Vitamine D : faut-il revoir les besoins et apports recommandés ?

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Cah. Nutr. Diét., 43, 5, 2008 229 santé publique santé publique VITAMINE D : FAUT-IL REVOIR LES BESOINS ET APPORTS RECOMMANDÉS ?* Michèle GARABÉDIAN La vitamine D est connue depuis près d’un siècle pour son action antirachi- tique. C’est sur cette base qu’ont été définis les besoins et apports recomman- dés, tels que proposés jusqu’à maintenant, afin de prévenir la survenue d’un défaut de minéralisation osseuse aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte. Cependant, les découvertes des vingt dernières années montrent que les besoins en vitamine D varient avec l’âge et que cette vitamine a bien d’autres fonctions. En particulier ses actions sur la différenciation cellulaire et les cellules du système immunitaire suggèrent qu’elle pourrait jouer un rôle protecteur contre la survenue de maladies auto-immunes et de cancers. Ainsi, un certain niveau de résistance à la vitamine D a été récemment mis en évidence chez les personnes âgées, d’où le consensus actuel sur la nécessité d’apports conseillés plus élevés chez ces personnes, comme cela est depuis long- temps admis chez la femme enceinte, le nouveau-né et le nourrisson. Par ailleurs, les effets non osseux de cette vitamine semblent nécessiter un niveau de réserves en vitamine D supérieur à celui requis pour ses effets sur l’homéostasie calcique et la minéralisation du squelette. Ces observations et hypothèses sont à l’origine des discussions actuelles sur le meilleur statut en vitamine D et, partant, sur les apports à conseiller aux différents âges de la vie. Dans cette revue est proposée une réévaluation des besoins et apports conseillés en vitamine D à la lumière des connaissances et discussions les plus récentes sur le sujet. Sur quelles bases estimer le statut en vitamine D : apports ou concentrations circulantes de sa forme de réserve ? Sur les apports alimentaires ? Contrairement aux autres vitamines, les réserves en vita- mine D ont une double origine, alimentaire et endogène. Elles ne peuvent donc pas être simplement déduites des apports alimentaires. La vitamine D3 est en effet produite par les cellules des couches profondes de l’épiderme sous l’action d’un rayonnement ultraviolet de longueur d’ondes 290-315 nm qui photolyse le 7-déhydrocholestérol en pré-vitamine D [1]. Cette production est quantitativement importante [2], mais dépend de l’intensité du rayonne- ment UV et de sa durée, et donc de la latitude [3, 4]. Une exposition quotidienne de 30 % de la surface cutanée pendant au moins 15 minutes assure une production de vitamine D suffisante pour répondre aux besoins lorsque l’intensité du rayonnement ultraviolet est supérieure à 18 mJ/cm 2 . Mais, cette intensité n’est atteinte qu’entre les mois de juin et d’octobre aux latitudes de 40°-50° nord ou sud, en France par exemple [5], d’où une fluctuation saisonnière importante des réserves en vitamine D sous ces latitudes [6]. Cette production est de plus réduite en Inserm U561, Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, 82, avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris Correspondance : Michèle Garabédian, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected] * Conférence IFN (janvier 2008).

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VITAMINE D : FAUT-IL REVOIR LES BESOINS ET APPORTS RECOMMANDÉS ?*

Michèle GARABÉDIAN

La vitamine D est connue depuis près d’un siècle pour son action antirachi-tique. C’est sur cette base qu’ont été définis les besoins et apports recomman-dés, tels que proposés jusqu’à maintenant, afin de prévenir la survenue d’undéfaut de minéralisation osseuse aussi bien chez l’enfant que chez l’adulte.Cependant, les découvertes des vingt dernières années montrent que lesbesoins en vitamine D varient avec l’âge et que cette vitamine a bien d’autresfonctions. En particulier ses actions sur la différenciation cellulaire et lescellules du système immunitaire suggèrent qu’elle pourrait jouer un rôleprotecteur contre la survenue de maladies auto-immunes et de cancers.Ainsi, un certain niveau de résistance à la vitamine D a été récemment mis enévidence chez les personnes âgées, d’où le consensus actuel sur la nécessitéd’apports conseillés plus élevés chez ces personnes, comme cela est depuis long-temps admis chez la femme enceinte, le nouveau-né et le nourrisson. Parailleurs, les effets non osseux de cette vitamine semblent nécessiter un niveau deréserves en vitamine D supérieur à celui requis pour ses effets sur l’homéostasiecalcique et la minéralisation du squelette. Ces observations et hypothèses sont àl’origine des discussions actuelles sur le meilleur statut en vitamine D et, partant,sur les apports à conseiller aux différents âges de la vie. Dans cette revue estproposée une réévaluation des besoins et apports conseillés en vitamine D à lalumière des connaissances et discussions les plus récentes sur le sujet.

Sur quelles bases estimer le statut en vitamine D : apports ou concentrations circulantes de sa forme de réserve ?

Sur les apports alimentaires ?

Contrairement aux autres vitamines, les réserves en vita-mine D ont une double origine, alimentaire et endogène.Elles ne peuvent donc pas être simplement déduites des

apports alimentaires. La vitamine D3 est en effet produitepar les cellules des couches profondes de l’épiderme sousl’action d’un rayonnement ultraviolet de longueur d’ondes290-315 nm qui photolyse le 7-déhydrocholestérol enpré-vitamine D [1]. Cette production est quantitativementimportante [2], mais dépend de l’intensité du rayonne-ment UV et de sa durée, et donc de la latitude [3, 4]. Uneexposition quotidienne de 30 % de la surface cutanéependant au moins 15 minutes assure une production devitamine D suffisante pour répondre aux besoins lorsquel’intensité du rayonnement ultraviolet est supérieure à18 mJ/cm2. Mais, cette intensité n’est atteinte qu’entreles mois de juin et d’octobre aux latitudes de 40°-50° nordou sud, en France par exemple [5], d’où une fluctuationsaisonnière importante des réserves en vitamine D sousces latitudes [6]. Cette production est de plus réduite en

Inserm U561, Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, 82, avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris

Correspondance : Michèle Garabédian, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected]

* Conférence IFN (janvier 2008).

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cas de pollution atmosphérique ou de nébulosité impor-tante, conditions qui diminuent l’accès des sujets au rayon-nement UV. Elle est également faible lorsque le sujet nes’expose pas au rayonnement solaire pour des raisons cli-matiques, socioéconomiques ou culturelles [3, 4, 6]. Elledépend enfin de la surface et de l’épaisseur de l’épidermeexposé, de la couleur de la peau et de l’âge du sujet, étantplus faible de 30 % chez les sujets à peau très pigmentéeet les sujets âgés, par rapport aux adultes jeunes [3, 4].En dépit de ces limitations, la couverture des besoins envitamine D est majoritairement assurée par sa productioncutanée chez les sujets résidant entre l’équateur et les 60degrés de latitude et ayant des activités leur permettantd’être exposés au rayonnement solaire. Ceci a été établi,même pour les sujets recevant une alimentation enrichieen vitamine D, par exemple les sujets nord-américains [6,7]. Ainsi, l’état des réserves en vitamine D ne peut enaucun cas être estimé à partir des apports alimentaires.

Sur les concentrations circulantes de 25-(OH)D ?

Les réserves en vitamine D sont peu accessibles car loca-lisées principalement dans le tissu adipeux, le foie et lemuscle [4]. Le statut en vitamine D est donc apprécié,depuis plus de 30 ans et de façon consensuelle, à partirdes concentrations circulantes de 25-hydroxyvitamine D(25-(OH)D), forme de réserve de la vitamine D. En effet,la vitamine D, absorbée dans l’intestin ou produite dans lapeau, est rapidement transformée dans le foie en 25-(OH)D, puis en sa « forme active » la 1,25-dihroxyvita-mine D, principalement dans le rein [4]. Les niveaux cir-culants de vitamine D et de 1,25-(OH)2D ne peuventtémoigner des réserves, la première étant rapidementtransformée en 25-(OH)D même en cas de prise massivede vitamine D, la seconde ayant une production soumiseà un contrôle étroit en fonction des besoins en calcium etphosphates de l’organisme et une courte demi-vie dans lesang, quelques heures. Les mesures des concentrationscirculantes en 25-(OH)D offrent ainsi le meilleur marqueurbiologique du statut en vitamine D et permettent d’affir-mer l’existence d’une carence ou d’une surcharge en vita-mine D. La longue durée de vie de la 25-(OH)D dans lesang permet également de détecter une prise de vita-mine D jusqu’à plusieurs semaines après cette prise [4, 8].

Sur les niveaux « souhaitables » de 25-(OH)D ?

Les concentrations de 25-(OH)D dépendent de l’apportalimentaire de vitamine D et de l’exposition solaire, maissont peu influencées par l’âge [2, 6, 7]. Jusqu’à ces der-nières années les valeurs circulantes de 25-hydroxyvita-mine D, et donc les réserves en vitamine D, étaient jugées« satisfaisantes » si elles se situaient dans la zone trouvéedans une population adulte en bonne santé (moyenne ± 1ou 2 déviations standard). L’exposition solaire influençantles réserves en vitamine D, les valeurs « normales » de 25-hydroxyvitamine D différaient selon que le prélèvement desang avait été fait en été-automne ou en hiver-printempset différaient selon les pays, en fonction de leur positiongéographique et de leurs politiques d’enrichissement ounon des aliments en vitamine D.La mise en place de prophylaxies adaptées ayant contri-bué à réduire drastiquement la fréquence des situations decarence avérée en vitamine D dans les pays occidentaux,à l’exception des personnes âgées, les études cliniques sesont concentrées sur les effets à long terme de déficits plus

modérés. De ce fait, le concept de « valeurs normales » de25-(OH)D a été progressivement remplacé par ceux de« valeurs souhaitables », et de « seuils » en dessous des-quels des conséquences pathologiques peuvent survenir àmoyen ou long terme chez des individus apparemment enbonne santé. Il a fallu dès lors définir quels effets de lavitamine D allaient être pris en compte pour la définitiond’un tel seuil.

Valeurs souhaitables de 25-(OH)D et métabolisme phosphocalcique et osseuxLes multiples dosages de 25-hydroxyvitamine D effectuéschez des nouveau-nés, nourrissons et enfants présentantdes signes cliniques de rachitisme carentiel (déformationssquelettiques et/ou signes neurologiques résultant d’unehypocalcémie) montrent l’association de ces signes avecdes valeurs de 25-hydroxyvitamine D inférieures à 10-12 ng/mL, soit 25-30 nmol/L [4, 5].De telles études n’ont pas pu être menées chez l’adulte,l’hypocalcémie et les altérations osseuses liées à unecarence en vitamine D étant exceptionnellement obser-vées dans cette tranche d’âge.En revanche, une fraction non négligeable de personnesâgées, le plus souvent en institution, présente des signesradiologiques et biologiques d’ostéomalacie carentielle.Dans ces populations, comme chez l’enfant, les formesavérées de carence sont observées avec des valeurs de 25-hydroxyvitamine D inférieures à 10-12 ng/mL, soit 25-30 nmol/L [9]. Afin de dépister et de prévenir non seule-ment les carences avérées en vitamine D mais aussi lesconséquences osseuses à long terme de déficits plusmodérés, certains auteurs ont proposé d’ajouter un seuil« d’insuffisance » en vitamine D au seuil de « carence »défini plus haut et ont proposé que les « valeurs souhaita-bles » de 25-(OH)D soient supérieures à ce seuil d’insuffi-sance. Les concentrations circulantes en hormoneparathyroïdienne (PTH) étant négativement contrôléespar la vitamine D, ces auteurs ont proposé de définir leseuil d’insuffisance en vitamine D comme étant le niveaude 25-(OH)D au-dessus duquel les valeurs de PTH circu-lantes ne baissent plus [9-11]. Cette approche a conduit àdes seuils d’insuffisance de 25-(OH)D de 20-32 ng/mL,soit 50-80 nmol/L, ou même plus élevés (32-40 ng/mL,soit 80-100 nmol/L). Mais elle ne tient pas compte desautres facteurs influençant la PTH, en premier lieu l’insuf-fisance rénale souvent observée chez les personnes âgées[9]. D’autres auteurs, enfin, ont proposé de définir le seuild’insuffisance à partir de critères plus pragmatiques telsque risque de fractures ou d’hypominéralisation osseuse.Des valeurs souhaitables au-dessus de 20-32 ng/mL (50à 80 nmol/L) sont ainsi actuellement admises, sur la basedes nombreuses études d’association suggérant un risquede fracture et d’aggravation de la perte osseuse pour desvaleurs de 25-hydroxyvitamine D inférieures chez les fem-mes de plus de 55 ans et les hommes de plus de 65 ans[9-11].

Valeurs souhaitables de 25-(OH)D, système immunitaire et différenciation cellulaireLa mise en évidence d’effets de la vitamine D sur le sys-tème immunitaire et la différenciation cellulaire suggèreque cette vitamine peut jouer un rôle préventif non négli-geable dans la survenue d’affections cancéreuses et demaladies auto-immunes. En effet, la 1,25-(OH)2D3 et cer-tains de ses analogues exercent de nombreux effets anti-

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prolifératifs in vitro qui se traduisent in vivo chez l’animalpar un prolongement d’environ 30 % de la durée de sur-vie et d’un triplement du taux de cette survie chez les sou-ris ayant une leucémie myéloïde. Ils diminuent de mêmede 20 à 90 % le volume des tumeurs du sein, du côlon,de mélanomes et d’ostéosarcomes, et d’environ 50 % leurfréquence de survenue, chez les rongeurs [4, 12-14].Par ailleurs, la 1,25-(OH)2D3 joue un rôle immunomodu-lateur complexe [4, 13]. Il active d’une part les systèmesnon spécifiques de défense immunitaire, en favorisant ladifférenciation et les activités cytotoxiques des monocytes-macrophages. Il inhibe, d’autre part, les systèmes dedéfense immunitaire antigènes-spécifiques, en diminuantla fonction de présentation des antigènes des monocytes,en modulant la prolifération et les activités des lymphocy-tes T et B, et en favorisant le maintien ou la restaurationde la fonction immunosuppressive des lymphocytes. Cesactions permettent d’expliquer chez l’animal les effets pré-ventifs de la 1,25-(OH)2D3 sur le développement desmaladies auto-immunes, telles que diabète de type I,lupus, encéphalite allergique, et glomérulonéphrite expé-rimentale, ou sur le rejet d’hétérogreffes de peau, decœur, d’ilots de Langerhans, par exemple.La 1,25-(OH)2D3 responsable de ces actions provientthéoriquement de la circulation générale, mais les monocy-tes/macrophages, les lymphocytes T et certaines cellulescancéreuses expriment une activité 25-hydroxyvitamine D-1-hydroxylase [11, 12, 15]. La 1,25-(OH)2D3 agissant surles cellules immunitaires et tumorales peut donc être d’ori-gine locale, au sein d’un système « autocrine/paracrine », etindépendante de la 1,25-(OH)2D3 produite dans les reins,au sein du système « endocrine » mis en jeu pour contrôlerl’homéostasie phosphocalcique. Les concentrations activesde 1,25-(OH)2D3 dans ces deux systèmes étant différentes,ainsi que les mécanismes de contrôle de leurs productions,il est concevable que des niveaux différents de substrat (25-(OH)D3) soient requis pour qu’un effet optimal puisse êtreatteint dans chacun des systèmes, « autocrine/paracrine »et « endocrine », d’où les d’études cliniques d’associationvisant à estimer ces niveaux.Quelques études d’association suggèrent un lien entreniveaux de 25-hydroxyvitamine D, apports de vitamine Det risque moindre de développer une maladie auto-immune, telle que sclérose multiple, arthrite rhumatoïde,diabète auto-immun [4, 13, 16]. Par ailleurs, plusieursenquêtes épidémiologiques ont analysé les associationspossibles entre niveaux circulants de 25-(OH)D et risquede développer un cancer [17-21]. Bien que les résultatssoient loin d’être concordants, la possibilité d’une associa-tion entre statut vitaminique D et cancer du sein ou decancer colorectal ne peut être écartée [17, 22]. Cepen-

dant, le seuil de 25-(OH)D au-delà duquel le risque de can-cer diminue varie d’une étude à l’autre : – 32 ng/mL, soit80 nmol/L pour le risque de survenue de cancer, quelqu’en soit le type [20] ; – 23 ng/mL, soit 58,4 nmol/L[21], ou 32 ng/mL, soit 80 nmol/L [19] pour le risque decancer colorectal ; – 52 ng/mL, soit 130 nmol/L, pour lerisque de cancer du sein [18]. Il est à noter que ces esti-mations sont tirées de résultats d’études d’intervention, leplus souvent chez des femmes ménopausées, dont l’objec-tif principal était d’étudier l’impact de cet apport sur lerisque de fracture. L’apport combiné de calcium et vita-mine D étant associé à une diminution du risque de cancerdans ces études, les seuils proposés sont ceux trouvésdans les bras des cohortes ayant régulièrement reçu le trai-tement. Or, les niveaux de base de 25-(OH)D et lesapports de vitamine D diffèrent d’une étude à l’autre, cequi peut expliquer les différents seuils proposés. Parailleurs, les réductions significatives de risque de cancersont les plus souvent observées entre les sujets ayant des25-(OH)D élevés (quartiles ou quintiles supérieurs) et ceuxayant les 25-(OH)D les plus bas (inférieurs ou égal à13 ng/mL [18, 19]. Ainsi, les études d’associationpubliées à ce jour ne permettent pas de savoir si un statutvitaminique D situé entre le seuil de carence et les seuilsd’insuffisance proposés augmente réellement le risque decancer. Par ailleurs, ces études ne permettent pas desavoir si un statut vitaminique D « insuffisant » augmentele risque de cancer ou témoigne seulement d’un mauvaisétat général des personnes à risque de cancer.

Au total (tableau I)Il n’existe pas à l’heure actuelle de consensus sur les seuilsde 25-(OH)D en deçà desquels il y a risque de développerdes conséquences cliniques d’une carence en vitamineD. Par ailleurs, ce seuil semble différent selon l’âge. Sur leplan pratique, il peut être utile de distinguer :– un seuil de « carence » en dessous duquel le risque deconséquences pathologiques à court terme est significatifet implique un traitement de cette carence ;– et un seuil de « statut vitaminique D insuffisant » en des-sous duquel le risque de développer des conséquences àlong terme est suggéré et peut impliquer un apport pré-ventif de vitamine D.Si le « seuil de carence » est admis par la majorité desauteurs (10-12 ng/mL, soit 25-30 nmol/L), le « seuild’insuffisance » varie suivant les auteurs, de 20 à 52 ng/mL,soit 50 à 130 nmol/L. Rappelons que ce seuil est basésur des résultats d’études d’associations entre le niveau de25-(OH)D et, selon les études, le risque de fractures etd’aggravation de la perte osseuse chez les femmes de plusde 55 ans et les hommes de plus de 65 ans, le risque de

Tableau I.Seuil minimal souhaitable de 25-hydroxyvitamine D sérique (ng/mL*).

Effet recherchéFemme enceinte

nourrissonEnfant

AdultePersonnes

âgéesadolescent

Métabolisme calcique et minéralisation osseuse

10-12 10-12 10-12 10-12 20-32

Effet immunosuppresseur ? 25-30 ? ? ?Effet « anticancéreux » ? ? ? 20 (?) 20- 52 (?)

* 10 ng/mL = 25 nmol/L

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cancer (sein, côlon, principalement), le risque de maladieauto-immune (diabète principalement) ou le risque depathologies cardiovasculaires [4, 9-11, 17].À l’heure actuelle, il semble raisonnable de maintenir unniveau de 25-(OH)D au-dessus du « seuil de carence », 10-12 ng/mL, soit 25-30 nmol/L, à tous les âges de la vie.Il semble également raisonnable de maintenir ce niveauau-dessus de 20-32 ng/mL, 50-80 nmol/L, à deux pério-des de la vie :– chez les personnes âgées, en raison du risque avéré defractures en dessous de ce seuil ;– chez les nourrissons, ce qui est déjà le cas en France dufait de la supplémentation systématique, en raison du ris-que possible de développer un diabète de type 1 [16].

Sur quelles bases estimer les besoinset apports conseillés en vitamine D

Les besoins en vitamine D ont été depuis longtemps esti-més à partir des quantités de vitamine D nécessaires pourcorriger les signes cliniques, biologiques et radiologiquesd’une carence en vitamine D [4, 5]. Sur cette base, unbesoin moyen de 10-15 microgrammes/jour a été pro-posé pour un sujet mis en condition de non productionendogène, c’est-à-dire non exposé à la lumière solaireaux heures (10 heures-15 heures) et pendant les mois(mai à septembre) où l’intensité du rayonnement ultravioletefficace pour la synthèse cutanée est la plus élevée [4].Heaney et al. ont récemment réévalué ces besoins enquantifiant les apports de vitamine D nécessaires pourmaintenir pendant 20 semaines d’hiver les niveaux de25-(OH)D atteints spontanément à la fin de l’été(17,5 ng/mL, 70 nmol/L) chez 67 hommes adultes [23].Leurs résultats confirment l’estimation classique desbesoins en vitamine D, puisqu’un apport moyen de12,5 microgrammes/jour permet de maintenir le niveaudes réserves en vitamine D quand la production cutanéede vitamine D est déficitaire.

Le problème reste donc de définir les besoins d’un indi-vidu normalement exposé à la lumière solaire. On estimeque 50 à 75 % des réserves sont fournis par la productioncutanée, d’où les apports nutritionnels conseillés enFrance [24] établis en 2001 à 5 microgrammes/jour chezl’adulte (tableau II). Ces ANC sont plus élevés chez lesfemmes enceintes et les enfants de moins de 3 ans pourtenir compte à la fois de l’accroissement des besoins pen-dant la croissance pré- et postnatale et d’une plus faibleexposition solaire dans ces populations [24]. Ils sont éga-lement plus élevés chez les personnes âgées, en raisond’un certain degré de résistance à la vitamine D et de lafaible exposition solaire chez ces personnes [24]. Mais, lesrésultats des études plus récentes incitent à réévaluer lebien fondé de ces apports nutritionnels conseillés aux dif-férents âges de la vie.Chez le nourrisson, il est largement admis qu’une dosequotidienne de 10-15 microgrammes de vitamine D suffità corriger les signes cliniques de rachitisme carentiel(déformations squelettiques et/ou signes neurologiquesrésultant d’une hypocalcémie). Or, des doses plus élevéesont été recommandées en France dès 1963 : 1 000 à1 500 unités par jour (soit 25 à 37,5 microgrammes parjour) et même 2 500 unités par jour chez les enfants àpeau très pigmentée (62,5 microgrammes par jour). Dansnotre expérience, l’apport moyen de 1 000 unités/jourest associé à des valeurs de 25-hydroxyvitamine D de 31± 13 ng/mL (77 ± 32 nmol/L). Ces apports dépassentdonc les besoins liés à la minéralisation du squelette, ainsique les apports nutritionnels conseillés établis en 2001.Cependant, il n’existe pas de preuve d’un effet délétère deces apports. Au contraire, ceux-ci pourraient même êtrebénéfiques pour la prévention de maladies auto-immunes.En effet, des études convaincantes ont montré une asso-ciation entre apport de vitamine D chez le nourrisson etrisque de survenue d’un diabète de type I chez l’enfant etl’adulte jeune [16]. D’après leurs auteurs, un tel risquediminue si le nourrisson reçoit au moins 2 000 unités/jourde vitamine D (50 microgrammes/jour) au lieu de200 unités/jour (5 microgrammes/jour) pendant la pre-mière année de vie. En l’attente d’études testant l’éventuel

Tableau II.Apports nutritionnels conseillés en vitamine D pour des personnes

ayant une exposition solaire habituelle (microgrammes/jour).

PopulationFemmesenceintes

Nourris-sons

Enfants1-3 ans

Enfantsadolescents

AdultesPersonnes

âgées≥ 75 ans

Apports nutritionnels conseillés pour la population française 2001 [24]

10 20-25 10 5 5 10-15

Apport de vitamine D optimal pour :Métabolisme calcique et minéralisation osseuse

10 25-40 10-15 5 5 20-25

Effet immuno-suppresseur

? 50 ? ? ? ? ?

Effet « anticancéreux » ? ? ? ? 5-12 (?) 12-27 (?)

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impact de doses intermédiaires, il paraît donc prudent demaintenir les apports recommandés en France depuis plusde 40 ans.Chez les personnes âgées, plusieurs études d’interventionrandomisées contre Placebo suggèrent que l’apport optimalde vitamine D permettant de réduire le risque de fractureset de perte osseuse exagérée est de 20-25 microgrammes/jour [10, 11], donc bien supérieur aux ANC actuels, et biensupérieurs à ce qu’apporte l’alimentation courante enFrance.Mais c’est la fonction antiproliférative de la vitamine D quiretient actuellement le maximum d’attention [22]. Eneffet, des études d’association nord-américaine suggèrentun moindre risque de survenue ou de récidive de cancer(côlon principalement, mais aussi sein et prostate) chez lessujets ayant un apport de vitamine D au moins égal à 5-12 microgrammes/jour [17] ou même 27 microgram-mes/jour [20]. Cependant, il semble prématuré de préco-niser une augmentation des apports en vitamine D pourl’ensemble de la population. En effet, de telles associa-tions n’ont pas été observées dans toutes les études [17,21, 25]. Elles ont été surtout observées dans les cohortesde femmes âgées et n’ont pas été observées dans descohortes d’adultes jeunes ou d’adolescents [17]. De plus,ces propositions n’ont pas encore été étayées par des étu-des d’intervention, et il reste beaucoup de questions nonrésolues avant d’envisager une étude prospective d’inter-vention à grande échelle : quel apport de vitamine D,pour quelle population (ethnie, groupe d’âge, pré- ou post-ménopause, etc.), pendant quelle durée ? [22].

En conclusion

Les données récentes sur les effets de la vitamine D ontfait reconsidérer le bien fondé des estimations sur lesbesoins et apports conseillés en vitamine D. Elles donnentdes arguments supplémentaires en faveur des stratégiesde prévention du rachitisme chez le nourrisson, mises enplace en France depuis 1963. Elles obligent à réévaluer àla hausse les apports recommandés chez les personnesâgées. Elles suggèrent qu’un apport plus élevé de vitamineD pourrait réduire le risque de cancer du côlon et du seinchez l’adulte, mais restent insuffisantes pour modifier lesrecommandations actuelles, et ceci d’autant plus que lesdonnées sur les doses potentiellement délétères de cettevitamine restent trop parcellaires.

Conflit d’intérêt

L’auteur a déclaré n’avoir aucun conflit d’intérêt en rap-port au contenu de cet article.

Résumé

La vitamine D est connue depuis près d’un siècle pour sonaction antirachitique. C’est sur cette base qu’ont été défi-nis les besoins et apports recommandés, tels que propo-sés jusqu’à maintenant, afin de prévenir la survenue d’undéfaut de minéralisation osseuse aussi bien chez l’enfantque chez l’adulte. Cependant, les découvertes des vingtdernières années ont fait reconsidérer le bien fondé desestimations sur les besoins et apports conseillés en vita-mine D pour tenir compte de la résistance à la vitamine

D mise en évidence chez les personnes âgées, et des effetsnon osseux de cette vitamine sur le système immunitaireet la différenciation cellulaire. Ces nouvelles données don-nent des arguments supplémentaires en faveur des straté-gies de prévention du rachitisme chez le nourrisson misesen place en France depuis 1963, l’apport de 25 à62 microgrammes/jour pouvant également réduire le ris-que de diabète juvénile de type I. Mais elles obligent à réé-valuer à la hausse les apports recommandés chez lespersonnes âgées, 20-25 microgrammes/jour. Elles suggè-rent enfin qu’un apport de vitamine D supérieur aux ANCpourrait réduire le risque de cancer du côlon et du seinchez l’adulte, mais restent insuffisantes pour modifier lesrecommandations actuelles, et ceci d’autant plus que lesdonnées sur les doses potentiellement délétères de cettevitamine restent trop parcellaires.

Mots-clés : Vitamine D – Minéralisation osseuse – Cancer– Diabète – Apports recommandés – 25-hydroxyvitamine D.

Abstract

The anti-rachitic action of vitamin D has been discove-red more than 80 years ago and daily requirementsand recommended dietary intakes of vitamin D are stilldefined on the basis of this action. Recent discoverieshave pointed out the vitamin D resistance observedwith advancing age and extended the field of vitaminD actions far beyond that related to calcium and bonemetabolism. They give support to the prevention stra-tegy against infantile rickets followed in France since1963, 25 to 62 microgrammes/day, as this dosage maynot only prevent the occurrence of rickets but also thatof type I diabetes. They call for a redefinition of opti-mal intakes for elderly, with daily dosages of at least20-25 microgrammes. They suggest that increased vita-min D intakes in adults may decrease the risk of breastand colon cancer, but new recommendations shouldawait stronger evidences obtained from interventionalstudies and a more exhaustive evaluation of the possi-ble deleterious consequences of long term intakesexceeding the current recommendations.

Key-words: Vitamin D – Bone mineralization – Cancer– Diabetes – Recommended intakes – 25-hydroxyvita-min D.

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