

Les personnes que nous avons rencontrées, y compris celles dont les trajectoires

résidentielles ont été marquées par les contraintes financières, ont une perception

globalement positive des paroisses du quartier Saint-Sauveur dans lesquelles elles ont

habité à l’époque étudiée. La réalité socioéconomique de ces paroisses de même que la

présence de problèmes reliés, entre autres, à la pauvreté, voire à la misère, n’ont pas

constitué un facteur de choix résidentiel à la différence d’autres ménages, qui ont quitté le

quartier dès qu’ils furent en mesure de le faire. Une participante rapporte en ces termes la

manière dont se reflétait dans la paroisse Saint-Sauveur l’état d’âme des personnes qui ne

l’appréciaient pas: « On disait, y a beaucoup d’gens qui disaient euh, j’viens de Saint-

Sauveur criss231

. (rires) […] C’tait l’expression. Ouin. Pis des fois y avait des gens qui

avaient honte de dire qu’y v’naient d’Saint-Sauveur. » (#18) La locution dont elle fait

mention est signalée par d’autres membres du corpus.

Les membres du corpus n’apprécient pas le fait que la réputation du quartier Saint-

Sauveur et de ses paroisses était peu enviable, ce qui portait ombrage aux avantages du

premier et des secondes, comme leur localisation dans la ville, et à la qualité de vie

générale. Leur perception plus négative de secteurs voisins comme Saint-Roch, beaucoup

moins tranquille selon eux, ou Saint-Jean-Baptiste, dans une Haute-Ville souvent

méprisante à l’endroit des résidants du bas du coteau, a pu toutefois contribuer à rendre

acceptable les côtés moins positifs de leur propre secteur et à valoriser les aspects de ce

dernier auxquels ils accordaient une importance, alimentant du même coup leur maintien

dans le quartier Saint-Sauveur. Ils n’ont pas développé néanmoins de sentiment

d’appartenance au quartier dans son ensemble, mais bien à la ou aux paroisse(s) où ils ont

vécu, comme nous le verrons au cinquième chapitre.

231

Juron québécois.

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102

La longue durée de résidence dans un logement ou une paroisse a, par ailleurs, un impact

clair sur le choix du prochain lieu habité lorsqu’un déménagement se révèle nécessaire ou

souhaité. L’aire de recherche se retrouve inversement proportionnelle à la durée de

résidence, c’est-à-dire qu’elle rétrécit au fur et à mesure que ladite durée augmente, ce qui

concorde avec les constats d’autres études232

. Le poids de la durée Ŕ perçu différemment

par chaque participant Ŕ constitue une force d’inertie issue de la familiarisation du milieu.

Pourquoi aller loin? Question fréquemment posée par les membres du corpus, qui signifie

que quitter son secteur vers un milieu peu ou pas connu ne fut même pas envisagé. La

réalisation de ce désir de demeurer à proximité dépendit toutefois de la disponibilité du

logement convoité en regard du nombre de pièces, du loyer ou encore d’équipements. Dans

les cas où l’offre ne fut pas généreuse, les ménages durent alors dénicher un logement

correspondant au meilleur compromis.

Les trajectoires résidentielles des membres du corpus entre 1930 et 1980 se sont ainsi

dessinées à travers les jeux de force de différents facteurs matériels, identitaires et reliés

aux goûts et aux valeurs personnels. Des amalgames de facteurs, propres à chaque ménage,

ont amené l’occupation d’un nombre variable de logements et de paroisses situés

majoritairement dans le quartier Saint-Sauveur. Les trajectoires résidentielles sont

notamment influencées par les possibilités financières, la localisation du quartier dans la

ville, les rapports à la proximité et à l’accessibilité physique et le rôle joué par la paroisse

en tant qu’espace de socialisation et d’appartenance. Les réseaux familiaux jouent

également un rôle notable. Comme nous l’avons mentionné néanmoins, certaines situations

et facteurs expliquant la stabilité des participants dans le quartier Saint-Sauveur ont fort

probablement conduit d’autres ménages à un départ du quartier, départ s’inscrivant

éventuellement dans le cadre d’un mouvement de grande envergure.

232

Voir, à titre d’exemple, l’étude sur les rapports résidentiels dans cinq quartiers anciens centraux français

menée par l’équipe de Jean-Yves Authier en 1997-1998. LÉVY, « Parcours d’habitants », dans AUTHIER

(dir.), op. cit., p. 39.

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2.1.4 L’exode résidentiel de l’après-guerre: résister à l’idéal ou rêver

l’impossible

Les mouvements de population du centre vers la périphérie font partie intégrante du

développement des villes. La poussée de croissance de l’arbre urbain en Amérique du Nord

à partir de la seconde moitié des années 1940 s’inscrit ainsi dans un processus historique.

La vigueur de cette poussée et surtout ses implications spatiales inédites, en raison

notamment de la présence de la variable automobile, rendent par contre compréhensible le

fait que la naissance des banlieues soit largement perçue dans la population comme un

phénomène de l’après-guerre233

. Alors que la croissance suburbaine du tournant du XXe

siècle s’était réalisée en parallèle de l’accroissement démographique des villes centres, la

vague qui déferla quelques décennies plus tard résulta en d’importantes pertes d’effectifs

pour ces dernières. La force du discours sur l’idéal de réussite associée à la banlieue

pavillonnaire et celle du mouvement d’exode résidentiel lui-même n’eut toutefois que peu

ou pas d’emprise sur plusieurs ménages y vivant, dont les hommes et les femmes que nous

avons rencontrés dans le cadre de notre enquête orale.

2.1.4.1 Le phénomène de l’exode résidentiel

Une période de relative prospérité, caractérisée notamment par une hausse du pouvoir

d’achat234

, s’amorce après la Seconde Guerre mondiale. Les entraves qui limitaient le

potentiel de mobilité professionnelle s’allègent, provoquant un élargissement de l’éventail

des possibilités résidentielles. La scolarisation de plus en plus longue des enfants et des

adolescents leur ouvre la porte d’opportunités d’emploi plus variées que celles des

générations précédentes, et parfois mieux rémunérées. Les conditions inadéquates de

logement de plusieurs secteurs des villes, ainsi que la forte demande en matière

résidentielle en raison, entre autres, de la hausse du nombre de naissances, de la reprise de

l’immigration et de l’exode rural, poussent les autorités à agir. Dès 1946, la Société

canadienne d’hypothèque et de logement remplace la Wartime Housing en tant que bras

233

Richard HARRIS, Creeping Conformity. How Canada Became Surburban, 1900-1960, Toronto,

University of Toronto Press, 2004, p. 129-130. 234

Jean-Paul BAILLARGEON et Gary CALDWELL, « Tendances macro-économiques », dans Simon

LANGLOIS (dir.), La société québécoise en tendances 1960-1990, Québec, Institut québécois de recherche

sur la culture, 1990, p. 46; Dominique MORIN, « Les banlieusards et les temps changent », dans Andrée

FORTIN, Carole DESPRÉS et Geneviève VACHON, La banlieue revisitée, Québec, Nota Bene, 2002, p.73.

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d’œuvre du gouvernement canadien; les fonds qui lui sont accordés permettent de financer

la construction de milliers de nouveaux logements et de favoriser l’accès au crédit pour

l’achat d’une propriété.

Dans ce contexte, l’urbanisation du Québec, qui avait stagné durant les décennies 1930 et

1940, reprend de la vigueur. Des noyaux anciens situés autour des villes sans y avoir encore

été rattachés ainsi que des espaces vierges sont le lieu, durant les années 1950, 1960 et

1970, d’un développement et d’une croissance démographique rapides. Le phénomène est

alimenté par la possession de plus en plus répandue d’une automobile, qui ouvre la porte à

un accroissement des distances entre le lieu de résidence et les lieux de travail et de

consommation, et par la valorisation d’un nouveau mode de vie d’inspiration états-unienne

marqué par l’idéal de la famille nucléaire propriétaire. Habiter un bungalow neuf profitant

des plus récentes améliorations en termes de confort domestique dans un secteur verdoyant

et aéré, de densité de loin inférieure à celle de quartiers anciens des villes centres comme

Saint-Sauveur, devient le symbole par excellence d’une nouvelle façon de vivre, voire

même de la réussite235

.

La symbolisation de l’ascension professionnelle et sociale, souvent incarnée jusqu’alors

par un déménagement dans un quartier aisé comme Montcalm à Québec, se matérialise

aussi à partir de cette époque par une migration vers ces espaces236

. Les promoteurs

immobiliers, par l’organisation de visites d’unités-modèles et d’événements comme la

« Parade des maisons » à Québec mettant en vedette à chaque année un secteur différent de

l’agglomération, alimentent le désir de suivre ce qui est dépeint comme la bonne voie par

divers acteurs publics et privés. Par exemple, des organisations militant pour l’amélioration

des conditions de vie des familles de statuts socioéconomiques modestes diffusent des

discours non équivoques associant la réussite et le bon jugement à la possession d’une

maison. L’Union économique d’habitations (1940-1964) oppose notamment dès 1942 la

235

Un participant parle du phénomène en ces termes : « Parce que la jeunesse elle-là, quessé qu’a fait la

jeunesse. Bon, ben j’vas aller m’chercher un p’tit bungalow là, mais une tite maison à campagne. J’vas él’ver

mes enfants, j’veux pas les élever en ville, pis bon, c’est ça qu’y ont faite… » (#09) 236

Un membre du corpus illustre de belle façon ces départs causés par cette ascension : « Le quartier ici, le

monde travaillait avec leurs mains, le monde travaillait pas avec… Pis quand à un moment donné tu

travaillais avec une plume ben, tu t’en allais. » (#04)

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saine prévoyance d’acquérir une propriété en banlieue et l’insouciance de demeurer dans

les quartiers anciens densément peuplés237

.

Acheter une maison et déménager en milieu périphérique pavillonnaire ne sont cependant

pas des objectifs unanimement partagés et à la portée de toutes les bourses. C’est la raison

pour laquelle se produit également durant ces décennies une forte urbanisation de zones

intermédiaires. À Québec par exemple, les secteurs nord et est de Limoilou, quartier

populaire situé au nord de Saint-Roch, sont encore en friche à la fin des années 1940. À

partir de la décennie suivante, ils sont la cible d’un développement rapide. Y sont élevés

des maisons unifamiliales détachées, avec cour et stationnement privés à l’image des

banlieues comme Sainte-Foy ou Beauport, et des immeubles à logements.

Une enquête portant sur l’année 1969 révèle que sur 311 déménagements ayant eu comme

lieu d’origine le quartier Saint-Sauveur et quelques secteurs en périphérie de ce dernier, 47

se dirigèrent vers Limoilou, soit 15%238

. Ce quartier constitue, après les 58% des

migrations s’effectuant à l’intérieur même du quartier Saint-Sauveur, la destination la plus

fréquente239

. Suivent ensuite Beauport (7%), Ville-Vanier (3,5%) et Charlesbourg (3%)240

.

Neuf ans plus tard, en 1978, le père oblat Bernier, de la paroisse Saint-Sauveur, rapporte :

« C’est un fait que les jeunes couples ne s’établissent plus dans le quartier. […] Ainsi les

paroisse (sic) St-Odile (sic) et St-Albert-le-Grand ont des rues presque entièrement formées

par des gens originaires de Saint-Sauveur241

. » Limoilou bénéficie ainsi du flux des départs

des quartiers situés sur la rive sud de la rivière Saint-Charles. Ces migrations, composées

en partie de locataires, illustrent que l’exode résidentiel ne toucha pas uniquement les

ménages aux moyens les plus élevés.

237

DESPRÉS et LAROCHELLE, « L’influence des trajectoires résidentielles et des normes culturelles

d’habitat sur les significations et les usages du Vieux-Limoilou », dans GRAFMEYER et DANSEREAU

(dirs.), op. cit., p. 55. 238

CLICHE, op. cit., p. 62. 239

La même situation concernant Limoilou et les déménagements dans le quartier Saint-Sauveur est relevée

dès le début des années 1960 par la Commission Martin sur le logement à Québec. MARTIN (dir.) (volume II

Ŕ Caractéristiques générales de l’habitation à Québec), op. cit., p. 180. 240

Le lecteur peut consulter la carte placée à l’annexe 3. 241

BERNIER, op. cit., p. 19. Ces deux paroisses du nord du quartier Limoilou sont érigées respectivement en

1961 et en 1946.

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Les efforts d’organisations comme la Coopérative d’habitation du Québec métropolitain

(CHQM), facilitant l’accès à la propriété pour les familles à revenus modestes, ont

également aidé à accroître le nombre de ménages susceptibles de quitter leur milieu de

résidence. La CHQM a particulièrement contribué au développement des secteurs

Duberger242

et Les Saules. Un nombre important de résidants du quartier Saint-Sauveur

migre vers ces secteurs entre 1958 et 1966243

. Un participant en témoigne par le biais de la

trajectoire de son frère :

Ouain beaucoup de gens sont partis pis euh, ceux qui avaient des enfants là ben,

y étaient toute en logement icitte, faque l’monde. C’comme mon frère, y avait 6

enfants… Quand ça s’est développé dans les Saules là, les maisons étaient pas

chères ben y ont parti pis toutes les familles… Surtout dans les Saules pis dans

Duberger hein. À Duberger, y a beaucoup de monde de Saint-Sauveur. Aux

Saules aussi. Ces deux quartiers là là. C’est quasiment toute du monde du

quartier Saint-Sauveur. Si tu serais là, c’est certain que tu trouverais quasiment

tout l’monde… Parce qu’on rencontre, tsé, j’vas voir mon frère aux Saules, on

rencontre du monde quasiment toute du monde du quartier ici. (#04)

Ces développements font en sorte que l’urbanisation poursuit sa marche séculaire vers

l’ouest dans la vallée de la rivière Saint-Charles. Les municipalités de Duberger et de Les

Saules sont rattachées à la ville de Québec en 1970.

Cette vague d’exode résidentiel ne fut pas seulement alimentée par l’attrait des nouveaux

territoires urbanisés et l’amélioration des situations financières. Une partie non négligeable

du processus décisionnel est en effet liée au milieu de résidence initial. Une crise du

logement sévit à Québec durant les années 1940 et le quartier Saint-Sauveur n’est pas

épargné. De plus, des travaux de rénovation urbaine affectent sa trame et suppriment des

logements. La démolition ou le remplacement d’immeubles résidentiels considérés

impropres à l’habitation et l’aménagement de nouvelles infrastructures de transport routier

et autoroutier chassent plusieurs milliers de ménages des quartiers anciens situés au cœur

des villes nord-américaines entre les années 1950 et les années 1970. À Québec, la

recherche d’un lien rapide entre les secteurs de l’agglomération et des prévisions

242

Les trois quarts de l’urbanisation de Duberger sont dus à la CHQM. (s.a.), Neufchâtel, Duberger, Les

Saules : de seigneurie en banlieue, Québec, Ville de Québec, 1988, p. 19. 243

Gaétan BOUCHARD, « Coopérative d’Habitation du Québec Métropolitain à Duberger », mémoire de

maîtrise en sciences sociales (économique), Québec, Université Laval, 1967, p. 116-117.

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démographiques trop optimistes244

mènent notamment à un développement routier et

autoroutier surdimensionné245

. Les travaux d’ouverture et d’élargissement d’artères, comme

l’autoroute Dufferin-Montmorency, et la construction d’édifices à bureaux et de

stationnements éliminent des centaines de maisons et d’immeubles dans les quartiers Saint-

Roch et Saint-Jean-Baptiste durant les années 1960 et 1970246

. L’appauvrissement du

quartier Saint-Roch et le déclin de sa fonction commerciale font de lui un espace à éviter et

un obstacle à surmonter pour accéder au centre administratif de la capitale provinciale; il en

est d’autant plus malmené247

.

Dans le quartier Saint-Sauveur, la transformation de la rue Morin en boulevard Charest,

par la démolition de dizaines d’immeubles, permet de dégager, à la fin des années 1950, un

accès rapide au centre de la ville depuis l’ouest. Cette transformation est perçue de diverses

manières par les membres du corpus, soit d’un aménagement symbolisant la modernité ou

l’événement le plus notable ayant eu lieu dans le quartier depuis la naissance du participant

à un saccage inesthétique248

menant à la fermeture de commerces de proximité et au départ

de centaines de personnes. À la fin des années 1960, un autre axe est-ouest est projeté. En

longeant le coteau Sainte-Geneviève, l’autoroute de la Falaise devait constituer le pendant

occidental de l’autoroute Dufferin-Montmorency, qui lie la colline parlementaire à l’est de

l’agglomération. Controversée, elle ne vit pas le jour. Le quartier Saint-Sauveur est par

contre le théâtre d’aménagements à plus petite échelle durant les années 1960 et 1970.

244

Selon un scénario de 1956, la seule ville de Québec devait compter 475 000 résidants en 1990. Au

recensement de 1961, 172 000 habitants sont dénombrés. Une réévaluation faite en 1968 porte la projection à

700 000 résidants pour l’horizon 1987. En 1991, la ville de Québec comptait 167 500 habitants. En 2006,

après que plusieurs municipalités de banlieue aient été fusionnées à Québec, la ville était habitée par 491 140

personnes. Jacques GRÉBER, Projet d’aménagement de Québec et de sa région, Québec, Ville de Québec,

1956, p. 7-8; MORISSET (2001), op. cit., p. 232; VALLIÈRES, « Population et société dans une ville

moderne », dans VALLIÈRES et al. (Tome III), op. cit., p. 1812; données du recensement du Canada de 2006

présentées sur le site Internet de la ville de Québec, page consultée le 21 décembre 2011,

http://www.ville.quebec.qc.ca/apropos/portrait/quelques_chiffres/index.aspx. 245

La taille du réseau quadruple entre 1966 et 1976. GRONDIN, op. cit., p. 16. 246

Marc VALLIÈRES, « Les institutions de la capitale et de la Communauté urbaine », dans VALLIÈRES et

al. (Tome III), op. cit., p. 1714-1722. 247

Lucie K. MORISSET, « Créer l’identité par l’image. Sémiogénèse de la ville basse de Québec », dans

MORISSET, NOPPEN et SAINT-JACQUES, op. cit., p. 136. 248

La face nord du boulevard Charest, entre les rues Marie-de-l’Incarnation et Saint-Vallier, donna pendant

plus de quarante ans sur les cours arrière des immeubles de la rue Bagot, parallèle au boulevard. Elle fut

l’objet dans la seconde moitié de la décennie 2000 de travaux d’embellissement, notamment par

l’aménagement de plates-bandes et la plantation d’arbres, afin de donner plus d’intimité aux résidants et de

répondre aux critiques quant à la laideur de cette voie d’accès majeure au centre de la ville.

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Parcs de stationnements et espaces verts remplacent des immeubles dont la démolition est

considérée nécessaire. D’autres immeubles demandant des travaux majeurs sont

abandonnés par leurs propriétaires et demeurent inhabités. La construction de logements

neufs s’effectue, pour sa part, au ralenti. Entre 1971 et 1980, le nombre de logements

construits dans le quartier Saint-Sauveur (259) ne représente que 1,76% du total des

constructions à Québec249

. Plusieurs jeunes adultes et ménages quittent ainsi le quartier

faute de logements disponibles.

Des facteurs de choix résidentiels ayant contribué à produire, chez les hommes et les

femmes que nous avons rencontrés, des trajectoires en nombre variable dans une aire

somme toute limitée au quartier Saint-Sauveur poussent, par ailleurs, des ménages à le

quitter ou, du moins, n’ont plus le même potentiel stabilisateur. Des valeurs nouvelles se

développent et orientent les décisions de ces ménages. Les modes de vie ne sont plus axés

« sur le coin de rue » (#29), mais s’étendent plus largement dans l’espace urbain et se

teintent d’individualisme250

. La proximité des réseaux familiaux n’est plus vraiment

valorisée en raison d’une volonté d’autonomie251

. Une vie locale caractérisée par une forte

densité de population et des sociabilités de voisinage nombreuses les étouffe, alors qu’elle

est source d’appréciation pour d’autres. L’amélioration des conditions socioéconomiques

peut, par ailleurs, ne pas seulement signifier le choix d’un nouveau milieu de résidence,

mais aussi le rejet d’un milieu où l’on a connu la pauvreté, comme l’illustre un membre du

corpus de façon éloquente :

Bon la majorité des gens y aiment ça dire qu’y sont de Saint-Sauveur, même si,

un certain nombre… J’te dirais, sont dev’nus euh, un peu parvenus là tsé. Y a,

c’pas toute des gens… qui restent attachés et avec un beau souv’nir, y en a qui

sont dev’nus. On disait ça là… C’est l’curé à Saint-Sauveur dans l’temps, dans

l’vieux temps, y disait. Y en a là, y sont prêts à nous chier s’a tête. Tsé parce

249

Le quartier regroupe 12,64% de la population de Québec en 1981. Les données sur le nombre de

constructions sont tirées de l’analyse des permis de construction neuve à Québec réalisée par Grondin.

GRONDIN, op. cit., p. 122. 250

ROBERTS (1995), op. cit., p. 15. 251

Dominique MORIN et Andrée FORTIN, « Comment la Vieille Capitale est-elle devenue vieillissante ? »,

Cahiers québécois de démographie, 37/1 (2008), p. 110. Une certaine partie des migrants vers la banlieue et

les secteurs de la ville de Québec en développement s’y dirige néanmoins afin de se rapprocher de membres

de leur famille ou d’amis. Par exemple, Poulin, dans son enquête menée en 1973 sur les trajectoires

résidentielles de résidants de Duberger, a relevé que 17,3% des participants ont répondu à ce désir lorsqu’ils

s’y sont établis. Roland POULIN, « Géographie urbaine de la ville de Duberger : étude sur l’accroissement

démographique », thèse de licence en géographie, Québec, Université Laval, 1973, p. 35.

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qu’y sont sortis d’ici là pis y veulent pu rien savoir. C’est comme si y avaient

eu d’la misère ici, puis j’sais pas trop quoi. Pis là y avaient réussi à r’faire leur

vie, à… Réussi à, à monter plus haut que leurs parents. (#21)

Cette pauvreté a pu entraîner des séjours dans des logements inadéquats et des stratégies

comme le partage de chambres ou la cohabitation, avec ses grands-parents par exemple.

Ainsi, après avoir grandi dans un milieu densément peuplé et vécu dans de petits logements

modestes de qualité variable, plusieurs ont résolument désiré acquérir plus d’espace et jouir

d’un lieu de résidence plus moderne au moment de la décohabitation ou lors de l’arrivée

des enfants.

La quête d’espace s’effectue tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du logement. Pouvoir

disposer d’une cour et d’un stationnement privés est recherché. La crainte des incendies,

dont les ravages ont ponctué l’histoire du quartier Saint-Sauveur et celle d’autres quartiers

populaires de Québec et ont fait mémoire, renforce dans maints cas le projet puis la

décision de quitter. La méfiance ou l’hostilité de propriétaires envers les familles

nombreuses, qui rend les recherches d’un nouveau logement plus longues et ardues ou qui

produit des règles de vie pénibles dans l’immeuble252

, encourage également à acquérir une

propriété lorsque cela devient possible. Le contexte favorable de l’après-guerre prend de la

sorte pour certains des allures de libération sans regard en arrière. Il en va de même pour

des ménages qui ne peuvent, à l’image des participants, faire abstraction des aspects

négatifs de la réputation du quartier Saint-Sauveur et qui le quittent pour un milieu mieux

considéré.

En raison de l’ensemble de ces éléments, le quartier Saint-Sauveur entre dans une phase

de décroissance démographique durant les années 1940, illustrée par le tableau 2.3. Après

avoir atteint le seuil des 40 000 individus au recensement de 1941, il se retrouve peuplé 40

ans plus tard de près de 21 000 habitants253

, perdant pratiquement 15 000 personnes durant

les seules décennies 1960 et 1970. Les résidants du quartier Saint-Sauveur, qui forment

252

Par exemple, un propriétaire demeurant au rez-de-chaussée de son immeuble interdit aux enfants habitant

dans les logements des étages supérieurs de jouer dans la cour arrière. Cette situation est vécue dans la

paroisse Notre-Dame-de-Grâce par le frère du participant #04, qui a eu six enfants. Elle le motivera à quitter

pour Duberger. 253

Une seule paroisse du quartier, soit Notre-Dame-de-Pitié, voit sa population croître durant cette période.

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24% de la population de la ville de Québec en 1951, n’en représentent plus que 12,64% en

1981254

.

Tableau 2.3 – Nombre d’habitants du quartier Saint-Sauveur, 1931-1981

Année Saint-Sauveur

1931 35 814

1941 40 374

1951 39 339

1961 35 769

1971 28 485

1981 20 915

Source : Pour les années 1951 à 1981, recensements quinquennaux du Canada; pour l’année 1941, calculs de

l’équipe de Vallières à partir des recensements quinquennaux du Canada; pour l’année 1931, calculs de

l’équipe de Vallières à partir des estimations des évaluateurs de la ville. VALLIÈRES, « Développement

urbain et société à Québec », dans Marc VALLIÈRES et al., Histoire de Québec et de sa région. Tome II –

1792-1939, Québec, Presses de l’Université Laval, 2008, coll. « Les régions du Québec », 18, p. 1304.

Les trajectoires résidentielles connues des frères et sœurs des membres du corpus nés ou

ayant grandi dans le quartier Saint-Sauveur illustrent bien l’ampleur de l’exode

résidentiel255

. Les participants ont eu en moyenne six frères et sœurs256

. Deux participants

virent au moins deux de leurs frères et sœurs demeurer dans le quartier Saint-Sauveur

jusqu’en 1980 ; 12 autres n’eurent qu’un frère ou qu’une sœur dans cette situation257

. Huit

autres, finalement, ne virent aucun membre de leur fratrie habiter dans le quartier au cours

de la période. Les frères et les sœurs qui sont demeurés dans la région de Québec, c’est-à-

dire les trois quarts258

, se répartissent surtout dans les municipalités de banlieue259

. D’autres

254

À titre de comparaison, le quartier Saint-Roch perd presque les deux tiers de ses effectifs entre 1941 et

1981, ce qui constitue une décroissance largement supérieure à celle du quartier Saint-Sauveur. La

dégradation du climat social associée aux problèmes de violence, de prostitution et d’itinérance est ici en

cause dans ce quartier, de concert avec les autres facteurs énoncés. Nous y revenons au prochain chapitre. 255

Notons que nous ne disposons pas d’informations sur les trajectoires des frères et sœurs de deux

participants natifs du quartier Saint-Sauveur. 256

Rappelons que l’éventail de la taille des familles des participants va de deux enfants à 15. Nous n’avons

pas comptabilisé les enfants décédés en bas âge. 257

Quelques séjours hors du quartier ont été relevés. 258

Montmagny, Baie-Comeau, Montréal (dix cas de frères ou sœurs de participants), Toronto et la région de

Bellechasse sont les autres lieux où s’établissent les frères et les sœurs des participants. 259

Québec-Ouest (Ville-Vanier), Sainte-Foy, Charlesbourg, Beauport, Lac-Beauport, Val-Bélair, Saint-Émile,

Boischatel, etc. Voir la carte présentée à l’annexe 3.

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s’établissent dans les zones de Québec récemment urbanisées260

ou dans des secteurs plus

anciens261

. Les quartiers Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste sont complètement absents de ce

portrait. Les trajectoires semblent prendre majoritairement la forme d’un passage à la

propriété, du moins en vertu des données disponibles, qui, au sujet du statut résidentiel,

restent fragmentaires. Le départ, définitif ou de longue durée262

, est quelquefois précédé

d’une ou de plusieurs étape(s) dans la paroisse de résidence des parents ou dans le quartier

Saint-Sauveur, mais dans la plupart des cas, le départ s’effectue dès la décohabitation, soit

la plupart du temps lors du mariage, comme le mentionne un participant : « Pis les jeunes

se mariaient. Dans ces années-là, dans les années ´60-´70, se marier, ça voulait dire quitter

l’quartier. » (#21)

Les départs nombreux de jeunes couples et de jeunes familles, combinés à la perte de

vitesse de la natalité générale, font en sorte que la moyenne d’âge dans le quartier va

croissante entre 1940 et 1980. Saint-Sauveur demeure par contre durant cette période un

quartier composé essentiellement de ménages d’origine canadienne-française,

francophones, catholiques et de statuts socioéconomiques modestes. On y retrouve en fin

de période peu d’empreinte du processus de gentrification ou d’élitisation, c’est-à-dire d’un

phénomène d’investissement d’un quartier ou d’un secteur par des ménages plus aisés que

la moyenne du milieu d’établissement, parfois des banlieusards retournant dans les villes

centres. Ce processus sera à ce moment surtout perceptible à Québec dans le quartier Saint-

Jean-Baptiste263

.

2.1.4.2 Les membres du corpus et l’exode résidentiel

Le quartier Saint-Sauveur, comme d’autres quartiers populaires situés au cœur de villes

centres, ne perdit évidemment pas toute sa population au profit du mouvement d’exode

résidentiel vers les banlieues et les secteurs des villes en développement au cours des

années 1950, 1960 et 1970. Cette situation s’explique, dans notre corpus, par une ou

plusieurs des raisons suivantes : l’incapacité de quitter les secteurs où se loger coûte le

260

Nord et est de Limoilou, Les Saules, Duberger et Neufchâtel. Voir la carte présentée à l’annexe 2. 261

Montcalm et Vieux-Québec. 262

Quelques frères et sœurs de participants sont revenus habiter le quartier Saint-Sauveur au moment de

prendre leur retraite ou après celle-ci au cours des années 1990 et 2000. 263

SANSCHAGRIN, op. cit., p. 61-62.

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moins cher, la volonté de ne pas quitter son milieu de résidence et l’absence d’attrait pour

ces nouveaux espaces. Certains facteurs de choix résidentiels ayant jusque-là guidé les

trajectoires en la matière conservent toute leur influence.

Les ménages du quartier Saint-Sauveur n’ont pas tous profité de la croissance économique

de l’après-guerre, de sorte que les possibilités résidentielles de certains sont demeurées

limitées au secteur le moins dispendieux. C’est le cas de locataires, mais aussi de ménages

accédant à la propriété en ne quittant pas le quartier. Dix-huit membres du corpus sur 30

sont devenus durablement264

propriétaires, essentiellement entre 1950 et 1980. Un seul

acquiert une propriété à l’extérieur du quartier Saint-Sauveur, ce qui sera pourtant le fait de

centaines de ménages du quartier. Les circonstances de l’accession à la propriété permettent

de supposer qu’elle n’aurait peut-être pas pu être possible dans d’autres milieux pour

certains participants. Par exemple, huit participants achètent une propriété de leurs parents

ou de leurs beaux-parents en bénéficiant de conditions d’achat favorables en termes de prix

ou de modalité de paiement par exemple265

. D’autres profitent de bonnes occasions dont ils

sont informés par un contact personnel.

Une partie de la population n’ayant pas quitté définitivement le quartier Saint-Sauveur

avait les moyens de ses ambitions dans l’éventualité d’une volonté de quitter vers d’autres

quartiers, la banlieue ou d’autres secteurs de la ville en développement. Ces ménages ont

résolument fait le choix de rester dans le quartier ou l’ont quitté pour ensuite y revenir. La

longue durée de résidence et l’appréciation générale du milieu semblent avoir constitué de

puissants ferments d’enracinement pour plusieurs ménages. Nombre de participants ont

mentionné qu’ils ne furent pas attirés par un déménagement en dehors de leur paroisse ou

du quartier Saint-Sauveur. Les charmes de la banlieue et ceux d’autres secteurs de la ville

de Québec ne font pas le poids face aux années passées dans le quartier Saint-Sauveur, aux

avantages de la localisation de ce dernier dans la ville, au sentiment d’appartenance

264

Rappelons que deux ménages acquièrent une propriété, puis la vendent et redeviennent locataires (#01 et

19). 265

Rappelons que trois d’entre eux ont vécu dans un logement appartenant à leurs parents et se sont portés

acquéreurs de la propriété familiale (#03, 05 et 07). Trois autres n’ont jamais décohabité et ont fait de même

(#12, 17 et 29). Une participante, à son mariage, demeura avec son mari dans la maison possédée et occupée

par les parents de ce dernier, le couple en devenant éventuellement propriétaire (#30). Le huitième cas

concerne un participant (#24) ayant acheté l’immeuble possédé par le père de son épouse. Le couple n’y avait

encore jamais habité, mais il s’y installa à l’achat.

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paroissial et à d’autres facteurs de choix résidentiels favorisant le maintien dans le

quartier266

.

Être propriétaire de son lieu de résidence contribua indéniablement à faire en sorte que des

résidants du quartier Saint-Sauveur y demeurèrent. L’accumulation des années de

résidence, avant et après le passage à la propriété, l’attachement à la propriété familiale et à

la paroisse de résidence, la satisfaction quant aux conditions de logement et, dans certains

cas, des moyens financiers trop limités pour le mode de vie inhérent à la banlieue

pavillonnaire expliquent cette stabilité. Nous supposions, au sujet des conditions de

logement, que le vieillissement des immeubles aurait pu nécessiter des travaux dont les

coûts surpassaient la capacité de payer des propriétaires. Dans ces cas, les programmes

d’aide à la rénovation des autorités municipales et provinciales auraient pu contribuer à

éviter une vente menant possiblement à un déménagement et à maintenir les participants

propriétaires dans le quartier Saint-Sauveur. Or, après analyse, il apparaît que ces

programmes, auxquels participèrent une partie d’entre eux267

, n’eurent pas d’impact sur

leur stabilité résidentielle. Les travaux requis n’étant ni trop chers ni trop urgents, l’aide

fournie n’a en aucun cas constitué une condition au maintien.

Le fait que les membres du corpus n’aient pas quitté le quartier Saint-Sauveur au cours des

années 1950, 1960 et 1970 peut laisser supposer à prime abord que les ménages étudiés ont

bénéficié de conditions de logement avantageuses. L’analyse de ces dernières aux plans de

l’espace et des commodités comme le chauffage, l’eau chaude, l’isolation et la présence

d’une baignoire ou d’une douche au fil des étapes résidentielles révèle le contraire. Une

certaine amélioration, observée chez la majorité des participants, permet néanmoins de

croire que lentement, ces derniers, et surtout les locataires, ont réussi à trouver un

compromis jugé acceptable. L’atteinte de ce compromis fut vraisemblablement favorisée

266

Ce constat sur l’impact de l’attachement à la paroisse de résidence rejoint ceux de Rae et de Gamm pour

des villes américaines. RAE, op. cit., p. 152, GAMM, op. cit., p. 22. Notons que l’étude de Cliche et Naud

révèle que pour la décennie 1960, parmi les 13 paroisses du Croissant de pauvreté de Québec, six ont un taux

de migration dans la même paroisse supérieur à la moyenne, qui est de 25,91%. Trois de ces six paroisses sont

situées dans le quartier Saint-Sauveur, soit Sacré-Cœur (30,3%), Saint-Malo (32,83%) et Saint-Sauveur

(37,25%). Les trois autres se retrouvent dans les quartiers Saint-Jean-Baptiste (paroisses Saint-Vincent-de-

Paul (31,25%) et Saint-Jean-Baptiste (35,86%)) et Champlain (paroisse Notre-Dame-des-Victoires (30%)).

CLICHE et NAUD, op. cit., p. 22. 267

Certains furent opposés à la rénovation « dirigée » conséquente aux subventions publiques et désirèrent

préserver leur autonomie d’action en ne demandant pas de tels fonds.

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par le fait qu’ils ont eu moins d’enfants que leurs parents. Que le quartier Saint-Sauveur

demeure le plus abordable en ville a pu aussi influencer la destination des déménagements.

Par ailleurs, afin d’améliorer les conditions de logements des locataires du quartier et de

protéger une partie du parc locatif d’une hausse des loyers entraînée par les projets de

rénovation urbaine ou de rénovation privée, des projets de logements sociaux sont mis sur

pied dans le quartier Saint-Sauveur dans les années 1970. Ces initiatives, dont les

investigateurs sont, entre autres, le Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-

Sauveur, fondé en 1969, prennent la forme d’Habitations à Loyer Modique (HLM) ou de

coopératives d’habitation. Elles voient le jour dans des immeubles rénovés ou fraîchement

construits sur des îlots dont on a rasé les édifices268

. Une participante parle en ces mots de

la transformation de l’immeuble où elle demeurait en coopérative d’habitation au milieu

des années 1970 : « Oui, oui, on a eu des avantages. On a eu des avantages. On avait l’eau

chaude, on avait des chambres de bain. Y ont rénové, des cails électriques, t’avait pu

d’annexe269

, t’avait pu rien là. Pis on restait dans notre maison dans notre coin. » (#19)

L’ensemble des initiatives mises de l’avant n’a certes pas freiné le départ de tous les

ménages désirant améliorer leurs conditions de logement, mais a contribué à maintenir dans

le quartier des personnes et des familles aux revenus modestes et à leur éviter la recherche

parfois longue, en termes d’étapes résidentielles, du meilleur compromis qualité/prix.

Les membres du corpus ont été perméables aux nouvelles valeurs associées à la quête d’un

espace de vie privée plus grand et à la possession d’une automobile. Cela se voit, outre par

l’achat de cette dernière et par les étapes résidentielles successives des locataires, par

certains travaux effectués par des propriétaires. Plusieurs ont ajouté des pièces en rognant

sur la cour arrière ou en (ré)aménageant l’espace sous le toit ou au sous-sol de leur

immeuble. Le père propriétaire d’une participante (#32) fait détruire le logement de fond de

cour qui se trouvait sur son terrain afin d’agrandir l’espace à sa disposition. Une autre

participante (#12) sacrifie, pour sa part, une partie de sa cour arrière pour faire construire

un garage afin d’y placer l’automobile du ménage. Par ailleurs, il y a fort à parier que la

268

Par exemple, un complexe de logements sociaux succède dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce à l’école

de l’Immaculée-Conception, fermée en 1974. 269

Les « cails » sont des plinthes électriques. L’annexe à l’huile est un mode de chauffage constitué d’une

petite fournaise placée généralement dans la pièce centrale du logement, souvent la cuisine. Elle ne permet

toutefois pas de répandre uniformément la chaleur.

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baisse de la densité de population dans le quartier Saint-Sauveur a été appréciée par certains

et qu’elle eut un rôle à jouer dans la stabilité résidentielle dans ce dernier.

La démocratisation de la possession d’une automobile et le départ de plusieurs personnes

connues n’ont pas conduit à une transformation significative des stratégies de recherche

d’un nouveau logement. Les recherches à pied demeurent présentes, car ce mode de

déplacement, d’une part, conserve son utilité dans ce milieu toujours densément bâti et,

d’autre part, sied bien à l’aire des zones désirées, qui ne change pas. De la même manière,

en dépit du mouvement d’exode résidentiel, les contacts personnels dans les environs du

lieu de résidence sont toujours mis à profit durant les années 1950, 1960 et 1970. Les

quelques frères, sœurs et cousin(e)s demeurant encore dans le quartier, de même que les

parents, amis et voisins sont sources d’informations270

. La diminution du nombre de

contacts dans le quartier semble néanmoins nécessiter davantage la consultation des petites

annonces des quotidiens et des journaux paroissiaux qu’auparavant. Il est significatif de

constater que les six participants ayant trouvé un nouveau logement grâce à cette

consultation (sept cas de déménagements) se produisent à partir de 1959.

La valorisation par les membres du corpus de la présence de membres de la famille dans

les environs du domicile, dans la même paroisse ou dans le quartier perd du terrain, sans

disparaître, par rapport à l’importance accordée à cette proximité par leurs parents et au fil

des trajectoires des participants après leur départ du foyer familial271

. La possession de plus

en plus répandue d’un téléphone et d’une automobile, clés d’une communication facilitée et

de déplacements rapides en cas de besoin, de même qu’un plus grand individualisme,

semblent expliquer ce déclin. La donne est différente en ce qui a trait aux commerces et aux

services. Les retrouver à distance jugée raisonnable du logement demeure primordial pour

plusieurs participants, que leurs trajectoires soient teintées ou non par les contraintes

270

Des réseaux familiaux plus étendus dans l’espace urbain ont un impact sur les trajectoires résidentielles

d’un participant (#03). Il déménage en banlieue en raison d’une opportunité relayée par la sœur de son

épouse, qui y demeure. À ce séjour d’une année succède toutefois un retour, désiré par cette conjointe, dans le

quartier Saint-Sauveur. 271

Valois et Delâge, de par leurs enquêtes orales respectives auprès de résidants du quartier Saint-Sauveur,

ont tout deux relevé la présence de ce facteur de choix résidentiel, la première au milieu des années 1960, le

second au milieu des années 1980. Jocelyne VALOIS, Communication et relations inter-personnelles dans

les familles d’un quartier ouvrier, Québec, département de sociologie et d’anthropologie de l’Université

Laval, 1967, p. 10; Denys DELÂGE, Familles de Saint-Sauveur : une monographie, [s.l.], [s.e.], 1986, p. 6.

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financières272

. Pourtant, le rapport Martin sur le logement à Québec en 1962 identifie la

proximité de la « concentration commerciale » du secteur de Saint-Roch comme un des

facteurs faisant en sorte que la zone d’habitat de Saint-Sauveur est jugée inadéquate273

. Il

existe ainsi un décalage entre les constats de cette enquête et les valeurs de certains

membres du corpus.

C’est autour de la notion de proximité, immédiate et à l’échelle des quartiers voisins, que

se cristallise, en partie, le rapport à la banlieue et aux secteurs de la ville en développement

des participants. L’indifférence ou la relative hostilité de plusieurs envers ceux-ci n’est pas

reliée aux prix ; ils sont au contraire conscients des conditions avantageuses offertes par

certains promoteurs ou organisations comme la CHQM. Elle tient davantage à une

perception que commerces et services y sont loin des lieux de résidence et que l’utilisation

de l’automobile devient une nécessité pour des pratiques considérées banales et réalisées à

pied dans un milieu comme Saint-Sauveur, par exemple acheter du lait. La presque totalité

des membres du corpus, 27 sur 30, ont acquis un véhicule, neuf ou usagé, au cours des

décennies 1940 à 1970. La stabilité résidentielle dans le quartier Saint-Sauveur qui les

caractérise ne découle donc pas d’une mobilité de déplacement différenciée par rapport à

celle des ménages ayant quitté ce dernier. Toute automobile doit néanmoins être alimentée

en essence et la crise de l’énergie des années 1970, qui se traduisit par une forte hausse du

coût de l’essence à la pompe, a pu contribuer au maintien ou à une migration dans un

milieu comportant plusieurs commerces et services accessibles à pied ou à courte distance

en automobile. Cette crise a pu, de plus, conforter les opinions négatives sur la banlieue et

les secteurs de la ville en développement, notamment la perception que tout y soit loin de

tout274

.

Plusieurs membres du corpus ayant la possibilité de quitter le quartier Saint-Sauveur

durant les années 1950, 1960 et 1970 ne l’ont donc pas fait. Des changements importants se

produisent pourtant à l’intérieur de celui-ci et ébrèchent considérablement la vie locale, et

particulièrement la vie paroissiale. Le départ de plusieurs ménages, la démolition

272

Valois a également relevé ce facteur de maintien dans le quartier Saint-Sauveur. VALOIS, op. cit., p. 10,

24. 273

MARTIN (dir.) (volume II), op. cit., p. 73. 274

Une perception négative de la banlieue est probablement aussi due pour certaines personnes au dépit de ne

pas pouvoir s’y installer, faute de l’accord du conjoint ou de la conjointe ou de moyens financiers suffisants.

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117

d’immeubles275

et l’expansion d’un plus grand individualisme transforment les sociabilités

de voisinage, comme on le verra au quatrième chapitre. Les propriétaires de commerces et

de services voient leur clientèle, et donc leurs revenus, considérablement baisser, ce qui

conduit à de nombreuses fermetures. Les dirigeants des centres communautaires

paroissiaux sont aussi témoins d’une baisse de la fréquentation, entraînant une chute de

revenus qui affecte, à son tour, l’organisation et le maintien d’activités. Malgré cela,

pourquoi quitter le quartier ? Question derrière laquelle se trouvent une liste d’avantages

vécus ou perçus, des changements de pratiques menant de toute façon à un délaissement

des petits commerces et services et des lieux communautaires paroissiaux et un attachement

qui font en sorte que le départ n’est pas une option. Certains participants apparaissent être

des résistants face aux discours faisant de la migration vers les banlieues le geste sensé de

parents soucieux de l’avenir de leur enfants et le symbole de la réussite. L’air pur, la

verdure et le plus grand anonymat d’un milieu moins densément peuplé ne seront toutefois

pas entièrement mis de côté, et il faut peut-être voir dans la possession répandue d’un

chalet276

, autant chez les participants locataires que propriétaires, une voie d’échappement à

ce qui a pu être ressenti comme une pression de suivre le « bon chemin ».

Des membres du corpus passèrent néanmoins, ou tentèrent de passer, du rôle de témoin à

celui d’acteur du mouvement d’exode résidentiel de l’après-guerre. La participante #23

déménagea avec ses parents à Sainte-Foy à la fin des années 1950 afin d’occuper un

logement, loué, de grande dimension et de construction récente. Elle retourna habiter dans

le quartier Saint-Sauveur au moment de son mariage puisque son mari, natif du quartier

comme elle, eut une offre de son père propriétaire de venir habiter l’un de ses logements.

Un participant (#03) s’installa après son mariage dans un logement situé dans l’immeuble

appartenant à sa belle-sœur à Lac-Beauport, dans le nord de l’agglomération de Québec,

avec l’intention d’acheter une propriété dans le secteur, mais déménagera dans le quartier

Limoilou en raison du vif désir de son épouse de revenir en ville. Ils y resteront un an, puis

275

Lors d’une enquête orale avec des résidants du quartier Saint-Sauveur portant sur les relations

interpersonnelles au milieu des années 1960, Valois a remarqué que l’attachement au quartier s’accompagnait

d’une inquiétude face aux projets de réaménagements de celui-ci, alors en discussion. Ces soucis ne furent pas

mentionnés dans notre propre enquête orale parmi les facteurs ayant guidé les trajectoires résidentielles durant

cette période. VALOIS, op. cit., p. 18, 20. 276

Un chalet est une petite maison de campagne de construction et de confort généralement assez

rudimentaires. La moitié des membres du corpus ont possédé un chalet à titre personnel ou en copropriété. Ce

sujet est approfondi au chapitre suivant.

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reviendront à demeure dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce du quartier Saint-Sauveur,

où le participant avait grandi.

Trois autres membres du corpus procédèrent, pour leur part, à l’achat d’une maison dans

d’autres secteurs de l’agglomération durant les années 1960, soit Val-Saint-Michel (future

municipalité de Val-Bélair en 1973), Charlesbourg et Les Saules. Le conjoint de la

participante #01 souhaita acquérir une demeure dans un milieu verdoyant, estimé profitable

au développement des enfants. Les deux autres couples (#04 et 19) se sont laissés

convaincre lors de la visite d’une maison-modèle dans un nouveau développement, dont le

coût était jugé avantageux. La participante dont le mari a procédé à l’acquisition d’une

maison aux Saules (#19) mentionne que l’achat n’était pas le résultat d’un rêve longtemps

muri, mais qu’ils étaient simplement disposés à l’idée de s’installer en banlieue. Ces trois

expériences firent néanmoins long feu. Après quelques années dans le premier cas, le désir

de la participante de revenir dans le quartier Saint-Sauveur se fait trop fortement sentir et

mène à la vente de la maison. Il en va de même dans le troisième cas, le conjoint de la

participante souhaitant revenir dans sa paroisse natale quelques mois seulement après leur

établissement dans leur nouvelle demeure. Un sentiment d’inconfort relié à la perception

d’être déraciné de son milieu est en cause dans ces deux situations. Le participant ayant

acheté une maison à Charlesbourg, quant à lui, n’a même pas le temps de jouir de son bien,

car avant la complétion de la construction de la maison, l’incertitude, puis l’opposition

nette de son épouse au projet, cette dernière désirant demeurer dans un milieu connu,

apprécié et jugé près de tout, le convainc d’annuler la transaction. Cette annulation sera

facilitée par la connaissance personnelle d’un des promoteurs.

Les étapes résidentielles en dehors du quartier Saint-Sauveur vécues par les autres

membres du corpus ne répondent pas aux mêmes dynamiques : contrat de travail à durée

déterminée, transfert professionnel, perte d’un emploi nécessitant l’hébergement par un

membre de la famille, conflit familial, relocalisation temporaire due à la rénovation du

logement ou à l’expulsion de celui-ci, migrations dans les zones d’habitat les plus

abordables de Québec et déménagement dans le milieu natal d’un des deux conjoints. Ces

séjours sont nécessités par des circonstances en dehors de la volonté des membres du

corpus, destinés dès le départ à être temporaires, définis par les possibilités financières des

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participants ou motivés par l’attachement à un secteur donné. Après le terme du contrat ou

la fin des rénovations, lorsque c’est possible ou lorsqu’on découvre une meilleure

opportunité résidentielle, les participants reviendront dans le quartier Saint-Sauveur, par

attachement ou souhait personnel, par le hasard de la recherche ou par entente préalable

dans le cas de la relocalisation temporaire. Les membres du corpus ayant vécu une ou des

étape(s) résidentielle(s) en dehors du quartier Saint-Sauveur demeuraient encore tous dans

ce dernier au moment de l’entretien, sauf une participante (#23) ayant quitté pour Château-

Richer277

au milieu des années 2000.

Trois participants, dont deux font partie des onze membres de la cohorte d’âge B, soit la

cohorte la plus jeune278

, quittèrent définitivement le quartier Saint-Sauveur au moment de

la décohabitation, deux en raison de leur mariage (#22 et 32) et une, de ses études à

Vancouver (#18). Les deux couples s’établissent respectivement dans le quartier Limoilou

et dans le quartier Giffard de la ville de Beauport, situé juste à l’est de Limoilou. Le

premier couple voulait s’installer près du lieu de travail de l’époux pour que ce dernier

puisse s’y rendre à pied. Ce lieu de travail était considéré trop loin pour rester dans le

quartier Saint-Sauveur. Le second couple suit le même désir, mais de sa migration émane

aussi l’impact de la recherche d’un logement par une tournée des rues en automobile,

élargissant l’aire des pérégrinations et les menant à déménager dans le quartier Giffard.

Quant à la participante #18 quittant le quartier Saint-Sauveur pour étudier à Vancouver, elle

estime qu’en situation d’entière liberté de choix, elle ne se serait fort probablement pas

installée dans le quartier si elle était demeurée à Québec, le vent de la banlieue dirigeant

l’air du temps. Par contre, la proximité des commerces et des services, de même que la

proximité du lieu d’emploi, fut pour cette dernière, qui vécut par la suite à Toronto, un

facteur de choix résidentiel majeur tout au long de sa vie.

Il est significatif de souligner que certains facteurs à l’origine des choix résidentiels de ces

trois participants, soit la proximité du lieu de travail et des commerces et services, sont

similaires à ceux de leurs parents avant eux et de leurs voisins demeurés dans le quartier

Saint-Sauveur. Cette similarité soulève la question de la reproduction des comportements

277

Cette municipalité est située sur la Côte de Beaupré, juste à l’est de l’agglomération de Québec. 278

Rappelons que ses effectifs sont nés entre 1935 et 1950.

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résidentiels dans ce milieu. Si ceux des membres du corpus ont de fortes ressemblances

avec ceux de leurs parents, les nouveaux contextes socioéconomique et urbain en place

entraînent une rupture entre les trajectoires des participants et celles de leurs enfants lors de

leur décohabitation à partir des années 1960, à l’image de celle observée avec leurs propres

frères et sœurs dès les années 1950.

Cette rupture générationnelle s’effectue suivant une variété de situations. Vingt-six des 30

personnes que nous avons rencontrées ont eu un ou plusieurs enfant(s). Trois d’entre eux

les ont eus alors qu’ils avaient quitté définitivement le quartier (#18, 22 et 32). Ces cas ne

sont donc pas compilés dans l’analyse. Neuf des 23 autres participants ont vu l’ensemble de

leurs enfants quitter le quartier Saint-Sauveur lors de leur décohabitation. Sept autres ont vu

un ou deux enfant(s) vivre une ou plusieurs étape(s) résidentielle(s) dans le quartier avant

un départ définitif ; quatre d’entre eux ont habité dans un logement situé dans l’immeuble

appartenant à leurs parents. Ces cas de cohabitation dans le même immeuble n’ont pas

amené une valorisation de la proximité des réseaux familiaux ou de la connaissance du

milieu de résidence, qui aurait pu influencer les trajectoires subséquentes comme nous

l’avons mentionné précédemment. Seulement sept participants sur ces 23 ont vu un ou deux

de leurs enfants s’installer de manière permanente dans la maison familiale ou dans le

quartier279

.

Les profils de ces rares enfants n’ayant pas quitté le quartier Saint-Sauveur nous aident à

mieux comprendre, ou du moins à supposer, les raisons expliquant leurs trajectoires. Par

exemple, un fils handicapé a habité toute sa vie avec ses parents (#23). Certains enfants

et/ou leurs conjoints ont occupé des emplois non spécialisés précaires ou semi spécialisés

faiblement rémunérés et sont demeurés dans le quartier où les loyers étaient les plus

abordables. La participante #17, entre autres, vit sa fille aînée, ayant quitté l’école tôt en

raison d’un manque d’intérêt, travailler en tant que commis dans différents commerces du

quartier Saint-Roch et demeurer dans le quartier Saint-Sauveur, alors que sa seconde fille

279

Un seul couple (#19) fut entouré dans le quartier de tous ses enfants (deux). De même, deux des quatre

enfants de la participante la plus âgée (#12) demeurèrent dans le quartier Saint-Sauveur, mais leur âge

correspond à celui des membres de la cohorte B du corpus. Le contexte de leur décohabitation était donc

différent.

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obtint, après de plus longues études, un poste permanent dans la fonction publique

provinciale et accéda à la propriété en banlieue (Charlesbourg) avec son mari.

Les lieux de migration en dehors du quartier des enfants des participants sont relativement

diversifiés, à l’image de ceux de leurs frères et sœurs. Trois s’établissent dans le quartier

Limoilou comme locataires. La majorité acquiert une propriété dans les secteurs de Québec

ayant été la cible d’un développement de type suburbain280

, dans les municipalités de

banlieue281

, dans d’autres villes du Québec (Repentigny, Montréal), ou à l’étranger

(Allemagne). Le nombre de départs du quartier Saint-Sauveur et la proportion élevée de

passages à la propriété témoignent de la transformation des facteurs de choix résidentiels et,

pour certains, d’un statut socioprofessionnel supérieur à celui de leurs parents, élargissant

ainsi l’éventail de leurs possibilités résidentielles.

Frères, sœurs, puis enfants des membres du corpus participent donc à l’important

mouvement migratoire faisant en sorte qu’entre 1941 et 1981, le quartier Saint-Sauveur voit

quitter près de la moitié de ses résidants. Les parents des participants ayant demeuré dans le

quartier Saint-Sauveur comptaient souvent plusieurs frères et sœurs y habitant également,

mais les membres des deux générations suivantes ayant résidé dans le quartier, celle des

participants et celle des enfants des participants, furent moins nombreux. Les membres du

corpus sont conscients de l’ampleur du phénomène et savent que le quartier est privé de

familles et d’enfants, les jeunes adultes constituant un segment de la population

particulièrement touché par l’exode résidentiel. Leur enracinement, désiré ou contraint, leur

attachement au milieu, de même que les départs de voisins, amis et membres de leur famille

produisent des réactions de diverses natures.

Des propriétaires entretiennent un lien affectif fort avec leur maison, surtout lorsque leurs

enfants y ont grandi ou qu’ils y ont été eux-mêmes élevés. Une participante qualifie

notamment la sienne de « relique » (#12). Or, l’exode vient interrompre dans plusieurs cas

le phénomène de transmission de la maison familiale dans le quartier, du vivant ou non de

leurs propriétaires. Leurs enfants, possédant déjà souvent une propriété à l’extérieur du

280

Duberger, Les Saules, Neufchâtel. 281

Charlesbourg, Beauport, Sainte-Foy, Sillery, Saint-Émile, Lac-Saint-Charles, etc. Voir la carte présentée à

l’annexe 3.

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quartier, ne désirent pas la prendre en charge et préfèrent la vendre le moment venu plutôt

que de s’y installer. L’absence de relève amène ainsi déception et tristesse, autant chez les

ménages concernés que chez leurs voisins les ayant côtoyés et ayant vu leurs enfants

grandir, car leur entourage se retrouve ainsi de moins en moins familier.

Les qualificatifs utilisés pour décrire le phénomène d’exode résidentiel sont à la hauteur

de l’ampleur du processus. « M ort » (#18), « déserté » (#09), le quartier Saint-Sauveur

apparaît mal en point. Les immeubles abandonnés et leurs portes et fenêtres condamnées ne

sont guère d’un voisinage réjouissant. Le cours des mutations sociodémographiques a

probablement contribué à motiver lui-même des départs vers un ciel plus bleu, tout comme

les transformations du réseau de commerces et services, des sociabilités locales et de la vie

paroissiale, transformations que nous analysons plus en profondeur dans les chapitres

suivants. Les membres du corpus n’ayant pas quitté le quartier parce qu’ils ne désiraient

pas le faire firent cependant abstraction de ces changements, auxquels ils participèrent en

partie, en valorisant d’autres éléments dans leur processus décisionnel résidentiel. Ceux

dont les possibilités résidentielles étaient limitées en raison de leurs revenus modestes,

quant à eux, ont assisté impuissants à ces transformations, s’ils étaient contraints de

demeurer dans le quartier le moins cher à Québec, ou n’ont pas vu d’avantages à migrer

vers d’autres quartiers populaires, tous en cours de changement en regard des mêmes

processus.

Par ailleurs, les départs massifs entraînent dans leur sillage une transformation du quartier

Saint-Sauveur au plan socioéconomique. Plusieurs logements abritant de jeunes couples ou

des familles voient leurs occupants être remplacés par des ménages composés de personnes

seules ou de mères monoparentales dont la situation financière est délicate ou précaire. Ce

changement serait dû, selon quelques participants et certains acteurs locaux, dont des

prêtres282

, à une baisse du nombre de propriétaires occupants, comme l’évoque une

participante : « Ça changé beaucoup aussi les propriétaires occupants ont vendu, y en ont

qui ont ach’té en bloc, tsé y ont ach’té une maison là, une maison là, une maison là pis y

font juste d’l’administration, ça change un peu l’âme ça aussi. » (#20) Ce phénomène aurait

occasionné un plus grand laxisme dans le choix des locataires et une dégradation de l’état

282

C’est notamment le cas du père oblat Bernier, de la paroisse Saint-Sauveur. BERNIER, op. cit., p. 37.

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des immeubles. L’avancée en âge de propriétaires du quartier ou leur départ vers d’autres

espaces ont en effet mené à des ventes de maisons, mais les données des recensements

révèlent que le taux de ménages propriétaires de leur logement est resté très stable entre

1951 et 1981, oscillant autour de 25%283

. Le choc créé par les transformations

sociodémographiques apparaît ainsi avoir contribué à intégrer, à tort, à la vision de la vie de

quartier antérieure une forte présence de propriétaires occupants.

Les étapes résidentielles des participants à notre enquête orale entre 1930 et 1980 ont ainsi

été guidées par des combinaisons de facteurs de choix les maintenant globalement dans le

quartier Saint-Sauveur et par leur perception de la banlieue et des autres secteurs de la ville

de Québec en développement. Certains membres du corpus ne purent, malgré leur volonté,

quitter cette zone aux loyers peu dispendieux. D’autres, qu’ils en aient ou non les moyens

financiers, n’envisagèrent pas de quitter le quartier Saint-Sauveur. Les raisons pour

lesquelles ils sont demeurés dans le quartier et ce, malgré le départ de beaucoup de

résidants prenant part au mouvement d’exode résidentiel de l’après-guerre et les

transformations de la vie locale qui en résultèrent, sont multiples. Ainsi, le statut de

propriétaire, l’impact jugé positif de la présence du propriétaire dans l’immeuble habité, le

fait de demeurer dans un logement appartenant à un membre de sa famille, les conditions de

logement jugées adéquates, l’appréciation du milieu de vie, le sentiment d’appartenance

envers le logement ou la paroisse et la force d’inertie reliée à une longue durée de

résidence, suivant diverses combinaisons, conduisirent à une longue durée de résidence

dans le quartier Saint-Sauveur. Il apparaît maintenant utile de s’attarder sur les parcours

professionnels, qui déterminent en grande partie les conditions économiques. L’analyse de

ces parcours permet d’approfondir la compréhension des comportements résidentiels, de

même que des pratiques de consommation, qui sont abordées au chapitre suivant.

2.2 Les trajectoires professionnelles

Des mouvements entre logements et paroisses et une stabilité globale dans le quartier

Saint-Sauveur définissent les trajectoires résidentielles des membres du corpus entre 1930

283

Nous ne disposons pas de données pour les années 1931 et 1941 en raison de l’absence de ventilation des

données par secteurs de recensement, mais nous jugeons peu probable que la proportion ait été

significativement différente. Cette dernière se maintenait toujours à 25% au recensement de 2006.

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et 1980. Mouvement et stabilité s’observent aussi du côté de l’emploi. Les trajectoires

professionnelles de certains participants et/ou de leurs conjoints témoignent en effet, par

rapport à celles de leurs parents ou à travers leurs propres progressions, d’une mobilité tant

horizontale que verticale. L’analyse des trajectoires professionnelles constitue un précieux

révélateur de l’évolution socioéconomique des ménages et de l’influence de cette évolution

sur les parcours résidentiels. La scolarité et l’âge d’entrée sur le marché du travail, des

facteurs intimement liés, contribuent à orienter, dès la jeunesse, les trajectoires

professionnelles. Certains participants jouiront de parcours, et de salaires, élargissant peu à

peu l’éventail de leurs possibilités résidentielles. Pourtant, les membres du corpus touchés

par cette amélioration ne changèrent pas de quartier de résidence284

, ce qui démontre les

limites de cette dernière et l’influence d’autres facteurs de choix résidentiels examinés

précédemment.

2.2.1 Rester sur les bancs d’école ou mettre l’épaule à la roue de

l’économie familiale?

La scolarité, une des clés de voûte de la mobilité professionnelle intergénérationnelle,

contribue à définir les opportunités professionnelles qui pourront être saisies

ultérieurement. Désirant refléter le mieux possible le grade atteint en fonction des structures

scolaires en vigueur au moment où la grande majorité des participants étaient à l’école,

nous avons rassemblé les parcours en trois catégories : sept années de scolarité et moins,

entre huit et douze années, et treize années et plus285

. Les résultats dévoilent un fort effet de

cohorte.

Ainsi, dix participants, sur 30, se classent dans la première catégorie. Ils font tous partie

de la cohorte d’âge A, c’est-à-dire nés entre 1917 et 1932. Trois d’entre eux ont

respectivement 4, 5 et 6 années de scolarité, les sept autres en comptent 7. Douze autres

membres du corpus ont, quant à eux, passé entre 8 et 12 années à l’école, dont neuf de la

cohorte d’âge A. Sept de ces douze ont complété 8 ou 9 années de scolarité. Finalement,

284

Mis à part le cas d’un des trois participants s’étant établis à l’extérieur du quartier au moment de leur

décohabitation (#22). Après être demeuré à Limoilou quatre ans dans un logement loué, il acheta une maison

en banlieue (Charlesbourg). 285

Entre 1937 et 1965, une 7e année correspond à l’accomplissement d’un cours primaire élémentaire et une

12e, d’un cours primaire supérieur (1937-1956) ou d’un cours secondaire (1956-1965).

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huit participants, tous de la cohorte d’âge B (nés entre 1935 et 1950), ont cheminé 13 ans et

plus dans le réseau de l’éducation286

, le nombre d’années le plus élevé étant 18. Quatre

membres du corpus, diplômés d’universités (baccalauréat) ou d’une école normale, ont

atteint ce nombre d’années de scolarité (#07, 18, 21 et 22). Il est significatif de constater

que le nombre d’années de scolarité des membres de la seconde cohorte est en moyenne

deux fois plus élevé que celui des membres de la première287

.

Les informations recueillies sur la scolarité des parents des membres du corpus, bien que

fragmentaires, permettent d’observer tantôt une amélioration notable, tantôt une relative

stabilité. Quatre des sept cas connus concernent des parents analphabètes ou sachant à peine

lire et écrire. Ils avaient tout au plus une 5e année, alors que leurs enfants ont acquis au

minimum une 9e année. Les trois autres cas révèlent une scolarité similaire, du moins pour

l’un des parents.

En dépit des efforts des congrégations religieuses enseignantes et des autorités religieuses

paroissiales destinés à quadriller adéquatement les quartiers populaires pour assurer

l’éducation des enfants y vivant288

, l’instruction des participants s’est vue souvent assujettie

aux aléas de la vie familiale et aux nécessités économiques du ménage. Dans certains cas,

la mort ou la maladie du père ou de la mère a signifié l’abandon de l’école afin d’aider sa

famille soit par l’accomplissement de tâches domestiques, souvent confiées aux filles, soit

par l’occupation d’un emploi rémunéré. Dans d’autres cas, le faible salaire des pères de

286

Dont une participante (#18) ayant complété sa scolarité universitaire après qu’elle eut quitté définitivement

le quartier. 287

La comparaison entre ces données et celles du recensement de 1971, au moment où tous les membres du

corpus avaient terminé leur scolarité, s’avère malheureusement impossible. Ces dernières confondent les

personnes occupant encore les salles de classe au moment du recensement et celles ayant terminé leur

scolarité, ce qui a un impact notable, entre autres, sur la proportion de gens classés dans la variable « N’ayant

pas atteint la 9e année » dans la catégorie « Dernière année d’étude atteinte ». Plusieurs études ont montré que

la scolarisation des Canadiens français catholiques de milieux populaires était restée relativement faible

jusqu’aux réformes faisant suite à la Commission royale d’enquête sur l’éducation (Commission Parent) dans

les années 1960, réformes marquées notamment par la création des cégeps. Pour une synthèse de l’histoire de

l’éducation, on consultera avec profit les ouvrages de Jean-Pierre Charland et d’Andrée Dufour. Jean-Pierre

CHARLAND, Histoire de l’éducation au Québec : de l’ombre du clocher à l’économie du savoir, Saint-

Laurent, Éditions du Renouveau Pédagogique, 2005, 205 p.; Andrée DUFOUR, Histoire de l’éducation au

Québec, Montréal, Boréal, 1997, 123 p., coll. « Boréal Express ». 288

En 1950, onze couvents (cours élémentaire et complémentaire), en comptant celui situé dans l’Orphelinat

Saint-Sauveur, et six écoles primaires, en incluant celle située au Patronage Laval, sont en fonction dans le

quartier Saint-Sauveur. Fernand ROCHETTE, Essai monographique du quartier St-Sauveur, Québec,

Université Laval, 1952, p. 53, 55. Selon les données du recensement de 1951, le groupe d’âge des 14 ans ou

moins compose alors 32% de la population du quartier.

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famille a nécessité l’usage de stratégies de revenus complémentaires. Les talents et

compétences de chacun, comme le tricot, la couture et la cuisine pour les filles, ont été mis

à profit afin d’alléger le plus possible la part de biens achetés, mais le travail des enfants,

ou du moins une combinaison travail/études, s’est révélé dans plusieurs cas inévitable. Le

besoin de revenus supplémentaires et l’impossibilité de défrayer le coût des études dans

certains cas ont mené près de la moitié des membres du corpus à abréger leur scolarité, et

ce parfois, comme certains nous l’ont exprimé, malgré leur volonté de la poursuivre289

.

D’autres cessent sans rechigner, l’intérêt ou le talent n’y étant pas. Certains parents

attendront également la complétion du cours primaire élémentaire (7e) ou complémentaire

(9e), ou l’atteinte par leur enfant de l’âge minimum légal à l’emploi

290 avant de les diriger

vers le marché du travail ou de réclamer leur aide à domicile.

Parmi les membres du corpus, huit des 11 participants de la cohorte d’âge B ont atteint le

niveau de scolarité qu’ils désiraient, c’est-à-dire essentiellement un diplôme d’école

normale, collégial (cégep) ou universitaire. Ces parcours témoignent de la hausse de l’âge

limite de fréquentation scolaire obligatoire au début des années 1960291

, de la

diversification graduelle des opportunités scolaires et également de la lente amélioration

des rémunérations des chefs de famille, permettant à leurs enfants de poursuivre leurs

études. Certaines de ces trajectoires s’expliquent aussi par la combinaison études du

soir/travail, qui a permis à trois participants d’accéder au diplôme convoité (#08, 18, 22).

Le rapport entre le rang de l’individu dans sa fratrie et le niveau de scolarité atteint révèle

une diversité de situations. L’examen de cette diversité ne permet pas de dégager un

289

À partir de 1943, les parents doivent respecter le seuil de fréquentation scolaire obligatoire, fixé à 14 ans.

La même année, le cours primaire élémentaire est également rendu gratuit. Notons, par ailleurs, que les

archives paroissiales révèlent la présence au courant des années 1930, 1940 et 1950 de cours du soir gratuits

(français, anglais, arithmétique, comptabilité et sténographie) placés sous l’égide du Secrétariat de la Province

de Québec, donnés dans diverses écoles paroissiales et offerts tant aux jeunes gens qu’aux adultes. Ces cours,

dont l’existence est relayée par les curés lors de leur prône dominical, donnèrent la chance à certains

d’acquérir une instruction complémentaire après leur entrée sur le marché du travail. Aucun des membres du

corpus n’y fut néanmoins inscrit. 290

Cet âge minimum est fixé à 16 ans en 1919 « pour ceux qui ne savent pas lire ni écrire couramment » et à

14 ans pour ceux qui le peuvent. Thérèse HAMEL, « Obligation scolaire et travail des enfants au Québec :

1900-1950 », Revue d’histoire de l’Amérique française, 38/1 (été 1984), p. 45. Il n’est toutefois pas toujours

respecté. De pieux mensonges des parents et la complicité de certains employeurs permettent l’entrée sur le

marché du travail. 291

Dominique MARSHALL, « Les familles québécoises et l’obligation scolaire, 1943-1960 », Lien social et

politiques – RIAC, 35 (1996), p. 14.

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quelconque modèle. Certains fils et filles, aînés de leur famille, sont appelés à raccourcir

leur séjour sur les bancs d’école en raison de la nécessité pour leurs parents de disposer

d’un revenu supplémentaire, ou du fait que la charge de travail de leur mère est trop

imposante, comme l’explique une participante : « J’ai fini à 11, j’allais pour prendre pour

être en 11e. Mais tsé quand t’es la plus vieille, tu travailles à maison. Là, maman avait eu

deux enfants dans son r’tour d’âge. Jean-Paul pis Pierrette292

. Faque c’est là que j’ai été

obligée de rester à maison moé là. Tsé pour en avoir soin, pis quand a été malade c’est moi

qui en avait soin des enfants tsé. J’faisais le ménage d’la maison tsé. » (#02) La norme

énoncée par cette participante n’en est toutefois pas une pour toutes les familles. Dans

certaines familles des membres du corpus, c’est une cadette, en âge de réaliser les diverses

tâches ménagères, qui occupera ces fonctions pendant que sa sœur aînée occupe un emploi

à l’extérieur du logement. Le calcul des bénéfices mène en effet dans ces cas à une

utilisation maximale des ressources du ménage. Au fil des mariages des enfants les plus

vieux, et notamment des jeunes femmes, pour qui le marché du travail se ferme parfois dès

les fiançailles, les cadets seront généralement appelés à mettre l’épaule à la roue. Dans un

contexte de fratries nombreuses293

, cette situation permit quand même à certains

participants ou frères et sœurs de participants ayant plusieurs frères et sœurs plus âgés

qu’eux de pouvoir réaliser une scolarité un peu plus longue294

.

Parmi les autres motifs évoqués pour expliquer une scolarité brève ou les difficultés

rencontrées à l’école se trouvent l’exiguïté des logements et la surpopulation de ces

derniers. Une participante déclare : « Dans c’temps-là là, comment j’dirais ben ça dont,

euh, les parents étaient pas tell’ment riches hein, ça fait que, pis les log’ments c’était tout

petit, pas d’place pour étudier là tsé, euh on était toute dans cuisine pour, ça fait qu’un

enfant pas, à moins d’être beaucoup beaucoup, euh, motivé intelligent mais faut croire que

je l’étais pas assez. Ça fait que… » (#30) L’absence d’un espace tranquille, à l’écart des

autres personnes du ménage, dans des logements où l’on vit à l’étroit, ce qui fut souvent le

cas des membres du corpus, put en effet rendre la tâche difficile à plusieurs. Le réseau des

292

Prénoms fictifs. 293

Rappelons que les participants ont eu en moyenne six frères et sœurs. 294

Le frère cadet de la participante #06, par exemple, profita du fait que ses frères et sœurs aînés étaient sur le

marché du travail pour rester sur les bancs d’école plus longtemps qu’eux. Cette fratrie a compté neuf

membres.

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œuvres dédiées à l’enfance et à la jeunesse du quartier offre néanmoins quelques services

d’aide aux études. Les Religieux de Saint-Vincent-de-Paul, dirigeant le Patronage Laval

dans la paroisse Sacré-Coeur, mettent par exemple à la disposition des jeunes garçons qui y

sont inscrits une salle d’études.

Si certains reçoivent les encouragements de leurs parents afin de persévérer pour accéder

éventuellement à un emploi susceptible d’améliorer leur niveau de vie, d’autres font face à

un discours plus résigné. La participante #30 poursuit : « Pis les parents c’tait pas riches. Y

nous donnaient beaucoup d’amour, on mangeait bien ces affaires-là mais j’veux dire, euh,

j’pense c’était pas en eux de nous pousser là tsé d’in études. » (#30) Il est compréhensible

que des parents eux-mêmes sous-scolarisés, ayant eu devant eux un éventail limité de

possibilités professionnelles et dont la situation financière fut précaire ont pu ne pas

favoriser la poursuite du cheminement scolaire de leurs enfants. Ils les ont ainsi placés dans

une situation où ils emprunteraient les mêmes routes professionnelles qu’eux.

Plusieurs parents ont donc requis l’aide de leurs enfants, les enjoignant, dans le cas d’un

emploi rémunéré, à défrayer une pension afin qu’ils puissent subvenir aux besoins du

ménage. Une participante déclare : « J’donnais une pension à maman. Ça c’était sacré ça. »

(#01) Dans d’autres situations diamétralement opposées, des jeunes filles ont défié les

interdits posés par leurs pères et sont entrées sur le marché du travail afin d’acquérir une

certaine autonomie financière pour leurs dépenses personnelles. Au total, 26 des 30

participants ont occupé divers emplois de jeunesse rémunérés, principalement non

qualifiés295

. Les fluctuations des besoins en main-d’œuvre dans des milieux de travail qui

ne nécessitent pas de spécialisation font en sorte que certains passent d’un emploi à un

autre au gré des mises à pied. Il est fréquent d’accumuler les expériences en occupant

divers petits emplois sans cependant développer des compétences particulières dans un

domaine précis. Quelques jeunes hommes et jeunes femmes du corpus reprennent les

mêmes voies empruntées jadis par leurs pères ou leurs mères à la même étape de leur vie.

Des garçons d’une même fratrie se relaient également dans le même commerce, un schéma

295

Trois participantes cesseront l’école afin d’aider leur mère à la maison (#12, 15, 16); un participant

poursuivra ses études sans avoir à travailler (#21). Les intitulés socioprofessionnels utilisés proviennent des

classements opérés par l’équipe de Gérard Bouchard. Gérard BOUCHARD, Tous les métiers du monde. Le

traitement des données professionnelles en histoire sociale, Québec, Presses de l’Université Laval, 1996, 323

p.

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de succession familiale en fonction duquel la trajectoire du participant est tracée à l’avance.

Ce fut le cas pour trois familles de participants, dans lesquelles les garçons furent tous

livreurs l’un après l’autre pour le même épicier ou le même pâtissier (#07, 08, 18).

Les emplois occupés par les jeunes hommes sont surtout concentrés dans les domaines de

la livraison et de l’entretien, quelque soit la cohorte d’âge (A ou B) du participant. Livrer à

vélo pour le compte de l’épicerie du coin ou d’un autre commerce des environs ou encore

laver des automobiles le week-end leur permet de percevoir un petit revenu tout en

poursuivant leurs études. D’autres emplois reliés à l’entretien en milieu industriel sont par

contre occupés à temps complet ou partiel à compter de l’arrêt des études. Il en va de même

pour divers emplois dans des manufactures de chaussures ou de boîtes de carton par

exemple (commissionnaire, journalier), des ateliers de réparation automobile, des

commerces au détail (installateur), des ateliers de confection (menuisier, peintre), sur des

chantiers de construction (menuisier, peintre), ou dans les usines de guerre au moment du

second conflit mondial (journalier). Notons que deux participants de la seconde cohorte

d’âge (#07 et 22) ont occupé un emploi de type « col blanc qualifié » en lien avec leurs

études, soit respectivement dans la comptabilité et l’enseignement.

Les manufactures et les grandes entreprises ont aussi vu défiler les participantes de la

première cohorte d’âge, embauchées en tant qu’ouvrières journalières dans les domaines de

la chaussure, secteur d’emploi typique de la ville de Québec depuis la fin du XIXe siècle,

ou encore de l’alimentation. Ces lieux ne sont pas investis par la cohorte d’âge la plus

jeune, ce qui reflète la désindustrialisation progressive du cœur de la ville de Québec et le

déclin du secteur de la chaussure, qui ne joue plus dans la seconde moitié du XXe siècle un

rôle de moteur économique296

. Les participantes des deux cohortes d’âge se répartissent

également dans une variété d’emplois occupés traditionnellement par des femmes:

buandières, caissières, commis, aides domestiques, étalagistes, préposées aux bénéficiaires,

serveuses et secrétaires. Une participante effectue de la comptabilité au sein de l’entreprise

de son père (#28). Certaines occupent un emploi salarié en dehors du logement et apportent

296

Marc VALLIÈRES, « Québec en transition vers une économie de services », dans VALLIÈRES et al.

(Tome III), op. cit., p. 1632.

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un second revenu à leur famille en confectionnant des vêtements sur demande à domicile

(#26 et 32).

Seulement deux participants, le premier entré à 14 ans dans une manufacture de

chaussures (#03) et le second assistant son père épicier également à partir de l’adolescence

(#09), sont demeurés pendant toute leur vie professionnelle, ou du moins l’essentiel de

celle-ci, dans la même entreprise. Le premier a accédé graduellement à des postes

spécialisés et mieux rémunérés, alors que le second est devenu propriétaire de l’entreprise

familiale. D’autres participants ont aussi grimpé quelques échelons avant de se marier. À ce

moment ou peu après toutefois, ils changent d’emploi en regard de perspectives salariales

peu prometteuses malgré l’avancement (#05, 13). Le passage à un statut de chef de famille

ne signifie toutefois pas la disparition de certaines caractéristiques des trajectoires

professionnelles vécues depuis la fin de la scolarité ou le moment où débuta la combinaison

études/travail.

2.2.2 Parcours professionnels

La stabilité professionnelle, reflétée notamment par le fait d’être au service de la même

entreprise pendant de nombreuses années fut, aux dires d’une participante, l’un des

éléments les plus représentatifs de la vie dans le quartier Saint-Sauveur. L’analyse du

nombre d’étapes professionnelles au cours de la vie adulte297

formant les parcours des

hommes, principaux pourvoyeurs des ménages pour la période étudiée, et des femmes

célibataires du corpus298

donne, en partie, des résultats en ce sens. Cette stabilité

s’accompagne d’une stagnation au sein des domaines d’emploi occupés ou d’une ascension

à travers ceux-ci. Les deux phénomènes de stagnation et d’ascension professionnelles sont

aussi observables à l’échelle générationnelle. En raison de la stagnation ou en dépit de

l’ascension, des ménages doivent parfois se tourner vers des stratégies de revenus

complémentaires où entrent en scène épouses et enfants.

297

Nous considérons le nombre d’étapes professionnelles comme le nombre d’entreprises pour lesquelles

travailla une personne. Ainsi, l’ensemble des postes occupés à l’intérieur d’une entreprise font partie d’une

étape. 298

Soit les participantes #10, 16 et 20, ne s’étant jamais mariées, et la participante #15, dont le mari meurt

avant son arrivée à Québec.

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Parmi les parcours professionnels à l’âge adulte des 12 hommes que nous avons

rencontrés, des 14 conjoints de participantes et des quatre participantes célibataires, neuf

comptent seulement une étape299

et dix, deux étapes300

. Les 11 autres participants et époux

de participantes comptent trois, quatre ou six étapes et plus301

. Quelques-uns de ces

parcours furent marqués par une ascension professionnelle, que ce soit dans l’entreprise ou

par le biais de la succession d’emplois occupés. Il en a résulté de meilleures conditions de

travail et notamment salariales.

La plupart des neuf personnes dont les parcours professionnels ne furent ponctués que

d’une seule étape ont accédé à une profession (enseignant) dans laquelle ils ont fait carrière

ou sont demeurés dans la même entreprise pendant plusieurs décennies en occupant le

même poste (technicien chez Bell téléphone, conducteur d’autobus, épicier propriétaire,

mécanicien, préposée à l’Hôpital général). Dans trois des cinq derniers cas, les participants

précisent qu’eux-mêmes ou leurs conjoints ont refusé d’accéder à des postes mieux

rémunérés parce qu’ils appréciaient l’emploi occupé. Les parcours de la participante #20 et

de l’époux de la participante #25 furent, au contraire, marqués par une ascension notable au

sein de la même entreprise. Ainsi, la première est passée d’assistante à technicienne en

laboratoire à l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur-de-Jésus et le second, de caissier à directeur-

général de la caisse populaire de la paroisse Sainte-Claire-d’Assise, dans le quartier

Limoilou à Québec.

Le groupe des dix personnes ayant vécu deux étapes professionnelles se répartit en deux

sous-ensembles. Le premier, composé de quatre personnes, révèle une stabilité en ce qui a

trait aux domaines d’emploi et aux conditions de travail. Ainsi, on change d’entreprise tout

en demeurant dans les mêmes secteurs et types d’emplois, soit la plomberie/chauffage, la

construction, la vente de détail et l’enseignement. Les membres du second sous-ensemble

ont, quant à eux, occupé un premier emploi qu’ils ont quitté après quelques années pour

299

Dont trois participantes célibataires (#10, 15 et 20). 300

Dont une participante célibataire (#16). 301

Cette répartition en regard du nombre d’étapes est similaire à celle concernant les pères des membres du

corpus (hommes et femmes) ayant habité à Québec, que ce soit dans Saint-Sauveur ou dans un autre quartier.

Sont exclus les pères cultivateurs en milieu rural. Nous n’avons obtenu que peu d’informations sur les

trajectoires professionnelles des pères des maris des participantes. Ces conjoints étant néanmoins à très forte

majorité de milieux socioéconomiques similaires à ceux des membres du corpus, une comparaison avec les

pères des participants nous paraît valable.

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entrer au service d’une entreprise leur offrant de meilleures conditions. Ils grimpèrent

progressivement des échelons au sein de cette seconde entreprise (de pompier à chef de

district, de commis boucher à propriétaire de son établissement, de teneur de livres à

directeur de son institution financière, de conducteur d’autobus à superviseur, de

manutentionnaire à tailleur de cuir et enfin d’enseignant à directeur d’école).

Les trajectoires professionnelles ponctuées de trois étapes ou plus révèlent une relative

stagnation en ce qui concerne les domaines d’emploi et les conditions salariales. Les

participants ou maris de participantes dans cette situation occupèrent, d’une part, des

emplois sensibles aux aléas de l’économie ou demandant peu de qualifications

professionnelles (construction, livraison, ouvriers journaliers dans les industries lourdes),

et, d’autre part, des postes aux conditions similaires dans différents milieux (comptable,

commis de bureau, mécanicien de machines fixes).

Placés dans le cadre d’une comparaison intergénérationnelle, les domaines et types

d’emplois occupés par les participants et leurs frères témoignent, entre autres, de situations

de filiation familiale. Elle s’observe parfois sur plus de deux générations, deux participants

(#03 et 05) et un frère de participant (#04) occupant un emploi du même type que leur père

et leur grand-père avant eux302

. Suivre la voie paternelle est soit expressément désiré par les

deux camps, surtout dans les cas d’entreprises familiales (#09 et le frère de la participante

#28 par exemple), bravé malgré la volonté d’un père ne voulant pas faire subir les aléas

d’un métier difficile à ses fils (le frère du participant #04 par exemple) ou résulte du hasard

des opportunités (#05). Quelques hommes apprennent de leur père les métiers de boucher,

épicier, électricien ou encore de menuisier, ce transfert de compétences s’accompagnant ou

non d’une formation professionnelle officielle. Les autres bénéficient d’une

recommandation faite par leur père au patron de l’entreprise où il travaille ou s’engagent

simplement à l’entrée dans la vie adulte dans la voie qu’il connaisse pour en avoir entendu

parler à la maison. Cet « héritage303

» contribue à une stabilité, voire à une stagnation

302

Le participant #03 travailla éventuellement dans le domaine de l’entretien d’immeubles résidentiels, le

participant #05 fut chauffeur d’autobus et le frère du participant #04 fut briqueleur-maçon. 303

Muriel GARON-AUDY et al., Mobilités professionnelles et géographiques au Québec, 1954-64-74,

Montréal, Centre de recherche en développement économique, 1980, cahier no 22, p. 35. L’équipe de Garon-

Audy utilise cet intitulé pour décrire ce phénomène de filiation, qu’ils observent dans les couches

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intergénérationnelle si l’ascension dans l’entreprise est impossible, faisant en sorte que les

conditions socioéconomiques ne subissent pas de transformations significatives de père en

fils. Aucune situation de filiation familiale ne fut relevée dans le cas des quatre

participantes célibataires.

De la même manière que pour le nombre d’étapes professionnelles, il apparaît que les

participants et les maris des participantes présentent un profil socioprofessionnel similaire à

celui des pères des membres du corpus. Les mêmes catégories dominent le portrait : petits

commerçants et industriels, artisans et ouvriers (qualifiés, semi qualifiés et non qualifiés).

Les hommes associés à la cohorte d’âge B font toutefois exception en comptant parmi leurs

rangs six cols blancs qualifiés et semi qualifiés sur sept.

La recherche de meilleures conditions de travail, et particulièrement de salaires plus

élevés, constitue une des motivations les plus souvent mentionnées pour changer

volontairement d’emploi. Le bilan des gains, lorsqu’obtenus, est toutefois mitigé et la

marge de manœuvre financière acquise ne permet pas nécessairement de jouir d’une

situation significativement bonifiée. Un participant (#13) voit, par ailleurs, sa trajectoire

professionnelle s’améliorer par une stratégie de retour aux études à temps partiel à la fin

des années 1960 afin d’améliorer ses compétences et d’en acquérir de nouvelles. Des cours

de mise à jour et de perfectionnement permettent également au conjoint d’une participante

occupant un emploi spécialisé de maintenir son rang dans l’entreprise (#19).

On constate qu’en dépit des progrès salariaux ponctuels et à long terme, de l’allègement

des charges financières associées au nombre d’enfants304

et de l’instauration de

programmes gouvernementaux d’aide aux familles305

, des stratégies de revenus

complémentaires durent parfois être employées par des participants. Dans ces situations, les

membres du ménage sont mis à contribution de diverses manières. La fabrication de biens,

comme des vêtements ou des rideaux, par les femmes, permet de limiter les dépenses et

socioprofessionnelles aisées et modestes entre 1954 et 1974. Les gens occupant un emploi de catégorie

intermédiaire voient davantage leurs fils accéder à des seuils professionnels supérieurs. 304

Rappelons que les membres du corpus ont eu en moyenne deux enfants, trois fois moins que leurs parents. 305

Comme les allocations familiales, mises en place en 1945 par le gouvernement fédéral.

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d’accroître les revenus au moyen de ventes306

. La prise de pensionnaires, stratégie identifiée

par des chercheurs à propos des milieux populaires, paraît peu présente dans le quartier

Saint-Sauveur pour la période étudiée307

. Un participant seulement (#30) raconte avoir

utilisé ce mode de revenus supplémentaires. Il a accueilli à la fin des années 1950 une jeune

femme comme pensionnaire dans sa maison située dans la paroisse Notre-Dame-de-Pitié.

L’expérience fut toutefois de courte durée en vertu du non-paiement du loyer308

. Une part

importante des stratégies déployées pour se procurer des revenus complémentaires consiste,

pour les hommes, à cumuler des emplois et pour les épouses et les enfants, à entrer sur le

marché du travail. Six participants ou maris de participantes dénichent un emploi de soir ou

à temps partiel s’ajoutant à leur emploi principal (chauffeur privé, commis de bureau,

concierge). Ils obtiennent ainsi un revenu additionnel, déclaré ou non, permettant de pallier

les épisodes de chômage saisonniers, de payer les études des enfants, de poursuivre le

paiement de l’hypothèque ou, pour un ménage à la situation financière délicate (#06), de

pourvoir aux besoins de première nécessité comme la nourriture.

Les épouses sont, dans certains cas, appelées à faire fi d’une certaine norme sociale et à

retourner sur le marché du travail. Les participantes de la première cohorte d’âge voient

leurs trajectoires professionnelles ou leur entrée en emploi, durant les années 1940 et 1950,

être freinées par leur mariage et dans certains cas, dès leurs fiançailles. L’époux ou le

fiancé doit voir dès ce moment à leur subsistance, comme en témoigne cette

participante309

: « Là en me mariant, mon mari y dit j’capable de t’faire vivre, ça fait

que… » (#30) L’épouse se doit de demeurer à la maison afin de veiller au soin du ménage

et à l’éducation de ses enfants. Des participantes expliquent aussi cette norme par la

rapidité à laquelle les grossesses survenaient après le mariage à cette époque, empêchant les

306

La participante #26, par exemple, confectionne des vêtements et effectue des réparations pour des voisins

et des membres de sa famille. La participante #12, pour sa part, se spécialise dans la confection de robes de

mariée. 307

Voir, au sujet de la prise de pensionnaires à Québec au tournant du XXe siècle, LAFLAMME, op. cit.

308 Un autre cas fut relevé chez les parents d’une participante (#10). Durant les années 1930 et 1940, la mère

de cette dernière accueille des pensionnaires étudiants. Cela ne se produit pas dans le quartier Saint-Sauveur,

mais prend plutôt forme dans un logement loué du quartier Saint-Jean-Baptiste. 309

Voir à ce sujet le premier chapitre de l’ouvrage de Joan SANGSTER, Transforming Labour : Women and

Work in Post-War Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2010, p. 16-52.

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femmes d’occuper un emploi à l’extérieur du domicile310

. Une participante raconte à ce

sujet :

- […] M. Valentine disait : « J’garde pas d’femmes mariées c’est dangereux.

On sait jamais quand est-ce qu’y vont partir ». Faqu’y m’a pas gardée.

- (D.G.311

) Vous est-ce que vous auriez continué si vous aviez eu l’occasion ou

si…

- Oui… J’aimais ça là-bas, c’tait l’fun. Faque, ben là y voulait pas. Faque ben

chu restée chez nous. Pis chu partie enceinte presque tu suite. Faque d’un côté y

avait ben raison. (#23)

Cet extrait illustre aussi le fait que des femmes perdent leur emploi non pas par la volonté

de l’époux, mais par suite de congédiement par l’employeur. Certaines, appréciant leur

travail, en garderont une amertume, comme l’exprime cette participante : « Maudit qu’on

était ignorants… Les hommes y laissent travailler les femmes aujourd’hui. » (#06) Le

faible salaire ou un épisode de maladie ou de chômage implique néanmoins le retour des

femmes, ou leur entrée, sur le marché du travail. Deux participantes et une épouse de

participant, de la cohorte d’âge A312

, durent ainsi trouver du boulot (#06, 26, 31) au cours

des années 1950. Le mari de deux de ces trois femmes (#06 et 31) cumulait, de plus, deux

emplois, ce qui donne une idée des besoins en termes de revenus supplémentaires. Deux

autres participantes (#01 et #12) se retrouvèrent pourvoyeuses principales du ménage

lorsque leur mari mourut, la première au début des années 1950, la seconde au début des

années 1970. Ces cinq femmes occupèrent divers emplois dans les domaines de la

restauration et de l’entretien ménager. La durée de leur séjour sur le marché du travail a

oscillé entre un an et plus de 20 ans. Une participante (#27) et les épouses de deux

participants (#04 et 24), de la cohorte d’âge A, ont également intégré le marché du travail à

partir du milieu des années 1970. Ces expériences ne semblent pas être reliées à une

nécessité économique, mais plutôt à la volonté d’acquérir une certaine indépendance

financière personnelle ou au désir d’accomplissement personnel. Deux d’entre elles se

310

La présence de jardins d’enfance, comme celui de l’Orphelinat Saint-Sauveur dans la paroisse du même

nom, dirigé par les Sœurs de la Charité de Québec, n’apparaît pas connue de tous. Il est possible que leur

utilisation ait conduit les mères concernées à se faire accuser de ne pas occuper la place qui leur revient en

étant sur le marché du travail. Cette hypothèse demeure à vérifier. 311

Nos initiales indiquent nos interventions. 312

Quatorze femmes en font partie.

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retrouvent alors dans des commerces de détail, la troisième, dans un centre de

conditionnement physique.

L’évolution survenue en regard du travail salarié des femmes entre les années 1940 et

1970 s’observe également au sein du corpus par les parcours des participantes et des

épouses de participants de la seconde cohorte d’âge313

. Six d’entre elles ont occupé des

emplois tout au long de leur vie adulte314

. Dans tous ces cas, il s’agit d’emplois de type

« col blanc qualifié » dans des domaines dont certains sont alors largement féminisés :

travailleuse sociale, traductrice, enseignante, fonctionnaire, commis de bureau et

technicienne en laboratoire. Ces trajectoires professionnelles, prenant place à partir de la fin

des années 1950, ne sont pas commandées par les difficultés financières du ménage. Une

autre participante et une épouse d’un participant de cette cohorte réintègrent le marché du

travail au tournant des années 1980, alors que leurs enfants sont adolescents ou ont quitté la

maison (#08 et 23). Elles occupèrent des emplois reliés au travail de bureau, un domaine

enregistrant un essor spectaculaire au XXe siècle.

Le travail rémunéré des fils et des filles de quatre membres du corpus constitua un autre

moyen de pallier les revenus insuffisants du ménage (#01, 06, 12, 15). Cette stratégie

s’ajouta au travail rémunéré de la mère ou à la combinaison du cumul d’emplois du père et

du travail salarié de la mère. Ces quatre participantes ont dû, durant les années 1960, arrêter

la poursuite des études de leurs enfants à l’adolescence et les inciter à trouver un emploi à

temps plein (emploi dans une manufacture, buandière, emballeur/se, commis, etc.). Les

emplois des autres enfants des membres du corpus, à l’adolescence, furent des emplois à

temps partiel (livreur, pompiste, commis, etc.). Les raisons avancées par ces participants

pour expliquer l’entrée sur le marché du travail de leurs adolescents sont la volonté

d’inculquer la valeur du travail et le désir de leur permettre l’acquisition d’une certaine

autonomie financière par le gain d’argent de poche. Des impératifs financiers ont aussi pu

être en cause sans que ces membres du corpus nous en aient fait mention.

En raison d’une scolarité abrégée, par filiation familiale ou par goût ou aptitude

personnel(le), certaines trajectoires professionnelles des enfants des participants à l’âge

313

Rappelons que cette cohorte comporte onze membres. 314

Une seule participante parmi ces six est demeurée célibataire (#20).

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adulte témoignent de filières professionnelles similaires à celles de leurs parents. D’autres

trajectoires marquent une amélioration due à une plus longue scolarité. Trois fils et filles de

participants (#03, 15, 30) accèdent notamment à l’université, alors que leurs parents n’ont

pas dépassé le cours primaire; une autre fille de participant atteint ce seuil, alors que son

père était diplômé d’une école normale (#07). Cette évolution en matière de scolarité pour

les enfants des participants, semblable à celle observée entre les participants des deux

cohortes d’âge, se reflète, par exemple, par plusieurs carrières de type « col blanc

qualifié » au sein de la fonction publique provinciale315

. En ce qui concerne l’évolution du

travail salarié des femmes, les mutations relevées parmi les participantes de la seconde

cohorte sont aussi présentes parmi les filles des membres du corpus. Une partie des emplois

occupés appartient aux métiers traditionnellement associés aux femmes (enseignante,

infirmière, etc.), tandis qu’une autre s’inscrit dans l’élargissement des voies

professionnelles accessibles aux femmes au cours de la seconde moitié du XXe siècle

(linguiste, physicienne, pompière, etc.).

Par l’effet d’un parcours scolaire tronqué en raison des besoins du ménage ou d’un

processus de filiation familiale, les barques professionnelles de plusieurs participants et

conjoints de participantes ne purent ainsi pas emprunter une voie intéressante en matière de

conditions de travail et notamment salariales, et ce malgré la succession des emplois. Cette

analyse des parcours professionnels au sein du corpus permet de mieux comprendre la

place de la variable financière dans les trajectoires résidentielles. Certains parcours

professionnels ont élargi l’éventail des possibilités résidentielles en permettant, entre

autres, d’accéder à la propriété, au cours des années 1950, 1960 et 1970. Les constats

transnationaux sur la mobilité résidentielle montrent qu’il y a un lien direct entre, d’une

part, les trajectoires empruntées et, d’autre part, le niveau d’instruction et les emplois

occupés316

. Cette opportunité d’accéder à la propriété s’est pourtant souvent matérialisée

dans le quartier de résidence, comme on l’a vu précédemment. Par exemple, parmi les six

cas de trajectoires professionnelles de deux étapes marquées par une amélioration des

conditions de travail et notamment du salaire, quatre résultèrent éventuellement en une

315

Le développement de la fonction publique dans la ville de Québec, capitale provinciale, est une des

caractéristiques de l’évolution structurelle de l’économie de la ville dans la seconde moitié du XXe siècle.

316 DIELEMAN, loc. cit., p. 250.

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accession à la propriété, dont une seule à l’extérieur du quartier Saint-Sauveur. Pour la

partie du corpus bénéficiant d’un éventail plus large de possibilités résidentielles, il ressort

que d’autres facteurs de choix résidentiels ont pesé plus lourdement, car en dépit du

potentiel d’aller habiter dans un autre secteur, le choix fut fait de demeurer dans le quartier.

Ces facteurs apparaissent d’autant plus significatifs dans la définition de leurs trajectoires

résidentielles lorsqu’on compare ces dernières à celles de leurs frères et sœurs par le prisme

de la variable de l’emploi. En effet, en dépit de parcours professionnels semblables, ces

frères et sœurs furent nombreux à quitter le quartier Saint-Sauveur. Dans leurs cas, ces

facteurs laissèrent indifférents ou convainquirent de changer de milieu de résidence.

Conclusion

Les 30 hommes et femmes que nous avons rencontrés ont habité pendant de nombreuses

années dans le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et 1980, la durée moyenne de résidence

durant cette période se situant à 35 ans. À l’exception de deux d’entre eux, ils ne l’ont pas

quitté pour joindre les rangs de ceux qui participèrent au mouvement d’exode résidentiel

vers les banlieues et les secteurs de Québec en développement après le second conflit

mondial. En identifiant les ficelles animant les trajectoires résidentielles des membres du

corpus, nous avons pu analyser de quelle manière un aspect central de l’expérience du

quartier et de la ville témoignée par la culture urbaine en milieu populaire québécois, à

savoir les comportements résidentiels et les motivations, les contraintes, les valeurs et les

représentations qui les guident, a évolué dans ce contexte.

On a pu constater que les trajectoires résidentielles tiennent en partie aux avantages de la

localisation du quartier Saint-Sauveur dans la ville et au rôle de la paroisse comme pôle

structurant de la vie locale et du sentiment d’appartenance à l’espace vécu. La longue durée

de résidence des participants dans le quartier Saint-Sauveur ne signifie pas qu’ils furent

immobiles. L’analyse des trajectoires résidentielles des participants à notre enquête orale

révèle plutôt une diversité de combinaisons de nombre de logements habités, de paroisses

du quartier dans lesquelles ces logements se situent et de séjours de durées variables en

dehors du quartier. Leurs déterminants ont été des amalgames de facteurs de choix

résidentiels propres à chaque ménage. Ces facteurs sont le statut résidentiel, la présence ou

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non du propriétaire dans l’immeuble habité, la cohabitation, la location d’un logement

appartenant à un membre de sa famille, les conditions de logement, les stratégies de

recherche, la valorisation de la proximité des réseaux familiaux, des commerces et services

et du lieu de travail et finalement l’ensemble que forment la durée de résidence,

l’appréciation du milieu de résidence et l’appartenance à ce milieu.

Ces facteurs ont influencé la longueur des étapes résidentielles, la prise de décision quant

au maintien ou au déménagement et le choix du nouveau logement. Les conditions

économiques, comme nous nous y attendions, ont une incidence sur les trajectoires de

certains membres du corpus. Elles ne reflètent cependant pas nécessairement une présence

contrainte dans le quartier. De plus, elles influencent les préférences résidentielles. Le

phénomène de la cohabitation, par exemple, teinté par ces conditions, oriente l’aire de

recherche du prochain lieu de résidence. L’analyse de parcours résidentiels concentrés dans

un seul quartier permit plus particulièrement de voir que des facteurs affectifs et

symboliques au pouvoir stabilisateur dans le logement, la paroisse ou le quartier Saint-

Sauveur furent aussi à l’œuvre chez les individus captifs des secteurs d’habitat les moins

dispendieux. Les participants et/ou les parents de participants dans cette situation ont en

effet somme toute peu migré à travers d’autres quartiers populaires de Québec.

Les trajectoires résidentielles des membres du corpus ne furent pas bouleversées par

l’exode résidentiel de l’après-guerre. Pourtant, des milliers de personnes délaissent le

quartier Saint-Sauveur. La situation financière est en cause dans certains cas, mais l’analyse

fine des facteurs de choix résidentiels des participants et la présence de trajectoires

professionnelles pourtant favorables révèlent le pouvoir stabilisateur d’éléments qui ont été

rejetés par d’autres. Contrainte et libre choix jouent ainsi en faveur du maintien des

participants dans le quartier Saint-Sauveur, sauf pour trois d’entre eux le quittant

définitivement et quatre autres expérimentant pendant quelques temps durant les années

1960 le nouveau mode de vie banlieusard avant de « rentrer en ville » (#01), le retour au

quartier prenant littéralement, dans trois de ces cas, des airs de retour à la maison.

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3 – Du trottoir au stationnement : des rapports à la

proximité et à l’accessibilité physique en redéfinition

Durant les décennies 1930, 1940 et 1950, un grand nombre de pratiques des membres du

corpus et de leurs parents317

reliées à la consommation, soit l’alimentation318

, l’achat de

biens319

et l’usage de services320

, ainsi qu’aux loisirs, aux divertissements et à la vie

communautaire et associative prennent place à l’échelle locale, soit dans les paroisses de

résidence et dans le quartier Saint-Sauveur en général. Ces pratiques du quartier se

conjuguent, quelque soit l’état des finances des ménages, à une fréquentation notable

d’autres secteurs de la ville de Québec pour divers types de pratiques, et ce même si le

principal moyen de déplacement durant ces années est la marche à pied.

Les pratiques reliées à la consommation et aux loisirs, aux divertissements et à la vie

communautaire et associative s’inscrivent dans le rapport objectif321

et subjectif322

qu’entretiennent les personnes avec les lieux et les espaces323

. Elles ont été rarement

examinées de manière conjointe dans une perspective historique intégrant les deux facettes

de ce rapport. Cette approche permet pourtant de comprendre beaucoup plus finement

l’expérience du quartier et de la ville dont témoigne une culture urbaine. Ces pratiques ont

fait toutefois l’objet d’un grand nombre de travaux, la consommation étant notamment un

champ de recherche international majeur depuis les années 1990324

. Les chercheurs se sont

notamment concentrés sur certains lieux de consommation comme les grands magasins, les

centres commerciaux et les épiceries par exemple, afin d’étudier des éléments comme leur

offre, les motivations inhérentes à leur fréquentation, les stratégies de marketing ou les

caractéristiques de leur clientèle325

. D’autres études, portant sur les commerçants, ont mis

317

Dans le cas de ceux qui ont demeuré dans le quartier Saint-Sauveur. 318

Courses et repas au restaurant. 319

Vêtements, mobilier, produits domestiques, etc. 320

Esthétique (salons de coiffure et salons de barbier), santé, finances, assistance, etc. 321

En termes de besoins, de possibilités, de moyens financiers, de distances et de moyens de déplacement. 322

En termes de préférences et d’évaluation personnelle de ce qui est loin et proche ainsi que de ce qui est

accessible physiquement et financièrement. 323

Sur ces questions, voir, entre autres, NOSCHIS, op. cit.; CRESSWELL, op. cit. 324

FAHRNI, loc. cit., p. 465. 325

Voir notamment Michelle COMEAU, « Les grands magasins de la rue Ste-Catherine à Montréal : des

lieux de modernisation, d’homogénéisation et de différenciation des modes de consommation », Revue

d’histoire de la culture matérielle/Material History Review, 41 (printemps 1995), p. 58-68; Geoffrey

CROSSICK et Serge JAUMAIN (dirs.), Cathedrals of Consumption : The European Department Stores,

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en lumière, entre autres, les stratégies d’attraction de la clientèle, l’origine de cette dernière

et les relations entre les commerçants et les clients326

. La production scientifique sur le

quotidien en milieu populaire urbain nous informe, par ailleurs, sur les pratiques des

résidants en matière d’alimentation, d’achat de biens ou encore de loisirs et de

divertissements327

. On y souligne l’importance des pratiques réalisées à l’échelle locale,

laissant croire que certains milieux ont un caractère villageois328

, c’est-à-dire que leur

résidants investissent peu d’autres secteurs de leur ville. La localisation des milieux étudiés

dans leurs villes respectives apparaît jouer un rôle important dans la définition des

pratiques.

Le rapport des individus aux lieux et aux espaces guide l’expérience du quartier et de la

ville, notamment les trajectoires résidentielles, tel que nous l’avons vu au chapitre

précédent. Cette expérience contribue inversement à sculpter ce rapport, jour après jour,

année après année. Cette interrelation définit un pan important d’une culture urbaine. Il

nous semble donc nécessaire de mieux connaître l’évolution de cette interrelation par le

biais de plusieurs pratiques significatives dans cette expérience de la ville, allant de la

fréquentation des épiceries du coin et des salons de barbier à celle des grands magasins, des

cinémas ou encore des cabarets et de l’implication dans la vie associative paroissiale aux

simples promenades. Cela, d’autant plus que certaines mutations de la forme urbaine et des

modes de vie transforment sensiblement ces pratiques à partir des années 1950. On peut

ainsi se demander : Comment évolue l’interrelation entre le rapport objectif et subjectif aux

lieux et aux espaces et les pratiques reliées à la consommation ainsi qu’aux loisirs, aux

1890-1939, Aldershot/Brookfield, Ashgate, 1999, 326 p.; Maurice MYRAND, « Étude des magasins à rayons

basée sur le Syndicat de Québec Limitée », mémoire de maîtrise en sciences commerciales, Québec,

Université Laval, 1951, 120 p.; et Jacques HARVEY, « Essai sur la zone d’influence du centre commercial

Place Laurier », thèse de licence en géographie, Québec, Université Laval, 1970, 24 p.; Gaétan THÉBERGE,

Dossier sur l’évolution de la distribution alimentaire au Québec de 1930 à 1984, Montréal, Écoles des Hautes

Etudes Commerciales de Montréal, 1984, coll. « Rapport de recherche », no 84-09, 150 p.; Paul-H.

FALARDEAU, « Le commerce d’épicerie à Québec », mémoire de maîtrise en sciences commerciales,

Québec, Université Laval, 1946, 121 p. 326

La thèse de Sylvie Taschereau en est un bel exemple. Sylvie TASCHEREAU, « Les petits commerçants de

l’alimentation et les milieux populaires montréalais, 1920-1940 », thèse de doctorat en histoire, Montréal,

Université du Québec à Montréal, 1992, 408 p. 327

Citons, comme exemple, BAILLARGEON (1990, 1991), op. cit.; Collectif CourtePointe, op. cit.;

DESCHÊNES, op. cit.; LEVASSEUR, op. cit. 328

Rappelons que ce terme est inspiré des travaux de Young et Willmott ainsi que ceux de Gans. YOUNG et

WILLMOTT, op. cit.; GANS, op. cit.

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divertissements et à la vie communautaire et associative de la population du quartier Saint-

Sauveur entre 1930 et 1980?

L’expérience du quartier329

et de la ville des membres du corpus et de leurs parents, pour

la période pendant laquelle les participants demeuraient chez ces derniers, est modelée par

les goûts, les besoins et les moyens financiers. Elle apparaît, de plus, fortement marquée

par les rapports à la proximité et à l’accessibilité physique que les résidants du quartier

Saint-Sauveur entretiennent à l’égard des lieux et des espaces. Nous définissons les

rapports à la proximité et à l’accessibilité physique, d’une part, par l’évaluation des

individus de ce qui est proche et accessible en fonction de leurs pratiques et de leurs

représentations et, d’autre part, par le rôle joué par ces dimensions dans la définition des

pratiques et la place qu’elles occupent dans les valeurs des individus. Durant les années

1930, 1940 et 1950, les pratiques se font sous le signe d’une valorisation de la proximité.

Ce qui est considéré à proximité ne recouvre toutefois pas seulement le territoire du

quartier. Plusieurs pratiques sont réalisées à l’extérieur de ce dernier et s’effectuent dans un

cadre d’accessibilité aisée en raison de distances à franchir jugées raisonnables Ŕ le quartier

Saint-Sauveur étant avantageusement situé dans la ville Ŕ et de l’habitude de l’utilisation de

moyens de déplacement peu ou pas contraignants dans des quartiers densément bâtis aux

rues souvent étroites, comme la marche à pied. La ville vécue par les résidants du quartier

Saint-Sauveur est une ville qui se marche bien et cela, jusqu’au tournant des années 1960,

au moment où l’apparition de lieux de grande envergure et l’expansion de nouveaux modes

de vie conduisent à une transformation de l’expérience du quartier et de la ville teintée par

la redéfinition des rapports à la proximité et à l’accessibilité.

Ce chapitre s’ouvre sur l’examen d’un déterminant non négligeable de l’expérience du

quartier et de la ville des personnes dans les deux domaines étudiés, l’argent. Nous entrons

par la suite au cœur de cette expérience et des rapports à la proximité et à l’accessibilité

physique en s’attardant tour à tour, pendant les trois premières décennies de la période à

l’étude, sur l’alimentation, l’achat de biens et l’usage de services divers puis sur les loisirs,

les divertissements et la vie communautaire et associative. Nous analysons enfin les

329

Rappelons que nous entendons, lorsque nous parlons de l’expérience du quartier, le quartier Saint-Sauveur

dans sa forme administrative et non pas le quartier tel que perçu par chaque individu, qui peut correspondre à

de multiples formes.

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mutations de cette expérience, désirées ou plus ou moins contraintes, et de ces rapports qui

se produisent à partir de la fin des années 1950.

3.1 Vivre le quartier et la ville en fonction de ses moyens

financiers

La configuration des pratiques reliées à l’alimentation, à l’achat de biens, à l’usage de

services, aux loisirs et divertissements et à la vie communautaire et associative, les types de

lieux fréquentés et la fréquence à laquelle ils le sont découlent en partie des moyens

financiers dont disposent les ménages. En ce qui concerne les membres de notre corpus, les

types d’emploi occupés, les stratégies de revenus complémentaires et la présence, pour

certains, d’épisodes de chômage permettent de caractériser les situations financières ainsi

que les différences entre leur génération et celle de leurs parents. D’autres informations

fournies par les hommes et les femmes que nous avons rencontrés permettent également de

documenter ces situations et ces différences, de même que les stratégies familiales résultant

de moyens financiers limités.

La plupart des participants des deux cohortes d’âge330

font état que leur enfance se déroula

sous le signe d’une relative pauvreté. Par exemple, bon nombre durent vivre dans des

logements de qualité variable et partager leur lit et/ou leur chambre avec un ou plusieurs

frère(s)s ou sœur(s)s. Les parents de quelques-uns durent recourir à des services

d’assistance organisés. En dépit de ces conditions de vie modestes, ils considèrent que leur

enfance fut heureuse en raison principalement du fait que leurs besoins fondamentaux,

comme l’alimentation, étaient comblés, comme l’énonce cette participante : « On a jamais

manqué d’nourriture. On a toujours été choyés de c’côté-là. » (#16) Par ailleurs, grandir

dans un milieu où plusieurs vivaient une situation comparable ne leur fit réaliser que plus

tard les sacrifices et les limitations familiales imposés pendant ces années, comme

l’explique cette autre participante : « On était pas riches mais on a pas crevé d’faim. On

était pauvres, mais on l’savait pas. Tsé on était heureux ensemble là tsé. Faque j’pense c’est

ça la richesse, être ensemble, pis se sentir en sécurité ces affaires-là là tsé. » (#30)

330

Rappelons que la cohorte A est composée de 19 participants nés entre 1917 et 1932 et la cohorte B, de 11

membres du corpus nés entre 1935 et 1950.

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Dans de telles conditions, l’achat de certains biens est réduit au strict minimum et

remplacé par une production et une fabrication autonomes de denrées et de biens, que l’on

peut vendre parfois, ce qui apporte des revenus complémentaires. Trois participants (#04,

29, 32) ayant grandi dans le quartier Saint-Sauveur ont vu leurs parents propriétaires

profiter d’une grande cour arrière ou de la localisation de leur propriété à flanc du coteau

Sainte-Geneviève pour cultiver un potager et parfois même élever des animaux comme des

poules, des lapins, des canards ou des moutons, ce qui les a approvisionnés en denrées

alimentaires. La figure 3.1 rend compte à ce sujet de l’espace disponible le long du coteau à

l’arrière de propriétés de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce. Ces pratiques n’étaient pas bien

vues de tous les voisins, mais la vente à bon prix ou le don de fruits, de légumes ou de

viande a permis de calmer le jeu lorsque cela fut nécessaire et de poursuivre ces activités.

Dans la même optique, bon nombre de mères confectionnent elles-mêmes les vêtements des

membres du ménage. Les femmes jouent un rôle central au sein de ces stratégies familiales,

tant comme actrices que comme courroies de transmission des savoir-faire à leurs filles, qui

peuvent ainsi les assister331

. Le passage de vêtements du frère ou de la sœur aîné(e) aux

cadets au fil de la croissance des enfants est aussi fréquent, tout comme le recyclage de

vieux vêtements, qui sont défaits puis transformés. Une participante, huitième de dix

enfants, en parle en ces termes : « Pis ma mère moi, maman a cousait très bien. La plus

vieille a l’avait un manteau. La 2e l’portait. Quand c’tait rendu à moi, ma mère a virait

l’manteau à l’envers pis je l’portais. Ça marchait d’même tsé. » (#32) La confection ne se

borne pas aux vêtements, mais s’applique aussi à d’autres biens, comme les rideaux ou les

moustiquaires, et à la santé, certains maux ou maladies étant traités au moyen de remèdes

traditionnels, ce qui permet d’éviter l’achat de médicaments.

331

Cette transmission est complétée par des programmes de formation ménagère offerts par divers

établissements ou par le gouvernement provincial. Au moins cinq participantes furent inscrites à de tels

programmes se donnant dans le quartier Saint-Sauveur au cours de leur adolescence (années 1930 et 1940).

Elles suivirent des cours de cuisine, de couture ou encore de coupe de vêtements à la Maison Notre-Dame-de-

la-Providence dans la paroisse Saint-Malo et à la Bourse du Travail dans la paroisse Saint-Sauveur.

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Figure 3.1 – Bâtiments situés sur la rue Jolliet vus depuis la falaise, 8 novembre 1944

On peut voir à l’arrière-plan l’église Notre-Dame-de-Grâce. Source : Archives de la Ville de Québec; série

Législation et affaires juridiques du fonds de la Ville de Québec; négatif N021771. Auteur : Service de police

de la Ville de Québec.

La culture d’un potager, l’élevage d’animaux et la confection et le recyclage de vêtements

et de divers articles d’usage domestique ont ainsi permis une réduction des dépenses332

.

Faute de pouvoir ou de vouloir, ces stratégies ne sont cependant pas toutes mises de l’avant

par les ménages, qui doivent de toute façon acheter un certain nombre de biens. Des

332

Ils furent particulièrement utiles lors des difficultés économiques des années 1930 et du rationnement mis

en place durant la Seconde Guerre mondiale, car ils facilitèrent la vie des familles des participants. Notons

que ces stratégies sont fortement valorisées par les autorités et des organisations comme la Ligue Ouvrière

Catholique durant la période de la guerre. Brisebois a montré que la Ligue tient ce discours du « faire soi-

même » jusqu’au cours des années 1950, alors que la société québécoise, comme d’autres sociétés

occidentales, est entrée dans une ère de consommation de masse. À ce sujet, voir AUGER et LAMOTHE, op.

cit., p. 89-94; Marilyne BRISEBOIS, « “C’est d’abord aux mamans à surveiller les dépenses de la maison” :

La Ligue ouvrière catholique et la consommation quotidienne au Québec, 1939-1954 », mémoire de maîtrise

en histoire, Québec, Université Laval, 2011, p. 56-61.

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commerçants du quartier Saint-Sauveur sont bien au fait du pouvoir d’achat restreint de

plusieurs résidants. Ils vendent ainsi à moindre coût certains surplus, comme des sacs de

retailles de gâteau, fort populaires parmi les membres du corpus333

, ou des produits de

seconde qualité, comme des œufs « craqués ». La fréquentation de commerces à prix

modiques, comme les « 5-10-15334

», présents, entre autres, dans les quartiers Saint-

Sauveur et Saint-Roch, et l’utilisation du crédit dans certains magasins donnent aussi la

possibilité d’acquérir des biens tout en limitant les débours ou en étalant les paiements dans

le temps. Cela s’accompagne d’une réduction ou de l’absence de certaines dépenses,

comme les repas au restaurant, que plusieurs membres du corpus ne connaîtront qu’à

l’adolescence lorsque leurs revenus d’emplois le leur permettront. L’achat occasionnel d’un

sac de frites ou de quelques hot-dogs au casse-croûte du coin fait par contre exception.

Adultes, les personnes que nous avons rencontrées ont joui de niveaux de vie souvent

supérieurs à ceux de leurs parents et ont beaucoup moins procédé à la fabrication et à la

production de biens et de denrées. Cette évolution s’explique par l’absence de volonté de le

faire, par le développement de la production de masse de biens dont le coût décroît, par

l’apparition de grandes surfaces d’approvisionnement alimentaire offrant des prix plus bas

et par la hausse généralisée du pouvoir d’achat après le second conflit mondial, dont nous

avons fait mention au chapitre précédent. La part des biens et denrées achetés surpasse ainsi

celle de leurs parents. Il en va de même pour les sorties au restaurant, plus nombreuses.

Une partie des membres du corpus dut tout de même vivre avec des revenus plus modestes

que les autres et faire preuve de débrouillardise, à l’image de leurs parents. Les achats qui

ne sont pas essentiels sont évités. La charge de travail des deux époux et la situation

financière du ménage font en sorte que les sorties sont peu fréquentes et les activités de

détente gratuites, comme les promenades dans le quartier Saint-Roch et dans le Vieux-

Québec, privilégiées. Ces ménages procèdent à des achats de biens usagés, fabriquent une

partie de leurs vêtements et vendent des produits confectionnés. Un petit nombre bénéficie

333

Cette pratique est aussi mentionnée dans un recueil de récits de vie d’anciens résidants du sud du quartier

Limoilou (paroisses Saint-Charles de Limoilou et Saint-François-d’Assise). Voir René DESCHÊNES,

Madeleine J. BERGERON et Jeanine DION, Souvenirs de Limoilou, Québec, Botakap, 1996, p. 31. 334

Les articles de ces magasins y sont vendus 5, 10 ou 15 sous. Jean-Marie LEBEL, « La capitale prise

d’assaut : Québec sous l’invasion des “5-10-15” », Cap-aux-Diamants, 40 (1995), p. 52-56. Ces magasins

sont présents au Canada, aux États-Unis et également en Europe. Voir notamment Serge JAUMAIN,

« Vitrines, architecture et distribution. Quelques aspects de la modernisation des grands magasins bruxellois

pendant l’entre-deux-guerres », dans JAUMAIN et LINTEAU (dirs.), op. cit., p. 299-301.

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de l’aide de services d’assistance organisés. Le même argument de la nourriture en quantité

suffisante revient pour pallier la modestie du niveau de vie, argument définissant selon eux

l’état de pauvreté. Un participant déclare à ce sujet: « On a jamais été en voyage à part de

ça. Petits salaires, hein. […] [M]ais on a jamais manqué d’nourriture, si j’avais 50 cennes

dans mon livre de banque, j’tais riche. Parce que moi mon beau-père disait toujours à ses

enfants, si vous devez pas, vous êtes riche. » (#13)

Le rapport au crédit énoncé par le beau-père de ce participant sépare le corpus en deux

camps. Son attitude relativement négative ne trouve écho que dans une petite partie du

corpus, qui, motivée par l’aversion envers les dettes, n’a, durant la période étudiée, utilisé

le crédit que pour de petits achats dans les commerces de proximité immédiate comme les

épiceries, une pratique généralisée. Ces individus préférèrent amasser l’argent puis

procéder à l’achat désiré. Pour les autres participants, le crédit est vu sous un jour plus

favorable puisqu’il permet d’acquérir rapidement des biens coûteux, mais essentiels,

comme des pièces de mobilier335

. Sa disponibilité a contribué dans certains cas au choix des

lieux d’achats, alors que d’autres ont obtenu du crédit dans des institutions spécialisées

situées dans le quartier Saint-Roch avant de se diriger vers les établissements de leur choix.

Les revenus des ménages influencent, par ailleurs, le choix des moyens de déplacement

utilisés. Jusqu’aux années 1950 et 1960, il est courant de se déplacer gratuitement ou à peu

de frais, ce que permettent la marche à pied et la bicyclette336

. Ces modalités de

déplacement sont valorisées par les membres du corpus et leurs parents et cela, tant pour les

pratiques réalisées dans le quartier Saint-Sauveur qu’à l’extérieur de celui-ci. Les distances

à parcourir à l’intérieur du quartier n’incitent pas à prendre le transport en commun337

. Ce

335

Ces deux attitudes et les principes qui les sous-tendent ont été analysés notamment par Marc-Adélard

TREMBLAY et Gérald FORTIN, Les comportements économiques de la famille salariée du Québec. Une

étude des conditions de vie, des besoins et des aspirations de la famille canadienne-française d'aujourd'hui,

Québec, Presses de l’Université Laval, 1964, p. 205-209. 336

Comme dans d’autres domaines de la vie quotidienne, la débrouillardise est à l’honneur. Le frère d’une

participante (#32) prend l’habitude à la fin des années 1930 d’atteler ses chiens à son traîneau l’hiver afin de

pouvoir se rendre rapidement jusqu’à parc Minoune, secteur au nord de la municipalité de Québec-Ouest

(future Ville-Vanier en 1966), au nord du quartier Saint-Sauveur, pour rendre visite à sa copine qui y

demeure. 337

Le tramway hippomobile fait son apparition à Québec en 1865. Il relie alors le marché Champlain, près du

port, à la rue Saint-Ours (futur boulevard Langelier), limite occidentale de la cité, en passant par la rue Saint-

Joseph. Ce n’est que 13 ans plus tard, en 1878, que la Haute-Ville sera desservie. Saint-Sauveur est intégré au

réseau après le rattachement du village à la ville de Québec en 1889. Progressivement, les rues Saint-Vallier,

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dernier n’est utilisé que pour sortir du quartier ou y revenir, mais sur une base

occasionnelle pour la plupart des membres du corpus et de leurs parents. Les déplacements

en dehors du quartier Saint-Sauveur se réalisent en effet majoritairement à pied. L’avantage

économique de la marche à pied est indéniable, mais d’autres facteurs sont en jeu. La

localisation du quartier Saint-Sauveur, contigu au cœur commercial et ludique de la ville,

encourage cette pratique. Les distances à franchir sont jugées raisonnables, ce qui contribue

à intégrer différents espaces entourant Saint-Sauveur dans le cercle de ce qui est considéré à

proximité. Les participants investissent donc à pied les quartiers Saint-Roch, Champlain ou

encore Limoilou, et ce dès leur jeunesse. L’habitude de marcher, développée à moyen et à

long terme, forge une certaine endurance et élargit l’aire de ce qui est perçu comme

commodément accessible par ce moyen de déplacement. L’automobile viendra

sensiblement transformer ce rapport.

Les considérations financières mènent ainsi des parents de participants et des participants

eux-mêmes à produire et à fabriquer des denrées et des biens et à préférer certains types

d’entreprises à d’autres. Elles prédisposent, de concert avec la localisation avantageuse du

quartier Saint-Sauveur dans la ville de Québec, les rapports à la proximité et à

l’accessibilité physique des résidants de ce quartier. Ainsi, en dépit de revenus limités, les

membres du corpus et leurs parents font preuve d’un investissement notable d’autres

quartiers de Québec, où se trouvent les grands établissements commerciaux et un nombre

important de lieux de loisirs et de divertissements.

3.2 Anatomie du proche et de l’accessible

Pendant les trois premières décennies du demi-siècle à l’étude, soit entre 1930 et 1960, les

pratiques des participants à notre enquête et celles de leurs parents, durant la période où les

participants vivaient sous leur toit, qui sont associées à la consommation, soit

Sainte-Thérèse et Hermine, entre autres, voient défiler les « petits chars », surnom des tramways, et les

autobus se dirigeant vers le secteur du port via le quartier Saint-Roch. Durant la période 1930-1980, les

parcours traversent essentiellement le quartier d’ouest en est. Le transit nord-sud, hormis sur la rue Marie-de-

l’Incarnation dans la paroisse Saint-Malo, qui relie la municipalité de Québec-Ouest à la côte de la pente

douce menant à la Haute-Ville, apparaît peu développé. L’accent est placé sur les liaisons avec les secteurs

commerciaux et industriels situés au bas du coteau. Pour une synthèse de l’histoire des tramways à Québec,

voir Jacques PHARAND, Les tramways de Québec, Québec, MNH, 1998, 190 p.

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l’alimentation, l’achat de biens et l’usage de services divers, de même que celles dédiées

aux loisirs, aux divertissements et à la vie communautaire et associative témoignent d’un

fort investissement des espaces locaux, soit de la paroisse de résidence et du quartier Saint-

Sauveur en général. Cet investissement est accompagné d’une expérience notable d’autres

quartiers de la ville de Québec, par nécessité ou par goûts personnels338

. Ne franchir que de

courtes distances constitue une valeur centrale guidant certaines pratiques. D’autres

s’effectuent à plus large échelle, notamment à l’extérieur des frontières du quartier Saint-

Sauveur, mais demeurent réalisées dans un esprit de proximité et d’accessibilité physique

aisée. L’espace urbain vécu démontre que les résidants du quartier ne peuvent pas être

qualifiés de villageois urbains.

3.2.1 Consommation

« Aller au plus proche »; aller sur la rue Saint-Joseph. Les pratiques en matière

d’alimentation, d’achat de biens et d’usage de services divers dévoilent un accent tantôt sur

l’établissement le plus près du lieu de résidence, souvent au coin de la rue, tantôt sur les

établissements situés sur les artères commerciales du quartier Saint-Sauveur ou les artères

commerciales majeures de Québec de l’époque situées dans les quartiers Saint-Roch et

Champlain. Les parents des membres du corpus, qui sont responsables de ces pratiques

durant la période où les participants naissent et grandissent, puis, à leur tour, les

participants eux-mêmes, profitent à la fois d’un réseau local dense et de l’offre des

établissements ayant pignon sur rue le long des axes commerciaux fréquentés par une

grande partie de la population de Québec.

3.2.1.1 Les caractéristiques du réseau du quartier

Le quartier Saint-Sauveur abrite, depuis 1930 jusque vers les années 1960 et 1970, lorsque

supermarchés et centres commerciaux changent la donne, un nombre considérable de

commerces et de services, souligné unanimement par les membres du corpus. Ils desservent

une population nombreuse. Rappelons que le quartier Saint-Sauveur compte plus de 40 000

338

Le lecteur se réfèrera au besoin pour cette partie aux cartes situées en annexe.

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habitants en 1941339

, répartis sur un territoire d’environ 2,66 kilomètres carrés, incluant le

parc industriel Saint-Malo, qui en couvre presque le tiers. La grande diversité, les

dimensions limitées de même que la répartition des unités, c’est-à-dire des établissements,

du réseau dans les paroisses de ce quartier densément peuplé donnent à ces paroisses ainsi

qu’au quartier dans son ensemble des allures de villages urbains, ce qui n’est pas

fondamentalement différent de la situation d’autres quartiers populaires de l’époque au

Québec.

Une participante décrit en ces termes la trame de commerces et de services des environs

de son domicile de la rue Châteauguay, entre le boulevard Langelier et la rue Signai, dans

la paroisse Notre-Dame-de-Grâce au cours des années 1940 :

- Au coin d’chez nous y avait, au côté d’l’école y avait un ti magasin

d’bonbons, Mme Laperrière. À côté d’chez nous y avait un barbier, Lessard. Au

coin c’tait une épicerie qui s’app’lait Blouin. Pis quand on montait l’boul’vard

Langelier là, au coin du boul’vard Langelier Châteauguay y avait la maison

Revivre, là est pu là là. Là j’pense…

- (D.G.) La maison Revivre340

a été là pendant un bout d’temps?

- Oui. Était là. Après y a eu un commerce. Quand on monte un ti peu y avait

d’Auteuil l’magasin y est pu là. À part de ça y avait, au coin d’la rue Arago pis

Langelier, c’était Josaphat Dinel, boucher. L’autre bord c’tait un autre boucher

épicerie, Bédard.

- (D.G.) Ok, de ce côté-ci d’Langelier, de votre côté d’Langelier.

- Notre-Dame-de-Grâce. Parce que l’autre bord ça tombe Jacques-Cartier341

là.

[…] Pis à part de ça y avait au coin d’la rue Durocher pis la rue Châteauguay y

avait une quincaill’rie, Plante. Au coin d’la rue Arago, pis Signai y avait

Rousseau, qui t’nait épic’rie, pis une quincaill’rie. En face s’a rue Arago, y

avait un M. Matte qui était marguillier. Pis lui sa femme, sa fille a t’nait

marchand d’chapeaux. Pis à côté d’l’église là, au coin d’la rue Colbert, y avait

un p’tit magasin, c’tait les Lafrance qui étaient là. Un p’tit magasin, toutes

sortes de p’tites cochonneries là. Pis l’autre bord d’l’église, s’a rue Arago, c’tait

les… Un M. Grenier qui était là. Lui y vendait l’épic’rie pis toute, pis à côté

c’est ses sœurs qui vendaient du linge. Dans c’coin-là qu’y vendaient du linge.

Pis y avait un monsieur Parent s’a rue Arago, lui c’t’un électricien. Toutes ces

enfants-là là, c’te gang-là là, ça v’nait à l’école Notre-Dame-de-Grâce. Ah oui y

339

Il est alors le quartier le plus populeux de la ville de Québec. Durant cette décennie 1940, le quartier

Limoilou, en spectaculaire progression, le surpasse, passant de près de 34 300 habitants en 1941 à 47 800 en

1951 et à 64 500 en 1961. VALLIÈRES, « Population et société dans une ville moderne », dans VALLIÈRES

et al. (Tome III), op. cit., p. 1812. 340

Œuvre d’assistance aux plus démunis. 341

Paroisse Notre-Dame-de-Jacques-Cartier (quartier Saint-Roch).

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avait beaucoup d’commerces, y avait beaucoup d’épiceries, c’tait toute collé!

(#32)

Cette citation représente bien les propos des membres du corpus sur ce sujet à l’époque où

ils étaient jeunes. Nombreux sont ceux qui ont livré de longues descriptions systématiques

des commerces et services. Le grand nombre d’unités fait en sorte que des participants

ayant habité la même paroisse à une même période n’ont pas toujours identifié les mêmes

lieux. Le quartier étant densément construit, les établissements ne sont pas très éloignés les

uns des autres, d’où l’image que tout était « collé » formulée en fin de passage par la

participante.

Falardeau, dans son étude sur le commerce d’épicerie à Québec, en relève 161 pour le seul

quartier Saint-Sauveur en 1941, soit un ratio d’une épicerie pour 248 habitants, le plus fort

de la ville342

. Ce type de commerce est sans contredit le plus présent dans le quartier,

comme l’illustre un participant : « Nous autres, t’avais juste à te revirer de bord, t’avais une

épicerie. » (#04) Les épiceries sont accompagnées d’une grande diversité d’autres

établissements343

. Boucheries344

, boulangeries, pâtisseries, tabagies, casse-croûte et

marchands spécialisés dans l’habillement (vêtements, fourrures, chapeaux, etc.) sont, par

exemple, présents dans la plupart des paroisses du quartier, en nombre moins imposant

cependant que les épiceries. Il en va de même pour différents services, comme les salons de

barbier et de coiffure, les garages, les caisses populaires et des organisations d’assistance.

Restaurants, quincailleries, teintureries, commerces de marchandises sèches (tissus au

mètre, farine, sucre, clous, etc.), échoppes d’artisans, cordonniers, ferblantiers, menuisiers

et autres, cabinets de médecins et de spécialistes de la santé et pharmacies sont aussi

présents à l’échelle du quartier, en nombre variable. Au sein de ce réseau spécialisé,

342

FALARDEAU, op. cit., p. 23. Le ratio de Saint-Sauveur devance alors celui des cinq autres quartiers de la

ville : Saint-Roch (1 pour 255 habitants), Champlain (1 pour 344), Saint-Jean-Baptiste (1 pour 345), Limoilou

(1 pour 394) et Montcalm (1 pour 624). Ce ratio fut calculé avec les informations quant au nombre d’épiceries

fournies par Falardeau et les données démographiques présentées par l’équipe de Marc Vallières dans la

synthèse sur l’histoire de la ville de Québec (2008). 343

Le portrait de la diversité que nous présentons a été élaboré sur la base des déclarations des participants.

Certains types de commerces et de services ne furent pas mentionnés, mais sont présents dans le quartier.

Pour un bilan plus exhaustif, voir l’analyse de Rochette pour les années 1945-1946 et 1946-1947.

ROCHETTE, op. cit., p. 80-83. 344

Ce type de commerces apparaît à Québec vers les années 1910, offrant par ce fait aux consommateurs une

alternative aux marchés publics pour l’achat de la viande. Marc SAINT-HILAIRE et Yves PARÉ, « Les

nouveaux développements », dans COURVILLE et GARON (dirs.), op. cit., p. 252.

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certains commerçants ajoutent quelques cordes à leur arc et combinent épicerie et

boucherie, épicerie et petit comptoir de quincaillerie ou encore tabagie et restaurant (voir

figure 3.2). Des épiciers offrent également des biens de première nécessité non

alimentaires, comme de l’huile à chauffage. Une grande proportion des commerçants du

quartier « marquent345

», c’est-à-dire permettent d’acheter à crédit. Ils jouent

conséquemment un rôle important dans les stratégies des familles aux revenus modestes en

matière de consommation.

Figure 3.2 – Tabagie-restaurant J.-A. Paquet, années 1940

Cet homme ouvrit son commerce en 1938 à l’âge de 24 ans. L’établissement était situé au carrefour des rues

Durocher et Kirouac. Source : Fonds Famille Joseph-Albert Paquet. Auteur non identifié.

Le réseau de commerces et de services du quartier Saint-Sauveur se caractérise également

par la petitesse des établissements. Plusieurs unités sont situées dans des locaux de taille

réduite, parfois dans un logement ou une partie de logement converti. Des boulangeries

345

Cette expression réfère au fait d’inscrire dans un carnet ou sur une feuille les sommes dues par le client au

commerçant.

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aménagées dans des hangars et de simples « magasinets346

», salons transformés en

comptoir de friandises ou modestes dépanneurs, côtoient d’étroits salons de barbiers ou

casse-croûte ainsi qu’une pléthore de petits commerces d’approvisionnement alimentaires

indépendants. Sont aussi présentes, dans le secteur alimentaire, certaines boucheries,

épiceries et épiceries-boucheries indépendantes de taille moyenne et quelques épiceries-

boucheries de même taille appartenant à des chaînes comme Dominion. Offrant plus de

variété, elles sont déjà présentes au début de la période à l’étude. La domination nette au

plan du nombre des établissements indépendants sur les succursales de chaînes n’est pas

surprenante. Plusieurs études sur la question de la distribution alimentaire soulignent leur

grande popularité à l’époque dans les quartiers populaires au Québec en raison de

l’attraction d’un modèle d’affaires familial et paroissial347

chez les résidants de ces

quartiers et de leur satisfaction envers les commerçants indépendants, nourrie entre autres

par les bonnes relations qu’ils ont avec eux, le crédit et la livraison348

. Dans une dynamique

similaire, les quincailleries, les garages ou encore les magasins de vêtements se retrouvent

autant dans des espaces exigus que dans des locaux plus spacieux.

Les unités du réseau du quartier Saint-Sauveur ne sont pas seulement localisées sur ses

axes commerciaux et passants, mais aussi dans les « tites rues » (#10), c’est-à-dire à travers

le tissu résidentiel, près de la clientèle, comme le montre la figure 3.3. Les pratiques en

matière d’approvisionnement alimentaire étant à l’époque quotidiennes ou presque, ce sont

généralement les femmes, dont la capacité de sortir du logement est limitée lorsqu’elles

doivent s’occuper d’enfants en bas âge, qui sont chargées de faire l’épicerie349

. Les épiciers,

bouchers et aussi autres commerçants tiennent ainsi boutique à proximité immédiate de

346

FALARDEAU, op. cit., p. 21. L’auteur souligne que ce type de commerces se retrouve à Québec surtout

dans les quartiers « ouvriers » où la densité de population est la plus forte, c’est-à-dire Saint-Sauveur, Saint-

Roch et Saint-Jean-Baptiste. 347

Ibid., p. 43. 348

Gaétan Théberge cite Jacques Couvrette, de l’École des Hautes Études Commerciales de Montréal, qui

énonce qu’en 1943, à Montréal, les chaînes hésitent à s’établir massivement dans les quartiers populaires, où

l’épicier indépendant a « franchement » la cote. THÉBERGE, op. cit., p. 25. Petits et moyens commerçants

doivent néanmoins s’adapter à la présence de ces succursales de chaînes, qui offrent une concurrence en

termes de prix, de publicité et de nouveautés, notamment sur la question du libre-service. Ils s’efforcent ainsi

de mettre leurs avantages (crédit, livraison gratuite, commande à domicile, etc.) en valeur et de les perpétuer

malgré les difficultés, notamment financières, qu’ils peuvent entraîner. Plusieurs unités succomberont

néanmoins à la concurrence de ces succursales durant les années 1930 et 1940 au Québec. TASCHEREAU,

op. cit., p. 298-300, 303. 349

FAHRNI, loc. cit., p. 468-469.

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leurs clients. Plusieurs d’entre eux offrent, de plus, un service de livraison qui peut être

rapide considérant les courtes distances à parcourir et la taille de leur clientèle, comme nous

le verrons plus loin.

Figure 3.3 – Épicerie Adl. Saucier, ca 1940-1960

Source : Archives de la Ville de Québec; série Ressources financières du fonds de la Ville de Québec; négatif

N012371. Auteur : Wilfrid Drouin, Ville de Québec.

Un nombre significatif de commerces et de services, dont ceux représentés aux figures 3.2

et 3.3, sont situés à un carrefour, parfois dans un immeuble en pan coupé, comme le

mentionne une participante. « Ben, ben toutes les coins d’rues y avait presque toute des

épic’ries hein, d’in coins d’rue. » (#27) Cette localisation est à l’origine de l’appellation

« épicerie du coin », utilisée par tous les participants. Ces épiceries sont pour la plupart de

petite taille. Des établissements de plus grande envergure occupent aussi un, parfois deux,

coin(s) de rue. Certains membres du corpus distinguent l’épicerie du coin de l’épicerie de

quartier, cette dernière, de taille moyenne, attirant pour diverses raisons une clientèle

élargie. D’autres utilisent au contraire les deux expressions indifféremment pour parler des

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petites épiceries350

. Cette localisation particulière des commerces et des services est si

répandue que plusieurs résument leurs habitudes d’achats ou celles de leurs parents par le

fait qu’ils vont simplement au coin ou dans les « p’tits coins » (#10). Le coin constitue une

référence spatiale fréquemment employée par les hommes et les femmes des deux cohortes

d’âge du corpus afin de situer un lieu de résidence, un commerce, un lieu de loisir, une

institution ou encore un lieu de travail. L’information donnée ne signifie pas

nécessairement que le lieu en question se situe précisément au carrefour, mais parfois près

de celui-ci. C’est ainsi qu’à première vue, les participants semblent localiser à tort un lieu

pourtant souvent visité. Ce n’est qu’en comprenant à quel point cette caractéristique du

réseau local marque les esprits et les raisonnements spatiaux que les termes utilisés

prennent leur sens. Un nombre limité de participants, des deux cohortes d’âge et de

différents niveaux de scolarité, ont utilisé les termes « entre » telle et telle rue ou « près du

coin » pour localiser différents lieux.

Quelques minutes de déplacement séparent ainsi les gens des produits et des services

désirés ou les livreurs de leur destination. Cette situation se vit, dans l’ensemble, dans

chaque paroisse du quartier351

. En dépit de sa densité et de l’étendue de sa superficie, le

réseau est tout de même ponctué de certaines zones où la concentration de commerces et de

services est plus élevée, soit au cœur des paroisses et aux abords des axes de circulation les

plus importants. Au centre de la paroisse québécoise, en milieux rural et urbain, se trouvent

l’église, le presbytère et, tout dépendant de l’espace disponible autour de ces derniers au

moment de leur édification, du centre communautaire paroissial, appelé communément

centre paroissial. Près de ce cœur se retrouvent également souvent les écoles pour les

garçons et pour les filles, la caisse populaire, des cabinets de notaires et d’avocats ainsi que

d’autres types de commerces et de services, précédemment mentionnés, localisés comme

ailleurs dans le tissu résidentiel et notamment aux carrefours des rues. Ces derniers

350

Des membres du corpus emploient aussi, dans une moindre mesure, le terme « coin » pour traiter non pas

du croisement de rues, mais plutôt du secteur lorsqu’un type de commerce, comme une quincaillerie ou une

cordonnerie, est moins présent dans les environs. 351

L’ouest de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, elle-même à la limite occidentale du quartier Saint-Sauveur,

se distingue sur cette question. La construction par la Wartime Housing, durant les années 1940, de près de

deux cents maisons unifamiliales détachées ne fut alors pas accompagnée de l’implantation de commerces et

de services sur le même modèle que celui du reste du quartier. Ces derniers se retrouvent en majeure partie

près du cœur de la paroisse, plus à l’est, et sur la rue Saint-Vallier, épine dorsale de la paroisse.

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disposent non seulement de leur bassin habituel de clients, mais profitent aussi de la

fréquentation de l’église ou encore du centre paroissial.

Des dizaines d’unités de petite et de moyenne taille bordent, par ailleurs, certaines artères

traversant le quartier Saint-Sauveur et reliant ce dernier aux quartiers et municipalités qui

l’entourent. Elles en font des rues commerciales animées. La plus importante, tant au point

de vue du nombre d’établissements que de sa fréquentation, est sans contredit la rue Saint-

Vallier, axe ancien352

débutant au pied des fortifications de la vieille ville et se dirigeant

vers l’ouest entre le coteau Sainte-Geneviève et la rivière Saint-Charles en traversant les

quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur. Cette rue a une vocation commerciale clairement

établie dans ce dernier. Dans le quartier Saint-Roch, elle est davantage résidentielle et

industrielle. La plupart des plus grands établissements commerciaux du quartier Saint-

Sauveur se retrouvent sur la rue Saint-Vallier. Les résidants du quartier entier y acquièrent,

entre autres, biens alimentaires353

, vêtements, tissus destinés à la confection ou encore

divers objets reliés à la vie courante offerts dans les magasins à prix modiques, dont les « 5-

10-15 », qui sont représentés par diverses bannières, comme Kresge, ou dans les magasins

spécialisés dans la décoration. D’autres artères comme la rue Marie-de-l’Incarnation

comptent aussi une diversité d’enseignes, sans jouir cependant de la même fréquentation

que la rue Saint-Vallier ni de la même renommée locale. À l’intérieur des paroisses se

trouve finalement une troisième catégorie de rues commerçantes, traversant le cœur de

chacune d’entre elles. Les établissements qui s’y trouvent sont visités par les gens

demeurant dans ces paroisses, plus rarement par des gens demeurant ailleurs.

En dehors des artères commerciales, la clientèle de la plupart des unités du réseau des

commerces et services du quartier Saint-Sauveur est limitée et locale en raison du nombre

important d’établissements. Le public visé par les petits épiciers n’est pas de l’ordre du

quartier, ni même de la paroisse entière, mais plutôt des environs immédiats du commerce.

La clientèle des boulangeries, boucheries, casse-croûte, teintureries et autres types

d’établissements moins nombreux que les épiceries vient d’un peu plus loin. Certaines

352

La rue a porté auparavant le nom de route de Lorette, comme nous l’avons précisé au premier chapitre. 353

Il y a notamment un marché public, la Halle Saint-Pierre. Un feu la ravage en 1945. Après sa démolition,

les autorités de la paroisse Saint-Sauveur y font construire un centre paroissial, le Centre Durocher, inauguré

en 1950.

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unités situées sur des axes de transit vers d’autres espaces environnant le quartier Saint-

Sauveur ne sont pas uniquement fréquentées par la population résidante. De même, certains

commerçants bénéficiant d’une réputation enviable voient leur entreprise devenir un haut

lieu attirant une clientèle plus nombreuse et élargie. Ces entreprises deviennent des objets

de fierté pour les résidants des paroisses où elles se situent, au même titre que des lieux

comme l’église. C’est le cas, par exemple, de la boucherie Dinel, située sur le boulevard

Langelier dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce. Reconnue pour l’amabilité du personnel,

la propreté des lieux et la qualité de la viande, elle est fréquentée par des gens demeurant

dans plusieurs paroisses des quartiers Saint-Sauveur, Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste. Les

artères commerciales Saint-Vallier et Marie-de-l’Incarnation, quant à elles, voient affluer

des gens de partout dans le quartier Saint-Sauveur. Les visiteurs provenant de l’extérieur

des limites du quartier n’y sont par contre pas nombreux, chaque quartier ayant ses propres

artères commerciales et celles du quartier Saint-Sauveur ne possédant pas de trait distinctif.

Après avoir décrit à quel point le réseau des commerces et des services était dense,

plusieurs participants tiennent à préciser que malgré une clientèle limitée en nombre, les

affaires étaient bonnes. Un participant témoigne de cette vitalité en ces termes: « Y en avait

partout. (Pause) Pis tout l’monde vivait. » (#04) La fidélité des clients est notamment

invoquée comme raison de cette vitalité. Des études portant sur les petits commerçants

québécois, notamment en milieu populaire, pour les années 1920 à 1940, font pourtant état

d’un nombre élevé de courtes durées de vie des établissements, soit de six ans ou moins354

.

Théberge note, pour sa part, que la durée de vie moyenne d’une épicerie montréalaise est de

10 ans en 1943355

. Les difficiles années 1930 et les aléas du crédit et de la concurrence

expliquent en partie ces données. Jusqu’aux années 1960 et 1970, lorsque le glas sonne

pour un grand nombre d’unités du réseau du quartier, échecs et successions plus ou moins

rapides de propriétaires au sein d’un même commerce ont été tout de même accompagnés

d’expériences empreintes de succès. La volonté des participants de souligner cette vitalité

lors des entretiens nous semble révéler, au-delà de ces considérations, une valorisation

354

FALARDEAU, op. cit., p. 72-78; Sylvie TASCHEREAU, « Les petits commerçants de l'alimentation et

les milieux populaires montréalais, 1920-1940 », Bulletin du Regroupement des chercheurs-chercheures en

histoire des travailleurs et travailleuses du Québec, 19/1 (janvier 1993), p. 14. 355

Ce calcul est basé sur le nombre d’années pendant lesquelles une épicerie est tenue par un même

propriétaire. THÉBERGE, op cit., p. 24.

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peut-être disproportionnée d’une vie locale animée, apparue postérieurement au déclin de

ce réseau à partir des années 1960 et à ses impacts sur la vie locale.

Les caractéristiques du réseau de commerces et de services en matière d’alimentation et de

biens et services divers du quartier Saint-Sauveur ne s’inscrivent pas en faux avec celles

d’autres quartiers populaires de Québec ou d’autres quartiers populaires ailleurs au Québec

durant les années 1930, 1940 et 1950356

. La diversité, les dimensions, la localisation et la

clientèle des établissements du quartier Limoilou et de la partie nord du quartier Saint-Jean-

Baptiste357

, par exemple, sont comparables à celles du quartier Saint-Sauveur358

. La 3e

Avenue, dans le premier cas, et la rue Saint-Jean, dans le second, ont un statut similaire à

celui de la rue Saint-Vallier. Ces trois artères se différencient cependant fortement de

l’artère commerciale principale du quartier Saint-Roch, la rue Saint-Joseph, artère

commerciale reine de Québec depuis les années 1860 et 1870 (voir figure 3.4).

356

SAINT-HILAIRE et PARÉ, dans COURVILLE et GARON (dirs.), op. cit., p. 252; FALARDEAU, op.

cit., p. 12. Le nombre d’unités est, en comparaison, beaucoup moins élevé dans le quartier Montcalm, de

statut socioéconomique bien supérieur à celui du quartier Saint-Sauveur. Les autorités municipales y ont

limité l’expansion commerciale dès les années 1910 afin de préserver son caractère résidentiel. Robert

CARON et Claude BERGERON, Patrimoine du quartier Montcalm. Histoire de la forme urbaine, Québec,

Ville de Québec, 2000, p. 173-174. 357

La trame urbaine de sa partie sud, marquée notamment par la présence du Parlement et de plusieurs

bâtiments administratifs, est différente. Cette partie sud est aussi moins le lieu de résidence de ménages de

statuts socioéconomiques modestes. Sa partie nord, communément appelée faubourg Saint-Jean-Baptiste,

couvre les paroisses Saint-Jean-Baptiste et Saint-Vincent-de-Paul, toutes deux traversées par la rue Saint-

Jean. 358

Les propos des participants y étant demeuré durant cette période illustrent également cette similitude.

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Figure 3.4 – Intersection de la rue Saint-Joseph et de la rue de l’Église, ca 1945

La photo a été prise du parvis de l’église Saint-Roch. Source : Archives de la Ville de Québec; Collection de

documents iconographiques des Archives de la Ville de Québec; négatif N008397. Auteur non identifié.

Figure 3.5 – Magasin Pollack, après 1922

Source : Archives de la Ville de Québec; Collection de documents iconographiques des Archives de la Ville

de Québec; négatif N011177. Auteur non identifié.

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Cette rue offre une combinaison d’unités de petite et de moyenne taille et de grands

« temples » de la consommation359

, les « gros » magasins, comme l’énoncent plusieurs

participants. Les « 5-10-15 », restaurants et boutiques offrant les mêmes produits que les

établissements de la rue Saint-Vallier ou de la rue Marie-de-l’Incarnation y voisinent les

étincelants Paquet, Pollack (voir figure 3.5), Syndicat de Québec et J. B. Laliberté, grands

magasins à rayons dont l’attrait déborde des limites de la ville360

. Le quartier Saint-Roch,

que plusieurs participants considèrent comme le quartier centre-ville de Québec361

, et

particulièrement la rue Saint-Joseph, sont perçus comme l’endroit à Québec où tout peut se

trouver. À défaut de savoir si un bien peut être acheté dans le quartier Saint-Sauveur, la

certitude de pouvoir le dénicher dans un établissement de Saint-Roch y amène les membres

du corpus et leurs parents. Peu d’autres rues commerçantes de Québec sont fréquentées par

des gens de tous les secteurs de la ville et notamment par les participants. La partie de la

rue Saint-Jean située à l’intérieur des fortifications, soit dans le Vieux-Québec intra muros,

et la rue Saint-Paul, elle aussi dans le quartier Champlain, mais au pied du coteau Sainte-

Geneviève dans le secteur du port, en sont deux exemples.

Le réseau des commerces et services du quartier Saint-Sauveur est donc, pendant les trois

premières décennies de la période à l’étude, composé d’un nombre important d’unités. Il

témoigne d’une grande diversité et se déploie au sein d’un tissu résidentiel dense en de

petits et moyens établissements, salons de coiffure, épiceries-boucheries, caisses populaires

et magasins à prix modiques et autres, dont une partie se concentre à l’ombre des clochers

paroissiaux. Sa clientèle est essentiellement locale, à la différence des grands magasins à

rayons de la rue Saint-Joseph. Ce réseau donne aux paroisses et au quartier Saint-Sauveur

dans son ensemble un caractère villageois et laisse supposer des pratiques fortement

localisées. Les usages qu’en font les personnes que nous avons rencontrées et leurs parents

vont en partie dans ce sens. Toutefois, l’appel des vitrines, de l’animation et du choix des

enseignes du quartier Saint-Roch, tout proche, trouve également réponse.

359

Cette appellation est inspirée de l’expression de CROSSICK et JAUMAIN (dirs.), op. cit. 360

Les compagnies Paquet, Syndicat et Laliberté furent fondées dans la seconde moitié du XIXe siècle et la

compagnie Pollack, au début du XXe.

361 À l’époque et encore au moment des entretiens.

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3.2.1.2 Les pratiques des membres du corpus

Faire l’épicerie, acheter les vêtements des enfants ou, du moins, les matériaux nécessaires

à leur confection, acquérir des meubles au moment de la décohabitation du domicile

familial, de même que l’ensemble des pratiques associées à l’alimentation, à l’acquisition

de biens et à l’usage de services répondent à des choix tant pragmatiques, de localisation

notamment, qu’orientés par les préférences personnelles et les habitudes familiales. Le

désir que les lieux fréquentés soient à proximité du domicile fait souvent partie de

l’équation. L’évaluation de ce qui se trouve à proximité ne se limite pas néanmoins aux

environs du domicile, ni même à la paroisse ou au seul quartier Saint-Sauveur.

3.2.1.2.1 Alimentation

Au plus près, telle est la ligne directrice d’une grande majorité des parents des participants

puis des participants eux-mêmes, quelque soit leur paroisse de résidence dans le quartier

Saint-Sauveur, lorsque vient le temps de faire les courses et ce, jusqu’au début des années

1960. Faire l’épicerie correspond la plupart du temps à se rendre au coin de la rue. Le choix

des autres types d’établissements d’approvisionnement alimentaire, de même que des lieux

de restauration rapide, répond à une logique similaire de proximité. L’approvisionnement

est réalisé fréquemment. « Tsé le monde allait tous les jours au magasin, surtout la viande!

Y avait pas d’frig’daire… » (#06) À l’époque, peu de ménages disposent en effet de

réfrigérateurs, comme le mentionne cette participante362

. Ils sont plutôt équipés d’une

glacière, nécessitant l’achat de glace sur une base régulière, et parfois d’une « armoire

froide », c’est-à-dire d’une armoire dont le fond, dans lequel sont aménagées des

ouvertures, communique avec l’air du dehors. Ils doivent donc s’approvisionner chaque

jour ou presque, surtout en période estivale, ce qui favorise l’achat au commerce le plus

proche.

La possibilité de réduire le plus possible les distances à parcourir est également recherchée

en raison du fait que peu de ménages du quartier disposent d’une automobile. Les courses

se font ainsi à pied. En hiver, le froid, la neige et la glace n’incitent pas particulièrement à

362

Les réfrigérateurs furent commercialisés aux États-Unis à partir des années 1910, mais se répandirent

essentiellement après la Seconde Guerre mondiale. Brigitte JOBBÉ-DUVAL, La grande histoire des petits

objets du quotidien, Paris, Archives & Culture, 2008, p. 73.

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marcher longtemps avec des paquets. Les mères363

ayant plusieurs enfants en bas âge

peuvent souvent compter sur un membre de leur famille ou une voisine364

pour les

surveiller le temps de faire des courses. Elles apprécient néanmoins pouvoir compter sur

des établissements situés non loin de leur domicile, ce qui leur permet de ne pas s’absenter

trop longtemps. Il n’est pas rare également qu’un des enfants soit envoyé acheter des

denrées pour un repas. Plusieurs commerçants offrent, par ailleurs, un service de livraison

gratuit, fort apprécié, qui constitue dans certains cas une condition de fréquentation d’un

établissement. Les demandes de livraison sont effectuées par téléphone ou, à défaut d’en

posséder ou d’en partager un, des ententes sont prises afin qu’à une fréquence donnée un

commis, l’épouse du commerçant ou le commerçant lui-même viennent au domicile noter

les commandes365

. Les livraisons sont réalisées par l’une ou l’autre de ces mêmes

personnes en automobile, à pied ou à bicyclette, comme en témoignent ces deux

participants :

- Nous autres on disait Saint-Sauveur, pis Saint-Roch, y a un bicycle à tous les

coins d’rue. Tu sais c’que ça veut dire un bicycle?

- (D.G.) Un commerce, une épicerie.

- Un bicycle avec un panier qui faisait des livraisons. Y n’avait partout! (#09)

Mais c’tait ça la mode. Y avaient pas besoin de stationnement, t’appelait au

téléphone, tu faisais v’nir n’importe quoi, ça coûtait rien pour la livraison. Tsé,

c’est l’mari qui restait avec la femme. […] M. Gagnon au coin d’chez nous, lui

c’tait à pied c’tait pas loin. À pied ou en bicycle. (#05)

Les parents des participants et les participants eux-mêmes bénéficient ainsi non seulement

d’un réseau dont les unités sont près d’eux, mais d’un réseau offrant, par le biais de la

livraison, un service à domicile qui supprime toute distance à parcourir366

. Cette « mode »

et la valorisation de la proximité immédiate vont par contre s’effriter lorsque l’automobile

et les supermarchés entraîneront de nouvelles pratiques à partir des années 1960.

363

Rappelons que les femmes sont souvent en charge de ce type de pratiques. 364

Notons, au sujet du voisinage, qu’il n’y a aucune insécurité associée au fait de sortir à l’extérieur. Au

contraire, les membres du corpus nous ont témoigné d’un grand sentiment de sécurité. Nous y revenons au

prochain chapitre. 365

Ce procédé est aussi relevé par BAILLARGEON (1991), op. cit., p. 184, et TASCHEREAU, op. cit., p.

292-293. 366

Notons aussi la présence de divers marchands ambulants, aiguiseurs de couteaux, chiffonniers, vendeurs de

glace pour approvisionner les glacières, vendeurs saisonniers de fruits et légumes, etc.

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L’usage de la livraison aurait permis, en théorie, à davantage de gens de faire affaire avec

les quelques épiceries de taille moyenne du quartier, qui offrent plus de variété. La

disponibilité de ce service dans ces dernières affecte cependant peu les pratiques d’achats et

l’existence même de ces établissements n’est parfois pas connue. Pour plusieurs, le délai de

livraison doit être court, car les emplettes se font suivant les besoins, parfois en prévision

du prochain repas, et une livraison rapide est relativement assurée dans le cas des

établissements situés dans les environs du domicile. Mais surtout, la fréquentation de

l’épicerie située au coin de sa rue ou de la boulangerie la plus près du domicile contribue,

par le rythme élevé des visites, à établir un lien personnalisé avec les commerçants. Ce lien

est souvent source de loyauté, ce qui fait en sorte que lorsque la livraison est nécessaire, ces

derniers ne sont pas délaissés au profit d’autres établissements.

La fréquentation des mêmes commerces reflète en effet souvent une fidélité aux

commerçants. Elle ne se limite pas à l’approvisionnement alimentaire; c’est toutefois dans

ce secteur de la consommation qu’elle est le plus perceptible en regard de l’offre imposante

et de la fréquence des achats. Cette fidélité conforte les pratiques traditionnelles de

proximité et ne sera réellement mise à l’épreuve que par les grandes surfaces dans les

années 1960. La personnalisation du rapport avec le commerçant, forgé par sa proximité Ŕ

on le croise dans la rue ou on passe souvent devant son établissement Ŕ et par des visites et

des livraisons répétées, facilite et améliore graduellement le processus d’achat par la

connaissance de ce dernier des préférences de ses clients. Une participante témoigne de ce

fait en ces termes :

- […] [J]’téléphonais, pis y prenait ma commande, j’les connaissais pis y

prenait ma commande, y savait c’que j’voulais. J’ai toujours pris d’in mêmes

places, j’ai jamais changé. Ma pharmacie c’est pareil. […]

- (D.G.) Cette fidélité là vous la tirez d’où?

- J’tais bien satisfaite. Pourquoi aller voir ailleurs? […] J’tais habituée comme

ça. (#19)

La satisfaction envers le service et les produits contribue évidemment à la poursuite de la

fréquentation. Soucieux de garder leur clientèle dans un milieu où les enseignes de la

concurrence sont souvent visibles de leur propre comptoir, les commerçants font preuve

d’attention et de souplesse, notamment par le biais du crédit. À moyen ou à long terme,

cette satisfaction constitue une force d’inertie, de la même manière que pour les trajectoires

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résidentielles. Les termes « pourquoi aller voir ailleurs », fort semblables à ceux utiliser

pour justifier un maintien dans le quartier Saint-Sauveur, sont, à ce propos, révélateurs.

Certains parents ou participants fréquentent non pas une, mais deux épiceries afin de

couvrir tous leurs besoins. La fidélité s’applique alors aux deux établissements. Ce rapport

de fidélité est répandu dans la population du quartier et fait en sorte qu’il prend chez

certains participants des allures de norme, comme l’explique l’un d’eux : « […] [D]isons

une épicerie là, on allait toujours à même place. Ça là tout l’monde c’tait pareil y avaient

leur, leur place pis y allaient toujours à même place. C’est pas à cause c’tait pas meilleur ni

mauvais c’est nos idées c’tait ça là. » (#03) La fréquentation d’une épicerie, parfois

équidistante d’une autre jamais visitée, est en effet due davantage à l’attraction de la

première qu’à la répulsion à l’égard de la seconde. Elle se poursuit jusqu’à un

déménagement, une fermeture, un événement négatif marquant ou, à partir des années

1960, un changement profond des pratiques.

La fidélité de certains membres du corpus se maintient même en dépit de soldes à d’autres

endroits, publicisés dans les journaux paroissiaux ou les quotidiens. Ils ne tiennent pas

compte de ces offres et font même parfois de cette loyauté une question de principe, dont

ils sont fiers. Ce phénomène dévoile une autre norme, relevée également dans les milieux

ouvriers français. Comme le mentionne Raulin, aller voir ailleurs pour dénicher de

meilleurs prix est un réflexe de « bourgeois », d’avarice. Ce geste est « … contraire à une

certaine solidarité avec les petits commerçants "qui doivent bien vivre eux aussi367

" ».

Quelques membres du corpus, ainsi que certains parents de participants, ont tout de même

profité des soldes dans certains commerces, les moyens financiers étant périodiquement ou

invariablement limités. Par ailleurs, le rapport avec les commerçants fut parfois plus ténu,

notamment en situation d’arrivée récente dans un nouveau secteur368

. Les hommes et les

femmes dans cette situation visitèrent pendant un temps plusieurs établissements avant

d’arrêter progressivement leurs choix.

Si l’implantation dans un nouveau secteur signifie pour certains une période d’essais et de

combinaisons multiples, d’autres, au contraire, ont préservé, lorsque cela était possible, leur

367

RAULIN, op. cit., p. 121. 368

Il est aussi probable que par effet de personnalité, des individus n’aient jamais développé de relations

personnalisées avec les commerçants ni de liens de fidélité.

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fidélité aux commerçants fréquentés autour de leur ancien lieu de résidence. Ces situations

concernent, d’une part, des types d’établissements moins nombreux comme des boucheries

et, d’autre part, des épiceries dont le propriétaire dispose d’une automobile permettant de

livrer sur de plus longues distances. Trois participants (#08, 19, 25) ont également adopté

les mêmes habitudes que leurs parents ou que leurs beaux-parents après leur mariage et leur

emménagement dans l’immeuble familial ou dans une paroisse limitrophe à celle où ils

vivaient. Dans la situation inverse, le mari boucher d’une participante (#02) amena certains

de ses clients avec lui lorsqu’il décida de changer d’employeur et d’intégrer l’équipe d’une

autre boucherie, située pourtant à plus d’un demi-kilomètre de la précédente dans une

paroisse voisine, dont il deviendra éventuellement propriétaire. La fidélité est donc

profondément ancrée chez plusieurs résidants du quartier et surpasse parfois la proximité en

tant que premier critère de choix des lieux d’achats en matière d’approvisionnement

alimentaire. Elle ne constitue cependant pas le seul facteur faisant en sorte que la proximité

perde de l’importance dans le processus décisionnel.

Six participants ou leurs parents (#02, 05, 19, 22, 27, 28) encouragèrent pendant un certain

temps un membre de leur famille qui était commerçant, bien qu’il ne demeurait pas

toujours à proximité immédiate de leur domicile. Près d’une quinzaine fréquentèrent, quant

à eux, des établissements de taille moyenne, indépendants ou associés à une chaîne, comme

par exemple l’épicerie-boucherie indépendante Thivierge, située à la frontière des paroisses

Saint-Sauveur et Notre-Dame-de-Grâce369

. Parmi cette quinzaine de cas, des membres du

corpus, après avoir vu leurs parents fréquenter les petits commerces avoisinant leur

domicile, se sont dirigés vers ces unités de taille moyenne après leur décohabitation dans

les années 1950. Seulement trois des cas recensés (#03, 04, 16) étaient dans une relation de

proximité immédiate du domicile. Les autres ont fait fi des établissements situés près de

leur logement ou ont alterné au gré des rabais proposés. « Aujourd’hui j’y pense. Y était

précurseur dans son affaire Thivierge. T’avais un côté du magasin c’tait la viande, d’l’autre

bord c’tait l’épic’rie. » (#23) Comme le mentionne cette participante, la variété de marques

et de produits eux-mêmes, une des armes létales des futures grandes surfaces, convainc des

parents de participants et des participants eux-mêmes de faire leurs courses dans ces unités

369

Son propriétaire tient également une autre épicerie-boucherie sur la rue Saint-Joseph.

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de moyenne taille. Elles sont situées pourtant plus loin du domicile qu’un certain nombre

de petites épiceries et boucheries, mais les déplacements sont jugés plus productifs en

termes d’établissements visités. On ne nous a pas parlé de la présence de prix plus bas dans

ces établissements, ce dont il fut mention abondamment au sujet des supermarchés au cours

des années 1960 et 1970, bien qu’il soit probable qu’en vertu d’un plus grand pouvoir

d’achat de leurs propriétaires, ce fut le cas ou, du moins, il y eut plus souvent des soldes.

Ne pas aller au plus près se justifie en dernier lieu par la fréquentation de lieux dotés d’une

réputation enviable et d’établissements plus spécialisés. Certains commerces,

particulièrement des boucheries et des casse-croûte selon les propos des participants,

acquièrent une certaine notoriété, de sorte qu’une clientèle venue de plus loin que les

quelques rues environnantes les fréquente. Ces hauts lieux sont parfois même situés dans

des quartiers limitrophes à Saint-Sauveur, comme la boucherie Bégin sur la rue De La Salle

dans le quartier Saint-Roch par exemple. La recherche de biens spécifiques mène à des

pratiques semblables, tout comme celle de produits saisonniers. La Halle Saint-Pierre est un

lieu d’achats de fruits, de légumes, d’œufs et de fromage. La fréquentation des restaurants,

rare à l’époque où les participants étaient enfants, se fait, quant à elle, selon un registre de

goûts personnels, et bien que plusieurs enseignes soient présentes dans le quartier Saint-

Sauveur et particulièrement sur la rue Saint-Vallier, ces sorties s’effectuent en bonne partie

dans d’autres quartiers. Le quartier Saint-Roch est en la matière reconnu pour son offre

variée et notamment pour ses restaurants de cuisine chinoise, dont l’exotisme est apprécié.

Les pratiques en matière d’alimentation durant les années 1930, 1940 et 1950 s’inscrivent

donc essentiellement dans un registre de proximité du domicile, plus ou moins immédiate

selon les types d’établissements. Cette proximité est appréciée et valorisée dans les

processus décisionnels menant aux pratiques. La fréquentation des établissements situés les

plus près de chez soi se vit d’ailleurs dès la jeunesse, alors qu’on achète des sucreries dans

les petites épiceries comptoir. Les préférences des individus de même que des liens de

fidélité mènent dans certains cas à des usages plus loin dans la paroisse et dans d’autres

paroisses du quartier Saint-Sauveur, plus rarement dans des quartiers environnants. Les

déplacements qui en découlent, plus longs et réalisés surtout à pied, ne sont pas perçus de

manière négative en regard des motivations qui les suscitent. Ces usages demeurent de plus,

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aux dires des principaux intéressés, dans une optique de proximité et d’accessibilité

physique aisée, certes moins axée autour de leur domicile, mais tout de même présente en

raison d’un cadre de distances raisonnable et de l’habitude qu’ils ont de marcher pour

accéder aux lieux où ils désirent se rendre. D’autres pratiques se déploient de toute façon

dans un cadre plus large et ce, toujours dans un cadre de proximité et d’accessibilité

physique aisée.

3.2.1.2.2 Achat de biens et usage de services divers

Les pratiques en matière d’habillement, d’achat de mobilier, d’appareils ménagers et de

biens divers (serviettes, literie, rideaux, articles de rénovation, produits d’entretien, etc.) et

d’utilisation de services comme les soins de santé ou d’esthétique, les institutions

financières et les organismes d’assistance se font dans une aire moins concentrée aux

environs du domicile. Deux raisons expliquent cette situation. D’une part, la localisation

des lieux associés à ces pratiques est différente de celle des unités d’approvisionnement

alimentaire. D’autre part, le désir d’une réduction maximale des distances à parcourir est

moins présent que celui de disposer d’une diversité propre à satisfaire la multiplicité des

goûts et des besoins et la recherche de prix avantageux.

À l’exception de l’usage de services, ces pratiques sont pour la plupart le fait des femmes.

Les achats importants, comme ceux de meubles par exemple, sont réalisés néanmoins

souvent par les deux conjoints. La fréquentation des quincailleries est, pour sa part,

davantage le fait des hommes370

. Par ailleurs, à l’image des courses, ces pratiques sont

spécialisées. À chaque besoin est associé un ou des lieu(x) spécifique(s), ce qui requiert la

fréquentation de divers établissements. De la même manière que pour les commerces

d’approvisionnement alimentaire, une fidélité se crée à moyen et à long terme. Le

participant #07 s’assoira par exemple sur le même siège de barbier pendant 40 ans dans un

salon de Saint-Sauveur, sa paroisse de résidence. Par un service de qualité et une relation

personnalisée, des commerçants de meubles de la rue Saint-Vallier contribueront à garnir

les pièces des divers logements d’un même ménage (#26). La fréquentation des grands

370

Notons tout de même que les participantes célibataires et des participantes mariées les ont régulièrement

visitées.

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magasins à rayons de la rue Saint-Joseph est également source de fidélité à une ou plusieurs

enseignes. Ces magasins offrent toutefois la possibilité de cocher plus d’une case sur la liste

des biens à acquérir.

Seule l’utilisation des services financiers se matérialise uniquement dans le quartier Saint-

Sauveur. Les caisses populaires, nées en 1900 à Lévis, sur la rive sud du fleuve Saint-

Laurent face à Québec, jouissent d’une popularité dès les premières décennies du XXe

siècle. Cette popularité trouve ses racines dans un modèle de développement paroissial axé

sur la connaissance des gens et des besoins du milieu, de même que dans l’esprit coopératif

à la base du mouvement371

. Cette popularité se reflète parmi les membres du corpus, qui

disposent en très forte majorité d’un compte à la caisse populaire de la paroisse où ils

habitent372

. Les transactions financières se réalisent au cœur même des paroisses, ces

institutions financières étant localisées près des églises. Seulement deux participants firent

affaire à l’âge adulte avec des institutions bancaires (#15 et 30), dont les succursales ne se

répartissent pas nécessairement à l’échelle paroissiale. Tous les autres types de pratiques en

matière d’achat de biens et d’usage de services divers se réalisent à la fois à l’intérieur et à

l’extérieur du quartier Saint-Sauveur, par nécessité ou par désir personnel. Pour caractériser

de manière plus précise les déterminants de l’expérience du quartier Saint-Sauveur et de

celle des autres quartiers de Québec, nous les abordons l’une après l’autre en analysant tour

à tour chaque type de pratiques.

3.2.1.2.2.1 Dans le quartier Saint-Sauveur

Les cabinets de médecins généralistes ou spécialistes fréquentés occasionnellement par les

participants et leurs parents sont situés sur la rue Saint-Vallier et, dans une moindre mesure,

sur des artères résidentielles. En raison des coûts qui y sont associés, ces visites sont peu

371

Yvan ROUSSEAU, « Une assise économique. Essor et déclin d’une formule d’organisation économique :

la coopération et la mutualité paroissiales », dans Serge COURVILLE et Normand SÉGUIN (dirs.), La

paroisse, Québec, Presses de l’Université Laval, 2001, coll. « Atlas historique du Québec », p. 211. La

première caisse fondée sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent dans la région de Québec se trouve à Saint-

Malo en 1905. Saint-Malo est alors encore une municipalité indépendante de Québec. Chacune des six

paroisses du quartier Saint-Sauveur a eu sa caisse populaire. 372

La proportion des résidants de 20 ans et plus sociétaires de leur caisse populaire au cours des années 1950

avoisine les 60%, comme en font foi les données sur les paroisses Sacré-Cœur (59,95% au début des années

1950) et Saint-Malo (60,89% au milieu des années 1950). Claude CLOUTIER, « Monographie de la caisse

populaire du Sacré-Cœur de Jésus », mémoire de maîtrise en sciences commerciales, Québec, Université

Laval, 1953, p.15; [s.a.], Sainte-Angèle-de-Saint-Malo. 1898-1998, Québec, Louis Bilodeau & Fils, 1997, p.

77.

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fréquentes373

. Des « docteurs des pauvres », comme les appellent les participants, sont

toutefois à l’œuvre dans le quartier et visitent les familles à domicile moyennant une petite

contribution. Ces médecins semblent avoir une clientèle relativement nombreuse, les

parents des participants partageant souvent le même. Ils voyagent pour la plupart à pied et,

régulièrement croisés, constituent des figures connues dans le quartier, tout comme les

petits commerçants. L’hôpital Saint-Joseph, petite maternité privée374

accueillant aussi

quelques vieillards, est, quant à lui, un lieu d’accouchement pour des femmes du quartier,

dont quelques-unes qui donnèrent naissance à des participantes et des participantes elles-

mêmes. L’hôpital, situé sur la rue Saint-Vallier dans la paroisse Saint-Malo, fut en service

de 1940 à 1963. Il devint par la suite une clinique médicale, fréquentée par quelques

participants. Par ailleurs, des services d’assistance organisés dont bénéficient des parents

des participants, comme les soupes populaires et les ouvroirs375

, se trouvent dans la

paroisse de résidence.

Les salons de barbier et de coiffure dispersés dans les différentes paroisses du quartier

Saint-Sauveur sont les lieux de prédilection des membres du corpus pour ce type de

services. Leur fréquentation est appréciée en raison de leur proximité des lieux de résidence

et de la relation personnalisée tissée avec les propriétaires de ces petits établissements. Ces

propriétaires constituent, au même titre que les épiciers et d’autres commerçants et acteurs

locaux, des courroies de transmission d’actualités et d’informations diverses, comme des

opportunités résidentielles. Cette personnalisation des rapports sociaux dirige également en

partie le choix des lieux fréquentés en matière d’achat de biens. Des parents de participants

ayant habité le quartier Saint-Sauveur et des participants eux-mêmes ont, par exemple,

« leur » quincaillerie, accessible à pied et où on connaît commis et propriétaire(s). Ces

373

Fortin et le collectif CourtePointe, notamment, font état de ces rares visites chez le médecin dans les

milieux populaires avant les années 1960, au moment d’une réforme des soins de santé au Québec

introduisant la gratuité par l’assurance-hospitalisation (1961) et l’assurance-maladie (1970). FORTIN et al.,

op. cit., p. 43; collectif CourtePointe, op. cit., p. 34. 374

La capacité de l’établissement est d’une vingtaine de lits. Pour plus de précisions sur cet hôpital, voir la

section qui lui est consacrée au sein de l’exposition virtuelle Naître et grandir à Québec, 1850-1950 au

http://expong.cieq.ca/institution.php?-institution=130. 375

Ils sont communément appelés « vestiaires » par les participants. Ils offrent aux gens défavorisés des

vêtements usagés ou confectionnés par des bénévoles. Pour les œuvres d’assistance dans le quartier Saint-

Sauveur, voir le volet « Secourir et encadrer : les bonnes œuvres » de l’exposition virtuelle Naître et grandir à

Québec, 1850-1950, volet réalisé par Johanne Daigle (direction scientifique) et Dale Gilbert (chargé de

projet), au http://expong.cieq.ca. Nous approfondissons la question de l’assistance au chapitre suivant.

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situations de fidélité côtoient des situations où l’on visite indifféremment les diverses

quincailleries du quartier Saint-Sauveur et même de Saint-Roch en fonction des prix et du

choix de produits. Serviettes, literie, rideaux, produits d’entretien et autres articles de la vie

courante sont, quant à eux, achetés dans les commerces se serrant le long des artères

commerciales du quartier, notamment dans les magasins à prix modiques de type « 5-10-

15 ». Pour ce type de biens, le choix des lieux est essentiellement fait en fonction des plus

bas prix. L’offre des commerces du quartier semble satisfaisante, car nombre d’achats y

sont réalisés sans que le besoin de la comparer à celle d’établissements situés à l’extérieur

du quartier ne se fasse sentir.

La situation, en ce qui concerne l’achat de pièces de mobilier, d’appareils ménagers et de

vêtements, est différente. Dans les deux premiers cas, les quelques établissements

spécialisés, comme Le Foyer du Meuble sur la rue Saint-Vallier, sont visités afin de vérifier

l’offre et les prix, mais les recherches comprennent habituellement une promenade sur la

rue Saint-Joseph dans le quartier Saint-Roch, où se trouvent d’autres enseignes. Ce tour

d’horizon est considéré nécessaire et les déplacements qui y sont reliés, même s’ils sont

surtout faits à pied, demeurent dans une perspective de proximité et d’accès aisé. Par

ailleurs, bien que de petits et de moyens établissements dédiés à la vente de vêtements et de

chaussures soient présents dans les différentes paroisses du quartier Saint-Sauveur et sur les

axes commerciaux de celui-ci, les achats des parents des participants et des participants

eux-mêmes en la matière durant les trois premières décennies de la période 1930-1980 y

sont peu souvent effectués. Des boutiques de chapeaux ou d’autres pièces d’habillement,

situés dans les cœurs paroissiaux ou sur les rues résidentielles, ne sont même jamais

visitées376

. L’essentiel du magasinage en matière d’habillement est réalisé sur la rue Saint-

Joseph. La proximité des établissements du quartier n’est pas vraiment prise en compte

dans le choix des lieux fréquentés. Les prix, la variété et le prestige associés à leurs grands

concurrents du quartier Saint-Roch insufflent à ces derniers un grand pouvoir attractif.

Les quelques pratiques tout de même relevées dans le quartier Saint-Sauveur au sujet de

l’habillement sont davantage associées à l’achat des matériaux (tissus, boutons, fermetures

376

Ces dernières sont peut-être fréquentées par des ménages plus fortunés, mais nous n’avons pu obtenir de

renseignements à ce sujet.

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éclair, etc.) nécessaires à la confection qu’à celui de vêtements finis377

. Ces matériaux sont

acquis dans des commerces de marchandises sèches ou chez des marchands spécialisés

dans les tissus. Quelques participants ont également acquis des chaussures fabriquées par

des artisans indépendants disposant d’une échoppe dans des paroisses comme Saint-

Sauveur et Sacré-Cœur. Ils justifient leur choix par la qualité supérieure de ces produits par

rapport à ceux manufacturés à grande échelle et par la volonté d’appuyer ces petits artisans.

Quatre membres du corpus (#01, 21, 23 et 27) ont mentionné, quant à eux, avoir acquis des

vêtements au Syndicat de St-Malo, sur la rue Marie-de-l’Incarnation, dans les années 1950

et 1960, ce qui en fait l’enseigne du quartier citée par le plus grand nombre de participants

en matière d’habillement. Trois de ces quatre personnes demeuraient à l’époque dans les

environs immédiats de ce commerce de la paroisse Saint-Malo, dont on vante le choix, les

prix et la clientèle nombreuse. On peut supposer que cette clientèle est essentiellement

paroissiale, d’autant plus que l’importance commerciale de cet axe est moindre que celle de

la rue Saint-Vallier.

L’ensemble de ces pratiques témoigne d’une expérience du quartier Saint-Sauveur moins

axée sur les environs du domicile qu’en ce qui concerne l’approvisionnement alimentaire.

Quelques-unes d’entre elles sont réalisées dans la paroisse de résidence. D’autres prennent

place dans d’autres paroisses du quartier et sur les principaux axes commerciaux de ce

dernier. La localisation de certains types de commerces, les goûts propres à chacun et la

recherche des prix les plus bas sont autant de facteurs expliquant ces pratiques. Les

déplacements qui y sont associés sont perçus comme étant courts, l’accès aux divers lieux

et notamment aux axes commerciaux du quartier, facile. C’est par le biais de ces pratiques

que le rapport à ces axes commerciaux peut être le mieux saisi. La rue Saint-Vallier est sans

contredit l’artère commerciale principale du quartier Saint-Sauveur, tant par le nombre

d’établissements qui s’y trouvent que par sa fréquentation par les membres du corpus et

leurs parents et par la perception des participants de sa fréquentation générale. Les rues

Marie-de-l’Incarnation, des Oblats et Aqueduc forment une toile complémentaire à cette

artère traversant le quartier. Elles bonifient un réseau déjà dense et étendu. Ces axes sont

377

Rappelons la tendance répandue chez les mères des membres du corpus de réaliser elles-mêmes les

vêtements des membres du ménage et de recycler certaines pièces, tâches jugées moins coûteuses que l’achat

de vêtements « prêt-à-porter ».

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surtout investis dans le but de se procurer des articles de la vie courante. On ne se déplace

pas en dehors du quartier uniquement pour acquérir de tels articles, car cela est considéré

inutile en raison de la similarité de l’offre et des prix ailleurs. Opinions et pratiques sont

différentes en ce qui concerne l’achat de mobilier, d’appareils ménagers et surtout de

vêtements. Certains prêtent une importance, en la matière, au fait de consommer dans le

quartier en raison de leurs valeurs personnelles ou de leurs capacités physiques. Pour

plusieurs autres toutefois, les artères commerciales du quartier Saint-Sauveur et son réseau

général de commerces et de services n’ont qu’une place secondaire par rapport à la rue

Saint-Joseph et au quartier Saint-Roch, dont l’attrait en tant qu’espace de lèche-vitrine et de

magasinage est nettement supérieur.

3.2.1.2.2.2 À l’extérieur du quartier Saint-Sauveur

Comme nous l’avons mentionné, le processus de recherche de meubles ou d’appareils

ménagers passe souvent par la fréquentation de commerces situés dans le quartier Saint-

Roch, comme Légaré ou Mozart, sans que les achats n’y soient toutefois confinés. Certains

se concentrent sur les commerces qui permettent l’achat à crédit. Dans le secteur de

l’habillement, deux schémas de pratiques sont relevés. L’un se démarque par la

fréquentation de commerces dans les quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch. Le second est

uniquement axé sur le quartier Saint-Roch, comme l’expose ce participant.

Ben y allaient là, c’tait la compagnie Paquet. Pollack. Le Syndicat. Ça là là…

Laliberté. Ça là chez nous là, y, le linge là qu’on portait, y allaient toujours

ach’ter ça là. C’était leurs magasins (dit d’un ton appuyé). Ma mère elle

Laliberté pour le linge, le linge de femme là, c’était là elle. Pis Paquet euh…

Compagnie Paquet Pollack c’était surtout pour les hommes là, qu’on allait là,

qu’on ach’tait nos tites choses là. Mais on allait ach’ter là. (#29)

La rue Saint-Joseph, artère reine à Québec dans le domaine de la consommation, marque

les pratiques et les esprits. Elle abrite au cours des années 1930, 1940 et 1950 les « gros »,

les « grands » et les « bons378

» commerces de Québec. Le rapport des résidants du quartier

Saint-Sauveur au quartier Saint-Roch se ramène essentiellement à la fréquentation de cette

rue commerciale. D’autres artères du quartier, comme le boulevard Charest ou la rue Saint-

378

Ces trois termes ont été employés par une grande majorité des membres du corpus.

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173

Vallier379

, où se trouvent des commerçants d’importance dans les secteurs du vêtement ou

encore de la quincaillerie, sont aussi toutefois visitées.

Tant les parents des participants que les participants eux-mêmes ont franchi à de

nombreuses reprises les portes du quatuor de grands magasins à rayons que sont Paquet,

Syndicat, Pollack et J. B. Laliberté, vendant vêtements, chaussures, jouets, literie, mobilier

d’extérieur, etc.380

Leurs vitrines extérieures, où sont exposées les dernières tendances,

attirent les regards et invitent à entrer à l’intérieur. Leur renouvellement régulier incite

également à des visites répétées381

. Les grands magasins à rayons côtoient sur la rue Saint-

Joseph des enseignes de moyenne taille spécialisées dans un type de produits ou offrant une

diversité de biens. Certaines sont présentes en 1930, d’autres sont fondées par la suite. Sur

cette artère se trouvent également plusieurs succursales de magasins à prix modiques dont

l’offre est variée. Des biens y sont parfois acquis non pas par préférence par rapport aux

commerces de ce genre situés dans le quartier Saint-Sauveur, mais plutôt dans le but de

rentabiliser le déplacement en regroupant ses achats. On achètera également dans des petits

établissements spécialisés de la rue Saint-Joseph, comme certaines tabagies.

Les pratiques d’achats en dehors du quartier Saint-Sauveur s’expliquent aussi par

l’investissement du secteur où se trouve le lieu d’emploi, avant et après les quarts de travail

ou durant les pauses. Plusieurs pères et mères de membres du corpus, tout comme des

membres eux-mêmes, ont travaillé dans le quartier Saint-Roch durant leur jeunesse ou à

l’âge adulte, ce qui orienta certaines de leurs pratiques d’achats. Un participant (#07) fit des

achats dans un établissement spécialisé en vêtements situé tout près de son lieu de travail

sur la rue Saint-Vallier (quartier Saint-Roch) et devant lequel il passait matin et soir. Une

autre participante (#16) ayant été commis chez Pollack, puis J. B. Laliberté profita, d’une

part, des rabais offerts aux employés de ces compagnies et, d’autre part, de ses pauses et du

temps libre à la fin de ses quarts de travail pour acheter divers menus articles, comme des

produits d’entretien, et se faire coiffer dans des salons de la rue Saint-Joseph. Ainsi, elle ne

379

Sur sa portion orientale, dans le quartier Saint-Roch. 380

Myrand présente un portrait des marchandises en vente sur les différents étages du Syndicat au tournant

des années 1950. MYRAND, op. cit., p. 22-27. 381

JAUMAIN, « Vitrines, architecture et distribution … », dans JAUMAIN et LINTEAU (dirs.), op. cit., p.

294.

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174

fréquenta pas les établissements offrant ces biens et ce service dans les trois paroisses où

elle demeura dans le quartier Saint-Sauveur et sur les artères commerciales de ce dernier.

Une participante, à l’image de plusieurs autres, nous a déclaré : « […] [O]n allait

magasiner sur la rue Saint-Joseph parce que c’tait l’coin, le coin où tout l’monde allait

[…] » (#18) La rue Saint-Joseph est en effet une artère commerciale de premier plan à

Québec jusque dans les années 1960. Elle est fréquentée par des gens de statuts

socioéconomiques tant modestes que plus aisés382

. Chacun y trouve des biens

correspondant à ses goûts et à son portefeuille. Cette affluence socialement diversifiée des

grands magasins semble encourager certains participants à les fréquenter. Ils valorisent le

fait de consommer au même endroit que des gens aisés, comme le mentionne cette

partipante : « Toutes les gros magasins étaient là, pis c’était bien comprenez-vous là, les

gensses d’la Haute-Ville v’naient ach’ter. On avait réellement des beaux magasins. » (#30)

Variété, prix abordables en regard des budgets et renommée des enseignes définissent

ainsi les pratiques réalisées dans le quartier Saint-Roch. Comme l’énonce un participant, la

proximité est aussi en jeu. « Ben oui l’monde aimait ça là, c’tait quand même pas des

magasins, c’tait pas dispendieux. Pis c’tait proche… » (#13) La fréquentation du quartier

Saint-Roch est courante et n’est pas un événement pour les résidants du quartier Saint-

Sauveur, qu’ils habitent dans les paroisses Notre-Dame-de-Pité, à l’ouest, ou Notre-Dame-

de-Grâce, limitrophe du quartier Saint-Roch. Ils considèrent ce quartier comme le centre-

ville ou le « cœur » (#31) de la ville à Québec en raison de ses attributs commerciaux et de

son offre en matière de loisirs et de divertissements, que nous abordons plus loin. Le

quartier Saint-Roch est aux yeux des participants, et de leurs parents avant eux, un espace

simplement voisin, à la différence de résidants de quartiers comme Limoilou qui « vont en

ville383

» lorsqu’ils s’y rendent étant donné les distances plus grandes. Saint-Roch est

considéré facilement atteignable à pied par les résidants du quartier Saint-Sauveur, ce qui

facilite grandement son investissement, tant pour y acheter que pour simplement jeter un

œil sur les marchandises ou s’y promener. Leur perception de cette accessibilité est

382

Comeau a souligné les efforts des dirigeants des grands magasins à rayons, en ce qui concerne la ville de

Montréal entre 1920 et 1960, pour attirer une clientèle provenant de tous les milieux sociaux. COMEAU, loc.

cit., p. 60-63. 383

Ces termes furent utilisés par deux participants ayant vécu une ou plusieurs étape(s) résidentielle(s) dans le

quartier Limoilou. Ils furent relevés également dans DESCHÊNES et al., p. 95.

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similaire à celle des commerces et des services présents dans leur quartier, la seule

différence concernant le temps de déplacement plus long. La localisation du quartier a donc

un impact clair. Baillargeon a observé que les participantes à son enquête orale portant sur

le travail domestique des femmes montréalaises de milieux populaires lors de la Crise des

années 1930 allaient rarement au centre-ville. Les quartiers et secteurs où elles demeuraient

(Sud-Ouest, Est, Rosemont, Villeray, plateau Mont-Royal, ville de Verdun) étaient situés

plus loin de ce dernier comparativement au quartier Saint-Sauveur, ce qui permet de

supposer que leurs rapports à la proximité et à l’accessibilité physique étaient différents,

bien que la période de difficultés économiques puisse être en cause dans le choix des lieux

fréquentés384

.

La marche à pied est néanmoins remplacée ou complétée à certaines occasions par le

transport en commun, qui dessert bien le quartier Saint-Roch depuis le quartier Saint-

Sauveur. Des participants aux possibilités physiques limitées ou préférant se déplacer de

manière motorisée utilisent ainsi le tramway, en fonction à Québec jusqu’en 1958, ou

l’autobus385

. Le recours au transport collectif ne sera justifié chez d’autres que par les

intempéries, la saison froide, la lourdeur des colis à transporter ou de plus longues distances

à parcourir depuis d’autres quartiers de Québec lorsque le lieu de résidence est situé dans

l’ouest du quartier Saint-Sauveur386

.

Le rapport au quartier Saint-Roch se caractérise donc, à l’image de celui au quartier Saint-

Sauveur, par une relation de proximité, l’appréciation de cette dernière et l’absence

d’entrave majeure à la fréquentation. Il sera toutefois sensiblement modifié au moment où

les centres commerciaux ouvriront leurs portes et où le nombre de ménages possédant une

automobile se multipliera. Les mêmes paramètres définissent le rapport à d’autres quartiers

384

BAILLARGEON (1991), op. cit., p. 161, 185. 385

Les courses en taxi, plus souples que le transport en commun, mais plus onéreuses, furent rarement

utilisées. 386

Des participants natifs de la ville de Québec n’ayant pas utilisé le transport en commun pendant leur

jeunesse furent moins portés à le faire à l’âge adulte. Ils n’ont pas développé le réflexe de penser à ce mode de

transport ou ont préféré éviter les dépenses qui y sont reliées. Les moyens de déplacement à coût nul ne furent

éventuellement complétées que par l’automobile. Des membres du corpus nés en milieu rural, au contraire,

prendront le tramway ou l’autobus dès leur arrivée à Québec en absence de véhicule, et ce même si ce mode

de transport n’était auparavant pas inscrit à leur éventail d’options. Habitués à parcourir de longues distances

en campagne, un moyen de déplacement collectif permettant d’accélérer les déplacements entre les différents

secteurs de la ville est fort apprécié.

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de Québec, et notamment au quartier Champlain. Les pratiques d’achat de biens et d’usage

de services contribuent néanmoins plus faiblement à l’élaboration de ce rapport à ces autres

quartiers que celles en matière de loisirs et de divertissements et de vie communautaire et

associative, que nous examinons dans la section suivante.

Parents et participants fréquentent la rue Saint-Jean dans le Vieux-Québec ainsi que la rue

Saint-Paul dans le secteur du port. Ces artères ont une vocation commerciale, mais la

fréquence des visites est considérablement moins élevée que celle relative à la rue Saint-

Joseph et aux axes commerciaux du quartier Saint-Sauveur. Aucun besoin spécifique ne

peut être comblé qu’à ces endroits. Ajoutons qu’aucun type de commerces ou enseigne,

hormis quelques bijouteries de la rue Saint-Jean et des magasins d’articles ménagers de la

rue Saint-Paul, dont Terreau & Racine, ne possède un attrait significatif. L’exception en la

matière vient d’une participante (#23) ayant travaillé avant son mariage pour une entreprise

dont les bureaux étaient situés sur la rue Saint-Jean. Elle prit l’habitude de fréquenter les

boutiques présentes le long de cette artère et la conserva après son départ, provoqué par le

mariage. Cette habitude s’ajouta à celle de magasiner dans le quartier Saint-Roch.

Par ailleurs, la fréquentation occasionnelle des hôpitaux ne démontre pas une logique de

proximité particulière. Les dossiers médicaux sont répartis au gré des spécialités des

établissements, mais plus globalement, le choix des différents hôpitaux entourant le

quartier, l’Hôpital Saint-François-d’Assise (quartier Limoilou), l’Hôpital Saint-Sacrement

(quartier Montcalm), l’Hôtel-Dieu (quartier Champlain) ou l’Hôpital général (quartier

Saint-Sauveur) apparaît relever de préférences individuelles ou familiales. Outre les

hôpitaux qui s’y trouvent, les participants et leurs parents n’ont pas ou peu fréquenté

d’autres établissements des quartiers Limoilou et Montcalm associés à l’achat de biens et à

l’usage de services divers. Quelques pratiques ont été relevées à ce sujet dans le quartier

Saint-Jean-Baptiste, soit en matière d’assistance (ouvroir et soupe populaire) et

d’approvisionnement alimentaire (commerce renommé).

Faire l’épicerie lorsqu’on demeure dans le quartier Saint-Sauveur, des années 1930

jusqu’aux années 1960, n’implique ainsi la plupart du temps qu’un déplacement jusqu’au

premier carrefour. La nécessité de faire fréquemment des achats fait en sorte que la

proximité des lieux d’approvisionnement est valorisée. Pour d’autres biens et services ainsi

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177

que pour la restauration, les pratiques se déploient aux échelles de la paroisse et du quartier

Saint-Sauveur. Ces pratiques, de même que le réseau dense et diversifié dans lequel elles

s’inscrivent, alimentent une perception répandue parmi les membres du corpus d’une vie

caractérisée par la proximité généralisée de tout ce dont on a besoin. Par nécessité ou par

goûts personnels, d’autres achats s’effectuent également, comme nous l’avons vu, à

l’extérieur des limites du quartier, notamment dans le quartier Saint-Roch, voisin et en

bonne partie cœur commercial de la ville. On s’y rend le plus souvent à pied, attiré par la

variété, les prix et la renommée des établissements. Les distances à parcourir sont plus

longues, mais ce quartier, comme d’autres quartiers de Québec, est inclus dans les espaces

considérés à proximité et aisément accessibles, tant en raison du temps de déplacement

raisonnable que par l’habitude, à moyen et à long terme, de s’y rendre en marchant.

3.2.2 Loisirs, divertissements et vie communautaire et associative

Ne pas avoir besoin d’aller loin. Ce sentiment émanant des pratiques en matière

d’alimentation, d’achat de biens et d’usage de services divers se développe également dans

le creuset des loisirs, des divertissements et de la vie communautaire et associative, et ce

dès l’enfance ou l’adolescence des membres du corpus ayant demeuré dans le quartier

Saint-Sauveur ou dans un autre quartier populaire de Québec durant les années 1930, 1940

et 1950. Les pratiques dans ce domaine forgent en effet dès ces âges un ensemble de

représentations sur la proximité et l’accessibilité physique. Des environs du domicile à la

paroisse et du quartier Saint-Sauveur à l’espace urbain plus global, l’expérience de la ville

s’accroît, avec l’âge, en fréquence et en étendue relativement rapidement en raison de la

localisation avantageuse du quartier Saint-Sauveur dans la ville et de la présence à

l’extérieur du quartier de hauts lieux dans ce domaine. Cet accroissement ne se fait pas au

détriment de la sphère locale, car l’investissement de la paroisse et du quartier Saint-

Sauveur demeure notable. Les deux phénomènes nourrissent la perception d’un milieu de

vie où tout est à portée de main, ou plutôt dans ce contexte à portée de marche. Tôt dans

leur vie, les participants sont rompus à la marche à pied et, dans une moindre mesure, à

l’utilisation de la bicyclette et du transport collectif. L’expérience étendue de l’espace

urbain n’est pas entravée par ces modalités de déplacement. Elle se fait au contraire sous le

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signe d’une accessibilité aisée, cette perception reposant sur une pratique rompue dans la

moyenne et la longue durée.

3.2.2.1 Les caractéristiques du réseau du quartier

Au strict plan du nombre, les lieux et les espaces dédiés aux loisirs, aux divertissements et

à la vie communautaire et associative dans le quartier Saint-Sauveur souffrent de la

comparaison avec les unités dédiées à l’approvisionnement alimentaire, à l’achat de biens

et à l’usage de services divers. Le réseau de ces lieux et de ces espaces est tout de même

relativement diversifié ; ses constituantes sont réparties dans chaque paroisse. Il compte des

établissements commerciaux « privés » et des établissements paroissiaux, c’est-à-dire

appartenant aux paroisses et dont la gestion est assurée par les autorités religieuses

paroissiales et des équipes de laïcs. À l’image des commerces et des services associés à

l’approvisionnement alimentaire, à l’achat de biens et à l’usage de services divers, les lieux

et les espaces de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et associative ne sont

majoritairement fréquentés que par les résidants du quartier Saint-Sauveur, sauf quelques-

uns dont la clientèle afflue d’ailleurs.

Comme nous l’avons mentionné aux chapitres précédents, le quartier Saint-Sauveur

présente un tissu bâti dense couvrant le territoire de manière systématique, hormis à l’ouest,

où l’espace est consacré à un usage industriel depuis la décennie 1910. Les quelques

espaces verts aménagés, comme les parcs Dollard387

(paroisse Saint-Malo) et Durocher

(paroisse Saint-Sauveur), ont une superficie limitée388

. Les éléments naturels faisant office

387

Les dirigeants de l’Œuvre des Terrains de Jeux, fondée en 1929 à Québec par l’abbé Arthur Ferland au

parc Victoria, établissent une filiale au parc Dollard en 1936. Les parcs de l’Œuvre des Terrains de Jeux

offrent des activités de loisir aux jeunes de 3 à 18 ans et appuient l’effort paroissial en matière de loisirs.

Leurs dirigeants croient ainsi sauvegarder les valeurs spirituelles de la famille, qu’ils considèrent en danger

dans les villes. L’Œuvre, qui comptera seize parcs à Québec, se pose en « aidant des familles débordées ». En

1966, elle est intégrée au nouveau Service des loisirs et parcs de la ville de Québec. Voir les Archives de la

Ville de Québec. Fonds P14. Œuvre des Terrains de Jeux. Voir également le volet « Secourir et encadrer : les

bonnes œuvres » de l’exposition virtuelle Naître et grandir à Québec, 1850-1950, par Daigle et Gilbert, au

http://expong.cieq.ca. 388

La ville de Québec ne compte que 30 acres de terrains de jeux en 1941, soit une des plus faibles

proportions parmi les villes canadiennes et états-uniennes de taille comparable. Matthew HATVANY,

« L’expansion urbaine », dans COURVILLE et GARON (dirs.), op. cit., p. 264. Une partie des membres du

corpus est d’avis qu’il manquait de loisirs organisés en plein air pour les jeunes à l’époque, tout comme

Denault (1945) et Valois, qui relaie cette opinion dans son étude réalisée au milieu des années 1960.

DENAULT, op. cit., p. 137 ; VALOIS, op. cit., p. 20.

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de frontières au quartier, soit le coteau Sainte-Geneviève et la rivière Saint-Charles, se

révèlent être des espaces de promenade et de jeux. Le quartier Saint-Sauveur est également

bordé de parcs qui attirent jeunes et moins jeunes. Les parcs Saint-Mathieu et des Braves

sont situés en Haute-Ville, tout juste aux abords du coteau. De plus, un grand parc, le parc

Victoria, érigé dans le quartier Saint-Roch à la frontière des quartiers Saint-Sauveur et

Limoilou, attire la population de partout en ville.

Chaque paroisse du quartier Saint-Sauveur dispose d’un centre paroissial. Des locaux

abritent les organisations culturelles (comme des chorales), d’assistance (Société Saint-

Vincent-de-Paul) ou encore religieuses (Dames de la Sainte-Famille, Enfants de Marie,

etc.) de la paroisse. Des salles permettent également la pratique de certains sports (quilles,

hockey cosom389

) et la tenue de divers événements (pièces de théâtre, récitals, concerts,

conférences, bingos, représentations cinématographiques, veillées de danses, etc.390

). La

clientèle de ces événements est surtout paroissiale, mais certains centres acquièrent une

réputation ou proposent des activités uniques attirant des gens venus d’au-delà des limites

paroissiales. Certains centres offrent un service de casse-croûte. L’animation de ces lieux

constituant des centres nerveux de la vie locale et la vitalité qui en découle contribuent à

alimenter chez plusieurs un sentiment d’appartenance à la paroisse, comme nous le verrons

au cinquième chapitre.

Le quartier compte aussi deux grandes institutions fondées et dirigées par des

congrégations religieuses dans un but d’éducation et de divertissements des enfants, soit le

Patronage Laval391

(paroisse Sacré-Cœur) et la Maison Notre-Dame-de-la-Providence392

389

Des surfaces de jeux extérieures, présentes dans quelques paroisses, permettent également de jouer au

hockey sur glace ou encore au base-ball. 390

Ces événements sont la plupart du temps payants. 391

Le Patronage, ou « Patro », Laval, dirigé par les Religieux de Saint-Vincent-de-Paul, a célébré son 100e

anniversaire en 2010. Cette congrégation en tint plusieurs au Québec et en Ontario, dont six dans la région de

Québec. Au début du XXe siècle, les autorités religieuses craignent les effets du développement rapide des

villes, comme Québec, qui brisent à leur avis la cellule familiale, et offrent aux jeunes des loisirs prescrits,

espérant les détourner de la danse, des cabarets et d’autres activités jugées malsaines. Elles redoutent que,

souvent laissés sans surveillance, par exemple pendant les vacances scolaires, après l’école ou pendant les

jours de congé, les jeunes ne tombent dans l'oisiveté ou pire, dans la délinquance et le vice. C’est ce qui

explique le développement de loisirs urbains, comme les Patros (à partir de 1884), calqués sur le modèle

européen, et l'Oeuvre des Terrains de Jeux (1929 à Québec). L’encadrement des jeunes par le biais des loisirs

organisés et surveillés, permet aussi, espère-t-on, de réaffirmer les valeurs traditionnelles. Cet encadrement

par les loisirs favorise une prise en charge « intégrale » des jeunes, principe à la base d’une éducation

catholique. Les Patros offrent ainsi, en plus des loisirs, du soutien scolaire et des éléments de formation

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(paroisse Saint-Malo). Les dirigeants de ces institutions importantes dans la vie locale ont

développé progressivement une offre de loisirs et de services couvrant les quatre saisons de

l’année, offre non seulement tournée vers les jeunes, mais également vers les adultes. Ils

ont attiré des gens provenant de tout le quartier Saint-Sauveur et également d’autres

quartiers de Québec.

Un cinéma, le Laurier, et des salles de spectacles, salles de quilles et salons de billard

commerciaux sont présents, par ailleurs, dans le quartier Saint-Sauveur. Les trois premiers

types d’établissements se retrouvent sur la rue Saint-Vallier, principale artère commerciale.

Les salles de quilles et salons de billard sont, quant à eux, dispersés à travers le tissu

résidentiel. La clientèle de l’ensemble de ces établissements est essentiellement locale et

elle fréquente aussi d’autres lieux de même nature commerciale dans d’autres quartiers de

la ville. Le quartier compte finalement des tavernes393

et des cafés, tant sur les axes

commerciaux que plus résidentiels.

3.2.2.2 Les pratiques d’enfance

Le quartier Saint-Sauveur se caractérise durant les années 1930 et 1940 par une densité de

population élevée. Ses résidants âgés de moins de 14 ans forment plus du tiers de la

population au recensement de 1951. La plupart des amis des membres du corpus lorsqu’ils

étaient enfants demeuraient ainsi à proximité immédiate de chez eux, comme le relate ce

économique, artistique, religieuse, citoyenne, etc. D’abord réservés aux garçons, ils accueilleront les jeunes

filles à partir des années 1960. Voir le volet « Secourir et encadrer : les bonnes œuvres » de l’exposition

virtuelle Naître et grandir à Québec, 1850-1950, par Daigle et Gilbert, au http://expong.cieq.ca. Au sujet de la

philosophie d’action des autorités religieuses, voir BRAZEAU, op. cit. 392

La « Providence », comme l’appellent les résidants du quartier, fut fondée en 1902 par les Franciscaines

Missionnaires de Marie. Ces dernières s’établissent dans la municipalité de Saint-Malo (elle est rattachée à

Québec en 1908) pour tenir à la fois une salle d’asile (un service de garde), l’école primaire (elles offrent

aussi une formation ménagère et tiennent des classes de niveau supérieur) et un service de loisirs (patronage).

S’ajoutent bientôt la Goutte de Lait de la paroisse (voir la description au chapitre suivant, p. 271-272), un

ouvroir où l’on peut se procurer des vêtements à peu de frais et une soupe populaire. En 1917 déjà, environ

600 enfants de 2 à 8 ans bénéficient des services de l’institution. La Maison Notre-Dame-de-la-Providence

ferme ses portes en 1975 et est transformée en coopérative d’habitation. Voir le volet « Secourir et encadrer :

les bonnes œuvres » de l’exposition virtuelle Naître et grandir à Québec, 1850-1950, par Daigle et Gilbert, au

http://expong.cieq.ca. 393

La paroisse Saint-Sauveur compte, par exemple, entre cinq et six tavernes durant les années 1930, 1940 et

1950 en vertu des données compilées par les curés et ses vicaires. Archives des Oblats de Marie-Immaculée

(Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de Québec. Rapports des visites paroissiales. Années

1930 à 1960.

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181

participant394

: « C’tait pas mal toute concentré dans un coin d’rue. Mais tsé là, la

population de gars de 15 ans dans un coin d’rue dans c’temps-là… » (#08) Ils ont parfois

des copains demeurant un peu plus loin tout en étant dans la même paroisse qu’eux. Cette

situation s’explique par le déploiement paroissial des écoles primaires, lieux importants de

socialisation des enfants. Les participants côtoient aussi des cousins et cousines habitant sur

les rues avoisinantes ou dans une paroisse voisine395

. Les amitiés à l’extérieur de la paroisse

de résidence sont plutôt rares hormis pour ceux demeurant près d’une artère frontalière ou

sur cette dernière. Les déplacements qui résultent de ces réseaux amicaux ainsi que ceux

vers l’école ou vers l’épicerie au coin de la rue font en sorte que les participants

expérimentent tôt un univers de proximité, qui, ajouté au fait d’être témoin des pratiques de

leurs parents, amène à croire que « tout » est proche.

Un participant résume bien la situation à laquelle faisaient face les membres du corpus

alors qu’ils étaient enfants : « Quand j’tais jeune on n’avait pas d’espace pour jouer d’in

maisons. R’garde on pouvait jouer un peu s’a table chez nous, pis dans un p’tit carré grand

d’même on pouvait jouer d’temps en temps. Ouais pis l’restant on jouait dehors. C’tait

normal, mes chums c’tait toute pareil » (#07) Les cours arrière, lorsque les participants ont

la permission d’y jouer, occupent une grande place dans leurs loisirs. Ces divertissements à

l’extérieur constituent d’efficaces outils de socialisation avec les autres enfants vivant dans

le même immeuble et dans les immeubles voisins. Comme le mentionnent deux

participantes, certaines cours arrière de plus grandes dimensions deviennent très

populaires :

Ben de toute façon on avait pas besoin d’aller loin, en haut chez maman dans sa

maison y avait un locataire qui avait lui aussi 11 enfants. On était déjà 22 dans

cour. Faque ça attirait les autres. (#26)

Pis chez nous dans cour chez nous là, euh… On ramassait tout l’monde. Toutes

les enfants, ça v’nait jouer dans cour, parce qu’on mettait d’la musique, pis mon

394

Les réseaux amicaux sont ainsi perturbés lorsqu’il y a déménagement, même sur de courtes distances,

comme l’illustre ce participant : « Mais trois coins d’rue dans c’temps-là c’tait énorme. Fallait tu descendes

de Bayard à Durocher, de Durocher allé à Carillon, pis Carillon allé à Chénier. C’tait énorme, quand t’avait

six ans. […] [C]’tait pu du tout la même chose. » (#22) 395

La famille occupe en effet une place de choix dans les sociabilités, comme nous le verrons au chapitre

suivant.

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père disait toujours, c’est pire qu’l’Orphelinat Saint-Sauveur396

, parce que

toutes les enfants v’naient jouer dans cour. On était les seuls qui avaient une

grand cour s’a rue Châteauguay. Faqu’on ramassait toutes les enfants, mais…

C’tait ben l’fun. J’ai fait pas mal ma jeunesse là. (#32)

Les rues et les éléments naturels sont également largement mis à profit. Avant que le

nombre de ménages possédant un véhicule n’explose durant les années 1950 dans Saint-

Sauveur397

, la circulation automobile dans les rues du quartier est modérée. Ces rues

constituent donc des terrains de jeux parfaits pour plusieurs membres du corpus ayant

grandi dans ce quartier ou dans des quartiers voisins comme Saint-Roch et Saint-Jean-

Baptiste. Il en va de même pour les ruelles. Leur nombre est toutefois fort limité dans le

quartier Saint-Sauveur398

, à la différence d’un quartier comme Limoilou à Québec399

. Le

coteau Sainte-Geneviève est investi par les enfants demeurant dans les paroisses qui y sont

accolées, Saint-Joseph et Notre-Dame-de-Grâce, rarement de plus loin. La rivière Saint-

Charles, dont les abords ne sont pas aménagés400

, attire surtout, quant à elle, les enfants de

la paroisse Sacré-Cœur, qui y est adossée.

Plusieurs participants, enfants, ont profité des structures de loisirs, de divertissements et

de vie communautaire et associative de la (des) paroisse(s) où ils ont demeuré. Ils ont

intégré des groupes de piété (six participantes ont été membres des Enfants de Marie par

exemple401

) ou des chorales, ont participé à des concours de connaissances mettant aux

prises des groupes d’écoliers de diverses paroisses ou encore ont assisté à des pièces de

théâtre et à des projections cinématographiques. L’attrait de la programmation d’un centre

396

L’Orphelinat Saint-Sauveur, fondé en 1907 par les Sœurs de la Charité de Québec, est implanté au cœur du

quartier, à la frontière des paroisses Saint-Sauveur et Notre-Dame-de-Grâce. Il abrite plus de deux cents

garçons et filles à la fois au cours des décennies 1930 et 1940, ainsi que des vieillards et des dames

pensionnaires. À la suite d’une baisse des effectifs, amorcée durant les années 1950, les religieuses cessent

d'accueillir des enfants en août 1968. Le bâtiment fut par la suite démoli puis remplacé par une résidence pour

personnes âgées, le Centre Notre-Dame-de-Lourdes. Voir le volet « Secourir et encadrer : les bonnes

œuvres » de l’exposition virtuelle Naître et grandir à Québec, 1850-1950, par Daigle et Gilbert, au

http://expong.cieq.ca. 397

Ce phénomène ne se limite pas bien sûr à Québec et au Québec. Il survient aussi dans le reste du Canada et

dans d’autres pays occidentaux. 398

La figure 3.1 offre un rare exemple de ruelle dans le quartier. 399

La trame des rues de Limoilou est en effet un peu plus aérée en vertu de nouvelles considérations envers la

santé des populations urbaines au moment de sa planification au début du XXe siècle.

400 La rivière Saint-Charles, l’un des cours d’eau les plus pollués au Canada à l’époque, fut canalisée sur

quatre kilomètres entre son embouchure et l’ouest du quartier Saint-Sauveur durant les années 1960 afin de

réguler son cours. Les autorités aménagèrent des allées bétonnées sur chaque rive pour que les résidants

puissent s’y promener. La rivière Saint-Charles fut renaturalisée à partir des années 1990. 401

Soit les participantes #02, 12, 16, 23, 28 et 32.

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paroissial voisin ou l’absence d’une activité appréciée dans sa paroisse les a aussi conduit à

fréquenter d’autres paroisses, où l’on se rend à pied ou à bicyclette. Le Centre Durocher

attire ainsi, par exemple, une clientèle venant de partout dans le quartier et même d’ailleurs

à Québec402

. La fréquentation du Patronage Laval et de la Maison Notre-Dame-de-la-

Providence et les réseaux amicaux qui s’y créent contribuent également à élargir

graduellement le cercle des espaces visités403

.

Aller jouer dans les parcs dépend dans un premier temps de l’accord des parents. Ces

derniers portent des jugements variés sur leur proximité et sur l’aspect sécuritaire de leur

fréquentation. Certains participants ayant grandi dans la paroisse Saint-Malo n’ont pas eu la

permission d’aller au parc Victoria. Ils se sont donc contentés du parc Dollard ou du parc

Durocher. Habitant au cœur du quartier, d’autres membres du corpus se virent interdire

d’aller dans l’un ou l’autre des parcs, jugés trop loin, ce qui ne leur laissa d’autre choix que

de se divertir dans leur cour ou dans la rue. Les parcs sont fréquentés de manière

informelle, pour jouer ou flâner, ou dans le cadre d’une inscription, lorsque les parents en

ont les moyens, à des loisirs organisés, comme ceux offerts par l’Œuvre des Terrains de

Jeux au parc Dollard, au parc Victoria ou au parc Mathieu404

. Lorsque les participants ont

atteint un âge jugé adéquat par leurs parents, ils purent choisir les parcs où ils désiraient

aller. Le parc Victoria, le plus grand du secteur, jouit d’une grande popularité. Des résidants

des paroisses Saint-Joseph et Notre-Dame-de-Grâce montent en Haute-Ville afin d’aller

dans les parcs Saint-Mathieu et des Braves, qui offrent une vue imprenable sur leur milieu

de résidence, ou plus rarement sur les Plaines d’Abraham, le plus grand parc public de

Québec405

, bordant le cap Diamant de l’autre côté du promontoire formant la Haute-Ville.

La localisation des lieux et espaces de loisirs, de divertissements et de vie communautaire

et associative et leur variété amènent les membres du corpus à demeurer près de leur

domicile ainsi qu’à investir sur une base plus ou moins régulière le quartier Saint-Sauveur

ou des espaces limitrophes dès leur enfance, et ce au moyen de modes de déplacement à

402

Notamment des gens du quartier Limoilou. DESCHÊNES et al., op. cit., p. 43. 403

Quatre membres du corpus furent inscrits à l’une de ces deux institutions (#05, 08 22 et 27), tout comme

des frères de deux autres participants (#07 et 18). 404

Cette inscription concerna quatre participants (#13, 17, 27 et 32). 405

Ce parc fut inauguré en 1908 dans le cadre du 300e anniversaire de la ville.

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coût nul. Cet espace vécu forge autant la relation affective à sa paroisse de résidence que

les représentations sur la proximité et l’accessibilité physique.

3.2.2.3 Avancer en âge, élargir ses horizons

L’entrée des participants dans l’adolescence puis dans la vie adulte se traduit par une

intensification des pratiques dans le quartier et un élargissement du cadre dans lesquelles

elles se déploient. Se divertir à la maison demeure évidemment une option à tout âge. Des

soirées de danse ou de simples rencontres, entre membres d’une même famille ou entre

amis, sont organisées en dépit de l’espace souvent exigu. La simplicité est à l’honneur et

l’absence de débours est appréciée, tant à l’adolescence que plus tard. Les parcs et les

centres paroissiaux ne sont pas délaissés. Ces derniers sont même, dans la plupart des cas,

davantage fréquentés à partir de l’adolescence. Spectacles, cinéma, billard, quilles, soirées

dansantes attirent les membres du corpus dans leurs centres paroissiaux respectifs, tout

comme différents mouvements associatifs : chorale, garde paroissiale406

, conférence407

locale de la Société Saint-Vincent-de-Paul, etc. Selon l’offre et les préférences de chacun,

les centres d’autres paroisses sont également fréquentés. La clientèle des centres des deux

paroisses les plus populeuses du quartier, Saint-Sauveur et Saint-Malo, est à ce titre

diversifiée. Bien que la plupart des participants soient attachés à leur paroisse de résidence,

ils n’éprouvent aucune retenue à profiter de ce qui se trouve dans les autres paroisses.

Certains membres du corpus, membres depuis leur enfance d’un groupe, d’un mouvement

ou d’une association ou participant aux activités du Patronage Laval ou de la Maison

Notre-Dame-de-la-Providence, poursuivent leur affiliation ou demeurent inscrits à

l’adolescence et même à l’entrée dans la vie adulte408

. D’autres les intègrent à ce moment

ou adhèrent à des regroupements dédiés aux jeunes gens, comme par exemple la Jeunesse

406

Regroupement volontaire de jeunes hommes et d’hommes adultes, une garde paroissiale est activement

impliquée dans les moindres événements de la paroisse (offices religieux, soirées récréatives, processions et

défilés de toutes sortes, etc.) et offre à ses membres divers loisirs. Les membres d’une garde bénéficient

également de privilèges particuliers lors de leur mariage et de leurs funérailles, comme une haie d’honneur

par exemple. 407

Chaque paroisse compte plusieurs conférences, chacune s’occupant d’un territoire précis. Des conférences

féminines sont aussi présentes dans les paroisses; leurs activités sont distinctes de celles des hommes. Ces

conférences féminines apparaissent à Québec à partir de 1933. 408

Le Patro Laval, par exemple, comporte plusieurs sections correspondant aux divers groupes d’âge, faisant

en sorte qu’on peut en rester membre sa vie durant.

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Étudiante Catholique ou la Jeunesse Ouvrière Catholique. En plus de ces activités, les

établissements commerciaux du quartier Saint-Sauveur sont investis par plusieurs sur une

base occasionnelle ou régulière en fonction des goûts et des budgets. Le cinéma Laurier

ainsi que les diverses salles de quilles occupent une place de choix409

. Cinéma et quilles

font partie des loisirs les plus populaires auprès des membres du corpus en compagnie des

spectacles de variété, de la danse et des simples promenades410

. L’avancée en âge signifiant

une plus grande autonomie d’action, les pratiques de loisirs, de divertissements et de vie

communautaire et associative ne sont toutefois pas limitées au quartier. Elles prennent

plutôt place dans un cadre plus large en raison notamment de la forte attraction exercée par

certains secteurs411

.

Le fait que le quartier Saint-Roch soit associé au centre-ville par les membres du corpus

découle du fait qu’il a constitué pendant longtemps une bonne partie du cœur commercial

de la ville. Il s’explique également par sa fonction récréative très développée durant les

années 1930, 1940 et 1950, qui fait la joie non seulement des participants, mais de tous les

habitants de Québec. Les membres du corpus ont fréquenté les cinémas (Princesse,

Impérial, etc.) et les salles de spectacle (Le Coronet, Le Baril d’Huîtres, La Tour, etc.) du

quartier Saint-Roch, au grand dam des autorités religieuses paroissiales qui s’efforcent de

convaincre leurs pupilles, et particulièrement les jeunes gens, de se divertir à l’intérieur de

leur paroisse en raison de leur crainte des lieux de divertissements commerciaux, qu’ils

jugent immoraux412

. Ces visites se font de pair avec celle des établissements commerciaux

du quartier Saint-Sauveur ou parfois, constituent les seules pratiques en la matière, le

quartier de résidence étant ignoré. Le coût d’entrée n’est pas une variable dans le processus

décisionnel du choix du quartier où les participants se divertissent. Ils disent avoir apprécié

le fait de diversifier les endroits qu’ils ont fréquentés. Ces visites dans le quartier Saint-

409

C’est aussi le cas pour une participante (#10) ayant grandi dans le quartier Saint-Jean-Baptiste et qui

fréquente les établissements qui s’y trouvent. 410

Roberts, dans son analyse de la vie quotidienne des femmes de milieux populaires britanniques entre 1890

et 1940, porte un constat similaire en ciblant les promenades, la danse et le cinéma comme loisirs les plus

appréciés, les deux dernières activités étant réalisées dans des établissements tant commerciaux que

paroissiaux. ROBERTS (1984), op. cit., p. 68-72. 411

Notons, par ailleurs, que la poursuite de la scolarité au-delà du cours primaire ainsi que l’entrée sur le

marché du travail résultent également en la fréquentation d’autres paroisses du quartier et d’autres quartiers de

Québec. 412

Cette question est approfondie dans le dernier chapitre de la thèse.

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Roch sont parfois complétées par un repas au restaurant, fort souvent de spécialité chinoise,

véritable « mode » dans les années 1950 et 1960.

Cette diversification des lieux de pratiques ne se limite pas au quartier Saint-Roch. Elle

comprend plutôt l’ensemble des autres quartiers de Québec, soit les quartiers Champlain,

Montcalm, Saint-Jean-Baptiste et Limoilou. Les participants s’y rendent dans le but, entre

autres, d’y voir un film ou d’assister à un spectacle, à une soirée dansante ou à une

compétition sportive413

. Certains mouvements associatifs dont les participants sont

membres y ont aussi leurs locaux. Les déplacements s’effectuent souvent à pied, parfois en

transport en commun. Les participants marchent du quartier Saint-Sauveur au bord du

fleuve par exemple, un trajet de plus de trois kilomètres (aller), sans problème.

Marcher quotidiennement pour se rendre aux lieux et espaces de loisirs et de

divertissements, pour aller travailler ou pour aller acheter un bien quelconque n’empêche

pas les participants, dès leur adolescence et de manière durable, de s’adonner aussi

régulièrement à des promenades, loisir aussi simple que gratuit. Les expressions employées

par une participante sont révélatrices de l’ampleur de certains circuits :

- Non, j’ai monté en masse en haut à pied aller-retour à Haute-Ville. Moi c’est

ça que j’disais à mon amie d’femme l’autre jour. J’y dis, on a tellement marché

que… D’mande pas pourquoi on marche pu. J’montais à Haute-Ville à pied,

j’faisais un tour s’a rue Saint-Jean pis euh… La côte du Palais là, bon ben tu

descendais jusqu’en bas, tu r’montais, là on r’faisait la rue s’a rue, sur la rue

Saint-Jean, pis on r’descendait, pis après ça, on s’en v’nait icitte à pied.

- (D.G.) Ça faisait une belle marche.

- Ah oui ah oui. On n’a usé des talons. […] (#17)

Le circuit que la participante dépeint à travers la Haute-Ville est à l’image de ceux de près

de la moitié des autres hommes et femmes que nous avons rencontrés. Certaines

destinations sont en effet très populaires et s’avèrent être aussi celles de gens de statuts

socioéconomiques plus aisés, ce qui n’est pas sans rappeler le contexte de fréquentation des

grands magasins de la rue Saint-Joseph : la terrasse Dufferin et le parc des Plaines

d’Abraham, offrant une vue imprenable sur le fleuve Saint-Laurent, ainsi que le parc des

413

Le quartier Limoilou est notamment le lieu de la visite annuelle au parc de l’Exposition provinciale, où se

tient un événement fort populaire à chaque fin d’été, mélangeant compétitions agricoles et fête foraine. Jean-

Marie LEBEL, L’Expo. Plaisir et découvertes à Québec, Québec, Publications du Québec, 2011, coll. « La

bibliothèque de la capitale nationale », 157 p.

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Braves dans le quartier Montcalm, permettant, quant à lui, de surplomber le quartier Saint-

Sauveur.

Parmi les autres circuits souvent empruntés par plusieurs participants se retrouvent aussi

des allers-retours sur la rue Saint-Joseph, artère de lèche-vitrine par excellence, comme en

témoigne cette participante : « On allait s’prom’ner, j’me souviens avant s’a rue Saint-

Joseph, c’tait la mode d’aller s’prom’ner. Le monde avait pas beaucoup d’argent, astheure

ça va dans des spectacles. » (#06) La rue Saint-Joseph est une composante centrale de

l’expérience urbaine d’un grand nombre de participants, tant pour l’aspect consommation

que pour l’aspect ludique. Pour certains, déambuler sur cette rue est une habitude

hebdomadaire incontournable, seul, en couple ou en famille. Pour d’autres, s’y balader reste

occasionnel. La popularité de l’artère comme lieu de promenade est telle que le mari d’une

participante (#17) en est venu à abhorrer ces « marches de niaiseux », où l’on se marche sur

les pieds en raison de l’affluence.

Un participant nous a déclaré que l’affluence des rues Saint-Vallier, principale artère

commerciale du quartier Saint-Sauveur, et Saint-Joseph était similaire, ce dont aucun autre

membre du corpus n’a fait mention : « L’vendredi, l’jeudi pis l’vendredi soir là, tu passais à

pied, su’a rue Saint-Vallier ou Saint-Joseph. Si tu voulais marcher trop vite, fallait tu sortes

dans rue. Pour dépasser les gens. C’tait plein, plein de monde à largeur du trottoir. » (#05)

L’affluence de la première a pu être parfois appréciable en raison de son statut, mais elle

reste en effet moindre que celle de la rue Saint-Joseph, car elle n’attire que les résidants du

quartier. Si les gens l’empruntent pour se promener, c’est essentiellement pour rejoindre la

rue Saint-Joseph, les deux artères se croisant à la limite orientale du quartier Saint-Sauveur.

Au-delà de cela, le quartier n’est pas vraiment un lieu de prédilection lorsqu’on décide de

se promener. De courtes sorties englobant quelques pâtés de maisons autour du domicile

sont réalisées, mais une balade de moyenne ou de longue durée dans d’autres paroisses du

quartier est fort rare. Les membres du corpus expliquent ce fait par le peu d’intérêt qu’ils

ont à se promener dans le quartier, où il y a peu à voir comparativement à la rue Saint-

Joseph et à la Haute-Ville.

Les participants, enfants, adolescents ou jeunes adultes, ont occasionnellement la chance,

par ailleurs, d’effectuer des sorties en dehors de la ville avec leur groupe d’amis, en famille,

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avec certaines des organisations dont ils sont membres ou par le biais de camps de vacances

paroissiaux. Quelques-uns vont profiter en période estivale des abords du fleuve Saint-

Laurent dans le secteur de l’Anse-aux-Foulons, à Sillery, municipalité voisine de Québec,

où une plage publique est aménagée depuis 1931414

, ou de ceux du lac Saint-Joseph, situé

au nord de Québec, où il y a également une plage publique. D’autres fréquentent les

chalets415

appartenant à leurs parents ou à un membre de leur famille ou pique-niquent en

famille en campagne le dimanche, un oncle ou encore un cousin ayant une automobile ou

parfois un camion, ce qui permet de transporter un grand nombre de personnes.

Depuis le perron de leur maison ou de leur immeuble, les membres du corpus ont ainsi

progressivement investi, au cours de leur enfance et de leur adolescence, les environs de

leur domicile, leur(s) paroisse(s) de résidence, le quartier Saint-Sauveur et d’autres espaces

urbains pour les loisirs, les divertissements et la vie communautaire et associative. Cet

élargissement des espaces fréquentés est similaire à celui que connurent des participants

ayant vécu dans d’autres quartiers de Québec; la simplicité des loisirs d’enfance, à celle des

participants ayant vécu en milieu rural à cette époque de leur vie416

. Plusieurs

développèrent un lien particulier aux endroits où ils prirent l’habitude d’aller tôt dans leur

vie et les fréquentèrent longtemps. Les pratiques de loisirs, de divertissements et de vie

communautaire et associative tendirent toutefois globalement à se transformer à l’âge

adulte, tant au point de vue de leur fréquence qu’à celui des lieux fréquentés, en raison,

entre autres, de facteurs reliés à la fondation d’une famille, aux préférences individuelles et

à la transformation des modes de vie à partir de la fin des années 1950.

Les réseaux des lieux et des espaces dédiés à l’alimentation, à l’achat de biens, à l’usage

de services, aux loisirs, aux divertissements et à la vie communautaire et associative du

quartier Saint-Sauveur ainsi que la proximité du quartier du cœur de la ville, où se

concentrent lieux de consommation, de récréation et aussi de travail, alimentèrent chez les

414

Stéphane BOUCHARD et Léonce NAUD, « Un loisir populaire : la baignade », dans COURVILLE et

GARON (dirs.), op. cit., p. 328. 415

Petites maisons de campagne de construction et de confort généralement assez rudimentaires. 416

Une participante née dans le petit village de Manche-d’Épée, en Gaspésie, résume ses loisirs d’enfance en

ces termes : « Hum… on avait rien. Oh non, quand j’tais jeune on avait rien. On s’prom’nait comme ça dans

l’chemin là, c’tait ça qu’on faisait! (rires) C’pas grave, on allait jouer, j’allais trouver un autre fille, ou be dont

y avait une autre fille qui venait m’trouver, on s’prom’nait deux trois là, des fois on était rendus quatre cinq

dans l’chemin on s’prom’nait ensemble, les filles là pis ouin, ah oui. » (#15)

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personnes que nous avons rencontrées l’impression d’une vie caractérisée sous de

nombreux aspects par la proximité. Cette proximité perçue ne se limite pas à l’échelle

locale, c’est-à-dire à l’échelle de la paroisse et du quartier Saint-Sauveur. Jeunes, les

participants ont vu leurs mères fréquenter des commerces et des services situés à quelques

minutes de marche de leur domicile. Ils ont évolué dans un cercle d’amis dont plusieurs

membres demeuraient tout près d’eux. Ils ont également profité des loisirs et

divertissements offerts par la ou les paroisse(s) de résidence. Cet univers paroissial est

perçu a posteriori par les participants comme un monde en soi, où l’on avait « tout » ce

dont on avait besoin. La diversité des pratiques qui y sont réalisées témoigne du dynamisme

de cet univers. Toutefois, ce « tout » est symbolique, car cette expérience paroissiale

s’insère dans une vie urbaine toute aussi affirmée.

Par nécessité Ŕ la paroisse ne répondant pas à tous les besoins ou les établissements s’y

trouvant n’offrant pas les meilleurs prix Ŕ ou par goûts personnels, les membres du corpus

ont également fréquenté quelques-unes des autres paroisses du quartier Saint-Sauveur, les

artères commerciales de ce dernier de même que d’autres quartiers de Québec, tout comme

leurs parents. Ces pratiques s’étendent dans les quartiers Saint-Roch et Champlain, dans

une moindre mesure Limoilou, Saint-Jean-Baptiste et Montcalm, plus rarement en dehors

de la ville. Les trottoirs de la ville résonnent du bruit des pas des résidants du quartier

Saint-Sauveur, qui utilisent massivement la marche à pied pour se rendre à destination. La

ville expérimentée par les membres du corpus est à échelle d’accessibilité physique et de

proximité. Ces dimensions sont appréciées et mises en valeur. La marche est une modalité

de déplacement souple permettant d’aller où l’on veut lorsqu’on le veut sans tracas. Elle

convient bien à des réseaux de lieux de pratiques concentrés au cœur de la ville de Québec,

où les rues sont souvent étroites. Bicyclette et transport en commun complètent l’éventail

des moyens de déplacement. La marche mène les participants relativement loin de leur

domicile. L’habitude créée par la fréquentation répétée des autres quartiers de Québec fait

en sorte qu’on les intègre progressivement à ce qui est jugé proche et facilement accessible.

Ces rapports à la proximité et à l’accessibilité physique, de même que l’expérience du

quartier et de la ville, entrent toutefois dans une période de transformations majeures à

partir de la fin des années 1950.

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3.3 Une expérience et un rapport en redéfinition

Durant la seconde moitié des années 1930-1980, les réseaux des lieux et des espaces

dédiés à l’alimentation, à l’achat de biens, à l’usage de services, aux loisirs, aux

divertissements et à la vie communautaire et associative se transforment. De nouveaux

biens rendent les salons de chaque logement de plus en plus attrayants et un nouveau mode

de déplacement s’ajoute à l’éventail des options de la plupart des participants. Leur

expérience du quartier Saint-Sauveur et de la ville de Québec se modifie. Le rapport à la

proximité des lieux fréquentés change, sa valorisation perdant du poids dans les processus

décisionnels. Il en va de même pour le rapport à l’accessibilité physique, qui se

métamorphose. Les pratiques de la plupart des membres du corpus étant désormais

réalisées en bonne partie en automobile, acquise à partir des années 1950, des lieux et des

secteurs jusque-là visités sans problème sont maintenant considérés inaccessibles ou à

éviter. Un pan entier de la culture urbaine en milieu populaire à l’étude est ainsi

progressivement redessiné.

3.3.1 Ville et société en transformation

L’étalement urbain résultant de l’exode résidentiel de l’après-guerre implique des

aménagements infrastructurels considérables, les banlieusards s’éloignant du centre des

agglomérations. Ces mouvements de population et ces aménagements, visibles à l’échelle

nord-américaine, entraînent un bouleversement des tissus commercial et industriel urbains.

Avec la participation des autorités municipales, qui à Québec par exemple sont alors

soucieuses d’effacer les mentalités de quartier417

, des espaces reconnus pour la diversité de

leurs fonctions (résidentielle, commerciale, industrielle, de services, etc.) voient ainsi leur

fonction résidentielle être de plus en plus prédominante.

Les déplacements entre les banlieues et le cœur des agglomérations sont facilités par un

développement marqué des réseaux routier et autoroutier. De grandes artères viennent

percer les quartiers situés dans ces cœurs afin d’aménager des accès rapides. Plusieurs

417

Faire en sorte que les résidants pensent « Québec » plutôt que « quartier » fut le désir avoué du maire

Lamontagne, dirigeant la ville de Québec de 1965 à 1977. Ces mots sont prononcés par le maire lors d’une

allocution en 1969. EZOP-Québec, Une ville à vendre, Laval, Éditions coopératives Albert Saint-Martin,

1981, p. 374.

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milliers de ménages sont chassés de leurs logements, rasés, pour laisser place à ces

nouvelles artères ou à des espaces à bureaux. À Québec, la multiplication des édifices sur la

colline parlementaire dans les années 1960 et 1970, qui accompagne la forte croissance des

effectifs de la fonction publique provinciale, de même que la construction de l’autoroute

Dufferin-Montmorency à la fin des années 1970, bouleversent ainsi les quartiers Saint-

Roch et Saint-Jean-Baptiste418

. Les abords des voies de communication rapide sont

transformés en certains endroits en parcs industriels, où se concentrent progressivement

plusieurs établissements419

. Leurs dirigeants quittent le voisinage des milieux résidentiels,

et particulièrement le quartier Saint-Roch à Québec.

Dans le but de desservir un bassin de population plus étendu dans l’espace et se déplaçant

de plus en plus en automobile, des centres commerciaux munis de nombreux espaces de

stationnement sont établis le long d’artères importantes. Le premier à voir le jour dans la

région de Québec est Place Sainte-Foy en 1958. Il est situé dans la municipalité du même

nom à l’ouest de Québec, une des plus importantes villes de banlieue de la région en regard

du nombre d’habitants. Le modèle de Place Sainte-Foy consiste en un supermarché entouré

de magasins et de services, ayant chacun leur entrée indépendante depuis l’extérieur. Trois

ans plus tard, un second centre commercial, Place Laurier, est inauguré à quelques

centaines de mètres à l’ouest de Place Sainte-Foy. Place Laurier constitue le premier centre

couvert de la région de Québec. Les consommateurs entrent donc dans un espace fermé où

s’alignent toutes les constituantes, dont la diversité rappelle celle des artères commerciales

des quartiers Saint-Sauveur ou encore Saint-Roch; les magasins à prix modiques comme les

« 5-10-15 » y sont notamment représentés. Considérant les rigueurs hivernales du climat

québécois, les avantages de ce modèle en termes de confort poussent les autorités de Place

Sainte-Foy à s’adapter et à prendre la même forme quelques années plus tard420

. Le premier

centre commercial à ouvrir ses portes à Québec même sera les Galeries de la Canardière,

situées dans l’est du quartier Limoilou en 1960421

. Suit en 1963 Place Fleur-de-Lys, dans

l’ouest du quartier Limoilou cette fois, à la frontière de la municipalité de Québec-Ouest

418

VALLIÈRES, « Les institutions de la capitale et de la Communauté urbaine », dans VALLIÈRES et al.

(Tome III), op. cit., p. 1714-1722. 419

À Québec, ce processus s’effectue durant les années 1960 et 1970. 420

Michel LESSARD, Sainte-Foy, l’art de vivre en banlieue au Québec : du temps des seigneuries à l’aurore

du XXIe siècle, Montréal, Éditions de l’Homme, 2001, p. 334, 339.

421 Le mail, à l’origine à ciel ouvert, sera muni d’un toit en 1971.

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(future Ville-Vanier). Puis, au fil des années 1960 et 1970, plusieurs centres de petites

dimensions, ouverts et couverts, verront le jour dans la région de Québec422

, dont un dans la

paroisse Saint-Malo, à l’angle de la rue Marie-de-l’Incarnation et du boulevard Charest.

Conscients de la popularité des centres commerciaux, les dirigeants de certains grands

commerces du quartier Saint-Roch, comme Paquet, Pollack et Syndicat, et du quartier

Champlain, comme Simons423

, ouvrent une ou plusieurs succursale(s) à Place Sainte-Foy,

Place Laurier et Place Fleur-de-Lys ou à proximité de celles-ci. Des petits commerçants

quittent également leurs milieux respectifs et migrent vers les différents centres

commerciaux, attirés par le potentiel d’une clientèle élargie. Le déclin progressif de

l’affluence dans les magasins de la rue Saint-Joseph mène commerçants et autorités

municipales à réagir pour tenter de retenir les consommateurs. En 1970, une portion de la

rue est transformée en artère piétonnière. Puis, en 1974, dans une tentative d’imiter ce qui

fait le succès des centres commerciaux, on en recouvre une partie entre les rues de la

Couronne et Saint-Dominique, créant un mail fermé d’un-demi kilomètre de long, le Mail

Saint-Roch, plus tard rebaptisé Mail Centre-Ville (voir figure 3.6).

422

22 centres commerciaux sont en fonction dans la région métropolitaine de Québec en 1973. VALLIÈRES,

« Québec en transition vers une économie de services », dans VALLIÈRES et al. (Tome III), op. cit., p. 1668. 423

Ce grand magasin est situé sur la côte de la Fabrique, dans le Vieux-Québec, depuis 1870.

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193

Figure 3.6 – Le Mail St-Roch, 26 février 1975

Source : Archives de la Ville de Québec; série Sécurité publique du fonds de la Ville de Québec; négatif

N014743. Auteur : Service de police de la Ville de Québec.

Au cours des années 1950, les résidants des villes québécoises assistent, par ailleurs, à une

multiplication des supermarchés, commerces d’approvisionnement alimentaire de grande

taille. Ce phénomène se produit même dans les quartiers populaires, où les petites et

moyennes épiceries indépendantes tenaient alors le haut du pavé. Dans le quartier Saint-

Sauveur de Québec, des supermarchés apparaissent à partir du début des années 1960. La

chaîne Dominion inaugure notamment à ce moment un établissement de ce type sur la rue

Saint-Vallier après un réaménagement et un agrandissement de l’épicerie de taille moyenne

que la chaîne y tenait. Les chaînes réussissent à entrer en compétition avec les indépendants

en raison de facteurs que nous approfondissons plus loin. Des établissements

d’approvisionnement alimentaire d’envergure encore plus considérable, magasins entrepôts

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194

et hypermarchés, font leur apparition au Québec au début des années 1970424

. Ils sont

construits en milieu urbain, à proximité ou à l’intérieur même des centres commerciaux,

ainsi qu’à la frontière de quartiers afin d’attirer le plus grand nombre de clients possible.

Par exemple, dans le quartier Saint-Sauveur, le Marché à Gogo ouvre ses portes en 1970

sur l’avenue Saint-Sacrement à la frontière ouest du quartier, à proximité d’un axe de

transit est-ouest important, le boulevard Wilfrid-Hamel, qui relie notamment Limoilou,

Place Fleur-de-Lys, Ville-Vanier et les secteurs Duberger et Les Saules425

. Puis, au tournant

des années 1980, alors que les supermarchés et les magasins entrepôts ont entraîné la

fermeture de plusieurs bouchers, pâtissiers et autres petits commerçants, une nouvelle

vague d’établissements spécialisés voit le jour au Québec, rassemblés ou non en marchés

de quartier ou en halles426

.

Ces diverses mutations se produisent parallèlement à une hausse du pouvoir d’achat. Cette

hausse, plus ou moins notable selon les ménages, favorise, entre autres, l’exode résidentiel

vers les banlieues et des secteurs des villes en développement. L’ensemble de ces processus

conduit au déploiement à grande échelle de la consommation de masse427

. Les membres du

corpus et leurs parents entrent dans cette ère à différents degrés en fonction de leurs

revenus et de leurs préférences, ce qui modifie leurs modes de vie.

Des électroménagers, et particulièrement des réfrigérateurs, des cuisinières, des lave-linge

et des sèche-linge sont acquis, la plupart du temps par le recours du crédit, ce qui permet

d’améliorer sensiblement le confort domestique tout au long des années 1950, 1960 et

1970428

. Par ailleurs, l’engouement pour l’achat d’un téléviseur, qui vient ajouter un outil

de divertissement dans le logement, est fulgurant. Le recensement de 1961 nous apprend

qu’à ce moment, 93% des ménages du quartier Saint-Sauveur sont dotés d’un tel appareil.

Le corpus reflète bien cette forte proportion. Plusieurs participants ou leurs parents font

cette acquisition vers la fin des années 1950.

424

THÉBERGE, op. cit., p. 85. 425

Ces deux secteurs sont rattachés à la ville de Québec la même année. 426

THÉBERGE, op. cit., p. 128-129. 427

Voir notamment, sur cette question, les études de Ross sur la France et de Cohen sur les États-Unis. ROSS,

op. cit.; COHEN, op. cit. 428

Les nouveaux équipements modernes favorisent également une augmentation des normes en matière de

propreté. Comme le relève Fradet pour le Québec, ils n’ont ainsi pas réduit le temps du travail domestique,

effectué majoritairement par les femmes à cette époque. FRADET, op. cit., p. 40-41.

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195

Les données des recensements révèlent également que la proportion de ménages du

quartier Saint-Sauveur ayant une « automobile de tourisme » passe de 14,5% en 1951 à

40,98% en 1961 et à 45,39% en 1971. Cette hausse rapide, presque du triple, pendant la

décennie 1950 illustre le mouvement de démocratisation de la possession de ce bien très

populaire qui survient au Québec, au Canada et dans d’autres pays occidentaux. Vingt-sept

des 30 participants à notre enquête orale firent l’achat d’un véhicule, neuf ou usagé, au

cours des décennies 1940 à 1970. Le tiers de ces 27 participants acquirent leur première

automobile durant les années 1960, un quart durant les années 1950 et près d’un autre quart

durant les années 1970429

. Cet achat fut souvent fait non pas dès l’entrée dans la vie adulte

ou au moment du mariage, mais un peu plus tard, lorsque les moyens financiers disponibles

le permirent; sauf dans les cas de nécessité pour un emploi requérant de se déplacer dans

l’espace urbain, par exemple dans le domaine de la construction. Les trois membres du

corpus ne s’étant pas procurés d’automobile expliquent cette situation comme suit : un

ménage n’eut jamais les moyens suffisants (#06), alors que deux participantes célibataires

ayant travaillé pendant toute leur carrière dans les quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch ne

ressentirent pas le besoin d’en acheter une (#10 et 16). Il est étonnant de constater que

certains ménages de notre corpus au statut socioéconomique plus modeste que la moyenne

surent trouver la marge de manœuvre nécessaire afin d’acquérir une automobile. Les

participants et conjoints de participantes dans cette situation, disposant de connaissances en

mécanique et/ou souhaitant ardemment ajouter ce mode de transport à leur éventail de

déplacement pour aller travailler, achetèrent un véhicule usagé; cette acquisition leur

apparaissant, tout comme aux autres membres du corpus, nécessaire.

Dans le contexte des pratiques que nous avons examinées, la possession d’une voiture ne

répondait pas à un besoin. Seulement, leur multiplication dans les rues, leur accessibilité au

plan financier par le biais notamment du crédit et d’un pouvoir d’achat en hausse, de même

que l’apparition des centres commerciaux et la multiplication des grandes surfaces

d’approvisionnement alimentaire font naître, par volonté de suivre la mode et de profiter

pleinement des avantages de ces lieux, le désir de disposer d’un tel bien. L’automobile ne

signifie pas nécessairement, par ailleurs, une hausse marquée de la mobilité de

429

Un participant et le mari d’une autre ont acheté, quant à eux, une automobile à la fin des années 1940.

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déplacement. Elle permet certes d’accéder plus facilement aux espaces plus éloignés du

centre des agglomérations, mal ou peu desservis à l’époque par le transport collectif, mais

globalement, la volonté de l’utiliser pour des déplacements de toute nature, par effet de

mode et par satisfaction en termes de confort et d’autonomie, affecte cette mobilité dans les

quartiers jusque-là fréquentés. Parmi les acquisitions de biens d’importance lors de cette

période, ce geste est celui qui eut, avec l’achat d’un téléviseur, l’impact le plus considérable

sur l’expérience du quartier et de la ville des membres du corpus et sur leurs rapports à la

proximité et à l’accessibilité physique.

3.3.2 Les pratiques des participants

Les années 1960 et 1970 sont sous le sceau d’une transformation profonde des rapports à

la proximité et à l’accessibilité physique que les membres du corpus entretiennent à l’égard

des lieux et des espaces. Cette transformation se produit tant au plan intergénérationnel,

pour les hommes et les femmes qui acquièrent leur autonomie à ce moment en décohabitant

notamment et qui entreprennent de nouvelles pratiques comme faire les courses pour leur

propre ménage, qu’au plan individuel pour ceux qui étaient déjà autonomes. En matière

d’alimentation, d’achat de biens, d’usage de services divers, de loisirs, de divertissements

et de vie communautaire et associative, l’expérience du quartier Saint-Sauveur et de la ville

de Québec se modifie. De nouveaux lieux et de nouveaux secteurs de l’agglomération sont

fréquentés, tandis que ceux qui l’étaient jusqu’alors, par les participants ou par leurs

parents, sont quelque peu délaissés ou abandonnés. Ce phénomène a un impact

considérable sur les réseaux en place.

3.3.2.1 Consommation

À partir des années 1960, les habitudes d’approvisionnement alimentaire des membres du

corpus et des parents430

de ces derniers vivant dans le quartier Saint-Sauveur ou dans un

autre quartier populaire de Québec se dissocient pour la plupart des commerces de

proximité immédiate, comme les épiceries du coin, et ce de manière progressive. 80% de

ceux-ci intègrent à leurs emplettes dans plusieurs commerces, épiceries, boucheries ou

430

Dans les situations où les participants vivaient encore avec eux à ce moment.

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encore boulangeries, des achats réalisés dans les supermarchés ouvrant leurs portes dans le

quartier ou en périphérie de celui-ci (quartiers Saint-Roch et Montcalm, Québec-

Ouest/Ville-Vanier). Hormis pour ceux qui demeurent à proximité de ces supermarchés, les

distances à parcourir sont plus grandes, modifiant ainsi une des principales caractéristiques

des achats en la matière. Puis, un tiers du corpus se met à fréquenter après leur ouverture

les magasins entrepôts, dont le Marché à Gogo et d’autres établissements du même type

intégrés à des centres commerciaux comme, par exemple, Place Fleur-de-Lys. Un petit

nombre ira jusqu’au Carrefour Beauport, dans la municipalité de banlieue du même nom à

l’est de Québec, afin d’acheter au Super Carnaval431

, un trajet d’environ neuf kilomètres

(aller). Le participant #21, s’installant dans le quartier Saint-Sauveur durant cette période,

fréquente dès son arrivée un supermarché et un magasin entrepôt.

Les achats dans les supermarchés ne sont au départ qu’occasionnels. Les participants ou

leurs parents visitent ces nouveaux lieux et profitent des soldes, mais poursuivent des

pratiques qu’on peut qualifier à partir de ce moment de traditionnelles432

. Petit à petit

néanmoins, selon des rythmes variables, les petits et moyens établissements sont

volontairement délaissés. On ne va alors que dans les supermarchés, ou bien dans ces

derniers et les magasins entrepôts. Le rapport aux commerces naguère investis

massivement par la population change ainsi profondément. Les épiceries, boucheries,

pâtisseries et boulangeries acquièrent un rôle de dépannage occasionnel.

Six membres du corpus433

ne modifient initialement pas leurs habitudes, ce qui démontre

que ce mouvement, bien qu’il soit imposant, ne suscite pas l’adhésion de l’entièreté de la

population. Cinq de ces six personnes ont acheté dans les établissements qu’elles étaient

habituées de fréquenter jusqu’à ce que ces derniers ferment leurs portes en raison, entre

autres, de leurs difficultés financières. Cela les a obligées à se tourner vers d’autres

commerces de proximité ou vers les grandes surfaces. L’épicerie-boucherie de taille

moyenne fréquentée par la sixième (#17) dans la paroisse Sacré-Cœur, quant à elle, n’a

jamais fermé ses portes. La participante y faisait toujours ses courses au moment de

431

Il ouvre ses portes en 1983. 432

Il se peut que certains aient profité des jours de congé pour faire des emplettes plus imposantes au

supermarché, alors que les achats de semaine se faisaient au plus près. Toutefois, les propos de nos

participants n’ont pas permis de vérifier cette hypothèse. 433

Soit les participants #02, 04, 17, 26, 27 et 28.

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l’entretien. Notons que la fidélité qui définissait en partie les pratiques

d’approvisionnement ne disparaît pas dans la foulée du changement des lieux fréquentés, et

ce à travers les différents schémas de modifications des pratiques que nous avons relevés.

Au contraire, elle se perpétue dans plusieurs cas sur la base d’une répétition des visites des

supermarchés et des magasins entrepôts sur la moyenne et la longue durée, le poids de la

routine étant un ferment efficace d’enracinement.

Par ailleurs, un type de pratiques fait de plus en plus d’adeptes, soit l’achat de mets

préparés, qui réduit le temps de préparation des repas434

. Alors que l’autonomie et la

débrouillardise étaient à l’honneur chez les parents des participants, la part fabriquée par

des participants eux-mêmes devient plus limitée, tant en matière d’alimentation que de

vêtements ou d’autres biens. Pâtés, tartes et autres mets préparés du Royaume de la Tarte

par exemple, fondé sur la rue des Oblats dans la paroisse Saint-Sauveur en 1960, séduisent

plusieurs membres du corpus. Sa fréquentation est un exemple de plus de l’élargissement

des pratiques d’approvisionnement alimentaire. Ce type de pratiques s’inscrit dans la foulée

de la popularisation des tv dinner dans les années 1950, plateaux-repas permettant, comme

son nom l’indique, de manger devant le téléviseur. Les repas aux restaurants, quant à eux,

fort rares ou simplement inexistants du temps de l’enfance des participants, seront un peu

plus fréquents à l’âge adulte. Des visites aux casse-croûte et aux restaurants des quartiers

Saint-Sauveur et Saint-Roch sont toujours effectuées, mais leur fréquence est toutefois

diminuée en raison de l’utilisation de la voiture, qui permet de fréquenter plusieurs autres

secteurs de l’agglomération.

L’apparition des centres commerciaux à la fin des années 1950 produit également une

transformation importante des pratiques associées à l’achat de biens divers, transformation

marquée, comme dans le secteur de l’approvisionnement alimentaire, par un éloignement

grandissant du domicile. Ces pratiques, d’où ressortaient auparavant les artères

commerciales du quartier Saint-Sauveur de même que la rue Saint-Joseph, se redirigent

434

Taschereau relève un cas de vente de mets préparés dans une épicerie-boucherie montréalaise durant la

Seconde Guerre mondiale. Ce service offert par les petits commerçants n’est pas la norme à cette époque,

mais lié davantage à une « touche personnelle ». TASCHEREAU, op. cit., p. 293-294.

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pour la plupart progressivement vers ces centres, nouveaux hauts lieux de magasinage435

.

Parmi les grands complexes commerciaux, les membres du corpus vont en bonne partie à

Place Fleur-de-Lys, le centre le plus près du quartier Saint-Sauveur. Divers petits centres,

dont celui du quartier et d’autres situés à Charlesbourg, au nord de Québec, ou dans le

quartier Saint-Jean-Baptiste sont également fréquentés.

Les participants ayant une voiture se déplacent régulièrement vers les centres

commerciaux dès leur ouverture, sans toutefois délaisser les lieux fréquentés auparavant ou

les lieux que leurs parents fréquentaient jusqu’à ce qu’ils soient autonomes. D’autres ne s’y

dirigeront qu’au moment où ils en auront une ou que le transport en commun ne les

desserve. Tout comme pour l’épicerie, les achats de biens sont marqués tout d’abord par

une combinaison de lieux traditionnels et nouveaux. Puis, graduellement, les premiers sont

laissés de côté.

Une troisième et petite partie du corpus, disposant ou non d’un véhicule, n’entre dans les

centres commerciaux que tardivement ou qu’au moment où ces personnes y sont en

quelque sorte poussées par la disparition de lieux auxquels ils étaient habitués, disparition

due à un abandon massif au profit de ces centres436

. Ce changement ne se fait pas de gaieté

de cœur, comme le relate une participante : « J’ai eu d’la peine quand le Syndicat d’Québec

a fermé. Oui. C’était mon magasin. Pis là après ça ben y a fallu tomber d’in centres

d’achats. Tomber d’in centres d’achats. » (#30) La vision plutôt négative des centres

commerciaux exprimée par cette participante demeure néanmoins marginale au sein du

corpus et dans la population en général, comme en fait foi le nombre élevé de fermetures de

commerces du quartier Saint-Sauveur et d’autres quartiers de Québec durant les années

suivant l’ouverture des centres commerciaux.

Plusieurs types de biens mènent les membres du corpus dans les centres commerciaux et

dans des secteurs de l’agglomération jusque-là peu ou pas fréquentés. Certaines pratiques

d’achat de biens et d’utilisation de services demeurent toutefois dans un cadre traditionnel.

Pour l’achat ponctuel de menus articles, les participants fréquentent en effet encore les

435

On fréquente également certains établissements situés hors de la ville, comme des marchands de meubles

de Québec-Ouest (Ville-Vanier) par exemple. 436

Ces deux phénomènes sont aussi relevés pour les parents des membres du corpus demeurant dans le

quartier Saint-Sauveur ou dans un autre quartier populaire de Québec après la décohabitation de ceux-ci.

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200

artères commerciales du quartier comme les rues Saint-Vallier et Marie-de-l’Incarnation.

De la quincaillerie est également toujours acquise dans les grands établissements des

quartiers Saint-Sauveur (par exemple Paquet et Canac) et Saint-Roch (Cantin), qui

survivent au déclin démographique et qui jouissent d’une bonne réputation auprès de

plusieurs membres du corpus. Les pratiques en matière d’esthétique demeurent

essentiellement concentrées à proximité du domicile et dans le quartier, même si certains

salons de barbier et de coiffure ouvrent leurs portes dans les centres commerciaux ou près

de ceux-ci. Le recours des participants à des services d’assistance organisés, très peu

fréquent durant les années 1960 et 1970, se fait surtout dans la paroisse de résidence. Les

pratiques en matière de soins de santé demeurent également similaires à ce qu’elles étaient

en termes de lieux fréquentés. Elles se répartissent dans les cabinets de médecins, les

cliniques médicales du quartier et les hôpitaux environnants au gré des besoins.

Dans l’ensemble, l’expérience du quartier Saint-Sauveur et de la ville dans le domaine de

l’alimentation et des biens et services est néanmoins sensiblement transformée à partir de la

fin des années 1950. Petit à petit, les critères inhérents au choix des lieux de pratiques

évoluent. La valorisation de la proximité immédiate, d’un service personnalisé et

globalement le poids de ses habitudes ou de celles dont on a été témoin enfant et adolescent

perdent du terrain au profit de nouveaux motifs et valeurs que nous regroupons en trois

ensembles étroitement liés. Le premier est formé des critères du confort, de la variété et des

prix, le second réfère à l’automobilisme437

et le troisième, à l’attrait de la nouveauté et de la

modernité. Leur analyse permet, d’une part, de comprendre les mécanismes des mutations à

l’œuvre dans la vie de quartier et la vie urbaine et dans les rapports à la proximité et à

l’accessibilité physique et, d’autre part, de mettre en perspective les pratiques et les

représentations qui, au cours des années 1960 et 1970, ne sont pas ou peu modifiées.

437

Ce concept réfère à tout ce qui est relatif à l’automobile, non seulement en matière de technologie, mais

également en ce qui a trait aux pratiques, aux représentations qui y sont reliées et aux conséquences sociales

de la prédominance de cette modalité de déplacement. Colin DIVALL et George REVILL, « Les cultures du

transport : représentation, pratique et technologie », dans Mathieu FLONNEAU et Vincent GUIGUENO

(dir.), De l’histoire des transports à l’histoire de la mobilité?, Rennes, Presses Universitaires de Rennes,

2009, collection « Histoire », p. 59.

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3.3.2.1.1 Motifs et valeurs à la source des mutations

Les principaux avantages associés à la fréquentation des lieux qui se développent à partir

de la fin des années 1950, le confort, la variété et les prix concurrentiels, sont bien connus.

Magasiner sous un toit, au chaud au cœur des mois d’hiver et au frais lors des chaudes

journées d’été, séduit les consommateurs, dédaignant de plus en plus les trottoirs des artères

commerciales. De plus, la variété des produits et les prix compétitifs des « gros », pour

reprendre le terme utilisé par les participants pour parler des supermarchés et des magasins

entrepôts, terme en net contraste avec les « petits » commerces du coin, attirent, de telle

sorte que si l’on ne fréquentait pas le Dominion sous sa formule épicerie moyenne, son

réaménagement en supermarché bouleverse les pratiques relatives à l’approvisionnement

alimentaire.

Les centres commerciaux offrent une expérience de choix en matière de magasinage,

spécialement aux chapitres de la protection contre les intempéries et du confort en toutes

saisons. Ces lieux couverts se prêtent tout aussi bien à la flânerie qu’aux sociabilités. Les

grandes surfaces d’approvisionnement alimentaire ne lésinent pas non plus afin d’offrir

l’expérience la plus agréable qui soit. Les comportements et les désirs des consommateurs

sont étudiés, ce qui permet de proposer, entre autres, un aménagement intérieur qu’on

estime plaisant pour le plus grand nombre.

Les supermarchés et les magasins entrepôts offrent la possibilité d’acquérir un grand

nombre de denrées en un seul endroit, alors qu’auparavant les pratiques

d’approvisionnement alimentaire étaient réparties entre plusieurs établissements de petites

dimensions. Un participant parle de cet avantage en ces mots : « Alors ces endroits-là, ça

avait tendance à t’am’ner une variété, ça été les instigateurs d’la variété moi j’trouve. Ces

marchés là là qu’y ont ouvert à m’ment donné là. Les supermarchés, ça été ça leur force

[…] » (#08) Les supermarchés et les magasins entrepôts proposent au consommateur une

diversité de produits et une variété de chaque produit supérieures à celles des

établissements de taille moyenne. L’avantage de la diversité fait en sorte, comme en

témoigne un autre participant, que fréquenter ces lieux afin d’acquérir des denrées

spécifiques entraîne parfois d’autres achats, ce qui évite ainsi des déplacements

supplémentaires : « J’fais un gros marché, pis là tant qu’à être là, souvent j’vois d’la bonne

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viande chez Métro aussi. Faque j’commenc’rai pas à r’venir sur le marché icitte si j’trouve

c’que j’ai besoin là j’achète tout là. Comprends-tu. Ça fait que… C’est ben d’valeur

mais… » (#07) Lentement, cette centralisation est préférée au caractère spécialisé des

pratiques traditionnelles et s’inscrit dans le processus d’achat438

.

Quelques personnes que nous avons rencontrées mentionnent que les centres

commerciaux ont offert également à leurs débuts plus de variété. De cette perception

transpire un certain éblouissement créé par ces nouveaux espaces, car les tissus des

paroisses du quartier Saint-Sauveur, les artères commerciales de ce dernier ainsi que celles

d’autres quartiers de Québec, dont la rue Saint-Joseph, offraient déjà un choix diversifié en

termes d’enseignes et de types de produits. Cette plus grande variété tiendrait donc

seulement à la présence d’un supermarché à l’intérieur ou près des centres commerciaux et

plus largement à une concentration des lieux fréquentés dans un espace restreint.

L’argument des meilleurs prix afin de justifier le changement des pratiques ne fut pas

soulevé dans le cas de ces centres commerciaux. Toutefois, il constitue un élément clé en ce

qui a trait à l’alimentation. Un participant illustre bien le raisonnement de son père l’ayant

poussé à changer ses habitudes dans les années 1960 : « Tranquillement, tu fais la

comparaison hein tsé. Quand t’as un budget qui était pas élevé, j’me souviens pu comment

mon père gagnait dans l’temps, mais y gagnait pas cher là, quand tu r’gardes là c’que tu

peux obtenir avec une piasse, pis que l’autre bord tu n’obtiens un peu plus ben à un

moment donné tu fais tes choix là. » (#22) Ce raisonnement est à l’image de celui de la

plupart des membres du corpus. Le volume d’achat supérieur des grandes surfaces permet

d’offrir des prix plus compétitifs que ceux des petits et moyens commerçants. De plus, les

438

Au tournant des années 1980, des études ont souligné la présence chez les consommateurs du Québec d’un

désir de pouvoir disposer d’établissements spécialisés. Théberge cite une étude du journal Les Affaires publiée

en août 1983, qui conclut que les supermarchés ne conviennent plus aux habitudes que de 65% de la clientèle,

alors que cette proportion était de 90% durant les années 1970. THÉBERGE, op. cit. p. 129. Ce désir reflète

chez certains d’entre eux une volonté de retrouver un modèle abandonné dans la foulée de l’effet de

nouveauté des grandes surfaces. Un petit nombre de participants fréquenteront éventuellement en effet les

Halles Fleur-de-Lys, ouvertes en 1978 à proximité du centre commercial du même nom, ou encore le marché

du Vieux-Port, pourtant en activité de manière continue depuis 1910, à l’image de parents de membres du

corpus qui avaient fréquenté la Halle Saint-Pierre dans le quartier Saint-Sauveur jusqu’à ce qu’elle soit la

proie des flammes en 1945. Le marché du Vieux-Port portait autrefois le nom de Marché Saint-Roch. Il fut

situé tour à tour près de la rivière Saint-Charles, dans l’ancienne gare ferroviaire, dans le parc Victoria puis

près du bassin Louise, dans le port de Québec. Il prend le nom de Marché du Vieux-Port en 1987. Yves

PARÉ, « La montée du commerce de détail », dans COURVILLE et GARON (dirs.), op. cit., p. 216.

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203

chaînes, dont les reins sont plus solides, tentent avec succès de briser les habitudes établies

en lançant des guerres de prix, dont celle de 1969 entamée par la bannière Steinberg439

. Les

petits et moyens commerçants, ne disposant pas de la même capacité d’achat et

d’entreposage, offrant plusieurs services gratuits comme la livraison et étant plus ou moins

gênés par le crédit accordé et non récupéré, ne peuvent offrir des prix similaires s’ils

veulent pouvoir poursuivre leurs opérations440

. Les conséquences sont ainsi brutales pour

plusieurs d’entre eux, qui doivent fermer boutique.

Une participante expose une pratique qui apparaît après l’ouverture du supermarché

Dominion sur la rue Saint-Vallier : « Parce que, y n’avait que, quand y avaient d’l’argent, y

allaient au Dominion, pis quand y n’avaient pas ben y faisaient marquer. » (#17) Le crédit

n’étant offert que par les petits et moyens commerçants, certains ne s’y rendront que

lorsqu’ils seront à court de liquidités441

. En dépit d’une hausse plus ou moins grande du

pouvoir d’achat, le fait de pouvoir économiser est bienvenu chez les résidants du quartier

Saint-Sauveur. Déjà auparavant, un certain nombre de consommateurs changeaient de lieux

d’achats au gré des soldes. Ils continuent ainsi dans la même voie. D’autres, dont plusieurs

participants et parents de participants, demeuraient fidèles à leurs commerçants. Ce

scrupule disparaît néanmoins peu à peu.

D’autres facteurs et valeurs sont en jeu dans ces mutations des pratiques, et notamment la

volonté d’utiliser l’automobile. À partir des années 1950, le nombre de ménages québécois

et canadiens possesseurs d’un véhicule, et parfois même de deux véhicules dans les cas où

les deux conjoints travaillent, explose. L’automobile met à mal la hiérarchie des modalités

de déplacement employées et particulièrement le transport collectif, qui, en raison des

contraintes reliées au rationnement en essence, a connu ses heures de gloire durant le

439

THÉBERGE, op. cit., p. 88-89, 94-95. 440

TASCHEREAU, loc. cit., p.15. 441

Ce trait persistera jusqu’à ce que la hausse de ces liquidités de même que l’usage des cartes de crédit, qui

se développe également durant les années 1960, changent la donne et rendent caduc cet avantage offert par

ces derniers, s’il n’est pas disparu avant en raison de leurs difficultés financières. Les petits et moyens

commerces ne seront alors visités que pour l’achat occasionnel d’une petite portion de bœuf haché, de

sucreries ou encore de billets de loto. Taschereau observe la même stratégie de combinaison entre les petits et

moyens établissements et les succursales de chaînes durant les années 1920 à Montréal. TASCHEREAU, op.

cit., p. 322. Il est fort probable qu’une telle pratique ait existé dans le quartier Saint-Sauveur durant les années

1930 et 1940, car quelques succursales de chaîne y sont présentes. Les membres du corpus n’en ont toutefois

pas fait mention.

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204

second conflit mondial, au Québec comme partout au Canada442

. Après s’être entassés

matin, midi et soir dans les autobus, tramways et autres moyens de transport en commun,

un grand nombre de citadins ont voulu acquérir, la paix revenue, plus d’autonomie en

achetant un véhicule ou, si c’était déjà fait, le reprendre le plus vite possible. Comme nous

l’avons mentionné, dans le quartier Saint-Sauveur, voisin du cœur de la ville, le transport

en commun n’occupait pas une place prépondérante dans l’éventail des modes de

déplacement de ses résidants, la marche à pied étant couramment employée. Pourtant, de

manière paradoxale, ces derniers entrent massivement dans le mouvement d’acquisition

d’une automobile; une situation qui a non seulement une incidence notable sur le

développement des réseaux routier et autoroutier, mais aussi sur l’expérience du quartier et

de la ville.

Par effet de mode et en raison du confort et de l’autonomie qu’elle procure, on souhaite

rapidement utiliser sa voiture en tout temps et ce, pour un grand nombre de pratiques. Cette

utilisation régit le choix des lieux fréquentés, qui devront dorénavant être pourvus

d’espaces de stationnement en nombre suffisant. Un nouveau besoin est ainsi créé, ce qui

contribue à redéfinir en profondeur le rapport aux espaces visités jusqu’à peu. Alors que

pendant longtemps ils sont allés à pied dans les commerces de proximité immédiate ou

encore sur la rue Saint-Joseph, les participants et certains de leurs parents ne fréquentent

plus ces endroits à partir de ce moment, car ils désirent se déplacer en automobile et les

espaces de stationnement y sont en nombre limité.

Un participant et son épouse fréquentaient la petite épicerie tenue par le frère de ce dernier

depuis leur mariage en 1951. En 1958 cependant, l’achat d’un véhicule bouleverse leurs

habitudes : « Mon frère on y allait pas, on pouvait pas s’parker! » (#05) En dépit même des

liens familiaux, ils décident de changer d’épicerie et se dirigent vers des supermarchés

dotés d’un stationnement comme le sont alors la plupart des grandes surfaces443

. La volonté

d’utiliser sa voiture est encouragée en matière d’approvisionnement alimentaire par

l’acquisition de réfrigérateurs et de congélateurs ainsi que par de meilleures méthodes de

442

DAVIS et LORENZKOWSKI, op. cit., p. 437. 443

Cette stratégie est mise de l’avant, lorsque c’est possible, par les nouveaux commerçants canadiens dès

l’entre-deux-guerres. Après le second conflit mondial, par contre, elle est systématisée et les stationnements

créés deviennent de plus en plus grands, comme en font foi les « océans » de bitume autour des centres

commerciaux. HARRIS, op. cit., p. 130.

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conservation des produits. En permettant un volume d’achats plus grand, ces acquisitions et

ces méthodes engendrent la nécessité de disposer d’un moyen de transport des denrées

adapté. Le service de livraison offert par les petits et moyens établissements n’est plus

perçu comme utile. Il ne permet pas de contourner la nouvelle perception de manque

d’accessibilité de ces derniers, car il est considéré vain en raison de la variété moins grande

des produits qu’on peut nous livrer et les prix plus élevés auxquels ils sont vendus.

L’acquisition d’un véhicule contribue à précipiter la fin des pratiques combinées, c’est-à-

dire la fréquentation des petits et moyens commerces et des grandes surfaces. Cet arrêt se

solde par l’abandon des premiers en raison du manque de stationnement et des attraits des

secondes en termes de confort, de variété et de prix.

Ce phénomène se produit également en matière d’achat de biens divers. Après quelques

expériences difficiles dans les quartiers Saint-Sauveur, Saint-Roch et Champlain, aux rues

étroites et de plus en plus congestionnées malgré certains travaux d’élargissement, on se

décourage progressivement et on décide finalement d’aller ailleurs. La création du Mail

Saint-Roch en 1974 ne règle rien. Au contraire, l’appauvrissement progressif de la

population du quartier Saint-Roch444

, la détérioration du climat social qui en découle et

l’affluence d’itinérants dans le Mail, à l’abri des intempéries, constituent d’autres facteurs

justifiant de ne pas y aller.

Comme le soutenaient certains sociologues rattachés à l’École de Chicago comme Park,

tout changement associé à la mobilité, qu’elle soit sociale ou de déplacement, est source de

rupture et de déstabilisation445

. L’acquisition d’une automobile par les membres du corpus

en est un exemple patent. L’accessibilité à pied, autrefois vantée par les participants et leurs

parents, n’importe plus, tout comme la proximité des lieux traditionnels de pratiques. Les

membres du corpus disposaient déjà d’une bonne mobilité de déplacement à travers

plusieurs quartiers de Québec. L’acquisition d’une automobile ne l’améliore donc pas; elle

lui est au contraire nuisible en regard de l’accessibilité.

444

En raison notamment des mouvements d’exode résidentiel et industriel et de l’état déplorable du parc de

logements, jugé l’un des plus impropres à l’habitation familiale par le rapport Martin sur la situation du

logement à Québec en 1962. MARTIN (dir.) (volume III), op. cit., p. 205. 445

Caroline GALLEZ et Vincent KAUFMANN, « Aux racines de la mobilité en sciences sociales :

contribution au cadre d’analyse socio-historique de la mobilité urbaine », dans FLONNEAU et GUIGUENO,

op. cit., p. 43-44.

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La transformation des pratiques et des représentations sur la proximité et l’accessibilité

physique s’inscrit également dans une volonté de participer à une nouvelle modernité,

symbolisée non seulement par le départ vers les banlieues, mais aussi par l’automobile, la

télévision, les électroménagers et la fréquentation des supermarchés, des magasins

entrepôts et des centres commerciaux. La nouveauté et l’envergure de ces espaces de

consommation intriguent et attirent naturellement, comme en témoigne une participante,

qui demeura en face du supermarché Dominion sur la rue Saint-Vallier : « Hey…. Tu parles

d’un gros magasin, heille… Faqu’on s’est mis à aller là. » (#23) L’image de modernité

associée à ces pratiques inédites est toutefois encore plus puissante.

Le désir de suivre la vague et la masse n’est pas nouveau, car certains participants

justifiaient leur fréquentation des grands magasins de la rue Saint-Joseph par le fait que des

résidants de Québec de tous statuts s’y rendaient. Cette entrée affirmée dans ce nouvel

ensemble de pratiques, et dans celui des représentations sur la proximité et l’accessibilité

physique qui les définissent, répond à la même motivation. Elle laisse croire en une volonté

de démontrer qu’en dépit du fait qu’on n’ait pas répondu à l’appel de la banlieue, on n’en

est pas moins pleinement des citadins modernes. Les pratiques traditionnelles perdent ainsi

de leur superbe, autant chez les membres du corpus adultes à ce moment que chez les plus

jeunes, qui établissent leurs pratiques de magasinage en opposition à celle de leurs parents.

Une participante, née en 1949, énonce ce phénomène en ces termes :

- C’tait plus intéressant d’aller dans les centres commerciaux, à l’intérieur aussi,

c’tait nouveau euh… Le, la nouveauté. Pis les magasins tout à coup de la rue

Saint-Joseph ça faisait vieux jeu. […] C’tait les parents qui allaient là ou euh…

Pour les jeunes, c’tait plus… Des p’tites boutiques. […] Le style de p’tite

boutique plutôt que de grand magasin là. Ça faisait vieux jeu. On était là quand

on était jeunes. C’est drôle à dire, ça l’a, ça l’a tué ces commerces-là aussi.

- (D.G.) Donc c’est dev’nu de la tradition à vieux jeu.

- Oui. (#18)

L’adoption de nouveaux critères régissant le choix des lieux fréquentés et la modification

des rapports à la proximité et à l’accessibilité physique ne sont, par contre, pas le fait de

tous. Comme nous l’avons mentionné précédemment, des résidants du quartier Saint-

Sauveur retardent le moment où ils changent leurs habitudes et d’autres ne les modifient

que fort peu. L’attachement à ces pratiques et/ou une mobilité de déplacement réduite vers

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les limites et l’extérieur de la ville permettent de préserver en partie ce pan d’une culture

urbaine en milieu populaire en redéfinition.

Alors que l’usage de la voiture précipite l’abandon des pratiques combinées entre, d’une

part, les petits et moyens établissements et, d’autre part, les grandes surfaces, l’absence de

voiture chez trois des 30 participants signifie la poursuite de ces dernières, au gré des

soldes et des préférences de chacun. Par ailleurs, en dépit des meilleurs prix et de la variété

des supermarchés, certains participants continuent d’acquérir leurs aliments dans divers

petits et moyens établissements situés près de leur domicile. Ils préfèrent aux avantages des

« gros » la proximité, la relation personnalisée avec les commerçants et les avantages qui

découlent de cette dernière, notamment pour les demandes spéciales, par exemple de coupe

de viande. Leur automobile, car ils en ont tous une, demeure garée près de chez eux. Ils ont

procédé ainsi jusqu’à ce que la fermeture de leurs lieux d’achats les obligent à se

réorienter446

. Ils se sont alors tournés soit vers une épicerie ou une épicerie-boucherie de

taille moyenne située dans les environs, soit vers les grandes surfaces ou, encore, ont

combiné les deux.

Il en va de même pour les commerces de biens divers situés dans le tissu résidentiel du

quartier Saint-Sauveur, sur ses artères commerciales et sur celles des quartiers voisins. Ils

sont visités à pied par des participants, même en dépit de la possession d’un véhicule, et

sont remplacés au besoin par d’autres commerces semblables dans les mêmes secteurs. Ces

membres du corpus s’adaptent à la fermeture des grands magasins de la rue Saint-Joseph.

La conversion d’une portion de celle-ci en mail couvert et la dégradation du climat social

du secteur, comme nous le mentionnions, incarnée notamment par des problèmes de

violence, de prostitution et d’itinérance, ne les repoussent pas; certains sont au contraire

plutôt favorables à l’idée de magasiner à l’intérieur dans le quartier Saint-Roch. Ils n’ont

franchi les portes des centres commerciaux qu’occasionnellement. Globalement, leur

rapport à la proximité et leur perception de l’accessibilité physique des quartiers fréquentés

depuis leur jeunesse ne sont pas ou peu entamés. Cette situation est relevée, par ailleurs,

chez des parents de membres du corpus. Âgés, ils semblent moins attirés par la nouveauté

446

Rappelons que l’épicerie-boucherie de taille moyenne fréquentée par la participante #17 ne ferma pas ses

portes.

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et poursuivent leurs pratiques ancrées depuis des dizaines d’années. Des participants

évoquent même l’hostilité de leurs parents envers les grandes surfaces et les centres

commerciaux, considérés si grands que l’on pourrait s’y perdre.

Accéder aux grands centres commerciaux nécessite, selon les membres du corpus, la

possession d’un véhicule ou un accès efficace en transport en commun447

. Pourtant, le

centre commercial le plus fréquenté par les participants, Place Fleur-de-Lys, n’est pas plus

loin du centre du quartier Saint-Sauveur que la terrasse Dufferin dans le Vieux-Québec,

haut lieu de détente où l’on se rend couramment à pied en faisant de plus au passage

l’ascension du coteau Sainte-Geneviève. Le chemin pour s’y rendre est certes relativement

rebutant pour les piétons, mais au-delà de cette réalité, on ne semble pas envisager de se

rendre à ce symbole de modernité au moyen d’un mode de déplacement, la marche, qui lui,

est loin d’être associé à la modernité. Ainsi, plusieurs ne sont allés dans les centres

commerciaux que lorsqu’ils ont disposé d’une voiture ou que le transport collectif les a

reliés au centre de l’agglomération d’une manière qu’ils jugent efficace.

Ces participants n’ayant guère modifié leurs pratiques ou l’ayant fait tardivement

représentent néanmoins les comportements d’une minorité de la population du quartier

Saint-Sauveur, de sorte que les mutations des usages en ce qui concerne

l’approvisionnement alimentaire et l’achat de biens à partir de la fin des années 1950 ont un

impact considérable sur les réseaux en place. « Goliath » ne vainc pas seulement un

« David » à court de ressources, mais entraîne également la disparition de plusieurs temples

de la consommation de Québec qui régnaient depuis la fin du XIXe siècle.

3.3.2.1.2 Des réseaux en difficulté

Les membres du corpus ont une conscience nette du tort causé par la fréquentation des

grandes surfaces et des centres commerciaux sur les unités des réseaux du quartier Saint-

Sauveur et d’autres quartiers de Québec en matière d’approvisionnement alimentaire et

d’achat de biens. Les supermarchés de quartier nuisent aux petits et moyens commerces.

Les magasins entrepôts font de même, non seulement aux petites et moyennes unités, mais

447

Ce qui signifie pouvoir s’y rendre sans avoir besoin de transférer à plusieurs reprises.

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aussi à ces supermarchés. Les centres commerciaux causent également du tort aux petites

unités ayant pignon sur rue dans les différentes paroisses ainsi qu’à celles, de toutes tailles,

situées sur les artères commerciales, comme en font foi ces déclarations de deux membres

du corpus448

:

« Pis on allait là449

, moi j’aimais ça. Ça ça enlevé toute, c’est là que ça s’est

déshabillé Saint-Jean pis l’autre icitte, Saint-Joseph. » (#10)

« C’est incroyable. Un disparaissait. C’est sûr que Saint-Roch l’emportait sur le

quartier ici, à un moment donné, pis après ça été les centres d’achats, faque tout

a fermé et pis là, les gros commerçants sont arrivés ils ont ach’té les

emplacements » (#25)

La seconde participante résume bien deux dynamiques. Les commerçants des quartiers de

Québec devaient auparavant composer avec la présence de la rue Saint-Joseph. Les centres

commerciaux, apparaissant à la fin des années 1950, ont par la suite mis à mal tant les

établissements de ces quartiers que ceux situés sur cette artère. Elle souligne également

l’arrivée de nouveaux commerces dans les quartiers à la suite des fermetures encourues par

la compétition des centres commerciaux. À leur tour, ces derniers, souvent affiliés à des

chaînes, par exemple de pharmacies, causeront du tort aux petits établissements

indépendants encore en opération.

Les propriétaires des lieux et hauts lieux fréquentés auparavant voient non seulement leur

clientèle les délaisser, mais aussi leur bassin même de clientèle fondre. L’exode résidentiel

vers les banlieues et d’autres secteurs de la ville en développement, le remplacement de

familles par des personnes seules ou des ménages monoparentaux, ainsi que les chantiers

de rénovation urbaine sapent la base de consommateurs. De plus, le taux de fécondité au

Québec chute après la Seconde Guerre mondiale. Cette décroissance se reflète au sein des

deux cohortes d’âge du corpus. Les participants de la première cohorte d’âge ont eu en

moyenne trois enfants, ceux de la seconde cohorte d’âge, 1,5. Le taux de natalité au Québec

448

De la même manière, les centres commerciaux de petite envergure souffrent éventuellement de l’ouverture

de centres plus grands et à l’offre plus diversifiée à proximité. 449

Place Fleur-de-Lys.

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décroît aussi après l’épisode du baby-boom450

. Il chute sensiblement durant les années

1960451

. Le fait que chaque femme ait moins d’enfants et que moins de femmes au total en

aient se traduit par une baisse de la demande en matière d’achats de nourriture, de

vêtements, etc.

Par ailleurs, les dirigeants des nouveaux lieux de consommation usent de diverses

stratégies afin de séduire la clientèle. Outre les guerres de prix mentionnées précédemment,

ils jouent notamment sur le terrain même de leurs compétiteurs en se mettant en valeur au

moyen de caractéristiques qui sont associées aux petits et moyens commerces. Ils

investissent les publications et événements locaux. Par exemple, ils s’affichent dans le livre

souvenir du centenaire de la paroisse Saint-Sauveur, célébré en 1967, en achetant de la

publicité, dans certains cas sur des pages entières. Les gestionnaires du magasin Simpson-

Sears de Place Fleur-de-Lys présentent notamment le slogan « Votre cordial magasin à

rayons »452

. L’avantage du service sympathique, souvent personnalisé, typique des

établissements traditionnels comme nous le verrons dans le prochain chapitre, est alors

retiré en quelque sorte aux petits et moyens commerçants.

Ces derniers ne sont pas en reste et travaillent à préserver leur clientèle en réorganisant les

services qu’ils offrent et en usant aussi de slogans évocateurs. Un vendeur de chaussures

tenant plusieurs boutiques sur la rue Saint-Joseph rappelle notamment par sa devise la

présence fréquente des commerces traditionnels à des carrefours, comme en témoigne ce

participant :

Si c’est pas un coin c’est pas un Talbot. […] S’a rue Saint-Joseph y avait les

magasins Talbot, c’tait des vendeurs de chaussure. […] Pis y disaient si c’est

pas un coin, c’est pas un Talbot. […] C’tait leur logo, leur slogan. Vous voulez

des souliers allez chez Talbot. Si c’est pas un coin c’est pas un Talbot. Tsé y

étaient sur un coin d’rue. (#08)

450

Voir, à ce sujet, Denyse BAILLARGEON, Un Québec en mal d’enfants. La médicalisation de la

maternité, 1910-1970, Montréal, Les Éditions du Remue-Ménage, 2004, 373 p. 451

Le taux (pour 1000) est de 29,6 en 1930, de 25,6 en 1940, de 30,7 en 1950, de 27,5 en 1960, de 16,1 en

1970 et de 15,0 en 1980. Les données proviennent du Bureau fédéral de la statistique (1930-1940) et de

l’Institut de la statistique du Québec (1950-1980) et ont été consultées sur le site Internet de l’Institut de la

statistique du Québec. Page consultée le 21 décembre 2011.

http://www.stat.gouv.qc.ca/donstat/societe/demographie/naisn_deces/naissance/401.htm. 452

[s.a.], 100e anniversaire. 1867-1967. Paroisse Saint-Sauveur de Québec, [S.l], [s.é.], 1967, p. 34.

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Ce slogan semble témoigner d’une conscience forte chez ce commerçant de l’empreinte du

coin de rue dans l’esprit des consommateurs, empreinte dont nous avons fait mention

précédemment. Le commerçant associe la qualité du produit à la localisation de ses

établissements, cette localisation faisant référence au modèle traditionnel, empreint de

service chaleureux et personnalisé et à échelle humaine par rapport aux grands

établissements du quartier Saint-Roch et aux centres commerciaux. Le frère d’un

participant, épicier, ne se limite pas, quant à lui, à un slogan. Il adopte un nouveau nom

pour son commerce. D’Épicerie A. Marcoux453

, dénomination classique et répandue faisant

référence au nom du propriétaire, il opte pour Épicerie Service & Prix. Il tente ainsi de

combattre l’idée que les prix sont nécessairement plus avantageux dans les grandes surfaces

tout en soulignant la caractéristique du service.

Une participante, dont le mari fut boucher, résume tous ces efforts en ces mots: « Ça ça a

fait un… comme une guerre quasiment hein! C’est vrai tsé. Ouin, j’ai dit c’est d’valeur.

Mon mari comment c’qu’y a travaillé. Mon Dieu qu’y a dont travaillé. C’effrayant. Y

arrivait fatigué des fois. » (#02) Malgré les diverses stratégies, la faillite ou la fermeture

faute de relève454

ou par conscience de l’inévitable emportent néanmoins un nombre

important de petites et de moyennes unités des quartiers des villes québécoises à partir des

années 1960 et durant les décennies suivantes. Ce phénomène est particulièrement visible

du côté de l’alimentation, dont le nombre d’unités était le plus élevé. En la matière, le

nombre d’établissements indépendants non affiliés à un même grossiste ou à une même

bannière passe au Québec de 9627 en 1961 à 3256 en 1976455

, les fermetures étant

particulièrement nombreuses lors de la guerre de prix de 1969-1971. Plusieurs petits et

moyens commerçants ne peuvent survivre au nouveau rôle de dépannage. Divers lieux de

services, comme les salons de coiffure et de barbiers, souffrent également de la baisse de la

clientèle et plusieurs disparaissent. Faute de données agrégées, nous ne disposons pas d’un

portrait statistique de l’évolution du réseau du quartier Saint-Sauveur de Québec, mais

l’évolution progressive dont sont témoins les membres du corpus apparaît être d’une

453

Nous avons changé le nom de famille pour préserver l’anonymat. 454

Plusieurs enfants des commerçants ont quitté leur quartier et occupent un emploi mieux rémunéré.

D’autres sont conscients des difficultés grandissantes de ce modèle commercial et en particulier du manque à

gagner considérable dans certaines situations en termes de crédit non remboursé par les clients. 455

THÉBERGE, op. cit., p. 68.

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ampleur considérable456

. Le frère épicier du participant dont nous avons fait mention ferme

éventuellement ses portes. Le mari boucher de l’autre participante vend son établissement

en 1985. Les membres du corpus mentionnent de mémoire et sans difficulté une liste de

plusieurs commerces et services ayant baissé pavillon autour de leur domicile, dans leur

paroisse, ailleurs dans le quartier et sur les artères commerciales importantes comme la rue

Saint-Joseph.

Sur cette dernière, les dirigeants des grands établissements peinent de plus en plus à

soutenir la concurrence des centres commerciaux. Ils sont impuissants à combattre

efficacement le nouveau rapport à l’accessibilité physique des citadins, défini par

l’automobile. Ces dirigeants avaient réagi à l’arrivée des centres commerciaux en ouvrant

des succursales à l’intérieur de ces derniers ou à proximité. Néanmoins, les revenus qui y

sont associés ne sont pas suffisants et un à un, les hauts lieux du magasinage qu’étaient les

compagnies Pollack, Paquet et Syndicat disparaissent, respectivement en 1978, en 1981 et

1991, annonçant la fin d’une époque457

. Comme l’énonce un participant, la fermeture des

grands magasins de la rue Saint-Joseph accentue la désertion de cette dernière : « Le départ

de Paquet, de Syndicat d’Québec, pis Pollack, ça refroidit ben du monde. » (#08) La

présence du Mail Saint-Roch, les problèmes sociaux qui affectent ce quartier et le manque

de places de stationnement ont le même effet.

« […] [D]epuis qu’les centres d’achats sont ouverts, y a beaucoup d’choses qui sont

disparues, parce qu’on avait, ça doit vous être dit, on avait des vendeurs, on pouvait avoir

de tout nous autres en restant dans notre Saint-Sauveur hein. » (#28) Ainsi, de « tout »

comme le dit cette participante, les résidants du quartier Saint-Sauveur, comme ceux de tant

d’autres quartiers, se retrouvent aux dires de certains avec « pas grand chose ». Cela est

inexact, mais cette perception est révélatrice de l’ampleur des transformations causées par

les changements évoqués. De moins en moins d’établissements ornent les carrefours des

rues. La diversité, autrefois fort importante, est réduite, notamment à l’intérieur même du

456

Bélanger note pour le quartier Saint-Roch qu’après 1965, ce dernier est le théâtre d’une baisse

« draconienne » du commerce. Hervé BÉLANGER, Les zones défavorisées de la C.U.Q. : un éclairage

historique, Québec, Direction régionale de Québec de l’Office de planification et de développement du

Québec, 1993, p. 29. 457

VALLIÈRES, « Québec en transition vers une économie de services », dans VALLIÈRES et al. (Tome

III), op. cit., p. 1667. J. B. Laliberté, quant à lui, demeure ouvert; il l’est toujours en 2011. Ses dirigeants

n’ont jamais ouvert une succursale.

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tissu résidentiel. Commerces de vêtements, boulangeries ou encore pâtisseries disparaissent

de plusieurs paroisses458

. Les petites artères paroissiales au caractère commercial plus

affirmé tendent à devenir essentiellement résidentielles. Les artères plus importantes

perdent aussi certaines de leurs constituantes. Comme nous l’avons mentionné cependant,

un processus de remplacement s’effectue, ce qui fait en sorte qu’elles ne perdent pas leur

particularité. Il en va de même pour la rue Saint-Joseph, qui, recouverte en partie d’un toit,

conserve une fonction commerciale.

Les établissements survivants ont traversé cette période charnière en raison notamment

des pratiques persistantes de certains résidants. Les fruits de la fidélité cultivée au fil des

semaines, des mois et des années sont d’une aide appréciable, comme en témoigne ce

participant épicier et qui l’était toujours au moment de l’interview :

- … [P]arce que nous autres on avait une politique. Tsé là on voit encore

aujourd’hui des adultes, qui viennent me voir, qui étaient enfants, pis des fois

on donnait une palette de chocolat, tsé nous autres, on a, on veut pas être

vaniteux, mais cette générosité-là, d’esprit d’dire bon ben r’garde… Pis ces

p’tits gars-là y viennent encore pis les p’tites filles aujourd’hui. Pis là y ont des

enfants. Mais on a ça encore. On a pensé à l’avenir. Papa était comme ça. Nous

autres, moi je l’ai appris d’même le commerce. J’te dis, on donne, c’est toute.

- (D.G.) Ça rend la clientèle contente pis fidèle en même temps.

- Oui. Oui. Mais les gens, y passent, y arrêtent. J’te dis pas qu’y vont faire 20

milles459

pour v’nir te voir, mais y ah ben on va aller l’voir. C’est ça nous autres

qu’y nous sauvent là, qui nous a sauvé. » (#09)

Cette épicerie bénéficia également, comme d’autres établissements restés ouverts, d’une

localisation avantageuse sur un axe de transit et d’une relève prête à relever les défis qui se

présentaient et qui sut s’adapter aux nouvelles pratiques des consommateurs afin de tirer

son épingle du jeu. D’autres doivent leur survie au bon ordre de leurs comptes ou à leur

renommée. La compétition locale s’amenuisant, des commerçants prendront de

l’importance dans leurs secteurs respectifs. L’état des besoins fait en sorte, par ailleurs, que

les services d’assistance organisés ne perdent pas leur utilité dans ce quartier populaire, l’un

des plus défavorisés de la ville encore en 1980.

458

Le déclin démographique ainsi que celui de la fécondité et de la natalité provoquent la fermeture d’écoles

primaires à partir des années 1970. Plus tardivement, à partir des années 1990, des réaménagements

administratifs font en sorte que des caisses populaires sont fusionnées, supprimant le caractère paroissial de

leur répartition dans l’espace. 459

Un « mille » (de l’anglais mile) représente 1,6 kilomètres.

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Ainsi, à partir de la fin des années 1950, l’expérience du quartier Saint-Sauveur et de la

ville de Québec se transforme. Les pratiques en matière d’approvisionnement alimentaire

sont moins axées sur la proximité immédiate et les réseaux paroissiaux et s’étendent plus

largement dans le quartier, dans le cas des supermarchés, et dans la ville. Les services

d’esthétique, de santé, financiers et d’assistance fréquentés demeurent surtout dans le

quartier, tout comme quelques commerces comme les quincailleries. Pour d’autres types de

biens toutefois, les établissements des paroisses et ceux des artères commerciales du

quartier Saint-Sauveur et d’autres quartiers de Québec cèdent progressivement leur place

aux centres commerciaux. Sauf pour une minorité de gens, les pratiques s’élargissent dans

l’espace non pas par contrainte, mais bien de plein gré. Le rapport à la proximité des

participants n’est ainsi plus marqué par une forte valorisation de celle-ci lui donnant une

place prépondérante dans le processus de choix de plusieurs pratiques. De la même façon,

l’aisance avec laquelle ils accédaient à pied aux quartiers Saint-Roch ou encore Champlain,

considérés près de chez eux, perd de l’importance dans ce processus au profit de

l’utilisation de la voiture, ce qui modifie leur rapport à l’accessibilité physique.

3.3.2.2 Loisirs, divertissements et vie communautaire et associative

Les usages reliés aux loisirs, aux divertissements et à la vie communautaire et associative

ont contribué, dès la jeunesse des membres du corpus, à forger leurs rapports à la proximité

et à l’accessibilité physique. Adultes, ces usages sont modifiés, tant par goûts personnels

que par la fondation d’une famille et les charges financières qui en découlent. Ce processus

n’est évidemment pas unique à la période de mutations débutant à partir de la fin des

années 1950. D’autres transformations lors de cette période laissent toutefois une empreinte

spécifique sur ces pratiques. Elles participent ainsi à la redéfinition de l’expérience du

quartier Saint-Sauveur et de la ville et des rapports qu’entretiennent les personnes que nous

avons rencontrées avec le proche et l’accessible.

Vingt-six des 30 participants à notre enquête orale ont eu un ou des enfant(s) au cours des

années 1940 à 1970. Plusieurs participantes et conjointes de participants ont vécu leurs

grossesses dans un délai relativement rapproché (quatre enfants en 6 ans, trois en 3 ans,

cinq en 6 ans, etc.). Ces naissances se suivant de près les unes des autres représentent une

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charge de travail considérable et canalisent une partie toute aussi importante des revenus du

ménage. Il en résulte aux dires des participants une baisse des dépenses « superflues »,

c’est-à-dire bien souvent des débours associés aux loisirs et aux divertissements. Les

membres du corpus concentreront ces pratiques dans leur logement et sauront se divertir à

faible coût ou à coût nul. Cet ajustement est réalisé souvent dès le mariage, qui symbolise

l’arrivée de responsabilités sérieuses et la fondation imminente d’une famille460

. Il signifie

pour certains un changement significatif par rapport à ce à quoi ils étaient habitués jusqu’à

peu. Une partie des soirées au cinéma ou dans les salles de danse sont remplacées par des

activités dans le logement. Ces dernières, présentes depuis leur jeunesse, bénéficient

néanmoins d’un ajout de taille aux équipements domestiques.

L’achat d’un téléviseur, réalisé en bonne partie vers la fin des années 1950, vient en effet

redessiner l’allure des soirées des participants. Dans un premier temps, sa rareté provoque

des déplacements vers les domiciles des membres de la famille ou les institutions, comme

le Patronage Laval, qui en possèdent une ou plusieurs. Puis, les acquisitions se multipliant,

chacun a le loisir d’en profiter chez lui. La cuisine, centre nerveux des activités, partage

dorénavant sa place avec le salon, qu’il soit utilisé ou non comme chambre à coucher.

L’écoute d’une émission de télévision, activité gratuite une fois l’appareil acquis et

résolument moderne, remplace, à des fréquences diverses, une sortie au cabaret, au cinéma

ou au centre paroissial durant les années 1960. Pendant cette période, par ailleurs, des lieux

de plus grande envergure et à la fine pointe de la technologie s’ajoutent aux différentes

unités du réseau de loisirs et de divertissements du quartier Saint-Sauveur ainsi qu’à celles

des autres espaces fréquentés comme le quartier Saint-Roch et le Vieux-Québec. Ce

phénomène est semblable à ce qui se produit dans les secteurs de l’alimentation et de

l’achat de biens. Par exemple, des salles de quilles entièrement automatisées ouvrent leurs

portes dans les quartiers Saint-Roch et Limoilou et près de certains centres commerciaux.

De nouveaux cinémas spacieux sont également construits près de ces derniers. Peu de

460

Ce sur quoi le clergé catholique met l’emphase de manière répétée, voire harcelante selon des membres du

corpus ayant vécu cette période de promotion des familles nombreuses.

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nouveautés sont toutefois à signaler dans le quartier Saint-Sauveur durant les années 1960

et 1970 en termes de lieux commerciaux. Il en va de même pour les espaces verts461

.

Après le mariage462

ou à l’âge adulte, l’implication des participants qui ont grandi dans le

quartier dans la vie associative, notamment dans la garde paroissiale, la conférence locale

de la Société Saint-Vincent-de-Paul, la Ligue Ouvrière Catholique ou les Chevaliers de

Colomb, représente l’exception plutôt que la norme au sein du corpus463

. Une situation

similaire est relevée chez deux des quatre participants s’étant établis à Québec à l’âge

adulte à partir des années 1950. La participation aux activités et aux loisirs offerts dans les

centres paroissiaux n’est, par ailleurs, pas le fait d’un grand nombre de membres du corpus

durant les années 1960 et 1970, le déclin de cette participation débutant au cours des années

1950. Quelques-uns seulement assistent à des spectacles ou encore jouent aux quilles, au

billard ou aux cartes dans leur centre paroissial, dans d’autres centres paroissiaux du

quartier464

et/ou dans des centres paroissiaux d’autres quartiers de la ville.

Les établissements commerciaux du quartier Saint-Sauveur sont délaissés petit à petit par

les participants durant les années 1960, tout comme ceux des quartiers Saint-Roch,

Champlain, Limoilou et Saint-Jean-Baptiste. Parallèlement à cette lente désaffection

s’observe une fréquentation occasionnelle des nouveaux cinémas en activité près des

centres commerciaux et des grandes salles de quilles automatisées de Limoilou ou encore

de Sainte-Foy. De la même façon, les lieux de danse des quartiers Champlain et Saint-Roch

qui étaient fréquentés par les participants auparavant ne résonnent plus du bruit de leurs

pas. D’autres établissements du quartier Saint-Roch sont toutefois visités régulièrement par

des participants dans la quarantaine ou la cinquantaine à la fin des années 1970, comme le

461

Un comité consultatif composé d’élus et de représentants de domaines divers (comités de parents, caisses

populaires, fabriques paroissiales, Ville de Québec, etc.) souligne en 1975 une carence en équipements de

loisirs et de détente dans le quartier Saint-Sauveur. [s.a.], Rénovation Saint-Sauveur. Mémoire du Comité

consultatif de Saint-Sauveur, Québec, [s.l.], 1975, p. 65-72. 462

Neuf participants se marient entre 1937 et 1949, sept au cours des années 1950, quatre au cours des années

1960 et cinq autres au cours des années 1970. Quatre sont demeurés célibataires et une s’est mariée après

1980. 463

Ce qui correspond aux constats d’autres études sur le quartier Saint-Sauveur et à ce qui est généralement

observé dans les milieux populaires. Voir notamment DELÂGE, op. cit., p. 23. Notons que les groupes de

l’âge d’or, qui se développent partout au Québec durant les années 1960, accueillent les aînés sur une base

essentiellement paroissiale. Des membres du corpus les intègrent à partir des années 1980. 464

Comme le Centre Durocher, dans la paroisse Saint-Sauveur, qui jouit aussi d’une clientèle venant d’un peu

partout à Québec.

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Lafayette ou le 3060. Au sujet de la danse, la comparaison entre les pratiques des effectifs

des deux cohortes d’âge du corpus permet de constater un glissement graduel des lieux

fréquentés par les jeunes gens au fil de la période 1930-1980. Alors que ceux de la cohorte

d’âge A demeuraient pour l’essentiel au bas du coteau, ceux de la cohorte d’âge B, et

particulièrement les plus jeunes, investirent massivement le Vieux-Québec intra muros en

Haute-Ville et, dans une moindre mesure, Limoilou.

Par ailleurs, quelques participants fréquentent une ou plusieurs taverne(s) de leur paroisse

ou d’une autre paroisse du quartier Saint-Sauveur, après le travail ou en soirée, après qu’ils

aient atteint la majorité465

. Les parcs situés dans le quartier et à la périphérie de celui-ci

sont, quant à eux, toujours investis par les membres du corpus. Certains demeurent fidèles

aux espaces verts fréquentés pendant leur jeunesse, d’autres, non. Les pratiques de

promenades à pied sont en partie modifiées. Le quartier Saint-Sauveur est toujours absent

de la liste des sorties de longue durée, alors que le Vieux-Québec et notamment la terrasse

Dufferin y figurent toujours. Toutefois, le quartier Saint-Roch et spécialement la rue Saint-

Joseph perdent un nombre important de promeneurs en raison des facteurs mentionnés

précédemment.

L’une des caractéristiques marquantes des loisirs et des divertissements des participants

d’âge adulte durant les années 1960 et 1970 est la place importante occupée par les activités

organisées par des comités formés sur les lieux de travail, appelés couramment « clubs

sociaux », tant de par le nombre que par leur appréciation. Ces comités proposent une série

d’activités d’ordres divers tout au long de l’année, tant pour les travailleurs que pour leurs

familles. Elles se tiennent dans des locaux de l’entreprise dans l’agglomération ou dans des

lieux privés loués pour l’occasion, ce qui amène les participants tant dans leur quartier

qu’autour de ce dernier ou en périphérie de la ville (banlieue et campagne).

La Ville de Québec, par le biais de son nouveau Service des loisirs et parcs, intègre en

1966 les activités de l’Oeuvre des Terrains de Jeux au sein d’un réseau public et municipal.

Les loisirs urbains perdent ainsi une partie de leur caractère confessionnel et paroissial466

.

L’expérience des enfants des membres du corpus en termes de loisirs, de divertissements et

465

La majorité est fixée à 21 ans au Québec jusqu’en 1971, au moment où elle passe à 18 ans. 466

BRAZEAU, op. cit., p. 58.

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de vie communautaire et associative en est conséquemment modifiée. Ces derniers

investissent quand même, comme leurs parents avant eux, la rue, les parcs, les éléments

naturels, les organisations paroissiales (comme le mouvement scout) ou encore des

institutions comme le Patronage Laval. Certains sont aussi inscrits, l’été, à des camps de

jour situés aux parcs Dollard ou encore Victoria. Toutefois, d’autres enfants, profitant de la

municipalisation des loisirs et du fait que leurs parents possèdent un véhicule, ce qui permet

des déplacements plus aisés dans différents secteurs de la ville de Québec en dehors du

centre, sont inscrits à des cours ou dans des ligues municipales de hockey ou encore de

baseball dont les activités se tiennent en dehors du quartier Saint-Sauveur.

L’acquisition d’une automobile donne aux membres du corpus l’opportunité de prendre la

clé des champs un peu plus souvent que lorsqu’ils étaient enfants. Journées à la plage,

pique-niques et petits voyages lorsque les moyens financiers le permettent ponctuent leurs

congés estivaux, tout comme les visites à leur chalet. La moitié des personnes que nous

avons rencontrées (15 sur 30) ont possédé un tel lieu de villégiature à titre personnel ou en

copropriété467

. Cette proportion apparaît surprenante à première vue pour cet échantillon de

résidants d’un quartier populaire et surtout pour certains de ces quinze participants au train

de vie plus modeste que la moyenne. Différents facteurs tendent néanmoins à l’expliquer,

comme l’achat d’un terrain en groupe (six cas) et la mise à profit des compétences

manuelles des participants et de leurs réseaux familiaux dans le domaine de la construction.

L’achat ou la construction d’un chalet, pour ceux qui n’héritent pas de ceux de leurs parents

ou qui profitent leur vie durant du chalet familial, se situe la plupart du temps après le

mariage et autour des années 1950 et 1960, soit à l’époque du développement marqué de la

villégiature au Québec468

. Les chalets des participants se retrouvent surtout dans la

périphérie nord de Québec et particulièrement à Val-Saint-Michel, une municipalité fondée

en 1933 et lieu relativement important de villégiature dans la région de Québec469

.

467

Familiale ou avec un groupe d’amis. 468

L’habitat de loisir se démocratise après la Seconde Guerre mondiale. Marcel SAMSON, « La route des

villégiateurs », Continuité, no 40 (été 1988), p. 15. Voir également, pour une étude de l’évolution des

dépenses des ménages québécois en matière de villégiature entre 1969 et 2006, Simon LANGLOIS, « Loisir,

culture, villégiature et tourisme dans les budgets des ménages québécois, 1969-2006 », Cahiers des Dix, no 63

(2009), p. 279-306. 469

Selon les informations présentées par la Commission de toponymie du Québec sous la rubrique Val-Bélair,

municipalité issue de la fusion entre Val-Saint-Michel et Bélair en 1973. Voir le site de la Commission de

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Au cours des décennies 1960 et 1970, les pratiques des membres du corpus en termes de

loisirs, de divertissements et de vie communautaire et associative sont ainsi régies par le

temps et les moyens disponibles, l’attrait envers l’offre en présence et celui, non

négligeable, de la télévision. Elles apparaissent légèrement plus diluées dans l’espace

urbain et dans l’agglomération que lors de leur jeunesse470

, du moins chez ceux ayant vécu

cette phase de leur vie avant cette période. Les participants fréquentant encore les centres

paroissiaux le font en raison de l’habitude créée au fil des ans, du désir de profiter de leur

proximité et de la volonté d’évoluer dans un milieu connu. Ils s’y rendent à pied comme en

automobile. Les dirigeants de ces derniers veillent à offrir le plus grand nombre d’espaces

de stationnement possible, ce qui n’est pas une mince tâche. Leur accès aisé en voiture ne

constitue cependant pas une condition essentielle à leur fréquentation par les membres du

corpus. Le statut unique de certaines activités pour lesquelles on s’y rend, comme les

banquets d’anniversaires paroissiaux par exemple, un lien affectif fort avec « son » centre

paroissial, la présence de difficultés de stationnement similaires aux abords des centres

paroissiaux alternatifs ainsi que l’absence d’un avantage de prix dans ces derniers rendent

les participants moins stricts sur la question de la disponibilité du stationnement.

L’abandon graduel des établissements paroissiaux, pour les autres membres du corpus, et

commerciaux du quartier répond davantage à un rapport d’accessibilité physique modifié,

tel que relevé dans les secteurs de l’approvisionnement alimentaire et de l’achat de biens.

Alors qu’on s’y rendait souvent à pied jusqu’à peu, la possession d’une automobile et la

volonté de l’utiliser pour se déplacer rendent la même pratique lassante en raison des tracas

de stationnement. L’ouverture de nouveaux lieux dont la localisation et l’aménagement

sont pensés pour l’automobiliste conduit alors à un investissement de nouveaux secteurs de

l’agglomération de Québec, sauf dans les cas où il n’y a pas vraiment d’alternative. La

voiture contribue ainsi à redéfinir à la baisse chez plusieurs participants la place des

éléments paroissiaux et commerciaux du quartier Saint-Sauveur en ce qui concerne les

loisirs et les divertissements.

toponymie au : http://www.toponymie.gouv.qc.ca/ct/ToposWeb/fiche.aspx?no_seq=72612. Site consulté le 21

décembre 2011. 470

Soit de leur enfance à leur entrée dans la vie adulte.

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La question de la nouveauté entre également en jeu dans cette évolution des pratiques.

Certaines « mode[s] » (#05) s’effritent peu à peu, comme les soirées mélangeant spectacles

dans les cabarets puis soupers de fin de soirée. La belle époque de ces lieux est en effet

terminée, et ce partout au Québec. Alors que la télévision, elle-même instrument de

modernité, remplace des sorties à l’extérieur du domicile, les vieux établissements souffrent

de la comparaison avec les nouveaux lieux qui sont édifiés, plus spacieux et disposant de

plus de commodités. La réputation des vieux établissements situés dans le quartier Saint-

Roch souffre aussi des problèmes socioéconomiques du secteur, qui font d'ailleurs en sorte

que les traditionnelles promenades s’y déploient de moins en moins. Les participants

poursuivant tout de même leurs pratiques de loisirs et de divertissements dans ce quartier,

sorties au cinéma et dans les salles de danse et promenades, sont pour la plupart ceux qui

continuent à le fréquenter pour acquérir leurs biens.

L’observation de la culture urbaine en milieu populaire québécois par la lorgnette des

loisirs, des divertissements et de la vie communautaire et associative nous révèle des

dynamiques de changements et de persistances des pratiques similaires à celles des secteurs

de l’approvisionnement alimentaire et de l’achat de biens durant les années 1960 et 1970.

La proximité garde une certaine importance dans le choix des lieux fréquentés et

l’accessibilité physique conserve ses mêmes paramètres dans les situations où la

comparaison des lieux de pratiques potentiels ne joue pas en défaveur des lieux

traditionnels. Les transformations qui se produisent pendant cette période n’ont pas

seulement un impact sur les cabarets. La multiplication des téléviseurs dans les foyers du

Québec et leur popularité ont un effet inversement proportionnel sur le nombre de cinémas

et particulièrement sur celui des cinémas de quartiers, qui avaient connu leur âge d’or

durant les années 1940471

. Conséquemment à cette popularité et en raison d’autres facteurs

comme le déclin démographique, le cinéma Laurier et plusieurs petits établissements, par

exemple des salles de quilles, ferment leurs portes dans le quartier Saint-Sauveur. Les

dirigeants des centres paroissiaux s’adaptent du mieux qu’ils le peuvent. Mais lentement,

une clientèle en baisse les fait entrer dans un cercle vicieux. Les revenus étant moindres,

471

Yves LEVER, Histoire générale du cinéma au Québec, Montréal, Boréal, 1995, p. 214.

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l’offre ne peut plus être aussi diversifiée que par le passé, ce qui conduit à de nouvelles

baisses de visiteurs et de membres.

3.3.3 Un rapport ambivalent aux mutations des pratiques et des réseaux

Les conséquences des transformations des modes de vie et des valeurs qui y sont associées

sur les commerces, les services et les lieux et espaces de loisirs, de divertissements et de vie

communautaire et associative du quartier Saint-Sauveur n’ont pas laissé les membres du

corpus indifférents. Qu’ils aient participé ou non à nombre de fermetures en raison des

mutations de leurs pratiques, plusieurs témoignent de leur tristesse et de leur déception face

à ces disparitions et aux changements dans d’autres domaines, notamment industriel472

.

D’autres, qui au contraire ont maintenu des pratiques qu’on peut qualifier de traditionnelles

et qui n’ont vécu qu’un nombre limité d’étapes résidentielles, portent un regard différent

sur ces transformations. Leurs lieux de prédilection n’étant pas disparus, leurs sentiments

face aux changements sont plus mesurés. Le déclin de la fonction commerciale dans le

quartier Saint-Sauveur constitue un des éléments des modifications de la vie dans le

quartier au cours de la période 1930-1980 les plus mentionnés par les membres du corpus.

En la matière, depuis la Seconde Guerre mondiale, ils ont « […] vu mourir ben plus que

naître » (#08), comme l’évoque un participant. Il y eut néanmoins des naissances de taille

dans le quartier, symboles d’une nouvelle modernité, qui les ont attirés et conduit à

redéfinir leurs habitudes de vie. Le rapport des participants à ces mutations se révèle ainsi

ambivalent.

D’aucuns dénoncent le fait que la fréquentation des « gros » a « tué » les petits et que la

télévision a entraîné la disparition d’activités locales et déplorent la disparition de lieux

qu’ils chérissaient, mais ils ont eux-mêmes adopté ces nouvelles pratiques et en sont

conscients. Cela ne s’est pas fait sans malaise, comme l’exprime un membre du corpus

témoin du changement de pratiques de ses parents en matière d’approvisionnement

alimentaire :

472

Pourtant, la diminution du bruit, du roulage et de la pollution reliés à la présence industrielle et

manufacturière aurait pu être accueillie de manière positive. Ces éléments n’ont toutefois pas été cités comme

désagréments de la vie locale pendant la période 1930-1980, ce qui peut expliquer cette réaction.

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- […] C’est progressif ça. […] C’est que, graduellement les habitudes, quand tu

fais affaire avec quelqu’un du quartier, t’es comme mal à l’aise… C’est ton

voisin, ton voisin en même temps. Mais quand y évolue lui-même pis qu’y

change un peu la façon de fournir des affaires, oup tu dis… Y s’adapte lui aussi.

- (D.G.) Ok. Parce qu’au début y a un certain malaise, surtout que si y est en

face…

- Ah, oui… oui…Garde moi j’me souviens de ça, y473

disait, on va aller chez

Dominion, mais faut tu rentres chez vous là, avec tes sacs du Dominion là. Mais

les gars comme Gosselin j’pense y ont été intelligents. C’t’un gars qui s’est

adapté lui, y a gardé son épicerie euh, y l’avait encore pis j’travaillais j’étais

directeur d’école à Sacré-Cœur […], faque c’t’un monsieur qui s’est toujours

adapté. Faque lui y a compris là, tu vends pas les affaires, les mêmes affaires de

Dominion, t’en garde moins. Pis y est dev’nu comme un dépanneur. (#22)

Les avantages du nouveau modèle de consommation que l’on publicise, tant en ce qui

concerne l’offre des lieux que les modalités de déplacement pour y accéder, sont plus

persuasifs que ceux associés aux pratiques traditionnelles. Petits et moyens commerçants

perdent ainsi l’essentiel de leur ascendant sur leur clientèle. Le dilemme entre, d’une part,

la fidélité au commerçant que l’on connaît bien et dont on sait la précarité grandissante et,

d’autre part, un changement de pratiques bénéfique pour le portefeuille et tout simplement

dans l’air du temps se résout peu à peu par une volonté d’aller de l’avant. De plus, comme

l’énonce le participant dans le passage précédent, certains commerçants s’adaptent aux

changements d’habitudes de leur clientèle, ce qui constitue une autre justification de la

diminution de la fréquence des visites qu’on y fait et ainsi un motif d’atténuation du

malaise. Dans un contexte où les possibilités s’équivalent entre elles en termes de

localisation, de coûts ou d’offre, comme dans le cas de certains divertissements, les

pratiques ne sont pas ou peu modifiées, le lien d’attachement demeurant plus fort et

l’avantage de la proximité conduisant au choix d’un lieu situé dans sa paroisse ou dans le

quartier.

« C’tait plein, plein de monde à largeur du trottoir. Ça aussi, qu’est-ce qui a fait mourir

ça? Les centres d’achat. Mais tu peux pas être contre, c’t’une nouvelle façon d’vivre. »

(#05) Ce participant illustre bien le discours général des membres du corpus concernant les

nouveaux modes de vie qu’ils ont adoptés. Ce discours est empreint de résignation et d’une

volonté de suivre un mouvement de masse qui apparaît inexorable, un « […] courant

473

Son père.

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mystérieux qui va les déposer dans un univers imprévisible, mais inconditionnellement

désirable parce que “moderne474

” », pour reprendre les termes de Moreux. Certains se

déculpabilisent des conséquences de la modification de leurs pratiques sur les réseaux

locaux en invoquant une vague de fond qu’ils ont suivie ou qu’ils n’ont pu que suivre,

comme l’illustre cette phrase d’une participante : « Pis on a fait comme les autres, on est

allés vers les centres d’achats quand ça s’est ouvert. » (#28) Ils invoquent le fait que les

mentalités n’ont pas changé, mais ont plutôt été « modifiées » (#29) par l’introduction de

nouveaux besoins, en particulier ceux qui sont relatifs à la voiture.

Au final, il demeure que si certains subirent l’éloignement des épiceries, des salons de

barbier ou bien des salles de quilles commerciales au fil des fermetures, un bon nombre les

avaient déjà délaissés pour des motifs financiers, de variété, de confort, de modernité ou

reliés à l’automobile. Ils purent donc aisément passer par-dessus la tristesse de voir les

réseaux locaux s’étioler. Il en alla autrement lorsque d’autres éléments sont disparus du

paysage local, et particulièrement paroissial, sans être remplacés par quelque chose

d’avantageux aux yeux des résidants. Ce fut le cas des fusions paroissiales et des

fermetures d’églises, qui ont heurté l’élément majeur de la fibre affective et identitaire liant

les membres du corpus à leur milieu de vie, comme nous le verrons au cinquième chapitre.

Durant la seconde moitié de la période 1930-1980, la vie dans le quartier Saint-Sauveur et

l’expérience urbaine de ses résidants se transforment, plus ou moins significativement selon

les situations. La fréquentation des grandes surfaces, des centres commerciaux et des

nouveaux lieux de loisirs et de divertissements mène notamment à passer des environs

immédiats du logement au quartier Saint-Sauveur ou de ce dernier à de nouveaux secteurs

de l’agglomération de Québec. La majorité de ces résidants adopte progressivement, mais

résolument de nouveaux modes de vie et les valeurs qui y sont associées. Les personnes

que nous avons rencontrées ne font pas exception à ce mouvement.

En dépit d’une perception élargie des espaces qu’ils considéraient à proximité, non

restreints au quartier Saint-Sauveur, mais bien étendus à d’autres quartiers de Québec, et de

l’habitude développée au fil du temps de s’y rendre à pied, le rapport à l’accessibilité

474

Colette MOREUX, Douceville en Québec. La modernisation d’une tradition, Montréal, Presses de

l’Université de Montréal, 1982, p. 365.

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physique de ces espaces denses aux rues étroites, de plus en plus congestionnés en ce qui

concerne les quartiers Saint-Roch et Champlain, sera profondément bouleversé par

l’acquisition d’une automobile et son utilisation fréquente. La présence d’alternatives

séduisantes mène au délaissement de ces secteurs sauf en cas d’exceptions dues à des

préférences particulières ou à des obligations, par exemple pour le travail. Dans les cas

contraires, les participants sont plus enclins à faire des compromis, soit accepter de devoir

chercher plus longtemps un espace de stationnement ou s’y rendre à pied ou en transport

collectif.

La proximité, dans sa perception initiale, perd en partie son importance dans le processus

décisionnel menant à plusieurs nouvelles pratiques. Toutefois, l’esprit de proximité

caractérisant cette culture urbaine en milieu populaire québécois ne disparaît pas. Certains

préfèrent, par exemple, le supermarché de quartier au magasin entrepôt situé en périphérie.

La popularité du centre commercial Fleur-de-Lys par rapport aux autres centres importants

de l’agglomération, notamment ceux de Sainte-Foy, semble témoigner de la présence

toujours vivante de cette variable dans les choix effectués par les participants. On peut

penser que les avantages associés au fait de demeurer au cœur de l’agglomération dans ce

nouveau contexte urbain dans lequel les lieux de magasinage, de loisirs ou encore de travail

sont déconcentrés ont joué un rôle dans le choix des membres du corpus de ne pas quitter

pour la banlieue, où plusieurs croient que tout est loin du domicile. Les nouvelles pratiques

sont accompagnées d’une redéfinition de l’évaluation de la proximité. En raison d’une

mobilité de déplacement transformée aux points de vue des modalités et des infrastructures

routières et autoroutières, ce qui est considéré à proximité correspond désormais à un

espace plus grand. Cet espace englobe la ville de Québec et certains secteurs périurbains.

Son centre est occupé, entre autres, par le quartier Saint-Sauveur475

, comme l’illustre la

déclaration de cette participante : « Oui, pis si on veut aller dans un centre d’achats ben, à

quelques minutes, on peut aller là, là, là, là, pis ça prend pas d’temps. On est pas à l’autre

extrémité du monde. Tsé, on est quand même à un niveau central. » (#25) L’évaluation de

la proximité semble passer d’une mesure en termes de distances liées aux déplacements à

475

Les cinq autres quartiers de la ville de Québec établis par les autorités municipales au début du XXe siècle

(Saint-Roch, Saint-Jean-Baptiste, Champlain, Limoilou et Moncalm) correspondent également à cette notion

de quartier central. Des résidants d’autres quartiers comme Duberger se considèrent aussi au centre de

l’agglomération. BENALI, op. cit., p. 45.

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une mesure axée sur la durée de ceux-ci. Cette nouvelle mesure est à l’image des

représentations des banlieusards476

. La centralité du quartier Saint-Sauveur façonne ainsi

une perception élargie, voire globale, de la proximité à travers l’agglomération.

Conclusion

Au cours des années 1930, 1940 et 1950, les hommes et les femmes que nous avons

rencontrés ainsi que leurs parents vécurent, dans le quartier Saint-Sauveur ou dans d’autres

quartiers populaires de Québec comme Saint-Roch, au cœur de réseaux commerciaux et de

loisirs, de divertissements et de vie communautaire et associative relativement denses. Dans

un contexte de familles nombreuses477

, de déplacements réalisés en bonne partie à pied et

où plusieurs n’avaient pas encore acquis de réfrigérateurs et de téléviseurs, ces réseaux

déterminent un ensemble de pratiques dans les environs du domicile, dans la paroisse ou

dans le quartier placées sous le sceau de la proximité. Comme nous l’avons démontré dans

le chapitre précédent, les deux premiers facteurs ont conduit également à des trajectoires

résidentielles motivées par la présence, à courte distance, de membres de la famille. La

position du quartier dans la ville et plus particulièrement son statut de voisin de Saint-Roch

a alimenté, de la même façon, la stabilité résidentielle dans le quartier Saint-Sauveur.

Les pratiques du quartier témoignent d’un investissement notable de la paroisse de

résidence. Le quartier Saint-Sauveur donne ainsi à première vue l’impression, tout au long

de la période 1930-1960, qu’il est composé de différents petits villages urbains complétés

par des artères commerciales. Ces artères ainsi que le nombre total de commerces, de

services et de lieux et d’espaces de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et

associative confèrent au quartier Saint-Sauveur lui-même un caractère significativement

intégré. Néanmoins, en vertu de sa localisation et des rapports à la proximité et à

l’accessibilité physique de ses résidants, l’expérience urbaine de ces derniers ne se limite ni

à la paroisse ni au quartier, et ce dès le début de la période à l’étude et quelque soit l’état

des finances des ménages. D’autres types de pratiques, tels l’achat de vêtements ou encore

476

En effet, pour des banlieusards de la région de Québec rencontrés par Fortin, ce qui est proche est évalué

en fonction du temps mis à se rendre à destination. FORTIN, « Territoires d’appartenance », dans FORTIN,

DESPRÉS et VACHON, op. cit., p. 146. 477

Rappelons que les participants ont eu en moyenne six frères et sœurs.

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les sorties dans les cabarets, prennent place à l’extérieur du quartier de résidence et

notamment dans Saint-Roch et sur sa rue Saint-Joseph, haut lieu de promenade et de lèche-

vitrine de la ville de Québec depuis le XIXe siècle. Ces lieux fréquentés sont intégrés dans

le cercle des espaces considérés à proximité de chez soi en raison des distances

raisonnables qui les séparent du domicile des membres du corpus et de leurs familles dans

le quartier Saint-Sauveur. L’utilisation à moyen et à long terme de modalités de

déplacement relativement souples, comme la marche à pied, permettant d’aller où l’on veut

sans tracas quant à la possibilité de se garer, forge une perception d’accessibilité aisée à ces

secteurs de la ville.

Les participants ont nourri ainsi dès leur jeunesse, pour qui vivaient alors dans le quartier

Saint-Sauveur, l’idée qu’ils évoluaient dans un monde marqué par une proximité

généralisée, leur paroisse et le quartier leur fournissant un grand nombre de services et le

cœur commercial et ludique de la ville battant tout près. Cet état d’esprit, commun aux

résidants de toutes les paroisses du quartier Saint-Sauveur478

, n’est pas unique à ce dernier,

mais son statut de voisin immédiat de Saint-Roch et l’absence d’obstacle naturel comme la

rivière Saint-Charles et le coteau Sainte-Geneviève purent contribuer à l’amplifier.

Puis, à partir de la fin des années 1950, en fonction des moyens financiers disponibles et

des goûts de chacun, les membres du corpus entrèrent progressivement dans une nouvelle

ère, la majorité de plein gré, d’autres plus timidement ou de manière contrainte. Cette

entrée peut être considérée comme une « prise de position idéologique479

», un acte de

modernité face au reste du corps social dans un contexte où leurs trajectoires résidentielles

sont demeurées axées sur un quartier de plus en plus dévalorisé. La majorité des

participants n’ont pas été particulièrement rétifs en effet à la fréquentation des nouveaux

lieux en développement, supermarchés, centres commerciaux ou grands cinémas. Par le

biais de critères de choix de lieux différents et d’un nouveau mode de déplacement,

l’automobile, clé d’une nouvelle mobilité, ils ont redéfini leur rapport aux lieux et aux

espaces et leur expérience du quartier Saint-Sauveur et de la ville de Québec.

478

Rappelons tout de même la situation particulière des réseaux de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié et la mise

à profit un peu plus fréquente du transport collectif chez les résidants des paroisses de l’ouest du quartier,

notamment pour revenir à la maison avec des colis lorsqu’ils ne sont pas livrés. 479

FAHRNI, loc. cit., p. 473.

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La plupart des besoins étaient auparavant satisfaits sans l’automobile. Or, les

« paramètres » (#22) guidant les pratiques ont changé à partir de son acquisition,

notamment ceux de la proximité et de l’accessibilité physique. Vie et structure urbaines

étant intimement liées, les réseaux locaux d’établissements et d’espaces dédiés à

l’approvisionnement alimentaire, à l’achat de biens, à l’usage de services, aux loisirs, aux

divertissements et à la vie communautaire et associative en ont été ébranlés et ont perdu de

leur densité et de leur vitalité. Ces processus n’entamèrent cependant pas le sentiment

d’appartenance des participants envers leur milieu de vie, qui demeura fort et inscrit dans

un cadre paroissial. Ces réseaux constituaient cependant un maillon fort des sociabilités

dans le quartier Saint-Sauveur. Les difficultés de ces réseaux, de même que les

conséquences de l’exode résidentiel vers les banlieues et d’autres secteurs de

l’agglomération, vont provoquer une transformation de ces sociabilités.

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4 – Ensemble : un univers social dense en voie

d’étiolement

Dans Saint-Sauveur, « tout le monde » se parlait. C’est du moins ce qu’affirment plusieurs

membres du corpus pour la période entre 1930 et 1950. Selon eux, les sociabilités480

dans

les quartiers populaires étaient fort développées à cette époque. Ces propos reflètent une

croyance largement répandue en Amérique du Nord et en Europe sur ce type de quartier481

,

qui va de pair avec la perception que dans ces quartiers la plupart des résidants se

connaissaient. Les sociabilités, une constituante fondamentale d’une culture, prédisposent

en effet la constitution d’un état d’interconnaissance. Nous définissons cet état comme une

situation où peu de visages sont étrangers dans un milieu donné. Des contacts fréquents

font en sorte que les individus sont familiers les uns avec les autres et qu’ils connaissent

certains éléments de la vie des gens qui les entourent (nom, emploi, origine, etc.).

Les sociabilités dans les quartiers populaires et l’état d’interconnaissance qui en découle

ont été largement étudiés par les sociologues et les historiens pour la période 1900-1950.

En France, les travaux majeurs de Chombart de Lauwe sur la vie familiale et la vie urbaine

au tournant des années 1950 ont mené ce dernier à présenter les milieux ouvriers comme

des foyers de sociabilités locales significativement développées482

. Les chercheurs s’étant

penchés sur les cas britannique483

, états-unien484

et québécois485

dans l’optique des

sociabilités, de l’économie familiale ou de l’histoire des femmes sont arrivés à des constats

globaux similaires. Les quartiers populaires voient se déployer des sociabilités denses. La

famille et le voisinage y occupent une place importante. Discussions, activités et entraide

ponctuent et facilitent la vie quotidienne. Les relations oscillent, selon le type d’individus

480

Rappelons que nous entendons comme sociabilités l’ensemble des relations sociales effectives des

individus quelle que soit leur nature : familiales, professionnelles, amicales, de voisinage, de loisirs ou encore

associatives. 481

Voir notamment François HÉRAN, « La sociabilité, une pratique culturelle », Économie et statistique, no

216 (décembre 1988), p. 18. 482

CHOMBART de LAUWE, op. cit. 483

Voir notamment Elizabeth BOTT, Family And Social Network : Roles, Norms, and External Relationship

in Ordinary Urban Families, London, Tavistock Publications, 1957, 252 p.; Standish MEACHAM, A Life

Apart : The English Working Class, 1890-1914, London, Thames & Hudson, 1977, 272 p.; ROBERTS

(1984), op. cit.; ROBERTS (1995), op. cit.; BENSON, op. cit.; YOUNG et WILLMOTT, op. cit. 484

Dont HAREVEN, op. cit.; GANS, op. cit. 485

Voir notamment DELÂGE, op. cit.; FORTIN et al., op. cit.; BAILLARGEON (1990, 1991), op. cit.;

FERRETTI, op. cit.; BONNIER, op. cit.; BRADETTE, op. cit.

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avec qui la personne interagit et sa personnalité, entre ouverture et réserve; cette seconde

attitude régissant notamment les contacts entre voisins. La densité des sociabilités locales et

la place de la famille sont perçues tantôt comme un héritage rural, tantôt comme une

réponse à l’isolement associé à la réalité urbaine.

La place de certains acteurs locaux comme les commerçants et la dimension évolutive des

sociabilités en milieu populaire au cœur du XXe siècle demeurent relativement peu

approfondies. Sur ce second point, les chercheurs ont identifié des éléments de changement,

comme l’expansion d’un plus grand individualisme, et de continuité, notamment en matière

de rapports familiaux et de voisinage486

. L’examen des pratiques du quartier associées aux

sociabilités des participants à notre enquête orale et de leurs parents, pour la période

pendant laquelle les participants demeuraient chez ces derniers487

, permet d’accorder une

attention particulière à ces questions et d’analyser jusqu’à quel point leur univers social

reflète les constats présents dans la production scientifique. Nous nous sommes ainsi

demandé : Comment s’orientent les sociabilités locales488

dans le quartier Saint-Sauveur de

Québec entre 1930 et 1980? Quels types de liens tisse-t-on et avec qui?

Les sociabilités apparaissent denses dans ce quartier durant les années 1930 et 1940 et

cultivées dans les terreaux fertiles des voisinages et des paroisses, qui façonnent la vie

collective. Elles produisent un fort état d’interconnaissance. Connaître et être reconnu sont

en effet deux caractéristiques indissociables de la vie dans le quartier Saint-Sauveur jusque

dans la seconde moitié du XXe siècle

489. La grande fertilité des terreaux mentionnés

favorise ou limite, selon les cas, l’approfondissement de certaines relations. Les sociabilités

et l’état d’interconnaissance influencent de diverses manières les trajectoires de vie des

participants et de leurs parents. La hausse du niveau de vie, les transformations de la

mobilité de déplacement et des pratiques de consommation, le mouvement d’exode

486

Voir, entre autres, FORTIN et al., op. cit.; ROBERTS (1995), op. cit. 487

À l’image du chapitre précédent, nous nous concentrons sur les parents ayant demeuré dans le quartier

Saint-Sauveur et/ou dans un autre quartier populaire de Québec. 488

C’est-à-dire se vivant à l’échelle de la paroisse de résidence et du quartier Saint-Sauveur. 489

Cet état d’interconnaissance teinte les discours des membres du corpus, qui se font plus ou moins

systématiquement un honneur de souligner qu’ils connaissent les personnes (voisins, commerçants, dirigeants

d’organisations paroissiales ou autres) dont ils nous parlent. Ils ajoutent, par exemple, qu’une telle personne a

vécu près d’eux, a vu un de ses cousins marier la sœur du participant, a eu un père travaillant avec le père du

participant, etc.

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résidentiel et la diffusion d’un plus grand individualisme, entre autres, provoquent toutefois

des transformations importantes de l’univers social des membres du corpus à partir des

années 1950. Bien que certains traits de continuité puissent être identifiés, cet univers social

s’en trouve globalement appauvri.

Dans ce chapitre, nous nous penchons dans un premier temps sur les déterminants des

sociabilités et de l’état d’interconnaissance dans le quartier Saint-Sauveur au cours des

années 1930 et 1940. Nous analysons par la suite, pour la même période, les facettes

majeures de l’univers social des membres du corpus : relations familiales, relations de

voisinage, relations avec les commerçants et d’autres acteurs locaux, relations vécues dans

les lieux et espaces de loisirs et de divertissements, relations d’amitié et relations

d’entraide, ainsi que diverses retombées de ces sociabilités et de l’état d’interconnaissance

sur les parcours de vie des participants. Nous examinons finalement les changements et les

permanences de leur univers social dans le contexte des mutations de la ville et des modes

de vie prenant place à partir de la seconde moitié du XXe siècle.

4.1 Voisinages et paroisses : des terreaux fertiles aux sociabilités

et à l’interconnaissance

La ville entraîne la « fragmentation » des relations sociales en raison du grand nombre

d’individus, de la taille du territoire et de la multitude des sources de contact tout en jouant

un rôle de « catalyseur490

» de ces relations par effet de proximité et/ou d’opposition dans

des secteurs précis ou à l’intérieur de groupes sociaux, professionnels ou autres. Sans les

déterminer, le cadre spatial peut en effet faciliter et alimenter les sociabilités491

. C’est le cas

du quartier Saint-Sauveur et d’autres quartiers populaires québécois aux caractéristiques

similaires durant les années 1930 et 1940. L’analyse nous a permis d’identifier sept facteurs

et groupes de facteurs associés au quartier Saint-Sauveur et aussi à la population qui

l’habite, aux commerces, services et lieux et espaces de loisirs, de divertissements et de vie

communautaire et associative qui s’y trouvent et à la variable paroissiale, lesquels

490

Les termes entre guillemets sont de Simard, « La question urbaine. Développement local et processus

identitaires », dans MORISSET, NOPPEN et SAINT-JACQUES, op. cit., p. 238. 491

Michel MAFFESOLI, « Le Quotidien et le local comme espaces de la sociabilité », dans Michel AUDET

et Hamid BOUCHIKHI, Structuration du social et modernité avancée : autour des travaux d’Anthony

Giddens, Québec, Presses de l’Université Laval, 1993, p. 207.

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prédisposent des sociabilités bien développées aux niveaux des voisinages et des paroisses.

Ces éléments forgent et contribuent à entretenir également un fort état d’interconnaissance.

Les facteurs et groupes de facteurs identifiés sont : les situations d’homogénéité et de

densité présentes dans le quartier, les principales modalités de déplacement utilisées par la

population qui y habite, ses trajectoires résidentielles, ses parcours professionnels, le réseau

commercial et les gens qui l’animent et finalement l’ensemble composé des loisirs, des

divertissements et de la vie communautaire, associative et religieuse. Nous les examinons

dans les pages qui suivent.

4.1.1 Homogénéité

En 1951, le quartier Saint-Sauveur est le milieu de résidence d’une population fort

homogène, tant au point de vue sociodémographique que socioéconomique. Les données

livrées par le recensement sur l’origine, la langue et la religion cette année-là sont

similaires au portrait de la population de la ville de Québec. Le quartier Saint-Sauveur

abrite une population à 98,8% d’origine « française » et 1,01% d’origine « britannique ».

Cette population déclare à 85,5% avoir « seulement » la langue française comme

« langue(s) officielle(s) » et à 14,4%, le français et l’anglais. Finalement, elle se compose à

99,8% de personnes de religion « catholique romaine492

». Brosser un portrait détaillé de la

population du quartier Saint-Sauveur en 1931 et en 1941 est malheureusement impossible,

car la ventilation par secteurs de recensement ou par quartier n’est accessible qu’à partir de

1951. Nous n’avons toutefois aucune raison de croire que les données de 1931 et de 1941

soient significativement différentes. D’une part, les données agrégées pour la ville de

Québec en 1931 et en 1941 sont relativement stables493

. D’autre part, les données des

rapports des visites paroissiales annuelles faites par les curés et leurs vicaires dans chaque

logement, bien que peu fiables au point de vue statistique lorsqu’elles sont comparées avec

les données des recensements, ne donnent pas d’indications laissant croire à des

492

Les 164 016 résidants de la ville de Québec, quant à eux, répondent au profil suivant : 93,8% de personnes

d’origine française et 5,19% d’origine britannique; 68,1% ayant le français comme langue(s) officielle(s) et

30,4% le français et l’anglais; et 97,9% de personnes de religion catholique romaine. 493

Les proportions des catégories « Catholique romaine », « Langue officielle : français seulement » et

« Origine française » passent respectivement de 96,2% à 97,9%, de 60,3% à 68,1% et de 91,3% à 93,8% entre

1931 et 1951.

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transformations majeures des caractéristiques sociodémographiques en matière d’origine,

de langue et de religion.

Les rapports sociaux des résidants du quartier Saint-Sauveur à l’intérieur de celui-ci sont

donc fort peu teintés par les dimensions ethniques, linguistiques ou religieuses. Les cas

d’expérience des participants avec ces différents facteurs d’altérité dans le quartier ne sont

pas nombreux. Ils sont généralement jugés de manière positive. Par exemple, certains

fréquentent à l’occasion des commerces de la rue Saint-Vallier tenus par des Juifs ou des

restaurants et des teintureries tenus par des gens d’origine asiatique494

. Une participante

vécut dans un logement appartenant à deux femmes anglophones à la fin des années 1930.

Cette situation d’homogénéité sociodémographique, par l’absence de barrières en termes

d’origine, de langue et de religion, a favorisé pour les résidants du quartier Saint-Sauveur

une approche plus aisée des gens qui les entouraient. Il en va de même au plan

socioéconomique. Le quartier Saint-Sauveur est essentiellement peuplé de ménages de

statuts modestes. La similarité des niveaux de vie et le partage des mêmes difficultés

facilitent l’empathie et la compréhension. Le quartier compte tout de même une frange plus

aisée, répartie dans chacune de ses paroisses. Parmi les personnes que nous avons

rencontrées, plusieurs ont témoigné de l’existence de rapports de diverses natures entre les

effectifs de cette frange et la majorité aux revenus modestes. Cette différenciation peut

toutefois se révéler dans d’autres situations être un frein aux sociabilités, comme nous le

verrons dans la deuxième partie de ce chapitre.

4.1.2 Densité

Trois aspects de la structure du bâti, qui est l’une des facettes de l’organisation spatiale

d’un quartier, peuvent créer des situations propices à des rencontres plus ou moins

répétées : sa répartition dans l’espace, la taille des logements, ainsi que divers

aménagements comme le dégagement entre les trottoirs et les bâtiments, les balcons, les

494

Le casse-croûte d’« Henri le Chinois » est à ce titre un haut lieu dans le quartier, le bon goût de ses frites

palliant l’insalubrité notoire de l’établissement. Une participante en parle en ces termes: « Y vendait pas

d’autre chose, me semble que non, mais des frites. Tout l’monde qui a vécu là connaît Henri. Au point que,

j’connais une femme, son mari, a resté dans l’coin, connaissait Henri. La graisse coulait s’es murs. Mais les

frites étaient bonnes maudit! Ah les frites étaient bonnes! Y était au coin de Durocher. Ça existe plus ça non

plus. Au coin d’Durocher pis Bagot. » (#23)

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escaliers communs pour accéder aux étages supérieurs ou encore les cordes à linge. De la

même manière, la largeur des rues et le trafic qui s’y déploie facilitent ou entravent les

échanges d’un côté à l’autre. Le quartier Saint-Sauveur cumule en la matière plusieurs

aspects souriant à l’édification de relations avec autrui. Son organisation spatiale de même

que sa forte densité de population favorisent l’établissement de rapports sociaux en

multipliant les possibilités de se rencontrer et de tisser des liens495

. Elles contribuent

également à la constitution au fil du temps d’un fort état d’interconnaissance.

Maisons et immeubles résidentiels se dressent en rangs serrés le long des trottoirs des rues

qui composent le quartier, et ce dès 1930496

. La mitoyenneté des maisons et des immeubles

résidentiels et leur édification à flanc de trottoir sont des situations largement répandues497

.

Les résidants du quartier Saint-Sauveur vivent ainsi près les uns des autres. Un grand

nombre de logements sont exigus Ŕ les propos des participants sur leurs trajectoires

résidentielles en font foi Ŕ, mais plusieurs d’entre eux disposent tout de même de balcons

avant et/ou arrière et de cordes à linge s’étendant de la porte ou du balcon arrière jusqu’au

fond de la cour. La taille des logements et la présence de plusieurs personnes à l’intérieur

de ceux-ci, en raison des familles nombreuses, favorisent la socialisation des enfants en les

poussant à sortir à l’extérieur pour se divertir. Comme nous l’avons mentionné au chapitre

précédent, les loisirs se déploient beaucoup dans la rue, où il y a encore peu de circulation

automobile, et dans la cour arrière à cette période de la vie.

Le perron, qui donne souvent directement sur le trottoir comme l’illustre la figure 2.1, et le

balcon permettent aussi aux adultes de prendre l’air, de regarder les gens aller et venir sur

la voie publique, ainsi que de voir leurs voisins aussi assis sur leur perron ou sur leur

balcon et possiblement de les saluer et de bavarder avec eux. Un participant décrit ces

moments en ces termes : « […] fallait quasiment que tu marches dans rue quand tu voulais

marcher. Parce que les gens étaient assis sur leur perron. Pis euh, y parlaient à voisine d’en

face, pis l’autre était avec son carrosse à côté pis… Tsé. Toute la rue était d’même. » (#05)

495

Une corrélation positive entre densité et sociabilités locales a notamment été observée par Grafmeyer dans

son étude des sociabilités liées au logement dans cinq quartiens anciens centraux français en 1997-1998. Voir

Yves GRAFMEYER, « Les sociabilités liées au logement », dans AUTHIER (dir.), op. cit., p. 117. 496

Les figures 2.1, 3.1, 3.3 et 4.2 donnent un aperçu de cette densité. 497

Y fait exception la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, qui compte un grand nombre de maisons unifamiliales

détachées.

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De la même manière, les cordes à linge favorisent les discussions lors de séances

d’étendage simultanées, d’autant plus qu’elles ne sont jamais bien loin les unes des autres.

Les rues du quartier sont finalement pour la plupart étroites, d’une largeur d’environ huit

mètres498

. Comme en témoigne une participante, cette situation facilite les contacts et

favorise leur multiplication : « J’ai ben aimé Saint-Malo parce que, c’est sûr que les rues

sont ben collées aussi là où on était, mais tout l’monde se parlait tsé. » (#06) Deschênes, en

parlant de son enfance dans les années 1940 dans la paroisse Saint-Charles-de-Limoilou, la

plus ancienne du quartier Limoilou, relate quant à lui que les gens se parlaient d’un côté de

la rue à l’autre par les fenêtres ouvertes499

.

4.1.3 Modalités de déplacement

Les rues du quartier Saint-Sauveur sont ainsi animées non seulement par la vie

commerciale et les défilés et processions religieuses occasionnels, mais aussi par les

résidants qui s’assoient sur le perron ou sur le balcon et par le nombre élevé de passants

déambulant sur les trottoirs. L’éventail des modes de déplacement de la population est en

effet dominé durant les années 1930 et 1940 par la marche à pied. On marche

quotidiennement, par exemple, pour aller à l’école ou au travail et pour accéder aux lieux et

espaces de loisirs et aux lieux de consommation.

En vertu de la densité élevée de la population et des caractéristiques de l’organisation

spatiale du quartier, l’expérience piétonne est véritablement « texturisante500

». On ne sort

pas de son logement pour s’engouffrer immédiatement dans son véhicule. Au contraire,

comme la majorité de la population, on marche. Les rencontres sont ainsi inévitables avec

498

Cette largeur est similaire à celle de rues d’autres quartiers populaires de Québec comme Saint-Roch. En

comparaison, certaines artères du quartier Montcalm, de statut socioéconomique plus aisé, sont deux ou trois

fois plus larges. La partie du quartier Limoilou développée à partir du début du XXe siècle compte elle aussi

des artères plus larges, ce qui témoigne, entre autres, des considérations d’aération et de clarté présentes à ce

moment. 499

DESCHÊNES et al, op. cit., p. 49. 500

Le concept de marche texturisante est emprunté à Sonia Lavadinho, chercheure à l’École Polytechnique

Fédérale de Lausanne, en Suisse. Elle l’a présenté lors d’une communication intitulée : « La marche urbaine »

dans le cadre du colloque international « Les élites dans la ville : groupes sociaux et (re)composition urbaine,

XVIIIe-XX

e siècles », organisé par l’Action de Recherche Concertée « Les élites dans la ville » de

l’Université Libre de Bruxelles, en avril 2010. Nous avons participé à ce colloque à titre de conférencier et de

membre du comité organisateur. Lavadinho a aussi présenté ce concept au cours d’un entretien dans la revue

Ville et Vélo sous la rubrique « La parole à », no 45 (mai/juin 2010), p. 20.

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les gens du voisinage et des résidants de la paroisse sur le trajet menant aux divers

commerces, aux lieux et espaces de loisirs ou encore aux établissements paroissiaux. La

« […] capacité de ce mode, en prise directe avec l’environnement, à injecter de l’épaisseur

et du sens dans [les] déplacements501

» favorise ainsi sensiblement le développement des

relations sociales et de l’état d’interconnaissance.

L’influence de la marche sur les sociabilités peut aussi se faire sentir en dehors de la

paroisse de résidence, mais à une intensité moindre, d’autres facteurs comme la fréquence

des rencontres étant alors moins en cause pour favoriser la connaissance des autres et le

développement de relations. Tout de même, certains trajets quotidiens réalisés aux mêmes

moments de la journée, comme aller au travail et en revenir, peuvent contribuer à nouer des

liens lorsque l’on croise ou voit régulièrement les mêmes personnes. Cette situation fait

partie des éléments qui nourrissent chez les participants la perception qu’à cette époque

« tout le monde » se parlait.

4.1.4 Trajectoires résidentielles

Le fait que peu de visages ne nous soient pas familiers et que le nôtre ne soit pas

davantage étranger aux autres est consolidé par la longue durée de résidence dans un même

logement ou dans une même paroisse. Il est également renforcé par trois autres facteurs

relatifs aux trajectoires résidentielles, soit la transmission familiale de la propriété, la

location d’un logement à un membre de la famille et la présence à proximité les uns des

autres de membres d’une même famille. Nous avons fait état au deuxième chapitre que 11

participants à notre enquête orale sur 30 n’ont demeuré que dans une paroisse du quartier

Saint-Sauveur au cours de la période étudiée, dont six, dans le même logement. Treize

autres ont demeuré dans deux paroisses du quartier. Cette situation, qui fut aussi observée

dans les trajectoires des parents des participants, favorise grandement les sociabilités

locales et la constitution de l’état d’interconnaissance. Sociabilités et interconnaissance sont

certes également vécues par les résidants du quartier dont les parcours résidentiels furent

ponctués de nombreuses étapes dans plusieurs paroisses et quartiers de la ville de Québec;

cependant, les nombreuses années passées dans un même logement ou dans une même

501

Ibid.

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236

paroisse leur donnent une envergure différente. Les personnes rencontrées à l’école ou

encore dans une organisation paroissiale peuvent être potentiellement côtoyées pendant

longtemps. Dans un contexte où les rencontres sont déjà nombreuses autour du logement et

dans la paroisse, la stabilité résidentielle en décuple les effets sur les sociabilités et favorise

notamment l’établissement de relations d’amitié502

.

L’état d’interconnaissance profite, par ailleurs, des bonnes dispositions induites par trois

phénomènes relatifs aux trajectoires résidentielles. La transmission familiale de la propriété

et la location de logement(s) à un ou plusieurs de ses enfants font en sorte que les voisins

côtoient toujours des visages connus, du moins chez ceux qui ont vécu près de ces familles

pendant une certaine période de temps. Il en va de même pour les enfants prenant en charge

la demeure familiale ou s’installant dans un logement appartenant à leurs parents. Ils

continuent ainsi à vivre ou reviennent habiter près de voisins qu’ils connaissent, si ces

voisins, dans le cas des enfants qui reviennent, ne sont pas partis bien sûr durant leur

absence. La présence à proximité les uns des autres de membres d’une même famille

accroît, quant à elle, chez ces membres le sentiment de vivre dans un milieu où l’on connaît

presque tout le monde. Le fait qu’une personne informe un voisin de la présence des autres

membres de sa famille à proximité renforce ce même sentiment chez ce voisin.

4.1.5 Trajectoires professionnelles

Le quartier Saint-Sauveur est le lieu où fut situé le premier emploi de jeunesse de

plusieurs membres du corpus, en tant que livreurs, commis, aides domestiques ou encore

buandières. Ces emplois constituèrent un moyen pour ces derniers de développer leur

connaissance de leur milieu de résidence, celle des gens qui l’habitent et leurs sociabilités.

- (D.G.) Vous, les années que vous avez fait au Kresge ici503

, est-ce que vous

avez apprécié c’que vous faisiez?

- Oh ouais. J’tais dans l’milieu à part de ça, j’connaissais tout l’monde.

Faque… Ah oui. (#17)

502

Nous définissons ici amis et relations d’amitié comme étant les individus et les rapports considérés comme

tels par les membres du corpus et non au moyen de critères leur accordant ces titres. Ce sujet est approfondi

en 4.2.1.4. 503

Sur la rue Saint-Vallier, principale artère commerciale du quartier.

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237

Comme cette participante ayant grandi dans la paroisse Sacré-Cœur l’explique, travailler

dans son quartier, près de chez elle de surcroît, fut agréable étant donné la présence de

visages qu’elle connaissait. Son poste de commis-caissière lui permit, de plus, d’accroître le

nombre de visages connus et de se faire connaître par la même occasion. Il en va de même

pour les jeunes gens embauchés dans les commerces de proximité immédiate, livrant aux

domiciles de leurs voisins et côtoyant constamment dans la rue ces derniers et les passants.

Il est tout de même possible, à tout âge, de nouer contact dans son milieu de travail avec

des collègues voisins ou demeurant dans la même paroisse et croisés ou vus régulièrement

et ce, peu importe où ce milieu se situe. L’occupation de certains types d’emplois dans le

quartier de résidence permet cependant de favoriser grandement sa socialisation locale et

parfois de devenir soi-même un pilier de cette dernière. À ce sujet, les commerçants se

révèlent être l’exemple le plus probant.

4.1.5 Commerces et commerçants

Les pratiques d’approvisionnement alimentaire, d’achat de biens et d’usage de différents

services (finances, esthétique, santé) réalisées dans les petits et moyens établissements du

quartier Saint-Sauveur ainsi que des caractéristiques de ces derniers et des personnes qui les

animent leur confèrent une place de choix dans l’univers social des membres du corpus.

Ces pratiques et ces caractéristiques favorisent le développement de rapports d’ordres

divers et leur maintien, tant avec les clients qu’avec les commerçants et leurs employés.

La localisation des établissements prédispose grandement la rencontre des voisins ainsi

que des gens demeurant dans les alentours et notamment dans la même paroisse. Ils sont en

effet situés en bonne partie au sein du tissu résidentiel. Comme nous l’avons vu au chapitre

précédent, les résidants valorisent la proximité des lieux qu’ils fréquentent, ce qui sourit

aux sociabilités de voisinage, surtout dans un contexte où l’approvisionnement alimentaire

se fait presque quotidiennement. La fréquence des visites dans les établissements dédiés à

l’alimentation contribue aussi à multiplier les contacts avec les commerçants et leurs

employés. L’aspect spécialisé des pratiques d’approvisionnement alimentaire, propre à un

grand nombre de ménages, résulte, quant à lui, en l’augmentation du nombre de

commerçants et d’employés avec lesquels les résidants font affaire et par le fait même du

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238

nombre d'opportunités de croiser par hasard membres de la famille, voisins et autres

personnes, avec qui on peut discuter504

. Certains types de commerces et de services

présents en nombre limité ou répartis dans l’espace selon un modèle paroissial, comme les

caisses populaires, font aussi en sorte qu’un grand nombre de résidants s’y dirigent, ce qui

favorise également les sociabilités.

D’autres facteurs stimulent, par ailleurs, l’établissement de liens avec les commerçants et

leurs employés. Selon les témoignages des membres du corpus, un grand nombre de

commerçants sont natifs de l’une ou l’autre des paroisses du quartier et y demeurent, que ce

soit dans l’immeuble où se trouve l’entreprise ou ailleurs. Ils sont allés à l’école avec les

participants ou leurs enfants y vont avec les leurs. Ils vont à la messe ou encore participent

aux activités paroissiales. Ils sont ainsi des figures familières, dont le niveau de vie est loin

d’être intimidant. La stature financière des petits et moyens commerçants québécois est en

effet souvent proportionnelle aux dimensions de leurs établissements, c’est-à-dire

relativement modeste505

. Ils participent donc pour la plupart à l’état de relative homogénéité

socioéconomique du quartier Saint-Sauveur.

Les commerçants506

occupent les parquets et sont en contact continu avec la clientèle. Ils

mettent à profit les ressources de leur ménage et de leur famille507

, épouses, enfants de

même que frères et sœurs à l’occasion508

. Ces derniers contribuent au succès de l’entreprise

de diverses manières (service au client, gestion des stocks, tenue des comptes, etc.). Les

commerçants n’ont pas les moyens d’embaucher un grand nombre d’employés, ou même

un seul dans certains cas. Les clients sont ainsi souvent pris en charge ou visités, dans les

situations de livraison, par les mêmes personnes. Dans le secteur de l’approvisionnement

504

Rappelons que les différents besoins, légumes, viande, pain, marchandises sèches, matériaux nécessaires à

la confection de vêtements ou encore souliers mènent en effet les résidants à une enseigne particulière ou à un

type d’enseignes particulier, comme les magasins à prix modiques (« 5-10-15 »). 505

TASCHEREAU, loc. cit., p. 14. 506

Les commerçants avec qui les membres du corpus font affaire sont bien souvent des hommes, mais ils font

mention de quelques exemples de femmes propriétaires, veuves ou célibataires, qui dirigent des épiceries

comptoir, des casse-croûte ou encore des boutiques d’articles religieux. Taschereau note que 16% des

membres du groupe-témoin de petits commerçants propriétaires montréalais ayant été constitué pour les fins

de sa thèse sont des femmes en 1942, soit un peu plus que la proportion canadienne de femmes propriétaires

de commerces de détail indépendants observée dans le recensement de 1941 (13%). TASCHEREAU, op. cit.,

p. 241. 507

Le tissu commercial de l’époque se démarque par la proportion significative d’entreprises familiales. Elle

est également soulignée par TASCHEREAU, op. cit., p. 238; et FALARDEAU, op. cit., p. 29, 43. 508

Un des membres du corpus a remplacé notamment son frère épicier lors d’un épisode de maladie.

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239

alimentaire, les contacts ne se limitent pas au paiement des biens parce que le libre-service

est encore peu développé dans les petits et moyens établissements indépendants. En raison

du nombre particulièrement élevé de certains types d’établissements, par exemple des

épiceries, cette clientèle peut se révéler relativement limitée. Dans un contexte de fidélité,

commerçants, employés et consommateurs en viennent ainsi à bien se connaître.

Lorsqu’il y a embauche d’employés, ces derniers sont souvent connus des clients. L’une

des méthodes de recrutement mises de l’avant par les commerçants ainsi que par plusieurs

autres employeurs, comme nous le verrons dans la deuxième partie du chapitre, est la mise

à profit de leurs contacts personnels et de ceux de leurs employés. Cette stratégie conduit,

entre autres, à l’embauche successive de membres d’une même famille, ce qu’ont vécu

deux participants (#07 et 08) et le frère d’une participante (#18) ainsi que leurs frères à

l’adolescence. Les consommateurs demeurent ainsi en terrain connu. En raison de la densité

des réseaux familiaux dans le quartier Saint-Sauveur, il arrive que les employés,

adolescents et adultes, fassent partie de la famille élargie de quelques clients, comme le

relate cette participante : « Les employés qui travaillaient là ben c’tait toujours quelqu’un

d’la parenté d’la parenté de… […] Ben ça, c’est la cousine de ma belle-sœur… » (#25) Ce

qui caractérise plus largement les employés est néanmoins le fait qu’ils demeurent bien

souvent dans les environs de l’entreprise, de sorte que les clients peuvent habiter à

proximité de chez eux ou, par exemple, jouer dans la même ligue de cartes qu’eux au centre

paroissial509

. Cette situation influence généralement les relations sociales vécues avec ces

employés de manière positive.

En raison de la livraison à pied et à bicyclette, deux modalités de déplacement

texturisantes, les commerçants et leurs employés sont croisés régulièrement et ce, même si

les résidants n’achètent pas dans leurs établissements. Plusieurs membres du corpus

mentionnent aussi que les commerçants, lors des heures creuses, se tiennent parfois sur le

pas de leur porte. Ils sont ainsi en position privilégiée pour entrer en contact avec leurs

clients et la population en général, dans laquelle se trouvent d’autres clients potentiels. Que

509

Deux participants font état de l’embauche de gens ayant une déficience intellectuelle à titre de commis ou

de livreurs. Cette intégration au marché du travail leur permet d’évoluer à proximité de leur domicile et de

gens qui leur sont familiers. Ce geste a pu contribuer à bonifier la réputation des commerçants concernés, qui

posent par ces embauches un geste inclusif. Il se peut, par ailleurs, qu’il y ait aussi eu des cas d’exploitation.

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leurs établissements soient fréquentés ou non, le fait de les croiser plus ou moins

quotidiennement leur confère une place relativement importante dans les sociabilités

locales et améliore ainsi l’état d’interconnaissance dans le voisinage et dans la paroisse.

4.1.6 Loisirs, divertissements et vie communautaire, associative et

religieuse

L’adhésion à des associations, des groupes ou des mouvements, la fréquentation de lieux

et d’espaces de loisirs et de divertissements paroissiaux et commerciaux, l’implication dans

l’organisation des activités locales ainsi que certains facteurs associés à la vie religieuse

constituent, finalement, autant de moyens par lesquels les individus peuvent entrer en

contact les uns avec les autres et nouer possiblement des liens. L’expression de la foi des

membres du corpus et de leurs parents se fait essentiellement dans la paroisse de résidence.

Les loisirs et divertissements ainsi que la vie communautaire et associative se réalisent,

comme nous l’avons vu au chapitre précédent, tant dans la paroisse de résidence qu’ailleurs

dans le quartier Saint-Sauveur ou dans la ville de Québec. Ce qui se vit dans la paroisse

exerce néanmoins une influence notable sur les sociabilités locales et sur l’état

d’interconnaissance en les favorisant dans un cadre plus large que celui des environs du

domicile.

Organisations de piété, de loisirs, de divertissements ou encore d’assistance alimentent la

vie paroissiale. Chaque paroisse dispose d’un éventail plus ou moins large d’associations,

de groupes et de mouvements en fonction des initiatives du clergé local et des paroissiens

ainsi que des moyens disponibles. Mentionnons, à titre d’exemple d’organisations, les

Enfants de Marie, les Dames de la Sainte-Famille, la Congrégation des Hommes, la garde

paroissiale510

, le Cercle Lacordaire, les ligues de cartes ou de quilles, la troupe de théâtre, la

troupe de gymnastique (voir l’exemple de la troupe de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié à la

figure 4.1), la chorale, l’Œuvre de jeunesse511

et la Société Saint-Vincent-de-Paul. Dans un

510

Voir la description de ce type de mouvement au troisième chapitre, p.183. 511

Une Œuvre de jeunesse poursuit différents objectifs de formation et de divertissement. Par exemple, les

dirigeants de l’Œuvre de jeunesse de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié mettent de l’avant les avantages

suivants en vue de leur recrutement pour l’année 1950-1951 : protection de la jeunesse, économie de la

bourse, plaisir et culture physique, formation du caractère et préparation de l’avenir. Archives de la paroisse

Notre-Dame-de-Pitié de Québec. Œuvre de jeunesse, 1948-1952. Divers.

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241

contexte social marqué par un encadrement socioreligieux serré, ces associations, groupes

et mouvements, presque tous chapeautés par une Église catholique favorisant leur

multiplication et appelant à leur adhésion512

, permettent de suivre les paroissiens de leur

enfance à leurs vieux jours. Ils constituent des occasions de stimuler leur socialisation et

l’éclosion ou le raffermissement d’un sentiment d’appartenance à la paroisse. Les

sociabilités sont aussi favorisées par l’adhésion à des groupes dont les activités se déroulent

à l’extérieur de la paroisse de résidence513

.

Figure 4.1 – Gymnastes Montcalm de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, après 1951

La photo est prise sur le parvis de l’église paroissiale. Source : Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié

de Québec. Auteur non identifié.

512

Cette question est approfondie au chapitre suivant. 513

Même si elles prennent place dans le quartier Saint-Sauveur, il n’en résulte cependant pas un attachement

particulier à celui-ci.

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242

Les motifs qui suscitent l’adhésion à des mouvements de piété et d’action catholique

spécialisée ne relèvent pas uniquement de la dévotion; ils incluent justement ces

opportunités de rencontrer des gens et de nouer des liens. Une participante parle en ces

termes de son entrée dans la Jeunesse Ouvrière Catholique : « Après ça ben m’as dire

comme on dit, ça m’faisait une place pour sortir. Hein. Nos parents dans c’temps-là, quand

on était plus jeunes, on pouvait pas, sortir comme on voulait ben ben. Faque là tu t’en allais

là pis… » (#17) Les motivations de la participation voguent ainsi entre dévotion,

préférences personnelles, obligations parentales Ŕ surtout dans le cas des jeunes filles Ŕ,

pressions plus ou moins explicites des autorités religieuses paroissiales et désir de

rencontrer des gens. Cette plateforme donne aux membres du corpus la possibilité de le

faire « légalement », soit par le biais de mouvements bien vus des parents et des autorités

religieuses paroissiales, ces dernières dénonçant à ce moment les lieux immoraux que sont

les cinémas, les cabarets et les autres lieux qui échappent à leur gouverne. Elle leur permet

également de pouvoir sortir de la ville lors de divers événements comme des congrès, ce

qui n’est pas à la portée de toutes les familles du quartier dans les années 1930 et 1940514

.

Les centres communautaires paroissiaux, pour reprendre les termes d’Hayda Denault, ont

l’avantage de « […] permettre aux adultes de s’y connaître et d’intensifier et d’éclairer la

vie paroissiale et sociale515

». La participation à diverses activités offertes dans ces centres

ainsi que l’implication dans l’organisation de ces dernières sont en effet l’un des

déterminants importants des sociabilités dans le quartier Saint-Sauveur. Les paroissiens de

tous âges les fréquentent de temps à autre pour voir un film, jouer aux quilles ou assister à

un spectacle, à une conférence, à une pièce de théâtre ou à une soirée dansante avec ou sans

repas. On peut également y visiter le bazar, s’impliquer de manière bénévole dans des

œuvres d’assistance comme des ouvroirs516

, manger au casse-croûte, etc. Afin de financer

leurs activités, les dirigeants des diverses organisations paroissiales doivent régulièrement

organiser des levées de fonds. C’est ainsi qu’au-delà de la présence même des

organisations, les soirées dansantes, bazars, tournois de jeux de cartes, concours de

514

Au sujet de l’implication des jeunes dans l’action catholique spécialisée, voir l’ouvrage de Louise

BIENVENUE, Quand la jeunesse entre en scène. L’Action catholique avant la Révolution tranquille,

Montréal, Boréal, 2003, 291 p. 515

DENAULT, op. cit., p. 118. 516

Rappelons qu’ils offrent aux gens défavorisés des vêtements usagés ou confectionnés par des bénévoles.

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243

popularité517

et autres activités qu’ils organisent et les visites rendues par les membres aux

résidants et aux commerçants afin de recueillir des fonds et des biens à distribuer ou à

vendre lors d’événements518

créent des occasions additionnelles de socialiser et favorisent

d’autant l’état d’interconnaissance. Des lieux de loisirs et de divertissements commerciaux

situés dans la paroisse de résidence ou à l’extérieur de celle-ci ainsi que d’autres centres

paroissiaux attirent finalement les membres du corpus et certains de leurs parents selon

l’offre distinctive ou leurs goûts personnels. Ces lieux multiplient les occasions de

rencontres tant dans la sphère paroissiale que plus largement dans l’espace urbain.

Dans le même esprit, aller à la messe, quotidiennement, plusieurs fois par semaine ou

hebdomadairement, à une époque où cette pratique est répandue dans la population à

Québec et au Québec, ne favorise pas seulement le salut des âmes. Comme l’énonce une

participante, le parvis de l’église paroissiale est en effet un lieu important de socialisation :

« Les gens s’voyaient beaucoup à l’église, hein, pis y jasaient su’l perron d’l’église comme

on dit […] » (#28) Une caractéristique particulière de la pratique religieuse participe aussi

au développement des sociabilités, soit le système de location de bancs. Dans un contexte

où tous les sièges de l’église peuvent être occupés, surtout le dimanche en dépit de la

présence de plusieurs offices durant l’avant-midi, la location est une stratégie pour s’assurer

des places assises. Chaque famille peut ainsi louer annuellement519

son banc pour la messe

à laquelle elle désire assister. Cette stratégie, qui permet également d’assurer des revenus

supplémentaires aux paroisses, fait en sorte que les gens ont les mêmes voisins tout au long

de l’année. Différentes activités à caractère religieux, comme les processions, donnent

517

Des candidat(e)s rivalisent d’imagination afin de recueillir des fonds pour l’organisation : porte-à-porte,

soirées au centre paroissial, etc. 518

Une participante raconte : « […] [J]’étais dans les Enfants de Marie. Quand y avait des bazars, ben on avait

une table, pis on était responsables de, on ramassait des prix, on quêtait des prix. M. l’curé nous donnait une

lettre de créance. Pour nous présenter d’in magasins pour avoir des prix pour la paroisse. Pis on faisait un

bazar qui durait 15 jours. Moi j’ai rencontré mon premier mari là. Au bazar. (rires) » (#12) Une autre

participante déclare au sujet de ces visites : « J’vous dit que, debord on a passé notre vie à quêter pour

l’église. Pour faire ci pour faire ça. Pour construire le Centre Durocher, pour bon… Faque quand on arrivait là

avec des ti papiers dans main comme ça là, c’est quoi tu veux aujourd’hui Pauline [nom fictif]? J’avais 12 ans

quand j’ai commencé à quêter comme ça pour aider. Pour la Saint-Jean-Baptiste. Après ça ça été, la JOC

[Jeunesse Ouvrière Catholique], la LOC [Ligue Ouvrière Catholique] pis tu continues. […] Des fois j’disais,

j’ai fait pour l’église c’que j’aurais pas fait pour moi. J’allais quêter. » (#26) 519

Il y a aussi des processus de location spécifiques lors d’événements importants de la vie liturgique comme

Noël, où les offices religieux sont plus nombreux.

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finalement la chance aux individus de se croiser et de se parler, ce qui renforce « le tissu

social520

».

Durant les années 1930 et 1940, le quartier Saint-Sauveur, sa population et ses

commerces, services et lieux et espaces de loisirs, de divertissements et de vie

communautaire et associative recèlent donc plusieurs facteurs favorisant l’éclosion et le

développement de relations sociales. La paroisse constitue un espace social

particulièrement significatif, où se conjuguent les sept facteurs et groupes de facteurs

présentés. Au fil des kilomètres parcourus, des gens croisés et des activités réalisées dans le

quartier, les participants à notre enquête orale et leurs parents entretiennent des rapports

avec un grand nombre de personnes, ce qui mène à un état d’interconnaissance fort. Cet état

ne peut évidemment pas s’appliquer au quartier ou à la paroisse de résidence, malgré tous

les atouts de cette dernière. Il s’incarne davantage dans le voisinage et le segment de rue où

l’on demeure, c’est-à-dire entre deux carrefours, mais tout en étant rarement absolu, car il y

a toujours des arrivants récents, des ménages particulièrement reclus et des commerçants

plus discrets.

Les sociabilités, l’état d’interconnaissance et l’atmosphère personnalisée des pratiques de

consommation des membres du corpus ressortent clairement parmi les facteurs expliquant

leur appréciation de leur milieu de vie. Ce milieu est considéré plaisant et rassurant. La

proximité physique et un aspect des sociabilités, le commérage, ont toutefois leurs revers.

Le quartier offre peu d’intimité à ses résidants. Certaines personnes le considèrent

éventuellement étouffant, ce qui justifie un déménagement vers un autre milieu ou une

réorientation de la vie communautaire et associative ainsi que des loisirs et des

divertissements vers l’extérieur des frontières de la paroisse de résidence. Les participants

et leurs parents pallient, quant à eux, cette situation en entretenant des relations plus ou

moins approfondies selon les catégories de personnes avec lesquelles ils sont en contact ;

une attitude formant une des facettes des sociabilités dans le quartier Saint-Sauveur.

520

Ces termes sont utilisés par un homme racontant sa jeunesse dans la paroisse Saint-Charles-de-Limoilou à

cette période, dans DESCHÊNES et al., op. cit., p. 48.

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4.2 Vivre ensemble

Les sociabilités des résidants du quartier Saint-Sauveur à l’intérieur de celui-ci durant les

deux premières décennies de la période à l’étude sont denses. Les liens tissés varient par

contre selon qu’il s’agit de la famille, des voisins, des amis, des petits et moyens

commerçants ou d’autres acteurs locaux. Certains types de liens sont propres à une

catégorie de personnes, alors que d’autres sont communs à toutes. Il convient donc de

s’attarder sur les relations sociales vécues par les participants et leurs parents dans le

quartier durant les années 1930 et 1940521

afin de mettre en relief les dynamiques en

présence.

Les sociabilités, cet aspect constitutif d’une culture, influencent les parcours de vie des

individus. Leur analyse, tout comme celle de l’état d’interconnaissance, nous donne la

possibilité de mieux caractériser cette influence. Trois éléments des parcours de vie des

membres du corpus et de leurs parents sont particulièrement marqués par leur univers

social, soit leurs trajectoires résidentielles, leurs trajectoires professionnelles ainsi que les

circonstances de rencontre des futurs époux et leurs fréquentations avant le mariage.

4.2.1 Portraits des sociabilités dans le quartier Saint-Sauveur

L’édifice des sociabilités des résidants du quartier Saint-Sauveur repose sur divers piliers

et notamment sur la famille, les voisins et les petits et moyens commerçants. Les rapports

vécus avec ces trois catégories de personnes sont différents les uns des autres. Les membres

d’une même famille se visitent régulièrement, ce qui n’est pas le cas entre voisins. Cette

dernière situation est cependant considérée comme un gage de bons rapports et de qualité

de vie. Les amitiés se nouent à travers ces trois catégories de personnes, mais surtout avec

une autre, les collègues de travail, qui ne demeurent pas nécessairement dans le quartier.

Les relations amicales représentent un bon indicateur de l’intensité des sociabilités avec

autrui; leur examen se révèle ainsi pertinente. Un autre domaine des relations sociales,

l’assistance, permet finalement d’approfondir l’analyse de la place de la famille, des voisins

521

Dans le cas des petits et moyens commerçants, l’analyse se rend jusqu’en 1960 en raison de mutations plus

tardives.

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et des commerçants dans l’univers social des membres du corpus, ces derniers y étant

impliqués.

4.2.1.1 Des relations de voisinage denses, mais marquées par la réserve

- (D.G.) Pis avec eux autres522

est-ce que ça s’passait bien aussi?

- Toujours bien, ça jamais été, jamais été d’problème. On était comme une

famille. On s’connaissait toute là tsé. Tu t’rencontrais tu t’parlais pis… Pas plus

là. Tu restais pas à jaser des demis-heures. Bonjour bonjour bla tsé là.

- (D.G.) Donc ça s’voisinait pas.

- Non non. Tu commettais pas non non non non.

- (D.G.) C’tait bonjour bonjour.

- C’tait chacun chez nous ouin. […] Nos voisines aussi dans l’bloc. T’allais pas

chez une chez l’autre. Jamais. L’été tu t’parlais s’a galerie. […] Mais l’hiver, si

tu t’rencontrais tu t’disais bonjour bonjour pis… T’allais pas chez une chez

l’autre. Chacun, chacun ses affaires. Pas d’mémérages. (#19)

Cette participante résume fort bien dans ce passage plusieurs caractéristiques des relations

de voisinage que nous avons observées chez les membres du corpus et leurs parents. Les

rencontres avec les gens demeurant dans le même immeuble et autour de cet immeuble Ŕ

les participants incluant ces deux situations dans leur définition du terme voisin523

Ŕ sont

très nombreuses et plus ou moins quotidiennes. L’investissement dans les relations de

voisinage est néanmoins limité. Quelques personnalités plus individualistes ou centrées sur

leur propre ménage sont en cause, mais les relations de voisinage, jugées globalement

positives par les membres du corpus, sont marquées par la mise de l’avant d’une position

de réserve afin de protéger la vie privée.

Cette position découle des implications du vivre ensemble dans ce quartier. Les densités

du bâti et de la population, la trame étroite des rues du quartier Saint-Sauveur et le grand

nombre de rencontres entre voisins font en sorte qu’on peut difficilement mettre le pied

dehors ou recevoir quelqu’un chez soi sans que cela soit vu et su. Par l’effet du bouche-à-

oreille, tout peut se savoir, ce qui rend toute déclaration, toute attitude et toute action

522

Les voisins. La question concerne les relations de voisinage sur la rue Lafayette, où la participante

demeura pendant plus de cinquante ans (1944-1997), à l’exception de deux étapes résidentielles d’une durée

de quelques mois chacune à l’extérieur du quartier Saint-Sauveur. 523

Cette évaluation de ce que sont leurs voisins couvre parfois même le segment de rue où les participants

habitent. Nous percevons dans ces cas l’influence particulière de la densité du bâti.

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passibles d’être jugées et déformées524

. Le manque d’intimité est également vécu à

l’intérieur du domicile. Plusieurs logements souffrent en effet d’un manque

d’insonorisation, ce qui fait en sorte qu’éclats de voix et bruits forts sont entendus525

. Les

parents des participants, puis ces derniers, adoptent en conséquence une position de réserve

vis-à-vis des gens habitant près d’eux, qui n’est levée qu’en présence de personnes de qui

ils sont proches526

. Par la discrétion quant à leur situation personnelle et la fermeture de

l’accès à leur logement, ils protègent leur vie privée527

. Comme le mentionne une

participante, cette attitude n’a pas pour but « […] d’être sauvages… » (#01), mais bien de

placer des barrières afin de préserver l’intimité de chacun et ainsi la bonne entente et

l’harmonie. Cette loi non écrite qu’est la position de réserve comporte une facette de

tolérance528

résumée par la locution « vivre et laisser vivre ». Elle n’implique néanmoins

pas de fermer les yeux sur tout. Les points de discorde comme le bruit, le déneigement ou

l’utilisation de la cour arrière sont abordés lorsqu’il le faut. Déroger à la position de réserve

est également mal vu et les commères et les « coureuses » (#12), qui ne se mêlent pas de

524

Un participant donne un exemple en parlant de la lessive effectuée par sa mère : « Pis là, ses cuves, avec

du bleu à laver pour passer son linge parce que quand ça allait s’a corde c’tait blanc l’linge. Les voisines y

fallait pas, y fallait pas qu’y disent que l’linge est pas blanc, comprends-tu. Tout l’monde voyait l’linge de

tout l’monde. (rires) » (#07) 525

Le manque d’intimité n’est par contre pas alimenté par une éventuelle caractéristique du bâti faisant en

sorte que plusieurs ménages partageraient une même salle de toilette. Cette situation est très rare au sein de

notre corpus. Les logements sont exigus, de qualité variable, mais disposent en grand nombre d’une telle

pièce. Le recensement de 1951 révèle que 98,16% des logements occupés dans le quartier Saint-Sauveur sont

dotés d’une toilette avec chasse d’eau d’usage exclusif. Par ailleurs, la question de l’influence de cette

situation sur la vie intime des couples n’a pas été abordée avec nos participants. 526

Cette question fut considérablement fouillée dans la foulée des travaux fondateurs de Georg Simmel sur la

ville et la vie urbaine au tournant du XXe siècle, qui ont révélé qu’à l’accroissement des relations sociales

propres aux villes, dont le développement s’accélère à l’époque, correspondait un flétrissement de leur

densité, processus rationnel de défense face à de trop nombreuses stimulations. Voir, entre autres, Jean

RÉMY, « La grande ville et la petite ville : tension entre la forme de sociabilité et la forme esthétique », dans

Jean RÉMY (dir.), Georg Simmel : ville et modernité, Paris, L’Harmattan, 1995, coll. « Villes et entreprises »,

p. 64-65; Annick GERMAIN, « L’étranger et la ville », Revue canadienne des sciences régionales, 20/1-2

(printemps-été 1997), p. 238-240 et 242-243; Michel BONNET, « Les services de proximité. Révélateurs des

transformations des sociabilités urbaines », dans Michel BONNET et Yvonne BERNARD (dirs.), Services de

proximité et vie quotidienne, Paris, Presses Universitaires de France, 1998, coll. « Sciences sociales &

Sociétés », p. 21-22. 527

Chombart de Lauwe présente un portrait différent des milieux ouvriers français au tournant des années

1950. Il écrit : « Entre le voisinage et le logement, les barrières qui sauvegardent l’intimité sont légères. Les

gestes et les attitudes sont commentés sans dissimulation. Cette ouverture très grande qui est une charge pour

beaucoup d’intellectuels est dans la vie quotidienne des ménages ouvriers un gage de vérité et de liberté. Le

partage immédiat des peines et des joies est un besoin plus impérieux que la sauvegarde d’un intérieur

indépendant. » CHOMBART de LAUWE, op. cit., p. 80. 528

Elle fut aussi relevée par VALOIS, op. cit., p. 23.

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248

leurs affaires et qui vont souvent visiter leurs voisines, se le font parfois reprocher529

. Les

bavardages sur les situations privées ont toutefois un côté positif, celui de faire connaître

des situations pouvant susciter un élan de solidarité sous une forme quelconque. La position

de réserve n’empêche en effet pas de poser des gestes d’assistance, qui sont une

constituante relativement importante des relations de voisinage.

On se parle donc beaucoup530

, mais les contenus des conversations sont contrôlés. Les

rapports sont souvent de courte durée et surviennent toujours par hasard. Petit à petit, les

rencontres forgent néanmoins un état d’interconnaissance avec les voisins. On connaît leur

nom, leur emploi, leur provenance, etc. Les voisins ne se voisinent pas. Les relations de

voisinage se déroulent autour des logements ou dans les environs. Certains participants

entrent dans la cour arrière des voisins lorsqu’ils les y aperçoivent et vice-versa. Les voisins

d’immeuble, quant à eux, lorsqu’ils disposent des mêmes droits d’accès à la cour, s’y

rencontrent, se saluent et discutent à l’occasion. Les travaux d’entretien et de rénovation à

l’extérieur de l’immeuble, dans le garage et dans l’espace de la porte cochère sont aussi des

moments où les voisins, particulièrement les hommes, sociabilisent. Un participant (#03)

témoigne notamment du fait que ses rapports avec ses voisins se déroulaient surtout le

samedi, alors qu’ils travaillaient à l’entretien de leur demeure. Au même moment, leurs

épouses discutent parfois en étendant des vêtements sur la corde à linge, haut lieu de

sociabilités des femmes. « […] [Y] étendaient s’a corde à linge là, pis t’as tu su une telle, a

s’marie dimanche, a doit être pleine531

pis c’est ci pis ça, leurs conversations là, […] les

cordes se croisaient, c’était toute petit petit. » (#10) Les rencontres fortuites près de ces

cordes à linge, favorisées par la grande proximité, parfois la mitoyenneté, des immeubles,

529

Prêtres et curés mettent le commérage, par ailleurs, à profit afin d’identifier les familles ne remplissant pas

leurs devoirs chrétiens ou faisant preuve d’une moralité douteuse. Le curé de la paroisse Saint-Sauveur, en

1930, invite ses paroissiens lors de son prône dominical à informer les prêtres, lors de la visite dans les foyers,

de toute situation irrégulière : « Renseignez-le sur les désordres qui pourraient exister autour de vous. Devoir

de charité ! Secret du prêtre ! » Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap).

Paroisse Saint-Sauveur de Québec. Prônes. « Annonces à l’Église Saint-Sauveur du 4 février 1923 au 28

septembre 1930 », 31 août 1930. 530

« […] [Q]uand j’sortais avec maman pis papa là bonjour bonjour bonjour, inutile de tenir une conversation

avec maman pis papa. Fallait tu soyes assis dans leur lit pour leur parler à eux autres sans ça (rires). Moi

j’disais à maman vous d’vez être fatiguée quand vous arrivez à maison, de parler d’même tout l’temps. »

(#26) 531

Enceinte.

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permettent d’échanger des potins, comme y fait allusion cette participante, et aussi de

discuter d’autre chose ou simplement de se saluer.

Figure 4.2 – Vue arrière des maisons situées sur la rue Jolliet, 3 novembre 1944

Cette rue se situe dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce. On voit à l’arrière-plan le collège pour garçons de la

paroisse. Source : Archives de la Ville de Québec; série Législation et affaires juridiques du fonds de la Ville

de Québec; négatif N021769. Auteur : Service de police de la Ville de Québec.

S’asseoir sur son balcon, sur le perron ou directement sur le trottoir en face de chez soi est

une pratique courante parmi les membres de notre corpus. Elle est accentuée lorsque les

moyens financiers permettent peu la réalisation d’activités de loisirs payantes et également

lors des chaleurs estivales. L’étroitesse des rues et le grand nombre de déplacements à pied,

avant que le nombre de ménages possédant une automobile se multiplie durant les années

1950, font de ces périodes de détente et de ces déplacements des moments forts des

sociabilités de voisinage. Les participants et leurs parents discutent de balcons en balcons

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ou de perrons en perrons avec leurs voisins et les abordent alors qu’ils passent sur les

trottoirs ou lorsqu’ils se croisent lors de déplacements simultanés.

En raison d’une vie paroissiale animée et de pratiques de consommation guidées par la

proximité, la liste des lieux où se développent et s’entretiennent les sociabilités entre

voisins compte également, par ailleurs, des endroits moins axés sur les abords du domicile.

Nous retrouvons à ce sujet les parvis des églises, les centres paroissiaux, les cours d’école

et les différents commerces et services. S’ajoutent d’autres endroits dans le quartier et dans

la ville résultant du hasard des rencontres et de la popularité de certains lieux comme la rue

Saint-Joseph dans le quartier Saint-Roch, ou la terrasse Dufferin dans le Vieux-Québec.

Enfants, les participants se sont souvent vus refuser d’accueillir chez eux leurs amis, tant

par volonté d’intimité que par manque d’espace. Ils doivent ainsi demeurer dans la cour

arrière ou autour du domicile. Dans sept cas seulement, répartis dans les deux cohortes

d’âge du corpus, ils ont obtenu pour ce faire l’autorisation parentale. Cette fermeture de

l’espace privé s’applique aussi aux adultes. Aller prendre un café chez une voisine Ŕ cette

activité étant essentiellement féminine Ŕ ou encore recevoir des voisins pour une veillée est

rarissime. Le logement est réservé à la famille et aux quelques amis. Pour plusieurs

participants et parents de participants, entrer chez un voisin ou en recevoir un chez soi ne se

fait pas en raison des commérages qui peuvent en résulter. Baillargeon a soumis

l’hypothèse que l’absence désirée de ces visites peut refléter la volonté de préserver sa

respectabilité par la protection de son espace privé et/ou de cacher sa pauvreté532

. En regard

des pratiques des membres du corpus et des motivations qui les guident, il apparaît que

cette hypothèse tombe sous le sens. Comme le mentionne une participante, certains sont

toutefois ouverts à recevoir, mais pas à visiter : « […] [O]n était pas des voisineux ben ben.

Maman a jamais voisiné les voisins. Des fois y avait Mme Paradis à côté là. V’nez dont

m’jaser, vnez dont. V’nez, vous, madame ça m’fait plaisir. Mais a dit, non. A jamais été

[…] » (#17) Cette position peut s’expliquer par le fait que recevoir est un signe que l’on n’a

rien à cacher, alors que visiter est associé à de l’indiscrétion ou à de la sollicitation.

532

Denyse BAILLARGEON, « L’histoire des Montréalaises. Un chantier en construction », dans JAUMAIN

et LINTEAU (dirs.), op. cit., p. 113.

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Les rares visites effectuées ou reçues mentionnées par les participants, qu’elles soient

réalisées de jour ou de soir, ont essentiellement pour but de prendre un breuvage, de

participer à une veillée dansante ou de réaliser un geste d’assistance. Nous avons observé

que trois cas sur les cinq533

faisant état des deux premiers types d’activités (breuvage et

veillée) sont reliés à une implication communautaire ou associative paroissiale du

participant ou de sa mère. Les visites et les invitations sont rendues nécessaires par cet

engagement (réunions, planification d’événements, etc.) ou sont issues de liens amicaux qui

peuvent en découler. Dans certains cas, on peut, par ailleurs, chercher à s’attirer la

sympathie des voisins par le biais de ces visites et de ces invitations. Il est ainsi plus facile

d’être dans leurs bonnes grâces lorsque vient le temps de levées de fonds ou la vente de

billets pour des activités ou des événements.

L’entraide, dans des situations quotidiennes comme en cas de coup dur, rend légitime une

visite chez le voisin, mais la plupart du temps, elle se vit sur le pas de la porte. « C’est

d’l’entraide sans que, on s’mêle des affaires des autres. » (#20) Comme l’exprime

clairement cette participante, l’assistance mutuelle s’effectue dans le respect de

l’indépendance et de l’intimité d’autrui. Elle est relativement généralisée dans notre corpus

et constitue une part importante des relations de voisinage. Ces dernières sont ainsi placées

à la fois sous le signe de la discrétion et de la bienveillance. Nous reviendrons sur cette

facette de la vie locale plus loin en adoptant une approche décloisonnée afin d’analyser la

place de chaque catégorie de personnes côtoyées.

L’analyse des relations de voisinage des participants et des parents des participants durant

les années 1930 et 1940 dans le quartier Saint-Sauveur nous a permis d’identifier des

facteurs de différenciation, soit le fait d’habiter ou non dans le même immeuble,

l’ancienneté de résidence, le sexe, le statut socioéconomique et la saison de l’année. Dans

un premier temps, nous pouvons affirmer que les cas de rapports plus développés,

notamment au chapitre des visites, sont plus nombreux avec les voisins habitant à

l’extérieur de l’immeuble de résidence que ceux avec les voisins y demeurant. Une plus

grande proximité physique et l’insonorisation souvent inadéquate ou inexistante des

533

Sur les cinq cas, deux concernent une participante et sa mère avant elle (#26). La première reproduit ce

qu’elle a connu étant enfant et adolescente.

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logements d’un même immeuble sont ici en cause. Nous avons relevé également que ce

facteur dépend de la taille de l’immeuble. Les cas de liens plus développés avec des voisins

d’immeuble sont essentiellement vécus dans des édifices ne comptant que deux ou trois

logements. Les nombreux cas de grande réserve avec les voisins d’immeuble sont, quant à

eux, particulièrement présents dans des situations d’immeuble abritant plusieurs logements.

Nous supposions également que la position de réserve s’estompait lorsque des voisins

habitaient côte à côte pendant de nombreuses années, ce qui est effectivement le cas. Ces

liens sont parfois amicaux aux dires des participants. On parle de ces voisins à l’occasion

en utilisant leur prénom, alors que la plupart des voisins sont appelés par leur nom de

famille, précédé de « monsieur » ou « madame ». Dans un milieu où l’on tient à garder une

certaine distance par rapport à autrui, cette façon de nommer nous apparaît révélatrice des

liens noués.

En raison de la place occupée par les femmes dans les pratiques de consommation et dans

la vie domestique en général, leurs contacts avec le voisinage sont plus fréquents que ceux

des hommes. En œuvrant autour de leur domicile (corde à linge, cour, surveillance des

enfants, etc.), en réalisant les courses ou bien en accompagnant les enfants à l’école, les

femmes rencontrent plus souvent leurs voisines. En comparaison, les hommes de notre

corpus ainsi que les pères des participants ne peuvent voir leurs voisins que le soir et lors

des jours de congé. Des cas d’assistance mutuelle sont néanmoins relevés entre hommes,

tout comme des relations d’amitié. Les femmes ont surtout des liens avec leurs voisines et

les hommes, avec leurs voisins masculins. Cette distinction est perceptible lorsque des

membres du corpus parlent de leurs voisins de longue date, des participantes identifiant les

femmes par leur prénom et les hommes, par « M. » suivi de leur nom de famille, et vice-

versa.

En dépit de sa relative homogénéité socioéconomique entre 1930 et 1950, le quartier

Saint-Sauveur compte tout de même des ménages plus aisés que la moyenne. Les

participants sont en contact avec eux dès leur enfance. Les caisses d’économie scolaires,

qui ont pour but d’inculquer la notion d’épargne aux élèves, sont notamment l’occasion

pour les membres du corpus de comparer les revenus familiaux et sont la source d’un

certain rapport d’opposition envers ceux qui ont plus de moyens, rapport qui perdure au fil

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253

des ans534

. Adultes, leurs relations avec les ménages plus fortunés sont souvent limitées en

raison de ce rapport et de la perception de l’existence d’une barrière invisible entre eux et

ces gens et se résument par un « bonjour bonjour ». Les cas extrêmes d’opposition

s’expriment, quant à eux, par une attitude d’ignorance mutuelle. Dans d’autres cas

cependant, les relations avec ces ménages ne sont pas différentes de celles avec les autres

ménages.

Nous avons finalement observé que les relations de voisinage sont moins denses au cours

de la saison froide. S’asseoir sur les balcons, les perrons et les trottoirs de même que dans

la cour arrière n’est pas envisageable durant les mois d’hiver. L’étendage des vêtements se

fait à l’intérieur du logement. Les sources de contacts sont ainsi réduites. Lemieux, dans

son analyse d’un des romans les plus connus dont l’action se déroule dans le quartier Saint-

Sauveur, « Au pied de la pente douce535

», remarque que l’hiver y est absent. Il soulève la

question : « Cette absence signifierait-elle que pendant l’hiver québécois il ne passe rien de

significatif?536

» La vie locale n’est évidemment pas arrêtée, les centres paroissiaux étant

notamment ouverts douze mois par année, mais il est probable que les fluctuations

saisonnières des sociabilités de voisinage soient en cause dans cette absence.

Les relations de voisinage dans le quartier Saint-Sauveur sont ainsi nombreuses et sont

essentiellement composées de salutations et de discussions qui surviennent dehors et de

gestes d’entraide qui s’opèrent dans le respect de la vie privée de chacun, comme le résume

cette participante : « Y avait beaucoup d’communication, mais pas, pas nécessairement de,

de fréquentations. » (#25). L’investissement dans ces relations est orienté par une position

de réserve largement adoptée par les résidants. Cette attitude oscillant entre retenue et

implication envers ses voisins est perçue comme un moyen nécessaire pour protéger son

intimité et garantir la bonne entente. Il en résulte une évaluation positive, presque unanime

534

« Pis euh, la caisse, à l’école là, j’n’avais pas d’argent moi, pour mettre dans caisse pour ramasser

d’l’argent. Pis y avait, quand même, une, c’tait la fille d’un méd’cin. Elle arrivait le lundi, a l’avait toujours

une coupe de piasses à donner, moi des fois j’avais 10 cennes à donner. Pour la caisse d’économie. Mais

j’n’avais pas plus que ça chez nous, y étaient pas capables de m’donner c’qu’y avait pas. […] Déjà, à c’t’âge-

là, on commençait à s’apercevoir que dans la société, y a diverses classes, pis elle, ben, a nous montrait

qu’était d’la plus haute classe. » (#25) 535

Le roman a été écrit en 1944 par Roger Lemelin (1919-1992), un natif du quartier Saint-Sauveur. 536

Claude LEMIEUX, « Société urbaine et roman québécois », mémoire de maîtrise en sociologie, Québec,

Université Laval, 1981, p. 15-16.

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254

au sein du corpus, des relations de voisinage au cours de la période 1930-1950. Cette

évaluation et l’état d’interconnaissance font en sorte que les membres du corpus se sentent

en sécurité dans leur milieu537

. Le voisinage prend même des allures de grande famille.

Cette perception n’est par contre pas seulement alimentée par les voisins.

4.2.1.2 La famille, axe central des sociabilités

Les relations sociales vécues dans le quartier Saint-Sauveur sont plus approfondies avec la

famille proche (parents et fratries) et élargie qu’avec les voisins et d’autres catégories de

personnes au cours des années 1930 et 1940. Ces constats se retrouvent dans la production

scientifique portant sur les stratégies familiales et les sociabilités dans les milieux

populaires urbains nord-américains et européens. Comme nous l’avons mentionné au

deuxième chapitre, plusieurs membres de la famille proche et élargie des membres du

corpus demeurent à ce moment à proximité de ces derniers. « [P]arce que le noyau familial

était serré dans c’temps-là. » (#23) Comme l’évoque cette participante en justifiant le peu

de rapports avec ses voisins outre les salutations et les courtes discussions ici et là, la

famille constitue le pivot central autour duquel s’orientent plusieurs éléments de la vie

quotidienne.

Dès leur plus jeune âge, les participants sont en contact étroit avec les membres de leur

famille. Dans un contexte de fratries considérables, les loisirs impliquent presque toujours,

en plus des voisins, les frères et les sœurs des mêmes groupes d’âge. Les participants

s’amusent ainsi souvent en famille, ce qui inclut aussi les cousins et les cousines demeurant

à proximité du domicile, dans la paroisse ou ailleurs dans le quartier Saint-Sauveur. Ces

derniers sont présents dans diverses pratiques de loisirs : cour arrière, cinéma au centre

paroissial, parcs, etc. Les membres du corpus portent différents jugements sur la

participation de leurs parents à leurs activités de loisirs. Deux participants masculins (#05

et 29) soulignent que leurs pères s’impliquaient peu avec eux et leurs frères en raison

d’horaires de travail chargés. Quatre femmes (#10, 16, 18, 32) nous ont souligné, au

537

Un participant en témoigne en ces termes : « À l’instar de plusieurs personnes, a [sa conjointe] disait chez

nous on avait pas d’clé pour ouvrir la porte, y… Y avait pas d’serrures. À c’t’époque-là, les maisons comme

ça, où y avait, y avaient perdu les clés au boutte des années parce qu’y barraient jamais les portes. Y avait du

monde tout l’temps. Pis quand y v’naient pour barrer les portes y réalisaient, hein… Pu d’clés… Mais c’t’une

façon un peu humoristique de dire que les gens avaient pas besoin d’barrer leur porte. » (#22)

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255

contraire, que malgré leurs obligations, leurs pères furent bien présents durant leur

jeunesse. Ces participantes témoignent d’activités réalisées entre père et fille(s) ou avec

tous les enfants, souvent des promenades et une participation à des activités religieuses538

,

alors que la mère demeurait à la maison. L’une d’entre elles (#16) souligne que cette

dernière profitait de ces moments pour se reposer. Il est probable que des attentes

différentes, notamment des garçons, expliquent ces perceptions distinctes suivant le sexe.

Enfants et adolescents, les membres du corpus ont été témoins de visites fréquentes de

membres de leur famille proche et élargie et ont visité ces derniers, avec leurs parents ou

non, à de nombreuses reprises. Adultes, ils font de même, du moins jusque dans les années

1950, lorsque plusieurs facteurs changent la donne, comme nous le verrons plus loin. Les

liens avec la famille proche et élargie durant les années 1930 et 1940 ne se limitent pas à

des salutations, à des discussions impromptues ou à des appels téléphoniques, lorsque les

ménages sont pourvus du téléphone. Le logement, espace privé fermé aux voisins, est

largement ouvert à la famille, comme aux amis, la position de réserve étant, dans ces cas,

presque inexistante.

Des visites le jour ou le soir entre sœurs, belles-sœurs, cousines, mères et filles ponctuent

la vie quotidienne des mères des participants et des participantes. Les membres des réseaux

familiaux du mari semblent, sauf exceptions, un peu moins fréquentés, tant par ce dernier

seul que par le couple ou la famille. On prend un café, on se repose sur le balcon ou on

travaille en commun à la cuisine ou à l’entretien. Les familles s’entraident en effet, de

multiples façons. On se reçoit également pour des repas ou des veillées, pendant lesquelles

on joue aux cartes et/ou on danse. Ces occasions se produisent à tout moment dans l’année

et immanquablement lors des fêtes de fin d’année, véritables traditions. Exemple

d’assistance parmi d’autres, la collaboration est souvent de mise lors de ces événements en

raison de la charge de travail parfois imposante, non pas en regard de la complexité de

ceux-ci, mais bien du nombre de personnes en présence. On reçoit souvent une vingtaine,

voire une trentaine de personnes. Tournées de famille se succèdent à tous les ans, les

événements principaux de Noël et du Jour de l’An étant célébrés souvent chez les parents,

538

Deux participantes relatent également avoir été amenées par leur père, avec leurs sœurs, à des

rassemblements électoraux.

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256

puis chez les aînés lorsque les premiers ne peuvent plus les organiser en raison de leur âge

ou de leur état de santé. Des parents des participants, puis quelques-uns de ces derniers,

hébergent, par ailleurs, des membres de leur famille venus de la campagne en visite.

La fréquence des activités à caractère familial réalisées dans le logement est favorisée par

la proximité de plusieurs membres ainsi que par les situations financières, qui limitent

quelque peu les sorties à l’extérieur. Ces activités ne sont cependant pas le fait de tous. Une

participante et son mari (#02) de même que les parents du participant #09 ont peu visité ou

ont peu reçu en raison, d’une part, de préférences individuelles et, d’autre part, d’une santé

fragile du père. Les parents d’une autre (#18) ont reçu régulièrement, mais sans offrir de

repas, les moyens ne le permettant pas.

La cuisine, qui fait aussi office de salle à manger dans la grande majorité des logements,

est l’espace par excellence où se vivent les sociabilités familiales. Le salon est peu utilisé.

Dans certains cas, il n’a plus sa fonction première en raison d’une conversion en chambre à

coucher. Dans plusieurs autres, il revêt une vocation plus officielle, par exemple dédié à la

visite du curé ou à des réceptions particulières comme des noces ou des veillées funèbres.

La cuisine est par opposition une pièce vivante, constamment animée, où se trouve le poêle

qui fait aussi office dans plusieurs cas de mode de chauffage. Une porte y donne souvent

sur l’extérieur et constitue parfois la voie d’entrée principale dans le logement par

opposition à celle qui donne sur le salon.

« Comme les soirs étaient frais, les commères ne s’asseyaient plus sur les trottoirs avec

leurs chaises, leurs cousines et leurs belles-sœurs539

. » Comme l’a écrit Roger Lemelin,

observateur fin et critique des mœurs des résidants du quartier Saint-Sauveur, du clergé et

de la vie paroissiale, dans Au pied de la pente douce, les sorties en dehors du logement,

propices aux relations de voisinage, sont aussi le lieu de rassemblements avec les membres

de la famille demeurant à proximité. C’est aussi avec eux qu’on se promène et qu’on profite

des espaces verts et des parcs. Le mari d’une informatrice (#23) nous a raconté, par

exemple, qu’il avait assez de cousins demeurant sur le même segment de rue que lui pour

former, avec ses propres frères, deux sextuors pour jouer au hockey. Des membres d’une

539

Roger LEMELIN, Au pied de la pente douce, Montréal, Stanké, 1999 (1944), p. 146.

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même famille vont aussi jouer aux quilles ensemble, vont voir des spectacles au centre

paroissial, vont danser dans un établissement du quartier Saint-Roch ou encore partent à la

campagne ou à la plage les fins de semaine, autant d’activités donnant à la vie quotidienne

une forte teinte familiale.

4.2.1.3 Des acteurs et des lieux créateurs d’une ambiance personnalisée et chaleureuse

« L’épicier s’identifie beaucoup plus à la vie collective, dans son entourage, que tout autre

marchand. Il fait en quelque sorte partie du décor coutumier540

. » Les petits et moyens

épiciers sont en effet des figures locales marquantes jusqu’aux années 1960 au Québec, au

moment de l’adoption massive de nouvelles pratiques d’approvisionnement alimentaire.

D’autres acteurs, petits et moyens commerçants jusqu’aux années 1960 ainsi que les

bénévoles, les employés et les responsables des lieux et espaces de loisirs, de

divertissements et de vie communautaire et associative jusqu’au cours des années 1950,

jouent toutefois un rôle important dans la vie locale et particulièrement la vie paroissiale.

Les rapports entretenus avec eux et avec les autres clients, les membres d’organisations et

les participants aux activités diverses nourrissent parmi les membres du corpus la

perception selon laquelle la vie locale est non seulement empreinte de proximité, mais aussi

d’une ambiance chaleureuse et personnalisée, qui dynamise les liens de fidélité qui se

créent.

Nombre de commerçants ayant pignon sur rue à travers le tissu résidentiel du quartier

Saint-Sauveur occupent de petits locaux. Ces dimensions sont à échelle humaine, comme

en témoigne cette participante : « C’tait, c’tait plaisant parce que, […] chez G.M.541

, aussi

tsé c’tait plus p’tit […], pis c’était plus familier comme on pourrait dire […]. » (#15)

Plusieurs commerçants vivent dans l’immeuble où se situe leur établissement; certains

tiennent ce dernier dans leur logement même. Il prend alors la forme d’un comptoir installé

dans le salon ou occupe une ou deux pièce(s) et bénéficie d’un aménagement plus

540

M.V. GRATTON, « L’épicier de détail dans la province de Québec », mémoire de maîtrise, Montréal,

École des Hautes Études Commerciales de Montréal, 1943, p. 6. 541

Elle utilise toujours ces initiales pour parler de cette épicerie.

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258

complexe542

. Cette situation touche différents types de commerces et de services comme

des épiceries, des casse-croûte, des boutiques de vêtements et même des caisses

populaires543

.

Les lieux où les épiciers, les barbiers, les vendeurs de vêtements et tous les autres petits et

moyens commerçants exercent leur profession constituent des plaques tournantes des

sociabilités locales. Les participants et leurs parents y rencontrent leurs voisins et discutent

avec eux, tout comme avec d’autres clients ne demeurant pas dans les environs de leur

domicile. Certaines arrière-boutiques sont le lieu de rassemblement d’hommes. Ils y jouent

notamment aux cartes. Les salons de barbier, les tavernes et les casse-croûte sont aussi des

lieux importants de sociabilités masculines, aux allures de « club social » (#08)544

. Des

individus désoeuvrés passent une partie de leurs journées à l’intérieur des divers

établissements, discutant avec les commerçants et les clients. Ils les dérangent parfois par

un commérage jugé outrancier et outrepassant les frontières de la position de réserve,

comme le raconte l’épouse d’un participant ayant grandi elle aussi dans le quartier Saint-

Sauveur :

[N]ous autres on avait une école ici, l’école Notre-Dame-de-Pitié. Pis y avait

une tite épicerie ici. Pis y vendaient des bonbons à cenne. […] Mon Dieu

pauvre madame Routhier. Y n’ont tu eu d’la patience d’vendre des bonbons à

cenne. Y se sont tu faites voler… […] Ah c’tait terrible. C’tait un p’tit

ramassage de mémérages. La madame qui restait ici là, a faisait pas son

ménage, avant qu’j’achète là. A faisait pas son ménage. A passait ses journées à

aller s’asseoir su’l ti banc, pis à jaser, pis à jaser avec les autres qui rentraient

pour aller ach’ter. C’était terrible. (#24)

542

Une participante en donne un exemple frappant : « En face, y avait une famille Labonté. Le monsieur avait

perdu sa job, y travaillait pu. Et pour s’en sortir, la madame a transformé son salon en restaurant. Et a vendait

des frites, des hot-dogs, des hamburgers. Et pis y avait une machine à musique. Et pis c’te machine-là a jouait

à la journée les chansons d’Alys Robi. Ahhh… (en souriant) » (#23) Alys Robi (1923-2011), une chanteuse

native du quartier Saint-Sauveur, a connu une carrière internationale durant les années 1940. 543

Par exemple, les caisses des paroisses Notre-Dame-de-Grâce et Saint-Joseph occupent, lors de leur

ouverture en 1925 et en 1942 respectivement, les demeures d’un marguillier dans le premier cas et du

directeur dans le second. Elle migrent quelques années plus tard dans un espace mieux adapté et situé plus

près du cœur de la paroisse. [s.a], Livre souvenir 1924-1994, Québec, [s.n.], 1999, p. 52; DENAULT, op. cit.,

p. 213; propos du participant #08, ancien directeur-général de la caisse populaire de la paroisse Saint-Joseph. 544

Il en va aussi de même pour des bâtiments institutionnels. Le père d’une participante (#23) va, par

exemple, jouer aux cartes à la caserne de pompiers de la rue Aqueduc tous les dimanches avec ces derniers et

d’autres résidants des environs.

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259

Les commerçants et leurs employés sont eux-mêmes des acteurs importants des

sociabilités locales. Les rapports avec leurs clients sont nombreux, comme les relations de

voisinage, et ne sont pas seulement de nature marchande. Les visites sont notamment

l’occasion d’échanger545

. Comme l’évoque une participante, on se salue et on discute

également lorsqu’on se croise sur le trottoir ou sur le seuil des établissements : « […] [O]n

arrivait d’in magasins pis l’monde était toujours, pis y v’naient nous voir pis y nous

parlaient. Ça placotait, pis des fois, quand y avait personne dans l’magasin, c’tait à porte du

magasin pis ça jasait avec tout l’monde pis ces affaires de même tsé. » (#32)

Comme le mentionne une autre participante, les rapports des commerçants et des

employés avec les clients sont personnalisés : « C’était amical hein, tout l’monde se

connaissait. Quand y t’voyait arriver, le monde connaissait le nom d’la personne qui

arrivait. Y pouvait, y pouvait quasiment y dire son prénom… C’est certain tout l’monde se

connaissait. C’est certain c’tait pas gros comme aujourd’hui, et c’est moins impersonnel

que ça l’est. Aujourd'hui on connaît pas tout l’monde, mais dans c’temps-là tout l’monde se

connaissait. Tout l’monde se saluait, pis euh… » (#25) Plusieurs facteurs concourent à

produire cette atmosphère.

La fréquence des visites, la fidélité ainsi qu’une clientèle et un nombre d’employés limités

sont notamment en cause. Lorsque la réussite est au rendez-vous et que l’entreprise traverse

les années, des mouvements de transmission familiale peuvent s’opérer si la relève, en toute

connaissance de cause, car impliquée dès le plus jeune âge, décide de prendre le flambeau.

Les participants sont témoins, par exemple, de passations de père en fils dans un garage,

des quincailleries, un salon de barbier, une pharmacie, des épiceries et une échoppe de

menuisier. Ils demeurent ainsi en terrain familier. Dans les cas de changements de

propriétaires sans transmission familiale, de nouveaux liens sont à créer, mais en regard de

la fréquence des visites dans certains types d’établissements et des attributs généraux du

tissu commercial, ce processus peut être relativement rapide.

545

Un participant parle de ses visites chez un quincaillier en ces termes : « Quand j’arrivais chez l’père

Brousseau, j’allais acheter une boîte de clous, ben ça m’prenait, j’allais là une demi-heure, y commençait à

m’parler. Y était, dans c’temps-là, y était déjà âgé, y avait déjà 70 ans, pis moi j’avais 30 ans tsé. Y jasait de

toutes sortes d’affaires, pis moi ça m’intéressait. Faque quand on allait chez les marchands là, c’tait tout le

temps de même. On jasait de toutes sortes d’affaires, pis des fois y avait d’autres clients… (rires). » (#04)

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260

Le fait que les noms des propriétaires ornent les vitrines ou les marquises est un autre

déterminant du caractère personnalisé des relations entre commerçants et clients. Les noms

des petits, moyens et parfois grands commerces et industries au Québec à l’époque réfèrent

en effet bien souvent à une « dénomination de personne »546

, c’est-à-dire au nom de famille

des propriétaires: l’épicerie Côté, le garage Lavoie, la quincaillerie Morency, la bijouterie

Gagnon, la salle de quilles Vallières, la manufacture Gosselin Shoes, les magasins Paquet

et Pollack, la manufacture de biscuits Leclerc, etc. Dans le quartier Saint-Sauveur, rares

sont les petits commerces et lieux de services abordés par les membres du corpus dont les

noms ne réfèrent pas à ce mode de dénomination547

. Ils mentionnent, par exemple,

l’épicerie Super, la Pâtissière et la Saucisse Hygiénique. Nous avons également observé

une forme d’identification personnalisée des commerces et services, profondément ancrée

parmi les membres du corpus, qui correspond ou non au véritable nom de l’établissement.

Des participants font état, par exemple, de leurs achats ou de ceux de leurs parents chez

Côté (épicerie Côté), chez Bisson (Au Syndicat de St-Malo548

) ou chez Montreuil les

légumes (Épicerie Super), alors que d’autres utilisent le nom exact de l’établissement.

Plusieurs de ces appellations particulières sont partagées par plus d’un participant. Certains

alternent entre ces dernières et les noms officiels pour un même établissement. De cette

forme d’identification ressort l’impact de la localisation de certaines unités dans les

domiciles de leurs dirigeants ainsi que le rapport personnalisé qui se crée, tant par les

pratiques d’achat que par la connaissance des divers commerçants des environs.

« Les commerçants, c’était, y étaient ben gentils euh… […] Ah mon Dieu oui eux autres y

étaient prév’nants hein Madame, est-ce qu’on peut vous aider, pis euh, voulez-vous ci,

voulez-vous ça, là tsé, y étaient vraiment… délicats là, tsé, y t’envoyaient pas prom’ner

là… […] Quand on d’mandait un service y nous l’donnaient. » (#16) Par l’utilisation des

termes « gentils », « prévenants » et « délicats », cette participante résume les propos des

membres du corpus quant à l’attitude des petits et moyens commerçants locaux envers leur

546

Ce type de nom commercial a des racines historiques profondes ne se limitant pas au Québec. Henri

SIMON, Le nom commercial, Montréal, Wilson & Lafleur/Sorej, 1984, p. 15. 547

Le journal paroissial de Saint-Sauveur, L’Étincelle du Sacré-Cœur, renforce, de plus, ce constat de rareté.

Par exemple, en décembre 1960, une liste de 49 épiceries et épiceries-boucheries offrant des rabais sur

quelques produits est publiée. Seulement deux de ces établissements ont un nom commercial ne référant pas à

une dénomination de personne. Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap).

Paroisse Saint-Sauveur de Québec. Journal paroissial L’Étincelle du Sacré-Cœur, 9 décembre 1960. 548

Magasin de vêtements.

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clientèle. Accommodants, aimables, « approchables » (#17), ces derniers sont l’objet d’une

perception fort positive. Globalement, les membres du corpus témoignent de rapports

chaleureux avec les commerçants, que leur établissement soit fréquenté ou non549

. Les cas

de mauvaises expériences sont relativement peu nombreux au sein du corpus; ils mènent à

l’abandon des lieux concernés550

.

L’attitude des commerçants de même que les divers gestes qu’ils posent peuvent certes

provenir de bonnes dispositions individuelles. Il n’en demeure pas moins qu’ils répondent

aussi à des nécessités liées au modèle commercial en place, comme en témoigne cette

participante :

Ouin l’monde des magasins là, ça s’parlait, c’tait l’fun, pis… Ça été, ça aidait

là, y étaient très sympathiques l’monde. Hum. (Courte pause.) Mais fallait aussi

ça soye de même, parce que y en avait comment, un à toutes les coins d’rue.

[…] R’garde su’l boul’vard Langelier, y en avait une, deux, trois, quatre, cinq.

Y n’avait cinq su’l boul’vard Langelier. L’épicerie pis la viande. Faque… […]

Fallaient… qu’y attirent l’monde. Fallaient qu’y attirent l’monde. (#32)

Dans un contexte de concurrence avec les unités des environs, du quartier Saint-Sauveur et

d’autres secteurs de Québec, particulièrement de la rue Saint-Joseph dans le quartier Saint-

Roch, et de marge de manœuvre financière plus ou moins restreinte, petits et moyens

commerçants doivent conserver leur clientèle, en travaillant à développer et à entretenir des

liens de fidélité, et accroître le nombre de gens franchissant le seuil de leur porte. Présents

quotidiennement dans leurs établissements, ils sont responsables de chaque aspect du

processus d’achat. Gentillesse, facilitation des achats, confiance et assistance constituent

autant d’impératifs nécessaires à la prospérité ou au simple maintien de l’entreprise.

Diverses stratégies sont ainsi mises de l’avant par les commerçants. Plusieurs petits gestes

d’attention visent à séduire le client présent et futur : l’appeler par son nom, donner des

bonbons à ses enfants, se tenir sur le pas de la porte et saluer les passants, échanger ou

rembourser de la marchandise abimée ou en mauvais état, ne pas être trop à cheval sur

l’heure de fermeture551

, financer les œuvres paroissiales, etc. Par la livraison, gratuite, et les

549

Polis, courtois et efficaces sont, quant à eux, les qualificatifs utilisés par plusieurs en parlant des employés

des grands commerces de la rue Saint-Joseph dans le quartier Saint-Roch. 550

Les causes les plus fréquentes sont la malpropreté des lieux et le caractère antipathique du commerçant. 551

C’est-à-dire repousser sa fermeture en raison de visites et de commandes tardives.

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commandes prises à domicile ou par téléphone, on recherche spécifiquement la satisfaction

des clientes, les femmes étant bien souvent en charges des pratiques d’achat de denrées

alimentaires. On s’attache également un bon client ou on tente d’en attirer un qui nous

semble intéressant en embauchant l’un de ses enfants. Il apparaît ainsi que le désir de plaire

à la clientèle peut protéger dans une certaine mesure ce jeune homme ou cette jeune fille

d’une utilisation abusive de ses services. Taschereau soulève par contre un inconvénient à

cette pratique, soit l’impasse créée lorsque cet employé n’offre pas un bon rendement. Un

congédiement peut signifier la perte d’un client, ce qui nécessite un calcul coûts/bénéfices

relatif à la présence de cet employé552

. Des situations délicates peuvent, par ailleurs,

susciter des actes d’assistance, soit le don de certains biens de nécessité courante en

situation grave comme un décès ou une maladie. Ces gestes donnent alors une toute autre

dimension à la relation entre le commerçant et son client.

« Faire marquer », expression consacrée, constitue un service nécessaire à la fois pour le

commerçant, désirant attirer et garder sa clientèle, et pour le client, dont les liquidités sont

parfois manquantes. Le crédit, acte de facilitation des achats, de confiance et d’assistance,

est un aspect majeur de la relation entre l’acheteur et le vendeur, car il crée des liens

d’interdépendance entre les deux. Il est utilisé par un grand nombre de membres du corpus

pour leurs achats dans les petits et moyens établissements du quartier, même par ceux qui

ont une attitude plutôt négative envers lui553

. Les commerçants spécialisés dans la vente de

vêtements ou de biens divers ne peuvent toutefois compter seulement sur le crédit pour

attirer la clientèle, de grands commerces de la rue Saint-Joseph comme Syndicat l’offrant

également par le biais de la vente à tempérament. Les autres stratégies sont alors d’autant

plus importantes.

Les membres du corpus soutiennent qu’ils ont remboursé à chaque fois les sommes dues,

d’un seul coup ou par versements, tout comme leurs parents avant eux. Des participants

ayant travaillé dans des épiceries relèvent également peu de cas de crédit non remboursé ou

refusé en raison de sommes accumulées trop importantes. L’un avance : « J’me souviens

pas qu’on ait dû déchirer une feuille là tsé, parce qu’y ont pas payé. Comme j’te dis l’sens

552

TASCHEREAU, op. cit., p. 329. 553

Il est considéré acceptable en vertu du caractère vital des dépenses, dont celles en alimentation.

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d’honneur était là. » (#08) Ce sens de la parole donnée est très perceptible chez plusieurs

membres du corpus et fait référence, dans ce milieu populaire, aux valeurs de dignité et de

fierté associées au fait de régler ses comptes et de remplir ses engagements malgré des

revenus limités et une vie déjà bien chargée554

. Le souci de payer ses dettes se justifie

également par le fait que les petits et moyens commerces et services sont des lieux de

commérages sur les clients et les résidants des alentours555

. On ne désire pas être la cible de

ragots et que la réputation du ménage soit entachée; on voit donc à ce que l’ardoise

redevienne régulièrement vierge.

Les gestes d’assistance, l’interdépendance propre au crédit et plus généralement les

rapports personnalisés et l’ambiance chaleureuse produisent parfois entre commerçants et

clients des liens plus développés que ceux noués avec les voisins. Ils discutent de sujets qui

ne sont pas abordés avec ces derniers. Cette situation a même favorisé l’éclosion de

rapports amicaux entre des pères de membres de notre corpus et certains de leurs

commerçants.

Nous avons aussi observé des sociabilités avec les bénévoles, les employés et les

responsables des lieux et espaces de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et

associative. Elles sont néanmoins sensiblement moins développées, en fréquence et en

intensité, qu’avec les petits et moyens commerçants. Les rapports sont, sauf exceptions,

moins personnalisés. Des conversations sont réalisées, par exemple, avec les gérants des

salles de quilles, les responsables des bingos, la serveuse du casse-croûte du centre

paroissial et les bénévoles impliqués dans l’organisation de soirées dansantes. La forte

animation locale qu’ils suscitent et entretiennent est par contre fort appréciée.

Les lieux et espaces de loisirs et de divertissements paroissiaux et commerciaux comme

les salles de quilles, les activités et événements paroissiaux comme les bazars, l’implication

dans l’organisation de ces derniers et l’adhésion et la participation à divers mouvements,

groupes ou associations sont autant de lieux et d’occasions par lesquels les membres du

554

Sur cette question de la dignité, voir, entre autres, Richard HOGGART, La culture du pauvre : étude sur le

style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, 1970 (1957), p. 123-125. 555

Cette situation n’est pas propre aux années 1930-1960. Voir notamment Christopher HOSGOOD, « The

“Pigmies of Commerce” and the Working-class Community in England, 1870-1914 », Journal of Social

History, 22/3 (print. 1989), p. 447-448.

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corpus et leurs parents entrent en contact avec d’autres personnes, ce qui accroît le rôle

significatif joué par la vie paroissiale dans la socialisation des résidants du quartier Saint-

Sauveur ainsi que le sentiment d’appartenance à sa paroisse. La vie associative mène, dans

certains cas, à la formation de liens amicaux. La barrière de la réserve semble levée ou, du

moins, plus ténue dans ces situations mettant en scène des individus ne demeurant pas à

proximité de chez soi; un gage de préservation de la vie privée croyons-nous. Ces liens

stimulent en retour le désir de demeurer impliqué.

4.2.1.4 Amitiés : beaucoup d’appelés, peu d’élus

Les hommes et les femmes que nous avons rencontrés nous ont fait part, tant pour leurs

parents que pour eux-mêmes, du fait que les cercles d’amis à l’âge adulte furent fort

restreints durant les décennies 1930 et 1940. La composition et l’envergure de ces cercles

reflètent la nature des sociabilités vécues dans le quartier Saint-Sauveur avec les différentes

catégories de personnes examinées jusqu’ici. Les membres du corpus ont un nombre élevé

de contacts personnels, mais le nombre d’individus qu’ils considèrent comme étant des

amis, c’est-à-dire pour qui la barrière de la réserve est levée et avec qui ils se prêtent à

différentes activités à l’extérieur comme à l’intérieur du logement, est relativement faible.

Les amis mentionnés sont la plupart du temps des collègues de travail. Pour les

participantes mariées, il s’agit des collègues de leurs époux et exceptionnellement de

femmes connues lors des trajectoires professionnelles vécues avant le mariage. Les liens

sont tissés sur le lieu d’emploi ou après les quarts de travail. La participation, seul, en

couple ou en famille, aux différentes activités organisées par des comités d’employés et de

cadres est aussi source de liens ou d’approfondissement de liens entre travailleurs ou encore

entre conjointes de travailleurs. Ligue de quilles et de badminton ou soirées dansantes sont

autant d’activités permettant de rencontrer des gens et de consolider les liens créés sur le

lieu de travail. Il résulte de ces amitiés professionnelles des sorties de couples au cinéma ou

encore dans une salle de danse et des fréquentations à domicile. Lorsque les deux ménages

ne demeurent pas très loin l’un de l’autre, nous avons relevé des visites entre les femmes le

jour.

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Du terreau de la vie associative germent aussi quelques liens d’amitié. Les individus

concernés sont souvent des membres côtoyés au fil des réunions et des séances, mais

suivant le même processus que dans le monde du travail, les activités familiales qui sont

organisées contribuent aussi à la naissance de couples d’amis, qui se reverront pour des

soirées de cartes ou une sortie dans un cabaret par exemple. La localisation et l’aire de

recrutement des associations, des groupes et des mouvements font en sorte que ces amitiés

se répartissent dans la paroisse de résidence, dans le quartier Saint-Sauveur et ailleurs à

Québec.

La longue durée de résidence dans une paroisse ou dans le quartier explique en partie, par

ailleurs, la présence de vieilles amitiés, tissées parfois lors du passage sur les bancs d’école

et toujours vivantes au moment des interviews. Cette stabilité aide la poursuite de telles

relations, mais sans la déterminer, car elles peuvent théoriquement survivre à un

déménagement. Demeurer à proximité l’un de l’autre à long terme semble cependant la

favoriser en diminuant les probabilités que les personnes concernées se perdent de vue.

Une participante (#12) a fait état, pour sa mère, d’une amitié avec une voisine durant la

période 1930-1950. Elles se visitent régulièrement et s’épaulent mutuellement. Aucun autre

cas d’amitié avec des voisins n’a été exprimé par les membres du corpus pour cette période

malgré le grand nombre de contacts personnels dans le voisinage et la fréquence des

rencontres. La position de réserve vient ici entraver l’approfondissement des liens.

Le faible nombre d’amis s’explique autant par cette position de réserve que par la force

des sociabilités familiales. On ne sent pas vraiment le besoin de nouer des relations

d’amitié afin de socialiser ou de meubler les temps libres, car on socialise déjà

considérablement et les membres de la famille, surtout dans une situation où plusieurs

demeurent à proximité, offrent une multitude d’occasions de rencontres et d’activités.

Certaines personnes dans la famille sont considérées elles-mêmes comme des amies

lorsqu’un participant en est particulièrement proche. À l’inverse, certains amis d’enfance

sont considérés comme faisant partie de la famille ou intègrent même la famille556

.

556

Dans un milieu favorisant des rencontres puis des mariages entre résidants d’une même paroisse, une amie

d’enfance de la participante #32 est notamment devenue sa belle-sœur.

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4.2.1.5 L’assistance : s’organiser et supporter

Avant l’avènement de l’État-Providence et la hausse notable du pouvoir d’achat après la

Seconde Guerre mondiale, la plupart des ménages québécois demeurant dans un quartier

populaire comme Saint-Sauveur de Québec disposent d’une marge de manœuvre financière

plus ou moins limitée. Personne n’étant à l’abri des coups du sort, l’assistance, informelle

ou organisée, sporadique ou fréquente, est un phénomène bien présent, tant en aval qu’en

amont des problèmes. La solidarité se matérialise par des gestes simples auxquels

s’ajoutent des initiatives d’envergure plus considérable lorsque nécessaire. La famille, le

voisinage et divers acteurs locaux sont les principaux leviers de l’assistance. Les ménages,

et notamment les membres de notre corpus et leurs parents, sont réticents à utiliser les

services d’assistance organisés557

. Ce n’est que lorsque ces leviers ne suffisent plus, qu’ils

sont absents dans le cas de la famille ou qu’ils ne sont pas impliqués en matière d’entraide

dans le cas des voisins et des acteurs locaux que ces services sont sollicités.

Plusieurs de ces services relèvent de la paroisse. L’État reste peu présent dans le domaine

de l’assistance. Les législateurs québécois et canadiens ne considèrent pas qu’il est de leur

responsabilité de s’immiscer dans la sphère privée. Par tradition, ils laissent notamment à la

famille, à la paroisse et aux organisations charitables agissant à des échelles plus larges le

soin de s’occuper de ceux qui en ont besoin558

. Depuis le troisième quart du XIXe siècle

cependant, des mesures comme la mise sur pied d’un réseau québécois d’écoles de réforme

et d’écoles d’industrie financé par les deniers publics provinciaux559

(1869) et l’adoption de

la Loi québécoise sur l’Assistance publique (1921) font en sorte que l’État québécois assure

une certaine présence dans le domaine560

. Pour la ville de Québec, la Société Saint-Vincent-

557

Hoggart, dans son étude des milieux populaires anglais des années 1920 à 1950, relève cette réticence et

l’explique par une certaine fierté et une peur d’être associé aux plus miséreux. HOGGART, op. cit., p. 124.

Au Québec, Bonnier l’a également observée et a identifié des raisons similaires dans son analyse de l’entraide

dans une paroisse montréalaise entre 1930 et 1945. BONNIER, op. cit., p. 94-95. 558

Voir, notamment, à ce sujet, Jean-Marie FECTEAU, La liberté du pauvre. Crime et pauvreté au XIXe

siècle québécois, Montréal, VLB Éditeur, 2004, 464 p. 559

Institutions prenant en charge les enfants et les adolescents jugés respectivement délinquants et en besoin

de protection (orphelins, abandonnés, violentés, etc.). Voir notamment Dale GILBERT, « Assister les familles

de Québec. L’école de réforme et l’école d’industrie de l’Hospice Saint-Charles, 1870-1950 », Revue

d’histoire de l’Amérique française, 61/3-4 (hiver-printemps 2008), p. 469-500. 560

Magda FARHNI, Households Politics : Montreal Families and Postwar Reconstruction, Toronto,

University of Toronto Press, 2005, p. 44; Johanne DAIGLE et Dale GILBERT, « Un modèle d’économie

sociale mixte : la dynamique des services sociaux à l’enfance dans la ville de Québec, 1850-1950 »,

Recherches sociographiques, XLIX/1 (2008), p. 113-114.

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de-Paul agit souvent comme médiatrice entre les familles pauvres et les pouvoirs publics,

notamment au chapitre du financement lorsqu’il s’agit de recourir aux institutions comme

les hôpitaux, les orphelinats, les hospices, les écoles d’industrie, etc. Le Secrétariat des

familles de Québec, une agence sociale privée émanant de la Société Saint-Vincent-de-

Paul, détient même l’exclusivité des placements institutionnels de 1927 à 1943561

.

Les spécificités des relations sociales vécues avec les membres de la famille, les voisins et

les commerçants et autres acteurs locaux influencent la nature des expériences d’assistance

vécues par les membres du corpus et leurs parents. Nous présentons donc ces expériences

par le biais de ces catégories de personnes. Nous analysons par la suite les pratiques

d’utilisation de services organisés.

Le support mutuel contribue à la place centrale occupée par les membres de la famille

proche et élargie dans les sociabilités. Il est bien servi par la proximité des domiciles de

plusieurs membres. C’est en partie en raison de ce support que certains ménages choisissent

d’habiter près de membres de leur famille. L’assistance familiale se vit surtout avec les

membres habitant dans le voisinage, la paroisse, le quartier Saint-Sauveur ou en périphérie

immédiate de celui-ci. Dès leur jeunesse, les participants sont appelés à rendre divers petits

services à leurs grand-parents ou à leurs oncles et tantes, comme leur apporter des biens

donnés par leurs parents ou faire des courses pour eux. L’arrêt de la scolarité et l’entrée sur

le marché du travail des membres du corpus sont aussi parfois justifiés par la nécessité de

mettre l’épaule à la roue pour aider les parents à subvenir aux besoins du ménage, comme

nous en faisions mention au deuxième chapitre.

À l’âge adulte, les champs de l’assistance familiale sont plus diversifiés. Elle se vit en

premier lieu à travers une foule de petits gestes d’entraide sporadiques ou fréquents comme

le gardiennage des enfants lorsque les mères des participants ou les participantes sortent

faire des courses ou lorsqu’elles accouchent, l’échange de conseils divers sur la couture ou

la cuisine ou encore le don de vêtements d’enfants encore en bon état. Le visage de cette

entraide est essentiellement féminin. Les hommes, quant à eux, s’échangent surtout des

services en matière de rénovations et d’entretien extérieur. Ils sont présents

561

Voir DENAULT, op. cit.; et le volet « Secourir et encadrer : les bonnes œuvres » de l’exposition virtuelle

Naître et grandir à Québec, 1850-1950, par Daigle et Gilbert, au http://expong.cieq.ca.

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268

occasionnellement dans le gardiennage562

. L’assistance peut prendre aussi une consistance

plus considérable lorsque les situations le requièrent. L’hébergement d’un parent, d’un

grand-parent, d’une soeur ou encore d’un oncle pour une certaine période de temps en

raison de la maladie, de l’âge avancé ou de difficultés familiales est en un bon exemple. La

cohabitation de parents et d’un couple nouvellement marié se fait aussi parfois pour des

motifs de solidarité familiale lorsque les revenus des uns ou de l’autre sont limités.

L’assistance familiale s’est révélée, par ailleurs, fort utile lors de la Crise économique des

années 1930. Elle le fut tout autant dans le contexte des difficultés d’approvisionnement

reliées à la Seconde Guerre mondiale. Les participants furent témoins de gestes d’entraide

qui leur permirent parfois littéralement de manger, comme, par exemple, l’envoi de denrées

offertes par un oncle commerçant durant la Crise (#16).

La position de réserve observée dans les relations de voisinage n’est pas un frein à

l’échange de services et de biens entre voisins au quotidien et lors de moments plus

difficiles563

. Ces échanges se réalisent cependant dans le respect de l’intimité du ménage,

souvent sur le pas de la porte564

. Comme pour l’assistance familiale, l’entraide entre voisins

se matérialise par une diversité de petits gestes. Elle présente un visage surtout féminin et

elle est servie par la proximité physique des ménages dans ce quartier densément bâti et

peuplé565

. Elle oscille entre une relative ouverture à laisser connaître sa situation et une

indépendance plus marquée, cette dernière attitude étant notamment motivée par de

mauvaises expériences ou la peur de laisser croire en une pauvreté ou de la dévoiler. On

exprime directement notre demande ou une situation créant chez l’autre un désir d’entraide

en se rencontrant par hasard, en allant frapper à la porte ou même, profitant du manque

562

Le beau-père d’une participante fut sa « gardienne préférée » (#26) lors de sorties et de ses deux

accouchements. 563

Roberts, pour l’Angleterre, et le collectif CourtePointe, pour le quartier Pointe Saint-Charles de Montréal,

y ont vu, aux dires des personnes rencontrées, l’influence de préceptes religieux encourageant à aider son

prochain. On ne nous a pas mentionné ce facteur, mais il est fort probable qu’il ait été présent, curés et

vicaires valorisant l’entraide entre membres de la famille, entre voisins et entre membres d’un même groupe,

mouvement ou association. ROBERTS (1984), op. cit., p. 184; Collectif CourtePointe, op. cit., p. 40. Pour un

exemple du discours clérical, voir Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap).

Paroisse Saint-Sauveur de Québec. Prônes. « Cahier des annonces à l’église St-Sauveur du 8 décembre 1947

au 26 août 1950 », 15 janvier 1950. 564

Dans les cas de gardiennage, ce ne sont que les enfants qui entrent. 565

Bonnier note dans une étude portant sur la période 1930-1945 que l’entraide en milieu populaire est parfois

plus accessible entre voisins qu’entre membres de la famille lorsque ces derniers ne demeurent pas à

proximité. BONNIER, op. cit., p. 71-72.

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d’insonorisation ou des fenêtres ouvertes, en se hélant566

. Parmi les services rendus, nous

avons relevé la garde d’enfants, l’échange de conseils, des dons de vêtements et de

nourriture567

, le partage de biens comme le téléphone à une époque où il n’est pas encore

généralisé568

et l’échange de services entre hommes dans les domaines de la mécanique

automobile ou de la rénovation. Le cas d’adoption par les parents d’une participante (#28)

d’un enfant vivant dans un ménage reconstitué, dans lequel la seconde épouse du père

présentait un comportement hostile envers les enfants du premier lit, paraît être un geste

d’assistance inusité. Aucun prêt ou don d’argent n’a été mentionné. Trois participantes

(#12, 28 et 32) nous ont finalement fait part que leurs mères569

avaient exercé un rôle

important dans le voisinage en assistant plusieurs voisines ne pouvant se payer les services

d’un médecin au moment de l’accouchement570

. « Y s’organisaient, tsé. Fallait qu’y

s’organisent. » (#32) Cette participante, dont la mère joua le rôle de sage-femme, résume

ainsi l’assistance mutuelle entre voisins. En dépit du fait que les gens tiennent généralement

à ne pas se mêler des affaires des autres, l’entraide est bien présente dans ce quartier

populaire. Elle est particulièrement marquée dans les situations de longue durée résidence

dans un logement, situations qui favorisent le renforcement des relations.

Simples citoyens, commerçants, médecins et prêtres jouent aussi parfois un rôle

d’assistance et font preuve de solidarité. Par exemple, la participante #16 a témoigné de

l’impossibilité pour son père de louer des bancs à l’église pour placer sa famille composée

à son apogée de treize enfants, ce qui les condamnait à rester debout. Par altruisme

néanmoins, des paroissiens leur ont accordé régulièrement le droit d’occuper leurs places

libres. Plusieurs membres du corpus ont également profité ou ont été témoins de gestes

d’assistance des petits et moyens commerçants tenant boutique au sein du tissu résidentiel

566

Une participante raconte à ce sujet : « Ah ben ça rendait service par exemple, oh oui. Ça j’sais ben que…

Quand maman était malade là, des fois là, j’avais besoin, j’avais juste à crier à côté, pis y v’naient. » (#17) 567

Dans un des cas, une voisine donne des plats cuisinés à une des participantes les plus pauvres de notre

corpus, qui a deux enfants (#06). D’autres situations concernent des dons de légumes cultivés dans un

potager. 568

Selon le recensement de 1951, 64,71% des ménages du quartier Saint-Sauveur disposent d’un téléphone au

domicile. Deux cas de partage ont été relevés (#02 et les parents de la participante #32). La participante #32

souligne que chaque ménage utilisateur payait une partie des coûts de la ligne téléphonique. Elle précise que

ce partage a requis une relation particulièrement bonne, car il nécessitait d’entrer dans le logement de la

personne qui possédait le téléphone. 569

Notons que ces trois femmes sont mariées à des hommes propriétaires de leur immeuble. 570

Le même phénomène est notamment observé dans le quartier Pointe Saint-Charles à Montréal durant les

années 1930, 1940 et 1950. Collectif CourtePointe, op. cit., p. 34.

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du quartier et des cultivateurs vendant leurs produits dans les marchés publics. Ils offrent

parfois de l’aide lorsqu’un coup dur frappe une famille cliente de leurs établissements en

accordant un crédit à long terme571

ou en donnant littéralement des denrées, sur demande

du client572

ou par initiative personnelle573

. D’autres commerçants, sans donner, font preuve

de compréhension vis-à-vis de la situation financière ou les événements malheureux vécus

par leur clientèle de différentes manières. Ils acceptent des échanges de services, de la

nourriture contre des rénovations par exemple, et des retours de marchandise, comme un

berceau acheté puis rendu inutile en raison d’une fausse couche. Ces gestes d’entraide

contribuent ainsi à faciliter la vie des participants et de leur famille et cimentent d’autant

plus la fidélité. Ce rôle d’assistance joué par certains de ces petits et moyens commerçants

constitue l’une des manifestations de leur statut d’élites locales. Composées de

commerçants, des directeurs des établissements financiers, de dirigeants d’œuvres et

d’organisations paroissiales, des vicaires, des curés, des échevins, des députés et d’autres

notables, les élites locales exercent un certain pouvoir sur l’orientation de la vie locale

québécoise en disposant d’un capital d’assistance et de patronage, en finançant divers

événements et en siégeant sur divers comités comme les conseils de fabrique paroissiaux,

les conseils de paroisses et les conseils d’administration des institutions financières. À

l’exception des échevins et des députés, leur sphère d’action et d’influence se concentre en

grande partie, mais pas exclusivement, dans les paroisses et le quartier574

.

571

Un épicier fournit en pain et en lait la famille d’une participante (#25) dont le père est victime d’un

accident de travail pendant cinq mois en 1948. À ce moment, les membres de la famille sont dans

l’impossibilité de les secourir. 572

Une participante raconte : « Pis y en avait, c’tait toutes les cultivateurs des alentours qui allaient… au

marché d’Saint-Roch. Papa, lui, les fins d’semaine là, y attendait vers la fermeture, vers 10h l’marché fermait.

Puis lui y allait un peu avant 10h pis y disait j’ai une grosse famille, pis j’ai pas d’argent, pis les cultivateurs y

donnaient une poche de légumes. Tsé apporte ça pis apporte ça pis… Y apportait ça, pis maman elle ben, avec

ça, a fabriquait quelque chose pis… » (#16) 573

Un participant relate : « Moi j’ai déjà vu l’épicier où j’travaillais donner des affaires à une famille pauvre

là. Tsé, pas parce qu’y les d’mandait là. Y arrivaient pour ach’ter queq’chose pis […] y disaient telle affaire

ça coûte comment, pis tu voyais qu’y avaient pas l’moyen d’l’ach’ter là. Pis y l’emballait pareil pis y y

donnait, tsé veux dire, sans en parler. » (#08) Une autre participante (#23) raconte que durant la Seconde

Guerre mondiale, sa grand-mère s’est fait voler à une occasion une bonne partie des plats préparés et

entreposés dans son hangar à l’extérieur en prévision du Jour de l’An, où elle allait recevoir ses huit enfants et

tous ses petits-enfants. Son épicier-boucher lui fournit alors des denrées pour préparer de nouveau le grand

repas familial sans demander de coupons de rationnement, pourtant nécessaires à ce moment pour acquérir

des biens. 574

Pour une période antérieure (1848-1930), Ferretti étudie notamment ces élites dans la paroisse Saint-

Pierre-Apôtre de Montréal et leur rôle dans la vie paroissiale. FERRETTI, op. cit., p. 108-123; 166-178.

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Des membres du corpus qualifient, par ailleurs, certains médecins de « docteurs des

pauvres ». Ces derniers ont prodigué des soins à la population du quartier et notamment à

leurs parents et à eux-mêmes moyennant une petite contribution, en argent ou en biens575

.

Des participants et parents de participants se sont référés également à des prêtres pour

trouver conseil sur certains sujets ou pour des questions médicales lorsqu’ils ne pouvaient

payer une consultation et qu’ils ne connaissaient pas les différents médecins œuvrant à

faible coût.

Bien que les pratiques d’assistance informelle présentées jusqu’ici permettent de combler

plusieurs besoins, l’utilisation de certains services organisés se révèle parfois nécessaire.

Ces derniers sont relativement nombreux dans le quartier Saint-Sauveur576

. Pourtant,

lorsqu’ils furent invités à nommer ceux dont ils connaissaient l’existence, les participants

n’en identifièrent que quelques-uns. La Société Saint-Vincent-de-Paul, l’Orphelinat Saint-

Sauveur et les ouvroirs sont les trois services ou types de services les plus cités. La Société

Saint-Vincent-de-Paul, « […] cheville ouvrière de l’assistance dans toutes les paroisses de

Québec577

» au cours des années 1940, est souvent considérée comme le seul service

pouvant venir en aide aux plus démunis. Il se peut que ces réponses aient été teintées d’un

désir de ne pas paraître en savoir trop sur ce sujet et ainsi être soupçonné d’avoir eu recours

aux services d’assistance organisés ; certains ont déclaré avant de mentionner ces services

qu’eux et leurs parents n’avaient pas eu besoin d’y recourir.

575

Une participante raconte que l’un d’entre eux refusait parfois de se faire payer ou acceptait en échange

d’une consultation ou d’un remède un des oiseaux que le frère de la participante aimait capturer. « Moi y avait

un méd’cin, Dr Parent, Parent ouain. Lui là j’allais avec mon père c’tait des docteurs des pauvres là, vraiment.

Y voulait pas qu’on paye là tsé, non non. On allait là là, j’allais là avec mon père, pis y disait comment,

comment j’vous dois. Ah laisse faire ça Paul là, laisse faire ça. Laisse faire ça. Un autre fois. Pis mon frère là,

y allait pis y faisait des commerces avec des oiseaux. Parce que mon frère lui, y tendait au trébuchet tsé, les

oiseaux là. Y les tendait, pis y pognait beaucoup d’oiseaux. Des chardon’rets… Pis l’docteur y disait, y

donnait un r’mède, pis y donnait un oiseau. Y faisait l’commerce d’oiseaux. Comme ça là tsé. Y donnait un

oiseau. » (#27) 576

Ce constat est basé sur des recherches dans les archives paroissiales et sur nos travaux sur les services

sociaux à l’enfance et à la jeunesse à Québec entre 1850 et 1950 au sein de deux groupes de recherche

associés au Centre Interuniversitaire d’Études Québécoises entre 2004 et 2011 : « Mutations et

institutionnalisation de l’enfance à Québec, 1850-1950 », puis « La ville de Québec comme laboratoire socio-

historique : l’enfance et l’entrée dans la vie adulte, 1850-1950 ». Ces œuvres et services d’assistance couvrent

une variété de besoins (alimentation, santé, vêtements, gardiennage, prise en charge d’enfants et de vieillards,

etc.) et tous les âges de la vie. 577

DENAULT, op. cit., p. 58.

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Quatre membres du corpus nous ont précisé qu’eux-mêmes (un cas) ou leurs parents (trois

cas) avaient bénéficié de l’aide d’un organisme d’assistance entre 1930 et 1950. Il est

possible que la gêne ou la honte ait fait en sorte que d’autres expériences aient été tues. Les

parents d’un participant (#13) ont dû se procurer régulièrement de la nourriture et des

vêtements à la Maison Notre-Dame-de-la-Providence de la paroisse Saint-Malo, offrant

notamment des services de soupe populaire et d’ouvroir, afin de subvenir aux besoins de

leurs treize enfants. Ils fréquentèrent également une soupe populaire et un ouvroir situés

dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, tout comme les parents d’une autre participante

(#32)578

. À la mort de son père, cette participante vit deux de ses frères être placés à

l’Institut Saint-Jean-Bosco pendant quelques mois579

. Dans un autre cas, les parents

placèrent leur fille, membre du corpus (#23), à l’Orphelinat Saint-Sauveur pour quelques

semaines en raison de la maladie de la mère et de l’impossibilité d’autres membres de la

famille de la prendre en charge580

. Finalement, une participante (#10) donna naissance à un

enfant à l’Hôpital de la Miséricorde581

. Nous avons relevé trois autres cas d’utilisation de

services d’assistance. Dans l’esprit des membres du corpus, il ne s’agissait toutefois pas

d’assistance, mais plutôt d’utilisation d’un service général offert à tous. Les parents d’une

participante (#23) bénéficièrent pour cette dernière des services du jardin d’enfance

(garderie) de l’Orphelinat Saint-Sauveur582

. Les mères de deux autres participantes ont

fréquenté la Goutte de Lait583

paroissiale (Saint-Malo) après avoir donné naissance à leurs

578

Celle-ci nous révèle la situation suivante : « T’am’nait ton chaudron, parce que… J’te dis ça parce que

j’m’en rappelle j’ai été en chercher. […] On allait là, pis pas juste moi, les familles qui avaient beaucoup

d’enfants là, dans notre coin là, y allaient là, pis y remplissaient l’chaudron d’manger. […] Pis moi j’me

rappelle que quand des fois ça arrivait à l’hiver là, que… On manquait un ti peu plus d’argent, j’me rappelle

que moi pis mon frère on allait en chercher. […] Pis j’ai pas honte de ça là, on a été en chercher. Pis ça

m’dérange pas de l’dire parce que c’est vrai, on… Comme j’te dis on a jamais manqué d’manger rien de ça,

mon père travaillait comme… Mais, y a des fois ça arrivait trop juste. Tsé. » (#32) 579

Cet Institut fut en fonction de 1923 à 1974. Tenu par les Frères des Écoles Chrétiennes à partir de 1927, il

reçoit des garçons et des adolescents jugés en besoin de protection (orphelins, abandonnés, parents malades,

« illégitimes » (nés hors mariage), etc.), qui y reçoivent notamment une formation technique. Il semble que

plusieurs familles aient cherché à y faire placer leurs garçons adolescents pour leur permettre d’apprendre un

métier. Voir le volet « Secourir et encadrer : les bonnes œuvres » de l’exposition virtuelle Naître et grandir à

Québec, 1850-1950, par Daigle et Gilbert, au http://expong.cieq.ca. 580

Notons à ce titre que le père d’un participant (#09) passa une dizaine d’années à l’Orphelinat Saint-

Sauveur après la mort de son propre père. 581

Cet hôpital, dirigé par les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec de 1874 à 1972, fut une maternité pour

« filles-mères ». Ces femmes y accouchaient hors des liens du mariage. Ibid. 582

Ce jardin d’enfance (1909 Ŕ vers 1955) a accueilli les enfants d’âge préscolaire. Ibid. 583

Les Gouttes de Lait s’inscrivent dans le mouvement de lutte contre la mortalité infantile, véritable fléau à

Québec jusqu'au milieu du XXe siècle. Le réseau de Québec en compte plus d'une vingtaine réparties

essentiellement sur une base paroissiale. En comparaison, il existe également un réseau municipal à Montréal.

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enfants au tournant des années 1920 dans le premier cas (#27) et lors des années 1930 dans

le second (#06).

Membres de la famille, voisins, commerçants, médecins et prêtres, à des rythmes variables

et dans des domaines communs ou distincts, sont ainsi impliqués dans cette nébuleuse

qu’est l’assistance au quotidien et lors de moments de vie plus difficiles. Elle facilite la vie

et amoindrit l’impact de la faiblesse des moyens financiers. Lorsque cette nébuleuse n’a pu

répondre aux besoins des membres du corpus ou de leurs parents ou qu’elle ne put le faire

adéquatement, des organismes de bienfaisance sont venus prendre le relais ou la compléter.

Les sociabilités locales dans le quartier Saint-Sauveur sont ainsi sensiblement développées

durant les années 1930 et 1940, et aussi 1950 dans le cas des rapports avec les petits et

moyens commerçants. Les contacts avec autrui sont nombreux. Les gens se saluent,

discutent entre eux et s’entraident. Le domicile est peu ouvert à ses voisins, avec qui

l’investissement est limité afin de protéger son intimité. Les activités dans le logement sont

plutôt le fait des sociabilités familiales et amicales, tout comme les diverses sorties comme

aller jouer aux quilles ou aller au cabaret. L’assistance constitue un aspect relativement

important de la vie quotidienne. La fréquence et le nombre considérable de pratiques

d’approvisionnement alimentaire, d’achat de biens, d’usage de services (et notamment ceux

d’assistance organisés), de loisirs et de divertissements, associatives, religieuses ou bien

encore associées à la vie communautaire réalisées dans la paroisse de résidence, tout

comme l’animation générale propre à la vie paroissiale, font de la paroisse un espace très

significatif dans l’univers social des membres du corpus et de leurs parents. Ce statut se

répercute sur leur sentiment d’appartenance à cette dernière, comme nous le verrons dans le

prochain chapitre.

Ces cliniques offrent, pour la plupart, des examens physiques généraux sans frais pour les nourrissons (0-2

ans) ainsi que des conférences et des conseils aux mères sur la façon de prendre soin de leur bébé et

distribuent gratuitement ou à peu de frais du lait propre à la consommation pour les enfants. Les Gouttes de

Lait rejoignent 39,7% de tous les enfants de la ville de Québec en 1947. Au milieu des années 1960, les

autorités municipales de Québec vont les incorporer. Les dernières Gouttes de Lait ferment leurs portes en

1970. Seules les paroisses Notre-Dame-de-Grâce et Saint-Joseph n’en abritèrent pas dans le quartier Saint-

Sauveur. Ibid.

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4.2.2 Incidence des sociabilités et de l’état d’interconnaissance sur les

parcours de vie

L’analyse des rapports entre les petits et moyens commerçants et leurs clients et celle des

liens tissés avec les collègues de vie associative ont montré qu’ils sont source de fidélité

aux lieux et aux organisations fréquentés. D’autres éléments des parcours de vie des

membres du corpus et de leurs parents sont aussi sensiblement orientés par leurs relations

sociales et l’état d’interconnaissance durant les deux premières décennies de la période à

l’étude. C’est le cas des trajectoires résidentielles et des parcours professionnels, que nous

avons examinés au deuxième chapitre, ainsi que des circonstances de rencontre et des

fréquentations des futurs époux avant leur mariage.

4.2.2.1 Les trajectoires résidentielles

Les déterminants des choix résidentiels des parents des participants, puis des participants

eux-mêmes, rappelons-le, comprenaient notamment le niveau d’appréciation du milieu de

vie et les stratégies de recherche d’un nouveau logement. Des aspects de ces déterminants

sont influencés par leur univers social et particulièrement le nombre appréciable de contacts

personnels, leur répartition dans l’espace, la nature des sociabilités locales et l’évaluation

de celles-ci par les individus.

Invitée à commenter ses 46 années passées dans la paroisse Saint-Malo, une participante

témoigne de son attachement à celle-ci. « Faque j’avais aimé ça, parce que là c’tait ma

gang, Saint-Malo […] » (#06) Elle met de l’avant le fait qu’elle y connaissait beaucoup de

gens et que la vie locale y était stimulante. Les diverses relations sociales et l’état

d’interconnaissance constituent, parmi les membres du corpus, un des principaux moyens

d’évaluation de la vie locale et également un des facteurs d’appréciation les plus

mentionnés. Des sociabilités familiales denses, des relations de voisinage cordiales et

respectueuses et des rapports chaleureux avec les commerçants contribuent à faire en sorte

qu’on ne désire pas, si possible, quitter son logement ou sa paroisse.

L’état d’interconnaissance est en partie alimenté par des réseaux familiaux localisés plus

ou moins près du domicile et parfois même dans l’immeuble de résidence. Cette proximité

favorise les sociabilités familiales, qui contribuent à enraciner des participants et des

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parents de participants dans leur milieu et à dicter la localisation désirée du nouveau

logement lorsqu’un déménagement est jugé nécessaire ou souhaitable. Les bons rapports

entretenus avec les propriétaires, lorsqu’ils habitent le même immeuble, sont aussi sources

de longue durée de résidence dans le même logement, au même titre qu’un loyer estimé

raisonnable ou l’entretien et les travaux de rénovation et d’amélioration qu’ils effectuent.

Les trajectoires résidentielles observées témoignent de l’importance de la mise à profit des

contacts personnels dans les stratégies de recherche d’un nouveau logement, soit les

membres de la famille, les voisins, les collègues de vie associative ou de travail, les

commerçants, etc. Le grand nombre de ces contacts dans le voisinage, la paroisse et le

quartier Saint-Sauveur et la présence généralisée de membres de la famille à proximité

facilitent la tâche des ménages, surtout lorsqu’ils ne désirent pas trop s’éloigner du lieu

qu’ils quittent. Dans les cas où ce désir de ne pas s’éloigner est moins important dans le

processus de choix résidentiel, la concentration de ces contacts prédispose tout de même

une aire de migration relativement limitée. Ces contacts informent des opportunités

présentes ou à venir, tant dans le domaine locatif que dans celui de l’acquisition d’un

immeuble. Les commerçants, dont quelques-uns font partie des élites locales, jouent un rôle

non négligeable dans ces recherches en raison du statut de plaques tournantes des

sociabilités qu’ont leurs établissements et conséquemment du nombre élevé d’informations

dont ils prennent connaissance.

4.2.2.2 Les trajectoires professionnelles

Les rapports avec les élites locales et les autres contacts personnels portent également fruit

dans le domaine de l’obtention d’un emploi. Dans de nombreux cas, on obtient l’emploi

convoité à la suite d’une recommandation, c’est-à-dire qu’une personne présente et/ou

soutient notre candidature auprès de l’employeur, ou grâce à la connaissance d’une

personne disposant d’un pouvoir d’embauche dans l’entreprise où elle œuvre. Plusieurs

membres du corpus croient même qu’il était nécessaire, ou du moins hautement

souhaitable, de bénéficier de ce soutien ou de ces contacts particuliers afin de trouver un

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emploi, qualifié ou non, à cette époque (1930-1950)584

. Une participante illustre son

opinion sur la question des recommandations par l’expérience de son époux : « [M]on père

dit à mon mari y dit Paul585

[…] t’aim’rais pas ça être pompier? Y dit j’ai jamais pensé à

ça. […] Ben j’vas essayer, dans c’temps-là, ça prenait d’l’influence hein, pis encore un peu

aussi là. Ouais. J’pense que oui ouain. Mais ça prenait d’l’influence. Faque lui y connaissait

bien les échevins, pis son frère travaillait pour les élections, faque… C’est comme ça qu’y a

rentré pompier. C’est monsieur Arthur Drolet586

qui l’a rentré pompier. » (#27) Ce rôle

dans l’embauche n’est toutefois pas seulement joué par les élites locales, mais aussi par les

membres de la famille et les voisins.

Nous avons relevé un autre cas d’obtention d’emploi par l’intervention d’un échevin

durant les deux premières décennies de la période à l’étude, soit l’entrée de la sœur d’une

participante dans une manufacture (#10). Les échevins, souvent des commerçants ou des

entrepreneurs locaux, sont rarement des étrangers au moment où ils sont approchés en

raison de la proximité de leur demeure ou de leur établissement ou de la fréquentation de ce

dernier. Nous n’avons relevé qu’un seul cas de recommandation mettant en scène le

voisinage. Le participant #03 impute son embauche à un voisin, qui le fit entrer dans la

compagnie où il évoluait. Il y passera 32 ans. Les cas de recommandation par un membre

de la famille sont beaucoup plus nombreux. C’est aussi dans le domaine familial que l’on

retrouve les cas d’embauche par connaissance d’une personne disposant d’un pouvoir

d’embauche dans son entreprise. Par exemple, un membre du corpus (#24) bénéficia de la

recommandation de son beau-frère. Une participante adolescente fut embauchée dans le

même commerce que sa sœur, qui y travaillait déjà (#02). Le père d’une autre participante

fut recommandé avec succès par un membre de sa parenté (#23). Le père entrepreneur du

conjoint de cette même participante #23 embaucha son frère. Plusieurs participants et

parents de ceux-ci baignent ainsi dans un milieu où ils connaissent un ou plusieurs

visage(s), à l’image d’autres facettes de leur vie.

584

Il est également probable, sans que l’on nous ait fait mention d’un tel cas, que les contacts personnels ont

pu, au contraire, nuire à l’obtention d’un emploi en raison d’une recommandation négative ou formulée

inadéquatement. 585

Nom fictif. 586

Homme d’affaires prospère natif de la paroisse Saint-Sauveur et qui fut échevin.

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277

Ces clans familiaux587

, observés au Québec et ailleurs en Amérique du Nord588

, font

l’affaire des patrons, car les nouveaux employés s’acclimatent plus rapidement lorsqu’ils

profitent des conseils d’un mentor qu’ils connaissent. Outre ce gain de productivité

envisagé par les cadres, nous croyons également que ce processus de recrutement par

contacts et références est utilisé parce qu’il favorise une bonne conduite des employés. Le

contrôle social exercé par la famille et le voisinage assure la qualité du travail et de la

tenue. Toute faute ou tout comportement jugé inadéquat peut entacher la réputation des

membres de la famille présents sur le lieu de travail. De plus, son écho demeure

difficilement à l’intérieur de ce dernier, car l’écart peut être signalé par un membre de la

famille présent et peut ainsi être sanctionné dans la sphère privée. La présence d’un voisin

ou d’un collègue d’une association paroissiale incite également à ne pas faire de vague, la

nouvelle d’un écart pouvant être propagée rapidement.

Une membre du corpus (#19) utilisa un service de placement afin de se trouver un emploi

durant cette période. La participante arriva à Québec à l’âge de 17 ans en 1942 avec sa

sœur, n’y connaissant personne. Elles se dirigèrent vers l’Oeuvre Notre-Dame-du-Bon-

Conseil589

, dont on leur avait parlé et purent bénéficier des larges réseaux de contacts

personnels des employés et des dirigeants de ce service de placement ainsi que des offres

d’emploi qu’ils recevaient. La participante sera rapidement placée comme domestique

résidante dans une maison du quartier Limoilou.

Les sociabilités d’une autre participante (#32) dans son milieu de travail avant qu’elle ne

le quitte en raison de son mariage révèlent que l’intensité des relations vécues dans sa

paroisse de résidence, Notre-Dame-de-Grâce, ont favorisé des relations plus développées

avec les collègues vivant dans sa paroisse qu’avec les collègues demeurant dans d’autres

paroisses du quartier Saint-Sauveur ou ailleurs. À la même période et dans le même cadre

professionnel avant le mariage, un autre participant (#03) s’est par contre fait des amis

parmi des collègues habitant une autre paroisse que la sienne. Ces deux situations seules ne

587

L’expression est tirée de FORTIN et al., op. cit., p. 36. 588

Voir notamment HAREVEN, op. cit., p. 85-101. 589

Ce service de placement est spécialisé dans l’intégration professionnelle des jeunes filles qui quittent les

régions rurales pour venir en ville. Il propose principalement des emplois dans le secteur des services

personnels et domestiques. Situé dans la paroisse Saint-Roch, il fut en fonction de 1924 à 1976. Voir le volet

« Secourir et encadrer : les bonnes œuvres » de l’exposition virtuelle Naître et grandir à Québec, 1850-1950,

par Daigle et Gilbert, au http://expong.cieq.ca.

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nous permettent pas d’identifier clairement l’impact des sociabilités paroissiales sur les

relations des participants avec les individus avec lesquels ils sont en contact répété, en

milieu de travail par exemple, qui demeurent à l’extérieur de la paroisse de résidence et qui

ne font pas partie de la famille. Nous pouvons quand même postuler que des identités

paroissiales fortes et des rapports d’opposition envers les paroisses environnantes, sur

lesquels nous nous penchons dans le cinquième chapitre, ont pu jouer un rôle dans la

situation de la première participante.

4.2.2.3 La rencontre et les fréquentations des futurs époux

Les circonstances de la rencontre de son futur mari ou de sa future épouse montrent aussi

la place importante occupée par les contacts personnels dans la vie des résidants du quartier

Saint-Sauveur. Elles mettent en scène divers lieux de sociabilités locales. Le statut

socioéconomique, facteur de différenciation de ces sociabilités, peut mettre des barrières

aux fréquentations ayant lieu avant le mariage. Une des normes associées à ces

fréquentations, celle des « bons soirs », fait en sorte que les autres sociabilités vécues par

les jeunes gens ne sont pas bouleversées lors de cette période de leur vie.

La moitié des membres du corpus ayant rencontré leur(e) futur(e) partenaire de vie avant

1950590

(7 sur 14) doivent leur mariage à une personne de leur entourage, qui était amie

avec celui(celle)-ci ou qui le connaissait591

. Cette personne a présenté quelqu’un au ou à la

participant(e) ou fut approchée par le ou la futur(e) conjoint(e) afin d’entrer en contact avec

lui ou elle. Ces gens de l’entourage sont surtout des membres de la famille,

particulièrement un frère ou une sœur, mais aussi un collègue de travail dans un cas (#05)

et une employée d’un restaurant fréquenté près du domicile de la participante dans un autre

cas (#01). Pour une participante (#26) et pour le frère d’une autre (#16), la rencontre est due

à une relation d’amitié nouée avec une personne inscrite au même cours (confection de

590

Rappelons que quatre participants ne se marièrent pas et une autre rencontra sur futur mari et se maria

après 1980. 591

Cette forte proportion est également observée pour les parents des membres du corpus pour lesquels nous

avons pu recueillir des informations. Baillargeon, dans son étude des ménages montréalais durant la Crise des

années 1930, a aussi relevé que les rencontres « […] se faisaient habituellement à l’intérieur d’un cercle de

connaissances assez restreint » (famille, amis, voisinage). BAILLARGEON (1991), op. cit., p. 74.

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vêtements, tennis) débouchant sur la présentation du frère ou de la sœur de cette dernière

aux premiers.

Deux participants firent, par ailleurs, la connaissance de la personne qu’ils allaient épouser

lors d’un événement paroissial, soit un bazar dans un cas (#12) et une soirée de bingo dans

l’autre (#04). Une participante (#02) développa une relation avec un de ses voisins connu

depuis son enfance, tout comme la mère d’une autre membre du corpus (#25), qui noua

contact avec son futur époux en le saluant de balcon à balcon à plusieurs reprises592

. Les

autres circonstances de rencontre observées chez les participants, leurs frères et sœurs et

leurs parents relèvent du monde du travail et du hasard.

La participante #32 nous a mentionné que ses fréquentations avec son futur époux,

demeurant à quelques maisons de sa résidence, furent entravées à leur début par la famille

de ce dernier. Cette famille, composée de plusieurs commerçants, n’acceptait pas qu’il tisse

des liens avec elle, estimant que sa famille n’étant pas assez fortunée. Le jeune homme

défia cependant cette désapprobation. Les premières années de mariage ne furent pas

faciles pour la participante en raison de la relative hostilité de sa belle-famille. La variable

socioéconomique présente parfois dans le déploiement des relations de voisinage se

retrouve ainsi dans les fréquentations des jeunes gens.

Les fréquentations se déroulent dans divers lieux et sont marquées par leur caractère

public, gage de bonne conduite et de transparence. Les rencontres sur le perron et sur le

balcon sont chose courante, tout comme les promenades et les soirées au domicile de la

jeune fille, où les parents peuvent exercer une surveillance. La fréquence de ces rencontres

est notamment soumise au système des « bons soirs », qui la limite tout en permettant aux

personnes concernées d’entretenir leurs autres relations sociales, comme le mentionne ces

deux participants des deux sexes.

Y avait des bons soirs pis des méchants soirs hein. […] Les mardis, les jeudis

pis en tout cas. […] Des bons soirs là ben, tu sortais avec ta blonde, pis les

méchants soirs, ben tu sortais avec d’autres blondes. (rires) Non non non!

Quand ça adonnait (rires), ça c’était une bonne affaire dans c’temps là, c’était

592

« Pis c’est comme ça qu’y sont dev’nus, elle à restait s’a rue Bagot, qui est la rue en-arrière, pis lui restait

sur la rue Morin, pis y se sont connus d’une gal’rie à l’autre. C’est comme ça qu’leurs amours sont nés, y sont

sortis un an et d’mi ensemble, y se sont mariés après un an et d’mi d’fréquentations. » (#25)

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une bonne affaire là. Parce que tu pouvais en rencontrer d’autres, mais celle que

tu voulais avoir, ben t’a gardais, tsé. T’étais pas obligé de… Mais ça été une

bonne affaire tsé. (#04)

Ça fait que, y m’app’lait d’temps en temps… Y osait pas me d’mander si je

sortais avec quelqu’un, ça fait qu’là, y m’app’lait trois fois par semaine, mais

dans c’temps-là, les garçons, nous voyaient, les bons soirs. […] Ç’fait qu’y était

discret. Y app’lait tsé, comme un lundi, un mercredi ou un vendredi. Faque

maman dit tu vois ben que c’garçon-là a dit veut s’faire inviter. […] Maman a

dit ça t’marie pas! A dit invite le! […] Oui dans c’temps-là, vous savez, les

garçons fréquentaient les jeunes filles le mardi, le jeudi, le sam’di, l’dimanche.

Mais les autres journées, ben, on avait des choses à faire, euh, une certaine

liberté vous savez. C’était bien savez-vous dans c’temps-là. Hein… (#30)

Ce système, héritage des sociabilités rurales québécoises593

, convient aux membres du

corpus, qui peuvent ainsi voir leurs autres amis et vaquer à leurs obligations domestiques

ou professionnelles. Comme le laisse entendre le premier participant, il donne aussi une

relative liberté de faire d’autres connaissances, dont profitent probablement davantage les

garçons. Rencontrer d’autres personnes ne dut, par contre, pas être absent de l’esprit des

filles à une époque où des accidents de travail et la maladie entamaient sérieusement les

projets de vie en raison d’un filet social encore élémentaire. Par exemple, la participante

#26 perdit son premier fiancé, emporté par la méningite à 23 ans. Par pragmatisme et en

respectant les normes de moralité qu’on leur imposait, des jeunes filles ont peut-être veillé

à ne pas délaisser leur vie sociale afin de ne pas se retrouver isolées si un événement

entravait la marche vers le mariage.

Sociabilités et état d’interconnaissance ont ainsi eu une voix au chapitre de la définition

des trajectoires résidentielles et professionnelles. L’examen de l’influence de l’univers

social des membres du corpus et de leurs parents sur ces trajectoires, notamment au sujet

des tuyaux pour trouver un logement ou des recommandations pour obtenir un emploi,

permet de mieux comprendre les relations d’assistance vécues avec les membres de la

famille, les voisins et des acteurs locaux comme les commerçants. La rencontre du ou de la

futur(e) conjoint(e), quant à elle, fut aussi marquée par cet univers social, élément parmi

d’autres contribuant à son appréciation généralisée et à celle du milieu de vie.

593

Voir à ce sujet l’exposition virtuelle « Coutumes et culture » du Réseau de diffusion des archives du

Québec, section « Juin », « Mariages et noces ». Page consultée le 21 décembre 2011.

http://rdaq.banq.qc.ca/expositions_virtuelles/coutumes_culture/juin/mariage_noces/clin_oeil_tradition.html.

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Vivre dans le quartier Saint-Sauveur entre 1930 et 1950 implique d’évoluer dans un

univers social dense. La famille occupe une place centrale, tant au quotidien que dans la

définition des parcours de vie. Un ensemble de facteurs suscitent des rapports de voisinage

nombreux. L’état d’interconnaissance et le sentiment de sécurité ambiant594

sont sources

chez plusieurs résidants de stabilité résidentielle. Les voisins franchissent toutefois

rarement le seuil de notre porte et ainsi de notre vie privée. Les rapports personnalisés et

chaleureux avec les commerçants dépassent le simple cadre marchand. Les caractéristiques

de leurs établissements, appréciées, sont recherchées ou valorisées dans d’autres domaines.

Par exemple, les petites églises paroissiales offrant une ambiance plus intime, comme celle

de Notre-Dame-de-Grâce, ont la cote auprès de plusieurs des résidants de ces paroisses595

.

Les églises plus massives des paroisses-mères comme Saint-Sauveur et Saint-Malo leur

semblent, en comparaison, trop vastes et ne favorisent pas selon eux l’esprit de corps

paroissial.

La paroisse est un espace social important. Cet espace forge l’appartenance et favorise les

sociabilités, notamment la naissance de liens amicaux par le biais de la vie associative

paroissiale et la rencontre des jeunes gens, ce qui en mène plusieurs devant l’autel.

L’univers social local laisse croire que dans le voisinage ou dans la paroisse, selon les

perceptions, tous se parlent, se connaissent et font partie d’une grande famille596

. « Tout

l’monde, c’tait une famille, une famille […]. Après on descendait chacun chez nous597

on

s’parlait. Là y a rien, aucune réunion pour dire pour qu’on puisse s’parler. J’les connais

594

Les propos d’un participant sont éloquents à cet égard : « Le quartier là… Y avait comme une forme de

sécurité à l’intérieur de ça. C’tait comme une forteresse dans l’fond (rires). […] La, la convivialité des gens

là, on l’avait dans c’temps-là là. C’tait… Tsé tu rencontrais des gens sur la rue tu les saluais, tu leur parlais. Si

t’avais eu un besoin les gens s’raient v’nus tout suite t’aider, c’tait pas l’911 [service téléphonique d’urgence]

là qui v’nait t’aider. C’tait plus le… Le voisin qui était à côté. Même si tu l’connaissais pas tellement, les gens

se se, prêtaient secours. […] Pis quand on circulait, on rencontrait des gens un peu partout pis on connaissait

les commerces. Pis les gens nous saluaient là, autant les propriétaires des commerces… Moi y

m’connaissaient parc’que j’voyageais beaucoup à pied dans l’quartier, mais c’est ça que j’trouve qui était

important. » (#22) 595

Les participants ayant résidé à Notre-Dame-de-Grâce étaient attachés, comme ailleurs, à leur petite église,

démolie en 2009. Cet attachement fut associé dans ce cas précis à sa simplicité et à la rationalité mise de

l’avant lors de sa construction au milieu des années 1920. Ailleurs, ce sont la majesté des lieux et la

décoration grandiose qui ont stimulé l’admiration et la fierté. Voir Dale GILBERT, De cloches et de voix.

Culture urbaine et patrimoine religieux bâti dans une paroisse de Québec au XXe siècle : Notre-Dame-de-

Grâce, Québec, Éditions Zemë, 2012. À paraître. 596

Le terme « famille » est aussi employé par les participants à d’autres enquêtes orales portant sur la vie

quotidienne en milieu populaire. Voir notamment le collectif CourtePointe, op. cit., p. 39. 597

Après les cérémonies religieuses paroissiales.

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même pas à côté. » (#03) Comme l’exprime avec amertume ce participant toutefois, les

constituantes du vivre ensemble sont éventuellement transformées.

4.3 Un univers social en perte de vitesse

Les mutations sociodémographiques et celles des modes de vie à partir de la fin du second

conflit mondial, abordées dans les deux chapitres précédents, ont affecté les sociabilités lors

des années 1950, 1960 et 1970. L’état d’interconnaissance dans le quartier Saint-Sauveur

de même que les représentations des membres du corpus sur leur univers social et sur la vie

locale en général s’en sont trouvés modifiés. Parmi les facteurs et groupes de facteurs qui

favorisaient le développement des sociabilités ainsi que la constitution d’un état

d’interconnaissance, certains se sont transformés, alors que d’autres ont disparu en raison,

entre autres, de la hausse du niveau de vie, des transformations de la mobilité de

déplacement et des pratiques de consommation, du mouvement d’exode résidentiel et de la

diffusion d’un plus grand individualisme. Ces changements ont altéré sensiblement les

relations entre les individus, de même que la vigueur de la paroisse en tant qu’espace

social.

L’univers social des membres du corpus perd globalement de son dynamisme. Nous

relevons toutefois la présence de certains éléments de continuité. La paroisse Saint-Sauveur

est qualifiée de village urbain au milieu des années 1980 en raison des sociabilités

familiales et de voisinage qui y sont relevées598

. À travers les changements qui se

produisent, certains traits des sociabilités, de l’état d’interconnaissance et des retombées de

ceux-ci sur les parcours de vie survivent, en effet, dans le quartier étudié.

4.3.1 De moins bonnes prédispositions pour les sociabilités et

l’interconnaissance

Au cours des années 1950, 1960 et 1970, certains aspects des sept facteurs et groupes de

facteurs influençant les sociabilités locales et l’état d’interconnaissance que nous avons

analysé dans la première partie de ce chapitre se transforment ou disparaissent

progressivement. L’impact de ces processus de même que l’incidence d’autres facteurs

598

FORTIN et al., op. cit., p. 89.

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associés au confort domestique et à de nouvelles valeurs adoptées par les individus font en

sorte que le développement des sociabilités et la constitution de l’état d’interconnaissance

sont moins favorisés qu’auparavant et leur maintien, moins assuré.

La population du quartier Saint-Sauveur demeure, de 1950 à 1980, fortement francophone,

catholique romaine et d’origine française599

. On peut donc affirmer que durant cette

période, il n’y a pas de changement majeur en matière linguistique, religieuse et ethnique

susceptible de modifier les rapports sociaux à l’intérieur du quartier. Dans ce milieu

fortement homogène, les rares expériences vécues avec les individus parlant d’autres

langues, pratiquant des religions différentes ou étant d’une autre origine sont, comme par le

passé, jugées neutres ou positives600

. Saint-Sauveur demeure également un quartier de

statut socioéconomique modeste malgré la hausse générale du niveau de vie601

. Certains

ménages qui habitaient déjà le quartier ne profitent pas vraiment de cette hausse. Ils

dépendent plutôt des subsides gouvernementaux aux personnes et aux familles qui

apparaissent, comme la sécurité du revenu (aide sociale). De nouveaux ménages, aux prises

avec une situation financière précaire, s’installent également dans le quartier602

, chassés par

les opérations de rénovation urbaine dans les quartiers Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste

voisins et/ou attirés par les loyers jugés abordables des logements laissés vacants par ceux

qui quittent pour la banlieue et les secteurs de Québec en développement603

. Cette situation

peut sembler anodine dans la perspective des relations sociales, mais elle contribue en

réalité à ébranler les relations de voisinage, comme nous le verrons plus loin.

599

En 1981, 86,4% de la population du quartier a seulement le français comme « langue(s) officielle(s) » et

13%, le français et l’anglais. 95,8% de la population est de religion catholique romaine et 96,6%, d’origine

« française ». 600

Par exemple, la participante #19 vécut à proximité d’une épicerie tenue par un Syrien dans la paroisse

Saint-Malo durant les années 1950, ce dernier fascinant les enfants avec des denrées qu’ils n’avaient jamais

vues, comme des aubergines, mais elle n’y acheta pas, ayant déjà « son » épicier au moment de l’arrivée de ce

nouveau commerce d’approvisionnement alimentaire. 601

Rappelons que le phénomène de gentrification, c’est-à-dire l’investissement d’un quartier ou d’un secteur

par des ménages plus aisés que la moyenne du milieu d’établissement, ne le touche pas de manière

significative. 602

Dont plusieurs familles monoparentales (on en compte 1190 sur 5180 familles au total dans le quartier

Saint-Sauveur en 1981, soit 23%), des familles recomposées et des ménages composés de personnes seules (la

proportion de ces derniers dans le quartier passe de 2,6% à 29,1% entre 1951 et 1981 selon les données du

recensement). 603

Rappelons que le loyer moyen dans le quartier Saint-Sauveur est le moins élevé à Québec durant cette

période.

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L’organisation spatiale du quartier Saint-Sauveur ne subit pas de transformations

particulières au cours de cette période. Quelques chantiers d’importance comme la

transformation de la rue Morin en boulevard urbain (Charest) et la destruction de groupes

d’immeubles jugés insalubres ou trop détériorés afin d’élever des complexes de logements

sociaux bouleversent par contre les voisinages et les sociabilités en raison des déplacements

de populations occasionnés, qu’ils soient temporaires ou définitifs604

. La densité de

population diminue au fil des nombreux départs en dehors du quartier, mais celle du bâti

demeure sensiblement la même et favorise toujours les rencontres et les échanges, tout

comme l’étroitesse des rues. Par contre, alors que la marche à pied s’inscrivait

admirablement bien dans ces paramètres dans une optique de sociabilités, l’utilisation de

plus en plus répandue de la voiture pour se rendre au travail, au supermarché ou ailleurs

entraîne une diminution des contacts sur les trottoirs et depuis ces derniers vers les

logements (perrons, balcons, fenêtres). L’automobile est un mode de déplacement

considérablement moins texturisant que la marche à pied. Les individus qui y prennent

place sont plus isolés les uns des autres que les passants sur la voie publique. La voiture ne

donne essentiellement la chance que de se saluer de la tête ou de la main, ce qui ne sert ni

les sociabilités ni l’état d’interconnaissance.

Le peu d’intimité fut une des causes de l’exode résidentiel vers les banlieues et les

secteurs de Québec en développement à partir de la seconde moitié des années 1940. Les

départs ne sont pas très nombreux entre 1945 et 1950605

, mais s’accélèrent par la suite. Le

quartier Saint-Sauveur perd en effet au cours des années 1950, 1960 et 1970 près de 20 000

résidants. L’exode emporte une partie des réseaux familiaux des membres du corpus qui

étaient présents dans le voisinage, la paroisse et le quartier. Presque tous leurs frères et

sœurs ainsi que leurs cousins et cousines quittent vers d’autres cieux. Leurs parents, eux,

demeureront la plupart du temps dans le quartier jusqu’à leur décès. Ces départs de

propriétaires et de locataires ont un effet important dans un milieu où traditionnellement,

peu de visages sont inconnus dans le voisinage et où les contacts avec les gens qui nous

entourent sont nombreux. Selon les déclarations des participants, la durée moyenne de

604

Se comptant tout de même en termes d’années, comme dans le cas d’une participante délogée (#20) (trois

ans dans son cas). 605

Rappelons que la population du quartier passe de 40 374 en 1941 à 39 339 en 1951, une perte de 1035

personnes.

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résidence des nouveaux venus décroît par rapport à celle de leurs prédécesseurs606

. Ils sont

susceptibles d’avoir une automobile, des habitudes de loisirs ou d’implication

communautaire moins axées sur la sphère locale et des pratiques de consommation déjà

tournées vers les grandes surfaces et les centres commerciaux. L’intégration des nouveaux

résidants aux réseaux de sociabilités du milieu, de même que l’approfondissement des liens

qui sont créés, sont ainsi moins assurés.

Les nouvelles pratiques de consommation dans les grandes surfaces et les centres

commerciaux et le déclin démographique ont un effet funeste sur bon nombre de

commerces et services du quartier. La fermeture progressive de certains hauts lieux de la

vie locale comme les épiceries du coin ou les salons de barbier entraîne la disparition

d’autant de lieux de socialisation favorisant l’état d’interconnaissance. Auparavant

caractérisées par un rapport personnalisé avec le commerçant, les pratiques sont

réorientées, dans les nouveaux lieux fréquentés, vers un processus d’achat plus autonome et

anonyme. En matière d’approvisionnement alimentaire par exemple, on prend soi-même

ses articles sur les étagères et on les mène à un ou une caissier(ère) qu’on ne connaît pas

nécessairement, même dans les supermarchés situés dans le quartier. Les contacts avec les

propriétaires et gestionnaires de ces derniers, à l’intérieur et à l’extérieur de ceux-ci, sont

également moins nombreux, car ils sont moins souvent sur le parquet et ne se tiennent pas

sur le seuil comme les petits et moyens commerçants avant eux.

La vie communautaire et associative, toujours présente, constitue encore néanmoins une

plateforme de choix pour la socialisation des gens à l’échelle locale. Par contre, au cours

des années 1950-1980, une baisse de la participation aux activités communautaires

paroissiales s’enclenche. Il en va de même pour la pratique religieuse. Plusieurs individus

assistent moins souvent à la messe et leur participation à des activités de nature religieuse

décroît607

. Ces changements, puis la disparition pure et simple d’activités comme les

processions, enlèvent autant d’occasions de rencontres au niveau paroissial qui alimentaient

606

Notamment en raison de la présence d’une population étudiante habitant dans le quartier pour la durée de

ses études, population dont l’accroissement est mentionné par plusieurs participants. Des études

supplémentaires sur la durée de résidence demeurent à réaliser pour la période concernée. 607

Ces questions sont approfondies au chapitre suivant.

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le sentiment d’appartenance à cette dernière608

. La baisse de la pratique religieuse, des

difficultés financières et un recrutement de futurs prêtres plus difficile mènent

éventuellement à la fin des années 1990 à des fusions de paroisses dans le quartier Saint-

Sauveur. Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Joseph et Notre-Dame-de-Pitié sont rattachées à

leurs paroisses-mères Saint-Sauveur et Saint-Malo, modifiant ainsi l’univers social de leurs

résidants encore impliqués à ce moment dans la vie communautaire, associative et

religieuse de leur paroisse. Nous y reviendrons au chapitre suivant.

Les sociabilités locales sont aussi affectées par l’achat de divers biens domestiques. La

diminution des efforts physiques nécessaires à la réalisation de certaines tâches, causée par

l’acquisition massive d’électroménagers comme une machine à laver, fait notamment en

sorte que l’entraide en situation de maladie ou de relevailles diminue609

. L’usage de la

corde à linge demeure toutefois largement répandu. La télévision, pour sa part, contribue

dans un premier temps à rassembler les gens d’une même famille chez la personne qui en

possède une. Puis, alors que le nombre de ménages propriétaires de ce bien augmente

rapidement durant les années 1950610

, elle se fait faucheuse des sociabilités. Des soirées sur

le perron, sur le balcon, au centre paroissial ou ailleurs sont remplacées par une soirée

devant la télé, parfois avec des membres de la famille invités pour l’occasion. Divertissant

également les enfants, la télévision joue un rôle dans l’évolution de leur propre

socialisation. Ces derniers passent plus de temps à l’intérieur tandis qu’à l’extérieur, la

hausse de la circulation automobile rend la rue moins propice au jeu dans ce quartier aux

rares espaces verts. De même, le nombre d’enfants diminue dans le quartier, ce qui fait en

sorte qu’il y en a globalement moins à proximité immédiate du domicile de chacun. À

l’adolescence toutefois, certains emplois occupés dans le quartier par les enfants des

membres du corpus, pompistes ou encore commis, eurent le même impact socialisateur

qu’à l’époque de leurs parents.

À partir de la seconde moitié du XXe siècle, l’individualisme grandissant, servi par la

hausse du niveau de vie, vient, par ailleurs, orienter les pratiques et les valeurs des

608

Les registres paroissiaux relatifs à la location des bancs révèlent que ce système disparaît presque

complètement dans la seconde moitié des années 1960 dans le quartier Saint-Sauveur. Une poignée de

personnes seulement continuent par la suite de défrayer un montant, parfois jusqu’au début des années 1980. 609

Voir, entre autres, ROBERTS (1995), op. cit., p. 223. 610

Rappelons qu’en 1961, 93% des ménages du quartier Saint-Sauveur sont dotés d’un téléviseur.

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individus et ce, à l’échelle occidentale. La primauté peu à peu accordée à l’autonomie

personnelle mène à un certain rejet des autorités, cléricales par exemple, et du contrôle

social associé aux normes non écrites des rapports de voisinage. On assiste également à un

déclin de l’implication communautaire. De plus en plus de gens sont désireux d’être plus

indépendants qu’auparavant et de ne devoir compter sur personne. Les liens avec les

individus ne faisant pas partie de la famille immédiate et du cercle d’amis perdent de leur

teneur. Le rapport à autrui est ainsi transformé611

.

L’individualisme affecte donc le déploiement des sociabilités locales ainsi que la

constitution ou le maintien, selon les cas, de l’état d’interconnaissance, de concert avec les

transformations sociodémographiques, l’acquisition de certains biens domestiques ainsi que

les changements survenus dans les modes de déplacement, les pratiques de consommation,

la vie communautaire et la pratique religieuse. Certains aspects des facteurs et groupes de

facteurs analysés restent par contre inchangés, tant au niveau des voisinages que des

paroisses, si bien qu’à travers les ruptures dans l’univers social des membres du corpus, on

peut dénoter des éléments de permanence.

4.3.2 Des sociabilités en réorientation au sein du corpus

Des éléments des sociabilités relevés pour les deux premières décennies de la période à

l’étude persistent au cours des années 1950, 1960 et 1970. Les relations sociales aux

niveaux des voisinages et des paroisses se réorientent par contre sur plusieurs aspects, ce

qui altère l’univers social des hommes et des femmes que nous avons rencontrés de

manière significative.

4.3.2.1 Les sociabilités de voisinage

« C’est beaucoup plus impersonnel que c’était. J’avais des meilleures relations avec mes

locataires autrefois. Dans l’sens que j’les connaissais, j’savais qu’est-ce qui faisaient, c’tait

son frère qui arrivait je l’savais. Mais là aujourd’hui, c’est pu ça. C’est plus impersonnel. »

(#08) L’évolution qu’évoque ce participant à propos des rapports avec ses locataires illustre

611

Danilo MARTUCCELLI, La société singulariste, Paris, Armand Colin, 2010, coll. « Individu et société »,

p. 48-49; ROBERTS (1995), op. cit., p. 15, 200, 213.

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288

bien les transformations vécues dans les relations de voisinage. Progressives, ces

transformations sont causées par les nombreux départs du quartier, le renouvellement

partiel de la population et des changements dans les mentalités.

En raison de l’ampleur du mouvement d’exode résidentiel, les participants perdent

plusieurs voisins qu’ils connaissaient depuis plus ou moins longtemps et qu’ils

appréciaient. Leur opinion sur certains de leurs remplaçants est moins positive. Plusieurs en

parlent en termes peu élogieux : désordonnés, malpropres, bruyants, etc. Cette évaluation

rend compte de leurs propres critères de bonnes relations de voisinage, qui ne sont pas

nécessairement partagés par les nouveaux arrivants. Le remplacement ici et là de

propriétaires occupants par des locataires a parfois un impact négatif sur l’entretien des

immeubles. Les participants dénoncent aussi l’attitude de voisins, anciens comme

nouveaux, qui sont moins « ouverts » (#26) à entrer en contact avec leurs voisins

qu’auparavant612

. Un participant témoigne de cette évolution en ces termes : « Pis l’monde

y essayent pas de parler avec un autre là. Y font leur affaire pis après ça c’est dans maison,

la télévision, pitonner là c’est ça qu’y font. C’est triste parce que c’est plate astheure dans

l’quartier. Parce qu’avant y avait du va-et-vient. Les enfants ça jouait dans les rues. Y en a

pu d’enfants. Ceux-là qui sont là ben y pitonnent aussi. […] Euh, c’est ben plate pour ça. »

(#03) Des durées de résidence plus courtes613

, des déplacements en automobile accrus et

des délassements sur le perron ou sur le balcon moins fréquents en raison de l’attrait de la

télévision empêchent de nouer des liens plus tangibles. Les discussions impromptues et

même les salutations deviennent moins fréquentes, ce qui fait dire à un participant : « On

s’défait. » (#09) Cette expression forte illustre l’ampleur des mutations à l’œuvre.

Ce nouveau climat social entame le sentiment de sécurité qui prévalait parmi les membres

du corpus, menant certains participants à faire ce qu’ils n’avaient jamais fait auparavant,

soit de fermer leurs portes à clé. Ils participent eux-mêmes au changement de ce sentiment,

car leur opinion défavorable sur certains nouveaux voisins fait en sorte qu’ils ne sont pas

612

L’enquête que l’équipe de Martin mena sur le logement à Québec au tournant des années 1960 révèle le

nombre élevé de répondants du quartier Saint-Sauveur, par rapport à d’autres quartiers comme Saint-Roch et

Champlain, pour qui les voisins désirés sont des gens « plus ouverts et sociables ». MARTIN (dir.) (volume

II), op. cit., p. 249, 336. 613

« Le temps d’occupation est beaucoup moins long qu’avant. C’est c’qui en fait un quartier anonyme. »,

observe le participant #08.

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portés à aller vers eux. Leur position de réserve se révèle même plus marquée dans certains

cas en raison d’une nouvelle insécurité ou d’un besoin d’intimité plus grand, qui laisse

transparaître la marque d’un plus grand individualisme614

. Cette position n’est par contre

pas le seul élément qu’on peut qualifier de traditionnel au niveau des sociabilités de

voisinage durant ces décennies.

En effet, tant avec des anciens que des nouveaux voisins, nous avons relevé des exemples

de rapports semblables à ce qui avait été vécu durant les années 1930 et 1940. On discute

sur le trottoir et en étendant les vêtements à l’extérieur. On échange de menus services.

L’utilisation de la marche à pied a toujours un effet texturisant, comme en témoigne cette

participante ayant intégré le marché du travail en 1958 et se rendant à pied à son emploi à

tous les jours :

On s’connaissait toute, toutes les tites maisons, mais icitte moi surtout c’est ça

j’ai déploré, quand j’ai été 20 ans su’l marché du travail, demandez-moi pas les

gens de c’te boutte là comment qu’y s’appellent j’ai connais pas. Ceux-là par là

oui j’m’en allais à pied à mon travail. Preuve que j’ai encore une madame qui a

92 ans qui vient encore icitte pour se faire faire d’la couture. Pis j’ai dit, les

autres là, non. Même que les propriétaires, j’en connaissais, mais maintenant y

ont vendu là, pis j’ai dit que chu mal pris, chu dans ma rue pis je connais pu

mes personnes que j’connaissais avant. (#26)

Les facteurs de différenciation des relations de voisinage analysés précédemment sont

toujours présents. Par exemple, des nouveaux voisins demeurant un certain nombre

d’années dans le même logement deviennent peu à peu des anciens avec qui on établit des

rapports plus étroits. La distinction selon le genre est encore relevée, comme l’illustre cette

participante. « […] [L]es femmes nous autres on s’parlait. Pis les hommes s’parlaient

ensemble tsé. Assis sur leur auto là tsé. Ça parlait de voiture… Nous autres on parlait de

nourriture! (rires) » (#06) Un autre facteur de différenciation est observé durant les années

1950, 1960 et 1970. Deux participants propriétaires (#03 et 05) ont soutenu que les

sociabilités étaient plus développées entre propriétaires et entre locataires, c’est-à-dire qu’il

y avait plus de discussions ou encore plus souvent des liens d’amitié à l’intérieur de ces

groupes. Plusieurs expériences relatées par des membres du corpus en regard des relations

614

Une des matérialisations de ce processus est de ne plus laisser entrer de voisins dans sa cour arrière.

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de voisinage vont dans ce sens, ce qui laisse croire que le statut résidentiel joue un rôle

dans le déploiement de ces sociabilités.

Malgré ces relations de voisinage traditionnelles vécues avec certaines personnes de leur

entourage615

, qui leur font continuer d’apprécier leur milieu de vie, des changements

importants sont survenus dans ce domaine durant les années 1950, 1960 et 1970. Pour

plusieurs membres du corpus, ces changements sont accueillis avec tristesse, car ils altèrent

l’une des caractéristiques les plus importantes selon eux de la vie de quartier. La vie locale

se drape en partie d’un caractère dépersonnalisé, accentué par la perte de lieux et

d’occasions où rencontrer ses voisins.

4.3.2.2 Les sociabilités familiales

En dépit du départ du quartier Saint-Sauveur de plusieurs membres de la famille proche et

élargie des participants, ces derniers témoignent encore d’un fort esprit familial durant cette

période. Visites, repas, sorties dans les cabarets ou dans les salles de quilles et autres

activités en commun sont toujours présents, grâce notamment à l’automobile qui facilite les

déplacements vers et depuis les banlieues. On possède dans plusieurs cas un chalet familial,

où l’on se retrouve l’été, dormant tous sous le même toit. Toutefois, les rapports se

concentrent avec la famille proche, parents, frères et sœurs, surtout ceux demeurant à

proximité. Progressivement et sauf exceptions, la famille élargie perd du terrain. Les

participants ne voient plus leurs cousins, oncles et tantes que lors d’occasions spéciales

comme des mariages, des anniversaires de mariage ou des funérailles616

.

Ce portrait correspond aux constats de la production scientifique sur les quartiers

populaires et notamment sur le quartier Saint-Sauveur même. Ils contribuent à ce qu’il soit

615

Le rapport Martin sur le logement à Québec en 1962 fait état que le quartier Saint-Sauveur se caractérise

par le plus fort indice d’intégration. Cet indice est calculé au moyen des « données relatives au nombre de

parents et d’amis habitant le quartier et du degré d’intimité avec les voisins ». MARTIN (dir.) (volume II),

op. cit., p. 170. 616

Par ailleurs, la possession d’une automobile réduit considérablement les épisodes d’hébergement de

membres de la famille demeurant à l’extérieur de la région en permettant de réaliser des allers-retours dans la

même journée. On note également qu’au moment où leurs enfants quittent l’enfance ou le domicile familial

(durant les années 1960 et 1970 pour la plupart), selon les cas, les rapports des membres du corpus avec leurs

frères et sœurs qu’ils voyaient seulement lors des rassemblements familiaux comme ceux des fêtes de fin

d’année s’amenuisent encore plus, car ces derniers ne sont plus organisés. Ceci nous apparaît être par contre

davantage une évolution générationnelle que proprement associée à la période 1950-1980.

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qualifié de village en ville. Au milieu des années 1980, selon Delâge, « [d]ire que Saint-

Sauveur constitue le village en ville serait un euphémisme car le quartier est à sa manière

plus traditionnel qu’un village, l’importance de la parenté dans les relations sociales est

plus grande que dans n’importe quelle campagne617

. » Les rapports entretenus avec les

membres demeurant à proximité du domicile concourent à préserver quelque peu

l’impression d’un milieu familier et vivant autrement écorchée par les transformations

notamment du voisinage et du réseau des commerces et services. L’importance des

sociabilités avec la famille expliquerait en partie selon nous la faible implication

communautaire et associative des participants. Les sociabilités familiales contribuent

également à limiter, au-delà de la position de réserve, l’approfondissement des relations de

voisinage. L’examen de ces dernières dans le cas de participants n’ayant pas habité près de

membres de leur famille ou près d’un petit nombre d’entre eux durant les années 1950 à

1980 montre en effet qu’il y eut des rapports plus développés avec les voisins dans trois des

cinq cas recensés. Nous avons notamment relevé des visites au domicile et des relations

d’amitié. La proportion de cas d’implication dans la vie communautaire ou associative

paroissiale est aussi plus élevée parmi ce groupe (quatre sur cinq) que dans le reste du

corpus.

L’équipe de Fortin, dans une étude sur la ville de Québec au milieu des années 1980, a

démontré que les sociabilités des ménages vivant une ascension sociale caractérisée par un

départ des quartiers populaires avaient évolué vers une place des amis plus importante que

celle occupée par la famille proche dans les activités réalisées. La population ne quittant

pas ces quartiers populaires, pour sa part, présentait un portrait relativement peu changé,

soit une prépondérance de la famille par rapport aux amis dans les sociabilités618

. Les

pratiques des membres de notre corpus correspondent à ce constat. Quelques participants

parmi les plus jeunes du corpus, nés durant les années 1940, ont témoigné de rapports avec

leurs amis sensiblement plus nombreux que ceux du reste du corpus, sans qu’ils

n’apparaissent cependant déclasser les sociabilités familiales.

617

DELÂGE, op. cit., p. 43. 618

FORTIN et al., op. cit., p. 46-47, 119.

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4.3.2.3 Les acteurs et les lieux de la vie locale

Nous avons observé que les mutations des pratiques de consommation eurent un impact

important sur les sociabilités locales, plus particulièrement aux chapitres du rapport avec

les commerçants et des lieux dans lesquels ces sociabilités s’épanouissaient. De

personnalisé, le service devint plus anonyme. En dépit de la forte appréciation de la relation

chaleureuse vécue avec les commerçants, sa perte ne constitua pas un obstacle au

changement des pratiques. Elle participa néanmoins au malaise qui y fut inhérent, comme

nous l’avons vu au chapitre précédent. La fréquentation des grandes surfaces

d’approvisionnement alimentaire présentes dans le quartier Saint-Sauveur put tout de même

revêtir peu à peu un caractère personnalisé à moyen et à long terme par la connaissance des

employés.

L’abandon des petits et moyens établissements puis leur fermeture privent les résidants du

quartier Saint-Sauveur de lieux de socialisation locale privilégiés. Les établissements qui

survivent conservent ce statut sauf dans quelques cas particuliers. L’occupation d’un espace

public par un groupe précis, un gang de rue par exemple, peut en effet mener certains

segments de la population comme les jeunes, les familles ou les personnes âgées à

l’éviter619

. Ce fut le cas de certains casse-croûte de la rue Saint-Vallier fréquentés par des

groupes de motards dans les années 1970, qui furent par conséquent évités par les membres

du corpus. Les relations sociales dans le quartier, outre celles avec la famille et avec les

amis, dépendent désormais davantage du hasard des rencontres sur le trottoir, elles-mêmes

diminuées en raison de l’utilisation de l’automobile, et de la vie paroissiale, moins animée

que par le passé.

L’implication des membres du corpus dans un mouvement associatif demeure marginale

au cours des années 1960 et 1970. Leur participation à la vie communautaire ou religieuse

paroissiale ainsi que leur fréquentation des espaces de loisirs paroissiaux, quant à elles,

déclinent, de sorte qu’ils rencontrent moins souvent d’autres résidants de leur paroisse. La

diversification des lieux et des espaces de loisirs de leurs enfants réduit également les

619

GERMAIN et CHARBONNEAU, loc. cit., p. 12.

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chances des parents d’une même paroisse de s’y rencontrer620

. En raison de ces

phénomènes et de la multiplication des activités réalisées dans divers endroits de la région

de Québec, la paroisse joue donc de moins en moins un rôle central dans la socialisation

locale.

4.3.2.4 Les amitiés

Le portrait global des cercles d’amis change peu durant les décennies 1950, 1960 et 1970.

Ces cercles demeurent en bonne partie restreints. Les sociabilités amicales sont encore à

l’ombre des sociabilités familiales. Comme nous l’avons vu précédemment cependant, les

activités de quelques participants de la cohorte d’âge B nés au cours des années 1940

réalisées avec les amis sont plus nombreuses que celles des autres membres du corpus.

Les collègues de travail constituent toujours la catégorie de personnes la plus souvent

mentionnée lorsqu’il est question des relations d’amitié. Les liens noués avec des collègues

durant cette période s’expliquent encore par le côtoiement lors des quarts de travail, les

moments libres à la fin de ceux-ci et les activités organisées par des comités dans

l’entreprise, qui furent, rappelons-le, un des domaines des loisirs et des divertissements les

plus populaires au sein du corpus jusqu’à la fin de la période couverte par notre étude. La

possession d’une automobile permet d’entretenir plus facilement des rapports avec des

couples d’amis ne demeurant pas à proximité du quartier Saint-Sauveur.

Dans le cadre de la longue durée de résidence dans le quartier s’inscrivent toujours des cas

d’amitiés avec des commerçants. Les participants #07 et 08 ont, en effet, des amis épiciers

et quincailliers. Ces liens sont basés sur une connaissance depuis l’enfance et la

fréquentation des établissements. D’autres membres du corpus, surtout ceux de la cohorte

d’âge B621

, tissent des liens d’amitié par le biais de la vie communautaire ou associative

(comité de citoyens, scoutisme, chorale). Les voisins qui sont considérés comme des amis

demeurent, quant à eux, rares, chez les plus vieux comme chez les plus jeunes membres du

corpus. Des voisins côtoyés depuis longtemps sont appréciés et sont l’objet d’un lien

620

L’avancée en âge des enfants et l’autonomie qui en découle enlèvent par la suite ces possibilités de

rencontres entre parents. 621

Rappelons qu’elle est composée de onze participants nés entre 1935 et 1950 sur les 30 membres du corpus.

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affectif tangible, mais ils ne sont pas qualifiés d’amis et n’entrent pas, ou fort peu, dans le

logement des membres du corpus. Certaines amitiés de voisinage ne sont également pas

associées à des activités en commun et à des visites dans les domiciles. Une participante

témoigne de cette situation : « On est peut-être pas, on se fréquente peut-être pas, mais y a

quelque chose entre nous. Y a quelque chose. Vous savez… C’est fort l’amitié. » (#30) À la

mort du mari de cette participante, la voisine dont elle nous parle aura l’impression, selon

ses dires, de perdre un frère. Sans que les sociabilités ne dépassent des discussions et des

gestes d’entraide occasionnels, le côtoiement sur la longue durée contribue à donner un

caractère affectif aux relations de voisinage, qu’on place ou non, selon les individus, sous le

signe de l’amitié.

4.3.2.5 L’assistance

Les paramètres dans lesquels s’exerce l’assistance changent au début de la seconde moitié

du XXe siècle, alors que l’État-Providence déploie ses ailes et qu’une hausse du pouvoir

d’achat se fait sentir. Plus d’indépendance financière et matérielle qu’auparavant

caractérise un nombre grandissant de ménages, ce qui aura un impact sur les pratiques

d’entraide avec les membres de la famille et les voisins. Dans les milieux modestes au plan

socioéconomique, la prospérité laisse toutefois souvent des laissés-pour-compte.

Commerçants et services d’assistance organisés conservent à ce titre un rôle non

négligeable.

Les réseaux familiaux des membres du corpus sont mis à profit à maintes occasions lors

d’événements de vie particuliers comme l’arrivée des enfants, ce qui est le cas de plusieurs

durant cette période. Comme leurs mères avant elles, les participantes reçoivent,

lorsqu’elles accouchent, l’aide de leur mère et d’autres membres de leur famille comme

leurs sœurs et leurs belles-sœurs, surtout celles demeurant à proximité. Elles les assistent au

moment des naissances et s’occupent des autres enfants. Puis, au fil de leur croissance, elles

s’échangent conseils et vêtements. Pères, frères et beaux-frères s’entraident, quant à eux, en

matière de rénovations, de réaménagements et de mécanique automobile. Le don ou le prêt

d’argent est rare au sein du corpus durant cette période. Les deux cas recensés concernent

les sœurs de l’épouse du participant #31, qui prêtent des fonds au couple, et un don de la

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mère d’un autre participant (#05) à celui-ci. Effectués au milieu des années 1950, ce prêt et

ce don visaient à permettre, dans le premier cas, l’accès à la propriété et d’effectuer, dans le

second, des rénovations non urgentes afin de moderniser les logements d’un immeuble622

.

Puis, alors que les enfants vieillissent au cours des années 1960 et 1970, les cas d’entraide

se raréfient entre les membres de la famille. Les besoins semblent réduits et la volonté

d’autonomie ainsi que les moyens financiers, accrus. Deux cas d’hébergement de parents

âgés sont néanmoins encore observés dans notre corpus (#26 et 32). Cette initiative est

alors, aux dires de participants non concernés par cette situation, de moins en moins

fréquente autour d’eux.

Un ménage fit preuve d’une grande indépendance vis-à-vis de ses réseaux familiaux après

qu’il eut cohabité avec les parents de la participante après le mariage (#01). Ce cas où

l’entraide familiale se fit exceptionnelle dès les années 1950 ne s’explique pas par l’aisance

économique, mais bien par le résultat d’intrusions jugées disproportionnées d’un membre

de la famille dans la vie privée du ménage. Il en résulta une diminution des rapports non

seulement avec cette personne, mais aussi avec les autres membres de la famille et

également avec les voisins, avec qui la position de réserve fut décuplée.

Outre cette situation exceptionnelle, l’entraide entre voisins est toujours présente au cours

des années 1950 dans l’ensemble du corpus. Garde d’enfants et échange de conseils et de

services ponctuent la vie quotidienne. Un cas de partage de ligne téléphonique est encore

relevé623

. Cette entraide mutuelle ne se vit pas, sauf exceptions, avec les nouveaux

arrivants. De la même manière que pour les sociabilités familiales, l’assistance perd de

l’importance dans les relations de voisinage au cours des années 1960 et 1970. Elle

n’occupe plus qu’une place occasionnelle. Cette perte de densité des relations de voisinage

va dans le sens de l’évolution générale de ces relations.

622

Cette rareté des dons et des prêts d’argent fut aussi relevée par Baillargeon pour les milieux populaires

montréalais des années 1930. Elle l’explique par le fait qu’un don ou un prêt symbolise la pauvreté et

l’incapacité du pourvoyeur de subvenir aux besoins de son épouse et de ses enfants, s’il y a lieu.

BAILLARGEON (1991), op. cit. p. 219. 623

La participante témoigne du fonctionnement de ce partage : « […] [P]arce qu’on a pas d’téléphone nous

autres, j’t’au 3e, au 2

e chez madame Plamondon y a pas d’téléphone non plus. Mais au premier chez Mme

Grégoire y a l’téléphone. Alors on donne l’numéro d’Mme Grégoire, quand on a un appel, a cogne su’l tuyau

[probablement du poêle], faque là on sort pis a nous dit qui qui est d’mandé. » (#23)

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Les changements dans les pratiques de consommation s’opèrent essentiellement à partir de

la fin des années 1950. Durant cette décennie, petits et moyens commerçants jouent

toujours un rôle de soutien occasionnel par le crédit ou le don de biens. Ils tentent aussi de

limiter la gêne vécue par des résidants et le commérage qui en découle dans les situations

où ces derniers bénéficient de l’aide de la Société Saint-Vincent-de-Paul. Cette dernière

remet parfois des bons aux gens démunis qu’elle choisit d’assister après enquête afin qu’ils

puissent se procurer gratuitement des denrées alimentaires auprès de commerçants avec qui

la Société a conclu une entente. Ce système dévoile visiblement aux autres clients

l’indigence des bénéficiaires. L’épouse de l’épicier d’une participante recevant de tels

coupons (#06) lui suggère de les lui donner à chaque versement par la Société afin de

préserver la discrétion, ses achats étant inscrits comme s’ils étaient effectués à crédit pour

dissimuler le processus lorsque d’autres clients sont présents dans l’établissement. La

participante lui fut très reconnaissante de cette initiative, ce qui consolida sa fidélité à

l’établissement, du moins jusqu’à ce que les facteurs étudiés au chapitre précédent, prix

plus bas, variété, modernité et autres, l’amènent vers un supermarché.

La fermeture de plusieurs commerces et services dans le quartier Saint-Sauveur réduit

considérablement les possibilités d’assistance par le biais du crédit ou du don de biens. Les

dirigeants des établissements dont les portes ne ferment pas poursuivent dans certains cas la

pratique du crédit et aident leurs clients et leur milieu de diverses manières. Par exemple, le

père épicier du participant #09 a encouragé les œuvres de bienfaisance du secteur par des

dons en argent. Le participant signale que son père n’était pas le seul à agir de la sorte.

Après avoir pris la relève de son père, il fit de même, les dirigeants d’œuvres venant

demander argent et matières de base comme du beurre pour préparer des sandwichs pour

leur soupe populaire. D’autres acteurs locaux conservent également un rôle d’assistance,

comme les « docteurs des pauvres ». Une participante (#10) a, par exemple, bénéficié des

contacts personnels d’un d’entre eux afin de trouver un logement de meilleure qualité. Des

organismes d’assistance prennent contact avec des familles après que ces médecins les aient

informés de situations préoccupantes. Certains prêtres servent aussi d’intermédiaires entre

familles et organismes après avoir visité leurs paroissiens.

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Malgré le versement des subsides gouvernementaux comme les allocations familiales, un

ménage du corpus (#06) peine à joindre les deux bouts et a recours durant les années 1950 à

l’assistance de la Société Saint-Vincent-de-Paul. Ce ménage visite également l’ouvroir de

la Maison Notre-Dame-de-la-Providence de la paroisse Saint-Malo pour se procurer des

vêtements et reçoit l’aide d’une voisine, qui leur donne de la nourriture. Par ailleurs, une

participante (#15) monoparentale ayant séjourné pendant cinq ans à l’hôpital et n’ayant pu

par la suite héberger que deux de ses trois enfants dans son très petit logement entre 1955 et

1966 fit placer un de ses garçons en famille d’accueil. Le nombre de bénéficiaires d’un

service d’assistance organisé parmi les membres du corpus est moins élevé qu’il ne l’était

durant les années 1930 et 1940. Cette baisse reflète selon nous l’impact des meilleures

conditions financières et des familles moins nombreuses. Par ailleurs, la participante #19 a

fréquenté durant les années 1950 sa Goutte de Lait paroissiale (Saint-Malo), qu’elle

considérait comme un service public offert à tous, bien qu’il s’agisse en fait d’une œuvre

d’assistance privée. Sa mère étant morte alors qu’elle avait 11 ans, elle a profité des

conseils qui y étaient donnés et de la gratuité des services offerts, en particulier les

consultations médicales pour ses nourrissons, dont les coûts les rendaient autrement

inaccessibles624

.

L’action de la Société Saint-Vincent-de-Paul dans un quartier populaire comme Saint-

Sauveur comporte des aspects négatifs pour certains de ses bénéficiaires. Les membres de

chaque conférence paroissiale de la Société visitent les familles inscrites, demandant de

l’aide ou qui en auraient besoin aux dires de personnes les ayant référées. Chaque membre

est responsable d’un secteur situé dans les environs de son domicile625

. La participante

ayant fait une demande (#06) reçut ainsi la visite d’un voisin et on lui donna par hasard un

manteau usagé ayant appartenu à un autre voisin. Cette situation fut fort gênante, car elle ne

désirait pas que sa situation soit connue dans le voisinage. Elle refusa le manteau offert

pour ne pas qu’il soit remarqué. Ce malencontreux hasard la poussa à entrer sur le marché

du travail afin d’ajouter un salaire au ménage et ainsi mettre fin à l’assistance de la Société

624

« Ah c’tait important ça. Ah surtout comme moi j’avais pas d’parent j’avais pas d’mère. […] Faque là, moi

j’allais à Goutte de Lait pis mon bébé était suivi pis… Ah… C’t’une merveille, tu passes voir l’médecin, pis y

t’disait comment r’monter l’lait pis quand les faire manger. Ah oui… […] C’t’une chance que j’avais ça!

(avec beaucoup d’émotion dans la voix) » (#19) 625

Ce fut notamment le cas d’une participante (#16) ayant été bénévole pour la Société dans la paroisse Saint-

Malo dans les années 1940 et au début des années 1950.

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Saint-Vincent-de-Paul. Les modalités de fonctionnement de cette organisation ont peut-être

amené des individus ou des ménages à trouver ailleurs des solutions à leurs problèmes, par

crainte que leur situation ne s’ébruite dans le voisinage et à travers leurs réseaux de

connaissances, ou à n’entrer en contact avec elle qu’en tout dernier recours. D’autres ont pu

être ouverts à ce que leur situation soit connue, en étant toutefois gênés de demander de

l’aide. Une participante (#12) nous en a donné un exemple probant. La Ligue Ouvrière

Catholique délègue à l’époque des membres afin qu’ils visitent leurs collègues malades. Ce

fut le cas de cette participante, membre de cette organisation. Les visites qu’elle fit ont

occasionnellement mené à une inscription à la Société Saint-Vincent-de-Paul. Elle cita le

cas d’un ménage où la femme était alitée pour cause de maladie. Le mari de cette femme,

souvent au chômage, n’avait jamais osé demander de l’aide. Ils lui furent ainsi

reconnaissants d’informer la Société de leurs besoins.

L’univers social des membres du corpus est ainsi sensiblement modifié durant les trois

dernières décennies de la période à l’étude. Les sociabilités familiales se concentrent avec

parents, frères et sœurs et les relations de voisinage tiédissent en dépit du fait que certaines

de leurs caractéristiques sont présentes tout au long des années 1950 à 1980. Même si on

garde de bons rapports avec certains membres de la famille et certains voisins, l’assistance

se fait beaucoup moins fréquente. Les petits et moyens commerces et services et les

bâtiments paroissiaux du quartier Saint-Sauveur résonnent moins, quant à eux, de l’écho

des voix des résidants. La vie locale et particulièrement paroissiale en est affectée.

4.3.3 Des retombées toujours présentes

Bien que les sociabilités et l’état d’interconnaissance vécus par les membres du corpus

dans le quartier Saint-Sauveur durant les années 1950, 1960 et 1970 perdent de leur teneur,

ils exercent toutefois encore une influence notable sur les trajectoires résidentielles, les

parcours professionnels et les circonstances de rencontre des futurs époux, analysés

précédemment.

Dans un premier temps, il est pertinent de rappeler qu’un des facteurs de choix résidentiels

des membres du corpus fut leur appréciation de cet état d’interconnaissance, même en dépit

des changements qui ont eu lieu. Cette caractéristique du milieu fit en sorte que d’anciens

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299

voisins ou des membres de la famille des participants revinrent dans le quartier Saint-

Sauveur après l’avoir quitté parce qu’ils désiraient retrouver un milieu où ils connaissaient

plusieurs personnes. Par ailleurs, les stratégies de recherche d’un nouveau logement

comprennent toujours la mise à profit des contacts personnels, qu’ils soient présents ou non

dans le secteur désiré. Une participante en donne un exemple lorsque nous lui avons

demandé la raison du choix de Val-Saint-Michel comme lieu d’installation du ménage en

1959626

: « Ben, mon mari allait s’faire les cheveux chez l’barbier, M. Boilard. Pis c’est lui

qui lui avait dit qu’y avait un terrain. » (#01) La diminution du nombre de ces contacts en

raison de l’exode résidentiel vers les banlieues et les secteurs de Québec en développement

fait toutefois en sorte que les participants locataires doivent consulter les petites annonces,

comme nous le mentionnions au deuxième chapitre. Il en va de même pour les

propriétaires, qui doivent placer une annonce dans un quotidien ou un hebdomadaire local

afin de combler leurs logements vacants. Des sociabilités de voisinage et paroissiales, par

lesquelles ils étaient informés de la présence de ménages recherchant un logement, moins

développées et le départ de plusieurs membres de leur famille du quartier sont en cause.

La connaissance de certaines élites locales facilite l’acquisition d’une propriété durant

cette période. Par exemple, le fait qu’un participant (#29) connaissait le directeur de la

caisse populaire où il contracta son prêt hypothécaire en raison du fait qu’ils avaient habité

l’un en face de l’autre pendant longtemps facilita ses démarches en vue d’accéder à la

propriété dans les années 1970. La participante #25 nous a mentionné que la connaissance

du député provincial en poste, membre du conseil d’administration de la caisse populaire de

sa paroisse et habitant à proximité de chez elle, avait aussi favorisé son père dans

l’obtention d’un prêt hypothécaire en 1958. Un autre membre du corpus (#09), quant à lui,

s’attira les faveurs d’un quincaillier membre d’un tel conseil en lui promettant d’encourager

son commerce après avoir acheté son immeuble, ce qu’il fit en 1976. Ces contacts

privilégiés favorisent l’accès à la propriété, alors que par ces coups de main, les élites

locales s’attirent des clientèles assurant ou favorisant le maintien de leur position et celui de

leur établissement.

626

Rappelons que le conjoint de la participante avait souhaité acquérir une demeure dans un milieu verdoyant,

qu’il estimait profitable au développement de ses enfants.

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300

Les élites locales jouent toujours également un rôle de recommandation dans le domaine

professionnel. Le député ayant facilité la tâche du père de la participante #25 au moment

d’acheter un immeuble appuie la candidature de cette dernière pour entrer dans la fonction

publique provinciale, où elle passa sa carrière627

. L’obtention d’un emploi relève souvent

également d’une recommandation d’un membre de la famille, d’un voisin ou encore d’un

collègue de vie associative. Elle est perçue, à l’image des décennies précédentes, comme

étant nécessaire ou fort utile. Des hommes et des femmes que nous avons rencontrés ainsi

que le frère d’une participante (#26) font entrer leur fils, leur fille ou leur neveu dans leur

milieu de travail dans l’optique d’un emploi de jeunesse. Plus tard dans la vie des enfants

des membres du corpus, nous avons également relevé des cas de placements professionnels

effectués par les parents, c’est-à-dire que le participant ou la participante se charge de

trouver un emploi à son fils ou à sa fille en se servant de ses propres réseaux de contacts.

Des gens profitent encore de la connaissance de personnes disposant d’un pouvoir

d’embauche dans l’entreprise où ils œuvrent. C’est notamment le cas d’un participant

(#07), qui vit son entrée dans une entreprise facilitée par la connaissance du directeur,

rencontré au moment de son implication dans le mouvement scout. Une voisine et amie

invita la participante #26 à postuler pour un emploi dans son milieu de travail afin de

profiter de meilleures conditions de travail. Son embauche fut favorisée par sa connaissance

du patron, qui avait été membre de la Ligue Ouvrière Catholique en même temps que son

mari. Un membre du corpus (#08) profita des sociabilités propres à la sphère paroissiale

pour entrer au service d’une caisse populaire sur invitation du directeur. Ce dernier

connaissait sa famille, l’avait vu grandir et avait pu surveiller son comportement général

pendant plusieurs années. Enfin, le beau-frère d’une participante (#06) embaucha le mari de

cette dernière et la mère d’un autre participant (#22), veuve, fut embauchée par son

oncle628

.

Les clans familiaux sont ainsi toujours présents dans les milieux de travail. Le même

phénomène de contrôle social exercé par la famille est encore perceptible, comme en

627

Au sujet de l’influence des députés, voir aussi le collectif CourtePointe, op. cit., p. 39. 628

Un seul autre cas de recours à un bureau de placement fut déclaré par les participants durant cette période.

Une participante (#16) y trouvera une offre d’emploi pour un des grands commerces de la rue Saint-Joseph au

début des années 1960; elle y finira sa carrière comme couturière.

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301

témoigne une participante étant entrée à l’emploi de l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur-de-Jésus,

situé dans le quartier Saint-Sauveur, au milieu des années 1960 :

Pis, y avait beaucoup de familles mettons du bas du fleuve, ou de Dorchester, la

Beauce, que les filles s’en v’naient à Québec pour travailler, pis là toute la gang

travaillait à même place. Trois quatre, les matantes, les, les sœurs, tsé les

familles là, ça travaillait. Par contre, ben comme l’hôpital ça leur faisait comme

une référence. La matante qui am’nait sa nièce travailler là, ben là la nièce a

s’arrangeait pour pas faire honte à sa tante, parce que toute la famille le saurait

là. (rires) (#20)

Ce contrôle semble ainsi autant apprécié des employeurs qu’auparavant.

En dernier lieu, l’analyse des circonstances de la rencontre du futur époux pour les

participants ayant vécu ce moment durant les années 1950, 1960 et 1970, au nombre de 11,

montre encore la place importante occupée par les réseaux de contacts personnels, qui

concernent six de ces 11 participants. Mais à la différence de la période précédente, les

amis (quatre cas, soit les participants #03, 22, 23 et 25) déclassent les membres de la

famille (deux cas, soit les participants #08 et 28). Trois des quatre premiers participants

sont de la seconde cohorte d’âge, ce qui nous laisse croire que ces données ont à voir avec

leurs sociabilités plus développées avec leurs amis par rapport à celles des informateurs

plus âgés. Outre ces six cas, deux membres du corpus (#07 et 21) rencontrèrent leur future

conjointe par leur biais de leur engagement dans le Comité des citoyens et citoyennes du

quartier Saint-Sauveur. Un autre participant (#13) vécut cet événement dans un casse-

croûte de la paroisse où il résidait. Deux membres du corpus doivent enfin remercier leur

bonne étoile, ayant fait la connaissance de leur épouse par hasard sur une piste de danse

d’une salle du quartier Limoilou (#09) et dans un autobus, lui en tant que conducteur (#24)

et elle en tant que passagère. Les fréquentations de ces 11 couples jusqu’à leur mariage ne

sont pas freinées par le statut socioéconomique de leur famille respective. Le système des

« bons soirs », pour sa part, compte de moins en moins d’adeptes au cours de ces trois

décennies.

Les sociabilités et l’état d’interconnaissance continuent ainsi d’avoir un impact important

sur les parcours de vie d’hommes et de femmes que nous avons rencontrés en dépit de

l’évolution notée dans les stratégies de recherche d’un logement ou de locataires et dans les

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302

circonstances de rencontre. Certains membres du corpus évaluent tout de même leurs

relations sociales locales de manière sombre en fin de période, ce qui s’explique notamment

par le contraste entre ce qu’ils avaient vécu et apprécié et la perte de vitesse de leur univers

social entre 1950 et 1980. Fermetures de lieux de sociabilités, baisse du nombre

d’occasions d’échanger, changements sociodémographiques donnant l’impression d’une

fracture dans l’homogénéité sociale du quartier et nouvelles mentalités guidant les rapports

avec autrui affectent significativement la vie dans les voisinages et dans les paroisses. Vivre

ensemble dans le quartier Saint-Sauveur est ainsi fort différent qu’auparavant pour ses

résidants anciens.

Conclusion

La butte à moineaux. Cette expression employée pour qualifier le quartier Saint-Sauveur a

été rapportée par des membres de notre corpus. La vie locale qui s’en dégage lors des

décennies 1930 et 1940 rend aisément compréhensible l’allusion à un rassemblement

d’oiseaux, bruyant et animé. Une autre expression couramment utilisée pour définir le

quartier fait également référence aux sociabilités. « Tissé serré » témoigne en effet des

dynamiques d’assistance. Ces deux qualificatifs ne sont certes pas propres à ce quartier, car

ils auraient pu s’appliquer à d’autres quartiers populaires.

Plusieurs facteurs favorisent des sociabilités denses dans le quartier Saint-Sauveur pendant

cette période et tendent ainsi à créer un état d’interconnaissance développé. Les relations

sont vécues, selon les cas, dans le logement, sur le seuil de la porte, sur le trottoir, à

l’épicerie, sur le parvis de l’église ou encore au centre paroissial. La famille occupe une

place centrale dans cet univers social. Les relations de voisinage sont également

nombreuses, mais une position de réserve, adoptée afin de protéger sa vie privée, limite leur

approfondissement. Les rapports avec les petits et moyens commerçants sont, quant à eux,

chaleureux et personnalisés, et cette ambiance rejaillit sur l’évaluation de la vie locale en

général.

Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale et lors des décennies suivantes par contre,

les échos de la butte à moineaux, dans le quartier Saint-Sauveur comme ailleurs, perdent de

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leur force. De nombreux départs et de nouveaux arrivants, le remplacement de la marche à

pied par l’automobile, l’abandon des petits et moyens commerces et services, la baisse de la

participation à la vie communautaire paroissiale, l’usage de la télévision et la mise de

l’avant d’une attitude plus individualiste modifient effectivement les sociabilités locales et

l’état d’interconnaissance. Ces changements viennent modifier une constituante centrale de

la culture urbaine dans le milieu populaire étudié. Les pratiques du quartier en matière de

sociabilités perdent de leur teneur sur plusieurs aspects, alors que l’état d’interconnaissance

est moins prononcé qu’auparavant. Ces mutations se vivent à l’échelle des voisinages et

aussi à celle des paroisses; dans le second cas, ces espaces sociaux jusqu’alors majeurs

souffrent de la perte de lieux de sociabilités et de la baisse de la pratique religieuse et de la

participation à la vie communautaire.

L’univers social des membres du corpus n’est cependant pas entièrement transformé.

Grâce, entre autres, aux résidants anciens qui ne le quittent pas et à une organisation

spatiale toujours favorable, certaines pratiques et valeurs traditionnelles sont toujours

présentes en 1980. L’attribut de village en ville ne peut lui être décerné en matière de

pratiques de consommation durant la période 1930-1980; il lui convient davantage dans le

domaine des sociabilités. Un autre aspect de la vie locale demeure également stable tout au

long de la période couverte par notre étude, malgré les changements vécus dans les

pratiques de consommation et dans les sociabilités. Les membres du corpus témoignent en

effet d’une forte appartenance à leur quartier. Mais « leur » quartier ne s’étend pas entre la

rivière Saint-Charles et le coteau Sainte-Geneviève; il ne compte pas non plus plusieurs

clochers.

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5 – Notre clocher, notre quartier

Le quartier Saint-Sauveur en tant qu’entité administrative municipale fut créé en 1916 lors

du redécoupage de la carte électorale de la ville de Québec. Ce remaniement fut rendu

nécessaire par une vague d’annexions réalisées entre 1908 et 1914629

. Il est composé à ce

moment de deux paroisses, mais comme nous l’avons mentionné au premier chapitre, la

croissance rapide de la population entraîne l’érection de quatre autres paroisses sur son

territoire entre 1917 et 1945630

.

En 1930, au moment où s’amorce la période à l’étude, les résidants du quartier Saint-

Sauveur en fréquentent plusieurs secteurs et particulièrement leur paroisse de résidence et

ce, pour divers motifs. L’expérience quotidienne du milieu de vie est susceptible de

contribuer à l’élaboration d’un sentiment d’appartenance envers lui en raison, entre autres,

de la répétition de mêmes habitudes qui sont parfois partagées par un grand nombre de

personnes comme aller à l’épicerie du coin, de la participation à la vie communautaire, du

développement de sociabilités et de la perception de vivre dans un milieu homogène. Ces

facteurs peuvent donner à ce milieu une charge affective positive et créer parmi ses

habitants un esprit de corps631

. Il en va aussi de même de facteurs qui ne sont pas associés à

la vie quotidienne, comme l’histoire de ce milieu, ses commerces, ses services, ses lieux et

espaces de loisirs, ses lieux de travail ou ses particularités architecturales et physiques.

Ainsi, comme l’énonce Morin : « … l’identité de quartier se construit à partir de l’espace

subjectivé et du territoire objectivé632

». Le sentiment d’appartenance à son milieu de vie

forge progressivement chez les individus, selon les termes des géographes, une conscience

territoriale marquée par des phénomènes d’inclusion et d’exclusion633

. Il oriente également

les représentations sur les espaces qui l’entourent.

La production scientifique a pointé la place fondamentale occupée par la paroisse dans

l’éventail des identités urbaines au Québec jusque dans la seconde moitié du XXe siècle.

629

Rappelons que les villages de Saint-Malo, de Limoilou et de Montcalm, notamment, rejoignent la ville de

Québec. 630

Voir la carte placée à l’annexe 1. 631

NOSCHIS, op. cit., p. 18, 145; MORIN et ROCHEFORT, op. cit., p. 107. 632

Richard MORIN, « Quartier, identité et logement communautaire », dans Lucie K. MORISSET et Luc

NOPPEN (dirs.), Les identités urbaines. Échos de Montréal, Québec, Nota Bene, 2003, p. 282. 633

COURVILLE, « L’identité culturelle : l’approche du géographe », dans MATHIEU, op. cit., p. 39-40.

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Cette place est plus importante encore si l’on se concentre sur les identités liées à l’espace

vécu et qu’on fait abstraction des autres sources d’appartenance comme la classe sociale, la

profession ou l’ethnie. Historiens, anthropologues, sociologues et ethnologues ont étudié la

vie paroissiale urbaine québécoise aux XIXe et XX

e siècles. Ils ont notamment souligné le

rôle des paroisses comme pôle d’appartenance et pôle d’identification comme quartier de

résidence. En effet, bon nombre de résidants d’une paroisse nourrissent un attachement

envers elle. C’est elle, et non pas le quartier administratif érigé par les autorités

municipales, qui est considérée par plusieurs de ses résidants comme leur quartier634

.

Ferretti, dans son ouvrage portant sur une paroisse montréalaise au cœur de Montréal entre

1848 et 1930, conclut que cette dernière a perdu le rôle central qu’elle occupait dans la vie

sociale de ses résidants à partir des années 1910 pour devenir « […] essentiellement une

communauté de foi635

». Ce phénomène est dû notamment à la situation de cette paroisse

dans la ville. Un développement urbain rapide mène à la réorganisation de services sur une

base supraparoissiale et l’attrait des lieux de consommation commerciaux situés sur les

grandes artères du centre-ville éloigne les paroissiens des lieux et espaces de loisirs, de

divertissements et de vie communautaire paroissiaux. Des études ultérieures ont toutefois

révélé que la paroisse, même au cœur des villes, joue toujours dans les années 1940 un rôle

important au Québec dans certains aspects de la vie sociale636

.

On peut ainsi se demander comment se caractérise la vie paroissiale entre 1930 et 1980

dans le quartier Saint-Sauveur de Québec, contigu au cœur commercial et ludique de la

ville, tant en regard des éléments qui la composent que des pratiques des paroissiens. Quel

impact a cette vie paroissiale sur le rapport identitaire à l’espace vécu? Comme il en fut

mention au troisième chapitre, les résidants du quartier Saint-Sauveur, dont les membres du

corpus et leurs parents, fréquentent régulièrement dès le début de la période étudiée divers

secteurs du quartier et de la ville de Québec pour le travail, leurs achats ou encore leurs

loisirs. Cela a-t-il une incidence sur ce rapport identitaire? À quel territoire se sentent-ils le

plus liés affectivement et s’identifient-ils? Ce territoire d’appartenance est-il considéré

comme leur quartier? De plus, si le sentiment d’appartenance à un territoire marque les

634

Voir notamment FORTIN et al., op. cit., p. 46. 635

FERRETTI, op. cit., p. 191-192. 636

C’est le cas, entre autres, de l’assistance. Voir BONNIER, op. cit., p. 98.

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représentations sur les espaces qui l’environnent, quelles sont ces représentations au sein de

notre corpus? Comment évoluent le rapport identitaire à l’espace vécu et les représentations

lorsque les paroisses du quartier Saint-Sauveur commencent à perdre « de [leur]

superbe637

» durant les années 1950, en raison de la transformation du rapport à l’Église

catholique au Québec et des mutations sociodémographiques et des modes de vie dans le

quartier comme dans d’autres quartiers populaires centraux?

Les paroisses du quartier Saint-Sauveur apparaissent être des pôles majeurs

d’appartenance pour les membres du corpus et ce, en dépit de leur expérience notable de

divers secteurs de la ville de Québec entre 1930 et 1980. Elles sont perçues comme des

quartiers. Des rapports d’opposition envers les paroisses environnantes ainsi qu’envers la

Basse-Ville et la Haute-Ville de Québec découlent de ce sentiment d’appartenance

paroissiale et de la fierté des participants relative à leur statut socioéconomique et aux

caractéristiques générales de leur milieu de vie. En dépit des transformations marquées de

la vie paroissiale à partir des années 1950 et ce, sur trois plans, la pratique religieuse, les

loisirs, divertissements et vie communautaire et associative, ainsi que les caractéristiques et

les pratiques associées au réseau de commerces et de services du quartier Saint-Sauveur, le

rapport identitaire des participants à l’espace vécu et leurs représentations sur les espaces

urbains mentionnés ne changent pas.

Nous nous attardons dans un premier temps à l’analyse de la vie paroissiale dans le

quartier Saint-Sauveur de 1930 jusqu’au cours des années 1950, de la charge identitaire qui

y est reliée et des résonances de cette dernière auprès des membres du corpus. Nous

identifions par la suite ce que les participants considèrent être le ou les quartier(s) dans

le(s)quel(s) ils ont vécu. Nous examinons dans la troisième partie leurs rapports à d’autres

espaces urbains, avant de procéder, en dernier lieu, à l’étude des transformations de la vie

paroissiale au cours des années 1950, 1960 et 1970 et de leur impact sur les appartenances

et les représentations des membres du corpus.

637

L’expression est celle de Deschênes, qui a étudié le quartier Limoilou. DESCHÊNES, op. cit., p. 14.

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5.1 Un pôle structurant de la vie locale et de l’appartenance : la

paroisse

Les paroisses du quartier Saint-Sauveur structurent significativement, jusqu’au cours des

années 1950, la vie locale et le sentiment d’appartenance à l’espace vécu. Trois facteurs,

principalement, entrent ici en jeu pour expliquer ce phénomène. Dans le contexte

socioreligieux de l’époque au Québec, le sacré et ses manifestations occupent une place

importante dans la vie quotidienne, ce qui constitue un facteur d’identification et

d’attachement à la paroisse pour plusieurs individus. En second lieu, notons les efforts

soutenus des autorités religieuses paroissiales qui organisent des loisirs et des

divertissements et soutiennent de façon dynamique une vie communautaire et associative

diversifiée. Les membres du corpus prennent part à ces activités et à cette vie diversifiée et

un sentiment d’appartenance à leur paroisse s’en nourrit. Enfin, le réseau de commerces et

services du quartier Saint-Sauveur ajoute une troisième dimension significative à la vie

paroissiale. Ses caractéristiques et les pratiques qui y sont réalisées contribuent au

processus par lequel les participants s’attachent à leur paroisse, qui leur apparaît être un

milieu de vie pratiquement complet.

5.1.1 La vie religieuse

Bien servie par des effectifs nombreux638

, l’Église catholique exerce jusqu’aux années

1950 un encadrement socioreligieux étroit de la population québécoise. Le clergé

paroissial639

, en contact direct avec les gens, joue un rôle important dans la vie quotidienne.

Comme le mentionne un participant : « Les curés là, […] c’tait eux autres qui géraient dans

l’temps. La paroisse, quand y disaient tout l’monde vire à droite, tout l’monde virait à

droite hein. » (#29) Le clergé paroissial est présent dans l’assistance, comme nous l’avons

vu au chapitre précédent. Son érudition et sa connaissance des affaires publiques sont, de

638

En 1931, le Québec compte 25 332 religieux(ses) membres d’une congrégation, soit un(e) pour 97

catholiques. En 1932, il compte également 4086 membres du clergé (prêtres), soit un pour 603 fidèles. En

1960, ces chiffres s’élèvent à 8400 prêtres et 45 253 religieux(ses). Jean HAMELIN, « Le XXe siècle. Tome

2 : De 1940 à nos jours », dans Nive VOISINE (dir.), Histoire du catholicisme québécois, Montréal, Boréal

Express, 1984, p. 162, 173; Paul-André LINTEAU, René DUROCHER, Jean-Claude ROBERT et François

RICARD, Histoire du Québec contemporain. Le Québec depuis 1930. Tome II, Montréal, Boréal Compact,

1989, p. 334. 639

Nous entendons ici par clergé paroissial le curé ainsi que ses vicaires.

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plus, parfois mises à profit640

. Conseils et gestes d’entraide sont appréciés, toutefois, la

gestion parfois autoritaire des curés et des vicaires des affaires socioreligieuses en dérange

plus d’un, notamment les femmes, qui subissent régulièrement la pression d’accroître leur

famille641

. Le clergé paroissial est à l’affût des écarts aux normes morales qu’il énonce, non

seulement en matière de natalité, mais plus généralement de comportements.

Vicaires et curés appellent leurs ouailles à une pratique religieuse toujours plus soutenue.

La vie paroissiale des résidants du quartier Saint-Sauveur est ainsi, par désir personnel, par

habitude ou par volonté de ne pas faire de vague, empreinte de sacré. La fréquence de

l’assistance à la messe varie parmi les membres de notre corpus jusque dans les années

1950, tant pour la période où ils y allaient avec leurs parents que pour celle où ils sont

maîtres de leurs choix. La plupart y vont au moins une fois par semaine, le dimanche.

Certains offices religieux sont particulièrement appréciés par des hommes et des femmes

que nous avons rencontrés, notamment les vêpres (messe du soir). Nous avons relevé peu

de cas de pratique religieuse fervente parmi les membres du corpus, qu’elle soit avouée par

les participants ou manifeste de par leur description de cette pratique642

. Lorsqu’ils étaient

enfants et adolescents, des participants masculins ont occupé la fonction de servant de

messe. Il s’agissait principalement, précisent-ils, de bénéficier du petit salaire, souvent de

dix sous, qui leur était payé. La participante #17, parmi les huit membres du corpus ayant

intégré des mouvements d’action catholique spécialisée (Ligue Ouvrière Catholique,

640

Le père d’un participant consulte, par exemple, un prêtre pour s’enquérir du mode de fonctionnement

d’une assemblée. 641

Une participante, qui eut cinq enfants, en parle ainsi: « Dans Notre-Dame-de-Grâce c’tait des grosses

familles. C’tait réellement des grosses familles. Parce que j’sais que l’curé des fois y passait, une fois par

année, y allait visiter le monde, y rentrait d’in maisons. Pis quand y disait, y n’a tu un nouveau c’t’année là.

Pis quand y avait pas un nouveau, ben y disait hey ça commenc’rait à être le temps qu’vous n’ayez un autre

là. Pis y en a qui avaient une dizaine d’enfants pis… ou ben quand y avaient 14 enfants, comme Thérèse

Dubuc (nom fictif) là, y leur donnaient un cadre de félicitations. Quatorze. J’ai dit tsé franchement là.

L’cadre, moi j’l’aurais passé là. » (#32) 642

Cela correspond à ce qu’ont pu constater d’autres chercheurs en ce qui concerne la piété de la population

québécoise. Le contraste entre l’encadrement socioreligieux de l’Église catholique et les pratiques des gens

est souvent souligné, tout comme le fait que les pratiques ne sont pas significativement plus soutenues que

dans d’autres milieux catholiques. Voir notamment Luc NOPPEN et Lucie K. MORISSET, Les églises du

Québec. Un patrimoine à réinventer, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2005, p. 43.

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Jeunesse Étudiante Catholique, etc.), a également mentionné l’avoir fait davantage pour

socialiser que par dévotion, comme nous l’avons vu au chapitre précédent643

.

La pratique religieuse des participants se fait essentiellement dans la paroisse de résidence.

C’est le cas de l’assistance aux offices religieux, de la réception de sacrements comme le

baptême, la première communion, la confirmation et le mariage et de la participation aux

mouvements de piété et d’action catholique spécialisée. Certains participants vont

occasionnellement à la messe dans une autre paroisse où ils ont déjà vécu et à laquelle ils

sont encore attachés ou simplement pour changer la routine ou par curiosité. Le plus

souvent cependant, même en quittant une paroisse appréciée, les participants fréquentent

leur nouvelle église. Il arrive également que des mariages soient célébrés dans une tierce

paroisse où ni l’époux ni la mariée ne demeure. Cette situation s’explique par des

impératifs liés aux horaires de travail de l’époux ou encore des revenus disponibles. Les

autorités religieuses paroissiales offrent une gamme de cérémonies de mariage à des prix

variés auxquels correspond notamment un moment du jour, un endroit précis dans l’église

(autel principal, chapelle latérale, etc.) et un ensemble de décorations644

.

Cette caractéristique de la pratique religieuse découle, selon nous, des appels répétés du

clergé paroissial à pratiquer dans la paroisse de résidence qui portent fruits, d’un sentiment

d’appartenance paroissiale incitant, dans ce domaine, à demeurer généralement « chez soi »

et de ce que nous appellerions une conscience paroissiale qui inciterait à participer

généralement à la vie de la paroisse où l’on demeure. Ce sentiment d’appartenance

paroissiale tient à divers facteurs que nous analysons dans ce chapitre; l’un de ces facteurs a

trait à la vie religieuse. Assister à la messe à moyen ou à long terme dans sa paroisse de

résidence, y recevoir divers sacrements, dont le mariage Ŕ un rituel majeur qui ponctue

l’existence Ŕ, ainsi que participer aux mouvements de piété et d’action catholique

spécialisée contribuent en effet, dans plusieurs cas, à s’attacher à sa paroisse ainsi qu’à son

église et à susciter un esprit de corps paroissial.

643

Sept participants ont été également membres d’une confrérie pieuse pour enfants et jeunes gens (Enfants

de Marie, Croisés), mais nous n’avons pas relevé la raison de leur inscription. 644

Les parents d’une participante se marieront ainsi dans la paroisse Saint-Joseph, alors qu’ils n’y habitent

pas et n’en sont pas natifs, parce qu’il y est possible de se marier à six heures le matin. Voir à ce sujet

l’exposition virtuelle « Coutumes et culture » du Réseau de diffusion des archives du Québec, section

« Juin », « Mariages et noces ». Page consultée le 21 décembre 2011.

http://rdaq.banq.qc.ca/expositions_virtuelles/coutumes_culture/juin/mariage_noces/clin_oeil_tradition.html.

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310

Divers événements spéciaux ponctuant l’année liturgique produisent les mêmes effets.

C’est le cas notamment des processions de la Fête-Dieu. Organisées dans chaque paroisse,

elles sont l’occasion pour les membres de plusieurs associations, groupes et mouvements,

ainsi que pour des écoliers, de défiler devant les paroissiens massés sur les trottoirs645

. Elles

empruntent plusieurs rues de la paroisse646

. Tout le long du parcours, les maisons sont

décorées par leurs occupants pour l’occasion. Les processions de la Fête-Dieu, ainsi que

d’autres événements religieux comme les processions de la fête du Sacré-Cœur, qui, elles,

sillonnent l’ensemble des paroisses du quartier, sont fort appréciés par les membres du

corpus. Ils aiment l’ampleur de ces événements, les nombreuses occasions de sociabilités

qu’ils créent en raison de leur popularité et l’air de fête qui plane sur les lieux concernés

lorsqu’ils se déroulent. La majorité des participants, même les plus jeunes du corpus,

estiment qu’il s’agit là des événements les plus importants s’étant déroulés dans le quartier

Saint-Sauveur durant toute la période étudiée647

.

Les événements paroissiaux comme les processions de la Fête-Dieu attisent la fierté et

forgent l’appartenance et ce, dès l’enfance lorsqu’on assiste à ces rassemblements ou

lorsqu’on participe à ces processions. Ces sentiments, qui lient les individus au territoire

paroissial, sont aussi alimentés par des éléments de la vie religieuse propres à certaines

paroisses. C’est le cas, par exemple, des rassemblements en plein air qu’organise le père

645

Par exemple, la procession de la Fête-Dieu du dimanche 26 mai 1940 dans la paroisse Saint-Sauveur met

en scène, dans l’ordre : des policiers, les porteurs de la croix « et leurs acolytes », les élèves du Couvent de la

Congrégation Notre-Dame, de l’Orphelinat Saint-Sauveur, de l’École Durocher, de l’École Saint-Luc et du

Collège des Frères des Écoles Chrétiennes, les jeunes filles et jeunes femmes membres des Enfants de Marie

et de la Jeunesse Ouvrière Catholique Féminine, les femmes membres des Dames de la Sainte-Famille et du

Tiers-Ordre (section Sœurs), les jeunes hommes membres de la Congrégation des Jeunes Gens, les hommes

membres de la Congrégation des Hommes et du Tiers-Ordre (section Frères), la fanfare paroissiale

Lambillotte, les enfants de chœur, les membres du clergé, la garde paroissiale Salaberry, la chorale paroissiale

et enfin les députés, échevins et officiers des sociétés catholiques. Archives des Oblats de Marie-Immaculée

(Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de Québec. Journal paroissial L’Étincelle du Sacré-

Cœur, 26 mai 1940. 646

Pour n’en donner qu’un exemple, soulignons qu’à la même date du 26 mai 1940 dans la paroisse Saint-

Sauveur, la procession suit le parcours suivant : depuis l’intersection des rues Carillon et Père-Grenier, elle

emprunte la rue Carillon, puis, par la suite, les rues Saint-Vallier, Hermine, De Mazenod, Bagot, Saint-Luc et

finalement Boisseau jusqu’à l’église, soit un trajet de 1,8 kilomètres décrivant une grande boucle autour de

l’église paroissiale. Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-

Sauveur de Québec. Prônes. « Cahier des annonces à l’Église Saint-Sauveur du 1er

janvier 1937 au 3 mai

1942 », 19 mai 1940. 647

Les autres événements considérés les plus importants sont des incendies, des accidents, la présence de

groupes de motards dans le quartier, le déclin démographique relié à l’exode résidentiel vers les banlieues et

les secteurs de Québec en développement et des événements annuels comme la rentrée des classes.

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oblat Victor Lelièvre, vicaire dans la paroisse Saint-Sauveur, dans cette paroisse et ailleurs

à Québec. Ce missionnaire-prédicateur fougueux arrivé au Québec en 1903648

attire les

foules de partout dans la ville de Québec. Les paroissiens de Saint-Sauveur en retirent un

certain orgueil et se comparent ainsi avantageusement aux résidants d’autres paroisses qui

ne sont pas le lieu de grands rassemblements649

. Cet orgueil est aussi le fait des paroissiens

de Notre-Dame-de-Grâce, paroisse qui compte un complexe de piété en plein air.

En 1927, le curé de Notre-Dame-de-Grâce, Édouard-Valmore Lavergne, conçoit un projet

de grotte à même le roc du coteau Sainte-Geneviève, à l’arrière de l’église et du centre

paroissial, qui servirait de lieu pour la prière, les cérémonies religieuses et les pèlerinages.

Ce projet d’envergure est inspiré du site de Notre-Dame-de-Lourdes, dans les contreforts

des Pyrénées françaises. Des souscriptions populaires et des appels au travail bénévole sur

le chantier en permettent la réalisation; la grotte est terminée avant la fin de la décennie650

.

L’endroit ne tarde pas à devenir la destination de diverses processions, comme celle de la

Fête-Dieu, et la scène de cérémonies religieuses qui font mémoire. Par exemple, la messe

annuelle des malades, initiée par le curé Lavergne en mai 1928 et tenue aussi bien à la

grotte qu’à l’intérieur de l’église, est poursuivie par ses successeurs. D’autres activités

comme du cinéma en plein air sont également organisées sur le site. L’implication

populaire dans l’aménagement de ce dernier, son animation et sa renommée

extraparoissiale, à l’image de celle de la salle de spectacles du centre paroissial adjacent,

sont objets de grande fierté pour les résidants de Notre-Dame-de-Grâce. Il apparaît ainsi

que le plein air occupe une place significative dans la vie locale du quartier Saint-Sauveur à

cette époque en regard de la participation aux rassemblements de nature religieuse et aux

diverses activités culturelles et sportives organisées près des centres paroissiaux et du

complexe de piété de Notre-Dame-de-Grâce, ainsi que des sociabilités de voisinage, qui

prennent place dans une large mesure à l’extérieur, comme nous l’avons vu au chapitre

précédent.

648

Il est décédé en 1956. 649

Cette question de la comparaison, constituante des rapports d’opposition envers d’autres paroisses, est

approfondie dans la troisième partie de ce chapitre. 650

Les environs de la grotte sont progressivement mis en valeur. En 1932, un monument de l’Agonie du

Christ, élevé au bout d’un large escalier construit en parallèle du coteau, est inauguré. Suivent l’année

suivante les dévoilements d’une statue de Saint-Joseph, patron des ouvriers, et d’une fontaine où est canalisée

l’eau d’une source jaillissant quelques mètres plus haut. Il se développe ainsi un complexe de piété en plein

air unique dans le secteur. Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce de Québec.

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La vie religieuse, même en l’absence de pratique religieuse marquée, stimule ainsi

l’appartenance paroissiale de diverses manières. Les églises, constituantes centrales de la

vie religieuse, représentent pour les participants les principaux hauts lieux des paroisses.

Une charge affective considérable leur est associée. Leur disparition éventuelle, parmi

toutes les disparitions de lieux qui ponctueront la vie des membres du corpus, est par

conséquent celle qui leur causera le plus de tristesse, comme nous le verrons dans la

dernière partie de ce chapitre.

5.1.2 Les loisirs, les divertissements et la vie communautaire et associative

Les autorités religieuses paroissiales ne s’efforcent pas seulement de labourer le terreau de

la foi afin de susciter une pratique religieuse toujours plus soutenue. Elles désirent que la

vie de leurs ouailles se déroule le plus possible dans leur paroisse, ce qui implique des

initiatives en matière de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et associative.

Assistées par les congrégations religieuses présentes sur leur territoire et les élites laïques,

commerçants, directeurs des établissements financiers, échevins, députés et autres notables,

elles travaillent à susciter et à maintenir une vie paroissiale animée et diversifiée et à inciter

les gens à en bénéficier. L’offre en présence de même que la participation à la vie

paroissiale sont sources de fierté et d’appartenance pour plusieurs personnes, ce que visent

alors les autorités religieuses paroissiales. Les paroissiens, et notamment les participants à

notre enquête orale, sortent tout de même régulièrement de leur paroisse et du quartier

Saint-Sauveur pour se divertir et pour d’autres raisons; cependant, cette expérience notable

d’autres espaces urbains n’empêche pas le fait que leur territoire d’appartenance demeure la

paroisse.

5.1.2.1 Des désirs et des initiatives

Durant la seconde moitié des années 1910, alors que la population du Québec croît et se

fait majoritairement urbaine, la ville est une source d’inquiétudes pour les autorités

religieuses catholiques. Celles-ci s’inquiètent en particulier de la présence de loisirs et de

divertissements commerciaux dont elles considèrent la moralité douteuse. Ces autorités

craignent que dans ces lieux, les individus adoptent de nouvelles valeurs et de nouveaux

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comportements jugés néfastes pour la famille et la pratique religieuse651

. Elles souhaitent

donc qu’ils les évitent et qu’ils meublent leurs temps libres dans leur paroisse, peu importe

l’âge, au moyen de sources de délassement jugées par elles moralement acceptables. En

conséquence, et profitant de ressources humaines de plus en plus imposantes, les autorités

religieuses passent à l’offensive au cours des années 1920 et des décennies suivantes en

mettant à profit une stratégie tant « horizontale » que « verticale »652

d’encadrement des

personnes.

Les autorités religieuses diocésaines procèdent à une multiplication du nombre de

paroisses propre à répondre à l’accroissement de la population et à favoriser une meilleure

prise en charge des individus653

. Leurs consœurs paroissiales, quant à elles, lancent

plusieurs initiatives et appuient celles venant de la population en matière de loisirs, de

divertissements et de vie communautaire et associative654

. Ces initiatives s’ajoutent à

l’offre déjà existante, qui varie de paroisse en paroisse selon le nombre de paroissiens, les

revenus et l’ancienneté de la paroisse, et densifient ainsi la vie paroissiale. Les autorités

religieuses paroissiales sont assistées des élites laïques locales. En fournissant des fonds,

que ce soit à titre personnel ou par le biais de divers comités655

, et en s’impliquant dans la

direction et la gestion des activités, des événements et des organisations diverses, ces élites

laïques augmentent pour leur part leur visibilité656

. Ces initiatives offrent aux citadins des

occasions de se divertir près de chez eux tout en permettant à l’Église catholique de

contrôler les contenus et les activités; ce qui s’avère peine perdue dans les lieux

651

Gilles ROUTHIER, « La paroisse québécoise : évolutions récentes et révisions actuelles », dans

COURVILLE et SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 51; BRAZEAU, op. cit., p. 16. 652

Ces termes sont repris de LEVASSEUR, op. cit., p. 64. 653

Rappelons que les paroisses Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Joseph et Notre-Dame-de-Pitié dans le quartier

Saint-Sauveur furent érigées en 1924, 1925 et 1945. Huit paroisses au total sont érigées à Québec durant la

décennie 1920. Un débat anime alors l’Église catholique et ce, jusqu’aux années 1960, quant au nombre idéal

de ménages que doit compter une paroisse afin que l’équipe pastorale puisse exercer un encadrement adéquat

illustré par le verset suivant de la Bible : « Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent » (Jean, 10 :

14). Les autorités religieuses visent globalement entre 1000 et 2000 ménages en milieu urbain. ROUTHIER,

« La paroisse québécoise : évolutions récentes et révisions actuelles », dans COURVILLE et SÉGUIN (dirs.),

op. cit., p. 49; VOISINE, op. cit., p. 56. 654

Certaines initiatives sont supraparoissiales, comme dans le cas des organisations de loisirs pour les jeunes.

L’Œuvre des Terrains de Jeux à Québec en est un bon exemple. Voir la description donnée au troisième

chapitre, p. 178. 655

Par exemple le conseil de fabrique et le conseil d’administration des caisses populaires. 656

En se basant sur les constats de Ferretti sur la paroisse Saint-Pierre-Apôtre de Montréal pour une période

antérieure (1848-1930), nous pouvons supposer que ces gestes consolident également leur position distinctive

au sein de la population du quartier. FERRETTI, op. cit., p. 108-123; 166-178.

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commerciaux et les organisations indépendantes de divers ordres (syndicats laïcs, clubs

sociaux, etc.657

). Les autorités religieuses diocésaines et paroissiales souhaitent susciter

chez les individus, au moyen d’une vie paroissiale dense et dynamique, un sentiment

d’appartenance fort envers leur paroisse, sentiment qu’elles croient propice, entre autres, à

l’affermissement de la pratique religieuse658

.

On procède ainsi à la construction, à l’aménagement ou au réaménagement de lieux et

d’équipements qu’on veille à animer. Des centres paroissiaux sont construits à proximité

des églises, des bâtiments sont réaffectés et des centres déjà existants sont réaménagés afin

d’accueillir davantage d’activités et d’événements. Ces centres comptent de nombreux

locaux de différentes dimensions, un ou plusieurs gymnase(s), une ou plusieurs salle(s)

multifonctionnelle(s) (spectacles, rassemblements, etc.) et dans quelques cas, une salle de

quilles. Des surfaces de jeux extérieures s’y ajoutent parfois. Dans le quartier Saint-

Sauveur, ces édifices voient le jour dans les paroisses Saint-Sauveur (1915), Saint-Malo

(1923, voir figure 5.1) et Notre-Dame-de-Grâce (1925). Dans certaines paroisses, il n’y a

pas de bâtiments indépendants. Des locaux et des salles multifonctionnelles aménagés dans

les sous-sols des églises font alors office de centre paroissial. Les paroisses Saint-Joseph,

Sacré-Cœur et Notre-Dame-de-Pitié659

sont dans cette situation.

657

LEVASSEUR, op. cit., p. 65. 658

ROUTHIER, « La paroisse québécoise : évolutions récentes et révisions actuelles », dans COURVILLE et

SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 51. 659

Lors des premières années d’existence de cette paroisse érigée en 1945, la population profite du centre

communautaire de la Wartime Housing, compagnie qui fut le maître d’œuvre de la construction résidentielle

dans ce secteur. Ce centre est dirigé par un laïc à l’emploi de la société gouvernementale. Des espaces de

loisirs, des locaux et une salle de quilles sont inaugurés au sous-sol de l’église en 1952. Archives de la

paroisse Notre-Dame-de-Pitié de Québec. Prônes. « Juin 1945 Ŕ Avril 1949 », 15 juillet 1945; [s.a.], Paroisse

Notre-Dame-de-Pitié. 50 ans. Toujours accueillante. 1945-1995. Album souvenir, Québec, [s.é.], 1995, p. 20;

DENAULT, op. cit., p. 118.

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Figure 5.1 – Centre Monseigneur-Bouffard, 9 janvier 1979

Source : Archives de la Ville de Québec; série Sécurité publique du fonds de la Ville de Québec; négatif

N013030. Auteur : Service de police de la Ville de Québec.

Ces lieux et ces équipements, gérés par des équipes formées de membres du clergé

paroissial, d’élites laïques locales et de citoyens « ordinaires », constituent des outils

d’attraction et de rétention dans leur paroisse des citadins de tous les âges. Ils procurent, de

plus, des revenus très utiles. Les autorités religieuses paroissiales veillent donc avec soin à

leur construction et à leur pérennité. Le cas de la paroisse Saint-Sauveur est à ce titre

intéressant. Un incendie détruisit au début de l’année 1945 la Halle Saint-Pierre, qui faisait

office tant de marché public que de centre paroissial. Les pères oblats, qui dirigent cette

paroisse peuplée d’environ 12 000 personnes à ce moment, réagissent rapidement. De fait,

le projet d’un nouveau centre était déjà dans les cartons de la congrégation, car l’espace

commençait à manquer à la Halle et des locaux devaient être loués près de l’église. Le 7

janvier 1945, le curé lance donc un appel en chaire à l’effet de donner généreusement en

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vue du « […] futur centre paroissial dont nous avons un pressant besoin : un centre de

loisirs honnêtes, un centre de formation, un centre d’action catholique660

». Il tente de

convaincre ses ouailles en parlant du succès de centres « modernes » ailleurs à Québec et

notamment dans la paroisse voisine, Saint-Malo. Cette dernière information n’est pas

donnée sans raison. L’appartenance paroissiale produit en effet chez les individus des

rapports d’opposition envers les autres paroisses, rapports marqués notamment par des

concurrences sourdes, comme nous le verrons dans la troisième partie de ce chapitre.

En avril 1945, le curé informe ses paroissiens d’une quête spéciale pour le nouveau centre,

qui jouit de l’approbation de l’évêché. Il ajoute : « Il faut aux plus âgés comme aux jeunes,

des loisirs chrétiens, des amusements honnêtes, des locaux pour nos organisations de toutes

sortes. […] [E]t ça presse disent les sociologues, d’organiser de ces centres661

». Ces appels

se répéteront pendant cinq ans. Aux arguments basés sur le besoin de loisirs honnêtes et la

nécessité pour les paroissiens de se divertir dans leur paroisse s’ajoute progressivement

celui de pouvoir retenir les familles, qui lentement quittent la paroisse et le quartier. Le

Centre Durocher, honorant la mémoire du père oblat Flavien Durocher, premier curé de la

paroisse Saint-Sauveur, sera finalement inauguré en 1950; il portera le surnom de « Palais

des Loisirs ».

Les paroissiens sont appelés à contribuer financièrement aux travaux de construction,

d’aménagement et de réaménagement des centres paroissiaux et parfois à donner de leur

temps bénévolement sur les chantiers lorsqu’ils sont en mesure de le faire, comme c’est le

cas à Notre-Dame-de-Grâce lors de l’aménagement du centre paroissial en 1924-1925662

.

Les centres sont ainsi des entreprises collectives. Cette conjugaison d’efforts individuels est

source de satisfaction et de fierté pour ceux qui les ont fournis.

660

Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de

Québec. Prônes. « Cahier des annonces à l’Église Saint-Sauveur du 3 décembre 1944 au 7 décembre 1947 », 7

janvier 1945. 661

Ibid., 15 avril 1945. 662

Le terrain sur lequel furent édifiés l’église et le centre paroissial fut auparavant occupé par une brasserie.

Par souci d’économie, quelques bâtiments furent préservés afin de les convertir en centre paroissial à l’arrière

de l’église. Voir Dale GILBERT, De cloches et de voix. Culture urbaine et patrimoine religieux bâti dans une

paroisse de Québec au XXe siècle : Notre-Dame-de-Grâce, Québec, Éditions Zemë, 2012. À paraître.

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Dès leur inauguration officielle, les équipes à la tête de ces centres travaillent à les animer

en cherchant à répondre à tous les goûts et à rejoindre les paroissiens de tous âges. Elles

multiplient donc les initiatives et encouragent celles des paroissiens, ce qui favorise

l’appropriation de ces centres par la population. Différents jeux et sports peuvent être

pratiqués occasionnellement ou au sein de ligues paroissiales et interparoissiales grâce aux

infrastructures mises sur pied : quilles663

(voir la figure 5.2), billard, hockey, base-

ball/balle-molle664

, tennis etc. Des groupes paroissiaux de loisirs pour les jeunes gens

comme les Œuvres de Jeunesse665

, les divers organes du mouvement scout (louveteaux,

jeannettes, guides, etc.) et le mouvement des cadets et cadettes profitent de ces

infrastructures et des divers locaux dans le cadre de leurs activités. Les résidants de Saint-

Sauveur, de Saint-Malo et de Saint-Joseph ont aussi l’occasion, en période estivale, d’aller

passer quelques jours en campagne dans des camps de vacances appartenant à la paroisse

ou loués par celle-ci666

.

663

Notons que les dames ne sont admises dans la salle de quilles du centre paroissial de Saint-Malo qu’en

1945. Gemma BEAUMONT, « Les centres paroissiaux à Québec », mémoire de maîtrise en service social,

Québec, Université Laval, 1947, p. 42. 664

Les surfaces de jeux extérieures dans la paroisse Sacré-Cœur accueillent, par exemple, au milieu des

années 1940, six équipes de hockey l’hiver et huit équipes de balle-molle l’été. Ibid., p. 26. 665

Voir la description donnée au quatrième chapitre, p. 239. 666

Les paroisses Saint-Sauveur et Saint-Malo louent le camp Saint-Albert à L’Ancienne-Lorette pour les

garçons. Les autorités de Saint-Sauveur deviennent propriétaires du camp au milieu des années 1940, mais les

gens de Saint-Malo y ont encore accès. Les jeunes filles de Saint-Sauveur vont, quant à elles, au camp Maria-

Goretti à Saint-Gérard-Magella. Les familles de Saint-Sauveur sont accueillies dans un camp familial distinct

du camp Saint-Albert à partir du début des années 1950 pour des séjours de quelques jours ou des pique-

niques familiaux. La paroisse Saint-Joseph, finalement, possède une colonie de vacances à Pont-Rouge durant

les années 1950. Les séjours dans ces camps requièrent une somme d’argent modique. Les faibles coûts

s’expliquent par les dons des élites laïques et le bénévolat des paroissiens pour certaines tâches comme la

cuisine. La demande importante fait en sorte que les séjours sont limités à un mois, puis à une semaine à

Saint-Sauveur. Ces camps paroissiaux ne sont pas nombreux à Québec en 1945 selon Denault. DENAULT,

op. cit., p. 121.

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Figure 5.2 – La ligue de quilles « La Jeunesse sportive de St-Malo, enr. » et M. l’abbé

Louis Chabot, directeur de la salle paroissiale, 1946

Source : Archives de la paroisse Sainte-Angèle-de-Saint-Malo de Québec. Auteur : Photo Moderne, Québec.

Une gamme variée d’activités est offerte dans les centres paroissiaux et cela, le jour et le

soir, sur semaine et la fin de semaine. On note ainsi la tenue de pièces de théâtre, de

récitals, de concerts, de conférences, de bingos, de parties de cartes667

ou encore de

représentations cinématographiques. S’y tiennent de plus des « veillées » de danses, des

repas communautaires, des bazars, des kermesses, des spectacles de magie et des

célébrations collectives des anniversaires de mariage (20e, 25

e, 30

e, etc.). À l’intérieur de

quelques centres, les gens peuvent aller se restaurer puisqu’on offre un service de casse-

croûte. Les autorités religieuses, qui veillent de plus à mettre en valeur l’histoire

paroissiale, organisent également dans les centres paroissiaux des rassemblements et des

repas communautaires soulignant les anniversaires de la paroisse elle-même (10e, 10

e, 25

e,

50e, etc.). En 1934 par exemple, 600 personnes prennent part au banquet soulignant le 10

e

anniversaire de Notre-Dame-de-Grâce668

. La photo reproduite à la figure 5.3 fut prise lors

du banquet tenu le sixième et dernier jour des festivités du 25e anniversaire de cette

paroisse. Ces célébrations représentent une autre occasion de développer ou de solidifier

667

Dont des parties d’euchre, jeu fort populaire à cette époque. 668

Notre-Dame-de-Grâce. Livre souvenir 1924-1994, op. cit., p. 36.

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l’appartenance à sa paroisse de résidence. On y valorise grandement l’œuvre des

« fondateurs », des « bâtisseurs » et des « pionniers » et on appelle la population à faire en

sorte que les efforts de ces derniers n’aient pas été faits en vain et qu’ils continuent à

fructifier toujours davantage. Dans les paroisses mères, soit celles ayant donné naissance à

d’autres paroisses, comme Saint-Sauveur et Saint-Malo, on souligne avec orgueil ce rôle de

« mère » rendu possible grâce à l’accroissement de la population; un signe fort de vitalité.

Ce rôle est valorisé en de nombreuses autres occasions et notamment au moment même

d’une nouvelle fondation. En 1925 par exemple, le curé Magnan de Saint-Sauveur, dont la

paroisse était déjà forte de la fondation des paroisses Sacré-Cœur et Notre-Dame-de-Grâce

en 1917 et 1924, affirme : « Saint-Sauveur est encore à l’honneur dans l’œuvre si glorieuse

de la fondation des paroisses ». Une troisième paroisse était alors formée à même une partie

de son territoire et de sa population, la paroisse Saint-Joseph669

.

669

100e anniversaire. 1867-1967. Paroisse Saint-Sauveur de Québec, op. cit., p. 15. Ce livre souvenir contient

une section intitulée « Les paroisses filles de Saint-Sauveur ».

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Figure 5.3 – Banquet du 25e anniversaire de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, 1949

Source : Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce de Québec. Auteur : Photo Moderne, Québec.

Les autorités religieuses paroissiales sont particulièrement soucieuses d’attirer à ces

diverses activités les jeunes gens, clientèle que l’on estime davantage portée à fréquenter

cabarets et salles de danse, ou tout simplement à déambuler sur les « trottoir[s]

vaniteux670

», c’est-à-dire ceux des secteurs où se trouvent plusieurs de ces lieux ainsi que

divers commerces, comme Saint-Roch. Elles voient donc à proposer une programmation

adaptée. Elles offrent, de plus, des prix à gagner utiles dans le cadre de la vie quotidienne

qui sont agréables à tous, mais particulièrement intéressants pour les jeunes gens: vaisselle,

literie, lampes et autres objets propres à préparer le départ du domicile familial. Lemelin

écrit, dans son roman Au pied de la pente douce, dont l’action se passe dans le quartier

Saint-Sauveur : « Les fiancés, surtout, fréquentaient le bingo, préoccupés de leur

670

Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce de Québec. Journal paroissial La Bonne Nouvelle, 25 avril

1925.

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321

ameublement. Beaucoup s’étaient amassés là des couvertures de lits, des fers à repasser, des

oreillers.671

» Des photos rappellent également la popularité de certains divertissements. La

figure 5.4 illustre une soirée de bingo au centre paroissial de Notre-Dame-de-Grâce en

1945. On y aperçoit notamment un prêtre fumant sa pipe assis dans un fauteuil devant ses

ouailles, tel un père de famille veillant sur les siens lors d’une veillée, ainsi qu’un officier

de la garde paroissiale Sainte-Jeanne-d’Arc en uniforme, debout devant les prix qui seront

distribués aux gagnants : oreillers, bols, casseroles, assiettes, serviettes, souliers et autres

objets disposés sur les étagères.

Figure – 5.4 Bingo!, 1945

Archives : Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce de Québec. Auteur : Photo Moderne, Québec.

L’animation des centres paroissiaux ainsi que la location de locaux pour des événements

privés produisent des rentrées d’argent appréciables. En 1951 par exemple, les diverses

activités du centre paroissial de Saint-Malo amènent 20 547,10$ dans les coffres de la

paroisse, dont plus de 6000$ provenant de la salle de quilles et du salon de billard, et près

671

LEMELIN, op. cit., p. 72.

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de 7000$, du casse-croûte672

. Ces revenus permettent d’appuyer les diverses organisations

paroissiales673

, notamment les services d’assistance organisés, de maintenir l’offre

d’activités et enfin de la développer afin, d’une part, d’attirer et de retenir davantage de

paroissiens et, d’autre part, d’allumer et d’entretenir en eux la flamme de l’appartenance.

La poursuite de ces objectifs est facilitée également par la présence de bénévoles, qui

permettent de diminuer les dépenses reliées aux salaires, et par un réseau de commerces et

de services dense. Les stratégies de financement mettent en effet à profit l’ensemble des

protagonistes de la vie paroissiale, dont les commerçants, qui supportent des événements ou

des associations, des groupes et des mouvements674

. Cette implication collective favorise

un resserrement de l’esprit de corps paroissial.

Les autorités religieuses paroissiales travaillent également, par ailleurs, à la mise sur pied

et au maintien d’une foule d’organisations et de services culturels, de piété et d’action

catholique spécialisée, ainsi que de divers autres ordres. Certains sont déjà présents en

1930, d’autres s’ajoutent au fil des ans dans une ou plusieurs paroisses du quartier Saint-

Sauveur; cela, au gré des initiatives. Ces organisations et services sont logés en majeure

partie dans les centres paroissiaux, sinon dans les sacristies ou les presbytères. En 1955,

l’équipe de rédaction du journal paroissial de Saint-Sauveur, la paroisse la plus populeuse

du quartier avec ses quelque 11 300 résidants675

, procède à un recensement de ces

organisations et services: elle en compte alors 57676

. En comparaison, on sait que la

paroisse Notre-Dame-de-Grâce, l’une des moins populeuses avec ses quelque 3900

résidants, en compta une trentaine au total et ce, tout au long de son existence677

. Ces

données statistiques, qui ne prennent même pas en compte les sports, les jeux et les divers

672

Archives de la paroisse Sainte-Angèle-de-Saint-Malo de Québec. Documents anciens. Salle paroissiale

Saint-Malo 1925-. Rapport financier de la salle paroissiale, 1951. 673

Divers événements sont aussi organisés dans le but de financer précisément une organisation, comme la

Société Saint-Vincent-de-Paul, la garde paroissiale ou encore la Jeunesse Ouvrière Catholique Féminine. 674

En 1950 par exemple, 14 commerçants commanditent les uniformes des équipes de la ligue de quilles de

l’Œuvre de jeunesse de la paroisse Saint-Sauveur. Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-

Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de Québec. Prônes. « Prônes Saint-Sauveur de Québec. Du 27 août

1950 au 24 août 1952 », 30 juillet 1950. 675

Cette évaluation ainsi que celle qui suit dans le paragraphe ont été réalisées à partir des données des

recensements de 1951 et de 1956. 676

Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de

Québec. Journal paroissial L’Étincelle du Sacré-Cœur, 7 février 1955. 677

Notre-Dame-de-Grâce. Livre souvenir 1924-1994, op. cit., p. 47.

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événements organisés dans le cadre paroissial, illustrent la diversité de l’offre paroissiale en

matière de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et associative.

Au plan culturel, mentionnons tout d’abord que des chorales d’enfants, d’adultes ou de

paroissiens de tous âges enrichissent la vie religieuse. Certaines organisations paroissiales

ont aussi leur propre chorale. C’est le cas, par exemple, des Enfants de Marie et des Dames

de la Sainte-Famille. Les paroisses comptent aussi parfois des troupes de théâtre ainsi que

des orchestres ou des fanfares. Par exemple, le Cercle dramatique de Notre-Dame-de-Grâce

est fondé en octobre 1929678

. La fanfare Lambillotte, mise sur pied en 1889 dans la paroisse

Saint-Sauveur, offre, quant à elle, des concerts mensuels ainsi que diverses représentations

lors de soirées paroissiales et de fêtes679

. Par ailleurs, les résidants du quartier Saint-

Sauveur ont accès à un réseau de bibliothèques paroissiales680

. Le quartier Saint-Sauveur en

compta quatre : Saint-Sauveur (ouverte en 1903), Saint-Malo (1910), Sacré-Cœur (1922) et

Notre-Dame-de-Grâce (1933). Elles sont situées dans les sous-sols des églises, les

presbytères ou les centres paroissiaux. Elles sont généralement ouvertes un soir par

semaine681

et tenues par des laïques sous la supervision d’un prêtre. Ce dernier, responsable

de l’index, décide des livres pouvant être empruntés. Un tarif d’abonnement est exigé682

. Le

peu de renouvellement des volumes, les maigres heures d’ouverture et l’éventail restreint

des livres accessibles ont un effet dissuasif sur les inscriptions683

et conduisent

éventuellement, dans le cas des bibliothèques de Saint-Malo et de Sacré-Cœur, à une

678

Ibid., p. 33. 679

BRISSON, op. cit., p. 119. 680

En 1950, la ville de Québec compte peu de bibliothèques qui ne soient pas sous l’égide de l’Église

catholique. Comme responsables du pendant majoritaire catholique du réseau de l’éducation au Québec, un

réseau public confessionnel, les autorités religieuses catholiques estiment que les bibliothèques, qui

s’inscrivent dans le prolongement de l’instruction, sont également de son ressort. Fernand HARVEY et

Sophie-Laurence LAMONTAGNE, « La vie culturelle, 1940-2008 », dans VALLIÈRES et al. (Tome III), op.

cit., p. 2029. 681

Au milieu des années 1940, par exemple, la bibliothèque de Saint-Sauveur est ouverte le lundi de 19h30 à

20h30, celle de Notre-Dame-de-Grâce, le mardi de 19h à 20h. Les membres d’organisations paroissiales se

réunissent à l’occasion dans ces locaux les autres jours de la semaine. La bibliothèque de Notre-Dame-de-

Grâce est fermée pendant les mois d’été (juillet et août). Luce JEAN, « Les bibliothèques paroissiales de la

ville de Québec », mémoire de maîtrise en service social, Québec, Université Laval, 1949, p. 7; BRISSON,

op. cit., p. 116. 682

Par exemple, le tarif est de 0,25$ pour deux mois, 0,60$ pour six mois et 1,00$ pour un an à Saint-Sauveur

dans les années 1940. Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse

Saint-Sauveur de Québec. L’Étincelle du Sacré-Cœur, Biographies historiques de 260 citoyens honorables,

L’Étincelle du Sacré-Cœur, [s.l.], 1944; BRISSON, op. cit., p. 115. 683

HARVEY et LAMONTAGNE, « La vie culturelle, 1940-2008 », dans VALLIÈRES et al. (Tome III), op.

cit., p. 2030.

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fermeture en 1945 et en 1947 respectivement684

. Ailleurs dans le quartier Saint-Sauveur, les

abonnés se font peu nombreux. En 1948, on relève par exemple 150 abonnés à Saint-

Sauveur et 43 à Notre-Dame de Grâce, soit à peine plus de 1% de la population dans

chacune des paroisses685

. Notons qu’aucun membre de notre corpus ne compte parmi les

abonnés de la bibliothèque de sa paroisse. Il reste que ces bibliothèques offrent un accès à

la culture et aux livres, un des rares accès en compagnie des bibliothèques scolaires et de

celles des institutions de loisirs comme le Patronage Laval, et contribuent à la richesse de la

vie paroissiale et à l’impression que la paroisse est un milieu de vie complet. Cette

impression, qui constitue une source de fierté, est renforcée dans ce domaine précis dans les

années 1950 lorsque les premières bibliothèques publiques dites « de quartier », rattachées

à l’Institut canadien de Québec, voient le jour dans la ville. Elles s’ajoutent à ce moment au

réseau clérical des bibliothèques paroissiales déjà existant686

.

En plus du domaine culturel, d’autres initiatives méritent d’être soulignées. Ainsi, des

confréries et des associations pieuses permettent au clergé paroissial du Québec d’accroître

la place de la religion dans la vie quotidienne des gens et de favoriser certaines

dévotions687

. L’éventail de ces confréries et associations couvre chaque tranche d’âge et les

deux sexes. Notons, par exemple, la présence des Enfants de Marie, des Croisé(e)s, de

l’Œuvre de la Sainte Enfance, de la Congrégation des Jeunes Gens, des Dames de la Sainte-

Famille, de la Congrégation des Hommes, du Tiers-Ordre, de l’Œuvre de l’Heure Sainte, de

la Congrégation de la Sainte Vierge, de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, de l’Adoration

Diurne et de la Ligue Catholique Féminine. Chacune des paroisses du quartier Saint-

Sauveur a compté un éventail plus ou moins large de confréries et d’associations pieuses au

gré des initiatives, des préférences des prêtres et de la participation des paroissiens.

684

À Saint-Malo, seule une section enfantine survit grâce à un approvisionnement en livres de l’Institut

canadien de Québec, organisation laïque. Cette section est gérée par des membres de la Ligue Catholique

Féminine de la paroisse. Deux autres fermetures de bibliothèques paroissiales se produisent ailleurs à Québec

durant les années 1940. JEAN, op. cit., p. 15, 17, 19; [s.a.], Saint-Malo se souvient, 1899-1949, Québec, [s.é.],

1949, p. 103. 685

Leurs bibliothèques comptent alors respectivement 5394 et 1661 volumes. 6978 et 1318 prêts sont

effectués au cours de cette année 1948. JEAN, op. cit., p. 6-7. 686

C’est le cas de Saint-Charles-de-Limoilou en 1950, de Saint-Sacrement en 1954 et de Montcalm en 1955.

Il faut attendre 1963 pour qu’une telle bibliothèque voit le jour dans le quartier Saint-Sauveur. HARVEY et

LAMONTAGNE, « La vie culturelle, 1940-2008 », dans VALLIÈRES et al. (Tome III), op. cit., p. 2030,

2033. 687

Brigitte CAULIER, « Confrères, consoeurs et paroissiens : la vie associative paroissiale », dans

COURVILLE et SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 147.

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Certaines confréries et associations étaient présentes dans les paroisses dès 1930688

,

d’autres ont été fondées par la suite. À cela s’ajoutent les diverses associations d’action

catholique spécialisée, telles la Ligue Ouvrière Catholique, la Jeunesse Ouvrière Catholique

Féminine ou encore la Jeunesse Étudiante Catholique. De la même manière que pour les

confréries et associations, elles ne se sont pas toutes retrouvées dans chaque paroisse du

quartier689

. Les membres des confréries et associations pieuses participent à la vie

religieuse, notamment lors des messes et des processions. Ils fondent d’autres associations

et services, contribuant à densifier ainsi davantage la vie religieuse et communautaire. Par

exemple, les membres de la Ligue du Sacré-Cœur de la paroisse Saint-Malo, fondée dès le

tournant du XXe siècle, mettent en place une association de communion mensuelle, ainsi

qu’un mouvement d’Heure sainte nocturne690

. En 1944, les jocistes691

féminines de la

même paroisse mettent en place, quant à elles, une unité du Service de préparation au

mariage692

, Service que l’on retrouve dans plusieurs paroisses du Québec sous l’égide de la

Jeunesse Ouvrière Catholique et de la Jeunesse Indépendante Catholique

693.

Enfin, des organisations et des services de divers autres ordres permettent aux résidants du

quartier Saint-Sauveur de s’impliquer et de socialiser dans leur paroisse. Mentionnons ici

l’existence des gardes paroissiales, des services d’assistance organisés, des sociétés de

tempérance, des cercles d’étude et des groupes de citoyens. Comme dans le cas des

organisations et services examinés jusqu’à maintenant, ceux d’ordres divers regroupés ici

sont présents dans certaines paroisses du quartier au gré des initiatives. Quant aux services

d’assistance organisés, ils comptent une kyrielle d’organismes et d’activités propre à

chaque paroisse.

Les gardes paroissiales forment un maillon fort de la vie associative paroissiale. Comme

nous le mentionnions au troisième chapitre, une garde est formée d’un regroupement

688

Certaines confréries et associations sont présentes au Québec dès le XIXe siècle; plusieurs apparaissent

durant les années 1840. Ibid., p. 145-146. 689

Notons qu’en 1947, Beaumont observe qu’il n’y a aucune association d’action catholique spécialisée dans

la paroisse Saint-Joseph, le curé n’en voulant pas. BEAUMONT, op. cit., p. 10. 690

Saint-Malo se souvient, 1899-1949, op. cit., p. 96. 691

Membres de la Jeunesse Ouvrière Catholique. 692

Saint-Malo se souvient, 1899-1949, op. cit., p. 94. 693

À ce sujet pour la ville de Québec, voir Henri BORDELEAU, « L’organisation et la participation aux

cours de préparation au mariage dans huit paroisses ouvrières de la ville de Québec en 1949 », mémoire de

maîtrise en service social, Québec, Université Laval, 1950, 81 p.

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volontaire de jeunes hommes et d’hommes adultes qui servent la vie paroissiale de

multiples façons. Ses membres accueillent la population à l’entrée de l’église lors des

offices religieux, recueillent les dons lors de la quête, travaillent aux vestiaires et aux

comptoirs de rafraîchissement et de restauration lors de soirées ou encore paradent lors des

processions et défilés dans la paroisse. Dotées chacune d’un uniforme, d’insignes et d’un

nom qui leur sont propres, les gardes représentent leurs paroisses en participant à plusieurs

événements religieux ou civils à l’échelle de la ville et même de la province (Saint-Jean-

Baptiste, Fête du Travail, Fête de Dollard des Ormeaux, congrès des gardes, veillées

funèbres de personnalités religieuses importantes, etc.), comme on peut le constater à la

figure 5.5. Leurs membres bénéficient de privilèges particuliers lors de leur mariage et de

leurs funérailles, comme une haie d’honneur par exemple. Ils bénéficient de plus, à l’instar

d’autres organisations, de loisirs et de divertissements en groupe (ligue de quilles, piques-

niques, etc.). L’adhésion à la garde Salaberry (paroisse Saint-Sauveur, fondée en 1903),

Dollard-des-Ormeaux (Saint-Malo, 1922), Sainte-Jeanne-d’Arc (Notre-Dame-de-Grâce,

1931) ou Montcalm (Saint-Joseph, 1927, Notre-Dame-de-Pitié, seconde moitié des années

1940694

), pour nommer celles du quartier Saint-Sauveur, est soumise à un processus

d’admission sélectif. Les membres doivent respecter des règles de comportements

strictes695

, afin de servir d’exemple pour la population. Les gardes paroissiales suscitent

non seulement la fierté des hommes concernés et de leurs familles, mais aussi celle des

populations des paroisses qu’elles représentent. Plusieurs admirent en effet le dévouement

des gardes à leur endroit et la bonne image de la paroisse que ces hommes projettent, sauf

en cas d’incidents, à l’extérieur des frontières paroissiales.

694

La garde est transférée à Notre-Dame-de-Pitié dans la seconde moitié des années 1940. Fabienne

TOUSIGNANT, « Présentation de la survey de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, Québec », thèse de

baccalauréat en sociologie, Québec, Université Laval, 1948, p. 40. 695

Par exemple, en 1932, tout membre de la garde Sainte-Jeanne-d’Arc « …lorsqu'il est en uniforme, soit en

parade ou garde d'honneur, et en toute autre circonstance, doit s'abstenir de boissons alcooliques, afin d'être

toujours un modèle exemplaire pour la population de la paroisse Notre-Dame de Grâce et des autres paroisses

environnantes qui de temps à autre prennent contact avec notre vie paroissiale ». Archives de la paroisse

Notre-Dame-de-Grâce de Québec. Garde paroissiale. Historique de la Garde Sainte-Jeanne-d'Arc (1931-1956)

Partie 1 : les débuts.

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Figure 5.5 – Procession des gardes Dollard de Saint-Malo et des gardes Salaberry de

Saint-Sauveur, avant 1964

Source : Archives de la Ville de Québec; collection Gilles Sanfaçon; négatif N019551. Auteur : Pierre-H.

Warren.

Les paroissiens sont invités, par ailleurs, à secourir leur prochain par le biais de plusieurs

services d’assistance organisés, dont la Société Saint-Vincent-de-Paul696

et les ouvroirs697

.

Nombre de ces services occupent des locaux au sous-sol des églises, ce qui fait dire à un

participant qu’en matière d’assistance, « […] ça originait (sic) toujours de l’église d’une

façon ou d’une autre » (#22). Un autre type d’organisations vise plus spécifiquement à

modifier des comportements jugés néfastes. En effet, des sociétés de tempérance voient à

ce que les gens diminuent et cessent leur consommation d’alcool, les hommes en

particulier. Divisées sur la base du sexe, elles portent les noms de Cercles Lacordaire pour

les hommes et de Cercles Sainte-Jeanne-d’Arc pour les femmes. Dans un esprit similaire

696

Elle fut présente dans chaque paroisse du quartier, mais le nombre de conférences à l’intérieur de chacune

varia en fonction du nombre d’habitants et des besoins. 697

Rappelons qu’ils offrent aux gens défavorisés des vêtements usagés ou confectionnés par des bénévoles.

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d’éducation populaire, des cercles d’études permettent aux jeunes hommes et aux jeunes

femmes de se perfectionner, de discuter de sujets d’actualité et d’entendre des conférenciers

invités.

Soulignons enfin un dernier exemple illustrant la diversité des organisations et des

services paroissiaux dans le quartier Saint-Sauveur, celui des groupes de citoyens. Ils ont

été présents dans deux paroisses du quartier, soit Saint-Malo et Notre-Dame-de-Pitié. Une

Ligue des Citoyens de Saint-Malo voit le jour en mars 1930698

, 30 ans avant l’émergence

« officielle » des groupes de citoyens au Québec dans le climat d’activisme social

bouillonnant des années 1960699

. Des résidants de la paroisse, dont quelques commerçants

importants comme Damase Blais700

, considérant que la ville de Québec était trop peu active

dans l’amélioration des infrastructures et dans l’embellissement de la paroisse depuis 15

ans, se réunissent pour créer un groupe appelé à défendre les intérêts des citoyens. Ils

prennent le relais du curé, qui, comme dans d’autres paroisses, interpelle la mairie et le

conseil municipal régulièrement pour des dossiers qui lui tiennent à cœur.

La Ligue des Citoyens de Saint-Malo s’efforce de convaincre les élus d’investir dans la

paroisse dans des domaines comme le pavage et le rallongement701

d’artères, le nettoyage

quotidien des rues, l’enlèvement d’affiches réclames de grande taille qui dérangent,

l’aménagement d’un nouveau parc, la plantation d’arbres, etc. On propose même de diviser

le quartier administratif Saint-Sauveur en deux pour créer un quartier administratif Saint-

Malo indépendant. Au prix de lettres et de rencontres avec les échevins et le maire de la

ville, la Ligue des Citoyens de Saint-Malo se targuera de victoires comme la plantation

d’arbres, le pavage de rues, l’amélioration de la signalisation des rues, l’amélioration de

698

Archives de la paroisse Sainte-Angèle-de-Saint-Malo de Québec. Dossier Ligue des citoyens. 699

Henri LAMOUREUX, La pratique de l’action communautaire autonome. Origine, continuité,

reconnaissance et ruptures, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2010, p. 7-16; Paul R. BÉLANGER

et Benoît LÉVESQUE, « Le mouvement populaire et communautaire : de la revendication au partenariat

(1963-1992) », dans Gérard DAIGLE et Guy ROCHER (dirs.), Le Québec en jeu. Comprendre les grands

défis, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 1992, p. 713-716. 700

Cet épicier-boucher fut un des membres fondateurs des Épiciers-Unis en 1928, rassemblement provincial

d’épiciers permettant un approvisionnement commun à meilleur coût. Ils s’entendent également sur des tarifs

identiques. Blais sera éventuellement conseiller municipal. Sainte-Angèle-de-Saint-Malo. 1898-1998, op. cit.,

p. 100. 701

Pour permettre notamment la construction d’habitations nouvelles, que la Ligue juge urgente. Cette

dernière tente même au milieu des années 1940 d’obtenir la nomination d’un commissaire municipal du

logement qui œuvrerait à régler la crise du logement qui afflige Québec à ce moment. [s.a.], Saint-Malo se

souvient, 1899-1949, op. cit., p. 104.

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l’éclairage sur la rue Marie-de-l’Incarnation, l’une des artères principales de la paroisse, le

déplacement d’un site d’entreposage de la neige en période hivernale et la construction

d’une école dans le secteur de la future paroisse Notre-Dame-de-Pitié en 1941. Nous ne

trouvons plus de trace de la Ligue après 1949. Elle semble avoir inspiré des résidants de

Notre-Dame-de-Pitié, qui, deux ans après l’érection de la paroisse, soit en 1947, fondent à

leur tour une Ligue des Citoyens autour de l’objectif initial de faciliter l’accès à la propriété

des locataires des maisons construites par la Wartime Housing dans le secteur702

. Nous

n’avons pu établir jusqu’en quelle année cette Ligue fut en activité.

Ces groupes d’élites locales et de citoyens impliqués dans le développement de leur

paroisse ont constitué sans contredit un vecteur identitaire significatif en favorisant

l’éclosion ou le raffermissement d’un sentiment d’appartenance à Saint-Malo et à Notre-

Dame-de-Pitié703

. Il en va de même pour l’implication dans les autres organisations et

services et la participation aux activités et événements et ce, dans chaque paroisse du

quartier étudié. Le foisonnement des éléments de la vie paroissiale lui-même, au-delà de

l’implication et de la participation, a été relevé par les participants avec enthousiasme et a

aussi joué un rôle, dans leurs cas, dans la constitution et le maintien de ce sentiment

d’appartenance paroissial.

5.1.2.2 Des voies de transmission variées

Les appels à se divertir et à s’impliquer dans la paroisse, ainsi que la transmission des

informations relatives à tout ce qui s’y passe, empruntent divers canaux. Les prônes et les

journaux paroissiaux constituent les deux voies les plus efficaces; celles que privilégient

pour cette raison les autorités religieuses paroissiales. Le curé, lors de son prône à la messe

dominicale, fait une série d’annonces, informe la foule de diverses nouvelles et actualités,

rapporte les messages des autorités diocésaines destinés à la population, livre ses

commentaires sur le comportement de ses ouailles et réitère ses appels à la participation à la

702

TOUSIGNANT, op. cit., p. 39-40. 703

D’autres ligues paroissiales de citoyens ont existé à Québec. Par exemple, dans le quartier Limoilou, il y

en a une dans la paroisse Saint-François-d’Assise en 1945 et une autre dans la paroisse Saint-Esprit au début

des années 1960. ROUTHIER, « La paroisse québécoise : évolutions récentes et révisions actuelles », dans

COURVILLE et SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 50; [s.a.], Rapport de la Commission d’étude du système

administratif de la cité de Québec, Québec, [s.n.], 1963, p. 109. Rappelons que le Comité des citoyens et

citoyennes du quartier Saint-Sauveur, œuvrant pour tout le quartier, voit le jour en 1969.

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vie paroissiale. En janvier 1953 par exemple, les curés de Saint-Sauveur et de Notre-Dame-

de-Pitié lancent respectivement, après que l’archevêque de Québec ait fait le vœu que 1953

soit l’année de la paroisse : « De notre naissance à notre mort, la paroisse nous offre, sous

toutes sortes de formes, des moyens de nous sanctifier. Sachons en profiter ! N’allons pas

en abuser, négliger ces moyens ! Quelle erreur…704

», et « Nous vous invitons à jouer aux

quilles et divers amusements du centre. Travaillons tous ensemble à donner une belle

réputation à notre centre récréatif. La propreté, l’ordre, la distraction, s’il-vous-plaît705

».

Les curés ne se limitent pas dans leurs prônes à diffuser l’information concernant la vie de

leur paroisse. Ils font parfois part à leurs paroissiens d’événements et d’activités prévus

dans d’autres paroisses. Ils incitent, par exemple, les parents à ne pas laisser leurs enfants

vagabonder dans les rues l’été en les inscrivant au Patronage Laval (paroisse Sacré-Cœur)

ou à l’Œuvre des Terrains de Jeux (OTJ) (Parc Victoria à Saint-Roch et parc Dollard à

Saint-Malo), qui ne se situent pas nécessairement dans leur paroisse. À l’église comme sur

les trottoirs au quotidien, les curés et leurs vicaires travaillent inlassablement à ce que la

paroisse soit source de fierté et d’appartenance et que sa réputation soit irréprochable,

depuis la vitalité et la propreté des centres paroissiaux jusqu’au comportement de chaque

individu.

Les journaux paroissiaux présentent un contenu similaire à celui des prônes des curés. On

y trouve, de plus, des chroniques sur divers sujets ainsi que des publicités de commerçants

locaux. Le Bulletin paroissial706

à Saint-Malo, L’Étincelle du Sacré-Cœur à Saint-Sauveur,

La Bonne Nouvelle à Notre-Dame-de-Grâce et Ma paroisse à Notre-Dame-de-Pitié sont

fondés respectivement en 1910, 1916, 1924 et 1949. Ils sont publiés sur une base

hebdomadaire Ŕ mensuelle dans les cas du Bulletin paroissial et de Ma paroisse –,

comptent une dizaine de pages chacun et peuvent être livrés à domicile707

. En janvier 1940,

704

Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de

Québec. Prônes. « Prônes Saint-Sauveur de Québec. Du 24 août 1952 au 5 juin 1955 », 18 janvier 1953. 705

Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié. Prônes. « Avril 1949 Ŕ Juin 1953 », 6 janvier 1953. 706

Il disparaît avant 1934. Un nouveau journal paraît au début des années 1950, Le Courrier de Saint-Malo.

Son existence semble toutefois avoir été éphémère. Nous n’avons retrouvé qu’une coupure de ce journal

datant de septembre 1952, aucun participant ne nous en a parlé et les autorités en présence lors de nos

recherches en archives, des gens âgés natifs de la paroisse Saint-Malo, n’étaient pas au courant de l’existence

de ce second journal. 707

Pour se faire une idée de la signature visuelle et du contenu de La Bonne Nouvelle, voir le site web Our

Roots/Nos Racines, qui présente une numérisation intégrale des numéros de sa première année d’existence.

http://www.nosracines.ca/

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331

L’Étincelle du Sacré-Cœur jouit d’un tirage respectable de 2400 exemplaires. Sa clientèle

d’abonnés n’est pas exclusivement paroissiale; elle s’étend de fait à quelques paroisses

voisines. Les journaux paroissiaux disparaîtront au début des années 1960 au moment de

l’apparition du feuillet paroissial, dont le format est standardisé à travers le diocèse de

Québec708

.

La population peut difficilement ne pas être informée de ce qui s’offre à elle, si l’on

considère les moyens de diffusion qu’utilisent les autorités paroissiales, dont les prônes, le

journal paroissial, les affiches apposées à l’entrée de l’église et du centre paroissial

annonçant les activités à venir709

et les appels personnels lancés par les membres du clergé

et les dirigeants des centres paroissiaux et des divers groupes, associations et mouvements

paroissiaux, sans compter le bouche-à-oreille, qui fonctionne très efficacement dans ce

quartier. Cette diffusion multiforme de même que l’attrait des loisirs, des divertissements et

de la vie communautaire et associative des paroisses portent fruits. Elle n’est cependant pas

à l’entière satisfaction des autorités religieuses, puisque les paroissiens ne respectent pas

nécessairement ce qui leur est prescrit.

5.1.2.3 Des souhaits des autorités religieuses non entièrement réalisés

« Nous n’avons qu’à nous féliciter des dernières soirées données en notre salle paroissiale,

séances, conférences, cinéma, tout a marché pour le mieux. Les paroissiens de Notre-

Dame-de-Grâce ont compris qu’ils peuvent s’amuser honnêtement en restant dans les

lumites (sic) de leur paroisse. Nous les en félicitons vivement710

. » Cette remarque

témoigne de la satisfaction des autorités religieuses de cette paroisse quant à l’affluence de

la salle multifonctionnelle du centre paroissial et ce, après seulement quelques mois

d’opération. Il en va globalement de même dans les autres paroisses du quartier Saint-

Sauveur de 1930 jusque dans les années 1950, même si les autorités appellent à une

708

Ce feuillet, qui existe encore sous le même format au début des années 2010, présente un mot du curé sur

l’actualité ou la thématique liturgique de la semaine et annonce les événements à venir. Des encarts

publicitaires sont également achetés par des commerçants de la paroisse et d’ailleurs. 709

Tousignant rapporte qu’à Notre-Dame-de-Pitié en 1947 et 1948, le portique de l’église est « […] toujours

garni » d’affiches informant les paroissiens des soirées à venir et des diverses activités comme le bingo.

TOUSIGNANT, op. cit., p. 42. 710

Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce de Québec. Journal paroissial La Bonne Nouvelle, 4 avril

1925.

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332

participation toujours plus soutenue. Une partie des paroissiens ne prend guère part aux

loisirs, aux divertissements et à la vie communautaire et associative de sa paroisse, que ce

soit en raison de moyens financiers limités ou de préférences personnelles. Les centres

paroissiaux deviennent néanmoins des éléments centraux de la vie paroissiale, aux côtés de

l’église, et en conséquence, des vecteurs d’identification paroissiale, comme cette dernière.

Les membres du corpus en conservent une appréciation très positive, comme en témoignent

ces deux participants ayant vécu pendant longtemps respectivement à Notre-Dame-de-

Grâce et à Notre-Dame-de-Pitié :

Y avait une salle paroissiale, y avait un théâtre là. Y avait un maudit beau

théâtre, deux étages. Si y avaient continué ça, on s’rait la paroisse la plus riche.

Nous autres, on restait là, pis on traversait la rue pis on arrivait au théâtre tsé, la

salle paroissiale. Y avait des acteurs, pis des bons acteurs. Même quand ça

fermé là, les acteurs là, y n’a qui ont joué à TV711

. (#04)

Y avait des belles soirées au sous-sol d’l’église. Y avait beaucoup d’la vie. Ah

oui. Les gens, on était impliqués. On a eu du bingo aussi. Du bingo, ça été

important ça, ça aidé beaucoup à notre église, vous savez. (#30)

Les membres du corpus qui étaient enfants et adolescents au cours des années 1930, 1940

et 1950 ont assisté dans leur centre paroissial à des représentations cinématographiques et

théâtrales, joué aux quilles et au bingo ou encore participé à des concours de connaissances

sur diverses matières scolaires où s’affrontent des équipes d’élèves venant de diverses

paroisses. Trois d’entre eux (#07, 22 et 26), de la paroisse Saint-Sauveur, ont pu séjourner

durant plusieurs étés, pour une ou plusieurs semaines, au camp de vacances Saint-Albert ou

au camp Maria-Goretti. Certains ont fréquenté aussi des institutions offrant des loisirs ou

des parcs tenus par des congrégations religieuses ou des membres du clergé en dehors des

organisations dépendant des autorités paroissiales. Deux participants (#13 et 27) ont été

inscrits par leurs parents au parc Dollard, maillon de l’OTJ, situé dans leur paroisse Saint-

Malo. Un autre (#05) a passé une partie de son enfance et de son adolescence au Patronage

Laval, joyau, selon lui, de sa paroisse natale, Sacré-Cœur. D’autres membres du corpus

partagent cette opinion sur le Patronage. La participante #27 a aussi fréquenté pendant de

nombreuses années le patronage de la Maison-Notre-Dame-de-la-Providence, autre haut

lieu de la paroisse Saint-Malo. Elle en parle en ces termes : « Pis moi là j’ai fait toute, les

711

À la télévision.

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p’tits patronages, le grand patronage, y app’laient ça le p’tit le grand pis le Cercle Notre-

Dame. Ça c’était les niveaux d’âge. […] Pis on faisait beaucoup d’séances, j’jouais dans

toutes les pièces de théâtre. […] [O]n avait pas d’garçons, c’tait rien qu’des filles, y en

avaient qui faisaient des garçons dans les pièces de théâtre. On faisait beaucoup d’choses,

[…] des danses, des drill, avec des rubans […] Comme du voile là, y faisaient des danses

avec ça. (#27) Les spectacles où elle se produit à la Maison Notre-Dame-de-la-Providence

sont ouverts au public, ce qui accroît davantage l’offre paroissiale en matière de loisirs et de

divertissements. Même si ces institutions et ces parcs ne font pas partie des infrastructures

tenues par les paroisses, leur fréquentation ne déplaît bien sûr pas aux autorités religieuses

paroissiales, car ils sont jugés moralement acceptables.

En atteignant l’âge adulte, la plupart des membres du corpus poursuivent leur

fréquentation des centres paroissiaux. Comme nous l’avons mentionné au troisième

chapitre, un ralentissement s’opère cependant au cours des années 1950; nous nous

penchons sur ses motifs dans la dernière partie du présent chapitre. Avant cette période, ils

assistent à des représentations, participent, jouent et s’impliquent bénévolement dans la

bonne marche des opérations. Ils contribuent par le fait même à la vitalité de la vie

paroissiale. Un Centre Durocher flambant neuf incita la participante #26 à essayer les

quilles; elle retourna y jouer à de nombreuses reprises. Une autre membre du corpus (#30)

fréquenta régulièrement pendant 50 ans les salles de quilles des paroisses où elle habita.

On note l’implication directe de trois membres du corpus (#12, 16 et 27), ainsi que les

parents de deux participants (#12 et 23), dans les organismes d’assistance de leur paroisse,

soit au sein de la Société Saint-Vincent-de-Paul et des ouvroirs. La participante #27 a

profité au maximum, dès l’enfance, de l’offre de loisirs et de la vie communautaire dans sa

paroisse, Saint-Malo. Plus tard, elle s’est impliquée grandement en tant que bénévole dans

les organismes d’assistance et a contribué à la mise sur pied et à la gestion d’activités, par

exemple de cours de gymnastique, au centre paroissial. Elle était encore impliquée dans la

vie communautaire de cette paroisse au moment de l’interview. Ses expériences illustrent la

position de pôle structurant de la vie locale qu’occupe la paroisse. Lorsqu’elle fut invitée à

se prononcer sur ce qu’elle avait trouvé le plus positif dans la vie de quartier entre 1930 et

1980, la participante #27 répondit instantanément : « mon centre ». La paroisse constitue le

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cadre d’initiative privilégié, car les autorités religieuses se montrent généralement

favorables à l’enrichissement de l’offre paroissiale de loisirs et de divertissements et à tout

ce qui peut bonifier la vie communautaire et associative lorsque le projet présenté, bien

entendu, est estimé moralement acceptable. Outre la participante #27, une autre (#26) a

mentionné avoir mis sur pied, entre autres réalisations, des cours de danse au Centre

Durocher dans les années 1950.

Les membres du corpus mentionnent, en parlant des loisirs, des divertissements et de la

vie communautaire de la population du quartier Saint-Sauveur, à quel point la paroisse a

occupé une place importante jusqu’au cours des années 1950. Une participante déclare :

« [Ç]a suffisait à nous mêmes. On avait même pas besoin d’aller dans les autres

paroisses. » (#18) Une autre affirme : « Les paroissiens restaient dans leur paroisse. » (#28)

Il est possible que dans certains cas, des individus aient peu franchi lors de leur jeunesse les

limites de leur paroisse et aient seulement profité de l’offre paroissiale et des lieux de

loisirs et de divertissements commerciaux qui y étaient situés. Il semble cependant que ces

déclarations sont davantage inspirées par la qualité de pôle structurant de la vie locale de la

paroisse, qui a laissé assurément des traces fortes dans les esprits, traces qui se répercutent

sur les discours. Dans les faits, la majorité des résidants, jeunes ou adultes, du quartier

Saint-Sauveur, malgré les efforts des autorités religieuses, se divertissent régulièrement à

l’extérieur de leur paroisse de résidence, ce qui est le cas des deux participantes que nous

venons de citer.

Une offre distinctive dans certaines paroisses amène une clientèle élargie. La salle de

quilles du Centre Durocher à Saint-Sauveur jouit, par exemple, d’une certaine popularité

parmi les membres du corpus. Les salles multifonctionnelles de ce dernier et celles du

centre paroissial de Notre-Dame-de-Grâce attirent curieux et intéressés, qui viennent y voir

des spectacles d’artistes et de troupes du quartier712

et d’ailleurs à Québec et au Québec.

Les bingos, présents un peu partout, mais étalés sur différents jours de la semaine, attirent

également des clientèles de différentes paroisses713

. Six participants mentionnent avoir

fréquenté le Patronage Notre-Dame-du-Bon-Conseil (paroisse Saint-Cœur-de-Marie dans le

712

Notons, par exemple, la troupe renommée de Fred Ratté dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce. 713

Un participant natif de Notre-Dame-de-Grâce a rencontré son épouse lors d’une soirée de bingo, cette

dernière étant venue de la paroisse voisine Saint-Jean-Baptiste au haut du coteau Sainte-Geneviève.

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quartier Saint-Jean-Baptiste) (#10 et 27), le Patronage Laval (#08 et 22) ou l’un des parcs

de l’OTJ (Mathieu714

et Victoria) (#17 et 32) alors qu’ils ne demeuraient pas dans la

paroisse où ces lieux et espaces de loisirs étaient situés. Certains ont été inscrits aux camps

de jour des parcs ou du Patronage, leurs parents désirant qu’ils soient encadrés

convenablement durant la période estivale. D’autres ont profité des activités de ces trois

lieux sur une base occasionnelle ou régulière tout au long de l’année. De bons souvenirs

sont associés au Patronage Laval pour ceux qui l’ont fréquenté en raison des activités

auxquelles ils ont participé et des amitiés nouées. L’implication dans la Clique Alouette,

fanfare du Patronage ayant enregistré des albums et s’étant produite partout au Québec et à

l’extérieur de la province, fut notamment une source de fierté. Par contre, la satisfaction

découlant de la fréquentation d’institutions de loisirs situées en dehors de la paroisse de

résidence n’a pas eu d’impact sur le territoire d’appartenance de ces participants. Leur

discours révèle que ce territoire demeura cette paroisse de résidence et qu’il ne s’élargit

pas.

Comme nous l’avons mentionné au troisième chapitre, les membres du corpus fréquentent

également, seuls, en couple ou encore avec des amis, cinémas, salles de spectacles, salles

de danse, cabarets et autres lieux de loisirs et divertissements commerciaux des quartiers

Saint-Roch et Champlain notamment715

. Outre l’attrait de leur programmation et de leur

statut de hauts lieux des loisirs et du divertissement à Québec, leurs stratégies d’attraction

de la clientèle sont similaires à celles des autorités religieuses paroissiales, comme le

rapporte cette participante : « Y avait l’Classique aussi s’a rue Saint-Jean en haut d’la côte

du boul’vard, ça y est pu. Ah là là y… […] on y allait souvent à toutes les s’maines parce

qu’on ramassait la vaisselle. » (#32) La distribution hebdomadaire de pièces de vaisselle,

présente dès l’entre-deux-guerres à Montréal, démontre selon Baillargeon la présence d’une

clientèle féminine nombreuse qu’on désire fidéliser716

. Cette stratégie connaît du succès

dans le cas de cette participante et d’autres membres féminins du corpus, au grand dam des

714

Dans le quartier Montcalm à la frontière des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Jean-Baptiste. Il fut situé

entre le chemin Sainte-Foy et le coteau Sainte-Geneviève ainsi qu’entre les rues de Salaberry et Sherbrooke,

deux axes qui sont des voies de communication vers la Basse-Ville. 715

De la même façon, leurs promenades empruntent souvent les rues de ces quartiers et non pas de leur

paroisse de résidence ou des autres paroisses du quartier Saint-Sauveur. 716

BAILLARGEON, « L’histoire des Montréalaises. Un chantier en construction », dans JAUMAIN et

LINTEAU (dirs.), op. cit., p. 134.

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autorités religieuses paroissiales, qui, par des stratégies similaires, tentent de retenir les

gens dans leur paroisse et de les détourner de ces lieux commerciaux qui font craindre un

affaiblissement de la moralité.

De la même manière que pour les loisirs, les divertissements et la vie communautaire, la

participation des membres du corpus à la vie associative de 1930 jusque dans les années

1950 se fait tant dans leur paroisse qu’à l’extérieur de celle-ci. Ainsi, deux membres du

corpus (#04 et 12) chantent au sein de la chorale paroissiale des jeunes et une autre, de celle

des Enfants de Marie (#28). Six participantes firent partie de ce groupe de piété (#02, 12,

16, 23, 28 et 32), alors qu’un membre du corpus passa quelques temps dans les Croisés

(#07). Huit participantes ont intégré les rangs de mouvements d’action catholique

spécialisée, sept lors de l’enfance ou de l’adolescence717

et une à l’âge adulte (#12). Un

membre du corpus (#04) ainsi que les maris de deux participantes furent membres de leur

garde paroissiale. L’un de ces deux derniers fit aussi partie de la fanfare de la garde (#02) et

l’autre, du bureau de direction diocésain des gardes paroissiales (#12)718

. L’implication

dans la vie associative paroissiale n’est cependant pas le fait de tous les résidants des

paroisses et quelquefois, comme nous avons pu l’observer, certains groupes se voient

contraints d’être dissous faute d’un nombre suffisant de membres. Par exemple, la section

masculine de la Jeunesse Ouvrière Catholique de la paroisse Saint-Malo, fondée en 1935,

n’a existé qu’une dizaine d’années.

La vie associative de plusieurs résidants du quartier Saint-Sauveur prend également place

en dehors de leur paroisse de résidence et ce, dès l’adolescence. Les raisons invoquées sont

les goûts et intérêts personnels et l’absence dans la paroisse de résidence des groupes

auxquels on désire se joindre. Par exemple, au milieu des années 1940, sur les 27 membres

de la Fanfare Lambillotte, cinq seulement demeurent dans la paroisse Saint-Sauveur, les 22

717

Soit les participantes #02, 17, 19, 25, 26, 28 et 32. Deux des sept poursuivent à l’âge adulte (#17 et 26). 718

« Puis lui mon mari y s’occupait des gardes paroissiales. Faque lui c’était son sport ça. Y était un des

premiers là, pis y s’occupait. Une fois par semaine à des bureaux de direction là, y avaient des assemblées.

Après ça dans c’temps-là les gardes paroissiales y sortaient pour la Saint-Jean-Baptiste, la Fête-Dieu, la Fête

du Travail, la fête de Dollard-des-Ormeaux, toute ça là. Ça sortait comme ça. […] Lui y faisait ça, une fois

par semaine, y faisait une réunion, pis y exerçait son monde pour qu’y s’conduisent comme y faut, parce qu’y

n’avaient là (rires) y n’avaient un en tout cas y marchait pis y swingnait là tsé là, mon mari y dit as-tu des

springs [ressorts] d’in jambes? (rires) Marche dont droite! Lui c’tait un homme qui était fier. (rires) » (#12)

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autres habitant dans l’une des cinq autres paroisses du quartier719

. La participante #10

intègre un corps de guides dans la paroisse voisine, alors que le mari d’une autre (#26) joint

les organes de direction diocésaine des mouvements d’action catholique spécialisés. En

dépit, toutefois, de cette implication et des pratiques de loisirs, de divertissements et de vie

communautaire réalisées en dehors de la paroisse de résidence, le territoire auquel les

membres du corpus se sentent liés et auquel ils sont attachés est la paroisse, ce qui répond

tout de même à un des souhaits des autorités religieuses diocésaines et paroissiales. La

vitalité et les traits distinctifs, lorsqu’il y a lieu, des centres paroissiaux, les pratiques dans

ces domaines réalisées dans la paroisse ainsi que les sociabilités qui en découlent ont en

effet un impact significatif sur leur rapport identitaire à l’espace vécu.

5.1.3 Le réseau de commerces et de services

De 1930 jusqu’au tournant des années 1960, les caractéristiques du réseau de commerces

(approvisionnement alimentaire et biens divers) et de services (esthétique, santé, finances,

assistance, etc.) du quartier Saint-Sauveur de même que les pratiques qui y sont associées

alimentent au sein du corpus la perception que la paroisse est un milieu de vie animé dans

lequel on dispose de tout ou presque. Même si les participants à notre enquête orale sont

loin de fréquenter uniquement leur(s) paroisse(s) de résidence en la matière, cette situation

constitue un autre facteur, en plus de la vie religieuse et des loisirs, des divertissements et

de la vie communautaire et associative, prédisposant à la formation ou à l’affermissement

d’un lien d’appartenance à la paroisse de résidence.

Comme nous l’avons mentionné au troisième chapitre, le réseau des commerces et

services du quartier Saint-Sauveur lors de cette période se détaille en un grand nombre

d’établissements offrant une diversité de biens et de services. Le bassin de clientèle est tel

que des unités de même type peuvent cohabiter près l’une de l’autre, parfois même face à

face. Afin de se lancer en affaires, les individus ont bien souvent besoin de fonds, offerts

notamment par les caisses populaires, réparties sur une base paroissiale. Les sièges des

719

BRISSON, op. cit., p. 119.

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conseils de crédit des caisses sont occupés, entre autres, par des commerçants720

. Ces

conseils disposent d’un pouvoir de contrôle sur le développement commercial de la

paroisse en ayant la possibilité de favoriser ou non les nouveaux projets selon les intérêts

financiers de leurs membres commerçants, intérêts qui dictent leur ouverture à la

concurrence. Ils peuvent aussi répondre aux désirs du clergé quant à la limitation ou

l’absence voulue par celui-ci de certains types de commerces, comme des tavernes ou des

cafés de nuit par exemple721

. Autrement toutefois, il est probable que les autorités

religieuses paroissiales s’enorgueillissent que leur territoire compte une diversité de

commerces et de services propre à en faire un milieu relativement autonome. Les membres

du corpus apprécient aussi grandement cette diversité et s’en montrent fiers. Ces sentiments

sont accentués lorsque des établissements jouissent d’une réputation enviable et/ou sont

fréquentés par des individus venant d’au-delà des frontières paroissiales, comme la

boucherie Dinel par exemple dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce.

Le capital identitaire relié à l’appréciation du réseau de commerces et de services local

profite essentiellement à la paroisse. La diversité dont nous avons fait mention est présente

dans chacune d’entre elles. Les établissements sont répandus dans le tissu résidentiel; les

concentrations se situent sur les abords des axes de circulation les plus importants, profitant

aux paroisses qui sont traversées par ces derniers, et au cœur de chaque paroisse, près des

églises et des espaces de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et

associative722

. La proximité du domicile des commerces et des services plaît aux membres

720

C’est le cas du père quincaillier d’une membre du corpus (#28) et du grand-père épicier d’un autre (#29),

de surcroît président fondateur de la caisse de la paroisse Saint-Joseph en 1942. 721

Le 23 septembre 1945, le curé de la paroisse Saint-Sauveur s’insurge contre le projet de l’ouverture d’un

grill/café de nuit. Il prévient que cela ne se fera pas, que « … toutes les associations de la paroisse se lèveront

et se ligueront pour empêcher ce mauvais lieu d’ouvrir. C’est assez, que malgré le curé, on nous ait affligé

d’une taverne de plus cette année ! » Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-

Cap). Paroisse Saint-Sauveur de Québec. Prônes. « Cahier des annonces à l’Église Saint-Sauveur du 3

décembre 1944 au 7 décembre 1947 », 23 septembre 1945. 722

Certains services sont même situés dans les centres paroissiaux. C’est le cas de la caisse populaire Saint-

Malo, qui après avoir occupé les domiciles de directeurs, est relocalisée dans le centre paroissial en 1923; elle

y sera jusqu’en 1942, lorsque les activités se déplacent dans un édifice face à l’église. Sainte-Angèle-de-Saint-

Malo. 1898-1998, op. cit., p. 76. Ces concentrations au cœur des paroisses font en sorte que lorsque nous

avons demandé aux participants d’identifier les rues les plus importantes de leur quartier, huit ont mentionné

des artères traversant ces cœurs, comme les rues Arago, Franklin et des Oblats, qui sont passantes et dont le

caractère commercial est plus affirmé. La grande majorité des participants, y compris ces huit, ont fait

allusion aux rues Saint-Vallier, principale artère commerciale du quartier Saint-Sauveur, Marie-de-

l’Incarnation et Saint-Joseph.

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du corpus et constitue même, pour certains qui sont particulièrement choyés en résidant

près d’artères commerciales et de cœurs paroissiaux, un motif de stabilité résidentielle723

.

Plusieurs services sont aussi déployés sur une base paroissiale, ce qui favorise la

perception selon laquelle la paroisse est un milieu de vie quasi complet. Au moment

d’introduire les caisses populaires au Québec au début du XXe siècle, Alphonse Desjardins

considérait la paroisse comme le milieu le plus propice pour voir s’épanouir son projet

d’institutions vouées à « […] l’organisation économique des classes populaires724

» et à

l’amélioration de leurs conditions financières. Desjardins a retenu cinq facteurs en faveur

de la paroisse comme cadre de déploiement des caisses : 1) un niveau d’interconnaissance

appréciable au niveau paroissial assurant la « […] sûreté des opérations de crédit » et la

connaissance des besoins du milieu ; 2) le fait que la paroisse soit un « terreau » pour

plusieurs pratiques collectives alimentant le goût de la « […] décentralisation et des

activités locales spécialisées » ; 3) la présence au sein de celle-ci d’un leader social

« influent », instruit et au fait des conditions économiques de la population, soit le curé725

;

4) un territoire limité garantissant la décentralisation de l’épargne et du crédit ; 5) et enfin,

un attachement personnel du fondateur des caisses populaires à la paroisse ainsi qu’un désir

« […] d’en améliorer le fonctionnement et l’autonomie ». Rappelons, par ailleurs, que

plusieurs services d’assistance organisés sont déployés principalement sur une base

paroissiale, comme la Société Saint-Vincent-de-Paul et les ouvroirs, ce qui assure un

quadrillage de l’espace urbain et des bassins de clientèle adéquats. On peut ajouter à la liste

des services déployés sur cette base les écoles offrant les cours primaires élémentaire726

et

723

Voir la citation de la participante #26 à cet effet au deuxième chapitre, p. 96. 724

Pierre POULIN, Histoire du Mouvement Desjardins. Tome 1. Desjardins et la naissance des caisses

populaires, 1900-1920, Montréal, Québec/Amérique, 1990, p. 89. Tous les passages cités dans ce paragraphe

proviennent de cet ouvrage, aux pages 91-92. 725

Desjardins souhaite que les curés s’impliquent dans le mouvement des caisses populaires. Ce vœu sera

exaucé dans plusieurs milieux et notamment dans le quartier Saint-Sauveur. Par exemple, le curé Bouffard de

la paroisse Saint-Malo en est lui-même le fondateur en 1905. Le curé Lavergne, à Notre-Dame-de-Grâce,

travaille à assembler des individus en vue d’une fondation qui a lieu en 1925. En 1936, le curé Boulanger de

la paroisse Sacré-Cœur donne son appui « total » à Arthur Drolet, homme d’affaires qui lance le projet de

doter la paroisse d’une caisse populaire. Sainte-Angèle-de-Saint-Malo. 1898-1998, op. cit., p. 76 ; Yves

GAGNON, « Monographie de la caisse populaire de Notre-Dame-de-Grâce », mémoire de maîtrise en

sciences commerciales, Québec, Université Laval, 1949, p. 3; CLOUTIER, op. cit., p. 4. 726

1ère

-6e années de 1929 à 1937, 1

ère-7

e années de 1937 à 1965.

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340

complémentaire727

. Aux premiers niveaux du système scolaire public, qui est encore

confessionnel à cette époque au Québec, les autorités catholiques ont prévu que l’élève

fréquente les écoles primaires de sa paroisse de résidence728

. La vie scolaire avec

notamment ses chorales, ses concours de connaissances interparoissiaux et ses amicales

d’anciens constitue un ferment certain d’appartenance paroissiale.

Certaines congrégations religieuses se révèlent jouer un rôle majeur dans la vie paroissiale

lorsqu’on analyse les acteurs des domaines de l’éducation, de l’assistance et des loisirs. Le

cas des Franciscaines Missionnaires de Marie mérite à ce titre d’être mentionné. Leur

Maison Notre-Dame-de-la-Providence, ouverte en 1902 et éventuellement voisine du centre

paroissial dans la paroisse Saint-Malo, fait office à ses débuts à la fois d’école de niveau

primaire (élémentaire à supérieur), de lieu de formation ménagère, de service de garde et de

patronage. Constatant le dénuement de plusieurs ménages, les Franciscaines développent

progressivement deux autres champs d’action, soit un ouvroir et une soupe populaire. Elles

abritent également l’œuvre de la Goutte de Lait paroissiale. Comme nous le mentionnions

au troisième chapitre, en 1917, environ 600 enfants de 2 à 8 ans bénéficient des services de

l’institution729

.

Pour revenir au domaine de la consommation, soulignons que de 1930 jusque dans les

années 1950, les pratiques des membres du corpus en matière d’achat de biens et d’usage

de services se font sous le signe de la proximité, comme nous l’avons vu au troisième

chapitre. Ces pratiques se déploient tant à l’intérieur de la paroisse qu’à l’extérieur de celle-

ci, notamment sur les artères commerciales du quartier Saint-Sauveur et sur les grandes

artères commerciales de Québec, comme la rue Saint-Joseph (quartier Saint-Roch), où se

727

7e-8

e années de 1929 à 1937, 8

e-9

e années de 1937 à 1956, puis remplacé par le cours secondaire en 1956

(8e-12

e années). Le cours primaire supérieur (9

e-11

e années de 1929 à 1937, 10

e-12

e années de 1937 à 1956,

puis remplacé par le cours secondaire (8e-12

e années) en 1965) n’est cependant pas offert dans toutes les

paroisses. 728

Il y a néanmoins des exceptions. Deux membres du corpus ainsi qu’une copine d’une participante allèrent

à l’école dans une paroisse voisine. Les premier (au tournant des années 1940) et troisième (années 1950) cas

semblent s’expliquer par les distances à parcourir. Habitant à la frontière de deux paroisses et plus près d’une

autre école, ils y ont été inscrits. Le second cas (années 1940) semble, quant à lui, motivé par le fait que la

participante devait aller manger chez une tante tous les midis. Cette tante demeurant dans la paroisse voisine,

la participante fut inscrite à l’école qui s’y trouvait en compagnie de ses cousines. Notons que lors de l’année

scolaire 1949-1950, 13,1% des élèves des cours élémentaires et complémentaires dans le quartier Saint-

Sauveur ont fréquenté un établissement situé hors de leur paroisse de résidence. ROCHETTE, op. cit., p. 55. 729

Voir la note de bas de page au troisième chapitre, p. 179.

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341

concentrent les grands magasins à rayons. Le nombre, la diversité et la localisation dans

l’espace des commerces et des services du quartier Saint-Sauveur, ainsi que les pratiques

réalisées dans la paroisse de résidence, alimentent néanmoins dans plusieurs cas

l’attachement à la dite paroisse, comme nous l’avons constaté en ce qui concerne la vie

religieuse et les loisirs, les divertissements et la vie communautaire et associative. Ces

facteurs réunis font en sorte que les participants ont considéré la ou les paroisse(s) où ils

ont demeuré comme un ou des milieu(x) vivant(s), dans le sens où des habitudes du

quotidien comme des événements importants s’y déroulaient et que l’on pouvait s’y

procurer plusieurs biens et services appréciés et/ou dont on avait besoin.

Les six paroisses du quartier Saint-Sauveur sont ainsi, de 1930 jusqu’au cours des années

1950, autant de pôles structurants de la vie locale et du sentiment d’appartenance à l’espace

vécu. Le territoire d’appartenance des hommes et des femmes que nous avons rencontrés,

nés et ayant grandi durant cette période, est sans contredit la paroisse. Cet attachement se

nourrit chez eux dès l’enfance à partir d’un ou de plusieurs facteurs analysés. L’absence

d’implication dans la vie associative paroissiale, par exemple, ne signifie ainsi pas que

l’appartenance à sa paroisse soit moins forte puisqu’elle s’abreuve à plusieurs sources. La

fréquentation occasionnelle ou régulière d’autres paroisses du quartier ne résulte pas en

l’élargissement du territoire d’appartenance. D’autres facteurs que ceux présentés dans

cette première partie du chapitre expliquent également la présence de ce sentiment

d’appartenance. Le fait que dans chaque paroisse soient organisés des événements religieux

et des loisirs, des divertissements et une vie communautaire et associative qui lui sont

propres alimente chez ses résidants des rapports d’opposition envers les autres paroisses,

rapports qui le stimulent, comme nous le verrons plus loin. De plus, les lieux de loisirs et de

divertissements commerciaux situés dans les paroisses amplifient l’impression, féconde au

plan identitaire, de ne manquer de rien. Enfin, l’homogénéité sociodémographique et

socioéconomique et l’expérience de la vie paroissiale forgent un « entre-nous730

» stimulant

ou solidifiant l’attachement à la paroisse. Les termes « famille paroissiale » sont d’ailleurs

utilisés par le clergé des paroisses731

. Dans un contexte où la vie paroissiale est animée et

les occasions de rassemblements sont nombreuses et toujours sous l’égide du curé et de ses

730

MORIN et ROCHEFORT, loc. cit., p.107. 731

Voir, par exemple, Saint-Malo se souvient, 1899-1949, op. cit., p. 3.

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342

vicaires, cette expression n’apparaît pas exagérée même si dans chaque milieu, comme dans

plusieurs familles, des conflits internes se produisent732

. Le terme famille est également

utilisé par des participants. Certains rassemblent sous ce terme leur voisinage et d’autres,

l’ensemble des paroissiens. Les résidants des différentes paroisses sont aussi considérés par

un participant comme des « communauté[s] » (#24). Cette appellation n’est pas fortuite.

Selon le géographe Tremblay, une communauté réfère à des « […] interactions de nature

sociale et culturelle très étroites », un espace dans lequel ces interactions « […]

s’organise[nt] et s’articule[nt] », un attachement des membres « […] les uns envers les

autres à la faveur d’un espace de vie quotidienne communautaire, et l’identité qu’ils en

tirent733

». En vertu de ces caractéristiques, ce participant apparaît avoir vu juste.

L’appartenance paroissiale ressort clairement des discours des membres du corpus hormis

dans le cas de deux participantes (#10 et 15). Ces dernières ont connu une vie

mouvementée et marquée par des événements malheureux. Elles se sont très peu intégrées à

la vie religieuse, communautaire et associative dans leur paroisse de résidence et ont

rarement fréquenté les lieux et espaces de loisirs et de divertissements paroissiaux et

commerciaux. Elles ont exprimé s’être senties plus attachées aux logements occupés, pour

l’une (#15), et à la Haute-Ville pour l’autre (#10734

). Elles sont arrivées dans le quartier

Saint-Sauveur durant les années 1960, dans une période où la vie paroissiale se transformait

graduellement comme nous le verrons plus loin, ce qui peut aussi expliquer en partie leur

rapport identitaire à l’espace vécu. Plus largement toutefois, il nous apparaît certain que le

cadre paroissial oriente le sentiment d’appartenance à l’espace vécu, sans nécessairement le

déterminer. Il est fort probable que d’autres résidants du quartier Saint-Sauveur n’ont pas

développé de lien identitaire envers leur paroisse de résidence entre 1930 et les années

1950. Pour la grande majorité des membres du corpus cependant, le sentiment

d’appartenance à la paroisse est bien présent735

. Il oriente parfois les trajectoires

732

Une participante (#27) impliquée dans son centre paroissial nous a notamment fait part de luttes de pouvoir

entre les marguilliers de la paroisse et les responsables du centre paroissial concernant la mise sur pied de

nouvelles activités. Globalement, les participants n’ont pas fait état de conflits paroissiaux internes notables.

Comme nous le mentionnions au chapitre précédent néanmoins, certains antagonismes sont présents entre des

ménages modestes et des ménages plus aisés. 733

TREMBLAY, op. cit., p. 9-10. 734

Elle en est native. 735

La paroisse occupe par conséquent une place centrale dans les discours, notamment en constituant un cadre

de référence très utilisé pour situer des lieux de naissance, de résidence et de travail et pour localiser des

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343

résidentielles, comme nous l’avons vu au second chapitre. Il est forgé pour plusieurs dès

l’enfance et se maintient tout au long de la période étudiée, même lors de décennies

marquées par de profonds changements de la vie paroissiale. Pour les participants ayant

demeuré dans plus d’une paroisse, le rapport identitaire à l’espace vécu est aussi marqué

par l’appartenance à la paroisse. On s’attache en effet tant à des traits particuliers de cet

espace vécu, comme le caractère plus verdoyant et la localisation excentrée de la paroisse

Notre-Dame-de-Pitié par exemple, qu’à un cadre de vie, qui est similaire d’une paroisse à

l’autre. La paroisse représente à la fois pour ces participants l’unité d’identification et le

territoire d’appartenance. Cette appartenance n’est cependant pas de même intensité d’une

paroisse à l’autre. Plusieurs participants s’attachèrent moins à une paroisse dans laquelle ils

vécurent peu de temps. À l’inverse, la paroisse natale ou la paroisse où ils ont habité le plus

longtemps est souvent l’objet d’une affection particulière736

. L’appartenance paroissiale

n’est donc pas exclusive et peut s’appliquer à plus d’une paroisse en même temps.

Il ressort finalement de l’analyse que l’appartenance apparaît plus marquée lorsqu’il s’agit

de petites paroisses, en termes de superficie et/ou de nombre d’habitants, et

particulièrement des paroisses Notre-Dame-de-Pitié et Notre-Dame-de-Grâce. L’esprit de

corps des paroissiens y semble plus prononcé. Là plus qu’ailleurs les participants associent

l’ensemble des paroissiens à une grande famille737

. Des éléments propres à leur paroisse

accentuent leur attachement à celle-ci, comme le complexe de piété en plein air de Notre-

Dame-de-Grâce par exemple. Cette appartenance plus marquée a sans doute été appréciée

des autorités religieuses, qui cherchaient à la susciter par la multiplication des paroisses et

une vie paroissiale animée.

commerces, des lieux de divertissements ou encore des services d’assistance organisés. On utilise aussi, pour

ces fins, la rue, le coin de rue, le village ou la ville, le secteur (Vieux-Port, Vieux-Québec, etc.), ainsi que le

quartier administratif. La place de la paroisse dans les discours est plus modeste dans le cas des participantes

s’y sentant peu liées. 736

Plusieurs participants gardent un lien privilégié avec leur paroisse natale lorsqu’ils y sont demeurés assez

longtemps pour vivre une série d’événements importants (baptême, première communion, entrée à l’école,

premiers cercles d’amis, etc.). Après l’avoir quittée, ils reviendront parfois assister à la messe dans « leur »

église. Ainsi, une participante s’apprêtant au moment de l’interview à revenir vivre dans sa paroisse natale

Saint-Malo après 50 ans hors de celle-ci, hormis un épisode de deux ans, nous confie avoir hâte de revenir

dans son coin, « r’tomber chez nous » (#01). 737

Par ailleurs, Beaumont note au milieu des années 1940 qu’il y a à Sacré-Cœur « […] un esprit et une

solidarité particulière distincte (sic) de ce qu’on trouve dans les populeuses paroisses ouvrières de Saint-

Sauveur et de Saint-Malo ». BEAUMONT, op. cit., p. 26.

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344

5.2 Notre quartier la paroisse

L’appartenance paroissiale ainsi que les diverses pratiques des participants réalisées dans

leur paroisse de résidence orientent les représentations sur ce qu’ils considèrent être leur

quartier. Ce quartier est incontestablement la paroisse. Cette perception est partagée

presque unanimement par les membres du corpus et traverse la période 1930-1980 avec une

remarquable continuité. On peut y voir une autre illustration du pouvoir structurant de la

paroisse, à l’échelle des représentations des individus cette fois. Ce quartier perçu se

distingue du quartier « construit ». Les participants expriment également d’autres

représentations de divers ordres sur cet espace qu’est le quartier.

Comme nous l’énoncions dans l’introduction générale de cette thèse, le quartier réfère

globalement à deux espaces, qui ne coïncident pas nécessairement l’un avec l’autre, soit le

quartier « construit » et le quartier perçu. La notion de quartier « construit » peut

correspondre à deux ensembles. Il peut être, dans un premier temps, un découpage

administratif du territoire urbain facilitant les interventions publiques et servant de cadre

électoral et de cadre de mesures sociodémographiques, socioéconomiques, etc. C’est dans

cet esprit que nous parlons du quartier Saint-Sauveur à Québec, tel qu’il fut établi en 1916

par les autorités municipales738

. Le quartier peut être également un « construit

sociohistorique739

», une « unité socio-spatiale différenciée740

» se distinguant par un ou

plusieurs des aspects suivants : bâti, population, histoire, réputation, caractéristiques

physiques, tissu de commerces et de services, pratiques collectives, etc. En suivant cette

définition, plusieurs chercheurs de différentes disciplines ont ainsi attribué le titre de

quartier aux paroisses pour ce qui est du Québec741

.

La notion de quartier perçu renvoie, pour sa part, à une dimension subjective, soit aux

représentations que se fait chaque citadin sur l’espace urbain en général et sur l’espace qu’il

738

Rappelons que les autorités municipales ont créé deux sous-parties en 1954, soit Saint-Sauveur-Est et

Saint-Sauveur-Ouest. 739

GERMAIN et CHARBONNEAU, op. cit., p. 3. 740

MORIN et ROCHEFORT, loc. cit., p. 105. 741

C’est le cas, par exemple, du géographe Bédard dans le cadre d’une étude du quartier Limoilou. Daniel

BÉDARD, « La notion de quartier appliquée au quartier Limoilou à Québec », thèse de baccalauréat en

géographie, Québec, Université Laval, 1972, p. 57.

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habite et investit. Le quartier est, dans cette optique, une « figure à géométrie variable742

».

Chacun établit ce qu’il considère être un quartier ou son quartier en fonction, entre autres,

de ses propres pratiques, de son rapport identitaire à l’espace vécu et de facteurs stimulant

la construction de cette représentation, comme des caractéristiques physiques, des pratiques

collectives ou divers lieux et espaces jugés symboliques (artères, parcs, monuments,

musées, etc.). Le quartier peut ainsi correspondre à un pâté de maisons, à une rue, à un

complexe de logements sociaux, à une paroisse ou encore à un espace géographique

spécifique (basse et haute ville, presqu’île, butte, etc.). De cette manière, le quartier

administratif Saint-Sauveur n’est pas nécessairement le quartier des membres du corpus tel

qu’eux le perçoivent. En dépit d’une expérience de l’espace urbain affirmée, nous

observons que ce quartier est la paroisse; cela tient croyons-nous au rôle de la paroisse

comme pôle structurant de la vie locale et du sentiment d’appartenance à l’espace vécu.

Ainsi, 27 des 30 membres du corpus, y compris les deux participantes ayant manifesté un

faible lien d’appartenance aux paroisses où elles ont demeuré, affirment avoir habité, au gré

de leurs trajectoires résidentielles, les quartiers Saint-Malo, Sacré-Cœur, Saint-Sauveur,

Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Joseph ou Notre-Dame-de-Pitié. Contrairement aux

conclusions d’autres recherches à l’effet que le quartier perçu recouvre pour certaines

populations de nombreux espaces, ce qui démontre le peu de « signification collective743

»

accordée à un espace en particulier, il en va autrement au Québec comme l’ont démontré

plusieurs travaux sur les résidants des milieux populaires744

. La paroisse de résidence y est

souvent perçue comme étant le quartier de résidence. L’association réalisée par les hommes

et les femmes que nous avons rencontrés entre paroisse et quartier est perceptible dans leurs

discours de deux manières. Certains la démontrent directement au fil de l’entretien lorsqu’il

est question du quartier habité, comme cette participante :

- (D.G.) Lorsqu’on vous d’mande, dans quel quartier vous habitez, vous

répondez…

- Notre-Dame-de-Pitié. Oui oui oui. Notre-Dame-de-Pitié.

742

GRAFMEYER (1991), op. cit., p. 20. 743

Tels furent notamment les résultats de l’étude de Piolle sur les habitants (tous statuts socioéconomiques

confondus) de la ville de Pau en France durant les années 1970. PIOLLE, op. cit., p. 171. 744

Voir notamment FORTIN et al., op. cit., p. 46; DESPRÉS et LAROCHELLE, « L’influence des

trajectoires résidentielles et des normes culturelles d’habitat sur les significations et les usages du Vieux-

Limoilou », dans GRAFMEYER et DANSEREAU (dirs.), op. cit., p. 64.

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- (D.G.) Pour vous, c’qu’on appelle le quartier Saint-Sauveur, en fait le grand

quartier Saint-Sauveur

- (Elle nous coupe.) Je l’dis pas ça, non. Non non. Pas par snobisme. Mais c’est

Notre-Dame-de-Pitié. (#30)

D’autres participants utilisent par exemple le terme quartier lorsqu’ils parlent de la ou des

paroisse(s) dans la(les)quelle(s) ils ont habité et/ou des paroisses en général, comme dans le

cas de cette autre participante : « Les majorettes de Saint-Malo, qui étaient très connues à

c’moment-là. C’t’à peu près les seuls des divers quartiers Saint-Sauveur Sacré-Cœur là,

[…] le seul groupe de filles de majorettes. » (#18)

Conscient du caractère multiforme du quartier, nous avons porté une attention particulière

à ne pas utiliser à tort les termes « Saint-Sauveur » et « quartier Saint-Sauveur » lors de nos

interventions en cours d’entretien. Nous l’avons néanmoins fait à quelques reprises. Les

propos subséquents des participants ayant trait aux représentations sur ce qui est considéré

comme un quartier, possiblement influencés par ces termes, n’ont pas été retenus pour

l’analyse. À quelques occasions, ces erreurs ont toutefois permis aux membres du corpus de

témoigner de ce qu’ils considèrent comme leur quartier ou les quartiers en général, en

relevant ce qui leur paraissait comme une incohérence, comme l’illustre l’exemple qui suit.

L’allusion survient alors que le participant vient de parler du départ de ses parents du

village de Montmorency745

à l’est de Beauport, municipalité limitrophe de Québec, pour

aller s’installer dans la paroisse Sacré-Cœur à Québec :

- (D.G.) Donc lorsque vos parents sont v’nus s’installer à Saint-Sauveur est-ce

que y avaient d’la famille, des frères et des sœurs qui étaient déjà installés ou…

- Y s’sont pas installés à Saint-Sauveur, y s’sont installés à Sacré-Cœur. (#05)

Pour ce participant, Saint-Sauveur réfère uniquement à la paroisse du même nom; il a ainsi

rectifié notre propos jugé erroné.

Sur cette question comme sur celle de l’appartenance à la paroisse, des exceptions et des

nuances ressortent de l’analyse. Ainsi, pour trois participants, deux hommes (#07 et 08) et

une femme (#20), le quartier ne coïncide pas avec la paroisse, mais plutôt avec Saint-

Sauveur dans sa forme administrative, ce qui les distingue du reste du corpus. Les propos

745

Fait à noter dans le contexte de ce chapitre, le participant n’utilise pas le nom du village lorsqu’il en parle,

mais bien celui de la paroisse correspondant au territoire de ce dernier, soit Saint-Grégoire.

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exprimés par neuf des 27 autres membres du corpus témoignent également qu’ils étaient

conscients de l’existence de cette entité administrative, car ils y ont référé en traitant de

sujets comme la localisation de commerces et de lieux de loisirs, les lieux d’origine de

parents et de conjoints ou ce qu’ils considèrent être le quartier Saint-Sauveur. Cette

représentation s’explique par diverses raisons746

. Les trois participants pour qui le quartier

ne coïncide pas avec la paroisse font partie des membres les plus jeunes de la cohorte d’âge

B et comptent parmi les plus instruits du corpus. Nés en 1943 (dans deux cas) et en 1949

(#20), ils ont vécu leur enfance et/ou leur adolescence dans le quartier au cours d’une

période de changements altérant, comme nous le verrons plus loin, le pouvoir structurant de

la paroisse sur la vie locale, sur l’appartenance et sur les représentations. L’âge semble

toutefois prédisposer cette représentation davantage qu’elle ne la détermine. Le plus jeune

membre du corpus (#09), né en 1950, considère en effet les paroisses où il vécut comme

étant ses quartiers. Il en va de même pour le critère de l’instruction; certains membres du

corpus parmi les plus instruits désignant les paroisses comme étant des quartiers. Il n’est

pas non plus absolument nécessaire d’avoir passé beaucoup de temps sur les bancs d’école

pour être au fait du découpage de la ville en quartiers administratifs. L’un des trois

participants (#07) fut longtemps impliqué, et l’était encore au moment de l’interview, dans

une organisation dont la sphère d’action est le quartier administratif, soit le Comité des

citoyens et citoyennes du quartier Saint-Sauveur, fondé en 1969. Cette implication paraît

avoir sensiblement influencé ses représentations sur le quartier qu’il perçoit comme le sien.

Une implication notable dans la vie associative de sa paroisse, à l’inverse, n’a pas conduit

la participante #20 à concevoir cette paroisse comme son quartier. Elle y fut très attachée

par contre, tout comme le participant #08, très lié à sa paroisse natale où il vécut toute sa

vie, hormis un séjour de trois ans dans une paroisse voisine.

Dans le cas des neuf participants, cinq hommes (#03, 04, 09, 21 et 22) et quatre femmes

(#12, 16, 25 et 26), ayant exprimé une conscience du quartier Saint-Sauveur en tant

qu’entité administrative, l’instruction et l’implication dans le Comité des citoyens et

citoyennes du quartier Saint-Sauveur semblent aussi constituer des facteurs explicatifs. S’y

746

Notons qu’en aucun cas on nous a parlé de Saint-Sauveur-Est ou de Saint-Sauveur-Ouest.

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retrouvent des membres des deux cohortes d’âge et notamment le plus jeune (#09)747

et la

plus âgée (#12) du corpus. Ces neuf participants sont ainsi bien conscients de deux

manières de concevoir le quartier, mais « leur(s) » quartier(s) reste(nt) la ou les paroisse(s)

où ils ont habité.

Cette perception presque unanime des participants à l’effet que leur(s) paroisse(s)

constituent leur(s) quartier(s) s’explique autant par le rôle de la paroisse comme pôle

structurant de la vie locale, de l’appartenance et des représentations, que par le peu de

signification de ce dernier pour eux. Les travaux que nous avons menés en 2008 sur le

quartier des Pentes de la Croix-Rousse à Lyon en France ont révélé qu’habiter dans un

quartier à la charge historique et à l’individualité fortes avait un impact sur les

représentations sur ce quartier748

. Les résidants d’un quartier présentant ces caractéristiques

et notamment ceux du quartier des Pentes, célèbre à Lyon pour son industrie de la soie et

ses artisans, les canuts749

, sont plus nombreux à mentionner le nom de ce quartier comme

quartier de résidence que ceux de quartiers à la charge symbolique plus faible. L’éventail

des réponses données est en effet beaucoup moins varié que dans le cas d’un quartier à la

charge symbolique plus faible.

Le quartier Saint-Sauveur fait partie de cette seconde catégorie. Comme le signalent

Morisset et Noppen, « [a]ucune gloire ne marque le territoire, aucune diffamation non plus.

[…] En d’autres mots, le quartier n’est pas amnésique : il est anonyme750

». Certains de ses

voisins sont dans une situation différente. Ainsi, il est probable que plus de résidants des

quartiers administratifs Saint-Roch, haut lieu de la consommation, et de Montcalm, quartier

747

Ce dernier, ainsi qu’une autre participante (#16), traitent non seulement du quartier administratif Saint-

Sauveur, mais aussi du quartier administratif Saint-Roch (qui comprend les paroisses Saint-Roch, Notre-

Dame-de-Jacques-Cartier et Notre-Dame-de-la-Paix). 748

Ces travaux ont été réalisés dans le cadre d’un séjour de recherche à l’université Lumière Lyon II à Lyon

sous la direction des sociologues Yves Grafmeyer et Jean-Yves Authier. Dale GILBERT, « Dynamiques de

l’ancienneté résidentielle. Usages, sociabilités et rapports symboliques au quartier des résidants anciens des

Pentes de la Croix-Rousse à Lyon », mémoire de recherche présenté dans le cadre du séminaire de recherche

en sociologie urbaine « Espaces, mobilités et socialisation », Lyon, Université Lumière Lyon II, 2008, 48 p. 749

Abdelkader BELBAHRI et al., La Croix-Rousse, Lyon, CNRS, 1980, 80 p.; Bernard COLLONGES, Le

quartier des Capucins. Histoires du bas des pentes de la Croix-Rousse, Lyon, Aléas, 2004, 115 p. 750

Lucie K. MORISSET, Luc NOPPEN et al., Patrimoine du quartier Saint-Sauveur. Volume 1 : Rapport de

synthèse, Québec, Ville de Québec (Division design et patrimoine), 2000, p. 22. Ce caractère anonyme est

notamment perceptible par la nature des événements importants survenus dans le quartier Saint-Sauveur

durant la période 1930-1980 cités par les participants : processions religieuses, incendies d’immeubles,

accidents de voiture, etc.

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bourgeois de référence à Québec, s’en réclament. Cette piste demeure à explorer. En ce qui

concerne le quartier Saint-Sauveur, peu de pratiques collectives se réalisent à l’échelle du

quartier comme tel. La rue Saint-Vallier est très fréquentée en raison de son caractère

commercial. Le parcours des processions de la fête du Sacré-Cœur traverse plusieurs

paroisses. Des défilés dans le cadre de fêtes civiles comme la Saint-Jean-Baptiste, patron

des Canadiens français, se déploient aussi à l’échelle supraparoissiale. Ces deux derniers

types d’événements occupent une place de choix dans l’esprit des membres du corpus

lorsqu’il est question des fêtes, mais n’ont pas, à l’instar de la rue Saint-Vallier et de

l’homogénéité socioéconomique et sociodémographique du quartier, de pouvoir structurant

en matière d’appartenance et de représentations sur ce qu’ils considèrent être leur quartier.

Ainsi, plusieurs membres du corpus n’attribuent pas au quartier administratif Saint-Sauveur

une signification méritant qu’il soit associé à « leur » quartier751

.

Quelques membres du corpus ont, par ailleurs, exprimé d’autres représentations sur ce que

représente leur quartier ou un quartier. Ces représentations s’ajoutent à leur perception que

la ou les paroisse(s) où ils ont demeuré est ou sont leur(s) quartier(s); ils conçoivent ainsi

que des quartiers peuvent se superposer. Une participante (#17) considère dans un premier

temps les deux paroisses-mères, Saint-Sauveur et Saint-Malo, et leurs « filles752

», c’est-à-

dire les paroisses qui en sont issues, comme deux quartiers distincts regroupant trois

paroisses chacun753

. Le quartier d’une autre participante (#18) fut, selon ses propos, tantôt

sa paroisse, tantôt le secteur de cette paroisse dans lequel elle a habité et où se retrouvaient

les divers commerces et services fréquentés. Le quartier évoqué, « mon quartier de la

paroisse Saint-Sauveur » (#18), formé de trois rues d’axe nord-sud et de trois rues d’axe

est-ouest, se trouve ainsi entre le voisinage et la paroisse et fait référence à l’espace de

proximité immédiate vécu. Un membre du corpus (#22) a associé à deux reprises, pour sa

751

La géographe Levac a effectué un constat similaire pour le quartier Petite-Patrie de Montréal dans le cadre

d’une étude sur l’identité et la vie de quartier réalisée en 1986-1987. Elle a démontré que le quartier Petite-

Patrie, quartier populaire, avait une faible individualité. Peu de répondants à son enquête ont identifié Petite-

Patrie comme étant leur quartier de résidence. Par contre, 72% savaient dans quelle paroisse ils résidaient,

cette proportion étant particulièrement élevée chez les répondants les plus âgés. Louise LEVAC, « La re-

création d’une identité de quartier : une enquête socio-géographique sur le quartier Petite-Patrie », mémoire

de maîtrise en géographie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 1988, p. 55, 148, 150. 752

Nous faisons ici référence au vocabulaire des autorités religieuses paroissiales. [s.a.], Saint-Malo se

souvient, 1899-1949, op. cit., p. 7. 753

Cette vision fut aussi partagée par des prêtres de la paroisse Saint-Sauveur. BERNIER, op. cit., p. 9, 26.

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350

part, une artère commerciale, la rue Saint-Paul, à un quartier. Cette dernière, par sa

renommée à Québec lors de son enfance et de son adolescence et son importance dans le

secteur où elle se trouve, symbolisait à ses yeux ce secteur754

. La variété de ces

représentations, en incluant celle du quartier administratif, reflète la variété recensée par

d’autres chercheurs755

.

La grande majorité des membres du corpus perçoivent ainsi la paroisse de résidence

comme leur quartier, quelques-uns seulement considérant que leur quartier est le quartier

administratif Saint-Sauveur. La vie de quartier, telle que décrite par un grand nombre de

participants, correspond à la vie paroissiale. Elle est placée sous le signe de la proximité, de

sociabilités nombreuses, simples et conviviales et d’une vie religieuse et communautaire

animée. Leur évaluation de la vie de quartier est fort positive, du moins jusqu’à ce que

surviennent les divers changements abordés au cours des chapitres précédents et sur

lesquels nous reviendrons dans la dernière partie de ce chapitre. Le fait que certains

participants aient vécu pendant très longtemps dans une même paroisse s’explique en partie

par cette évaluation positive et un attachement qui se maintient malgré ces changements. Il

n’en fut toutefois pas ainsi pour tous. Ces mutations ainsi que des caractéristiques de la vie

locale comme les relations de voisinage denses conduisirent éventuellement des ménages à

quitter le quartier.

5.3 Des rapports à d’autres espaces urbains marqués par

l’opposition

Les identités ne se forgent pas seulement grâce à des facteurs internes propres aux

individus et à leurs milieux de vie, mais aussi par le biais de rapports d’opposition envers

d’autres individus ou d’autres espaces. C’est le cas des hommes et des femmes que nous

avons rencontrés. Des concurrences sourdes entre paroisses et une distinction entre

« nous » et « eux », basées tant sur des faits réels que sur des préjugés entretenus,

754

En voici un exemple : « […] [L]e terme Basse-Ville là, y est arrivé au début pour le quartier d’la rue

Saint-Paul […] » (#22) 755

Voir notamment AUTHIER, « Les rapports au quartier », dans AUTHIER (dir.), op. cit., p. 135. Les

quartiers perçus par les participants à cette recherche portant sur les usages du logement, du quartier et de la

ville dans cinq quartiers anciens centraux français en 1997-1998 vont « […] de la rue au centre-ville entier »

et de la « […] résidence à l’arrondissement ».

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351

alimentent cette appartenance paroissiale, elle-même une des sources de ces rapports

d’opposition. Ces rapports, qui traversent toute la période 1930-1980, constituent une autre

manifestation du pouvoir structurant de la paroisse sur l’appartenance et sur les

représentations. Ils ne se manifestent pas seulement envers d’autres paroisses, mais aussi

envers d’autres espaces urbains, particulièrement la Basse-Ville, historiquement associée

aux ouvriers, au commerce et à l’industrie à Québec, et la Haute-Ville, identifiée aux riches

et aux puissants. Ces rapports d’opposition ainsi que l’appartenance paroissiale exercent

une forte influence, comme on le verra à la fin de cette troisième partie du chapitre, sur

plusieurs aspects des pratiques et des représentations des participants.

5.3.1 Les rapports aux paroisses du quartier Saint-Sauveur

Les loisirs, les divertissements et la vie religieuse, communautaire et associative dans les

paroisses du quartier Saint-Sauveur sont caractérisés par le dynamisme et la diversité

jusqu’au cours des années 1950. Certaines paroisses comptent quelques hauts lieux dans le

domaine des commerces et des services. Chaque paroisse compte ses processions

religieuses, des organisations diverses et tient des soirées et des événements distincts de

ceux de ses voisines. Cette situation contribue, avec d’autres facteurs, à susciter des

identités paroissiales fortes. Ces identités, à leur tour, produisent des rapports d’opposition

tenaces envers les paroisses environnantes et leurs résidants, rapports qui fortifient

l’appartenance paroissiale.

Nous avons relevé de ces rapports d’opposition pour le tiers des membres du corpus.

Plusieurs de ces participants ont en commun une longue durée de résidence dans une même

paroisse. Quelques-uns connaissent peu les paroisses desquelles ils tracent un portrait peu

reluisant puisqu’ils précisent les avoir peu fréquentées. Précisons que le seul fait de résider

pendant longtemps dans une même paroisse ne se traduit pas nécessairement par des

rapports d’opposition. Certains participants dans cette situation, très attachés à leur

paroisse, ont témoigné d’une vision relativement neutre des autres paroisses. Quatre des

cinq participants ayant demeuré dans trois paroisses du quartier Saint-Sauveur durant la

période 1930-1980 (#01, 02, 15 et 16) ont également porté un regard relativement neutre

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352

sur les autres paroisses. Le cinquième (#24), ainsi que la participante ayant demeuré dans

quatre paroisses du quartier (#23), expriment néanmoins des rapports d’opposition clairs.

Il est significatif de noter que ces rapports témoignent en majeure partie d’un antagonisme

entre les paroisses-mères et les paroisses-filles, nées par suite du détachement d’une partie

du territoire des premières. Les paroisses-mères, plus anciennes, constituent souvent la

référence par laquelle des participants résidant dans les secondes définissent la vie dans leur

paroisse et leur qualité de vie en général. Ainsi, les paroisses-mères sont perçues comme

étant moins dynamiques, moins solidaires ou encore moins propres que les paroisses-filles.

Les représentations de participants de Sacré-Cœur et de Notre-Dame-de-Pitié sur les

paroisses Saint-Sauveur et Saint-Malo756

illustrent bien ces représentations.

Un membre du corpus (#05), ayant habité dans Sacré-Cœur pendant 70 des 78 années de

sa vie au moment de l’entretien, soit 42 des 50 années de la période étudiée757

, exprime

clairement sa non-appartenance à la paroisse-mère pour laquelle il entretient une vision

négative : « Mais si tu veux nous insulter, dis que on reste à Saint-Sauveur les gens du

Sacré-Cœur. On reste pas à Saint-Sauveur. » (#05) Il poursuit à un autre moment dans

l’entretien en précisant sa pensée :

- Ben moi j’veux pas être opulent là… […] Mais j’ai toujours vu Sacré-Cœur

comme j’t’ai dit des propriétaires résidants. Donc, tu passais dans rue Renaud,

dans rue Saint-Mathias. Dans toutes les rues d’la paroisse Sacré-Cœur là… Les

maisons étaient propres. Parce que un des deux ou des quatre logements ou des

six, c’tait l’propriétaire qui habitait là. Pis lui ben, y balayait son trottoir. […]

Tandis que Saint-Sauveur, c’est du monde comme toi comme moé, mais y ont

sept huit maisons. Y commenceront pas à aller d’vant chaque maison pour

balayer l’trottoir pis… Comprends-tu? C’t’un peu ça la différence là. […] Sont

pas plus méchants que moé, mais y ont des à côtés que Sacré-Cœur ont pas.

[…] Dans l’temps on s’assoyait sur les perrons, pis les gens buvaient prenaient

un café, pis… J’ai ramassé une bouteille hier soir là su’l bord du trottoir, laissez

pas votre bouteille. Tsé, tu t’occupais d’avertir. Tandis que Saint-Sauveur ou

Saint-Roch, ça s’fait pas ça.

- (D.G.) Saint-Malo lui, est-ce que ça s’ressemble plus à Sacré-Cœur ou Saint-

Sauveur?

- Oui. Saint-Malo c’est plus Sacré-Cœur. Saint-Joseph pareil. Saint-Sauveur…

l’milieu là, c’est plus… Je l’sais pas là. En tout cas y a une différence. (#05)

756

Rappelons que Sacré-Cœur fut formée à partir d’une partie de Saint-Sauveur en 1917 et Notre-Dame-de-

Pitié à partir d’une partie de Saint-Malo en 1945. 757

Il vécut huit ans dans la municipalité de Québec-Ouest.

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353

La paroisse Saint-Sauveur est ainsi perçue comme étant moins propre et davantage peuplée

de locataires. Pourtant, les données des recensements quant au statut résidentiel n’appuient

pas significativement ces dires. Par exemple, en 1951, la population de Saint-Sauveur

compte 23% de propriétaires résidants contre 27% à Sacré-Cœur. Cette dernière paroisse

occupe néanmoins le second rang dans le quartier Saint-Sauveur, derrière Notre-Dame-de-

Pitié (56%). Le participant #05 ajoute que les propriétaires de Saint-Sauveur louent un peu

à « n’importe qui » et que la population y est plus pauvre, ce qui expliquerait, à son avis, la

présence d’un plus grand nombre d’organismes d’assistance dans la paroisse Saint-Sauveur

que dans Sacré-Cœur758

. Il présente même d’autres paroisses du quartier, dont l’autre

paroisse-mère Saint-Malo, en opposition à Saint-Sauveur pour accentuer le portrait

défavorable qu’il en brosse. Ces représentations le rendent d’autant plus fier de demeurer à

Sacré-Cœur.

Aux dires d’une autre participante (#25) native de Saint-Sauveur, laquelle avait déménagé

en 1958 pour s’installer à la frontière de cette paroisse et de Sacré-Cœur où elle demeurait

encore au moment de l’entretien, un « mur » sépare les deux paroisses. « Oui y a une

différence de mentalité au point de vue religion. Point d’vue paroisse. Y a toujours eu un

mur entre les deux paroisses. Les gens d’Saint-Sauveur n’aiment pas les gens d’Sacré-

Cœur, les gens d’Sacré-Cœur n’aiment pas les gens d’Saint-Sauveur. […] C’est jamais bon

c’qui vient de là. […] Je sais pas pis on sait pas pourquoi cette rivalité là. Pis est encore

présente. […] Mais c’est, c’est une mentalité d’paroisse ». (#25) Le fait que des éléments

de la vie religieuse soient propres à chaque paroisse est mis en cause par cette participante

dans sa description du rapport entre les deux paroisses. Cette « indépendance », en quelque

sorte, présente également dans d’autres domaines comme les loisirs et la vie

communautaire, alimente cette « mentalité de paroisse » qu’elle évoque. Cette mentalité

n’est pas sans rappeler l’expression courante d’« esprit de clocher » relative aux relations

antagoniques qu’on peut retrouver entre villages en milieu rural. Dans le quartier Saint-

Sauveur, elle se manifeste notamment par un esprit de concurrence allant parfois jusqu’à

l’antipathie, dont elle fait mention.

758

La seconde opinion est partagée par un autre participant (#29) ayant lui aussi vécu pendant très longtemps

dans une paroisse née de Saint-Sauveur, soit Notre-Dame-de-Grâce.

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354

Des membres du corpus ayant demeuré pendant de nombreuses années dans Notre-Dame-

de-Pitié opposent également la population de cette paroisse et la vie qu’on y mène à celles

de la paroisse-mère Saint-Malo, comme en témoignent les participants suivants, le premier

ayant vécu auparavant 14 ans dans Saint-Malo, la seconde n’y ayant jamais habité759

:

Le monde de Saint-Malo ça, c’est pas Notre-Dame-de-Pitié ça. (#24)

Moi là, je considérais que la paroisse Notre-Dame-de-Pitié était mieux que

Saint-Malo, je sais pas pourquoi. J’trouvais ça plus propre, pis j’trouvais, c’est

pas la même mentalité. (#30)

Comme dans le cas précédent relatif à la paroisse Saint-Sauveur, ces participants ont

manifesté une vision négative de la paroisse-mère Saint-Malo. Plus de propreté, un esprit

de corps paroissial plus fort, plus de propriétaires occupants, un tissu bâti moins dense et

plus de verdure sont autant de facteurs évoqués pour expliquer la supériorité perçue de

Notre-Dame-de-Pitié sur Saint-Malo, une vision qui concourre à ancrer davantage leur

appartenance à la paroisse dans laquelle ils résident760

.

Il se peut que ce rapport d’opposition envers la paroisse-mère soit alimenté par une

certaine jalousie. Saint-Sauveur et Saint-Malo sont les deux paroisses les plus populeuses

du quartier. Elles abritent les deux grandes artères commerciales du secteur, les centres

paroissiaux les plus imposants ainsi qu’un bassin de population propre à produire des

revenus appréciables servant à densifier la vie paroissiale. Un tel sentiment n’a toutefois

pas transparu clairement dans les propos des participants. Notons que les participants #05,

759

Ces deux membres du corpus demeuraient encore dans le secteur (la paroisse fut fusionnée à Saint-Malo

en 1998) de Notre-Dame-de-Pitié au moment de l’entretien. 760

Avec l’importance qu’a prise la question des identités depuis quelques décennies, les rapports à l’Autre ont

fait l’objet de nombreuses études. Elles démontrent de grandes similitudes dans les représentations sur cet

Autre, peu importe sa couleur de peau, sa langue ou encore sa religion. L’Autre se voit souvent affublé

d’attributs négatifs. Tzvetan Todorov, dans la préface à l’édition française de l’ouvrage reconnu d’Edward

Saïd sur cette question intitulé L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, écrit : « L’histoire du discours

sur l’autre est accablante. De tout temps les hommes ont cru qu’ils étaient mieux que leurs voisins; seules ont

changé les tares qu’ils imputaient à ceux-ci. Cette dépréciation a deux aspects complémentaires : d’une part,

on considère son propre cadre de référence comme étant unique, ou tout au moins normal; de l’autre, on

constate que les autres, par rapport à ce cadre, nous sont inférieurs. On peint donc le portrait de l’autre en

projetant sur lui nos propres faiblesses; il nous est à la fois semblable et différent. » Tzvetan TODOROV,

« Préface à l’édition française », dans Edward W. SAID, L’Orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Paris,

Éditions du Seuil, 2005 (2003, 1995, 1980, 1978), coll. « La couleur des idées », p. 8. Sur cette question de

l’universalité des représentations sur l’Autre, voir aussi Albert MEMMI, Portrait du colonisé, précédé du

Portrait du colonisateur et d’une préface de Jean-Paul Sartre suivi de Les Canadiens français sont-ils des

colonisés?, Montréal, L’Étincelle, 1972, 146 p.

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355

24 et 30 dont nous avons cité les propos n’ont pas fréquenté les centres paroissiaux de

Saint-Sauveur et de Saint-Malo.

Nous n’avons pas relevé, par ailleurs, de rapport d’opposition entre les résidants des deux

paroisses-mères elles-mêmes, Saint-Malo et Saint-Sauveur. Cela ne signifie évidemment

pas qu’il n’y en eut pas puisque les autorités religieuses paroissiales elles-mêmes semblent

alimenter la concurrence, comme nous le verrons plus loin. Des résidants de ces deux

paroisses portent toutefois un regard négatif sur les « petites » paroisses (les paroisses-

filles) qui les entourent dans lesquelles ils n’ont jamais habité, un regard empreint d’une

sensation de supériorité, notamment au chapitre de la qualité de vie. Il en va de même pour

des résidants de ces quatre autres paroisses, raillant volontiers des paroisses du même statut

que la leur. Ces représentations renforcent l’appréciation de leur milieu de vie. Ainsi, par

exemple, Notre-Dame-de-Pitié, excentrée, voisine du cimetière Saint-Charles et comptant

de nombreuses petites maisons unifamiliales détachées, est la cible de jeux de mots peu

flatteurs. Une membre du corpus ayant demeuré pendant longtemps à Saint-Sauveur et à

Saint-Malo nous parle de « Pitiéville » (#23), alors qu’un participant natif de Saint-Joseph

et y ayant demeuré pratiquement toute sa vie déclare : « Notre-Dame-de-Pitié, l’mot l’dit,

ça fait pitié. […] Ça été un entonnoir pareil comme si on savait pu quoi faire, on a dit on va

faire une église ici […] » (#08).

« [T]out p’tit » (#26), tout « collé » (#24), tels sont les épithètes que des participants

respectivement de Saint-Sauveur et de Notre-Dame-de-Pitié accolent, quant à eux, aux

paroisses Notre-Dame-de-Jacques-Cartier761

et Notre-Dame-de-Grâce. Le second

participant ajoute sur cette dernière paroisse : « Prends Notre-Dame-de-Grâce, j’irais pas

rester à Notre-Dame-de-Grâce. Maisons collées une sur l’autre là, pis l’cap su’l dos. » (#24)

Un petit territoire, une forte densité de population et une situation géographique à l’ombre

du coteau Sainte-Geneviève sont à la source de ces regards négatifs, portés par des

résidants d’une grande paroisse (Saint-Sauveur) ou d’une autre de densité plus faible et plus

verdoyante (Notre-Dame-de-Pitié). Bien qu’aucun participant ne nous en ait parlé, il se peut

également que la renommée des centres paroissiaux de Saint-Sauveur et de Saint-Malo

761

Paroisse voisine de Saint-Sauveur, située dans le quartier Saint-Roch.

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356

puissent mener à une piètre évaluation des centres des paroisses environnantes, sauf

lorsqu’ils sont tout aussi renommés, comme celui de Notre-Dame-de-Grâce.

Les rapports d’opposition envers d’autres paroisses apparaissent finalement nourris par le

discours des autorités religieuses paroissiales elles-mêmes. Ces autorités procèdent, sans

dénigrer ouvertement d’autres paroisses, à une mise en valeur avantageuse de la vie

paroissiale dans leur milieu en la comparant à celle d’autres milieux. Ils mettent de l’avant,

le cas échéant, son unicité sur certains points. Le comité de rédaction du livre souvenir du

cinquantenaire de la paroisse Saint-Malo écrit, par exemple, en 1949 : « Saint-Malo est un

admirable exemple de ce que peuvent produire la vaillance et l’initiative. Notre paroisse qui

débutait il y a cinquante ans est aujourd’hui l’une des mieux organisées de la Cité de

Québec. Elle n’a rien à envier à ses sœurs aînées762

. » Notons également que Roger

Lemelin, fin observateur de la vie paroissiale dans le quartier Saint-Sauveur, met en scène

dans Au pied de la pente douce un curé qui, au cours de son prône, lance que sa jeune

paroisse, Saint-Joseph, a déjà produit un « saint ». Lemelin ajoute : « Et il eut l’air de dire :

Que les autres paroisses en fassent autant!763

» Les représentations des paroissiens sur les

paroisses environnantes ont pu ainsi être également influencées par le discours des curés et

des vicaires.

5.3.2 Les rapports à la Basse-Ville et à la Haute-Ville

Des rapports d’opposition envers d’autres espaces urbains ont aussi été relevés. Nous

avons fait en outre mention au second chapitre d’une indifférence ou d’une relative hostilité

de plusieurs participants envers la banlieue, dont la source principale concernait les

distances à parcourir plus longues pour accéder notamment aux lieux de consommation et

de travail. Par ailleurs, des rapports d’opposition touchent la Basse-Ville et la Haute-Ville,

deux ensembles topographiques764

et, dans une certaine mesure, socioéconomiques de la

ville de Québec. Comme les rapports envers d’autres paroisses, ils traversent la période

762

Saint-Malo se souvient, 1899-1949, Québec, [s.é.], 1949, p. 7. 763

LEMELIN, op. cit., p. 109. L’auteur reprend un cas vécu. Gérard Raymond (1912-1932), étudiant au Petit

Séminaire de Québec et natif de la paroisse Saint-Malo, mourut de tuberculose à 19 ans. Il a rédigé un journal

qui fut publié. Le jeune homme est devenu objet de dévotion. Des guérisons ont été notamment attribuées à

son intercession. Un processus de béatification a été lancé en 1956, mais n’a pas abouti. 764

Ils découlent du relief accidenté de la ville de Québec. Les figures 1.1 et 3.1 donnent un aperçu du dénivelé

entre la Basse-Ville et la Haute-Ville.

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1930-1980. Un tiers des membres du corpus manifestent une non-appartenance à la Basse-

Ville, découlant directement de leurs représentations sur le territoire qu’elle couvre à

Québec. La Basse-Ville est en effet un espace multiforme. Soulignons que l’appartenance

paroissiale n’entre guère en ligne de compte sur cette question. Cette appartenance ne joue

également pas un rôle fondamental dans le rapport d’opposition envers la Haute-Ville,

exprimé par une grande majorité des participants. Ce sont plutôt des considérations d’ordre

socioéconomique ainsi qu’un agacement manifeste et largement partagé parmi les membres

du corpus face à ce qui est perçu comme une attitude de supériorité à leur endroit qui sont,

dans ce cas, en cause.

L’ensemble des membres du corpus estiment que la Basse-Ville, à Québec, ne constitue

pas un quartier, mais davantage un secteur de la ville, soit un territoire plus large qu’un

simple quartier. Le tiers des 30 participants considèrent que les paroisses du quartier Saint-

Sauveur n’en font pas partie, alors que dix-sept sont plutôt d’avis contraire765

. Au sein du

premier tiers, on estime que la Basse-Ville est un espace allant de la périphérie orientale du

quartier Saint-Roch, où se trouve, entre autres, la gare ferroviaire, jusqu’au fleuve Saint-

Laurent766

. Cet espace recouvre les secteurs, ou quartiers selon certains, « du Palais767

» et

« du port », parfois du Cap-Blanc768

. Ces participants témoignent d’une perception fort

négative de la Basse-Ville, illustrée par les propos de l’un d’entre eux:

Dans c’temps-là c’tait des entrepôts, des rats, t’allait pas là l’soir parce que

t’avais peur de t’faire attaquer. Pis c’est vrai ça! […] Moi ça m’choque quand

quelq’un dit tu demeures à Basse-Ville. Ben non! J’demeure au bas d’la ville!

C’pas la même chose. Parce que moi, les jeunes aujourd'hui vous avez pas

connu la Basse-Ville. La Basse-Ville pour vous autres c’est comme Saint-

Sauveur, c’est comme n’importe quoi. […] Mais dans mon temps, la Basse-

Ville, fallait pas aller là. […] C’t’un trou! (#05)

765

Nous n’avons pas pu répartir trois participants (#02, 04 et 18) dans l’un des deux groupes faute

d’informations claires. 766

Voir la carte à l’annexe 2. 767

Ce terme fait référence au Palais de l’Intendant à l’époque de la Nouvelle-France. Il était situé au bas du

coteau Sainte-Geneviève près de l’actuelle gare ferroviaire. 768

Ce secteur s’étend au pied du Cap Diamant le long du fleuve. Au milieu du XXe siècle et encore au début

des années 1980, il est caractérisé par une proportion importante (entre 10 et 20%) de résidants anglophones

d’origine anglo-écossaise et irlandaise. VALLIÈRES, « Population et société dans une ville moderne », dans

VALLIÈRES et al. (Tome III), op. cit., p. 1907.

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Ces secteurs sont en effet durant les premières décennies de la période à l’étude

caractérisés par une activité commerciale et industrielle intense. Plusieurs succursales de

banques, grossistes et compagnies de transport ont pignon sur rue dans les environs du port,

tout comme plusieurs tavernes et maisons de chambre logeant notamment des marins769

. La

prostitution, la vie interlope ainsi que le contraste entre une animation bourdonnante et une

relative tranquillité dans le quartier Saint-Sauveur rendent compréhensibles le fait que ces

dix membres du corpus, très majoritairement natifs du quartier Saint-Sauveur et parmi les

plus âgés770

, se dissocient de ces secteurs même si au strict plan topographique, la Basse-

Ville recouvre tous les espaces au bas du coteau Sainte-Geneviève et du cap Diamant. Les

paroisses des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch constituent plutôt selon eux le « bas de

la ville », comme le mentionne le participant #05.

Trois participants (#07, 08 et 22), natifs du quartier Saint-Sauveur, mais plus jeunes et

plus instruits que la moyenne des membres du corpus, sont au fait de cette perception de la

Basse-Ville qui fut celle notamment de leurs parents. Ils la perçoivent néanmoins, à l’image

de 14 autres membres du corpus771

, différemment, soit de manière topographique. Ils y

intègrent tous les espaces ceinturant le coteau Sainte-Geneviève et le cap Diamant772

, dont

les paroisses du quartier Saint-Sauveur. Au nord, la rivière Saint-Charles fait office de

frontière. Le quartier Limoilou, bien que situé au bas du coteau, ne fait ainsi pas partie de la

Basse-Ville selon eux773

. Certains participants de ce groupe de 17 considèrent de plus

qu’elle est caractérisée par une réalité socioéconomique plutôt défavorable (pauvreté,

769

Ce caractère de place d’affaires et de carrefour du commerce fait en sorte qu’un membre du corpus (#31),

faisant partie du tiers des participants considérant que les paroisses du quartier Saint-Sauveur ne font pas

partie de la Basse-Ville, et le mari d’une autre (#23) considèrent que la Basse-Ville inclut aussi le quartier

Saint-Roch, comme en témoigne le premier : « Ben, à partir du boul’vard Langelier là, […] aux bateaux là,

tout, toute cette partie-là là. Parce que y a plus… De magasins à partir du boul’vard Langelier à descendre.

Vers l’port. » (#31) 770

Huit sur dix sont natifs du quartier Saint-Sauveur (#01, 03, 05, 12, 26, 27, 28 et 32). Une neuvième (#16)

est native du quartier Saint-Roch; le dernier (#31) provient d’un milieu rural à l’extérieur de la région de

Québec. Par ailleurs, neuf des dix font partie des 15 membres du corpus les plus âgés. 771

Six sur 14 sont natifs du quartier Saint-Sauveur (#09, 13, 17, 23, 24 et 25). Deux sont nés à Québec

(quartiers Saint-Jean-Baptiste (#10) et Limoilou (#20)), un en milieu rural dans la région de Québec (#29) et

cinq à l’extérieur de celle-ci (#06, 15, 19, 21 et 30). Ajoutons que 13 de ces 17 participants font partie des 15

membres du corpus les plus jeunes. 772

Des participants du groupe de dix sont également conscients de cette perception, mais elle ne modifie pas

la leur. 773

Un participant déclare : « Quand tu vis à Sainte-Odile [paroisse du quartier Limoilou], si j’y vais à Sainte-

Odile, j’aurais pas l’impression d’vivre à Basse-Ville. Ici j’ai l’impression d’vivre à Basse-Ville j’ai l’cap

dans face. » (#08).

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problèmes sociaux, etc.). La Basse-Ville a ainsi également une connotation négative chez

des participants plus jeunes, tout en couvrant un territoire différent. Nous croyons que ces

perceptions topographique et socioéconomique se répandirent à partir des années 1950,

alors qu’affaires et finances se répartissent dans toute l’agglomération de Québec et ne sont

plus concentrés à proximité du port et que la population des quartiers Saint-Roch et Saint-

Sauveur change significativement.

La deuxième participante la plus âgée du corpus (#10) a témoigné au moment de

l’entretien d’une perception topographique et socioéconomique négative de la Basse-Ville.

Cette opinion, nourrie dès son enfance, trouve son origine dans le fait qu’elle est native de

la Haute-Ville, plus précisément de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, dans le quartier du

même nom. Comme d’autres résidants de la Haute-Ville, dont le mari d’une participante,

né dans le même quartier (paroisse Saint-Vincent-de-Paul), elle exprime une vision

négative des secteurs d’ « en bas », qu’elle habitera néanmoins afin d’être à proximité de

son lieu de travail. Cette vision déplaît fortement à la plupart des membres du corpus et

influence leurs représentations sur la Haute-Ville de Québec et ses résidants. Comme le

chantait Sylvain Lelièvre, « Quand on est d’la basse ville on n’est pas d’la haute ville774

».

Des rapports clairs d’opposition envers la Haute-Ville de même qu’envers ses résidants

plus aisés dans certains secteurs775

sont exprimés par les hommes et les femmes que nous

avons rencontrés. Ces rapports contribuent à renforcer par effet de comparaison les attributs

qu’ils utilisent pour se décrire et pour décrire la population du quartier Saint-Sauveur en

général, notamment la force de caractère et la débrouillardise, des qualités et des aptitudes

développées par le fait de vivre dans des conditions socioéconomiques modestes.

Les membres du corpus estiment que la Haute-Ville est systématiquement favorisée en

regard des services publics et ce, depuis toujours. Par exemple, le déneigement des rues et

des trottoirs y fut, selon eux, toujours plus rapide. Une autre source de frustration envers la

Haute-Ville est l’attitude des gens qui y ont demeuré envers ceux qui habitaient en

774

Auteur-compositeur-interprète originaire du quartier Limoilou à Québec (1943-2002). Les paroles sont

tirées de sa pièce « La basse-ville », parue en 1975. 775

Comme en témoignent les données ventilées des recensements par secteurs de recensement, secteurs

correspondant en grande partie aux paroisses, concernant les revenus moyens entre 1951 et 1981. Par

exemple, la différence entre le revenu annuel médian des hommes demeurant le quartier Saint-Sauveur et

celui des hommes résidant dans le quartier Montcalm en 1951 oscille entre 500$ et 1400$ environ selon les

secteurs de recensement.

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contrebas, souvent considérée méprisante. La participante dont le mari est natif du quartier

Saint-Jean-Baptiste rapporte les propos de ce dernier : « [A]h on sait ben, nous autres à la

Haute-Ville là, on balayait nos affaires là, dans l’bas d’la ville. J’ai marié une fille du bas

d’la ville. » (#25) Elle ajoute : « Hey… c’tait tu insultant ça. » Même si les paroles de son

mari étaient prononcées sur le ton de la taquinerie, l’accumulation d’expériences similaires

fit en sorte que plusieurs ont eu la mèche courte au sujet de telles déclarations. Les propos

de la participante native de la Haute-Ville sur son quartier d’adoption, Saint-Sauveur, ainsi

que sur la Basse-Ville en général illustrent bien ce qui agaça et qui agaçait encore au

moment des entretiens les membres du corpus. Ces propos sont empreints de préjugés et

témoignent d’une différence très forte entre « nous » et « eux » et ce, malgré le fait que la

paroisse Saint-Jean-Baptiste soit en très forte partie composée d’une population de statuts

socioéconomiques modestes. Elle fait notamment état que dans sa jeunesse, durant les

années 1920 et 1930, les résidants d’en bas juraient davantage que ceux d’en haut, qu’ils

bavardaient plus sur les autres qu’ailleurs (commérages) et qu’ils étaient moins bien

habillés, moins éduqués et moins débrouillards. En contrepartie, les résidants de Saint-Jean-

Baptiste étaient plus « civilisé(s) » (#10) et ne bavardaient pas sur les autres en étant assis

sur les perrons et les trottoirs. Ces préjugés sont semblables à ceux évoqués par des

participants lorsqu’ils traitent des paroisses-mères. Ils alimentent une distinction entre la

Haute-Ville et la Basse-Ville marquée, comme dans le cas du rapport entre « petites »

paroisses et paroisses-mères, par une impression de « supériorité ».

Cette attitude a contribué à forger chez les membres du corpus, tôt dans leur vie, un

rapport d’opposition envers la Haute-Ville étendu à tous ses secteurs, même ceux dont le

statut socioéconomique est semblable à celui du quartier Saint-Sauveur. Les habitants de la

Haute-Ville sont affublés de plusieurs épithètes comme « pattes » ou « pets » « de poil776

»,

« péteux d’broue » ou « parvenus », ce dernier terme concernant les individus ayant quitté

le quartier Saint-Sauveur pour s’établir au haut du coteau en raison, entre autres, d’une

meilleure situation professionnelle. On sent dans ces qualificatifs la dérision et l’antipathie.

776

Deux formulations, « pattes » et « pets », sont utilisées par les membres du corpus. Le participant #09

évoque pour expliquer ce surnom les hauts chapeaux de fourrure noire, les busby, portés par les soldats à la

citadelle de Québec, à l’image de ceux portés par la garde royale britannique. Il est également possible que les

bottes et les manteaux de fourrures, probablement plus fréquents dans les milieux aisés, puissent être à

l’origine de cette épithète.

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La participante native de la paroisse Saint-Jean-Baptiste dont nous avons rapporté les

propos plus haut ajoute qu’après avoir tenté d’expliquer son point de vue à ses voisins dans

la paroisse Saint-Sauveur, elle s’était fait rabrouer sans ménagement.

Après avoir rapporté la présence d’une différence de revenus entre les résidants de la

Basse-Ville et de la Haute-Ville, une autre participante, native de la paroisse Sacré-Cœur, a

enchaîné avec une anecdote issue du rapport d’opposition envers la Haute-Ville et ses

résidants: « J’sais que quand y parlaient des gens d’en haut, ben rien qu’ça là, maman a,

était comme moé, avait d’la misère à marcher, pis on voulait qu’a marche avec une canne.

Mais dans c’temps-là, ceux qui avaient des cannes, c’était parce que, y étaient madame. Tsé

pour faire voir qu’y étaient plus forts qu’les autres. Faqu’a voulait pas porter ça elle. […] A

disait j’pas les grosses madames moi. » (#17) Cet exemple témoigne de la position adoptée

par les participants face aux ménages plus aisés, en particulier ceux habitant la Haute-Ville

de Québec et également ceux demeurant dans le quartier Saint-Sauveur. Ils se réclament

d’une force de caractère propre à surmonter sans aide, du moins formelle, les différents

obstacles, force dont ils sont fiers et qui est jugée typique des quartiers que l’on nomme

« populaires », « ouvriers » ou « pauvres », selon les intitulés utilisés. Ils valorisent les

nombreux efforts consentis dans un contexte de moyens financiers limités et soulignent que

malgré tout, ils furent heureux. Le quartier Saint-Sauveur est présenté comme un quartier

« qui a du cœur » (#25), pour reprendre les mots d’une participante. À l’appartenance

paroissiale se joint chez plusieurs participants un sentiment d’appartenance au monde dit

« ouvrier ». La Haute-Ville et ses résidants aisés jouissant de conditions de vie considérées

plus faciles constituent ainsi un ferment de fierté personnelle et collective par procédé de

comparaison.

5.3.3 Des pratiques et des représentations orientées par l’appartenance

paroissiale et les rapports aux autres espaces urbains

Le fait que les membres du corpus considèrent leur paroisse de résidence comme étant

leur quartier ne constitue qu’un des impacts de l’appartenance paroissiale sur leurs

pratiques et leurs représentations. Le rapport identitaire à l’espace vécu, de même que les

rapports aux autres espaces urbains et particulièrement aux paroisses environnantes,

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influencent en effet, au fil de la période 1930-1980, les trajectoires résidentielles, la

participation aux activités offertes dans sa paroisse et l’implication dans l’une ou l’autre des

organisations qu’elle abrite, les sociabilités, la perception quant à l’aire de recrutement d’un

conjoint, ainsi que le rapport à l’érection d’une nouvelle paroisse.

Comme il en a été question au deuxième chapitre, les trajectoires résidentielles de certains

des participants ont été influencées par l’attachement à la paroisse de résidence, bien que

parfois des facteurs comme l’absence de logements jugés convenables, selon le nombre de

pièces ou le loyer désiré, les ont poussés contre leur gré à s’installer en dehors de leur

paroisse. Notre enquête orale n’a pas permis de recueillir des informations en ce sens, mais

il est possible qu’un rapport d’opposition particulièrement fort envers une autre paroisse,

par exemple envers une paroisse-mère, ait pu orienter l’aire de recherche d’un nouveau

logement, du moins l’aire de recherche initiale. En effet, il est également probable que les

questions d’argent et de disponibilité de logements aux conditions jugées adéquates ont

parfois pesé plus lourd que ce rapport d’opposition.

L’appartenance paroissiale suscite aussi la poursuite des activités menées dans la paroisse

de résidence ou de l’implication dans une organisation paroissiale. De la même manière que

pour les trajectoires résidentielles, un rapport d’opposition envers une autre paroisse peut

influencer la fréquentation du centre paroissial de celle-ci, ce qui fut le cas pour au moins

deux participants. Comme nous l’avons mentionné au chapitre précédent, les sociabilités

dans le milieu de travail ont pu être orientées, par ailleurs, par des identités paroissiales

fortes et des rapports d’opposition envers les paroisses environnantes. Des ménages

provenant d’une paroisse sur laquelle leurs nouveaux voisins nourrissent des

représentations négatives ont pu également être victimes, le temps d’une familiarisation

mutuelle, d’un regard tout aussi négatif, limitant le développement de relations sociales777

.

Pour les années 1940 et 1950, trois participantes ont affirmé que garçons et filles ne

pouvaient se fréquenter que s’ils demeuraient dans la même paroisse. En parlant des

relations entre les résidants de Saint-Sauveur et de Saint-Malo, l’une mentionne

explicitement cette norme perçue en ces termes :

777

Cette situation s’apparente à l’arrivée d’immigrants de pays ou de secteurs sur lesquels la population locale

porte un regard relativement négatif.

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- Tu sors pas avec un gars d’Saint-Malo. Tu sors pas avec un gars d’un autre

paroisse. […] T’es dans ta paroisse tu restes dans ta paroisse. On sautait la

clôture souvent.

- (D.G.) Mais ça c’tait qui qui disait ça c’tait tu vos parents, les curés…

- Non non c’pas… C’tait la rumeur.

- (Son mari intervient) Ouais ben mon père quand y était garçon, c’tait pas mal

ça là. La tite gang là… (#23)

Une autre aborde le sujet par le biais d’une question posée par sa fille, présente lors de

l’entretien. La participante fait un lien entre cette norme perçue et des rapports

d’opposition, en l’occurrence ici entre la paroisse Notre-Dame-de-Grâce et le secteur du

Cap-Blanc, qu’elle considère faire partie de la Basse-Ville.

- (La fille de la participante lui pose une question) Y avait pas, […] d’une

paroisse à l’autre là, euh, tsé quand tu disais les filles d’en bas allaient, y avait

des chicanes entres les gars, parce qu’y fallait pas qu’t’aille chercher une fille

du village, euh d’la paroisse d’à côté…

- (La participante) Ah ça c’est… […] Ça c’était à Basse-Ville! Quelqu’un

mettons […] un gars de Notre-Dame-de-Grâce qui s’rendait à Basse-Ville là,

pis si voulait avoir une fille à Basse-Ville, la chicane pognait, les gars y

s’faisaient battre. Y avaient pas l’droit d’aller chercher les filles d’ailleurs. […]

Moi j’ai marié mon mari y restait au coin d’chez nous, l’frère de mon mari y a

marié une tite fille en avant d’chez nous. Euh, Victor Proulx778

qui s’trouve à

être le demi-frère, y a marié la tite fille à côté d’chez nous. Ma belle-sœur, qui a

marié l’frère à mon mari, a restait s’a rue Franklin. Faque sur un coin d’rue là…

Tsé…

- (D.G.) Donc y avait vraiment, y avait un esprit d’paroisse assez fort.

- (La participante) Oui. Oui c’t’assez fort. Pis même la paroisse Notre-Dame-

de-Grâce, Gaston Côté qui était barbier en face d’Notre-Dame-de-Grâce, y a

marié la tite Royer qu’son père était une épic’rie à Notre-Dame-de-Grâce. Euh,

y avait les Rhéaume, qui a marié, euh un Parent. Elle, restait s’a rue

Châteauguay, l’autre restait s’a rue Arago. Tsé, je sais pas, on dirait… Les

jeunes ça s’tenait, on dirait toute ensemble. (#32)

Malgré les cinq cas relevés par cette seconde participante et sa propre expérience

personnelle, notre corpus révèle que des jeunes hommes et des jeunes femmes de diverses

paroisses se fréquentent. Dans les faits, seuls sept membres du corpus sur 30, nés entre

1917 et 1930, ont épousé une personne qui demeurait dans la même paroisse qu’eux. La

première participante dont nous avons cité les propos avoue elle-même avoir « sauté la

clôture » souvent; elle a finalement marié un homme habitant dans la paroisse voisine. Ces

778

Nom fictif. Il en va de même pour les autres noms cités dans ce passage.

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sept membres du corpus sont toutes des femmes. Il est probable que les jeunes femmes se

soient davantage vues imposer de telles contraintes quant à leurs fréquentations que les

hommes. C’est d’ailleurs ce qu’avance la troisième participante qui a abordé ce sujet (#10).

Ses frères, au contraire, pouvaient aller là où ils voulaient.

Les trois participantes se révèlent incapables d’identifier l’origine de cette norme, mais

elles précisent qu’elle existait au temps de leurs parents. Il est plausible qu’elle puisse être

issue en partie du discours du clergé paroissial, encourageant les jeunes gens à fréquenter

leurs semblables dans la paroisse. Ceci irait dans le sens d’une vie toujours plus

paroissiale dans chacun de ses aspects. Nous n’avons toutefois pas retrouvé de trace d’un

tel discours. L’une de ces trois membres du corpus aborde cette norme après avoir été

invitée à parler des relations entre les résidants de Saint-Sauveur et de Saint-Malo. Une

autre l’aborde par le biais de rivalités entre garçons de différents secteurs de la ville. Ces

contextes nous apparaissent fort significatifs quant à son origine. Elle semble en effet reliée

aux rapports d’opposition entre paroisses et plus particulièrement à des territorialités

paroissiales exprimées par les bandes de jeunes hommes. Après avoir évoqué la fierté

ressentie par son mari au moment de la transformation en 1945 du secteur de la paroisse

Saint-Malo où il demeurait en paroisse, Notre-Dame-de-Pitié, une participante ne faisant

pas partie de ce trio enchaîne immédiatement sur la présence de rivalités entre bandes de

jeunes hommes de paroisses différentes : « […] [C]es jeunesses-là là, tsé les garçons

venaient de, Saint-Malo pour venir fréquenter les filles de la paroisse. Y les guettaient, y les

empêchaient de v’nir woh oui. Restez dans votre bout. Laissez-nous nos filles. Les gars d’la

paroisse là tsé. » (#30) Elle a été informée de ces faits par son mari, impliqué dans ces

rivalités, et par d’autres résidants de la paroisse. Le fait qu’elle amène ce sujet après avoir

traité de fierté paroissiale nous semble révélateur des impacts de cette fierté sur les

agissements des jeunes hommes. La paroisse est leur domaine et ils la « défendent »779

. Être

témoin ou acteur de ces épisodes de tension, en être informé par le bouche-à-oreille de

même qu’être au fait de contraintes imposées à des jeunes femmes au sujet de leurs

fréquentations peuvent ainsi avoir influencé les représentations de certaines personnes.

779

Dans le cas du Cap-Blanc, il s’agit probablement davantage de tensions ethniques et linguistiques en raison

d’effectifs anglophones anglo-écossais et irlandais considérables.

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Notons finalement que l’appartenance paroissiale oriente considérablement les réactions

face à la fondation d’une nouvelle paroisse, surtout lorsque l’on fait partie du morceau de

territoire détaché pour former cette dernière. Les conjoints des deux membres du corpus

(#24 et 30)780

ayant vécu la fondation de Notre-Dame-de-Pitié en 1945 alors qu’ils étaient

adolescents en ont eu, à ce moment, une perception plutôt positive. Ce n’est toutefois pas le

cas de tous. Plusieurs sont, au contraire, réfractaires à cette division essentiellement en

raison de leur attachement à leur paroisse. Les curés des nouvelles paroisses ont donc un

travail considérable à faire afin de les convaincre de s’impliquer et d’être fiers de cet

événement. Par exemple, le curé Lavergne de Notre-Dame-de-Grâce, prenant soin de

relever ce que peut représenter ce détachement, écrit dans son premier billet paru dans le

journal paroissial La Bonne Nouvelle, le 26 octobre 1924, quelques semaines après que la

paroisse Saint-Sauveur eut été scindée :

Toute séparation entre personnes qui s’aiment est pénible. Je n’ignore pas que

pour le plus grand nombre, sinon tous cette séparation est un dur sacrifice. On

s’attache par toutes les fibres de son cœur à l’église où pendant des années on a

occupé le même banc. […] L’égoïsme et les petits intérêts, l’orgueil et

l’opiniâtreté divisent; la soumission respectueuse aux décisions d’une autorité

légitime, préoccupée du bien des âmes, unit. Une paroisse nouvelle est fondée.

Donnons-lui notre appui. Tournons vers elle notre affection. Assurons-la de

notre dévouement. Et avant longtemps, Notre-Dame-de-Grâce, aura grandi et

montrera avec fierté ses édifices religieux781

.

Son appel à l’unité illustre bien l’atmosphère ambiante. Ainsi, si certains sont fiers et

heureux d’avoir maintenant une paroisse « à eux », d’autres acceptent difficilement la

nouvelle entité et s’en détournent, surtout qu’aux premiers jours des nouvelles paroisses, il

780

La participante #12 a vécu l’érection de la paroisse Saint-Joseph en 1925, mais n’étant âgée que de huit ans

à ce moment, n’en conserve aucun souvenir. 781

De la même façon, l’abbé Bissonnette dit aux paroissiens de Notre-Dame-de-Pitié lors du prône des

messes précédant l’arrivée du nouveau curé le 24 juin 1945 : « Aujourd’hui, c’est un grand jour de fête pour

notre jeune paroisse. […] Nous serons donc à la joie, et il convient que tous les paroissiens, sans exception, le

lui manifestent en venant assister, cet après-midi […] à son arrivée solennelle […]. Je me fais l’interprète de

tous pour vous demander de pavoiser, décorer à profusion vos demeures, encore une fois, pour lui prouver

votre joie de le voir venir au milieu de vous. […] Encore une fois, faites-vous tous un devoir d’être présents.

Ce sera une belle page écrite pour les annales de votre nouvelle paroisse. […] Et la vie paroissiale commence,

vie que vous voudrez intense afin de faire prospérer les œuvres auxquelles vous serez appelés à contribuer

pour le plus grand bien de tous. » Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié de Québec. Prônes, « Juin

1945 Ŕ Avril 1949 », 24 juin 1945.

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n’y a pas d’église, symbole paroissial par excellence782

. Les autorités voient donc

rapidement à leur construction. Des lieux de culte sont aménagés le temps des travaux, les

uns dans des chapelles (Notre-Dame-de-Pitié783

), les autres au sous-sol d’une école (Notre-

Dame-de-Grâce). Dans certaines paroisses, une église « temporaire » est construite

rapidement afin que la vie religieuse suive son cours durant l’édification du temple

« principal » (Sacré-Cœur, Saint-Joseph). Les curés lancent des appels à la mobilisation en

vue de la construction des églises. Les paroissiens sont invités à donner de l’argent, des

biens ou de leurs énergies sur les chantiers. En versant des fonds784

, en subventionnant

l’achat ou en donnant des pièces de mobilier et des objets (cloches, crucifix, statues,

ostensoirs785

) ou en travaillant à la construction, ils contribuent à faire de l’église une

réalisation collective et dans le cas des églises « principales », un lieu à la mémoire des

« fondateurs ». Cet investissement fut probablement dans plusieurs cas un vecteur fort de

l’appartenance paroissiale.

Des hommes et des femmes que nous avons rencontrés expriment ainsi des rapports

d’opposition envers d’autres paroisses du quartier Saint-Sauveur; rapports guidés,

notamment, par une identité paroissiale forte. Cette identité se trouve solidifiée par ces

rapports. D’autres rapports d’opposition ont été relevés dans les propos des membres du

corpus, notamment envers la Basse-Ville et la Haute-Ville. Ils s’expliquent, dans le premier

782

Mgr Omer Plante, du diocèse de Québec, écrit en avril 1945 : « Il peut se faire que dans les premiers temps

certains paroissiens continuent d’aller à Saint-Malo, mais quand Notre-Dame-de-Pitié aura une vaste église,

ils opteront pour celle-ci sans difficulté, sans contrainte. » Archives de la paroisse Sainte-Angèle-de-Saint-

Malo de Québec. Dossier Notre-Dame-de-Pitié. Terrain Achat pour l’église, 1945. Note de Mgr Omer Plante

du 9 avril 1945. 783

L’abbé Bissonnette de Notre-Dame-de-Pitié lance le jour de l’arrivée du curé : « La compagnie du

cimetière a bien voulu vous prêter sa chapelle pour tous les offices paroissiaux, d’ici à ce que vous ayez votre

église. Sans doute, on ne pourra leur donner le cachet et le déploiement des grandes églises, mais on fera du

mieux possible. » Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié de Québec. Prônes, « Juin 1945 Ŕ Avril

1949 », 24 juin 1945. 784

À Notre-Dame-de-Grâce, les résultats d’une quête spéciale pour la construction de l’église s’étendant sur

quatre semaines aux mois de janvier et de février 1925 sont publiés dans le journal paroissial. On présente, sur

plusieurs numéros, la liste de tous les chefs de ménage de la paroisse ainsi que leur contribution ou leur

absence de contribution à chacune des quatre semaines de la quête. Cette publication n’est sûrement pas sans

mettre de la pression sur des personnes désireuses de bien paraître ou de ne pas voir leur nom accompagné

d’une suite de petits points accusant l’absence de contribution et ainsi de solidarité. La présence de ménages

ne donnant pas dans la liste témoigne de la présence, indépendamment de la capacité financière, de résistance

ou d’indifférence. 785

Paroissiens et autorités religieuses des paroisses-mères font eux aussi des dons. Par exemple, une cloche de

l’église Notre-Dame-de-Pitié est donnée par le Collège Saint-Malo et l’Amicale des anciens de ce dernier.

Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié de Québec. Prônes, « Juin 1945 Ŕ Avril 1949 », 17 novembre

1946.

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cas, par un processus de distanciation par rapport à une vie locale jugée négative et, dans le

second, par un agacement face à une attitude ressentie comme contrariante et une

différenciation des conditions de vie. Comme nous l’avons mentionné, l’appartenance

paroissiale, les représentations sur ce qu’on considère comme étant notre quartier et les

rapports à d’autres espaces urbains traversent toute la période 1930-1980. Pourtant, ce

milieu de vie qu’est la paroisse entre au cours des années 1950 dans une période de

profondes mutations qui les mettent à l’épreuve.

5.4 Un pôle de moins en moins structurant, mais une empreinte

tenace

« Actuellement, comme dans les autres paroisses et comme dans tous les domaines, c’est

une période de changement, même de bouleversement. Plusieurs familles vont s’installer

dans les paroisses de la banlieue, plusieurs industries sont fermées… mais la paroisse

Sacré-Cœur demeure un quartier résidentiel et les gens sont attachés à leur milieu786

. » Le

curé Michaud de la paroisse Sacré-Cœur signe ces lignes le 1er

décembre 1968 dans le mot

d’introduction du livre souvenir du 50e anniversaire de la paroisse. Comme il l’énonce,

plusieurs mutations sont survenues ou sont en cours. La vie paroissiale n’est en effet plus

ce qu’elle était jusque dans les années 1950. Les changements évoqués au fil des trois

chapitres précédents jouent un rôle dans ce phénomène, tout comme l’évolution de la

pratique religieuse des individus, ainsi que celle de l’offre et des pratiques des personnes en

matière de loisirs, de divertissements et de vie communautaire et associative dans les

paroisses. Ils mettent à l’épreuve le lien affectif et identitaire à la paroisse tout en ouvrant la

porte à une transformation des représentations sur ce qu’on considère être « notre » quartier

et sur d’autres espaces urbains, notamment sur les paroisses environnantes. Le curé

Michaud souligne néanmoins que les gens demeurent attachés à leur milieu.

L’appartenance paroissiale est en effet encore présente, du moins pour une partie de la

population, en particulier les membres de notre corpus, en dépit des bouleversements et du

souhait de certaines autorités787

. Il en va de même pour les représentations. La culture

786

[s.a.], Sacré-Cœur-de-Jésus, Québec. 50 – Jubilé d’or, Québec, P. Larose, 1968, p. 2. 787

Par exemple, le maire Lamontagne, en poste de 1965 à 1977, et son administration désirent inculquer aux

citoyens « […] un sens des responsabilités collectives qui viendrait remplacer l’esprit de quartier, qui se

substituerait à la promotion des intérêts particuliers ». Ces mots sont prononcés par le maire lors d’une

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urbaine en milieu populaire québécois, si marquée par l’institution paroissiale, est ainsi

affectée par son évolution, celle de la vie qu’on y mène et celle des modes de vie plus

largement, tout en témoignant au cours des années 1950, 1960 et 1970 de certaines

persistances laissant voir une empreinte paroissiale tenace.

5.4.1 Des départs et des fermetures

Le mouvement massif d’exode résidentiel vers les banlieues et les secteurs de Québec en

développement à partir de la seconde moitié des années 1940 ainsi que les opérations de

rénovation urbaine788

au cours des années 1950, 1960 et 1970 ont affecté considérablement

le quartier Saint-Sauveur. Comme nous l’avons mentionné au deuxième chapitre, la

population de ce dernier passe d’un peu plus de 40 000 habitants en 1941 à près de 21 000

40 ans plus tard, en 1981. Les membres du corpus qui, en raison de la conjonction de divers

facteurs de choix résidentiels, n’ont pas quitté définitivement le quartier comme plusieurs

de leurs voisins, expriment leur tristesse face à ce mouvement emportant nombre de visages

connus, des personnes avec lesquelles ils estimaient entretenir de bonnes relations grâce,

entre autres, au respect mutuel de leur vie privée. La déception fut également probablement

le lot de membres du clergé paroissial voyant leurs ouailles quitter leur paroisse en grand

nombre. Dans quelques cas, nous supposons qu’il y eut aussi frustration et peut-être

certaines tensions entre les autorités religieuses paroissiales des quartiers anciens et celles

d’organisations comme l’Union économique d’habitations valorisant l’accès à la propriété

tout en dépréciant ces quartiers anciens densément peuplés789

, car ce discours a pu

influencer négativement la perception des résidants à propos de leur milieu de vie.

Le mouvement d’exode et la diminution de la taille des familles conduisent plusieurs

commerçants du quartier Saint-Sauveur à fermer boutique. Les mutations des pratiques des

résidants ont aussi un impact majeur sur ces fermetures à partir du tournant des années

allocution en 1969. EZOP-Québec, op. cit., p. 373. Lamontagne avait qualifié la population de la paroisse de

Saint-Sauveur de « grande famille » deux ans auparavant dans le livre souvenir du centenaire de la paroisse.

100e anniversaire. 1867-1967. Paroisse Saint-Sauveur de Québec, op. cit., p. 5.

788 Rappelons que les autorités municipales procèdent notamment à la destruction de pâtés de maisons dont

les immeubles sont considérés insalubres et inadéquats à l’habitation et à l’aménagement de nouvelles

infrastructures de transport routier. 789

Comme il en fut mention au deuxième chapitre, l’Union oppose dès 1942 la saine prévoyance d’acquérir

une propriété en banlieue et l’insouciance de demeurer dans les quartiers anciens densément peuplés.

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369

1960. La fierté exprimée de consommer chez soi, dans sa paroisse, ou du moins dans les

environs de celle-ci perd de son ascendant face à l’attraction des nouveaux supermarchés,

centres commerciaux ou encore cinémas, symboles d’une modernité dont certains, de

surcroît, sont attrayants au plan économique. Les élites laïques paroissiales voient d’autant

plus à leurs intérêts en ces temps de difficultés. Leur influence sur le développement

commercial paroissial est toujours présente, notamment par le biais des conseils de crédit

des caisses populaires. Par exemple, le conseil de crédit refuse au père du participant #09

en 1965 un prêt destiné précisément à ouvrir une épicerie. Astucieux, il refait une demande

portant sur un atelier de radio-télévision, couronnée de succès. Il offre donc ce service tout

en vendant également dans cet atelier des denrées alimentaires; il délaisse par la suite

lentement les activités de réparations de radio et de télévision790

.

Par ailleurs, des services de proximité établis sur une base paroissiale disparaissent. La

chute du nombre d’enfants et celle du nombre moyen d’enfants par famille précarisent des

écoles primaires, « […] lieux de référence renforçant le sentiment d’appartenance à un

milieu de vie791

». Certaines sont fermées et leurs effectifs transférés dans de plus grandes

institutions, souvent celles des paroisses-mères; c’est le cas, par exemple, de l’école de

l’Immaculée-Conception de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, fermée en 1974792

. La

volonté des autorités municipales de prendre en charge les services privés associés à

l’hygiène maternelle et infantile mène également à la fermeture des Gouttes de Lait de la

ville de Québec au cours des années 1960. Les dernières présentes dans le quartier Saint-

Sauveur ferment en avril 1967793

. D’autres services d’assistance organisés comme les

ouvroirs et les conférences de la Société Saint-Vincent-de-Paul demeurent toutefois

présents. Puis, bien que plus tardivement, c’est-à-dire à partir du milieu des années 1990,

les résidants du quartier assisteront à des fusions de caisses populaires, dont le déploiement

790

« Quand y a ouvert icitte, y avait une machine à lampe. Y réparait tv-radio. Parce que la banque a voulait

pas prêter si c’était une épicerie. Parce que dans c’temps-là, les caisses populaires, y avaient des ti conseils de

crédit. Un conseil c’tait des bonhommes qui décidaient d’l’avenir des autres là tsé. Un était boucher l’autre

était épicier. […] Faque y pensaient à long terme eux autres c’t’es bonhommes-là. […] Tsé c’tait… Ça

s’protégeait là, t’avais l’Église, les tites caisses populaires, les ti conseils de crédit marguilliers (dit sur un ton

dédaigneux) […] » (#09) 791

SANSCHAGRIN, op. cit., p. 58. 792

Notre-Dame-de-Grâce. Livre souvenir 1924-1994, op. cit., p. 42. 793

DAIGLE et GILBERT, loc. cit. p. 138-140.

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370

devient davantage sectoriel que paroissial794

. Les départs d’écoles et de caisses populaires

font en sorte que les cœurs des paroisses comptent moins d’institutions phares fréquentées

par un grand nombre d’individus, ce qui affaiblit leur influence sur les représentations que

se font les individus sur ce qu’ils considèrent être leur quartier.

La vague de fermetures emporte certains lieux auxquels était rattachée une charge

affective élevée, notamment les épiceries du coin, véritables plaques tournantes des

sociabilités. Un participant emploie ces termes pour traiter de la fermeture d’épiceries :

« Ça s’est effrité, on a vu, là on a vu vraiment la disparition d’un certain patrimoine, parce

que c’était plus qu’une épicerie. » (#08) Des hauts lieux dont la renommée était objet de

fierté paroissiale disparaissent également; leur remplacement occasionnel par des

établissements moins prestigieux est source de dépit. La perte de ces espaces de sociabilités

ainsi que les mutations dans les relations de voisinage, abordées au chapitre précédent,

bouleversent la vie de quartier aux dires de plusieurs participants. L’un d’entre eux traduit

clairement l’effet ressenti : « C’t’un changement qui a été important parce que ça l’a enl’vé

la qualité de vie des gens qui aimaient l’quartier. » (#09) Les paroisses perdent donc, par la

fermeture de plusieurs établissements, les transformations des pratiques de consommation

et des sociabilités, le mouvement d’exode résidentiel, ainsi que l’affadissement ou la

disparition de la perception de grande vitalité commerciale locale de certains participants et

de celle de vitalité globale des paroisses d’un grand nombre de membres du corpus, autant

d’éléments qui constituaient des facteurs structurants aux plans de l’appréciation et de

l’attachement.

5.4.2 Des nefs aux visiteurs de plus en plus clairsemés

Les transformations s’opérant dans les modes de vie des Québécois à partir de la seconde

moitié du XXe siècle touchent un nombre important d’aspects et notamment le rapport à la

spiritualité. La pratique religieuse entre en effet dans une phase de profonds

bouleversements qui affectent la vie paroissiale, lieu où elle s’exprimait en grande partie.

794

La première caisse populaire à fermer ses portes est celle de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce en 1995.

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371

Si l’Église catholique québécoise dégage une impression de puissance par le faste de ses

grands événements et l’étendue de sa présence dans divers domaines de la société

(éducation, santé, services sociaux, etc.) au cours des années 1940 et 1950, un lent

processus de déchristianisation, attesté notamment par un détachement de la pratique

religieuse et par une remise en question de l’influence de l’Église catholique et des autorités

religieuses paroissiales, est néanmoins en branle au sein de la population. Comme nous

l’avons mentionné précédemment, les autorités religieuses paroissiales et diocésaines

souhaitaient raffermir la pratique religieuse par le biais d’un sentiment d’appartenance à la

paroisse suscité et alimenté par une vie paroissiale animée; il apparaît que ce vœu ne se

réalise pas pleinement. Pour la ville de Montréal en 1948, une enquête révèle que de 30% à

50% des catholiques ne vont pas à la messe le dimanche795

. Vers la même période, des

enquêtes réalisées par la Jeunesse Étudiante Catholique soulignent le désintérêt grandissant

des jeunes796

. Les décennies 1960 et 1970 voient le processus s’accentuer. La baisse du

nombre de fidèles assistant à la messe est qualifiée de « dramatique » dans le diocèse de

Québec au début des années 1960797

. Sur 10 catholiques au Québec, huit vont à la messe

dominicale en 1965, quatre en 1975 et trois en 1985798

. Le désintéressement est encore plus

important dans les grandes villes et chez les jeunes, « […] la génération de l’après-guerre,

celle qui a le moins intériorisé le catholicisme traditionnel799

». Il touche aussi le clergé lui-

même et affecte le recrutement de futurs prêtres, religieux et religieuses800

. Des effectifs

nombreux avaient permis l’augmentation du nombre de paroisses et une implication accrue

de l’Église catholique dans divers domaines de la société; le peu de recrues et plusieurs cas

d’abandon de la vie religieuse au cours des années 1960 et 1970 font en sorte que l’Église

peine de plus en plus à remplir toutes ses fonctions. En 1982, la majorité des Québécois

pratiquants sont âgés de plus de 40 ans. Seules les quelques grandes célébrations annuelles

795

LINTEAU et al. (tome 2), op. cit., p. 336. Hamelin, qui cite aussi l’étude, note cependant que ses auteurs

sont peut-être « pessimistes ». HAMELIN, « Le XXe siècle. Tome 2 : De 1940 à nos jours », dans VOISINE

(dir.), op. cit., p. 134. 796

À l’intérieur de l’Église, par ailleurs, différentes tensions sont à l’œuvre durant les années 1940 et 1950.

Des factions conservatrices et réformistes s’opposent sur l’orientation à lui donner, alors que les laïcs

réclament plus de pouvoirs au détriment du clergé. LINTEAU et al. (tome 2), op. cit., p. 336-337. 797

Pierre MARTEL, « Les finances des paroisses (partie 2) », Le Soleil, mardi 27 janvier 1976, page A-3. 798

Lucia FERRETTI, Brève histoire de l’Église catholique au Québec, Montréal, Boréal, 1999, p. 171. 799

HAMELIN, « Le XXe siècle. Tome 2 : De 1940 à nos jours », dans VOISINE (dir.), op. cit., p. 357.

800 Par exemple, le Québec, où vivaient 8400 prêtres en 1960, n’en compte plus que 4285 en 1981. LINTEAU

et al. (tome 2), op. cit., p. 653.

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auxquelles plusieurs restent attachés attirent encore de larges foules, comme les messes de

Noël et celles du triduum pascal801

.

Les raisons à la base de ce processus de déchristianisation au cours des années 1950, 1960

et 1970 sont diverses. Elles dépendent du rapport qu’entretient chaque personne avec la vie

spirituelle et de l’appréciation de la place de l’Église catholique dans sa vie et dans la

société québécoise. Parmi les principaux facteurs connus de la remise en question de

l’influence de l’Église catholique et des autorités religieuses paroissiales, mentionnons une

relative prospérité, la diffusion d’un plus grand individualisme802

et la présence

grandissante de la télévision, vecteur d’autres modes de vie et manières de penser.

L’influence de l’Église décroît pour certains, alors qu’elle est rejetée par d’autres. On se

dégage d’une « emprise » (#29) jugée étouffante ou irritante. Un participant se rappelle à

quel point cette emprise cléricale était forte, et même abusive, durant les années 1940 :

[…] [P]arce que, la religion, y a eu d’l’abus hein. Terriblement. Terriblement

d’abus. Moi quand j’ai resté à Québec-Ouest là, j’ai servi des messes avec le

curé Côté […], le chanoine Côté, c’t’un saint prêtre ça. Hey qu’j’en ai servi des

messes. Mais, y faisait des sermons des fois l’dimanche, y aurait pu faire tuer

son père. Tsé. Ah c’tait terrible! Hey, y avait au coin d’chez nous une personne

sans nommer son nom là, y avaient un enfant pis y étaient pas mariés. A restait

avec un homme. Pis en plein dimanche, le curé en chaire, y parlait justement

des « accotés » dans l’temps là : « Hein, M. le maire? On n’a même dans notre

rue hein? » […] A était au coin d’chez nous. (silence) Y avait toutes sortes

d’affaires qui ont éloigné les gens. (#05)

L’accroc à la norme de la maternité à l’intérieur des liens du mariage et le concubinage du

couple lui valent une dénonciation publique, ce qui n’a certes pas dû être apprécié par tous

les paroissiens. Plusieurs initiatives ne permettront pas de renverser une tendance lourde.

Ainsi, bien qu’on note un changement de ton, des nouveautés visant à renouveler la

tradition liturgique pour retenir les paroissiens et en particulier les jeunes Ŕ comme

l’instauration des messes « rythmées803

» ou l’abandon du latin pour le français en 1965 Ŕ,

801

Du Jeudi Saint au dimanche de Pâques. 802

ROBERTS (1995), op. cit., p. 15-16; FERRETTI (1999), op. cit., p. 143. 803

Aussi appelées « messes à go-go ». Elles se caractérisent par une présence musicale plus grande, cette

dernière étant également plus animée. Elles apparaissent notamment à Notre-Dame-de-Grâce en 1968.

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ou encore des innovations pour rejoindre les gens dans leurs nouveaux lieux de

consommation, comme les « centres-Dieu804

», la pratique religieuse poursuit sa chute.

Au cours des années 1950, 1960 et 1970, la pratique religieuse des participants à notre

enquête orale ne subit pas, par contre, de transformations majeures. La plupart assistaient à

la messe sur une base hebdomadaire; le rythme ralentit quelque peu ou se maintient. La

participante #15 cesse toute pratique au tournant des années 1970 pour des raisons qu’elle

préféra garder pour elle-même. La participation aux processions, de même qu’aux divers

rassemblements religieux, suit les mêmes lignes évolutives, soit un maintien, un

ralentissement ou un arrêt. Pour plusieurs, aller à la messe dominicale apparaît relever

davantage de l’habitude de se plier à la norme que de la piété réelle. La paroisse de

résidence est encore le lieu où s’exerce, sauf exceptions, la pratique religieuse805

. Même si

certains demeurent plus près d’une autre église, ils ne s’y rendent pas. Des membres du

corpus ayant jusque-là toujours fréquenté leur église paroissiale se lancent toutefois dans un

mouvement d’alternance entre différents lieux de culte par envie de changement806

. Une

seule membre du corpus (#12) prit part à un mouvement d’action catholique spécialisée

durant ces années; elle en sera membre jusqu’au début des années 1960. Aucun participant

ne fut membre d’une confrérie ou d’une association pieuse durant cette période. Après être

allés à la messe avec leurs parents lorsqu’ils étaient enfants et adolescents, trois des quatre

membres du corpus nés après 1945 (#09, 18 et 22) n’y sont plus retournés, sauf pour

quelques occasions ponctuelles comme un mariage ou les traditionnelles célébrations de la

messe de minuit à Noël. La quatrième (#20), membre de la chorale paroissiale, ne semble

aller à la messe que lorsqu’elle y chante.

804

Les centres-Dieu sont des chapelles aménagées dans les centres commerciaux. Ils voient notamment le jour

à Place Laurier (1968) et à Place Fleur-de-Lys. Pierre MARTEL, « Les finances des paroisses (parties 2 et

4) », Le Soleil, mardi 27 janvier et jeudi 29 janvier 1976, page A-3. 805

Sachant qu’ils auront du mal à sauter hors du lit le dimanche en raison de sorties le samedi soir, certains

assistent à une messe avant l’aube, soit à 4h ou 5h selon les églises fréquentées, qui sont souvent en dehors de

la paroisse de résidence. Une participante ayant habité sa vie durant dans le quartier Saint-Sauveur en parle

ainsi: « Parce quand nous autres on allait en soirée, des fois on veillait tard, on finissait des fois à trois heures

des fois dans nuit. On attendait jusqu’à cinq heures pour aller à messe à Saint-Roch, pour qu’on puisse dormir

après tsé, le matin. » (#02) 806

Fortin s’est demandée si cette alternance ne précédait pas la fin de la pratique religieuse. En ce qui nous

concerne, les personnes dans cette situation ont continué d’assister à la messe à chaque semaine ou

occasionnellement et il en était toujours ainsi au moment de l’entretien. FORTIN et al., op. cit., p. 46.

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L’affaiblissement et l’arrêt de la pratique religieuse conduisent au tarissement d’une autre

source d’appartenance à la paroisse chez les personnes concernées par la baisse de la

participation à des activités collectives, qui constituaient autant d’occasions de sociabiliser.

Par ailleurs, les hommes et les femmes exprimant toujours leur foi par la participation à la

vie religieuse paroissiale au cours des années 1950, 1960 et 1970 sont involontairement

victimes de l’ampleur du mouvement de détachement progressif des Québécois de l’Église

catholique. Leur sentiment d’appartenance à leur paroisse a pu en être affecté. En effet, la

baisse du nombre de fidèles et de prêtres conduit à la suppression d’offices religieux à

certains moments de la journée, comme le matin. Chaque messe en moins enlève une

occasion de rencontres et de discussions entre paroissiens tout en affectant la perception

d’une vie paroissiale en santé. En raison du déclin de la pratique religieuse, les processions

se font progressivement plus modestes, notamment au chapitre de la longueur des

itinéraires, puis elles disparaissent progressivement807

. La vie paroissiale perd ainsi des

événements appréciés par plusieurs, qui étaient source de fierté et de distinction par rapport

aux autres paroisses et qui alimentaient les sociabilités locales. La paroisse Saint-Sauveur

peut compter néanmoins sur une initiative nouvelle à partir de 1958 au chapitre de la vie

religieuse, initiative destinée à consolider l’esprit de corps paroissial, soit l’impression de

former une communauté ou encore une famille. Un vicaire met en circulation une

« Madone pèlerine ». Des paroissiens hébergent à tour de rôle une statue de la Vierge

Marie. Chacun prend soin du bien paroissial, l’exhibe devant ses proches, puis la confie à

un autre ménage808

.

Dans le quartier Saint-Sauveur comme ailleurs à Québec et au Québec, les difficultés

financières des paroisses et le manque de ressources humaines conduisent finalement à des

fusions de paroisses. Elles se produisent dans le quartier Saint-Sauveur à partir de la fin des

années 1990. Ainsi, Notre-Dame-de-Grâce est rattachée à sa paroisse-mère, Saint-Sauveur,

en 1997. Dès l’année suivante, la paroisse voisine, Saint-Joseph, de même que la paroisse

Notre-Dame-de-Pitié sont elles aussi supprimées, leurs territoires et leurs habitants étant

807

Un participant ayant pris part à la procession de la Fête-Dieu dans la paroisse Saint-Sauveur en 1969 relate

son expérience : « Ah… Moi j’en étais complètement gêné tsé. J’étais gêné, de m’prom’ner dans les rues.

Comme ça on avait fait l’tour d’un p’tit pâté d’maison pas trop grand, pis euh… Y avait du monde, un peu.

Pis y en avait beaucoup qui nous r’gardait. » (#21) 808

Nous ne savons pas jusqu’en quelle année cette Madone fut en circulation, mais du moins elle l’était

encore en 1967.

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375

rattachés à la paroisse Saint-Malo809

. Ces événements suscitent de vives émotions chez les

participants concernés, comme nous le verrons plus loin.

5.4.3 Loisirs, divertissements et vie communautaire et associative :

tombées de rideau et dissolutions

Au cours des années 1950, 1960 et 1970, la vie paroissiale est aussi progressivement

affectée dans des domaines qui pourtant avaient été la cible d’efforts considérables de la

part du clergé et des élites laïques. L’organisation sociale du loisir au Québec est

profondément transformée en raison de la création d’associations autres que les

mouvements paroissiaux ou rattachés à l’Église catholique, de l’émergence d’animateurs

professionnels en loisir et de l’intervention grandissante de l’État, ce dernier considérant

désormais les loisirs comme un besoin public et de responsabilité publique, du moins en

partie810

. La Ville de Québec prend ainsi en charge, par exemple, tous les terrains de jeux

de l’OTJ en 1966. Le pouvoir d’action des autorités religieuses paroissiales est restreint par

la Loi sur les fabriques du Québec votée en 1965 et effective en 1968. Un article de cette

loi stipule que les fabriques, qui sont les organes de gestion des paroisses, ne peuvent plus

« acquérir, détenir ou administrer des biens pour fins de loisirs ni exploiter des œuvres ou

entreprises de loisirs811

». Les paroisses sont ainsi limitées à deux mandats définis par la

loi : le culte et la pastorale812

.

Cette loi conduit à des incorporations de centres paroissiaux, ce qui est fait en 1966 à

Saint-Malo et en 1977 à Saint-Sauveur par exemple813

. Le centre Durocher à Saint-Sauveur

demeure indépendant et est reconnu organisme sans but lucratif. Le centre Mgr-Bouffard de

la paroisse Saint-Malo, par contre, est acheté par la Ville de Québec en 1975. Cette dernière

gère à partir de ce moment les activités qui s’y déroulent. Bien que leur statut administratif

809

Il ne reste plus au début des années 2010 que les paroisses Saint-Sauveur, Saint-Malo et Sacré-Cœur, mais

cette dernière est aussi appelée éventuellement à être fusionnée à sa paroisse-mère, ramenant le quartier au

portrait paroissial d’avant 1917. 810

LEVASSEUR, op. cit., p. 68-69; BRAZEAU, op. cit., p. 58. 811

Lois refondues du Québec, chapitre F-1, Loi sur les fabriques, article 72. 812

ROUTHIER, « La paroisse québécoise : évolutions récentes et révisions actuelles », dans COURVILLE et

SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 54. 813

Les acteurs des loisirs paroissiaux à Notre-Dame-de-Grâce font office de précurseurs. Dès juin 1962, la

Corporation des Loisirs Notre-Dame-de-Grâce de Québec entre en activité. Elle gère le développement de

divertissements pour les enfants et les adolescents de la paroisse.

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soit modifié, ces centres sont toujours vus par la population étudiée comme des éléments

constitutifs de la vie paroissiale et leur impact identitaire demeure présent814

. Dans d’autres

cas, par contre, les centres sont fermés, comme à Notre-Dame-de-Pitié en 1966. Des

activités, comme du bingo815

, sont néanmoins encore organisées au sous-sol de l’église.

L’impact sur le lien affectif à la paroisse et sur les représentations sur la vitalité de la vie

paroissiale s’en trouve limité.

Au début de cette période de transformations, spectacles ou encore soirées sont toujours

organisés dans les centres paroissiaux. Les casse-croûte offrent la possibilité de se restaurer

et la population peut louer des locaux pour divers événements privés. Les paroisses

possèdent également toujours une ou plusieurs infrastructure(s) sportive(s) et de jeux situés

à l’intérieur ou à l’extérieur des centres paroissiaux. Le Centre Durocher, dans la paroisse

Saint-Sauveur, est inscrit dans le circuit des tournées de plusieurs artistes jouissant parfois

d’une renommée provinciale. Des groupes de musique formés de résidants du quartier

Saint-Sauveur se produisent également dans ce dernier et ailleurs. La fierté de certains

participants envers leur milieu de vie est ainsi alimentée tant par les grands noms qui s’y

produisent que par les visages locaux qui les représentent à l’extérieur816

. L’histoire

paroissiale est toujours soulignée par des anniversaires lors de l’atteinte de seuils

significatifs comme le 25e, le 50

e, le 75

e ou même le 100

e dans le cas de la paroisse Saint-

Sauveur en 1967. Diverses activités spéciales sont organisées; les paroissiens sont au

rendez-vous, surtout lors des grands banquets, comme on peut le voir à la figure 5.6

présentant celui du 25e anniversaire de Notre-Dame-de-Pitié. Les autorités religieuses

paroissiales profitent de ces occasions pour publier des livres souvenir présentant, entre

autres, le chemin parcouru, les œuvres et les organisations de toutes sortes et les trajectoires

814

L’offre évolue néanmoins. La salle de quilles du centre Mgr-Bouffard est notamment fermée vers 1970. 815

Le diocèse de Québec, même s’il n’approuve pas entièrement les bingos, les tolère en raison des revenus

appréciables qu’ils procurent, permettant à plusieurs paroisses de boucler leur budget et de financer des

organisations et des services, notamment en matière d’assistance. En 1978, toutes les paroisses du quartier

Saint-Sauveur, à l’exception de Saint-Sauveur elle-même, comptent sur les revenus des bingos pour atteindre

l’équilibre budgétaire. Ces revenus forment notamment 20% des entrées totales d’argent à Sacré-Cœur. Pierre

MARTEL, « Les finances des paroisses (1 à 4) », Le Soleil, lundi 26 janvier 1976 au jeudi 29 janvier 1976, p.

A-3; Jean MARTEL, « Plusieurs fabriques bouclent leur budget avec les bingos », Le Soleil, mardi 22 août

1978, p. A1-A2. 816

On nous a mentionné le cas du groupe « Les Goélands », formé durant les années 1960 de résidants de la

paroisse Notre-Dame-de-Grâce. Il s’est notamment distingué lors de compétitions provinciales, nationales et

internationales.

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de plusieurs acteurs de la paroisse (curés, vicaires, congrégations religieuses, etc.). Les

commerçants ont aussi l’occasion de s’afficher en achetant des espaces publicitaires.

Figure 5.6 – Banquet du 25e anniversaire de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, 1970

Source : Archives de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié de Québec. Auteur non identifié.

La clientèle et les revenus des centres paroissiaux sont néanmoins affectés, petit à petit,

par le déclin démographique du quartier, par la fermeture de plusieurs commerces et

services qui étaient sources de commandites et par la transformation des valeurs et des

modes de vie des individus. La présence de plus en plus nombreuse des femmes sur le

marché du travail entame un bassin traditionnel de bénévoles817

. Le développement des

loisirs municipaux prélève aussi sa part de bénévoles aux loisirs paroissiaux. La popularité

de la télévision et de l’automobile réduit, d’une part, le nombre de sorties en dehors du

817

CAULIER, « Confrères, consoeurs et paroissiens : la vie associative paroissiale », dans COURVILLE et

SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 154.

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logement de plusieurs ménages et, d’autre part, redéfinissent les lieux fréquentés. L’offre

commerciale est de plus en plus attirante, notamment aux chapitres des quilles et du

cinéma, loisirs forts populaires, et des grandes salles de spectacles. Les centres paroissiaux

perdent ainsi de leur attrait, autant pour les artistes que pour la population en général, sauf

dans le cas d’événements spéciaux comme les anniversaires paroissiaux818

. Le détachement

vis-à-vis de la pratique religieuse se répercute également à notre avis dans la fréquentation

de ces centres, auxquels l’Église catholique est étroitement associée. Plusieurs rejettent ou

prennent graduellement leur distance avec tout ce qui la touche. Comme le souligne

Ferretti, « [l]es jeunes étouffent sous la pratique intensément communautaire et les

exercices continuels de piété, ils se sentent envahis par l’institution cléricale819

». La baisse

de la pratique religieuse fait aussi en sorte que les gens qui en sont les acteurs sont

potentiellement moins informés des activités offertes dans leur paroisse. Chose certaine, les

autorités perdent une occasion privilégiée de les encourager à participer à la vie paroissiale.

Plusieurs participants fréquentent de moins en moins souvent leurs centres paroissiaux ou

cessent de le faire à partir des années 1950. Cette fréquentation n’est plus le fait d’un grand

nombre d’entre eux durant les années 1960 et 1970 comparativement aux années 1930 et

1940. Comme nous le mentionnions au troisième chapitre, quelques-uns seulement jouent

aux quilles ou aux cartes ou encore assistent à des spectacles et à des soirées dans leur

centre paroissial ou dans des centres d’autres paroisses du quartier Saint-Sauveur et de la

ville de Québec. La télévision, l’automobile, l’intérêt pour des lieux commerciaux,

l’avancée en âge, la présence des enfants et des impératifs financiers sont autant de facteurs

en cause. Cette baisse globale de la fréquentation entraîne une baisse de revenus pour les

centres affectant, à son tour, l’organisation et le maintien d’activités820

. Les dirigeants de

ces lieux entrent ainsi dans un enchaînement défavorable.

818

Des groupes paroissiaux de loisirs profitant de ces centres dans le cadre de leurs activités, comme les

Œuvres de Jeunesse et les organes du mouvement scout, voient aussi leurs effectifs diminuer. Un ancien curé

de la paroisse Saint-Malo témoigne dans le livre souvenir du 100e anniversaire de la paroisse que le nombre

de jeunes impliqués dans ce dernier entama une décroissance à partir des années 1970, sauf pour quelques

périodes. Sainte-Angèle-de-Saint-Malo. 1898-1998, op. cit., p. 9. 819

FERRETTI (1999), op. cit., p. 143. 820

Par exemple, la paroisse Saint-Sauveur se départit du camp Saint-Albert en 1974. Un des autres camps

utilisés par la paroisse, le camp familial, l’est néanmoins toujours en 1980.

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379

Les organisations et services paroissiaux culturels, de piété et d’action catholique

spécialisée, ainsi que de divers autres ordres abordés dans la première partie de ce chapitre

sont aussi affectés au cours des années 1950, 1960 et 1970 par une baisse de la

fréquentation. Cette baisse se produit tant en raison d’un détachement de la vie paroissiale

que d’un attrait pour des organisations et des services non confessionnels821

. Les membres

du corpus s’impliquent peu dans un groupe, un mouvement ou une association durant cette

période et parmi les cas recensés, plusieurs concernent des organisations à l’extérieur de la

paroisse de résidence et parfois non confessionnelles, comme les Chevaliers de Colomb, le

Comité des citoyens et des citoyennes du quartier Saint-Sauveur ou encore les organes

syndicaux en milieu de travail. Faute de membres, faute de fonds ou à court des deux,

plusieurs organisations et services sont éventuellement dissous selon des rythmes propres à

chaque paroisse822

.

Ainsi, troupes de théâtre, orchestres et fanfares, mêmes les plus renommés comme la

fanfare Lambillotte, disparaissent les uns après les autres, cette dernière cessant ses

activités en 1965. Les bibliothèques paroissiales de Saint-Sauveur et de Notre-Dame-de-

Grâce ferment aussi leurs portes. Une bibliothèque municipale est néanmoins présente dans

le quartier Saint-Sauveur à partir de 1963. Au plan culturel, la vie associative paroissiale se

résume ainsi essentiellement, à partir de ce moment, aux chorales. En lien direct avec les

transformations de la pratique religieuse et l’entrée massive des femmes sur le marché du

travail, les confréries et associations pieuses paroissiales voient leurs effectifs s’éclaircir

dès les années 1950 et ce, partout au Québec823

. Des dissolutions ont ainsi lieu dans les

paroisses du quartier Saint-Sauveur sans toutefois qu’elles ne disparaissent complètement.

Par exemple, en 1980, le Tiers-Ordre, les Dames de la Sainte-Famille, la Congrégation des

821

CAULIER, « Confrères, consœurs et paroissiens : la vie associative paroissiale », dans COURVILLE et

SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 154. 822

Dans son étude de la vie paroissiale à Notre-Dame-de-la-Garde (quartier Champlain), Laporte relève dès la

fin des années 1950 de telles dissolutions et baisses du nombre de membres. Il a aussi observé que certaines

organisations ne disparaissent pas et conservent un nombre de membres stable, mais que plus aucune activité

et rencontre n’ont lieu. Il est fort probable que ce phénomène ne fut pas limité à cette paroisse. Pierre

LAPORTE, « Étude monographique sur les changements sociaux et institutionnels d’un milieu paroissial de

la ville de Québec », mémoire de maîtrise en sociologie, Québec, Université Laval, 1960, p. 86-98. 823

CAULIER, « Confrères, consœurs et paroissiens : la vie associative paroissiale », dans COURVILLE et

SÉGUIN (dirs.), op. cit., p. 151, 154. En 1961, on évalue qu’un catholique sur cinq fait partie de ces

organisations. LINTEAU et al. (tome 2), op. cit., p. 334.

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380

Hommes et les Enfants de Marie existent toujours dans la paroisse Saint-Sauveur824

. Les

gardes paroissiales du quartier n’échappent pas non plus à ce mouvement de désaffection et

de dissolutions, tout comme les organisations luttant contre l’alcoolisme et les cercles

d’études. L’action dans ces deux derniers domaines se déparoissialise progressivement. Il

en va de même pour l’action citoyenne.

Alors que la Ligue des Citoyens de Saint-Malo et celle de Notre-Dame-de-Pitié œuvraient

strictement au niveau paroissial, le Comité des citoyens et citoyennes du quartier Saint-

Sauveur, fondé dans la paroisse Saint-Sauveur en 1969, a pour but de veiller à

l’amélioration des conditions de vie des résidants de tout le quartier. Deux des quatre

membres du corpus (#07 et 21825

) qui en firent partie ont témoigné toutefois de la difficulté

à rallier les gens de toutes les paroisses du quartier, plusieurs voyant initialement les

activités et projets du Comité comme une intrusion dans les affaires paroissiales. L’un

d’eux explique : « C’est vrai que l’noyau du comité d’citoyens était d’Saint-Sauveur. Y

voulait s’ouvrir aux autres, mais… Vouloir c’est une chose. C’tait pas l’monde d’la place.

D’ailleurs y aimaient pas ben ben c’qu’on faisait. Parce qu’on parlait de quartier, on parlait

des problèmes des quartiers défavorisés. […] Y a pas juste du défavorisé, y aimaient pas

dire qu’y restaient dans un quartier pauvre. » (#07) En dépit des mutations de la vie

paroissiale, l’appartenance et les rapports d’opposition sont encore assez forts pour susciter

une volonté d’autonomie et une résistance à une approche englobant les six paroisses. Le

Comité sut néanmoins s’enraciner et produire des résultats concrets, dans le domaine du

logement notamment. Le développement dans le quartier n’est ainsi plus seulement, à partir

de ce moment, le fruit d’efforts paroissiaux indépendants.

La vie associative paroissiale compte finalement, durant cette période et un peu au-delà,

quelques nouveautés, comme en témoignent les exemples suivants. Un corps de cadettes est

mis sur pied en 1961 dans la paroisse Saint-Malo. On accepte les jeunes filles des paroisses

environnantes; la participante #18, demeurant dans la paroisse Saint-Sauveur, en fut

membre. L’existence du corps de cadettes est toutefois éphémère. En raison de tensions

internes, dont fit mention une participante (#27) qui en fut directrice, le corps est dissous

824

Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap). Paroisse Saint-Sauveur de

Québec. Prônes. « Annonces. 15 mai 1977 au 26 juin 1983 », année 1980. 825

Les deux autres participante sont les #09 et 26.

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dès 1968. Par ailleurs, des groupes de l’âge d’or, offrant des loisirs pour les aînés, sont

fondés dans plusieurs paroisses à partir des années 1960826

. Plusieurs participants les

intègrent au moment de leur retraite durant les années 1980. Un premier Cercle de

Fermières827

est également fondé dans le quartier Saint-Sauveur en 1986 dans la paroisse

Notre-Dame-de-Pitié. Deux participantes (#06 et 30) et l’épouse d’un participant (#31) s’y

inscrivent.

Ainsi, au cours des années 1950, 1960 et 1970, la participation à la vie paroissiale et

notamment aux loisirs, aux divertissements et à la vie communautaire et associative décline

progressivement dans le quartier Saint-Sauveur, entraînant aussi l’offre à la baisse. Ces

mutations, dont les membres du corpus furent à la fois acteurs et témoins, ont un impact

significatif sur les sociabilités paroissiales, réelles ou potentielles. Elles influencent

également la perception des participants quant au dynamisme de la vie paroissiale,

plusieurs d’entre eux témoignant d’une impression de perte de sa vitalité.

Un élément atténue néanmoins cette impression chez certains résidants de Saint-Sauveur

et de Saint-Malo, alors qu’un autre l’aggrave chez les résidants de Saint-Malo. À partir du

début des années 1960, la rue Sainte-Thérèse, qui traverse les deux paroisses mentionnées,

est le lieu d’une activité intense lors du Carnaval de Québec, attirant des gens de partout en

ville et aussi plusieurs membres du corpus828

. Des résidants réalisent des sculptures de

neige et de glace ou des glissades sur neige pour les enfants. Cette artère devient un lieu

incontournable de cette grande fête hivernale tenue tous les ans pendant deux ou trois

semaines. De l’autre côté, les Franciscaines Missionnaires de Marie quittent la paroisse

Saint-Malo au milieu des années 1970. La Maison Notre-Dame-de-la-Providence,

jusqu’alors haut lieu de la paroisse avec ses fonctions d’école, de patronage et de centre

d’assistance, est transformée en coopérative d’habitation. Des participants qui furent

témoins de ce départ nous en parlent avec tristesse, les Franciscaines et leurs œuvres ayant

826

C’est notamment le cas en 1968 dans la paroisse Saint-Malo. 827

Ils existent au Québec depuis 1915 et furent fondés à l’origine à l’initiative du Ministère de l’Agriculture

provincial afin de promouvoir, notamment, la transmission de divers savoir-faire. NADEAU, op. cit. 828

Jean PROVENCHER, Le Carnaval de Québec. La grande fête de l’hiver, Québec, MultiMondes, 2003, p.

64-65.

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382

été fort appréciées829

. Mais malgré cette tristesse et tous les autres changements survenus

dans la vie paroissiale, l’amour de « leur » paroisse demeure.

5.4.4 Appartenance et représentations : la paroisse envers et contre tout

En dépit de l’ensemble des mutations prenant place à partir de la décennie 1950, la

paroisse conserve une importance significative dans la tête et le cœur des hommes et des

femmes que nous avons rencontrés. Comme nous l’avons mentionné dans les parties

précédentes de ce chapitre, l’attachement et les représentations qui sont liées à la paroisse,

forgés dans plusieurs cas dès leur enfance, se révèlent persistants.

Les liens à l’espace vécu peuvent être affaiblis ou rompus lorsqu’une population résidante

perd certains repères significatifs de sa vie locale. Ce n’est pas le cas des membres du

corpus. Leur attachement à leur(s) paroisse(s) demeure pour la plupart fort au cours des

trois dernières décennies de la période à l’étude. Les changements sont néanmoins

accueillis avec plus ou moins de déception, de tristesse ou de résignation, selon les

personnalités ou les sensibilités de chacun. L’exode résidentiel vers les banlieues et les

secteurs de Québec en développement emporte nombre de visages connus et affecte, selon

certains participants, l’esprit de corps paroissial830

, sans qu’ils n’aient le goût de partir et

que cet esprit ne disparaisse complètement. L’appartenance paroissiale n’est pas ici le seul

facteur en jeu, comme nous l’avons vu au deuxième chapitre, mais elle fait partie de

l’équation des choix résidentiels dans plusieurs cas et n’est pas affectée significativement

par l’exode. Des chantiers de rénovation urbaine balaient, par contre, des traces de leur vie

passée et, par le fait même, affectent leur attachement à certains lieux. L’ouverture du

boulevard Charest dans le quartier Saint-Sauveur, à la fin des années 1950, a, par exemple,

fait en sorte que la participante #23 a vu disparaître l’immeuble où elle vécut entre l’âge de

829

Une d’entre elles en parle ainsi : « Les Franciscaines ça… C’est des religieuses que, c’est d’valeur qu’c’est

disparu ça. C’est d’valeur. » (#27) 830

Cet esprit de corps est identifié par une participante comme l’élément le plus important de la vie de

quartier entre 1930 et 1980. Elle explique: « Pis quand est arrivée, l’émancipation, la construction des

banlieues, l’installation des banlieues, que beaucoup d’paroissiens sont partis. Là je pense que… Le lien qui

nous unissait là ça diminué, parce que beaucoup sont partis, les gens qui ont remplacé c’tait des gens qui

v’naient, d’ailleurs, j’veux pas dire de l’étranger, mais euh… Des gens qu’on connaissait moins pis… En tout

cas pour ma part moi j’trouve c’est ça qui a fait un chang’ment. » (#28)

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5 et 20 ans ainsi que tous les commerces de proximité fréquentés ou croisés régulièrement.

Le lien affectif à sa paroisse natale Saint-Sauveur en souffrit durablement.

La perte de plusieurs épiceries du coin et autres commerces et services de proximité crée

également un vide, mais sans briser le sentiment d’appartenance paroissiale, comme le

rapporte une participante :

- (D.G.) Pis vous êtes restée quand même attachée à c’coin-ci même si y avait

moins d’commerces?

- Ah oui ah oui ah oui. […] Y a fallu changer certaines habitudes, mais par

contre, j’suis, on est chez nous. On est chez nous. […] C’est des p’tits deuils,

mais j’veux dire, oui oui oui oui. (#30)

Cette membre du corpus mentionne avoir dû changer quelques habitudes. Plusieurs autres

résidants du quartier avaient par contre déjà délaissé les petits et moyens établissements au

moment où ces derniers disparurent. Le souvenir des pratiques de proximité demeure

cependant vivace et est évalué de façon très positive; il se maintient notamment grâce aux

vestiges de ce réseau d’établissements. Des immeubles dotés au rez-de-chaussée de grandes

baies vitrées témoignent, par exemple, de la présence commerciale, comme on peut le voir

à la figure 5.7. Cette figure représente un ancien commerce situé sur la rue des Oblats,

devant l’église Saint-Sauveur.

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Figure 5.7 – Ancien commerce transformé en logement, paroisse Saint-Sauveur, 2011

Auteure : Émilie Lapierre Pintal.

À cette présence étaient associés des acteurs et des lieux importants des sociabilités. Les

mutations de l’univers social constituent l’une des transformations majeures de la vie de

quartier selon les membres du corpus. Les sociabilités locales demeurent néanmoins

actives; les liens avec des voisins anciens et des commerçants n’ayant pas fermé boutique

participent notamment au maintien de l’appartenance à son milieu de vie. Par ailleurs, la

participation des membres du corpus à la vie paroissiale, que ce soit dans le cadre de

soirées, de parties de quilles ou d’autres activités, décroît, sans cependant que cela ne

témoigne, pour la plupart, d’un détachement affectif envers la ou les paroisse(s) où ils ont

habité.

En vertu de la persistance de l’appartenance paroissiale, une transformation majeure sera

très douloureuse à la fin des années 1990, soit la disparition de paroisses elles-mêmes.

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Plusieurs participants demeurant à Notre-Dame-de-Grâce, à Saint-Joseph et à Notre-Dame-

de-Pitié au moment où leur paroisse fut rattachée à sa paroisse-mère ont eu du mal à

l’accepter; certains ne digéraient toujours pas la fusion lors des interviews. Cette forte

réaction de même que leurs propos révèlent à quel point le lien d’appartenance à leur

paroisse, leur « chez soi », était fort. L’épouse d’un participant, ayant participé

occasionnellement à l’entretien, déclare : « Tsé quand t’as une paroisse là, pis qu’toute

ferme là, c’est triste. C’est triste. […] L’église Saint-Malo est très belle, c’est très beau

l’église Saint-Malo, mais on s’sent pas chez nous. C’est drôle hein? Après avoir été ici 50

ans là… » (#24) Ce couple, par contestation, n’est pas allé à la messe dans sa nouvelle

église et a cessé ainsi une pratique religieuse continue depuis l’enfance. Les coûts de

l’entretien des églises désaffectées devenant de plus en plus imposants et aucun projet de

réaménagement ne voyant le jour comme dans d’autres paroisses831

, certaines furent

démolies. C’est le cas des églises de Notre-Dame-de-Grâce et de Notre-Dame-de-Pitié au

tournant des années 2010. La disparition de l’église paroissiale, sans doute le symbole le

plus fort de la vie paroissiale, fait mal, comme en témoigne cette participante : « Mais

l’autre jour j’t’allée voir l’église. Ah… C’pas mêlant j’aurais braillé quand j’ai vu démolir

l’église de même. Ah… Y a pu rien y ont toute démoli. […] [P]u d’église pu d’école, pu

d’magasin vers chez nous, pu rien, j’ai dit Seigneur qu’la, c’pas mêlant j’r’gardais l’quartier

là, me semble que j’m’r’connaissais pas de chez nous là. Me semble c’tait pu chez nous là.

Ça faisait dur. (ton triste) » (#32)

Fortin relève, sur la base d’études des années 1960 portant sur les modes de vie et les

sociabilités des familles urbaines, que la sortie des quartiers centraux a mené à un

changement des représentations sur ce qui est considéré comme un quartier ou comme son

quartier832

. La paroisse perd beaucoup de terrain face au quartier administratif. Dans

certains cas, on ne s’identifie que par le nom de la municipalité où l’on demeure833

. Cette

831

L’église de la paroisse Saint-Esprit, dans le quartier Limoilou, est notamment transformée en école de

cirque au début des années 2000. 832

FORTIN et al., op. cit., p. 46. 833

Les paramètres du nouveau milieu de résidence, notamment en matière de lieux de consommation et de

divertissements, jouent certes un rôle dans ce changement, mais d’autres facteurs sont aussi à l’œuvre. Dans le

cas de ceux dont le départ fut motivé par certains aspects de la vie paroissiale et ainsi la quête d’un autre cadre

de vie, il est compréhensible que le quartier perçu ne soit pas la paroisse. Par ailleurs, selon Tafani et Bellon,

la mobilité sociale influence les représentations des individus. Ceux qui expérimentent une telle mobilité

tendent à adopter progressivement des représentations conformes à leur nouvelle position sociale. Ce

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386

évolution s’accompagne de celle du territoire d’appartenance, qui est aussi de moins en

moins la paroisse. Dans le cas de résidants de quartiers centraux ne le quittant pas, la

situation est tout autre, comme le révèle notre étude. Vingt-sept des 30 membres du corpus

considèrent que la ou les paroisse(s) où ils ont demeuré est ou sont leur(s) quartier(s); cette

opinion ne changera pas834

. Il en va de même pour les trois autres participants pour qui leur

quartier est le quartier administratif Saint-Sauveur.

Contrairement à ce qu’a observé Piolle, le quartier tel que perçu par les membres de notre

corpus ne s’élargit pas au fil de l’accumulation des années de résidence835

. Cette situation

révèle que l’empreinte de la paroisse demeure bien présente en dépit du fait que son

pouvoir structurant s’affaiblit. Il est également probable que la pérennité du « quartier-

paroisse » s’explique par la connotation négative associée au quartier administratif Saint-

Sauveur lors des années 1960 et 1970. L’image du quartier défavorisé, relayée notamment

par un Comité des citoyens et des citoyennes du quartier Saint-Sauveur réclamant des

actions des différents paliers de gouvernement afin d’améliorer les conditions de vie des

gens, n’est guère attractive. Le quartier administratif Saint-Sauveur fut davantage employé

selon nous, par contre, par ceux qui naissent à cette époque et pour qui la paroisse ne

signifie que peu de choses et par ceux, adultes, qui se sont détachés de la vie paroissiale836

.

On remarque aussi une persistance, comme nous l’avons mentionné, dans les rapports

d’opposition envers les autres paroisses. Les participants masculins les plus jeunes

affirment avoir confronté avec leurs amis des bandes de garçons de paroisses

environnantes. L’évolution des loisirs, des divertissements et de la vie communautaire et

processus permet de comprendre l’abandon de la paroisse dans le cas de gens s’installant en banlieue, car la

paroisse a pu représenter pour plusieurs un symbole de la vie en milieu populaire. Éric TAFANI et Sébastien

BELLON, « Principe d’homologie structurale et dynamique représentationnelle », dans Pascal MOLINER

(éd.), La dynamique des représentations sociales : pourquoi et comment les représentations se transforment-

elles?, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2001, p. 163-194. 834

Une étude portant notamment sur ces représentations a été effectuée pour le quartier Limoilou dans les

années 1990. À ce moment, la plupart des participants les plus âgés associaient toujours leur paroisse à leur

quartier. DESPRÉS et LAROCHELLE, « L’influence des trajectoires résidentielles et des normes culturelles

d’habitat sur les significations et les usages du Vieux-Limoilou », dans GRAFMEYER et DANSEREAU

(dirs.), op. cit., p. 64. 835

PIOLLE, op. cit., p. 254. 836

D’autres espaces ont pu, bien sûr, être considérés comme leur quartier : voisinage, rue, Basse-Ville, etc.

Morisset et Noppen supposaient en 2000 que la fusion des paroisses dans le quartier Saint-Sauveur allait

« […] contribuer à l’unification du quartier, […] la création de l’imaginaire d’un quartier […] » étant dès lors

permise. On voit que pour la population âgée du quartier, ce ne fut pas le cas. MORISSET, NOPPEN et al.,

op. cit., p. 30.

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associative dans chaque paroisse mène à considérer que l’herbe est plus verte ailleurs. Les

participants dans cette situation ne sont pas dans une position de dénigrement, mais plutôt

d’envie. Ainsi, une participante (#27) ayant demeuré presque toute sa vie durant dans la

paroisse Saint-Malo mentionne avec dépit que le Centre Durocher, dans la paroisse Saint-

Sauveur, était plus animé au cours des années 1960 et 1970, alors qu’une autre participante

(#26), ayant passé toute sa vie dans la paroisse Saint-Sauveur, soutient sur le même ton

qu’à la même période, le centre de la paroisse Saint-Malo attirait plus de gens que « son »

Centre Durocher. Les rapports d’opposition s’expriment aussi lors des fusions paroissiales

et après celles-ci. Un participant de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié, fusionnée à la

paroisse Saint-Malo en 1998, en témoigne de cette manière:

- (D.G.) Est-ce qu’y avait des rivalités entre les paroisses, mettons Notre-Dame-

de-Pitié Saint-Malo?

- Euh… Oui. Y a une personnalité… Ça paraît encore. Parce que nous autres on

va à messe à Saint-Malo, et… On sert la messe, une fois par mois. […] On

s’aperçoit, si c’est une personne d’la paroisse, ou… D’Saint-Malo. On dirait

sont jaloux, y veulent pas pardre leur place. (rires) […] Ah oui. Y a des choses

qui se, qui s’passent des fois là. On voit tout suite par le sourire… Quand on

s’parle de queq’ mots. Là on voit là… On voit qu’y a une barrière, y a d’quoi là

qui… Y veulent pas qu’on prenne leur place pis… Ouain. (#31)

Les fusions ne conduisent ainsi pas à la disparition des rapports d’opposition; ceux-ci

demeurent au contraire bien présents. Les « personnalités » paroissiales, rappelant « les

mentalités de paroisse » évoquées par la participante #25 dont nous avons cité les propos

précédemment, sont bien perceptibles dans certains domaines, comme la pratique

religieuse, alors que les résidants des deux paroisses touchées sont en contact les uns avec

les autres et doivent composer avec cette situation. Contrairement au membre du corpus

#31, d’autres n’ont guère participé à la vie de leur nouvelle paroisse. L’appartenance

paroissiale, en dépit de toutes les mutations qui ont lieu, oriente ainsi encore durant les

années 1950, 1960 et 1970 et même plus tardivement les comportements et les

représentations des membres du corpus.

En précisant ce qu’il retenait de la vie dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, où il passa

presque toute sa vie, un participant s’exclama : « Ah… Pour moi là c’est, paroisse en tant

qu’tel, c’est fini ça. » (#29) Il apparaît qu’en regard des transformations considérables de la

vie paroissiale au cours de la période 1950-1980, une époque se termine. Des changements

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importants altèrent le rôle de pôle structurant de la vie locale, de l’appartenance et des

représentations de la paroisse. Le portrait n’est tout de même pas entièrement noir. Le

quartier Saint-Sauveur ne devient pas invivable. Les membres du corpus sont témoins de

toutes les mutations Ŕ et acteurs de plusieurs d’entre elles Ŕ, tout en demeurant attachés à

leur milieu de vie. La paroisse demeure pour eux le territoire d’appartenance envers et

contre tout. Et lorsque certains sont confrontés à la disparition de « leur » paroisse, l’esprit

de corps paroissial demeure, presque farouche dans certains cas.

Conclusion

La culture urbaine en milieu populaire québécois que nous avons examinée dans cette

thèse porte ainsi, entre 1930 et 1980, la marque de la paroisse. La place significative qu’elle

occupe au sein de la vie locale, des identités et des représentations sur ce qu’on considère

être son quartier et sur d’autres espaces urbains constitue un facteur particulièrement

caractéristique de cette culture. De 1930 jusqu’au cours des années 1950, la vie paroissiale

dans le quartier Saint-Sauveur est fort diversifiée. Aux cérémonies religieuses s’ajoutent

des processions fort appréciées, non seulement dans l’optique de l’expression de la foi,

mais aussi en raison des sociabilités qu’elles suscitent et par le sentiment de fierté qu’elles

occasionnent. Soucieuses de préserver les paroissiens des « dangers » des lieux de loisirs et

de divertissements commerciaux, les autorités religieuses paroissiales consacrent des

efforts considérables pour créer une vie sociale animée et encouragent leurs ouailles à en

bénéficier. De plus, les paroisses du quartier Saint-Sauveur comptent plusieurs commerces

et services, ce qui donne l’impression que presque tout est disponible dans chaque paroisse.

L’une des caractéristiques du développement de la ville de Québec semble expliquer en

partie certains constats sur la vie paroissiale. Le rythme de sa croissance démographique au

XXe siècle a fait en sorte, selon nous, que plusieurs services déployés sur une base

paroissiale, par exemple dans le domaine de l’assistance, ont répondu aux besoins de

manière adéquate plus longtemps qu’à Montréal837

, où plusieurs réorganisations

supraparoissiales se sont produites dès les premières décennies du XXe siècle dans la foulée

837

Voir à ce sujet DAIGLE et GILBERT, loc. cit.

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d’une croissance démographique beaucoup plus rapide838

. Cette situation s’est répercutée

sur l’état de la vie paroissiale et sur les pratiques réalisées à l’échelle paroissiale dans la

capitale québécoise.

Le territoire auquel les membres du corpus sont attachés et s’identifient est la paroisse.

Cette appartenance paroissiale, basée tant sur les pratiques réalisées à l’intérieur de la ou

des paroisses(s) de résidence que sur l’évaluation globale de la vie paroissiale, se développe

même s’ils sortent régulièrement de leur paroisse pour acheter des biens, travailler ou

encore se divertir. Ils ne répondent ainsi qu’en partie à l’appel des autorités religieuses

paroissiales dans le domaine des loisirs.

La vie et l’appartenance paroissiales orientent sensiblement les représentations des

participants sur ce qu’ils considèrent être le ou les quartier(s) dans le(s)quel(s) ils ont vécu.

Une très forte majorité de participants voient dans la paroisse un quartier. De plus, la

culture urbaine en milieu populaire québécois que nous avons étudiée se caractérise par des

rapports d’opposition envers d’autres paroisses, rapports basés sur des faits réels et/ou des

préjugés. Ils découlent de l’appartenance paroissiale tout en l’alimentant. Un antagonisme

entre les paroisses-mères et les paroisses-filles est notamment perceptible. La présence de

ces rapports d’opposition contribue à insérer la variable paroissiale dans la dynamique des

rivalités juvéniles et des rapports sociaux de sexe.

L’appartenance paroissiale et les représentations sur ce qui est considéré être son quartier

et sur d’autres espaces urbains ont traversé les cinquante années à l’étude sans qu’il n’y ait

de changements et ce, en dépit des mutations de la vie paroissiale à partir des années 1950,

affectant les paroisses différemment en fonction de leur propre situation. Elles étaient

même, dans plusieurs cas, encore présentes au moment des entretiens, presque 30 ans après

l’année limite de la période étudiée, soit 1980. Une vie religieuse en transformation, un

investissement de la population et des participants eux-mêmes moins marqué dans les

838

Entre 1901 et 1951, la population de Québec fait plus que doubler pour s’établir à 164 000, alors que celle

de Montréal fait plus que tripler pour passer à 1 021 500. VALLIÈRES, « Développement urbain et société à

Québec », dans VALLIÈRES et al. (Tome II), op. cit., p. 1304; VALLIÈRES, « Population et société dans

une ville moderne », dans VALLIÈRES et al. (Tome III), op. cit., p. 1812; Ville de Montréal (base de

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390

loisirs, les divertissements et la vie communautaire et associative de leur(s) paroisse(s), une

offre conséquemment en baisse dans ce domaine, des fermetures de commerces et de

nombreux déménagements en dehors du quartier auraient pu affecter appartenance et

représentations; ce ne fut pas le cas. L’empreinte de la paroisse, apparaissant pour plusieurs

membres du corpus dès l’enfance, est restée bien vivace grâce, notamment, au poids de

l’expérience paroissiale sur la longue durée, aux bons souvenirs et aux éléments dont la

présence perdure ou qui se transforment peu. Cet attachement au milieu de vie explique en

partie le fait qu’ils n’aient pas, comme des milliers d’autres personnes, quitté le quartier

Saint-Sauveur. En fin de période, les participants à notre enquête orale ont modifié leurs

pratiques de consommation. Leurs sociabilités locales se sont transformées. Le cœur des

paroisses ne résonne plus autant qu’avant de l’écho des activités dans les centres

paroissiaux. « Leur » paroisse demeure néanmoins objet d’appartenance, leur « chez soi »

et leur quartier.

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Conclusion

De 1911 jusqu’aux années 1940, des tramways d’observation ont fait découvrir la ville de

Québec aux touristes. Leur parcours ne se limitait pas aux secteurs historiques, mais

traversait également les quartiers populaires, dont Saint-Sauveur. Plusieurs enfants

demeurant dans ce quartier, dont quelques membres du corpus, se souviennent avoir couru

le long de ces tramways en demandant à leurs occupants, en français et aussi bien souvent

en anglais par un court « Give me five cents please!839

», de leur lancer des sous. Leurs

passages étaient une occasion pour ces enfants de se faire un peu d’argent de poche et pour

les personnes qui y étaient assises de découvrir ce monde, de « savoir comment ça

marchait » (#03). Non pas assis dans un tramway d’observation, mais plutôt près d’un

microphone et dans des salles d’archives, nous avons aussi porté notre regard sur le quartier

Saint-Sauveur afin d’analyser l’évolution de l’expérience du quartier et de la ville dont a

témoigné la culture urbaine en milieu populaire québécois entre 1930 et 1980 et notamment

à partir des années 1950, lorsque se produisirent des changements importants de l’espace

urbain et des modes de vie au Québec comme ailleurs en Amérique du Nord. Nous nous

sommes demandé comment évoluèrent les habitudes de vie, les valeurs, le rapport

identitaire à l’espace vécu et les représentations sur le milieu de vie et sur les autres espaces

urbains des résidants qui ne quittèrent pas le quartier Saint-Sauveur, du moins

définitivement, durant ce demi-siècle ou qui vécurent en tout ou en partie les changements

avant de le faire.

Les caractéristiques des quartiers, celles de leurs résidants et celles de la société dans

laquelle ces résidants évoluent influencent les modes d’expression d’une culture

urbaine. L’approche et la démarche interdisciplinaires utilisées, mettant de l’avant le

concept de pratiques du quartier dans l’étude d’un quartier précis de Québec, cela, à partir

de 30 entretiens avec des hommes et des femmes ainsi que de recherches complémentaires

en archives et dans les sources imprimées, nous ont assurément permis de mieux

comprendre, à l’échelle des individus, comment l’expérience du quartier et de la ville des

citadins québécois de statuts socioéconomiques modestes s’était modifiée. Nous avons pu

approfondir, préciser et nuancer sur certains points les constats macrosociaux concernant

839

Cette même phrase est utilisée par Lemelin dans Au pied de la pente douce. LEMELIN, op. cit., p. 186.

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les mutations des années 1950, 1960 et 1970 ainsi que leurs impacts. Cette étude aura mis

en lumière les processus de transformation comme les éléments de continuité au sujet de

quatre facettes d’une culture urbaine qui nous apparaissaient les plus susceptibles de révéler

l’essence de cette expérience : les trajectoires résidentielles, les pratiques associées à la

consommation et aux loisirs, aux divertissements et à la vie communautaire et associative,

les sociabilités et finalement le rapport identitaire à l’espace vécu et les représentations sur

le milieu de vie et sur les autres espaces urbains. Nous espérons ainsi avoir apporté une

contribution originale à l’histoire du quotidien en milieu urbain québécois au XXe siècle, en

particulier pour la ville de Québec, ainsi qu’à celle de la vie paroissiale et de son incidence

sur les identités et les représentations.

Bon nombre de participants à cette enquête ont vécu dans des logements trop petits, de

qualité variable. Certains ont cherché à les quitter le plus tôt possible, avec ou sans succès,

d’autres les ont tout de même apprécié et y ont demeuré pendant plusieurs années. Les cas

de stabilité dans un logement, un immeuble, une paroisse ou le quartier Saint-Sauveur en

général entre 1930 et 1980 ne s’expliquent pas seulement par des revenus limités ou parce

qu’on apprécie les lieux. Les trajectoires résidentielles de chaque membre du corpus sont

orientées par une combinaison de facteurs associés au libre choix et à la contrainte. La

valorisation de la proximité des réseaux familiaux et des commerces et services et

l’attachement à la paroisse de résidence expliquent notamment pourquoi la très grande

majorité des membres du corpus ne suivirent pas les traces de milliers de résidants du

quartier participant au mouvement d’exode résidentiel après la Seconde Guerre mondiale.

Certains tentent l’expérience, mais reviennent au quartier Saint-Sauveur, attachés à la vie

qu’ils y avaient menée.

Les rapports des individus à la proximité et à l’accessibilité physique guident l’expérience

du quartier et de la ville, de concert avec les moyens financiers, les nécessités et les goûts

personnels. Plusieurs pratiques d’achat de biens, d’usage de services et de loisirs, de

divertissements et de vie communautaire et associative se font sous le sceau de la proximité

et d’un accès aisé, qu’elles soient réalisées dans un établissement situé au coin de la rue où

l’on demeure ou sur une artère commerciale à l’extérieur du quartier Saint-Sauveur; cela,

en dépit de l’utilisation généralisée de la marche à pied pour se déplacer. Ce mode

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393

d’expression de la culture urbaine découle de la localisation avantageuse du quartier dans la

ville de Québec ainsi que l’offre en présence dans la paroisse de résidence. Au cours des

années 1950 toutefois, les rapports à la proximité et à l’accessibilité physique se

transforment. Les critères de choix des lieux fréquentés ne sont plus les mêmes en raison,

entre autres, de l’adoption d’un nouveau mode de déplacement, l’automobile. L’expérience

du quartier et de la ville en est redéfinie, laissant moins de place à l’univers local, mais

plaçant ce dernier au cœur d’une perception de la proximité dorénavant élargie, voire

globale dans l’espace urbain.

On a pu observer que l’univers social des membres du corpus est dense lors des premières

décennies de la période à l’étude. Il bénéficie d’un contexte local favorable au déploiement

et au maintien des sociabilités en raison, notamment, de l’état de relative homogénéité

sociodémographique et socioéconomique, de l’utilisation généralisée de la marche à pied et

de la diversité de l’offre de la vie paroissiale. Les sociabilités locales sont grandement

alimentées par le réseau de commerces et de services et par les individus qui l’animent. On

a pu constater qu’une position de réserve régit les relations de voisinage. Plus globalement,

l’appréciation de l’univers social est source de stabilité résidentielle. Un processus

d’étiolement s’enclenche toutefois après le second conflit mondial. Il touche les relations de

voisinage, les relations familiales, celles impliquant divers acteurs locaux comme les

commerçants, ainsi que celles qui se déploient dans les lieux de consommation et de loisirs,

de divertissements et de vie communautaire et associative. L’espace social jusqu’alors

majeur qu’était la paroisse s’en trouve affecté. Certaines pratiques et valeurs ne changent

néanmoins pas dans le domaine des sociabilités. Qualifier le quartier Saint-Sauveur de

village en ville, en 1930 comme en 1980, nous paraît adéquat en la matière. Le déploiement

des sociabilités locales, teinté par la variable paroissiale, fait en sorte que parler de villages

en ville, au pluriel, est aussi convenable en termes de sociabilités. Dans les domaines

comme l’achat de biens, l’usage de services ou les loisirs, les divertissements et la vie

communautaire et associative, ces qualificatifs ne peuvent être utilisés. Contrairement à une

perception présente parmi la population étudiée et dans la conscience populaire à Québec,

le quartier Saint-Sauveur n’est pas autonome ou « fermé sur lui-même » (#22) entre 1930 et

1980. Son caractère relativement anonyme dans l’espace urbain explique en partie cette

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perception, tout comme la diffusion de cette dernière par certaines personnalités publiques,

natives ou non du quartier840

.

Les membres du corpus, comme la plupart des résidants du quartier Saint-Sauveur, n’ont

pas seulement la paroisse de résidence comme cadre de vie. Ils en sortent régulièrement

pour divers motifs. Malgré cette expérience de divers secteurs du quartier Saint-Sauveur et

d’autres espaces urbains, ils considèrent néanmoins que leur paroisse est leur quartier. La

paroisse est aussi le territoire où se cristallise le rapport identitaire à l’espace vécu. Le

territoire, selon Maffesoli, « [t]el un sillon creusé profond, […] permet que germe et croisse

(sic) des manières d’être, les sentiments, les affects et les émotions formant, en définitive,

le corps social841

. » La paroisse guide en effet le déploiement de la vie locale. Elle est un

pôle structurant de l’appartenance et des représentations sur le milieu de vie et sur d’autres

espaces urbains. Elle est enracinée profondément dans les cœurs et les esprits des

participants, qui ont expérimenté la vie paroissiale dès leur plus jeune âge. Cet

enracinement fait en sorte que le rapport identitaire à l’espace vécu et les représentations

sur ce qu’on considère être son quartier et sur d’autres espaces urbains ne sont pas affectés

par les multiples transformations de cette vie paroissiale perturbant sa force structurante à

partir des années 1950, transformations se situant aux plans de la pratique religieuse, des

loisirs, divertissements et vie communautaire et associative, ainsi que des caractéristiques et

des pratiques associées au réseau de commerces et de services.

La culture urbaine en milieu populaire québécois dans le quartier Saint-Sauveur porte

ainsi les empreintes des revenus des ménages, de la paroisse, de la contiguïté du quartier du

cœur commercial et ludique de la ville et de son homogénéité sociodémographique et

socioéconomique. Dans des quartiers populaires québécois moins près de ces cœurs ou

moins homogènes, nous pouvons supposer que l’expérience du quartier et de la ville fut

différente, notamment au chapitre des rapports à la proximité et à l’accessibilité physique,

ainsi qu’à celui des sociabilités locales. La place de la paroisse, quant à elle, n’est pas

spécifique au quartier Saint-Sauveur ou à la ville de Québec, mais caractérise toute la

840

Par exemple, Roger Lemelin, romancier natif du quartier que nous avons cité afin d’illustrer nos propos,

déclara en 1991 : « C’était une société absolue, un microcosme de société qui se suffisait à lui-même, avec ses

drames, ses criminels, ses saints, ses chanteurs, ses artistes. Il ne devait rien à personne. » Roger LEMELIN et

Victor LÉVY-BEAULIEU, Pour faire une longue histoire courte, Montréal, Stanké, 1991, p. 127. 841

MAFFESOLI, « Vie enracinée, pensée organique », dans JEFFREY et MAFFESOLI, op. cit., p. 11.

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société québécoise. Le rythme de la croissance démographique de la ville de Québec

semble cependant expliquer en partie certaines constatations sur la diversité de la vie

paroissiale.

Nos constats ne s’appliquent pas tous exclusivement au quartier étudié, à la ville de

Québec, au Québec ou aux milieux populaires. Ils mériteraient de faire l’objet de travaux

comparatifs ultérieurs. Ainsi, l’examen d’un quartier populaire situé moins près du cœur

commercial et ludique d’une ville, celui d’un quartier hors Québec comptant des paroisses

catholiques ou encore celui d’un quartier de statut socioéconomique plus aisé mettant à

profit une approche similaire à celle que nous avons utilisée dans cette étude permettrait

assurément d’en approfondir la portée. Nous n’avons, par ailleurs, pas pu documenter les

habitudes de vie, les valeurs, les appartenances ainsi que les représentations sur la vie

locale, sur ce qui est considéré comme étant son quartier et sur d’autres espaces urbains des

résidants du quartier Saint-Sauveur qui l’ont quitté rapidement pour participer au

mouvement d’exode résidentiel vers les banlieues et les secteurs de Québec en

développement, du moins à grande échelle, et des ménages qui ont demeuré dans plusieurs

quartiers populaires sans qu’il n’y ait un enracinement plus notable dans l’un ou l’autre. Il

serait intéressant d’explorer cette avenue en distinguant, chez les ménages qui ont participé

à l’exode résidentiel, ceux qui se dirigèrent vers les municipalités de banlieues de ceux qui

optèrent pour des secteurs de Québec en développement comme Limoilou par exemple.

D’autres sujets n’ont pu être approfondis comme nous l’aurions souhaité, faute de temps ou

par souci de conserver une cohérence d’ensemble, et mériteraient attention. C’est le cas

pour les questions de l’évolution de la durée de résidence dans le logement de la population

du quartier Saint-Sauveur, du nombre de commerces et de services et de leur typologie,

ainsi que du nombre de membres des divers organes de la vie paroissiale (groupes,

mouvements, associations, œuvres, etc.).

Au moment de terminer cette thèse, il convient de noter que le quartier Saint-Sauveur est

toujours un quartier populaire, l’un des plus défavorisés de Québec. Au tournant des années

2000, il a retrouvé un bilan démographique positif après soixante ans de décroissance; il

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comptait alors 16 400 résidants842

. Plusieurs participants nous ont confié lors des entretiens

voir de plus en plus d’enfants dans le quartier843

. La lente diversification ethnique fait en

sorte que la rue Saint-Vallier compte plusieurs épiceries et restaurants offrant des produits

et une cuisine de divers pays.

Certains traits des modes d’expression de la culture urbaine en milieu populaire québécois

que nous avons analysés, dont l’appartenance paroissiale, sont toujours présents au sein de

notre corpus et de la population âgée du quartier Saint-Sauveur. D’autres phénomènes

observés dans le quartier, dans la ville de Québec et à plus large échelle, dont les acteurs

sont de tous statuts socioéconomiques, rappellent d’autres traits présents dans le quartier

durant la période 1930-1980. La maison multigénérationnelle gagne de plus en plus

d’adeptes, ramenant ainsi la cohabitation, dans des paramètres différents certes, des

générations. Le renouveau de la valorisation de la proximité du lieu de travail ou encore des

lieux de loisirs ainsi qu’une conscience environnementale plus forte sont à la source d’un

phénomène de retour à la ville des banlieusards844

. Ce phénomène ainsi que des

investissements massifs des gouvernements alimentent la lente renaissance du quartier

Saint-Roch et de son artère reine, la rue Saint-Joseph, renaissance qui a chassé la morosité

de ce secteur. La conscience environnementale et celle des effets pervers de la

surconsommation suscitent aussi une volonté d’acheter localement ou de recycler certains

objets de la vie courante, comme les vêtements, pratiques qui étaient déjà le fait des parents

des participants à notre enquête orale bien qu’elles étaient motivées par des raisons

différentes.

Certains chercheurs de diverses disciplines ont prédit, depuis plusieurs décennies, la fin ou

le déclin du quartier et de la vie de quartier ou ont produit des constats en ce sens en raison

de la mobilité grandissante des individus et de l’étendue de leurs réseaux sociaux845

. À

l’image de plusieurs autres chercheurs, nous soutenons le contraire en dépit des mutations

842

VALLIÈRES, « Population et société dans une ville moderne », dans VALLIÈRES et al. (Tome III), op.

cit., p. 1812. 843

Un de ceux-là, heureux de cette situation, affirme qu’ainsi le quartier ne deviendra pas un

« gérontoquartier » (#21). 844

Il n’est pas sans implication sur l’habitat dans les quartiers populaires comme Saint-Sauveur. Par exemple,

la rénovation des immeubles achetés par ces gens peut exercer une pression à la hausse sur les loyers. 845

Citons, par exemple, Ascher. François ASCHER, Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Odile Jacob,

1995, p. 148-151.

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qui sont survenues et du fait que la vie des gens est déployée à travers tout l’espace urbain.

Le quartier, espace multiforme, est encore, même à intensité réduite, un lieu de pratiques où

se vivent des sociabilités et s’élaborent diverses représentations sur le milieu de vie et sur

les autres espaces urbains. Des identités peuvent s’y forger. Son investissement est ainsi

aujourd’hui comme hier, en dépit d’une certaine homogénéisation des modes de vie, une

constituante de la culture urbaine qu’on peut difficilement ignorer.

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Bibliographie

Sources

Sources orales

Trente entretiens réalisés avec des hommes et des femmes. Les participants à l’enquête

orale sont présentés à l’annexe 6.

Archives

Archives des Oblats de Marie-Immaculée (Province Notre-Dame-du-Cap), paroisse Saint-

Sauveur de Québec

Fonds d’archives des paroisses du quartier Saint-Sauveur

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Annexe 1 Le quartier Saint-Sauveur, 1960 Source : Centre Interuniversitaire d’Études Québécoises

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Annexe 2 Les six quartiers administratifs de Québec,

1960 Source : Centre Interuniversitaire d’Études Québécoises

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Annexe 3 L’agglomération de Québec et quelques

quartiers de Québec, 1980 Source : Centre Interuniversitaire d’Études Québécoises

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Annexe 4 Le formulaire de consentement

FORMULAIRE DE CONSENTEMENT846

Entre : Dale Gilbert, étudiant au doctorat en histoire à l’Université Laval

Sous la responsabilité de Johanne Daigle, professeure d’histoire

Et ___________________________Madame/Monsieur (son nom)

Demeurant au

_______________________________________________________(adresse)

Présentation

Cette recherche est réalisée dans le cadre du projet de doctorat de DALE GILBERT,

étudiant en histoire à l’Université Laval. Il est dirigé par Mme Johanne Daigle, du

département d’histoire de l’Université Laval (Faculté des Lettres). Dale Gilbert est boursier

du Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada (2006-2010).

Avant d’accepter de participer à ce projet de recherche, veuillez prendre le temps de lire et

de comprendre les renseignements qui suivent. Ce document vous explique le but de ce

projet de recherche, ses procédures, avantages, risques et inconvénients. Je vous invite à

poser toutes les questions que vous jugerez utiles.

Nature de l’étude

Cette recherche de doctorat porte sur la vie quotidienne des résidants du quartier Saint-

Sauveur de Québec au milieu du vingtième siècle. L’objectif est de cibler ce que signifie

habiter et vivre dans Saint-Sauveur entre environ 1930 et 1980.

Déroulement de la participation

Votre participation à cette recherche consiste à m’accorder une entrevue d’une durée

d’environ 1h30, qui portera sur les éléments suivants :

Données biographiques générales sur votre parcours de vie (lieu et année de

naissance, nombre d’enfants dans votre famille, etc.). Ces renseignements d’ordre

biographique sont recueillis pour permettre la mise en contexte du récit dans votre

propre trajectoire de vie.

Habiter

Travailler

Consommer

Se divertir

846

Les trois pages du formulaire tel que signé par les participants comptaient, de plus, un en-tête où figurait le

titre du projet ainsi que le numéro de page (1 de 3, etc.). Au bas de chacune des pages se retrouvait également

une mention témoignant de l’approbation du projet par le Comité plurifacultaire d’éthique de la recherche de

l’Université Laval et du numéro d’approbation (2007-104). Le participant devait inscrire ses initiales au bas

de chacune des pages du formulaire, sur une ligne réservée à cette fin.

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420

S’entraider

Le (la) participant(e) sera aussi appelé à dessiner une carte mentale du quartier sur une page

blanche, où il aura l’occasion de situer, comme il s’en rappelle, son ou ses domicile(s), les

commerces et services fréquentés, le lieu de travail, les lieux de loisirs et les limites du

quartier.

À moins d’avis contraire, l’entretien sera réalisé en une seule séance. L’entretien est réalisé

par Dale Gilbert, est enregistré sur fichier numérique et conservé par Dale Gilbert.

Avantages, risques ou inconvénients possibles liés à la participation

Le fait de participer à cette recherche vous offre une occasion de réfléchir, individuellement

et en toute confidentialité, à votre parcours de vie et de partager votre important bagage de

connaissances, d’expériences et de perceptions sur la vie quotidienne dans le quartier Saint-

Sauveur.

Ce projet sur le quotidien en milieu populaire urbain a pour but de donner la parole aux

gens ordinaires, ceux qui sont exclus de la grande histoire. Vous contribuez, par le fait de

vous raconter, à l'écriture de l'histoire de votre quartier. Vos expériences, vos perceptions et

vos trajectoires particulières seront mises en valeur.

Les inconvénients potentiels de cet entretien sont surtout de l'ordre de l'anxiété et de la

fatigue. De plus, l'entretien pourrait vous faire remémorer des souvenirs parfois pénibles.

Dans le but de vous aider, vous pouvez en tout temps prendre une pause. Vous pouvez

également refuser de répondre à une question et vous êtes libre de cesser l'entrevue en tout

temps sans devoir vous justifier.

Participation volontaire et droit de retrait

Aucune compensation, de quelque nature qu’elle soit, n’est reliée à la participation à ce

projet.

Vous être libre de participer à ce projet de recherche. Vous pouvez mettre fin à votre

participation sans conséquence négative ou préjudice et sans avoir à justifier votre décision.

Si vous décidez de mettre fin à votre participation, il est important d’en prévenir Dale

Gilbert, dont les coordonnées sont incluses dans ce document. Tous les renseignements

personnels vous concernant seront alors détruits.

Confidentialité et gestion des données

Le (la) participant(e) sera identifié(e) soit par son nom, soit par un nom fictif pour préserver

la confidentialité du témoignage.

Souhaitez-vous que votre témoignage soit confidentiel? Dans l’affirmative, toutes vos

données seront dépersonnalisées de manière irréversible.

o OUI

o NON

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Les entretiens seront enregistrés sous format audio numérique. Ils seront transférés sur mon

ordinateur personnel, protégé par un mot de passe, pour transcription sur document Word.

Les données seront gardées pour une durée indéterminée. La seule autre personne qui aura

accès aux entretiens ou à leur transcription est ma directrice de thèse, madame Johanne

Daigle, professeure d'histoire à l'Université Laval. Lors de la destruction des données, je

procèderai à la suppression définitive des formulaires de consentement, des fichiers

numériques et des transcriptions.

Le fichier numérique de l’entrevue et sa transcription par Dale Gilbert serviront aux fins de

sa thèse de doctorat. Ils pourront aussi être l’objet d’une utilisation ultérieure par Dale

Gilbert dans le cadre de la rédaction d’articles ou d’ouvrages scientifiques, de la

préparation de communications scientifiques ou pour tout autre mode de communication

scientifique relié à ce sujet. Dans le cas d’une utilisation ultérieure, les données seront

dépersonnalisées de manière irréversible, à moins que vous me donniez votre

consentement.

Souhaitez-vous que votre entretien soit dépersonnalisé de manière irréversible dans le cas

d’une utilisation ultérieure ?

o OUI

o NON

Les droits d’auteur de cette recherche et des publications subséquentes appartiennent à Dale

Gilbert.

Un court résumé écrit sera donné ou un appel téléphonique sera effectué pour informer les

participants qui en feront la demande des résultats de la recherche.

Pour des renseignements supplémentaires

Si vous avez des questions sur la recherche ou sur les implications de votre participation,

veuillez communiquer avec Dale Gilbert au (418) 522-9916 ou par courriel :

[email protected] . Votre collaboration est précieuse pour me permettre de réaliser

cette étude et je vous remercie grandement d’y participer.

Signatures

Je soussigné(e) _________________________ consens librement à participer à la

recherche intitulée : « Vivre et habiter à Saint-Sauveur au cœur du vingtième siècle : modes

d’expression d’une culture urbaine dans un quartier populaire de Québec ». J’ai pris

connaissance du présent formulaire et j’ai compris le but, la nature, les avantages, les

risques et les inconvénients du projet de recherche. Je suis satisfait(e) des explications,

précisions et réponses que le chercheur m’a fournies, le cas échéant, quant à ma

participation à ce projet.

________________________________ ______________________

Signature du participant Date

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422

J’ai expliqué le but, la nature, les avantages, les risques et les inconvénients du projet de

recherche au participant. J’ai répondu au meilleur de ma connaissance aux questions posées

et j’ai vérifié la compréhension du participant ou de la participante.

________________________________ ______________________

Signature du chercheur Date

Plaintes ou critiques

Toute plainte ou critique sur ce projet de recherche pourra être adressée au Bureau de

l’Ombudsman de l’Université Laval :

Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320. Université Laval, Québec (QC) G1K 7P4

Renseignements : (418) 656-3081 Télécopieur : (418) 656-3846 Courriel :

[email protected]

Copie de ………………………………

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Annexe 5 Le guide d’entretien

Partie 1 – Renseignements généraux

.1 Identification

1) Nom et prénom

2) Année de naissance

3) Lieu de naissance

4) Naissance à l’hôpital ou à la maison

5) Nombre de frères et de sœurs

6) Rang dans la famille

7) Provenance du père et de la mère

8) Circonstances de rencontre des parents

9) Si les parents sont du quartier Saint-Sauveur : moment d’arrivée de la famille dans le

quartier Saint-Sauveur (origine des aïeuls et bisaïeuls)

10) Motif d’installation dans le quartier Saint-Sauveur

11) Occupations du père et de la mère (avant et après mariage)

.2 Scolarité

1) Âge d’entrée à l’école

2) Programmes suivis et diplômes obtenus (nombre d’années de scolarité)

3) Localisation des établissements fréquentés

4) Âge à la sortie

5) Raison de la fin de la scolarité

6) Appréciation des années de scolarité

7) Fréquentation scolaire des parents, des frères et des sœurs

Partie 2 – Enfance et expériences de travail de jeunesse

2.1 Enfance

1) Lieux de loisirs

2) Amis et lieu de résidence

3) Déménagements

2.2 Expériences de travail de jeunesse

Travail salarié

1) Type d’emploi

2) Moyen d’obtention de l’emploi

3) Localisation

4) Moyens de transport

5) Tâches effectuées

6) Conditions de travail

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7) Investissement du secteur où est situé l’établissement lors des heures de repas, de pause

ou après les heures de travail

8) Âges d’entrée et de sortie (pendant ou après les études)

9) Causes d’entrée et de sortie

10) Membres de la famille travaillant dans l’établissement

11) Appréciation de l’expérience

12) Pension donnée aux parents

Les points sont repris pour chaque expérience.

13) Expériences de travail de jeunesse des frères et sœurs

Travail domestique

1) Unique travail ou en complément du travail en dehors du domicile familial

2) Âges de début et de fin (pendant ou après les études)

3) Causes de début et de fin

4) Tâches effectuées

5) Travail domestique de frères et de sœurs

6) Salaire ou compensation (s’il y a lieu)

7) Appréciation de l’expérience

Partie 3 – Fréquentations, mariage et enfants

3.1 Fréquentations et mariage (s’il y a lieu)

1) Fréquentations avant la rencontre du conjoint

2) Circonstances de rencontre du conjoint

3) Provenance du conjoint et trajectoires résidentielles avant la rencontre (lieux et raisons

déménagement)

4) Occupation du conjoint au moment de la rencontre

5) Provenance et occupations des parents du conjoint

6) Année et âge au mariage des deux conjoints

7) Localisation du mariage

8) Voyage de noces

9) Situation financière du couple : économies/dettes, équipement domestique

10) Aide des parents ou d’autres personnes au moment de l’installation du couple : argent,

biens, hébergement dans attente d’un logement

3.2 Enfants

1) Nombre

2) Années de naissance

4) Loisirs lors de leurs enfance, amis et lieu de résidence

3) Occupations des enfants (expériences de travail de jeunesse, carrières à l’âge adulte)

4) Lieu d’établissement au moment de la décohabitation et trajectoires résidentielles

subséquentes (lieux et raisons déménagement)

5) Provenance des conjoints des enfants

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425

Partie 4 – Champs de pratiques du quartier

4.1 Habiter

1) Premier logement après la décohabitation, puis tout autre logement : localisation de

l’endroit habité et justification de ce choix

2) Statut résidentiel : propriété/location

3) Occupants : personne seule, couple seul, famille élargie, pensionnaires, cohabitation

avec une autre famille. Raisons. Détails expérience.

4) Conditions de logement: nombre de pièces, cour arrière, commodités, salubrité, mode

de chauffage, coût, ancienneté construction

5) Mobilier : description, origines (dons, achats (localisation du commerce))

6) Rénovations effectuées durant le séjour. Subventions, personnes réalisant les

rénovations (s’il y a lieu). Perception de la rénovation dans le voisinage

7) Voisinage : profil des voisins (provenance, taille de la famille, occupations, durée du

séjour) et présence de membres de la famille à proximité

8) Voisinage : présence de rapports de voisinage, ambiance (réservés, chaleureux), nature

des rapports (entraide, sociabilités, etc.) et lieu d’expression (chez un et l’autre, à

l’extérieur du domicile, lieux de loisirs et de divertissements)

9) Appréciation des rapports de voisinage

10) Nombre d’années passées dans le logement et appréciation du lieu habité

11) Cause du déménagement (s’il y a lieu)

12) Stratégies de recherche du logement (s’il y a lieu)

13) Aire de recherche du logement et justification (s’il y a lieu)

Les points 1 à 13 sont repris pour chaque déménagement.

14) Réflexion sur la possibilité d’acquérir une propriété (pour les locataires)

15) Passage du statut de locataire à celui de propriétaire (s’il y a lieu) : raisons, aide

obtenue (financière, matérielle)

16) Profil des locataires ayant loué des logements possédés par un ou une participant(e)

(s’il y a lieu) : provenance, taille de la famille, occupations, durée du séjour

17) Trajectoires résidentielles des frères et des sœurs, des parents après décohabitation du

(de la) participant(e)

4.2 Travailler

1) Type d’emploi

2) Moyen d’obtention et âge à l’entrée

3) Localisation

4) Moyens de transport

5) Tâches effectuées

6) Conditions de travail

7) Investissement du secteur où est situé l’établissement lors des heures de repas, de pause

ou après les heures de travail

8) Promotions

9) Appréciation de l’expérience

10) Causes de la fin (démission, renvoi) et âge à la sortie

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426

11) Chômage et/ou arrêt de maladie (s’il y a lieu) : durée, stratégies utilisées afin de trouver

des revenus

Les points 1 à 11 sont répétés pour chaque changement d’emploi. Nous analysons les

trajectoires du (de la) participant(e) et/ou de son (sa) conjoint(e).

12) Travail des enfants (s’il y a lieu) : en quelle occasion, âge au premier emploi, type

d’emploi, conditions de travail, part du salaire remise aux parents

13) Travail domestique de la femme (s’il y a lieu) : tâches effectuées, travail rémunéré à

domicile, volonté de travailler à l’extérieur et justification, raisons épisodes de travail

rémunéré à l’extérieur

14) Trajectoires professionnelles des frères et sœurs

4.3 Consommer

1) Commerces et services fréquentés (alimentation, habillement, mobilier et appareils

ménagers, esthétique, produits domestiques, santé, finances, autres). Évolution des

lieux fréquentés au fil du temps.

2) Alimentation, habillement, mobilier, produits domestiques : part achetée et part faite

par le ou la participant(e) (jardin, couture, menuiserie, etc.)

3) Localisation des commerces et des services fréquentés

4) Commerces et services fréquentés à l’extérieur du quartier Saint-Sauveur : localisation,

type d’achats

5) Raisons de la fréquentation de tous les lieux cités

6) Commerces et services à proximité du logement, mais négligés : justification

7) Moyens de transport

8) Livraison

9) Fréquence des achats

10) Ventes, soldes : fréquentation ou respect des habitudes (fidélité)

11) Moment d’obtention de divers appareils (réfrigérateur, cuisinière, lessiveuse électrique,

téléphone, radio, télévision, etc.)

12) Nombre et identification des commerces et des services présents dans la (les)

paroisse(s), dans le quartier (le quartier tel que perçu par le ou la participant(e)).

13) Appréciation de l’évolution de ce réseau au fil du temps. Connaissance des raisons des

modifications.

14) Attitude et réaction en cas de fermeture de commerces ou de services fréquentés.

Impact sur attachement au lieu vécu.

15) Liens noués avec les commerçants, appréciation du service, évolution

Nous abordons les pratiques des parents des participants (période enfance et jeunesse des

participants) puis celles des participants eux-mêmes et ce, pour chaque logement qu’il ou

qu’elle a occupé.

4.4 Se divertir

1) Lieux de détente fréquentés (parcs, promenades, pique-nique, cafés, voyages, chalet,

etc.)

2) Lieux de divertissement fréquentés (cinéma, tavernes, théâtres, cabarets, spectacles de

variétés, danse, sports (vus et pratiqués), etc.)

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3) Restaurants fréquentés (type de restauration, attitude face à la cuisine étrangère)

4) Localisation des lieux de détente et de divertissements

5) Lieux fréquentés à l’extérieur du quartier : localisation, type de loisirs ou de

divertissements

6) Raisons de la fréquentation de tous les lieux cités

7) Personnes avec qui le ou la participant(e) pratique ces activités

8) Lieux de détente et de divertissements à proximité du logement, mais négligés :

justification

9) Moyens de transport

10) Fréquence et moments de la semaine, de l’année

11) Veillées familiales, visites de la parenté

12) Fêtes et événements de quartier (identification, participation ou non)

13) Implication dans la vie associative et bénévolat : raisons et durée, localisation des

activités, identité des membres, fréquence des réunions, appréciation de l’expérience

14) Appréciation des loisirs et des divertissements dans la (les) paroisse(s) de résidence et

le quartier Saint-Sauveur

15) Centre communautaire paroissial : offre et son évolution, appréciation

16) Aspect de la vie communautaire : la pratique religieuse

Nous abordons les pratiques des parents des participants (période enfance et jeunesse des

participants) puis celles des participants eux-mêmes et ce, pour chaque logement qu’il ou

qu’elle a occupé.

4.5 S’entraider

1) Réseaux d’entraide : avec qui ils sont constitués (parents, voisins, collègues, amis,

services institutionnels)

2) Types de services échangés : biens, alimentation, argent, main-d’œuvre lors de

rénovations, etc.

3) Aire des réseaux d’entraide

4) Nombre et identification des services d’entraide de la (des) paroisse(s) de résidence et

du quartier Saint-Sauveur

5) Appréciation du réseau de services d’entraide au fil du temps. Connaissance des raisons

des modifications.

6) Services d’entraide utilisés (s’il y a lieu) : raisons, type de services, aire d’action du

service, appréciation de l’aide fournie

7) Stratégies lors de la Crise des années 1930 (s’il y a lieu)

Nous abordons les pratiques des parents des participants (période enfance et jeunesse des

participants) puis celles des participants eux-mêmes et ce, pour chaque logement qu’il ou

qu’elle a occupé.

Partie 5 – Rapport identitaire à l’espace vécu et représentations

1) Attachement/indifférence/rejet face à la (aux) paroisse(s) de résidence et au quartier

Saint-Sauveur et raisons, évolution

2) Hypothèse du libre choix d’aller demeurer en dehors du secteur durant la période :

partir ou rester?

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3) Représentations sur la situation socioéconomique

4) Identités associées au statut socioéconomique

5) Représentations sur les changements vécus dans le milieu de résidence: nature,

appréciation, impacts sur les pratiques et les identités

6) Représentations sur les traits de la vie locale n’ayant pas changé et encore présents au

moment de l’entretien

7) Représentations sur les facteurs positifs et négatifs associés à la vie dans le quartier

Saint-Sauveur

8) Événements importants aux yeux de (de la) participant(e) survenus dans le secteur

durant la période

9) Représentations sur ce qui est considéré comme son quartier (De quel quartier vous

venez? Dans quel quartier avez-vous habité?)

10) De quels secteurs est composé le quartier Saint-Sauveur?

11) Représentations sur le quartier Saint-Roch et d’autres quartiers de Québec

12) Représentations sur la Basse-Ville et la Haute-Ville à Québec

13) Représentations sur la banlieue

14) Représentations sur les paroisses entourant la paroisse de résidence, sur les relations

entre paroisses, sur les similitudes et les différences

15) Appréciation de la population de la (des) paroisse(s) de résidence et du quartier Saint-

Sauveur en général

16) Grands travaux dans le quartier Saint-Sauveur durant la période

17) Réputation des paroisses du quartier Saint-Sauveur et évolution dans le temps

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Annexe 6 Biographies sommaires des membres du corpus

Participante #01

Née en 1930 dans la paroisse Saint-Malo847

, la participante est la fille d’un père ouvrier de

Leclercville et d’une mère native du même village de la région de Lotbinière. La famille

compte quatre enfants. Après sa scolarité et quelques emplois dans les quartiers Saint-

Sauveur et Saint-Roch et à Saint-Émile (périphérie nord de Québec), elle se marie avec un

ouvrier natif de Saint-Fidèle, dans la région de Charlevoix. Ils ont à leur tour quatre

enfants. Leur parcours résidentiel est ponctué de nombreuses étapes. Ils résident dans la

paroisse Saint-Malo, à Saint-Nicolas (rive sud de Québec), à Val-Saint-Michel (périphérie

nord de Québec), dans la paroisse Saint-Joseph, de nouveau dans la paroisse Saint-Malo et

enfin dans la paroisse Sacré-Cœur.

Participante #02

Née en 1922 dans la paroisse Saint-Malo, la participante est la fille d’un père laitier natif de

la paroisse Saint-Sauveur et d’une mère de Charlesbourg. Aînée d’une famille de six, elle

habite pendant quelques années chez ses grands-parents, qui demeurent dans la paroisse

Saint-Sauveur, en raison de la santé fragile de sa mère. Avant son mariage avec un homme

originaire de la paroisse Saint-Sauveur, elle occupe différents emplois comme domestique

dans le quartier Saint-Sauveur puis comme journalière dans une manufacture du quartier

Saint-Roch. Elle demeure dans la paroisse Saint-Sauveur depuis son mariage. Elle a vécu

notamment 46 ans dans un même logement. Elle a eu trois enfants.

Participant #03

Né en 1932 dans la paroisse Saint-Joseph, le participant est le fils d’un père de Limoilou

ayant occupé divers types d’emplois et d’une mère de la paroisse Saint-Joseph. Au centre

d’une fratrie de 14 membres, il travaillera pendant 32 ans dans le domaine de la chaussure

(Saint-Roch, puis parc industriel Saint-Malo). Son parcours résidentiel est essentiellement

concentré dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, bien qu’il habitera pendant deux ans en

dehors du quartier. Après avoir quitté la maison familiale au moment du mariage, il revient

y habiter et il en deviendra propriétaire. Son épouse est native de la paroisse Saint-Malo; le

couple aura trois garçons.

847

Rappelons que le quartier Saint-Sauveur fut composé des paroisses suivantes : Saint-Sauveur, Saint-Malo,

Sacré-Cœur, Notre-Dame-de-Grâce, Saint-Joseph et Notre-Dame-de-Pitié.

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Participant #04

Né en 1926 dans la paroisse Sacré-Cœur, le participant est le fils d’un père briqueleur-

maçon de l’Ancienne-Lorette et d’une mère du quartier Saint-Sauveur; la famille compte

neuf enfants. Il demeurera pour la plus grande partie de sa vie dans la paroisse Notre-

Dame-de-Grâce. Il y achète une propriété après avoir vécu plusieurs déménagements, tous

dans le quartier Saint-Sauveur. Sa trajectoire professionnelle est aussi en bonne partie

localisée dans le quartier en tant qu’employé et ébéniste dans une entreprise familiale. Son

épouse est native de la paroisse Saint-Jean-Baptiste; le couple aura cinq enfants.

Participant #05

Né en 1930 dans la paroisse Sacré-Cœur, le participant est le fils de parents de Saint-Tite-

des-Caps déménagés dans la paroisse Saint-Grégoire de Montmorency (périphérie de

Québec), puis dans la paroisse Sacré-Cœur dans les années 1920. Ils y acquièrent une

propriété. La famille compte dix enfants. Son père fut chauffeur de tramways à Québec. Le

participant déménage avec sa famille dans la municipalité de Québec-Ouest (future Ville-

Vanier) en 1943. Au moment de son mariage en 1951, il revient s’installer dans la propriété

familiale, qui n’avait pas été vendue. Il en deviendra lui-même propriétaire à la fin des

années 1950. Le participant sera pendant une bonne partie de sa carrière chauffeur

d’autobus. Son épouse est native de la paroisse Saint-Grégoire de Montmorency; le couple

aura cinq enfants.

Participante #06

Née en 1930, la participante est la fille d’un père charretier et d’une mère tout deux

originaires de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Québec ayant déménagé à Montréal pour

des motifs reliés au travail. La participante y naît. Revenue à Québec pour les mêmes

motifs, la famille, composée de neuf enfants, demeurera dans divers logements de la

paroisse Saint-Malo. Dès l’âge de 11 ans, la participante travaille dans diverses

manufactures de chaussures des quartiers Saint-Sauveur et Saint-Roch. Après son mariage

avec un natif de Québec-Ouest (future Ville-Vanier), elle s’installe dans la paroisse Saint-

Malo. Le couple aura deux enfants. Elle retournera éventuellement sur le marché du travail

afin d’équilibrer le budget familial.

Participant #07

Né en 1943 dans la paroisse Saint-Sauveur, le participant est le fils d’un père menuisier

également natif de cette paroisse et d’une mère de Saint-Octave-de-Métis dans le Bas-

Saint-Laurent. Il aura deux frères et une sœur. Enseignant de formation, il passera une

partie de sa carrière dans le quartier Saint-Sauveur. Il aura deux filles avec son épouse

originaire de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié. Il demeurera dans la maison familiale

pendant toute sa vie; il en deviendra éventuellement propriétaire.

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Participant #08

Né en 1943 dans la paroisse Saint-Joseph, le participant est le fils d’un père contremaître

dans une manufacture et natif de la paroisse Saint-Roch et d’une mère de Montréal.

Sixième de sept enfants, il demeurera avec sa famille dans la paroisse Saint-Joseph. Il

quitte la paroisse quelques années au moment de son mariage, puis y revient

définitivement. Il y acquiert une propriété dans laquelle il habitait encore au moment de

l’entretien. Il occupera différents postes à la caisse populaire locale. Son épouse est

originaire de la paroisse Saint-Jean-Baptiste, dans le quartier du même nom; le couple aura

deux enfants.

Participant #09

Né en 1950 dans la paroisse Saint-Sauveur, le participant, le plus jeune du corpus, est le fils

de deux natifs de cette même paroisse. Son père, spécialiste de l’assemblage de sommiers,

travailla tout d’abord dans la paroisse Notre-Dame-de-Pitié. Le participant eut un frère et

une sœur. En 1965, la famille déménage de la rue Saint-Vallier au boulevard Charest, au

moment où le père achète un immeuble afin d’ouvrir une tabagie et ainsi changer de métier.

Au moment de son mariage avec une native de la paroisse Notre-Dame-de-la-Paix (quartier

Saint-Roch) en 1976, le participant achète un immeuble sur la rue Lafayette dans la

paroisse Saint-Malo; le couple y demeure pendant une vingtaine d’années en ayant deux

enfants. Il prendra éventuellement les rênes de l’entreprise familiale qu’il dirigeait encore

au moment de l’entretien.

Participante #10

Née en 1921 dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste du quartier du même nom, la participante

est la fille d’un père peintre en bâtiment de Cap-Rouge et d’une mère de l’Ancienne-

Lorette. Elle aura huit frères et sœurs. Elle entre en religion à la mort de ses parents. Elle

quitte le voile quelques années plus tard et est embauchée à l’Hôpital général de Québec;

elle y travaillera pendant 24 ans. À partir de son retour à la vie civile en 1960 et durant la

période étudiée, elle occupera deux logements dans les paroisses Notre-Dame-de-Jacques-

Cartier (quartier Saint-Roch) et Saint-Sauveur. Un seul de ses frères demeurera, comme

elle, dans le quartier Saint-Sauveur. Elle est demeurée célibataire.

Participante #12848

Née en 1917 dans la paroisse Saint-Sauveur, la participante, la plus âgée du corpus, est la

fille d’un père menuisier à la compagnie des chemins de fer Canadien National et d’une

848

Les numéros manquants (11 et 14) sont ceux d’entretiens n’ayant finalement pas été retenus. Un entretien

fut laissé de côté avant même d’être numéroté, expliquant pourquoi cette liste va jusqu’à 32.

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mère ayant été institutrice. Tous les deux sont natifs de Lyster, village au sud-ouest de

Québec. Elle doit cesser d’aller à l’école pour venir en aide à sa mère dans la maison

familiale. Cadette de sept enfants, elle demeurera avec sa famille dans les paroisses Saint-

Sauveur, Saint-Joseph et Notre-Dame-de-Grâce. Au moment de son mariage avec un

garagiste natif de Lévis, elle demeurera dans la maison paternelle de Notre-Dame-de-

Grâce. Elle en deviendra éventuellement propriétaire. Le couple aura cinq enfants.

Participant #13

Né en 1936 dans la paroisse Saint-Malo, le participant est le fils de deux natifs de cette

même paroisse. Son père fut ouvrier à l’Arsenal. Le participant aura 11 frères et sœurs. Au

moment de son mariage en 1962 avec une native du Vieux-Québec, il s’établit au premier

étage de la maison familiale. Il passera éventuellement 11 ans en dehors du quartier avant

de revenir s’y établir en tant que propriétaire, plus précisément dans la paroisse Sacré-

Cœur. Il travaillera comme ouvrier dans le domaine de la construction. Le couple aura un

fils.

Participante #15

Née en 1930 à Manche-d’Épée en Gaspésie, la participante est la cadette d’une famille de

huit enfants. Elle se marie dans son village natal en 1948. Son mari meurt après la

naissance de ses trois enfants. Devenue veuve, elle sera placée en 1955 dans un hôpital de

Québec pour des raisons de santé, puis transférée dans un autre établissement dans lequel

elle demeurera quelque temps avant de recouvrer la santé en 1960. Elle habitera à partir de

ce moment à Québec avec ses trois enfants, venus la rejoindre après avoir été pris en charge

par sa famille en Gaspésie, tout en étant à l’emploi de l’Hôpital général. Elle occupera cinq

logements dans les quartiers Saint-Sauveur (paroisses Saint-Sauveur, Sacré-Cœur et Saint-

Malo) et Saint-Roch (paroisses Notre-Dame-de-Jacques-Cartier et Saint-Roch) durant la

période étudiée.

Participante #16

Née en 1922 dans la paroisse Notre-Dame-de-Jacques-Cartier (quartier Saint-Roch), la

participante est la fille d’une mère de cette même paroisse et d’un père électricien de la

paroisse Saint-Roch. Cinquième enfant d’une famille de 13 frères et sœurs, elle aura une

scolarité tardive Ŕ elle commence l’école à 12 ans Ŕ en raison d’un séjour de cinq ans à

l’hôpital. Demeurée célibataire, elle assistera sa mère jusqu’au départ des derniers enfants

puis continuera d’habiter avec eux tout en intégrant le marché du travail en tant que

couturière dans des magasins à rayons du quartier Saint-Roch. Au décès de ses parents, la

participante quittera le logement de la paroisse Saint-Malo qu’ils occupaient depuis 34 ans

et habitera successivement dans les paroisses Saint-Joseph et Saint-Sauveur.

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433

Participante #17

Née en 1923 dans la paroisse Sacré-Cœur, la participante est la fille d’une mère de la même

paroisse et d’un père de la région d’Asbestos. Ce dernier fut chef d’équipe comme

débardeur au Port de Québec. Elle n’aura qu’un seul frère, qui ira s’installer durablement à

Baie-Comeau. Elle demeurera pendant toute sa vie dans la paroisse Sacré-Cœur, tout

d’abord pour quelques années dans un logement, puis dans une maison léguée à sa mère par

sa grand-mère. Elle résidait encore dans la maison familiale au moment de l’entretien. Elle

y a cohabité avec ses parents et en est devenue propriétaire. Elle se mariera avec un homme

natif de Sainte-Agathe de Lotbinière travaillant dans le domaine de la plomberie-chauffage.

Le couple aura deux filles.

Participante #18

Née en 1949 dans la paroisse Saint-Sauveur, la participante est le cinquième enfant d’une

famille de sept. Elle aura six frères. Son père, natif de Montréal et facteur de métier, et sa

mère, native du quartier Champlain à Québec, s’installent sur la rue Saint-Vallier dans la

paroisse Saint-Sauveur dans les années 1940. Ils y demeureront plus de 30 ans, puis

occuperont trois autres logements au cours de leur vie, tous dans cette même paroisse.

Après des études collégiales, la participante quitte la ville de Québec pour Vancouver en

1969, puis s’établit à Toronto; elle s’y marie avec un natif de Vancouver et ne reviendra pas

au Québec. Le couple aura un fils.

Participante #19

Née en 1925 à Saint-Gilbert-de-Portneuf, la participante eut huit frères et sœurs.

S’installant en 1942 à Québec avec sa sœur, elle occupera divers emplois avant son mariage

en 1949. Son mari, natif de la paroisse Saint-Malo, est mécanicien de machines fixes. Ils

demeureront pendant 47 ans dans un immeuble à logements de la paroisse Saint-Malo, le

même dans lequel le mari avait grandi. Ils vivront dans la municipalité de Les Saules

pendant quelques mois, puis reviendront dans l’immeuble initial de Saint-Malo. Le couple

aura trois enfants, dont deux s’installeront dans le quartier à l’âge adulte.

Participante #20

Née en 1949 dans le quartier Limoilou, la participante est la fille de parents natifs du bas du

fleuve s’étant rencontrés à Québec. Sa famille quitte Québec quelques mois après sa

naissance pour Sainte-Rita, dans le Bas-Saint-Laurent. Elle n’y reviendra que lorsqu’elle

aura 16 ans. La famille s’installe alors dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce comme

locataire. Elle s’établit quelques années dans la paroisse Saint-Pascal (quartier Limoilou) en

raison d’un projet de rénovation résidentielle initié par la Ville de Québec, puis elle revient

à Notre-Dame-de-Grâce par la suite. La participante a quitté le domicile familial en 1985;

elle s’installe alors dans la paroisse Saint-Joseph. Elle travaillera pendant toute sa carrière à

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l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur-de-Jésus, situé dans le quartier Saint-Sauveur, en tant que

technicienne de laboratoire. Elle est restée célibataire.

Participant #21

Né en 1941 à Sainte-Thècle en Mauricie, le participant est au centre d’une fratrie

comprenant deux sœurs et deux frères. Il quitte son village pour ses études et demeurera à

divers endroits au Québec, en Ontario et en Europe. Il s’établit dans le quartier Saint-

Sauveur en 1968 pour des motifs professionnels. Il demeurera à trois endroits situés dans

les paroisses Saint-Sauveur et Sacré-Cœur; sa dernière étape résidentielle est marquée par

l’accession à la propriété. Il se marie en 1978 avec une native de Courville. Le couple aura

deux filles.

Participant #22

Né en 1946 dans la paroisse Saint-Sauveur, le participant est le fils d’un technicien de

laboratoire gouvernemental originaire de la même paroisse et d’une mère native de Saint-

Grégoire-de-Montmorency. Avec son frère et ses parents, ils occuperont deux logements

dans la paroisse Saint-Sauveur. Au moment du mariage, le participant quitte le quartier

pour se rapprocher de son lieu de travail; il n’y reviendra pas. Il travaillera toute sa carrière

dans le monde de l’enseignement. Sa conjointe est née dans la paroisse Saint-Malo; le

couple aura deux filles.

Participante #23

Née en 1935 dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, la participante est la fille d’une mère

originaire de la paroisse Notre-Dame-de-Jacques-Cartier (quartier Saint-Roch) et d’un père

de la vallée de la Matapédia. Après un court séjour dans le quartier Limoilou, sa famille

s’installe sur la rue Morin (paroisse Saint-Sauveur), puis déménagera éventuellement à

Sainte-Foy. Au moment de son mariage en 1959 avec un natif de la paroisse Saint-Malo,

elle revient vivre dans le quartier Saint-Sauveur. Son mari travaille dans le domaine de la

plomberie-chauffage, Le couple s’établira tout d’abord dans la paroisse Sacré-Cœur, puis

déménagera à Saint-Malo, où ils y acquerront un immeuble à logements dans lequel ils

habiteront. Le couple aura quatre enfants.

Participant #24

Né en 1931 dans la paroisse Saint-Sauveur, le participant est le fils d’une mère originaire

de la vallée de la Matapédia et d’un père plombier-électricien de Lévis s’étant établis à

Québec peu avant sa naissance. Ils déménageront dans la paroisse Notre-Dame-de-Jacques-

Cartier (quartier Saint-Roch), puis à Saint-Étienne-de-Lauzon en raison du travail du père.

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Le participant, après avoir occupé divers emplois de jeunesse, devient chauffeur d’autobus

en 1952; il le demeurera pendant 42 ans. Après son mariage en 1958, il s’établira dans la

paroisse Saint-Malo avec son épouse, qui est originaire de la partie de cette paroisse qui

devient en 1945 Notre-Dame-de-Pitié. Ils y occuperont successivement deux logements. Il

achète en 1971 l’immeuble dans lequel vécut son épouse lors de sa jeunesse et ils s’y

établissent. Ils y demeurent encore au moment de l’entretien. Le couple aura deux garçons.

Participante #25

Née en 1940 dans la paroisse Saint-Sauveur, la participante est la fille d’un père machiniste

originaire de la même paroisse et d’une mère native de la paroisse Saint-Malo. Sa famille

s’établit dans la paroisse Sacré-Cœur en 1958 lorsque le père reçoit en héritage une

propriété d’une tante. Au moment de son mariage en 1970, avec un natif de la paroisse

Saint-Vincent-de-Paul (quartier Saint-Jean-Baptiste), elle s’établit dans le logement situé au

premier étage de la maison familiale. Elle en deviendra éventuellement propriétaire après

1980 et y demeurait encore au moment de l’entretien. Elle travaillera pendant 38 ans dans

la fonction publique québécoise. Le couple n’aura pas d’enfants.

Participante #26

Née en 1923 dans la paroisse Saint-Sauveur, la participante est la fille d’un père travaillant

dans le domaine de la livraison, originaire de l’Île d’Orléans, et d’une mère de Saint-Roch.

Sixième d’une famille de 11 enfants, elle se mariera en 1947 avec un homme natif de sa

paroisse, Saint-Sauveur; un entrepreneur dans le domaine de la construction. Elle

demeurera toute sa vie durant dans le nord de la paroisse Saint-Sauveur, hormis un court

épisode dans un autre secteur de la paroisse. Le couple acquiert éventuellement un

immeuble résidentiel; il aura deux enfants. La participante occupera pour sa part divers

emplois après son mariage.

Participante #27

Née en 1923 dans la paroisse Saint-Malo, la participante est la fille d’un père débardeur de

la paroisse Sacré-Cœur et d’une mère du quartier Saint-Sauveur (paroisse inconnue). Ses

parents auront trois enfants. La participante se mariera avec un pompier natif de sa paroisse

d’origine et avec qui elle aura également trois enfants. Hormis un court séjour à Verdun

(région de Montréal) et dans la paroisse Saint-Joseph, la participante passera toute sa vie

dans la même paroisse, Saint-Malo, y occupant cinq logements, toujours à titre de locataire.

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Participante #28

Née en 1925 dans la paroisse Saint-Joseph, la participante est la fille d’un père entrepreneur

en plomberie-chauffage-électricité originaire du secteur Les Saules et d’une mère de

Loretteville. Elle aura quatre frères et sœurs. Jeune, elle déménage avec sa famille dans la

paroisse Saint-Sauveur. Elle s’y établira au moment de son mariage avec un comptable

originaire de la Beauce et y demeurera pendant la majeure partie de sa vie. Outre leur

résidence qu’ils achètent, le couple acquerra différentes propriétés dans les autres paroisses

du quartier, dans lesquelles ils n’habiteront pas. Il aura une fille.

Participant #29

Né en 1940 à l’Ancienne-Lorette (périphérie de Québec), le participant est le fils d’un père

cordonnier de Québec et d’une mère de l’Ancienne-Lorette ayant travaillé dans les usines

de guerre de Valcartier durant la Seconde Guerre mondiale. Enseignant dans diverses

écoles des quartiers Saint-Sauveur et Limoilou, il demeurera dans une seule maison de la

paroisse Notre-Dame-de-Grâce, la maison paternelle dont il devient propriétaire, à la

frontière de la paroisse Saint-Joseph. Deuxième d’une famille de cinq, il ne se mariera pas

et n’aura pas d’enfants.

Participante #30

Née en 1932 à Price (Bas-Saint-Laurent), la participante est la fille d’un maréchal-ferrant et

d’une mère du même village. Sa famille déménage à Québec en 1942 pour des motifs

professionnels; la famille demeure alors dans la paroisse Saint-Roch en tant que locataire.

La participante épousera en 1954 un natif de Price ayant lui aussi déménagé à Québec; ils

s’installeront de manière permanente dans la maison familiale du mari, située dans la

paroisse Notre-Dame-de-Pitié. Elle demeurait encore dans cette maison au moment de

l’entretien. Le couple aura deux enfants.

Participant #31

Né en 1929 à Saint-Isidore de Dorchester (Chaudière-Appalaches), le participant est le fils

d’un cultivateur du même village. Il déménagera à Québec pour apprendre son métier de

menuisier et travailler en compagnie de son frère. Il sera tout d’abord pensionnaire dans

une maison de chambre de la paroisse Saint-Roch puis demeurera chez sa sœur dans la

paroisse Saint-Malo. Il se mariera en 1955 et s’installera avec son épouse native du même

village que lui dans un logement de la paroisse Notre-Dame-de-Pitié. Il y acquiert une

maison l’année suivante. Il y demeurait encore au moment de l’entretien. Le couple aura

trois garçons.

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Participante #32

Née en 1929 dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, la participante est la fille d’un chef

d’équipe comme débardeur au Port de Québec pendant l’été et bûcheron pendant l’hiver

natif de Saint-Roch et d’une mère de Montréal. À partir de 15 ans, elle travaille dans une

manufacture de la paroisse Notre-Dame-de-Jacques-Cartier. Huitième de dix enfants, elle

se marie en 1954 avec un laitier du quartier Limoilou. Elle n’aura demeuré que dans une

seule maison du quartier Saint-Sauveur, propriété de son père. Le couple s’installe en

location à Giffard, d’où il ne déménagera pas. Son mari sera tour à tour laitier, garagiste,

entrepreneur et contremaître pour un service public. Le couple aura cinq enfants.